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L'Islam et les fondements du pouvoir dans l'Egypte des années 1920

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par Sophia El Horri
Ecole normale supérieure de Lyon - Master 1 d'histoire des idées 2011
  

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TROISIÈME PARTIE

L'ère libérale égyptienne, perspectives politiques du combat d'Ali
Abderraziq à travers "L'Islam et les Fondements du Pouvoir"

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La plupart des commentateurs, toutes tendances confondues, de Muhammad 'Imâra à Ghâlî Shukrî, établissent de fait un rapport entre l'ouvrage de notre auteur et le contexte politique qui prévalait dans la région, notamment en Égypte, dans les années 20. Ils insistent sur ce lien au point que l'ouvrage apparaît comme un épisode dans la série des événements qui ont marqué cette période, ou comme une position cristallisée par les querelles de l'époque. Ils en font un discours conjoncturel, un pamphlet, ce genre littéraire utilisé par d'éminents politiciens et journalistes au plus fort des luttes politiques pour concrétiser des positions déterminées et influencer l'opinion publique.

Cette interprétation reste prisonnière du retentissement provoqué par la parution du livre et qui en fit un événement historique significatif. L'ouvrage eut un impact considérable et fut considéré comme une tentative d'intervention dans la bataille politique alors en cours, pour laquelle les forces politiques en Égypte avaient mobilisé toute leur énergie, y compris l'entrée en lisse des intellectuels de chaque camp.

Il faut dire qu'Abderraziq appartenait à une famille connue pour son engagement politique et son rôle de leader d'une des tendances les plus célèbres de l'époque ; l'on a donc naturellement considéré que l'auteur prenait part à une lutte où le parti libéral était engagé. Or, l'ouvrage contient des indices montrant que le travail a démarré bien avant les événements auxquels on voudrait le lier. L'auteur y précise en effet qu'il a commencé à travailler sur la question des fondements de la justice dans l'islam dès son retour d'Angleterre en 1915, c'est-à-dire dix ans avant la parution de son livre. Il y parie aussi de Mehmet V comme roi de Turquie, alors que ce calife est décédé en 1918. Ajoutons à cela les données et représentations qu'il fournit, la recherche et la critique auxquelles il se livre et, enfin, la structure même de l'ouvrage, c'est-à-dire le type d'argumentation qu'il présente.

Certes, les circonstances historiques ont remis le califat au centre de l'intérêt chez les musulmans comme chez les non-musulmans. L'abolition du califat en Turquie en 1924 est un processus essentiel qui s'est déroulé en plusieurs étapes. La dissolution d'une telle institution n'était pas chose aisée. Aussitôt après, dans plusieurs régions du monde musulman, une série de mouvements se sont déclenchés en vue de la restaurer. Ces changements incitèrent nombre de milieux islamiques à profiter des circonstances pour revoir, réexaminer le mode de fonctionnement de cette institution, dès lors qu'elle n'était plus aux mains des Turcs et devait, croyaient-ils, revenir aux Arabes. Il fallait par conséquent essayer d'adapter le califat à ce que ces mouvements considéraient comme le modèle de l'islam authentique, et

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faire en sorte qu'il servît la cause des musulmans. Tout cela se déroulait dans un contexte marqué par les nombreuses confrontations avec l'Occident, lesquelles, d'une manière générale, prenaient la forme de révolutions nationales contre la colonisation occidentale ou l'hégémonie turque : révolution de 1919 en Égypte, révolution kémaliste en Turquie ou encore la révolution de Muhammad Ben 'Abd al-Karîm al-Khatâbî au Maroc.

En Égypte même, à cette époque, la constitution de 1923 consacrait une nouvelle étape, le passage à une monarchie constitutionnelle fondée sur le pluralisme des partis et la souveraineté de la loi. On allait donc pouvoir cueillir les fruits d'une évolution commencée plus d'un siècle auparavant ; une évolution qui tentait de soustraire l'Égypte au régime traditionnel en vigueur dans les sociétés du sud de la Méditerranée depuis les temps médiévaux, et qui la poussait à adhérer à un nouveau système politique, économique et social, celui que Muhammad 'Alî avait essayé d'instaurer.

Par conséquent, deux processus se croisaient ou se recoupaient : le premier était lié aux divers affrontements avec l'Occident colonisateur et à une redistribution des cartes ou à un redécoupage des entités politiques et des zones d'hégémonie du monde musulman après la première guerre mondiale ; le deuxième Ñ l'instauration, en Égypte, d'un régime politique moderne fondé sur une légitimité constitutionnelle Ñ répondait, dans une large mesure, aux revendications de plus en plus pressantes du peuple égyptien durant les deux premières décennies de ce siècle. A travers ces événements, le monde musulman a vécu ce que l'on a appelé la « fin de l'histoire islamique », c'est-à-dire la fin du modèle politique et social qui a prédominé pendant plusieurs siècles dans les sociétés de la rive sud de la Méditerranée.

La question du califat et de la « discorde » qui l'accompagnait resurgit ; l'évocation de la problématique de la « Grande discorde » vint perturber les deux séries d'événements : celle des affrontements avec le colonialisme et celle de l'instauration, en Égypte, d'un état régi par la foi.

I. L'ère libérale égyptienne

Pendant ce qu'appellent les historiens l'age libéral de l'Egypte, on a intégré au système politique égyptien un modèle constitutionnel occidental. Alors que les élites économiques du pays maîtrisent la pratique démocratique, les individus et groupes provenant de classes sociales moins privilégiées s'engagent aussi dans le terrain politique. La période se caractérise par un apprentissage de la citoyenneté et se transforme en une école de la

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politisation, qui parcourt toutes les couches sociales, et qui met en place une rude compétition entre les différents individus qui forment le corps social51.

Les égyptiens ont alors faim de toujours plus d'autonomie de l'emprise britannique, et de réelles réformes économiques et politiques. La population examine et évalue les différentes idéologies en place dans le monde pour un réel développement socio-économique de l'Egypte et cela inclut des courants comme le libéralisme occidental, la monarchie, le fondamentalisme islamique, le marxisme, le féminisme et le nationalisme séculier.

Néanmoins, les pouvoirs excessifs de la monarchie, l'absence d'une classe bourgeoise nombreuse au pouvoir politique fort, ainsi que la faiblesse d'une classe prolétaire incapable de défendre l'expérience libérale sont tout autant de facteurs qui ont empêché l'épanouissement d'une démocratie pluraliste et donc durable.

L'ère libérale a été marquée par un système politique de mode occidental avec une constitution et un gouvernement parlementaire. La constitution égyptienne a été inspirée de documents occidentaux libéraux et façonnée par des experts égyptiens partisans du roi en Egypte et des Anglais. Les rédacteurs de cette constitution tentèrent d'encadrer et d'endiguer la puissance naissante du parti du Wafd, et de réduire le mouvement populaire massif qui a émergé durant la révolution nationaliste de 1919, et créa une forme limité de gouvernement autogéré dans le pays. Ceci donna lieu à un parlement composé de deux chambres, un sénat et une assemblée de député, élus par le suffrage universel masculin, exception faite de 2/5 du sénat qui était nommé par le roi. Les propositions de lois n'étaient mises en application et acceptées qu'après accord du roi. Si le roi retournait la loi à l'Assemblée pour la faire amender, les députés pouvaient en retour faire passer la loi avec une majorité de 2/3 de l'assemblée. Le roi était alors obligé de la faire passer. Le pouvoir législatif était ainsi partagé par la couronne, et les deux chambres du Parlement.

Le roi Ahmad Fu'âd se méfiait de la constitution et refusait le partage des pouvoirs. Cela était regrettable pour l'Etat nouvellement démocratique puisque la constitution donnait des pouvoirs excessifs au roi. Ce dernier avait le droit de renvoyer des ministres, dissoudre le Parlement, nommer ou destituer des premiers ministres. Pendant près de trente

51 Selma Botman, «The liberal age», in The cambridge history of Egypt, édité par M.W. Daly.

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ans, le roi Fu'ad et son fils Farûq subvertiront le processus constitutionnel et s'opposeront à la vague nationaliste. Par conséquent, tandis que l'Egypte exhibait une constitution au style occidental, sa mise en pratique était souvent entravée et compromise par le palais et ses ministres alliés. Bien que pensée comme un document semi-libéral, la constitution ne pouvait soutenir durablement le contenu démocratico-libéral.

En dépit d'une multiplicité de partis politiques, d'élections, de sessions parlementaires, de libertés de presse, d'association et de regroupement, la constitution était bafouée à répétition, ignorée, altérée et même suspendue. La pratique démocratique était mise à mal parce que ni le parti du Wafd, le principal parti nationaliste, ni aucune autre organisation politique n'ont réussi à exercer une pression sur la domination du roi.

Durant cette période, quatre groupes ont successivement géré la vie politique dans le pays : Le palais, les anglais, le Wafd, et les soi-disant partis de la minorité et plus particulièrement le parti constitutionnel libéral, le parti sa'diste, le parti du peuple (hizb `al shab), et le parti de l'unité (hizb `al `ittihâd).

Contrairement au Wafd, qui pouvait régulièrement reposer sur sa base populaire au moment de signature de pétitions, au moment de marches et de manifestations, les autres forces politiques ne mobilisaient pas assez de personnalités ni assez de foules. Ainsi, les organisations qui pesaient en dehors du courant majeur politique étaient les Frères musulmans, La jeunesse égyptienne, les groupes communistes, les associations de femmes. Ces forces politiques ont elles aussi contribué à la formation du paysage culturel égyptien.

Le parti du Wafd constituait le principal parti nationaliste et dominait le paysage politique en Egypte. De nature tenace, au moins pendant les vingt premières années de son existence, le Wafd défendait par dessus tout le respect de la constitution, gage d'un respect de la démocratie. Le Wafd se voyait ainsi que le désignaient ses partisans comme la représentation de la démocratie libérale en Egypte. Il représentait une force nouvelle en Egypte, en opposition avec le leadership Turco-circassien, qui avait dominé auparavant. Les wafdistes étaient des autochtones égyptiens qui provenaient aussi bien de la classe moyenne rurale que des élites professionnelles et commerciales. Le parti prétendait pouvoir représenter du monde de toutes les classes sociales confondues et de toutes les régions géographiques confondues. Le Wafd attirait les musulmans mais aussi les coptes à leurs rangs, ce qui, dans le temps, était un accomplissement remarquable.

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Avec une doctrine libérale bourgeoise, le Wafd était partisan de la sécularisation, ce qui réglait la question copte et les relations de la minorité copte avec l'Etat. Bien que le parti n'ait eu le pouvoir que sept année entre 1922 et 1952, il était imbattable qu'elle que soit la date à laquelle se tenaient des élections libres.

Ce parti a été fondé en 1918, et n'était au départ qu'une simple organisation nationale représentative pour l'indépendance. Il cristallisa tous les mécontentements contre l'envahisseur britannique et réunit des partisans de plusieurs classes, partant du simple paysan au grand propriétaire foncier, ou encore de l'employé urbain au commercial ou à l'intellectuel. Le parti était dirigé par Saad Zaghloul, et pouvait compter sur son soutien populaire, grâce à son réseau de militants plus ou moins fortunés.

En Janvier 1924, 90% des sièges sont remportés par le Wafd. Le roi demande à Saad Zaghloul de mener un gouvernement en tant que Premier ministre. Une crise surgit au printemps et Zaghloul se fait limoger par les intérêts anglais dans la région du Soudan. Après des victoires électorales à répétition, Zaghloul ne sera plus jamais autorisé à être Premier ministre.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille