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Savoirs et savoir- faire locaux face aux politiques agraires: diagnostic d'un système agraire dans un village Khamou ou du Nord Laos

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par Pierre- Yves Heurtier
Université Aix-Marseille 1 - Master 2 anthropologie sociale et culturelle 2006
  

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Université de Provence, Aix-Marseille 1. Anthropologie de recherche sur l'Asie du Sud-Est.

Année 2006

Mémoire de Master deuxième année. Directeur de recherche : Mr Christian Culas.

Savoirs et savoir-faire locaux face aux politiques agraires :

Diagnostic d'un système agraire dans un village khamou ou du Nord Laos.

Mémoire présenté par Pierre-Yves Heurtier.

« La terre se rappelle »

Jeune exploitant du village de Bouamphanh.

A mes parents...

Sommaire :

Contexte du questionnement de l'étude. p .5.

Méthodologie. p.6.

1. L'environnement écologique et socio-économique du système agraire : p.8.

1. 1. Introduction à l'environnement écologique :

1.1.1. Situation géographique de la zone d'étude : p.8.

Le Laos ; la province de Phongsaly; Le district de Khoua; Le village de Bouamphanh.

1.1.2. Météorologie du Laos et de la Province : p.10.

La pluviométrie; L'ensoleillement et les températures.

1.1.3. Le relief de la zone d'étude. p.12.

1.1.4. Composition des sols. p.13.

1.1.5. Les types de végétation.

1.1.6. Les surfaces forestières du Laos.

1.1.7. Conclusion. p.14.

1.2. Introduction à l'environnement socio-économique : p.14.

1.2.1. La démographie : Le Laos; La province; Le district; Le village.

1.2.2. Les groupes ethniques : La province; Le district; Le village. p.16.

1.2.3. Économie : Un pays sous développé : p.17.

1.2.3.1. La situation économique du village. p.21.

1.2.3.1.1. Les statistiques.

1.2.3.1.2. La ville comme modèle ?: Deux analyses.

1.2.3.1.3. Des manques dans l'étude statistique.

1.2.3.1.4. Illustrations de situations économiques familiales : Trois familles. p .23.

1.2.3.1.4.1. Première famille.

1.2.3.1.4.2. Seconde famille.

1.2.3.1.4.3. Troisième famille.

1.2.3.1.4.4. Conclusion.

2. Le cadre juridico-politique du système agraire étudié : p.29.

2.1. Les systèmes agraires du Laos.

2.2 Le cadre juridique agricole et forestier national : p.30.

2.2.1. Historique.

2.2.2. La mise en place du plan d'allocation des terres.

2.2.3. Les raisons du résultat négatif de l'allocation des terres.

2.3. Impacts sociaux de l'allocation foncière : p.36.

2.3.1. Les réactions des populations aux projets gouvernementaux selon un responsable.

2.3.2. Les conséquences de la loi d'allocation des terres.

2.3.3. L'adaptation des paysans aux conséquences négatives de la loi d'allocation des

terres.

2.4. Le cadre juridico-politique du village : p.41.

2.4.1. Le cadre juridique.

2.4.2. Le cadre politique.

2.4.2.1. Les élections.

2.4.2.2. Les taxes.

2.4.2.3. Un personnage charismatique.

3. Les caractéristiques socio-culturelles du système agraire : Un village relocalisé pluriethnique. p.48.

3.1. Départs et arrivées : Une nouvelle situation.

3.2. Les villages d'origines : Hongleuc; Mmoc Pèc.

3.3. Rester à Bouamphanh.

3.4. La piste.

3.5. L'installation à Bouamphanh et au bord de la piste.

3.6. Localisation sociale au village.

3.7. Les langues. p .55.

3.8. La religion.

3.9. Les tabous alimentaires.

3.10. Les mariages.

3.11. L'école.

3.12. L'organisation familiale.

3.13. Le temps : Fonctionnement du calendrier khamou. p.62.

3.14. Les marchés.

3.15. L'organisation du travail : Affaiblissement de l'entraide. p.65.

4. Les caractéristiques techniques du système agraire : p.67.

4.1. Les ressources :

4.1.1. La forêt.

4.1.2. Le riz et le maïs.

4.1.2.1. Les espèces de riz glutineux.

4.1.2.2. Le maïs.

4.2. Les outils : p.72.

4.2.1. Le calendrier agricole.

4.2.2. La météorologie.

4.2.3. Les ustensiles.

4.3 . L'itinéraire technique : p.76.

4.3.1. Le choix des parcelles : Appréciation de leurs qualités.

4.3.2. Technique de coupe.

4.3.3. Le séchage.

4.3.4. Technique de brûlis.

4.3.5. L'éclaircissage du brûlis ou le débardage.

4.3.6. Attendre entre le débardage et le semi.

4.3.7. Protéger les cultures.

4.3.8. Les semis.

4.3.9. Le semi de maïs en saison des pluies sur souan.

4.3.10. Le semi de riz irrigué.

4.3.11. Le sarclage d'après semis.

4.3.12. Les récoltes.

4.3.13. La friche.

4.4. Les difficultés des travaux. p.91.

5. Synthèse. p.94.

6. Propositions. p.96.

Contexte du questionnement de l'étude :

Depuis 1995 et la Convention sur la Diversité biologique1, les savoirs naturalistes locaux sont devenus quasiment indispensables pour conserver la biodiversité.

La conférence de Jakarta permis grâce à la promulgation de l'article 8j de valoriser << le respect, la préservation et le maintien des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent un mode de vie traditionnel >>2.

De plus en plus de scientifiques et d'acteurs du développement local voient une somme d'informations inédites, pertinentes et précises sur les milieux naturels et la biodiversité qui placent ces << populations locales et autochtones >> sur un plan d'égalité avec les savoirs scientifiques. Ils y voient aussi un remède pour lutter contre les évolutions environnementales négatives actuelles. Ces savoirs naturalistes locaux sont perçus comme des instruments efficaces durables qui ont fait leurs preuves en ayant conserver leur environnement naturel jusqu'à nos jours.

Il s'agit donc désormais de reconnaître, sauvegarder, valoriser et diffuser ces savoirs face à la mondialisation3 .

Des manques sont pourtant regrettables. L'inexistence d'outils institutionnels et juridiques adaptés et éprouvés permettant de consolider les droits des populations à travers des législations d'accès et des contrats d'utilisation des ressources ajoutés aux absences d'études de cas nombreuses sur les savoirs naturalistes locaux, ne permettent pas de comparer, d'évaluer et d'instaurer des cadres de références internationaux.

Les paysans pratiquant l'agriculture d'abattis-brûlis composent pourtant une grande partie des agriculteurs de la planète et jouent un rôle prépondérant dans le rapport d'équilibre entre l'homme et la nature. Ces paysans seraient de par le monde, entre 37 millions et 1 milliard selon les différentes sources4. En Asie du Sud-Est, la pratique de l'abattis brûlis s'étendrait sur environ 8 millions d'hectares5.

Faute d'informations scientifiques claires sur les différentes raisons qui déséquilibrent l'écologie dans les régions où s'exerce l'abattis-brûlis, les paysans sont confrontés aux décisions politiques locales qui ne tiennent pas forcément compte de leurs savoirs et savoir-faire locaux ni des rapports scientifiques.

Devant la complexité des types d'agricultures d'abattis-brûlis dans le monde6, devant l'absence

1 CDB ou CBD en anglais.

2 UNEPCBD/941.

3 Décision IV/10 de la CDB de Bratislava.

4 Lanly 1985b et Brady 1996 : 300 à 500 millions ; Giller et Palm 2004 avec Sanchez et al. 2005 : 37 millions ; Thrupp et al. 1997 : 1 milliard.

5 Piper 1993.

6 Watters 1960 : 65 et Ruthenberg 1976 : 29-36 en dénombrent 8. Spencer 1966 : 204-212 en dénombre 28. Kunstadter et Chapman 1978 : 7 en dénombre 3. Sanchez 2005 n'en voit que 2. Toutes ces catégories sont définies à partir de critères qui varient selon les auteurs : selon l'assolement réglé ou dispersé, la permanence ou non des villages, les techniques de semis, d'écobuages, des techniques sans brûlis, pionnière ou en rotation, sur friche arborée ou sur savane avec déracinements ou pas, des cultures principales ou complémentaires, les temps de mise en culture et en friche, les différents cultivars, les différentes activités en associations (élevage, pisciculture...), les différents outils utilisés...

de voix de la part des paysans appartenant généralement aux minorités ethniques nationales, il était donc relativement normal de tenter de renforcer, par ce travail, les connaissances qui font défaut dans le cadre du débat sur la responsabilité de l'agriculture d'abattis-brûlis dans la déforestation que connaissent les pays équatoriaux et sub-équatoriaux.

Le choix de l'étude s'est porté sur une localité montagnarde du Nord-Laos qui est touchée par les décisions non-scientifiques mais politiques de déplacer les populations et d'allouer des terres dans le but affiché d'éradiquer l'agriculture d'abattis-brûlis.

Méthodologie :

Une étude ethnographique qualitative intégrant des études statistiques fut réalisée par entretiens dirigés et ouverts avec l'aide de deux traducteurs, ainsi que par l'observation participante durant un séjour de 3 mois effectifs au sein du village de Bouamphanh habité majoritairement par le groupe ethnique Khamou, dans le district de Khoua au sud de la Province de Phongsaly.

Cinq familles clefs ont été préalablement sélectionné pour participer à cette étude (les familles du chef du village, du chamane et 3 familles aux conditions de vies différentes : la famille de Monsieur Paeng, de Monsieur Thon et d'un jeune marié). Elles illustrent cinq statuts sociaux et économiques distincts ajoutées aux différents villageois qui ont bien voulu répondre à certaines questions, afin d'avoir une panoplie assez large de situations familiales dans nos analyses.

Sachant que les travaux reposent tous sur des << situations très locales, valables à un instant donné pour une zone donnée et qu'ils sont donc difficilement comparables et généralisables »7, les entretiens ont tenté de faire ressortir les différentes conditions de vies familiales d'un même village, les méthodes et connaissances communes ou singulières pour juger des qualités des travaux, des terrains à exploiter, leurs rapports aux autorités et aux groupes ethniques voisins, afin de pouvoir mieux appréhender les facteurs agissants sur le bon déroulement des activités productives villageoises et sur l'équilibre du milieu naturel villageois.

L'étude s'est donc précisément intéressée aux systèmes de productions agricoles familiaux dans leurs environnements respectifs.

Les questions des entretiens dirigés portèrent sur (voir en annexes) : - Les origines familiales.

- Les ressources familiales.

- Les systèmes agraires8 familiaux.

- Les savoirs naturalistes locaux.

Les réponses des familles permettent de fonder des critères de qualité des parcelles et des travaux de connaître les indices qui font défaut aux familles pour avoir de bonnes récoltes sans intrants, signe d'une fertilité des parcelles et donc d'un équilibre écosytémique. Ces réponses illustrent les << bonnes manières » de pratiquer le type d'agriculture d'abattis brûlis pour chaque

7 O. Ducourtieux 2006 : 64.

8 << Un mode d'exploitation du milieu historiquement constitué, un système de force de production adapté aux conditions bioclimatiques d'un espace donné et répondant aux conditions et besoins sociaux du moment ». Mazoyer 1987.

famille. Elles font comprendre les raisons d'agir différemment de leurs voisins. Elles expliquent aussi quelles sont les manières de faire communément admises pour chaque situation. Les réponses apportent à la fois des singularités et des points communs entre les différentes familles interrogées. Ce qui est tenter ici est la démonstration qu'on ne peut pas généraliser les conséquences d'une agriculture sur l'état des forêts nationales mais qu'il faut comprendre les différents critères qui malmènent l'équilibre de chaque écosystème local puis adapter chaque type d'agriculture à chaque situation locale. Les travaux sur l'agriculture d'abattis-brûlis impliquent des approches multidisciplinaires, une équation de phénomènes différents pour comprendre les interactions dynamiques qui ont lieux.

Les systèmes agraires du Nord-Laos sont loin d'être simplement des techniques de productions alimentaires. Elles forment un système complexe qui englobe techniques, usage de l'espace, relation entre voisins, entre paysans et autorités. C'est un système d'adaptation aux changements de contextes économique, sociaux, écologiques, juridiques et politiques.

L'analyse pourrait ensuite servir de diagnostic en identifiant et les éléments de toute nature qui conditionnent le plus l'évolution des systèmes de production agraires afin de comprendre comment ils interfèrent sur les transformations de l'agriculture.

Les réponses adaptées ne manquent plus, pas plus que les fonds et les acteurs de l'aide internationale. Si l'amélioration des conditions de vie des paysans et l'arrêt des déforestations massives sont des causes nationales, le cas par cas devrait y répondre tout en garantissant le maintient des « cultures nationales ».

Les limites :

Cette étude comporte comme il se doit des limites qui peuvent relativiser les résultats du terrain d'enquête mais aussi contribuer à l'espoir d'une voie d'étude prometteuse pour l'avenir.

La première difficulté rencontrée, et non des moindre, fut celle de la langue. Ne connaissant que succinctement les langues thaï et lao, je dû apprendre seul sur place et à l'aide d'amis nombreux.

Un carnet de note de vocabulaire sur lequel j'écrivais quotidiennement de nouveaux termes, des lexiques et des dictionnaires français-lao m'ont été indispensables pour réussir à vivre ces trois mois au village et les 5 mois au Laos.

La seconde difficulté fut de devoir me fournir en accréditations gouvernementales sans quoi il n'est pas possible d'enquêter au Laos. L'administration laotienne, comme pratiquement toutes les administrations internationales, demandent beaucoup de garanties et est donc longue à rendre ses décisions. Cependant, elle est composée d'hommes et de femmes particulièrement dévoués aux activités d'ouvertures scientifiques et culturelles de leur pays. Sans eux, cette étude n'aurait jamais pu voir le jour.

La dernière limite à ce travail est le manque de financements. Il a été indispensable de gérer avec précaution le budget acquis avec les salaires intérimaires français de l'année précédente.

La rencontre avec les villageois de Bouamphanh se fit en deux temps. Je vins la première fois avec un ami lao qui me présenta pour que je puisse revenir quelques jours plus tard. La prise de contact fut une réussite et le chef du village accompagné des institutrices de l'école demandèrent à ce que je puisse enseigner l'anglais durant mon séjour au village. Cette demande

préfigurait l'arrangement pour être hébergé et nourri en compagnie d'un jeune instituteur khamou vivant avec les élèves akha de « l'internat ». Il fut par la suite bien évident que j'offre des biens de consommation aux élèves, à l'instituteur et aux familles qui m'offraient des repas, pour participer aux dépenses.

Cette aide commença, après un mois, à attiser les convoitises. Des voisins «laissés pour compte » demandèrent que je vienne manger chez eux. Puis, devant mes quelques refus, des rumeurs circulèrent disant que j'avais beaucoup d'argent, que je souhaitais en faire profiter tout le voisinage et qu'un villageois en profitait plus que les autres.

Les familles avec qui j'avais le plus de contacts sentirent un vent de jalousie monter et me le firent savoir. Je dus ne plus sortir d'argent, ne plus offrir de nourritures devant tout le monde durant quelques semaines et je me mis à partager beaucoup plus souvent mes repas avec les enfants du dortoir et leur jeune professeur.

L'arrivée de la police quelques jours plus tard, c'est à dire approximativement un mois et demi après mon arrivée, confirma les dires. Certains villageois, peut être par opportunisme, s'empressèrent de me faire savoir que « si je devais partir, je pourrai revenir, sans problèmes. Les responsables politiques et les policiers sont différents » d'eux. Tout se passa heureusement dans les règles. Mon autorisation des ministères de l'Information communication et des Affaires étrangères passa de main en main puis je pu continuer à vivre tranquillement. Les rumeurs s'étaient calmées.

Mais comment ne pas attiser les doutes des villageois en venant vivre 3 mois chez eux, en s'entretenant avec seulement certains villageois, dans la confidentialité, de sujets parfois intimes ? Même prévue, mon arrivée et ma vie avec les paysans remua forcément des questions, des craintes, des doutes. La confiance se construit avec l'entraide, le dévouement, l'humour, le partage, la patience.

1. L'environnement écologique, socio-économique et juridico-politique du système agraire :

1.1. Introduction à l'environnement écologique :

1.1.1. Situation géographique de la zone d'étude : Le Laos :

Enclavé au coeur de la péninsule indochinoise, la République démocratique populaire Lao (R.P.D.L.) est le seul pays de la péninsule à ne pas avoir accès à la mer.

Le pays s'étend entre le Mékong, qui coule du nord-ouest au Sud-est, et la cordillère annamitique au Nord et à l'Est.

Sur plus de 1700 km entre le 14° et le 22°30 de latitude Nord, sa superficie totale est de 238 071 km2, ce qui en fait un territoire à l'étendue comparable à la Grande Bretagne et le second plus petit pays de la péninsule après le Cambodge (181 000 km2).

Le Laos partage 505 km de frontières avec la Chine, 435 km avec le Cambodge, 2069 km avec le Viêt-nam, 236 km avec le Myanmar et 1835 km avec la Thaïlande.

La province de Phongsaly :

Situé entre le 21e et le 22e parallèle Nord, la province de Phongsaly est la plus septentrionale des provinces laotiennes.

Sa superficie est d'environ 16.270 km2, ce qui représente 7 % de la surface du pays. Elle borde la Chine au Nord et à l'Ouest et le Viêt-Nam à l'Est.

Le district de Khoua :

Le district de Khoua est situé au Sud de la province et s'étend sur 1.499 km2. Il compte parmi les 7 districts de la province. Il est bordé au Sud par les Provinces d'Oudom Xay et de Luang Phabang, à l'Ouest par le district de Boun Taï, au Nord par celui de Samphanh et au Nord-Est par celui de May.

Le village de Bouamphanh :

Le village de Bouamphanh étendue sur 2850 ha dans le district de Khoua se situe au sud de la province de Phongsali. La nationale 1B carrossable traverse le village du nord au sud rejoignant Phongsaly à Sin Xay petit village, carrefour d'une route bitumé allant de Khoua à Oudom Xay.

Le village s'est toujours appelé Bouamphanh9, du nom de la première famille qui vécue près de la rivière, dans le creux du vallon, près de l'école actuelle. Le chamane du village, Monsieur Mao, appartient normalement à la lignée fondatrice du village.

Le village, comme son nom l'indique, est donc installé dans le fond d'un vallon orienté nordsud. Depuis 1995, de nombreux foyers ont dû se construire sur les versants par manque de place dans le vallon.

Dans le fond du vallon coule une rivière appelée Nam Noy qui se jète plus loin dans la Nam Ou.

A l'Est de Bouamphanh se trouve le village de Hongleuk10, à l'Ouest celui de Nam Ma Tay11, au Nord Piche-Mai et Piche-cao12 et au Sud cocprao13.

Il y aurait environ 6 entrées du village : à pied par la Nam noy14 et ses affluents (Houai Xang Gnay, Houai Xang Noy et Houai Kha Nga)15 ainsi que par la piste arrivant du Sud et du Nord. La Nam noy est un affluent de la Nam Ou, second court d'eau du Laos, qui coule dans les provinces de Phongsaly et de Luang Phabang sur 448 km avant de se jeter dans le Mékong.

1.1.2. Météorologie du Laos et de la province de Phongsaly16 :

9 << Le petit vallon cultivé de Monsieur Phanh >>.

10 << La cuvette >> en langue akha.

11 Traduction non enregistrée.

12<< kapokier nouveau >> et << kapokier ancien >> en langue khamou ou.

13<< jujubier >> en langue khamou ou.

14 << petite rivière >> en langue khamou ou.

15 Traductions non enregistrées.

16 Source provinciales obtenues à la station météorologique de la ville de Phongsaly.

Le laos est soumis à un climat tropical marqué par le régime de moussons.

Situé à l'extrême nord du Laos, la province de Phongsaly s'écarte des normes tropicales, ce qui amène certains géographes à considérer cette région comme subtropicale.

La pluviométrie :

La quantité moyenne de précipitation au Laos est de 1560 mm de pluies par an.

Dans le district de Khoua où se situe le village de Bouamphanh, 757 mm d'eaux pluviales sont tombées durant l'année 2005. Le minimum de 0 mm d'eau est tombé en février, au plus fort de la saison sèche alors que le maximum de 205,7 mm est tombé en juillet durant la saison des pluies..

La moyenne pluviométrique mensuelle du district durant l'année 2005 est de 63,1 mm.

Dans le district de Boun Taï, au nord-est du district de Khoua, la moyenne pluviométrique est de 75,4 mm et 904,3 mm d'eaux pluviales sont tombées dans l'année 2005, 147 mm de plus qu'à Khoua. Les mois où il n'y a eu aucune pluie sont les mois de janvier et février et le mois où il est tombé le plus d'eaux est le mois de juin avec 257,8 mm.

Au district de May, toujours plus au nord, 1392,4 mm sont tombés en 2005 et la moyenne était de 116 mm de pluies par mois.

Ainsi les districts se situant plus au Nord, dans les montagnes, ont beaucoup plus de pluies que dans les plaines du sud. Malheureusement dans ces vallons étroits les habitants n'ont pas la place pour construire des rizières irriguées et leurs essarts se retrouvent submergés d'eaux, les sols devenant impraticables. L'isolement et la difficulté de travailler augmentent avec les pluies.

Une autre difficulté touchant les montagnards est la variabilité importante des pluies d'une année sur l'autre. Les paysans ne peuvent pas s'attendre avec garantie que chaque année donnera le même quota d'eaux pluviale aux mêmes périodes.

Cette année 2006 fut d'ailleurs l'illustration des variabilités climatiques et des incertitudes paysannes vis à vis de la météo. Les premiers orages arrivèrent effectivement à la même période qu'il était prévu par les villageois mais s'en suivi une longue période de sécheresse qui ne fit débuter la saison des pluies que vers le 20 juin et non à la fin mai comme les paysans l'espéraient.

L'écart type sur la quantité de précipitation annuelle est de 170 mm sur la courte période de 1991 à 1998.

L'année 1997 fut marquée par un début tardif de la saison des pluies, avec seulement 88 mm en juin contre 270 en moyenne à cette période.

L'année 1999 fut marquée par un début précoce de la saison des pluies avec 185 mm en avril contre 85 mm en moyenne à cette période.

Ces trois années (1997, 1999 et 2006) sont touchée par de mauvaises récolte de riz en essarts sur friche forestière.

L'ensoleillement et les températures :

En règle générale, la province de Phongsaly connaît une saison sèche plus fraîche que dans les régions situées plus au sud.

Dans le district de Phongsaly, il y aurait eu 1989 heures de soleil durant l'année 2005. Le minimum se situant au mois d'août avec 46,5 heures de soleil. Le maximum se situe au mois de mars avec 318,4 heures de soleil.

En moyenne, le district de Phongsaly a connu une température de 20,4°C avec un minimum de 3°C en janvier et un maximum de 32°C en juillet de l'année 2005.

Les données en rapport avec la force des vents dans tous les districts sont absentes. Nous savons pourtant aujourd'hui que les vents influencent les cultures. Les données en rapport avec les températures dans les districts de Khoua et Bountaï sont aussi inexistantes et il n'existe pas de données pour tous les districts. Nous nous contenterons donc des données du district de Phongsaly, en sachant pertinemment que les températures en altitude sont plus basses que dans les vallées et les vallons.

Cette absence de stations météorologiques dans les districts de Bountaï, Khoua et autres montrent combien les données du district de Phongsaly sont importantes. C'est d'abord le chef-lieu de la province, mais c'est aussi la ville où se trouve le bureau provincial du ministère de l'agriculture et des forêts, bâtiment voisin de 100 m de la station météorologique, ainsi que le projet franco-lao du P.D.D.P., voisin de 50 m, qui ne travaille pratiquement que dans ce district. Les stations météorologiques et leurs données, fondamentales pour qui voudrait analyser des situations environnementales et agir dans les domaines de l'agriculture et les forêts, ne sontelles pas influencées par la politique et ses projets humanitaires ?

1.1.3. Le relief de la zone d'étude :

Les températures et les précipitations de la zone d'étude sont tempérées par la basse altitude de la zone (entre 500 et 900 m d'altitude). Toutefois l'hygrométrie montre une teneur en humidité dans l'air plus importante dans les fonds de vallons de basses altitudes qu'en amont.

La pression interne des mouvements continentaux survenus au Jurassique (ère secondaire) a conduit la formation de failles. Cette pression a plissé les couches sédimentaires formant un système synclinal-anticlinal-synclinal d'ouest en est.

Les vallées ont très majoritairement un profil en « V » orienté nord-sud où il n'est pas possible de cultiver de grandes surfaces en rizières irriguées ou inondées. L'espace est trop réduit et occupé par la rivière, les plantations, la forêt-cimetière et des habitations sur quelques parties de l'espace.

1.1.4. Composition des sols :

La géologie de la zone est formé de l'accumulation et la compaction de sédiments continentaux
pendant des millions d'années conduisant à la formation de grès siliceux, argileux et d'une

roche mère schisteuse, parfois gréseuse sur les crêtes. Cette composition joue peu le rôle de réservoir d'eau.

Les sols, argilo-sableux à sablo-argileux, sont plutôt acides. Ils sont peu profonds et des blocs de roche mère apparaissent en surface.

Des études17 ont montré qu'une terre rouge basaltique profonde qui retient l'eau et la rend perméable est favorable à la forêt dense à système radiculaire profond. Si la terre est peu profonde, seule une formation herbacée peut s'accommoder de la pénurie en eau. L'insuffisance de la couverture végétale favorise alors le lessivage et prépare à l'installation de la savane.

1.1.5. Les types de végétation :

Sur ce type de sol, il est probable que la végétation climacique soit une forêt semisempervirente, composée d'espèces ligneuses sempervirentes mélangées avec des espèces caduques.

La forêt naturelle née sur les sommets où la roche mère gréseuse affleure est sans doute plus claire que dans les pentes : les strates herbacées s'y développe plus facilement.

En fonds de vallées s'est développé une forêt humide sempervirente que l'on retrouve aujourd'hui à de rares endroits difficilement accessibles. Dans ces endroits, faute de lumière, la strate herbacée est réduite à quelques fougères et monocotylédones18.

Selon certains ethnobotanistes dont J. E. Vidal, la savane à Impérata Cylindrica est le stade ultime de dégradation du milieu naturel19.

1.1.6. Les surfaces forestières du Laos :

Le Laos est le pays le plus boisé d'Asie du Sud-Est et l'un des plus riches en termes de biodiversité. Environ 10 millions d'hectares20 sont couverts par des forêts naturelles, dont trois millions d'hectares classées comme zones de biodiversité exceptionnelles (NBCA)

En 2003, les zones forestières21 représentaient 41 % du territoire contre 47 % en 1992 et 64 % au milieu des années soixante.

Les forêts ont donc vu leur superficies diminuer mais aussi se compartimenter. Les forêts de moins de 10 ha représentent 6,7 % du total aujourd'hui contre seulement 1 % en 1992. Les forêts de plus de 1000 ha sont passées de 88 % à 54 % de la surface totale durant les même période.

La richesse végétale et la valeur commerciale des forêt à considérablement diminué en une
décennie. Les agricultures d'abattis brûlis officiellement accusées de nuire aux forêts nationales

17 J-R. Laffort et R. Jouanneau, 1998.

18 Alocasia indica.

19 Paysages, végétaux et plantes de la Péninsule indochinoise par J. E. Vidal, 1997, Karthala.

20 O. Evrard, 2004 : 13.

21 Couvertures de la canopée d'au moins 20 % d'une zone minimale d'un demi-hectare avec une canopée ayant une hauteur minimale de 5 m.

ont trouvé un concurrent sérieux avec la coupe illégale organisée qui semble pour le moment à l'abris des réactions gouvernementales fortes.

1.1.7. Conclusion :

La zone d'étude fait partie d'une région sub-équatoriale d'altitude où le climat permet naturellement à la végétation d'être dense ou semi-dense. La forêt doit donc se renouveler rapidement en cas de défrichages. Les données climatiques et géologiques comme les températures, les durées d'ensoleillement, les pluies, la composition des sols, les latitudes sont favorables à un renouvellement de la végétation. Seuls la raideur des terrains et la composition des sols, très friables à certains endroits, entraînerait l'érosion superficielle et ralentiraient ainsi le renouvellement végétale. Pour autant, si l'érosion naturelle n'a pas lieu et que les activités agricoles n'en produisent pas22, la végétation redevient majoritairement arborée au bout de 4 à 5 années. Déjà après quelques mois, les premières essences ligneuses se développent.

Le climat permet bien au riz pluvial de se développer mais la marge de sécurité, la garantie de bonnes récoltes, sont très maigres par rapport aux aléas climatiques.

Seule l'expérience séculaire et les connaissances de la région par les paysans permettent d'adapter les pratiques agraires aux spécificités locales.

1.2. Introduction à l'environnement socio-économique :

1.2.1. La démographie23 :

Le Laos :

D'après les recensements de 1995, le nombre d'habitants au Laos était selon les sources laotiennes de 5.091.100 millions. Il serait passé en 2002 à 5,7 millions et en 2005 à 5,9 millions.

En 2002 la densité de population moyenne serait de 23 habitants au km2.

En 1995, il y aurait eu 2.575.000 millions de personnes de sexe féminin (50,58 % de la

population) et 2.516.100 millions de personnes de sexe masculin.

La population aurait été composée en 2002 à plus de 55 % de personnes de moins de 20 ans. La province de Phongsaly :

Il y aurait eu à Phongsaly 170.000 habitants dont 86.000 personnes de sexe féminin et 84.000 personnes de sexe masculin. Avec ce chiffre, la province de Phongsaly était la 3e province la moins peuplée après celles de Sékong, Attapeu et Xaysomboun.

La tendance depuis les statistiques de 1976 est à la progression démographique. En 1976, la province comptait 99.000 habitants, en 1980 elle en comptait 110.000, en 1985 124.000, en 1990 141.000, en 1995 153.000, en 1999 170.000 et en 2000 probablement 174.000 habitants.

22 Par une exploitation intensive des terres cultivées en versants qui se fragiliseraient.

23 Bureau des statistiques nationales laotiennes, Lao Census, Vientiane, octobre 2002.

La densité de population n'aurait pas dépassé 10 habitants par km2.

Le taux de fertilité était de 5,7 % en 1995.

Le taux de natalité était de 39 % la même année et le taux de mortalité de 11 % toujours la même année avec un taux de mortalité par maladie de 2,9 % et un taux de mortalité infantile de 94 %.

44,1 % de la population aurait eu entre 0 et 14 ans, 55 % de la population entre 0 et 19 ans, 45 % entre 20 et 75 ans et 2,2 % de la population aurait eu plus de 70 ans.

Le nombre d'actifs aurait donc été de 43,8 %, de la population soit 2.220.547 personnes actives. (les statistiques laotiennes éliminant les personnes de plus de 70 ans et de moins de 20 ans).

Il y aurait eu 79.380 personnes actives sur 153.000 habitants cette même année 1995 dans la province de Phongsaly, c'est à dire environ 52 % de la population.

Le district de Khoua :

Au district de Khoua, il y aurait eu en 1995, 28 244 habitants et une densité de population atteignant 18 habitants au km2. Il est le district le plus peuplé et le densément peuplé de la province dépassant largement les districts voisins qui stagnent à 15, 13, 9 et 7 hab./km2. Il est donc un district considéré comme attractif par les populations locales. Il possède le même chiffre que la médiane nationale (plus révélatrice de la situation démographique que ne l'est la moyenne). Le district de Khoua dépasse aussi la densité nationale médiane puisqu'elle est de 17 hab./km2.

Le village :

Plusieurs données en rapport avec la démographie, le nombre d'actifs, les surfaces totale et cultivées du finage ont été enregistré lors des enquêtes menées en 2001 par les autorités ainsi que par l'entretient avec le chef du village en 2006, mais aucune garantie statistique ne peuvent confirmer les dires du chef du village. Ces informations, pourtant indispensables pour juger de la pression foncière et du degré de saturation des ressources foncières, doivent donc être relativiser au regard des conclusions démographiques et économique provinciales et nationales.

Le village de Bouamphanh comptabilisait en 2001, 74 familles et 405 habitants dont 207 femmes référencées dans les statistiques (51,11 % de la population). Les chiffres auraient évolué en 2006 jusqu'à 542 habitants dont 279 femmes (51,47 % de la population) réparties dans 92 familles et 89 foyers. La moyenne par foyer serait approximativement de 6 membres.

Il y aurait environ 6 à 10 nouveau-nés en moyenne par an et approximativement 2 décès par an. L'âge moyen des villageois serait d'environ 20 ans étant donné un nombre important d'enfants de moins de 20 ans et une moyenne d'espérance de vie ne dépassant pas 65 ans.

Il y aurait en 2006, environ 150 villageois inactifs sur 542 habitants24 cultivant sur la moitié des 2850 ha que compte le finage.

La densité de la population est de 19 hab./ km225 et il y aurait environ 5 ha / habitant26.

Etant donnés les résultats des pressions démographiques (19 hab./km2) comparés avec ceux de la province, du district et des limites tolérables pour ne pas être en surpression démographique27, le village de Bouamphanh semble avoir pratiquement atteint la limite d'une pression démographique trop importante pour l'étendue de son finage.

L'éloignement des champs, la diminution du rendement par accélération de la durée de rotation des parcelles cultivées28, l'épuisement des ressources de la collecte29 (pêche, chasse, pousses de bambou, cardamome...) se font sentir. Le village de Bouamphanh semble être l'illustration d'un développement mal organisé qui ne prend pas en compte l'évolution des pressions démographiques.

1.2.2. Les groupes ethniques de la province :

Les groupes ethniques les plus présents dans la province de Phongsaly sont les Phounoy, les Akha, les Ho et les Khamou.

Les Khamou sont essentiellement installés dans le Sud de la province, ainsi que dans les provinces de Luang Phabang, Oudom Xay, Luang Namtha et les provinces du Sud du pays. Premiers occupants du pays, ils ont été chassé dans les montagnes par les thaïs-lao venus pour agrandir leur royaume dans les plaines rizicoles. Les Khamou se sont donc essentiellement installés sur les versants montagneux, laissant les crêtes disponibles pour les groupes ethniques Tibéto-Birmans qui arriveront avec les flux migratoires suivants.

Le district :

Le district de Khoua compte 6 ethnies plus ou moins réparties dans 112 villages et 12 ket30. Dans ce canton, Bouamphanh en est le chef-lieu et on y dénombre 12 villages.

Il existe toujours une cohésion ethnique dans chaque village de la province. Au village de Mok Kouang habitent les Khamou, à Pouly habitent les Ko et à Nam Ma Neua et Nam Ma Taï habitent les Taï dam.

Les groupes ethniques du village :

Le village compte actuellement 542 habitants appartenant à 92 familles dont 84 familles
khamou ou réparties dans 6 clans. Le groupe ethnique Khamou est donc majoritaire au village

24 Actifs : personnes de plus de 15 ans et de moins 70 ans selon les statistiques officielles.

25 542 hab./ 28,50 km2 = 19 hab. / km2.

26 28,50 km2 / 542 hab. = 0,05 km2 / hab.

27 20 hab./km2 selon M. Dufumier, 1996 : 195-208.

28 Qui est actuellement de 4 ans en moyenne alors qu'elle était de 10 à 15 dans les villages d'origines.

29 5 ha par habitant reste un chiffre faible car il prend en compte les surfaces habité, cultivé et de collecte. Il illustre le peu de ressource accessible par chaque habitant.

30 « Canton administratif » en langue lao.

de Bouamphanh. Les autres groupes ethniques sont représentés par 2 familles phounoy, 4 familles akha, une famille pala et une famille taï dam-taï deng.

Cette cohabitation ethnique se retrouve dans à peu près tous les villages du district. L'entraide villageoise, l'esprit d'appartenance au même village, permettent parfois de dépasser les clivages et ainsi l'appartenance ethnique hermétique, tant mise en avant par les Lao et les étrangers pour expliquer les singularités locales, disparaît au profit d'une amitié et d'une coopération sincère entre voisins. Les villageois se prêtent volontiers leur matériel, se rendent facilement des services, ne faisant pas de sélection ethnique avant d'aider. Il s'agit de rapports villageois avant tout, de rapports relativement désintéressés par l'appartenance ethnique. C'est ainsi que l'on retrouve des couples mariés appartenant à des groupes ethniques différents et des individus portant différents costumes ethniques sous un même toit durant les cérémonies annuelles. Ils boivent tous à la même jarre, participent tous aux même mariages, cérémonies des naissances et des décès, des nouvelles habitations et aux même repas de chasses. Ils participent aux mêmes réunions villageoises pour préparer les élections. Tous se sentent concernés à différents degrés par les évènements de leur village.

Pourtant des zones d'ombres persistent. Avec les déplacements forcés ou non des populations, cette cohésion pourrait s'affaiblir au profit d'une mosaïque ethnique villageoise qui n'est pas pour plaire à tout le monde. Les nouveaux arrivants doivent cultiver les terres restantes que bien souvent personne ne veut, se situant loin des foyers et n'étant pas connues pour leur fertilité. Des tensions sont palpables mais l'union officielle est toujours mise en avant.

1.2.3. Économie : Un pays sous développé :

En 1999, l'agriculture rapportait au Laos (pour les résidents de plus d'un an au Laos), la somme de 556.199.000.000 kips par an (environ 55.620.000 dollars)31. Les produits de la forêt rapportaient 52.582.000.000 kips, l'élevage rapportait 197.498.000.000 kips et les plantations de bois commerciaux 306.119.000.000 kips.

Les prix ont eu tendance à augmenter depuis 1995 mais malgré tout, trop sensiblement.

En 1995, l'agriculture rapportait 453.684.000.000 kips, les produits de la forêt 216.031.000.000 kips, l'élevage 178.961.000.000 kips et les plantations 216.031.000.000 kips.

En 1997, l'agriculture rapportait alors 498.683.000.000 kips, les produits forestiers 56.939.000.000 kips, l'élevage 188.325.000.000 kips et les plantations 253.419.000.000 kips.

En 1999, les ressources forestières représentent 34 % des recettes de l'Etat et atteignent 50 % certaines années. Près de 80 % de laotiens utilisent quotidiennement des produits forestiers pour leurs subsistances.

Les produits forestiers non-ligneux32 comme la cardamome, le rotin, les résines, le miel, les champignons, pousses de bambou, poissons, légumes, représentent quant à eux 55% du revenu des villageois33.

31 1 dollar = 10.000 kips.

32 NTFP : Non Timber Forest Products.

33 UNDP, 2001 : 78.

Les paysans qui représentent 85 % de la population rapportent plus de la moitié du PIB national.

Le PIB laotien serait en 2002 de 370 dollars par habitant avec une croissance de 2,1 % par an34. Les prix d'achats moyens nationaux en kips (monnaie laotienne) :

 

1996

1999

1 kg de riz collant

338

1.535

1 kg de riz normal

434

2.521

1 L d'essence

525

1.807

1 kg de tabac

2.052

10.275

1 kg de porc

2.152

13.699

1 poulet

1.938

12.857

Les investissements au Laos

Ils rapportèrent entre 1999 et 2000 1.463.000.000.000 kips.

Les investissements les plus importants furent dans les domaines de la communication avec 948.000.000.000 kips, de la santé avec 109.000.000.000 kips et de l'agriculture avec 103.000.000.000 kips.

Le total des investissements pour l'année 1994-1995 furent de 182.000.000..000 kips et de 590.000.000.000 kips pour l'année 1997-1998.

Les investissements étrangers entre 1994 et 1995 atteignirent 145.000.000.000 kips et 436.000.000 .000 kips entre 1997 et 1998.

Les investissements nationaux atteignirent 37.000.000.000 kips entre 1994 et 1995 et 154.000.000.000 kips entre 1997 et 1998.

Les investissements étrangers se portèrent plus volontiers dans les domaines de la communication durant les années 1994-1995, 1997-1998 et 1999-2000.

Les investissements locaux se reportèrent dans la communication pour l'année 1994-1995, l'agriculture pour l'année 1997-1998 et de nouveau sur la communication entre 1999 et 2000.

L'industrie du bois a pratiquement cessé toutes ses activités depuis 1999 et la chute des investissements accompagnés de l'absence de projets dans ce domaine.

Le Laos est désigné comme un Etat éponge sur lequel coule l'aide internationale à haut débit puisque plus de 250 millions de dollars lui sont versés chaque année depuis 1990, ce qui représente 20 % du PIB et 50 dollars par habitant par an, montant le plus élevé de l'Asie du Sud-Est35.

Le nombre de projet en faveur de l'agriculture et des forêts passa du nombre de 3 en 1990 avec 435.000 dollars investis à 10 en 1997 avec 4.333.000 dollars investis à 12 projets en 2000 avec 87.859.000 dollars investis.

34 Lao People D.R.Papper, ministère du transport laotien, 2002.

35 Banque Mondiale, Lao Logistics Development and Trade Facilitations in Lao P.D.R., working paper, 2002.

Les ventes nationales en 1995 :

85,5 % pour les produits de l'agriculture et la pêche. 4 % pour le tertiaire.

2,9 % pour les techniques et associations professionnelles. 2,6 % pour l'artisanat.

Les productions laotiennes36:

Les récoltes culturales (milliers par ha) en 2000 :

 

Produits manufacturés (tabac, coton, café, thé, canne à sucre...)

71.600

Riz

690.000

Riz pluvial

500.000

Riz en rizière irriguée

110.000

Riz de montagne

80.000

Maïs

10.000

Racines (pommes de terres...)

8.000

Légumes

40.000

Céréales

708.000

Les semences (milliers par ha) en 2000 :

 

Produits manufacturés

246,9

Riz

2.230

Riz pluvial

1635

Riz irrigué

465

Riz de montagne

130

Maïs

23,6

Racines (pommes de terres...)

51,9

Légumes

255,9

Céréales

2.305.500

Productions de la province de Phongsaly en 2000 :

 

Hectares

Tonnes

Moyenne de la province

moyenne du pays

Riz pluvial

7.000

22.500

 
 

Riz irrigué

200

500

 
 

Riz de montagne

9.000

14.400

 
 

Maïs

4.421

10.206

2.310 tonnes par ha

3.360 tonnes /ha

Racines

200

1.204

6.020 tonnes /ha

6.180 tonnes /ha

Légumes

350

1.106

3.160 tonnes / ha

5.750 tonnes /ha

Phongsaly est la 3e province la plus pauvre au Laos en terme de production (hectares et tonnes)

36 MAF, 2000.

de riz pluvial.

Elle est la plus démunie du Laos en terme de production (hectares et tonnes) de riz irrigué. L'importation de riz dans la province de Phongsaly : 45.000 tonnes en 1976, 26.731 tonnes en 1996 et 4.707 tonnes en 1999.

Consommation des habitants de la province de Phongsaly en 1997-1998 :

Pour une valeur de 64.222 kips par an, voici les consommations des produits originaires de leur province par les habitants de la province de Phongsaly :

Riz

20.8 %

Sésame

0,1

%

Viande

2.9

%

Poisson

5.2

%

Fruits

0,2

%

Légumes

3.3

%

Total

32,5 % des consommations de la province proviennent de la province.

Consommation de riz en gramme par jour selon l'âge pour l'année 1997-1998 dans la province de Phongsaly :

De 0 à 4 ans

299 g

De 15 à 19 ans

597 g

Plus de 50 ans

634 g

Si les indices de l'économie semble se redresser depuis quelques années et montrent un pays autosuffisant depuis 2000, il ne faut tout de même pas négliger la 135e place mondiale sur 175 en matière de développement humain37 et sa catégorisation dans les Pays les moins avancés (PMA) du monde. Le Laos a de nombreux symptômes du sous développement : Forte croissance démographique, un niveau sanitaire médiocre, des infrastructures économiques et sociales très réduites, un secteur agricole38 vitale pour le pays.

De plus, les indicateurs statistiques produis par le gouvernement laotien sont très peu fiables. La collecte statistique laisse à désirer et elle ne prend pas en compte la perméabilité des frontières, l'incidence de grands projets hydroélectriques qui masquent les flux réels d'importations et d'exportations, les quantités de bois illégalement coupées. Il faut savoir manier les statistiques laotiennes avec précaution39.

La comparaison économique et sociale est assez éloquente entre les données nationales,
provinciales et celles du district de la zone d'étude qui suivent. Elles montrent toutes les points
forts agricoles et les points faibles industriels et tertiaires. Les données illustrent aussi les

37 Le développement humain inclus : l'espérance de vie à la naissance, le taux d'alphabétisation des plus de 15 ans : 65 % en 2001 selon PNUD 2003, le taux brut de scolarisation combiné de la primaire au supérieur et le PIB/ habitant. Source : Rapport mondial sur le développement humain 2003, Economica.

38 Sylviculture, élevage, pêche, plantations, pisciculture, cueillette, agricultures.

39 Pholsena et Banomyong, 2004.

importantes sommes d'argents qui transitent dans l'économie nationale sans que la majorité des laotiens ne puissent en profiter. Cette situation n'est pas sans rappeler la majorité des pays du Sud qui manquent essentiellement de personnes sachant manier des gestions équitables et une meilleure répartition des richesses.

1.2.3.1. La situation économique du village40 :

Ce sous chapitre n'est pas le lieux d'exposition des raisons de la situation économique de Bouamphanh mais uniquement un portrait économique du village accompagné de critiques à l'égard de la construction statistique.

Les chiffres ont été calculés sur les bases d'un accès à la nourriture avec un minimum fixé a 16 kg de riz par mois par famille41 ; d'une possession de vêtements non abîmés ou neufs ; d'une salubrité de l'habitation ; d'un accès aux soins et d'un accès à l'éducation pour les enfants. Si les familles manquent d'un de ces éléments de référence, elles sont désignées comme étant «pauvres ». C'est pourquoi l'addition du nombre de familles manquant de riz, de vêtements, d'habitations salubres, de soins et d'accès à l'éducation aboutit à la somme des familles pauvres dans chaque village.

1.2.3.1.1. Les statistiques :

En 2001, les statistiques comptabilisaient 11 familles possédant moins de 16 kilogrammes de riz par mois par famille, 2 familles manquant de vêtements,10 familles manquant d'habitations salubres, 3 familles manquant de soins et 7 familles manquant d'accès à l'éducation. 33 familles étaient donc considérées par les autorités comme étant pauvres.

Le village de Bouamphanh est à la septième place des villages les plus pauvres du district avec 33 familles dites «pauvres » car manquant soit de riz, de vêtement, d'une habitation salubre, de soins ou d'accès à l'éducation.

Malgré ce rang, les 33 familles ne représentaient que 13 % de la population du village en 2001, ce qui laisse à penser que les conditions de vie au village de Bouamphanh sont majoritairement au dessus des limites fixées pour considérer les villageois en crise humanitaire.

Aujourd'hui, il semble que les conditions de vie ne se soient pas améliorées, mais aucune statistiques prenant en compte le village entier n'a pu être réalisé depuis 2001.

Selon les autorités, le village de Bouamphanh comptabiliserait 74 porcs (0,8 porc par famille en moyenne42), 70 boeufs, 60 buffles, 161 volailles (1,75 poule par famille en moyenne43) et 7 chèvres. Ces chiffres sont le reflet d'une volonté politique de développer ce chef lieu du canton numéro sept. Tous ces animaux ne sont pas l'héritage des générations précédentes mais un don d'une ONG américaine (Quaker) venue après demande du gouvernement laotien pour rendre

40 Sources du bureau au plan et à l'investissement de Phongsaly : Données sur la pauvreté dans le district de Khoua, 2001/2002.

41 Limite officielle pour être considéré en déficit alimentaire.

42 74 porcs / 92 familles = 0,8 porcs par famille.

43 161 poules / 92 familles = 1,75 poule par famille.

attractif ce village de bord de piste. Malgré ces dons les villageois ne possèdent pas autant d'animaux d'élevage que la moyenne provinciale qui comptabiliserait 7 porcs et 9 poules par famille.

La situation économique de Bouamphanh reste donc aléatoire, voire à la limite de la crise alimentaire. La consommation moyenne villageoise de riz serait de 300 à 700 g par jour et par personne. Elle reste au dessus des limites fixées pour être considéré « pauvre »44 (bien que ces limites soient très basses). Cependant elle ne dépassent pas la moyenne de consommation de riz de la province45, ce qui peut expliquer le septième rang du village dans l'échelle de pauvreté de 2001 et qui pourrait encore aujourd'hui laissé penser à une situation très délicate pour les ressources alimentaires villageoises.

1.2.3.1.2. La ville comme modèle ? Deux analyses :

Malgré un effort du gouvernement pour cerner statistiquement les problèmes économiques et sociaux de sa population, nous pouvons nous demander si ces chiffres correspondent bien à la situation locale comme il est courant de faire à chaque fois que des statistiques sont publiées dans le monde.

Selon le tableau statistique, les villes de Khoua et de Natoun n'auraient aucun habitant pauvre, aucun manque. Les 11 villes du district auraient proportionnellement moins de familles pauvres que dans les villages. Les villes seraient donc, selon les statistiques, moins pauvres que les villages. Leurs habitants auraient plus d'accès aux éléments de bases. Les villes seraient donc des exemples de réussites alors que les villages seraient des illustrations d'une vie faite de manques, une vie de pauvreté.

Après plusieurs entretiens dans le village de Bouamphanh, une autre analyse s'était pourtant révélée différente. Les paysans déclaraient la vie des familles parentes et amies plus difficile en ville, à Muang Khoua, que chez eux, par manque de rizières irriguées, d'essarts accessibles et par trop de pression foncière.

Il semble d'ailleurs que la ville de Khoua se soit désormais tournée vers le tourisme et non l'agriculture. Malheureusement, les touristes affluent selon la saison entre octobre et mai, après la saison des pluies. Contrairement aux statistiques, on retrouve en ville beaucoup plus d'alcooliques, de drogués et de mendiants, de violences que dans les villages. La dépendance avec l'extérieur est beaucoup plus marquée. Est-ce un modèle de réussite ?

1.2.3.1.3. Des manques dans l'étude statistique :

Il est intéressant de constater qu'aucun chiffre n'est présenté pour désigner le revenu moyen par famille et par mois, le revenu par personne et par mois et le nombre de famille qui ont un revenu inférieur à 82.000 kips par mois, par personne. Ces données relatives au revenu qui étaient a priori prévues pour caractériser la pauvreté sont restées vierges.

Nous pouvons ainsi penser que les enquêteurs n'ont, soit pas eu le temps et / ou les moyens de
référencer ces trois données, soit qu'ils ont présenté volontairement un tableau statistique ne

44 16 kg de riz par mois et par famille, c'est à dire 89 g de riz par jour et par personne (pour une famille de 6 membres).

45 600 g par personne par jour.

chiffrant pas les revenus familiaux pour ne pas les rendre publiques et / ou pour ne pas rendre les analyses complexes et ambiguës en comparant les chiffres des revenus et les données sur la nourriture, les vêtements, la vétusté de l'habitation, l'accès aux soins et à l'éducation.

Il est vraisemblable que des données statistiques en milieu rural basées uniquement sur des revenus pour caractériser la pauvreté ne seraient pas fiables. Il est probable qu'en milieu rural la pauvreté se manifeste autrement que par les revenus du fait d'un accès plus facile à la collecte, à la pêche, à la chasse et à l'entraide. Un tableau présentant des données sur l'accès à 16 kg de riz par mois, à des vêtements, à une habitation convenable, à l'accès aux soins et à l'éducation paraît plus juste.

Nous ne connaissons rien des critères statistiques pour décider qu'une habitation est vétuste et à partir de quoi les enquêteurs ont pu décider que les villageois manquaient de vêtements ou que les vêtements n'étaient pas << propres >>.

L'analyse officielle qui veut que les villes soient moins sujets à la pauvreté par rapport aux village ne nous dit pas non plus qui ont été les personnes enregistrées officiellement comme habitants des villes du district puis sujets des enquêtes. Les plus pauvres des habitants de ces villes ne sont peut être pas pris en compte comme << habitants >> et donc non enregistrés par les statistiques.

Les manques statistiques et la fiabilité réduite des études sont des problèmes trop importants pour analyser la pauvreté dans le district de Khoua. Nous ne pouvons qu'être très relatifs dans l'utilisation de ces données pour nos conclusions.

1.2.3.1.4. Illustrations de situations économiques familiales : Trois familles. 1.2.3.1.4.1. Première famille :

L'interviewé est un jeune marié de 22 ans, père de famille de deux enfants âgés de moins d'un an. Il vit avec sa femme, ses enfants, son frère et ses deux parents, soit un nombre de sept membres dans le foyer familial.

Lors de son mariage, quelques semaines plus tôt.

Il est installé dans la maison de ses parents depuis huit ans, depuis 1998, date à laquelle ils ont emménagé dans le village. Ils sont originaires de la ville de Khoua.

Leur chef de village actuel leur aurait demandé de s'installer au village de Bouamphanh pour le développer.

Son expérience de jeune agriculteur récemment installé dans un village recomposé est caractéristique d'un nombre important de jeunes couples khamou venus avec les parents du marié pour « développer Bouamphanh ». Très peu d'entre eux connaissent les langues des autres groupes ethniques habitant leur village. L'interrogé ne peut parler seulement que deux langues, sa langue vernaculaire, le khamou, et la langue nationale, le lao.

A la différence des anciens ils ne côtoient pas beaucoup les Akha ou les Pala. Ils restent entre jeunes khamou et n'hésitent pas à critiquer les pratiques fantaisistes des groupes montagnards.

N'étant pas originaire du village, il n'a pas pu hériter d'une rizière irriguée et a donc l'acheter 500.000 kips par hectare pour finalement posséder 1,5 ha.

Ils n'ont pas pu non plus acheter de parcelles lors de l'allocation foncière. Aussi chaque année ils ont un droit d'usure sur 0,8 ha d'essart-jardin de maïs et 0,7 ha d'essart pluvial, tous situés à 50 minutes du foyer à l'intérieur du finage de Bouamphanh. Chaque année ils exploitent donc environ 3 ha de rizière irriguée, essart de riz pluvial et essart-jardin de maïs.

Ils doivent attendre à chaque fin de saison des pluies, les décisions du conseil des anciens distribuant les parcelles à chaque famille. Depuis leur installation, ils ont toujours utilisé une seule fois la plupart de leurs parcelles de riz pluvial car elles sont en rotation sur 6 années et ils ont emménagé à Bouamphanh il y a 8 ans. Les parcelles de maïs qu'il exploite sont en rotation sur 4 années. Ils possèdent en complément un animal de trait, un buffle46, 8 poules et des poussins.

Le terrain de sa maison (15m x 40m environ) leur a coûté 50.000 kips et il doit s'acquitter des impôts à hauteur de 15.000 kips par an.

Ils ne commercent pas d'herbes à teinture que les Chinois pourraient pourtant leur acheter. Ces herbes poussent sur les bas côtés des routes et des pistes désherbées. Ils ne désherbent pas souvent les bas côtés de la piste ce qui ne leur permet pas de commercialiser ces herbes.

Ses enfants n'étant pas encore en age d'être scolarisés, il n'a pas de frais scolaire.

Selon l'interrogé, personne n'aide sa famille pour les travaux des champs et ils ne peuvent avoir de salariés n'ayant pas suffisamment de revenu pour payer des salaires.

Il avoue que les femmes travaillent plus que les hommes, que se soit aux champs ou au foyer. Il considère qu'elles font des travaux de résistances, de longue haleine, comme le désherbage ou le débardage alors que les hommes s'occupent des travaux dangereux, techniques et de force, abattant les arbres, s'occupant des grands brûlis, débardant de lourds volumes de bois, construisant les cabanes et barrières des champs.

Ils n'ont pas «besoin » d'engrais ou de désherbants pour leurs cultures car ils préfèrent
travailler leurs cultures par eux-mêmes. Selon eux, respecter les dates traditionnelles du

46 to couai en langue lao.

calendrier agraire, participer aux cérémonies animistes avec le chamane, attendre qu'il plante le premier pour planter ensuite, être respectueux des esprits du village et des défunts, <<sont les meilleurs engrais ».

Il faut ajouter qu'ils n'ont pas accès à des fertilisants et désherbants peu chers et proches. Il faut aller les acheter au Viêt-nam et les utiliser sans connaissances. De plus des histoires circulent sur les voisins akha qui en auraient utilisé et en seraient décédés.

Ils ne plantent rien en saison sèche et ont donc des difficultés alimentaires en période de soudure.

Ils doivent acheter du riz de mai à septembre car ils n'en produisent pas suffisamment pour sept personnes et n'ont pas de stock alimentaire.

Les sept membres de la famille consomment plus de trois kilogrammes de riz glutineux chaque jour ce qui revient à plus de 428 g de riz glutineux consommé par jour et par personne, juste au dessous de la moyenne provinciale47 car les deux enfants en bas âge ne mangent pas autant que leurs aînés.

Dans leur ancien essart de la ville de Khoua ils réutilisaient le paddy non consommé pour le replanté l'année d'après. A Bouamphanh, ils n'arrivent pas encore à être autosuffisants et ne peuvent donc pas replanter le paddy de l'année précédente. Ils espèrent bien arriver à être autosuffisants dans les prochaines années et replanter chaque année le surplus de paddy stocké qui est considéré traditionnellement comme une richesse familiale dont un jeune marié peut avoir besoin pour épouser une femme et vivre avec elle.

Le riz glutineux est selon lui relativement plus cher mais de manières coutumières et gustatives, ils ne peuvent pas manger du riz normal.

Au village, un kilogramme de riz glutineux serait vendu d'environ 2700 kips à 3000 kips et le riz normal serait vendu d'environ 2500 kips à 2700 kips.

Les prix varient selon les vendeurs, selon la qualité du riz vendu, selon l'origine intra ou extravillageoise.

Le riz normal est ainsi plus cher que le riz gluant en ville alors qu'il est moins cher que le riz gluant au village.

1.2.3.1.4.2. Seconde famille :

Monsieur Paeng, 39 ans, habite Bouamphanh avec sa famille depuis 2001.

Il a quitté le village de Salongxay, dans le district de Khoua.

Il était alors gradé dans la police et a abandonné cette profession pour devenir agriculteur comme ses parents.

Il ne connaît parfaitement aucune langue étrangère au lao hormis le khamou, sa langue natale et quelques mots de vietnamien.

Sa femme, lui même et ses 4 enfants disaient être athées même si ses parents pensaient que des âmes habitaient les animaux, les objets naturels et les phénomènes.

Leurs dépenses annuelles comprennent majoritairement les frais de scolarité et l'achat de nourriture pour une valeur approximative de 3.500.000 kips.

47 Environ 600 g par jour et par personne. Voir le chapitre << Economie un pays sous-développé ».

Ils consomment généralement 3 repas par jour dont 3,6 kg de riz48, 300g de poissons et des légumes de son essart et de la collecte (pousses de bambou et légumes-feuilles au quotidien) ce qui les placent bien au dessus des consommations moyennes provinciales en riz.

Ils consomment moins de viande49 que de poisson n'allant pas chasser, se réservant ses animaux domestiques (poules et cochons) pour certaines occasions et n'ayant pas beaucoup d'offres de viande au village.

Il doit acheter toute l'année du riz au marché du village ou chez les voisins, parents et amis. Parfois il achète aussi du poisson en conserve ou pêché par les autres lorsqu'ils n'ont pas pu en pêcher eux-mêmes, ainsi que la viande de la chasse si les voisins, parents et amis ne leur offrent pas.

Il doit aussi acheter des légumes s'il y a des invités en nombres importants à nourrir. Ces moments là (généralement les jours où des personnes viennent l'aider aux champs et lorsque des officiers du gouvernement viennent loger au village...) ne sont pas des jours de fête et ils ne consomment pas forcément de viande, mais uniquement du riz et des légumes (très fréquemment des pousses de bambous) qui sont les bases de leur alimentation.

Durant l'année, il achète des légumes au village pendant deux mois.

Il doit payer entre 15.000 kips par jour pour la consommation alimentaire et 25.000 kips par jour si l'on prend en compte les frais alimentaires et extra-alimentaires (payes des salariés, la valeur des investissements que sont par exemple les transports commerciaux de ses semences et récoltes, les outils agricoles et du foyer, les frais de scolarité, les frais médicaux...). Cette année il du par exemple payer une forte somme d'argent pour aider son frère à se faire hospitaliser et opérer.

Il est le seul de la famille à travailler quotidiennement dans ses champs. Sa femme, ses enfants et quelques villageois lui portent assistance quelques jours dans l'année et il salarie chaque année 250 villageois, payés chacun 10.000 kips par jour, pour certains travaux.

Il travail en moyenne une demi-journée par jour.

Afin de pouvoir acheter du riz toute l'année, Monsieur Paeng cultive et commercialise essentiellement du maïs, à hauteur de 800 kg qui lui reviennent à 150.000 kips. Il achète les semences de maïs au Viêt-nam qu'il revend à de nombreuses familles appartenant à 5 villages voisins dont Bouamphanh. Différents types de semences lui ont été proposé lors de l'achat des semences à Dien Bien Phu. Il à préféré choisir les semences à prix moyens (17 500 kips / 5 kg) qui permettent d'avoir deux grands épis au lieu d'un seul ou de deux petits pour des prix légèrement plus bas. Il ne pouvait acheter les semences plus cher qu'il ne l'a fait car les villageois n'auraient pas eu l'argent pour les lui racheter.

Les villageois cultivent le maïs vietnamien puis Monsieur Paeng leur rachète les récoltes qu'il revend en Chine et à un laotien. Depuis trois années, il est le premier villageois de la localité à avoir commencer un commerce important de maïs entre le Viêt-nam, le Laos et la Chine. Selon des responsables agroforestiers, ce commerce de maïs du Viêt-Nam à la Chine en passant par la

48 600 g par jour et par personne.

49 Plus fréquemment leurs poules et leurs oeufs, du cochon domestique pour les événements familiaux et villageois, du boeuf et du buffle lorsqu'ils ne sont plus utiles aux travaux, des écureuils, des oiseaux, des cervidés et des cochons de la forêt.

province, est de plus en plus pratiqué. Il semble que Monsieur Paeng soit l'un des premiers de la région à avoir eu cette idée.

Il vend aussi du bois aux chinois selon les besoins du marché. Il va jusqu'à la province de Sayaburi pour couper des espèces recherchées. Lors de son dernier voyage, il avait couper 274 arbres50 de 50 à 200 cm de diamètre allant de 15 à 40 m de hauteur. Dans la région, il n'y aurait plus d'anciens arbres rentables et les autorités ne seraient pas conciliantes avec les arrangements.

Il vend parfois un peu de légumes, parfois du poisson, des pousses de bambous, les quelques poules et les deux ou trois cochons qu'il élève.

Les voisins doivent le payer 10.000 kips par an pour son travail de responsable de l'adduction de l'eau au village. Cependant ils préfèrent souvent convertir ces 10.000 kips en une journée d'aide au champ.

Le repas du midi durant la journée de travail collectif.

Son commerce de rente de maïs est selon lui plus lucratif et plus sécurisant que de s'auto alimenter en riz comme le font traditionnellement bons nombres de familles au village.

Monsieur Paeng possède en 2006 deux essart-jardins d'un hectare chacun et une rizières irriguée de 0,9 hectare qui lui permettent d'avoir une surface totale d'exploitation de 2,9 hectares. Il cultive sa rizière plane en saison sèche pour le maïs et en saison des pluies pour le riz. Une partie de son champ est pour la première fois occupée par deux bassins de pisciculture qui contiennent des poissons entre le mois de juillet et le mois de novembre. Ses essart-jardins sont exploités en saison des pluies uniquement principalement pour le maïs.

Il possède aussi un emplacement pour une plantation de mai sak (Teck) de 0,6 ha qu'il exploite pour une parente de sa famille habitant dans un autre village. Il doit attendre 15 ans après avoir planter le teck, pour pouvoir le vendre car les troncs doivent être de 30 cm de diamètre maximum. Ils sont vendus 13.000 bath le mètre cube.

Le soucis de sa plantation est qu'elle se trouve sur le trajet des villageois qui se rendent dans

50 Uniquement les espèces maï doù et maï kràa (en langue lao) recherchées pour la construction de maisons.

leurs champs. En passant, les adultes comme les enfants testent les lames de leurs machettes sur les troncs et abîment ainsi beaucoup d'arbres de la plantation.

Monsieur Paeng à rationaliser ses productions. Son système de production agraire s'est développé, mais son inexpérience lui fait défaut.

Les deux premières années d'installation à Bouamphanh, il n'avait rien semé.

La troisième, quatrième et cinquième année, il planta uniquement du maïs et des légumes.

Il sema 11 kg de maïs sur 0.6 ha en rizière sèche en vallon la troisième année pour récolter 3,3 tonnes. Il sema 18 kg de maïs sur 1 ha d'essart-jardin la quatrième année pour récolter 5,4 tonnes et 55 kg de maïs sur 2.5 ha d'essart-jardin la cinquième année pour récolter 16,5 tonnes. La sixième année il sema du maïs, des légumes, du riz glutineux et planta des arbres pour le commerce du bois. Il sema 50 kg de maïs sur 2.2 ha d'essart-jardin pour récolter environ 15 tonnes. Il sema aussi 30 kg de riz irrigué sur 0.75 ha.

La valeur des quantités de légumes ne lui était pas connue.

Manquant de terre à cultiver, c'est dans ce dernier 0.75 ha de rizière irriguée qu'il avait préalablement déterré de la forêt-cimetière, les corps de deux enfants décédés. Les parents encore habitants de Bouamphanh ne firent aucun commentaire...

L'évolution de ses semences sur six années montre bien que Monsieur Paeng cherche la rentabilité. Il a fait diminuer ses surfaces et ses quantités de semences de maïs pour pouvoir augmenter celles vouées au riz et aux légumes. Ses productions se sont donc complexifiées et diversifiées. Il a désormais plus de chance de vendre ses produits différents et de diversifier son régime alimentaire. Après ses deux premières années infructueuses, il pense maintenant aux débouchés qu'il voudrait nombreux pour pouvoir exploiter plus intensivement ses terres «sous exploitées » selon lui. Il voudrait bien vendre des surplus de légume et beaucoup plus de maïs qu'à l'heure actuelle. Selon lui, il faudrait pour cela, plus d'accessibilité aux marchés importants.

Cette augmentation de la production s'explique aussi par le changement d'essart-jardin entre la cinquième et la sixième année. Il pu ainsi acquérir en prime une rizière irriguée au pied du nouvel essart-jardin, tout proche de la rivière. Les premières années de culture, son champ était limitrophe d'un champ de riz colonisateur réduisant ses cultures de maïs.

1.2.3.1.4.3. Troisième famille :

Monsieur Thon à 28 ans. Il est célibataire et habite toujours chez ses parents qui sont voisins de monsieur Leng et de Monsieur Paeng.

Sa famille tire ses revenus de l'exploitation agricole et de la collecte mais aussi de la préparation des outils villageois. Il semble qu'ils ne soient pas les forgerons attitrés du village mais ils retravaillent souvent les outils des voisins.

Ils possèdent 1 ha d'essart-jardin et d'assrt pluvial ainsi qu'une petite plantation de Teck (moins de un hectare).

Ils ne plantent pas de maïs et ne possèdent pas de rizière de vallon.

1.2.3.1.4.4. Conclusion :

A Bouamphanh, 10 familles au village vivent correctement grâce à leur rizières irriguées et

leurs essarts. Toutes les autres familles (environ 82), comme celles de Monsieur thon et du jeune marié, n'auraient pas toutes un hectare de rizière irriguée en vallons et cultiveraient un hectare en abatiis-brûlis pour cultiver du riz ou du maïs sans qu'elles puissent vivre correctement de leur exploitation. Elles doivent acheter du riz de deux à plusieurs mois dans l'année.

Le finage de Bouamphanh disposerait de 5 hectares par habitant51 (comprennent les surfaces habitées, de collectes et cultivées) et sa population permettrait de comptabiliser 1,54 habitant par hectare cultivé52 ce qui laisserait penser que les habitants ont un potentiel de ressources forestières et agricoles tout juste suffisant.

En revanche, la pression démographique de 19 habitants par km2 et la quantité de travail par actif de 0,9 ha cultivés par an et par actif53 semblent avoir atteins les limites du raisonnable puisqu'ils ne devraient théoriquement54 pas dépasser 0,9 ha par actif et 20 habitant par km255. Cette quantité importante de travail à fournir associée à l'assolement dispersé et à la réduction de l'entraide villageoise56 au profit du développement d'un salariat intra-villageois57 ne permettent pas aux exploitant de se sortir aisément de leurs obligations agricoles.

2. Les cadre juridico-politique du système agraire étudié :

2.1. Les systèmes agraires du Laos :

Les systèmes agraires du Laos sont principalement extensifs et classés officiellement en trois catégories : agriculture irriguée ou inondée dans les plaines, agriculture commerciale (plantations de café, de teck...) et agriculture sur brûlis dans les zones montagneuses essentiellement.

Cette dernière est pratiquée de façon exclusive par 43 % de la population rurale (environ 100 000 foyers) sur environ 13 % de la superficie du pays. Depuis 1996, les surfaces exploitées selon cette méthode ont diminué de 37 % et le nombre de maisonnées pratiquant cette forme d'agriculture a lui aussi baissé de plus de 50 %. Ces statistiques, qui doivent être considérées avec précaution (méthode statistique flou, écarts importants entre les régions non perçus et essarts illégaux non pris en compte), montrent bien que la priorité affichée du gouvernement est de réduire les surfaces touchées par l'agriculture sur brûlis car dans le même temps l'amélioration des conditions de vie des paysans ne fait elle l'objet d'aucune tentative statistique et les coupes de bois massives illégales mais organisées se poursuivent.

Officiellement, une distinction majeure est faite entre l'agriculture d'abattis-brûlis cyclique dans laquelle un champ est cultivé une seule année, rarement deux, puis laissé en jachère pendant une longue période (le nombre d'année dépendant du degré de pression foncière) et l'agriculture d'abattis-brûlis itinérante ou « pionnière » dans laquelle le sol est cultivé jusqu'à

51 2850 ha / 542 hab. = 5 ha / hab.

52 542 hab. / 350 ha cultivés par an = 1,54 hab. / ha cultivé par an.

53 350 ha cultivés par / 392 actifs = 0,9 ha / actif.

54 Selon des études entreprises par M. Dufumier, 1996.

55 O. Ducourtieux, 2006 : 67.

56 Voir sous chapitre « Organisation du travail ».

57 Auquel les exploitants n'ont pas toujours la possibilité de réaliser du fait de salaires trop importants à payer.

épuisement puis abandonné58.

Ces classifications apparaissent cependant inadéquates étant donné la mosaïque de techniques différentes.

La plupart des foyers subsistent grâce à une multitude de pratiques pour leurs propres consommations ou à des fins commerciales59.

Si toutes ces activités sont prises en compte pour qualifier les systèmes agraires, le Ministère de l'Agriculture et des Forêts laotien classifie dix catégories tandis de systèmes tandis que Laurent Chazée identifie 15 catégories60.

2.2. Le cadre juridique agricole et forestier national 61 :

Sur le terrain, les diverses « appartenances » locales peuvent se juxtaposer mais aussi se succéder, s'imbriquer ou se superposer. La mise en place d'une politique de conservation de la biodiversité, n'est donc pas une simple question d'articulation entre scientifiques et acteurs locaux. C'est surtout la confrontation d'organisations territoriales, de représentations de la nature et de la société radicalement différentes. Les particularités statistiques (équilibre entre les éléments) et qualitatives (présence d'éléments rares, d'endémisme...) qui ont pour les scientifiques la garantie d'une bonne biodiversité, ne sont pas forcément valorisées par les cultures locales. L'anthropologie juridique nous apprend que les conceptions territoriales des communautés rurales, dissociant par exemple la propriété de la terre et l'accès à ses ressources, ne sont guère compatibles avec les délimitations géométriques de l'espace62.

Avec les savoirs-faire naturalistes locaux, la question des droits de propriété intellectuelle (qui correspondent aux droits des paysans à sélectionner et utiliser les semences) et territoriaux sont propulsés sur le devant de la scène car ils correspondent à des ressources biologiques à conserver.

2.2.1. Historique :

En 1975 le nouveau régime politique reconnaît que le problème principal dans le domaine agricole n'est pas une répartition inégalitaire du foncier mais une diffusion insuffisante des techniques modernes retardant l'émergence d'une agriculture moderne intensive.

Le programme de collectivisation appliqué entre 1975 et 1979 visait justement à intensifier l'usage du sol et augmenter la production rizicole en mettant en commun les moyens de productions et en réformant l'organisation du travail. Il fut dans une large mesure un échec.

Dans les années quatre-vingt, une réorientation stratégique se fait, répondant aux pressions des bailleurs de fonds (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International) dont ils deviennent dépendant après la disparition des aides provenant du bloc soviétique.

58 GoL 2003 : 55.

59 UNDP 2001 : 74.

60 L. Chazée, 1998 : 186- 189.

61 Source tirée d'O. Evrard, 2004.

62 E. Le Roy, 1999; O. Evrard, 2004.

Les bailleurs conditionnent le versement de leurs aides en partie à la réalisation d'un droit foncier63.

Dans le domaine forestier il s'agit d'établir un recensement et un contrôle strict des surfaces boisées afin de gérer les revenus qu'elles procurent ou pourraient procurer à l'Etat. Il s'agit donc dans le domaine agricole de stopper la déforestation par le développent de l'économie de plantation et d'une agriculture sédentaire, commerciale, jugée plus productive que l'agriculture sur brûlis cyclique. L'objectif est ainsi d'éradiquer l'agriculture d'abattis brûlis en limitant les surfaces disponibles à ses effets et en sécurisant les droits des agriculteurs pour leur permettre d'investir durablement sur leurs terres. Ces deux éléments doivent permettre d'augmenter les recettes fiscales de l'Etat par l'intermédiaire de la collecte de taxes foncières sur toutes les parcelles cultivées.

En 1986, le 4e Congrès du Parti Communiste marque une libéralisation de l'économie. Les dirigeants socialistes acceptent d'introduire la propriété privé et la libre entreprise au Laos. Les réfugiés sont autorisés à revenir dans le pays et l'Etat leur reconnaît le droit de récupérer leurs terres lorsque celles ci ont été mises en valeur pendant leur absence par des membres de leurs familles.

Les rizières nationalisées après 1975, redeviennent propriétés des villages.

Le gouvernement, aidé par des spécialistes des bailleurs de fonds, élaborent une législation forestière nationale déjà débutée dans les années soixante-dix avec cinq grandes catégories de zones forestières (Forêts de production, de conservation, de protection, de régénération et dégradées)64 et mettent en place un programme d'allocation foncière visant à sédentariser et à intensifier les systèmes agraires, let motif de cette période.

L'allocation des terres constitue l'une des six grandes causes nationales relatives au développement rural et à la gestion des ressources naturelles. Les autres causes nationales pour le développement rural sont la création de zones nationales de conservation de la biodiversité, la sédentarisation de l'agriculture, l'éradication de la culture de l'opium, des programmes forestiers communautaires et les déplacements et regroupements de populations dans les zones focales.

L'allocation foncière se donna pour but de faire disparaître complètement l'agriculture sur brûlis d'ici 2010, d'intensifier et de diversifier l'agriculture de montagne, de protéger les forêts des bassins versants, de protéger la biodiversité, de classifier les sols forestiers et agricoles nationaux, de clarifier et sécuriser les droits pour chaque parcelle, d'encourager les investissements permettant l'intensification agricole, d'améliorer les conditions de vie des montagnards par l'adoption de modes de vie sédentaires.

La théorie sous-jacente de la réforme foncière est que l'individualisation des droits permet leur sécurisation par l'investissement sur des terres en cultures sédentaires qui facilitent les crédits en garantissant fiscalement les terres. Cet investissement faciliterait le développement du secteur agricole et contribuerait à la réduction de la pauvreté. Les marchés fonciers faciliteraient une répartition optimum des terres, c'est à dire une affectation approprié des terres

63 Voir la liste exhaustive des réformes structurelles à entreprendre dans un article de Yves Bourdet : « Le processus de transition laotien et ses résultats, 1980-1994 », Les cahiers de la Péninsule, n°3, 1995 : 78-79.

64 La Loi sur la forêt n°96/NA11, datant de 1996.

à ceux qui ont les moyens de mettre chaque différentes terres en valeur. Cette logique repose sur des présupposés critiquables :

- Les systèmes fonciers coutumiers seraient totalement étrangers au système de la propriété privé.

- Les systèmes fonciers traditionnels seraient nécessairement peu sécurisant.

- Ils seraient trop rigides et empêcheraient l'affectation optimum des ressources. Le marché posséderait par contre cette vertu.

- L'accès au crédit permettrait l'enrichissement d'une majorité de personne.

Des expériences antérieures, comme en Thaïlande, ont pourtant montré que la privatisation des terres à entraîné une insécurité foncière pour les petits agriculteurs, favorisé la spéculation foncière et accéléré l'exode rural65.

Pour parvenir aux objectifs fixés, les programmes de l'allocation des terres incluent un zonage des finages basé prioritairement sur le degré de pente des terres considérées, une planification de l'affectation des espaces à tel ou tel type de production, l'introduction de cultures commerciales et de vergers, l'amélioration des réseaux de transports et des connections avec les marchés locaux, la généralisation des systèmes de micro-finance et la délivrance de titres fonciers.

En 1996, un décret du premier ministre sur l'allocation des terres66 insiste sur la nécessité de transformer les terres cultivées de façon itinérante en terres agricoles permanentes ainsi que sur les besoins de former des personnels en charge d'appliquer ces procédures. Le programme National de l'éradication de la Pauvreté (NPEP) identifie 47 districts absolument prioritaires parmi les 72 districts prioritaires localisés essentiellement dans les provinces du Nord sur les 142 que compte le pays. Les services du ministère de l'Agriculture et des Forêts (FIPD, RSEC) ainsi que des organismes techniques plus ou moins autonomes (NAFRI, NAFES) et aidés par différents programmes étrangers (Coopération bilatérale suédoise, IRD, CIRAD, FAO...) sont donc chargés de travailler chaque année dans six districts afin de récolter les données, former les personnels locaux, effectuer les études de suivi, initier une dynamique d'allocation foncière.

2.2.2. La mise en place du plan d'allocation des terres :

La planification de l'affectation des espaces à tel ou tel type de production que l'on nomme aussi « plan d'usage des terres » concerne la collectivité dans son ensemble alors que l'allocation foncière proprement dite s'effectue au niveau des maisonnées. La première étape consiste à créer une division du finage villageois selon les degrés de pente. Une enquête socioéconomique est conduite dans un deuxième temps auprès de tous les foyers. Dans un troisième temps sont établis les plans d'usages des terres ou l'affectation productive des espaces villageois en fonction de leurs caractéristiques et des potentiels locaux. La cinquième étape entérine la délimitation des différents espaces productifs. Les deux étapes suivantes mesurent et répartissent les terres agricoles entre les maisonnées en établissant des titres fonciers. Les dernières étapes consistent à former à l'archivage et aux techniques de suivi. L'ensemble du

65 Leonard R. 2004 : 16. 60 03/PM 25/06/1996.

processus demandent entre 45 et 60 jours.

Au cours de ces étapes, 4 documents officiels sont signés par les villageois :

- ko toklong tong ban : accord villageois sur les frontières du village et l'affectation productive des espaces (LUP). Il s'agit parfois d'un simple accord orale entre l'administration locale et les équipes techniques.

- Bay mob sid nam say din so khao : certificat temporaire d'usage des terres (TLUC) qui peut se transformer en titre foncier définitif par la suite ;

- Sanya kan nam say ti din : Contrat d'usage des terres (LUC). Il s'agit d'un engagement de la part de l'agriculteur à cultiver certains cultivars sur la parcelle pendant 3 années.

- pen vad ti din : carte de parcelle. L'agriculteur est le propriétaire exclusif de sa parcelle.

L'attribution des parcelles peut s'effectuer de deux façons différentes :

- Dans les zones couvertes directement par le projet (les centres urbains), une attribution systématique donne lieu à la délivrance d'un titre foncier définitif67 comprenant un relevé géométrique de la parcelle. Les zones concernées par ces opérations sont choisies sur la base des critères suivants : surfaces agricoles importantes, bonnes infrastructures et accès au marché, disputes foncières fréquentes, chômage moyen, demande d'accès au crédit élevée, densité humaine assez importante, taux de paiement des taxes foncières important, demandes des villageois, potentiel pour une augmentation des transactions foncières.

- Dans les zones adjacentes, une attribution sporadique est effectuée à la demande des habitants à condition qu'ils acquittent leur taxe foncière68. Elle donne lieu à la délivrance d'un titre temporaire transformé en titre définitif lorsqu'il est procédé à une adjudication systématique dans la zone concernée. Lorsque la propriété sur une parcelle ne peut être établie de façon incontestable, il est procédé à un relevé provisoire de la parcelle qui peut être transformé en titre foncier après dix années d'occupation ininterrompue.

L'attribution foncière tend à se faire en priorité et parfois exclusivement pour les parcelles bâties, les terrains cultivés étant parfois également enregistrés, mais de façon plus sporadique.

Depuis 2003, le MAF69 annonce que 6188 villages et plus de 370.000 foyers se sont vus délivrer des TLUC. Chaque fermier recevant en moyenne deux ou trois parcelles, on peut estimer qu'entre 600.000 et 1.000.000 de TLUC ont été délivrés au cours de la dernière décennie. Cependant d'après des membres des services techniques du MAF, de nombreux villages inclus dans les chiffres n'ont pas encore fait l'objet d'une procédure complète d'allocation des terres.

Les bailleurs de fonds commencent à être de plus en plus réticents devant les résultats affichés.

67 bay ta din en langue lao.

68 phassi ti din en langue lao.

69 MAF 2003 : 65.

Ils posent une série de critères pour la sélection des nouvelles régions dans le cadre d'une extension géographique des allocations des terres. Ces critères insistent principalement sur les ressources humaines et la capacité à suivre pas à pas la méthodologie mise au point sans brûler les étapes.

La Banque Mondiale conduit par exemple une série d'étude sur différents sujets encore mal compris des décideurs, dans le but d'étendre l'immatriculation aux terres agricoles et aux zones rurales :

- Les systèmes fonciers coutumiers : Conversion des TLUC en titres fonciers permanents.

- Caractéristiques des marchés financiers et tendances principales dans les zones urbaines et périurbaines.

- Comptabilité du nouveau cadre juridique avec les pratiques coutumières, y compris les systèmes d'héritage ou l'arbitrage coutumier des divorces.

- Méthodes de classification des sols et d'affectation productive des espaces.

- Impact socio-économiques de l'allocation des terres étendues aux zones rurales.

2.2.3. Les raisons du résultat négatif de l'allocation des terres :

La relative bonne participation villageoise affichée par les autorités ne coïncide pourtant pas avec les études menées auprès des villageois. Une enquête commissionnée en 2003 par la Banque Asiatique du Développement sur la pauvreté au Laos70 montre que l'allocation foncière est citée par les villageois comme la première cause d'appauvrissement dans trois régions sur quatre (Nord, Est, Centre). Ce résultat très négatif provient de plusieurs facteurs liés : l'esprit général et la méthode de la réforme foncière, la réduction de l'accès à la terre, la détérioration des conditions de vies locales, l'absence d'intensification de l'agriculture et le contexte de recompositions territoriales.

- Le MAF opère une distinction théorique claire entre une forme cyclique et pionnière d'agriculture sur brûlis. Une politique restrictive et contraignante est généralement appliquée vis à vis des culture sur brûlis cycliques. Les jachères sont tolérés pour un maximum quatre années71. L'article 35 de la loi sur la forêt de 1996 met en place des incitations financières pour les agriculteurs acceptant de ne pas couper les arbres sur les jachères de cinq années et plus. L'article 20 indique que les forêts de régénération deviennent ensuite des forêts << de protection >> ou des forêts de << conservation >>.

Il s'agit donc de contraindre les agriculteurs à changer leur systèmes de production en réduisant leur espace disponible, ou en d'autres termes à créer artificiellement de la pression foncière, sans considération pour le coût social d'une telle politique.

Cet impact socioéconomique globalement négatif est aussi généralement attribué aux méthodes peu participatives, à l'absence de concertation entre les services concernés par les mises en oeuvres des allocations foncières et à la volonté des services du MAF de réaliser l'allocation le plus vite possible, de façon identique

70 ADB 2001 : 38-39.

71 Durée à partir de laquelle un recru forestier est considéré comme une forêt en régénération, dans laquelle les coupes ne sont pas autorisées.

dans tous les villages72.

- La détermination des services techniques du MAF à réduire les surfaces disponibles pour l'agriculture sur brûlis s'affiche clairement dans les statistiques du RSCEC : 82 % des surfaces allouées depuis 1995 ont été classées comme zones forestières73. Parmi celles-ci, les forêts d'usage courant74 représentent un quart du total, les forêts « en régénération »75, 15 % et les forêts dégradées76 seulement 2 %. Partout à l'issue de l'allocation foncière, les surfaces protégées sont plus étendues que celles destinées à l'usage.

- Cette réduction des espaces disponibles s'opère au détriment des conditions de vie et de la sécurité alimentaire des foyers, lesquelles ne font l'objet d'aucune enquête statistique. Avec une réduction du temps de friche (3 à 4 ans désormais contre 10 à 15 ans avant la mise en place de l'allocation foncière) et dans un contexte où les techniques n'évoluent pas ou peu, la fertilité des sols d'altitude décroît fortement, les récoltes de paddy chutent parfois de plus de la moitié77 et le temps nécessaire au désherbage ne cesse d'augmenter en raison de la prolifération des adventices herbeux. En raison de la pression foncière et démographique, de nombreux produits non-ligneux indispensables se font rares.

- Face à la réduction des ressources naturelles, les agriculteurs ne disposent pas d'alternatives viables sur le long terme. Le soutien technique des services publiques reste faible. L'étude commissionnée par la Banque Asiatique du Développement révèle que sur 91 villages étudiés dans 43 districts, aucun n'avait reçu d'aide technique directe pour l'intensification de l'agriculture78. Une étude du NAFRI menée en 2000 montre que parmi les 49 agriculteurs interrogés, seuls 40 % d'entre eux ont pu augmenter leurs surfaces de rizières tandis que dans 60 % des cas, l'allocation foncière n'a eu aucun impact direct sur l'intensification agricole. Cette politique apparaît même contraire à ses objectifs puisque dans les régions du Nord, la production de riz d'essart a augmenté dans 47 % des cas étudiés79.

- La réforme se déroule dans un contexte défavorable de recompositions territoriales. L'allocation foncière ne pourra donner de bons résultats que lorsque cesseront les déplacements continuels de populations. Lorsque de nouvelles populations arrivent en grand nombre sur un site, l'allocation des terres devrait s'interrompre en attendant que les arrivées cessent. Certains villages se retrouvent avec deux fois et demi moins de terres que nécessaire pour maintenir ou améliorer leurs conditions de vie et ce même en comptant les terres agricoles mises en réserves lors du zonage et de l'allocation (entre 10 et 15 % en moyenne dans chaque village). Depuis trois

72 O. Evrard, 2004.

73 MAF 2003 : 43.

74 pa som say : cueillette , récolte de bois, chasse.

75 pa feun fou : jachères de plus de cinq ans retirées des surfaces agricoles utilisables.

76 pa soud som : essartage toléré avec des jachères de trois ans maximum.

77 Chamberlain et Phomsombath, 2003 : 35-39.

78 UNDP, 2001 :81.

79 Keoketsy et Bouthabandid et Noven, 2000 : 14.

décennies, le gouvernement lao encourage les villages montagnards à s'installer dans les vallées. Dans la plupart des districts montagneux, les objectifs sont de faire chuter le nombre de village en déplaçant des milliers de familles. Le nombre de village serait redescendu à 613 en 1999 alors qu'ils étaient 600 en 1985, 656 en 1990 et 662 en 199580. Les raisons évoquées pour déplacer ces populations sont de l'ordre de la sauvegarde des bassins versants dans lesquels sont situés certains villages, la présence de cultures d'opium, l'implantation d'activités de développement trop difficile, des populations inférieures à 50 familles qui ne présentent donc pas officiellement un << village ». Il s'agit en fait de mieux contrôler les populations mais également de rentabiliser les dépenses d'infrastructures en regroupant les villageois dans des zones plus facilement accessibles. Le coût humain de cette politique (mortalité importante des populations allogènes) et le cynisme d'un gouvernement lao qui incite les populations à se déplacer en leur promettant une aide technique puis demande aux projets de développement internationaux d'assumer cette responsabilité, ne sont pas évoqués dans les résultats officiels de la réforme.

2.3. Impacts sociaux de l'allocation foncière :

2.3.1. Les réactions des populations aux projets gouvernementaux selon un responsable81 :

Selon les dires d'un responsable de la province de Phongsaly, toute la population de la province coopère avec les autorités pour faire respecter les décisions gouvernementales vis à vis de la réduction des forêts défrichées.

Les populations ont suivi les projets gouvernementaux, souvent aidés par des organismes internationaux spécialisés, et ont commencé à planter des arbres destinés à la vente, essentiellement de l'hévéa et du teck, qui remplaceront les gains de la culture sur brûlis.

<< Toute la population est contente de ces projets car les plantations commerciales sont plus durables et rentables que la culture sur brûlis ». Lorsque le chef du bureau provincial parle de <<toute la population », il précise qu'il s'agit autant des villageois que des fonctionnaires qui cultivent un peu.

Les quelques personnes récalcitrantes à changer leurs pratiques conformément aux directives ministérielles, <<ne comprennent pas les mauvaises conséquences qui arriveront, car ils sont trop pauvres et mal éduqués. Il est nécessaire de les éduquer pour qu'ils comprennent les problèmes ».

Pour cette raison, les villageois ont besoin d'être rappelés à l'ordre par les responsables agroforestiers des villages, des districts et des provinces et par des écriteaux, aux entrées de villages, rappelant les zones forestières protégées et expliquant par un poème les conséquences malheureuses d'une déforestation :

<< Si il n'y a plus de forêt sur la terre, il n'y a pas d'ombre, les bons sols fertiles deviennent rouge, comme le désert, l'eau sèche et le soleil brûle tout,

les animaux meurent et disparaissent ». (Monsieur Hier).

80 Basic statistics of Lao P.D.R., State Planning Comittee National, Statistic Centre, 1975-2000 .

81 Entretient avec le chef du bureau ministériel << Agriculture et Forêt » de la province de Phongsaly, à Phongsaly.

Les paysans montagnards seraient, selon le responsable, souvent jaloux des voisins qui ont accès à de nouvelles techniques agricoles, rentables et reposantes. Ils ne comprennent pas que tout le monde ne peut pas y avoir accès, qu'il faut un capital de départ et que le gouvernement ne peut pas les aider.

La situation est qu'ils acceptent mal de passer un contrat avec des responsables qui ne font que les brimer et avec des projets qui réduisent encore plus leur chance de s'en sortir en réduisant les surfaces, en baissant leurs temps de jachère, en bouleversant leur traditions82.

2.3.2. Les conséquences de la loi d'allocation des terres :

De façon directe ou indirecte, la réforme foncière a donc eu pour première conséquence d'accroître la pression foncière dans presque tous les villages, à la fois pour les terres cultivables, les lieux de pêche ou les lieux de cueillette.

Des tensions apparaissent donc fréquemment entre les immigrants venus à l'appel des autorités s'installer dans leur nouveau village et les premiers occupants de celui-ci. Le cas de Bouamphanh en est une illustration. Des désaccords sont perceptibles lors des choix des dates et des lieux des travaux agricoles. La représentation des Lao, Khamou et autres différents groupes ethniques, considère les groupes ethniques pauvres (Akha...) comme n'ayant pas beaucoup de considération pour l'environnement. Eux mêmes tenteraient à l'inverse de faire respecter des espaces protégés.

Certains Khamou du village de Bouamphanh disent de leurs voisins qu'ils sont des kroun ki du, des personnes qui n'en font qu'à leur tête et défrichent où cela les tentent. Ils ne prennent pas en considération les raisons de ces défrichements illégaux. Les villageois qui défrichent les espaces protégés près des cours d'eaux naturels sont des familles dans le besoin. Elles n'ont bien souvent d'autres choix que de ne pas respecter les lois.

De plus, ces familles ont eu pour habitude de puiser l'eau en amont, près de leur foyer. Elles ne se servent pas de l'eau de « La petite rivière » en aval comme s'en servent les villageois de Bouamphanh. L'érosion dans la rivière et le débit faible ne les touchent pas.

Le souci d'un débit d'eau réduit après défrichage des bassins versants, a débuté récemment il y a seulement deux ans. Avant, il ne semblait pas créer autant de tensions entre responsables agroforestiers et villageois et entre villageois.

Une autre source de tension est la surexploitation des terres par certains exploitants après l'annonce d'une fin imminente de l'abattis-brûlis en 2010. Les villageois tentent de maximiser leurs essarts pour ce que le chef du village et son voisin Monsieur Paeng considèrent comme la fin de leurs pratiques agricoles.

Des tensions apparaissent aussi entre villages voisins en raison de l'introduction d'une nouvelle conception de la frontière. Là où existaient des zones gérées par plusieurs villages à la fois ne subsistent plus désormais que des espaces administratifs83 séparés les uns des autres. Avec l'appropriation exclusive apparaît plus fréquemment des querelles relatives aux droits de pêches, cueillette et chasse. Des experts84 pensent que si des terres de gestion pluri-villageoises

82 Suppression des sacrifices animaux, réduction du pouvoir des chamanes, nouvelles planifications territoriales, nouveaux aménagements touristiques, routiers...

83 khèt phok khong ban

84 O. Evrard 2004.

étaient légalisées, cela permettrait de diminuer sensiblement le nombre de querelles frontalières.

Contrairement aux objectifs poursuivis, l'immatriculation foncière ne semble donc pas avoir réduit le nombre de disputes foncières. Par contre le temps nécessaire pour résoudre ces disputes est plus court et le type de disputes évolue : les disputes relatives aux limites de parcelles ou de finage sont de moins en moins fréquente mais sont remplacées par des disputes ou des tensions relatives soit à l'héritage (43 % des disputes concernent le partage de l'héritage familial) soit à des pollutions liées à des usages particuliers de parcelles voisines.

Dans la grande majorité des cas, les disputes sont réglées au village.

Une autre conséquence liée à la précédente est la réticence des villageois à participer à l'allocation foncière lorsque ceux-ci ne sont pas encore concernés par l'allocation des terres. Ils se rendent compte des difficultés rencontrées par leurs voisins et jugent ainsi leur système coutumier plus flexible et plus juste.

Les populations allogènes originaires des villages d'altitude et les familles pauvres originaires des villages d'arrivée sont les plus désavantagées par l'allocation foncière. D'abord la mise en oeuvre de la réforme se fait postérieurement aux zones urbaines dans lesquelles l'adjudication est systématique et concentrée sur les terrain bâties, contrairement à l'adjudication sporadique concentrés en zones rurales, sur les terrains cultivables où les paysans doivent financer la procédure. Les zones périurbaines où sont installées les populations issues des minorités ethniques ne peuvent être concernées par le projet d'immatriculation foncière, les terrains appartenant souvent à l'Etat85. L'immatriculation foncière rapide des terres agricoles par l'adjudication sporadique en zones périurbaines prendrait le risque d'accroître la spéculation foncière et d'accélérer le rythme de l'urbanisation86.

Ensuite, les villages d'altitude qui n'ont pas encore eu l'occasion de sécuriser leurs droits fonciers n'ont pu, bien souvent, garantir leurs droits coutumiers d'occuper leurs parcelles, aucun document n'ayant été rédigé par le chef du village87. Les villageois affirmaient faire entièrement confiance à leur chef pour enregistrer la transaction et servir de témoin et le droit coutumier n'avait jamais reconnu à un individu le droit d'aliéner une terre, même si il dispose d'un droit individualisé d'usage. La formation des chefs aux nouvelles procédures d'allocation foncière apparaît donc évidente.

Les procédures d'allocations foncière avantagent donc les familles originaires des villages d'immigration. Seules 37 % des maisons enquêtées sont installées depuis trente ans et 25 % d'entre elles occupent leur parcelle depuis moins de 10 ans.

L'occupation des parcelles, et essentiellement des plus fertiles, est plus souvent accréditée aux
familles installées depuis longtemps et ne laissent plus de rizières inondées ou irriguées
accessibles aux nouveaux arrivants. Seules les parcelles éloignées des foyers et peu fertiles

85 MoF 2003 : 49 et 83.

86 L'immatriculation transforme la terre en garantie bancaire et lorsque le populations ont peu d'expérience de ce type de procédure, ou bien lorsqu'elles ont besoin d'argent, elles peuvent être amenées à vendre leur terre sans saisir pleinement les implications de cet acte. Elles risquent alors de se retrouver dans une situation plus difficile que par le passé, d'où l'importance de la vulgarisation mise en place avant l'immatriculation foncière.

87 85 % des parcelles avaient fait l'objet de transactions non enregistrées et il y avait une moyenne de 2 transactions non enregistrées par parcelles.

leurs sont accordées.

La réforme foncière a aussi porté préjudice aux relations entre les sexes, comme se fut le cas pour une autre « cause nationale » que fut (au passé officiellement) l'éradication de l'opium. La réforme de l'allocation foncière établie majoritairement les titres au nom du chef de famille et la diffusion des nouvelles technologies favorise également les hommes. L'allocation foncière profite donc à la perpétuation et le renforcement d'inégalités entre les sexes très présentes dans l'organisation sociale coutumière des minorités ethniques.

La perpétuation des systèmes sociaux coutumiers favorables aux hommes a aussi été stimulé par l'autre cause nationale qu'est l'éradication de l'opium et qui est lié entièrement à la disponibilité des terres pour des cultures « propres », commercialisables sur les marchés internationaux et qui font désormais partie des finages disponibles pour l'allocation foncière.

Selon les villageois, le temps de travail occupé à cultiver l'opium s'est reporter désormais sur les autres activités de productions et de loisirs (fumer, se rendre visite, boire...)

Les femmes qui étaient le plus souvent chargées de s'occuper des cultures d'opium n'ont par contre pas gagné de temps libres. Elles travaillent toujours autant, mais à d'autres activités que les hommes ne partagent pas avec elles si ils sont mariés (lessives, vaisselles, tissage, couture, collectes des pousses de bambous et des légumes-feuilles...). Elles travaillent plus de temps que les hommes et ont moins de loisirs qu'eux.

Selon les villageois interrogés, l'opium aurait été totalement éradiqué du village de Bouamphanh cette année. Cette plante qui était auparavant très cultivée dans les villages d'origines et qui permettait de sécuriser financièrement les périodes de difficultés alimentaires aurait désormais disparue. Un taux de forte dépendance (40 à 50 opiomanes avant 2006) aurait été constaté au village et des médecins Lao de Muang Khoua accompagnés d'équipes américaines seraient venues apporter des aides aux opiomanes88.

Malgré la réticence à discuter de ce sujet encore sensible, une critique modeste, en comparaison des pertes économiques familiales, a émergé des entretiens sur ce sujet. L'éradication fut appliquée vigoureusement trop vite ce qui ne laissa pas le temps aux familles de trouver des alternatives afin d'acheter tout ce que l'argent de l'opium permettait d'acheter (vêtements, machettes, réserves d'argent pour les périodes de difficultés alimentaires...).

Enfin, une autre conséquence de la manière forte laotienne d'éradiquer « officiellement » l'abattis-brûlis, est de changer les termes de références pour désigner « essarts de maïs ». Il semble que ces changements de termes soient motivés par le besoin pressant du gouvernement à éradiquer officiellement l'agriculture d'abattis brûlis comme ce fut le cas de l'exploitation de l'opium. Les bailleurs de fonds de l'aide internationale attendent des résultats de la part du gouvernement afin de poursuivre l'aide financière. Changer les termes cachent la réalité d'une agriculture d'abattis brûlis en progression dans les districts des provinces du Nord.

L'origine du terme souan et de son utilisation officielle sont litigieuses. souan qui signifie
« essart-jardin » a remplacé le terme hay qui signifiait « essart de riz ». Il faut voir dans ce

88 Destructions rapides des cultures et apports de produits de substitutions...

changement de vocabulaire, la volonté du gouvernement laotien de sédentariser l'agriculture d'abattis-brûlis.

Le terme hay a très longtemps servi pour décrire l'essart de riz pluvial exploité une seule année puis mis en friche 10 à 15 ans. En utilisant le terme souan on perd en même temps la notion de friche longue et l'unique année d'exploitation pour un maximum d'exploitation en souan de 3 années reconductibles, ainsi que la culture de riz pluvial pour celle du maïs.

Aussi, la technique d'essartage n'a pas réellement changée puisqu'il faut toujours défricher, brûler, débarder, semer et sarcler avant de récolter sur une parcelle inexploitée.

Les réelles changements n'ont pas apportés les bénéfices escomptés pour la richesse forestière. Une exploitation continue d'un cultivar à l'espèce unique n'est pas plus bénéfique pour la fertilité des sols que ne l'était le hay qui laissait les terres se reposer et associait plusieurs espèces de riz, de légumes, d'épices permettant aux sols de redevenir fertiles.

Les seuls avantages gagnés par le souan sont de faire croire aux financeurs mondiaux, à l'éradication de l'abattis-brûlis sous sa forme la plus connue, le hay, ainsi que de développer une production nationale de maïs et de la commercer avec le Viêt-Nam , la Chine, la Thaïlande et le reste du monde.

2.3.3. L'adaptation des paysans aux conséquences négatives de la loi d'allocation des terres :

Les solutions locales pour échapper à la crise étaient par le passé, la migration géographique pionnière d'une partie de la population à la recherche de nouvelles terres à défricher89, une accélération de la rotation des parcelles afin d'intégrer de nouvelles parcelles dans la rotation ou l'adoption de nouvelles techniques pour intensifier l'agriculture90.

Les deux premières solutions sont désormais obsolètes. Les villageois ne peuvent pas migrer pour rechercher de nouvelles terres et les autorités contrôlent l'étendue des surfaces exploitées. Seules la troisième pourrait encore avoir se pratiquer.

Pour parvenir à maintenir leur conditions de vie, c'est à dire pour accéder à de nouvelles terres qui leur permettront de compenser les rendements décroissants de leurs essarts infertiles, les stratégies sont les suivantes :

- Les villageois ne cherchent pas à obtenir plus de terres par les autorités, mais défrichent illégalement dans des zones forestières reculées91 ou dans des régions non revendiquées par les premiers occupants. 70 % des cas de ce type ont été recensés dans la moitié Nord du pays92. Ces défrichements sont souvent facilités par l'autorisation donnée par les autorités pour pratiquer une résidence alternée entre l'ancien et le nouveau site. L'amende que les villageois payent pour leurs essarts illégaux est considérée comme une façon de légaliser leur occupation.

La pratique du brûlis ne disparaît pas, elle tend à se faire de façon plus anarchique que par le passé.

89 Mazoyer et Roudart 1997 a.

90 Hunt 2000.

91 En 2002 ; la province de Phongsaly dénombrait 84896 foyers dépendants des pratiques d'agricultures d'abattis brûlis et 58000 ha défrichés par ces pratiques. La province en dénombre un an après 87596 foyers et 59845 ha. Données du SCREC, Novembre 2003.

92 Keoketsy et Bouthabandid et Noven 2000 : 11.

- La location des terres devient de plus en plus fréquente. Le dédommagement s'effectue soit en nature, soit sous forme de paiement de la taxe foncière à la place du propriétaire. Cette situation favorise les résidents les plus anciens. Une tendance à la location de terres cultivables pour la plantation d'arbres de rente (teck...) à des personnes extérieures aux villages est observée fréquemment. Ceci procure de l'argent mais réduit leurs surfaces agricoles et menace leur avenir.

- L'achat de terres devient aussi plus courant que par le passé. L'ancien occupant vend son TLUC comme preuve de cession mais elle est doublement illégale. D'une part le TLUC ne peut être vendu et de plus leur périodes de validités a en général expiré au moment de la transaction.

2.4. Le cadre juridico-politique du village :

2.4.1. Cadre juridique :

A Bouamphanh après un programme d'allocation des terres exécuté en 2000, la surface officielle admise pour les cultures est de pratiquement 500 ha, soit 20 % des 2850 ha que compte la surface totale du finage villageois. L'assolement est dispersé93.

Le finage n'est pas le même qu'à la création du village en 1969. Il s'est vu agrandit grappillant les territoires voisins où les populations ont du déménager pour <<développer Bouamphanh ». Les autorités locales des bureaux de l'Agriculture et des forêts donnent régulièrement des rendez-vous aux villageois pour faire le point sur les décisions gouvernementales récentes et sur l'évolution de la situation locale. Une fois par mois, les responsables du district viennent à Bouamphanh, <<car ce village est une cible importante »94.

En cas de besoin de terres, les paysans doivent s'adresser à leur chef de village et aux responsables villageois qui en référeront à leurs supérieurs. La réponse n'est donc pas immédiate, les décisions pour augmenter les surfaces cultivables, contraire à l'évolution générale et aux volontés politiques, ne sont pas prises à la légère.

Des villageois ont été choisis par les responsables locaux en contre partie d'un maigre salaire, pour s'occuper de l'agriculture, de l'élevage et des forêts du village. Ils sont au nombre de six hommes appartenant au groupe ethnique Khamou. Ils font surtout très attention à ce que les villageois ne défrichent pas près des ruisseaux, des sources et des points d'eaux afin de ne pas assécher le village. Que des familles ne respectent pas les consignes légales soit une chose mais qu'elles rendent difficile la vie de leurs voisins sans eau, n'est pas toléré.

L'autre aspect très suivi par ces délégués agricoles et forestiers est la surveillance des coupes
illégales. Il existe dans cette région du Sud de Phongsaly, beaucoup de sortes d'arbres très
recherchés par le marché chinois et thaï. La plupart sont des bois doux comme les kapokiers

93 Chaque famille exploite des parcelles plus ou moins réparties dans la friche. L'assolement réglé serait l'exploitation en commun d'un pan forestier unique.

94 Le chef lieu du canton numéro 7 du district de Khoua selon le chef du bureau provincial gérant l'agriculture et les forêts.

sauvages Bombax malaboricum, cratoxylon, Wrightia tomentosa, Alstonia Scholaris, ainsi que d'autres espèces.

Sur ce finage, il semble qu'aucune dérogation ou arrangement ne soit permise. C'est pour cette raison que certains habitants partent jusqu'à la province de Sayabouri pour défricher dans les parcs nationaux avec l'accord des autorités mais à l'encontre des lois.

Les délégués ont été formés par les responsables de la province qui leurs ont appris ce que sont des terres fertiles. Selon eux, il faudrait qu'elles aient une couleur mauve associée à la couleur noire, mélange de sable et d'argile avec une profondeur de 25 à 30 cm. Sur les plateaux de la province de Phongsaly, la fertilité serait «moyenne » avec une couleur brune du sol et une profondeur de 30 à 50 cm.

Sur 2850 ha, le village de Bouamphanh possède les 5 catégories de terrains officiels.

Carte peinte sur des planches en bois à l'entrée du village.

Elle représente le zonage du finage. Elle fut dressée en 2000 par les autorités.

-La « forêt de production »95 : Zones forestières utilisées pour les besoins de collecte, pêche et chasse dans des quantités imposées.

-La « forêt dégradée »96 : Zones forestières destinées à la plantation ou à l'allocation foncière pour des besoins économiques en accord avec les planifications par les autorités.

-La « forêt de régénération »97 : Friches de moins de 5 ans protégées pour permettre aux arbres d'atteindre leur maturité et à l'écosystème d'atteindre un certain équilibre naturel.

-« forêt de conservation »98 : Zones forestières protégeant les espèces animales et végétales après 5 années de friches.

-La «forêt de protection »99 : Zones forestière protégeant les bassins versants contre l'érosion ainsi que des zones de « sécurité nationale ».

Les villageois ont des droits et des devoirs dans chaque partie autorisée à être utilisée. Le
principal devoir est de ne pas défricher, brûler et cultiver dans les parcelles protégées par les

95 Pa Tang kam palit en langue lao.

96 Pa sasoy en langue lao.

97 Pa hongham en langue lao.

98 Pa sangouane en langue lao.

99 Pa pong kan leng nam en langue lao.

autorités de la province. En contre partie ils ont le droit de cultiver librement sur le territoire réservé aux cultures.

Le second devoir est de réduire les surfaces agricoles qui ne font pas partie des terres officiellement cultivables. Le chef du village pense qu'il «peut le faire ». Son positivisme ne semble cependant pas prendre en compte le décalage énorme qui s'opère entre les droits fonciers du village et les pratiques réelles mises en place.

Alors que 500 ha, soit 20 % des 2850 ha du finage étaient officiellement autorisées à être exploitées après l'allocation des terres, 1400 ha soit 50 % du finage le sont réellement.

Les 92 familles exploitent chacune 12 ha en rotation sur 4 années et environ 10 % du finage, soit 300 ha sont mis en réserve en cas de nécessité100.

Selon certaines sources, les surfaces exploitées en agriculture d'abattis-brûlis sont moins contrôlées chaque année.

Les autorités locales sont tolérantes. Selon les entretiens, les surfaces autorisées à être cultivées en abattis-brûlis seraient aujourd'hui de 1 ha par famille par an.

De plus, de l'avis des villageois et des autorités, si une famille défriche, brûle et cultive dans une zone protégée, les autorités locales ne lui demandent pas de payer immédiatement l'amende officielle. La famille est en sursit. Elle cultivera pendant une année cette parcelle défrichée illégalement mais il ne faudra pas qu'elle recommence une autre fois, sinon l'amende tombera.

Les autorités locales ne se pressent pas pour appliquer les instructions gouvernementales. Si des paysans possédaient des champs sur des terres qui n'étaient pas encore protégées et qu'ils doivent désormais les abandonner pour en cultiver d'autres peut-être moins fertiles ou qu'ils ne peuvent pas changer d'emplacements rapidement pour différentes raisons, les autorités demandent de réduire peu à peu les surfaces mais pas de tout bouleverser du jour au lendemain.

Si les autorités acceptent de réduire progressivement les surfaces cultivées, c'est à dire de réduire le nombre d'emplacements qui tournent dans un cycle de rotation annuel réduit à 4 ans depuis 10 ans, et donc de réduire les temps de friche des emplacements qui restent, c'est avant tout pour laisser progressivement s'adapter les paysans pratiquant des cultures itinérantes à un mode de production sédentaire, sans rotation des parcelles. Les responsables agricoles et forestiers acceptent d'ailleurs parfois que certaines familles élargissent leurs surfaces cultivables pour qu'elles puissent retrouver une meilleure situation économique. Il s'agit d'une sorte de contrat entre les 5 groupes de travail paysans et les autorités : Nous acceptons de vous laisser le temps, nous serons tolérants à propos des surfaces défrichées illégalement, à propos du nombre d'année de jachère et à propos des réductions des surfaces cultivables, mais vous devrez d'ici 2010 ne plus avoir d'essart en rotation, ne plus défricher de nouvelles parcelles, devenir des paysans respectueux des lois nationales et des défis nationaux, comme la lutte contre la déforestation.

Monsieur Leng, chef du village, décrit les responsables du district et de la Province comme les

100 92 multiplié par 12 égal 1104 ha plus 300 égal 1404 ha autorisés à l'exploitation agricole en rotation sur 4 an. La surface cultivée par an est donc de 350 ha (1400 ha autorisés aux cultures / 4 ans de rotation des parcelles = 350 ha cultivés / an).

principaux décideurs du calendrier agricole, de la répartition des terres entre les villageois et entre les terres protégées et celles mises en cultures. < Les responsables agricoles viennent à notre aide ». Comme son voisin Monsieur Paeng, il a intégré les principes des autorités laotiennes et ne semble pas vouloir les critiquer.

A Bouamphanh, <les habitants ne partagent pas les terrains disponibles entre tout le monde ». Certains villageois ont hérité des parcelles et d'autres se les sont attribuées durant l'allocation foncière. Ils ont tous les meilleures terres, principalement des rizières irriguées. Les autres villageois n'ayant pas eu d'ancêtres à Bouamphanh ni assez d'argent pour acheter les parcelles doivent cultiver des essarts qui sont libres d'être cultivé après l'avis du conseil des anciens101. Le conseil des ancien distribue les parcelles non attribuées pour un temps définit entre une et cinq années. Ce laps de temps relativement court permet de faire circuler à tous les villageois les meilleures terres.

Généralement le conseil des anciens distribue les parcelles en fonction de la force de travail familiale ( l'accès à un motoculteur ou un buffle pour le labour des rizières irriguées, le nombre d'actifs par famille, l'accès aux outils indispensables...), les rendements connus des parcelles adaptés aux familles, la position sociale des chefs de famille (leur ancienneté au village, leur statut professionnel, leurs liens avec les autorités...) et en fonction des accords entre particuliers.

Une fois la distribution effectuée, les villageois sont libres de s'entendre pour échanger les parcelles. Chaque année quelques villageois ne respectent pas les décisions et défrichent des parcelles qui leurs conviennent, parfois dans la zone autorisée mais contre l'avis du conseil et parfois en dehors de la zone autorisée.

Le choix des essarts à la fin de la saison des pluies revient donc aux chefs de familles. Ce choix se fait en connaissance des terrains fertiles. Chaque chef de famille a une propriété ou un droit d'usure sur environ 3 ha par an occupés par différents cultivars. Les parcelles des familles sont des essarts de riz pluvial (hay en lao) qui s'étendent généralement sur 0,5 hectare par famille, une rizière irriguée (na en lao) d'un hectare maximum, un essart-jardin (souan en lao) de 0,5 hectare102 et parfois une plantation ou un verger sédentaire de moins d'un hectare. Certain chef de famille utilisent un même type d'essart dans deux lieux du finage et ne possèdent pas certains autres types de parcelles.

Si la famille possède un essart-jerdin, elle devra exploiter ce même emplacement tous les ans durant 3 ans et devra faire une demande aux autorités pour renouveler la culture de maïs dans un autre lieu du finage.

Avec un temps de friche de 4 ans pour les essarts de riz pluvial, les paysans doivent avoir 4 essarts en rotation. Chaque année ils défrichent une parcelle en friche. Ils n'ont aucun devoir de paiement, car les essarts de riz (hay) ou de maïs (souan) associés aux légumes, piments, tabac ou coton, sont gratuits et libres d'accès. La plupart des villageois ont hérité des emplacements depuis de longues années, mais les nouveaux arrivants doivent d'abord attendre que le conseil des anciens tolère leur installation sur le territoire. Certaines très bonnes terres en friches sont redistribuées régulièrement. Les bénéficiaires prioritaires seraient <les familles qui font de la

101 Qui comprend le chef du village, le chaman, les chefs de familles, la responsable de L'union des femmes lao ;

102 Ces données obtenues grâces aux entretiens avec différents villageois concordent avec celles d'O. Ducourtieux qui nota en moyenne 2,2 ha d'essarts par famille dans d'autres village du nord de la province. O. Ducourtieux 2006.

culture commerciale ».

Officiellement, «tout le monde a de bonnes terres » dans la région. Cependant les voisins akha de Hongleuc demandent parfois d'emprunter pour une année des emplacements sur le territoire de Bouamphanh. Ce don est, semble t-il, gratuit et personne ne s'offusque de devoir prêter les parcelles du village. La solidarité entre voisins d'ethnies différentes semble officiellement fonctionner.

Tout le monde suivrait les décisions communes car l'économie des familles s'en trouverait bénéficiaire.

Le chef du village ne fait aucune critique en défaveur des autorités. Selon ses déclarations, tout se passerait bien grâce aux décisions gouvernementales et communales.

2.4.2. Le cadre politique :

2.4.2.1. Les élections :

Des élections législatives de mars 2006 se sont déroulées dans tout le pays. Chaque province présentait six candidats très majoritairement masculins et devait élire deux députés. Ils sont tous des représentants du Pathet Lao (parti communiste) qui gouverne le pays. Leurs seules différences sont leurs origines ethniques et leurs expériences professionnelles qui sont inscrites sur les panneaux électoraux.

La venue des candidats au village et leur origine ethnique sont en fait les seules différences importantes pour les départager puisque les expériences professionnelles se valent souvent sur le papier.

Les élections sont donc l'occasion de connaître l'ethnie qui aura le plus de pouvoir d'influence sur les responsables locaux de la province et des districts et au parlement de Vientiane.

En règles générales, la province de Phongsaly vote plutôt pour les Khamou et parfois les Phounoy qui ont tissé des liens étroits avec les autorités de Vientiane103 et qui sont les ethnies majoritaires dans la province. Les Lao ne se sont pas installés en grands nombres dans les forêts et les montagnes. Leur représentation politique est donc limitée à Phongsaly. Toutefois cette infériorité numérique et politique des Lao peut changer avec le développement des communications qui est le domaine d'activité le plus subventionné (routes, pistes, téléphones, télévisions, Internet...). Serait se alors la fin de l'isolement et du pouvoir khamou ?

Au village, une seconde élection a permit d'élire un nouveau chef de village avec un adjoint. L'ancien chef du village avait été élu deux fois trois années légales depuis 1995 et il devait théoriquement rester encore un an de mandat, cependant il demanda à faire des élections anticipées. La fatigue, les responsabilités pour un salaire dérisoire (18.000 kips par mois) et les pertes de temps pour les travaux aux champs, l'avaient convaincu d'abandonner sa fonction. Comme les élections législatives, les Khamou remportèrent une nouvelles fois le poste de chef et d'adjoint au chef de village comme ce furent les cas des 6 chefs précédents depuis 1990.

Pour toutes les élections, la méthode est simple. L'éligibilité est admise à l'âge de 21 ans et le
droit de vote à partir de 18 ans. Il suffit ensuite de rayer secrètement 3 noms sur 5 candidats. En

103 Ils ont précocement aidé le Pathet lao, le parti communiste laotien au pouvoir depuis 1975, à influencer politiquement les groupes récalcitrants pour prendre position au côté du parti communiste.

additionnant les noms de chaque candidat non rayés on obtient un chef et un second chefadjoint.

Durant chaque élection, les étrangers ne sont pas permis de rester et les responsables politiques venus du chef lieu du district tiennent à coeur cette loi.

Ils vivent au village durant plusieurs jours, logés et nourris par les habitants.

Leurs venues impliquent un dévouement aveugle des villageois qui ont soudainement moins de temps et de nourriture pour leurs familles et leurs travaux des champs. Des tensions sont discernables. La préparation des élections est longue et le séjour des responsables politiques aussi.

2.4.2.2. Les taxes :

Impôt foncier sur les rizières irriguées : 33.000 kips par an par personne de plus de 15 ans. Impôt sur la collecte de bois : 20.000 kips par an par famille.

Impôt sur le revenu (même si il n'y a pas de revenu) : 30.000 kips par an, non proportionnels aux salaires.

Impôt animalier : 6000 kips par an

Impôt foncier de la maison : 15.000 kips par an.

2.4.2.3. Un personnage charismatique :

Malgré les bons rapports avec ses voisins Monsieur Paeng agit de manière marginale. Son expérience d'agriculteur et sa connaissance des terres de Bouamphanh restent limitées. Contrairement à son voisin, le chef du village, il persiste à semer du maïs en saison sèche qui ne servira qu'à nourrir ses cochons pour deux semaines. De plus, il a déjà perdu par le passé une récolte de maïs et deux récoltes de riz irrigué. Enfin, cette saison il fut à la limite de pouvoir semer. Il attendit trop longtemps pour brûler son essart-jardin et dû attendre encore que l'essart sèche à nouveau après les premières pluies. Il sarcla deux fois son essart-jardin alors que normalement un sarclage des adventices suffisait. Ce sarclage de trop lui coûta cher en payes des salariés, énergie et temps. Il tente pourtant de relativiser, ne reconnaissant pas être différents de ses voisins. Il dit <<travailler en fonction des habitudes de leurs ancêtres et des habitudes prises à Bouamphanh». Cependant il fut l'un des derniers à brûler, à sarcler, deux fois, et à semer.

Une autre preuve de son inexpérience est la prévision de bons rendements au début de la coupe. Il disait avoir trouvé une bonne parcelle contenant une végétation riche pour la fertilité de son sol qui l'était déjà par sa couleur rouge et sa dureté bénéfiques à la culture du maïs. Il regrettait même à l'avance de ne pas avoir assez de débouchés commerciaux pour pouvoir vendre toutes ses productions. A l'arrivée, le bilan est beaucoup moins glorieux et la << bonne terre » avec assez d'arbres dessus est devenue une << mauvaise terre » avec insuffisamment d'arbres.

Les raisons de ces erreurs ne sont pas uniquement dues à sa relative inexpérience de ses terres. Il travaille souvent seul dans ses champs. Ses enfants vont souvent pêcher, ne loupent aucun cours car leur mère institutrice veille au grain. Comme ses enfants, elle n'aide pas beaucoup son mari faute de douleurs au ventre. Alors qu'au moment de la coupe, il disait n'avoir besoin d'aucune aide, il se retrouve obligé d'accepter pour le second sarclage de trop, les aides de la jeune infirmière et d'un jeune étranger français qui ne travaillent jamais aux champs d'ordinaire. Ceci marque une situation critique des travaux agricoles de la famille.

Ancien gradé dans la police, marié à une des institutrices de l'école, homme d'affaires locales dans les marchés du maïs et du bois, il se comporte différemment des autres villageois. Il pu déterrer deux enfants d'une forêt-cimetière et défricher pour créer un champ. Il ironisait souvent par rapport aux croyances animistes des voisins et par rapport au chamane. Sans suivre la tradition, il réussit à devenir un homme important à Bouamphanh. Son succès social est aussi du à son investissement auprès des villageois. Il a pris la responsabilité de l'adduction de l'eau après avoir été formé par l'O.N.G. «Quaker». Les voisins doivent le payer 10.000 kips par an pour ce travail mais ils préfèrent souvent l'aider une journée de travail dans son champ.

Il a intégré les raisonnements des responsables lao qui demandent de faire cesser les sacrifices animistes, les rituels médicinaux, la perception d'une vie meilleure avec des essarts et promulguent la hiérarchie ethnique avec à sa tête les groupes ethniques Lao et Khamou, reléguant les autres groupes ethniques à des rangs inférieurs. Monsieur Paeng n'hésite cependant pas à inviter chez lui les voisins de toutes ethnies confondues. Avec son ancien statut de gradé dans la police, il garde des liens étroits avec les autorités et se permet donc d'être le chef officieux du village, critique en vers ses voisins. Il ne veut toutefois pas être candidat aux élections du village. Ses informations m'ont été d'un grand intérêt pour pouvoir percevoir quels étaient les perceptions des autorités dont il se faisait souvent le porte parole (vis à vis de la religion animiste, des productions paysannes peu intensives et productives...) et quel était sa différence d'approche par rapport aux autres villageois. Il rationalise beaucoup plus que ces voisins toutes ses méthodes de travail et son mode de vie (il souhaite avoir plus de potentiels de vente pour épuiser ses productions de légume ; il est devenu l'intermédiaire locale pour la commercialisation des productions de maïs ; il se rend à Sayaburi pour défricher « en fonction des besoins en bois du marché chinois » ; il serait d'accord pour abandonner sa pratique agricole d'abattis-brûlis si il pouvait être formé à une autre activité ; il n'a soit disant pas peur des esprits en forêt, étant officiellement athée et ce malgré ses origines locales) comme le voudrait un « laotien moderne ».

3. Les caractéristiques socio-culturelles du système agraire : Un village pluriethnique :

3.1. Départs et arrivées, une nouvelle situation :

Depuis 1995, environ une cinquantaine de nouvelles familles se sont installées au village et deux familles ont déménagé en ville. Il y aurait eu avant les arrivées, approximativement la moitié de la population actuelle.

Depuis 3 ans il y aurait eu 112 nouvelles personnes au village.

Les familles emménageant à Bouamphanh arrivent de Muang Maï, Muang Khoua, Ouai lig, Lat sang, Moc pèc, Hongleug, Piche Mai et Piche cao...

Le village compte désormais environ 80 % de villageois de l'ethnie Khamou et 20 % de la
population qui appartiennent aux groupes ethniques Tai deng, Tai dam, Akha, Phounoy et Pala.

Les habitants arrivent pour «développer Bouamphanh», y cultiver du maïs en essart-jardin et
rizière plane sèche ainsi que du riz de rizière irriguée et en essart de riz pluvial. « Ce sont les
autorités qui les rassemblent à Bouamphanh pour qu'ils développent ce village ». A l'arrivée

des nouveaux habitants, tout le monde fut, semble t-il très solidaires. Mais cette donnée est à relativiser car un certains nombre d'habitants semblent être en relations très étroites avec les autorités. Ils ne divulgueront donc pas les défauts des politiques laotiennes. Tout va bien dans le meilleur des mondes !

3.2. Les villages d'origines :

Hongleuc104 :

4 territoires avoisinent directement Bouamphanh. Il s'agit du village de Hongleuc, habité par l'ethnie Akha, du village de Piche-maï habité essentiellement par les Akha, du village de Coc prao habité par les Khamou et du village de Coc ngniou habité aussi par les Khamou.

Le village de Hongleuc est à 1h30 de marche depuis Bouamphanh.

Il est habité par le groupe ethnique Akha. Ils se dénomment singulièrement << Akkha de Hongleuc ». Installé juste au-dessous d'une crête arborée d'anciens et majestueux arbres de 10 à 15 m de hauts, le village est posé sur une plate forme légèrement creusée, surplombant les champs en contrebas, d'où le nom de << cuvette ». Le village est ceinturé par une couronne de 2.000 m2 de forêt cimetière indéfrichable. Le finage aurait été définit officiellement depuis 1995, date à laquelle les villageois ont vu leur surface territoriale se réduire au profit de l'agrandissement de leur voisin Bouamphanh.

300 familles akha vivent dans des situations précaires en l'absence de points d'eaux proches (seulement deux points mais se situant à 15 minutes du centre du village, obligeant à emprunter des sentiers glissants, raides et sinueux avec les jarres lourdes de l'eau puisée) et de débits suffisants en eaux (un filet d'eau permettait aux villageois de se laver après leur journée et une file d'attente de plusieurs dizaines de personnes venues aussi pour remplir les jarres), en raison de l'éloignement des champs à plus de 2h du village, obligeant les hommes à quitter le village et à partir plusieurs jours aux champs, en raison aussi du manque de sols de qualité disponibles et du manque d'aide des projets comme celui de Quaker à Bouamphanh.

Certains villageois sont partis du lieu d'habitation communautaire pour se rapprocher des terres de meilleures qualités. Ils vivent désormais seuls du mois d'avril au mois d'octobre, période des travaux agraires essentiels.

La période du nouvel an lao (12-16 avril à Bouamphanh), faste pour les fêtes communautaires n'est pas suivie par les Akha qui fêtent le nouvel an akha en décembre. Leur calendrier diffère de ceux des Lao et des Khamou qui ont une semaine de 10 jours. Les Akha ont un cycle de base (semaine) comptant 12 jours, avec des jours tabous pour certains travaux et certaines nourritures. Ils chôment un jour sur 12.

Le chef du village touche un salaire mensuel de 18.000 kips pour le travail accompli dans son village, plus 2.000 kips pour aider à gérer un autre chef voisin, trop jeune pour s'en sortir seul. Un jeune professeur de Bouamphanh vient souvent à Hongleuc voir le chef de Bouamphanh, officieusement pour l'aider à gérer les problèmes de la communauté et de l'école où vit un professeur marié mais seul, rencontrant sa femme à la ville de Khoua tous les 3 mois.

104 << la cuvette » en langue akha.

Moc pèc105 :

Moc Pèc n'est pas un village limitrophe de Bouamphanh mais il est l'un des villages d'origine de plusieurs villageois ayant emménagé à Bouamphanh. Un de ces villageois se trouve d'ailleurs être le chef du village, Monsieur Leng, sa femme et leurs deux filles. Les deux parents sont nés à Moc pèc, y ont vécu leur jeunesse, s'y sont mariés et ont déménagé en 1995. Dans ce village de crêtes, les souvenirs de leur jeunesse rejaillissent, ceux des amis, des parents à qui l'ont rend visite avec bonheur mais aussi les souvenirs des parents absents. Les 125 bombardements américains durant 4 jours de 1974 sur ce petit village ont laissé des traces dans la mémoire collective. Le chef avait alors une dizaine d'anneés avant la retraite américaine, mais ses souvenirs des fuites dans la forêt, des mobilisations forcées de ses oncles et de son père séparés dans des camps opposés, resurgissent à Moc pèc.

Tout comme Bouamphanh mais dans une plus large mesure, Moc pèc est habité par le groupe ethnique Khamou ou.

Situé à 7 heures de marche au sud de la route qui relie la ville de Xay à celle de Khoua, il faut compter 9 heures avec les transports routiers pour se rendre de Bouamphanh à Moc pèc.

Tous les ans, à la période du 12 au 16 avril des villageois originaires de Moc pèc y retournent pour célébrer le nouvel an lao (pimaï), y prier l'esprit des défunts d'être favorables aux villageois durant la nouvelle année106 et retrouver leurs anciens voisins et amis pendant les cérémonies des soukhouane. Cette année rassembla beaucoup plus de monde que les années précédentes car vingt statuettes représentant Bouddha furent amenées au temple de Moc pèc par dix moines venus de Thaïlande, de Vientiane et de Phongsaly, une occasion particulière pour ce village isolé.

L'une des filles du chef, âgée de 14 ans, en profita donc pour accompagner son père pour la première fois dans le village où elle était née.

Durant ces quelques jours de fêtes, les invitations sont nombreuses. Toutes les familles décident de rendre un hommage à leurs parents défunts. Une cérémonie personnelle est pratiquée. Les familles viennent prier au temple, assis en tailleur devant le bâtiment, à même le sol, tout en faisant couler par intermittence quelques filets d'eau à terre. Certaines familles décident de rendre un hommage plus important que les années précédentes. Ils rassemblent le plus de monde possible autour de leurs plats. Les invités doivent ainsi participer aux prix pour abattre des boeufs, des buffles, poulets et cochons et offrir des biens ou de l'argent au chef de famille pour qu'il puisse rendre un hommage respectable, luxueux, à ces parents défunts lors de la cérémonie collective au temple. Les discours lors des repas sont souvent les mêmes : << Nous vous demandons pardon pour le peu que nous avons à vous offrir mais nous sommes heureux107 de vous voir et de partager un bon moment ensemble108. Nous vous donnons le meilleur de ce que nous avons, mangez tout... ».

Le choix d'abattre un animal se fait en fonction du prix que les hôtes et les invités peuvent

105 <<village de la montagne aux pins » en langue khamou.

106 Cérémonie du tham boun tham tahan.

107 Muan en langue lao.

108 samaki, terme de langue lao qui revient souvent pour traduire le partage, l'unité, la bonne manière de vivre, ensemble.

payer, mais aussi en fonction de la fécondité de l'animal. Un buffle coûte approximativement 24.000.000 de kips et un boeuf 3.000.000 de kips. Les villageois choisiront donc plutôt un mâle castré relativement imposant mais laisseront de côté les jeunes, les femelles fécondes ou les mâles trop imposants et donc chers.

Abattre un animal n'est pas forcément signe d'un sacrifice, d'une offrande aux esprits. Si une cérémonie n'accompagne pas l'abattage, il s'agirait simplement de tuer et consommer collectivement d'importantes quantités de viandes sur une courte durée pour des occasions particulières. Durant le reste de l'année, les villageois de tous les villages des versants de montagnes ne consomment que très peu de viande. Ils en consomment en contre partie énormément en une semaine. Les difficultés de manger des régimes de riz, poissons, légumes laissent la place aux plaisirs de partager énormément de bonnes viandes durant les occasions importantes pour les communautés (mariage, construction de nouveaux foyers, nouvel an, repas de gibiers...).

C'est ainsi que les villageois khamou de Moc pèc et Bouamphanh ou akha de Hongleuc gardent en vie leurs élevages toute l'année. Ils ne les tueront que lorsqu'il y aura des occasions importantes. En attendant les animaux sont libres de parcourir le village et parfois de s'endormir sur la piste, ce qui créé parfois des accidents et donc des pertes économiques.

Durant ces quelques jours, le village se métamorphose. Un jour il est un village paisible couronné par une végétation arbustive servant de coupe-vent et de cimetière dans lequel seuls les enfants de moins de 15 ans y sont enterrés et les plus vieux incinérés et répartis en cendres dans ce bois-cimetiere. Un autre jour il devient une véritable foire avec un grand bal le premier soir, des vendeurs venus de villages voisins pour épuiser leurs produits alimentaires que l'on offre ou consomme, des tirs aux fusils et aux pistolets pour faire fuir les mauvais esprits des cérémonies, de la musique et des soukhouane tous les soirs.

Durant ces rituels villageois, aucune intervention des moines n'est réalisée. Chacun rend visite à ses voisins ou anciens voisins, amis et parents et l'on marque ces retrouvailles par des gestes forts. L'invité offre de l'argent à l'hôte essentiellement pour les frais du repas puis la famille de l'hôte offre à son tour des bracelets de coton109 censés représenter les bonnes auspices offertes par la famille. Ces bonnes auspices n'entreront effectivement en application lorsque les khene auront été porté 3 jours. Ainsi, que l'on offre de l'argent ou que l'on soit amical, on apporte notre contribution heureuse à cette période et les villageois nous le rendent en nous offrant des marques d'amitiés pour nous << porter bonheur ». Ces rituels sont donc des moments de partages, de joie d'être avec les autres, de dons aux autres, de voeux pour les autres qui pourraient se résumer par èt boun, mi boun110.

Il est bien évident que durant ces quelques jours, l'alcool coule à flot et les hommes comme les femmes sont parfois abusés par l'alcool.

Au premier abord, nous pourrions penser qu'il s'agit d'une période de relâche pour tout le monde, mais en définitive, malgré l'apparente dépravation de certains, tout est fait pour rendre un hommage réussie aux défunts par l'intermédiaire du temple et d'un circuit fermé d'échanges d'argent et de biens.

Une grande partie de l'argent que reçoivent les hôtes lors des repas est investie dans les

109 Khene en langue lao.

110 << fait le bien , ait le bien ».

offrandes honorifiques pour l'hommage aux parents défunts. L'argent que les petits vendeurs se font dans le village est souvent offert aux hôtes ou directement au temple pour leurs propres parents défunts. Ainsi l'aspect de relâche festive est une occasion importante de revoir les parents et amis encore vivants et de célébrer ensemble les parents et amis décédés. Il s'agir du rassemblement des défunts et des vivants le plus important de l'année.

Selon Monsieur Leng, chef du village de Bouamphanh, il y a 30 ans le territoire de Moc pèc était couvert d'arbres anciens. Depuis une dizaine d'années la forêt a laissé la place à une savane ou une forme de maquis. Les propositions des responsables agroforestiers de Phongsaly les ont incitées à abandonner ces maquis peu productifs et à s'installer à Bouamphanh pour <<développer » le nouveau village où des rizières de vallons étaient disponibles.

A Moc pèc, les paysans plantaient le riz d'essart à la fin du mois d'avril, bien avant Bouamphanh qui plante au mois de juin. Le climat des crêtes, fraîchement venté, et un environnement forestier dense, permettaient de trouver de la fraîcheur et de l'humidité plus tôt dans l'année. Les montagnards des versants et de crêtes sont les premiers à commercialiser leur riz glutineux dans les villes. Ils avaient de l'avance sur la commercialisation des riz lao de plaines. Aujourd'hui, avec les productions en rizières irriguées et en essarts, plus intensives que par le passé, le déménagement vers des territoires plus en aval, anciennement exploités, plus secs, les villageois khamou n'ont plus le monopole des ventes de riz durant les mois d'août et septembre. De plus ils ont imité les techniques agraires lao, devenant dépendants des engrais, des engins motorisés, des bonnes volontés des responsables agroforestiers locaux, du marché mondial et régional écrasé par le yen que les migrants chinois nombreux utilisent.

Les Chinois affluent selon les besoins du marché. Les migrants chinois sont vendeurs de glaces ambulants rejoignant quotidiennement à mobylette Phongsaly à Oudom Xay, des hommes d'affaires emménageant à Oudom Xay pour monter des chambres d'hôtes, des hôtels, des restaurants ou des transporteurs routiers...

A Bouamphanh comme à Hongleuc, Sin xay et Moc pèc, le temps de jachère moyen est de 4 à 5 ans. La parcelle de forêt la plus ancienne atteint seulement 15 ans d'âge, les surfaces cultivées atteignent plus de la moitié du finage alors qu'elles devraient officiellement représentées environ 20 % du finage des territoires et une pression foncière poussent les villageois défricher les derniers espaces disponibles. Même les forêts protégées sur les berges des courts d'eaux sont attaquées par des bûcherons invisibles. Une partie de la forêt-cimetière avait, elle, été défriché par Monsieur Paeng à Bouamphanh et dans les villages visités, les chefs pensaient faire de même.

3.3. Rester à Bouamphanh !:

Les nouveaux arrivants sont aujourd'hui très heureux d'habiter Bouamphanh car ils ont plus de potentiels d'achats et de vente, plus d'aides extérieures, une mobilité plus importante, plus de relations avec leurs parents et amis.

Ils se sont aussi installés à Bouamphanh pour l'attrait que comportait la disponibilité des rizières irriguées de vallons.

Ils ne souhaitent donc pas retourner dans leur ancien village dans lequel ils avaient encore plus de difficultés alimentaires sans rizières de vallons. << La vie était plus difficile avant ! ».

Les rizières sont pour eux plus importantes que les produits forestiers et donc plus importantes

que la forêt. Ils préfèrent vivre dans un village qui a des rizières irriguées sans forêts plutôt que dans un village qui n'a pas de rizières irriguée mais plus de forêts.

3.4. La piste :

La piste 1B qui traverse Bouamphanh fut construite de 1978 à 1996 par des techniciens chinois et des ouvriers locaux et chinois. Les premiers véhicules circulèrent difficilement en saison sèche de l'année 1980. Les villageois de Bouamphanh se sentent avantagés par rapport à ceux n'ayant pas de piste dans leur villages111.

3.5. L'installation à Bouamphanh et au bord de la piste :

Beaucoup de familles ayant emménagé récemment disent être venues volontairement.

Selon les villageois, le village de Bouamphanh a plusieurs avantages qui ont motivé leurs venues. Des rizières irriguées étaient libres d'exploitations et une infirmerie, une école, un marché et une piste rejoignant le Nord du Sud de la province étaient en prévisions à l'époque de leurs arrivées.

Nous pouvons noter que tous ces avantages n'ont été rendu possibles que par l'exécution du programme d'allocation des terres qui permis un zonage précis du finage, puis par le caractère convaincu des villageois voisins de Bouamphanh que le village avait un potentiel à développer et qu'il fallait venir s'y installer pour exploiter ses terres. Une fois le nombre d'habitants ayant dépassés les 500, le village pu recevoir l'aide d'une O.N.G. américaine qui développa les infrastructures scolaires, sanitaires et agricoles112 et permis un meilleur amortissement des frais de développement.

Ces informations tirés des entretiens rejoignent les conclusions de plusieurs autres travaux sur les motivations des migrations. Yves Goudineau113 y avait vu trois facteurs principaux. Le gouvernement autorisait et facilitait les départs des villages aux conditions de vies difficiles (villages isolés sans accès aux ressources étrangères hormis les leurs, aux soins...). Les déplacements résolvaient le problème de l'épuisement des essarts de riz pluviaux en proposant d'accéder à des rizières irriguées, symboles de rendements supérieurs et de développement économique et social, sur l'exemple des Lao-Thaï. Une nouvelle génération de villageois refuse de vivre comme autrefois et veut changer de métier, acquérir de nouveaux savoirs, bénéficier d'infrastructures et de services publics de proximité.

Les populations ont bien été convaincus par les autorités d'immigrer vers des localités oà« l'opportunité d'aides extérieures » et le « recours des différentes agences de développement » allait faciliter les nouveaux arrivants.

111 Les ruraux avec et sans accès aux routes et pistes : 556 villages de la province ont accès aux routes ou pistes sur une moyenne nationale qui atteint 590 villages par province ayant accès aux pistes et routes. 679 villages de la province n'ont pas d'accès aux routes et pistes de la province sur une moyenne nationale de 608 villages par province n'ayant pas accès aux pistes et routes. Source : Basics Statistics of Lao PDR. State Planning committee, National statistical centre, 1975-2000.

112 L'O.N.G. Quaker construisit une école plus grande avec dortoir, une infirmerie avec plusieurs lits et deux infirmières, des canalisations en ciment pour irriguer les rizières, apporta l'eau des bassins versants dans 4 points du village, forma un responsable aux problèmes d'adduction des eaux des bassins versants, offrit des animaux d'élevage et une formation à leur gestion (accouchements, vaccinations, fabrications d'enclos assez grands et adaptés au relief escarpé...).

113 Goudineau Y. 1996.

Les buts inavoués des recompositions villageoises pluriethniques comme à Bouamphanh étaient donc bien l'amortissement des dépenses d'infrastructures sanitaires et sociales, l'émergence d'une nouvelle génération de citoyens laotiens et la disparition des anciens clivages ethniques.

L'installation des foyers près de la piste poussiéreuse, serait aussi une volonté de leur part.

Le vallon où est situé le village est étroit. Les rizières irriguées prennent les moindres emplacements plats, près de la rivière. Le cimetière et les pentes raides ne laissent qu'un espace réduit, le long de la piste.

L'installation près de la piste leur permet ainsi de vendre plus facilement les marchandises de leurs épiceries. Cinq familles ont pu ainsi ouvrir des épiceries plus ou moins achalandées. Cependant ils se plaignent souvent de ki foun114. Les véhicules qui traversent leur village roulent souvent trop vite et soulèvent des nuages de poussières qui aveuglent et étouffent les riverains. Ils sont obligés de toujours mettre leur mains à la bouche et devant leur nez en se retournant pour ne pas en avoir dans les yeux.

Les premiers foyers du bord de piste sont blanchis par la poussière qui vole et pénètre partout dans la maison et les épiceries.

3.6. Localisation sociale au village :

Les foyers sont installés sur 1km dans le creux d'un vallon et sur ses versants boisés ou essartés.

Les familles sont réparties dans 89 foyers divisés en 3 grands ensembles d'habitations, tous situés proche de la piste.

Arrivant du Sud, le premier ensemble de foyers est regroupé près de l'infirmerie et du dortoir de l'école en amont ainsi que de l'école et du chaman en aval. Le chef du village, Monsieur Paeng et Monsieur Thon y vivent avec leur famille. Trois points d'eaux, deux commerces et la maison du village utilisée pour les réunions villageoises, sont installés dans la zone. Le groupe ethnique Khamou y compose la très large majorité. Cette zone est la plus importante du village, concentrant la majorité des infrastructures et des personnalités importantes du village (le chamane, le chef du village, les infirmières, deux institutrices et un instituteur, Monsieur Paeng). La partie aval de cette zone est le lieu de fondation du village, très exactement l'emplacement du foyer du chamane. Il semble le lieu important du village se soit donc légèrement déplacé en amont, se rapprochant ainsi de la piste sans s'éloigner de son origine.

Dans le second ensemble de foyers, une plus importante partie des habitants sont d'origines akha et pala. Les Khamou sont toutefois toujours majoritaires. Dans cet ensemble, il n'y a pas de foyers éloignés de la piste ni amont ni en aval. Un seul point d'eau est utilisable.

Dans le troisième ensemble de foyers se situe le marché et trois épiceries, dont la principale du village. Deux points d'eaux ont été installé. Plusieurs dizaines d'habitations forment un quartier à l'écart de la route.

La séparation entre les 3 ensembles se fait par la présence unique des greniers à riz au bord de la piste sur plus de 200 m. Ces greniers sont construits à l'écart des habitations pour éviter qu'ils ne prennent feux en cas d'incendies des foyers.

Les espaces entre les ensembles d'habitations peuvent atteindre 200 m, mais il s'agit ici encore

114 « beaucoup de poussière ».

non d'une volonté délibérée des habitants mais d'une obligation géographique. La topographie de ces espaces ne permet pas de construire de foyers. Les versants sont trop pentus et friables. Seuls des greniers à riz et des enclos à cochons et poules sont installés.

3.7. Langues :

A Bouamphanh, 5 langues sont parlées dont 4 appartenant aux groupes ethniques. La plus utilisée est la langue nationale, le lao115, que partage tous les groupes minoritaires et plus particulièrement les Taï dam et Taï deng qui l'utilise traditionnellement. La seconde langue majoritaire du village est le khamou Ou, légèrement différente du khamou rook parlé dans la province de Luang Nam Tha. Arrivent ensuite des langues des groupes ethniques minoritaires au village : le phounoy, le akha et le pala.

Bouamphanh, chef lieu du canton numéro 7 est marqué par son caractère pluriethnique. Bien que 80 % environ de la population soit de culture khamou ou, presque 20 % de la population rassemble les Akkha, Phounoy, Taï dam et Taï deng et Pala. Pour chaque ethnie, la connaissance des langues étrangères, utilisées pourtant dans un même village, est significative des rapports ethniques.

Il a été noté que les Akha parlent plus fréquemment khamou et lao que ne parlent akha les Khamou et les Lao. Pour autant, certains villageois khamou connaissent quelques mots de vocabulaire akha qui amusent la galerie Khamou.

Les Phounoy ont par contre beaucoup moins de connaissances de la langue khamou. Ils utilisent uniquement le lao comme langue étrangère à la leur.

Ainsi, les Phounoy utilisent fréquemment la langue lao et très peu les autres langues ethniques lorsqu'ils discutent avec leurs voisins.

Les Khamou utilisent le lao plus fréquemment que le khamou lorsqu'ils discutent avec d'autres groupes ethniques que les Khamou.

Les Akha manient plus souvent le lao que le khamou ou le akha lorsqu'ils rencontrent des groupes ethniques différents du leur.

Les Lao-Taï usent plus du lao que du khamou pour discuter avec les autres groupes ethniques.

Les Akha nomment d'abord les ethnies voisines par le auto-nominations propres de chaque ethnies voisines. Pour parler d'une personne du groupe ethnique Khamou, ils diront d'abord qu'il est Khamou puis qu'il est Lao Theung.

Les Khamou , Phounoi, Taï dam, Taï deng et lao utilisent d'abord le terme générique Lao Soung puis Ko ou Iko116 pour les désigner. Ils font d'abord référence à l'appartenance laotienne (<< Lao soung ») avant d'appeler les Akkha par les termes Ko ou Iko que les Akha n'utilisent jamais.

Les Lao utilisent aussi très souvent en premier terme de désinence : << Lao theung » pour
désigner les Khamou. Les autres groupes ethniques appartenant officiellement au groupe Lao-

115 Langue appartenant à la famille linguistique thai-kaday.

116 Ko, Iko ou Kha sont d'anciens termes désignant les << esclaves » sous le royaume du Lane Xang puis sous les régimes coloniaux. Ces termes ont désormais la connotation de << minorité d'altitude » ou d'une personne en étant un des membres : Iko.

Theung sont donc souvent assimilés aux Khamou.

Nous pouvons ainsi percevoir avec l'utilisation des langues étrangères pour chaque ethnie et avec les termes utilisés pour présenter les ethnies voisines, comment se jouent les rapports à la nation et au pouvoir. Les Akha, plus isolés, moins aider par les O.N.G. et le gouvernement, n'ont pas été laocisé comme ont pu l'être les ethnies vivant en aval. Ils sont rester très respectueux des auto- nominations qu'ont choisi les ethnies voisines.

Les Khamou et Phounoi, Taï dam et Taï deng, laocisés, respectent beaucoup moins les termes que choisissent les ethnies voisines pour se singulariser. Ils font souvent référence à l'appartenance laotienne de leurs voisins avant leur appartenance ethnique.

Les instituteurs khamou, les infirmières, le chef du village et les personnes qui travaillent ou ont travaillé en dehors du village, utilisent souvent la classification Lao loum, Lao theung, Lao soung pour ranger les ethnies minoritaires nationales. Cette classification arbitraire du gouvernement laotien tente de ranger les ethnies par lieux d'origines géographiques117. Cette classification ne rend pas compte des différences culturelles entre toutes les ethnies rangées dans la même appellation. Les villageois se trompent d'ailleurs souvent en affirmant << Il parle lao soung >> pour présenter une personne akha. Cette normalisation de ces appellations crée peu à peu une incompréhension entre les communautés, une homogénéisation des particularismes. La langue lao soung n'existe pas puisque la catégorie Lao soung regroupe différents groupes ethniques parlant différentes langues. Lorsqu'une personne dit d'une autre qu'elle parle lao soung, elle veut souvent dire qu'elle parle akha car les Akha sont les représentants communément acceptés des Lao soung, comme le sont les Khamou pour les Lao theung.

Les singularités sont pourtant recherchées par toutes les ethnies. Chacun se nommera devant les autres ethnies, avec son appartenance ethnique avant l'appartenance nationale (<< je suis Khamou, Lao theung >>, << Je suis Phounoy >>...). Mais les ethnies laocisées présenteront leurs voisins d'abord par leurs références laotienne puis ethnique. Sa propre singularité par rapport à celle des autres est plus développé chez les ethnies laocisées. Viendrait elle d'un sentiment de supériorité ou d'une tendance forte chez certains groupes ethniques à vouloir gommer les singularités quand d'autres ethnies la recherche ?

3.8. Religion :

La religion principale est l'animisme alors que la minoritaire est le Bouddhisme.

Un chamane khamou118 officie trois cérémonies communautaires et tente des guérisons à l'aide de plantes médicinales. Il demande chaque année aux esprits durant des cérémonies coutumières de protéger les cultures contre les prédateurs et de favoriser les plants cultiver pour avoir de bonnes récoltes. Il assure donc la fertilité du terroir en maintenant l'ordre entre les esprits, les ancêtres, les anciens et les jeunes villageois119. Il peut aussi faire passer des messages des esprits aux hommes. Ils les a reçu durant les rêves ou durant des méditations.

Le chamane habite au village avec sa famille jusqu'en juillet puis il part vivre en forêt pour

117 << Lao loum >> : les lao d'en bas, << Lao theung >> : lao de moyenne altitude, << Lao soung >> : lao du haut en langue lao.

118 legoune en langue lao.

119 << Les activités agricoles et leur formalisation juridique ne peuvent être considérées indépendamment d'un ensemble de << croyances >>, de représentations des relations entre l'homme et la nature d'une part, entre les vivants et les ancêtres d'autre part, auxquels sont liés des << actes >>, des pratiques rituelles >>. O. Evrard, 2001 : 167.

pratiquer des cérémonies, collecter des plantes, se lier aux esprits.

Les autorités ont désormais interdit de sacrifier des animaux, de les offrir en offrandes aux esprits tutélaires et de se servir de leur sang pour les cérémonies animistes. L'argument tient de l'hygiène et de l'économie des denrées alimentaires dans des régions pauvres, manquant surtout de viande. Le chef ajoute qu'aujourd'hui <<il y a un hôpital au village », marque d'une laocisation et d'un certain recul par rapports aux sacrifices animistes. Le chef <<comprend que le gouvernement demande de supprimer les anciennes croyances, surtout animistes. Il veut développer notre village ». Le chef et d'autres villageois sont << pour l'application de la direction du gouvernement ». Ces réduction des pratiques sacrificielles se rencontre chez tous les villageois relocalisés. Yves Goudineau120 faisait tout de même remarquer que ces sacrifices pouvaient être plus fréquemment pratiquées si les résultats des déplacements s'avéraient être des échecs au bout de quelques années.

Monsieur Mao est le chamane du village. Tous les villages voisins abritent aussi un chamane. Sa famille forme des chamanes de père en fils car ils auraient été les premiers, en 1969, à s'être installés à Bouamphanh sur le seul terrain plat du vallon, proche de la rivière.

Toutes les autres habitations sont sur les versants, près de la route par manque d'emplacements plats non utilisés par les cultures et proches de la <<petite rivière ».

Il effectue trois cérémonies villageoises pour << traiter respectueusement les esprits »121 et bénéficier de leurs bonnes grâces pour les récoltes.

Il a sa place au conseil des anciens qui décide et organise les attributions annuelles des parcelles, de l'installation de nouvelles familles au village...

Lorsque le conseil a accorder un emplacement pour le nouveau foyer, Monsieur Mao demande aux esprits d'accepter les émigrants, de ne pas leur créer de problèmes. La demande en aide n'existe pas. Seule une demande de non-intervention des esprits est effectuée.

Il connaît très précisément la faune et la flore médicinale sauvage, leurs combinaisons bénéfiques accompagnées des paroles sacrées. Il peut ainsi guérir traditionnellement certains villageois qui viennent le voire avant d'aller à l'infirmerie. Pour les maux de ventre, il utilise des plantes qu'il nomme en langue khamou coc boulr, coc tam ngoud ou cua fat en langue lao. Pour les fièvres et les maux de tête, il utilise calenglroï et pour empêcher la jaunisse des nouveau-nés, les femmes enceintes consomment du coc séé ou to bong122 en lao. Contre les venins de serpents, il a besoin de tchom home mélangé à sa salive et à une partie du poulet.

La première cérémonie qu'il effectue se déroule avant les travaux de coupe des parcelles villageoises. Il utilise pour cela deux poules et deux verres d'alcool de riz qu'il offre aux esprits mauvais123, aux esprits de la forêt124, du riz125 et des défunts126 afin de ne pas avoir d'accidents pendant la coupe des essarts.

120 Y. Goudineau, 1996.

121 Pooua phi en langue lao.

122 bambusa tulda

123 phi crouang en langue lao.

124 phi paa en langue lao.

125 phi krao en langue lao.

126 phi paèl en langue lao.

La seconde cérémonie se déroule lorsque les gerbes de riz sont à une taille approximative de 80 cm. Il utilise alors un cochon domestique et plusieurs pièces illisibles d'une ancienne monnaie. Cette cérémonie est encore un voeu collectif demandant aux esprits de faire de bonnes auspices. La troisième cérémonie se produit avant de récolter. Monsieur Mao a alors besoin de riz, des outils utilisés pour la récolte et des produits des essarts que les villageois déposent, durant l'officie, dans un panier installé sur une table basse.

Toutes ces cérémonies coûtent 10.000 kips par famille afin d'acheter les matériaux indispensables aux rituels (alcool de riz, poules, cochon...) et d'apporter un maigre don pour les propitiations de Monsieur Mao.

Toutes les cérémonies collectives s'effectuent en extérieur, dans deux lieux réservés aux rituels collectifs. La première cérémonie de la coupe se déroule dans la forêt-cimetière, près de la rivière, au sud du territoire, à cinq minutes des habitations et les deux cérémonies suivantes se déroulent près des champs, au nord du territoire, à 20 minutes de marche des habitations.

Durant les cérémonies et dans les lieux de leurs exécutions, les interdits touchant à la coupe et à la collecte du bois sont nombreux.

A chaque lieu cérémoniel, la coupe des arbres est traditionnellement interdite sur 0.5 hectare. Les lieux doivent garder leurs caractères traditionnels, le souvenir du passé. Ils doivent être l'espace de relation avec les esprits. Un lieu désertique, sans vie, sans lien avec le passé, n'aurait aucun intérêt.

Les Khamou portent un grand respect aux arbres anciens, aux lianes colorées qui tombent jusqu'à terre, aux troncs impressionnants par leurs tailles et les formes de leurs formes. Les oiseaux aiment y venir, y faire une chorale joyeuse dans les branches. L'arbre de Bouddha127 et d'autres espèces ligneuses sont des protégées. Certains Khamou, bouddhistes, y voient la présence de bons esprits. Ils apportent donc des présents aux pieds de ces arbres et demandent aux esprits de les laisser vivre en paix.

Les jours des cérémonies, aucune coupe ou collecte de bois n'est permise et les bois qui ont servi à transporter des morts ne peuvent plus être utilisés. Ils sont abandonnés en forêt.

Selon le jeune marié, un arbre spécifique, considéré comme sacré, abrite des esprits128. Les villageois y viennent lors des cérémonies communautaires ou lors d'occasions familiales pour apporter aux esprits qui l'habitent, respect, gratitude, reconnaissance et une bonne cohabitation. Lors de ces cérémonies publiques ou familiales, les villageois lavent l'écorce avec de l'eau, déposent des donations alimentaires, des offrandes à leurs pieds. Ces cérémonies particulières sont liées aux respects des tabous, des dates traditionnelles, du chamane, dans le but de ne pas contrarier les esprits. Ces derniers ne sont ni bons ni mauvais à l'origine mais peuvent devenir l'un ou l'autre selon l'attitude des villageois.

La peur des esprits dans les villages isolés a peut-être développé la solidarité, le communautarisme et la soumission des villageois aux forces invisibles. Les moyens de communications (pistes et engins motorisés relativement rapides, téléphones, télévision...) ont diminué les distances et ont pu faire s'amenuiser le sentiment d'isolement et son corollaire, la solidarité sécuritaire. La relation entre le sentiment de proximité et la réduction des solidarités n'est cependant pas certaine. Mon étude ne portant pas sur cette question, il serait préférable de

127 kok pho ou mac ral en lao, ton sal en thaï.

128 Nom de l'espèce non enregistrée.

ne pas débattre plus avant inutilement. Beaucoup de facteurs entrent en cause pour expliquer la réduction des solidarités villageois observées et enregistrées après entretiens.

3.9. Les tabous alimentaires :

D'après le jeune marié, des tabous alimentaires existent et sont hérités de père en fils et de mère en fille. Pour tout le monde, la coupe et la chasse des espèces tabous sont autorisées mais pas la collecte ni la consommation. Il s'agit d'espèces végétales ou animales qui auraient provoqué chez les ancêtres, des maladies, des décès et qui laissent encore aujourd'hui une peur persister lorsque les anciens rappellent les histoires se rapportant aux origines des tabous.

3.10. Mariages :

Depuis 5 années, il y a eu plusieurs mariages réunissant des couples appartenant à différents groupes ethniques, preuves que les groupes ethniques ne sont pas hermétiques les uns des autres. Les unions sont cependant plus souvent le fait de personnes appartenant au même groupe ethnique. Il y eu deux mariages réunissant des couples lao-akha, un mariage réunissant un couple akha et 11 mariages réunissant des couples khamou.

Cette année 2006 fut aussi riche en unions puisque qu'il y eu 6 mariages dont les origines ethniques ne m'ont pas été communiqué.

Durant les cérémonies des mariages khamou, les époux sont assis en tailleur devant deux tables basses ornementées de feuilles de bananes, d'argent, de bonbons, de verres d'alcool. Les parents masculins des jeunes mariés sont assis côte à côte, de l'autre côté des tables, en face des époux. Les parents de sexe féminins sont assis en tailleur dans un coin de salle, derrière les époux à droite.

Le chef du village lit un discours officiel écrit par lui même sur une feuille de papier cahier déchirée. L'officialisation passe par le tampon du bas de page, que chaque chef possède, plus que par le discours, car après les plusieurs verres d'alcool de riz bus tôt le matin, bien des points du discours sont sautés et le chef du village a bien du mal a lire convenablement son texte. Une fois terminé, la lettre est remise aux époux, comme preuve de l'officialisation de leur union.

Aucun mariage arrangé n'est pratiqué à Bouamphanh. Tous les époux ont vécus d'abord une longue période ensemble avant de se marier. C'est un choix délibéré de leurs parts.

Une fois le discours achevé, chaque membre des deux familles s'approche des mariés pour leur remettre un bracelet de fils en coton enroulés avec de l'argent à chaque poignet et leurs souhaiter les meilleurs auspices. C'est ensuite au tour des proches de la famille et voisins. Les voeux sont généralement la partie la plus longue mais la plus émouvante de la cérémonie. Les époux qui jusque là étaient rester de glace, concentrés, savourant leur mariage, ne peuvent laisser échapper des sourires d'émotions devant tant de gentillesse.

La dernière étape de la cérémonie est le voeux collectif que tous les parents et amis proclament en coeur tout en touchant la table basse, intermédiaire entre les participants et les époux. Les femmes ne participent pas à ces voeux collectifs, mais les amis peuvent y participer.

3.11. L'école :

L'école de Bouamphanh est une école primaire composée des classes officielles. Les collèges se trouvent à Lat sang et à Muang Khoua. Seuls quelques élèves iront s'y inscrire.

130 élèves sont inscrits à l'école dont 30 originaires des villages voisins et dormant dans un dortoir. Ces << internes » vivent avec l'instituteur Jay Pèt qui a sa chambre particulière près du dortoir et qui est responsable de leur vie périscolaire. Toutes les semaines, un nouveau groupe de 5 << internes » est responsable de collecter et de cuisiner pour eux-mêmes et leur instituteur avec qui ils partagent leurs repas des midis et des soirées. Les repas du matin sont souvent déjà consommer par les enfants avant que Jay Pèt ne se réveille.

Chaque groupe d'enfant est chargé de la vaisselle, de la cuisine, de la collecte lorsque l'instituteur leur demande et de l'arrosage du potager commun.

Ce dernier n'est pas très grand (15 m2) pour fournir des légumes toute l'année à ces groupes <<d'internes ». Le chef du village n'a pas accepté de laisser agrandir le potager car selon lui << sa surface est suffisante pour des instituteurs qui ne restent que deux ». L'instituteur ne doit pas avoir de temps pour cultiver, il n'est pas agriculteur.

L'instituteur Jay Pèt tient la 3e et 4e classe de primaire au village. Il déclare gagner 120.000 kips par mois pour son travail. Son niveau n'est pas le plus élevé dans l'ancienneté scolaire, ainsi les autres instituteurs plus expérimentés, mariés avec des enfants, habitants à part entière du village, gagnent 300.000 kips par mois.

Comme lui, les plus jeunes instituteurs sont mutés tous les deux ans dans une nouvelle école. Très souvent d'origine khamou locale, plus rarement d'origines akha ou phounoi et rarement d'origine Lao, les instituteurs du district doivent s'intégrer à un nouveau village, une ethnie différente de la leur, des conditions de vie souvent plus pauvres que dans leurs familles.

Ils doivent ainsi s'installer dans leurs nouvelles chambres ou chez de nouveaux villageois (souvent le chef des villages). Durant deux ans, la vie de ces jeunes instituteurs n'est pas facile. Etant donné leurs salaires et le temps mis à les recevoir, ils n'arrivent pas à garder assez d'argent chaque mois et vont tenter de se procurer de la nourriture. Ils demandent aux élèves d'aller collecter en forêt ou vont seuls, chercher des pousses de bambous, des légumes feuilles, des petits gibiers pris à leurs pièges, des poissons. Ces temps de collecte sont très fatiguant pour des instituteurs qui travaillent réellement 7 heures par jour. Ils vendent aussi quelques photos de leurs appareils, échangent des services contre des aides alimentaires ou se font offrir par les villageois quelques kilogrammes de riz pour plusieurs semaines, des morceaux de gibiers quelques fois imposants, des produits de la collecte. Ces dons des villageois et leurs accueils chaleureux au sein de leurs familles marquent pour longtemps ces jeunes instituteurs. Au bout de deux ans, leur village de mutation est devenu leur village, leur famille.

Après la fin des cours, les responsables de l'éducation au district et au canton129 viennent faire les bilans avec les instituteurs. Les mauvais résultats des enfants akha et pala du village sont, selon tout le monde, le fruit d'une presque impossibilité de pouvoir articuler et concevoir la langue lao, qui est le principal enseignement des instituteurs. Les enfants seraient, par leurs origines ethniques, incapables de pouvoir écrire et parler convenablement lao.

Le dilettantisme des instituteurs n'est pas remarqué. Leurs absences répétées pour voir des

129 muat : canton scolaire, différent du canton administratif.

parents hors du village, pour aller travailler autre part qu'à l'école, ne sont pas prises en compte.

Selon des études D'Yves Goudineau130 sur les effets des déplacements de population, l'école serait contre toute attente un facteur de l'intégration laotienne des nouveaux arrivants, enfants comme adultes. Par l'école et la maîtrise de la langue lao (tout comme une proximité plus grande aux marchés et aux voies de communication), les familles auraient de plus grandes chances de s'intégrer et par la même de voir leurs conditions de vies s'améliorer.

Une fois leurs contrats terminés le 10 juin, leurs isolements dans les villages lointains achevés, ils souhaitent partir en ville, au moins quelques pour travailler dans les constructions de bâtiments pendant leurs congés ou aller rejoindre une petite amie ou une femme inaccessible pendant les plusieurs mois précédents.

Leurs souhaits pour l'année suivante sont de rester instruire en ville, près d'une piste ou d'une route. Les montagnards sont pour eux de très bons amis mais ils ne peuvent se résoudre à vivre comme eux. Cependant ils savent bien que leurs chefs ne les muteront pas en ville d'ici une dizaine d'année.

Les élèves ont dit préférer vivre à Bouamphanh plutôt que dans leurs villages, car il y aurait une école primaire avec toutes ses classes officielles et un marché. Toutefois, ce discours ressemble à celui d'un adulte, peut-être celui de leurs parents.

Un élève avoue préférer Bouamphanh pour son animation, sa télévision le soir, ses karaokés en VCD les matins et soirs, les allées et venues d'étrangers au village.

Très peu d'élèves préfèrent leur village à Bouamphanh même si certains disent avoir plus de copains au village de leurs parents. La famille n'est pas mentionnée dans les raisons de préférer son village ou Bouamphanh.

3.12. L'organisation familiale :

Un foyer compterait en moyenne 6 membres dont les grands-parents, les parents mariés, veufs ou célibataires et leurs fils célibataires, leurs filles et leur concubins attendant d'avoir assez d'argent pour se marier et aller vivre chez les parents du mari, leurs fils mariés avec leur femme et leurs enfants.

Dès que les maris ont assez d'argent, ils construisent un nouveau foyer près de celui des parents et vivent avec leur femme et leurs enfants. Il y aurait approximativement deux enfants par couples.

Cinq foyers au village vivraient avec plus de dix personnes, essentiellement les familles akha et pala.

3.13. Le temps : Fonctionnement du calendrier khamou.

Le cycle lunaire constitue la base du décompte du temps. Les mois comptent 28 jours et commencent avec la pleine lune. Néanmoins, un calendrier basé seulement sur les cycles lunaires ne pourrait servir de base pour l'agriculture, dans la mesure où une année lunaire compte 10,8 jours de moins qu'une année solaire et que les saisons se décaleraient chaque année dans le calendrier. Pour cette raison, un mois intercalaire est rajouté tous les trois ans

130 Yves Goudineau, 1996.

après les 3e, 4e ou le 5 e mois pour rétablir l'équilibre avec le cycle naturel. Le calendrier khamou est donc basé sur l'observation de la nature (les cycles de la lune, du soleil et des saisons) et sur des calculs mathématiques.

La << semaine » khamou comporte 10 jours auxquels font souvent référence les villageois. Le cycle dénaire est utilisé à la fois dans les villages khamou et les villages Thaïs.

1er jour : Kaa ou Skaa, 2e jour: Kaap ou Skaap, 3e jour: Rap ou Slrab, 4e jour: Ouaï ou Slaouaï, 5e jour: Meng ou Smeng, 6e jour: Pek ou Splec, 7e jour: Cut ou Scut, 8e jour: Cod ou Scod, 9e jour : Rouang ou Slrhouang, 10e jour : Tao ou Stao.

Au village de Bouamphanh, les villageois ne travaillent pas les jours où leur père est décédé. Pour chaque foyer, un jour chômé est donc différent de celui de son voisin.

Pour le chef du village il s'agit du jour Meng. Il ne pourra pas travailler ou faire de soukhouane car il n'a pas de chance ni de courage à donner ce jour là. Il ne peut donc créer, produire et faire des voeux durant les soukhouane. Il doit être humble et accepter de ne rien réaliser devant la mémoire de son père défunt. Un rituel privé est réalisé dans la maison et la forêt-cimetiere à l'écart des regards.

Le jour de l'esprit du village131 ou << jour du village »132 est aussi très important. C'est un jour chômé collectivement. Il faut honorer l'esprit ou l'âme du village en lui apportant de la nourriture à l'extérieur de la zone des habitations, en récitant des paroles sacrées en langue khamou et en respectant les interdits. Chaque village à un jour différent pour honorer ses esprits. Le jour de l'esprit de chaque village est très souvent le jour du marché au village. A Bouamphnanh il s'agit du jour Rouang.

Sur ce cycle de 10 jours se superpose un cycle de soixante jours obtenu par la combinaison des termes de la première liste de 10 jours et de 12 nouveaux termes d'une nouvelle série qui ne s'emploie que combinée avec le cycle dénaire. Les termes de la série dénaire sont employés cinq fois et ceux de la série duodénaire six fois.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Tche plao nji mao si se snga mot sén rao sét ke

1 Kaa Kaa plao Kaa mao Kaa se Kaa mot Kaa rao Kaa ke

2 Kaap kaap tche kaap nji kaap si kaap snga kaap sén kaap sét

3 Rap Rap plao Rap mao Rap se Rap mot Rap rao Rap ke

4 Ouaï Ouaï tche Ouaï nji Ouaï si Ouaï snga Ouaï sén Ouaï sét

5 Meng Meng plao Meng mao Meng se Meng mot Meng rao Meng ke

6 Pek Pek tche Pek nji Pek si Pek snga Pek sén Pek sét

7 Cut Cut plao Cut mao Cut se Cut mot Cut rao Cut ke

8 Cod Cod tche Cod nji Cod si Cod snga Cod sén Cod sét

9 Rouang Rouang plao Rouang mao Rouang se Rouang mot Rouang rao Rouang ke

10 Tao Tao tche Tao nj Tao si Tao snga Tao sén Tao sét

Olivier Evrad133 avait élaboré un diagramme légèrement différent de celui-ci, les termes collectés dans la région de Luang Nam Tha n'étant pas dans le même ordre que les termes collectés à Muang Khoua. Les villages dans lesquels il avait travaillé était bien habités par l'ethnie Khamou mais du sous groupe Khamou rook et non du sous groupe ethnique Khamou

131 Nang Phadèng Poupa est le nom de l'esprit du village de Bouamphanh.

132 Tayanin : 1994.

133 O. Evrard, 2001 : 207.

ou de Muang khoua. Ceci explique peut-être les différences. La chronologie des jours que Olivier Evrard avait établie ne peut plus être validée avec ce nouveau diagramme. Il ne sera donc pas proposé de termes chronologiques journaliers.

On trouve chez les Thaïs des calendriers basés sur ce même cycle de soixante et présentés sous la forme d'un diagramme similaire. La combinaison de séries dénaire et duodénaire semble provenir de la tradition chinoise dans laquelle elle a servi depuis longtemps à compter les jours, les mois et les années134.

Chaque terme combiné entre le cycle dénaire et duodénaire figure des situations particulières et donnent des indications relatives à l'organisation des activités humaines, profanes ou sacrés chez les Khamou. Les indications relatives à l'activité humaine peuvent être de l'ordre de l'interdit ou au contraire de l'acte bénéfique. Les figures organisant les agissements humains peuvent être relatives aux légendes, à l'observation des cycles naturels, aux évènements de la vie, lesquelles on se doit de rendre hommage135.

Les activités humaines, domestiques, agricoles, profanes ou sacrés sont donc dépendantes des significations du calendrier. Chaque activité doit être réalisée sous de bonnes auspices, les bons jours du calendrier.

1er jour : Kaa ou Skaa, le jour des « corbeaux >>.

2e jour: Kaap ou Skaap, le jour de « la prière >>.

3e jour: Rap ou Slrab, le jour du « don >>.( Bon jour !)

4e jour: Ouaï ou Slaouaï, le jour du « tigre >>. (Très bon jour pour les brûlis.) 5e jour: Meng ou Smeng, le jour de « l' élévation >>.

6e jour: Pek ou Splec, le jour de « l'ébullition >>.

7e jour: Cut ou Scut, le jour de la « coupe >>.

8e jour: Cod ou Scod, le jour de « l'ombre >>.

9e jour : Rouang ou Slrhouang, le jour « où bascule la fleur de riz >>.(Jour de l'esprit du village de Bouamphanh. Jour de marché. Le choix de ce jour pour honorer l'esprit du village tient d'une histoire locale datant de plus de 35 ans. Personne n'a pu la raconter.)

10e jour : Tao ou Stao, le jour de « la tortue >>.

3.14. Les marchés :

Les villageois se rendent principalement aux marchés de leur village, à Pak Nam May et à Sam

134 Le cycle de soixante est également utilisé chez les Khamou pour nommer les années : 1995 était une année raapke d'où un siècle de 60 ans.

135 Tayanin 1994 : 62-63-65.

Phan Xay. Chaque marché a lieu tous les 10 jours. Le premier marché local est à Sin Xay. Le lendemain le marché à lieu à Lat sang, le sur-lendemain à Bouamphanh et enfin à Muang Khoua.

Le plus gros marché se situe à Lat Sang. A 60 km de bouamphanh, à mi chemin entre Sin Xay et Khoua, il est localisé sur la route bitumée qui se poursuit jusqu'au Viêt-nam, à Dien Bien Phu.

Le village de Sin Xay est pourtant le véritable carrefour dans la région. Il est situé à l'intersection des routes qui mènent à l'Est et au Nord. Il pourrait être le marché le plus attrayant. Les habitants des montagnes au nord d'Oudom Xay, Muang La, Lat sang et Khoua se trouvent approximativement à la même distance de Sin Xay.

Les responsables du village m'ont d'ailleurs fait savoir que les responsables du district de Khoua souhaitaient développer Sin Xay. La première maison en ciment a été construite cette année. De nombreuses familles viennent s'y installer pour monter des épiceries-restaurants pour les voyageurs et une famille à construit une maison d'hôte modeste de 2 chambres et 6 places. Un commissariat et de nombreux policiers sont présents pour contrôler les allers et venues des groupes ethniques montagnards.

Développer Sin Xay serait un avantage pour les villageois de Bouamphanh qui ne seraient lus qu'à 20 km et 30 minutes du plus important marché avoisinant.

Aux marchés, il fut intéressant de constater que les villageois ne savaient pas quelle origine avait le riz qu'ils achetaient. Aucun écriteau ne pouvait leur faire connaître les provenances des biens de consommations et les vendeurs parlaient rarement lao mais chinois. Sans l'expérience de certains villageois, ils n'auraient pas pu connaître l'origine de ce qu'ils mangeaient. Il semble que l'absence d'indication sur les origines des denrées alimentaires ne soit pas un soucis pour les villageois.

3.15. L'organisation du travail villageoise : Affaiblissement de l'entraide.

Les parcelles ne sont pas travaillées en commun avec d'autres familles. L'assolement est dit dispersé après l'exécution du programme d'allocation des terres entériné en 2000. Chaque famille est relativement indépendante pour choisir les modalités d'exploitation de leurs parcelles. Les cinq groupes de travaux agricoles, constitués par le conseil des anciens, servent aux besoins urgents. L'entre aide régulière n'est donc pas appliquée.

Ces manques sont dus à différentes raisons.

D'abord à une moyenne d'âge très jeune de la population ne permettant pas d'avoir une main d'oeuvre disponible et expérimentée toute l'année (uniquement en période de vacances scolaires : deux mois).

La privatisation des terres, l'assolement dispersé et le caractère pluriethnique villageois combinés renforcent aussi les liens. Les identités ethniques s'en trouvent raffermies (« Ici, c'est un village khamou », « Il y a beaucoup d'ethnies, Cinq !»), faisant bien savoir que les Khamou sont majoritaires et que la présence des autres ne changera pas l'appartenance khamou de Bouamphanh.

Le manque de terre tant affiché par certain villageois ne peut s'envisager que pour certains paysans pauvres en comparaison de leurs voisins.

Il s'agit bien souvent des nouveaux arrivants appartenant aux minorités ethniques villageoises qui connaissent des difficultés souvent combinées : un manque de main d'oeuvre du au jeune âge des membres de la famille et parfois à leurs états de santé médiocres ; un manque d'entraide ; une réduction des surfaces cultivables ; un appauvrissement des terres ; des outils de mauvaises qualités et parfois de l'inexpérience des terrains du nouveau village ;

l'impossibilité d'accéder à des rizières de vallons pourtant plus productives que les essarts. Cependant, un nombre important de familles khamou se plaignent d'un manque de terres pour vivre mais souhaiteraient en faire des productions de rente.

Si un manque de terres cultivables est réel, les priorités doivent aller aux bénéfices des plus pauvres du villages qui n'ont pas assez de terres pour vivre et non pour commercer. Le souhait communautaire devrait être que toutes les familles soient autosuffisantes. Cependant l'avis général serait plutôt de faire des réserves financières sans s'occuper des nouveaux arrivants qui n'ont pas de quoi être autosuffisants.

Un certain caractère privatif et individualiste se développe donc au village et l'entraide commence à donner des signes d'essoufflement.

Il est remarquable de noter qu'Yves Goudineau136 avait déjà noté dans un village similaire à Bouamphanh, habité par des populations khamou de la province de Phongsaly, relocalisées depuis 10 ans, que l'entraide villageoise avait diminué au profit d'un salariat villageois. Les villageois les plus anciens ne faisaient pas tourner les meilleures parcelles.

Dans le cas de Bouamphanh, la situation est comparable puisque la majorité des rizières irriguées est désormais acquise en droit de propriété. L'exploitation de ces parcelles ne sera pas villageoise. Elles ne pourront pas être redistribuées à de nouvelles familles malgré l'importance qu'elles avaient dans le choix de venir s'installer à Bouamphanh. La privatisation des terres paraît être le premier facteur de l'amoindrissement de l'entraide. L'assolement dispersé qui rend relativement indépendante chaque exploitation familiale est aussi la source de la diminution de l'entraide.

L'assolement réglé présentait pourtant des avantages vis à vis de l'économie de travail pour les clôtures (clôturer en commun un seul pan de forêt villageois est une économie de temps et d'énergie), un mode de travail en commun qui permet l'entraide sur des parcelles adjacentes lors de certains travaux où la main d'oeuvre nombreuse est indispensable (sarclage). Ce mode d'assolement réglé réduit donc les différenciation sociales et l'écart économique entre les familles.

Le passage de l'assolement réglé au dispersé serait dû, selon certains travaux,137 à la réduction de la surface disponible à la culture après l'exécution de l'allocation des terres et aux tensions villageoises qui en découlent pour la gestion agricole. Il serait dû aussi à l'augmentation de la densité de la population comme dans le cas de Bouamphanh.

Les dépendances intra-villageoises sont les faits des cérémonies auxquelles ils doivent participer pour fertiliser les parcelles, des dates suivants celles que le chamane choisira pour semer, des dates que leurs voisins de parcelles choisiront pour brûler leurs champs138.

136 Y. Goudineau, 1996.

137 Keonuchan 2000.

138 Voir « Technique de brûlis » dans « L'itinéraire technique ».

4. Les caractéristiques techniques :

4.1. Les ressources :

4.1.1. La forêt :

Les produits forestiers139 de la chasse, de la pêche ou de la collecte ont encore une grande importance pour les apports financiers, la diversité alimentaire et à la nécessaire quantité de nourriture des villageois.

Préparation de l'écorce de mûrier à papier indispensable pour des ressources financières familiales très réduites.

Les villageois reviennent toujours des champs avec une denrée alimentaire collectée sur le parcours du retour à la maison. Le riz est la base de leur alimentation, mais ils ont besoin de diversifier leurs régimes alimentaires avec des poissons, différentes légumineuses sauvages, des rongeurs... La chasse, la collecte, la pêche ne sont pas des amusements. Les enfants et les groupes d'adultes peuvent avoir l'air de se faire plaisir à collecter et à se rendre en forêt, mais revenir bredouille signifie ne pas mangé beaucoup au retour. Ils ne mangent d'ailleurs pas souvent de gibier car ils ne sont pas de très bons chasseurs. Les jours où ils parviennent à tuer un cochon ou un cervidé sauvage, le chasseur vend des morceaux plus ou moins importants aux voisins. Il peut aussi décider d'offrir un repas pour la communauté. Dans ce cas, les voisins qui avaient acheté la viande la ramèneront pour la cuisiner et participer au frais du repas. Ces repas de chasse sont rares. Les villageois sont de plus grands pêcheurs que chasseurs. Ils n'hésitent pas à rester des heures la têtes baissée dans l'eau avec une arbalète de fortune pour tenter de toucher un poisson rapide et si petit que l'on se demande pourquoi tant de fatigue pour quelques arrêtes.

Monsieur Paeng dit passer moins de temps en forêt que n'en passaient ses parents et pense que la nouvelle génération ne connaît pas la forêt aussi bien que leurs parents.

Il n'est pas un forestier. Les jours où il passe le plus de temps en forêt sont ceux de la coupe. Ceux où il ne va jamais en forêt sont ceux de l'attente de la récolte. Il ne passe pas son temps en forêt comme le font d'autres chefs de famille qui aiment chasser et pêcher.

139 NTFP : Non Timber Products forest ou SPAF : Sous Produits agroforestiers : Pousses de bambous, l'écorce de mûrier à papier (possa en lao), cardamome, champignons, légumes-feuilles...

Il va toujours en forêt pour y travailler au champ, y collecter rapidement et pêcher sans perdre de temps à l'électricité mais jamais pour y chasser ou collecter, travail voué aux femmes et aux enfants.

L'endroit où il va le plus souvent est celui où il doit couper des arbres ou des lianes pour faire des clôtures.

Monsieur Paeng dit ne jamais aller à la source de la rivière Houai Kha Nga, seul lieu du territoire où il n'a aucun intérêt d'y aller.

Il peut aller seul en forêt s'en s'y sentir apeuré. Il ne connaît aucune ancienne histoire locale racontée à toutes les générations d'enfants qui se déroule en forêt. Ses craintes viennent des serpents et des chasseurs qui peuvent le prendre pour un gibier.

Il ne connaît aucun lieu porteur de chance mais avoue que certains lieux pourraient être habités par des esprits depuis 30 ans. Par contre d'autres villageois en sont persuadés et en ont peurs.

Le jeune marié pense que les villageois khamou de Bouamphanh sont frugaux à la différence des Akkha qui se complaisent à vivre dans la forêt. C'est pourquoi, en comparaison à ces voisins, le territoire de Bouamphanh possède moins de forêts protégées que de parcelles (jachères comprises). Selon le jeune marié, les villages qui aiment faire de grands repas communautaires, s'inviter à manger entre voisins, sont plus proches des modes de vies laos et khamou que akkha, nous pourrions préciser plus proches des agriculteurs que des forestiers.

Malgré cette différence qu'il émet entre Khamou et Akkha, il ne pense pas que les techniques agraires soient différentes entre eux. Les Khamou auraient des propensions plus grandes à une utilisation extensive des terres, alors que les Akkha seraient plutôt portés sur les produits de la forêt.

Cette utilisation extensive des sols a obligé le village de Bouamphanh à replanter des arbres pour avoir de belles forêts dans les années à venir et ainsi pouvoir commercialiser les bois des plantations, avoir plus de gibier et d'autres produits forestiers. Une <<belle forêt » est d'abord considérée par son apparente densité, sa haute canopée continue, son âge, sa couleur foncée, la présence de certaines espèces de bois et de bambous140, puis par les potentiels de son exploitation villageoise. Les villageois, vivant des produits de la forêt (nous pouvons considérer aussi bien les cendres végétales utiles aux essarts, le bois de constructions, de feux, le gibier, les pousses de bambou et les légumes-feuilles...) sont conscients qu'il faut avoir de <<belles forêts » pour avoir des récoltes suffisantes, une alimentation convenable.

Malgré tout, ils ne font pas quotidiennement référence au conflit forêt-champ. Ce sujet revient à certaines occasions, lorsque les officiers du ministère Agriculture et Forêt viennent au village, lorsque l'eau des points d'eau s'amenuise suite au défrichage de lieux normalement réservés à l'eau ou lorsque la terre des parcelles s'érode dans la rivière et empêche les villageois de pêcher à vue. Malgré leur conscience qu'il faut avoir une <<belle forêt » pour vivre, ils regrettent de ne pas avoir plus de terres à cultiver et pensent corollairement avoir assez de territoires forestiers. Pour eux, soit leurs rizières sont trop petites à cause de l'étroitesse des vallons, soit leurs essarts ne sont pas assez étendus à cause de la faible altitude des reliefs.

Si les villageois pensent ne pas avoir suffisamment de terres cultivables et assez de terres
forestières, les officiers pensent le contraire. Cependant, les villageois font part de leur avis

140 Ce qui peut paraître paradoxale mais qui prouve la présence d'eau dans le sol et qui peut aussi montrer une certaine différence d'interprétation de ce qu'est une belle forêt pour les villageois.

sans critiquer directement l'avis des officiers.

Plus fréquentes sont les critiques directement dirigées vers <<ceux qui n'en font qu'à leur tête >>, les kroun kidu et déboisent en zones protégée des bassins versants, rendant ainsi le débit de l'eau pratiquement inutilisable pour tous les besoins familiaux.

Si les Khamou de Bouamphanh connaissent des périodes alimentaires difficiles, regrettant de posséder de bas reliefs et des vallons étroits, ils préfèrent cependant vivre dans leur village plutôt qu'en milieu forestier montagnard comme leurs voisins akha. Ils reconnaissent que la vie y est plus difficile, le travail plus pénible.

Ils souhaiteraient rester vivre à Bouamphanh et garder <<la tradition des parents >> tout en ayant les opportunités techniques des Lao. Un certain nombre de souhaits ont donc été énuméré : l'accès à l'électricité publique, à une cuisinière, à des canaux d'irrigation cimentés, à des motoculteurs, des outils de qualité comme les pioches, les pelles, des bêches en quantités, des taules pour les toitures, plus sures que les herbes à paillotes en saison des pluies, à une route enrobée plus rapide, moins dangereuse et moins poussiéreuse et à un potentiel commercial plus important (un marché plus grand, l'accès à plus de marchés, la venue de plus de clients extérieurs), favorisant l'économie de rente préférée à l'autosuffisance qui semble peu à peu délaissée car trop juste pour la sécurité financière des familles.

Selon la famille du jeune marié, les villageois passeraient moins de temps à collecter en forêt, à chasser et à pêcher que ne le faisait les anciens. Certaines personnes peuvent passer au maximum une dizaine d'heures dans la forêt à l'occasion des travaux de coupe et lors des sorties de chasses. Ils passeraient au minimum 30 minutes en forêt par jour pour aller collecter les produits alimentaires forestiers de bases que sont les pousses de bambous, les légumesfeuilles et petits animaux piégés dans les différents emplacements installés par les villageois. Le temps en forêt n'est pas le seul outil d'analyse pour savoir si leur rapport avec la forêt est prolongé ou occasionnel. Dans le cas où il serait prolongé on peut facilement concevoir qu'ils souhaitent garder leur environnement végétale source d'alimentation, de plaisir collectifs à être entre amis pour les collectes, et de repères spatiaux.

Selon le jeune marié, la forêt peut être un lieu apaisant, intime ou les couples vont travailler mais aussi s'y sentir bien lors des moments de repos. Le jeune marié dit d'ailleurs que malgré le fait qu'un mari marche devant sa femme dans les lieux publics du territoire, ils aiment se retrouver ensemble en forêt.

La forêt est aussi un lieu qui fait peur. Certains couloirs de végétation non coupés (ruisseaux de vallon où s'amoncelle la végétation non entretenue), où personne n'est passé depuis longtemps peuvent abriter de mauvais esprits, des animaux sauvages qui rendent les villageois attentifs aux moindres bruits suspects. Les esprits seraient localisés dans les versants, les parties d'anciennes forêts, plus denses que les forets clairs, des lieux où il n'y a pas traces de passages humains, ainsi que dans la forêt- cimetière proche du village. Aucun esprit ne logerait sur les sommets.

Les différentes activités, légendes qui sont en rapport avec la forêt sont des marqueurs culturels et économiques importants pour distinguer les rapports humains à la forêt. Nous pouvons nous apercevoir que les Khamou passent moins de temps en forêts que les Akhas et qu'ils recherchent à étendre les cultures, en acceptant les méthodes lao d'exploitation sédentaire intensive des terres prônée par les autorités laos. La conservation de la forêt n'est pas leur soucis premier. Ils seraient plus tentés de l'exploiter sans limite comme le font déjà certains

thaïs ou lao qui n'hésitent pas à défricher de vastes zones protégées dans les parcs nationaux de Sayaburi et de Phongsali. Lorsque la dépendance économique à la forêt diminue, sa conservation n'est plus primordiale et il faut alors concevoir un intérêt écologique qui n'est pas encore l'apanage des villageois de la région.

4.1.2. Le riz et le maïs :

A Bouamphanh, les villageois ont désormais choisi de produire autant de maïs que de riz glutineux (environ 40% de chacune des productions). Le sésame et les plantations d'arbres arrivent en second plan (20% des productions selon le chef) avec les légumineuses, le coton, le tabac et les piments. Ces proportions égales de productions de riz et de maïs n'est pas aussi marquée à l'échellle nationale comme nous avons pu le constater dans le chapitre << Economie : Un pays sous développé >>. Le cas de Bouamphanh, sans être rare est significatif des changements agraires qui s'opèrent dans la région.

4.1.2.1. Les espèces de riz glutineux cultivés au village : Les espèces de riz les plus cultivés :

- Le riz << de pierre >>141 qui se plante de préférence dans le haut de l'éssart et a besoin de 3 mois de levée.

- Le riz << plein >> qui se plante de préférence dans le bas de l'éssart et à besoin de 3 mois de levée. Il est considéré de meilleur qualité que les autres espèces et coûte en contre partie plus cher.

- Le riz << propre >> qui se plante dans le bas de l'éssart et a besoin de 3 mois de levée.

Les espèces de riz les moins cultivées :

- Le riz << violet >> qui se plante autour de la cabane d'éssart et a besoin de 4 mois de levée. - Le riz << gagnant >> qu a besoin de 5 mois de levée.

- Une espèce non traduite qui se plante dans le bas et a besoin de 3 mois de levée.

Toutes les espèces n'ont pas été énuméré. Il conviendrait de poursuivre leur inventaire. Le Laos est le second contributeur de la banque mondiale de germeplasmes de l'IRRI142. 12 555 échantillons dont 6717 échantillons de riz glutineux proviennent du Laos.

<< Ces espèces sont différentes autant du point de vue de leurs maturités, de leurs tailles, de leurs odeurs, de leurs goûts >>143, de leurs prix, des habitudes familiales, de leurs quantités mises en réserves par chaque génération, de leurs utilisations régulières dans chaque famille, de leurs accessibilité locale sur les marchés, chez les voisins. Les raisons de cultiver des espèces plutôt que d'autres tiennent autant à des facteurs pratiques et rationnels qu'à des facteurs irrationnels, psychologiques et sociaux.

Lorsque nous interrogeons les villageois sur les raisons de préférer consommer du riz glutineux

141 Toutes les traductions sont du mot à mot.

142 Institut de Recherche Rizicole International.

143 Jeune marié de 22 ans.

plutôt que du normal, aucune raison n'est donnée, sauf une petite moue de dégoût vis à vis du riz normal.

Tous les riz glutineux auraient la capacité d'être cultivés dans tous les essarts du territoire comme le sont les espèces de riz normaux cultivées par les voisins akha.

4.1.2.2. Le maïs :

Les villageois utilisent en moyenne un essart-jardin de 0,5 à 1 ha par famille pour y planter essentiellement du maïs d'origine vietnamienne apporté, acheté et vendu à Monsieur Paeng qui contrôle donc toute la chaîne commerciale au village. Les villageois cultiveront un maximum de 3 années. Après cette date ils devront redemander aux responsables agroforestiers locaux l'autorisation de cultiver cette même parcelle ou une autre.

Le monopole des semis de maïs n'est pas perçu comme un facteur d'appauvrissement des terres.

Les essarts-jardins ont un objectif de rente pour ensuite pouvoir acheter le riz. Ces champs ne sont donc pas autant contrôlés, surveillés que ne le sont les essarts de riz qui sont pour l'autoconsommation familiale. L'appauvrissement des essarts-jardin de maïs n'est pas aussi critiqué que ne l'est l'appauvrissement des essarts de riz. Les villageois ne voient pas en quoi le développement du maïs pourrait leur porter préjudice. Pourtant ils sont conscients qu'exploiter les mêmes sols sur plusieurs années consécutives appauvrissent les terres, ne permettent pas à la végétation de reprendre et donne à la longue des mauvaises récoltes.

Les terres rouges, désertiques ne peuvent elles pas être crées par l'absence prolongée de végétation protectrice de l'assèchement ?

L'association des différents cultivars et espèces sur un même terrain est considérée par les paysans comme bénéfique pour la fertilité des sols. Cette considération fut d'ailleurs confirmée au village par l'O.N.G. « Quaker » qui les rassura dans leurs techniques traditionnelles.

La développement du maïs qui prend peu à peu la place des cultures de riz n'est cependant pas critiqué. Il semble que le maïs était autrefois exploité en association avec les cultures d'opium. Depuis que ces cultures ont disparues, celles du maïs ont colonisées les espaces vides.

L'artisanat n'est pas répandu au village, mais beaucoup de familles pauvres arrachaient l'écorce des mûriers à papier pour l'effiler au village et le vendre en tas en ville.

4.2. Les outils

4.2.1. Le calendrier agricole :

Selon le chef du bureau provincial chargé de l'agriculture et des forêts144, dans le Sud de la province de Phongsaly, les premiers brûlis commencent en février, car le climat y est plus sec qu'au Nord, la mousson arrivant par le Sud, les calendriers agricoles déterminent d'effectuer les travaux plus tôt au Sud qu'au Nord de la province. Les dernières coupes s'effectuent à a mimars car il faut encore un mois pour faire sécher et brûler l'abattis avant les pluies qui viennent à la date butoir du nouvel an bouddhiste, vers le 12 avril. Ses informations ont été vérifiées au

144 Source : Entretient.

village de Bouamphanh avec le calendrier agricole du village suivant.

Le respect des traditions par le suivi des dates, des dictons et des choix du chamane ainsi que les connaissances personnelles des prévisions météo et les adaptabilités matérielles, économiques, sociales et sanitaires sont les facteurs importants de la qualité des travaux et des récoltes.

Le calendrier tient compte des dates qu'ont choisi les différentes familles du village. Les premières familles pourront commencer un nouveau travail pendant que d'autre n'auront pas fini le précédent.

Les travaux de brûlis et de débardage-sarclage doivent obligatoirement être réalisés avant les pluies persistantes sinon il faudra attendre que le soleil sèche à nouveau l'abattis et sarcler à nouveau des adventices qui repoussent très vite avec les quelques heures de pluies. C'est pourquoi nous avons indiqué les dates des premiers orages, qui correspondent aux dates du nouvel an lao, ainsi que les dates des premières pluies persistantes.

1. Du 25 février au 25 mars : coupe des essarts à riz.

2. Du 5 mars au 10 avril : séchage de l'abattis de riz et de maïs.

3. Du 8 avril au 10 avril : coupe des essart-jardins de maïs.

4. Du 8 au 13 avril : brûlis des essarts de riz.

Le 12 avril : Le premier orage.

Du 13 au 16 avril : la nouvelle année lao.

5. Du 12 au 28 avril : brûlis des essart-jardins de maïs.

6. Du 14 au 30 avril : débardages, nouveaux sarclages des essart-jardins de maïs. Le 21 avril : Premières pluies persistantes.

7. Du 17 avril au 14 mai : semis de maïs, constructions ou réhabilitation de cabanes de champs.

8. Du 22 avril au 30 mai en interruption : Constructions de barrières et de cabanes de rizières irriguées. Sarclage de leurs adventices et reconstruction des canaux d'irrigation.

9. Du 20 Mai au 10 juin : semis de riz pluvial.

10. Fin mai-début juin : Semis de riz irrigué.

11. Juillet : un sarclage et récolte de certains légumes (courges...).

12. Août : un sarclage. Récolte de certains légumes (sésame, manioc, concombres, aubergines, feuilles de coriandre...)

13. Mi-Septembre : Récolte de maïs.

14. Fin septembre : Récolte de riz pluvial.

15. Octobre : Récolte de riz irrigué.

Approximativement à partir du 10 avril (date des premiers brûlis) jusqu'au mois de juillet (date des seconds sarclages), les villageois ne chôment pas. Il s'agit de la période de l'année la plus chargée en travaux agricoles.

Le quantité de travail par actif (0,9 ha cultivé par an par actif) associé à un assolement dispersé et un manque d'entraide villageois participent à densifier les travaux sur une courte période qui va des mois de février à la mi-juin. L'entraide aurait pu étaler plus facilement les travaux, laissant des temps de repos entre les étapes agraires.

Le calendrier de Bouamphanh semble à la limite de son fonctionnement. Les délais deviennent trop courts !

4.2.2. La météorologie :

Les anticipations au jour précédent ou au matin même sont bien souvent hasardeuses. Les villageois changent souvent d'avis pour diagnostiquer d'éventuelles pluies. Une des sources sérieuses pour prévoir l'arrivée de la pluie est sans conteste un vent violent accompagné de nuages noirs. Leurs prévisions météo ne sont donc pas infaillibles. Ils doivent s'adapter au jour le jour pour savoir quels travaux effectuer dans les champs.

Selon le jeune marié, la météo doit correspondre aux travaux agricole. Le jour du semi, les membres de la famille ont besoin d'une période ensoleillée afin d'éviter que ne s'érodent les sols sous les pluies et les travaux manuels. Pour le semi du riz en rizière irriguée ils ont par contre besoin d'une période de pluie.

Afin de savoir quel jour effectuer les travaux, ils prévoient la météo avec trois ou quatre jours d'avance. Ils regardent le temps tous les matins et s'adaptent beaucoup plus au jour le jour qu'ils n'anticipent la météo. Il se servent de l'observation de la direction des nuages, de leurs couleurs, à la présence d'étoiles la veille au soir qui prévoirait une journée ensoleillée le lendemain, à la force du vent quelques heures avant des orages.

Si la pluie a décidé de tomber toute la matinée, ils travailleront moins et iront s'abriter dans leurs cabanes, mais sortiront de temps en temps sous le crachin pour avancer un peu leur travail et ne pas trop perdre de temps sur la saison des pluies qui arrive. Les prévisions météorologiques sont d'ailleurs peu fiables, puisque le jeune marié donnait 50 % de probabilités aux prévisions et que celles-ci changeaient très souvent du tout au tout en l'espace d'une heure et les dates traditionnelles du début de la saison des pluies ne concordaient plus depuis 5 ans. Cette année 2006, les premiers orages arrivèrent le vers le 20 avril, mais les pluies de plus d'une heure durent attendre le 15 mai et les crachins d'une journée, le début de la saison des pluies selon eux, arrivèrent le 4 juin.

Les dates traditionnelles sont par contre respectées car elles ne sont pas qu'utiles aux prévisions météorologiques villageoises...

La prévision des travaux par les prévisions météo se fait en fonction des dictons météo :

«Pendant la lune montante, le riz monte en montagne et pendant la lune descendante le riz redescend de la montagne", ce qui implique qu'il faille intervenir pour certains travaux lors de la croissance du riz, lors du jour le plus symbolique, le plus marquant, le dernier du cycle de 15 jours de la lune croissante, la pleine lune, avant que ne décroît le riz.

Les prévisions des travaux se font aussi en fonction des dates traditionnelles145, et de l'attente de la première plantation de riz d'essart de l'année qui doit être pratiquée par le chamane, Monsieur Mao.

Monsieur Paeng pense lui aussi que les villageois travaillent plus souvent en fonction des changements climatiques quotidiens et moins souvent en fonction de la croyance habituelle. Cependant, il est conscient que la croyance correspond en partie à la régularité des changements météo. Selon Monsieur Paeng, les paysans doivent s'adapter aux changements

145 Ils doivent brûler leurs abattis avant le 13 avril, date du début des cérémonies du nouvel an bouddhiste lao et laotien.

météo quotidiens car << le climat change, il ne pleut plus à temps car on a détruit la nature ».

Il peut cependant tenter de prévoir des changements météorologiques à 30 jours d'anticipations, mais il y a selon lui 50 % de probabilité que ces prévisions soient justes.

Il connaît quelques dictons météorologiques qui l'aide à prévoir la météo :

- << Si depuis le matin du 27 avril jusqu'au soir du 28 avril (dernier jour de la lune
décroissante), il ne pleut pas, il fera sec durant une quinzaine de jours encore ».

- << Si les grenouilles croassent, il pleuvra demain ».

- << Si les boeufs rentrent au village, il pleuvra dans une heure ».

Il se fie cependant beaucoup plus à la météo de chaque matin qui doit leur permettre d'avoir les conditions climatiques optimales pour les cultures, c'est à dire selon lui, environ 35 jours de pluie et 55 jours de soleil accompagné d'un léger vent.

4.2.3. Les ustensiles :

Les ustensiles des travaux agraires sont un facteur important du succès des récoltes. Leurs qualités permettent de ne pas perdre de temps à fixer sans cesse la lame des machettes dans leur manche ou à racheter tous les deux mois de nouvelles machettes qui se brisent facilement.

La possession d'animaux de labour est aussi une fonction primordiale pour les exploitants. L'aventure récente du chamane l'illustre.

Monsieur Mao possède un hectare de rizière irriguée et 1.5 hectare d'essart à riz.

Il n'a plus utilisé sa rizière irriguée depuis 3.5 ans car, la chance l'aurait quittée en faisant mourir de maladie son unique buffle irremplaçable, selon lui, pour labourer la rizière plane.

Il pense aussi que la qualité des outils est très importante pour la qualité des travaux agricoles. Elles sont fonctions de l'origine des outils. Les meilleurs outils viendraient de Thaïlande. Leurs lames seraient plus solides, moins cassables, elles ne se désolidariseraient pas de leur manche et n'auraient pas besoin d'être aussi fréquemment aiguiser que les outils chinois qui durent donc moins longtemps.

Une machette qui dure un an coûterait 8.000 kips. Une machette qui dure 3 an coûterait 10.000 kips. Une machette qui dure 5 ans coûterait 15.000 kips.

Comme les mobylettes ou les briquets, les objets fabriqués en Chine sont décriés mais plus utilisés par rapport à ceux de Thaïlande, car ils sont moins chers.

La plupart des villageois n'utilisent pas de fertilisants organiques ou minéraux. Ils appliquent parcimonieusement des désherbants chimiques146 sur les digues des rizières irriguées ou dans les essarts pluviaux pour alléger les pointes de travail dû au sarclage d'avant et d'après semi. Ces herbicides sont vendus à Phongsaly. Ils ne sont normalement pas autorisés à être vendus et utilisés puisque le gouvernement laotien à signer la charte de Rotterdam le 24 février 2004,

146 Observation validée par d'autres écrits dont Kato et al. 1999 et Roder et al. 1995 d.

recommandant l'étiquetage sur les conditions d'utilisation et les risques élevés des produits. Les villageois les utilisent pourtant sans protection et ne connaissant ni les doses ni la nature des produits147.

4.3. L'itinéraire technique148 :

4.3.1. Le choix des parcelles : Appréciation de leurs qualités :

Le sommet des reliefs est parfois cultivé selon la qualité des sols. Les villageois n'ont pas fait de références à la présence ou non d'esprits à ne pas déranger comme on peut le rencontrer chez d'autres groupes ethniques. Les essarts pluviaux n'étant pas payants, une fois les décisions connues du conseil des anciens à propos des zones du finage où il n'est pas possible de cultiver cette année, chaque chef de famille juge si il est convenable de cultiver une parcelle plutôt qu'une autre. Chacun se fie aux indices de la friche qui lui permettent de prendre la décision de la cultiver ou non.

Le jeune marié pense que son essart pluvial est de bonne qualité.

Il est fait d'un sol de couleur noir, de terre argileuse-sableuse. Cela lui paraît convenable pour planter du riz.

Son essart-jardin est selon lui de bonne qualité puisqu'il est composé d'une terre de couleur rouge faite d'argile et d'une végétation épineuse qui y pousse. Tout cela est compatible avec la plantation de sésame149 et de maïs.

Beaucoup de terres à Bouamphanh sont argileuses, rendant les villageois heureux d'avoir des parcelles fertiles, mais dangereuses pour les risques de leur friabilité régulière.

Selon le jeune marié il n'y aurait plus beaucoup de terrains fertiles disponibles pour de nouveaux arrivants. Toutes les bonnes terres sont désormais occupées du fait de la réduction des surfaces autorisées à être cultivées.

Le jeune marié souhaiterait que le village soit encore plus étendu qu'il ne l'est aujourd'hui. Les nouveaux arrivants n'ont désormais plus de rizières irriguées disponibles ni d'essarts à moins d'une heure des maisons, ce qui les obligent à dormir dans leurs cabanes pour chaque travail à y effectuer.

Le jeune marié ajoute ensuite que coule un ruisseau au pied de ses essarts, ce qui permet à ses champs d'être relativement plus humides que d'autres champs sans eaux à proximités.

Les meilleurs champs sont d'ailleurs toujours à proximité des cours d'eau, mais ils appartiennent aux habitants originaires de la localité et qui ont hérité de ces bons emplacements.

Ses essarts sont exposés à l'Est. Il pense aussi que cette exposition est bénéfique pour avoir une chaleur et une lumière matinale dans ses champs et des orages l'après-midi.

147 O. Ducourtieux, 2006.

148 « La suite logique et ordonnée d'opérations culturales appliquées à une espèce végétale cultivée permettant de faire la part vis à vis d'un rendement de ce qui provient des techniques et de ce qui résulte du milieu et de ses interactions avec les techniques ». Sébillotte 1990 : 166.

149 mac mangua en langue lao.

Les sols exposés à l'Ouest auraient le soleil plus asséchant l'après-midi accompagné d'orages en fin de journées qui lessivent les sols et créent l'érosion très fréquente dans la localité.

Une bonne terre est symboliquement ce qu'il nomme une «terre froide >>, un emplacement dans un vallon, à proximité de l'eau, ayant un soleil plus fort le matin que l'après midi pour ne pas assécher la terre et les cultures.

Monsieur Paeng se rappelle lorsqu'il était petit qu'il voyait ses parents travailler la terre, mais il n'est pas lui même un agriculteur expérimenté. Depuis son mariage il n'avait pas encore eu le temps d'exploiter ses parcelles comme il le voulait, mais depuis octobre 2005 il a acheté une rizière irriguée à un héritier de Bouamphanh et il l'exploite toute l'année.

Il pense que la terre de Bouamphanh est bonne à cultiver. Il est très content de ses parcelles qui sont selon lui très fertiles pour les cultures du riz et du maïs de saisons sèche et des pluies et qui sont près du village (5minutes). Il ne souhaite pas en changer car il ne les a que depuis 8 mois (octobre 2005) et n'a pas encore cultivé de riz irrigué dessus. Il souhaite donc essayer, voir si ses prévisions heureuses sont justifiées.

Selon Monsieur Paeng et d'autres villageois, le meilleur champ du village est une rizière. Elle se situe près du cours d'eau Houay sang. La composition de son sol est une terre de couleur noire ayant un mélange d'argile un peu jaunâtre. L'absence de pierres est favorable à la culture du riz et des arbres fruitiers.

Cependant sa réelle spécificité est que ce soit une rizière localisée à l'Ouest du territoire. Pour lui, «les meilleurs champs n'ont pas de pentes >> et sont donc des rizières irriguées.

Selon lui, un champ laisser sans culture plus d'un an est une friche.

Après plus de trois ans la friche peut être considérée comme une forêt. Cependant il existe différentes forêts définit selon leurs végétations : forêts de bambou, forêts d'arbustes, forêts de grands arbres. Sa conception d'une forêt rejoint toujours celle des autorités laotiennes qui considèrent qu'un friche devient une forêt à protégée après 4 ans de recrû forestier.

Dans les forêts de ses essarts, il existe environ 350 bambous et 500.000 arbres de plusieurs espèces différentes. Les plus gros arbres mesurent environ 8 cm de diamètre.

Monsieur Paeng est conscient que pour un essart, la bonne récolte dépend en grande partie de la présence des espèces de la friche et de leurs tailles. De «grands arbres >> ou «des bambous de plus de 3 mètres >> sont bénéfiques aux bons rendements. Les herbes sont par contre néfastes aux bonnes récoltes.

La fertilité du sol est perçue par la présence d'espèces caractéristiques comme des bananiers sauvages et des pousses de bambous de plus de 3 mètres, marques d'une humidité du sol importante et donc de probables récoltes satisfaisantes. C'est aussi le signe que les années de friche ne sont pas le facteur principal d'une bonne récolte selon eux. Si une végétation ayant besoin d'eau reprend, le terrain sera considéré comme fertile même après une seule année de jachère.

Il va même plus loin en reprenant les discours officiels qu'il faut un temps de jachère court de 3 ans car après cette limite couper les arbres reviendrait à assécher le terrain.

Selon lui, les racines des arbres sont profondément encrées dans le sol pour puiser et apporter l'humidité à la terre. Si on coupe les arbres on stoppe le circuit de l'eau et de la fertilité.

Il ajoute que si aujourd'hui les bonnes récoltes sont fonction de la qualité des sols et de leur végétation, «les techniques et les engrais » modernes sont des fonctions plus importantes des bonnes récoltes si les agriculteurs peuvent les obtenir.

Selon Monsieur Leng, le chef du village, une friche de 4 à 5 ans a retrouvé sa fertilité grâce à une végétation de bambous et d'épineux qui donnerait de bon rendements de maïs150.

La terre de son essart est de couleur rouge, de très bonne augure selon lui pour planter du maïs mais d'une mauvaise composition pour le riz pluvial.

Cet emplacement était une friche de 15 ans à la limite du territoire de Hongleuc, c'est à dire à 30 mn de leur foyer.

L'âge de la friche est vu par le diamètre des troncs. Une friche de 15 ans possède des troncs d'environ 15 cm de diamètre.

Monsieur Leng ne possède cette année qu'une rizière irriguée et un seul essart. Il décida tout de même de prévoir d'associer les semis de maïs, de légumes et de riz pluvial qui a pourtant besoin d'une terre noire, selon le chef.

Selon le chamane, Monsieur Mao, un sol rouge composé essentiellement de cailloux est parfait pour le maïs et le sésame qui n'ont pas besoin de sols aussi humides que le riz.

Les sols noirs composés de cailloux sont le signe d'une fertilité argileuse. Point trop friables, ils sont maintenus par les cailloux.

Il pense aussi que les meilleurs champs sont les rizières irriguées. D'abord parce qu'ils donnent plus de rendement mais aussi parce qu'ils sont plats et non en pente, sujets à l'érosion.

La présence d'épineux151 à défricher est mauvaise pour la parcelle.

Comme son voisin Monsieur Paeng, il pense que les parcelles se trouvant à l'Ouest du territoire sont très fertiles car on y défriche de grands arbres et une forêt arbustive plus dense car plus humide qu'ailleurs. A l'Est, les sols sont secs, il y fait chaud, la friche est herbacée, les terrains donnent de mauvaises récoltes. Trop exploités, l'humidité à presque totalement disparue de ces emplacements. La végétation arbustive a beaucoup de mal à s'y développer. C'est pourquoi on trouve beaucoup d'essarts-jardins de maïs à l'Est, avoisinant le territoire des Akha et des essarts de riz à l'Ouest.

Plusieurs indices permettent donc de juger de la fertilité d'une parcelle lorsqu'elle est encore une friche : la composition des terres (les sols de couleur rouge, signe de présence d'argileux semblent bénéfiques à la culture du maïs et du sésame tandis que les sols noirs sont favorables à la culture du riz pluvial. La présence de pierre est parfois perçue comme bénéfique pour le maintient des sols en culture de maïs), la topographie des parcelles (un terrain plat ou en pente légère sont préférés), les bons rendements passés de la parcelle, gage d'une fertilité de la parcelle, l'appréciation des végétaux de la friche (taille des éléments ligneux de la friche : le diamètre des troncs, la biomasse dense, la présence d'espèces indicatrices de phases postpionnières de la régénération de la parcelle : bambous et parfois épineux pour la culture de

150 « L'hypothèse que les effets de la friche soient proportionnels à sa durée semblent logique mais pas démontrée ». O. Ducourtieux 2006 :36. Mertz 2002 a examiné 330 études pour conclure que la relation directe entre le rendement et la durée de la friche n'est pas évidente et proportionnelle.

151 maï tiou en langue lao ou cratoxylon en latin.

maïs ; bananiers pour la culture de riz pluvial. Leurs présences symbolisent de l'humidité dans le sols ainsi fertilisés), l'exposition de la parcelle (à l'Ouest du territoire et avec une exposition des parcelles à L'Est), au voisinage des parcelles (une rivière, une forêt protégée...). L'âge de la friche, tant valorisée pour être un indice de la fertilité de la friche dans les travaux scientifique antérieurs, n'est pas aussi importante pour les paysans du village. L'état d'avancement de la régénération de la friche est plus important pour sélectionner une parcelle et elle ne dépend pas seulement de son âge contrairement aux conceptions gouvernementales laotiennes qui considèrent qu'une friche devient forêt après un certain nombre d'année (4 ans).

4.3.2. Technique de coupe152 :

Selon Monsieur Paeng, la coupe des grands arbres est pratiquée en faveur d'une bonne récolte. Il vaut mieux couper tous les arbres, n'en garder aucun.

Chaque année, durant 10 à 15 jours, il a besoin de salarier 25 à 30 personnes pour la coupe. D'habitude il commence le premier mars de chaque année parce qu'il doit brûler son champ avant le nouvel an lao (du 12 au 16 avril).

Cette année, les autres villageois avaient déjà défriché lorsque Monsieur Paeng commença a défricher une semaine avant le nouvel an. Il ne fit donc pas comme ses voisins, mais cela s'explique par la nature de la friche d'essart-jardin à couper. Cette dernière était âgée d'un an, ne possédant qu'une végétation herbacée. L'herbe coupée juste avant la limite acceptable du nouvel an, fut donc rapidement sèche et brûla le 11 avril, la veille du Jour de l'An lao. Cependant, cette action signa la marginalité, l'individualisme de Monsieur Paeng, qui ne faisait pas comme ces voisins et risquait de s'approcher temporairement trop près des premiers orages interdisant tout brûlis, de chevaucher les dates limites traditionnelles et d'une certaine façon les habitudes respectueuses des traditions, des esprits et de leurs sentiments vis à vis des mauvaises façons de faire. Monsieur Paeng ne s'en souciait pas, au contraire de ses voisins. Il réussit le tour de force de gérer lui-même le choix de la date de défrichage, sans le calendrier traditionnel et avec ses connaissances et adaptations personnelles limitée de la météorologie.

Il n'y a pas de répartition du travail. Tout le monde travaille ensemble, en ligne, du bas vers le haut de l'essart, coupant partiellement trois arbres en montant, puis un arbre entièrement qui s'écroule sur les autres et fait tout tomber comme des dominos. Les travailleurs suivent les choix du propriétaire qui choisit souvent de commencer la coupe dans le bas de l'essart à un endroit où il y a le moins d'arbres à couper, pour pouvoir commencer doucement la coupe.

Le travail dans son essart n'est pas ressenti comme énormément éprouvant car il y fait frais grâce à l'humidité des ruisseaux proches et aux grands arbres, et les déplacements sont faciles grâce à la présence des grands arbres et non des herbes.

Les difficultés des travaux de coupe viennent des dangers que l'on doit éviter en portant des chaussures et des gants sous une chaleur de saison sèche, déséquilibré par une pente parfois très raide et circulant dans une végétation parfois épineuse, augmentant encore la pénibilité du travail.

Monsieur Paeng comme d'autres villageois parlent souvent de la fatigue153, de la pénibilité du

152 thang pa en langue lao.

153 muai lai en langue lao.

travail. Leurs objectifs quotidiens sont de travailler rapidement à leurs activités puis de rentrer se reposer, manger et passer une bonne soirée entre amis.

Seuls les enfants ne participent pas à la coupe, trop dangereuse pour eux. Il y a 19 ans, une jeune fille de 6 ans se trouvait dans un essart en train d'être coupé et reçu un tronc qui s'abattit sur sa tête. Elle tomba longtemps dans le coma et devint sourde et muette. Aujourd'hui Mademoiselle Sang ne vit plus au village. Elle a déménagé en ville et revient quelques jours par an voir sa mère, seule avec les cadets. Mademoiselle Sang n'apprécie guère le milieu rural dans lequel elle est née mais a, par-dessus tout, peur de se rendre en forêt. Les travaux de coupe sont donc considérés comme dangereux, essentiellement pour les enfants, mais un manque de main d'oeuvre et d'engins mécaniques les oblige à aider leurs parents.

Tout le monde amène sa machette à lame droite. Un villageois se propose d'aiguiser les lames les jours précédents la coupe. Ses parents Il recevra pour une journée de travail, environ 3000 kips. Aux champs, les travailleurs aiguisent leurs outils à peu près toutes les heures et demies. Une machette de mauvaise qualité (environ 10.000 kips) peut ne s'utiliser que 5 jours après avoir été endommagé durant la coupe. Les meilleures machettes à lames droites doivent, selon

Monsieur Paeng, avoir 4 cm de large, 35 à 40 cm de long et 1.3 cm d'épaisseur. Le manche est fourré la lame doit être en bambou et non en bois. Ces machettes de qualité proviennent de

Thaïlande, coûtent 20.000 kips et les machettes de qualités moyenne coûtent 18.000 kips et viennent de Chine comme les outils de mauvaise qualité. Ces prix élevés pour des villageois khamou obligent souvent à préférer acheter des machettes à 10.000 kips de mauvaises qualités. Tous les villageois utilisent pratiquement les mêmes machettes, s'approvisionnant dans les marchés locaux.

La coupe ou le défrichage de parcelles correspond au premier travail du paysan. Cette première étape déterminera l'évolution des travaux. Le choix des dates de coupe sont fonctions de multiples aléas. D'abord fonction des obligations traditionnelles : les jours de coupe ne coïncident-ils pas avec le jour des parents défunts et le jour de l'hommage aux esprits du village, dates auxquelles tout travail est interdit ?, les aléas sociaux : la main d'oeuvre est-elle disponible aux bons moments ?, le paysan respecte t-il le milieu traditionnel dans lequel il vit et travaille ?, a t-il l'expérience de la coupe, du terrain ? Il faut absolument couper les arbres de manière à ce qu'ils se chevauchent les uns sur les autres et qu'il n'y est pas d'espaces vides. Toute la parcelle doit être un amas de bois, de feuilles et d'herbes. Dans ces conditions, le feu d'après séchage consumera de façon régulière l'abattis et ne laissera pas de bois seuls à rebrûler.

Pour faire chevaucher les arbres de l'abattis, les paysans commencent toujours par couper les arbres de bas de la parcelle pour remonter vers le haut. Ils ne coupent pas tous les arbres entièrement. Ils attaquent à 1 m-1,40 m les deux cotés des troncs de 3 arbres qui se superposent et coupent entièrement le quatrième qui tombe sur les trois du dessous. Les paysans conservent ainsi leur énergie pour les longues journées dans l'abattis.

4.3.3. Le séchage prend, selon Monsieur Paeng, entre 30 et 40 jours. Durant cette période, les villageois préparent des herbes à paillotes pour construire une cabane dans chaque champ et préparer des bois pour faire des haies de champs protectrices des prédateurs.

4.3.4. Technique de brûlis154 :

Le brûlis s'effectue durant la période la plus sèche de la l'année et de la journée, vers 13 heures, au moment où souffle un vent sec et où les bois abattus seront les plus facilement inflammables. Cela permet au feu de ne durer qu'une petite demi-heure. Traditionnellement, il faut que les champs soient brûler avant le nouvel an lao. Les brûlis ont donc lieu les 10, 11 et 12 avril de chaque année.

Les villageois allument de fines tiges de bambous coupées, longues de 2 à 3 mètres à l'aide d'un briquet et font démarrer les brûlis aux endroits les plus exposés aux vents, où il y a de la pente et du bois très sec. Ils évitent de faire partir les feux sur les herbes afin d'avoir de grandes flammes que le vent attisera rapidement. La direction des flammes, la gestion du brûlis est fonction du vent. Le bois très sec, la pente et le vent créent un impressionnant brasier qui monte très vite dans le versant.

Les villageois ne peuvent que prévoir les départs du brûlis et se préparer à d'éventuels changements de direction du vent en fauchant la végétation périphérique de l'abattis pour créer un couloir de sécurité où les flammes ne pourront brûler quoi que se soit et se propager dans la végétation voisine. Afin de sécuriser le brûlis, les hommes sont nombreux (5 à 6 personnes par parcelle), prêts à éteindre les flammes. Chacun doit être muni d'une machette pour pouvoir couper des branches susceptibles d'être brûlées et s'en servir pour éteindre les flammes indésirables. Ils éloignent tous les produits inflammables qui peuvent se trouver dans les habitations à proximité des brûlis. Des étincelles volent très loin emportées par le vent et peuvent redescendre sur ces produits inflammables. Il n'y a jamais eu d'incendies accidentels à Bouamphanh car les villageois font très attention à la sécurité et surtout à ne pas devoir payer une amende pour avoir incendié des emplacements de forêts protégées.

Pourtant, en périphérie des brûlis sont toujours calcinés les alentours des forêts adjacentes. Olivier Ducourtieux a calculé qu'une bande d'un ou deux mètres sur tout la périphérie des forêts avoisinantes revenait à brûler inutilement 1,3 % de la surface cultivée de chaque parcelle soit pour le village de Bouamphanh : 0,37 ha des 350 ha défrichés chaque année.

Pour que le brûlis soit réussi, «il faut que tous les arbres, herbes et graines soient brûlées » afin d'éviter la repousse des herbes adventices durant les cultures. La qualité des brûlis se jugera au désherbage. Si beaucoup d'adventices sont à éliminer, il existe plusieurs raisons qui peuvent s'associer selon Monsieur Paeng. Le séchage après la coupe n'a pas duré assez longtemps, les arbres n'ont pas été correctement enchevêtrés pour bien sécher puis brûler, les flammes n'ont pas bien brûlé, l'essart prêt à être cultivé n'était pas assez «propre », délesté des masses végétales partiellement brûlées qui favorisent le retour des herbes.

Les femmes et les enfants ne participent pas à ce travail de brûlis. Monsieur Paeng dit que les villageois ont peurs des accidents et que pour cette raison, il n'y a que les hommes qui brûlent les abattis. Les femmes et les enfants restent en arrière pendant les opérations. Les garçons peuvent seulement se rendre dans l'abattis une fois les grandes flammes éteintes. Ils aident à éteindre les dernières braises et ramènent parfois des animaux morts, étouffés ou calcinés. Leurs grands frères s'y rendent aussi accompagnés d'un fusil pour chasser les animaux apeurés.

Si le brûlis est considéré par les villageois comme le travail le plus dangereux, obligeant à être

154 djoud pa en langue lao.

très attentif, il est aussi le plus attendu par les villageois, symbolisant par un feu toujours surprenant mais producteur, le passage de la forêt au champ, de l'anarchie végétale au terrain clair humanisé, le passage de l'état de nature à celui de culture. Ne demandant pas d'achat particulier d'outil et relativement facile et rapide à exécuter, le brûlis est le travail préféré des villageois. Cependant le brûlis est le plus dangereux des travaux, celui dont les paysans ont le plus peur.

Le choix des jours du brûlis se font selon divers facteurs. D'abord, en fonction des voisins akha qui habitent en amont de Bouamphanh. Pour éviter tout feux accidentels venues des parcelles brûlées précocement chez les Akha plus en amont, ainsi que pour éviter toute pollution due aux semences colonisatrices plus précocement plantées chez les Akha, les villageois de Bouamphanh choisiront de brûler leur abattis juste après leur voisin. Ensuite, ils préféreront les jours kaa, Ouaï et Cut de leur calendrier. Ces jours sont bénéfiques, recommandés par la tradition (les anciens, le chamane...), pour les grands et «beaux » brûlis.

Le choix des dates de brûlis se fait aussi selon les conditions météorologiques du moment. En 1995, la pluie arriva plus tôt que prévu (avant le 12 avril, premier jour du nouvel an lao). Personne n'avait alors commencé à brûler et les cultures furent maigres et de très mauvaises qualités.

Pour que le brûlis n'incendient pas les forêts voisines, les paysans débardent et défrichent souvent la périphérie de leur abattis, créant des couloirs coupe-feu de 10 m de largeur. Ces couloirs ne sont pas toujours mis en place. Si la végétation voisine est une friche herbeuse, sèche, il conviendra de faire un couloir. Dans l'autre cas, la végétation arbustive et verte ne pourra pas être incendiée.

A la fin du brûlis, les jeunes vont éteindre les derniers feux et tenter de récupérer ou chasser des animaux morts ou apeurés dans le brûlis.

Après cela, les villageois ne reviennent pas dans les brûlis durant 2 à 3 jours après leurs extinctions.

Selon eux, ils risqueraient d'avoir de mauvais sorts, comme des maladies ou de mauvaises récoltes. Le brûlis récent semble donc symboliser pour eux un lieux où les mauvais sorts pourraient s'abattre.

Noir, noircissant, asphyxiant, chaud, désertique, le brûlis paraît être l'incarnation d'un lieu horrible où tout fut brûler et n'est plus que cendres.

Les paysans interrogés sur les raisons de brûler les jours conseillés par leur calendrier, y voient un signe du pouvoir puissant des ancêtres défunts, de leurs consentements à favoriser les travaux des paysans. Les couleurs du brûlis, la vitesse, les mouvements, la taille du brûlis, sa dangerosité et sa finition sans dommage humains sont autant de justifications pour juger d'un bon brûlis et pour savoir si le village est sous de bons auspices.

4.3.5. L'éclaircissage du brûlis ou le débardage155 s'effectue 4 ou 5 jours après le brûlis. Il faut compter un maximum de 15 jours et un minimum de 7 jours. Les villageois ramènent environ 5 à 7 m cube de bois non consumer du brûlis au village pour s'en servir au foyer. Ils n'en vendent pas aux voisins comme peuvent le faire certaines ethnies pour approvisionner les villes. Les bois non consumés étaient très souvent isolés dans la parcelle brûlée. Ils n'ont donc

155 haa hay ou huu mai en langue lao.

pas été brûlés totalement. Ce travail difficile de débardage montre combien il est important de couper au bon moment pour pouvoir laisser sécher un bon mois avant l'arrivée de la pluie et ainsi pouvoir brûler correctement.

Un débardage de 15 jours raconte aussi que beaucoup de bois n'ont pas brûler, preuve qu'il est important de regrouper les arbres en les faisant tomber les uns sur les autres lors de la coupe afin d'éviter les espaces et un mauvais brûlis.

Type de brûlis trop rapide qui n'a pas bien consumer l'abattis.

Monsieur Paeng doit débarder avec 15 à 20 personnes dont toute sa famille pour faire des allers et venues dans le brûlis. Il n'y a pas de division sexuelle, générationnelle ou particulière du travail comme on peut retrouver pendant d'autres travaux. Ils regroupent les bois, en sélectionnent quelques-uns qu'ils ramèneront et utiliseront au foyer et brûlent par petit tas tout le reste de végétation (herbes, brindilles, jeunes pousses, gros bois) restante. Le débardage commence d'abord par les gros bois qui encombrent le champ et empêchent de débarder les petits bois. Il leur faut 2 km aller et retour pour ramener les bois à la maison.

Pour le travail d'éclaircissage du champ qui évoque soit un débardage, soit un sarclage soit les deux combinés, Monsieur Paeng utilise des machettes à lame droite et courbées ainsi que des pioches pour ratisser les herbes et plants encore vivants. Les machettes à lame courbées coûtent aussi entre 10.000 et 20.000 kips, selon les qualités. Ils ne déracinent pas mais bêchent à 2 ou 3 cm en profondeur. Le sol calciné s'érode facilement devenant poussière. Les racines permettent de tenir la terre dans certains versants. Ils ne déracinent donc pas les racines serpentants en surfaces, mais devront désherber intensivement lorsque les racines auront redonné des adventices.

Les difficultés de ce travail sont dues à la sécheresse. La chaleur oblige bien souvent les travailleurs à ne travailler que le matin et à pêcher, préparer les haies et cabanes de champs, rester aux travaux du foyer ou se reposer l'après-midi. Le combat contre la chaleur déséquilibre celui contre le temps. Un travail qui prenait normalement entre 7 et 15 jours pleins devient un travail de longue haleine de plus d'une vingtaine de demi-journées. Le risque est de se

rapprocher trop près de la période des premières pluies et ainsi de ne pas avoir le temps de sarcler les dernières herbes, de les faire sécher et des les brûler avant que les pluies ne ressourcent les adventices qui en quelques jours redeviennent de véritables prédateurs de cultures. Un sarclage et un débardage trop lent par la faute de la chaleur peuvent obliger à un second sarclage après le passage de premières pluies. Lorsque l'on sait qu'il faut entre 15 et 20 personnes à salariés 10.000 kips la journée par personne, un second salariat ou un travail solitaire très lent et pénible de sa part deviendraient presque dramatiques pour ses cultures et la survie de sa famille. C'est pourquoi Monsieur Paeng a demandé à 4 élèves de venir l'aider une journée dans son essart. Sa femme a réussi à persuader les enfants d'aller aider son mari.

Il faut ajouter aussi que les paysans peinent vite sous le soleil. Ils gardent des gants, des manches longues, des chapeaux et parfois même des foulards pour ne pas que leur peau brunisse au soleil. La valeur qu'ils accordent à la peau blanche est plus importante que l'on croit. Etre brun de peau signifie être un paysan, un pauvre. Les villageois souhaitent restés blanc de peau et rendent le travail au champ encore plus pénible qu'il ne l'est déjà. Il faut souffrir pour être beau. Les femmes et les filles sont les plus attentives à ne pas brunir. Certains hommes, surtout mariés, ne font plus d'efforts pour se protéger du soleil, étant conscients qu'il s'agit de beaucoup d'effort pour quelques futilités esthétiques.

selon le jeune marié, certaines espèces de bambous et de bois doux, abattus, calcinés en partie puis débardés des champs sont utilisés pour les cabanes et les barrières de protections des champs. Si il en reste encore, ils seront utilisés pour rénover des parties de l'habitation principale ou seront vendus aux voisins, mais seront très rarement utilisés pour le feu. La vente des espèces de bois mai craa, mai say, mai couang deng156 (en langue lao) trouve essentiellement une clientèle lao venant des villages installés à des altitudes plus basses. Les prix de ses espèces varient de 2500 à 3000 kips pour 5 mètres cube en moyenne, mais peu atteindre 15.000 kips pour la même quantité s'il s'agit de bois rares et robustes comme le mai sao157, utilisés pour les pilotis ou les poteaux centraux des maisons.

Tous les bois restant après brûlis ne sont pas débardés. Ils laissent en place les souches enracinées (ne dessouchent que pour construire des rizières irriguées ou des bassins piscicoles) et des troncs entiers en travers du versant pour favoriser la germination et la qualité des plants. Ils plantent à proximité de ces bois fertiles essentiellement des légumes. Ces troncs allongés et les souches enracinées permettent aussi un bon retour des arbrisseaux de jachères.

4.3.6. Attendre entre le débardage et le semi :

Généralement, les paysans sèment approximativement trois jours après le débardage et les derniers petits feux pour avoir le temps de bien vérifier que le brûlis est net, qu'il n'y ait plus de bois à débarder et brûler et que les jours sacrés ne coïncident as avec les jours du semis. Un semis suivant rapidement les petits brûlis est bénéfique pour la fertilité de la terre158. Les cendres fertilisantes, pénètrent le sol humidifié en profondeur.

156 Traductions non enregistrées.

157 Traduction non enregistrée.

158 Une large partie des éléments minéraux de la friche calcinée se perd si le temps de développement des cultures est trop long. O. Ducourtieux : 2006 : 36.

Cette année, un nombre important de paysans ont attendu beaucoup plus longtemps avant de semer. Cette originalité est due selon eux, à l'attente des premiers orages à la date du nouvel an (approximativement du 12 au 16 avril). Cependant, les orages ne sont parfois pas suffisants pour commencer à semer et espérer des pousses rapides. Une période de sécheresse peut suivre le brûlis, retardant l'arrivée des pluies et les semis. Les paysans préfèrent attendre les premiers orages, signes de l'arrivée de la saison des pluies, plutôt que de perdre leurs semences asséchées.

Une autre raison de l'attente s'est expliquée par l'aide que certaines familles apportent à d'autres familles prioritaires159 pour semer.

Enfin une dernière raison de l'attente entre le débardage et le semis est la construction de barrières de rizières inondées protégeant des animaux.

4.3.7. Protéger les cultures :

L'augmentation de ses productions lui a valu de faire beaucoup plus attention aux prédateurs. Il doit désormais prendre plus de temps pour construire seul des barrières et des pièges contre les rats et les cochons.

Il fabrique des barrières composées de 6 poteaux horizontaux mis en parallèle sur 1 m 60 de hauteur. Pour effectuer le tour du champ il doit donc récupérer une quantité importante de bois, les couper aux bonnes tailles, les apporter sur le lieu de construction et monter les poteaux un par un. Tous les hommes du village effectuent ce travail seul, entre deux travaux, lorsqu'ils ont du temps. Ils ne terminent pas les barrières en une seule journée. Ils reviennent souvent, par petits moments, agrandir la barrière.

Il suspend aussi des rubans colorés emprunts de produit à lessive. Les cochons qui viennent y goûter ne pensent plus y revenir avant un moment.

Il dépose aussi dans son champ du riz associé à du poison et fabrique parfois une sorte de petit moulin à eau qui actionne un pilori, faisant croire à la présence humaine dans le champ lorsque personne n'est effectivement là.

4.3.8. Les semis160 : Après avoir coupé, brûlé, débardé, les villageois passent à l'étape la plus symbolique, la plus sensible aussi pour l'avenir de leur culture, le semis.

La famille du jeune marié plante 30 kg de chaque espèce de riz, c'est à dire 3 sacs «à viande »161 : Une espèce de riz gluant162 appelé crao tam hom163 dans le bas de son essart pluvial et une autre espèce de riz gluant appelé crao noy164 dans le haut.

Ils ont toujours une seule production de riz pluvial par an, pendant la saison sèche.

159 Essentiellement des personnes âgées ou malades.

160 Pouc en langue lao.

161 Colong en langue lao. Unité de référence pour parler des quantités plantées ou récoltées.

162 Crao niao en langue lao. A ne pas confondre avec crao jao qui est le riz dit normal, non glutineux.

163 En langue lao.

164 En langue lao.

Monsieur Paeng plante d'abord les légumes et les arbres fruitiers165. Il plante ensuite les piments166, le maïs et enfin le riz.

Aucun engrais n'est ajouté sur les champs mais du désherbant est appliqué uniquement sur les digues afin de pouvoir marcher et travailler facilement dessus.

Dans le bas de leur seul essart d'un hectare, ils sèment du riz glutineux de l'espèce crao palan et dans le haut du crao tem. Ils sèment 18 kg de riz dans le haut de l'essart en association avec du maïs et du sésame dans le bas d'essart.

La femme et les filles du chef du village sèment 5 graines par trous espacés de 20 cm. Les 20 cm sont mesurés à l'aide de l'écartement des doigts de la main, du pouce à l'index. Ils sèment en priorité du maïs puis des légumes et le sésame dans le bas de l'essart. Elles sèment quelques semaines plus tard le riz dans le haut de l'essart.

L'association du maïs en quantité importante, des légumes et du riz est rare car les paysans préfèrent soit cultiver du riz soit cultiver du maïs mais en quantité suffisantes pour rapporter assez de ressources alimentaires ou financières pour toute l'année. Cette demi-mesure effectuée par la famille du chef n'est pas répandue à toutes les exploitations. Elle peut illustrer une volonté de limitée les risques d'échec de la vente de maïs ou de certaines récoltes. « L'échec d'une production ne remet pas en cause l'économie familiale qui peut s'appuyer sur les autres récoltes. >>167 Cette association des cultures contribue aussi à l'équilibre calorique et protidique de l'alimentation de la famille. Le calendrier de chaque espèces permet un étalement du travail requis qui ne surcharge pas le poids de travail pour chaque actif168.

Les cultures plantées en premiers, les primeurs comme le maïs, « permettent de protéger les jeunes pousses >> semées plus tard et « la couverture maximale du sol limite l'érosion (...) et la concurrence par les adventices >>169.

4.3.9. Semis de maïs en saison des pluies sur souan :

Pour cette étape, Monsieur Paeng dit que les agriculteurs ont besoin d'attendre la pluie, car les jeunes pousses de maïs qu'ils cultivent ont besoin d'un minimum d'eau pour croître et cette production est essentielle aux ressources familiales puisqu'elle atteind 40 % des semis villageois, à l'identique des semis de riz.

En plantant un kilogramme de semences de maïs, il récolte en moyenne entre 200 et 450 kg de maïs. Généralement, ils prévoient donc 300 kg récoltés pour 1 kg semé. Le poids d'une graine arrivée au terme de sa germination vaut donc 300 fois son poids de départ.

Monsieur Paeng sème approximativement 15 kg de maïs pour récolter environ 4 tonnes. Monsieur Paeng a semé 23 kg de maïs dans son essart-jardin pour pouvoir récolter probablement 6,9 tonnes.

165 mac mii = jacquier ; mac huu = terminalia catappa linné en latin; buop = centella asiatica ; mac uang = costus speciosus ; mac naam = cucurbitacées ; phac boua = oignon...Toutes les termes sont en langue lao traduits en français sans l'italique et en latin en italique.

166 mac pèt en langue lao.

167 Ellis 1993, 2000. Roder 2004.

168 Froment et al. 1996. Thrupp 1998.

169 Chaplot 2003. Trebuil 1998. De Rouw 1991 a. Roder et al. 1997 a.

Théoriquement, les villageois disent qu'un paysan khamou à Bouamphanh sème 20 kg de maïs par hectare de rizière irriguée et 18 kg de maïs par hectare d'essart-jardin.

La différence peut paraître mince entre l'essart et la rizière plane mais la différence de 2 kg de semences de maïs équivalent à récolter entre 400 et 900 kg de différence. De plus, l'essartjardin est moins fertile que la rizière plane de par l'érosion, sa surexploitation disproportionnée par rapport à la stabilité du sol.

En général, les paysans choisissent bien leurs dates pour chaque étape des travaux des champs car après avoir semé ils n'attendent que deux ou trois jours les premières pousses.

Cette année, Monsieur Paeng a demander à trois enfants de l'école et ses deux fils disponibles de venir semer du maïs avec lui le 12 mai. Ils furent l'un des derniers groupes à semer. Les enfants ont semé sans respecter les écarts réguliers entre les semences. Après avoir poussés les plants rendent l'organisation du champ anarchique et le sarclage des herbes qui vient par la suite est très difficile. Les travailleurs ne savent pas exactement où se trouvent les pousses de maïs entre les herbes. Il arrive souvent que les salariés coupent accidentellement les pousses de maïs avec les herbes.

La famille du jeune marié plante 9 kg de maïs acheté au village et 2 kg de légumes plantés au pied de l'essart pluvial, à proximité de leur rizière irriguée.

La famille de Monsieur Thon cultive du sésame en association avec des légumes dans un essart-jardin de un hectare.

Selon le chef un semis de maïs sur rizière plane sèche en saison sèche est une perte d'argent, d'énergie et de temps car dans tous les cas la récolte sera mauvaise. C'est pour cela que sa famille ne sème qu'en saison des pluies. Il ne comprend d'ailleurs pas ses voisins (Monsieur Paeng...) s'acharnent à semer du maïs en saison sèche pour récolter en mai de maigres productions qui ne servent bien souvent qu'à nourrir les animaux domestiques.

4.3.10. Semi de riz irrigué :

Hormis le labour de rizière irriguée, aucun labour ni travail des sols ne sont effectués sur essarts. Le labour de rizière irriguée demande de posséder ou louer un buffle ou un motoculteur. La possession d'un buffle ou d'un motoculteur est d'ailleurs un facteur important pour obtenir une rizière de vallon de la part du conseil des anciens.

Monsieur Paeng dit qu'il est préférable de planter du riz de courte vie au Sud du champ, du riz de longue vie au Nord, des piments à l'intérieur «où la terre leur est plus convenable >> et des légumes en périphérie.

Monsieur Paeng plantera 8 à 12 semences de riz par trous. Ces semences proviennent des stocks de riz parentaux qui constituent une richesse non négligeable dans une région où les familles manquent parfois de riz pour se nourrir et sont parfois obligés de manger des nouilles industrielles en sachets.

Pour que les plants poussent bien, qu'ils aient suffisamment de lumière, ils espacent les graines de 22 à 28 cm environ. S'ils étaient plus rapprochés «ils ne donneraient rien >>.

La qualité d'un plant de riz est jugée par sa couleur qui doit être jaunâtre, par sa taille,

<< moyenne » (1, 50 m) et ne doit pas avoir beaucoup de feuilles.

La difficulté du semis est de travailler sur un sol abîmé par la sécheresse puis la pluie. Craquelé de partout, s'écroulant dans les endroits raides sous le poids des travailleurs, emportant les semences, <<tout le monde doit faire des efforts ».

Si les plants meurent, Monsieur Paeng ne recommencerait pas un semis car la saison ne le permettrait pas. Il devrait vendre ses quelques cochons, ses poules, ses oeufs, des pousses de bambous récoltées en forêt, des bois de la région ou d'autres régions. Personne ne l'aiderait car personne ne peut aider une famille entière pendant plusieurs mois. Quelques repas seraient possible mais tellement limités par rapport aux besoins alimentaires d'une famille.

Les outils du semis sont une hotte de semences, un bâton fouisseur et une pioche. Pour faire aiguiser ou réparer une pioche, il faut compter 15.000 kips.

Les meilleures lames de pioches mesurent 6 cm de large et 20 cm de long.

Encore une fois, Monsieur Paeng a besoin de salarier 15 à 20 personnes pour semer. Le salaire est identique aux autres travaux. Les enfants ne participent pas au semis et il n'y a toujours pas division du travail.

La famille de Monsieur Thon plante 20 kg de riz crao tam hom170 en rizière irriguée de 0,9 hectare.

4.3.11. Le sarclage d'après semis :

Le sarclage des adventices d'après semis se déroule 25 à 30 jours après la fin des semences. Ce travail est sûrement celui qui déterminera le plus si la récolte est fructueuse ou non. Il est considéré par beaucoup d'experts comme le << goulet d'étranglement du système » car si la main d'oeuvre n'est pas disponible à cette période, les adventices se développent plus vite que les cultures et une concurrence déloyale joue en défaveur des cultures. Si le désherbage est mal effectué, les plants ne verront pas la lumière et devront s'avouer vaincu face aux mauvaises herbes. Un actif ne pouvant pas sarcler plus de 0,5 ha les paysans doivent s'adapter chaque année aux nouvelles quantités d'adventices, à la main d'oeuvre disponible à cette période.

Monsieur Paeng sarcle 3 fois par saison des pluies. En juin, juillet et août.

Il débute ses sarclages par l'endroit où il y a beaucoup d'herbes, où le travail est le plus difficile, car comme pour le débardage, le champ a besoin d'un éclaircissage obligeant à faire disparaître d'abord les grandes et nombreuses herbes qui gênent les cultures. Les petites herbes qui ne sont pas encore de la taille des plants cultivés ne sont pas encore de réels prédateurs de cultures. Il sarclera toutes les herbes pour qu'il n'y ai plus de risque de compétition avec les cultures. Certaines sont sarclées au pied, d'autres sont déterrées si elles représentent un trop fort risque de repousse rapide. Cependant Monsieur Paeng considère qu'il est préférable de sarcler nettement au pied des herbes avec des outils plutôt que de les arracher à la main, dégageant par obligation des mottes de terre qui fragilisent encore plus un sol instable en cette saison. Certaines herbes sont ensuite jetées dans le champ aux endroits les plus ensoleillés pour protéger la surface du sol où pousse les plants et donner une protection contre la pluie et la

170 << riz de bonne odeur » en langue lao.

sécheresse. D'autres herbes sont entassées et brûlées dans un lieu non cultivé. Les herbes ne sont pas réutilisées autrement.

Le travail prend environ 8 à 10 jours et demande l'intervention de 15 à 20 personnes. Monsieur Paeng est encore obligé de payer le même salaire pour chaque salarié. Les participants «travaillent ensemble, sans répartir le travail ». Chacun a besoin d'utiliser une machette recourbée spécifique pour la récolte (dont le nom n'a pas été enregistré) qu'ils fabriquent euxmêmes lorsqu'ils le peuvent ou achètent au marché du village. Les meilleurs outils sont en fer solide et tranchant, le manche devant mesurer 40 à 60 cm de long. Tout le monde utilise les mêmes outils, il n'y a pas de différenciation sociale dans la possession des moyens de productions. Les réparations s'exécutent 8 à 10 jours après le début des travaux. Une réparation coûte environ 2000 kips et une hallebarde neuve coûte 15.000 kips.

La difficulté physique du sarclage est aussi due au temps de la saison des pluies (chaud, humide et pluvieux) ainsi qu'aux insectes qui agacent les paysans. La difficulté technique provient des herbes sarclées qui ne meurent jamais, repoussant chaque année encore plus haute et densément.

L'avantage des cultures de maïs est bien sûr leur rendement plus important que ceux des riz glutineux mais aussi le fait qu'elles n'ont besoin que d'un sarclage au moins de juillet alors que les rizicultures en ont besoin de trois ou quatre.

4.3.12. Les récoltes :

La récolte de paddy se fait en septembre, en règles générales, 90 jours après avoir semé, c'est à dire après les trois mois de la saison des pluies. Elle dure 10 à 15 jours et demande 3 à 5 travailleurs par jours. Pour ce travail, il n'y a que des hommes salariés. Ni les femmes ni les enfants n'y participent.

Généralement la récolte est mure et prête à être ramassée sauf si les aléas climatiques et les prédateurs en ont décidés autrement. Les animaux sauvages et domestiques mangent et piétinent parfois les récoltes si les clôtures sont défectueuses. Il peut s'agir de buffles, des cochons forestiers ou des insectes.

Les récoltes de paddy ou de riz pluvial équivalent généralement à 650 kg pour un semis en association avec le maïs et des légumes ou 1300 kg pour un essart totalement voué au paddy.

Les meilleurs outils pour la récolte sont de petits couteaux de 30 à 40 cm de long fabriqués par les villageois, des paniers en bambous de 40 cm de diamètre sur 60 cm de hauteur.

Les couteaux coûtent entre 10.000 kips et 15.000 kips pièce pour approximativement 5 années d'utilisation et les paniers coûtent entre 3000 et 5000 kips pour 20 à 30 jours d'usages.

Les récoltes sont placées dans des greniers familiaux à l'extérieur des foyers pour éviter la propagation d'incendies potentiels.

La comparaison des performances des systèmes de cultures explique l'intérêt des paysans pour la riziculture inondée, plus intéressante que la culture en essart-jardin de maïs, elle même plus intéressante que la riziculture d'abattis-brûlis sur friche forestière jeune ou sur savane. La recherche d'une sécurité alimentaire est l'élément primordiale pour les paysans. Produire assez de rendements pour l'année qui suit est plus important que de conserver des pans de forêts

inexploités et donc moins rentables.

Le niveau de performance dépend néanmoins des moyens de production dont disposent les paysans. Une plus grande sécurité alimentaire nécessite l'accès à la traction attelée ou au motoculteur et un investissement plus important dans l'aménagement des rizières irriguées.

4.3.13. La friche171 :

La friche nécessite que le paysan s'en occupe pour qu'elle redevienne arbustive et fertilise la terre172. Les villageois doivent construire des barrières de protections contre les animaux qui viendraient manger les jeunes pousses arbustives. Une fois ces pousses devenues arbrisseaux et ayant atteins une taille supérieure aux herbes, les paysans amènent les cochons et bovins paître les herbes et déféquer dans la friche pour qu'ils apportent leurs contributions à la fertilisation. Les arbrisseaux sont alors au-dessus des herbes qui ne leurs feront plus ombrage pour se développer.

La friche de longue durée permet aussi de limiter le stock de graines en dormance dans les sols lors de la défriche et ainsi de limiter l'invasion des adventices173.

Selon la famille de Thon, la friche la plus ancienne du village serait de 15 ans et la moyenne des friches familiales d'essarts pluviaux seraient de 4 à 5 ans, avec des troncs aux diamètres de 8 à 10 cm, malgré les tentatives des responsables agroforestiers de les réduire à 3 - 4 ans.

4.4. Les difficultés des travaux :

La plupart des familles ne peuvent pas travailler en même temps dans leurs différentes exploitations. Ils auraient pourtant besoin de construire des cabanes à essart et à rizières irriguées, des barrières de protections des rizières irriguées, de reconstruire les canaux d'irrigation et les digues en même temps que de sarcler avant les semis de riz et de maïs.

Dans ces cas, la main d'oeuvre suffisante et l'entraide villageoise manquent cruellement.

Selon les villageois, les travaux les plus pénibles sont les défrichages et sarclages de bambou, épineux, broussailles et hautes herbes qui poussent très rapidement (1 m de hauteur en 1 an). Ils sont conscients que ces types de végétations n'apparaissent qu'avec une friche de courte durée, trois à cinq ans au plus. C'est essentiellement sur les essarts-jardins de maïs, coton, tabac, sésame et légumineuses que l'exploitation est intensive, sédentarisée sur une même parcelle. Seules les périodes de soudures (les paysans qui possèdent deux champs par saison, peuvent choisir de ne rien cultiver sur une des deux parcelles durant la saison sèche) permettent à la parcelle de se reposer et à la végétation de friche courte de repousser.

171 Pa lao en langue lao.

172 La biomasse aérienne accumulée pendant la friche en éléments minéraux est directement exploitables après brûlis par les cultures, même si une large partie est perdue avant le développement des cultures. Durant la friche, l'érosion reste limitée du fait de l'absence de travail du sol, de la couverture arborée permanente qui protège des pluies et de l'enracinement profond des arbres qui retiennent les sols. La friche de longue durée réduit la stock de graines de mauvaises herbes en abaissant leur pouvoir de germination. La fonction de l'écosystème qu'est la friche remplace la circulation superficielle de l'eau par une circulation verticale qui contribue au développement de la biomasse et à la structuration des sols. O. Ducourtieux 2006 : 36.

173 De Rouw 1995 ; Roder et al. 1997a.

Travailler dans ce type de parcelle est éprouvant. D'abord pour la chaleur étouffante de cette période sèche et de l'absence d'ombrage, du manque d'eau potable en quantité suffisante pour s'hydrater aux champs, mais aussi pour les difficultés à couper les graminées à raz le sol, à retirer, sans abîmer le sol, les longs réseaux de racines de surface inutiles au maintient d'un sol peu friable car peu pentu. Il faut atteindre les pieds piquants des broussailles pour les sectionner d'un coup de poignet, se tenir en équilibre avec des nu-pieds sur les parties des pentes friables où logent parfois des insectes, des fourmis, des serpents...

Le travail se fait assez rapidement pour arriver vite au sommet de l'essart, se reposer à l'ombre, boire, fumer ou redescendre se baigner dans la rivière.

Au village, il y aurait beaucoup d'herbes à jachères174 hautes d'un maximum de 3 mètres.

C'est pourquoi il est important, de désherber avant les premières pluies du mois d'avril pour ne pas que les herbes déjà hautes retrouvent une nouvelle vitalité après la saison sèche et n'obligent à un désherbage éreintant et long.

Selon le jeune marié, le plus difficile est le débardage et le brûlis des derniers tas de bois pour faire un champ propre à la culture.

Le mois le plus pénible en terme de chaleur est le mois d'avril qui correspond d'ailleurs au débardage, aux derniers brûlis puis au désherbage.

Dans sa famille, le désherbage s'effectue environ 3 à 4 fois aux mois d'avril (sarclage d'avant semi de riz pluvial qui s'associe au débardage) de juillet et août (sarclage d'après semi).

Ils savent bien qu'un désherbage moins fréquent et rapidement effectué nuirait aux récoltes. Les herbes qui croient rapidement empêcheraient les plants de voir le soleil et donc de se développer.

Pour le travail de désherbage la famille ne possède pas de bêche et faute de posséder des machettes à lames recourbées spécialement conçues pour le désherbage, ils utilisent des machettes à lames droites qui atteignent tout juste sept ans d'utilité, ce qui implique un rachat fréquent des outils de mauvaises qualités.

Avec les machettes à lames droites le travail de désherbage devient éreintant sous la chaleur. Les travailleurs sont obligés de courbés beaucoup plus le dos qu'avec les machettes à lames courbées. La lame droite doit couper les herbes le plus bas possible de la tige portant des coups rapides grâce à un fouetté du poignet. Cette procédure ne peut s'effectuer avec la machette à lame droite qu'en se baissant pour que la lame puisse sectionner d'un coup les tiges.

Le travail de déracinement est tout aussi éprouvant puisqu'il faut couper les racines pour qu'elles meurent. La lame droite abîme plus le sol que ses cousines à lames courbées qui coupent les herbes puis les racines en frôlant parfaitement le sol sans l'abîmer.

Parfois, pour éviter de se fatiguer à des tâches de déracinement, ils laissent les animaux (chèvres et bovidés) entrer dans les parcelles désherbées pour les laisser manger les restes de racines et d'herbes.

Ils pensent perdre du temps lorsqu'ils ont beaucoup de travaux à faire en même dans une courte période avant les pluies et les dates traditionnelles. Selon le jeune marié, ils perdent du temps à cause d'un manque de main d'oeuvre, d'un manque d'entraide, d'un manque de moyens extérieurs aux techniques locales, des mauvaises prévisions météorologiques et de l'histoire de

174 mai hoc en langue lao.

l'essart qui a rendu la terre infertile et ne laisse désormais pousser que des herbes hautes difficiles à maîtriser, demandant un long travail pénible qui empêche pendant ce temps de construire les cabanes d'essarts, les barrières de champs, la rénovation des digues et canaux d'irrigation des rizières...

Monsieur Paeng pense ne pas perdre de temps. S'il en perd, c'est qu'il doit parfois attendre les changements météorologiques durant les périodes climatiques extrêmes, en cas d'insuffisance ou de surabondance de pluie.

Selon lui la météorologie est le facteur primordial jouant sur la réussite des récoltes. Malgré la possession de bonnes terres, la gestion réussi des travaux, « nous dépendons trop de la nature ». Le second facteur se trouve être la qualité des semences. Monsieur Paeng dit que les semences qui viennent de l'étranger ne sont pas de bonnes qualités.

Pour vaincre ces problèmes, il prévoit dans les années à venir de préparer le sol, chose qu'il n'a jamais faite, afin de ne plus dépendre de la nature pour vivre.

Si Monsieur Paeng avait à recommencer sa vie, il choisirait de cultiver des rizières et de planter des arbres pour la rente. Il dit être disponible pour changer de pratique agricole mais attend que les autorités proposent des alternatives.

Les risques les plus fréquents pour sa famille sont de perdre les récoltes pendant la saison des pluies. Après neuf mois de saison sèche étouffante et asséchante, la pluie tombe durant trois mois, en grosse quantité, délavant les sols, créant une érosion régulière sur tout le territoire et emportant les cultures dans des coulées de boues, obligeant très souvent à replanter des semences. Le manque de soleil précédent un trop plein de pluies durant les mois de juillet et août, le climat ne permet pas aux cultures d'essarts de s'épanouir convenablement. Si depuis cinq ans, chaque année, la saison des pluies est en retard, il arrive aussi que des pluies surviennent trop tôt, humidifiant les abattis qui séchaient, ne permettant plus de pouvoir brûler en temps voulu.

Un autre risque provient des animaux domestiques errants sur le territoire à la recherche de quelques plantes comestibles accessibles. Une perte de temps dans une étape du procès agricole ne permet pas de confectionner les protections (barrières, pièges...) contre les animaux en temps voulu. Heureusement pour la famille interrogée, leurs champs se situant à 50 minutes du village, ils sont peu confrontés aux dégradations animales provenant du village trop éloigné. S'ils ne trouvent pas le temps de construire leurs barrières, ils ne les construisent pas.

L'élevage est aussi touché par les risques. Les animaux s'endorment au milieu de la piste ou traverse à n'importe quel moment provoquant ainsi des accidents. Depuis 1995, 11 buffles ont été tués par accidents.

Toujours selon le jeune marié de mauvais outils (la lame qui se détache fréquemment du manche, qui se casse facilement sur du bois dure ou des cailloux pendant le désherbage et qui oblige à l'aiguiser toutes les deux heures) font perdre de la main d'oeuvre qui n'a plus d'outils pour travailler et qui doit utiliser parfois des branches pour ratisser et des machettes à lames droites pour désherber ou rentrer à la maison.

Après observations, la santé des travailleurs paraît être un facteur important de la main
d'oeuvre. Un manque d'accès aux soins peut être à l'origine d'un manque de main d'oeuvre

valide, d'une perte de temps sur le calendrier agricole et donc d'une récolte très mauvaise. 5. Synthèse :

Le bon fonctionnement du système agraire villageois ne semble pas être d'actualité.

Les savoirs et savoir-faire locaux qui semblent adaptés aux conditions climatiques du milieu175 et respecter les forces naturelles auxquelles sont soumis les villageois176 ne résistent pas sous les pressions politiques et socio-économiques177.

La zone d'étude est l'illustration d'un village ciblé pour son développement par les autorités laotiennes qui ont y relocalisé des familles depuis plus de 10 ans.

Comme très souvent deux analyses se confrontent.

Officiellement, les déplacements ont été volontaires, l'entraide entre les différents groupes ethniques a fonctionner, aucun conflit n'a eu lieu, le village de Bouamphanh se serait développé avec des conditions de vie meilleures que dans les villages de départs, des terres fertiles seraient encore libres d'être exploitées, les villageois coopéreraient en grande majorité aux réformes agroforestières et les responsables agroforestiers seraient très tolérants vis à vis des défriches illégales.

Le diagnostic entrepris montre une autre facette de ce beau tableau.

Les aléas climatiques et la géomorphologie des terrains n'offrent aucune garantie aux paysans pour avoir de bonnes récoltes.

La pression démographique n'est pas prise en compte par les autorités qui poursuivent les pressions pour éradiquer les pratiques d'abattis brûlis (1 ha d'essart par famille). Les villageois commencent à ressentir l'éloignement des champs, l'épuisement des ressources forestières et le manque de parcelles fertiles à cause d'une réduction des temps de friches (4 ans en moyenne) et d'une augmentation des temps et des surfaces de culture de maïs.

Des tensions apparaissent avec les écarts sociaux qui grandissent178 et un manque d'intégration des populations allogènes aux prises avec des ségrégations ethniques179.

Le village de Bouamphanh ne semble pas s'être développé au regard des données statistiques de 2001 et des données économiques de 2006.

Malgré la densité démographique, la quantité de travail par actif ne permet pas d'assurer les travaux agricoles. Ce paradoxe s'explique par un assolement dispersé, une volonté politique d'adapter les cultures paysannes aux besoins du marché libéral en privatisant le foncier, en développant une culture de rente de maïs et d'arbres destinés à la vente, accroissant le salariat intra-villageois qui amenuise l'entraide villageoise et ne permet plus aux familles d'avoir assez

175 Voir les sous chapitres : << Choix des parcelles : Appréciation de leur qualité », << L'itinéraire techniques », << Le riz et le maïs », << la météo comme instrument de travail ».

176 Voir les sous chapitres : <<La religion », << les tabous alimentaires », << le calendrier agricole »,

177 Voir les chapitres : << L'environnement socio-économique », << Les raisons du résultat négatif de l'allocation des terres », << Les conséquences de la loi d'allocation des terres », << L'adaptation des paysans aux conséquences négatives de la loi d'allocation des terres », << La situation de Bouamphanh », << L'affaiblissement de l'entraide »,

<< Les outils ».

178 Les nouveaux arrivants sont défavorisés par rapport à leur inexpérience du finage, à leur inaccessibilités aux meilleurs parcelles par rapport aux familles héritières du village ainsi qu'aux familles liées aux autorités.

179 Illustrations des préjugés et ségrégations ethniques dans les sous chapitres : << la langue », << les mariages »,

<< localisation sociale au village », << les élections », << L'organisation du travail : Affaiblissement de l'entraide »...)

de main d'oeuvre disponible pour leurs travaux. Ce manque de main d'oeuvre se ressent essentiellement durant la période des pointes de travail (d'avril à juillet) qui densifie le calendrier agricole et illustre la limite de l'efficacité du système.

Les mauvais résultats de l'allocation foncière, les statistiques laotiennes peu sérieuses et leurs analyses rapides, les changements de termes pour qualifier les mêmes pratiques d'abattis brûlis, la poursuite des coupes massives illégales mais organisées, illustrent les paradoxes politiques dont font preuves les autorités laotiennes. Les premières motivations louables d'éradiquer l'agriculture d'abattis brûlis et de développer les zones rurales ressemblent désormais à « l'arbre qui cache la forêt >>. Le gouvernement laotien souhaite libérer des zones forestières de leurs habitants pour exploiter plus librement les forêts national. Il est aussi très probable que les déplacements de populations montagnardes soient motivées par la volonté d'en faire des citoyens laotiens soumis aux lois nationales. La réduction des pratiques sacrificielles et la fréquentation des chamanes en sont des illustrations. Une perte des particularismes ethniques est en train de s'opérer pour les bienfaits de quelques laotiens au pouvoir.

Ces déplacements près des routes permettent d'amortir les frais d'infrastructures sanitaires et sociales et surtout de mieux contrôler les surfaces défricher.

Les bailleurs de fonds internationaux attendent des résultats de l'économie laotienne et le gouvernement laotien tente de les atteindre rapidement, trop peut être.

Des études récentes commandées par ces organismes d'aides financiers commencent à montrer l'échec des politiques libérales dans un pays longtemps habitué à la gouvernance socialiste, majoritairement agricole et où vivent de nombreux groupes ethniques montagnards.

Il semble que la situation de crise économique et sociale actuelle déteigne sur le milieu naturel local. Les paysans touchés par des pressions foncières importantes se retrouvent avec moins de ressources pour vivre et « apparaissent comme des concurrents des espaces forestiers. La forêt apparaît comme un obstacle au développement agraire et les arbres comme des reliques forestières et des signes de manque d'intensification agricole >>180.

6. Propositions :

La réforme de l'allocation des terres semble très influente à Bouamphanh. L'étude y a inventorié un certains nombre de situations écologique, économiques et sociales qui sont les effets d'une allocation foncière réalisée dans un village habité majoritairement par des populations déplacées directement ou indirectement.

Il est très important de mettre en place des indicateurs de suivi permettant de mesurer l'impact social de cette réforme et notamment les conditions de vie, les transactions foncières et l'évolution de la pression foncière dans le village.

Il faut renforcer la capacité de suivi et de gestion à l'échelle villageoise en formant les chefs de village aux transactions villageoises parfois à la limite de la légalité, ainsi qu'à l'échelle du district en renforçant les collaborations entre les institutions concernées. La mise en place de tels indicateurs devrait s'inspirer de l'expérience réussis de projets étrangers181. Si les données collectées indiquent une dégradation des conditions de vie, les autorités locales doivent en

180 Geneviève Michon 1998 : 56-63.

181 Projets AFD : Association Française de Développement à Sayabouri et Phongsaly notamment...

rechercher les causes et stopper pendant ce temps la procédure d'allocation foncière.

Il apparaît aussi évident d'assouplir la législation concernant les forêts « en régénération » en friches depuis plus de 4 ans et d'autoriser les villageois à conserver leurs cycles de jachère suffisamment longs pour ne pas mettre en péril leurs conditions de vies.

L'introduction de culture sédentaires devrait être accompagnée d'informations préalables sur les risques de la monoculture pour la fertilité des sols et pour l'économie familiale qui devient dépendante du marché, ainsi qu'être testée en parallèle et généralisée seulement lorsqu'elle a fait les preuves de sa pérennité et de sa rentabilité pour les habitants. Si par des techniques sédentaires ou des alternatives agricoles aux brûlis, comme beaucoup l'espèrent, les conditions de vie parviennent à être améliorées, les autorités n'auront plus de mal à faire accepter une réduction des surfaces autorisées aux brûlis.

Une solution doit être trouvée avant de réduire les surfaces disponibles.

Il semble indispensable de mieux prendre en compte la participation directe ou indirecte des villageois. Mieux appréhender les savoirs villageois dans les domaines de la classification des sols ou des forêts. Relever les taxinomies villageoises, écouter les connaissances paysannes et comprendre les expériences de chaque famille sur leurs terrains permettraient une meilleure communication entre les autorités et les villageois.

Il semble aussi nécessaire que soit menée une formation concernant la représentation des cartes du territoire afin de donner les instruments conceptuels suffisants pour participer à la procédure de zonage et de privatisation des parcelles.

L'arrivée de migrants se traduit généralement par de nouveaux arrangements sur le plan foncier, et par un besoin accru de terres cultivables. Elle peut également entraîner des conflits entre les villages en croissance démographique et leurs voisins ou bien à l'intérieur même du village.

Aucun village ne devrait être concerné par des procédures de zonage et d'allocation si des arrivées sont prévues au village.

Il serait aussi plus souhaitable que les déplacements de populations d'altitude cessent pour trouver des alternatives aux développement de ces villageois. Dans bien des cas il suffirait de construire des pistes muletières pour améliorer l'accessibilité des villages reculés aux marchés et aux infrastructures, en aval, à rentabiliser.

L'aide internationale devrait prévoir d'affecter plus de crédits à des actions de développement en altitude. Trop souvent comme à Bouamphanh, les autorités déplacent les populations puis demandent aux projets étrangers d'aider les migrants.

Quelques pistes intéressantes semblent se dessiner. Les modes de gouvernance, qui associent conservation et valorisation des savoir-faire locaux dans les politiques d'aménagement des aires protégées182, sont sans doute les plus porteurs d'innovations et d'espoir. Le recours au marché, les systèmes de labels et de marques diverses (marque parc, Commerce équitable, origines géographiques des produits ...) éveillent un intérêt croissant dans les pays du Sud. Une

182 Contrats de gestion locale sécurisé : Gelose, qui tente de confier la protection d'espaces de hautes biodiversité à des communautés locales de Madagascar contre une sécurisation de leur foncier.

remise en cause des politiques sanctuaristes basées sur le recours aux aires protégées n'est plus à l'ordre du jour des conventions sur la diversité biologique.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand