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La figure du père dans "Quelques adieux " de Marie Laberge. Discours de l'implicite et stratégies narratives

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par Massiva AIT OUARAB
Université d'Alger - Licence de français 2011
  

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2. Le père d'Anne

Le père d'Anne apparait au troisième chapitre de l'oeuvre La Reddition. Ce personnage est perçu qu'à travers les réminiscences d'Anne et de Jacynthe, la tante et marraine de l'étudiante.

Nous allons, dans un premier temps nous intéresser aux souvenirs d'Anne pour faire ressortir le personnage du père, puis aux souvenirs de la tante Jacynthe.

Lors d'une séparation avec François, Anne, seule, dans son appartement Rue Fraser, se souvient de ses souliers rouges. Ces derniers, lui ont été offerts par son père le jour de son septième anniversaire. La petite qu'elle était, montrait l'attachement et l'amour qu'elle portait à son père, en gardant précieusement près d'elle ses souliers rouges, elle refusait de les enlever. La seule personne qui avait la possibilité de lui faire entendre raison, était son père. Elle se souvient « le sourire de son père, son rire, et les gestes doux qu'il avait eus pour mettre les souliers à sa petite fille, éblouie. Il avait soigneusement tiré les bas blancs, les avait pliés, avait attaché la courroie mince et brillante, l'avait soulevée, embrassée et mise debout devant lui, tout fier de sa trouvaille. Elle avait dormi avec ses souliers une semaine entière, les serrant dans ses bras (...) »209(*).

Le père d'Anne est un personnage aimant, tendre et dont le comportement laisse voir un père présent, assumant ses responsabilités et son rôle, contrairement au père de François. Ce qui va mettre fin à cette présence et à cet amour, c'est la mort. Dans d'un accident de voiture, le père de la protagoniste meurt, et laisse une petite fille perturbée par son absence, et angoissée à l'idée d'aimer et de perdre l'être qu'elle aimerait.

Nous constatons qu'à l'âge adulte, Anne est prise de panique parce que certains événements de son passé, et plus précisément la mort de son père, ont été effacés de sa mémoire. Elle désire les retrouver et connaître le sort de ses souliers rouges, qu'elle ne retrouve plus.

Nous remarquons que l'écriture de M. Laberge, associe au personnage du père, dans le cas d'Anne, un objet : les souliers rouges. Au lieu de donner des détails ou des informations qui pourraient aider le lecteur à saisir cette figure ambiguë, elle adopte une autre stratégie d'écriture qui est celle de la caractérisation indirecte, selon Goldenstein :

« Il y a caractérisation indirecte lorsque nous devons

saisir par nous même une information nouvelle sur un

personnage, donnée cette fois ci implicitement à partir

d'un détail matériel, d'une parole, d'une action »210(*)

Cette stratégie d'écriture ne donne pas d'informations directes sur le personnage du père, elle associe un objet à valeur sentimentale, comme le cas des souliers rouges, avec la figure paternelle. Cet objet simulacre permet d'observer une participation du lecteur. Ce dernier, doit se concentrer et faire un effort personnel pour retrouver et comprendre, à travers l'écriture de M. Laberge, le chaînon manquant, et qui est le personnage du père. La participation du lecteur rend ce personnage fugace, intéressant dans la mesure où « le lecteur, (...) ressent l'impression délicieuse de vivre d'autres vies. »211(*), c'est-à-dire, qu'il retrouve à travers le récit des images liées à sa vie réelle.

Il est vrai que le personnage du père, n'est pas présent dans le récit, mais il est « souvent lié au degré de (...) participation à l'histoire racontée (...). Cette participation peut être plus importante que la présence du personnage dans le tissu narratif. »212(*). Il s'agit de convoquer l'influence du père dans le déroulement des événements et dans le comportement instable des personnages. C'est pour cette raison que le personnage d'Anne, ayant subi la mort de son père, refuse de vivre la même expérience avec l'être qu'elle aime, François, d'où sa fuite.

L'absence de son père, a entraîné une série de comportements, chez la protagoniste à savoir, son refus d'aimer et sa reddition à la passion « avec des crises, des ruptures, des fuites, des déchirements et une passion sans nom »213(*).

Le personnage du père survient, également, dans la lettre de la tante Jacynthe, qui avait pour objectif de restaurer la mémoire de sa nièce, et plus exactement, connaître le sort des souliers rouges. A travers le récit de la tante, nous pouvons retracer le parcours de la petite Anne, lorsqu'elle a perdu son père. En lisant la lettre, Anne retrouve la mémoire de son enfance et se rappelle l'enterrement de son père. Elle lui en voulait de l'avoir laissée et abandonnée, et pour mieux exprimer sa colère, elle a jeté ses souliers rouges sur la tombe de son père.

Le récit de la tante, nous permet de constater qu'Anne a eu un début d'enfance heureux et a connu, momentanément, la chaleur d'une famille. Contrairement à François, elle garde de son père des souvenirs agréables et des témoignages d'amour paternel. La description du père d'Anne est plus élaborée que celle du père de François. Nous apprenons, par le biais de la lettre, que le père d'Anne s'appelle Henri et que c'est un mari et un père tendre :

« Tu (Anne) t'es endormie sur ses genoux, un bras passé autour de son cou et

c'est lui qui, doucement, avec mille précautions, t'a retiré tes souliers.

Je crois que j'ai rarement vu Henri faire si attention, et, il faut bien le dire,

il y avait beaucoup d'amour dans ses gestes. (...) Ta mère a dit que ces

souliers n'étaient pas une très bonne idée (...). Ton père a bien ri et il l'a

prise dans ses bras (...).Je (la tante Jacynthe) me souviens de

son regard, de cette jeune femme amoureuse qu'était ta mère. »214(*)

Ce passage dresse le portrait d'un homme, d'un père et d'un mari, responsable et dont la présence est importante au sein de la famille.

Plus loin dans le récit, et plus exactement dans la deuxième partie de l'oeuvre, au chapitre La Quête, le personnage de Jacynthe explique à Elisabeth, la femme de François, la relation adultère de son défunt époux. Une fois encore, la mort d'Henri, le père d'Anne, est réitérée mais sans pour autant donner des précisions. La tante fait l'impasse sur le comportement et l'amour d'Henri, mais dans une même phrase, elle lie François, Anne et Henri :

« Anne est venue près de moi, on a parlé (...) de François,

d'Elle, de son père, de son passé et même d'une certaine

paire de souliers rouges. »215(*)

Dans cet extrait, nous relevons une seule référence à François et trois références au père d'Anne, son père, son passé et souliers rouges. Nous supposons que cette phrase a été utilisée par la tante dans le but de faire comprendre à Elisabeth, que l'absence d'Henri a perturbé l'enfance et l'épanouissement de sa nièce, d'où la référence au passé et aux souliers rouges, et de cette manière, elle justifie la relation qu'a eu Anne avec François.

Nous soupçonnons également dans les propos de la tante une allusion à l'inceste c'est-à-dire qu'Anne retrouve à travers sa relation avec François le père qu'elle a perdu, en étant enfant. Et ce qui nous permet d'émettre cette hypothèse, ce sont les propos d'Elisabeth lorsqu'elle se dispute avec son nouvel amant, Jérôme, à cause de sa fille. Elisabeth s'emporte et donne pour prétexte la conduite de Lucie, la fille de Jérôme, mais en réalité les propos qu'elle tenait, étaient pour Anne :

« Tout ce que ça va donner, c'est une fille de vingt ans (allusion à Anne)

qui va chercher un homme ( allusion à François) qui va la servir comme

son père (allusion à l'inceste), la comprendre comme son père,

l'aimer même quand elle est plate comme avec son père »216(*)

Cette hypothèse de l'inceste, est présente dans la première partie de l'oeuvre, au chapitre La Reddition , lorsque François use de son intelligence pour s'expliquer et départager les sentiments qu'il éprouve envers Anne, et envers sa femme, Elisabeth. Il se rend compte que le lien qu'il l'unit à Anne, est fort au point que :

« La seule analogie acceptable qui lui venait lorsqu'il argumentait avec

lui-même pendant des heures sur le sujet était l'amour que l'on porte

à ses enfants qui peut varier totalement d'un enfant à l'autre sans perdre

de sa qualité. On pouvait aimer ses enfants différemment, selon le type

d'attachement que chacun d'eux suscitait. Et le sentiment pouvait être

aussi fort et sincère même s'il différait selon l'enfant. »217(*).

A partir de ce passage, nous constatons que notre hypothèse d'une équivalence avec l'inceste, n'est pas sans fondement. Elle expose, clairement, l'importance du père dans l'évolution affective des protagonistes, c'est-à-dire, qu'étant privé d'amour paternel, les personnages se lancent dans une passion où chacun tente de récupérer un peu de cet amour, même si ce sentiment est implicite, néanmoins, il demeure présent.

Ainsi, la figure du père, chez Anne, est constituée d'informations qui permettent au lecteur de dresser un portrait moral, non physique, du père. Ce personnage fugace, peu présent dans le récit, est la matrice de toutes les actions et comportements du personnage féminin, Anne.

Après avoir mis en place le portrait du père d'Anne, et montré l'influence qu'il a eue sur la vie de sa fille, nous passons au père d'Elisabeth. Cette dernière, semble être le personnage le plus équilibré du roman.

* 209 -Ibid, p.161-162.

* 210 -Goldenstein, Pour lire le roman, De Boeck- Du culot, 1986, p.52-53.

* 211 -Ibide, p. 54.

* 212 -Claude de Grève, Éléments de littérature comparée. II. Thèmes et mythes, Paris, Hachette, 1995, p.109.

* 213 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 369.

* 214-Idem, p. 183-184.

* 215 -Ibid, p.369.

* 216-Ibidem, p. 378.

* 217-Ibidem, p.172.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery