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Les voyages officiels du roi Mutara III Rudahigwa

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par Thomas Munyaneza
Master's program in Genocide Stadies/ UNR - Licence en Histoire 2009
  

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L'auteur de cette article retrace les voyages du Roi Mutara au Congo-Belge, en Ouganda et en Belgique. Le Roi en retiré de grandes leçons.

LES VOYAGES DU ROI MUTARA III RUDAHIGWA ET SES RESULTATS

PAR : MUNYANEZA Thomas.

INTRODUCTION

« Plus on connaitra l'Histoire, plus le ressentiment s'effacera » (Marc Ferro)

Chaque société a des hommes de référence communément appelés « modèles de la société » comme par exemple dans le temps plus récent : Patrick Emery Lumumba, Ernesto Guevara, plus connu sous le nom de Che Guevara, Fred Rwigema, Nelson Mandela etc. Le 50ème anniversaire de la mort du Roi Mutara III Rudahigwa que nous célébrons le 25/7/2009 est une occasion de manifester notre joie et de rappeler ses véritables oeuvres. Le Rwanda ne devrait pas s'éterniser à se rappeler seulement de son passé triste mais il doit aussi évoquer les bonnes choses accomplies par des hommes dignes de son nom comme Mutara III Rudahigwa et autres. Tout Rwandais devrait savoir que le Rwanda est un beau pays et que le Rwanda survivra grâce aux Rwandais. Nous devons nous demander ce qui nous empêche d'utiliser nos atouts pour développer notre pays.

A ce stade je voudrais encore une fois rappeler que Mutara III Rudahigwa est parmi les héros nationaux de la République du Rwanda de la 2ème catégorie avec Mme Uwilingiyimana Agathe, les élèves de l'Ecole Secondaire Pédagogique de Nyange , soeur Félicité Niyitegeka et Michel Rwagasana, le frère de Kayibanda Grégoire (le premier Président et membre fondateur du parti MDR Parmehutu caractérisé par la haine atavique envers les Tutsi)

Parler des voyages officiels, en mettant de coté les voyages privés qui il a effectués d'ici et là, de Mutara III Rudahigwa (en Belgique, en Uganda, au Tanganyika et en Amérique) est un exercice qui demande beaucoup d'efforts étant donné que les résultats de ces voyages restent inconnus, ignorés et même contestés, non seulement par un groupe de Rwandais dérouté mais aussi par des blancs colonisateurs, surtout ceux qui ont lutté contre le courage, la bravoure et l'esprit nationaliste de cet homme de référence qui a marqué l`histoire de notre pays. Comme je ne dispose d'aucun texte de l'époque à l'exception de quelques brefs extraits, notes de voyage, quelques livres dispersés ici et là qui, passagèrement, parlent de ce même sujet, je m'en tiendrai non seulement aux témoignages de personnes de l'époque mais aussi aux extraits dont nous avons tirés du journal Kinyamateka no 201-204 paru en juillet 1949, Temps nouveaux d'Afrique, Rudipresse et aux feuilles de grande importance historique de l'époque gardées dans les différentes bibliothèques, notamment celle de Kabgayi, chez les Pères Dominicains, au Grand Séminaire de Nyakibanda et à l'Université Nationale du Rwanda.

LE PREMIER VOYAGE DU ROI MUTARA III RUDAHIGWA EN EUROPE

Pendant que le Roi Mutara III Rudahigwa était en préparation d'un voyage en Europe, le journal Kinyamateka l'approcha en vue d'informer le public du programme de ce voyage. Le Roi Mutara III a essayé expressément de détailler le programme du voyage et de la liste de son entourage devant l'accompagner à savoir Mr Dryvers  conseiller du Roi, Godifroid Kamuzinzi  chef du Bugoyi, Augustin Gashugi, chef du Buhanga-Ndara, Michel Kayihura chef du Nyaruguru et Pascal Ngoga, juriste de Nyanza et secrétaire du Roi. Mutara III continue en disant que le but de son voyage est centré sur des objectifs suivants1(*):

1. remercier l'Etat belge et le Prince Régent après sa visite de travail au Rwanda (Nishimiye kwitura Prince Régent umaze imyaka ibili atugendereye),

2. présenter le Rwanda et son trésor (kumenyekanisha u Rwanda n'ibyiza byarwo) ;

3. nous faire beaucoup d'amis, officiels ou privés, susceptibles de nous rendre services et ce dans tous les domaines.(bizatuma tubasha kuhabonera inshuti zabasha kutugirira akamaaro) ;

4. rendre visite aux différentes personnalités et aux anciens missionnaires particulièrement les pères blancs qui ont vécu et travaillé au Rwanda (Kandi nizeye kuzabonana n'abazungu n'abapadiri benshi bahoze mu Rwanda),

5. voir le développement tant économique que social de ce pays afin de pouvoir l'imiter surtout dans les domaines agricole, d'élevage et d'artisanat (Izindi mpamvu zinteye kwishimira urwo rugendo nuko ngiye kureba icyo gihigu bandibuliyemo ubuhinga bwinshi n'amatungo meza, kikagira imyuga myinshi ishyira igihugu imbere. Jye 'abatware tujyanye tuzabona ibyo byose, turebemo icyatugilira akamaro mu Rwanda).

C'était le 22 avril 1949 que le Roi Mutara Rudahigwa quitta Nyanza, capitale de la royauté, et c'était pour la première fois dans l'histoire du Rwanda que le roi du Rwanda allait se rendre en Europe.

Arrivé à Astrida, Mutara fut accueilli par les différentes personnalités du pays : les colons, les Pères blancs, les Frères de la charité etc. et dimanche, le 24 avril 1949, Mutara III continua son voyage vers Bujumbura où il fut accueilli par le Mwami Mwambutsa, Roi du Burundi, et un groupe de Rwandais présent pour dire au revoir au Mwami. C'est le 24 avril à 9h du matin que le roi arriva à Léopoldville où il fut salué par Mr Morel, gouverneur de la province de Léopoldville, Mgr Six et père Mols, Directeur du collège Albert. A Léopoldville, accompagné par Mr Brumagana, commissaire de Léopoldville, Mutara III visita différents endroits comme :

- Le Parc de Léopoldville

- Le Fleuve Congo et la société de voyage maritime : « Otraco »

- Le terrain de football : la « Reine Astrida »

Ce passage au Congo en a radicalement changé la vision du roi. Parmi les décisions prises après ce voyage, le roi Mutara III s'est proposé trois objectifs 2(*):

1. L'aménagement de territoires de Bugesera, Cyanya et Umutara pour y faire habiter une partie de la population qui a tendance à émigrer à l'étranger par manque de terres alors que leur pays a encore de grandes terres habitables (Icya mbere ni ugushaka uburyo bwo gutuza abantu mu bihugu bimwe bidatuwe cyane nk'u Bugesera, Cyanya n'u Mutara. Kuhashakira amazi kugira ngo abantu bahature aho kwimuka bajya mu bindi bihugu kandi icyabo kidatuwe.

2. La promotion du commerce afin qu'il ne reste pas le monopole des étrangers. (Icya kabiri ni ugushaka uburyo abanyarwanda bakomera ku bucuruzi kugira ngo budahera mu maboko y'Abanyamahanga gusa).

3. La promotion des écoles de métiers (Icya gatatu ni ugushyira amashuri y'imyuga imbere).

À BRUXELLES

A Bruxelles, le Roi Mutara III Rudahigwa et sa suite ont visité différents endroits dont ceux -ceci qui ont particulièrement impressionné le Mwami Mutara III et sa suite4(*):

- L'Hôtel de Ville de Bruxelles : les murs bien décorés de peaux traçant les faits marquant l'histoire de la ville de Bruxelles (I Bruxelle igitangaza gihali ni inzu yitwa « Hotel de Ville » Amazu yayo yose alimo impu zavuye muli Hispanya, zishushanyijweho ibyabaye muli Bruxelle byose kuva aho yubakiwe.)

- Une ferme moderne des bovins de Gembloux composée de belles vaches pesant entre 1.200 et 1.020 Kg et une production laitière de 35 litres par jour traits à la machine électrique comme partout ailleurs en Belgique (I Gembloux twahasanze inka nziza cyane. Inini mulizo ifite 1.200, iya kabili ifite 1.050, iya gatatu ifite 1.020. Imwe bayikamye duhagaze aho, ikamwa amata ya litiro 20 ; mu munsi ikamwa litiro 35. Ntimugire ngo bakamisha amaboko, ibyuma bya electricite nibyo bikama inka za mu BubiligiLes porcs modernes pesant environ 600 kg et d'une propreté extraordinaire (Twagiye no kureba amazu y'ingurube, dusanga afite isuku nziza. Ingurube kandi si nk'izi muzi. Nabonye ifite kilo 600).

- De grandes étendues de champs bien cultivés avec des techniques agricoles modernes (Twagiye no mu milima dutangazwa n'ukuntu bagifata imilima neza),

- Le cimetière moderne des anciens rois défunts protégé par les gardes royales Nous y avons visité les tombes des Rois Albert I, des Léopold I et II et de la Reine Astrid .Nous y avons déposé une gerbe de fleurs. (Twagiye no kureba imva z'abami n'abamikazi b'u Bubiligi. Imva yose imeze nk'altari, ikikijwe n'amatara yaka ijoro n'amanywa. Ku muryango hahora abasirikali bakuranwa kuhalinda. Uhageze raceceka. Aho niho numviye icyubahiro gikwiye abapfuye. Twapfukamye kumva ya Albert I n'iy'umwamikazi Astrida, n'iya Leopold I n'uwa II. Twagiye kugenda Umugabekazi atura Umwami indabyo zitagira uko zisa) .

- La grande et belle basilique d'Anvers accueillant environ 15.000 personnes (Kiliziya y'Anvers uyinjiramo gasanga ko ali inzu ya Mungu koko. Iyo kiliziya ilimo impande ndwi, kandi ishobora kujyamo abantu 15.000.

- Le port d'Anvers long de 15 km (Twagiye no kureba icyambu cy'Anvers cyiza cyane, gifite ibaraza rya Kilometro 15).

- La fonderie de Liège avec les différents travaux faits à l'intérieur (Twagiye mu ruganda bacukuliramo ibintu byinshi, twabonye ukuntu umuliro uhindura ibyuma amazi, bigatemba nk'umugezi, bijya mu bintu babiteze, bakabigira uko bashatse.)

- Le camp militaire de Baverloo où l'on nous a montre des exercices de commandos parachutistes (Twageze i Baverloo mu basirikali b'Ababiligi, ako kanya bahimba umurwano wo kutwereka uko babigenza mu ntambara. Abasore 60 bjya mu ndege, abandi bajya muli tanki, nuko abagiye mu ndege irabagarukana ibagejeje mu kirere cya météro 200 irabarekura).

- L'Université de Louvain et la Grande Bibliothèque de cette université avec plus de 400.000 volumes. (Twasuye inzu y'ibitabo, Wongere uti : « inzu y'ibitabo. Iyo nzu itaratwikwa n'intambara y mu 1940, yalimo ibitabo 900.000 ubu barongeye barabishaka, imaze kubona ibitabo 400.000)

- A Bruges lors du pèlerinage les gens étaient impressionnés par la taille du Roi (aho nyine i Bruges aliho twahuye n'abantu benshi, cyane bali baje muli ibyo biroli, barulirana bashaka kureba Umwami)

- Chez les Pères Bénédictins et les Soeurs Bernardines où vit en couvent une fille du gouverneur Général du Congo, Mr Ryckmans. Ils ont des chants et des prières magnifiques (Twayigiye mu Bahaye Mungu ba Mutagatifu Benedicto. Abo bantu b'imana iyo bajya ku meza n'ibiroli mu bindi. Bafite amasengesho bavuga batangira cyangwa barangije, maze yose bakayalirimba mu majwi meza. Iyo bali ku meza ntiwavuga umwe muli bo asoma igitabo, abandi bakamutega amatwi. Iryo tegeko ryo guceceka lirubahwa cyane. Twavuye aho tujya mu rugo rw'Ababikira ba Mutagatifu Benedicto nabo : muli bo halimo umukobwa wa Bwana Ryckmans wahoze ali Gouvrneur General wa Kongo nawe ni umubenedigitina.

- Nous avons visite d'une usine de charbon un ascenseur nous a descendu à 920 m de profondeur .Sous terre, un petit train nous a promenés jusqu'à 15km toujours sous terre ou l'on extrait du charbon 24heures sur 24 en 3 équipes de 8 heures chacune .. (Twagiye kureba aho bacukura mines z'amakara mu kuzimu. Twamanuwe n'akantu kitwa « ascenseur »gasakuza nk'indege, aliko kihutusha bibi. Katumanuye ahantu ha météro 920, mu kuzimu, uko tumanuka kakagenda karushaho gushyuha. Twamaze kurenga izo météro 920 tumanuka, tujya muli gare ya moshi ntoya, tugenda kilometro 15 mu kuzimu tugera aho bacukura. Abakozi bacukura amakara, bakora masaha 8 mu munsi, balimo ibyiciro bitatu bakuranwa umunsi n'ijoro. Bafite utwuma bacukuza tugenzwa na electricite, amakara yamara kugwira bagatwaza ibiyozo. Bamara amasaha ane bakora, bakicara bagafungura, amakara yarabahinduye : Ikikubwira ko ali abazungu ni umunwa musa. Umugati barya uli mu upapuro, bakawurya bafashe urupapuro kuko intoki ziba zahindutse umukara. Iyo bavuye ku mulimo baliyuhagira bakambara neza, bajya imusozi ntumenye ko bahoze mu makara. Umwami yashatse kureba ibyaho byose, anyura ahantu h'imfungane banyura bakubise inda hasi.)

De l'avis de tous ceux qui côtoyaient Rudahigwa lors de son premier voyage en Belgique, en juillet 1949, il en a été fortement marqué. A son retour il donna ses impressions très positives dans une série de conférences à travers le pays dans lesquelles il évoquait la richesse de la Belgique, la qualité du travail, les inventions technologiques, l'agriculture moderne, les écoles... Au groupe scolaire il a dit notamment : « Les progrès de notre Pays dépendront de notre travail bien. Notre collaboration avec la Belgique et incontournable. J'en suis revenu convaincu de l'amitié des Belges non seulement pour moi mais aussi pour notre Pays. »5(*). {Kugira ngo igihugu cyacu kijye imbere tugomba gukora. Ibyo ndabibabwira kandi sinzareka kubivuga. S'ugukora imirimo myinshi gusa, aliko cyane cyane ni ukurushaho kuyikora neza. Tugomba kumenya neza ko igihe duhawe itegeko ryo gukora umulimo ushyira igihugu imbere cyangwa uwo duhemberwa, tuba duhawe n'iryo kuwukora neza. Kutita ku mulimo ukora ngo ugeregeze kuwukora neza, nta majyambere bigira. Amajyambere dushaka yose tugomba kuyashakana n'u Bubiligi. Tugomba kwizera icyo gihugu cyane. Iwawe ntuhatumira umwanzi, uhatumira umukunzi. Natumiwe mu Bibiligi, nakiriwe neza cyane. Icyo ni ikimenyetso cy'ubucuti kandi sijye babugiliye gusa, babugiliye u Rwanda rwose.}

Malgré ce ton admirateur de la métropole et de son oeuvre au Rwanda, un administrateur trouvait que le roi n'était pas toujours fable : il proposa même de ne pas le laisser parler seul avec les notables parce que, dit-il, il peut être mal compris ou expliquer de façon erronée les mesures prises par l'administration coloniale6(*).

L'autorité du Mwami commençait aussi à être contestée par quelques évolués sous l'influence du Frère Secundien, « une fraction prétendument progressiste alors qu'elle visait à rompre l'harmonie de la discipline coutumière »7(*), et par des cadres coutumiers pour qui le roi était devenu plus dur et plus exigeant que les Européens.8(*).

Effectivement, en ce moment-là, Rudahigwa se plaignait de certains chefs et sous chefs qui, d'après lui, avaient perdu le sens des responsabilités : ils faisaient preuve, disait-il, d'une nonchalance coupable, recherchaient des avantages matériels et étaient sans rendement ou avaient des comportements qui étaient à l'origine de la diminution générale des terres cultivées et de la non application des instructions agricoles9(*). Il fallait, « réveiller chez les chefs et les sous-chefs un sentiment plus aigu des devoirs ». Rudahigwa se proposait de mener une série de conférences dans les territoires où il allait évoquer la diminution de la production agricole et le désintéressement du cadre coutumier. En bref, il fallait secouer l'indifférence et la nonchalance généralisées10(*).

VOYAGE DU ROI MUTARA III RUDAHIGWA AU CONGO-BELGE

C'était le 3 juillet 1956 que le roi Mutara III s'est rendu au Congo-belge via Elisabethville comme on disait à l'époque. A l'occasion des festivités qui marquaient le cinquantième anniversaire de l'Union Minière du haut Katanga, les organisateurs avaient invité Mutara III et Mwambutsa, roi du Burundi11(*). Il ne faut pas oublier que le Rwanda était un pays pourvoyeur de main d'oeuvre pour l'Union minière. Pendant la 2e guerre mondiale, le Rwanda avait été soumis à l'effort de guerre, le statut de mandat ne permettant pas aux Belges de lever les troupes. Cet effort de guerre a porté sur la fourniture de certains articles pour lesquels le producteur autochtone recevait en contrepartie un prix fixé par le gouvernement. Les principaux articles livrés sont les denrées alimentaires et les vaches de boucherie. Les Européens achetaient des vaches sur les marchés locaux à bon prix et les revendaient plus cher au Congo belge. C'était le médecin vétérinaire qui fixait la valeur et qui marquait les vaches.

Arrivés à Elisabethville, Mutara III et sa suite y ont trouvé un service du protocole impeccable conduit par Mr Toussaint qui connaissait bien Mutara III car c'était un ancien fonctionnaire de l'UMUHK (Union Minière du Haut Katanga) au Rwanda ; il les a conduits à l'Hôtel Prince de Léopoldville et de là, chacun des rois, accompagné de son secrétaire, a gagné sa villa, logement de passage.

Le programme des visites était fort chargé et chaque soir les invités rentraient très fatigués. De Jadotville-Likasi- Kolwezi à Tshipushi, les invités ont pu visiter le barrage Delcommune et celui du Marinel. Tout était grandiose et rien n'avait été négligé qui puisse rendre les invités heureux12(*).Mais ils ont été fort surpris - particulièrement ceux qui venaient du Rwanda et du Burundi- était l'oppression que les noirs subissaient dans cette colonie (Umwami Mutara III yababajwe n'akarengane gakorerwa abirabura). Le mépris accompagnait cette oppression. Ainsi, dans la ville d'Elisabethville, chaque jour, le couvre-feu imposé aux hommes de couleur commençait déjà à 18h, après cette heure on ne voyait plus aucun noir, sauf les boys qui passaient avec leur tablier13(*). Certes, au Rwanda aussi, ce cauchemar existait, mais au moins le couvre-feu commençait à 21h jusqu' à 6h du matin14(*). Ce règlement était appliqué avec rigueur, malheur à celui qui se laissait surprendre par la police, il était certain d'aller passer quelques semaines en prison15(*).

Comme tout le monde le sait, le Congo belge est immensément riche, et vaste mais à l'époque très peu habité. Le pouvoir colonial a légitimé l'émigration de rwandais vers le Congo en la présentant comme une action humanitaire en faveur des populations rwandaises et congolaises : soulager le Rwanda surpeuplé et mettre en valeur des régions inhabitées du Congo, presque semblable à tous les points de vue à la région de départ des Rwandais où ils garderont leur façon de vivre16(*). Mais cette émigration revêtait plus un caractère économique qu'humanitaire. Ce sont les colons européens qui en ont profité et qui l'ont motivé.

Lors de la visite, le Roi Mutara III et sa suite étaient étonnés par la richesse de ce pays. De tout ce qu'ils ont pu voir, trois choses ont marqué leur mémoire :

1. Le gigantesque barrage Le Marinel,

2. La coulée de cuivre de l'U.M.H.K. (Union Minière du Haut Katanga)

3. La mise au tonneau du cobalt dont la coulée n'a pas le même débit que celle du cuivre, mais qui n'en est pas moins féerique.

Après les fêtes, Mutara a prolongé son séjour car il tenait à rendre une visite personnelle aux mineurs d'origine rwandaise, entre autre dans leurs centres sociaux. Le courant migratoire vers les mines du Congo et surtout vers le Katanga sur une période de 10 ans, soit entre 1935 et 1942, la population rwandaise a envoyé au profit du Congo belge près de 29.513 personnes et 158.920 personnes au profit de l'Afrique orientale17(*). Les mineurs rwandais ont tenu à l'accueillir avec les honneurs dus à son rang le Roi Mutara. Surtout, ils étaient heureux de le voir, de lui parler d'autant plus que pour certains c'était la première fois. Ce fut le temps des surprises18(*).

Les mineurs du Rwanda avaient leur troupe de danseurs. Malgré leur dur labeur, ces hommes, majoritairement originaires du Nord Ouest du Rwanda, avaient trouvé le temps et la ténacité d'apprendre la danse nationale « Intore ». Evidemment, cela a beaucoup intéressés et réconfortés le Mwami Mutara III Rudahigwa et sa suite. C'était d'autant plus intéressant que ces émigrés provenaient dans des régions dites « urukiga » : « les émigrants étaient majoritairement originaires du Nord Ouest du pays (Ruhengeri et Byumba) à cause de la proximité géographique qui permettait à l'administration territoriale de ne pas trop y investir et de procéder par une sorte de glissement des populations frontalières »19(*)..

LE VOYAGE DU ROI MUTARA III EN UGANDA

Un autre voyage qui ne fut pas moins féerique et qui laisse encore beaucoup de souvenir, est celui que le Roi Mutara III Rudahigwa a effectué pendant trois semaines en Uganda, du 14 octobre 1956 au 2 novembre 1956. Mutara III avait toujours entendu parler de l'Uganda car beaucoup de Banyarwanda, soit des immigrés économiques, soit des refugiés fuyant ce qu'on appelait « le fouet des belges et la corvée » « Ikiboko cy'umubiligi na shiku », avaient fortement émigré vers ce pays voisin20(*).

Il n'y a aucun doute qu'il y a un lien entre les différentes contraintes coloniales et coutumières ci-dessus exposées et les mouvements migratoires que le pays a connus pendant la période coloniale. Mais ce lien n'est pas le seul facteur explicatif de ce phénomène.

Les fortes densités de la population rwandaises et la pression sur la terre ne sont pas étrangères à ces départs. Ainsi une partie des migrations vers le Congo belge sont expliquées par le fait que la population du Rwanda, nombreuse et prolifique, est attirée par des territoires de très faibles densités humaines de l'autre côté de la frontière21(*).

Il y a aussi des facteurs attractifs qui sont d'ordre socio-économique. En effet, les pays d'accueil offraient des conditions de vie plus agréables. Ceci valait surtout pour l'Uganda ; non seulement il était facile d'y trouver de l'argent mais encore le système de travail n'était pas aussi rigide et injuste qu'il l'était au Rwanda. Les Rwandais vendaient leur force de travail là où ils étaient bien payés. Mais l'émigration vers le Congo belge était en partie stimulée et dirigée par l'autorité coloniale.

Le flux migratoire vers l'Uganda a connu trois grandes phases. Le courant amorcé en 1920 s'est amplifié en 1926/1927 avec l'encouragement des autorités britanniques et suite à la grande famine de 1928/1929. Lors de la deuxième phase, 1933-1947, ce sont les jeunes gens qui partent en grand nombre. Le mouvement fut amplifié par la crise économique, la famine et la 2e guerre mondiale. La dernière période qualifiée de tassement (1948-1960) correspond avec la fin de la guerre et le processus de décolonisation. L'émigration vers l'Ouganda était généralement un mouvement inter-rural, libre, saisonnier et quelque fois collectif. Ce fut le courant le plus important en valeur numérique. On estime à 50.000 Rwandais, soit un adulte masculin sur six, qui émigraient chaque année à la fin des années vingt. Jusqu'en 1959, environ 350.000 Rwandais étaient partis en Uganda et 35.000 au Tanganyika.

Le Roi savait bien que l'Uganda se trouvait au Nord du Rwanda, mais il voulait connaître par lui-même cette région dont la prospérité, la paix et l'organisation le rendaient curieux. Il avait déjà vu le Roi Mutesa II mais il voulait aussi rencontrer, chez eux, le Roi du Toro et celui de l'Ankole.

Un voyage en Uganda fut donc organisé et le Roi se fit accompagner par Mr Dens22(*) avec sa famille et sa fille, par les chefs Michel Kayihura, Pierre Mungarurire et Kimenyi, secrétaire du Roi. Le Mwami Mutara a passé un mois en Uganda, et il a visité le Buganda, le Toro, le Busoga et l'Ankole. Le Kigezi a été le dernier endroit visité lors de retour au Rwanda.

A Kampala, toute la ville était debout pour accueillir leur hôte de marque. Dans toutes les artères qui mènent au Palais c'était des fleuves humains, les bagandais comme les banyarwanda voulaient voir de leurs yeux cet homme peu ordinaire qu'était Mutara III Rudahigwa. Les rwandais particulièrement souhaitaient voir leur souverain dont ils avaient sans doute entendu parler autour du feu ou dans des réunions de banyarwanda. Ils étaient fiers de montrer leur Roi Mutara III Rudahigwa aux bagandais. 23(*)

La première visite fut réservée aux bâtiments administratifs du royaume du Buganda. A cette époque, ce pays avait atteint le stade de l'autonomie interne, alors qu'au Rwanda, la tutelle, en la personne de son Haut représentant J.P. Harroy, prévoyait l'autonomie interne du Ruanda-Urundi dans plus de vingt ans. En tout cas, c'est ainsi qu'il a exprimé dans son oraison funèbre lors de l'enterrement de Mutara III24(*).

Le gouvernement du Buganda comptait six ministres et les autres royaumes ou districts en avaient trois. A cela s'ajoutaient le cabinet du roi et le parlement (Bulangi). Au palais, Kabaka était entouré de ses ministres, de l'autorité traditionnelle, des députés et autres dignitaires du royaume.

La visite au Buganda a littéralement grisé Mutara III Rudahigwa et l'a renforcé dans son désir, son idée, sa vision d'être entouré de personnes responsables, quel que soit le titre qui leur serait donné : « une autre proposition du roi Rudahigwa et du CSP était d'adjoindre au Mwami un embryon de ministères sous forme de chefs de service ».25(*)Pour commencer il voulait quatre personnes, quatre ministres. Et pourtant, encore en 1956, quand lui-même et le conseil supérieur du pays avaient formulé cette demande à l'Administration belge, elle fut repoussée avec hargne. Pour les uns, notamment les membres de l'église catholique, cette proposition du Roi Mutara n'était qu'une imitation, une copie, de ce qui existait en Uganda26(*) et pour les autres, les coloniaux, cette proposition a été perçue, surtout au niveau du Ministère des colonies, comme la preuve d'un désir de réformes profondes de la part des indigènes, et le signe d'un « nationalisme larvé déjà agissant et d'un raidissement des membres du CSP »27(*). Le service technique du ministère des colonies conclut par une de ses notes  au Ministre en disant : « il y a certainement au Ruanda-Urundi un puissant mouvement d'opinion vers une démocratisation plus poussée, que les Bami sont d'ores et déjà acquis à l'idée de profondes modifications de la structure politique actuelle et qu'en conséquence, il y a lieu de laisser mûrir l'évolution en cours »28(*)..

Même si ce projet pouvait refléter l'influence du régime buganda, cela n'aurait été d'une part qu'un recouvrement d'un certain pouvoir dont la monarchie avait été spoliée. D'autre part, ce qui se passait ailleurs dans le tiers-monde-plus particulièrement dans l'évolution des structures politiques de l'Est Africa-était comme une porte de secours qui pouvait conduire les institutions rwandaises à la démocratie et permettre à la Monarchie d'être réellement constitutionnelle. Cela pouvait la retirer d'une situation sans nom, ambiguë, qui rendait possible les plus fausses interprétations. Car, pour diviser le peuple rwandais et avilir le nom du roi et de la monarchie, un slogan avait été trouvé : « un Mwami absolu, dictateur, qui ne veut pas la démocratie »29(*). Ce slogan avait était une stratégie pour salir le régime par des critiques personnelles et ramener, au profit de la tutelle ou de l'Eglise, l'influence que détenait l'autorité traditionnelle30(*).

D'autres visites au Buganda ont été axées sur les établissements d'enseignements secondaires et universitaires. Parmi les écoles secondaires visitées, il y en avait deux qui ont particulièrement impressionné Mutara III. D'abord, le Collège de Budo, le plus prestigieux de tous les établissements secondaires de l'Uganda si pas de l'Est Africa. C'était là que Mutesa II et bon nombre de rwandais avaient fait leurs humanités31(*). Pour accueillir le Mwami Mutara, ce collège avait bien fait les choses. Comme il hébergeait les enfants de plusieurs tribus, un élève de chacune d'elles venait souhaiter la bienvenue au mwami Mutara III dans sa langue maternelle; parmi eux, il y avait un rwandais : Justin Muhaya (Mwizerwa) dont le père était ami du chef Kayihura32(*).

Ensuite un autre collège qui avait été fondée par un Ugandais et dont tout le corps enseignant était composé de natifs (Abadugavu). Dans son discours de circonstance, le directeur était fier d'appuyer sur ce mot, pour faire comprendre à l'invité d'honneur le courage et la détermination du fondateur qui avait réalisé ce chef d'oeuvre33(*).

Le colonisateur belge a beaucoup insisté sur la scolarisation de masse. Il a fait preuve d'une extrême prudence pour doter le pays d'une élite intellectuelle autochtone. Il mit beaucoup de temps pour admettre la nécessité d'un enseignement supérieur. Lorsqu'il l'a fait, les Anglais de l'Est de l'Afrique (les Ougandais et les Tanzaniens) avaient plus de 30 ans d'expérience dans la création et la gestion des universités africaines modernes.

Une autre visite qui rivalisait de charme avec celle des établissements scolaires, était celle des îles Sese, domaine privée de Mutesa II, dans le lac Victoria. C'était une excursion en canot à moteur. La visite étant privé, dans un domaine privé, Mutesa II a refusé d'y inviter le conseiller du Mwami, Mr Dens et sa famille. Une douzaine de personnes, embarquées dans deux canots. Parmi eux : Mr Sebby, de nationalité anglaise, l'ami de Mutesa. De ce fait Mutara III a demandé à ce dernier pourquoi il n'avait pas voulu inviter Mr Dens alors que lui-même se faisait accompagner par un blanc, Mutesa lui a clairement répondu : « leurs cas n'sont pas identique, car Mr Sebby est mon ami personnel de longue date, tandis que ton soi-disant conseiller t'a été imposé par la tutelle pour te surveiller »34(*). Cette triste vérité était une aide mémoire pour Mutara III, lui rappelant qu'il y avait sur lui un oeil vigilant et cela partout où il allait. Cette vérité avait aussi été repérée par les Badahemuka qui parfois, dans leurs réceptions, refusaient de placer ce surveillant à côté de Mutara III35(*).

Les Banyarwanda de l'Uganda avaient créé une association appelée Abadahemuka « les irréprochables ». Les membres du comite directeur de cette association avaient souvent rendu visite à Mutara III à Nyanza. Aussi ont-ils demandé de recevoir leur Souverain et Mutara III a immédiatement accepté cette invitation.

La réception a eu lieu au Centre Social de Mengo. Et tous, hommes, femmes enfants, vieillards, étaient ivres de joie. Dans leurs discours de circonstance, les Badahemuka ont déploré le manque de centre d'accueil, surtout pour ceux qui venaient à Kampala pour la première fois, car, dans cette grande ville il leur était facile de se perdre, d'être une proie pour les bandits ou pour les recruteurs de moralité peu recommandable.36(*)

Ce souhait a rencontré la générosité des deux souverains. Le Kabaka Mutesa II avait justement donné à Mutara III, un terrain situé au centre de la ville. Et Mutara III s'est empressé de donner ce terrain aux Badahemuka pour y construire un centre d'accueil avec les annexes nécessaires37(*).

Ce séjour en Uganda a duré un mois. Mutara III a voulu voir d'autres parties de ce pays. Il a rendu visite, à Jinja, au Secrétaire général du Busoga : Cyabazinga wa Busoga. Le Busoga n'était pas un royaume mais un district dont le chef-lieu était Jinja. Il en était de même du Kigezi ayant aussi à sa tête un Secrétaire Général.

A Jinja, Mutara III a voulu visiter un collège dans les environs de la ville. Il voulut toujours comparer les infrastructures. Et ces comparaisons étaient très intéressantes. En effet, quand on connaissait les gigantesques bâtiments des collèges au Rwanda et au Burundi et que l'on constatait combien les constructions scolaires, en Uganda, étaient sobres mais suffisantes, tout en abritant parfois un nombre d'élèves plus grands, bien encadrés, intelligents qu' au Rwanda, il y avait lieu d'être choqué de la situation et l'on pouvait se demander d'où provenait cette mauvaise gestion des moyens financiers. Avec le même matériel de constructions d'un seul collège au Rwanda, on aurait pu, certainement, construire cinq collèges du pays de ceux existant en Uganda.38(*)

Partout l'accueil était enthousiaste, de la part des propriétaires comme de la part des travailleurs. Rwandais. Ces derniers étaient débordés de joie et de fierté d'être l'objet de l'attention de leur Roi. Et lui, de son côté, était très heureux de constater le nationalisme des rwandais, partout, et quelles que soient les conditions dans lesquelles ils se trouvaient.

Lors des visites des bâtiments administratifs autour du palais, Mutara III remarque la présence d'un blanc en compagnie du frère du Roi, Mr Nyabongo. Sans hésiter, Mutara va droit au but et demande « alors que fait ce blanc ici ? »39(*). En Uganda, tout le monde était contre la présence du conseiller belge. Et Nyabongo répond « celui-ci est mon ami venu m'aider à préparer la constitution de notre pays qui va bientôt accéder à l'indépendance totale ».

Le Toro, lui aussi, avait déjà son autonomie interne. Si ce n'était son sang froid habituel, Mutara III se serait arraché le peu de cheveux qui lui restaient car les pays frères, voisins du Rwanda, avaient l'autonomie interne et s'attendaient à recevoir l'indépendance totale, alors que chez lui, au Rwanda, on disait d'attendre encore vingt ans pour accéder à l'autonomie interne. Ces pays voisins étaient-ils réellement plus développés que le Rwanda ? Ils étaient surtout mieux administrés par une puissance qui ne lésinait pas quant au bien-être de leurs Pupilles40(*).

Sur la route de retour au Pays natal le Mwami était fort bien accueilli par des manifestations populaires, des discours et des chansons où les mots soulevaient les sentiments patriotiques. Cela retardait le cortège qui devenait de plus en plus long, des gens de l'endroit tenant à accompagner leur royal hôte et sa suite jusqu'à la frontière. Mais, il fallait rentrer au Rwanda. Mutara III venait de passer un mois en dehors de son pays. Les visites, réceptions, discours et manifestations avaient fini par fatiguer le Mwami. Pourtant, il fallait encore affronter la réception éclair du chef Rukeribuga à Gasabo, chef-lieu du Bufumbira, sinon il aurait été vexé et jaloux. Et cela avec raison, Bufumbira, avant l'année 1885, celle du découpage de l'Afrique, faisait partie du royaume du Rwanda, et la population s'identifiait aux banyarwanda dont elle parlait la langue.

Vers la fin de cette réception, Monsieur Dens a voulu rappeler à Mutara III que le temps pressait, qu'il doit partir. Cette intervention fut interprétée de diverses façons. Michel Kayihura, avec son humour habituel, s'est exclamé : « le ton change »41(*), il voulait dire : «  nous approchons du Rwanda et ce belge, qui durant notre séjour en Uganda s'est tenu coi, change maintenant de ton, devient impératif ». Mais le chef Rukeribuga a trouvé que c'était une impertinence à l'endroit du Roi et s'adressant à Mr Dens, lui a dit catégoriquement : « vous n'avez pas honte de parler ainsi au Roi ? Il est parmi ses sujets, il partira quand il le voudra, vous n'avez pas à lui donner des ordres ».42(*)

Ce chef Rukeribuga se considérait toujours comme vassal du roi du Rwanda et la population aussi se savait rwandais. C'est ainsi que dans les discours ou chants populaires de circonstance, les mots patriotiques avaient un sens qui faisait comprendre qu'ils étaient rwandais et cela soulevait des soupirs ou des applaudissements. Cette attitude du Roi Mutara III et de ses vassaux faisait au Mwami Mutara III l'idée de démystifier la race branche non seulement à l'égard de son conseiller qui l'accompagnait en Uganda mais aussi en Europe. Le sentiment nationaliste commencait à mûrir en son esprit.

Ce premier voyage en Uganda n'a pas été le seul. Mutara III est retourné trois fois en Uganda pour diverses raisons 43(*):

1. Pour le roi et son entourage, tant son premier voyage en Europe de 1949 et bien d'autres, c'était une occasion de s'enrichir d'expériences nouvelles et d'élargir ses horizons. Mutara voulait que cette expérience profite à diverses personnes, c'est pourquoi, chaque fois, il changeait d'équipe et d'entourage. C'est ainsi qu'après ce premier voyage, le mwami Mutara III est retourné en Uganda, mais avec Mr Kirsch comme « conseiller surveillant » qui avait tenu à se faire accompagner de sa femme , François Ncogoza, chef de chefferie et le chef de chefferie du Bufundu, Mr Tharcisse Zimulinda comme nouveaux membres de l'équipe.

2. Une autre fois, c'était pour répondre au rendez-vous de son dentiste,

3. et enfin Mutara III a accepté l'invitation du Roi du Toro qui célébrait son 9ème anniversaire de règne

Après avoir passé en revue les points saillants de ces voyages en Uganda, on pourrait se demander si Mutara III, ou le pays en général, en ont retiré un avantage, une leçon quelconque.

Disons d'abord pour Mutara III que ces voyages ont beaucoup enrichi son expérience d'homme d'Etat, car il a pu voir et comparer le développement national dans tous ses aspects. Il a pu apprécier les deux systèmes de commandement exercés par les deux puissances : l'Angleterre et la Belgique. Auparavant, il n'avait jamais eu l'occasion de comparer, de constater et d'observer les différences dont on lui avait souvent parlé. Par exemple, il a pu ainsi remarquer, et parfois regretter, combien, sur le plan de l'enseignement, de la politique, de l'économie, de la liberté d'expression et du culte l'Uganda était de loin en avance sur le Congo belge, le Rwanda et Burundi.

A l'époque 1956-1959, l'Uganda comptait déjà plusieurs universitaires et techniciens dans diverses orientations. Et chose édifiante, parmi eux, on comptait bon nombre de banyarwanda. Tandis que, en ces mêmes années, l'Afrique belge n'avait encore formé aucun laïc universitaire. Les coloniaux belges sont restés, jusque vers 1955, particulièrement fermes sur leurs positions freinant au maximum la formation d'une élite intellectuelle et politique et veillant à ce qu'elle se développe autant que possible en vase clos, sans lui donner la possibilité de prendre contact avec le monde externe. Les premiers rwandais boursiers du gouvernement belge, venaient de partir pour la métropole, et seront bientôt suivis par les boursiers de la Caisse du pays.44(*)

Sur le plan économique, le simple fait que de nombreux rwandais partaient en Uganda les uns pour une saison, les autres sans esprit de retour, pour y chercher du travail ou pour fuir la misère en général, prouvait à suffisance que ce pays était économiquement plus avancé. Mais, il n'y avait aucun courant en sens inverse, les Ugandais ne venaient pas s'installer au Rwanda. En Uganda, le colonat avait fait son oeuvre sans être boudé ou ignoré par la population, d'où, dans ce pays, une prospérité relativement rassurante.

Sur le plan politique et de la liberté d'expression, Mutara III avait remarqué avec intérêt que les Ougandais avaient acquis un sens politique plus ouvert que les rwandais qui n'osaient pas encore exprimer leurs opinions, leurs options, et qu'en conséquence, L'Uganda' libéré des liens traditionnels de colonie oppressive, avait fait un pas de géant vers l'autodétermination.

Bref, l'Uganda avait atteint le niveau de l'autonomie interne, pendant que chez nous, en Afrique belge, on critiquait encore le professeur Van Bilsen d'avoir parlé d'un plan de trente ans pour l'indépendance.

La constatation de tous ces faits comme aussi parfois des petits détails, n'avaient pas manqué de toucher Mutara III et le confirmait dans sa lutte pour le développement de son pays et la restauration de la dignité de son peuple. C'était une lutte qu'il menait partout où il se trouvait.

C'est dans cet ordre d'idées que, lors de ses visites dans de grandes agglomérations comme Gakiro, Rugazi ou Gahoro, le roi n'avait pas négligé de relever certains faits où l'on voyait que les intérêts des travailleurs rwandais étaient lésés. Et chaque fois, il le signalait. En outre, ces voyages effectués dans un pays précédemment identique au Rwanda, lui ont fourni une moisson de comparaisons qui enrichissait son expérience45(*).

Mutara III ne se cachait pas pour reconnaître tout ce que ces voyages lui avaient apporté. De même il avait pu élargir à tous les niveaux le cercle de ses amis. On a pu s'en rendre compte au moment où les réfugies rwandais ont vécu leurs péripéties à travers les pays environnants. Cette amitié a été agissante et l'image de Mutara III, gardée intacte dans les mémoires, a souvent facilité l'ouverture des portes et le secours envers ces réfugies46(*).

Puisque nous parlons de l'attitude et de l'action du roi en dehors du Rwanda, il faut faire remarquer que sa silhouette avait dépassé les frontières de son pays. Au Congo belge, en Uganda comme en Europe, on parlait de lui. A l'époque, Thomas Kanza- un des premiers universitaires laïcs dans l'Afrique belge- avait publié une petite brochure qu'il avait envoyée à Mutara III avec dédicace disant entre autres « Celui dont la silhouette fait la fierté de ses frères de race »47(*). Petite phrase mais d'une signification si grandiose, même si elle doit donner de l'amertume à J.P.Harroy qui aurait voulu confiner Mutara III à l'intérieur du Rwanda.

VISITE AVORTÉE EN TANZANIE48(*)

Après les visites très réussies de Mutara III en Uganda, visites qui furent du reste un épisode remarquable dans l'histoire de ce pays, Mutara a reçu une invitation de ses frères nationalistes du Tanganyika Territory jusque là sous tutelle Britannique.

Mais à l'époque, avant la fusion avec l'île de Zanzibar, le parti politique TANU « Tanganyika African National Union », avait à sa tête l'honorable Mwalimu Julius Kabarade Nyerere. Ceux qui commencent à connaître Mutara III Rudahigwa à travers ces lignes, comprendront tout de suite qu'il n'aurait pas refusé une telle occasion d'élargir davantage ses horizons. Mais la tutelle qui avait mal digéré la réussite de la visite royale en Uganda et qui gardait jalousement la loi de l'impénétrabilité des frontières territoriales et psychologiques, interdirent à Mutara III de se rendre en Tanzanie. En fait, il y avait surtout la crainte de la contagion de ce vaste mouvement national qui commençait à embraser toute l'Afrique. Mutara III Rudahigwa était au courant de ce qui se passe en Afrique orientale. Voici le passage d'un extrait qui semble avoir été trouvé dans le palais royal du Roi Mutara III Rudahigwa dont la provenance reste toujours inconnu49(*) : « Toutes les colonies doivent être libérées de la domination impérialistes étrangères, qu'elle soit politiques ou économiques. Les peuples des colonies doivent avoir le droit d'élire leur propre gouvernement, un gouvernement qui ne serait soumis à aucune restriction de la part d'une puissance étrangère...L'objectif des puissances impérialistes est d'exploiter.. »

Dans les pays de l'Est Africain, la longue expérience des Anglais leur avait probablement inspiré une politique mieux adaptée dans la conduite de leurs colonies. Pour les belges, cette expérience était encore ou était restée au bas de l'échelle. En tous cas, dans les colonies respectives, il existait une différence frappante en ce qui concernait les relations humaines entre les blancs et les noirs.

MUTARA III RUDAHIGWA EN BELGIQUE DU 20 JUIN -NOVEMBRE 1958

Mutara avait l'habitude et le souci de bien préparer son programme, pour le réaliser ensuite aussi parfaitement que possible, il n'a donc rien négligé dans la préparation de son troisième voyage en Belgique motivé par la visite de l'Exposition Internationale de Bruxelles en 1958.50(*)

Il souhaitait être accompagné de sa famille : son épouse Rosalie Gicanda, sa mère, la Reine Mère Radegonde, Umugabekazi Nyiramavugo III Kankazi, et la petite soeur de celle-ci, Immaculée Kabanyana, qui vivait avec elle à Shyogwe et ne la quittait jamais. La Reine Mère ne parlant pas français se faisait accompagner d'une interprète, Mlle Agnès une jeune rwandaise51(*).

Le Roi, prévoyant beaucoup d'occupations au cours de ce voyage, qu'il envisageait assez long, voulait que son secrétaire, en la personne de Kimenyi, puisse l'accompagner52(*).

Enfin, pour compléter cette « suite » royale, le Gouverneur belge lui adjoint son représentant, Monsieur Jean Kirsch, dont le titre officiel était « conseiller du Mwami ». Lors du voyage de Mutara en Uganda, Jean Kirsch, qui remplissait cette même fonction, avait été surnommé « surveillant du Mwami ».53(*)

La composition de cette suite n'avait pas manqué d'irriter le vice- gouverneur général, Jean Paul Harroy, qui voulait que le Mwami ne soit accompagné que par son épouse et par son conseiller belge. Mais Mutara ne l'entendit pas de cette oreille. Après beaucoup de tractations, un compromis fut trouvé. Le gouvernement paierait le ticket d'avion pour le souverain, son épouse et son conseiller belge, ainsi que les frais de séjour en Belgique pendant 15jours54(*).

Par ailleurs, la troupe de danseur « intore » et les tambourineurs, qui faisaient partie de l'ensemble dit « shangwe yetu », ainsi que les « troubadours du Roi », avaient trouvé un sponsor qui se chargeait de leur entretien55(*).

Quant au voyage, le cortège a quitté Nyanza entouré de beaucoup de monde. Non seulement, les chefs et sous-chefs étaient là mais tous ceux qui le pouvaient se joignaient à la longue file des véhicules qui prenaient la route vers Bujumbura56(*).

L'enthousiasme était général. Et cet enthousiasme était légitime, n'était-ce pas la première fois dans l'Histoire que le Roi et sa Mère entreprenaient ensemble un long voyage au cours du quel ils devaient faire connaître et représenter tous les rwandais. Il ne faut pas oublier que depuis 1957, lors du Jubilé des 25 ans de règne de Mutara, la conscience nationale des Banyarwanda s'était réveillée, après avoir été longtemps brimée, paupérisée et comprimée par la force. Cette conscience commençait à se libérer, et tout ce qui concernait leur Roi devenait une affaire nationale. La déception et la frustration que le Mwami du Rwanda a dû éprouver face aux refus qu'on lui opposait, ne l'ont pas découragé ; au contraire, il s'est affiché publiquement plus nationaliste et réformateur qu'avant. Un comportement qui certes ne plaisait pas aux autorités tutélaires mais qui était basé sur des revendications légitimes. Même ses adversaires le reconnaissaient. Lors de cette fête du jubilé du Mwami de 25 ans de règne, les 29-30 juin et le 1er juillet 1957, J.P. Harroy a dit dans son discours que Rudahigwa avait initié « d'innombrables évolutions fondamentales qui contribuent à remodeler le visage du Rwanda » ; « c'est un dirigeant écouté par son peuple, zélé et dévoué pour son pays, clairvoyant et énergique »57(*)

Le lendemain matin, à Bujumbura, accompagné cette fois par le Mwami Mwambutsa, son secrétaire Joseph Mbazumutima et son conseiller Monsieur Minot, les deux Bami ont pris l'avion pour arriver le soir, après 2 escales, à Bruxelles via Léopoldville.

Pour la première soirée à Bruxelles, le « Centre Catholique Africain » avait organisé une petite réception au 19 Avenue de l'Yser et plusieurs étudiants rwandais avaient tenu à rencontrer leur souverain. Le séjour du Roi Mutara III commença par plusieurs visites aux nombreux pavillons de l'Exposition, le premier mois passé à Bruxelles y fut presque entièrement consacré, ainsi qu'aux contacts avec diverses personnalités58(*).

Entre-temps, les danseurs « Intore » et les tambourineurs étaient arrivés à Bruxelles, et émerveillaient tous les spectateurs. Ce groupe venu du Congo Belge, du Rwanda et du Burundi, ne put jamais sortir de Belgique, malgré plusieurs invitations à l'étranger. Parmi les spectacles présentés à l'exposition de Bruxelles 1958, les « Intore » du Rwanda ont laissé sans doute une très grande impression59(*).

Comme tous les Africains en Belgique à cette époque, Mutara III se demandait si les blancs d'Europe étaient les mêmes que les blancs d'Afrique, ceux de l'Administration coloniale et les colons : méchants et ségrégationnistes tel que l'exprime Joseph Habyarimana Gitera « Le petit belge par son exploitation manifeste, a indisposé l'indigène dès le début jusqu'à nos jours, de sorte que s'il y avait à choisir entre le Belge et le diable, l'indigène se donnerait à tous les diables... Qu'a fait la Belgique pour l'avancement du Ruanda ? Pas grand-chose, et cela se comprend encore : petit peuple, petites idées. Le belge n'est pas trop méchant, mais il est incapable »60(*).  En Europe, le Mwami découvre une attitude complètement différente des blancs vis-à-vis des noirs. Les blancs étaient accueillants et ne considéraient pas les noirs avec ce mépris à peine voilé, habituel en colonie. Cette gentillesse n'était pas du tout le style des agents de la territoriale en Afrique

Il serait fastidieux de raconter tout ce que Mutara III a fait durant ces 5 mois et demi passés en Belgique, ou alors de ses brefs séjours à l'étranger. Il faut donc se limiter aux démarches et visites qui ont eu un caractère marquant et qui intéressent plus directement le Rwanda.

Au cours de ce voyage le Mwami Mutara III a eu une occasion de mener des contacts avec diverses personnalités dont Monsieur Van Bilsen : tout ressortissant du Congo et du Rwanda Urundi se souviendra que c'est lui seul, en 1956, qui a osé parler d'un plan de 30 ans pour préparer l'accession du Congo et du Ruanda -Urundi à indépendance

Sur le plan de l'enseignement le Roi fit plusieurs démarches car c'était un domaine qu'il avait particulièrement à coeur, en connaissant son importance pour le Rwanda. C'était l'époque où la question scolaire bouillonnait au Rwanda surtout au niveau du CSP.

Et tout au long de son séjour en Europe, le Roi cherchera toutes les occasions de favoriser les études en Europe des jeunes rwandais. Et, à l'époque, une telle perspective se heurtait encore à beaucoup d'incompréhension. Mais Mutara savait très bien qu'il était essentiel pour le Rwanda d'être équipé d'une structure d'enseignement complète à tous les niveaux accessible aux enfants du pays sans discrimination régionale et ethnique, et couronnée par une Université établie dans le pays.

C'est pourquoi, pendant son séjour en Belgique, le Roi a prit contact avec le professeur Malengreau, de l'Université Catholique de Louvain, un des grands « constructeurs » de l'Université Lovanium à Léopoldville /Kinshasa. Il y eut un échange de lettres et d'idées mais malheureusement, le souhait de créer une Université au Rwanda ne put être poursuivi. Peut être, à cette époque, les hautes sphères missionnaires avaient-elles déjà d'autres projets.

Sur le plan sportif, le Roi a pris contact avec plusieurs professeurs belges d'éducation physique et diplômés d'Université, car il aimait le sport, non seulement pour lui-même, mais surtout pour favoriser la santé et développer la culture physique de tous les rwandais. Il souhaitait créer à Nyanza, un Institut d'éducation physique et il en amorçait les préparatifs61(*).

Les premières semaines du séjour en Belgique avaient été considérées comme la période de visite officielle. Après le départ pour le Rwanda de son conseiller, Monsieur Kirtch, le Souverain avait un conseiller privé, Monsieur Franz Meidner, président de la Chambre de Commerce et de l'Industrie du R.U. C'était lui qui avait soulevé la question d'une taxe sur le café exporté, que le Rwanda -Urundi devait payer au Congo. Monsieur Meidner était directeur régional, pour le Rwanda-Urundi, de la compagnie commerciale Old- East, à ce titre, il avait préparé une visite du Roi à la maison mère de cette compagnie, qui se trouvait à Copenhague au Danemark62(*).

Déjà, Monsieur Meidner avait conseillé à Mutara de créer des entreprises privées, mais, pour cela il devait se rendre au siège de l'Old East, pour y faire une demande explicite. Quant aux résultats des entretiens avec les dirigeants de la Compagnie old-East, ils se concrétisaient par l'engagement de cette société à favoriser et soutenir l'économie du Rwanda. Il fallait commencer par créer un magasin-pilote, genre coopérative. Pour gérer ce magasin, Monsieur Meidner avait proposé de nommer un Muhutu, Monsieur Mbonyubwabo, et Mutara était entièrement d'accord, d'autant plus que ce garçon travaillait déjà à l'Old-East63(*).

Le but et les perspectives de cette coopérative étaient d'être en mesure, peu à peu, de couvrir tout le pays, d'en faire profiter toute la population, et de stimuler ainsi les couches les plus actives pour promouvoir le développement économique du Rwanda. Par là, on pourrait prouver que les rwandais, avec un petit coup d'épaule, étaient capables de travailler au redressement de leur pays. Le roi Mutara III fut ravi avant d'avoir pu réaliser ce programme qui lui tenait tant à coeur, pour lui, l'arme efficace contre la désunion des rwandais, était la communauté d'intérêts. C'est pourquoi il avait favorisé la création de l'association des éleveurs, les réunions de clans « Imiryango » et il amorçait les coopératives64(*).

Après avoir séjourné un mois à Ostende, le souverain voulait emmener sa mère à Rome pour une visite au Pape Pie XII dans son palais d'été à Castel Gandolfo. Obtenir l'audience du Pape fut rapide et facile, ce qui était rare, mais Mutara avait des amis à Rome, particulièrement Mgr Sigismondi. Pendant l'audience, Sa Sainteté a demandé, entre autres, à Mutara III comment étaient ses relations avec missionnaires.

Mais malheureusement Mutara III, s'adressant à son illustre interlocuteur, lui répondit que les relations étaient bonnes oubliant que le représentant du chef de l'Eglise au Rwanda, l'évêque de Kabgayi, André Perraudin, avait tout gâché, et que les missionnaires ont oublié l'évangile, qu'ils l'ont remplacé par leurs traditions occidentales, qu'ils sont partisans d'une politique de haine et de division des ethnies au lieu de prêcher l'amour du prochain, etc mais il parait que dans le langage diplomatique, on ne doit pas toujours dire ce que l'on pense, et que, lorsqu'on risque de blesser la susceptibilité de quelqu'un, il faut attendre une meilleure occasion.

Lors de l'allocation qu'il prononça à Nyanza, le jour de son retour de Belgique, Mutara III recommanda à tous les rwandais d'avoir toujours à l'esprit que, avant d'aller chercher de l'aide ailleurs, ils doivent savoir que « Umuntu ni mugirwa n'ake », c'est-à-dire qu'ils doivent tous travailler fort, chacun dans sa sphère d'action, pour se subvenir soit même. Après leur retour au Rwanda, leurs contacts, leurs informations et conseils mutuels, sont devenus fréquents. Parmi les rwandais, certains, non avertis, s'en étonnaient. Quant à la territoriale, elle en était stupéfiée et irritée.

RESULTATS DE CE VOYAGE :

Le Roi Mutara III a élargi le cercle de ses amis belges ou d'autres nationalités. Ce qui a démontré que la mentalité des belges vis-à-vis des noirs et de leurs autorités traditionnelles, pouvait varier. Certains belges, considérant le Mwami Mutara III à juste valeur, les autres, ceux de la colonie et leurs adeptes en Belgique, menant campagne pour l'écarter de la scène politique comme par exemple Harroy, Colonel Logiest, les deux Résidents que nous avons connus sans oublier le représentant de Eglise Catholique Mgr Perraudin. Ce qui provoquait évidemment une attitude de méfiance et de défense réciproque.

De toutes manières, ces voyages, ses réussites, ont eu un impact sur la vie politico- sociale du Rwanda. Que ce soit de côte de la tutelle qui s'inquiétait des initiatives de Mutara III et intensifiait ses attaques, que ce soit du coté des détracteurs qui s'agitaient en eau trouble avec des méthodes douteuses, que ce soit du coté des rwandais bien nés qui se préoccupaient d'une entente harmonieuse des populations et d'un développement accéléré dans une perspective d'indépendance proche.

Tous ces divers milieux ont réagi selon leur mentalité et leurs objectifs propres en prenant connaissance des contacts et des réalisations du séjour de Mutara III en Belgique.

Le Roi a donné un nouvel essor à l'éducation de la jeunesse : le Fond Mutara avait trouvé des bienfaiteurs. Il n'a pas oublié l'important secteur de l'économie nationale mais là encore et surtout, ses possibilités d'action étaient entièrement limitées par le bon ou mauvais vouloir de la tutelle.

Bref, pendant ce séjour, à cause de la personnalité du Souverain et de sa famille, comme à cause de ses danseurs, ambassadeurs donnant un avant goût des jeux et spectacles du Rwanda notre pays a fait parler de lui dans tous les milieux.

C'est le 3 novembre que le Roi et sa suite ont pris l'avion pour Léopoldville (Kinshasa). Il ne s'est pas attardé dans la capitale congolaise, mais il n'a pas refusé de s'entretenir avec quelques journalistes congolais65(*).

Mutara avait hâte de rentrer, lui aussi avait la nostalgie de revoir son pays et son peuple. C'était la première fois dans l'histoire du Rwanda que son Monarque s'en absentait pour un aussi long séjour à l'étranger.

LE PROJET DUMWAMI MUTARA III POUR L'AMERIQUE (USA)

Mutara III avait beaucoup entendu parler des Etats -Unis par les missionnaires protestants « Adventistes du 7ème jour » et aussi par les touristes ou autres citoyens américains. Il savait qu'il s'agissait d'une nation puissante et prospère, riche jusqu'à prêter de l'argent à d'autres pays66(*).

Le Roi savait aussi que les assises de l'Assemblée Générale des Nations Unies se tenaient aux Etats-Unis et donc également les réunions du Conseil de Tutelle. Et il voulait « foncer » jusque là.

Enfin ses conseillers Adventistes n'avaient pas oublié de lui parler de l'avance technologique de ce pays, entre autre dans le domaine médical. Mutara voulait s'y rendre, voir tout cela de ses propres yeux. Il était poussé par sa soif de savoir et son esprit d'émulation.

C'est la période où le Souverain n'écoute plus uniquement les missionnaires catholique67(*). Au fur et à mesure que le roi Mutara III Rudahigwa s'affirmait comme interlocuteur incontournable de l'autorité coloniale et de la puissante Eglise catholique, à qui il a accordé beaucoup de largesses après son baptême et le sacre du Rwanda au Christ Roi, il n'a cessé paradoxalement d'être espionné et accusé. Ce sont surtout les agents administratifs européens et les colons qui, se basant le plus souvent sur des rumeurs, ont soupçonné et même accusé Rudahigwa d'avoir des sentiments nationalistes et xénophobes à leur égard et de rechercher l'autonomie. Les exemples et les incidents à ce sujet sont nombreux68(*).

Franchement Mutara III était fatigué. Il voulait être libre et affirmer son autorité comme le Mwami du peuple rwandais et non enfant de colons et de l'église catholique qu'on doit téléguider n'importe comment. C'est grâce à ce retournement de position qu'il avait su créer et cultiver une amitié avec les pasteurs Robenson et Church de Gitwe, tous deux de nationalité américaine. Ces missionnaires avaient chatouillé sa curiosité et lui avaient conseillé de partir aux Etat-Unis avec les danseurs. Evidement, ils avaient également parlé de l'influence américaine sur l'échiquier international69(*).

Il faut ajouter qu'à ce moment, les pourparlers concernant l'établissement d'une faculté de théologie protestante à Gitwe avaient bien abouti.

Sans attendre, le Roi avait commencé les démarches pour obtenir l'autorisation de se rendre aux Etats-Unis. D'après Kimenyi : « La lenteur de la machine administrative-surtout quand il existe une réticence faisait traîner les choses en longueur. Les personnalités belges qui connaissaient bien Mutara III devinaient quelle serait l'ampleur de son ordre du jour, et pour eux la question était une alternative d'un oui ou d'un non pour cette initiative quelques peu gênante ».70(*)

En attendant que l'autorisation soit accordée il fallait être optimiste les missionnaires protestants de Gitwe avaient commencé à préparer ce voyage à la télévision, parfois dans des milieux très privés que seuls ils connaissaient. C'est ainsi que le Révérend Church s'était en quelque sorte improvisé danseur -Intore. Bien sûr il ne dansait pas devant la Camera mais avec des photos, il montrait les costumes, expliquait les danses. C'était courageux et sympathique. Et il est vrai que pour ce voyage Mutara III voulait montrer le meilleur folklore du Rwanda. L'autorisation tant attendue est arrivée en juin 1959 et le Roi devait décéder le 25 juillet entre les mains d'une équipe de plus ou moins 5 belges y compris le père Van der Ven71(*).

Ce programme était fort chargé mais on pouvait, en résumé, le définir comme suit72(*) :

Tout d'abord, chaque fois que le Roi allait à étranger, il disait qu'il partait pour représenter son pays, car pour lui, le plus important était ce qui concernait le Rwanda .D'ailleurs, le roi se proposait de se faire beaucoup d'amis, officiels ou privés, et dans tous les domaines.

Ensuite, il voulait visiter le siège des Nations Unies et particulièrement le Conseil de Tutelle. Sans aucun doute, il aurait été tenté de parler du Rwanda et de ses aspirations.

Tous ceux qui étaient au courant de ce projet, et qui constataient que l'autorisation se faisait trop attendre croyaient y voir à tort ou à raison un blocage de la visite de Mutara III au siège des Nations -Unies73(*). En analysant les événements et en rapprochant les faits on constatait que, lors du passage du groupe de travail au Rwanda, le Conseil Supérieur du pays avait été informé trop tard pour présenter son document, et que la demande d'autorisation de voyage aux Etats-Unis était gelée pendant des mois, sans en donner aucune raison. En même temps, l'autorité tutélaire renforçait ses abus d'autorité et les journaux, comme les tracts de Gitera, incitaient à la désobéissance et à la calomnie de l'autorité coutumière.

Il y avait aussi un programme de visites privées très abondant. Outre celles qui avaient déjà été enregistrées, on s'attendait à recevoir beaucoup de demandes pour le spectacle Intore et tambourineurs.

La tutelle qui s'était d'abord montrée peu disposée à accorder la permission d'un tel voyage se voit, par la force des choses, obligée d'accepter encore une brèche dans le mur de l'isolement de sa Pupille.

CONCLUSION

L'histoire d'un peuple ne se forge ni dans des salons, ni dans une haute école ou telle autre institution, elle ne doit pas être façonnée selon les caprices de tel chef de guerre ou telle autre personnalité influente: elle est  la réalité quotidienne vécue par les citoyens d'un pays à une époque donnée.

(Uyu Mwami w'u Rwanda, Mutara III Rudahigwa, yabaye umwami udasanzwe). Le Roi Rudahigwa a été un Roi exceptionnel. Son temps aura été marqué par de grands bouleversements politiques qui auront conduit à des changements atroces. Conscients qu'ils ne pouvaient pas implanter leur loi impunément, les ennemis du Roi Mutara III ont vite compris cela, ils ont pris le soin de nous le tuer, et de faire ensuite ce qu'ils voulaient. Ils ont parfaitement réussi ce plan satanique.

Mutara III Rudahigwa, Roi du Rwanda dont nous commémorons le 50ème anniversaire de sa disparution s'est distingué par un caractère exceptionnel. Non pour son propre intérêt mais plutôt pour celui de la nation. Le Roi Mutara III Rudahigwa Charles Léon Pierre a collaboré avec l'administration coloniale jusqu'au moment où il a décidé de s'en défaire vers 1950.

Grace à ces multiples voyages que nous venons de passer en revue, et qui sans doute, ont radicalement changé non seulement sa personnalité mais aussi sa façon de réagir, de voir et d'analyser les choses. Nous pouvons confirmer que les résultants de ces voyages étaient positifs :

- Rudahigwa est celui qui a aboli le servage et les corvées sans le consentement des colons ;

- Il a lutté pour l'unité des Rwandais et leur indépendance ;

- il proposa la suppression du contrat de clientèle pastorale «Ubuhake» qu'il trouvait inadapté et « non équitable ». Il sera supprimé en 1954. Peu après, l'administration coloniale, malgré elle, accepta la suppression des travaux publics non rémunérés et exécutés avec contrainte.

- Il s'opposa à la chicote (punition infligée aux hommes adultes : ils étaient battus en public, souvent devant leurs familles) au grand mécontentement de l'administration coloniale.

- C'est encore lui qui déclara en 1958 que les termes hutu, tutsi et twa ne devaient plus figurer sur pièces d'identité, fiches scolaires, etc..., que tous les habitants du pays n'avaient qu'un nom:« rwandais».

* 1 Kinyamateka, N° 108, Augusto 194, pp.1-5

* 23 Kinyamateka, N° 200, 1949

* 4 Kinyamateka No 200, 1949

* 5 Rudahigwa, Conférence au groupe scolaire, 13 mai 1949

* 6 Résidence du Ruanda, 1949.

* 7 Résidence du Ruanda, 1949

* 8 Sandrart à l'administrateur territorial, 17 novembre 1950

* 9 Lettre du conseiller du Mwami Dryvers au Résident, 25 septembre 1950

* 10 Lettre de Rudahigwa au Vice Gouverneur Général, 24 novembre 1950

* 11 Kinyamateka, No 206, 1956, p.3-5

* 12 idem

* 13 Rudipresse, op.cit.

* 14 Idem

* 15Mupagasi, L. documentation personnelle inédite

* 16 Rapport annuel sur l'administration belge, 1927, p.64.

* 17 Gatanazi N.A, Migrations des populations rwandaises dans la région africaine des Grands Lacs, Dakar, 1971 ; Ruzibiza H., Population et développement agricole au Rwanda. Contribution à l'étude de la question démo-agraire, Thèse de doctorat, Paris, s.d. ;Bagaye Uwamahoro Marie Chantal, L'évolution de la population rwandaise de 1922 à 1978, Mémoire UNR, Butare, 2001.

* 18 Rudipresse, op.cit

* 19 Mupagasi ; L. Documentation personnelle inédite

* 20 Alexis Kagame écrit entre autres à ce sujet « On s'allait chercher du travail libre » Cet exode devient dramatique dans certaines zones du pays. Abrégé de l'Histoire du Rwanda, p.205-206, no 940

* 21 Gourou P., La densité de la population au Ruanda-Urundi. Esquisse d'une étude géographique, Bruxelles, Institut royal colonial belge, 1953, p184

* 22 Mupagasi ; L., Documentation personnelle inédite

* 23 Témoignages d'un ancien mineur du Katanga

* 24 Mupagasi, Documentation personnelle inédite, juillet 1959

* 25 J.P.Paulus, Note pour le Ministre, 26 septembre 1955 ; 1re Direction de la 2e Direction générale, Note pour Monsieur le Ministre, 28 avril 1956.

* 26 Conseil Supérieur du Pays, Rapport, 1957

* 27 Idem.

* 28 1re Direction de la 2e Direction générale, Note pour Monsieur le Ministre, 28 avril 1956

* 29 Kimenyi, Documentation personnelle inédite

* 30 idem

* 31 Kinyamateka, Urugendo rw'Umwami Mutara III yagiriye muri Uganda, novembre 1956, p.3

* 32 Idem

* 33 Kimenyi, documentation personnelle inédite

* 34 Idem

* 35 Idem

* 36 Kimenyi, Documentation personnelle inédite

* 37 Idem

* 38 Idem

* 39 Idem

* 40 Kinyamateka, Urugendo rw'Umwami Mutara III yagiriye muri Uganda, novembre 1956, pp.3-5

* 41 Idem

* 42 Idem

* 43 Kimenyi, documentation personnelle inédite

* 44Temps Nouveaux, 2 août 1959

* 45 Kimenyi, Documentation personnelle inédite

* 46 Idem

* 47 Idem

* 48 L'Historique de ce voyage nous a été raconté par Kimenyi et quelques extraits et notes de voyage que nous avons trouvés chez les dominicains à Kigali et à Kabgayi.

* 49 Toward Colonial Freedom: Documentation personnelle inédite, 15-21 octobre 1945

* 50 Temps Nouveaux, 2 août 1959

* 51 Kimenyi, documentation personnelle inédite

* 52 Idem

* 53 idem

* 54 Idem

* 55 Mupagasi, documentation personnelle inédite

* 56 Mupagasi. Op.cit.

* 57 Discours de J.P Harroy du 29-30 juin et le 1er juillet 1957

* 58 Kinyamateka 1958

* 59 Idem

* 60 Pétition de Joseph Habyarimana Gitera, Astrida, 25 mai 1953

* 61 Kinyamateka, 1958

* 62 Kinyamateka, 1958

* 63Kimenyi, Documentation personnelle inédite

* 64 Idem

* 65 Kinyamateka, 1958

* 66 Rudipresse, 1957

* 67 Kimenyi, documentation personnelle inédite

* 68 Nous ne les citerons pas ici pour ne pas allonger le présent article

* 69 Idem

* 70 idem

* 71 Kimenyi. Documentation personnelle inédite

* 72 Rudipresse, Novembre 1959

* 73 idem






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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984