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La créativité en musicothérapie auprès de personnes schizophrènes comme re-création de soi d'un point de vue phénoménologique

( Télécharger le fichier original )
par Aude Cassina
Université des Arts de Zurich (Suisse) - Master of Advanced Studies en musicothérapie clinique 2010
  

Disponible en mode multipage

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ZÜRCHER HOCHSCHULE DER KÜNSTE

EN COLLABORATION AVEC LA

INTERKANTONALE HOCHSCHULE FÜR HEILPÄDAGOGIK
BERUFSBEGLEITENDE AUSBILDUNG MUSIKTHERAPIE BAM

LA CRÉATIVITÉ EN MUSICOTHÉRAPIE
AUPRÈS DE PERSONNES SCHIZOPHRÈNES
COMME RE-CRÉATION DE SOI

D'UN POINT DE VUE PHÉNOMÉNOLOGIQUE

MÉMOIRE POUR L'OBTENTION DU TITRE :

MASTER OF ADVANCED STUDIES EN MUSICOTHÉRAPIE CLINIQUE

PRÉSENTÉ PAR : AUDE CASSINA

DIRECTEUR DE MÉMOIRE : THIERRY BOTTAÏ

A mes parents, pour leur sens exceptionnel de l'accueil et de l'entre-aide.

A Jean, Lulu, Ricky et Hikaru.

\u12356centsçÁuácentsÜ

A Henri, mon père spirituel.

TABLE DES MATIERES

Abstract p. 4

Remerciements p. 5

Prologue p. 6

Introduction p. 7

1 Les tableaux cliniques de la schizophrénie p. 9

1.1 Historique p. 9

1.2 Signes cliniques p.10

1.3 Syndromes p.11

1.3.1 Syndrome dissociatif p.12

1.3.2 Syndrome autistique p.13

1.3.3 Syndrome délirant p.13

1.4 Formes du début p.14

1.4.1 Début brutal avec apparition d'un délire p.15
en quelques jours ou semaines

1.4.2 Début insidieux p.15

1.5 Symptômes positifs et symptômes négatifs p.15

1.6 Formes cliniques p.16

1.6.1 Schizophrénie paranoïde p.16

1.6.2 Schizophrénie hébéphrénique (ou désorganisée) p.17

1.6.3 Schizophrénie catatonique p.17

1.6.4 Schizophrénie « simple » p.18

1.6.5 Schizophrénie dysthymique (ou psychose aigüe schizo-affective) p.18

1.6.6 Autres formes p.19

1.7 Evolution de la maladie p.20

1.8 Médication p.22

2 Trois processus de la schizophrénie sous l'angle p.27

de la psychopathologie phénoménologique

2.1 Définitions p.27

2.1.1. La phénoménologie philosophique p.27

2.1.2. La phénoménologie psychiatrique p.29

2.1.3. La psychopathologie phénoménologique p.30

2.2 Trois processus de la schizophrénie sous l'angle de la psychopathologie p.30

phénoménologique

2.2.1 L'être-soi, l'être-au-monde et l'être-avec-autrui p.31

2.2.2 La perte du contact vital avec la réalité p.33

2.2.3 Les notions de temps et d'espace modifiés p.34

3 Trois situations cliniques en musicothérapie p.37

3.1 Monsieur K. p.37

3.2 Monsieur F. p.42

3.3 Monsieur N. p.47

4 Créativité en musicothérapie et re-création de soi phénoménologique p.52

4.1 Créativité p.52

4.1.1 Définition p.52

4.1.2 Créativité musicale p.53

4.1.3 Créativité et folie p.54

4.1.4 Créativité en musicothérapie p.55

4.1.5 Méthodologie de la créativité en musicothérapie p.56

4.2 Analyse des trois situations cliniques au regard des trois processus p.57
schizophrénique de la schizophrénie

4.2.1 Perception sonore de soi et perception sonore de l'autre p.57

4.2.2 Délire et improvisation p.60

4.2.3 Espace musical et temps musical p.62

4.2.4 Tableau récapitulatif p.65

4.3 L'Entre comme espace de re-création de soi en musicothérapie p.67

4.3.1 Noétique et noématique de la musique p.67

4.4 Réflexion p.68

Conclusion p.73

Epilogue p.74

Bibliographie p.75

Annexe p.78

ABSTRACT

Cet ouvrage se veut une approche et une compréhension phénoménologique de la créativité en musicothérapie auprès de personnes schizophrènes. Il relate et analyse trois situations cliniques en ayant pour référence, entre autres théories, celle de l'Entre ou l'Aïda du psychiatre phénoménologue japonais Bin Kimura. Il s'agit tout d'abord de découvrir les principaux tableaux cliniques de la schizophrénie ainsi que l'approche de la psychiatrie phénoménologique. S'ensuivent les différents aspects de la créativité musicale par l'intermédiaire de la perception sonore de soi et de l'autre, par la naissance de l'improvisation ainsi que de l'impact de l'espace et du temps musical sur des personnes souffrant d'une désorganisation psychique. Une réflexion menée à la lumière de la phénoménologie permet de retracer sous forme de tableaux le développement de la créativité en musicothérapie amenant une forme de prolongement de soi ou de recréation de soi.

Mots-clés : musicothérapie - phénoménologie - schizophrénie - créativité musicale - psychiatrie - philosophie

REMERCIEMENTS

A Thierry Bottaï, directeur de mémoire, pour avoir accepté le challenge malgré le temps passé et la distance. Pour ses conseils judicieux et son sens de la pédagogie qui m'ont amenée à travailler en psychiatrie et à écrire ce mémoire.

A Astrid Lorz, deuxième lectrice, pour avoir accepté cette fonction et les tâches ardues qui lui incombent.

A Philippe Besse, directeur de La Miolaine, et à Luc Faudeil, responsable de l'institution, pour m'avoir tous deux accordé leur confiance ainsi que l'autorisation et le temps de rédiger ce mémoire.

A Sara Rossi, infirmière et chère collègue, pour l'aide apportée à la compréhension de la médication.

A tous mes collègues de La Miolaine, et aux MSP en particulier, qui ont suivi de plus ou moins près cette naissance. A Olivier et Bernard qui ont tenté de me « distraire » par leur humour !

A Jane Sharman, sans laquelle je ne serais devenue musicothérapeute.

A Maryse, pour ses encouragements qui m'ont rendu la tâche plus agréable ! A nos fous-rires !

A Vincent, pour ses messages ensoleillés de Bali et pour son amitié précieuse !

A mon père, pour avoir trouvé l'opportunité de poser son regard et ses corrections syntaxiques sur ce travail. Pour sa bienveillance et pour m'avoir appris qu'un point est bien plus beau qu'un point virgule !

A ma maman, pour m'avoir enseigné l'essentiel : l'envie, le sens et le goût des autres !

Aux trois messieurs qui m'ont donné leur accord et leur confiance et sans lesquels tout ceci n'existerait pas !

PROLOGUE

« Le monde de l'art n'est pas celui de l'immortalité, c'est celui de la métamorphosei

André Malraux

« Vous allez parler de moi ? Vous êtes gentille... », dit monsieur K. d'une voix souriante.

« Ecrire sur moi ? Oui ! Comme vous voulez. », explique monsieur F., plutôt consensuel.

« Qu'est-ce que tu vas bien pouvoir raconter... je pourrai lire ? Parce que s'il y a un aspect philosophique, ça m'intéresse beaucoup », raconte monsieur N., les yeux pétillants.

Alors, l'appréhension me gagne de ne pouvoir retracer avec justesse, délicatesse et intelligence la vie et les séances de musicothérapie effectuées avec ces personnes que je respecte, que j'accompagne avec plaisir et de manière régulière dans les moments difficiles comme dans les moments heureux.

L'appréhension me gagne de n'avoir eu l'oreille pour les entendre, de n'avoir eu le bon ton pour les soutenir, de n'avoir su trouver la pulsation dynamique et empathique qui redonne vie, de n'avoir trouvé la bonne nuance ou suffisamment de timbres différents pour faciliter la re-création de soi.

Le plaisir consiste à croire que ce mémoire puisse être une transmission, une trace, un objet utile à d'autres...

Le plaisir serait de penser que les personnes concernées puissent un jour lire ceci et tourner la page...

Le plaisir est grand d'avoir pris le temps de coucher sur papier les séances, d'avoir eu l'opportunité de créer et de recréer un espace musicothérapeutique autre !

Ce travail est un hommage à ces gens dont la réalité ne correspond pas à la nôtre, pour leur valeureux et constant combat intérieur à nous rejoindre... qu'ils gardent la force de se battre !

INTRODUCTION

Nous souhaitons initier ce travail de théorie par l'hypothèse suivante : y a-t-il possibilité d'un espace de re-création de soi pour les personnes schizophrènes dans l'approche de la créativité en musicothérapie ? L'harmonie et le rythme musical peuvent-ils servir d'ancrage à des patients dont l'harmonie de la vie et le rythme interne s'avèrent chavirés lors de violentes tempêtes ou servent-ils simplement (ou déjà, ai-je envie de dire) de soutien pendant des périodes de douces accalmies ? Ces questions nous taraudent dans la pratique quotidienne de notre métier, aussi désirons-nous les aborder sans compromis, en approchant le courant de pensée phénoménologique afin d'atteindre la personne dans son essence même en considérant son rapport au monde, à autrui, à la temporalité, mais aussi son rapport au fondement vital (Etre ou Sein) et au principe d'individualité et d'identité (étant ou Dasein).

Notre méthodologie s'entend de la manière suivante. Il nous semble essentiel de traiter premièrement et succinctement de la clinique psychiatrique et de la classification des principaux tableaux de la schizophrénie, d'affiner notre vision de la maladie à la lumière de la psychopathologie phénoménologique, d'étudier au plus près la créativité sous ses diverses formes, de développer notre méthodologie musicothérapeutique afin d'aborder ensuite notre clinique musicothérapeutique, de l'analyser sous un regard phénoménologique et de tenter de répondre à notre hypothèse introductive.

La schizophrénie s'apparente à un orchestre sans chef (Henry Ey), aussi, arborons-nous suffisamment d'outils adéquats pour harmoniser et rythmer, aider à la création musicale et par là-même à la re-création de soi ? Si la musique est souvent utilisée pour imager la nature même de la schizophrénie, elle est aussi adoptée en phénoménologie pour décrire et expliciter certains paramètres d'approche dans la compréhension du vécu de la personne schizophrène. Pour exemple, on peut se reporter à l'Entre du Japonais Bin Kimura et son chapitre consacré au noétique et au noématique de la musique (Kimura, 2000, p.32-38), dans lequel il tente de comprendre le rapport entre le fond de la vie et celui qui se rapporte au monde, soit entre le Sein et le Dasein (Etre et étant) de Martin Heidegger (1ère édition 1976).

Dans son application concrète et sonore, cherchons à comprendre si la musique et ses paramètres rejoignent la personne schizophrène dans son morcellement et dans sa perte du contact vital avec la réalité, s'ils l'aident à se recréer.

Au début du XXème siècle, Hans Prinzhorn, notamment, a abondamment développé le sujet de l'expression de la folie par l'intermédiaire de l'art thérapie : du dessin, de la peinture et de la sculpture. Il aborde les notions de jeux orientés vers une Gestaltung visuelle et plastique (Prinzhorn, 1922).

Il serait intéressant de définir une Gestaltung auditive et musicale en musicothérapie comme point de départ d'une éthique musicothérapeutique en pratique psychiatrique.

Il serait facile et tentant d'étendre le sujet à ses ramifications, cependant, nous nous bornerons à chercher une re-création de soi par la créativité musicale, peut-être naissante dans « l'Entre » de Kimura.

De même que pour qu'il y ait de la lumière, il faut qu'il y ait de l'obscurité, faut-il du chaos pour qu'il y ait de l'harmonie? Et pour que la création advienne, ne faut-il pas se recréer ?

CHAPITRE 1
LES TABLEAUX CLINIQUES DE LA SCHIZOPHRENIE

Nous ne pouvions aborder le thème de la schizophrénie sans en faire d'abord un bref aperçu historique, suivi de la partie descriptive de la clinique et des différents syndromes, des symptômes décrits et des formes répertoriées et classifiées, sans oublier l'évolution actuelle de cette maladie recensée dans chaque pays du monde.

1.1. Historique

En 1891, Emil Kraeplin décrit dans son traité des maladies mentales différentes affections psychiatriques qui touchent le jeune adulte et qu'il nomme « démence précoce », mettant en avant l'aspect progressivement déficitaire de la maladie et recherchant des causes organiques à l'affaiblissement intellectuel. Le terme de « schizophrénie » est introduit par Eugen Bleuler en 1911, terme issu des racines grecques « skizein » signifiant fendre, couper et de « phren » faisant référence au cerveau et à la pensée. Ne recherchant pas de cause organique au désordre psychique, il met l'accent sur l'idée que sa conception n'est plus évolutive mais clinique et psychopathologique pour favoriser le diagnostic. On pense dès lors davantage à une coupure de l'esprit que Bleuler nomme « Spaltung », littéralement « scission-division », traduit en français par différents termes : une désorganisation, une dissociation (Hesnard), une discordance (Chaslin), un clivage de la personnalité, une rupture du lien qui unifie l'individu alliée à une perte de contact avec la réalité (Minkowski). Bleuler, dans Dementia Praecox ou Groupe des Schizophrénies (1911), introduit ainsi le concept de schizophrénie : « nous désignons sous le nom de démence précoce ou schizophrénie un groupe de psychoses qui évolue tantôt sur le mode chronique, tantôt par poussées, qui peut s'arrêter ou même rétrocéder à n'importe quel stade, mais qui ne permet sans doute pas de restitution ad integrum complète. Ce groupe est caractérisé par une altération de la pensée, du sentiment et des relations avec le monde extérieur d'un type spécifique et que l'on ne rencontre nulle part ailleurs ». (p.45, traduction française A. Vaillard - 1993 - de l'ouvrage de Bleuler) (Haouzir, Bernoussin, 2005, p.18.)

1.2. Signes cliniques

Cette pathologie affecte le sujet jeune, entre 15 et 35 ans, et s'avère être une maladie universelle que l'on rencontre dans tous les pays et dans les mêmes proportions. Elle touche autant les hommes que les femmes à raison d'1 personne sur 1'000 selon l'OMS1 et la prévalence communément acquise dans la littérature internationale sur la vie entière est de 1%. Le diagnostic s'avère difficile à poser étant donné l'hétérogénéité des symptômes et l'on considère, selon la classification nord américaine, que l'évolution du trouble doit être égale ou supérieure à six mois pour que l'on puisse poser un diagnostic de schizophrénie, alors que la classification internationale de l'OMS ne requiert qu'un mois d'évolution. Selon l'Association Américaine de Psychiatrie (American Psychiatric Association) et le DSM IV-TR2, les critères de diagnostics suivants doivent être répertoriés :

A. Symptômes caractéristiques : au minimum deux des cinq manifestations suivantes doivent être présentes, chacune pendant une partie significative du temps, soit une période d'un mois (ou moins si elles répondent favorablement à la médication)

1) Idées délirantes.

2) Hallucinations.

3) Discours désorganisé (sauter du coq à l'âne ou incohérence).

4) Comportement grossièrement désorganisé ou catatonique.

5) Symptômes négatifs, par exemple un émoussement affectif ou une perte de volonté.

B. Dysfonctionnement social des activités.

C. Des signes permanents de la perturbation persistent pendant au moins 6 mois. Cette période de 6 mois doit comprendre au moins un mois de symptômes qui répondent au critère A.

D. Exclusion d'un trouble schizo affectif et d'un trouble de l'humeur.

E. Exclusion des troubles dus à des substances ingérées ou à des pathologies organiques.

1 Organisation Mondiale de la Santé.

2 DSM IV-TR: Diagnostic and Statistical Manual - 4ème Révision - American Psychiatric Association. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Traduction française, Paris, Masson, 2000.

F. Relation à un trouble envahissant du développement, par exemple l'autisme.

1.3. Syndromes

Ainsi qu'énoncé précédemment, un syndrome dissociatif est observé. La personne atteinte n'éprouve plus le sentiment d'être un être humain et ressent une impression de dislocation et de morcellement de sa personnalité. Elle perd alors le contact avec la réalité. Le syndrome de dissociation générant beaucoup d'angoisse, deux mécanismes d'auto-compensation ou de compensation phénoménologique face à l'expérience indicible de la dislocation de l'unité du Soi, et donc de l'explosion des relations entre le Soi et le monde extérieur, entrent en jeu : un syndrome autistique et une activité délirante paranoïde.

1.3.1 Syndrome dissociatif

L'approche clinique contemporaine organise la dissociation psychique autour de trois pôles, pensée, affects et comportements, recouvrant à peu près ceux proposés par Chaslin (délire, émotions, mimique) (Haouzir, Bernoussi, 2005, p.21).

a) Dissociation de la pensée ou idéique : elle se traduit par une altération du cours de la pensée. Les idées se dispersent, deviennent chaotiques. La pensée peut s'arrêter de manière brutale d'où la conséquence sur l'arrêt du discours que l'on nomme barrage (Kraepelin). On remarque également des persévérations, sortes d'idées répétitives venant gêner le cours de la pensée, une diminution de l'attention et de la concentration, une lenteur d'idéation, un appauvrissement des idées. Il peut aussi s'agir de troubles du langage tel que le mutisme ou semimutisme, des impulsions verbales, des apartés. On relève également un langage maniéré, fait de paralogisme (utilisation de mots détournés de leur sens) ou de néologisme (création de mot). Parallèlement à ces anomalies grammaticales, il est possible de noter aussi des anomalies syntaxiques sur la construction et l'architecture des phrases. Quant au timbre de la voix, on note un fading mental (amenuisement du son de la voix type decrescendo) ainsi que des intonations

bizarres. La pensée est déconnectée par rapport à la réalité, elle semble « tourner à vide ». Par ailleurs, on souligne l'ambivalence (sensation d'éprouver psychiquement des valeurs positives et négatives simultanément) de la personne schizophrène.

b) Dissociation des affects ou thymique : elle consiste en une absence de participation affective à des événements ou à des situations dont la charge émotionnelle ne peut laisser indifférent. On relève une froideur affective dans le contact, une anhédonie (incapacité à éprouver du plaisir), un émoussement affectif, des rires inappropriés, des signes de négativisme, un refus de communication, un appauvrissement de la mimique voire une inexpressivité du visage, qui peut être associée au concept d'athymhormie (Guiraud et Guiraud), apparent désintérêt affectif généré par la perte de l'élan vital (Bleuler).

c) Dissociation des comportements et dissociation motrice : elle consiste en un désintérêt et une adaptation insuffisante à l'environnement. Elle comprend également une forme de maniérisme et d' « ambitendance » (ambivalence de la volonté) qui se traduit par une sorte de perpétuelle hésitation lors de certains gestes initiés et interrompus invariablement. On relève également divers phénomènes moteurs, tels que : paramimie discordante (mouvements non adaptés), gestes auto ou hétéro agressifs, actes cocasses ou absurdes, mouvements stéréotypés ou gestes ritualisés. A ceux-ci s'associe au paroxysme des symptômes catatoniques (comportement moteur plus ou moins permanent qui ne répond pas de manière adaptée aux stimulations du milieu et qui s'accompagne souvent d'impulsions et de stéréotypie) une forme de catalepsie (comportement caractérisé par une rigidité musculaire particulière dite rigidité plastique).

d) Dissociation entre les sphères idéique, affective et comportementale : les pensées sont déconnectées des idées et des comportements, et le sujet en vient à faire toutes sortes de bizarreries, comme être soulevé d'un rire immotivé à l'annonce d'un événement grave. De même les émotions ne sont plus liées aux raisonnements et deviennent indépendantes des comportements, engendrant froideur affective, ambivalence, paralogisme, ainsi ce père de famille, patient de

Binswanger, qui offre un cercueil pour cadeau de Noël à sa fille cancéreuse (Tatossian, 2002, p.79).

1.3.2 Syndrome autistique

L'être n'arrivant plus à être soi-même et ayant donc une difficulté majeure à l'identité, ses rapports avec le monde sont profondément altérés. Deux phénomènes de compensation face à l'expérience indicible et effrayante de la dislocation de la personnalité sont possibles : soit l'attitude de retrait avec tous les éléments du syndrome autistique tel que précisé ci dessous soit une attitude de reconstruction coûte que coûte de la réalité, au prix d'une déformation délirante détaillée ultérieurement. On observe une attitude générale de repli sur soi, un appauvrissement de l'insertion sociale, une perte d'initiative, un appauvrissement de la communication interrelationnelle, une aboulie (incapacité à exécuter des actes prémédités) ou un apragmatisme (insuffisance, diminution voire disparition de la volonté qui empêche le sujet de mener à bien une action non-préméditée), un repli sur soi et une rupture plus ou moins complète des communications avec l'extérieur et avec autrui.

1.3.3 Syndrome délirant

Dans ce domaine, face à la perte d'identité et la dislocation, le sujet tente de maintenir un contact avec une réalité sans pouvoir la percevoir de manière adéquate. La reconstruction s'avère alors délirante mais permet de tenter de maintenir un contact avec l'extérieur, le monde et autrui. Le sujet va développer toutes sortes d'idées erronées, de convictions fausses, d'erreurs de perception ou de jugement.

a) L'organisation du délire se tisse de manière paranoïde (mal ou non systématisée, décousue, sans cohérence interne), faisant opposition aux délires dits paranoïaques (délires systématisés, organisés, voire crédibles tel que les délires érotomaniaques ou de jalousie).

b) Les modalités du délire se comptent au nombre de quatre et explicitent les processus à partir desquels le délire se construit :

1. Modalité intuitive (je le sens, vous me voulez du mal)

2. Modalité interprétative (de faits et de paroles)

3. Modalité imaginative (adhère à l'imagination avec conviction)

4. Modalité hallucinatoire (hallucinations auditives, visuelles, olfactives et cénesthésiques).

On considère que l'automatisme mental (Clérambault) déclenche encore d'autres types d'hallucinations psychiques : écho de la voix, vol de la pensée, mots fortuits, autonomisation des voix - voix qui discutent entre elles.

c) Différents thèmes viennent alimenter les délires paranoïdes, avec une prédominance pour la persécution, l'homosexualité, la pédophilie, le vol ou l'imposition de la pensée.

En conclusion, les délires paranoïdes sont constitués de la juxtaposition des différentes idées délirantes et de différentes modalités, sans organisation interne rigoureuse. La fréquence de la thématique de persécution a été à l'origine de la caractéristique paranoïaque mais l'absence d'ordre, de logique, et de clarté leur donne la caractéristique de paranoïde.

1.4. Formes du début

Les premiers signes cliniques se font remarquer dès la préadolescence. On parle de personnalité schizoïde, sujet qui a tendance à l'isolement, qui s'adapte difficilement, qui rationnalise systématiquement des événements, et porte intérêt à des thèmes spéculatifs, abstraits voire ésotériques. On relate différentes formes d'entrée dans la maladie.

1.4.1. Début brutal avec apparition d'un délire en quelques jours ou semaines

a) Débuts explosifs avec des bouffées délirantes aigües, décrits comme « un coup de tonnerre dans un ciel serein ». Sans prévenir, du jour au lendemain, on relève des délires aigus générant beaucoup d'angoisse. Il existe des variabilités de thèmes, de modalités et d'aspects thymiques caractérisant ce type d'entrée dans la schizophrénie : 1. Aphorisme de Magnan, une bouffée délirante aigüe sans lendemain 2. Plusieurs bouffées puis arrêt total des manifestations 3. Entrée de

Magnan, quelques bouffées marquent une entrée définitive dans la maladie 4. Entrée dans la maladie après une bouffée délirante aigüe.

b) Dépression atypique, dont les éléments de dissociation peuvent être une entrée dans la schizophrénie : idées bizarres et ambivalence.

c) Formes monosymptomatiques tels qu'une fugue, une tentative de suicide, un crime immotivé.

1.4.2. Début insidieux avec une invasion progressive du délire qui mène à une dépersonnalisation, à une déréalisation qui donne l'impression à l'entourage que le jeune « disjoncte », devient bizarre et inaccessible.

a) Formes pseudo-obsessionnelles se rapportant à des troubles qui se ritualisent et peuvent passer inaperçus aux yeux de l'entourage, à une perte de l'évidence (ouvrir une porte).

b) Troubles du comportement : fléchissement scolaire inexpliqué, retrait social.

c) Apparition de conduites addictives : alcoolisme, toxicomanie.

d) Sentiment de dépersonnalisation : dysmorphophobie, angoisse de morcellement, peur de la perte de l'intégrité personnelle, troubles de l'identité, déréalisation (impression d'étrangeté et d'hostilité du monde extérieur).

1.5. Symptômes positifs et symptômes négatifs

Il me semble essentiel de détailler une subdivision, établie à la suite d'une publication de Strauss, Carpenter et Bartko (1974), que l'on exerce entre divers symptômes que l'on relie à deux groupes distincts de symptômes dits positifs et de symptômes dits négatifs. On regroupe d'un côté les symptômes positifs témoins d'une désinhibition fonctionnelle (Bottéro, 2008, p.188) se caractérisant par une sémiologie productive, par exemple les délires, les hallucinations, les illusions, les interprétations et les intuitions et de l'autre côté les symptômes négatifs accompagnant à l'inverse une restriction fonctionnelle (Bottéro, 2008, p.188) comprenant un émoussement de l'affectivité, une alogie (difficulté de converser), une avolition (perte d'intérêt et d'énergie), une anhédonie, une asocialité et un déficit d'attention (Aucour, 2009, p.7-8). Parmi les symptômes négatifs,

on distingue les symptômes dits primaires, directement liés à la maladie et à ses conséquences pathologiques, des symptômes dits secondaires, liés à des conséquences neuro-psycho-sociales de la schizophrénie et de ses traitements, notamment des effets indésirables des neuroleptiques. Les symptômes négatifs primaires sont soit transitoires lorsqu'ils sont liés à une décompensation psychotique, soit permanents lorsqu'ils témoignent d'un déficit neurocognitif ou neuro-développemental, parfois prémorbide (antédatant le début de la maladie). Au départ, cette distinction entre symptômes positifs, en sus du fonctionnement psychique habituel, et symptômes négatifs, en manque par rapport au fonctionnement psychique usuel, a été dictée pour des impératifs de recherche, notamment pharmacologique.

1.6. Formes cliniques

Les formes de schizophrénie les plus fréquemment rencontrées en clinique et dans les manuels de psychiatrie comprennent : la schizophrénie paranoïde, la schizophrénie hébéphrénique ou désorganisée, la schizophrénie catatonique, la schizophrénie « simple », la schizophrénie dysthymique ou schizo-affective, la schizophrénie pseudopsychopathique (ou héboïdophrénique), la schizophrénie pseudo-névrotique, la schizophrénie indifférenciée et la schizophrénie résiduelle (Aucour, 2004, p.37).

1.6.1 Schizophrénie paranoïde

Elle est reconnue comme la forme la plus répandue et la plus productive quant à la symptomatologie. Le délire paranoïde est à l'avant scène du tableau, et cette forme de schizophrénie débute de manière plus tardive que les autres, notamment hébéphrénique et catatonique. La maladie s'installe souvent suite à une ou plusieurs bouffées délirantes aigües. L'évolution se fait par poussées dites processuelles, entrecoupées de rémission plus ou moins complète du délire. Cependant, elle peut aussi présenter une évolution continue avec incrustation du délire. Cette forme répond bien aux neuroleptiques et permet au sujet de maintenir une certaine qualité de vie psychique, malgré des modalités hallucinatoires intuitives et imaginatives qui envahissent souvent tout le champ de

conscience de l'individu. La schizophrénie paranoïde est répertoriée dans le DSM-IVTR (295.30) et dans la CIM-103 (F20.0).

1.6.2 Schizophrénie hébéphrénique (ou désorganisée)

Décrite par Hecker, elle représente 20% des formes de schizophrénies. Le syndrome autistique prédomine sur les deux autres. Cette forme débute chez le sujet jeune (Hébé faisant référence à la déesse grecque de la jeunesse), et semble correspondre cliniquement à la démence précoce de Kraeplin. On relève un aspect déficitaire global de l'individu avec notamment les symptômes suivants : une attitude générale de repli, une pensée magique et régressive, de l'aboulie, de l'apathie, de l'athymhormie (atteinte globale de la vigueur du moi, Dide et Guiraud, 1922) et une perte d'intérêt. Le délire n'étant pas au premier plan, le sujet ne l'exprime que difficilement. Cette forme répond mal aux neuroleptiques et évolue de manière progressive et insidieuse avec des phases d'exacerbation. Elle est répertoriée et appelée schizophrénie désorganisée dans le DSMIV-TR (295.10), répertoriée et nommée schizophrénie hébéphrénique dans la CIM-10 (F20.1).

1.6.3 Schizophrénie catatonique

Fréquente au début du siècle passé, elle n'est actuellement que peu dénombrée et les cas cités sont historiques. Comme son nom l'indique, un syndrome dissociatif (moteur) prédomine, avec pour symptômes des troubles moteurs, des troubles du langage, un maniérisme ou une inertie, ainsi qu'un syndrome cataleptique. Peuvent survenir des épisodes d'extrême violence marqués par des épisodes d'agitation avec agressivité au cours de l'immobilisme catatonique. Il s'agit de crises majeures du comportement. La schizophrénie catatonique est répertoriée dans le DSM-IV-TR (295.20) et dans la CIM10 (F20.2).

1.6.4 Schizophrénie « simple »

L'existence de cette forme est discutée, certains praticiens contestant la réalité clinique de ce type de schizophrénie. Décrite par Berze en 1929, cette forme se caractérisait par un affaiblissement intellectuel et affectif, une diminution des capacités d'attention et de concentration, d'intérêt et d'autonomie amenant à une dégénérescence mentale. Actuellement, elle est décrite de la manière suivante : pas de délire, ou peu important, dissociation lente et insidieuse, personnalité schizoïde4, froideur affective, bizarrerie, qui se traduisent parfois par un vagabondage et une désinsertion professionnelle. La schizophrénie simple est aussi appelée psychose blanche en raison du peu de signes symptomatologiques désignés. Elle n'est pas répertoriée dans le DSM-IV-TR mais dans la CIM-10 (F20.6).

1.6.5 Schizophrénie dysthymique (ou psychose aiguë schizo-affective)

C'est Kasanin, en 1933, qui propose le terme de psychose aigüe schizo-affective pour décrire un tableau clinique dans lequel se mélangent des symptômes schizophréniques tels que le délire, l'hallucination, la dissociation avec des troubles majeurs de l'humeur (dépressifs, maniaques ou mixtes) congruent ou non au délire. La clinique démontre que les troubles schizo-affectifs durent de trois à quatre mois et sont généralement suivis de périodes d'accalmie pendant lesquelles ne subsistent qu'une symptomatologie résiduelle, voire aucun trouble psychique majeur. Actuellement, en raison des intervalles libres de symptômes psychiatriques, la clinique moderne inclut les tableaux schizo-affectifs dans la psychose bipolaire (maniaco-dépressive) ou en constitue une entité distincte intermédiaire entre les troubles schizophréniques et les troubles bipolaires maniaco-dépressifs. Les troubles schizo-affectifs sont répertoriés dans le DSM-IV-TR (295.70) et dans la CIM-10 (F25.x).

1.6.6 Autres formes

4 Selon Kretschmer, toute personnalité possède 2 pôles. Le tempérament schizoïde se meut entre hyperesthésie et anesthésie affective, et le sujet éprouve les 2 effets de manière simultanée. Il est à la fois trop sensible et trop froid. (Minkowski, 1997, p.25.)

a) Schizophrénie pseudo-psychopathique (ou héboïdophrénique)

Kahlbäum, dans une publication de 1889, propose le terme d'héboïdophrénie pour désigner une forme de schizophrénie désormais controversée. Elle indique une affection touchant le sujet jeune qui présente des comportements d'opposition à son entourage, à sa famille et à la société. Il développe progressivement des troubles du cours de la pensée et présente des symptômes délirants souvent masqués par son asocialité, sa marginalité et sa violence. L'évolution de cette forme amène à des troubles du comportement (actes auto et hétéro agressif, consommation excessive d'alcool et de stupéfiants) avec un vécu psychopathique agrémentés d'épisodes dissociatifs. La schizophrénie pseudo-psychopathique n'est pas répertoriée dans le DSM-IV-TR ni dans la CIM-10 qui préfèrent privilégier la comorbidité comme trouble psychotique de la personnalité avec comportement borderline.

b) Schizophrénie pseudo-névrotique

Il s'agit des pseudo-névroses schizophréniques décrites par Hoch et Polatin à partir de 1949 et nommées précédemment schizoses par Claude (1939). Elles désignent la symptomatologie suivante : crises délirantes aiguës, explosives et fugaces avec désorganisation conceptuelle, dépersonnalisation, automatisme mental, (crises désignées de schizomanies par Claude) sur fond de névrose grave marquée par des mécanismes de fabulation, des thèmes érotiques et mystiques. Cette forme de schizophrénie n'est pas reconnue de tous les cliniciens et rappelle certains tableaux de névroses hystériques graves. La schizophrénie pseudo-névrotique n'est actuellement répertoriée ni dans le DSM-IV-TR ni dans la CIM-10.

c) Schizophrénie indifférenciée

Cette forme comprend les tableaux cliniques répondant aux critères A des schizophrénies selon la classification du DSM-IV5. La schizophrénie indifférenciée est répertoriée dans le DSM-IV-TR (295.90) et dans la CIM-10 (F20.3) pour laquelle cette forme correspond aux critères de schizophrénie mais ne pouvant être classée comme aucune autre forme clinique précédemment décrite (Haouzir, Bernoussi, 2005).

d) Schizophrénie résiduelle

5 Cf. 1.2 Signes cliniques, lettre A, p.9.

Cette forme désigne une évolution de négatifs (aboulie, athymhormie, avolition) comportements ou discours désorganisés résiduelle est répertoriée dans le DSM

1.7. Evolution de la maladie

Ainsi qu'énoncé précédemment

l'adolescence. Parfois, une psychose infantile peut évoluer vers une schizophrénie. La maladie progresse sous forme de poussées et de rémissions qui deviennent plus ou moins longues au fil du temps.

schizophrénie demeure la plus persistante et la plus invalidante.

malades connaissent une rémission complète, un autre 25% des patients peuvent vivre avec un minimum de soutien,

leur entourage et de groupe de soutien, et parmi

personnes ne répondent pas au traitement et 10% meurent prématurément (souvent par suicide). ( http://francais.world

Les personnes souffrant de schizophrénie sont particulièrement vulnérables, la maladie survenant à un âge pendant lequel elles doivent apprendre à tisser des liens sociaux, à devenir adulte et, de manière plus philosophique,

en découvrant de quelle manière elles

La qualité de vie et les phases de stabilisation sont nettement pharmacologie, les traitemen

adéquate. Néanmoins, il ne faut pas négliger un contexte social favorable vie adapté, des activités occupationnelles

encadrement de la part de professionnels de la santé

A très long terme, le tableau ci

Entre l'évolution de la maladie

plus grand pourcentage (+1

d'indépendance pour le patient, un

(toujours à 25%) ainsi qu'une baisse de l'amélioration des symptômes et d'un réseau de soutien intensif

Voici quelques-uns des facteurs de bon pronostic

déclenchant, une absence de personnalité antérieure schizoïde, des troubles de l'humeur associés ainsi que la présence d'une rémission complète à un moment de l'évolution de la maladie.

Entre l'évolution de la maladie après dix ans et l'évolution de la maladie après trente ans, on remarque une diminution des cas d'hospitalisations sans amélioration (-5%) au profit d'une augmentation de décès, notamment par suicide (+5%).

On relève les complications majeures suivantes : la dépression, une tentative de suicide, de l'automutilation lors d'épisodes de grands moments d'angoisse, une désinsertion familiale et sociale.

On retrouve également des modèles de vulnérabilité examinant les facteurs de chute, de tendance et de fréquence avec lesquelles un individu tombera dans la schizophrénie et la développera par la suite. Il s'agit, nommés ci-après de manière brève, de facteurs génétiques (mutation du gène disc1), de facteurs neurobiologiques (dopaminergiques), de facteurs éducationnels (nom du Père, entourage), de facteurs situationnels (drames et facteurs déclenchant la maladie), de facteurs de maintien (stupéfiants, addictions), et de facteurs de recompensation (médicaments, sociothérapie, psychothérapie, etc.).

1.8 Médication

Les médicaments prescrits ont une part importante quant à l'amélioration ou non du mal et à la gestion de la maladie par le patient. Il convient de tenir compte du fait que chaque médicament contient des composants qui, s'ils sont susceptibles d'atténuer ou de faire disparaître certains symptômes gênants, possèdent également les propriétés de créer d'autres types de manifestations non désirées. Il semble important de relever cette donnée lorsque l'on prend en charge des personnes souffrant d'une « maladie du cerveau ».

Les tableaux ci-dessous répertorient et listent les principales classes de médicaments, définissent leurs indications, décrivent leurs actions essentielles ainsi que certains de leurs effets indésirables. On relève cinq grandes catégories de médicaments susceptibles de traiter les troubles d'ordre psychique: les neuroleptiques (antipsychotiques), les anxiolytiques (tranquillisants mineurs), les antidépresseurs, les stabilisateurs de l'humeur (thymorégulateurs ou normothymiques) ainsi que les antiparkinsoniens (et antiépileptiques). (Rossi, 2009 et Fauchère, 2010).

Liste des médicaments

Catégories

Actions en psychiatrie

Classes

Effets secondaires

> Neuroleptiques conventionnels

> Neuroleptiques

atypiques


·

·

·


·

·


·

·

·

Diminution de l'angoisse

Diminution de l'excitation

Traitement des troubles d'ordre affectif

Traitement de la dépression

Traitement des troubles obsessionnels compulsifs

Traitement des maladies entraînant des altérations de la capacité de penser, d'éprouver des sensations

et/ou d'agir

Soulagement de l'anxiété causée par des

hallucinations auditives, des idées délirantes, une confusion mentale

Diminution des hallucinations, des activités délirantes, des perturbations de la pensée

Phénodiazines (Nozinan, Moditen)

Butyrophénones (Haldol, Dipiperon)

Thioxanthènes (Clopixol, Fluanxol)

Dibenzodiazepines (Leponex)

Thienobenzodiazépines (Zyprexa)

Dibenzothiazépines (Seroquel)

Benzioxazole (Risperdal)


·

·


·

·


·
·
·
·


·


·

·


·

·

Sécheresse buccale

Troubles de la vision

Constipation

Troubles gastrointestinaux

Nausées

Sédation Somnolence

Hypotension
orthostatique

Effets hormonaux (diminution de la libido ;

aménorrhée ; prise de poids)

Photosensibilité

Dystonie (contractures, spasmes

musculaires)

Akathisie

(incapacité de rester tranquille)

Dyskinésie tardive (mouvements involontaires et répétitifs)

Indications

Traitement des troubles psychotiques aigus ou chroniques en

particulier lorsqu'ils sont accompagnés

d'une activité psychomotrice accrue.


·
·
·
·
·


·


·

·

Diminution de l'anxiété

Diminution de l'agressivité

Diminution de l'irritabilité

Diminution de l'agitation

Traitement de la labilité

émotionnelle

Traitement des troubles du

sommeil

Traitement des épilepsies

Traitement des épisodes

maniaques associés aux troubles bipolaires

Benzodiazépines anxiolytiques

(Xanax, Rivotril, Lexotanil, Tranxilium, Temesta, Valium, etc.)

Benzodiazépines hypno-inductrices (Dalmadorm,

Noctamid, Dormicum)

Anxiolytiques et sédatifs non benzodiazépines (Stilnox, Imovane, Buspar Atarax, Equanil)


·

·

·


·

·

·


·

Somnolence, confusion,

léthargie

Tolérance, dépendance

physique et psychologique

Possibilité d'aggravation des symptômes chez

les personnes déprimées

Troubles auditifs et de la vision

Excitation paradoxale

Assèchement de la bouche ou hypersécrétion salivaire

Nausées voire
vomissements

> Anxiolytiques

~ Demi-vie prolongée (plus de 24 heures)

lors d'anxiété généralisée : prescription en dose unique, préférence pour action régulière et non

ponctuelle

~ Demi-vie moyenne (de 5h à 24h) lors de

paroxysme anxieux, d'insomnies à réveil précoce avec troubles de l'endormissement

~ Demi-vie brève
(moins de 5h)

pour lutter

contre les difficultés d'endormissement

Indications

Traitement des troubles anxieux, des

symptômes de sevrage alcoolique, des troubles convulsifs, de la crise épileptique et de la sédation préopératoire.

> Antidépresseurs


·

·

Traitement des

états de tristesse et de mélancolie

Traitement de la dépression

Tricycliques et autre produits agissant sur les monoamines

(Anafranil, Surmontil, Tofranil, Trittico, Saroten)

Inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO)

(Nardil, Parnate, Marsilid, Humoryl)

Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS)


·

·

Sécheresse

buccale, sédation, nausées

Tricycliques :

vision trouble, constipation, rétention urinaire, hypotension orthostatique, réduction du seuil convulsif, prise de poids, tachycardie/ arythmie,

photosensibilité

Indications

Traitement des troubles dysthymiques, de la dépression grave accompagnée de mélancolie ou de symptômes

psychotiques, de la

dépression associée à des maladies

organiques, de la phase dépressive du trouble bipolaire, de la dépression

accompagnée d'anxiété et de certains troubles anxieux.

 
 

(Seropram, Zoloft, Prozac, Deroxat, Effexor)

Inhibiteurs des récepteurs de la sérotonine et de la noradrénaline

(Remeron)


·

·

IMAO : crise hypertensive

ISRS : insomnie, agitation, maux de tête, perte de poids, dysfonctions sexuelles

 
 
 

Inhibiteur du recaptage de la dopamine

 
 
 
 
 

(Zyban)

 
 

> Stabilisateurs de

l'humeur


·

Traitement d'épisodes maniaques

Les sels de lithium : carbonate, sulfate, glucomate


·

Fatigue,

somnolence, confusion

Indications


·

Prévention des rechutes des troubles bipolaires

(Lithiofor, neurolithium, teralithe)

Les anticonvulsivants


·

Nausées et vomissements

 

Traitement des psychoses schizo- affectives et des schizophrénies résistantes.


·

Abaissement des crises d'épilepsie

(Rivotril, Tégrètol, Dépakine)


·

·

Soif intense, augmentation des urines, oedèmes

Prise de poids

> Anti-

Parkinsoniens

· Traitement des épilepsies généralisées secondaires, partielles et mixtes

· Soulage des convulsions, des

Anticholinergiques (Akineton, Kemadrin, Artane)

Agonistes dopaminergiques (Parlodel)

· Sécheresse

buccale,

constipation, vision double

· Nausées, troubles gastro-intestinaux

Indications

 

tremblements, de l'hyper salivation, de la sécheresse

 

· Sédation, somnolence

 

buccale, des

 

· Exacerbation des

 

crampes musculaires et de

 

psychoses

 

toute autre forme

 

· Hypotension

 
 

de réactions extrapyramidales induites par les

médicaments

 

orthostatique

CHAPITRE 2

LA PSYCHOPATHOLOGIE PHÉNOMÉNOLOGIQUE DE LA
SCHIZOPHRÉNIE

Afin de bien comprendre le malade, il convient d'étudier minutieusement ses mécanismes de fonctionnement : son rapport à lui-même, son rapport au monde et leurs interactions réciproques. Quoi de mieux que la psychopathologie, selon notre choix, à la lueur de la phénoménologie, pour s'y atteler ? En ayant principalement pour soutien les théories de Minkowski, de Tatossian et de Kimura, tentons d'approcher le vécu schizophrénique et sa réalité.

2. 1. Définitions

La phénoménologie, au sein de ses recherches philosophiques, se devait d'approcher la maladie psychique, notamment les psychoses, et d'évoluer vers la phénoménologie psychiatrique. La philosophie ne pouvait faire abstraction de ce qui touche la nature humaine dans ce qu'elle a de plus ontologique, l'étude de l'être en tant qu'être, et oublier ses différentes réalités et connexions au reste du monde.

2.1.1. La phénoménologie philosophique

Kant est le premier philosophe à séparer la chose en soi (noumène) du phénomène, régi par les notions d'espace, de temps et de causalité (Kant, 1781). Schopenhauer, en précurseur de la pensée phénoménologique, recherche l'essence même du phénomène en tant que le monde est ma représentation, concepts de réalité et de représentation, distinguant la volonté (essence véritable) de la représentation (soumise à l'apparence) (Schopenhauer, 1844). En d'autres termes, il différencie le monde tel qu'il est en soi du monde tel que nous le connaissons au moyen de nos sens et de notre intelligence (le monde réel et le monde des apparences) (Gex, 1960). En 1764, la phénoménologie selon Fichte devient la doctrine de l'apparition, soit la connaissance du savoir par le savoir : le savoir absolu qui ne représente pas le savoir de l'objet mais qui fait qu'un savoir est un

savoir. Il faut comprendre que le savoir absolu est l'apparition et l'extériorisation du principe et du fondement du savoir. Pour Hegel, en 1807, il s'agit de l'exploration des phénomènes, c'est-à-dire de ce qui se présente consciemment à nous afin de comprendre l'esprit métaphysique qui se manifeste dans les phénomènes.

« La phénoménologie, appelée aussi science de l'essence ou science eidétique, est destinée à fournir le moyen de découvrir... des termes idéaux [de la nature de l'idée] et fixes, juxtaposés, indépendants du flux de l'expérience, sans se soucier de leur genèse... ; son principe est de prendre simplement les choses qui s'offrent originairement à l'intuition telles qu'elles se donnent : or l'intuition du monde la plus naïve et la plus habituelle nous donne, mélangés ensemble, un flux d'événements, et des termes fixes qui tantôt apparaissent, tantôt disparaissent, mais en restant immuables : le bleu, le rouge, le son, l'acte de juger, etc. ... »

« ... il ne s'agit ici de rien de semblable à ce qu'on appelle des idées générales ou abstraites, formées par combinaison et rapprochement, mais d'essences immuables à la manière des Idées platoniciennes, qui sont connues par une intuition particulière, l'intuition des essences (Wesenschau) ; cette intuition est a priori et indépendante de l'expérience : mais elle ne peut être dégagée que par cette analyse phénoménologique, qui tient à peu près, dans la pensée de Husserl, la place de la dialectique platonicienne. » (Bréhier, 1928, p.1114)

La phénoménologie de Husserl repose sur l'intentionnalité et sur la particularité de la conscience qui est d'avoir toujours conscience de quelque chose. Husserl nous montre comment les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes peuvent être atteintes par la connaissance et comment et en quel sens ces choses sont. Pour ce faire, il décrit trois étapes successives : 1. L'époché qui représente l'acte de retrait et de mise en suspens permettant une observation désintéressée du monde. 2. La réduction phénoménologique qui permet le passage de la simple donnée naturelle à son sens comme phénomène. 3. La constitution qui est la redécouverte du monde comme horizon de sens, comme unité de sens, mais une unité que je constitue moi-même en tant que conscience ouverte sur le monde (article paris-philo, 2010). Actuellement, la phénoménologie husserlienne ainsi que celle de ses héritiers est considérée comme la mère de la phénoménologie contemporaine. « L'être psychique, l'être en tant que phénomène, n'est pas, par principe, une unité expérimentée dans une multiplicité de perceptions distinctes,

quoique appartenant au même sujet. Autrement dit, dans la sphère psychique, il n'y a pas de différence entre apparaître et être, ...» (Levinas, 1989, p.52).

2.1.2. La phénoménologie psychiatrique

La psychiatrie phénoménologique actuelle n'est pas très commune et son influence ne semble pas avoir profondément marqué le développement de la psychiatrie, mise à part, peut-être, celle de Minkowski qui a su forcer le respect de ses pairs. On distingue deux influences : celle en France d'inspiration sartrienne (Merleau-Ponty/Bergson) dont sont issus notamment Minkowski et Tatossian, et celle en Allemagne et en Suisse d'inspiration heideggerienne et husserlienne dont est issu, entre autre, Biswanger. Au Japon, Bin Kimura développe et adapte à son pays et à sa langue la phénoménologie psychiatrique d'influence allemande. La spécificité de la phénoménologie psychiatrique consiste à ne pas se fixer, par avance, à une théorie « psycho-phénoménologique » qui n'existerait pas, par ailleurs. Elle se sert des théories de la philosophie phénoménologique pour décrire et comprendre l'individu psychiquement atteint. Pour exemple, elle utilise la réduction phénoménologique6 qu'elle entend de la manière suivante : « La réduction phénoménologique est le résultat d'une attitude sceptique. C'est la distinction, la scission, dans l'objet même, entre son en soi prétendu, c'est-àdire la prétendue chose en soi, et son apparaître pur » (Fineltain, 2005, p.14). Ainsi, la phénoménologie psychiatrique ne comporte pas de thèse, mais travaille plutôt de manière à ce que le rapport entre la philosophie et la psychopathologie se conçoive dans l'implication et non dans l'application de la théorie. Nous citions auparavant deux types d'influence phénoménologique. Il convient également de relever qu'en sont issus deux types de psychiatres phénoménologues. Le premier type est celui qui fait appel de manière accessoire à la phénoménologie et qui n'insiste pas sur les notions techniques de cette spécificité lors de ses analyses psychiatriques, tels que Minkowski, Straus et von Gebsattel. Le second type est caractérisé par l'interprétation et la juxtaposition de théories et de résultats cliniques, tel Binswanger et sa Daseinanalyse7 dont la référence est Etre et Temps de Heidegger. Aussi, la phénoménologie psychiatrique des années 1920, pure description de l'approche de cliniciens comme Minkowski a évolué au fil du

6 Cf. p.17, 2ème paragraphe.

7 « La Daseinanalyse est purement une entreprise scientifique et non thérapeutique », (Tatossian, 2002, p. 33).

temps vers une phénoménologie génétique, centrée sur la trajectoire de l'individu plutôt que sur ses traits psychopathologiques (Tatossian, 2002).

2.1.3. La psychopathologie phénoménologique

La psychopathologie est un mot dérivé des racines grecques « psukhê » signifiant âme et « pathos » signifiant maladie. Elle étudie les manifestations morbides de la vie mentale (Minkowski, 1966). Le terme psychopathologie désigne l'étude de la psychologie du pathologique (Pedinielli, 1994). Alors que la psychiatrie élabore des tableaux cliniques, nomme, répertorie, décrit et classifie les maladies psychiques, la psychopathologie, en se fondant sur des analyses de situations concrètes avec des patients, permet l'étude et la théorisation psychologique de la souffrance et de son origine (Hahouzir, Bernoussi, 2005). La psychopathologie phénoménologique apporte à l'étude des maladies mentales une meilleure compréhension du sujet, une tentative d'approche de la conscience du corps, d'autrui et de soi, particulièrement importante lors du processus de schizophrénie.

2.2. Trois processus de la schizophrénie sous l'angle de la psychopathologie phénoménologique

Afin d'étudier au plus près les situations cliniques qui seront exposées lors du prochain chapitre, il convient de s'intéresser, de manière méthodologique, à l'expérience schizophrénique :

1. primo au niveau ce qui modifie la perception humaine de sa propre réalité et condition d'être

2. secundo quant à ce qui détermine et crée le délire

3. tertio aux spécificités liées au temps vécu et à l'espace.

2.2.1. L'être-soi, l'être-au-monde et l'être-avec-autrui

En 1950, lors du tout premier congrès international de psychiatrie, Binswanger propose une nouvelle approche de la compréhension et du suivi des personnes souffrant de maladies mentales. Il se fonde sur le passé et le vécu de ses patients pour tenter d'expliquer les troubles de la conscience de leur propre perception d'individualité et d'identité. Il s'agit de l'être-soi, de l'être-au-monde et de l'être-avec-autrui qui déterminent : la qualité et la compréhension de sa propre perception d'Etre, la qualité et la compréhension de sa participation au monde et la qualité et la compréhension de ses relations à autrui. Pour rappel, lors du processus de schizophrénie, la relation à soi et la relation au monde sont altérées. L'ambivalence dont fait preuve la personne schizophrène l'amène à une confusion de l'identité. Ressentir deux émotions contradictoires de manière simultanée, émettre une opinion et son contraire à la fois, sont sources de violentes souffrances psychiques. La personnalité, afin de se protéger, opère alors un repli sur soi (syndrome autistique) pour tenter de maintenir son unité égologique. La coupure avec le monde extérieur amène à se concentrer davantage sur l'expérience intérieure, laquelle prend par la suite toute la place et se confond avec le monde réel. La personne schizophrène, vivant dans l'introspection, s'éloigne de l'extérieur, devenu incompréhensible, et se sépare affectivement de son entourage, lequel se voit contraint de faire face à des changements d'attitude.

Lors de l'expérience schizophrénique, la perception du monde extérieur se modifie et les choses ne revêtent plus la même valeur qu'auparavant. On remarque alors une labilité émotionnelle, une ambivalence affective qui tend à dérouter l'entourage. Une froideur affective rend tout contact encore plus complexe, et une discordance entre les mots et les mimiques, par exemple, impressionne et inquiète les autres (l'annonce du décès d'un proche en affichant un sourire radieux). Ce processus aboutit à des dissociations des sphères émotionnelle, cognitive et comportementale. Ces modifications sont généralement accompagnées d'hallucinations visuelles ou auditives. Les sens sont exacerbés, et l'agitation motrice et cognitive qui peut en résulter est impressionnante. Le désordre est tel que l'on ne peut y retrouver la moindre trace d'une structure.

En art thérapie, on relève que les patients en état de crise exécutent des griffonnages désordonnés et non figuratifs et divers symboles en guise d'écriture ou simplement d'expression (Prinzhorn, 1922).

Il convient aussi de parler des notions de Soi et de subjectivité. Selon Tatossian, la subjectivité est ce qui permet le Sujet. Elle intègre les notions de temps, d'espace, du corps et de l'autre. Elle constitue le temps comme présent vivant, l'espace comme lieu commun, le corps comme chair et l'autre en tant qu'altérité mais la subjectivité n'est jamais donnée par avance et se construit en permanence pour permettre la constitution du Soi et du Sujet. Le Sujet, quant à lui, intègre les domaines du Moi, de la conscience, de l'intériorité psychique dans lesquels la subjectivité s'exprime et s'aliène. Un des paramètres de la condition humaine consiste à être Soi tout en restant une subjectivité. La problématique de la personne schizophrène consiste à être une subjectivité sans Soi car les disproportions anthropologiques de la temporalité, la spatialité, la corporéité de la mondanéité et l'altérité de la subjectivité ne permettent plus la construction du Soi (Pringuey, 2009).

A la base de l'oeuvre de Jaspers, on trouve la dichotomie sujet/objet, Psyché/Soma, Moi/Monde. Il est question d'un homme intérieur placé dans un monde objectif, indépendant de lui et dont il ignore tout. La dichotomie ainsi décrite par Jaspers fait appel à la notion d'un psychisme clos sur lui-même et isolé. Dans cette conception, le Monde se construit en fonction de la propre perception et des représentations que le sujet se fait de l'extérieur.

De manière différente, l'être-au-monde (Dasein) selon Heidegger consiste en la relation que la personne entretient avec le Monde comme notion non pas de Monde réel (Descartes) mais comme rencontre avec l'Etre (Sein) en général, et donc l'être en soimême de l'être-au-monde. Il ne s'agit pas de révéler la concordance ou non avec la réalité extérieure, mais de nommer la manière dont l'homme peut rencontrer ce qu'il rencontre. La vérité et la réalité d'un monde se confondent : c'est l'incorrigibilité délirante (Blankenburg cité par Tatossian, 2002, p.178). Ainsi, le Monde ne se définit pas par le « quoi » mais par le « comment » de la rencontre.

exemple la pudeur, se transforme en honte sous le regard des autres, et Autrui devient alors juge ou persécuteur.

Le sujet, en régression narcissique profonde, va mettre en place des mécanismes de défense. Pour éprouver la non-familiarité du Monde, il convient que la notion du familier soit encore un peu préservée. « Quand l'aliénation augmente, un passage de l'étrangeté à l'hostilité se produit ; à la place de la dépersonnalisation, s'installe le délire » (Minkowski, 1966).

2.2.2. La perte du contact vital avec la réalité ou le délire

Minkowski est le premier à décrire la perte ou plus exactement la rupture du contact vital avec la réalité, position qui prive le sujet d'une dynamique adéquate avec le monde et la réalité et qui le prive du sens du monde.

Tatossian, en reprenant cette approche Minkowskienne, perçoit 2 pôles distincts lors de l'aliénation schizophrénique. En ce qui concerne le premier pôle, il s'agit de la compréhension qui « coupe les ponts » avec le sentiment de la situation et ainsi privée de ce sentiment, qui est son support naturel, elle devient compréhension sans sentiment de la situation, source du rationnalisme morbide. C'est ce qu'il nomme absence de l'évidence naturelle ainsi que du sens commun, et qui aboutit à des actes sans sens, en court circuit, inadaptés à la situation. Quant au second pôle, la compréhension est totalement absorbée dans le sentiment altéré de la situation, qui correspond d'un point de vue clinique à l'indifférence schizophrénique, aliénation non réflexive. Le Soi ne disposerait plus d'un espace de compréhension avec le monde, et ne pourrait y installer ne serait-ce qu'un essai d'ordre. L'harmonie entre le milieu dans lequel il vit (l'ambiance), et dont découlent les événements et le Moi, est rompue, les vibrations entre eux ne sont plus à l'unisson et il s'instaure un décalage entre la marche du monde et sa propre vie. C'est entre ces deux pôles que se placent les formes délirantes de schizophrénie, entre déréliction et projet ou entre sentiment de la situation et compréhension de la situation.

de percevoir ce vécu non-naturel avant même la constatation de symptômes cliniques, et de poser un diagnostic par intuition. (Kimura, 2000).

« Un schizophrène peut m'être sympathique comme personne, mais néanmoins du fond du coeur, je prends mes distances et ressens toujours l'existence d'une barrière empêchant un accord intérieur avec lui » (Binswanger cité par Kimura, 2000, p.139).

Binswanger nomme cette situation de vécu non-naturel dissolution de la cohérence naturelle du vécu, que Blankenburg reconnaît comme perte de l'évidence naturelle.

Lors du processus créatif, il y a transformation du rapport du Soi au Monde, le Soi habituel étant mis hors-jeu par un appel à un autre Soi, à un autre projet, à une autre organisation transcendantale. Or, chez la personne schizophrène, la transformation du Soi est irréversible et totalement passive. « Chez le poète, la transformation n'est pas donnée comme un événement purement subi mais comme une tâche : elle est aufgegeben, donnée à réaliser et non vorgegeben, donnée-par-avance. » (Tatossian, 2000, p.171). Le poète garde les capacités d'élaborer et d'assimiler son vécu et de le restituer, de le communiquer. Cette spontanéité et cette dynamique est présente chez l'homme sain, alors que les liens entre la spontanéité et la réceptivité, l'activité et la passivité sont rompus chez la personne schizophrène. De même si l'on sait prendre la part du possible dans le réel, la personne délirante affranchit cette capacité jusqu'au point où, pour des raisons qui lui sont intrinsèques, elle recrée une réalité de ce qui devient pour elle une nécessaire possibilité.

L'être schizophrène se trouve parasité et paralysé par le délire, aussi bien dans ses choix et orientations que dans son mode et projet de vie. Ainsi, ses rapports à l'espace et au temps en sont abîmés et rendus difficilement accessibles.

2.2.3. Les notions de temps et d'espace modifiés

Janet étudie le temps, non pas celui de la physique, mesurable et quantifiable, mais faisant référence à ce que l'on ressent au plus profond de soi et qui caractérise le sentiment que, du point de vue du langage usuel, « le temps passe vite » ou que « l'ennui s'installe ». Selon Janet, les conduites temporelles sont postérieures aux conduites spatiales, l'être vivant ayant appris tout d'abord à exécuter des mouvements

afin de se mouvoir dans l'espace et en vue d'apprivoiser la distance. Cet acte primitif ne connaissait aucune hiérarchie temporelle, il s'agissait d'un acte purement spatial, sans organisation concevant un commencement, une fin, une durée. Selon Minkowski, (1966), ce type d'organisation interne se retrouve lors de certaines pathologies telles que manifestations épileptiques ou raptus (coups de folie) mélancoliques.

Différents principes sociaux obligent ensuite les êtres vivants à organiser progressivement leurs conduites dans le temps. L'espace étant la forme la plus simple à laquelle nous sommes obligés de nous adapter, par extrapolation, elle se réfère à des notions plus complexes tel le fait de vieillir et de mourir, et qui ne peuvent être modifiées par un simple déplacement. Ces notions exigent des conduites différentes : les conduites temporelles viendront se superposer aux conduites spatiales et serviront de régulateurs d'actions.

Dès lors, les conduites temporelles peuvent être ordonnées de la manière suivante : 1. La durée. 2. La mémoire élémentaire (devenir soi). 3. L'organisation du temps.

La durée naît de la persévération dans le temps d'un acte, par exemple un animal qui fait une découverte. A l'acte explosif et éphémère de la découverte, il ajoute l'effort de continuation et exécute ainsi le pas initial à vaincre les difficultés que le temps véhicule.

L'homme prend conscience de ces conduites temporelles et les intellectualise, laissant apparaître la notion de durée. Avec elle naît la compréhension des notions de changements et de stabilité, introduisant dans l'éternel changement l'idée de stabilité. Cette idée contribue à former les concepts d'objet et de sujet, d'intérieur et d'extérieur, et permet la valorisation de la personne par l'intermédiaire de la reconnaissance d'un caractère qui lui est propre : la permanence d'un caractère qui force à chercher une conduite appropriée à chaque personne particulière. Alors, on peut être amené à comprendre que l'amoindrissement de l'effort produit par une personne puisse être lié à son rapport au temps. Là est peut être l'origine du sentiment de vide dont souffrent les personnes schizophrènes pour lesquelles le temps n'existe plus. Elles n'éprouvent aucune sensation d'ennui, le temps n'existant pas. Il leur devient alors impossible d'harmoniser leur temps interne et externe, et de faire preuve de persévérance dans la vie quotidienne.

L'altération du temps vécu selon Tatossian relève, en ce qui concerne les personnes schizophrènes, non pas du temps éprouvé mais du rythme même du déroulement vital, l'échéance-du-vivre. La stagnation du temps vécu, la sensation de vide et l'inhibition forment le « syndrome du temps figé », qui n'est pas la spécificité de la schizophrénie mais qui peut apparaître au sein de la schizophrénie et que l'on retrouve lors de mélancolie, de délire chronique et de névrose obsessionnelle.

Le Japonais Bin Kimura s'attache également plus au temps vécu noétique qu'à la conscience du temps noématique. Le temps conscient n'est jamais que passé ou futur. Selon Kimura, dès que nous prenons conscience du temps, il apparaît sous forme spatialisée comme linéaire, allant du plus lointain passé au futur le plus éloigné, en passant par le passé et le futur proches. Ce temps spatialisé est un temps noématique, révélant des images intérieures, à l'inverse de l'émergence du temps dans le présent qui est d'ordre noétique. Cette émergence n'est pas nourrie d'images, elle n'est pas vécue en tant que telle, et pourtant on ne peut concevoir une idée du temps sans en tenir compte (Kimura, 2000).

« L'homologie entre le noématique de la musique avec le temps noétique nous permet de comprendre que la musique est un « art du temps » (Kimura, 2000, p.36).

CHAPITRE 3
TROIS SITUATIONS CLINIQUES EN MUSICOTHÉRAPIE

Dans ce chapitre, trois situations en musicothérapie vont être amenées. Elles sont issues d'un travail effectué auprès de personnes schizophrènes vivant dans un centre de réhabilitation psychosocial nommé La Miolaine. Un encadrement infirmier et éducationnel est présent de manière quotidienne, et forme le soutien indispensable à des personnes en perte d'autonomie et de reconnaissance. Au point de vue occupationnel, si certaines d'entre elles bénéficient d'ateliers semi-productifs, chacune est tenue de choisir d'autres activités lui permettant de rythmer ses journées, de développer ses habilités et de maintenir ou de recréer des liens sociaux. Les personnes nommées ciaprès, à la recherche de repères et d'un mieux-être, ont toutes trois choisi de participer à des séances individuelles ou collectives de musicothérapie.

3.1. Monsieur K.

Monsieur K. est né en 1950. Le diagnostic principal posé à son sujet est celui de schizophrénie résiduelle (F20.5) ; autre diagnostic supposé : épilepsie type grand mal. On relève trois symptômes prioritaires et récurrents chez monsieur K. : une baisse de la thymie, des idées suicidaires ainsi que de forts sentiments de persécution. On note également qu'un cadre serré et ritualisé est nécessaire à son bien-être et qu'il se montre dépendant d'un lien très personnalisé avec ses soignants.

Il est normalement décrit comme étant un patient calme, collaborant, capable de tenir une hygiène corporelle correcte et de revêtir une tenue adéquate. Monsieur K. a intégré l'institution en décembre 2006. Le rapport effectué lors de son entrée dans l'institution stipule que monsieur K. est triste mais sans idées noires ni suicidaires et que son discours est pauvre et peu informatif, mais cohérent.

Au fil du temps, il se plaint, de manière épisodique, d'entendre des voix et le personnel de l'institution remarque de grandes difficultés motrices à la marche, des pertes d'équilibre, des pertes des notions spatio-temporelles ainsi qu'une détérioration de ses capacités mnésiques. Afin de pallier à ses difficultés motrices, il dispose d'un

déambulateur dont il ne fait guère usage. Il préfère se déplacer très lentement, et parfois de manière incertaine, dans les couloirs. Il trouve que les journées sont longues, et montre peu d'investissement dans les ateliers thérapeutiques, malgré un intérêt certain pour l'activité bois et la musicothérapie. Il peine à rester concentré au-delà d'un quart d'heure, se montre parasité par des hallucinations auditives et tend à se sentir persécuté lorsque d'autres personnes assistent et participent aux séances d'ateliers. Les horaires sont également difficilement respectés, monsieur K. oubliant le jour ou l'heure de ses activités.

Traitement

Afin de maintenir un état stationnaire, il bénéficie du traitement suivant : 1. Un neuroleptique atypique de type dibenzothiazépine. 2. Deux stabilisateurs de l'humeur de type anticonvulsivant. 3. Un Antiparkinsonien de type anticholinergique. 4. Un neuroleptique conventionnel de type butyrophénone. 5. Un anxiolytique de type benzodiazépine anxiolytique. 6. Un antihypertenseur. 7. Un anti-acidité, inhibiteur de la pompe à protons.

Déroulement des séances

Au mois d'août 2009, Monsieur K. se présente spontanément dans la salle de musicothérapie, un beau matin, intrigué par le bruit qu'il en perçoit. Il s'intéresse immédiatement au matériel de sonorisation que l'institution vient d'acquérir et qui se trouve être momentanément entreposé dans la salle. Il raconte son attrait pour la mécanique et l'électronique, tout en faisant un lien avec le piano et sa manufacture. La musicothérapeute lui propose de prendre rendez-vous afin de pouvoir goûter au plaisir de découvrir les différentes fonctions et les différents sons que l'on trouve sur un clavier électronique. Il accepte volontiers et revient la semaine suivante au jour et à l'heure proposés, encouragé par un éducateur. Monsieur K. pianote sur toutes les touches, appuie sur chaque bouton et s'amuse des différents sons qu'il crée. Il commente les divers types d'instruments que le clavier reproduit et parle de sa vie, notamment du décès de ses parents et de la peine qu'il en ressent encore aujourd'hui. Il dit se sentir triste, fait la moue et rit simultanément. La musicothérapeute lui propose alors d'écouter

un peu de musique, et monsieur K. choisit, sans trop d'hésitation, d'entendre une chanson de Michel Sardou (La maladie d'amour). Il chante d'une jolie voix grave, un peu fluette et tremblante, avec une intonation très exacte. Trente minutes se sont écoulées, patient et musicothérapeute décident conjointement de mettre fin à la séance. Monsieur K. dit être content et vouloir revenir la semaine suivante. Il repart en chantonnant.

Cette première séance donne le ton des séances suivantes, qui se dérouleront de manière assez semblable, ritualisée, posant un cadre rassurant. Au vu du sentiment de persécution dont le résidant peut souffrir, la musicothérapeute décide de maintenir des séances individuelles. Celles-ci seront de type actif en utilisant notamment le clavier, le piano, la voix chantée et de type réceptif en lui permettant de choisir et d'écouter des chansons, de s'exprimer à leur sujet et d'évoquer les images mentales et affectives qu'elles lui inspirent. Des activités musicales différentes se succédant lui permettent de maintenir un intérêt et de l'attention tout au long de la séance ; aussi le temps qui lui est imparti - trente minutes - semble bien indiqué.

Du mois d'août au mois de novembre 2009, un objectif est posé, celui de permettre au patient de découvrir l'atelier de musicothérapie et ses divers modes d'expression. Les moyens mis en place sont les instruments proposés, l'écoute musicale et le chant. Les critères d'évaluation consistent en une fréquentation régulière de l'atelier par monsieur K. La synthèse de cette période révèle que le patient fait preuve de beaucoup d'intérêt ainsi que de certaines capacités d'attention et de concentration. Cependant, une attitude fluctuante, une ambivalence et des idées contradictoires sont parfois déroutantes. Sans accompagnement et attention constante de la part de la musicothérapeute, il explore succinctement le clavier et l'éteint de manière brusque et inattendue. En revanche, il est très respectueux du matériel utilisé, et dit se sentir en sécurité. La musicothérapeute note peu d'expression de sentiment de persécution, hormis lorsque quelqu'un fait irruption dans la salle. Monsieur K. demande alors pourquoi on lui veut du mal, et se rétracte après quelques minutes en s'interrogeant sur sa maladie qui le fait souffrir et lui donne de mauvaises impressions. Dans ces moments d'agitation, il répète souvent qu'il n'est pas homosexuel, et il tente de quitter la séance en cours, en prétextant qu'il doit y aller et en utilisant les mots suivants : « Bon, ben j'y vais, mademoiselle Maude ». Néanmoins, il semble toujours content de venir découvrir ou redécouvrir l'atelier, et passe plusieurs fois par jour pour demander s'il est autorisé à venir jouer cinq minutes

ou à écouter un peu de musique. Lorsque la musicothérapeute ne peut l'accueillir, il repart lentement, à son rythme, sans frustration ni vexation. Si elle le reçoit, il s'assied et chante des airs qu'il apprécie et qu'il connaît relativement bien. Les paroles lui font quelquefois défaut, mais à l'écoute de la musique, lui reviennent souvent. Il semble alors se concentrer sur sa prestation, demande de temps à autre le texte qu'il lit plus ou moins bien, un microphone afin que sa voix porte bien, et oublie le monde environnant. L'instant d'un chant, les voix et les sentiments de persécution s'estompent. Il arrive que monsieur K. verbalise spontanément à la suite d'une chanson, soit en reprenant le thème du chant soit en parlant d'événements ou de sentiments plus intimes. Il survient fréquemment qu'il pleure, et que les extraits musicaux, notamment la musique d'orgue d'église, lui rappellent sa maman auprès de qui il pense ne pas s'être toujours montré très aimable et au sujet de laquelle il exprime un fort sentiment de culpabilité. En conclusion de cette synthèse, la musicothérapeute relève les forces et ressources du résidant, en citant tout d'abord son plaisir à participer, ensuite son intérêt pour la musique et finalement ses capacités à exprimer ses sentiments. Les difficultés remarquées sont un manque de repères spatiaux et temporels, une forte ambivalence et des sentiments de persécution générant beaucoup d'angoisse, avec des thèmes récurrents tels que l'homosexualité ou la perte d'êtres proches.

Du mois de novembre 2009 au mois d'août 2010, plusieurs objectifs sont amenés : il s'agit tout d'abord de tenter d'instaurer certains repères temporels en respectant le jour et l'heure des séances. Il s'agit ensuite de permettre à monsieur K. d'explorer d'autres types d'instruments, par exemple la batterie, l'accordéon ou un xylophone, et de maintenir certaines fonctions cognitives telle la mémoire par l'intermédiaire du chant et de solliciter un peu de vivacité d'esprit lors de la lecture de textes. La synthèse de cette période indique que monsieur K. se rend à l'atelier de manière épisodique, pour des raisons d'oubli, de fortes pertes d'équilibre liées à une grande fatigabilité, de problème mineur de santé ou encore pour des raisons de dissociation type ambitendance (il ouvre la porte pour rentrer, puis referme la porte, renonçant... geste qu'il peut effectuer plusieurs fois en un quart d'heure). Néanmoins, lorsqu'il le peut, il participe de manière active et demande à chanter ou à jouer du clavier, instrument pour lequel il voue une grande passion. Il découvre l'accordéon, inspiré par le son trouvé au clavier électronique, qu'il agite avec force et détermination, engendrant un son de volume sonore très élevé. En général, il tire et pousse une dizaine de fois le soufflet en essayant

de déplacer les doigts de ses deux mains sur les boutons, puis écoute l'accompagnement effectué par la musicothérapeute qui tente de soutenir ses efforts et d'agrémenter son exploration sonore dans le même état d'esprit que lui. Il repose l'instrument au sol et sollicite une autre activité. Il découvre également la batterie, sur laquelle il tape avec beaucoup d'énergie pendant un très court laps de temps. Il joue de la grosse caisse avec son pied et essaye chaque tambour et sa sonorité particulière, sans oublier les cymbales. Il exprime alors son manque d'enthousiasme pour cet instrument qui le fatigue rapidement.

En revanche, son attrait pour le chant va grandissant, et après avoir entendu certains résidants chanter en karaoké, réclame à en faire de même. Il apprécie d'entendre sa voix portée dans les airs par le microphone et son système électronique. Monsieur K. se met alors en scène, laissant apparaître un peu de théâtralisme sur un fond de narcissisme. Selon la chanson dont le texte défile sur l'écran, il lit rapidement et suit relativement aisément la musique diffusée. Aussi se montre-t-il apte à effectuer plusieurs actions cognitives simultanément. Le sourire affiché par la suite témoigne du plaisir éprouvé à être sur le devant de la scène quelques instants. Lorsqu'il parle des sentiments qu'il éprouve en chantant, sa compréhension et son analyse du texte et de son sens sont pertinents. Par exemple, le lien exprimé par le patient entre la chanson Je vous ai bien eu de Michel Sardou et le suicide est assez éloquent. Monsieur K. explique que malgré des tentations passées, « ça n'est pas quelque chose à faire ». Il rit et pleure simultanément, signe d'ambivalence des sentiments. Cependant, il annonce souvent qu'il apprécie ses séances de musique, et la musicothérapeute en déduit qu'elles lui permettent de faire passer le temps un peu plus vite, de se sentir vivre intérieurement, qu'elles l'amènent à éprouver d'autres sentiments que la tristesse et suscitent beaucoup de souvenir, parfois de la culpabilité et de la mélancolie, du plaisir et pas mal d'humour, qu'il peut exprimer de manière non verbale et avec des mots.

Lorsqu'il regagne son unité de vie en chantant, le personnel accompagnant apprécie sa bonne humeur. Si le premier objectif qui consiste à permettre au patient d'obtenir un repère temporel n'est pas atteint (aux vues de ses fréquentes absences), les autres objectifs, à savoir la découverte d'instruments et le maintien de compétences cognitives, sont en bonne voie.

3.2. Monsieur F.

Monsieur F. est né en 1964. Il est l'aîné d'une fratrie de trois enfants tyrannisée par un père alcoolique. A cinq ans, il est vu par un service médical psychiatrique qui note des difficultés scolaires chez un enfant timide et sensible qui a du mal à supporter l'échec. A l'adolescence, il abandonne ses études et le bradypsychisme remarqué à l'époque lui vaut des examens chez un neurologue qui ne relève rien de probant. Il entreprend ensuite un apprentissage d'électricien qui s'avère être un échec et devient aide-maçon durant six mois, avant que le bradypsychisme ne réapparaisse et ne l'oblige à cesser toutes activités. Les échecs à répétition essuyés par monsieur F. font l'objet de la colère de son père, la mère ayant le rôle de tampon.

En 1982, il devient de plus en plus mutique, figé et souffre d'anorexie. Le médecin soupçonne une hébéphrénie et le fait hospitaliser en septembre alors que son état péjore. Il fait une tentative de défenestration, évitée de justesse, et part en centre de jour où il effectue une formation de menuisier.

En 1985, il est à nouveau admis à l'hôpital psychiatrique pour un état dépressif et une décompensation psychotique qui l'obligent à suspendre sa formation pendant trois mois. Il reprend ensuite son apprentissage, présentant néanmoins des troubles du comportement et de la conduite, avec une tendance à se refermer sur lui et à se saboter. Par périodes, il se sent persécuté, dispersé et déprimé. Cependant, il suit de façon correcte ses cours et après un stage pratique pendant lequel on constate un manque d'initiative et d'adaptation ainsi que des blocages, il reçoit son diplôme de menuisier. On lui trouve un poste qu'il doit quitter en raison de ses nombreuses difficultés. Il doit alors réintégrer sa famille, situation qui le déstabilise psychiquement.

En 1987, nouvelle hospitalisation pour décompensation, à la suite de laquelle il est réorienté vers un centre de jour où il suit un programme de réadaptation. Le diagnostic posé à cette période est celui de troubles schizophréniques chroniques de type désorganisé, avec exacerbation aiguë qui deviendra, au fil du temps, une schizophrénie avec séquelles. Actuellement, monsieur F. est en phase résiduelle (F20.5).

Traitement

Son traitement comprend les médicaments suivants : 1. Un neuroleptique atypique de type dibenzodiazépine. 2. Un anxiolytique de type benzodiazépine anxiolytique. 3. Un stabilisateur de l'humeur de type anticonvulsivant. 4. Un anti-acidité, inhibiteur de la pompe à protons. 5. Un traitement anti-cholinergique pour traiter une hyper salivation.

Déroulement des séances

Monsieur F. participe à des séances de musicothérapie de type actif et réceptif depuis 2005. Etant donné sa grande timidité et son manque de sens relationnel, la musicothérapeute le reçoit en individuel durant les six premiers mois de séances. Pendant ce temps, patient et musicothérapeute apprennent à faire connaissance et par l'intermédiaire du piano, ils créent des dialogues musicaux qui deviennent verbaux par la suite. Ainsi cette séance pendant laquelle, à la suite d'une improvisation pianistique, monsieur F. annonce que son grand-père était violoniste, et beaucoup plus gentil que son père qui lui faisait peur. Enfant, il était effrayé à l'idée de ne pas réussir à l'école et de devoir en subir les conséquences dans le cadre familial. Mis en confiance, il se détend, parle de manière très discrète et polie de sa vie, et exprime ses émotions passées et présentes. La musicothérapeute, en accord avec l'éducateur référant, prend alors la décision de lui proposer d'intégrer un groupe de musicothérapie active.

Durant cette période de transition d'environ une année, il poursuit ses séances individuelles et s'initie aux séances collectives d'improvisation. Le rapport de confiance qui s'était établi entre monsieur F. et la musicothérapeute s'étiole de manière momentanée, et le patient tend à se replier sur lui, perdant ses repères. En séance collective, il s'isole en jouant une mélodie au clavier et ne tient pas compte des temps d'arrêt musicaux des autres participants. De la même manière, il ne prend pas part aux discussions suscitées par les interactions au sein du groupe. Cependant, la musicothérapeute note que son excellent sens de la musique et son oreille particulièrement développée lui permettent de créer un lien avec la production sonore groupale en reproduisant une phrase mélodique entendue. Ainsi, il communique parfois et dialogue de manière non verbale avec les autres participants. Les séances individuelles d'improvisation au piano permettent à monsieur F. d'acquérir davantage

de confiance en soi en imitant et en développant une technique personnelle d'approche du clavier. Monsieur F. s'étant coupé une partie de la première phalange du majeur de la main droite, il affine sa dextérité en cherchant des mélodies ou des intervalles à deux sons, utilisant tous les doigts de ses deux mains de manière simultanée ou dissociée. Associant technique et assurance, et avec beaucoup d'encouragement, il peut faire preuve d'une grande créativité. Il s'initie également au xylophone sur lequel il cherche, avec une mailloche, à reproduire des mélodies entendues. A l'aide de deux baguettes, il survient qu'il crée également sa propre ligne mélodique. Les sons semblent alors peu organisés, les mailloches « volant » sur les lames du xylophone.

En 2007, de nombreux changements ponctuent la vie « musicale » et « sociale » de monsieur F. dans le cadre de l'atelier. Les séances individuelles sont supprimées au bénéfice du groupe. L'objectif consiste à lui permettre de prendre davantage d'assurance et d'accepter de devenir pour quelques instants le chef d'orchestre de l'ensemble. On relève de cette période musicothérapeutique qu'il privilégie toujours le clavier et que grâce à ses capacités d'écoute et de mémorisation, il rejoint musicalement le groupe, bien que ses difficultés de motricité fine l'empêchent parfois d'atteindre le tempo musical de l'ensemble instrumental. Il ne s'impose pas encore aux autres, et se montre discret derrière son clavier qui le protège de tout contact. Néanmoins, il participe activement au groupe en se fondant dans la production sonore de l'ensemble. Le patient ne recherche plus de petites mélodies connues, mais s'adapte à ses pairs et tient compte des autres. Il reste dans la « réalité musicale » éphémère du groupe. Par contre, il interprète parfois les intentions des personnes qui l'entourent et s'impose des limites en fonction de ce qu'il croit avoir compris, perçu ou entendu de l'autre. Cependant, cet état de fait se produit rarement, et monsieur F. sait expliquer ce qu'il a ressenti lors de l'événement, par exemple s'il a éprouvé de la colère ou de la peine. Concernant l'animation du groupe, monsieur F. accepte de diriger le groupe. Il ne se montre pas trop directif, et permet à chacun de s'exprimer librement. En pointant du doigt une personne, il l'invite à se produire musicalement, incitant parfois plusieurs personnes à jouer ensemble, tel un chef d'orchestre dont la partition naît de manière naturelle au bout de ses doigts. Il anime, donne vie à chacun, avec un réel plaisir et davantage de facilité que l'on ne peut s'y attendre. Les participants, outre les improvisations libres et les divers jeux musicaux proposés, choisissent d'apprendre à jouer des standards de la musique rock, tels que smoke on the water du groupe Deep

Purple ou Highway to Hell du groupe AC/DC. Après beaucoup de travail et de répétitions, la mélodie principale devient reconnaissable et il s'agit ensuite pour l'ensemble de se produire lors de certains événements importants ponctuant la vie de l'institution, par exemple la kermesse ou le noël des résidants. Les proches viennent partager un peu de bon temps avec les patients et assister à leur production musicale. L'ensemble est composé de résidants s'essayant à la batterie, à la guitare, aux percussions et de monsieur F. au clavier. Lors des premières représentations, inquiet du regard que les autres peuvent porter sur lui, et conscient de la qualité sonore de l'ensemble, monsieur F. prend un anxiolytique supplémentaire, confronté à un facteur stressant qu'il ne peut gérer. Inquiète, la musicothérapeute lui rappelle qu'il n'est pas obligé de participer, mais monsieur F. y tient et l'ensemble présente publiquement sa musique. Il dit en fin de journée être heureux que sa famille ait pu reconnaître ses qualités de musicien et se sentir soulagé et content d'avoir eu le cran de jouer devant eux. La musicothérapeute remarque alors une amélioration quant à ses capacités d'ouverture à l'autre.

De 2008 à 2009, elle relève que monsieur F., mis en confiance par le clavier qu'il apprécie et qu'il connaît bien désormais, laisse libre cours à son imagination et à ses capacités d'écoute et se montre plus apte à suivre rythmiquement la pulsation musicale de l'ensemble. Il continue de progresser quant à l'expression de soi et à la gestion de ses émotions, il sait prendre la parole au sein du groupe et détailler son ressenti à la suite d'improvisation musicale collective. De même, il peut prendre spontanément la parole et se laisser aller à plaisanter amicalement avec ses pairs.

En milieu d'année 2009, monsieur F. subit deux crises d'épilepsie suivies d'une embolie cérébrale. Malgré des résultats neurologiques neutres, il s'avère que le patient est davantage sensible aux remarques qui lui sont faites et interprète de manière négative les actes et les pensées des autres. Par mesure préventive et souhaitant se défendre, il se met en colère et devient verbalement très agressif. Au sein du groupe, un repli sur soi est déploré. Le stress, normalement sain, qui le gagne lors de prestations publiques survient à nouveau de manière négative. Il devient impatient et belliqueux, rebelle et impoli. A la suite de ce type d'événement, il aime à exprimer ses difficultés, ses craintes et angoisses qui le maintiennent dans un état de mal-être général. Affronter les autres et leur regard intrusif devient une épreuve ardue à surmonter, et il éprouve le sentiment légitime de devoir se battre pour survivre. Son comportement se modifie, il

redevient centré sur lui, s'isole, est interprétatif et souffre de sentiments de persécution. D'un point de vue instrumental, il s'énerve musicalement, tente de jouer plus fort que les autres, arguant ne plus s'entendre. Il est fort probable que sa propre production sonore soit partiellement masquée par des voix et qu'en augmentant le volume sonore du clavier électronique, il tente de les couvrir. Néanmoins, dans le cadre de la chorale fraîchement créée par l'atelier de musicothérapie, il souhaite participer à des animations musicales au sein de foyers pour personnes âgées. De tendance solitaire et plutôt replié sur soi, mais de contact agréable, faisant preuve d'un comportement adéquat, il apparaît presque à son aise et son taux d'anxiété ne nécessite par de prise supplémentaire d'anxiolytique avant, pendant ou après l'activité susmentionnée. L'attitude de monsieur F. s'améliore au fil des séances et six à huit mois après son accident neurologique et jusqu'à ce jour, il s'exprime à nouveau, prend part à diverses conversations, parle de ce qu'il ressent et éprouve. Sur le plan cognitif, il paraît intellectuellement plus curieux, explore et s'approprie de nouveaux instruments, de type percussif tels la batterie et le djembé, et de type mélodique tel le violon, symbole de son enfance. Autre fait novateur, il affirme ses choix ainsi que ses goûts musicaux et instrumentaux. Parfois, il tend encore à penser qu'il joue mal, qu'il se trompe et que l'ensemble ne souhaite plus sa présence. Néanmoins, monsieur F. est bien accueilli au sein du groupe et trouve sa place de façon moins discrète, s'affirme dans les règles de la bienséance, sans agressivité. Au sein de la chorale, il chante très discrètement, le nez dans le texte. Semblant joyeux, il participe à sa manière à rendre l'ambiance générale plutôt sympathique, bienveillante, conviviale et décontractée. Cependant, il survient que monsieur F. se plaigne que la voix de la musicothérapeute se fasse plus sévère, que ses yeux deviennent schizophrènes, et que son visage se transforme de manière effrayante. Parfois conscient qu'elle ne lui veut pas de mal, il tente de distinguer la réalité de ses propres perceptions et manifestations. En vue d'apaiser sa souffrance, monsieur F. applique une des deux stratégies suivantes: soit il tente de se défendre et devient menaçant et verbalement agressif, soit il reste très calme, presque mutique et foudroie du regard celle qui s'avère être la source de sa souffrance. La musicothérapeute lui rappelle qu'elle ne veut pas lui faire de mal, et le patient peut alors exprimer son mal-être et raconter ses hallucinations visuelles qui engendrent de fausses interprétations. Apaisé, il poursuit les séances sans heurts.

3.3. Monsieur N.

Monsieur N. est né en 1976. Son père est peintre indépendant et il est l'aîné d'une fratrie de deux enfants. Il suit une scolarité obligatoire normale à la suite de laquelle il entreprend un apprentissage dans une imprimerie. Entre 18 et 19 ans, il fume du cannabis avec des amis pendant les week-ends. A 20 ans, il se referme de plus en plus sur lui-même et ne peut terminer son apprentissage.

En 2002, ses parents, inquiétés par son comportement étrange le font hospitaliser de force. A la suite d'un premier séjour en hôpital psychiatrique d'une durée de trois mois, il retourne vivre auprès de sa famille.

En mai 2005 sa maman décède de métastases généralisées d'un cancer du sein. En décembre de la même année, monsieur N., dont l'aspect général inquiète les proches, est à nouveau hospitalisé et séjourne pendant six mois dans un service de psychiatrie adulte. On pose alors un diagnostic de schizophrénie paranoïde continue (F.20.0), selon trois modes : des hallucinations auditives angoissantes et des symptômes négatifs avec une tristesse importante accompagnée d'idées noires. A sa sortie de l'hôpital, il part vivre chez son père avec lequel il quitte la maison familiale pour un appartement situé dans le même village et travaille momentanément dans une ferme à rénover. Suite à un arrêt de sa médication, subissant une recrudescence des hallucinations auditives, il est amené à séjourner une troisième fois dans le même service.

Lors de ses diverses hospitalisations, on relève que le patient est conscient et collaborant, qu'il fait son âge bien que sa maigreur et sa pâleur soient frappantes. On note une tenue vestimentaire et une hygiène corporelle correctes, un visage hypomimique, une expression verbale sur un ton monocorde ainsi qu'un discours flou. On remarque des barrages et des attitudes d'écoute. Le patient allègue donc des hallucinations auditives, mais présente une grande difficulté à verbaliser son vécu. Il relate cependant des idées suicidaires et se plaint de souffrir d'angoisse sans objet. La pensée est ralentie et on relève une très importante perplexité. Il est triste et nie toute consommation d'alcool, de nicotine ou de cannabis. Contrairement aux deux précédents séjours, il fait preuve lors de la troisième hospitalisation de conscience quant à sa maladie (conscience morbide) et, au vu de sa souffrance, décide de suivre et de respecter son traitement.

Il intègre l'institution La Miolaine en décembre 2006.

En 2009, alors qu'il commence à reconnaître ses difficultés, à accepter son traitement et à se sentir un peu mieux, son père décède.

Depuis 2010, monsieur N. travaille trois demi-journées par semaine dans une imprimerie, retournant à ses premières amours.

Traitement

Afin de maintenir une stabilité psychique satisfaisante, le traitement de monsieur N. est composé des médicaments suivants: 1. Un neuroleptique atypique de type thienobenzodiazépine. 2. Un antidépresseur de type inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine. 3. Un anxiolytique de type benzodiazépine anxiolytique.

Il prépare avec une infirmière un semainier en début de semaine et gère de manière autonome ses prises quotidiennes de médicaments.

Déroulement des séances

Monsieur N. se présente à l'atelier de musicothérapie à la fin du mois de janvier 2007. Après un premier entretien, il s'avère que sa personnalité timide et ses difficultés relationnelles imposent à la musicothérapeute une prise en charge en individuel. Il suit les séances de manière régulière et spontanée, fait immédiatement preuve d'intérêt et de bonnes capacités d'apprentissage. Il s'initie au ukulélé, petite guitare hawaïenne à quatre cordes, dont il retient trois accords fondamentaux qu'il est apte à reproduire d'une semaine à l'autre. La musicothérapeute remarque des compétences certaines d'imitation, d'assimilation et de restitution. Souhaitant poursuivre son initiation au ukulélé en développant une technicité instrumentale, et dans l'espoir de pouvoir accompagner des chansons, il fait l'acquisition d'une petite guitare hawaïenne. On relève alors dans le cadre de l'activité musicothérapeutique des possibilités de persévérance et une amélioration de l'estime de soi. Par l'utilisation de son propre instrument de musique en dehors des temps de séance, la musicothérapeute note une progression harmonieuse et homogène.

A la suite de quelques mois de séances, en ayant pour objectif de gagner davantage d'assurance en soi et de contenance face aux autres, monsieur N. accepte de participer également à des séances collectives. Il apprend à partager un moment d'improvisation musicale ou de jeux musicaux avec ses pairs sans que quiconque n'émette de jugement de valeur. Mis en confiance, il extériorise ses sentiments et exprime ses émotions, dans un premier temps de manière non-verbale. Des jeux d'expression de sentiments tels que le bonheur, la tristesse ou la colère par l'intermédiaire d'un carillon, d'une petite harpe celtique ou d'une timbale l'aident aussi à émerger de son repli sur soi. Dans un second temps, l'émulation du groupe contribue également à soutenir monsieur N. dans ses efforts de communication et de transmission orale. Il émet ses propres opinions et prend position lors de choix de musiques, s'intéresse à toutes sortes de percussions ethniques: conga, bongo, surdo ou djembé. Durant cette année 2007, et ce de manière globale, sa sensibilité musicale, ses facilités d'apprentissage, et son excellent sens du rythme lui permettent d'obtenir rapidement des résultats valorisants.

L'année suivante, monsieur N. se résout à montrer publiquement ses capacités musicales en se produisant en duo (ukulélé-voix ou ukulélé-guitare) lors de diverses animations intra muros tels que le noël des résidants ou la kermesse annuelle et extra muros telle une représentation dans un foyer pour personnes âgées. Ses débuts sont fébriles, ses jambes et ses mains tremblent, mais l'accueil d'un public chaleureux tend à le rassurer quelque peu. Ses « performances musicales » sont plus qu'honorables, et le bénéfice qu'il semble en retirer sur le moment s'avère très encourageant. Cependant, avec le recul, il se plaint de ne pas s'habituer à ce stress, dit se sentir mal à l'aise dans un corps étriqué et craint constamment de ne pas être à la hauteur. Il se montre par ailleurs fort critique envers lui-même, voire très sévère, et se rabaisse. Néanmoins, il propose spontanément de créer des duos ou des ensembles avec d'autres personnes en vue de préparer une pièce musicale. D'abord d'aspect improvisé, elle prend ensuite une forme plus cadrée, est travaillée et répétée inlassablement jusqu'à ce qu'elle prenne un sens esthétique commun à tous. Alors la musicothérapeute trouve une opportunité à ce que l'oeuvre naisse publiquement. La synthèse de cette période met en avant le courage et la persévérance dont fait preuve monsieur N., malgré quelques périodes d'abattement, des signes de fatigue corporelle et psychique.

Durant l'année 2009, monsieur N. poursuit des séances de groupe. La musicothérapeute relève une meilleure analyse des sensations éprouvées ainsi qu'une meilleure expression des sentiments. Monsieur N. explique aisément les sensations ressenties lors de la représentation publique : sur le mode physique par des tremblements, d'un point de vue psychologique par le sentiment d'appréhension éprouvé avant la représentation, le soulagement perçu après celle-ci, ainsi que le stress ressenti lors de la représentation elle-même. Il admet que ces phénomènes le renvoient à l'estime qu'il a de lui ainsi qu'à la crainte du jugement de l'autre. Le stress qui le gagne encore incite la musicothérapeute à remettre en question l'intérêt et l'impact de ce type d'exercice pour monsieur N., lequel, malgré de nombreux encouragements, ne peut améliorer l'image qu'il a de lui-même. Lorsqu'il joue en public, elle remarque sa position prostrée et souffre avec lui de son mal-être. Aussi décide-t-elle de mettre entre parenthèses cette activité. C'est sans compter sur la volonté du résidant qui réclame à faire partie du spectacle. Par conséquent, ce processus créatif destiné à émerger au reste du monde est maintenu, et monsieur N. poursuit les séances collectives dans ce contexte marqué également par la mort de son père. En séance individuelle, une transition instrumentale s'opère. Découragé par une forte sensation de stagnation et un sentiment d'avoir atteint ses limites quant à l'apprentissage du ukulélé, il délaisse cet instrument au profit du djembé. La musicothérapeute décide de lui donner l'opportunité de revenir à la source : au rythme, à la pulsation de vie et de lui offrir la possibilité de se réinventer musicalement, de se re-créer.

Ils abandonnent ensemble une période plus mélodique, davantage harmonique et monsieur N. s'initie au djembé. De par son tempérament, l'approche se fait douce et les sons feutrés. L'instrument est plus imposant, et nécessite, pour se faire entendre, de plus d'affirmation de soi que le petit ukulélé, discret et peu sonore. Paradoxalement, le djembé protège davantage celui qui en joue que le ukulélé qui couvre à peine la largeur d'un bras. Peut-être mis à nouveau en confiance, caché derrière le djembé, monsieur N. « se lâche plus facilement », selon ses mots. Néanmoins, l'apprivoisement est intellectuel, et il tient à comprendre et à apprendre des rythmes à partir desquels, avec le temps, de petites improvisations apparaissent. Cette période marque un renouveau qui ne tarde pas à laisser la place à de nouvelles expériences musicales. D'autres projets de vie pointent le bout de leur nez, et la préparation d'un départ possible de l'institution

remet en question le temps imparti à la musicothérapie au profit d'un travail en imprimerie.

Depuis 2010, monsieur N. ne participe plus qu'à une séance collective de musicothérapie pendant laquelle il met à profit l'apprentissage effectué du ukulélé et du djembé. Avec sa petite guitare, il est apte à accompagner certaines chansons françaises passant sur les ondes des radios (Toi plus Moi, de Grégoire) et aime à accompagner la chorale au djembé. Comme il s'intéresse également au piano et au xylophone, la musicothérapeute lui propose d'improviser sur des standards jazz (My baby just cares of me de Nina Simone). Le violoncelle ne le laisse pas non plus indifférent, et les basses résonnent sous ses doigts telle celles d'une contrebasse.

En synthèse des séances de monsieur N., la musicothérapeute tient à relever qu'elle voit poindre le processus suivant : par l'apprentissage advient une petite maîtrise de la technique instrumentale, avec elle apparaît un peu plus d'assurance, avec l'assurance et l'estime de soi se dessine le lâcher prise, avec le lâcher prise surgit l'improvisation, et de l'improvisation naît la créativité musicale.

CHAPITRE 4

CRÉATIVITÉ EN MUSICOTHÉRAPIE ET RE-CRÉATION DE SOI
PHÉNOMÉNOLOGIQUE

Cette partie est dédiée au développement et à la méthodologie de la créativité en musicothérapie, au lien que l'on peut faire entre elle et la re-création de soi au regard des trois situations cliniques précédemment exposées et des trois processus psychopathologiques développés lors du précédent chapitre. Fort du concept de l'Entre de Kimura, il s'agira ensuite de tenter de répondre à l'hypothèse introductive : y a-t-il possibilité d'un espace de re-création de soi pour les personnes schizophrènes dans l'approche musicothérapeutique ?

4.1.Créativité

Aujourd'hui, le terme de créativité s'entend de plusieurs manières en fonction du domaine auquel on le rattache. Dans le monde du travail, il s'agit de faire preuve de dynamisme, d'initiative et de rendement, de respecter la hiérarchie de l'entreprise en veillant à demander l'aval de son responsable lors de la validation d'un projet et d'être productif. Dans le milieu des arts, il convient souvent de faire preuve d'inspiration et d'originalité, de perturber la conscience sociale, d'apporter un élément novateur même s'il faut souffrir de l'incompréhension d'un public que l'on pense peu averti. Or la créativité est avant tout un état, une métamorphose de soi amenant à l'ouverture vers l'autre. Elle est quotidienne et se retrouve dans nos capacités à trouver des solutions originales pour pallier aux difficultés de la vie de tous les jours (Cottraux, 2010).

4.1.1. Définition

En français, le mot créativité vient du latin « creo » qui signifie faire pousser, produire, faire naître. Dans la langue ecclésiastique, il s'agit davantage de faire naître du néant, de la création du monde. « Creo » dérive lui-même de « cresco », qui désigne le fait de pousser, de croître, d'arriver à l'existence, de naître. Actuellement, la définition la plus

recensée dans les dictionnaires est la suivante : capacité d'imagination, d'invention, de création.

4.1.2. Créativité musicale

La musique est un art qui demande de nombreuses aptitudes cognitives, motrices et sensorielles et sollicite le fonctionnement de plusieurs zones cérébrales. Certaines capacités sont nécessaires pour transférer l'information d'un hémisphère du cerveau à l'autre. Néanmoins, cela ne nécessite pas de don particulier et, en principe, tout un chacun s'avère capable de chanter dans sa salle de bain, de siffler, de fredonner un air connu ou inventé. Chantez Frère Jacques avec différentes intonations ou dans diverses tonalités et vous sentirez se profiler une forme de créativité, sans acquis particulier. Cependant, quelques-uns d'entre nous, forts d'un savoir musical, possèdent une créativité extraordinaire.

Un très bel et facile exemple de créativité musicale hors norme concerne Wolfgang Amadeus Mozart. Dès l'âge de trois ans, il est initié par un père fort pédagogue et patient qui met ses talents au profit de son fils. Contrairement à ce que l'on peut croire, Mozart n'eût pas été capable d'écrire des partitions sans un travail assidu, certes facilité par un don évident pour la musique, mais insuffisant à transcrire une écriture musicale. Il s'agit de sons qu'il convient d'organiser dans l'espace selon certaines règles harmoniques, notions plutôt abstraites et ardues. A cet effet, on retrouve des manuscrits du maître sur lesquels on aperçoit des ratures et des ratures, et on en déduit que l'écriture musicale et ses règles d'harmonie ne furent pas innées, chez Mozart, mais bel et bien acquises.

Lorsque l'on pense créativité musicale, on subodore qu'il s'agit, ainsi que le prouve l'exemple ci-dessus, du processus qui amène à l'écriture musicale et à la composition musicale. Malheureusement, on oublie que l'interprète contribue aussi à créer l'oeuvre qu'il partage avec l'auditeur. De même, il la recrée lorsqu'il se l'approprie et lorsqu'il la transmet à un public.

Ainsi, l'apprentissage et la persévérance sont les maîtres mots de la créativité. Sans eux, sans technique, l'expression ne peut être. Et si l'expression est défaillante, la créativité existe-t-elle ?

4.1.3. Créativité et folie

On pense souvent au mythe du savant fou, à la corrélation entre intelligence surdimensionnée et folie. Si le paragraphe précédent souligne effectivement le lien entre l'activité intellectuelle et l'activité musicale, les données de la clinique, de l'épidémiologie et des neurosciences montrent que la créativité est, elle, en relation avec les troubles affectifs. Il semblerait que l'hyperactivation du cerveau soit une cause possible de la créativité chez les personnes psychiquement atteintes. Cette prérogative, qui compense la maladie, pourrait tenir à leur capacité à donner une valeur émotionnelle aux idées, à une forme d'hyperactivité et à une accélération de la sphère idéative, ou encore à leur faible besoin de sommeil. C'est lors d'aspect maniaque sous la forme mineure dite hypomaniaque que l'on remarque des capacités créatrices, l'accès maniaque nécessitant des stabilisateurs de l'humeur qui rompent le lien entre exaltation, joie extrême et créativité.

Jean Cottraux, psychiatre français, relate dans son ouvrage portant sur la créativité de chacun, qu'une étude rétrospective portant sur 291 personnalités célèbres dans les domaines des arts, des sciences et de la politique (Post, 1994) a retrouvé des traits et des troubles de la personnalité en plus grande fréquence que dans la population générale dont la prévalence est de 13%. On observe que 25% d'entre eux souffraient d'un trouble de la personnalité. Parmi les poètes, 90% d'entre eux présentaient des traits pathologiques dont 20% d'un trouble caractérisé. On recensait 7% des personnes comme appartenant au groupe des troubles de la personnalité (paranoïa et schizoïdie), 22% d'entre elles comme personnalité narcissique, antisociale ou borderline et 39% de personnes souffrant de dépendance ou d'obsession compulsive (Cottraux, 2010, p.114).

On retient de cette étude qu'un certain degré de non-conformisme et d'impulsivité est utile et bienvenu à la créativité. Une absence d'inhibition telle que celle retrouvée dans des troubles de la personnalité peut être source de créativité, engendrée par l'hyperactivité de l'amygdale qui appartient au cerveau émotionnel. Ainsi le lien entre création et émotion se ressert, qu'il naisse de manière saine ou pathologique.

4.1.4. Créativité en musicothérapie

En ce qui concerne l'utilisation thérapeutique de la créativité, la primeur revient à Max Simon qui initie, au XIXème siècle, un intérêt grandissant pour « l'art des aliénés ». On parle alors d'Art Brut et la clinique ne manque pas de souligner quelques vertus thérapeutiques.

Pour certains musicothérapeutes, l'activité musicale serait en elle-même thérapeutique alors que pour d'autres, c'est la pratique créative qui posséderait des propriétés thérapeutiques.

Aussi, le sujet de la créativité en musicothérapie est traité par quelques auteurs qui la conçoivent sous forme d'expression de soi ou d'identité culturelle.

Edith Lecourt mentionne que d'après ses propres observations cliniques « la musicothérapie facilite le processus créatif conduisant à l'accomplissement de soi, en développant la capacité et la volonté d'utiliser le potentiel individuel vers un mieuxêtre, dans des domaines tels que l'indépendance, la liberté de changement, l'adaptabilité, l'équilibre et l'intégration (Lecourt, 1988, p.8) ».

Selon Ling (1974), la créativité musicale serait un moyen d'exprimer des émotions et de communiquer des sentiments qui ne peuvent émerger autrement. Quant à Prevel (1979), ce serait avant tout l'instrument de musique qui agirait comme « un véhicule de l'expression de soi » plutôt que comme un objet de développement de compétences. Dobbins en 1980 avance que la véritable expression de soi peut accéder à sa clarté par l'improvisation spontanée. Pour Davis (1963), la composition musicale, comme la peinture et la littérature, est un moyen naturel d'expression qui pourrait jouer un rôle salutaire dans la vie des humains. Et Van Ernst (1995) souligne que les processus compositionnels s'apparentent à une expression de soi. En 1985, Fowler pointe que l'expression musicale personnelle permet au patient de relier sa musique à sa propre vie et autorise les autres à entendre un aspect intérieur précieux de son être. (Barbot, revue de musicothérapie, 2005, p.27-31).

Rolando Benenzon quant à lui spécifie que la créativité en musicothérapie est importante, car elle permet l'émergence du concept de l'Identité Sonore propre à chaque individu et que l'on nomme l'ISO (Benenzon, 1992). Cet ISO induit un attachement à une identité culturelle, sociale et personnelle.

Jean-Marie Guiraud-Caladou dans son ouvrage un chant d'action développe une méthode musicothérapeutique visant le développement de la créativité par l'interaction du langage, du corps, de la musique et du graphisme.

4.1.5. Méthodologie de la créativité en musicothérapie

Au regard de la partie clinique, et afin de susciter la créativité, il se dégage la méthodologie suivante :

1. Premier entretien et première séance de musicothérapie mêlant un pôle actif par l'intermédiaire de la découverte d'instruments à un pôle réceptif par l'écoute musicale.

2. Orientation de la personne vers une musicothérapie de type individuel ou collectif.

3. Instauration d'un climat de confiance favorable à l'épanouissement.

4. Découverte d'instruments de musique

5. Choix d'un instrument ou de plusieurs instruments de musique favorisant une expression non verbale et verbale

6. Etablissement d'un lien entre l'instrument choisi et le parcours de vie de monsieur F. expression des sentiments primaires : colère, peur, tristesse, joie, surprise, dégoût pour monsieur K. et monsieur N.

7. Pose d'objectifs concrètement atteignables.

8. Apprentissage de(s) (l') instrument(s) choisi(s) lorsque cela est souhaité et possible, notamment pour monsieur F. et monsieur N.

9. Développement de la créativité par une maîtrise instrumentale et le passage à l'improvisation pour monsieur N.

10. Intégration au sein de groupes pour monsieur F. et monsieur N.

11. Productions publiques pour monsieur F. et monsieur N.

12. Renouvellement de soi par la découverte de nouveaux instruments.

Comme moyen de transmission et comme support thérapeutique, un document institutionnel est à compléter et à remettre de manière annuelle, en vue de colloques pluridisciplinaires. Le document contient les items suivants : la période de suivi du patient, les objectifs posés, les moyens mis à disposition, les critères de réussite, un

compte-rendu des séances, une évaluation de la réussite des objectifs (atteintpartiellement atteint-non atteint), les forces et ressources de la personne ainsi que les difficultés observées, l'évolution future (annexe1).

4.2. Analyse des trois situations cliniques au regard des trois processus phénoménologique de la schizophrénie

Il convient maintenant de tenter d'analyser « l'être-soi, l'être-au-monde et l'être-avecautrui » d'un point de vue musicothérapeutique. Cette perception de soi-même, de se projeter dans le monde et d'en être influencé est musicalement travaillée au travers de la perception sonore que l'on peut avoir de soi et de l'autre. Concernant « la perte du contact vital avec la réalité », ou ce que l'on nomme plus communément le délire, il pourrait correspondre à l'improvisation musicale brute, désinhibée, exaltée en musicothérapie. Quant aux notions de « temps et d'espace modifiés », la musique y pourvoit étant intrinsèquement une organisation de sons projetés dans l'espace et structurés dans le temps.

4.2.1. Perception sonore de soi et perception sonore de l'autre

De même que la perception du monde se modifie au travers de l'expérience schizophrénique, la perception sonore de soi est bouleversée par l'expérience ellemême, par les effets secondaires de la médication, parfois par des troubles hallucinatoires de type auditif. Qu'en est-il pour monsieur K., monsieur F. et monsieur N. lors des séances de musicothérapie ?

a) Monsieur K.

Pour rappel, il souffre d'une schizophrénie résiduelle, forme qui désigne une évolution de la maladie avec persistance des symptômes négatifs (aboulie, athymhormie, avolition) et absence des symptômes positifs (délires, hallucinations, discours désorganisé, etc.). Aux vues du nombre de médicaments administrés quotidiennement (entre autre deux types différents de neuroleptiques et deux types de régulateurs de

l'humeur, ceci signifiant un traitement lourd), de leurs effets secondaires respectifs touchant aux fonctions musculaire et digestive, amenant fatigue et confusion, tout en tenant compte de son âge, monsieur K. est fortement encouragé par le personnel de l'institution à participer à diverses activités sans y être contraint. Il vit ainsi à son propre rythme, luttant contre une ambivalence dominante et des difficultés motrices à la marche.

Au regard du déroulement des séances, on remarque que la curiosité qui l'amène à appuyer sur tous les boutons du clavier lui permet de découvrir de nombreux sons qui le rattachent essentiellement à des événements du passé, que ce soit un instrument de musique qui lui rappelle son goût pour la mécanique ou la musique d'orgue qui le lie au souvenir de sa maman. Etant en phase résiduelle de sa maladie, monsieur K. n'a que peu d'altération de sa perception sonore. En général, il conçoit et entend ce qu'il produit, bien qu'il dise être parfois parasité par des voix qui le persécutent. Il se montre apte à entendre musicalement l'autre et semble apprécier d'écouter la production sonore d'autrui, surtout lorsque celle-ci le soutient dans son phrasé musical. Par ailleurs, il a découvert le son de sa voix amplifié. Celle-ci semble le charmer, et il paraît très heureux que les autres puissent également la percevoir. En ayant l'occasion de choisir la chanson, en sous-entendant un texte et sa signification, il transmet à l'autre une partie de soi et de son histoire. Il devient un Soi (sujet) tout en restant une subjectivité, la subjectivité comprenant le temps vivant musical, l'espace sonore et le corps par l'intermédiaire de la voix ; le Soi musical apparaît par la création de sons et son amplification qui parvient à autrui.

b) Monsieur F.

Pour rappel, il souffre d'une schizophrénie chronique de type désorganisé - syndrome autistique prédominant - en phase résiduelle. Il bénéficie d'un traitement assez conséquent, alliant un neuroleptique, un anxiolytique et un stabilisateur de l'humeur. La médication soutient monsieur F. dans ses efforts pour maintenir un contact avec la réalité. Sujet à des hallucinations visuelles et auditives, ses perceptions sonores en sont fortement modifiées.

Au regard du déroulement des séances, on relève que son excellent sens de la musique et que son oreille musicale l'aident à s'affirmer et à s'ouvrir aux autres en intégrant un ensemble instrumental. Suite à une embolie cérébrale, il souffre d'une recrudescence d'hallucinations auditives et visuelles qui perturbent ses sens. Percevant des visages qui se déforment et entendant des voix malveillantes, monsieur F. se referme sur lui et devient verbalement agressif. La perception sonore de la production d'autrui est modifiée, et l'être-soi musical se construisant en fonction des représentations négatives qu'il se fait de l'extérieur, il monte le volume sonore de son clavier et dit ne plus s'entendre en groupe. Par compensation, il maintient des productions publiques, tout en restant replié sur lui par rapport aux autres membres de la chorale. Ce qu'il vit lors cette expérience schizophrénique n'est que peu témoigné musicalement sinon par une absence de recherche de sons personnels et d'imitation de sons d'autrui. Monsieur F. respecte l'ensemble, chante de manière discrète au sein de la chorale mais « suit le mouvement » musical. Il est cependant confirmé que la perception sonore de soi, marquée par l'absence de recherche de sons personnels, ainsi que la perception sonore des autres, à en juger par la propre discrétion sonore du patient, se sont momentanément modifiées à la suite de l'atteinte neurologique.

c) Monsieur N.

Pour rappel, il souffre d'une schizophrénie paranoïde continue. Actuellement, sa situation s'est stabilisée, et il travaille dans une imprimerie trois demi-journées par semaine. Son traitement est composé d'un neuroleptique et d'un antidépresseur qu'il prend une fois par jour ainsi que d'un anxiolytique à doser quotidiennement en fonction des besoins. La médication est prise de manière autonome et il est au bénéficie d'un traitement relativement léger.

Au regard du déroulement des séances, on observe, malgré une personnalité plutôt introvertie, une belle expression sonore de soi. Etant donné une certaine stabilité psychique permettant de développer ses capacités d'apprentissage, grâce à un intérêt certain pour la musique et les arts (l'écriture), la progression sonore effectuée est harmonieuse. Le son amené comme expression de sentiment est envisagé et l'aide à s'ouvrir aux autres, à ressentir et à exprimer des émotions. D'abord discret et doux, mélodique et harmonique, le son devient percussif et rythmique, plus fort et plus

marqué. La perception sonore de l'autre s'avère souvent plus clémente que de raison, à l'inverse de la perception de soi qu'il juge sévèrement.

4.2.2. Délire et improvisation

Dans sa structure particulière de dissociation et de perte de repères, d'exploration de sensations et de phénomènes singuliers, l'analogie que l'on peut établir entre délire et improvisation est aisée. L'improvisation consiste en une expression de soi, sans structure temporelle ou spatiale préétablie, donnant libre cours à l'émergence de sentiments, à l'imagination, à la créativité par l'intermédiaire d'explorations sonores. La perte du contact vital avec la réalité dans la création d'une autre réalité peut correspondre à l'improvisation en musicothérapie, même si, à la différence de la perte de contact, l'improvisation n'est pas subie mais « donnée à réaliser ». L'improvisation requiert de la créativité, et la créativité, comme précédemment explicité, nécessite un certain lâcher-prise, une forme de désinhibition pour pouvoir s'exprimer.

a) Monsieur K.

En ce qui concerne la musicothérapie active, l'utilisation du clavier et du piano qu'il affectionne particulièrement, il se situe toujours dans le ton de l'improvisation libre. Il ne semble pas se soucier de l'aspect esthétique de sa production, étant suffisamment décomplexé pour tapoter sur le clavier du piano ou de l'accordéon sans chercher à reproduire un air connu. Il chante d'une voix grave et tremblante, mais dont l'intonation est exacte, ce qui laisse à penser qu'il possède une bonne oreille musicale. Par conséquent, ce n'est pas par manque de connaissance dans le domaine de la musique ou pour une absence de sens musical que monsieur K. improvise avec facilité, mais bel et bien grâce à un lâcher-prise et à une certaine décontraction vis-à-vis d'un type bien défini d'instrument, en l'occurrence les claviers. En ce qui concerne la voix chantée, il entonne des airs connus et dit ne pas pouvoir improviser, d'une part conscient qu'une certaine technicité puisse lui faire défaut et d'autre part se situant davantage dans une recherche de plaisir à partager avec d'éventuels auditeurs.

Monsieur F.

Au regard de la partie clinique, il s'avère qu'il cherche souvent à jouer des airs communs à tous tel Au clair de la lune, mais qu'il est cependant apte à improviser de manière spontanée et esthétique des airs qui lui sont propres. Le développement du sens de l'écoute et du sens de l'autre, notamment amenés lors du passage des séances individuelles aux séances collectives, l'ont guidé à pouvoir reconnaître et à pouvoir appuyer sur les bonnes touches afin de jouer « sa propre musique » tout en accompagnant et tout en respectant les autres. On note que par l'intermédiaire de jeux musicaux tel que celui du « chef d'orchestre », monsieur F. permet à chacun de s'exprimer librement tout en organisant les sons divers et variés, originaux et spontanés qui naissent d'un ensemble créatif, appliquant ainsi sa propre méthode d'approche du clavier, tantôt par des airs connus, tantôt par des airs improvisés. On relève également le fait que pendant la période qui suit son accident cérébral, il tient à chanter dans la chorale au sein de laquelle il se sent en sécurité et utile aux autres (prestation dans une maison pour personnes âgées). Par contre, dans le cadre des séances d'improvisation collective, il souffre d'hallucinations auditives qu'il tente de faire taire.

Monsieur N.

Le cheminement qui amène monsieur N. à l'improvisation et à la créativité a déjà été mentionné lors de la description du déroulement des séances de musicothérapie. Il s'avère que les items des points ci-dessous apparaissent, d'un point de vue clinique, dans l'ordre suivant : 1. Apprentissage d'une technique instrumentale. 2. Meilleure assurance et estime de soi. 3. Lâcher prise. 4. Improvisation. 5. Créativité. L'improvisation a nécessité un apprentissage pour développer une technique menant à un lâcher prise. On observe que la musicothérapeute a initié un travail pédago-musicothérapeutique valorisant afin de permettre l'émergence du Soi, en vue de poursuivre les séances par un travail collectif utilisant l'improvisation comme mode d'expression des sentiments.

4.2.3. Espace musical et temps musical

La musique consiste en une organisation de sons dans le temps. Elle est intemporelle, dit-on communément, mais intrinsèquement organisée et rythmée. Un air plaisant (une organisation savante de sons) verra le temps filer sans jamais ternir et nombre de compositeurs vivent encore par l'intermédiaire de leur musique, inlassablement interprétée, écoutée, recréée. En musicothérapie, une production sonore, une improvisation demeure éphémère. Bien qu'elle puisse être enregistrée, « l'action musicale » passe et on ne la revit jamais deux fois ; tout au plus, peut-elle être « subie » si on la réécoute. A l'espace modifié correspond l'espace sonore, qui peut s'organiser de deux manières : soit à la verticale, et il s'agit de la mélodie, soit à l'horizontale, et c'est ce que l'on nomme l'harmonie. La mélodie se résume à plusieurs sons posés à la suite les uns des autres, par exemple Au clair de la lune joué à la flûte. L'harmonie consiste en une superposition de sons joués simultanément, tel que l'accompagnement au piano de Au clair de la lune. Evidemment que l'une n'empêche pas l'autre, et qu'inversement elles se complètent : Au clair de la lune joué à la flûte avec un accompagnement au piano. Quant à lui, le son est composé de plusieurs paramètres, les quatre principaux étant : la hauteur, le timbre, l'intensité et la durée. Cette dernière correspond à la structuration du son dans le temps, elle appartient par conséquent au temps musical, la durée d'un son étant elle-même composée de structures rythmiques (division du temps). En général, on distingue également une vitesse d'exécution d'une structure rythmique propre à chaque individu, ressenti d'une vitesse que l'on désigne par pulsation interne, d'une pulsation induite par l'extérieur, le tempo, proposé en musique par un compositeur, et imposé par une dynamique de groupe en musicothérapie.

a) Monsieur K.

L'espace : ainsi que signifié à maintes reprises, monsieur K. choisit le clavier et le piano pour s'exprimer musicalement. Il est sensible au son, et apprécie notamment celui de l'orgue pour l'aspect grandiose de sa spatialisation. De même, sa voix chantée lui convient lorsqu'elle est encore davantage spatialisée par un microphone. Il apprécie également que l'on puisse entendre sa prestation de loin et en augmente encore le volume sonore. Sa voix parlée est chevrotante, douce et basse, mais lorsqu'il joue du

piano, il se cantonne aux sons aigus et lorsqu'il chante, il porte sa voix encore plus haut et plus loin dans les airs, créant un autre son, comme pour compenser une fragilité naturelle. On relève également que le volume sonore engendré par l'accordéon est élevé lorsque monsieur K. en fait usage.

Le temps : décrit comme étant un patient calme, on relève que dans le cadre musicothérapeutique, monsieur K. explore brièvement le piano sur lequel il tapote et joue de l'accordéon en ouvrant et en fermant le soufflet avec force et vélocité. Il se peut que cette pulsation interne soit le reflet d'une anxiété et d'un stress ressentis. On remarque qu'un son produit lors d'improvisation ne dure jamais très longtemps, et qu'il s'avère sans structure rythmique et d'une pulsation interne rapide. L'improvisation ellemême est si succincte que seul un chaos rythmique semble régner. Ce processus fait appel à sa créativité, à son Soi musical qui s'avère confus dans l'espace et dans le temps. En revanche, lorsque monsieur K. chante, il respecte le tempo donné par la musique et se trouve être en rythme. Tout paraît alors à sa place, la mémoire du texte, la voix présentant une bonne intonation, le tempo respecté. Alors qu'en improvisation, on ne relève aucune structure faisant appel à un sens commun, (l'auditoire est perdu et ne comprend rien à l'expression de l'être musical de monsieur K.), on note qu'en chant, il n'y a que structure et ordre. Dans la première situation, c'est la musique qui est ellemême thérapeutique en temps qu'expression de soi sans contrainte extérieure, alors que dans la seconde situation, c'est le cadre normatif et structurant qui devient thérapeutique en permettant une expression musicale de soi organisée et cohérente pour tous.

b) Monsieur F.

L'espace : le son du piano semble le toucher particulièrement. Il en joue de manière mélodique, en déplaçant son doigt d'une touche à l'autre, et de manière harmonique, en recherchant à produire deux sons simultanés. Son excellente capacité d'écoute et de reconnaissance des sons lui permet d'améliorer ses relations aux autres en dialoguant avec eux. Il ne paraît pas être en recherche particulière de sons graves ou aigus mais semble viser à donner un sens musical à une suite de notes jouées. Il joue du piano au milieu du clavier et s'exprime dans des nuances feutrées. Sa voix chantée possède une

assez grande tessiture lui permettant d'entonner des chansons destinées aussi bien à des voix de ténors qu'à des voix de baryton. Naturellement, monsieur F. parle et chante doucement, de la même manière qu'il s'initie au piano. Il découvre le violon, dont les sons aigus lui permettent de se remémorer son grand-père. Le son fait ici office de mémoire, de moyen d'entrer en relation avec l'autre et de procédé pour donner un sens à des notes en créant une ligne mélodique.

Le temps : il semblerait que monsieur F. dialogue avec la musicothérapeute lors des premières séances. Un dialogue musical ne nécessite pas une perception commune d'une pulsation interne ou d'un tempo, inversement, il favorise l'émergence et l'expression d'un discours personnel en lien avec celui d'autrui. En effet, une phrase musicale (son et rythme) naît et le créateur attend une réponse, un écho à son discours. La pulsation interne, le tempo, la structure rythmique qui se présentent peuvent-être repris ou non par l'autre, selon ce qu'il est : conciliant ou rebelle, imitatif ou créatif, introverti ou extraverti, etc. Par contre, au sein d'une collectivité, la contrainte d'une pulsation rythmique commune existe, c'est le tempo, ainsi que déjà explicité auparavant. On note que lorsque monsieur F. intègre un groupe, il présente des difficultés à rejoindre le tempo et ne tient pas compte des silences et des temps d'arrêt. Il s'isole et ne perçoit que sa propre ligne rythmique. Au fil du temps, il semble acquérir cette notion du temps commune au groupe, et s'en sert pour entrer en contact avec les autres participants. Il s'avère alors capable de reproduire des structures rythmiques assez élaborées, à condition de les avoir entendues au préalable plusieurs fois et de s'être exercé par imitation.

c) Monsieur N.

L'espace : il choisit une petite guitare, avec peu de résonnance, pour initier ses séances aux sons doux et exotiques du ukulélé. Il en joue immédiatement de manière harmonique et développe par la suite l'aspect mélodique et sonore ainsi que rythmique de son jeu musical. On remarque que lorsqu'il ressent atteindre ses limites, lors d'une période difficile, il décide de changer d'instrument, et que mis à part cet événement, on

ne relève rien quant à une perception de l'espace qui serait altérée par des périodes d'hallucinations auditives.

Le temps : on remarque qu'une pulsation interne rapide marque une certaine nervosité. Ses mains et ses jambes tremblent, il est replié sur lui et souffre de l'image qu'il pense donner de lui-même lors de représentations publiques. Son initiation au rythme musical se fait par l'intermédiaire du djembé avec lequel il développe des structures rythmiques lui permettant d'accompagner la chorale. Il insuffle un tempo à l'ensemble vocal, lequel s'anime au son du djembé. Au fur et à mesure d'essai et d'accompagnement rythmique, monsieur M. progresse et prend confiance en lui.

4.2.4. Tableau récapitulatif

Il semble intéressant de collecter globalement et de manière différente les informations révélées précédemment. Le tableau ci-dessous reflète les principaux éléments mentionnés. Il s'agit de l'âge du patient, important quant à ses possibilités de progression, du type de schizophrénie afin de s'en remémorer les principaux syndromes, de la médication plus ou moins lourde, engendrant en sus des symptômes de la maladie des effets secondaires, du type d'hallucinations touchant les sens, ainsi que des éléments musicaux relevés lors des paragraphes ci-dessus : perception sonore de soi et d'autrui, improvisation, avec un lien entre le créativité et l'émergence de l'improvisation, l'espace musical et le temps musical en musicothérapie.

Tableau récapitulatif des séances de musicothérapie

 

Monsieur K.

Monsieur F.

Année de naissance

1950

1964

Type de schizophrénie

Résiduelle

Hébéphrénique ou désorganisée

Médication

conséquente

conséquente

Type d'hallucinations

Auditives non avérées mais mentionnées par le patient Observées en séance

Auditives et visuelles avérées et mentionnées par le patient Observées en séance

Perception sonore de soi

oui

oui

Perception sonore d'autrui

Pas immédiatement

Par alternance

Improvisation et émergence de la créativité

Formes

Spontanée et de forme chaotique

Spontanée sous forme de

dialogue

Type de séance

En individuel

En individuel et en groupe

Evolution

Aucune

En cours

Cela

révèle

un (e) :

Expression de

soiExpression de ses sentiments

Moyen d'entrer en relation Ouverture à l'autre

Espace musical

Instruments principaux

Claviers et voix

Piano et voix

Spatialisation

oui

oui

Hauteur

Sons aigüs

Sons médiums

Intensité

Forte < Fortissimo

Mezzo Forte < Forte

Forte > Piano

Mélodie

Voix : ouiInstruments : non

Voix : ouiInstruments : oui

Harmonie

non

oui

Temps musical

Pulsation interne

Excessivement rapide

Normale

Tempo

Non

Oui, après un travail

Structures rythmiques

Simple

Elaborées à la suite d'exercices et par imitation

66

Monsieur N.

1976

Paranoïde

relativement légère

Auditives avérées mais non mentionnées par le patient Observées en séance

oui

oui

À la suite d'un apprentissage

En groupe

En cours

Affirmation de

soiDéveloppement de la créativité

Ukulélé et djembé

oui

Toute la palette

Pianissimo < Forte

oui, en second

oui, en premier

Rapide

Oui, de manière innée

Elaborées de manière relativement naturelle

4.3. L'Entre comme espace de re-création de soi en musicothérapie

Un dernier point doit encore être examiné avant de tenter de répondre à l'hypothèse introductive. Bin Kimura dans sa théorie de l'Entre ou Aïda (2000) fait une approche phénoménologie de la schizophrénie, entre autre à partir d'un exemple concernant la musique, et dans lequel il image sa conception d'un lieu où la « création erronée » du Soi de la personne schizophrène s'effectuerait. Ce lieu se situerait « Entre » le Soi et le Sujet (subjectivité) et serait pathologique chez la personne schizophrène. Bin Kimura prend comme principe l'acte musical en vue de dévoiler le lien entre le sujet en tant que rapport au fond de la vie et le sujet comme principe de rencontre avec le monde. Chez la personne schizophrène, le lien est rompu, l'autre étant soi et soi étant l'autre. Aussi, tentons d'utiliser le concept de noématique et de noétique de la musique pour comprendre si la création musicale en musicothérapie peut approcher cet « aïda » pathologique pour permettre une re-création de soi ?

4.3.1. Noétique et Noématique de la musique

De manière résumée, les points suivants sont intéressants quant au lien que l'on peut y faire avec la créativité musicale en musicothérapie. Selon Kimura, l'acte musical consiste en au moins trois moments :

1. L'acte de créer dans le présent : qui comprend le son et la structure rythmique dans l'ici et maintenant et qui veut que lorsque l'on arrête de jouer ou de chanter, tout s'interrompt.

2. L'écoute active : qui veut garder à l'esprit le dernier son joué, et les précédents afin de créer une unité entre eux et un lien avec les futurs sons naissants.

3. L'attitude mentale d'anticipation : qui permet d'imaginer et de créer les sons futurs et de relier l'ensemble à lui-même.

Ces trois moments sont intrinsèquement liés et ne peuvent être séparés les uns des
autres lors de l'exécution musicale. Ensemble, ils sont garants d'une cohésion. L'écoute
et l'attitude mentale d'anticipation appartiennent tous deux au présent et au futur, alors

que l'acte de créer dans le présent s'avère très différent des deux autres moments. Il est aussi vital que de manger, se reproduire ou dormir, et se relie au fond de la vie. « On peut reconnaître dans le chant ou la danse un jaillissement de la vie sous sa forme primitive et originelle » (Kimura, 2000, p.34). En principe, les deux autres moments soutiennent le premier, mais il peut arriver qu'il soit le seul perçu et que l'harmonie générale du jeu en soit abimée.

Le premier moment est d'ordre noétique, il s'agit d'une activité vitale et immédiate dont l'acte est rendu conscient dans le présent. Le deuxième et le troisième moment, de part leur impact sur la mémoire comme musique déjà jouée ainsi que sur l'imagination comme musique anticipée sont d'ordre noématique, rapport entre le passé et le futur. Il faut savoir que le temps conscient n'est jamais que passé ou futur, il ne peut pas être conscient comme tel. Ainsi l'activité noétique (passée ou future) n'est consciente que projetée dans le noématique, c'est à dire dans le temps présent.

Le musicien lorsqu'il joue, ne produit pas un simple assemblage de sons physiques, l'activité musicale sous-tend une activité vitale noétique et le jeu se rapporte au fond de la vie, sans quoi les sons et les silences d'ordre noématique ne seraient que stimulation auditive dans leur forme globale (Gestalt). Dans son jeu, le musicien découvre une réalité extérieure à lui-même mais aussi au fond vital de son activité musicale qui est intérieure.

4.4. Réflexion

Le facteur esthétique décrit par Kimura est ici volontairement abandonné, dans le sens où, en musicothérapie, on constate le même processus sans que la recherche d'une beauté sonore soit au premier plan. Par ailleurs, il pense à des personnes instruites dans le domaine de la musique, par exemple des musiciens sachant lire des notes de musique, lorsqu'il prend pour objet d'étude la musique et l'acte créateur. Or, au regard de la partie clinique, l'on constate que des néophytes utilisent le même processus de création dans le présent, d'écoute active et d'attitude mentale d'anticipation pour improviser en musicothérapie. Aussi comprend-on maintenant que, de même que la créativité s'exerce, l'acte musical en lui-même se doit d'être répété et travaillé pour évoluer. On ne naît pas créatif, on le devient.

Néanmoins, il convient de retenir que l'impulsivité et le non-conformisme favorisent également la créativité. Elle devient alors spontanée et intrinsèque à l'Homme, faisant émerger au Monde la forme en lui. Les personnes présentant certains types d'handicaps psychiques pourraient en bénéficier de manière non contrôlée. Monsieur K. dont le jeu musical est désinhibé, fait preuve de créativité musicale spontanée, alors que monsieur N., davantage structuré psychiquement éprouve une sensation de vide et d'incompréhension face à un instrument de musique dont il ne connaît pas l'emploi, aussi doit-il en passer par un apprentissage. Monsieur F. se situe entre les deux messieurs précédemment nommés, le syndrome autistique prédominant de sa forme de schizophrénie empêchant toute spontanéité dans son rapport à l'autre.

Il ne convient donc pas de faire de généralités quant au développement de la créativité en musicothérapie, cependant on peut observer que chacun d'entre eux est musicalement actif et que la créativité apparaît sous différentes formes : spontanée ou amenée.

Alors que l'acte de créer dans le présent nécessite des capacités cognitives de mémorisation et d'anticipation, il peut aussi survenir une création sonore émanant du fond de la vie, du Soi. De même, il se peut que l'acte créateur ne puisse naître au monde de manière spontanée, mais qu'il faille travailler un lâcher prise pour qu'il émerge.

Revenons à nos trois messieurs pour tenter de comprendre où se situent la créativité et la re-création de soi dans leur cas particulier.

En ce qui concerne monsieur K., la créativité en musicothérapie se présente sous forme d'improvisation spontanée, comme activité vitale noétique, chaotique et sans structure rythmique. C'est le son et le discours verbal qui s'ensuit qui l'amènent à une activité sonore noématique. La création de sons permet alors un « jaillissement » de soi et d'une forme en soi. L'activité musicale noétique peut être travaillée et encore retravaillée, elle ne sonnera jamais de la même manière et sera pourtant intrinsèquement identique, sans modification quant à sa non-structure interne. La créativité sonore est ici chaotique et sans sens pour l'auditeur. Le patient quant à lui se situe dans une projection gestaltique de lui-même, dans une re-création fulgurante et immédiate du Soi.

La créativité de Monsieur F. se place également dans une forme d'improvisation spontanée, dans un temps noétique qui devient, au niveau d'un discours sonore, très rapidement noématique dans l'interaction recherchée avec l'autre. Le lien entre la phrase musicale précédente, la réponse de l'autre et la future phrase musicale projettent monsieur F. dans un temps noématique. La créativité sonore se fait alors discours cohérent et dialoguant, composé de structures rythmiques et mélodiques. Le Soi devient Sujet.

Monsieur N. ne peut devenir créatif que suite à un processus d'apprentissage déjà mentionné lors des précédents chapitres. L'imbrication entre le Soi et le Sujet est ici plus complexe, monsieur N. subissant des hallucinations auditives, d'autres perceptions sonores viennent entraver son cheminement musical. Néanmoins, sa créativité l'amène à un développement de soi que l'on peut entendre comme re-création de soi dans le sens d'une meilleure compréhension, d'une certaine acceptation et peut-être d'une modification de soi sur le long terme.

Mais revenons à l'exemple du musicien, lequel découvre une réalité intérieure et extérieure à lui. Le patient, par l'intermédiaire du son explore aussi la compréhension de soi et l'ouverture aux autres qui permettent une re-création de soi.

Dans la répétition, le son se modifie et se renouvelle, créant une métamorphose de soi. Il s'agit d'un son créé de manière interne (du fond de la vie) qui en se spatialisant, se recrée en s'ouvrant au monde (principe de rencontre avec le monde). Il s'agit d'une créativité dans la spontanéité, d'une gestalt, d'une manière de faire advenir les formes que l'on porte en nous.

La créativité sonore spontanée de même que la créativité sonore amenée sont l'une comme l'autre source de métamorphose, source de re-création de soi.

La personne schizophrène souffre, quant à elle, de ne pouvoir être un Soi dans une subjectivité. Kimura aborde l'Entre comme lieu se situant entre le Soi et le Sujet, lieu dans lequel le Soi erroné de la personne se serait créé. L'espace musicothérapeutique peut-il rejoindre le Soi dans cet Entre ?

Si l'on observe attentivement le tableau récapitulatif de l'aspec

conçu dans ce chapitre, on relève les items suivants

l'autre, l'émergence de la créativité, l'espace musical et le temps musical. On comprend qu'il existe un aspect linéaire e

perception sonore de soi sont premiers, sans eux, il n'existe pas de conscience l'autre, qui vient en troisième et qui musicalement appartient à l'espace et au temps musical. Entre eux se faufile ensuite l'émergence de la créativité. En suivant cette ligne de pensée, il s'ensuit que la perception sonore de Soi serait la conscience

conscience musicale correspondrait le Sujet et l'Entre pourrait

lieu à partir duquel la créativité sonore se métamorphose en créativité musicale en s'ouvrant au monde.

De cette réflexion, il en résulte les tableaux suivants

Processus musicothérapeutique

Processus phénoménologique

Conscience auditive :

~ la perception sonore de soi

Soi : intègre les domaines

· du Moi

· de la conscience

· de l'intériorité
psychique

Aïda musical :

~ la créativité sonore (instantanée)

~ la créativité musicale (amenée)

~ l'improvisation

Aïda ou l'Entre

· le rapport au fond de la vie

· le rapport au monde

Conscience musicale :

~ la perception sonore des autres

~ l'espace musical et ses éléments

~ le temps musical et ses éléments

Sujet

· le temps comme temps présent

· le corps comme chair

· l'espace comme lieu

· l'autre comme altérité

 

CONCLUSION

Il convient à présent de répondre à l'hypothèse suivante : la créativité en musicothérapie auprès de personnes schizophrènes permet-elle une re-création de soi ?

Au regard des différents éléments théoriques et cliniques amenés, on tend à penser qu'effectivement, en musicothérapie, les différentes formes de créativités (instantanée/sonore et amenée/musicale) permettent une re-création de soi.

Pour les personnes schizophrènes, l'aïda musical entre ces deux formes de créativités permet le lien entre l'une et l'autre. Certaines personnes évolueront en traversant cet aïda musical, ils passeront de la créativité sonore intérieure vers l'ouverture musicale à l'autre, se transformant. D'autres personnes se baladeront périodiquement dans cet aïda, dans une confusion entre soi et l'autre. Et certains se maintiendront dans une conscience auditive de soi, sans recherche de l'autre. Néanmoins, toutes, par la fulgurance d'un son, auront connu la re-création de soi, la projection sonore de soi, une vibration interne jetée dans le monde par l'intermédiaire de la musicothérapie.

On aurait pu imaginer ce travail différemment, peut-être moins philosophique et davantage scientifique. Il aurait été intéressant de compléter le processus créatif qui amène l'homme à la création, en ayant pour support les neurosciences.

L'aspect musicothérapeutique et les différentes techniques amenant à être créatif pourraient, eux aussi, être davantage développés. L'improvisation et quelques jeux nommés ici en font partie, mais il en existe d'autres et de nombreux qui mériteraient d'être cités et exploités.

La complexité du son, de l'acte musical, de l'acte de créer, du concept de la schizophrénie et de l'apport de la phénoménologie ne rendent pas ce sujet aisé, et l'auteur, maniant avec peu de recul des concepts métaphysiques, s'en excuse. Néanmoins, la théorie amenant à une réflexion personnelle est un atout quant à une recréation de soi dans sa pratique quotidienne, et l'auteur en est conscient. Aussi, au sortir de cette écriture, se sent-elle prête à être créative et à poursuivre, peut-être différemment, peut-être exactement à l'identique, son travail en musicothérapie.

EPILOGUE
Sans a priori ni jugement

Un homme tomba dans un trou et se fit mal.

Un cartésien se pencha et lui dit : « Vous n'êtes pas rationnel, vous auriez dû voir ce trou ».

Un spiritualiste le vit et dit : « Vous avez dû commettre quelque péché ».

Un scientifique calcula la profondeur du trou.

Un journaliste l'interviewa sur ses douleurs.

Un yogi lui dit : « Ce trou est seulement dans ta tête, comme ta douleur ». Un médecin lui lança deux comprimés d'aspirine.

Une infirmière s'assit sur le bord et pleura avec lui.

Un thérapeute l'incita à trouver les raisons pour lesquelles ses parents le préparèrent à tomber dans ce trou.

Une pratiquante de la pensée positive l'exhorta : « Quand on veut, on peut ! » Un optimiste lui dit : « Vous auriez pu vous casser une jambe ».

Un pessimiste ajouta : « Et ça risque d'empirer ! »

Puis un enfant passa et lui tendit la main pour l'aider à sortir...

BIBLIOGRAPHIE

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Acquis Partiellement acquis Non acquis

PROJET D'ACTIVITE

Nom : Prenom :

Activite : musicotheraDie

Periode concern& : du au

Objectifs

Obiectif oDerationnel n°1 (résultat mesurable) :

A -- Moyens mis en place :

B -- Criteres de réussite :

C - Synthese de la période (date de la synthese) :

Obiectif opérationnel n°2 (resultat mesurable) :

A -- Moyens mis en place :

B -- Criteres de reussite :

C - Synthese de la p~riode (date de la synthese) :

Acquis Partiellement acquis Non acquis

Remarques générales

Forces et ressources :

1)

2)

3)

Difficultés

1)

2)

3)

Perspectives

La Miolaine, le

Responsable de centre Musicothérapeute

DECLARATION DE PATERNITE

Je soussignée, Aude Cassina, certifie avoir rédigé ce travail de mémoire sous ma propre responsabilité, de manière indépendante et sans aide extérieure.

Vétroz, le 6 novembre 2010 Aude Cassina






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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams