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"en aparté"sur Canal Plus : l'invité, le public et le média comme tiers autoritaire dans une émission de conversation

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par Marylène Khouri
Institut Français de Presse Paris II-Assas - Maà®trise d'information et communication 2005
  

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3- La difficulté d'être une femme dans le monde de la télévision

La télévision est un univers particulier ; le règne de l'apparence, le culte de l'image imposent aux femmes d'adopter un certain langage, celui de la séduction. Pierre Bourdieu, réputé réfractaire à la télévision, dénonce cette contrainte dans son ouvrage « la domination masculine »13(*) :

« Tout, dans la genèse de l'habitus féminin et dans les conditions sociales de son actualisation, concourt à faire de l'expérience féminine du corps la limite de l'expérience féminine de l'expérience télévisuelle du corps -pour- autrui, sans cesse exposé à l'objectivation opérée par le regard et le discours des autres. Le rapport au corps propre ne se réduit pas à une « image du corps », c'est-à-dire de la représentation subjective (self-image ou looking -glass self), associée à un degré déterminé de self-esteem, qu'un agent a de ses effets sociaux (de sa séduction, de son charme, etc..) et qui se constitue pour l'essentiel à partir de la représentation objective du corps, feed-back descriptif et normatif renvoyé par les autres (parents, pairs, etc.). »

Ce que décrit Bourdieu est en fait l'éducation des femmes qui les incite à se considérer comme un « être perçu » et à s'investir dans leur potentiel de séduction, aux dépens d'un investissement plus intellectuel. En fait, la confiance qu'elles accordent à leur propre corps détermine leur degré d'investissement dans les sphères sociales. De plus, cette confiance se détermine aussi par rapport aux retours perçus par le regard d'autrui. Le mode de langage de la télévision épouse cette manière de pensée. Pour Bourdieu, deux solutions s'offrent alors à elle :

« Plus généralement, l'accès au pouvoir, quel qu'il soit, place les femmes en situation de double -bind : si elles agissent comme des hommes, elles s'exposent à perdre les attributs obligés de la « féminité » et elles mettent en question le droit naturel des hommes aux positions de pouvoir ; si elles agissent comme des femmes, elles paraissent incapables et inadaptées à la situation. »14(*)

Dans notre sphère médiatique actuelle, on peut citer par exemple l'animatrice Christine Bravo, qui emprunte le langage et la gestuelle des hommes pour se faire entendre et respecter. Ainsi, elle acquiert une respectabilité certes relative mais perd en séduction. Souvent, on remarque aussi que les femmes à la télévision sont souvent réduites à leur caractère décoratif (Sophie Favier, les femmes météos sur Canal plus...) et dans ce cas, n'ont aucune possibilité d'accéder au pouvoir.

« Ces attentes contradictoires ne font que prendre le relais de celles auxquelles elles sont structuralement exposées en tant qu'objets offerts sur le marché des biens symboliques, invitées à la fois à tout mettre en oeuvre pour plaire et séduire et sommées de repousser les manoeuvres de séduction que cette sorte de soumission préjudicielle au verdict du regard masculin peut sembler avoir suscitées. Cette combinaison contradictoire de fermeture et d'ouverture, de retenue et de séduction, est d'autant plus difficile à réaliser qu'elle est soumise à l'appréciation des hommes qui peuvent commettre des erreurs d'interprétation inconscientes ou intéressées. »15(*)

Ici, Pierre Bourdieu prend pour exemple la réception de blagues sexuelles par une femme ; soit elle n'y participe pas et ainsi, elle s'exclut, soit elle y participe dans une volonté d'intégration et s'expose par la suite à des allusions sexistes voire même à du harcèlement. La femme, que ce soit en général ou à la télévision est obligée de réfléchir le rapport qu'elle a avec son propre corps. Il s'agit donc d'une véritable contrainte, qui limite ses capacités à accéder au pouvoir.

Sandra Lee Bartky, citée par Bourdieu, nomme ce phénomène le « complexe mode-beauté » (Fashion beauty complex), soit l'inculcation aux femmes de profondes anxiétés à propos de leur corps et d'un « sentiment aigu de leur indignité corporelle ». De ce fait, la femme est en attente de l'homme, qui représente le puissant, d'une « réassurance » de sa part. Le désir féminin revêtirait ainsi une dimension masochiste et les relations sociales de domination sont érotisées. La femme aurait constamment besoin d'être rassurée sur son potentiel « corporel ». Elle se met donc immanquablement en position d'infériorité car d'attente vis-à-vis de l'homme. Plus prosaïquement, on le remarque dans de nombreuses émissions télévisées : l'intervention de l'animatrice est souvent accompagnée d'un silence dubitatif où l'erreur est attendue et où règne une suspicion d'incompétence. De ce fait, elles développent une anxiété plus visible que chez les animateurs où l'erreur sera toujours accueillie par un rire complice.

En effet, lorsque l'on considère les journalistes ou animatrices actuelles, force est de constater qu'elles peuvent être classées en deux catégories : celles qui animent ou co-animent des émissions de divertissement et qui sont physiquement agréables et celles, bien moins médiatisées, qui présentent des émissions plus sérieuses. Dans une première catégorie, la plus symbolique serait Flavie Flament : belle, certes, mais elle est la quintessence de l'objet décoratif qui illustre des émissions divertissantes et légères. Mission qu'elle remplit à merveille. Dans les « écoles d'animatrice » (malheureux et nouveau concept de nos sociétés médiatiques), Flavie Flament représente l'idéal à atteindre pour percer professionnellement. Dans la seconde catégorie, on retrouve des femmes comme Christine Ockrent et Arlette Chabot, qui s'illustrent plus sur le plan intellectuel et qui doivent d'autant redoubler de compétences pour obtenir le respect de l'homme. Arlette Chabot est directrice de l'information sur France 2 et ainsi peut asseoir son pouvoir face à des interlocuteurs masculins. Par contre, elle abandonne tout registre de séduction. Il est à noter que certaines femmes journalistes considérées comme des femmes de pouvoir sont associées à leur mari ce qui tronque quelque peu leur crédibilité : Anne Sinclair a dû démissionner de 7 sur 7 par sa liaison avec Dominique Strauss-Kahn, Christine Ockrent se voit assimilée à son mari Bernard Kouchner.

Toujours selon Pierre Bourdieu, la femme est originellement destinée à supporter la domination masculine, titre de son ouvrage.

« La domination masculine, qui constitue les femmes en objets symboliques, dont l'être (esse) est un être perçu (percipi), a pour effet de les placer dans un état permanent d'insécurité corporelle ou, mieux, de dépendance symbolique ; elles existent d'abord par et pour le regard des autres, c'est-à-dire en tant qu'objets accueillants, attrayants, disponibles. On attend d'elles qu'elles soient « féminines », c'est-à-dire souriantes, sympathiques, attentionnées, discrètes, retenues voire effacées. (...). En conséquence, le rapport de dépendance à l'égard des autres (et pas seulement des hommes) tend à devenir constitutif de leur être. »16(*)

De ce fait, il s'avère compliqué pour une femme d'asseoir une quelconque forme d'autorité. Pour Pascale Clark, on l'a vu, son passage aux côtés de Daniel Schneidermann s'est révélé infructueux. Elle l'évoque en ces termes « Daniel Schneidermann, venant de la presse écrite, n'avait besoin que d'une coprésentatrice, pour trouver ses marques. Quand il y est parvenu, je suis partie »17(*). Difficile de s'imposer face à un homme et difficile aussi d'imposer une présence...en effet, les « duos » mixtes d'animateurs souffrent de ne pas équilibrer leurs rapports de l'un par rapport à l'autre. Autre exemple, celui de Linda Hardy, engagée en 2000 par Thierry Ardisson pour Tout le monde en parle. La jeune femme fut instantanément reléguée au statut de faire - valoir et de réceptacle de plaisanteries douteuses.

« Lorsqu'elles participent à un débat public, elles doivent lutter en permanence, pour accéder à la parole et retenir l'attention ; et la minoration qu'elles subissent est d'autant plus implacable qu'elle ne s'inspire d'aucune malveillance explicite, et qu'elle s'exerce avec l'innocence parfaite de l'inconscience ; on leur coupe la parole, on adresse en toute bonne foi à un homme la réponse.. »18(*)

En 1985, Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay19(*) livraient une morphologie des animateurs français et évoquaient la minorité et le handicap des femmes animatrices.

« L'animation télévisuelle est clairement un métier masculin, (...) l'âge est un handicap évident pour les femmes animatrices, alors qu'il semble être un des éléments de la réussite masculine ; il est difficile de faire une carrière dans l'animation télévisuelle quand on est une femme, il est encore plus difficile de poursuivre cette carrière après quarante ans »

Sûrement influencée par ce mode de pensée, Pascale Clark, dans ses interviews, n'a de cesse de critiquer la télévision et son caractère réducteur : « la radio, c'est tout sauf les faux-semblants. Pour cela, il y a la télévision. ». Le choix de l'absence de Pascale Clark au sein de l'émission se justifie donc pleinement.

* 13  Ibid, page 70

* 14 Ibid page 71

* 15 Ibid.page 75

* 16 Ibid.p.73

* 17 « L'humanité », la semaine télé, « celle qui suit sa voix », samedi 15 novembre 2003, page 41

* 18 « La domination masculine », Pierre Bourdieu, ed.Le seuil, page 75

* 19 « Drôles de stars,la télévision des animateurs », éd. Aubier, page 273

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery