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Les commémorations du 11 novembre en Belgique francophone pendant l'entre-deux-guerres. Les cas de Bruxelles, Liège et Mons

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par Emeline WYNANTS
Université de Liège - Master en histoire 2012
  

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2.3 1919 ou l'an zéro de la commémoration.

Comme nous l'avons dit plus haut, le 11 novembre 1919 ne fait pas partie de l'ère des cérémonies officielles. Cette non-officialité des cérémonies d'alors peut notamment se voir dans la presse. Nous donnons ici un seul exemple : le 5 novembre 1919 - seule manifestation à l'occasion de l'Armistice pour cette année-, les Anciens Combattants hutois et la chorale de la même ville, organisaient une cérémonie patriotiques au cimetière. « Malgré la publicité donnée à cette manifestation, ni la population ni les pouvoirs publics n'ont pris part à cette touchante cérémonie »324(*).

1919 voit la parution de deux lois relatives au souvenir de la guerre. Ces deux lois sont dans des directions totalement opposées, celle du 31 juillet 1919325(*) porte sur la célébration de la journée du 4 août tandis que celle du 14 juillet326(*) est relative à la commémoration et la glorification des morts. Nous voyons donc que celle du 31 juillet vise à fixer au calendrier national une date de commémoration alors que celle du 14 juillet vise la nécessité de commémorer et de rendre hommage aux victimes de la guerre. Au final, ces deux lois se confondent dans l'hommage rendu aux morts et aux vivants qui témoigne d'une volonté de reconnaître différentes expériences de guerre bien que le débat sur la reconnaissance de ces expériences soit âpre.

En 1919, la victoire est célébrée en divers moment : soit lors de la fête nationale du 21 juillet et de la journée commémorative du 4 août327(*) soit à des dates importantes pour les différentes localités.328(*) Le 11 novembre n'est qu'un jour comme les autres, le reflet d'un Armistice en demi-teinte pour le pays.

Au lendemain du conflit, dans le contexte de la reconstruction nationale, l'heure est aux bilans : les journauxDe Scheldeet La Nation Belgepublient le bilan des soldats morts aux combats pour les différents pays, les décisions prises à Versailles au sujet de la Belgique,...329(*)Les autres journaux, eux, se contentent de rappeler l'ambiance du 11 novembre 1918 : rires et larmes de joie, embrassades, drapeau national au vent, mépris de l'occupant. 330(*)

Il est intéressant de constater que le terme « commémoration » n'est utilisé dans la presse que pour désigner les cérémonies liés à la bataille de l'Yser alors que l'on parle de « fêtes patriotiques » pour les manifestations liées à l'Armistice. 331(*) Selon notre analyse, ce fait s'explique simplement : les manifestations liées à l'Armistice, bien que s'articulant autour d'un monument aux morts ou d'un cimetière, tendent à mettre l'accent sur la notion de victoire, de libération donc de joie  bien que, comme nous l'avons vu, cette notion de joie deviendra vite une vision amère de la victoire; celles de l'Yser rappellent les évènements dont a été victime l'Yser ainsi que les nombreux morts dont la ville a été le témoin. Il semble alors évident que l'on ne peut utiliser le même terme pour rendre compte de cérémonies diamétralement opposées.

1919 est une année qui voit l'élévation de nombreux monuments aux morts.332(*) Le monument, sa dédicace et la liste des victimes jouent un rôle essentiel. Il constitue le lieu symbolique autour duquel civils, anciens combattants et autorités se rassemblent chaque année pour perpétuer le souvenir.333(*)De manière générale, les monuments commémoratifs, quelle que soit leur forme, expriment l'attachement de la localité aÌ ses enfants et soulignent leur sacrifice pour la communauté.334(*) Outre les communes, différents corps de métier décident aussi de rendre hommages à « leurs morts ».335(*) A travers cette volonté de s'approprier une part de la gloire de ses héros morts, nous pouvons voir non seulement « l'esprit de clocher »336(*) si caractéristique en Belgique mais aussi la volonté de la population d'exprimer sa reconnaissance.

En ce mois de novembre 1919, le lien entre les survivants et les morts est présent comme jamais. En effet, les uns sont gratifiés tandis que les autres sont pleurés, bien que certains reçoivent des décorations à titre posthume.337(*)Les cérémonies organisées pour l'occasion ne sont pas des fêtes de la victoire comme le pays a pu en connaître quelques temps plus tôt. Il s'agit de services religieux338(*), de fêtes patriotiques prenant la forme d'inaugurations de monuments aux morts, de remises de diplômes d'honneur aux soldats survivants. « En leur remettant aujourd'hui un « diplôme d'honneur », nous accomplissons un geste symbolique. Nous leur rendons hommage et nous leur disons notre admiration et notre gratitude. Nous savons une chose : c'est grâce aÌ leur engagement et aÌ leur sacrifice que nous jouissons aujourd'hui de notre liberté ».339(*) D'autres types de manifestations peuvent être organisées comme à Frameries où la ville décide de planter un « arbre de la liberté »340(*) dans le square de la gare. D'autres villes comme Schaerbeek et Tournai organisent un cortège d'Anciens Combattants dans les rues de la ville avant de les honorer par la remise d'un drapeau aux couleurs nationales.341(*)

De manière générale, les cérémonies de 1919 prennent peu de place dans la presse. En effet, l'heure est à la campagne électorale du 16 novembre. Nous avons donc des articles qui mêlent souvenirs de guerre, glorifications des héros et considérations politiques. La Nation Belge, par exemple, demande aux lecteurs de voter pour l'union nationale. « Notre devoir est de mener contre ces derniers {Internationalistes et activistes} une lutte sans trêve et sans merci, de redresser leurs erreurs, de dépister leurs sophismes, de clouer au pilori ces complices de l'ennemi. Parmi les manoeuvres auxquelles ils ont volontiers recours, il en est une dont nous ne saurions assez faire ressortir le caractère odieux. C'est que les sans-patrie se posent précisément en défenseurs de la patrie. On connaît l'argument favori des néo-aktivistes{sic} : l'armée belge qui combattait sur l'Yser était presque uniquement composée de Flamands et ce sont les Flamands qui ont sauvé la Belgique {...} Ce misérable argument est repris aujourd'hui par certains socialistes {...} Nous voulons bien collaborer à cette fête, non pas parce que c'est une manifestation patriotique mais pour commémorer les soldats tombés qui étaient presque tous des ouvriers ». L'article se conclut sur ces mots : « Il n'y a pas eu au front, des Flamands, des Wallons, des bourgeois et des ouvriers, il n'y a eu que des Belges ».342(*) Par cette mystification de l'union nationale dans laquelle se serait déroulé toute la guerre, nous pouvons constater un véritable sentiment patriotique teinté d'antisocialisme et du problème linguistique. Nous voyons, dans ces propos, une tentative pour faire taire les dissensions - problème communautaire et exigences de gauche- qui voient le jour à ce moment-là.

En conclusion, nous pouvons affirmer que les cérémonies du 11 novembre 1919 sont loin de revêtir le caractère rituel qu'elles acquerront quelques années plus tard. En effet, ces cérémonies sont diverses et éparses, chaque commune organisant sa célébration alors que plus tard, les cérémonies seront ritualisées tant au niveau de la commune, qu'au niveau national. Toutefois, l'organisation de cérémonie, en l'absence d'un cadre officiel, est symptomatique d'une large demande de la société civile et militaire probablement liée à l'absence de corps, la mort de masse et le besoin de reconnaissance.

* 324La Nation Belge, 6 novembre 1919, p.1 

* 325Moniteur Belge- Journal Officiel, Bruxelles, Imprimerie du Moniteur Belge, 31 juillet 1919, p. 3618.

* 326Moniteur Belge- Journal Officiel, Bruxelles, Imprimerie du Moniteur Belge, 1e août 1919, p. 3667-3668.

* 327Les célébrations du 4 août: Dans tout le pays, « l'anniversaire du jour fatal sera célébré par les carillons de nos hôtels de ville et de nos beffrois, par les sonneries de cloches de toutes les églises, les sifflements des locomotives et les sirènes des établissements industriels ». A cette occasion, il n'y a ni cortèges ni discours, juste ces sonneries qui enjoignent la population belge à célébrer le jour om les Allemands ont fait basculer la Belgique dans cet affreux drame.

La Gazette de Huy, 3 août 1919, p.1, cité dans BIEVEZ E., La mémoire de la GrandeGuerre à travers les monuments aux morts dans les communes de Huy, Tihange et Ben-Ahin, Mémoire de licence en histoire, inédit, Louvain-La-Neuve, 2003, p.89.

* 328 Nous pouvons notamment citer les fêtes de la Victoire à Bouillon le 24 août 1919. Stéphanie Claisse nous apprend aussi que c'est en août-septembre 1919 qu'on lieu les premières commémorations libres des combats et des atrocités.

CLAISSE S., Ils ont bien mérité de la patrie! Monuments aux soldats et aux civils belges de la Grande Guerre, mémoire(s) et reconnaissance (1918-1924), Thèse de doctorat en Histoire, inédit, Louvain-la-Neuve, année académique 2005-2006, p. 83, 86.

* 329De Schelde, 7 novembre 1919, p.1 ; La Nation Belge, 6 novembre 1919, p.1. 

* 330La Libre Belgique, 12 novembre 1919, p.1 ; Le Soir, 12 novembre 1919, p.1 ; VAN YPERSELE L. , TIXHON A., « Ceìleìbrations de novembre 1918 dans le royaume de Belgique », in VingtieÌme SieÌcle. Revue d'histoire. N°67, juillet-septembre 2000. p. 65-69.

* 331La Nation Belge, 1er novembre 1919, p.1. 

* 332 Notamment le monument de la place des Combattants à Saint-Ghislain, celui de la place verte à Baudour (La Province, 15 novembre 1919, p.3). Cette affirmation est confirmée par Stéphanie Claisse qui explique que la plupart des monuments aux morts sont inaugurés entre 1919 et 1924.

CLAISSE S., « Visages de la patrie belge à travers les monuments aux morts de 14-18 », in CLAISSE S. et LEMOINE TH., Comment (se) sortir de la Grande Guerre ? : Regards sur quelques pays « vainqueurs » : la Belgique, la France et la Grande-Bretagne, Paris, Editions L'Harmattan, 2005, p.

* 333DUBOIS Y., Les monuments commémoratifs de la grande guerre en province de Liège, Mémoire de licence en Histoire de l'art et archéologie, inédit, Liège, année académique 2010-2011, p. 48.

* 334VAN YPERSELE L. et TIXHON A., « Du sang et des pierres. Les monuments de la guerre 1914-1918 en Wallonie », in Les Cahiers d'Histoire du temps Preìsent, volume 7, p. 109.

* 335CLAISSE S., Ils ont bien mérité de la patrie! Monuments aux soldats et aux civils belges de la Grande Guerre, mémoire(s) et reconnaissance (1918-1924), Thèse de doctorat en Histoire, inédit, Louvain-la-Neuve, année académique 2005-2006, p. 79 ; Le Journal de Liège, 12 novembre 1919, p.4 (Les Postiers honorent leurs morts), La Province, 13 novembre 1920, p.5 (les cheminots montois honorent leurs morts).

* 336DUMOULIN M, GERARD E., VAN DEN WIJNGAERT M. et DUJARDIN V., Nouvelle Histoire de Belgique, volume 2 : 1905-1950, Bruxelles, Editions Complexes, 2006, p.32

* 337 Tout au long de l'entre-deux-guerres, le Moniteur Belge publie la liste des personnes recevant telle ou telle médaille.

* 338 Hyon, Schaerbeek, Quaregnon, Neuville ... La Dernière heure, 10 novembre 1919, p.2 ; La Libre Belgique, 11 novembre 1919, p.2 ; La Libre Belgique, 12 novembre 1919, p.1 

* 339La Dernière heure, 10 novembre 1919, p.2 

* 340 Laurence van Ypersele et Axel Tixhon nous apprennent que le gouvernement invite toutes les communes belges à planter un « arbre de la victoire » le 22 novembre 1919, date du premier anniversaire de la rentrée du Roi dans sa capitale. Sans toutefois porter le même nom ou avoir lieu à la même date, nous ne pouvons pas ne pas mentionner la similitude de l'idée.

VAN YPERSELE L. et TIXHON A., « Du sang et des pierres. Les monuments de la guerre 1914-1918 en Wallonie », in Les Cahiers d'Histoire du temps Preìsent, volume 7, p. 95.

* 341La Dernière heure, 10 novembre 1919, p.2 ; La Libre Belgique, 11 novembre 1919, p.2 ; La Nation Belge, 1er novembre 1919, p.1 ; Le Soir, 1e novembre 1919, p.1.

* 342La Nation Belge, 9 novembre 1919, p.1 

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