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L'Islam et les fondements du pouvoir dans l'Egypte des années 1920

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par Sophia El Horri
Ecole normale supérieure de Lyon - Master 1 d'histoire des idées 2011
  

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II- L'Islam et la Politique, deux problématiques déjà distinguées et traitées de manière séculière avant le XIXème siècle

On a pris depuis fort longtemps l'habitude de désigner un certain nombre de traités politiques médiévaux par le terme générique de « miroirs des princes ». Bien que les ouvrages et les spécialistes abondent sur le sujet, il est rare de retrouver une définition de ce terme générique ou l'origine de la désignation par « miroir /speculum »43. Néanmoins, l'existence d'un tel genre littéraire est capitale car « les miroirs » marquent l'autonomie de la science politique envers la sphère religieuse, avant la modernité politique qu'on inaugure communément avec Machiavel.

42 Abdou Filali-Ansary, « Ali Abderraziq et le projet de remise en ordre de la conscience islamique », Égypte/Monde arabe, Première série, L'Égypte en débats, mis en ligne le 08 juillet 2008.

43 Einar M‡r Jónsson, « Les « miroirs aux princes » sont-ils un genre littéraire ? », Médiévales [En ligne], 51 | automne 2006

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L'existence d'une telle science, profane, viendrait contredire ce qu'Ali Abderraziq reproche aux arabes. En effet, l'auteur montre que la traduction de la République de Platon par les Arabes ne leur a pas permis de retenir les principaux fondements du vivre ensemble en communauté politique. En outre, l'auteur ajoute que selon lui, leur principale erreur était de ne pas s'être mis assez en concurrence avec d'autres nations, et n'avoir pas tiré de leçons de leur expérience : « Rien dans la religion n'interdit aux musulmans d'entrer en compétition avec les autres nations dans toutes les sciences de la société et de la politique44 ». Ils n'ont pu « édifier les règles de leur royauté et l'ordonnance de leur gouvernement conformément à ce que les esprits humains ont inventé récemment, et que les expériences des nations ont démontré être ce qu'il y a de plus solide en matière de bons principes de gouvernement45 »

L'auteur invite à entrer en compétition avec les autres nations, pour une progression plus pérenne : est-ce que cela se vérifie dans l'histoire ? Les arabes n'ont-ils donc jamais observé et évalué le développement d'autres sphères politiques ? N'ont-ils jamais institué une science qui aurait engagé leur Etat dans une démarche politique moderne, opposée, ou du moins indépendante, à toute judicature religieuse ?

A- Plus qu'un genre littéraire, l'inauguration d'une science politique profane : d'un code de gouvernance

L'ouvrage Islam et politique à l'âge classique de Makram Abbès se concentre sur la pensée du pouvoir et du gouvernement dans la pensée politique de l'islam. Cette étude montre que la sécularisation n'est pas un pur produit du monde occidental et qu'il existait bien un espace de discussion purement politique en islam, qu'il fait débuter au VIIIème siècle, période d'installation de la dynastie abbasside au pouvoir. L'ouvrage montre à travers trois traditions l'existence d'une discipline politique positive, qui aurait permis la maturation d'une pensée politique séculière dès le Moyen-Âge.

Les traditions des « âdâb sultâniya » (règles de la conduite du pouvoir politique) ou des « âdâb `al mulûk » (règles de la conduite des rois) sont le produit de la stabilisation de l'empire arabe à partir de la fin du califat omeyyade. Ces ouvrages s'inspirent des savoirs

44 Ali Abderraziq, L'Islam et les fondements du pouvoir, op cit. p 156

45 Idem p 156

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hérités de l'Antiquité grecque qu'ils remobilisent et exploitent dans la culture arabo-musulmane.

Dès lors, il apparaît que l'accusation que porte Ali Abderraziq à l'encontre des arabes dans les premiers et derniers chapitres de son essai sont fausses. Dans le chapitre « Le califat d'un point de vue social », l'auteur déclare :

"L'histoire de l'activité scientifique chez les musulmans montre à l'évidence que, par comparaison aux autres sciences, les sciences politiques étaient nettement négligées. Leur place était, parmi les autres disciplines, la plus modeste. Nous ne trouvons aucun auteur ou traducteur qui se soit consacré à ses sujets. De même nous ne trouvons dans la production des musulmans aucune recherche consacrée aux systèmes de gouvernement ou aux fondements du politique"46.

Il est possible que l'auteur n'ait pas eu connaissance d'une certaine littérature consacrée aux règles de conduite des rois ou encore à la guerre, mais il paraît surprenant qu'Ali Abderraziq élude l'apport en matière d'analyse politique et historique qu'a apporté Ibn Khaldûn à la pensée politique en Islam, bien qu'il le cite à plusieurs reprises.

De même, lorsque Ali Abderraziq accuse les Arabes de n'avoir pas été assez attentifs à l'expérience des autres nations, l'approche historique des « miroirs des princes », équivalent occidental des « âdâb sultâniya » viendrait démentir cette allégation. En effet, les miroirs se basent sur des exemples historiques, sur des chroniques, des récits de guerres, pour en tirer les enseignements fondamentaux dans le domaine du gouvernement des affaires de l'empire : "Une particularité du genre est donc la convocation de la culture historique pour aborder aussi bien des sujets comme l'art de gouverner, que ceux qui portent sur les vertus des Grands ou l'administration du royaume. Les exploits militaires d'Alexandre, et les modèles de bonne direction du royaume puisés notamment chez les rois perses, comme Chosroes Anûshirwân (531-579), sont constamment convoqués dans ces ouvrages."47

En effet, comment enseigner à un jeune prince ou à un roi dans quels cas déclarer la guerre si au préalable les règles énoncées ne sont pas étayés par des faits historiques avérés ? Dans le Livre de la couronne, le chapitre « Devoirs des rois » se divise en deux

46 Idem. p 72.

47 Makram Abbès, Islam et Politique à l'âge classique, collection Philosophies, édition PUF, 2009.

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parties : d'abord l'auteur énonce la règle de conduite, concise et normative : « Une règle de conduite des Rois est d'utiliser la ruse dans leurs guerres ». Ensuite vient le passage de l'exemple historique qui, dans ce chapitre, citait la tradition de la ruse chez les rois persans.

Quant à la dénonciation que fait Ali Abderraziq du califat, nous avons déjà montré en première partie que le califat était décrié au XIXème siècle pour être tyrannique et justifier les pires dominations par l'argument religieux. Mais l'ouvrage Islam et Politique à l'âge classique nous apprend que , dès le VIIIème siècle, plusieurs auteurs, dont Al-Ta`âlibî qui est l'auteur des Règles de la conduite des Rois, critiquent l'attribution de caractères divins et sacrés aux califes. Les miroirs ne semblent pas se consacrer à la justification théologique de la nécessité du pouvoir, mais plutôt à une explication positiviste de cette nécessité. « Convoquée dans tous les textes, cette référence constante à la nature humaine témoigne, par ailleurs de la positivité de cette tradition et de l'existence, en Islam d'une pensée politique qui s'est nourrie de l'étude et des principes de son fonctionnement. »48 Ils s'intéressent donc bien aux fondements du pouvoir en les justifiant par des arguments naturalistes, et par une démarche positiviste.

Il est étonnant que notre essai, pourtant publié par un spécialiste des questions juridiques et théologiques, élude toute la tradition historique de cette pensée politique en islam. Nous émettrons quelques hypothèses concernant l'absence de ces données dans l'essai. Tout d'abord, à part leur démarche positiviste et profane, il n'y a rien qui laisserait croire qu'Ali Abderraziq se sente appartenir à cette tradition-là. En effet, il n'est en aucun cas question dans son essai de ruse ou de prudence en temps de guerre. Son objectif principal est de refonder la conscience islamique, de joindre la lutte des intellectuels à la lutte politique et non de conseiller un prince sur la meilleure façon de gouverner. De plus, l'initiative de Ali Abderraziq dans cet essai pourrait être qualifiée d'action engagée et militante pour un certain idéal politique qu'il portait. Il s'adresse à un auditoire large, lettré, arabe, et conscient de réaliser une chance d'initiative historique. Les auteurs des miroirs, eux, s'adressent aux gouvernants et aux dépositaires du pouvoir.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote