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La figure du père dans "Quelques adieux " de Marie Laberge. Discours de l'implicite et stratégies narratives

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par Massiva AIT OUARAB
Université d'Alger - Licence de français 2011
  

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II. Lectures de l'espace

L'espace de la fiction, doit être abordé de manière précise, car chaque lieu cité, dans le roman, constitue un système signifiant, qui «  n'est pas toujours (...) lisible. Une lecture véritablement construite s'efforcera de dégager, au-delà de l'anecdote rapportée, les possibles capacités symboliques de la localisation »138(*) . Il s'agit, donc, d'analyser les espaces romanesques en se référant aux possibilités de sens qui pourraient emmagasiner.

Il est important de signaler que notre objectif, est de voir comment l'écriture de l'espace marque la présence du père. Selon Goldenstein :

« L'utilisation de l'espace romanesque dépasse (...) de beaucoup la simple

indication de lieu. Elle fait système à l'intérieur du texte alors même qu'elle

se donne avant tout, fréquemment, pour le reflet fidèle d'un hors-texte qu'elle

prétend représenter. C'est dire que l'étude de l'espace romanesque se trouve

inextricablement liée aux effets de représentativité. »139(*).

Cette citation, met en avant le rôle de l'espace romanesque qui ne se limite pas à une indication de lieu, il s'agit d'aller au delà de la localisation spatiale, de prétendre à une représentation liée au texte.

Dans Quelques Adieux, M. Laberge utilise des espaces conformes, non pas à la chronologie de perception des faits, mais à leur ordre réel de succession, c'est-à-dire, que les espaces qui se précisent dans le roman, sont basés sur des éléments signifiants. En d'autres termes, l'espace romanesque est lié aux effets de sens qui se dégagent du texte. Pour notre part, nous allons voir si ces effets de sens indiquent la présence d'un personnage fugace, le père, qui est peu présent directement dans le roman. Dans notre premier axe de travail portera sur l'usage des déplacements et de la distribution des espaces. Et le deuxième axe, mettra l'accent sur les espaces symboliques.

Dans notre analyse de l'espace, il est important de recourir à des notions et à des théoriciens qui pourraient nous aider à retrouver le système signifiant relatif au personnage du père. Nous pensons que l'étude nos deux axes nécessitent de faire appel aux travaux mis en place par Gaston Bachelard. Ces derniers vont nous permettre d'expliquer, dans La poétique de l'espace140(*), les espaces symboliques. Cela n'exclut, aucunement, la référence à d'autres théoriciens.

1- Les déplacements et la distribution des espaces

La distribution des espaces est en rapport avec les effets de sens qui dépendent de la division spatiale, dans laquelle les personnages s'insèrent et se meuvent. Il ne s'agit pas, dans l'espace fictif, de juxtaposer les endroits et voir leur mode de transformation. Bien au contraire, il s'agit d'aller au delà de la disposition spatiale  de mettre en relation les lieux fictionnels et qualitatifs qui s'établissent entre les personnages et les lieux dans lesquels ils se meuvent, selon Caroline Andriot- Saillant «  (...) l'espace littéraire, la dispersion, la fissure, le vertige de l'espacement, la solitude, éclairent à la fois l'expérience du personnage (...) »141(*) .

Pour illustrer notre théorie de l'espace producteur de sens, nous avons opté pour le relevé, l'analyse des lieux cités et la trajectoire des personnages, dans le roman, afin de faire ressortir le lien qui existe entre l'espace et le personnage. Cette relation peut nous permettre d'obtenir des explications sur l'adultère des protagonistes, et voir en quoi la figure du père en est responsable.

a) L'Université

L'université comme son nom l'indique est un lieu de savoir, d'apprentissage et d'éducation, or cette institution devient un lieu de désir a- social, exprimé à travers nos protagonistes, Anne et François, qui éclate après la mort du père Bélanger.

Cet endroit comporte des lieux où les personnages ont vu leur désir accroître, nous pouvons citer la classe, où ils se sont vus résister à la tentation par l'intermédiaire d'un conflit sur la littérature anglaise et plus exactement sur le personnage de Emily Brontë

« Pendant trente minutes, il s'en souvient, la classe avait été passionnée par le débat et avait suivi l'échange entre le prof et cette Anne Morissette si éprise d'Emily Brontë. Ils avaient argumenté, ratiociné, s'étaient affrontés dans une joute passionnante et il ne savait plus qui avait gagné. »142(*)

Le refus de céder au désir, a entraîné un comportement changeant : pour François, allant de la sévérité à la passion professionnelle, il « se présenta à l'université raidi dans sa décision de ramener ses rapports avec ses étudiants à des proportions plus acceptables. Ce qui signifiait de cesser de rêver à une étudiante. Le résultat fut que tous les étudiants le trouvèrent distant et plutôt sec. »143(*). Pour Anne, il s'agit de discrétion, elle «  écoute, enveloppée dans un chandail rose en laine mousseuse qui lui donne un teint transparent. Les yeux brillants, les bras croisés sur son désir, son attention est si intense que François la perçoit presque penchée en avant. »144(*).

Ce changement de comportement «  nous rend à la primitivité du refuge. Physiquement l'être qui reçoit le sentiment du refuge se resserre sur soi-même, se retire, se blottit, se cache,(...). En cherchant dans les richesses du vocabulaire tous les verbes qui diraient toutes les dynamiques de la retraite (...) »145(*).

En d'autres termes, pour ne pas commettre l'irréparable, François Bélanger s'abrite dans sa classe en donnant ses cours avec une hardiesse exemplaire. Passionnée, son « assaut » 146(*)en fait autant, pour ne pas succomber, elle oriente tout son désir vers l'absorption d'un savoir, désormais, ses seuls centres d'intérêt, sont ses cours de littérature.

Hormis la classe, le personnage principal trouve un autre lieu favori, un endroit sans quelqu'un pour perturber sa conscience, il s'agit de son bureau. Ce lieu est un coin de méditation 147(*)et de travail ; mais plus pour longtemps. Après avoir perdu son père, François se sent perdu. Cette mort va remettre en question son enfance, il a l'impression, constante, de chercher quelque chose sans y parvenir. Il «  ne parvenait pas à ramener le calme et la quiétude dans sa vie. Quelque chose s'était effectivement brisée avec la mort de son père. Il avait l'impression dangereuse de marcher sur un quai inconnu un soir de tempête et d'avancer dans la plus pure inconscience vers le bout du quai, qui peut-être descendait en pente douce vers la mer ou peut-être finissait brutalement. »148(*).

Ce passage montre l'angoisse que vit François, car la présence d'un père est indispensable pour l'équilibre d'un homme. Même si son père était peu présent dans sa vie, néanmoins, sa seule existence suffisait à le rassurer. A présent que le père Bélanger est décédé, François est tourmenté et vit un conflit intérieur. Cet orage va l'éloigner de son sens des responsabilités, ayant besoin de se confier, il convoque dans son bureau son étudiante préférée.

Cette première rencontre, dans un endroit clos à l'abri des regards indiscrets, va libérer les consciences et laisser la place aux corps.

Dès que Anne, apprend l'inquiétude et la détresse de son enseignant, il y a comme un flottement dans l'air qui traduit une complicité liée à la perte d'un père

«  -Mon père est mort la semaine passée.

(...)-Vous avez beaucoup de peine ?

-Pas vraiment, non. Ou plutôt, de la peine pour moi, pas pour lui. Je le connaissais très peu.

-Je pensais qu'on connaissait toujours très peu son père.

-Ah oui ? Vous croyez ?

-Je ne connais personne qui connaît son père.

-Pourquoi alors les gens disent que c'est une relation importante, essentielle ?

-Parce qu'ils ne connaissent pas leur père et qu'ils le regrettent. »149(*)

Cet extrait comporte de nombreux points d'interrogation en relation avec l'angoisse et la peur du personnage principal. Ce dernier prétend ne pas avoir de la peine et donne comme justificatif, l'absence de son père. A travers ce comportement, François cherche des explications et une logique à ses sentiments, c'est pourquoi Anne Morissette le rassure et le réconforte en déclarant que les gens partagent son angoisse. Les propos d'Anne et sa logique, expriment une faille dans sa relation avec son père, que François détecte, c'est pour cette raison qu'il se sent lié à elle.

Cette mort est aussi vécue comme une libération sur le plan social.

« (...)

-Depuis que mon père est mort, j'oublie tout, je mélange tout, je suis devenu idiot.

On dirait qu'il a emporté avec lui mon sens des responsabilités.

-ça doit faire du bien.

Cette fois, il est franchement surpris. Il n'avait jamais considéré la question sous l'angle

relaxant que cela pouvait avoir. »150(*)

La société Québécoise est une société patriarcale où le père représente l'ordre et le pilier de la famille. En sa présence, l'enfant se sent en sécurité mais en même temps il est dépourvu de liberté. L'autorité d'un père est nécessaire pour l'épanouissement d'un individu, elle lui permet de connaître ses limites et de respecter la société. Notamment, sa mort est une perte de repère qui entraîne un déséquilibre psychique.

Ce premier lieu exploité, détient des informations sur la progression émotionnelle des protagonistes : ils passent du statut de regards échangés et de conflit, à celui de conversation dans le bureau de François. Nous pouvons, également, observer une variation du désir à travers d'autres lieux tel que la maison.

b) La maison

La notion de maison, chez nos deux personnages, est différente. Pour l'un, c'est un lieu de repos, de bien être, de refuge et de vie de couple. Pour Anne Morissette, c'est l'endroit où elle exerce sa liberté.

Le Chemin Gomin abrite une relation de couple qui donne l'air d'être indéfectible mais celle-ci se voit altérer par la mort d'un proche (le père).Dès lors, François n'est plus le même, Elisabeth, sa femme, essaie tant bien que mal de comprendre ses déboires, et en femme modèle, elle patiente.

La maison qui était autrefois un abri, un refuge, va devenir le lieu où « le passé, le présent et l'avenir donnent à la maison des dynamismes différents, des dynamismes qui souvent interfèrent, parfois s'opposent, parfois s'excitant l'un l'autre. »151(*)

Pour Anne la maison n'existe pas, cette dernière a disparu avec la mort de son père. Mais sa mémoire garde l'image, intacte, d'une maison chaleureuse et pleine d'amour, selon Bachelard « c'est par l'espace, c'est dans l'espace que nous trouvons les beaux fossiles de durée concrétisés par de longs séjours. L'inconscient séjourne. Les souvenirs sont immobiles d'autant plus solides qu'ils sont mieux spatialisé »152(*). Cet avantage du souvenir, François ne le possède pas. Contrairement à Anne, il ne dispose pas d'un socle solide qui lui permette de tenir de cap de l'avenir.

L'appartement Rue Fraser, partagée avec Hélène Théberge, ne laisse pas beaucoup de place à Anne, c'est pour cette raison qu'elle se cache, souvent, dans sa chambre.

Ce deuxième lieu analysé, marque les changements affectifs des amants, de l'état de refus de céder à l'adultère à celui d'angoisses et de réminiscences. Ces perturbations vont les propulser vers la consommation du désir, dans la chambre de l'étudiante. Cette pièce tant convoitée et fréquentée par les protagonistes, sera témoin des souffrances amoureuses liées à la fois au passé et au présent de chacun, d'où l'importance de son étude.

c) La chambre

L'usage de la chambre implique une série complexe de comportements qui pourraient traduire une manière d'être, une véritable expérience existentielle.

Dans le roman, la chambre de l'étudiante devient le lieu central où s'épanouit la relation des protagonistes. Elle abrite, à la fois les corps des ces derniers mais aussi les angoisses du personnage féminin. Vécue dans l'acception la plus large, cette sorte d'espace nous permet d'assister à un spectacle où l'espace s'attache étroitement au corps humain, et où «  la conscience d'être en paix en son coin propage, si l'on ose dire, une immobilité. L'immobilité rayonne. Une chambre imaginaire se construit autour de notre corps qui se croit bien caché quand nous nous réfugions en un coin »153(*)

En d'autre terme, la relation interdite des personnages les pousse à choisir un endroit, une chambre discrète, à l'abri des regards accusateurs. Cette chambre est non seulement un refuge, mais aussi un lieu de transcendance à la fois corporelle, c'est-à-dire libérer son corps de toutes règles instaurées par la société ; et morale pour exprimer une certaine grandeur et profondeur cachées qui se déclarent et apparaissent effectivement après avoir perdu un être dominant (le Père) dans la vie des protagonistes. La chambre n'est pas uniquement le lieu de transcendance, elle est aussi la proie de toutes les angoisses.

Une fois seul dans sa chambre, Chemin Gomin, François se rappelle son enfance : la mort de sa mère et l'absence de son père, son regard distingue les murmures, les goût et les couleurs de son passé, et il n'enregistre aucun souvenir de son père. Ce qui le perturbe, également, c'est l'amour qu'il porte à deux femmes différentes, l'une étant sa femme et l'autre son étudiante. Nous supposons que cette conjoncture est le résultat d'un manque que seule l'une des deux femmes peut comprendre, et bien entendu Anne Morissette est celle qui conçoit le mieux la crainte profonde de François. Cette crainte est liée à une partie de son enfance privée d'amour paternel, une fois adulte, il refuse l'idée même d'avoir un enfant et cela de peur de reproduire ce qu'il a vécu. Quant à Anne, ayant elle aussi connu l'absence d'un père aimant, elle se réfugie dans ses souvenirs pour retrouver sa trace. Ces souvenirs peuvent aider la jeune fille à reconstituer son passé, et à ce moment là, la chambre devient un élément déterminant, un espace de solitude recoupant toutes les analepses nécessaire pour ce processus.

Néanmoins, cette mémoire perdue ne sera restituée qu'avec l'aide de sa tante Jacynthe, et grâce à sa lettre, Anne recouvre la mémoire.

Nous constatons que toutes ces images perdues et restituées pour certains, rapprochent et lient les deux personnages. Il est clair que l'absence d'un père influence le comportement des personnages et pour user d'une image chère à G. Bachelard :

« (...) Tous les espaces de nos solitudes passée, les espaces où nous avons souffert de la solitude, jouir de la solitude, désiré la solitude, compromis la solitude sont en nous ineffaçables. Et très précisément, l'être ne veut pas les effacer. Il sait d'instinct que ces espaces de sa solitude sont constitutifs. »154(*)

Par conséquent, nos deux protagonistes se sentent investis d'une mission, reconstituer un passé pour mieux envisager l'avenir, et cela ne peut se réaliser que si chacun d'eux fait un travail sur soi.

Nous constatons que cet espace, mis en scène, permet à l'auteure de s'adresser directement à l'imaginaire du lecteur. Ce dernier, à travers les tentatives des personnages, revoit par la même occasion ce qui le perturbe, c'est-à-dire que « les valeurs d'intimité sont si absorbante que le lecteur ne lit plus votre chambre : il voit la sienne. Il est déjà parti écouter les souvenirs d'un père, (...), bref de l'être dominant le coin de ses souvenirs les plus valorisés. »155(*)

Ce dernier lieu examiné, expose l'intimité sexuelle et les tourments antérieurs des personnages. Ces derniers hantés par leurs passés, révèlent une déficience paternelle qui peut être responsable de l'angoisse vécue par chacun et de la relation qui les lie. Cette hypothèse, nous incite à revoir notre approche de l'espace romanesque, c'est-à-dire que notre travail nécessite l'étude de certains thèmes et objets, tout en leur attribuant le statut « d'espace romanesque ». Cette association de thèmes et d'objet avec l'espace, ne peut être effectuée que si la dimension symbolique de l'espace romanesque est mise en valeur.

* 138 - J-P. Goldenstein, Pour lire le roman, De Boeck - Duculot, 1986, p.97.

* 139 -Idem, p.88.

* 140 - G. Bachelard, La poétique de l'espace, Presses Universitaires de France, 1957.

* 141 -C. A. Saillant, Espace et topique de Don Quichotte in http://www.vox-poetica.org/sflgc/concours/tx/ETQuichotte.html (10/07/2007 à 21h)

* 142 Idem,p.22.

* 143 -Idem, p. 83.

* 144 -Ibidem, p.92.

* 145G. Bachelard, La poétique de l'espace, Presses Universitaires de France, 1957, p.93.

* 146 -Nom utilisé dans le texte et faisant référence à Anne Morissette, p. 14.

* 147-Inspiré de G.Bachelard dans La poétique de l'espace, Presses Universitaires de France, 1957.

* 148 - M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p.144.

* 149 -Idem, p. 147.

* 150 -Ibid, p. 147.

* 151 - G. Bachelard, La poétique de l'espace, Presses Universitaires de France, 1957, p.26.

* 152 - Idem, p. 28.

* 153 -Ibid, p. 131.

* 154 -Ibidem, p. 28.

* 155-Ibidem, p. 34.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo