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Peut-on respecter l'identité communautaire de tous les résidents d'EHPAD (Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes ) sans verser dans le communautarisme?

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par Thierry Lacombe
Université Pierre et Marie Curie - Diplôme universitaire de gérontologie 2011
  

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Situation clinique

« Tout groupe humain prend sa richesse dans la communication, l'entraide et la solidarité visant à un but commun : l'épanouissement de chacun dans le respect des différences. »

Françoise Dolto

Les établissements recevant des personnes handicapées vieillissantes, sont les seules structures financées par des fonds publics pour une population âgée dépendante spécifique, si l'on exclue les services dédiés à la prise en charge d'une pathologie spécifique (exemple : maladie d'Alzheimer). Pourrait-il s'agir d'un paradigme qui permettrait une déclinaison d'établissements dédiés à des communautés ou peut-on en déduire des règles de financement public ?

SITUATION

Nicole est une femme de 47 ans qui présente une trisomie 21 avec une déficience mentale moyenne. Elle a eu un parcours institutionnel (IM-Pro puis CAT jusqu'en 2005). Elle est actuellement en foyer de vie. Depuis peu, son état se dégrade rapidement avec un syndrome démentiel et une grabatisation. Aucun établissement spécialisé pour personnes handicapées ne répond favorablement aux demandes en invoquant le manque de places et son état médical (elle relèverait d'une Maison d'Accueil Spécialisée du fait de la lourdeur des soins médicaux). Le public des établissements spécialisés pour personnes handicapées vieillissantes est plutôt représenté par des personnes déficientes mentales ou ayant un handicap psychique, pour une moyenne d'âge inférieure à 70 ans. Les personnes conservent une certaine autonomie à l'entrée permettant le maintien d'activités.

Bien que le foyer de vie, où elle est accueillie, ne soit pas médicalisé, celui-ci fait intervenir une auxiliaire de vie matin, midi et soir, a loué un lève-malade et un lit médicalisé. Ce qui ne suffit pas à empêcher la survenue d'escarres.

Finalement, une Unité de Soins de Longue Durée (USLD) accepte de la prendre dans une section qui accueille principalement des personnes handicapées vieillissantes. L'établissement d'origine met en place un transport et un accompagnement pour permettre aux résidents qui le souhaitent de lui rendre visite.

Les personnes handicapées vieillissantes : une identité collective subie qui ne constitue pas pour autant une communauté

Il est possible de distinguer schématiquement divers types d'identités.

L'identité individuelle (ou psychologique) peut-être définie comme « la conscience qui résulte de l'expérience propre à un sujet, lui permettant de se sentir exister en tant qu'être singulier, différent des autres », alors que l'identité sociale est constituée « par l'ensemble des caractéristiques personnelles ou comportementales, par lesquelles un individu révèle son appartenance à un groupe »11. Quant à l'identité culturelle ou politique d'un groupe opprimé, elle relèverait d'un partage social, d'un mouvement de résistance permettant de se construire une identité collective et individuelle positive. « Mettre en commun nos expériences nous rend plus fort ».

A. Memmi4 rappelle que l'identité est une construction de l'imaginaire, ce qui ne veut pas dire dérisoire et fallacieuse, il s'agit bien d'une réalité psychique dans le vécu de la personne. L'appartenance ellemême à une tradition n'induit pas un mode de vie standard dans la mesure où le sujet a une adhésion relative et limitée à ce qu'il en connait et ce qu'il souhaite en respecter. I. Levy9, rapporte que faute d'aborder la question des croyances et de ses modes d'observance, des menus cashers ou halals sont commandés systématiquement sur la seule consonance du nom ou sur l'origine réelle ou supposée de la personne.

C'est que l'identité collective peut-être libre mais aussi subie ou imposée. Dans le cas des personnes handicapées, celle-ci n'est aucunement libre, mais imposée du fait de l'inadéquation des structures de droit commun. Il n'y a donc pas là une véritable communauté, au sens où on l'entend habituellement. Le sentiment d'appartenance ne sera pas tant celui qui lie à l'ensemble des personnes handicapées qu'à la communauté de lieu de vie. Dans le cas clinique présenté, l'enjeu n'était pas celui du maintien d'une identité communautaire « personne handicapée » mais du maintien des liens sociaux dans un environnement adapté.

Cette remarque vaut totalement pour les personnes accueillies en EHPAD, et atteintes de la maladie Alzheimer. On ne peut pas dire, non plus qu'elle revendiquent leur appartenance à un groupe.

Mais il est important de noter que le sentiment d'identité persiste tant que le sujet « peut donner un sens de continuité à la rupture et au changement »12. Ce qui n'est pas le cas, par exemple, pour une personne âgée entrant en EHPAD de manière non préparée et trop brutale13. Par la préparation, le maintien de l'identité sociale, du sentiment d'appartenance peut contribuer à atténuer l'effet de rupture en constituant un élément de continuité. Pour les personnes handicapées mentales, ce changement d'identité collective et concomitant de celui d'identité individuelle (de personnes handicapées à personnes âgées) nécessite une transition douce du fait de difficultés de compréhension et d'adaptation chez un sujet qui ne s'est jamais préalablement identifié comme âgé.

Le concept de Personnes Handicapées Vieillissantes ne suffit pas, à lui seul, à définir des besoins spécifiques

Sous la pression démographique, les autorités administratives ont multiplié les réflexions sur les solutions à apporter à une nouvelle catégorie administrative : les Personnes Handicapées Vieillissantes (PHV)

En effet, la courbe d'espérance de vie des personnes handicapées dessine des profils de mortalité tendant à se rapprocher des courbes d'espérance de vie de la population générale, ainsi, l'espérance de vie d'une personne Trisomique 21 était de 9 ans en 1929, alors que de nos jours, 70 % vivront au-delà de 55 ans. Le débat a fini par retomber sur un consensus : il faut une palette de réponses diversifiées pour s'adapter aux différentes situations individuelles dont des Foyer d'Accueil Médicalisé (FAM) pour personnes handicapées vieillissantes et des Petites Unités de Vie (PUV) 14.

Mais peut-on seulement définir une « personne handicapée », sachant que ce terme recouvre « un mille-feuilles » de situations différentes, en fonction du type de handicap (mental, moteur, sensoriel...), de la sévérité de celui-ci (déficience mentale légère ou sévère..), de son origine (de naissance, acquis à l'âge adulte...)

Il est donc impossible de dresser un tableau cohérent et précis, y compris sur les besoins, ce qui n'empêche pas la multiplication d'études dressant le tableau précis de la personne handicapée vieillissante.

Le handicap est avant tout conditionné en France par une reconnaissance réglementaire (Maison Départementale des Personnes Handicapées ou CRAMIF). Ne peut se prévaloir de ce statut pour accéder à un dispositif spécifique, une personne qui n'en aurait pas préalablement réclamé la reconnaissance administrative avant l'âge de 60 ans. C'est à la personne qu'il incombe d'en faire la demande, qui lui permettra une fois admise en EHPAD (au titre d'une dérogation d'âge) de bénéficier des avantages liés à ce statut [pas d'obligation alimentaire, conserve un « reste à vivre » de 30% de l'AAH (218 €) contre 10% de l'Allocation de Solidarité aux Personnes Agées (77 €), recours en succession uniquement et à condition que l'ayant droit ne soit ni l'un des parents, le conjoint ou la (ou les) personnes (s) ayant assuré la charge effective et constante de la personne].

Il n'existe pas non plus de modèle de vieillissement qui serait spécifique de celui d'une catégorie de
handicap, même si l'on peut noter des caractéristiques retrouvées dans certains cas. Par exemple : il
n'existerait de vieillissement précoce que pour les personnes trisomiques, polyhandicapées ou

épileptiques avec état de mal. Les personnes handicapées moteurs seraient plutôt confrontées à une usure articulaire. Tandis que dans la plupart des autres cas où les effets du vieillissement ne sembleraient pas suivre une évolution normale, il s'agirait de « régression », de « désadaptation », de « rupture d'équilibre précaire ».

En réalité, la majorité des foyers pour personnes handicapées accueillent des personnes présentant un handicap mental et/ou psychique. Et c'est bien de cette catégorie de personnes dont il est question dans l'immense majorité des débats. En effet, les EHPAD savent prendre en charge le handicap physique ou sensoriel, mais sont mis en difficulté, principalement, par certains troubles du comportement.

Ce n'est qu'en octobre 2010, dans son dossier technique, que la CNSA fait le constat qu'il n'existe pas de définition de la personne handicapée vieillissante et en propose une qui tente de tracer les contours d'une figure polygonale sans doute trop complexe pour espérer la voir se diffuser largement auprès des professionnels :

« Une personne handicapée vieillissante est une personne qui a entamé ou connu sa situation de handicap, quelle qu'en soit la nature ou la cause, avant de connaître par surcroît les effets du vieillissement. Ces effets consistent plus ou moins tardivement en fonction des personnes en l'apparition simultanée:

· d'une baisse des capacités fonctionnelles ;

· d'une augmentation du taux de survenue des maladies liées à l'âge, maladies dégénératives et maladies métaboliques ;

· mais aussi d'une évolution de leurs attentes dans le cadre d'une nouvelle étape de vie.

Cette définition impose une prise en compte du vieillissement en tant que phénomène individuel, influencé par l'histoire et l'environnement de la personne, se traduisant en termes de perte d'autonomie. Un consensus se forme autour de l'âge de 40 ans, à partir duquel la vigilance s'impose. »

L'accueil des personnes handicapées mentales vieillissantes en EHPAD se heurte à des difficultés liées aux besoins suivants :

a. Les troubles du comportement nécessitent notamment des ratios d'encadrement importants (1,08 ETP en FAM* et 1,21 en MAS contre 0,59 en EHPAD)

b. Des formations adaptées aux différents types de handicaps, des suivis et des prises en charge, spécifiques de certains handicaps (trisomie 21 par exemple) ; des difficultés à faire la part de ce qui relève du handicap de celui du vieillissement normal ou pathologique. La méconnaissance des professionnels ainsi qu'une certaine peur vis-à-vis d'un tel public

c. Une transition douce du fait de difficultés d'adaptation qui peut-être facilitée par « l'effet de filière » (passer progressivement d'une structure à une autre, gérées par la même association),

d. Un besoin d'animations et d'activités occupationnelles plus importants, lié aux différences d'âges (les personnes handicapées rentrent avant 60 ans alors que la moyenne d'âge dépasse les 85 ans en EHPAD) et à la différence d'autonomie (GMP‡ en EHPAD souvent supérieur à 600 sur 1000 alors que les personnes handicapées mentales accueillies ont tendance à relever d'un GIR 5-615). De plus, les EHPAD offrent rarement un accompagnement à la vie sociale suffisant dans leurs prestations.

* Les foyers d'accueil médicalisés (FAM) sont des établissements financés par le Conseil général pour la partie hébergement et par l'assurance maladie pour la partie soin. Ils peuvent correspondre aux missions de l'EHPAD. † Les Maisons d'Accueil Spécialisées (MAS) sont des établissements médico-sociaux financés par l'assurance maladie exclusivement, destinées aux personnes nécessitant des soins constants. Elles sont l'équivalent des Unité de Soins de Longue Durée (USLD) hospitalières sauf en ce qui concerne le financement.

‡ Le GIR moyen pondéré correspond au niveau moyen de dépendance des résidents. Un GMP supérieur à 300 correspond à un établissement médicalisé.

e. Les différences de parcours entre les deux publics (les personnes handicapées mentales ont souvent un parcours institutionnel), de liens familiaux (pas de descendance mais une fratrie qui a « hérité » d'une gestion de mesure de protection pour les uns et descendance pour les personnes âgées)

f. Une confrontation à la fin de vie en EHPAD qui peut s'avérer difficile à vivre pour une personne qui aura une durée de séjour beaucoup plus longue16.

g. Le rejet de la part des personnes âgées du fait des comportements parfois trop démonstratifs par la recherche de signes d'affection, ou de l'image dépréciative que leur renvoi le handicap. De la part des familles aussi : « je ne mettrais pas mes parents avec des fous » 17

Pour les résumer, les personnes handicapées cumulent ainsi des freins à l'admission de 3 types :

· Des contraintes matérielles : une prise en charge nécessitant des compétences techniques spécifiques (des formations adaptées à chaque catégorie de handicap), des moyens humains et financiers adaptés.

· Une représentation sociale encore péjorative générant une ségrégation de la part des publics accueillis et de leur famille, ainsi que des craintes des professionnels.

· La nécessité d'une transition douce dans l'environnement humain notamment par rapport au public et aux modes de prises en charge auxquels la personne a été astreinte toute sa vie

Ces besoins sont difficilement conciliables avec les moyens qui sont ceux des EHPAD pour pouvoir prétendre accueillir dans de bonnes conditions toutes les personnes handicapées mentales et/ou psychique (ou polyhandicapées).

Les surcoûts éventuels qu'entraine la prise en charge des personnes handicapées mentales vieillissantes, ne sont pas liés à un choix de vie mais bien à un désavantage social du fait de l'inadaptation de l'environnement.

Cela n'empêche pas de plus en plus d'EHPAD de pratiquer l'accueil des personnes de moins de 60 ans. Cette cohabitation étant présentée comme ayant l'avantage pour les personnes âgées d'un milieu plus stimulant, d'une aide pour l'autonomie, voire d'un soutien pour le personnel grâce aux petits services rendus. Les personnes handicapées mentales y trouvent parfois une relation de tendresse et de substitut du lien perdu avec les parents qui étaient eux-mêmes âgés (l'admission se faisant assez fréquemment au décès des parents).

Mais dans l'ensemble, le secteur gériatrique semble insuffisamment adapté à la prise en charge des personnes handicapées mentales et psychiques et celui des personnes handicapées insuffisamment formé à la gériatrie.

La non-adaptation du dispositif de droit commun aux personnes handicapées mentales vieillissantes relève d'un désavantage social et non d'un choix ou d'une option.

Les personnes handicapées ont longtemps pâti du modèle médical bâti sur les déficiences (classification de Wood), obligeant les « patients » à adopter un récit négatif, attirant la sympathie des professionnels, une sorte d'auto-apitoiement orchestré par la société. Depuis l'adoption de la classification internationale des fonctionnement (CIF) adoptée par l'OMS en 2001, a permis l'émergence d'un modèle social qui définit le handicap comme la résultante de conditions environnementales pouvant être compensées politiquement ou socialement, sans nier pour autant les caractéristiques personnelles déficitaires. Dès lors, il n'existerait pas de véritable différence intrinsèque entre les individus, et il appartient donc à la société de réduire le niveau d'incapacité par des aménagements techniques, sociaux ou politiques11.

De fait, cela implique que toute personne handicapée peut revendiquer l'accès aux dispositifs de droit commun, et c'est déjà le cas avec la scolarisation par défaut, des enfants handicapés dans l'établissement scolaire dont dépend le domicile des parents. Il faut donc en conclure qu'une personne handicapée ne peut se voir refuser l'accès à un EHPAD, du seul fait de son handicap.

Il en découle que le principe mis en oeuvre par les établissements recevant spécifiquement des personnes handicapées vieillissantes, est celui de la compensation d'un désavantage social, mais aussi celui de constituer un terrain d'innovations exportables pour favoriser l'intégration, faire évoluer la connaissance et les méthodes d'accompagnement.

On peut dès lors s'interroger sur la pertinence qu'il y aurait à maintenir un cloisonnement entre ce que la CNSA reconnait être « deux cultures d'accompagnement des personnes vulnérables : l'une s'attachant au modèle biomédical via l'influence de la gériatrie et l'autre privilégiant un modèle fonctionnel et une dimension environnementale du handicap » Autrement dit, entre un modèle qui serait valorisant pour tous (usagers et professionnels), et un autre qui dans l'imaginaire collectif se limiterait à un accompagnement de la dépendance et des mourants. Le fait que les établissements pour personnes handicapées vieillissantes soient majoritairement gérés par des associations de parents*, laisse imaginer la conception qu'elles ont elles-mêmes des EHPAD.

La création d'unité de vie spécialisées au sein des EHPAD est certainement une voie qui permet une moins grande dichotomie entre les deux types accompagnements, tout en permettant des rapprochements entre les personnes handicapées elles-mêmes voire entre celles ayant fréquenté les mêmes structures antérieurement.

Dans tous les cas, il est indispensable de mettre en place un projet d'accueil spécifique et que la personne handicapée puisse choisir son lieu de vie.

Première tentative de critères de financement public

Les critères de financement public des établissements médico-sociaux dédiés à une population spécifique pourraient se résumer ainsi (indépendamment des notions de communauté, de communautarisme ou de besoins) :

1. Le projet est conforme aux valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternités et respecte les droits fondamentaux. Le projet d'établissement vise à maintenir la richesse et la diversité des liens sociaux, ainsi que l'intégration dans la cité

2. S'il déroge au principe d'égalité d'accès à tout citoyen, c'est pour :

a. Répondre à un droit de compensation, un souci de discrimination positive du fait d'un désavantage social avéré sur des éléments objectivables et objectifs

b. Une contrainte technique à laquelle il est difficile de répondre dans le cadre du fonctionnement habituel d'un EHPAD, ou du fait d'un surcoût trop important.

* Les associations de parents gèrent en France, 90 % des établissements pour personnes handicapées contre 30 % de ceux pour personnes âgées

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore