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Les voyages officiels du roi Mutara III Rudahigwa

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par Thomas Munyaneza
Master's program in Genocide Stadies/ UNR - Licence en Histoire 2009
  

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VISITE AVORTÉE EN TANZANIE48(*)

Après les visites très réussies de Mutara III en Uganda, visites qui furent du reste un épisode remarquable dans l'histoire de ce pays, Mutara a reçu une invitation de ses frères nationalistes du Tanganyika Territory jusque là sous tutelle Britannique.

Mais à l'époque, avant la fusion avec l'île de Zanzibar, le parti politique TANU « Tanganyika African National Union », avait à sa tête l'honorable Mwalimu Julius Kabarade Nyerere. Ceux qui commencent à connaître Mutara III Rudahigwa à travers ces lignes, comprendront tout de suite qu'il n'aurait pas refusé une telle occasion d'élargir davantage ses horizons. Mais la tutelle qui avait mal digéré la réussite de la visite royale en Uganda et qui gardait jalousement la loi de l'impénétrabilité des frontières territoriales et psychologiques, interdirent à Mutara III de se rendre en Tanzanie. En fait, il y avait surtout la crainte de la contagion de ce vaste mouvement national qui commençait à embraser toute l'Afrique. Mutara III Rudahigwa était au courant de ce qui se passe en Afrique orientale. Voici le passage d'un extrait qui semble avoir été trouvé dans le palais royal du Roi Mutara III Rudahigwa dont la provenance reste toujours inconnu49(*) : « Toutes les colonies doivent être libérées de la domination impérialistes étrangères, qu'elle soit politiques ou économiques. Les peuples des colonies doivent avoir le droit d'élire leur propre gouvernement, un gouvernement qui ne serait soumis à aucune restriction de la part d'une puissance étrangère...L'objectif des puissances impérialistes est d'exploiter.. »

Dans les pays de l'Est Africain, la longue expérience des Anglais leur avait probablement inspiré une politique mieux adaptée dans la conduite de leurs colonies. Pour les belges, cette expérience était encore ou était restée au bas de l'échelle. En tous cas, dans les colonies respectives, il existait une différence frappante en ce qui concernait les relations humaines entre les blancs et les noirs.

MUTARA III RUDAHIGWA EN BELGIQUE DU 20 JUIN -NOVEMBRE 1958

Mutara avait l'habitude et le souci de bien préparer son programme, pour le réaliser ensuite aussi parfaitement que possible, il n'a donc rien négligé dans la préparation de son troisième voyage en Belgique motivé par la visite de l'Exposition Internationale de Bruxelles en 1958.50(*)

Il souhaitait être accompagné de sa famille : son épouse Rosalie Gicanda, sa mère, la Reine Mère Radegonde, Umugabekazi Nyiramavugo III Kankazi, et la petite soeur de celle-ci, Immaculée Kabanyana, qui vivait avec elle à Shyogwe et ne la quittait jamais. La Reine Mère ne parlant pas français se faisait accompagner d'une interprète, Mlle Agnès une jeune rwandaise51(*).

Le Roi, prévoyant beaucoup d'occupations au cours de ce voyage, qu'il envisageait assez long, voulait que son secrétaire, en la personne de Kimenyi, puisse l'accompagner52(*).

Enfin, pour compléter cette « suite » royale, le Gouverneur belge lui adjoint son représentant, Monsieur Jean Kirsch, dont le titre officiel était « conseiller du Mwami ». Lors du voyage de Mutara en Uganda, Jean Kirsch, qui remplissait cette même fonction, avait été surnommé « surveillant du Mwami ».53(*)

La composition de cette suite n'avait pas manqué d'irriter le vice- gouverneur général, Jean Paul Harroy, qui voulait que le Mwami ne soit accompagné que par son épouse et par son conseiller belge. Mais Mutara ne l'entendit pas de cette oreille. Après beaucoup de tractations, un compromis fut trouvé. Le gouvernement paierait le ticket d'avion pour le souverain, son épouse et son conseiller belge, ainsi que les frais de séjour en Belgique pendant 15jours54(*).

Par ailleurs, la troupe de danseur « intore » et les tambourineurs, qui faisaient partie de l'ensemble dit « shangwe yetu », ainsi que les « troubadours du Roi », avaient trouvé un sponsor qui se chargeait de leur entretien55(*).

Quant au voyage, le cortège a quitté Nyanza entouré de beaucoup de monde. Non seulement, les chefs et sous-chefs étaient là mais tous ceux qui le pouvaient se joignaient à la longue file des véhicules qui prenaient la route vers Bujumbura56(*).

L'enthousiasme était général. Et cet enthousiasme était légitime, n'était-ce pas la première fois dans l'Histoire que le Roi et sa Mère entreprenaient ensemble un long voyage au cours du quel ils devaient faire connaître et représenter tous les rwandais. Il ne faut pas oublier que depuis 1957, lors du Jubilé des 25 ans de règne de Mutara, la conscience nationale des Banyarwanda s'était réveillée, après avoir été longtemps brimée, paupérisée et comprimée par la force. Cette conscience commençait à se libérer, et tout ce qui concernait leur Roi devenait une affaire nationale. La déception et la frustration que le Mwami du Rwanda a dû éprouver face aux refus qu'on lui opposait, ne l'ont pas découragé ; au contraire, il s'est affiché publiquement plus nationaliste et réformateur qu'avant. Un comportement qui certes ne plaisait pas aux autorités tutélaires mais qui était basé sur des revendications légitimes. Même ses adversaires le reconnaissaient. Lors de cette fête du jubilé du Mwami de 25 ans de règne, les 29-30 juin et le 1er juillet 1957, J.P. Harroy a dit dans son discours que Rudahigwa avait initié « d'innombrables évolutions fondamentales qui contribuent à remodeler le visage du Rwanda » ; « c'est un dirigeant écouté par son peuple, zélé et dévoué pour son pays, clairvoyant et énergique »57(*)

Le lendemain matin, à Bujumbura, accompagné cette fois par le Mwami Mwambutsa, son secrétaire Joseph Mbazumutima et son conseiller Monsieur Minot, les deux Bami ont pris l'avion pour arriver le soir, après 2 escales, à Bruxelles via Léopoldville.

Pour la première soirée à Bruxelles, le « Centre Catholique Africain » avait organisé une petite réception au 19 Avenue de l'Yser et plusieurs étudiants rwandais avaient tenu à rencontrer leur souverain. Le séjour du Roi Mutara III commença par plusieurs visites aux nombreux pavillons de l'Exposition, le premier mois passé à Bruxelles y fut presque entièrement consacré, ainsi qu'aux contacts avec diverses personnalités58(*).

Entre-temps, les danseurs « Intore » et les tambourineurs étaient arrivés à Bruxelles, et émerveillaient tous les spectateurs. Ce groupe venu du Congo Belge, du Rwanda et du Burundi, ne put jamais sortir de Belgique, malgré plusieurs invitations à l'étranger. Parmi les spectacles présentés à l'exposition de Bruxelles 1958, les « Intore » du Rwanda ont laissé sans doute une très grande impression59(*).

Comme tous les Africains en Belgique à cette époque, Mutara III se demandait si les blancs d'Europe étaient les mêmes que les blancs d'Afrique, ceux de l'Administration coloniale et les colons : méchants et ségrégationnistes tel que l'exprime Joseph Habyarimana Gitera « Le petit belge par son exploitation manifeste, a indisposé l'indigène dès le début jusqu'à nos jours, de sorte que s'il y avait à choisir entre le Belge et le diable, l'indigène se donnerait à tous les diables... Qu'a fait la Belgique pour l'avancement du Ruanda ? Pas grand-chose, et cela se comprend encore : petit peuple, petites idées. Le belge n'est pas trop méchant, mais il est incapable »60(*).  En Europe, le Mwami découvre une attitude complètement différente des blancs vis-à-vis des noirs. Les blancs étaient accueillants et ne considéraient pas les noirs avec ce mépris à peine voilé, habituel en colonie. Cette gentillesse n'était pas du tout le style des agents de la territoriale en Afrique

Il serait fastidieux de raconter tout ce que Mutara III a fait durant ces 5 mois et demi passés en Belgique, ou alors de ses brefs séjours à l'étranger. Il faut donc se limiter aux démarches et visites qui ont eu un caractère marquant et qui intéressent plus directement le Rwanda.

Au cours de ce voyage le Mwami Mutara III a eu une occasion de mener des contacts avec diverses personnalités dont Monsieur Van Bilsen : tout ressortissant du Congo et du Rwanda Urundi se souviendra que c'est lui seul, en 1956, qui a osé parler d'un plan de 30 ans pour préparer l'accession du Congo et du Ruanda -Urundi à indépendance

Sur le plan de l'enseignement le Roi fit plusieurs démarches car c'était un domaine qu'il avait particulièrement à coeur, en connaissant son importance pour le Rwanda. C'était l'époque où la question scolaire bouillonnait au Rwanda surtout au niveau du CSP.

Et tout au long de son séjour en Europe, le Roi cherchera toutes les occasions de favoriser les études en Europe des jeunes rwandais. Et, à l'époque, une telle perspective se heurtait encore à beaucoup d'incompréhension. Mais Mutara savait très bien qu'il était essentiel pour le Rwanda d'être équipé d'une structure d'enseignement complète à tous les niveaux accessible aux enfants du pays sans discrimination régionale et ethnique, et couronnée par une Université établie dans le pays.

C'est pourquoi, pendant son séjour en Belgique, le Roi a prit contact avec le professeur Malengreau, de l'Université Catholique de Louvain, un des grands « constructeurs » de l'Université Lovanium à Léopoldville /Kinshasa. Il y eut un échange de lettres et d'idées mais malheureusement, le souhait de créer une Université au Rwanda ne put être poursuivi. Peut être, à cette époque, les hautes sphères missionnaires avaient-elles déjà d'autres projets.

Sur le plan sportif, le Roi a pris contact avec plusieurs professeurs belges d'éducation physique et diplômés d'Université, car il aimait le sport, non seulement pour lui-même, mais surtout pour favoriser la santé et développer la culture physique de tous les rwandais. Il souhaitait créer à Nyanza, un Institut d'éducation physique et il en amorçait les préparatifs61(*).

Les premières semaines du séjour en Belgique avaient été considérées comme la période de visite officielle. Après le départ pour le Rwanda de son conseiller, Monsieur Kirtch, le Souverain avait un conseiller privé, Monsieur Franz Meidner, président de la Chambre de Commerce et de l'Industrie du R.U. C'était lui qui avait soulevé la question d'une taxe sur le café exporté, que le Rwanda -Urundi devait payer au Congo. Monsieur Meidner était directeur régional, pour le Rwanda-Urundi, de la compagnie commerciale Old- East, à ce titre, il avait préparé une visite du Roi à la maison mère de cette compagnie, qui se trouvait à Copenhague au Danemark62(*).

Déjà, Monsieur Meidner avait conseillé à Mutara de créer des entreprises privées, mais, pour cela il devait se rendre au siège de l'Old East, pour y faire une demande explicite. Quant aux résultats des entretiens avec les dirigeants de la Compagnie old-East, ils se concrétisaient par l'engagement de cette société à favoriser et soutenir l'économie du Rwanda. Il fallait commencer par créer un magasin-pilote, genre coopérative. Pour gérer ce magasin, Monsieur Meidner avait proposé de nommer un Muhutu, Monsieur Mbonyubwabo, et Mutara était entièrement d'accord, d'autant plus que ce garçon travaillait déjà à l'Old-East63(*).

Le but et les perspectives de cette coopérative étaient d'être en mesure, peu à peu, de couvrir tout le pays, d'en faire profiter toute la population, et de stimuler ainsi les couches les plus actives pour promouvoir le développement économique du Rwanda. Par là, on pourrait prouver que les rwandais, avec un petit coup d'épaule, étaient capables de travailler au redressement de leur pays. Le roi Mutara III fut ravi avant d'avoir pu réaliser ce programme qui lui tenait tant à coeur, pour lui, l'arme efficace contre la désunion des rwandais, était la communauté d'intérêts. C'est pourquoi il avait favorisé la création de l'association des éleveurs, les réunions de clans « Imiryango » et il amorçait les coopératives64(*).

Après avoir séjourné un mois à Ostende, le souverain voulait emmener sa mère à Rome pour une visite au Pape Pie XII dans son palais d'été à Castel Gandolfo. Obtenir l'audience du Pape fut rapide et facile, ce qui était rare, mais Mutara avait des amis à Rome, particulièrement Mgr Sigismondi. Pendant l'audience, Sa Sainteté a demandé, entre autres, à Mutara III comment étaient ses relations avec missionnaires.

Mais malheureusement Mutara III, s'adressant à son illustre interlocuteur, lui répondit que les relations étaient bonnes oubliant que le représentant du chef de l'Eglise au Rwanda, l'évêque de Kabgayi, André Perraudin, avait tout gâché, et que les missionnaires ont oublié l'évangile, qu'ils l'ont remplacé par leurs traditions occidentales, qu'ils sont partisans d'une politique de haine et de division des ethnies au lieu de prêcher l'amour du prochain, etc mais il parait que dans le langage diplomatique, on ne doit pas toujours dire ce que l'on pense, et que, lorsqu'on risque de blesser la susceptibilité de quelqu'un, il faut attendre une meilleure occasion.

Lors de l'allocation qu'il prononça à Nyanza, le jour de son retour de Belgique, Mutara III recommanda à tous les rwandais d'avoir toujours à l'esprit que, avant d'aller chercher de l'aide ailleurs, ils doivent savoir que « Umuntu ni mugirwa n'ake », c'est-à-dire qu'ils doivent tous travailler fort, chacun dans sa sphère d'action, pour se subvenir soit même. Après leur retour au Rwanda, leurs contacts, leurs informations et conseils mutuels, sont devenus fréquents. Parmi les rwandais, certains, non avertis, s'en étonnaient. Quant à la territoriale, elle en était stupéfiée et irritée.

RESULTATS DE CE VOYAGE :

Le Roi Mutara III a élargi le cercle de ses amis belges ou d'autres nationalités. Ce qui a démontré que la mentalité des belges vis-à-vis des noirs et de leurs autorités traditionnelles, pouvait varier. Certains belges, considérant le Mwami Mutara III à juste valeur, les autres, ceux de la colonie et leurs adeptes en Belgique, menant campagne pour l'écarter de la scène politique comme par exemple Harroy, Colonel Logiest, les deux Résidents que nous avons connus sans oublier le représentant de Eglise Catholique Mgr Perraudin. Ce qui provoquait évidemment une attitude de méfiance et de défense réciproque.

De toutes manières, ces voyages, ses réussites, ont eu un impact sur la vie politico- sociale du Rwanda. Que ce soit de côte de la tutelle qui s'inquiétait des initiatives de Mutara III et intensifiait ses attaques, que ce soit du coté des détracteurs qui s'agitaient en eau trouble avec des méthodes douteuses, que ce soit du coté des rwandais bien nés qui se préoccupaient d'une entente harmonieuse des populations et d'un développement accéléré dans une perspective d'indépendance proche.

Tous ces divers milieux ont réagi selon leur mentalité et leurs objectifs propres en prenant connaissance des contacts et des réalisations du séjour de Mutara III en Belgique.

Le Roi a donné un nouvel essor à l'éducation de la jeunesse : le Fond Mutara avait trouvé des bienfaiteurs. Il n'a pas oublié l'important secteur de l'économie nationale mais là encore et surtout, ses possibilités d'action étaient entièrement limitées par le bon ou mauvais vouloir de la tutelle.

Bref, pendant ce séjour, à cause de la personnalité du Souverain et de sa famille, comme à cause de ses danseurs, ambassadeurs donnant un avant goût des jeux et spectacles du Rwanda notre pays a fait parler de lui dans tous les milieux.

C'est le 3 novembre que le Roi et sa suite ont pris l'avion pour Léopoldville (Kinshasa). Il ne s'est pas attardé dans la capitale congolaise, mais il n'a pas refusé de s'entretenir avec quelques journalistes congolais65(*).

Mutara avait hâte de rentrer, lui aussi avait la nostalgie de revoir son pays et son peuple. C'était la première fois dans l'histoire du Rwanda que son Monarque s'en absentait pour un aussi long séjour à l'étranger.

* 48 L'Historique de ce voyage nous a été raconté par Kimenyi et quelques extraits et notes de voyage que nous avons trouvés chez les dominicains à Kigali et à Kabgayi.

* 49 Toward Colonial Freedom: Documentation personnelle inédite, 15-21 octobre 1945

* 50 Temps Nouveaux, 2 août 1959

* 51 Kimenyi, documentation personnelle inédite

* 52 Idem

* 53 idem

* 54 Idem

* 55 Mupagasi, documentation personnelle inédite

* 56 Mupagasi. Op.cit.

* 57 Discours de J.P Harroy du 29-30 juin et le 1er juillet 1957

* 58 Kinyamateka 1958

* 59 Idem

* 60 Pétition de Joseph Habyarimana Gitera, Astrida, 25 mai 1953

* 61 Kinyamateka, 1958

* 62 Kinyamateka, 1958

* 63Kimenyi, Documentation personnelle inédite

* 64 Idem

* 65 Kinyamateka, 1958

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand