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Les apprentissages entre pairs: construction d'une identité plurielle

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par Carine Amouriaux-Menou
Université Rennes 2-Haute Bretagne - Master 2 Education, apprentissage et Didactique. Département des Sciences de l'éducation 2013
  

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1.4.5 Une posture d'apprenti-chercheur

Cette réflexion que je mène est une pièce de plus à un puzzle inachevé et correspond à un cheminement professionnel et personnel. Le trajet emprunté crée un mouvement perpétuel et questionne les dilemmes irrésolus pour s'affranchir des limites d'une activité et lui donner d'autres horizons. A contre courant des certitudes et du bien-fondé des consensus, l'obstination et la curiosité me poussent à questionner des zones qui me sont apparues sombres et cachées. L'apprenti-chercheur est toujours dans ce juste milieu entre « engagement et distantation » ; l'objectif n'est pas de guider les pratiques de terrain mais d'essayer de comprendre et de donner à voir des manières renouvelées d'observer les phénomènes quotidiens et les routines qui ne sont plus

10 J.L. Nancy, Identité : Fragments, franchises. Paris. Galilée. 2010.

11 V. Descombes, Les embarras de l'identité. Paris. Gallimard.2013. p. 45- 46.

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questionnées, de proposer peut-être d'autres grilles de lecture, en laissant aux acteurs la possibilité éventuelle de saisir quelques résultats de cette réflexion12.

Les situations sont complexes au sens où elles ne sont pas simplement le fait d'un facteur mais d'une combinaison de facteurs. Expliciter la façon dont sont reliés les éléments est nécessaire puisque les choses se définissent et se redéfinissent en fonction des interactivités des acteurs engagés. La démarche de l'apprenti-chercheur consiste à articuler les observations sur le terrain et les différents concepts théoriques, en s'appuyant sur les épaules des auteurs ayant déjà traité de ces sujets. Dans ce travail de recherche, je suis invitée à ne plus juger ou produire une opinion mais à chercher à voir plus précisément, plus finement dans une finalité explicative. Je suis bien dans un processus dans lequel je ne peux plus dire « on m'a dit » mais « j'ai vu, j'ai observé » et d'autres l'ont fait avant moi. Selon Gaston Bachelard, « c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique13 ». Le premier obstacle épistémologique que je dois dépasser est l'observation elle-même. J'ai fait le choix d'aller sur un terrain qui m'est proche professionnellement : cela suppose de ma part une prise de distance afin de ne pas rester dans une approche expérientielle. Gaston Bachelard, à l'instar de Thomas Kuhn ou d'Emile Durkheim, explique que « l'esprit doit commencer par critiquer ce qu'il croit déjà savoir, c'est-à-dire en rompant avec le sens commun14 ». Ma tâche consiste à identifier l'existence de certains éléments, à délimiter leurs contours, à les nommer de façon adéquate, pour m'assurer que ce ne sont pas simplement des produits issus de mon imagination et de mes représentations. Selon Howard S. Becker, le chercheur doit assumer la question du choix de son échantillonnage. Il ne s'intéresse jamais à tout ce qui se passe dans la situation qu'il étudie mais choisit plutôt d'étudier un petit nombre de choses. J'ai pu observer que cela est particulièrement vrai lorsque nous effectuons un travail de terrain. Etre attentif à tout ce qui se passe dans ces situations d'observation est une rigueur méthodologique difficile. « Une fois que nous avons bien observé ce que nous avons choisi de regarder, nous laissons pour ainsi dire de côté tout le reste, tout ce qui semble routinier, non pertinent, et ennuyeux. L'idée selon laquelle nous devrions seulement nous tourner vers ce qui est intéressant, vers ce que nos réflexions antérieures nous disent être intéressant, vers ce que notre univers professionnel nous dit être intéressant, vers ce

12 Anne-France Hardy, Développement professionnel du soignant-éducateur en santé scolaire, mémoire Master EAD, 2013, p.6.

13 G. Bachelard, L'Eau et les Rêves. Paris. Corti. 1942.

14 L. Yousfi, Gaston Bachelard, une philosophie à double visage. Sciences Humaines n°242, 2012.

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que la littérature publiée nous dit être intéressant, est un piège dangereux15 ». Howard S. Becker explique ainsi que « le sens commun et les préjugés des gens qui nous entourent ne sont pas les seuls obstacles qui nous empêchent de voir ce qu'il y a à voir. Nous faisons souvent le choix de ce que nous prenons en compte et de ce que nous laissons de côté en fonction de la base d'une représentation et de la théorie qui lui est associée ». Dans son analyse sur les représentations, Jérôme Blumer affirme que « malgré ce défaut de connaissance directe, le chercheur se formera inconsciemment une sorte d'image mentale de la sphère de vie qu'il se propose d'étudier. Il fera intervenir les croyances et les images qu'il a déjà en tête pour élaborer une vision plus ou moins intelligible de cette sphère.[...] Que nous soyons profane ou chercheur, nous approchons tous nécessairement telle sphère de vie sociale inconnue à travers les images que nous possédons déjà ». C'est pourquoi je ne peux me satisfaire de ce que m'apportent mon imagination et mes extrapolations. Je sais aussi que mes « stéréotypes ne sont justement que des stéréotypes, et qu'ils ont autant de chance d'être exacts que d'être faux16 ».

Les questionnements, les remises en cause, la recherche de cohérence entre « le penser et l'agir » (et inversement) font partie d'un ensemble à la fois déséquilibrant et enrichissant qui caractérise la posture de praticien-chercheur qui est la mienne aujourd'hui.

« Je suis humain parce que j'ai ma place, je participe, je partage,» dit le Dalaï Lama. C'est bien dans un contexte social que j'acquière des savoirs, des nouvelles capacités, que j'enrichis le réseau de relations qui tisse mon rapport au monde. Etre en recherche, « faire » de la recherche, nécessite de développer un nouveau regard capable d'appréhender et d'analyser la réalité complexe des phénomènes d'activité humaine, de façon critique, de fonder un nouvel esprit et d'ouvrir de nouveaux horizons.

La démarche réflexive permet d'articuler l'activité professionnelle et la démarche universitaire, le rôle de praticien et celui du chercheur. Cette posture de praticien et de chercheur suscite des « questions épistémologiques quant à la nature ou la légitimité des savoirs produits (savoirs théoriques ou savoirs d'action, savoirs profanes ou savoirs savants) de même que par rapport aux distinctions ou aux limites entre objet, sujet, voire projet de recherche [...] Les sciences de la formation ajoutent à ces

15 H.S. Becker, Les ficelles du métier. Paris. La Découverte. 2002 .p.162.

16 H.S. Becker, op. cit. p. 40.

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questionnements le débat sur leurs propres finalités, entre professionnalisation, technicité et utilité sociale17 ».

Le praticien et le chercheur évoluent très souvent dans des mondes différents : le praticien agit dans l'action, parfois dans l'urgence. Il est condamné à l'anticipation permanente mais son expérience lui permet aussi de prendre des décisions rapides. Le chercheur, lui, a besoin de temps, de recul, de distance pour observer et analyser les processus en jeu. Un regard croisé praticien-chercheur permet sans doute une posture singulière constituant un enjeu intéressant dans la combinaison de valeurs, de démarches, de principes complémentaires afin de comprendre l'environnement et pouvoir le contester pour aller plus loin, pour mieux vivre. Ces chemins enchevêtrés et cette double posture de praticien-chercheur me semblent pouvoir donner du sens à la perspective d'un « apprentissage tout au long de la vie ». C'est bien dans ce processus que s'inscrit mon travail de recherche.

Je me suis interrogée sur ce qui fait sens à s'inscrire dans une démarche de recherche. De mon point de vue, « rechercher » peut être relié à « curiosité » si l'on définit celle-ci comme le désir de connaître ce qui nous est « autre » mais perceptible. Gaston Bachelard écrit : « L'homme veut voir. La curiosité dynamise l'esprit humain. » La curiosité est ce qui retient l'attention, de l'ordre du souci, de la préoccupation18. Elle ne surgit donc pas par hasard. Le premier trait caractéristique de la curiosité est qu'elle s'intéresse à ce qu'elle connaît déjà mais en partie seulement. Nous ne sommes donc pas curieux dans l'absolu, mais bien relativement à certains sujets dont nous savons déjà quelque chose : « L'enfant possède naturellement des intérêts dûs en partie au degré de développement qu'il a atteint, en partie aux habitudes qu'il a déjà acquises et à l'environnement dans lequel il vit [...]. Ils sont le point de départ, les amorces, les instruments de travail19 ». C'est cette connaissance première et partielle qui conditionne notre curiosité, notre désir de connaître davantage. Si l'objet de curiosité était invisible, comment pourrions-nous désirer lever le voile qui trouble notre vue ?

Le concept de sentiment d'efficacité d'Albert Bandura a également retenu mon attention. Cette théorie, enracinée dans une perspective sociocognitive, m'invite à sans doute mieux comprendre les représentations que les hommes ont de leur capacité à agir avec efficacité, par l'influence sur eux-mêmes et sur leur environnement. Avoir

17 J. Eneau, Introduction aux Apprentissages pluriels des adultes, questions d'hier et aujourd'hui. Paris. L'Harmattan. 2008.

18 Histoire du mot curiosité. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. www.cnrtl.fr.

19 J. Dewey, 2004.

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lu, en partie, l'ouvrage d'Albert Bandura éclaire ma démarche. Je comprends aujourd'hui, plus qu'hier, ce qui m'a orientée vers le choix de mon sujet d'enquête et ce qui m'a permis d'agir.

Les croyances en l'efficacité personnelle constituent le facteur-clé de ce qui concerne les actes réalisés intentionnellement. Albert Bandura explique que « si une personne estime ne pas pouvoir produire de résultats, elle n'essayera pas de les provoquer. Ces croyances sont insérées dans un réseau de relations fonctionnelles agissant en association avec d'autres facteurs dans la gestion de diverses réalités [...] Les hommes sont peu incités à agir s'ils ne croient pas que leurs actes peuvent produire les effets qu'ils souhaitent. La croyance d'efficacité est donc un fondement majeur du comportement. Les individus guident leur existence en se basant sur la croyance en leur efficacité personnelle. L'efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l'individu en sa capacité d'organiser et d'exécuter la ligne de conduite requise pour produire les résultats souhaités. Les éléments sur lesquels s'exerce l'influence de l'individu sont très divers : il peut s'agir de la motivation personnelle, des processus de pensée, des états émotionnels et des actes, ou encore de la modification des conditions environnementales, selon ce que l'on cherche à maîtriser.» Etre chercheur en Sciences de l'Education a certainement un rapport étroit avec la théorie des buts20. Pourquoi les individus s'investissent-ils autant dans ces domaines, au détriment parfois de leur entourage familial, amical, en s'interdisant le plaisir de ne rien faire ? Bien sûr, il y a une finalité. L'individu ne fait pas un effort si l'objectif recherché est invisible. Peut-on penser le savoir pour unique volonté de savoir ? Que signifie le plaisir de chercher évoqué par les chercheurs ? Est-ce un perpétuel mouvement de l'esprit qui procure de la joie, celle d'exister ?

Dans tous les domaines de la recherche, on peut distinguer différents buts : ceux que le chercheur se fixe lui-même, et ceux que les autres veulent qu'il vise (assignés par une institution). Le thème de ma recherche est un choix personnel, non une commande, ce

20 La théorie des buts accorde au concept de but motivationnel une place centrale au sein du modèle explicatif. Selon les auteurs, la nature de l'accomplissement individuel ou le but motivationnel poursuivi conduit l'individu à ressentir des états psychologiques spécifiques et identifiables. Ces états contribuent à la fois à la détermination des émotions et des cognitions éprouvées lors de l'accomplissement et à l'expression de conduites observables. Cette théorie présuppose que les buts peuvent être assimilés à des constructions cognitives internes, conscientes et accessibles, précisant ce que les individus tentent d'accomplir et les raisons qui les poussent à agir. Ainsi, les buts d'accomplissement déterminent un cadre de référence qui détermine la nature des projets individuels, la définition de la compétence et du succès et les critères d'évaluation de la performance. F. Cury. L'année psychologique. 2004 vol. 104, n°2. pp. 295-329.

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qui me laisse une relative liberté d'action, nécessaire à la motivation qui me nourrit et me permet d'avancer. J'ai pris conscience que c'est un réel travail sur soi qui doit s'effectuer pour produire une réflexion. Gaston Bachelard a dit « le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser.» Je crois alors avoir basculé dans ce que l'on nomme la réflexion épistémologique. Le passage à l'écrit m'a permis de pouvoir prendre une distance émotionnelle avec le sujet qui m'intéresse.

Dans le domaine de la recherche, les enseignants-chercheurs universitaires que j'ai rencontrés m'ont conseillé de ne pas chercher à vouloir tout comprendre, tout savoir d'un phénomène, car le risque est de se perdre et de ne rien interroger. C'est un élément essentiel, ai-je compris, dans l'activité de recherche mais qui me place dans une quête qui ne sera jamais totalement assouvie. L'idée d'une perspective ouverte sur des horizons pouvant être différents fait que l'objet d'enquête est, en soi, dynamique, non figé, pouvant être interrogé suivant des angles d'approche variés. J'ai aujourd'hui choisi de le regarder d'une certaine façon et je dois expliciter mes choix.

En ayant intégré une formation à la recherche en sciences de l'éducation, je suis conviée à participer à une construction de pensée, et cette action peut être comparée au fait d'apporter une pierre à l'édifice, humblement, « à l'instar du tambour qui participe à l'harmonique de la fanfare21 ».

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams