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"en aparté"sur Canal Plus : l'invité, le public et le média comme tiers autoritaire dans une émission de conversation

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par Marylène Khouri
Institut Français de Presse Paris II-Assas - Maà®trise d'information et communication 2005
  

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c) Une voix venue d'ailleurs

1- La dimension affective de la voix

« Pascale Clark  est une voix »33(*) ; La thématique de la voix dans « En aparté » est prééminente. En effet, cette voix est l'incarnation de Pascale Clark qui est elle-même l'incarnation du média. Elle a réussi à construire sa réputation sur la qualité de sa voix et de son écoute, ce qui est la base de sa relation avec son public :

« Le lien entre l'animateur et le public n'est toutefois pas acquis d'emblée. C'est une relation délicate, qui se construit peu à peu, et qui suppose que l'animateur parvienne à avoir une image parfaitement stable. (...) Il peut construire sa personnalité à l'écran comme autant de particularités multiples, un trait de caractère, une tournure d'esprit, un genre physique. L'important est qu'il se caractérise d'une certaine manière et qu'il n'en change pas »34(*)

Il est à noter que depuis quelques années, la voix est devenue un acteur de premier ordre dans nos sociétés médiatiques ; certaines affiches de dessins animés mettent en valeur les artistes qui y ont prêté leur voix : Alain Chabat pour « Shrek », Lorie pour « Les Indestructibles »...Ceux-ci remportent par ce biais d'énormes cachets, parfois relancent leur carrière (Eddy Murphy aux USA, Vanessa Paradis en France). Ce phénomène témoigne d'une valorisation de la voix.

On peut revenir sur la qualité de la voix de l'animatrice. Celle-ci, interviewée par Psychologies magazine à l'occasion d'un dossier, « Ce que la voix dit de nous » n'est pas très loquace à ce propos : « Ce que je pense de ma voix ? Je ne sais pas...À force de dire qu'elle est particulière, j'ai fini par l'admettre. Mais dire en quoi elle est singulière, j'en serais incapable ! C'est comme si on me parlait de quelque chose que je ne connais pas, puisque je suis la seule personne au monde à l'entendre comme je l'entends. C'est d'ailleurs troublant, quand on y réfléchit. La changer ? Quelle horreur ! »35(*). Cette voix est son instrument de travail ; le choix de l'utiliser exclusivement répond à un refus des codes traditionnels dans l'audiovisuel ; en effet, elle nie ainsi la domination de l'image et de l'apparence. La problématique du règne de l'apparence dans l'audiovisuel est explicitée dans le livre de Richard Sennett « La chute de l'homme public » :

« Au moment où s'invente l'audiovisuel, à l'orée du vingtième siècle, alors que les voix vont s'échapper du corps, la question de la représentation en public devient centrale. A un régime qu'on peut dire tranquille, où chacun est dans sa catégorie (ce que dit notamment le vêtement) et tient un rôle public, succède un régime incertain, où l'apparence en public est l'occasion d'un perpétuel et interminable déchiffrement, où nous sommes tous des détectives lisant les visages, écoutant les vacillements de voix, traquant les jeux des corps, et très soucieux de ce que nous projetons (...). L'audiovisuel est intervenu dans cette histoire en séparant (...) spectateurs-auditeurs (soit « nous ») et « eux » soit les autres, les olympiens »36(*).

En intervenant uniquement par sa voix, Pascale Clark se distingue d' « eux » pour rejoindre les « spectateurs-auditeurs », c'est-à-dire « nous ». Elle est invisible comme l'est le téléspectateur et nous rejoint ainsi dans notre mode de perception. A contrario, cette présence uniquement vocale a aussi pour effet de la mystifier, de la rendre inaccessible, que ce soit pour nous ou pour l'invité.

Selon Jean Abitbol37(*), oto-rhino-laryngologiste, une voix révèle notre personnalité : faible, elle signifie une peur de communiquer, forcée, elle révèle une fragilité, monotone, un malaise avec son corps, criarde, un besoin de s'imposer et aigue, un manque d'assurance. Or, la voix de Pascale Clark est douce, rassurante, pousse à la confession. Elle a des accents maternels. De plus, à l'écoute de l'émission, on remarque que le son de sa voix imprègne tout l'espace, ce qui confirme cette impression de « foetus » médiatique qu'est cet appartement. Cependant, l'invité reçoit la parole de l'animatrice par le biais d'oreillettes et on devine le trouble qu'il peut ressentir à l'écoute de cette voix. Enfin, le téléspectateur n'a pas la même perception de la voix que l'invité.

Certaines mythologies accordent à la voix un pouvoir particulier, comme par exemple dans les textes d'Homère et sont repris par la suite dans des études psychanalytiques :

« Dans le texte d'Homère, les sirènes charment les marins par la douceur de leur chant (...) En quoi la voix pure d'une femme, celle d'une séduction totale est-elle mortelle ? Est-ce qu'elle empêtre l'homme dans son désir ? Le rend-elle captif, lié ? Une des étymologies de Sirène est « celles qui attachent avec une corde. »38(*)

On en revient ici au lien entre pouvoir et voix. La voix, par ses caractères de séduction, peut donc hypothétiquement exercer une forme de domination (en « liant » donc) sur autrui.

« En effet, le chant séducteur des sirènes se décline en trois expressions qui désignent leur voix : « phtoggos » (le cri, l'inarticulé, la mort), « op's » et « aoïde » (qui n'est pas un contenant, mais un contenu, ce n'est pas la voix mais l'hymne lui-même) ».39(*)

Dans cette classification, le « op's » va retenir notre attention.

« Op's » fait toujours peu ou prou référence à la parole, il tire vers la séduction ; dans ce terme prédomine le sens physique avec une forte connotation d'harmonie et une fréquente récurrence pour désigner une voix de femme.

« Op's »serait la voix douce, maternelle, cette voix ancestrale, du début, d'avant le sevrage, en un temps où rien n'étai encore perdu ».40(*)

Il est à noter que le parallèle de la voix de Pascale Clark avec le chant des sirènes est présent sur le site de Canal plus réunion, à l'occasion d'une article sur « les coulisses de l'émission »41(*) : « Pendant l'enregistrement, on peut entendre la voix suave de Pascale, qui s'échappe des régies, et comme le chant des sirènes, envoûte l'invité qui se laisse guider ».

Le « op's » serait le « Grand Autre maternel ». Pascale Clark, par l'exercice de sa voix, concentrerait donc tout une palette de séduction, qui serait ainsi son instrument de pouvoir. Un pouvoir qui serai du registre maternel. Dans le même ouvrage, Colette Bigio observe un changement de registre du point de vue de la séduction : « Pourrait-on déduire que la séduction passerait du registre pulsionnel lié à la voix, à celui du regard, que la voix s'est tue au profit d'une capture du regard par la beauté ? » Dans cette optique, Pascale Clark s'inscrirait dans un registre antérieur du point de vue de la séduction, ne souhaitant pas céder au diktat de l'apparence. « La voix est une sorte de support au désir de l'autre que le sujet trouve au même rang que le regard ».42(*)

Didier Lauru va plus loin en faisant un petit rappel étymologique :

« La voix serait une sorte de troisième terme qui noue le signifiant et le signifié et qui tisse le lien entre le sujet et l'autre. Il se trouve que tessiture a la même origine que « tisser ». Ainsi, le sujet tisse sa voix au miroir de l'autre ».43(*)

Le choix de la voix comme unique mode de communication confère à la conversation une intimité, un lien. On tisse, on lie. On revient aussi a un mode de conversation originel où la confiance repose sur la douceur de la voix : le mode maternel. Ici, lorsque l'invité accepte de participer à « En aparté », il sait qu'il devra confier ses gestes et sa parole (qui est censée être dirigée par les questions de l'interviewer) à l'animatrice. Un contrat tacite se crée. Une certaine confiance doit être de mise, une certaine relation affective se crée. Lorsque cette confiance est rompue, des conflits similaires à des crises familiales peuvent avoir lieu. On peut penser par exemple à la prestation de Mickaël Youn chez Marc-Olivier Fogiel du mardi 24 octobre 2004 ; l'humoriste, blessé que l'animateur ne le supporte pas après une plaisanterie douteuse, s'était mis à geindre et à l'insulter comme un adolescent aurait réagit avec son père. Il sortit du plateau immédiatement et créa un mini séisme médiatique.

Pascale Clark choisit ses invités : par exemple, elle a pour mot d'ordre de ne pas recevoir les vedettes de la télé-réalité. Pourtant, elle a bien voulu accueillir Nolwenn, une transfuge de  Star Academy : appréciant son parcours, elle voulut le faire partager. Une certaine part d'affectif intervient donc ici. Par ailleurs, ses invités le lui rendent bien, car leur prestige rejaillit sur l'animatrice et conforte son autorité ; « la vedette est l'indicateur de la position de l'animateur (...). Chaque vedette cherchera à être reçue par l'animateur le plus haut placé. Chaque animateur cherchera a recevoir les plus grandes vedettes »44(*). Or, l'émission de Pascale Clark attire nombre de personnalités courues, et même des hommes politiques majeurs, tel François Hollande ; l'animatrice entraîne tout ce beau monde sur le terrain affectif. De plus, elle donne à ses invités l'occasion de se mettre en valeur. Elle les met rarement en difficulté ; « Selon qu'il (l'animateur) leur posera des questions idiotes ou adéquates, il leur offrira ou non l'occasion de briller »45(*).

Pour aller plus loin, comparons le statut de Pascale Clark au statut de l'analyste et celui de l'interviewé à celui du patient, en se fondant sur l'étude de Françoise Meyer :

« (...) Il y a malgré tout un espace temps entre le dire et l'entendu. Cet espace temps est un parcours incalculable du son qui va du locuteur à l'auditeur. On peut repérer ce décalage. Par exemple, au moment où l'analyste se fait écho d'un mot du patient, une temporalité s'inscrit. La répétition du dit par l'analyste marque l'antériorité du dire de l'analysant par rapport au dire de l'analyste. Le temps du dit de l'analyste fait retour sur le déjà dit du patient, qui apparaît ainsi dans un temps disjoint du second dit. Il y a une coupure du temps et une coupure de l'espace. L'analyste apparaît dans sa présence, du fait de l'effet de sa parole, comme un autre disjoint de sa parole. La parole de l'analyste marque :

- le temps du dire de l'analysant

- le temps où sa parole d'analysant est entendue de l'analyste comme autre

- le temps où la parole de l'analyste fait retour à l'analysant, il s'agit de sa propre parole, mais dite par l'autre.

Ainsi s'opère un circuit. Il y a homothétie d'un dire et d'un autre dire, au regard de l'analysant. L'analyste apparaît comme semblable au sujet. Comme Echo, la nymphe éconduite par Narcisse, l'analyste renvoie l'écho, signe de l'amour  »46(*).

L'isolement de la voix comme mode d'expression accentue ce processus où le temps dissèque les paroles de l'animatrice et de l'invité. Il se passe des micros plages de temps entre le moment où l'animatrice pose sa question et où l'invité la capte. Ce rapport au temps crée une promiscuité entre l'interlocuteur et son destinataire. En fait, l'interlocuteur flatte le narcissisme de l'invité en se posant symétriquement face à lui, par son dire.

On devine que le type de relation instaurée peut soit mettre l'invité à l'aise, qui enveloppé dans ce carcan maternel peut s'y détendre, soit le être mal à l'aise selon le rapport qu'il a pu avoir avec l'autorité maternelle.

Ce rapport à la voix est quelque peu novateur par rapport à sa vision traditionnelle qui prend normalement effet dans les médias : selon Michel Chion47(*), l'utilisation de la voix en audiovisuel est trompeuse :

« L'audiovisuel est moins vococentrique qu'il n'est verbocentrique. Enfin, les voix de l'audiovisuel sont aussi, potentiellement, menteuses : entendez que, même au plus près du corps, disons dans la transmission télévisuelle en direct, nous ne sommes jamais sûrs de ne pas avoir affaire à un faux raccord du corps et de la voix, à une demi-présence, à un ectoplasme qui se fait passer pour un ami quotidien (...). L'audiovisuel est aussi une technique qui permet la tricherie : voix en direct qui ne l'est pas (cas classique), voix qui parait dans ce corps et qui ne l'est pas (c'est la play back mais aussi le doublage) (...) Il y a, dans tout régime de la voix de l'audiovisuel, un travail de réparation, une technique de la croyance, pour ainsi dire, qui permet d'en rétablir le scandale de la désincorporation. »

Or, ici, la voix apparaît pure, incarnée, ne subit aucune modification, ce qui est inhabituel. Ainsi s'instaure un régime de confiance. De plus, par le fait que l'émission soit réalisée en direct, l'invité sait que questions et réponses ne seront pas modifiées ou sorties de leur contexte. On est loin ici des émissions comme Tout le monde en parle où interviennent après le tournage de nombreuses modifications, des mixages parfois improbables, qui dénaturent les propos des invités, qui s'en plaignent par la suite. Le ton est de même extrêmement différent car courtois en toutes circonstances. Or, comme le dit Jacques Chancel, journaliste réputé, « rechercher la polémique n'incite pas les invités à s'ouvrir. C'est au contraire par la courtoisie que l'on recueille des choses intéressantes. »48(*)

* 33 « La porte », Libération n°7379, lundi 31 janvier 2005, page 30

* 34 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay, page 18

* 35 « Psychologies magazine », février 2005

* 36 Richard Sennett, titre français, « les tyrannies de l'intimité », 1976

* 37 « L'odyssée de la voix », Jean Abitbol, ed.Robert Laffont, 2005.

* 38 « Quand la voix prend corps : entre le scène et le divan ». Textes réunis par Françoise Meyer, éd. L'Harmattan, chapitre « Sirènes et chofar : incarnation mythique et rituelle de la voix », page 89

* 39 Ibid p.92

* 40 Ibid p.94

* 41 http://www.canalreunion.com/programmes/coulissses/enaparte/accueil.html, vu le 6 avril 2005

* 42 « Quand la voix prend corps, entre la scène et le divan », textes réunis par Françoise Meyer, éd. L'Harmattan, page 94

* 43 Ibid, chapitre « la voix au miroir » de Didier Lauru, page 87

* 44 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Sabine Chalvon-Demersay, page144

* 45 Ibid, page 139

* 46 « Quand la voix prend corps : entre la scène et le divan », textes réunis par Françoise Meyer, ed.L'Harmattan, page 19,20

* 47 « Médiamorphoses n°7, avril 2003, « télévision et radio : états de la parole », page 38

* 48 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Sabine Chalvon-Demersay et Dominique Pasquier, page 148

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