WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

( Télécharger le fichier original )
par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE 2 :

LA THEORIE POLITIQUE D'OCKHAM ET LE CONTRACTUALISME

La liberté est selon Ockham inhérente au sujet et infinie, à moins qu'elle ne rencontre un commandement extérieur. Afin de ne pas être envahi par les pouvoirs de chacun, il est nécessaire d'intégrer l'individu au sein d'une communauté politique. Est-il cependant possible de coordonner les hommes au-delà de la simple juxtaposition de puissances ? Comment le sujet, esseulé du point de vue métaphysique, peut-il entrer en relation avec ses semblables ? L'enjeu est pour Ockham de montrer que sa théorie est applicable, qu'elle est capable de penser un vivre-ensemble harmonieux. Dans le cas contraire, elle perdrait toute raison d'être car l'objectif ockhamien est de penser un système cohérent sur tous les plans. Après avoir articulé sa métaphysique avec le droit, le défi pour Ockham est d'intégrer la sphère politique à sa réflexion.

A. Une théorie politique annonciatrice des droits de l'homme ?

L'étude des écrits juridiques ockhamiens témoigne de sa participation à l'élaboration du concept de droit subjectif, et donc de son influence sur les droits de l'homme. Retrouve-t-on également dans sa pensée les prémices de la modernité politique ? Le contractualisme procède d'une révolution politique : l'individu n'est plus l'objet mais la source du pouvoir. L'origine du pouvoir permet ainsi d'établir le degré de modernité d'une théorie politique. Quelles sont les thèses ockhamiennes sur ce sujet ? Apporte-t-il une réponse susceptible d'avoir influencé les théoriciens contractualistes ? Différents aspects de la modernité de sa pensée l'indiquent.

1. La nature du pouvoir

En théologien, Ockham ne peut imaginer d'autre clef de voûte que divine à son système. La source de l'autorité politique est donc identique à celle du droit. Conformément au dogme franciscain, Dieu, caractérisé par sa toute-puissance, exprime son pouvoir par un libre décret de sa volonté. Pourquoi les hommes doivent-ils régler politiquement leur coexistence ? C'est ce dont une lecture littérale de la Bible rend compte : dans le jardin d'Eden, le politique n'existe pas car la coexistence est parfaite, Adam et Eve n'ont à coordonner leurs actes. Dieu établit donc les trois

76

seules règles nécessaires du dominium collectif et des puissances maritale et paternelle1. Mais la Chute, dévoilant à l'humanité la connaissance et le mal, la livre à elle-même. Dans son infini bonté, Dieu donne à l'homme les moyens de gérer les conséquences du péché originel. D'une part, le pouvoir d'appropriation individuelle (potestas appropriandi) pour limiter les conflits en répartissant les biens2. D'autre part celui d'établir des chefs (potestas instituendi rectores) sans lequel la multitude courrait à sa perte3. Cette puissance publique a pour sa part toute légitimité à établir des lois (potestas condendi leges et jura humana), condition de l'exercice de son autorité. Ces deux pouvoirs attribués à l'humanité sont interdépendants : l'appropriation exige un souverain juge, le chef gouverne en distribuant ou en reconnaissant des propriétés.

Dieu est donc au sommet d'une cascade de pouvoirs qu'il répartit par délégation. La puissance législative est initialement un décret divin, en vertu duquel les conventions positives humaines doivent être établies. Le droit naturel ne signifie donc plus que les conséquences rationnelles des règles positives divines. Ce n'est plus la nature mais les Ecritures qui enseignent le juste. Les lois humaines doivent être déduites des décrets divins arbitraires. Ce positivisme juridique divin réduit tout système politique à n'être qu'un pur instrument au service d'une volonté : le juste n'est plus observé mais promulgué. Le gouvernement n'est plus universel et éternel mais particulier et temporaire. Sa nature n'est bonne qu'aussi longtemps que Dieu le veut. Ce n'est donc plus qu'improprement qu'il est possible de parler de droit naturel. Le droit naturel antique est aussi permanent que le cosmos. A l'opposé, la nature ockhamienne est un agrégat de singularités où tout est possible à chaque instant. User du terme `nature' pour désigner le monde relève de l'oxymore : soumise à la toute-puissance divine, la nature est artificielle4. Premier aspect de la modernité politique d'Ockham : la nature, et par répercussion la politique, relèvent de l'artefact.

1 Sur le communisme originaire : Genèse, I, 28. Sur la soumission de l'épouse à son mari : Le SEIGNEUR « dit à la femme : « Je ferai qu'enceinte, tu sois dans de grandes souffrances ; c'est péniblement que tu enfanteras des fils. Ton désir te poussera vers ton homme et lui te dominera » (Genèse, 3, 16). Ockham y fait référence en Court traité du pouvoir tyrannique, III, 6). Sur la domination des pères sur leurs enfants, il fait référence (Court traité III, 11) à l'Epître aux Ephésiens (6, 1 à 3), traduit par la TOB : « Enfants, obéissez à vos parents, dans le SEIGNEUR, voila qui est juste. Honore ton père et ta mère, c'est le premier commandement accompagné d'une promesse : afin que tu aies bonheur et longue vie sur terre ».

2 Court traité, III, 7.

3 Ibid., III, 11.

4 Comme le note Cyrille Michon : « La possibilité métaphysique de l'annihilation, appelée à jouer un rôle important chez Occam, ou plus tard, chez Descartes, est reconnue par Thomas, mais jamais considérée comme autre chose qu'une hypothèse métaphysique : Dieu ne détruira pas ce qu'il a créé, la nature a sa consistance garantie ». (introduction à la Somme contre les Gentils de saint Thomas, t. 2, La Création, Paris, Garnier Flammarion, 1999, p. 23, note 23). Pour Ockham, elle est au contraire possible à chaque instant.

77

Si, conformément au texte paulinien1, Dieu est source de tout pouvoir, comment ce dernier doit-il être réparti ? Ecrivant au coeur d'un conflit opposant depuis plusieurs siècles la papauté et l'empereur, Ockham consacre un ouvrage complet à discriminer l'étendue du pouvoir de chacun2. Suite à la constitution du christianisme en véritable pouvoir politique, les pouvoirs temporel et spirituel prétendent tout deux à l'hégémonie. Alors qu'au XIe siècle, Grégoire VII a remporté la querelle des investitures face à Henri IV d'Allemagne, le temporel gagne progressivement en influence avec les Capétiens, et triomphe au XIIIe siècle. En France, le gallicanisme et Philippe le Bel ont ainsi raison de la théocratie pontificale3. Au service de Louis de Bavière, Ockham s'oppose au pape sans pour autant chercher à le soumettre. Sa croyance influence probablement fortement sa théorie politique. Une lecture littérale de la Bible indique en effet que, le royaume du Christ n'étant pas de ce monde, il convient de rendre à César ce qui lui appartient4.

Ockham opte en conséquence pour une autonomie substantielle des deux pouvoirs. La finalité de l'agir papal est sotériologique. Le Christ n'est pas venu pour instaurer un empire ou défaire les lois existantes. Il s'est détourné des affaires politiques et n'a opposé aucune résistance lors de son arrestation5. Il n'a donc pas donné à son vicaire plus de pouvoir qu'il n'en possédait lui-même. De même, le pouvoir politique n'a pas à s'intéresser aux questions religieuses car les compétences comme l'autorité lui font défaut. A la différence de Marsile de Padoue, partisan d'une dissolution de l'Eglise dans l'Etat, Ockham souhaite coordonner deux puissances qu'il juge irréductibles. Deuxième aspect moderne de sa pensée : une laïcisation de la sphère politique qui se voit attribuée un champ d'action propre.

Si Dieu reste omniprésent dans cette répartition des rôles qu'il a choisi et peut à tout instant réorganiser, la théorie politique d'Ockham témoigne, en cohérence avec ses positions juridiques,

1 Epître aux Romains, 13, 1.

2 Il s'agit du Breviloquium de potestate papae, traduit en français par Jean-Fabien Spitz, sous le titre : Court traité du pouvoir tyrannique, Paris, PUF, 1999. Rédigé entre 1339 et 1340, ce texte est le plus célèbre des écrits politiques ockhamiens.

3 Le gallicanisme défendait une organisation de l'Eglise catholique française autonome vis-à-vis du pape. S'il « reconnaît au Pape une primauté d'honneur et de juridiction », il en conteste la toute-puissance « au bénéfice des conciles généraux et des souverains dans leurs États ».Le versant politique de cette doctrine soutient que le roi tient son royaume directement de dieu, et non du pape.

Voir : http://www.eleves.ens.fr/home/robin/histoire/medievale/eglise/gregorienne1.html

La théocratie pontificale affirmait pour sa part la plenitudo potestatis de l'autorité papale et son droit à intervenir dans les royaumes temporels. Elaborée par Grégoire VII en 1075, elle s'oppose à la théocratie impériale de Charlemagne faisant de l'empereur le représentant de Dieu sur terre. Pour les 27 propositions du texte grégorien, voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Dictatus_pap%C3%A6

4 Sur le royaume du Christ : Jean 8, 23 et 18, 36. Sur le tribut à César : Matthieu 22, 15-22, Marc 12, 13-17, Luc 20, 20-26.

5 Court traité, II, 16 et II, 19 : « le Christ a interdit à tous les apôtres d'exercer le pouvoir des princes du siècle ».

78

d'une volonté d'affranchir l'homme de toute nécessité naturelle. Cette pensée libère-t-elle pour autant l'individu d'un point de vue politique, comme elle le faisant sur le plan métaphysique ? La finalité du pouvoir permet de répondre partiellement à cette question. Elle est double et ne fait pour Ockham aucun doute. Tout d'abord, les puissances temporelle et spirituelle doivent oeuvrer pour le bien commun. A l'égard de la communauté des croyants, le pape se doit de n'exiger que ce qu'une vie dans les pas du Christ requiert. L'obligation de subir le martyre, la virginité, le jeûne excessif, l'abandon de tous nos biens dépassent ainsi les attributions du pape :

« Lorsqu'il a confié ses brebis à Pierre, le Christ n'a pas d'abord voulu pourvoir à l'honneur et à

l'avantage de Pierre, ni à son repos ni à son utilité ; mais il a d'abord voulu pourvoir à l'avantage et à

l'utilité de ses brebis elles-mêmes1 ».

De même, l'empereur doit agir en vue de l'intérêt collectif. Les deux agissent à la manière du père sur ses enfants. Leur objectif est d'orienter et pas de dominer la vie de leurs sujets, qui « doivent être avertis de ne pas assujettis plus qu'il n'est nécessaire2 ».

Second objectif de tout pouvoir : travailler à la promotion de la liberté. La liberté est une marque de Dieu en chacun. Elle est avec l'amour et la charité une raison d'être du christianisme. A supposer que le pouvoir du pape soit illimité, les chrétiens en seraient en fait les esclaves. Ceci serait absurde car la loi des Evangiles n'a de signification que comme entreprise de libération3. Seul Dieu lui-même pourrait, de potentia absoluta, retirer aux hommes leur liberté. Le pouvoir temporel doit lui aussi oeuvrer à la liberté des sujets, faute de quoi il serait en opposition au Saint-Siège et à Dieu. Cette double finalité limite intrinsèquement les deux pouvoirs. Par définition, le politique et le religieux sont au service des individus qui ne sont assujettis que parce qu'il en va de leur intérêt. Troisième aspect de la modernité présent chez Ockham : tout pouvoir n'est légitime qu'au service de l'individu.

Ockham ne tient pas compte seulement des idéaux du bien commun et de la liberté. Alors que nombre de ses contemporains raisonnent de manière abstraite, il rejette d'une part le recours aux allégories bibliques pour l'argumentation4, et défend d'autre part fréquemment ses positions sur le terrain de l'efficacité. Le pouvoir du pape doit ainsi être limité pour trois raisons : premièrement, les fidèles n'ont pas tous des capacités identiques de résistances et tout ne peut être exigé de l'un

1 Court traité, II, 5. Pour d'autres exemples de limites au pouvoir du souverain pontife, ibid., II, 6.

2 Ibid., I, IV. Ockham cite en l'occurrence Grégoire Ier, pape de 590 à 604.

3 Deuxième épitre aux Corinthiens, 3, 6 : Dieu « nous a rendus capables d'être ministres d'une Alliance nouvelle, non de la lettre, mais de l'Esprit ; car la lettre tue, mais l'Esprit donne la vie ». Pour un tableau comparatif des alliances ancienne et nouvelle : TOB p. 2802, note n. Pour des citations empruntées aux écrits d'Ockham, voir l'introdution au Court traité par Jean-Fabien Spitz, op. cit., p. 26, notes 1 et 2.

4 Court traité, II, 3, 4 et 5.

79

d'entre eux1. Deuxièmement, accepter d'un pouvoir qu'il soit illimité serait contreproductif, car on inciterait du même coup les sujets à la rébellion2, et les croyants à se détourner de la foi. Troisièmement, la nature de l'homme étant peccable, le pape ni l'empereur ne sont infaillibles. A supposer qu'un pouvoir dépasse ses attributions, son commandement ne serait légitime qu'à condition de se plier à la volonté de ses sujets ou à la coutume préexistante3. Ockham s'efforce en permanence d'accoler le droit aux faits. Son recours au raisonnement par l'absurde témoigne de son souci de confrontation des normes aux évidences empiriques. Le pouvoir n'est donc pas limité par sa seule finalité, il lui faut tenir compte du principe de réalité. La méthode d'Ockham constitue le quatrième trait de sa modernité : visant l'efficacité, son argumentation donne une importance majeure à l'immanence en théorie politique.

La définition même du pouvoir témoigne d'un apport ockhamien à la théorie politique moderne. Le pouvoir temporel relève de l'artefact, le pouvoir spirituel est laïcisé, et tous deux sont limités, d'un côté par leur mission respective, de l'autre par le principe de réalité. Pourtant, là n'est pas encore l'apport majeur de sa philosophie politique. C'est le fonctionnement concret de l'association politique qui révèle l'ampleur de son influence sur la modernité.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore