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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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PRÉALABLES ÉPISTEMOLOGIQUES

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PREALABLES EPISTEMOLOGIQUES SECTION 1 L 2 %J(7 7 &1- $0 3 1 ETUDE

1) Métaphores du Sida et hétérotopies à Libreville

Dans la littérature la métaphore renvoie à une figure de style qui a pour principe de comparer un évènement, un corps à une chose. C'est un transfert de sens par substitution29. « La métaphore, écrit Aristote, consiste à donner à une chose un nom qui appartient à une autre chose30 ». C'est en fait une analogie. Lorsque l'on pense par analogie, « c'est pour affirmer une relation d'équivalence entre objets (matériels et idéaux), des conduites, des relations, des relations d'objets, des relations de relations, etc31». Cette métaphore a pour objet de ternir, de ridiculiser, de minimiser ou de dénier un fait, un évènement ou un corps. Dans le cas de la métonymie l'image quitte l'irréel pour intégrer le réel. En fait, la métaphore décrit ou compare les choses tout en restant dans le domaine de l'irréel, or la métonymie (qui est aussi une métaphore) fait transiter l'objet irréel dans le réel. L'imaginaire devient une chose réelle. C'est donc la métaphorisation (et, dans une moindre mesure, la métonymisation) de la maladie du Sida qui va intéresser notre analyse. Cette métaphorisation du Sida renvoie à l'exploitation des expressions usuelles du Sida dans la société. Ce sont des mots, des expressions des discours qui sont le corpus de notre travail. En ce sens que « le langage ordinaire qui, parce qu'ordinaire, passe inaperçu enferme, dans son vocabulaire et sa syntaxe, toute une philosophie pétrifiée du social toujours prête à [faire] ressurgir des mots communs ou des expressions complexes construites avec des mots communs que le sociologue utilise inévitablement32».

Seulement il nous faut montrer les lieux dans lesquels sont produits ces discours. C'est à cet effet que nous entendons par espace hétérotopique un lieu dans lequel est produit des discours sacré. C'est des lieux autres, considérés comme des hors lieux, des lieux utopiques comme le décrit Michel FOUCAULT33. Ce sont « des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l'institution méme de la société, et qui sont des sortes de contreemplacements, sortes d'utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels [...] sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables »34.C'est des lieux oü il y a des discours sacré comme nous l'avons dit, mais c'est également des lieux de toutes les transgressions, « des lieux oü l'ont rencontre des déviants 35 ». Pour lui, « en général,

29 Madeleine GRAWITZ, Lexiques des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2000, p 275.

30 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 121.

31 Maurice GODELIER, Horizons et trajets marxistes en anthropologie, Paris, Maspéro, 1977,p 276 cité par Joseph TONDA , « Capital sorcier et travail de Dieu », Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala, coll « Politique africaine », n°79 -octobre 2000, p 52.

32 Pierre BOURDIEU, Le métier du sociologue, Paris, Mouton, 1973, p 87.

33 Michel FOUCAULT, l'art de penser, Conférence audio MP3, 1966,

34 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV, Paris, Gallimard, 1994, p 756

35 Michel FOUCAULT, Ibid 1966..

l'hétérotopie a pour règle de juxtaposer en un lieu réel plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles.36» Ces lieux sont à Libreville les temples de confréries initiatiques modernes, les cimetières, les bars, les Mbandjas, les églises. La particularité de ces lieux est qu'ils sont sacrés, interdits ou privilégiés. Dans ces lieux on trouve un discours sacré mais, en même temps, ils sont les lieux dans lesquels sont proférés des transgressions dela morale. Les scandales de pédophilies dans les églises, les profanations de tombes dans les cimetières37, les sacrifices humains dans les confréries initiatiques et les Mbandjas n'y sont nullement étranger. C'est en ce sens que « la franc-maçonnerie, la Rose-croix, la Prima Curia, la médiation transcendantale, auxquelles ils donnent une teneur ésotérique particulière et parfois sanglante38». Les débats inculpant l'Etat dans toutes sortes de machinations ou encore de son incapacité à régler certaines situations sont le propre des bars, des marchés et des transports en commun. Dans les bars, les marchés ou les transports en commun nous n'avons pas, à proprement parlé, un discours sacré, mais nous y observons des propos généralement proférés contre l'Etat. C'est un lieu qui est un baromètre de l'opinion publique. Un lieu oü l'opinion trouve une tribune pour exprimer son désarroi. C'est aussi des lieux de transgressions, lieu de déviance. Pour les marchés c'est les ventes de produits avariés ; pour les bars des réseaux de prostitutions et d'incitation à la débauche des mineurs et à la consommation d'alcool ; pour les transports en commun des lieux de surcharge et de conduite sans permis et assurance, donc un lieu d'infractions. La particularité de ces lieux hétérotopiques, comme nous venons de le décrire, est une forte prégnance de la transgression, des délits, des infractions alors qu'ils devraient être un lieu de l'ordre au vue de leur caractère « sacré ». Mais les hétérotopies ont ceci de particulier c'est que c'est « un lieu ouvert, mais qui a cette propriété de vous maintenir au dehors.39»

Ainsi, la construction de ce concept de métaphores de la maladie du Sida et d'hétérotopies résulte du constat de la naissance d'une pandémie du Sida. En effet, il y a « un mal qui émerge brutalement au cours de la même décennie des années 1980, le Sida. Ce mal, présenté par le discours scientifique comme sans possibilité de guérison, a pour caractéristique fortement anxiogène de menacer la reproduction des parentèles par l'accomplissement d'une sexualité sans contrôle et sans entrave40 ». Mais bien plus encore, ce mal à pour caractéristique d'être accompagner par une métaphorisation et une métonymisation qui la déprave et la réifie. Ceci par le fait qu' « un mal aussi irréductible est, par définition, mystérieux41 ». C'est le sens qui gravite autour de la métaphorisation et la métonymisation de la maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques qui va nous intéresser. Nous nous

36 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les hétérotopies, Paris, Nouvelles Editions Lignes, 2009, p28.

37 Lire à ce sujet Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.

38 Jean-François BAYART, « le capital social de l'Etat malfaiteur, ou les ruses de l'intelligence politique », La criminalisation de l'Etat en Afrique, Bruxelles, Complexes, 1997, P 63.

39 Michel FOUCAULT, Op cit, p 32.

40 Joseph TONDA, « Economie religieuse du pentecôtisme en Afrique centrale », La pensée, Paris, n° 348, octobre-décembre 2006, p.82.

41 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 13.

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intéressons à la fonction des métaphores dans l'exercice de la représentation de la maladie du Sida à Libreville.

Il faut tout d'abord préciser qu' « on considère ainsi qu'à la différence des sociétés occidentales, plus préoccupées par la santé que par la maladie, les sociétés « traditionnelles » d'Afrique se soucient davantage des maladies, des interprétations à en donner et des moyens de les combattre42 ». Ce qui permet d'énoncer que ce qui est considéré comme maladie, ce n'est pas seulement le désordre biologique ou/et mental affectant un individu : ce sont aussi toutes sortes d'infortunes concernant sa position sociale 43 . Comme le pense Claudine HERZLICH la maladie est aujourd'hui, de fait, entre les mains de la médecine [biomédicale], mais elle demeure un phénomène qui la déborde de toutes parts44 . Et c'est bien parce qu'elle la déborde de toutes parts que l'expression du social s'en trouve débordée. Elle est débordée par les expressions et les mots cherchant à l'expliquer ou, parfois à la dénier. C'est donc la maladie comme signifiant social qui est notre préoccupation. Mais encore, ce sont les métaphores et les métonymies du Sida qui motivent notre enquête. « Notre stratégie d'enquête nous a toujours incités à placer ce terrain autour d'un ou plusieurs foyers qui avaient éveillé notre vigilance [sociologique], parce qu'ils étaient les creusets oü se façonnaient, se déployaient, s'éprouvaient et s'implantaient socialement des préoccupations et des inquiétudes vernaculaires contemporaines-quelles qu'elles soient, et quelle qu'en soit l'échelle phénoménale. Dans la mesure oü nous visons à produire une [sociologie] qui soit empirique sans être empiriste, nous avons défini tous nos objets de recherche, sans exception45».

Lorsque nous regardons la société gabonaise, nous constatons que les métaphores et/ou les métonymies de la maladie s'étendent généralement sur quatre axes. Pour être plus précis, dans le cas de la maladie du Sida quatre axes nous intéresse. En fait, après avoir récolté des données de terrain nous constatons que les métaphores et/ou les métonymies du Sida vont s'étendre sur quatre dimensions qui sont les métaphores de la médecine ésotérique indigène, populaires, religieuses et musicales.

42 E. M'BOKOLO, « Histoires des maladies, histoire et maladie : l'Afrique », Le sens du ma!, Paris, Editions des archives contemporaines, 4ème édition, 1994, p177.

43 E. M'BOKOLO, Ibid, p 177.

44 Claudine HERZLICH, « Médecine moderne et quête de sens : la maladie signifiant social », Le sens du ma!, Paris, Editions des archives contemporaines, 4ème édition, 1994, p201.

45 Jean et John COMAROFF, Zombies et frontières a l'ère néolibérale. Le cas de l'Afrique du Sud post-apartheid, Paris, Les prairies ordinaires, coll « penser/croiser », 2010, p 53.

Tableau n°1 : Différentes expressions utilisées pour représenter le Sida

Représentations de la
médecine ésotérique
indigène

Représentations
populaires

Représentations
religieuses

Représentations
Musicales

Mwiri

Maladie du siècle

Punition divine

Maladie du sang

Mbumba46

Sidonie

karma

Maladie
d'amour

Mbumba Iyanô47

Grande maladie

 

Maladie de
l'infidélité

Nzatsi

Les quatre lettres

 

Maladie du sexe

Kôhng

Syndromes inventé
pour décourager les
amoureux

 
 
 

Mbolou48

 
 

Source l Mg MAkM$ ( . $ MI 2 8 * 2 8 MIEtISRXiOOIIP IIItMIEIIsMIERnKOIIsMIE'IIMIXtlII

Les expressions ou les mots ci-dessus sont les différentes métaphores ou métonymies que l'on donne au Sida au Gabon. Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle a la particularité de présenter empiriquement notre objet d'étude. Cet objet d'étude a la particularité d'être axé sur des mots ou des groupes d'expression qui inscrivent le sujet dans un champ littéraire. Les protagonistes de ce champ ne sont pas les littéraires eux-mêmes. Les expressions du milieu populaire, du milieu religieux, du milieu ésotérique indigène ou des Médecines hors secteur biomédical (MHSB) et du milieu musical décrites sont observable dans les hétérotopies décrites plutôt. Les auteurs des métaphores sont les bwitistes, les pentecôtistes, les rosicruciens, les gens ordinaires et les musiciens que nous avons rencontrés. Les lieux dans lesquels ces acteurs produisent ces métaphores et métonymies sont : les Mbandjas, les temples de confrérie initiatique moderne, les églises, les bars, les transports en commun, les marchés. Les représentations métaphoriques ou métonymiques du Sida dans le milieu de la médecine ésotérique indigène s'expriment sous les noms et expressions tels que : Mbumba, le Mwiri, le Mbumba Iyanô, Nzatsi (le fusil nocturne) ou Kôhng.

Le Mbumba est une entité mystique dont l'icône représentatif est un serpent. Ce serpent est un python considéré comme roi des serpents. Selon les traditionalistes entretenus, il y a deux ethnies spécialistes du Mbumba. Ces ethnies sont l'ethnie Mwiénè et l'ethnie Akélè. La particularité de ce deux Mbumba se situe dans le fait que dans l'ethnie Mwiénè il s'agit d'un serpent qui entoure la marmite, tandis que pour les Akélè il s'agit d'un caïman de quatre à cinq mètres de long nommé Ngando. C'est donc soit un serpent ou un caïman qui est livré en même temps que la marmite nocturne. Comme son nom l'indique, la marmite nocturne est une marmite dans lequel réside des reliques notamment le crane de l'homme, le tibia et l'intestin grêle de l'homme qui ont le pouvoir d'envouter et de tuer toutes personnes dont le

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Expression bantu qui renvoi à un serpent mystique

47

Expression Nkomi ethnie bantu du Gabon qui renvoi a un géni blanc de l'eau

48

Expression Kota ethnie bantu du Gabon qui renvoi à une maladie des tubercules qui ressemble à la maladie du Sida

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corps (les vêtements, les objets personnels tels que les photos, les cahiers, les sous vêtements, les serviettes hygiéniques) s'y retrouve. Le corps dont nous parlons n'est autre que les ongles, les cheveux, les dents de lait des enfants, les placentas, les ombrils, les prépuces de circoncision, les empruntes de pas, les restes d'arêtes ou d'os des repas. Donc, la marmite est le lieu de la mort, une tombe symbolique, un réceptacle dans lequel le pouvoir ou la puissance mortifère réside : la marmite du pouvoir. Le serpent ou le caïman sont les chasseurs. C'est lui qui capture les proies et les tuent. La particularité de ce serpent ou caïman est que sa morsure est synonyme de mort. Lorsque son venin se répand dans le corps il peut donner des symptômes identiques à celui du Sida. Notamment, perte du poids, sortie des ganglions, perte de cheveux, démangeaisons, fourmillements. Dans d'autres cas le serpent brise les membres du corps et physiquement cela se représente par la perte des facultés de motricité. Les personnes affectées par le Sida dont les symptômes sont des enflures du corps ou pourrissement du corps sont mystiquement attaquées par le caïman qui après les avoir mordus les entrainent au fond de l'eau. Ce qui conduit à une enflure du corps et une présence d'eau dans l'estomac ou dans les poumons. Mais à tout le moins lorsque les ngangas assignent au Mbumba les symptômes du Sida nous comprenons que nous avons traversé le domaine de la métaphore pour nous retrouver dans celui de la métonymie. Mais retenons que le Sida dans le milieu traditionnel est un Sida sorcier ou encore un Mbumba49 .

Le Mwiri est une initiation réservée aux jeunes hommes du village. En fait, son rôle premier est de faire transiter l'enfant de l'état d'adolescence à celui d'adulte. Dans la coutume des peuples Tsogho, c'est une initiation qui arrache à la femme le jeune garçon pour l'intégrer à la société masculine. La particularité de cette initiation est qu'elle joue le rôle de justice au sein du village. Lorsqu'il y a eu vol, adultère, meurtre ou parjure on utilise l'expression « taper le diable » pour restaurer la justice et l'équilibre. Ce qui est intéressant c'est que la ou les personnes qui sont fautives desdites transgression vont voir, tour à tour, le corps se métamorphoser. Ils vont avoir le ventre qui se gonfle jusqu'à ressembler à un tétard; ils vont avoir des ganglions ou des gros boutons qui vont sortir sur l'ensemble du corps ; ils vont être pris par des diarrhées épuisantes qui vont les immobiliser dans les latrines et vont avoir leur corps qui va perdre quasiment le quart de son poids en trois jours ; des fortes fièvres dès la tombée de la nuit vont les coller au lit ; ils vont aussi avoir les articulations qui vont extrêmement faire mal ; ils vont avoir des toux grasse avec des postillons de sang. Toutes ces douleurs vont aller en s'intensifiant jusqu'à ce que les (ou la) personnes reconnaissent leur crime, délit ou leur infraction. Quand l'individu reconnaît sa faute, alors on envoie le messager du Mwiri aller chercher feuilles et bois pour faire une décoction et un bain pour faire partir le maléfice. Ensuite dans la fin de l'après midi, il va devoir confesser sa faute devant l'assistance des hommes initiés aux Mwiri. Si les symptômes sont avancés il y aura le sacrifice d'un mouton pour délivrer du mauvais sort. Et le traditionnaliste nous confirme alors que pour lui le Sida est une forme de Mwiri. Soit une personne malintentionnée lui à lancé ce sort, soit la personne à commis une infraction. Le Sida est un Mwiri qui a pour but de punir

49 Luc de HEUSCH, «Considérations sur le symbolisme des religion bantoues », L'homme, Paris, EHESS, n°184, 2007, p180.

l'individu pour un agissement répréhensible. Parfois il s'agit de jalousie et de mauvaise foi de la part d'une personne qui enveut à une autre personne.

Le Mbumba Iyanô est une initiation propre aux ethnies des côtes du Gabon. L'icône qui la représente est un animal de légende qui est la sirène. Cette sirène se représente, dans le monde du rêve du profane, dans le cas d'une femme par la présence imaginaire d'un « génie " homme de race blanche ou la présence d'une femme blanche dans le cas d'un homme. Cette présence est une présence invisible qui perturbe le bon déroulement de la vie de la personne et, l'initiation doit réinstaurer l'harmonie entre le génie et la personne. Cette perturbation que nous décrivons s'applique plus dans le cadre de trouble de ménage. Le mari ou la femme ne veut plus s'accoupler avec son ou sa partenaire. Il arrive que le « génie " durant la nuit vienne s'interposer entre le couple et expulser physiquement le ou la conjoint(e) hors du lit. Mais ce qui nous intéresse c'est que le génie peut satisfaire sexuellement lui-même la personne à qui il est relié. Ce qui explique les théories des hommes ou femmes de nuit, mais nous y reviendrons. Ce qui intéresse notre propos c'est que les manifestations de la colère du Mbumba Iyanô se présentent sous les formes d'apparition de gros boutons sur toute la surface du corps. Ou encore, la présence d'une tâche sombre un peu identique à la dartre qui s'empare de la totalité du corps. Il y a aussi une présence de forte fièvre, de trouble du sommeil, d'un fort amaigrissement du corps et d'une perte manifeste de cheveux.

Le Nzatsi ou encore le fusil nocturne est un sort lancé à individu dans le but de lui paralyser le corps, amputer un membre ou le tuer. Cette pratique à été perfectionné par l'ethnie Mvoungou résidant dans la province de la Ngounié. Ils sont spécialistes dans le fusil nocturne car l'individu qui a reçu la révélation lors d'un rite initiatique nommé Dissumba était Mvoungou. Il existe un nombre indéterminé de fusil nocturne. Ce que le terrain nous a révéler c'est qu'il y a trois catégories qui vont d'une efficacité et intensité faible qu'il nomme le « 25 "50, d'une autre intensité moyenne qu'il nomme le « 220 volt "51et, une dernière qui est le « 10 000 volt " qui a une intensité et efficacité maximale qu'il compare volontiers à la foudre. Le propre du fusil nocturne c'est que selon le désir de l'expéditeur, il peut soit faire souffrir le destinataire ou l'achever d'un coup. Dans le cas d'une longue souffrance l'expéditeur peut lui envoyer les symptômes du Sida, du diabète, etc. Ce qui est à retenir c'est que le Sida, selon cette médecine ésotérique indigène, peut être donné mystiquement par le moyen de CPT52. Nous pouvons constater un champ lexical du voltage. En ce sens que le fusil nocturne est finalement une électrification sociale qui consiste à mettre hors d'usage un individu.

Le Kôhng est une pratique mystique propre à la province du Woleu-Ntem. Cette pratique a été importée des pays voisins tels que le Cameroun et la Guinée Equatoriale. Elle vise à tuer mystiquement un individu et à capturer son esprit afin de travailler dans les plantations. Ce fétiche ou cette pratique se représente sous la forme d'un petit cercueil dans lequel on trouve

50 Il le nomme ainsi car il le vendait dans les années 1960 à 25fcfa,

51 En référence au courant du secteur. Il a donc pour principe d'électrocuter.

52 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles »,n°2-Vol A, 2008, p 76.

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toute sorte de relique, chaire humaine corps des individus à nuire et une liste des personnes qui doivent mourir. Mais ce qui est intéressant c'est que le Kôhng peut donner la maladie du Sida. « Les détenteurs de ce type de sorcellerie peuvent mystiquement prendre le sang d'un séropositif pour l'inoculer à un homme sain, dans le dessein de nuire à ce dernier53». Ce qui nous intéresse c'est que le Sida dans la société est une forme de Kôhng54, de maladie mystique comme le prouve l'énoncé ci-dessus.

Les métaphores du Sida dans le milieu populaire se décrivent sous les mots et expressions tels que : maladie du siècle, Sidonie, la grande maladie, les quatre lettres, le Mbolou ou encore Syndromes inventé pour découragé les amoureux.

Quand on la considère comme maladie du siècle ou grande maladie, c'est en faisant allusion à la peste. En ce sens que « la peste est la principale métaphore par laquelle on comprend l'épidémie du sida55 ». Pour mieux comprendre la métaphore du Sida comme maladie du siècle, revenons sur l'étymologie du mot peste. « Le mot « peste », du latin plaga (coup, blessure), a longtemps été employé métaphoriquement pour désigner le plus haut degré de calamité, de malédiction, de fléau collectif56». Si nous retenons le terme malédiction, nous nous retrouvons dans le cas du Sida, au Gabon, qui est une maladie associée à la malédiction. La stigmatisation-marginalisation des personnes infectées est utile à observer57. Le corps stigmatisé est un corps de malchance sur la famille. Le malade doit être sevré de tout contact familial, social. « En effet, le contact avec une personne atteinte d'une maladie mystérieuse s'apparente obligatoirement à une transgression ; pire, à la violation d'un tabou. Le nom même de ces affections semble doté d'un pouvoir magique58». Il est exclu comme si ce qu'il portait était contaminable par le regard. Le Sida n'a pas de remède. Et cela fait peur. Il tue et infecte sans distinction. Il est la maladie qui focalise toute l'attention. C'est la maladie de la mort. Il est la peste du siècle, la maladie du siècle.

Le prénom « Sidonie » est un prénom féminin qui a été attribué au Sida pour la proximité syllabique des trois premières lettres. Mais l'autre raison, qui justifie l'utilisation de ce prénom comme métaphore du Sida, est qu'au début du Programme de Lutte National contre le Sida dans les années 1990 il y avait une dame qui avait accepté de révéler son identité de séropositive à la télévision. Cette dame se nommait Sidonie SIAKA et intervenait régulièrement pour faire des témoignages dans le cadre de campagnes de sensibilisations. Son nom est devenu une métonymie, mais aussi une personnification dans la société gabonaise de la maladie du Sida.

53 Joseph TONDA, « Limites du social et déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du social et les esprits du culturel », Etre en société. Le lien social a l'épreuve des cultures. Sous la dir. André PETITAT, Laval, Les Presses de l'Université Laval, 2010, p 124.

54 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste, Mémoire de maîtrise de sociologie, Libreville, Faculté des lettres et des sciences humaines, Département de sociologie, septembre. 2004.

55 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, op cit, p 169.

56 Susan SONTAG, ibid, p 169.

57MAGANGA MAGANGA, La stigmatisation-marginalisation des personnes vivant avec le VIH/Sida, dans les familles gabonaises, Libreville, UOB, Département de Sociologie, 2011.

58 Susan SONTAG, op cit, p 14.

Il y a aussi l'expression « les quatre lettres », qui décrit la maladie du Sida. En effet dans le milieu populaire gabonais, une personne atteinte du virus du Sida est qualifiée d'être une personne atteinte par les quatre lettres qui sont le S.I.D.A. Donc, il y a une violence symbolique qui se dégage de ces quatre lettres disposé dans cet ordre. Nous entendons le terme violence symbolique au sens oü Pierre Bourdieu l'entend. C'est --à- dire une violence qui ne peut-être exercée par celui qui l'exerce et qui ne peut-être subie par celui qui la subit que parce qu'elle est méconnue en tant que telle59. Etre malade du Sida c'est être étiqueté par des lettres comme un objet que l'on spectacularise. Mais nous y reviendrons plutard.

Le Mbolou est dans la langue Kota une représentation d'une maladie des tubercules que l'on a attribuée au Sida. En fait le tubercule présente toute les caractéristiques d'un aliment de bonne qualité. Seulement, dès que l'on touche ou palpe le tubercule, il s'aplatit ou se perce sous la pression. En fait, à l'intérieur du tubercule il n'y a plus que de l'eau noir ou une matière putréfiée qui s'est transformée en liquide noir telle de la cendre. Donc, l'allusion du Sida au Mbolou est une métaphore qui compare le corps d'un sidéen à un tubercule atteint de ladite maladie. En apparence le corps du sidéen donne l'impression d'être en bonne santé mais bien au contraire il est pourri de l'intérieur par le virus du Sida. Et son corps dépérit à vu d'oeil comme dépérit un tubercule qui est atteint par le Mbolou.

Bien que la métaphore du Sida comme « syndrome inventé pour décourager les amoureux » apparue dans le début des années 1990 ne soit plus utilisée, nous nous sommes

tout de même proposé de la présenter. En fait cette métaphore intervient dans la situation la population apprend qu'il faut se protéger durant les rapports sexuels ; qu'il faut s'abstenir

ou être fidèle à son ou sa partenaire. « La voix sexuelle de la transmission de cette maladie, considérée le plus souvent comme une calamité dont on est seul responsable, est l'objet d'une condamnation encore plus vive que les autres voies de transmission - surtout parce qu'on prend le Sida pour une maladie non seulement de l'excès sexuel, mais de la perversion60». C'est par rapport à cette situation de maladie qui stigmatise les rapports sexuels que la population a imaginé que cette maladie a été créée pour décourager les amoureux. C'est probablement parce que « le fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c'est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu'ils n'ont pas pris leurs précautions61».

Nous avons pu, dans l'établissement de notre constat, identifié deux expressions très utilisées dans le milieu religieux pour décrire le Sida. Il s'agit des expressions de punition divine, de karma.

A travers la personnification du Sida par le prénom de Sidonie, il y a une allusion au sexe féminin. En fait le Sida ainsi présenté est une maladie des femmes transmises par les femmes aux hommes car la femme c'est le diable. Elle est le symbole de la déchéance et de la trahison

59 Pierre BOURDIEU, Questions de sociologie, Paris, Les éditions de minuit, 1984.

60 Susan SONTAG, op cit, p147.

61 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1947, p 41

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du monde depuis le jardin mythique d'Eden. Le Sida, à ce titre, serait une fois encore comparable au poison de la pomme de l'arbre de la connaissance du bien et du mal dans le milieu religieux. A cet effet, l'expression « punition divine » utilisée suit la logique du Sida comme châtiment de Dieu envers la désobéissance de ses enfants. Car sous l'axe de la religion, le sida est une « punition divine ». C'est un terme qui est récurent et propre au milieu religieux. C'est donc une maladie de Dieu mais aussi du Diable62 ! Car « la maladie intervient en tant que châtiment surnaturel, ou possession démoniaque, ou résultat des causes normales63».

Le terme karma à été rencontré dans le milieu ésotérique rosicrucien et bouddhiste. C'est un cercle de confrérie initiatique moderne pour le premier et une religion pour le second. Ce terme décrit les répercutions négatives d'une action que nous avons intentée dans un moment ou une vie antérieure. Pour les rosicruciens souffrir d'une maladie chronique ou aigüe, c'est être victime des conséquences de ses propres actes. Il l'explique selon toute sorte de raisons ; de la moquerie sur un malade à sa stigmatisation, voire à son inquisition. Bref, il y a toujours une raison pour justifier le mal. Être malade c'est avoir contracté une dette dans une vie antérieur.

Nous avons dans le cas de notre constat fais une analyse de contenu de certains textes de musiciens ayant chanté sur le Sida. Ce qui ressort de cette analyse c'est que la maladie du sida est soit une maladie du sang, une maladie du sexe, une maladie d'amour ou une maladie de l'infidélité.

En 1992 l'artiste Hilarion NGUEMA chanta une chanson sur le sida. Le corpus de ce chant révèle que le sida, selon l'artiste est « une maladie du siècle, maladie du sexe, maladie du sang, maladie d'amour ». En fait, pour comprendre ce texte il faut le situer d'abord dans son contexte historique. En effet, les années 1990 sont les années les plus difficiles sur le plan de la prévention. Il fallait d'abord faire admettre aux populations la présence effective de cette maladie. Nous pensons que le recours à la métaphore maladie du siècle, renvoie au souvenir de la maladie de la peste qui décima de nombreuses populations en Europe. Lorsque l'on entrevoit la métaphore de maladie du sexe c'est en rapport avec la maladie de la syphilis. C'est en fait les réminiscences de la maladie de la syphilis et son mode de contamination qui pousse à dire que le Sida est tout aussi une maladie du sexe comme la syphilis. De manière générale , les différentes métaphores traduites dans le chant de l'artiste visent à présenter les modes de contamination de la maladie et le danger de la maladie.

Dans les mêmes années 1990, il y a eu le chant de Mackjo's qui décrivait dans son corpus que le sida est une maladie de l'infidélité. En fait dans le texte de l'artiste, c'est le récit d'une femme qui est agréablement surprise que son homme puisse revenir tôt à la maison, être attentif à elle, faire les travaux de la maison et bien entendu satisfaire pleinement son devoir conjugale. La phrase suivante reste significative pour la suite de notre travail à savoir : « Sida

62 Joseph TONDA, « Le Sida, maladie de Dieu, du Diable et de la sorcellerie », Sciences sociales et santé, Vol 25,n°4, Paris, Décembre, 2007.

63 Susan SONTAG, op cit, p 61.

grace à toi j'ai retrouvé mon mari, merci Sida j'ai retrouvé mon mari ! " La conscience du danger de la maladie du Sida va obliger le mari à revenir à la fidélité. C'est donc une exhortation à la fidélité. Or cette exhortation est l'un des slogans du Programme national de Lutte contre le Sida (PNLS). Les autres chants sur le Sida ne s'éloignent pas de ces deux textes qui sont, pour ainsi dire, des stéréotypes musicaux de ce thème.

L'inventaire des différentes représentations métaphoriques et métonymiques du Sida dans la société gabonaise présente une richesse littéraire et imaginative avérée. Certes, les représentations métaphoriques et métonymiques ainsi considérées sont dans le domaine de la littérature, mais il ne reste pas moins que nous voulons faire oeuvre sociologique. Si ceci est notre objectif, c'est pour comprendre les raisons des multiples représentations de la maladie et du Sida au Gabon. Ces raisons sont en fait une profonde différence entre la métaphore et la métonymie dans les représentations de la maladie au Gabon.

Tout d'abord, nous devons mettre de l'ordre en nous focalisant d'abord sur les représentations sociales. Les représentations sociales selon Pierre MANNONI sont des producteurs de sens64. Elles le sont parce qu'« il s'agit d'une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble65". C'est aussi, « des ensembles d'actes symboliques codifiés, à visée fonctionnelle et pratique, « imposés " par le groupe relativement prévisibles et répétés selon un schéma fixé [...], orientés vers la communication avec les puissances surnaturelles66". Au regard de ces différentes définitions, nous pouvons retenir que les représentations sociales en Afrique centrale sont des formes d'institutionnalisation du sens du spectre, des formes d'institutionnalisation du sens. Ce qui revient à dire que les représentations sociales sont des repères qui donnent sens aux pratiques sociales. Le propre de ces pratiques c'est qu'elles sont traduites dans des expressions métaphoriques et métonymiques.

En fait, notre constat nous permet de remarquer qu'il y a deux formes de styles d'expressions utilisées pour décrire le Sida : la métaphore et la métonymie. Mais au regard de l'inventaire empirique que nous venons de faire il ressort que la plupart des expressions décrites relèvent plus de la métonymie que de la métaphore. En fait nous dépassons le simple cadre de la comparaison pour nous retrouver dans une description imaginaire qui devient réel. En fait, nous nous retrouvons de plein pied dans un imaginaire qui a possédé et subjugué la société. Pas seulement un imaginaire comme faculté de création des images67 mais aussi, et surtout, d'une indiscernabilité du réel et de l'irréel68.

Donc, les représentations sociales du Sida au Gabon se servent plus de la métonymie plutôt que de la métaphore. Ceci se justifie par le fait que les croyances au serpent mystique, fusil nocturne, Mbumba Iyanô, Mbumba, Mwiri ou au Kôhng qui « sont autant des figures

64 Pierre MANNONI, Les représentations sociales, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », 1998, p115.

65 Denise JODELET, Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989, P 36.

66 Gilles FERREOL, Dictionnaire de sociologie, Paris, Armand Colin, 1995, P256

67 Cornélius CASTORIADIS, L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p 17.

68 Gilles DELEUZE, Pourparlers 1972-1990, Paris, Minuit, 2003, p 93.

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de la mort que de la spectralisation du social69», mettent la maladie du Sida dans une indiscernabilité entre le réel et l'irréel. La maladie du Sida louvoie dans les méandres des représentations sociales gabonaises dans la quête de sens. Cependant, la biomédecine est en lutte contre ces représentations à travers les tags, les bandes dessinées produite par le PLIST70. A bien y penser, la société semble tellement possédé que « même là où existent des avancées en ce domaine, les régressions s'imposent comme une sorte de loi générale et abandonnent les individus à la violence des esprits du Sida, du paludisme, des vers intestinaux, des mares, des forêts, des rivières, etc71». La société gabonaise est stéréotypée par un manque et un déni de solution biopolitique. C'est ce que traduit Joseph TONDA quand il dit que « le social en Afrique, c'est en un mot, une vaste sphère spectrale, fantomatique, o

l' « esprit », c'est-à-dire le « culturel », a du mal à s'institutionnaliser face aux urgences de la vie biologique et matérielle qui l'expriment, la mettent en péril et qui relèvent des déficits biopolitiques des pouvoirs publics72».

Certes. Il y a évidence de manque de solutions biomédicales mais que dire des iconographies, des publicités contre la maladie du Sida ? Lorsqu'on regarde toutes ses propagandes contre le Sida nous nous posons la question de savoir pourquoi l'Etat par les organismes de lutte contre le Sida lutte-il contre les imaginaires de la maladie du Sida ?

Nous expliquons encore au Gabon les pluies au fait que « Dieu soit entrain d'uriner » au lieu de relier ce phénomène à une évaporation de l'eau et une accumulation de masse d'air humide. Ou encore lorsqu'il pleut et qu'il y a du soleil au méme moment c'est dû à un éléphant qui met bât. Les exemples sont légion pour décrire l'état mental dans lequel notre société se trouve. Nous nous pouvons encore regarder toutes les représentations sur la maladie, et en particulier sur la maladie du sida. Les métaphores de la maladie du Sida décrites dans ce texte plus haut sont au fait de cette idée d'univers métaphysique. Un univers dans lequel les fantômes, les bêtes de forêts ou, tout simplement, le charisme imposent une vision du monde quelque peu galvaudée. Cette dépréciation du monde des idées est donc conditionnée par une production d'images et d'imaginaires autorisées par le simple pouvoir du charisme donc de la violence de l'imaginaire.

Si nous devons expliquer cette politique de l'Etat qui est de lutter contre les imaginaires de la maladie du Sida, nous dirons que l'Etat gabonais est entrain de mettre en scène le biopouvoir. Le biopouvoir est une « technique du pouvoir sur « la » population en tant que telle, sur l'homme en tant qu'être vivant, un pouvoir continu, savant, qui est le pouvoir « de faire vivre73 ». C'est en d'autres termes, pour paraphraser l'auteur, un pouvoir de régularisation qu'il définit comme pouvoir de faire vivre et de laisser mourir. Nous voulons décrire l'action des ONG et de l'Etat comme une forme de lutte, non plus seulement, contre

69 Joseph TONDA, « Limites du social et déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du social et les esprits du culturel », Etre en société. Le lien social a l'épreuve des cultures, p 134.

70 Voir annexes.

71 Joseph TONDA, Ibid , p 134.

72 Joseph TONDA, Op cit, p 127.

73 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la société. Cours au collège de France 1976, Paris, Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997, p 214.

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les IST mais aussi contre les imaginaires. Et nous pensons que le terme lutte n'est pas exagérée car, là encore, le pouvoir métonymique du souverain sort de l'eau ou de la forét comme le dit TONDA74. « Il s'ensuit que le rapport à la maladie, comme le rapport à la santé [et au pouvoir] sont, dans ce champ [de l'imaginaire], des rapports agonistiques, des rapports de combat, de conflit, de forces, de guerre75». A cet effet, c'est donc tout aussi une guerre, une chasse que l'Etat exerce contre les idées confuses et irréalistes des imaginaires de la maladie du Sida.

La question des préjugés des Librevillois au sujet du Sida peut trouver une esquisse de réponse après l'analyse du propos précédent. Il y a une dynamique des représentations ou des schèmes traditionnels qui ostracisent l'objectivité de la maladie du sida au Gabon. Et la notion de Souverain moderne proposée par Joseph TONDA n'est peut être pas exempt de tout reproche. Car les représentations sociales, et par extension les représentations sociales de la maladie du Sida, sont au service du souverain car elles permettent de mettre en exergue le pouvoir des esprits de la forét et de l'eau qui sont au service du souverain. Il faut que les images des monstres, des fantômes, des sirènes, des hommes panthères, des crânes76, du Mwiri, du Kôhng, des 2577 continuent d'exister car ils sont le socle du pouvoir mortifère du souverain. Les représentations sociales de la maladie du sida permettent de définir un peu plus encore les lieux, le mode, le contexte et la tactique du pouvoir du Souverain moderne au Gabon.

Mais il est utile de préciser que le souverain moderne n'est pas exempt du pouvoir et de la possession de l'imaginaire. On aurait pu penser qu'il se trouve en dehors du phénomène des représentations sociales, de l'imaginaire. Qu'il se serve tout simplement des images de fantômes, de serpents, de fusils nocturnes, qu'il les créée et les contrôle. Donc, qu'il exploite la violence de l'imaginaire, la violence du symbolique et la violence du fétichisme. Nous avons oublié de dire qu'il se retrouve dans la méme situation que le sociologue sur son terrain d'étude. Il est à la fois intéressé par les productions sociales, mais lui-même faisant parti de ces productions. D'oü la difficulté de faire une rupture épurée de tous préjugés. Le souverain exploite les représentations sociales, les images et les imaginaires. Il exploite les expressions, les mots, les sens. Sauf qu'il n'en est pas, à proprement parlé, le créateur et, à ce titre, luimême est dans un cycle de reproduction des imaginaires. Il est lui-même sous l'emprise des représentations sociales, sous l'emprise de la violence de l'imaginaire, de la violence du symbolique et du fétichisme. Ce qui revient à dire qu'il ne contrôle rien, mais donne l'impression de le faire afin que les administrés pensent qu'il l'a. En ce sens que tous et chacun à la fois contribue à l'édification des images, des imaginaires.

74 Joseph TONDA, Le pouvoir et le lieu, Conférence a L'université Omar Bongo de Libreville le 4 mai 2011, Libreville, UOB, faculté des lettres et sciences humaines, Département de littérature africaine, 2011.

75 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, p 74.

76 Lire à ce sujet Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.

77 Voir page 13.

Au terme de ce constat, il semble approprié de repréciser notre objet d'étude. Nous entendons par les métaphores du Sida au Gabon des modes d'expression qui sont des productrices de sens des imaginaires de la maladie du Sida au Gabon. La particularité de ces métaphores c'est qu'ils sont produits dans des lieux hétérotopiques. C'est à cet effet que nous entendons par espaces hétérotopiques, un lieu dans lequel est produit des discours sacré. C'est des lieux autres, considérés comme des hors lieux, des lieux utopiques C'est donc le sens des métaphores produit dans des lieux hétérotopiques qui conduisent à la création des imaginaires dans la maladie du Sida qui nous importent ; les raisons qui justifient la présence de ces représentations sociales, de ces modes d'expression, de ce marché linguistique de la maladie qui sont le leitmotiv de notre recherche.

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