CHAPITRE 5 : ÉTUDE BENCHMARKING
« Qui veut s'améliorer doit se mesurer, qui
veut être le meilleur doit se comparer. » dixit Robert C.
Camp23. C'est dans cette logique que cette partie tente de comparer
la commercialisation de la mangue biologique du Mali à celle du Burkina
Faso.
Selon (Gautron et al., 2003), le benchmarking est un outil
qui permet de rechercher en permanence les meilleures pratiques en se comparant
dans un domaine précis à un organisme faisant
référence.
D'après (SCHOETTL, 2003), le benchmarking consiste
à analyser les pratiques des entreprises leaders pour les mettre en
place dans son entreprise.
Il n'y a donc pas une définition officielle pour le
benchmarking, mais ce qui doit être retenu est : une pratique (processus
continu) basée sur l'observation et l'analyse de la performance du
savoir-faire des entreprises, établissements, filières, etc.
excellents dans le but de déceler les écarts de
compétitivité, pour ensuite les corriger. Il s'appuie sur des
indicateurs de performance appelés benchmarks (coût,
qualité, délai, management, etc.).
Il existe quatre types de benchmarking : les benchmarking
interne, concurrentiel, fonctionnel et générique.
Pour mener à bien les objectifs de cette étude,
le benchmarking concurrentiel est apparu pertinent. Ce choix a
été fait pour les raisons suivantes : (i) la filière
mangue bio du Mali est confrontée à la concurrence des autres
pays producteurs de mangues bio notamment le Burkina Faso, la Côte
d'ivoire, le Pérou, la saint Dominique, etc. (ii) Ces concurrents ont un
avantage compétitif sur le Mali grâce à de meilleures
pratiques. Afin de corriger les écarts s'il y en a, le Maroc
(filière agrumes) et le Burkina Faso (filière mangue) ont
été choisis comme pays à benchmarker.
I. La filière agrumicole du Maroc
Il a été effectué un voyage
d'étude à Casablanca au Maroc dans le cadre d'une enquête
exploratoire. L'objectif de ce déplacement était double.
Premièrement, aller s'imprégner des facteurs et conditions de
réussite de la filière agrumicole marocaine afin d'identifier les
indicateurs (benchmarks) qui ont concouru à la performance de cette
filière, deuxièmement, vérifier le dispositif de
questionnaire. Le choix du Maroc découlait de deux constats : primo, en
Afrique l'effet d'apprentissage que ce pays a cumulé dans la production
et la mise en marché des agrumes et secundo, ses performances en termes
de quantités d'agrumes exportées qui le place parmi les leaders
de cette filière en Afrique.
Durant cette phase exploratoire, le choix de
l'échantillonnage raisonné est apparu pratique pour ce travail.
Au moins un acteur au niveau de chaque maillon de la chaîne
d'approvisionnement des agrumes marocains a été retenu pour les
entretiens.
La question centrale des interviews était
stipulée ainsi « Le Maroc est cité en Afrique comme une
référence en matière de production et de commercialisation
d'agrumes, selon vous monsieur, quels sont les facteurs clés de
succès de cette réussite ? » et les aspects
abordés dans nos questionnaires étaient centrées sur :
- les caractéristiques du produit (agrumes) et
l'importance de celles-ci sur la compétitivité,
23 Robert C. Camp est gestionnaire et analyste, auteur du
Best-Seller « Benchmarking : The search for industry best practices that
lead to superior performance »
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- l'orientation géographique des exportations marocaines
d'agrumes,
- l'importance des facteurs coût de production,
coût de fret, coût de packaging, coût de certification,
délai de livraison et capacité financière sur la
compétitivité des acteurs de la filière.
Les leçons apprises au Maroc
Au terme de l'enquête exploratoire effectuée au
Maroc, deux principales leçons pouvaient être tirées :
Primo, du point de vue connaissances théoriques,
les facteurs ci-dessous évoqués ont contribué au
succès de la filière agrumicole du Maroc. Ils ont suscité
plus de compréhension et d'inspiration dans une perspective
d'amélioration de la compétitivité au cours de
l'étude de la filière mangue biologique au Mali.
V' L'effet d'apprentissage : le Maroc commercialisait les
agrumes depuis les époques coloniales. Le rôle des politiques pour
dynamiser et maintenir la pérennité de l'expertise nationale pour
la production et de la commercialisation des fruits a été
prépondérant pour le succès de la filière. Des
politiques de soutien et de promotion pour créer cet effet
d'apprentissage sont indispensables pour la compétitivité d'une
filière comme celle de la mangue bio du Mali.
V' L'intégration horizontale et verticale : la
concentration des acteurs en amont a été l'un des premiers
facteurs clés du succès de la filière agrumicole du Maroc.
La structure de marché du secteur des produits agroalimentaires
étant caractérisée aujourd'hui par une très forte
concentration des acteurs de l'aval avec un grand pouvoir de marché ;
face à cette situation, il faudrait aussi une forte concentration en
amont pour que les acteurs aient plus de pouvoir de négociation.
V' La distance et le choix du moyen de fret : la gestion de la
distance est importante pour la compétitivité d'une
filière puisque la régularité des expéditions
dépend en partie de la maîtrise de la distance par une logistique
adaptée. Le Maroc a su développer une forte logistique pour
satisfaire la demande des marchés lointains ; il exporte jusqu'en Russie
et au Canada. Le Mali qui est un pays enclavé et continental doit
connaître les conséquences du coût de la distance sur la
compétitivité de sa chaîne d'approvisionnement mangue
bio.
Secundo, du point de vue technique, l'étude
réalisée au Maroc a permis de déceler les insuffisances de
la grille d'entretien et les questionnaires, d'en apporter des corrections. In
fine, un nouveau dispositif composé du guide d'entretien et de
questionnaires plus adaptés pour l'enquête sur la mangue bio au
Mali et l'étude de la filière burkinabé a
été élaboré.
II. La chaîne d'approvisionnement mangue biologique
du Burkina Faso
L'étude de terrain a consisté à faire une
analyse benchmarking pour déceler les écarts de
compétitivité s'il y en a et les facteurs clés qui ont
concouru au succès de la chaîne d'approvisionnement
burkinabé de mangue bio. Les critères de
compétitivité choisis a priori
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étaient les benchmarks (indicateurs) process de
conditionnement, coût de revient sortie station de conditionnement,
démarche qualité et management de la campagne.
Au Burkina Faso, la chaine d'approvisionnement mangue bio est
organisée autour des acteurs qui sont identiques à ceux
intervenant au Mali. Ce sont les producteurs, les pisteurs, les exportateurs et
les structures techniques d'encadrement.
L'intérêt de cette partie a porté sur les
exportateurs. Au Burkina Faso ils sont deux sociétés à
mettre sur le marché la mangue bio (Fruiteq et Burkinature). Fruiteq a
été choisi comme l'exportateur partenaire du benchmarking pour la
simple raison que c'est cette société qui exporte la mangue bio
du Mali. Sinon Burkinature est aussi un exportateur de mangue bio qui a une
alliance stratégique avec Pronatura (multinational de distribution en
Europe).
Fruiteq
Fruiteq est une société à
responsabilité limitée qui a été
créée pour gérer le centre de conditionnement construit
à Bobo Dioulasso grâce à un financement de la Banque
européenne d'investissement (BET) à hauteur de 70 % et l'ONG
néerlandaise Solidaridad24 à 30 % (Nathalie Mcsween,
2006). Fruiteq travaille avec les organisations de producteurs du Burkina Faso,
de la Côte d'ivoire et du Mali pour satisfaire les commandes de son
client et partenaire Agrofair. Elle fait aussi des prestations pour d'autres
exportateurs.
Le management du produit chez Fruiteq
Fruiteq conditionne et exporte la mangue biologique et la mangue
bio équitable. Elle ne fait pas de mangue conventionnelle. Elle fait des
prestations de conditionnement pour d'autres exportateurs. Les
approvisionnements sont faits en plus du Burkina Faso, au Mali et en Côte
d'ivoire.
Pour assurer la qualité des mangues jusqu'au consommateur
final, Fruiteq fait une évaluation de la qualité des fruits
réceptionnés par des observations et de mesures des facteurs
d'écart de tri25. L'image de gauche de la photo 3 montre
quelques instruments de mesure de la qualité des mangues. Ce
mécanisme permet de faire des gains de temps,
d'électricité, d'eau et réduit le pourcentage de rejet de
lot à l'arrivée du marché de destination au cas où
le lot ne serait pas conforme aux standards et normes internationaux.
Après l'évaluation si la décision de
conditionner est prise, les mangues passent dans une chaîne de
conditionnement avec les étapes suivantes : pré - tri (manuel),
bac de trempage, bac de lavage (brossage, lavage, rinçage) , bac de
cirage, tapis de triage, calibrage à poids, mise en carton,
contrôle de poids, palettisation et mise au froid.
La mise au froid se fait en deux étapes. Dans un premier
temps dans la chambre de pré cooling et après dans la chambre de
cooling (photo n° 3, image du milieu et d'à droite). L'impact du
temps qui sépare la cueillette de la mangue et sa mise en pré
cooling constaté dans la station de Fruiteq est contenu dans le tableau
8.
24 Solidaridad est une ONG créée par les fondateurs
de Max Havelaar qui détient des parts dans le capital social
d'Agrofair.
25 Les facteurs d'écart de tri sont : coup de soleil,
brûlure de sève, nez mou, grattage, blessure, immaturité,
surmaturité, malformation, piqûre de mouches, anthracnose,
pédoncule non conforme, pourriture du noyau, taches noires, fourmis,
maturité, brix ,fermeté.
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Tableau 8. Caractéristiques de l'impact
du temps de la récolte à la mise en pré cooling sur la
qualité de la mangue
Nombre de jours entre la cueillette et la mise en pré
cooling du fruit
|
Durée du maintien de la qualité du fruit
|
|
Minimum
|
Maximum
|
Moins d'un jour 1 jour
|
20 jours 15 jours
|
30 jours 25 jours
|
Le positionnement de Fruiteq sur le marché
européen
Les exportations de Fruiteq sont destinées au
marché européen uniquement. C'est aux Pays-Bas où le
client partenaire (Agrofair) se trouve. Il existe une alliance
stratégique entre les deux entreprises. D'après (Grelaud et
Gasse, 1995) « Dans une alliance stratégique les entreprises
collaborent et partagent les mêmes besoins et les mêmes risques en
vue de réaliser un objectif commun. Si elles ne partagent pas un niveau
de risque important, elles ne peuvent pas s'attendre à un engagement
réciproque. Les entreprises partagerons donc certains risques seulement
si elles ont besoins l'une de l'autre pour atteindre les mêmes objectifs.
» Lewis Jordan D.26 cité par Martine Grelaud et
Yvon Gasse.
Agrofair est une société d'importation et de
distribution de fruits et légumes bio et Fair Trade (FT), détenue
à 50 % de parts par une coopérative internationale de producteurs
et le restant 50 % par l'ONG Solidaridad. Elle a investi dans la formation du
personnel, l'encadrement des producteurs et les infrastructures chez Fruiteq.
Cette alliance stratégique qui s'inscrit dans les critères du FT
est à la base du succès de la chaine de valeur mangue Bio FT du
Burkina Faso.
La compétitivité chez Fruiteq
Le coût de revient par kilo de mangue achetée et
conditionnée est élevé chez Fruiteq (359 F CFA/kg) par
rapport à AOM du Mali (311 F CFA/kg). Ceci est dû au prix du
produit d'achat du kilo de mangue à l'entrée station. Sinon les
charges de conditionnement sont faibles par rapport AOM du Mali. Le management
du produit et le positionnement précédemment
évoqués ont assuré la compétitivité de
Fruiteq sur le segment mangue bio FT.

(Gauche) (Milieu) (Droite)
Photo 3. Quelques photos de la station de
conditionnement de Fruiteq27
26 Lewis J. D. (1990), Partnerships for profit, New
York, the Free Press, 255 pages.
27 À gauche, matériels de contrôle de
qualité avant conditionnement (en partant de la gauche :
pénétromètre, réfractomètres, échelle
du mesure de la maturité, thermomètre). Au milieu, chambre de
pré cooling. À droite, lots de mangues palettisées et
empotées prêts pour l'expédition dans la chambre de
cooling.
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Une étude diagnostique sur la filière mangue du
Burkina Faso a évoqué le rôle de l'état dans la
promotion des filières. Par exemples, les facteurs clés de
succès de la filière fruits et légumes au
Sénégal ont été l'engagement de l'état, la
mise en place de démarche qualité et un soutien adapté aux
investissements (Mazières, 2006). Au Burkina Faso aussi, il y a eu cette
volonté politique d'accompagner les acteurs de la filière fruits
et légumes à travers différentes études,
constructions d'infrastructures et subventions.
Les leçons apprises au Burkina Faso
y' Le management de la qualité depuis la
réception jusqu'à sortie des mangues de la station. Au Burkina
Faso, Fruiteq contrôle et évalue la qualité des mangues
avant leur réception. Ce mécanisme est une bonne pratique qui
garantit une meilleure gestion de l'écart de tri, donc de très
faible rejet sur le marché de destination. L'utilisation des chambres de
pré cooling et de cooling assure la qualité à la sortie de
la station. La meilleure gestion de la Qualité des mangues à
l'entrée et à la sortie de la station de conditionnement est
indispensable pour la compétitivité.
y' La politique d'approvisionnement de Fruiteq intègre
les producteurs du Mali, de la Côte d'ivoire en plus du Burkina Faso.
Celle-ci leur permet d'honorer leur carnet de commande d'assurer le timing des
expéditions. Cette intégration verticale est une bonne pratique
pour consolider une part de marché.
y' La politique de partenariat de Fruiteq avec le client Agro
Fair a permis de mettre sur pieds une chaîne de valeur solide. Cette
situation permet à Fruiteq de s'adapter continuellement aux exigences du
marché.
y' La disponibilité d'infrastructures adéquates
qui respectent les standards internationaux et la taille financière de
Fruiteq lui ont permis d'être l'un des leaders de la mangue bio dans la
sous région ouest africaine.
y' Les Prestations de conditionnement faites par Fruiteq pour
d'autres exportateurs grâce à leurs infrastructures et leur
licence bio permettent d'augmenter leur rendement et d'assurer la
viabilité de leurs investissements.
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