WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'agriculture périurbaine au risque de la ville? (le cas de Diamniadio, Dakar, Sénégal)

( Télécharger le fichier original )
par Virgile Mendret
ULP Strasbourg I - Master I Géographie Humaine 2006
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

    Université Louis Pasteur Strasbourg I UFR de Géographie et d'aménagement

    Mémoire de Master I en Géographie Humaine

    L'agriculture périurbaine au risque de la ville ?

    Le cas de Diamniadio (Dakar, Sénégal)

    Soutenu devant la commission d'examen composée de :

    Jean-Luc Piermay

    François Pesneaud

    Présenté par Virgile Mendret

    Mai 2006

    Avant propos

    Je tiens particulièrement à remercier mon Directeur de mémoire, M. Jean Luc Piermay, pour ses précieux conseils, sa patience, et sa disponibilité lors de la rédaction de ce mémoire.

    Mes remerciements vont :

    A Cheikh Guèye, d'Enda Tiers monde, qui m'a encadré durant mon séjour, et au personnel d'Enda Syspro, qui a bien voulu m'accueillir dans leur structure.

    Je suis également reconnaissant à la famille Gaye d'Hamo Grand Yoff pour son accueil durant près de quatre mois, la famille Boissy du Sébikhotane qui m'a accueilli lors de mon séjour sur le terrain, la famille Bâ de Kébémer pour sa chaleur. Je remercie également mes amis Stanislas Natac, Biraan Bah, Ibrahima Dramé, Abdoulaye Camara, et Pierre Leh pour leur encouragements durant mon séjour.

    Je pense aussi à mes interlocuteurs, agriculteurs ou responsables, qui subirent mes questions avec patience, et qui constituent la toile de fond de cette recherche.

    Enfin, je remercie ma famille pour son soutien moral et matériel, me permettant de mener

    à bien ce projet qui me tenait à coeur.

    Sommaire

    Liste des tableaux 8

    Liste des photos 8

    Liste des cartes 9

    Introduction 10

    Première partie

    L'espace péri-dakarois à l'assaut 15

    des espaces ruraux

    1 L'espace obligé de croissance d'une grande ville 16

    A) Une ville façonnée sur un site contraignant... 17

    B)...Branchée sur la mondialisation et polarisant l'ensemble

    du territoire national. 19

    Conclusion : Une pression urbaine nécessairement orientée

    vers Diamniadio 22

    2 Diamniadio, "territoire de projet" : un "territoire" pour qui ? 23

    A) Le projet de ville de Diamniadio, un projet à la Wade ? 24

    B) Le projet des villes secondaires : quel intérêt de commencer

    par Diamniadio ? 25

    C) Le face à face entre acteurs locaux et aménageurs : entre conflits et jeux d'alliances, des légitimités très relatives face à

    la montée des enjeux. 27

    D) Le Plan d'Urbanisme de Détail d'une ville exutoire ? 29

    Conclusion : le pouvoir local dépassé par un Etat au service des investisseurs privés, mais le problème d'appropriation

    précoce de l'espace par les acteurs locaux reste entier. 31

    3 Le cadre législatif et réglementaire de la croissance urbaine 33

    A) Des instruments législatifs empruntés à la France mais

    inadaptés à une pression urbaine aigue. 33

    B) Le droit domanial sénégalais, une inspiration africaine 37

    Le domaine national urbain, au risque de l'Etat et des acteurs

    privés. 39

    Un futur possible : une ville à la situation foncière et sociale

    duale. 40

    Conclusion : un espace rural à la porte de la ville. 41

    Deuxième partie

    Plusieurs logiques de fonctionnement

    des exploitations agricoles 42

    1 Une démarche d'enquête 43

    A) Méthodologie de l'enquête 43

    B) Le territoire d'étude 46

    C) Des villages marqués par une logique de réseau... 46

    ...et un environnement difficile pour l'agriculture 47

    2 L'agriculture traditionnelle, une activité à la marge ? 49

    A) Une prépondérance du domaine national et un accès à la

    terre par l'héritage et le don. 49

    B) Un fonctionnement familial fortement lié à l'auto- consommation et aux marchés urbains 52

    C) Un financement difficile causé par le désengagement de

    l'Etat et un manque de garanties monétaires et matérielles. 54

    Le micro crédit, une réponse pertinente au manque de

    financement ? 55

    Conclusion : une agriculture en sursis ? 55

    3 Une logique d'entreprise tournée principalement vers le

    marché extérieur 57

    A) Accès à la terre et transactions foncières des exploitations

    d'entreprise 58

    B) Un fonctionnement déterminé par le marché international,

    et nécessitant des investissements lourds 60

    C) Des agriculteurs citadins 63

    Une concurrence de débouchés entre agriculture

    d'entreprise et agriculture familiale ? 64

    Conclusion : une agriculture « branchée » sur la ville et son

    interface avec le monde. 64

    Conclusion : cependant, au delà des différences entre exploitations, on observe des processus urbains comparables. 65

    Troisième partie

    Conflits et mutations d'une agriculture

    sous tutelle urbaine 66

    1 Accès à l'eau : une compétition exacerbée face à un

    épuisement de la ressource 67

    A) Des problèmes de compétition pour une ressource de plus

    en plus rare 68

    B) L'arbitrage des demandes : une généralisation du système

    marchand 69

    Conclusion : vers une destruction de la ressource ? 71

    2 Une agriculture en proie à des pressions foncières de multiples

    acteurs 71

    A) Impact de l'émergence de «l'agriculture d'entreprise» sur

    le foncier : une flambée des prix et des pratiques qui

    favorisent une reconversion des petits paysans. 72

    Une disparition des prêts de terres 73

    Des transactions qui peuvent contourner la loi sur le

    Domaine national 74

    B) Impact des projets de l'Etat sur l'agriculture 75

    Une expulsion progressive des éleveurs de l'espace agro-

    pastoral 76

    C) L'appétit foncier des Dakarois sur les espaces ruraux :

    une appropriation de l'espace en marge des lotissements qui

    reste difficile à appréhender 77

    Conclusion : une réforme de la loi sur le domaine national

    nécessaire 78

    3 Des mutations professionnelles obligatoires pour les petits

    exploitants 79

    A) La montée du salariat agricole : vers une prise de

    conscience de classe ? 79

    B)...Mais des emplois industriels sans doute illusoires pour

    les autochtones 81

    Conclusion : l'affirmation d'un phénomène nouveau de pluri

    activités 81

    Conclusion générale 82

    Bibliographie 84

    Annexes 86

    Liste des tableaux

    Numéro

    Intitulé

    Page

    1

    Evolution démographique de la population dakaroise.

    17

    2

    Des financements obéissant à une logique internationale.

    27

    3

    Des grands chantiers en gestation : Etat des lieux en juin 2005.

    32

    4

    Répartition des exploitations familiales selon la superficie.

    49

    5

    Mode d'accès à la terre des exploitations familiales et types de

    droits fonciers.

    50

    6

    Répartition des exploitations d'entreprise selon la superficie.

    59

    7

    Mode d'accès à la terre des entreprises agricoles.

    59

    Liste des cartes

    Numéro

    Intitulé

    Page

    1

    La presqu'île du Cap Vert.

    18

    2

    Hiérarchie des villes sénégalaise et macrocéphalie de Dakar en 1988.

    20

    3

    Flux migratoires au Sénégal: la région dakaroise,

    destination principale des migrants.

    21

    4

    Schéma de la situation de Diamniadio : un croisement stratégique.

    23

    5

    L'agriculture dans le département de Rufisque.

    46

    Liste des photos

    Numéro

    Intitulé

    Page

    1

    Absence de mise en valeur des terres : les enquêtes de terrain se

    sont déroulées avant l'hivernage, (saison des pluies), Mai 2005.

    53

    2

    Un élevage manquant cruellement de moyens : il n'y a ni

    enclos ni parcours de bétail...

    53

    3

    Une parcelle de choux cultivée par un groupement féminin avec

    l'aide de l'ONG Acapes.

    56

    4

    La responsable du groupement féminin Yakkar lors d'un

    entretien.

    56

    5

    Conditionnement de tomates cerise dans une coopérative de

    Sébikhotane.

    61

    6

    Champs de mangues Kent destinées au marché européen. Un

    système d'irrigation par goutte à goutte est utilisé.

    61

    7

    Champs de haricots à Sébikhotane.

    62

    8

    Triage des haricots avant conditionnement.

    62

    9

    Bâtiment avec chambre froide d'une coopérative

    maraîchère.(Sébikhotane).

    62

    10

    Tomates cerise prêtes à être envoyées sur le marché européen.

    62

    11

    Forage privé d'une entreprise agricole.

    68

    12

    Un puit traditionnel rendu inutilisable par la course à la

    profondeur .

    68

    13

    Départ pour la borne fontaine payante le long de la N1.

    69

    14

    Une retenue colinéaire peu mise en valeur.

    69

    15

    Un village Peul reconstruit après déguerpissement.

    75

    16

    Les bâtiments de la Sodida/Parc Sénégalo-chinois en Juin 2005.

    75

    Source des photos : V. Mendret

    Introduction

    Les fondements de la recherche

    C'est par l'intermédiaire de Cheick Guèye, Docteur Géographe à Enda Tiers monde (Dakar) que j'ai eu une première approche de ce que pouvait être mon territoire d'étude pour mon mémoire de Maîtrise. Celui-ci était prêt à m'accueillir comme stagiaire pendant la durée

    de mon séjour au Sénégal, sur un sujet en rapport avec l'agriculture urbaine.

    Enda Tiers monde a été créée en 1972 à l'issue de la conférence des Nations Unies sur l'Environnement tenue à Stockholm (Suède). Rattachée à l'IDEP (Institut de Développement Economique et de Planification), elle fut un programme de cours post-universitaires en aménagement de l'environnement. En 1979, elle est devenue une ONG internationale. Son siège social est installé à Dakar conformément au statut diplomatique que lui confère l'accord

    de siège signé avec le Gouvernement de la République du Sénégal le 27/ 06/ 1978.

    Mon intérêt portait tout d'abord sur région des Niayes. Celle-ci s'inscrit administrativement dans les quatre régions bordant la frange maritime du nord du pays : Dakar, Thiès, Louga et Saint-Louis. Elle est généralement limitée dans sa partie intérieure par

    la route nationale Dakar-Saint-Louis. C'est une zone de production maraîchère qui subit principalement deux types de contraintes :

    - La pression foncière, qui se fait au détriment des espaces ruraux

    - Les risques écologiques liés à l'épuisement de la nappe aquifère et à la pollution de l'eau.

    Mais c'est la rencontre avec Thierno Seck d'Enda Syspro qui a permis de déterminer

    ce qui allait être mon futur terrain de recherche. L'entité Syspro était présente sur la commune

    de Sébikhotane et avait participé à l'organisation d'un forum pour le développement de la commune voisine de Diamniadio. Cette commune d'environ 10 000 habitants devrait connaître un montant d'investissements supérieur à un milliard de USD correspondant à une création de plus de 45.000 emplois directs d'ici 2025, selon le ministère de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire (MUAT). Les investisseurs nationaux et internationaux sont très intéressés par la position de Diamniadio, carrefour le plus important du pays. Le secteur de

    l'agriculture est donc sérieusement en danger sur cette bordure Sud de la Région des Niayes.

    Problématique de travail

    L'analyse et la réflexion actuelles considèrent l'agriculture urbaine comme l'une des solutions viables et durables pour contrer l'insécurité alimentaire, le chômage, le sous-emploi

    et la dégradation de l'environnement dans les villes des pays en développement, ainsi que la lutte contre la pauvreté et l'exclusion (CAMARA, 1986).

    On évalue aujourd'hui à 800 millions le nombre de personnes engagées dans l'agriculture urbaine dans le monde entier, dont 200 millions de producteurs de marché. Elle

    fait l'objet de nombreuses recherches sous différents angles, s'intéressant à des thèmes comme

    la sécurité alimentaire en zone urbaine, l'éradication de la pauvreté, la santé urbaine, la planification urbaine et le développement intégré de la ville. Ce qui la différencie de l'agriculture rurale, ce n'est pas son emplacement, mais le fait qu'elle est incorporée dans et agit en interaction avec l'écosystème urbain. C'est « une industrie placée dans (intra urbain) ou

    sur le bord (péri-urbain) d'une ville ou d'une métropole, qui produit, transforme et distribue une gamme diversifiée de produits alimentaires et de produits non alimentaires, employant

    des ressources humaines et matérielles, des produits et des services existant dans et autour de cette zone urbaine et qui fournit en retour des ressources humaines et matérielles, des produits

    et des services à cette zone »1

    Sur le plan économique, l'agriculture continue d'occuper une place importante dans les secteurs d'activités au Sénégal. Les systèmes de production sont divers, allant de l'agriculture pluviale pendant l'hivernage à l'agriculture utilisant un réseau d'irrigation. Les productions maraîchères et fruitières sont dans leur majeure partie écoulées sur le marché urbain de Dakar. Mais la situation alimentaire s'est dégradée à Dakar depuis dix ans. L'urbanisation importante

    de la région dakaroise, la forte concentration de population (4280 habitants au km2), ainsi que

    l'intensification relative des systèmes de production entraînent des problématiques aux tendances irréversibles:

    - une forte pression anthropique sur les ressources naturelles qui se raréfient et/ou se dégradent;

    1 http://www.interdev-net.org/theme/agriurb/pres1.htm

    - une diminution importante et continue des surfaces agricoles du fait de l'extension

    du foncier bâti et souvent du non respect des zones non constructibles. Actuellement, l'urbanisation empiète de plus en plus sur le domaine agricole, le principal problème étant que

    les producteurs ne disposent d'aucun titre de propriété.

    Dans ce cadre, le projet de ville de Diamniadio inquiète certains acteurs du territoire d'étude. Ceux-ci craignent de voir les activités agricoles « oubliées » par le projet de l'Etat.

    En effet, la position de l'Etat est celle d'un acteur nouveau venu, qui souhaiterait voire en Diamniadio un espace vacant. Cependant, la société locale a bien intégré un changement des enjeux, dont elle peut tirer profit. Ainsi, par sa situation de bourgade périphérique, Diamniadio, connaît des mutations quant à l'affectation du sol, et les règles fondées sur l'utilisation du sol par des communautés villageoises évoluent vers une marchandisation des terres, dans un contexte où la spéculation foncière rapporte bien plus que l'agriculture. Plus encore, c'est la société rurale dans son ensemble qui est atteinte par cette rupture: au contact

    de la ville, sa composition ethniques et sociale se diversifie (Piermay, 1993). Alors que le foncier est doté d'un intérêt très fort, à la croisée des représentations spatiales de l'Etat et des groupes multinationaux pour le niveau global, des Dakarois au niveau régional, et du pouvoir Lébou pour l'échelon local, quelle(s) logique(s) sous-tendent l'agriculture péri urbaine ? Le milieu retenu nécessite de faire dialoguer différentes échelles entre elles afin d'espérer trouver

    un ou plusieurs fils conducteurs, ou encore des lignes de force, qui structureraient les mutations touchant l'agriculture périurbaine de manière singulière.

    Démarche de recherche

    Pour mener à bien cette recherche, toute une littérature des projets de développement urbain, de l'agriculture urbaine et, dans une plus faible mesure des Ong, est explorée. Les statuts fonciers ayant cours au Sénégal doivent être assimilés en premier lieu pour comprendre les processus d'appropriation que chaque acteur peut mettre en jeu. Le travail de recherche documentaire se poursuit durant le séjour, dans les centres de documentation d'ENDA ou de l'IAGU (Institut Africain de Gestion Urbaine) par exemple, par une collecte

    de rapports, séminaires, sur des programmes mis en place dans ou à proximité du territoire

    d'étude.

    Tout d'abord, la première rencontre d'un responsable d'ENDA a permis de choisir le terrain d'étude. La délimitation du projet de ville de Diamniadio a dû être éclaircie, bien qu'il soit apparu que la majeure partie des acteurs locaux ait une vision encore très floue du projet. L'observation des systèmes de production, des constructions récentes ou en cours, des investissements visibles des producteurs (systèmes d'arrosage, véhicules...) est établie dès la première visite. Il faut être attentif à l'influence de la ville sur le milieu périurbain lors de l'observation.

    Il s'agit ensuite de se poser une série de questions à un niveau local et très matériel :

    Comment fonctionnent les agriculteurs et éleveurs: c'est à dire quelle relation à la terre, quel statut foncier, quels investissements productifs observe t-on ? Qui sont les propriétaires des terrains ? Par rapport aux propriétaires, qui sont les gens qui travaillent? Quels sont les outils et les équipements des agriculteurs ? Quels sont les roulements de cultures, les cultures associées sur les parcelles ? Les transports sont-ils une contrainte importante pour l'écoulement de la production ? Comment s'organise l'irrigation des parcelles ? D'où viennent les eaux d'arrosage ? Qui sont les consommateurs des produits ?

    Quels sont les revenus autres que l'agriculture? S'agit-il d'emplois à temps plein, saisonniers, ou ponctuels ? Quelles sont les origines, les perspectives d'avenir des travailleurs agricoles ? Les agriculteurs périurbains se perçoivent-ils comme des citadins dont le métier

    est l'agriculture ? Est-ce qu'ils connaissent des gens qui ont perdu leur parcelle? Que sont-ils devenus ? Les travailleurs, les propriétaires ont-ils le sentiment, et/ou la volonté de vivre en citadins?

    Quel est le rôle des coopératives agricoles et des GIE dans l'organisation des producteurs ? Qui sont les acteurs des transactions de terrains? La ville est-elle perçue comme une contrainte ou une aubaine par les producteurs ? Comment sont localisés les projets pour

    la ville sur le secteur? Les agriculteurs les connaissent-ils ? Qu'en pensent-ils ?

    Comment s'est fait le choix du secteur par l'Etat ? Quelle est sa situation par rapport à Dakar ? Nous essayerons ensuite d'estimer si l'Etat est réellement proche des populations en première ligne de ces projets, si ces populations sont incluses dans leur mise en oeuvre et leur réalisation. La vision de l'agriculture que l'Etat revendique depuis ces dernières années va-t- elle interférer dans la mise en oeuvre de la plate forme multimodale ? Comment vont se dérouler les expropriations des agriculteurs et agro-éleveurs ? Quelle sera l'attitude de l'Etat

    et des collectivités locales envers les propriétaires coutumiers ?

    La distribution, puis le dépouillement d'une enquête auprès des producteurs et travailleurs a permis d'affiner la recherche, et de préparer les entretiens auprès du personnel d'ENDA, de la Fédération des Producteurs Maraîchers, du Ministère de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, des mairies de Diamniadio et de Sébikhotane, des chefs de quartiers, de propriétaires de terrains, de chefs coutumiers, d'acheteurs de parcelles. D'autres ONG s'occupant d'agriculture périurbaine ont été contactées. Ces discussions approfondies étaient susceptibles d'élargir la vision et d'apporter des éléments de réponse. Toutes les personnes interrogées ne devaient pas être incluses dans le territoire d'étude, car un point de vue extérieur est nécessaire, afin de savoir quelles connaissances elles avaient du projet et ce qu'elles en pensaient.

    Les renseignements issus des différentes sources ont été comparés, pour que peu à peu apparaissent des ébauches d'explications. Mais en aucun cas, les enquêtes ne peuvent apparaître comme des échantillons, les moyens mis en oeuvre étant bien trop faibles pour en récolter un nombre significatif. Cependant, elles gardent toute leur pertinence pour repérer des

    processus au sein du territoire d'étude.

    Première partie

    L'agriculture périurbaine au risque de la ville ? Le cas de Diamniadio (Dakar, Sénégal)

    L'espace péri-dakarois à l'assaut des espaces ruraux

    Avec un rythme d'accroissement démographique extrêmement rapide de 5,6% par an,

    la région capitale est confrontée à de nombreux dysfonctionnements révélés par de multiples symptômes : aggravation de la pauvreté, multiplication des zones d'habitat précaire, monstrueux embouteillages, pollution industrielle, gestion urbaine inefficace. Au niveau national, la capitale dévore plus l'espace qu'elle ne le structure, créant un malaise urbain et une impression de mal-développement. Paradoxalement signe du succès de la ville, cette tendance menace de se transformer en « implosion urbaine » en raison de la précarité des conditions de vie d'une grande majorité de citadins dakarois qui s'installent dans des quartiers dortoirs de plus en plus éloignés du centre ville. Parallèlement, les Dakarois aisés matérialisent leurs rêves de propriétaires sur l'espace périurbain, où se transposent les enjeux inhérents à une demande massive de ville.

    En amorçant une politique de grands projets, le Président Abdoulaye Wade cherche donc à contrebalancer la macrocéphalie dakaroise, source de trop nombreuses nuisances. Mais

    il souhaite aussi, en posant son empreinte sur le territoire sénégalais, asseoir enfin son autorité politique. Le retour de l'Etat, en s'exprimant sur les territoires locaux, permet également aux réseaux ethniques, politiques, associatifs, voire confrériques de trouver une nouvelle expression autour d'enjeux très matériels. En créant des alliances avec ces réseaux, le jeune Etat sénégalais cherche à parfaire sa légitimité, qu'un cadre législatif et réglementaire fortement influencé par l'ancien colonisateur ne pouvait apporter à lui seul. Mais ces instruments juridiques pourront être dépassés par des acteurs locaux bien positionnés sur l'échiquier local, et à même d'anticiper le processus urbain.

    1 L'espace obligé de croissance d'une grande ville

    Du fait de la configuration du site et de la saturation foncière dans les quartiers centraux et dans la proche banlieue, Dakar se développe vers le nord-est, sans d'autre choix que de suivre la configuration de la presqu'île. Celle-ci exerce une influence évidente sur l'organisation spatiale de la ville. L'étalement de la croissance spatiale ne peut se faire que dans une seule direction, dans les actuels départements de Pikine et de Rufisque qui concentrent les réserves foncières de la Région dakaroise, et ce dans un contexte social où la construction d'une maison est l'objectif d'une vie.

    L'insertion de la ville dans plusieurs échelles (nationale, sous régionale et mondiale)

    nécessite des équipements industriels qui, faute de place, ne peuvent plus s'implanter à Dakar.

    Dans la mondialisation, Dakar est pour le Sénégal la tête locale de la plupart des réseaux internationaux qui irriguent le pays : réseaux économiques, d'affaires, de télécommunications, diplomatiques, migratoires... Diamniadio, par sa situation de carrefour principal du pays, à l'intersection des routes de Mbour et Thiès, à 37 Km de Dakar, apparaît ainsi comme une réponse locale à des questions insérées dans un contexte bien plus large.

    A) Une ville façonnée sur un site contraignant...

    C'est l'administration coloniale française qui fonde Dakar en 1857, après être longtemps restée cantonnée sur l'île de Gorée. Les lieux sont déjà occupés par plusieurs villages Lébous, l'ethnie locale probablement implantée depuis le XVIIe siècle. Lors de leur implantation sur la presqu'île, les autorités françaises ont tenté d'imposer leur droit en ignorant les occupants et en décrétant que le sol était propriété de l'Etat français. Cependant,

    les Lébous ont su traiter avec les Français la reconnaissance de leur droit foncier coutumier,

    et conserver une réelle force communautaire.

    Les autorités françaises se sont établies à la pointe de cet îlot volcanique faisant face à

    Gorée et rattachée au continent par une étroite bande sableuse qui mesure à peine plus de 4km

    en son point le plus exigu. La capitale (de l'AOF, puis du Sénégal) s'accroît de 4,9% par an

    en moyenne, soit un doublement des effectifs tous les dix ans environ.

    Tableau 1 : Evolution démographique de l'agglomération dakaroise.

    Année

    Nombre d'habitants

    1904

    5 000

    1926

    40 000

    1945

    190 000

    1966

    470 000

    1990

    1550 000

    1995

    1 870 000

    2000

    2 250 000 (estimation)

    Source : rapport du comité Habitat II, 1996

    L'afflux de population s'est accentuée dans les années 70 en raison de deux faits majeurs :

    d'une part, un contexte économique difficile et des conditions climatiques désastreuses qui

    ont favorisés l'exode rural dans l'espoir de revenus meilleurs ; d'autre part l'attrait d'une modernité occidentale qui se cristallisant autour de la capitale, au détriment des villes secondaires.

    Pourtant, la région de Dakar est une presqu'île. Sa forme, son paysage, son relief, contribue à façonner la ville autant que celle-ci façonne son site : un seul axe de

    circulation permet de communiquer avec le reste du pays.

    Carte 1 : la presqu'île du Cap Vert

    Source : Carte IGN édition 2000

    Administrativement, la région de Dakar est la plus petite du Sénégal avec seulement

    0,28 % de la superficie totale. Mais, avec 2 350 000 habitants en 2001, elle représente plus de

    25% de la population nationale. Elle est constituée de trois centres urbains que sont Dakar, Pikine et Rufisque et de petites villes satellites comme Bargny et Guédiawaye. Deux communautés rurales, Sangalkalm et Yène, se situent à la limite administrative de la région.

    Avec 63,3 % du total de la surface de la région, le département de Rufisque, à l'Est de

    la presqu'île, concentre les enjeux fonciers les plus massifs : les fronts urbains progressent peu à peu sur les espaces agricoles, on observe un mitage des espaces ruraux. Le département

    de Pikine, plus saturé, constitue une réserve foncière bien plus faible avec 21,8% de la surface régionale, alors que Dakar frise l'asphyxie avec seulement 19,4% des terres, et des voies de communication saturées.

    Cependant, la forme de presqu'île n'est pas la seule contrainte physique au développement de la ville. La péninsule, se terminant à l'ouest par des reliefs volcaniques, les Mamelles, qui culminent à 105 m, comprend une zone élevée au sud-est, de petites collines et

    de plateaux cuirassés (massif de Ndiass). Une zone de bas plateau constitué de calcaires et de marnes gonflantes pose des problèmes de fondation (Rufisque, Bargny, Diamniadio, Sébikhotane). Une zone de dépression intermédiaire ou Niayes aux sols hydromorphes, domaine des cultures maraîchères et fruitières, connaît un affleurement de la nappe phréatique qui rend les bas fonds inconstructibles.

    La mer est très présente et attaque la petite côte, affaissant les digues. Il existe également quelques lacs fortement influencés par les dunes, et la langue salée progresse en rendant les terres impropres à la culture.

    Le site impose donc des contraintes techniques évidentes, et rend difficile les communications entre le Plateau, où est concentrée la majeure partie des activités commerciales et administratives, et les communes périphériques (Pikine, Guédiawaye), qui regroupent une population plus nombreuse qu'à Dakar. Les voies de communications convergent vers le Plateau, en créant un système d'entonnoir qui se transforme en goulot d'étranglement aux heures de pointe.

    B)...branchée sur la mondialisation et polarisant l'ensemble du territoire national.

    La position internationale de Dakar est très intéressante. Située sur les routes de l'Atlantique méridionale et centrale, cette ville forme la terre occidentale la plus rapprochée de l'Amérique, et elle est à la tête d'un réseau de communication important, avec l'aéroport, le port, les télécommunications qui la mettent en relation avec l'extérieur.

    Le port et le rail constituent un exutoire de premier plan pour la République du Mali. Actuellement la principale voie ferrée est celle reliant Dakar à Bamako (645 km au Sénégal)

    par où transitent l'essentiel des échanges entre le Sénégal d'une part, le Mali et le Niger d'autre

    part.

    Carte 2 : hiérarchie des villes sénégalaises et macrocéphalie de Dakar en 1988

    Source : Atlas du Sénégal, les éditions Jeune A, Paris, 2000

    Cependant, c'est avec l'Europe que le trafic de marchandises est le plus important (54 %), viennent ensuite l'Amérique et l'Afrique avec respectivement 17 % et 12 %. Ces relations avec les pays de la sous-région seraient plus intenses si les couloirs internationaux de transport étaient aménagés (routes internationales Tambacounda / Labé, frontière Sénégal /

    Mali, pont sur la Gambie, ...).

    On peut aussi souligner l'importance des émigrés qui investissent en masse dans le secteur du logement à Dakar et jouent un rôle pivot dans le marché foncier. Acteurs riches, ils sont avec les commerçants, très intéressés par l'achat d'un terrain dans les quartiers périphériques denses, et contribuent pour beaucoup à la montée de la pression foncière.

    En tant que métropole nationale, Dakar et son double Pikine, jouent un rôle primordial dans le développement du Sénégal. La capitale dispose d'une suprématie absolue dans la hiérarchie urbaine, aucune ville de l'intérieur n'est en mesure de la concurrencer, ni au niveau

    de la population, ni pour les services publics, ni pour les équipements et l'emploi.

    Organisé en étoile, le réseau national routier favorise les liaisons verticales nécessaires

    à l'économie d'exportation (port de Dakar). Il s'étend de Dakar vers les autres régions du pays,

    et s'articule sur quatre axes principaux.

    - Dakar / Thiès / Louga / St-Louis / Matam ;

    - Dakar / Thiès / Diourbel / Mbacké ;

    - Dakar / Mbour / Kaolack / Tambacounda ;

    - Dakar / Mbour / Kaolack / Nioro / Ziguinchor.

    Ce réseau, héritage de la colonisation, structure la suprématie de Dakar sur le territoire. Les études effectuées par le Plan National d'Aménagement du Territoire (PNAT) indiquent que 75 % des trajets intérieurs de marchandises ont pour origine ou pour destination Dakar. Ce déséquilibre résulte du poids économique de la ville, que le tracé des réseaux routiers et des voies ferrées a fortement accentué.

    La ville constitue un important point d'accueil de l'immigration en provenance des autres régions, (région de Saint Louis, Kolda, Ziguinchor...) et d'autres pays d'Afrique de l'Ouest (Guinée, Mali, Gambie, Sierra Leone, Nigeria...) Cette situation à la base de la concentration excessive dans cet espace réduit de la population est source de nuisances, de

    tensions diverses, et surtout d'une inflation galopante des prix du foncier.

    Carte 3 : Flux migratoires au Sénégal: la région dakaroise,

    destination principale des migrants

    Source : Atlas du Sénégal, les éditions JA, Paris, 2000.

    En plus de l'apport de populations et des échanges économiques les autres régions entretiennent de fortes relations avec Dakar, relatives à la présence de l'administration centrale (siège de tous les Ministères et de la quasi totalité des Directions des Services déconcentrés de l'Etat, des Ambassades et des ONG, ...) à la fréquentation des équipements sociaux, sanitaires, scolaires et culturels. En effet, la ville de Dakar renferme les principaux hôpitaux, les Instituts de formation supérieure et les équipements culturels et de loisirs. En jouant le rôle de capitale régionale, Dakar polarise également sur le plan administratif les trois villes, deux Communes et deux Communautés Rurales de la région.

    Les enjeux globaux, sous régionaux et nationaux se répercutent forcément sur le local. Mais la presqu'île du Cap Vert, par sa configuration physique, hypothèque gravement le potentiel de croissance de la ville. La rareté des espaces habitables et de travail ont poussé la population à occuper les emprises de l'Aéroport, de la voirie et les réserves foncières d'équipements prévus par les divers documents d'urbanisme. Les industries étouffent dans la baie de Hann, et faute de place, le potentiel des investissements ne peut être réalisé. Enfin, pour les Sénégalais, l'achat d'une parcelle et la construction d'une maison constituent l'objectif d'une vie. Pour beaucoup, posséder une maison individuelle est un rêve qui ne peut prendre forme qu'à la périphérie de la ville. Des interactions entre échelles et des représentations mentales font donc peser des enjeux puissants sur l'espace péri-urbain.

    Conclusion : Une pression urbaine nécessairement orientée vers Diamniadio

    La résolution de l'équation posée par les contraintes énoncées aboutit à un déplacement du front urbain vers l'Est ; et par sa situation, Diamniadio est particulièrement intéressante. Située à l'extrémité orientale de la région de Dakar, elle est à la croisée des deux routes nationales. C'est aussi le point de passage obligé pour accéder à l'ensemble du territoire. Cette commune est également située entre les villes de Dakar et Thiès, qui

    focalisent 75% de l'activité économique du pays.

    Carte 4. Schéma de la situation de Diamniadio : un croisement stratégique.

    Presqu'île du Cap Vert

    Réalisation : V. Mendret

    Source : fond de carte du Departement of peacekeeping operation, United Nations

    Sur la presqu'île du Cap Vert, l'espace devient donc le signe d'une crise de croissance

    de la ville. En imposant des contraintes de plus en plus aigues à une société mal préparée à la forte concentration humaine, il révèle des tensions multiples. Dans cette perspective, la commune de Diamniadio n'est pas considérée autrement que comme un exutoire commode pour résorber les tensions qui agitent la capitale.

    2 Diamniadio, "territoire de projet" : un "territoire" pour qui ?

    Par sa situation stratégique, Diamniadio, commune récente de 30 000 hectares pour

    11 500 habitants, fait l'objet de convoitises d'acteurs multiples. Depuis 1997, les demandes de parcelles par des particuliers auprès de la mairie ont été supérieures à 20 000 mais seules

    12 000 ont pu être enregistrées. Leurs frais de bornage ont déjà été encaissés par la Mairie. Mais l'Etat, en immatriculant à son nom les terres du Domaine National de la commune, met dans une situation critique ces lotissements octroyés avant 2001 : les investisseurs américains, chinois, et sénégalais ont besoin d'une emprise foncière sécurisée, qui pourrait se surimposer

    aux lotissements octroyés par la commune.

    Ces investissements, tout en accroissant considérément les convoitises sur les terres

    de Diamniadio, risquent eux-mêmes d'être compromis par des appropriations précoces de l'espace par d'autres acteurs urbains. Afin de faire respecter ses plans d'aménagement, l'Etat

    n'a d'autres solutions que d'opérer des alliances avec les réseaux politiques locaux

    Mais tout d'abord, le choix de commencer par Diamniadio à 37 km de Dakar, pour commencer un programme de villes nouvelles, est à discuter. L'influence de Dakar, loin d'être contrebalancée, risque de déséquilibrer encore plus la hiérarchie urbaine sénégalaise.

    Le Président Wade ne cherche-t il pas à poser son empreinte sur le territoire à l'aide d'une politique de grands projets, dont Diamniadio est l'une des facettes ? La difficulté de l'analyse sera de penser l'occupation de l'espace autrement qu'à travers une matrice spatio-temporelle produite et imposée par l'Etat : il s'agira de ne pas sous-estimer l'importance des acteurs privés en eux-mêmes, dans leurs logiques propres, et d'analyser la part d'interpénétration des secteurs étatiques, populaires, et industriels.

    A) Le projet de ville de Diamniadio, un projet à la Wade ?

    Après l'indépendance, enracinée dans la tradition politique française, l'élite politique sénégalaise a estimé que le modèle démocratique jacobin était le plus adapté à la construction d'une nouvelle nation. Rupture, en 2000 qui met fin à 40 ans de pouvoir du Parti Socialiste.

    En effet, le 21 mars 2000, les électeurs sénégalais ont votés à plus de 58% en faveur d'Abdoulaye Wade, assurant une victoire décisive à l'alternance politique. Mais aussi continuité, car M. Wade et ses collègues de plus de 50 ans ont tous été formés en France dans

    le culte de l'Etat jacobin fort et centralisateur. Après 25 années d'attente pour cette prise de pouvoir, le chef de l'Etat semble être pris d'une fièvre bâtisseuse sans précédent, pour mettre

    sur pied d'ambitieux projets :

    Une nouvelle capitale doit être implantée à Mékhé-Pékesse, dans le département de

    Kébémer. Elle couvrirait une superficie de 5000 ha et accueillerait une population d'environ

    200.000 habitants. Cette population pourrait augmenter d'un million avec l'aménagement de

    20.000ha. Un nouvel aéroport international devrait être construite à Ndiass (à 45 kilomètres

    de Dakar, ans la région de Thiès) : il serait édifié dans une emprise de 1800 ha à 2000 ha contre 800 actuellement. Avec une capacité initiale d'accueil de 3 millions de passagers extensible à 5 millions, il pourrait traiter 80.000 mouvements d'avion par an contre 33.000

    actuellement. Un nouveau port doit être mis en place à Bargny.

    La construction de ce port minéralier se fera à travers une jetée "off shore" de 4400

    mètres et disposant, entre autres installations, de desserte terrestre et ferroviaire, de stockage

    et de traitement de marchandises, qui permettrait le chargement de navires de 170.000 tonnes avec un tirant d'eau de 21 mètres. Une autoroute à péage entre Dakar et Thiès devrait être construite. Enfin, un projet de villes nouvelles secondaires, qui pourrait enfin contre balancer la macrocéphalie dakaroise et favoriser une meilleure répartition des villes, a été proposé par M. Abdoulaye Wade.

    Cette boulimie de projets ne semble pas s'accompagner de financements à la hauteur

    des ambitions du Président : le gouvernement compte sur les bailleurs de fonds internationaux pour boucler les budgets mais ces derniers n'ont pas une confiance suffisante dans l'économie sénégalaise. L'objectif d'une croissance durable de 8% par an affiché par Wade leur semble trop ambitieux. De plus, les projets de l'Etat souffrent d'un déficit d'image auprès des bailleurs vis-à-vis des déguerpissements qui seraient provoqués. A bien des égards la politique de grands projets semble plus proche d'une logique électorale, que d'une réalité fondée sur des financements, et un calendrier concret. Cependant, le projet de ville de Diamniadio semble plus enclin que les autres à attirer la convoitise d'investisseurs nationaux

    et internationaux...

    B) Le projet des villes secondaires : quel intérêt de commencer par Diamniadio ?

    A l'origine, c'est le président de la République Maître Abdoulaye Wade qui a demandé au ministère de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire une nouvelle politique

    qui promouvrait des villes secondaires stratégiques. Selon le ministère, celle-ci doit viser, par

    « l'harmonie et la cohérence dans l'occupation et l'utilisation de l'espace national et de ses ressources, un développement local généralisé, harmonieux et durable pour l'ensemble du pays ». En effet, ce développement des villes secondaires pourrait contre balancer la macrocéphalie de Dakar sur le territoire sénégalais.

    Pour le gouvernement, la promotion de ces villes a des objectifs tels que :

    - Favoriser une meilleure répartition des villes sur le territoire

    - Créer les conditions d'une meilleure valorisation des activités rurales

    - Préparer les villes frontalières à jouer un rôle de premier plan dans l'intégration sous régionale.

    Commencer par Diamniadio, dans le projet de villes secondaires, semble bien

    incongru à première vue.

    Cette commune est un territoire déjà très convoité, qui, par son développement à

    37km de la capitale, risque plus d'accroître la macrocéphalie dakaroise que de favoriser une répartition homogène de la population sur le territoire. Mais c'est à Diamniadio que les investisseurs sont le plus facilement mobilisables. En effet, à un moment où le Président Wade cherche désespérément de l'argent pour financer ses grands travaux, le projet de Diamniadio a été retenu par un programme d'investissement américain. Incapable de trouver

    par lui-même des crédits pour l'investissement, l'Etat doit donc recourir à des financements extérieurs, au risque de devoir composer avec des optiques différentes des siennes.

    Le projet consiste en la création d'une plate forme multidimensionnelle et en l'amélioration des dessertes routières entre la plateforme et les pôles économiques du pays. Le coût est estimé à 696 millions de dollars, et 548 millions de dollars sont attendus du Millenium Challenge Account (MCA). Le MCA est donc une véritable aubaine pour le chef

    de l'Etat sénégalais, qui peut enfin affirmer son autorité à travers un grand projet. Il s'agit d'un programme de financement mis en place par le président des Etats-Unis Georges Bush, afin de « primer les pays qui se sont distingués par la qualité de leur système de gouvernance politique et économique, et la cohérence de leur programme de lutte contre la corruption ».

    Le but final annoncé par le bailleur de fonds providentiel est d'accélérer la croissance en vue

    de réduire la pauvreté.

    L'intérêt des acteurs industriels pour le site de Diamniadio crédibilise lui aussi le choix de commencer par Diamniadio dans le projet de ville secondaires. Ceux-ci sont très intéressés par la plate forme multi dimensionnelle, pour deux principales raisons : Dakar pourra être joint en seulement 30 minutes par le rail, et la concurrence pour l'espace dans la capitale est trop forte pour permettre l'implantation de nouvelles industries. Parmi ces acteurs industriels, le Port autonome de Dakar connaît d'importants problèmes d'encombrement et convoite un terrain à Diamniadio, qui devrait servir de zone de stockage tampon entre le Port

    de Dakar et son hinterland. La Société des Industries de Dakar (SODIDA) réserve, elle aussi,

    un terrain de 50 hectares pour créer une cité industrielle de 600 bâtiments préfabriqués bénéficiant de la proximité de la capitale. Le transfert à Diamniadio des industries de la baie

    de Hann, très polluantes permettrait d'accroître le potentiel touristique de la baie...

    Tableau 2 : Des financements obéissant à une logique internationale. (Données en dollars américains)

    Volet

    Total

    Disponible

    MCA (Etats-Unis) Fonds en attente

    Etat

    Fonds

    Kowétien

    Autres bailleurs (Sénégalais, Taiwanais, Malaisiens...)

    Sous total

    Plateforme

    223 048 327

    -

    -

    -

    -

    223 048 327

    Mobilité et liaisons interurbaines

    472 862 454

    26 951 673

    63 197 026

    58 550 186

    148 698 885

    324 163 569

    Total général

    695 910 781

    26 951 673

    63 197 026

    58 550 186

    148 698 885

    547 211 896

    Source : Ministère de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, 2004

    C) Le face à face entre acteurs locaux et aménageurs : entre conflits et jeux d'alliances, des légitimités très relatives face à la montée des enjeux.

    La situation rencontrée s'apparente à une partie d'échec : face à la montée des enjeux apportés par le projet de ville de Diamniadio et le MCA, les différents groupes locaux politiques, ethniques, familiaux, confrériques ou associatifs développent une stratégie qui dépend de leur marge de manoeuvre.

    Avant tout, la répartition ethnique du conseil municipal reflète le pouvoir des dignitaires autochtones Lébous, qui détiennent les postes-clé, tout comme à l'époque de la communauté rurale de Yène, dont Diamnadio dépendait avant 2001. Les Lébous sont les plus anciens occupant du territoire d'étude, et se considèrent comme les véritables autochtones,

    vis-à-vis des « étrangers » arrivés après eux. Une filière officielle d'acquisition de parcelles avait été mise en place en 1997 : un lotissement de 12 000 parcelles avait été autorisé, mais depuis, près de 20 000 demandes ont été reçues. La commission d'attribution des parcelles pilotée par l'ancienne communauté rurale exigeait pour les célibataires le versement de la somme de 31 000 F CFA et de 33 000 F CFA pour les personnes mariées. Mais, la commune

    de Diamniadio craint de devoir reverser cet argent aux demandeurs de parcelles. La plate forme multimodale, par sa forte consommation d'espace remet en cause la politique de lotissement héritée de l'ancienne communauté rurale de Yène. De plus, cette filière d'acquisition est contestée par des autochtones, qui ont arrachées les bornes qui servaient au lotissement pour ne pas céder leur champ. Le comité de pilotage d'attribution des parcelles

    n'arrive donc pas à maîtriser l'emprise foncière et l'attribution des lots octroyés.

    Une filière parallèle d'attribution des parcelles semble avoir été mise en place, ce qui montre que la légitimité de l'autorité municipale est toute relative vis-à-vis de la forte pression foncière. Dès l'époque de la communauté rurale de Yène, certains conseillers ruraux Lébous avait mis en place des commissions parallèles ne se contentant pas de recueillir des demandes de bornages, mais vendant des terrains de manière illégale, en profitant de leur situation pour gagner de l'argent.

    A ce jour, le problème d'appropriation de l'espace de manière informelle a atteint une telle ampleur que les américains du MCA ont demandé au gouvernement du Sénégal de résoudre de manière précise le problème avant même de débloquer les fonds. Les réseaux locaux informels pèsent donc dans un processus de décision mettant à la fois en jeu des bailleurs de fonds internationaux et le plus haut niveau de l'Etat sénégalais.

    Mais tous les acteurs locaux ne sont pas sur un pied d'égalité, et certains craignent de rester à l'écart des nouveaux enjeux. Par exemple, les jeunes, nouveaux venus dans l'arène politique locale, subissent de plein fouet la forte spéculation foncière. Ceux-ci contestent de plus en ouvertement les pratiques foncières des notables. La création du Mouvement des jeunes pour la défense des intérêts de Diamnadio révèle la prise de conscience de cette catégorie sociale face à la montée de la tension foncière et en même temps traduit une profonde volonté de s'émanciper de la tutelle des anciens. Ces jeunes, en organisant un climat

    de tensions ont conduit les autorités à suspendre le programme d'octroi des parcelles, alors même que de nombreuses personnes, dont des commerçants, avaient déjà reçu des parcelles

    sur la base des délibérations de l'ancien conseil rural.

    Diamnadio est également marqué par une logique d'accaparement foncier d'une confrérie soufie. Déjà détenteur de plusieurs titres de propriété sur le site, notamment au niveau du lieu le plus stratégique, le croisement des routes de Thiès et de Mbour, l'actuel khalife des Tidjanes a profité du projet de lotissement lancé par l'ancienne communauté rurale pour parrainer une demande de 100 parcelles pour le compte de ses talibés (disciples).

    Face aux pouvoirs publics, les acteurs ne semblent donc pas avoir la même marge de manoeuvre. Les réseaux ethniques, confrériques, familiaux et politiques semblent être efficaces pour accéder au foncier. Mais on peut dès lors tracer une frontière entre ceux qui ont accès à un réseau et ceux qui en sont exclus. Par exemple, les agro éleveurs Peuls sont absents

    des réseaux politiques et associatifs, et deviennent les véritables parias de ce territoire en formation. Par contre Lébous et Séreres ont un accès aisé aux informations issues de la

    mairie.

    Cette multitude d'acteurs sur un territoire restreint et l'importance de la pression foncière hypothèquent les projets de l'Etat sur la commune. Le projet est tardif par rapport à l'anticipation urbaine dont la commune a fait l'objet. C'est pourquoi les institutions étatiques, manquant cruellement de légitimité nécessaires à débloquer les fonds internationaux, cherchent de nouveaux alliés. En créant un processus de concertation incluant les élus locaux

    et des membres de l'équipe municipale, en permettant à ceux-ci de formuler des doléances concernant le déroulement du projet, l'Etat s'octroie de nouvelles alliances, bien qu' à contre courant des sensibilités politiques.

    Les groupes de travail ont été formés à la fois des représentants des collectivités territoriales, de groupes industriels, et de différents ministères (Aménagement du Territoire, équipement, environnement, agriculture et élevage). Ils ont abouti à la création d'un Plan d'Urbanisme de Détail (PUD) de Diamniadio.

    D) Le Plan d'Urbanisme de Détail d'une ville exutoire ? (Voir la carte en annexe)

    Les processus de concertation engagés entre les niveaux politiques locaux et ministériels cachent mal la surimposition du projet étatique sur le bâti préexistant, sauf sur les habitations des premiers arrivants, qui sont remarquablement peu remises en cause. A contrario, certains groupements Peuls présents depuis plus de 40 ans n'apparaissent pas sur le plan : cela montre une volonté manifeste de mise à l'écart de ces populations par les autorités politiques locales.

    D'après les rapports des groupes de travail élaborés en collaboration avec différents ministères, les membres des collectivités locales ont réussi à peser quelque peu sur le processus décisionnel. Le maire a obtenu le détournement du tracé de l'autoroute, qui devait passer sur le tissu urbain. Un périmètre de sécurité devrait être conservé le long des industries,

    à la demande des conseillers municipaux, pour éviter la situation de la baie de Hann, où les habitants sont exposés à des risques industriels.

    Ainsi, Diamniadio est bien destinée à devenir une ville industrielle : la surface octroyée à ces activités est la plus importante, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, les surfaces sont affectées à des industries qui, faute de place, ne peuvent plus être implantées à Dakar. Ensuite, des activités considérées trop polluantes, et comportant des risques pour les habitants seront transférés de Dakar à Diamniadio. La grande zone industrielle de 130

    hectares située au Nord accueillerait des industries polluantes et dangereuses.

    Le domaine industriel situé entre la RN1 et la voie ferrée est destiné à recevoir des industries moins polluantes, sur 30 hectares. Le foirail et les abattoirs, localisés au nord de la voie ferrée, et reliés à la RN 2 par la route de Ponty, couvriraient une superficie de 27 hectares.

    D'après le rapport du groupe chargé de réfléchir sur le cadre de vie et l'environnement, des espaces plantés sont prévus sous forme de bandes de petits jardins et squares dans les centres de quartiers. Ce type d'équipement devrait couvrir une superficie de

    30 hectares. Mais dans la réalité, on s'aperçoit que ces espaces sont des drains permettant l'écoulement des eaux de pluie, le sol argilo marneux favorisant le ruissellement. Ils devraient être utilisés pour l'évacuation des eaux usées industrielles.

    La fonction commerciale de Diamniadio est fortement dépendante d'activités spatiovores, comme le stockage de produits agricoles et manufacturés. Le marché d'intérêt national et les entrepôts (sur 23 hectares) seront situés à l'entrée de la ville, tout comme la gare de gros porteurs (13 hectares). Comme rapporté précédemment, le Port Autonome de Dakar sollicite la mise à disposition d'un terrain à Diamniadio qui devrait servir de zone tampon entre le Port de Dakar et son hinterland, pour des activités destinées à participer à la résolution des problèmes d'encombrement et d'engorgement relevés à Dakar.

    Concernant la fonction résidentielle de Diamniadio, le PUD ne rend pas compte des stratégies des acteurs privés pour s'approprier l'espace. Sur le terrain, les alentours des quartiers sont entourés de nombreuses parcelles aux contours matérialisés par des blocs de ciment aggloméré, qui appartiennent à des Dakarois aisés. Etrangement, ces espaces sont notés comme zones agricoles sur la carte, comme si l'Etat voulait donner l'impression d'être

    le seul maître de la terre. Diamniadio deviendra t-elle une ville dortoir ?

    L'appropriation de l'espace par la classe moyenne dakaroise, et les investissements en infrastructure de transports abondent en ce sens : la construction de l'autoroute Dakar Thiès garantira un accès rapide à la capitale. Trois axes supplémentaires devraient être aménagés afin de contribuer au désenclavement de la capitale : le prolongement de la VDN entre le golf- club de Guédiawaye et Diamniadio, l'aménagement en deux fois deux voies de la route des Niayes-Pikine, et l'aménagement en deux fois deux voies de la route de Rufisque. Tout est

    fait pour pouvoir habiter à Diamniadio tout en travaillant à Dakar.

    Le plan d'urbanisme prévoit une bibliothèque, un centre social, une salle des fêtes pour l'ensemble de la commune. Mais il ne dégage pas de réelle centralité. Les quartiers

    actuels comportant les premières implantations Lébous joueront-ils un rôle de centre urbain ?

    Les activités de service qui s'y implantent progressivement pourraient être le signe d'une centralité future, non planifiée, qui profiterait de la proximité du carrefour.

    Sur le plan, l'autoroute passe en partie sur le tissu urbain préexistant. Il y a bien une volonté de surimposition du projet sur la trame urbaine d'origine : les habitations locales semblent être une gêne, dont les aménageurs doivent s'accommoder, à regret.

    Les conditions de relogement de personnes déguerpies feront l'objet de tractations dans lesquelles les habitants joueront également de leurs réseaux politiques, ethniques et confrériques. Le plan de l'Etat, en faisant une petite part aux acteurs locaux, oublie la faculté

    des habitants à se regrouper pour entreprendre, protester et obtenir. Certaines catégories sociales comme les jeunes ont déjà démontré leur faculté d'association. Des réseaux peuvent agir et mettre à mal ce projet ambitieux. Ces acteurs jouent sur différents plans : la proximité

    des travaux puis des usines est pourvoyeuse d'emploi salarié pour les autochtones. Mais il va falloir lutter contre un projet néfaste pour le cadre de vie et l'habitat, et adopter une position ambivalente, proche de l'entre deux.

    A ce niveau, on peut avancer sans prendre de risques que le projet ne sera pas suivi des réalisations annoncées. En effet, les études de faisabilité sont en cours, sans que les budgets soient établis définitivement. Dans ce contexte de pénurie d'espace, quelles sont les chances

    de réalisation d'une piscine olympique, ou d'un hippodrome national, comme mentionné sur

    le plan ?

    Conclusion : le pouvoir local est dépassé par un Etat au service des investisseurs privés, mais le problème d'appropriation précoce de l'espace par les acteurs locaux reste entier.

    Suite à cette analyse, il apparaît que Diamniadio connaît une évolution guidée par la nécessité d'avoir un exutoire pour Dakar, et non par une volonté de créer une vraie ville nouvelle. Dans une telle perspective, Diamniadio sera un lieu de décompression des nuisances

    de la capitale (pollution, spéculation et forte pression foncière) guidé par des impératifs urbains et permettant à celle-ci d'accroître son poids sur le territoire.

    Les nouveaux arrivés à Diamniadio transformeront la commune en ville dortoir. Tout

    en conservant leur emploi, ces habitants devraient profiter d'une meilleure accessibilité suite

    au prolongement de la VDN et la construction de l'autoroute Dakar Thiès. Cette ville ne sera-

    t-elle donc qu'une banlieue de plus dans l'histoire de la capitale ?

    L'apparente satisfaction des acteurs politiques locaux, (« on voulait une nouvelle ville, mais l'Etat s'en charge à notre place ! », « les industries seront sources d'emplois pour nos jeunes et de taxes professionnelles pour notre commune») cache mal le dépassement d'acteurs dépossédés de leur maîtrise des terres par un Etat accapareur (qualifié de « rapace » par d'autres interlocuteurs!). La logique étatique et présidentielle s'inscrit, elle, au sein d'une demande urbaine puissante, bien antérieure au projet de ville. Mais en jonglant avec les modes qui agitent les bailleurs de fonds, l'Etat devient le serviteur des grands acteurs économiques qui étouffent dans la capitale, et pour lesquels Diamniadio est une réponse locale d'enjeux s'inscrivant en dehors du seul cadre national. Cependant, les bailleurs de fonds américains ne sont pas dupes du processus de concertation inégal qui a été engagé : ils posent à nouveau le problème de l'appropriation du projet par les populations locales comme condition sine qua non du déblocage des fonds. L'Etat sénégalais devrait revoir a nouveau sa copie, afin de réaliser son très ambitieux projet.

    Tableau 3 : Des grands chantiers en gestation : état des lieux en juin 2005.

    Projets

    Etat

    Superficie

    (ha)

    Emplacement

    Université du Futur Africain

    Démarrage des

    Constructions

    300

    Entre l'ex Bud-Sénégal et le quartier de Déni Malick Guèye

    APROSI (Sodida/ Parc

    Sénégalo-Chinois)

    Démarrage des installations

    50

    Derrière le quartier de

    Déni Ndiarkhathie

    Marché d'intérêt national

    (MIN)

    Non encore démarré

    52

     

    Zone Artisanale

    Terrassement du terrain

    20

    Entre la Nationale I et le quartier de Dougar

    2 Gares de stationnement de gros porteurs

    Projet non encore démarré

    40

     

    Zone industrielle

    Projet non encore démarré

    180

     

    Zone d'aménagement concertée

    Zone en cours de délimitation

    2 500

     

    Source : Diagnostic participatif, Commune de Diamniadio, 2003

    3 Le cadre législatif et réglementaire de la croissance urbaine

    Depuis l'indépendance, l'Etat sénégalais tend de plus en plus à réglementer et à diriger l'occupation de l'espace, qu'il soit rural ou urbain. On peut affirmer cependant que le droit ne

    fait pas la ville : l'extension de Dakar continue de s'opérer mais sans toujours obéir à la norme juridique, occupant souvent les emprises d'infrastructures en projet. Il a aussi été montré que les bailleurs de fonds cherchent une légitimité autre que celle apportée uniquement par l'Etat.

    Dans un premier lieu, nous verrons que les législateurs ont eu une propension affirmée

    à puiser leur inspiration dans des règles en vigueur en Europe, où ces instruments visent à développer la concertation et la participation des habitants des communes aux choix d'urbanisme. Puis il faudra signaler la refonte du droit de la domanialité publique, dans un sens qui se veut assez proche de la tradition africaine. Telle est l'originalité de la législation relative au domaine national. A l'origine, cette législation intéresse plus l'aménagement du territoire rural que l'aménagement des villes, mais elle permet le lancement d'agglomérations nouvelles, telles Diamniadio. En effet, si les collectivités locales font autorité pour la gestion

    du domaine national en zone rurale, l'Etat s'arroge les compétences foncières des communes urbaines. L'Etat peut-il faire la ville ? La question peut étonner, après s'être attaché à montrer que la pression foncière était la conséquence d'interactions entre échelles, dépassant souvent

    le cadre national, et d'acteurs privés locaux bénéficiant de marges de manoeuvre. Mais à Diamniadio, à l'aide de ressources providentielles, l'Etat veut réaffirmer son autorité de seul maître de la terre. Quitte à appliquer la politique du bulldozer.

    A) Des instruments législatifs empruntés à la France mais inadaptés à une pression urbaine aigue.

    L'énumération de quelques outils d'urbanisme souligne que dès l'origine, l'Etat

    sénégalais a intervenu massivement dans la production et la gestion urbaine, et de manière particulièrement marquée dans la région du Cap Vert. Mais il ne faut pas perdre de vue que

    ces outils traduisent une mauvaise appréhension du phénomène urbain. En effet, ceux-ci sont dépassés par l'ampleur de la croissance urbaine, et ne permettent pas une planification locale

    des équipements, des réseaux et des réserves foncières à la mesure du développement que connaît la capitale. Les restructurations urbaines, les déguerpissements ont été des réponses apportées a posteriori par l'Etat sénégalais à ses propres carences en matière de planification

    urbaine.

    Le Code de l'Urbanisme fait l'objet d'une loi et comprend une partie législative et une partie réglementaire. La partie législative traite des conditions d'élaboration et d'approbation des plans cadres d'urbanisme ; quant à la partie réglementaire, elle traite essentiellement des aspects liés aux autorisations de lotir, et du contrôle des constructions. Ce code se base sur quelques outils d'aménagement calqués sur le droit français. Ce sont le Plan Directeur d'Urbanisme (PDU), la Zone d'Aménagement Concerté (ZAC), le Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (SDAU), et enfin le lotissement.

    Les plans directeurs d'urbanisme (PDU) sont élaborés par la Direction de l'Urbanisme et de l'Aménagement (DUA) du ministère de l'urbanisme. Sa vocation principale est de permettre aux services de l'Etat de gérer avec une plus grande précision l'attribution et l'utilisation du sol urbain qui échappe donc aux autorités locales, qui, dans les textes sont associées à l'élaboration du PDU. La part d'association de celles-ci dépend cependant de la qualification de leur personnel, et elle fait souvent défaut. Mais, faute d'une mise à jour régulière, les investissements programmés et non réalisés par manque de moyens sont reportés d'une année à l'autre, quelle qu'ait pu être l'évolution de la ville concernée. Ces PDU fixent les orientations générales et indiquent les éléments essentiels de l'aménagement urbain dans le cadre du plan national d'aménagement du territoire. Ils comportent :

    - la répartition et l'orientation du sol en zones suivant les affectations ;

    - le tracé de toutes les voies de circulation ;

    - l'organisation générale des transports ;

    - les emplacements réservés aux activités ;

    - les installations classées et d'intérêt général ou à usage public ;

    - éventuellement les éléments de programmation et de coût des équipements publics et d'infrastructures ;

    - les schémas directeurs des réseaux.

    Les plans d'urbanisme de détails (PUD) reprennent à plus grande échelle les dispositions d'aménagement d'une zone ou des parties des plans directeurs et schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme. Ils doivent préciser et compléter ces dispositions

    en fonction des spécificités de chaque secteur concerné, notamment la délimitation des zones d'affectation en considération de la nature des sols. Les plans d'urbanisme de détails

    comportent un règlement qui fixe les servitudes relatives à l'utilisation du sol.

    Les Zones d'Aménagement Concerté ont pour objet l'aménagement et l'équipement

    de terrains, notamment en vue de la réalisations d'infrastructures et d'équipements collectifs publics ou privés, de construction à usage d'habitation, de parcelles d'habitation viabilisées,

    de commerce, d'industrie ou de service. Les ZAC doivent permettre de coordonner ces investissements, dans des zones stratégiques où la pression foncière est particulièrement forte.

    Le premier projet a été la ZAC de Mbao Gare (environ 650 hectares) située à l'entrée

    de Rufisque, le long des axes principaux de transport (route nationale et chemin de fer), où de nombreux promoteurs et coopératives d'habitat se sont procurés des terrains.

    L'opération jugée très intéressante à été étendue à grande échelle avec la création de

    six autres zones d'Aménagement concerté, dont cinq concernent les villes de l'intérieur (Thiès, Louga, Kaolack, Saint-Louis, Richard-Toll), et une à Diamniadio, avec cette fois ci une place importante accordée aux collectivités locales dans la mise en oeuvre. L'aménagement des 5 premières zones d'aménagement concerté fournira 500 hectares aménagés avec 100 hectares par ville.

    Par contre, la ZAC de Dakar / Diamniadio concernera l'organisation et l'aménagement

    de 2500 ha, avec une première tranche de 1250 ha, pour offrir des terrains pour l'habitat, l'industrie, l'artisanat et le commerce. Afin de regrouper toutes les collectivités locales intéressées par ce projet, les élus ont demandés la création d'un groupement mixte, tel que décrit dans le code des collectivités locales.

    Les schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme (SDAU) fixent les orientations fondamentales de l'aménagement des territoires concernés, compte tenu des relations entre ces territoires et les régions avoisinantes et de l'équilibre qu'il convient de préserver entre l'extension des agglomérations, l'exercice des activités agricoles, des autres activités industrielles, économiques et la préservation des sites naturels.

    Les schémas directeurs prennent en compte les programmes de l'Etat, des collectivités locales, des établissements et services publics et privés. Ils déterminent la destination générale

    des sols, la nature et le tracé des grands équipements d'infrastructures en particulier de transport, la localisation des activités les plus importantes, ainsi que les zones préférentielles d'extension ou de rénovation. Le SDAU s'applique à une commune, à une communauté

    rurale, à un ensemble de communes ou des communautés rurales.

    Les lotissements semblent considérés, et ce depuis l'ère coloniale, comme le mode d'aménagement unique de la ville africaine. Tout le centre de Dakar est marqué par cet urbanisme colonial en damier. Sa création, coûteuse, relève de plusieurs étapes. Après l'obtention de l'immatriculation des terrains, première étape qui peut durer longtemps, un géomètre quadrille, borne et lotit, en établissant un plan masse et un règlement de lotissement.

    La vente ne peut s'effectuer qu'après approbation officielle : les lots peuvent être alors titrés

    et entrer dans la filière légale de construction. Ce type de lotissement est la plupart du temps occupé par les couches sociales moyennes ou supérieures, proches de l'administration et mieux informées des démarches à suivre et capables de supporter le coût des titres fonciers et

    des travaux demandés.

    Comme mentionné précédemment, les 12 000 lots enregistrés par l'ancienne communauté rurale de Yène sont remis en cause par la ZAC de Diamniadio, l'enjeu des communes étant de pouvoir honorer les demandes déjà perçues.

    La réalisation de ces SDAU, PDU, PUD, ZAC et lotissements, en raison des lenteurs des procédures administratives, du manque de moyens, prend souvent beaucoup de retard. Aussi ces plans sont très vite dépassés par des extensions urbaines incontrôlées et irrégulières, qui hypothèquent souvent la réalisation de certains grands équipements d'infrastructures prévus (autoroute Dakar-Thiés, voie de dégagement Nord etc.) et/ou engendrent des coûts hors prévisions pour leur réalisation.

    Afin de pallier ces occupations spontanées de l'espace, l'Etat utilise deux pratiques

    urbanistiques, qui ne s'appliquent pas à des cas précis ; leur application varie en fonction des options politiques : on veut récupérer le terrain (déguerpissement) ou on veut régulariser la situation de personnes qui ont peu de droits ou pas du tout (restructuration urbaine).

    La restructuration urbaine consiste en une opération d'aménagement des zones non loties, vétustes ou insalubres caractérisées par une occupation anarchique de l'espace avec notamment des parcelles enclavées ou mal desservies, et un manque d'équipements collectifs.

    Il s'agit d'asseoir une utilisation et une organisation plus rationnelle de l'espace, d'améliorer

    le cadre de vie et de régulariser la situation foncière des ayants droit, conformément à un plan

    de restructuration conçue avec la participation des populations concernées.

    La procédure consiste à immatriculer au nom de l'Etat tous les terrains occupés illégalement, pour permettre ensuite la production de titres fonciers. Côté restructuration, il s'agit de libérer des emprises pour une voirie minimale, de raccorder le quartier aux réseaux d'électricité et d'eau, en associant les habitants au remodelage de leur quartier, en dégageant

    les zones habitables occupées illégalement.

    Un phénomène de spéculation peut se développer dans les quartiers visés, parvenant à contourner les règlements pour tirer un profit financier de l'opération. A Diamniadio, cette opération sera-t-elle récupérée par les populations solvables et des dakarois aisés ?

    Les déguerpissements concernent certaines personnes qui se sont installées en dehors

    des lotissements, mais ont acheté leur terrain aux propriétaires coutumiers Lébous. Pour la plupart, ils ont assuré eux même la construction de leur maison. Lorsque ces installations sont

    sur l'emprise de projets d'aménagements, l'Etat procède à leur déguerpissement, effectué manu militari. Le projet de Diamniadio prévoit la destruction d'habitations, et des expulsions s'apparentant à des déguerpissements ont déjà eu lieu (sur l'emprise de la Sodida2). A Dakar,

    la procédure de déguerpissement ne constitue pas en soi une politique urbaine mais est présentée comme la conséquence de l'offre insuffisante en logements qui provoque l'urbanisation illégale et souvent anarchique des espaces libres. Cette situation est aggravée

    par la promulgation de la loi sur le domaine national de 1964.

    B) Le droit domanial sénégalais, une inspiration africaine

    Le Sénégal a adopté en 1964 une loi sur le domaine national (loi 64-46 du 16 juin

    1964). En milieu rural, la nouvelle législation a supprimé les droits fonciers coutumiers des lignages et des familles. La loi stipule en effet (art. 1er ) que «toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées et dont la propriété n'a pas été transcrite à la Conservation des hypothèques, constituent de plein droit le domaine national». La quasi totalité du sol, 95 % environ, a été érigée en domaine national par la loi 64-46 du 17 juin

    1964.

    Le principal inspirateur de la loi 64-46 du 17 Juin 1964 relative au domaine national,

    le Président Senghor, parlant de la loi disait «... il s'agit très simplement de revenir du droit romain au droit négro-africain, de la conception bourgeoise de la propriété foncière à la conception socialiste qui est celle de l'Afrique noire traditionnelle ». Le but recherché par le législateur de 1964 est essentiellement de libérer le paysan sénégalais de la main mise « des maîtres de terres », et sans se substituer à l'Etat colonial, de lui assurer un accès gratuit à la terre et de le sécuriser tant que le paysan en assure la mise en valeur. Ainsi l'occupant du domaine national affectataire d'une terre dispose d'un « droit d'usage » qui lui permet d'exploiter la terre, en théorie, avec stabilité et sécurité. Bien que le droit d'usage ne donne

    pas droit sur le sol, la situation de l'affectataire d'une dépendance du domaine national n'en

    est donc pas incertaine ou fragile en zone rurale. L'éviction de l'occupant ne peut intervenir

    que pour cause d'utilité publique ou d'intérêt général légalement déclarée, après indemnisation pour les investissements réalisés, ou en guise de sanction.

    Toutefois, le droit de requérir l'immatriculation a été reconnu aux occupants du domaine national qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi, avaient réalisé «une mise en valeur à caractère permanent» des terres. Une telle mise en valeur devait faire l'objet d'un constat attesté par une décision administrative, à la demande de l'intéressé dans un délai de 6 mois à compter de la date de publication du décret d'application de la loi. Les règles définies pour le constat positif d'une mise en valeur ont été conçues, plus en fonction des conditions d'exploitation des plantations ivoiriennes ou de périmètres hydro-agricoles, que des réalités de l'agriculture sénégalaise fondée sur le système des cultures sous pluie, c'est-à-dire seulement trois mois par an.

    C'est le cas à Diamniadio, où les cultures d'hivernage constituent la majorité de la surface. Par contre, dans la zone des Niayes (surtout sa partie Sud, entre Pikine et Bayakh), mais également des zones situées à la périphérie de certains centres urbains (Saint-Louis, Thiès, Ziguinchor) et des anciennes escales du fleuve Sénégal une mise en valeur pérenne est souvent réalisée. A Sébikhotane, une mise en valeur continue est observée au long de l'année grâce aux nombreuses plantations de papayers, manguiers et mandariniers.

    Du fait des employés expatriés et des populations autochtones les plus riches, on a assisté au développement à proximité des centres urbains de jardins maraîchers, de vergers et

    de «résidences de campagne» appartenant aux couches sociales privilégiées (agents de l'Etat, hommes d'affaires, commerçants libano syriens, notables etc.).

    Ces acteurs proches des centres de décision et souvent instruits ont pu appréhender sans difficultés les implications de la nouvelle législation ; ce qui les a conduit à prendre les dispositions nécessaires à la transcription de leurs droits fonciers. Cette situation explique l'existence dans certaines parties du pays, en particulier dans la commune rurale de Sangalkalm, de vastes domaines fonciers qui ont été mis en valeur et immatriculés au nom de leurs propriétaires. Ces derniers ont bénéficié de baux ou de titres fonciers et pour cette

    raison, leurs terres n'ont pas été intégrées au domaine national.

    Ces terres, qui en théorie ne peuvent être immatriculées qu'au nom de l'Etat, sont réparties en quatre catégories :

    i) les zones urbaines constituées par les terres du domaine national situées sur le territoire des communes et des groupements d'urbanisme prévus par la législation applicable en la matière ; ce sont des réserves foncières au profit de l'Etat.

    ii) les zones classées constituées par les zones à vocation forestière ou les zones de protection ayant fait l'objet d'un classement dans les conditions prévues par la législation particulière qui leur est applicable ;

    iii) la zone des terroirs qui correspond aux terres régulièrement exploitées pour l'habitat rural, la culture ou l'élevage et dont la gestion est confiée aux communautés rurales ;

    iv) les zones pionnières qui correspondent aux autres terres.

    En dehors du domaine public et des domaines privés de l'Etat et des particuliers,

    les terres agricoles dans la zone des Niayes relèvent de deux situations : les terres de terroirs et les terres agricoles situées dans les zones urbaines. Par contre, les terrains cultivés dans les communes de Sébikhotane et Diamniadio sont tous situés en zone urbaine, ce qui mérite de s'y intéresser de plus près.

    Le domaine national urbain, au risque de l'Etat et des acteurs privés.

    La loi 64-46 du 17 juin 1964 relative au domaine national classe dans une catégorie à part certaines dépendances de ce domaine situées en zones urbaines, qui sont considérées comme des réserves foncières au profit de l'Etat. Cependant, pour s'en servir l'Etat doit requérir l'immatriculation de ces terrains à son nom. Ainsi des opérations ponctuelles d'immatriculation de terrains du domaine national situés dans les centres urbains sont souvent réalisées. L'Etat mène de vastes opérations d'immatriculation de terrains du domaine national situés en zones urbaines pour les faire entrer dans le domaine de l'Etat en vue de la réalisation

    des plans d'urbanisme et d'aménagement. Immatriculer au nom de l'Etat les réserves foncières afin de les protéger contre les occupations sauvages est la condition sine qua non pour anticiper sur la création des quartiers irréguliers, qui pourra entraîner une insécurité de l'occupation foncière et immobilière. Mais la réalité montre que cette anticipation étatique est

    insuffisante au regard de la pression urbaine aigue qui caractérise ces espaces.

    Une indemnisation est prévue dans certains cas d'expropriation, mais elle est loin d'assurer la stabilité et la sécurité de l'occupation foncière en zone urbaine. L'indemnité est établie en tenant compte exclusivement de la valeur des constructions, aménagements, plantations et cultures existants, réalisés et utilisés par le titulaire du titre d'occupation, ce qui exclu les pâturages et les terres cultivées quelques mois par an. L'occupant d'une dépendance

    du domaine national, ou «le propriétaire coutumier» peut donc être tenté par la spéculation foncière, sa crainte étant d'être dépossédé un jour par l'Etat.

    Par ailleurs, d'anciens propriétaires coutumiers se sentant spoliés par la loi relative au domaine national ont tenté, individuellement ou en groupe, de s'opposer à l'application de loi particulièrement à Dakar. On peut rappeler que les Lébous, autochtones de la capitale sénégalaise avaient déjà une longue tradition de résistance à la main mise de l'administration coloniale sur les terres de leurs ancêtres, dont ils se considèrent comme les véritables propriétaires malgré les prétentions de l'Etat français. Les Lébous s'étaient à maintes occasions opposés à l'Etat français dans les procédures d'immatriculation sur les livres fonciers de terrains nécessaires à la réalisation de certains projets, tels que :

    - la construction de l'aéroport Dakar-Yoff en 1934 ;

    - l'installation du quartier de la Médina en 1935 ;

    - l'édification de l'Institut des Hautes Etudes de Dakar, aujourd'hui Université

    Cheikh Anta Diop (UCAD) en 1956.

    Cette même ethnie constitue une part importante des personnes qui ont été interrogées lors des enquêtes sur les communes de Sébikhotane et Diamniadio.

    Conclusion : Un futur possible, une ville à la situation foncière et sociale duale.

    D'une manière pratique, deux types de droits se complètent sur le territoire de Diamniadio pour permettre la création d'un grand plan d'investissement. La loi sur le Domaine National met à disposition de l'Etat l'espace nécessaire à la mise en place d'instruments législatifs calqués sur le droit français, qui permettent la production d'espaces attractifs pour favoriser les investissements. En effet, aux yeux des investisseurs, une bonne localisation ne vaut rien sans la sécurité foncière, et celle-ci exige l'élimination des droits des autochtones. Mais l'administration aura-t-elle les moyens techniques et intellectuels de suivre

    les orientations données par ces différents SDAU, PUD, et ZAC ?

    Par ailleurs, d'autres filières de production de l'urbain, parallèles, pourront aboutir à une coupure nette entre d'un coté la ville de l'Etat de droit, légale et bien équipée, et de

    l'autre une ville de fait, moins équipée, faite d'habitants peu solvables et moins encadrée par l'administration, comme cela a toujours été le cas à Dakar.

    Les déguerpissements vont s'accompagner d'une manne financière, qui devra être distribuée au cas par cas. C'est à ce moment que l'appartenance à des groupes ethniques, familiaux mais surtout politiques, fera varier énormément les sommes reçues. Le déploiement d'instruments législatifs et réglementaires, mêmes forts, fait donc l'objet d'un jeu entre les populations les mieux positionnées et l'administration. Celle-ci trouve en ces acteurs en même temps des adversaires et des collaborateurs conscients des enjeux qui pèsent sur l'espace et capables de composer avec la vision étatique de la ville.

    Conclusion : un espace rural à la porte de la ville.

    A Diamniadio, on a le paradoxe d'un droit d'inspiration négro africaine, où la notion même de propriété privée n'existe pas, qui sert après coup une logique économique libérale et mondialisée. Cette véritable invention de l'Etat répond à la demande croissante d'espace pour

    la capitale et se trouve en symbiose avec les modes qui agitent les principaux bailleurs de fonds. Cependant, la très forte spéculation foncière vient freiner, voire hypothéquer la réalisation du projet. Selon le diagnostic participatif effectué par une partie de la population et

    les élus en 2003, et à destination du ministère de l'Urbanisme et de l'Aménagement, la fonction dominante de cette collectivité locale reste l'élevage et l'agriculture. Il s'agit sans conteste d'une position ambivalente : se dire rural, c'est avant tout montrer un attachement certain à sa terre, pour pouvoir positionner la ville de Dakar (et surtout les acteurs urbains) en prédatrice d'espace. Car la frontière entre ville et espace rural est beaucoup plus floue. Si à toute première vue, la ville apparaît bien comme un lieu difficile d'accès pour des personnes issues du monde rural et qui peuvent en être exclus, peu à peu, on remarque des comportements urbains caractéristiques d'une bourgade périphérique. C'est dans ce lieu que

    se tiennent des marchés importants, qu'existe un minimum de confort urbain (électricité et eau courante), qu'est situé un « garage » (c'est-à-dire une gare routière) et que les investissements des citadins sont les plus remarquables. Cet espace qui se dit rural est donc tiré par la ville et intégré dans la mouvance urbaine. Il s'agit alors d'approcher ce milieu à travers sa relation de dépendance à la ville, qui commande la « campagne » qui l'entoure. Les dynamiques agricoles seront forcément sous tutelle urbaine, et connaîtront des évolutions qui verront s'affirmer la prépondérance des citadins sur le jeu des acteurs socio-économiques

    locaux.

    Deuxième partie

    L'agriculture périurbaine au risque de la ville ? Le cas de Diamniadio (Dakar, Sénégal)

    Plusieurs logiques de fonctionnement des exploitations agricoles

    Les stratégies des agriculteurs et éleveurs à Diamniadio sont mal connues : pour la plupart, ils sont en situation d'insécurité foncière : en sont-ils conscients ? Dans quelle mesure peuvent-ils anticiper le processus d'urbanisation ? Les stratégies des agriculteurs et éleveurs varient-elles selon les différents types de statuts fonciers qui ont cours dans cette zone ? Quelles perceptions et quelles informations ont-ils des services administratifs et des Ong dakaroises et étrangères qui ont des projets sur ce secteur? Ces questions n'ont pas été étudiées à ce jour par les différents services interrogés. Les enquêtes permettent alors de connaître des données que l'on ne peut appréhender par d'autres sources d'information. Aussi, l'information se trouve inégalement répartie au sein d'un même village ; elle est généralement bloquée au niveau des chefs de quartier qui assurent mal leur rôle de courroie de transmission entre le conseil municipal et les populations. Cela rend obligatoire la recherche

    de données sur le terrain, afin d'approcher une frange importante de la population marginalisée dans le processus de transformation des dynamiques agricoles et urbaines.

    1 Une démarche d'enquête

    L'enquête semblait être la meilleure méthode pour mettre en lumière les stratégies et

    les représentations mentales des exploitants par rapport aux différents types de régimes fonciers et leur connaissance des Ong et des services administratifs. Un travail préliminaire a constitué en une recherche sur les productions, la commercialisation et le fonctionnement des exploitations. S'intéresser aux stratégies, aux représentations mentales et aux conflits en prise avec cette agriculture nécessite au préalable la connaissance des systèmes d'exploitation agro- pastoraux, aux différentes filières de production, et aux modes d'accès à la terre.

    A) Méthodologie de l'enquête

    Pour comprendre la réalité actuelle et les dynamiques à l'oeuvre au sein des exploitations agricoles, il est indispensable de prendre en compte la diversité de ces exploitations et les facteurs en jeu dans le processus de différenciation agricole.

    Nous n'avons pas trouvé d'indications précises sur la typologie des exploitations agricoles qui se positionnent sur les filières du maraîchage, des cultures fruitières et de l'élevage dans les documents de recherche consacrés à la zone constituée au niveau de Diamniadio et Sébikhotane. La plupart des travaux de recherche effectués dans cette région se sont intéressés davantage aux problématiques agronomiques, à la gestion des écosystèmes, et

    aux risques écologiques qu'à celles des stratégies des agriculteurs et éleveurs concernant la

    question foncière et leur positionnement à travers un système d'acteurs en compétition sur une même zone.

    Du point de vue de son déroulement, le travail de terrain s'est fait en deux étapes successives : la première a été consacrée à des enquêtes exploratoires auprès d'un échantillon

    de 33 exploitations agricoles dont 27 exploitations familiales et 6 exploitations d'entreprise. Ces unités ont été choisies de manière raisonnée afin que l'enquête puisse couvrir toutes les catégories d'exploitations, sauf la filière avicole, dont le caractère intensif réduit l'impact sur

    le territoire d'étude. La composition de l'échantillon des exploitations d'entreprises a été modifiée au cours de la phase des enquêtes, à la suite de certaines contraintes liées à la non disponibilité des personnes ciblées. Dans ces cas de figure, nous avons choisi d'autres exploitations agricoles présentant le même profil que celles qui n'ont pas pu être enquêtées.

    L'exploitation des résultats dès les premières enquêtes a permis de sélectionner plusieurs personnes ressources aux niveaux d'administrations, d'Ong et d'organisations de producteurs auprès desquelles des entretiens approfondis ont été effectuées. Des responsables

    de la coopération canadienne, l'IAGU (Institut Africain de Gestion Urbaine), la Fédération

    des Producteurs et Maraîchers des Niayes, la confédération paysanne Sénégalaise ont été des interlocuteurs disponibles. Au niveau de l'administration, le Ministère de l'Urbanisme et de l'Aménagement du Territoire a permis l'acquisition de données ayant trait au déroulement du projet de la plate-forme du Millénaire de Diamniadio. Les mairies de Diamniadio et Sébikhotane ont été choisies pour la collecte d'informations pouvant être croisées avec celles collectées par l'intermédiaire des enquêtes. En effet, ces mairies disposent de récents plans d'investissements communaux pour lesquels des diagnostics territoriaux ont été dressés. Ceux-ci concernent différents secteurs économiques, dont l'élevage et l'agriculture. De plus le personnel des mairies (secrétaires municipaux, agents voyers) et les élus ont de bonnes connaissances de l'avancée des projets de l'Etat grâce à de nombreux ateliers organisés en partenariat avec le Conseil de la région de Dakar. Ces personnes rencontrées au niveau des mairies ont souvent d'excellentes connaissances de leur commune et sont à même de donner

    de précieuses informations sur l'évolution de l'ensemble du territoire d'étude.

    Pour ce qui concerne les conditions de l'enquête, on retiendra que les investigations

    ont été effectuées avec l'aide d'un traducteur, la majorité des agriculteurs et éleveurs ne parlant pas le français. On regrettera l'absence de support logistique, ce qui a rendu les données assez difficiles à recueillir, ajoutée à des conditions climatiques contraignantes pour

    un néophyte. Cela a allongé considérablement le temps alloué aux enquêtes.

    La recherche aurait dès lors pu être enrichie par l'étude d'un territoire plus vaste, englobant les communautés rurales de Yène et de Sangalkalm qui connaissent elles aussi une très forte pression foncière.

    Après le démarrage de l'enquête, il a fallu peu de temps pour se rendre compte que l'administration des questionnaires ne suscitait pas de difficultés particulières, lorsque l'on s'adresse aux exploitations paysannes familiales. En revanche, les responsables des exploitations agricoles d'entreprise ont montré quelques réticences à fournir des informations

    sur les activités qu'ils mènent. Une telle situation s'explique en partie par le fait que les interlocuteurs rencontrés ne sont pas toujours les promoteurs de ces entreprises agricoles, mais plutôt des employés. Ainsi, certains d'entre eux s'estimant peu informés sur les conditions de création des exploitations agricoles dans lesquelles ils travaillent, ont préféré renvoyer les enquêteurs auprès des promoteurs eux-mêmes. Or, ces derniers ne résident généralement pas dans la zone d'étude et l'établissement de contact avec eux s'avère, le plus souvent, difficile. Dans ce cas, les cadres d'Enda Syspro ont été très utiles en mettant à notre disposition leur réseau de relations concernant l'agriculture d'entreprise.

    Une limite importante de ces enquêtes est liée au fait que les informations recueillies constituent des données brutes, qui souvent ne sont pas recoupées par des observations au niveau des exploitations agricoles. En effet, les personnes ont été plus souvent sondées sur leur lieu d'habitation que sur leur lieu de travail. Concernant l'agriculture pluviale, les exploitants se livraient à d'autres activités que l'agriculture durant la période de collecte des informations (de mai à juin 2005), alors que les champs sont cultivés pendant l'hivernage (juillet à octobre). De plus, pour l'arboriculture, les propriétaires sont rarement sur les vergers en dehors des périodes de récoltes. La fiabilité des renseignements obtenus est donc

    incertaine et cela impose une grande prudence dans l'interprétation des résultats.

    B) Le territoire d'étude

    La zone d'enquête, située dans le département de Rufisque, comprend les communes

    de Diamniadio et Sébikhotane. Cette dernière ne pourra pas échapper au processus d'urbanisation, les équipements prévus pour le projet de ville nouvelle de Diamniadio ayant une emprise sur son territoire. Sébikhotane a été instituée commune en 1996 et Diamniadio en

    2001, dans la mouvance de la réforme institutionnelle de la Région de Dakar. Notre entité d'accueil au sein de l'Ong Enda tiers monde, Enda Syspro, possède à Sébikhotane 3 hectares

    de terrains voués à l'agriculture expérimentale.

    Carte 5 : l'agriculture dans le département de Rufisque

    Réalisation : V. Mendret

    Source : Atlas du Sénégal

    C) Des villages marqués par une logique de réseau...

    A l'exception du village de Sébi Ponty, toutes les implantations d'habitat ont été crées

    par des chefs de groupements familiaux, qui souvent voulaient fuir des épidémies. Le nom des fondateurs est resté dans la dénomination des quartiers des communes étudiées. Les marabouts à l'origine de la majorité des villages ont, pour la plupart, choisi une installation

    auprès d'un arbre remarquable, un vieux fromager (Deny en Sérère).

    Les noms de villages juxtaposent donc le préfixe Deny et le fondateur du village, ce

    qui donne des appellations telles que : Deny Babacar Diop, Deny Demba Codou, Deny Malick Guèye, Deny Youssouf, Deny Ndiakhate. Les premières ethnies implantées sont les Lébous, puis, les Sérères, les Peuhls, les Diolas, et les Mandjaques. C'est parmi les familles fondatrices des villages que sont choisis les chefs de quartiers. Les confréries musulmanes dominantes sont les Tidjanes et les Layennes, alors que les Mandjaques sont à majorité chrétienne. L'efficacité des réseaux familiaux et confrériques pour l'obtention des parcelles d'habitation a été à la base de regroupements ethniques au sein des quartiers et d'une occupation anarchique de l'espace. Celle-ci a été quelque peu corrigée par l'administration lors d'un premier plan de lotissement en 1994, qui a permis de régulariser les habitations, de libérer l'emprise de la voirie, et de redimensionner les parcelles.

    Pour un même quartier, il peut donc y avoir un chef par ethnie, donc plusieurs chefs, mais c'est le chef originaire de la famille fondatrice qui emporte la légitimité auprès de la collectivité locale. Cela favorise une répartition inégale des titres fonciers, des équipements (eau, électricité), des permis de construire, et crée des frontières au sein d'un même quartier. Les revendications des habitants n'ont pas la même résonance selon leurs appartenances respectives, car certains n'ont aucun intermédiaire pour communiquer avec les élus, ou n'ont accès à aucune information officielle.

    Une catégorie d'allochtones motorisée s'implante peu à peu, avec une tendance à construire de belles villas, bien équipées. Ceux-ci semblent bénéficier de l'appui d'autres réseaux politiques et familiaux, encore plus efficaces à terme, qui sont en train de se mettre en place.

    ...et un environnement difficile pour l'agriculture

    Les communes de Diamniadio et de Sébikhotane se situent en bordure sud de la zone

    des Niayes, qui s'étend sur la frange côtière de Saint-Louis à Dakar. Le climat est de type canarien et subit l'influence maritime avec deux grandes saisons :

    - Une saison des pluies, chaude et humide qui dure 3 à 4 mois (mi-juin à septembre, appelée hivernage)

    - Une saison sèche qui dure 8 à 9 mois (octobre à mi-juin).

    Les vents dominants sont l'harmattan en saison sèche, l'alizé et la mousson qui donne

    la pluie en hivernage. Les températures sont élevées entre avril et octobre et basses entre novembre et mars.

    Au niveau de ces communes, la végétation est caractérisée par une steppe arborée. A

    l'instar de cette zone sud des Niayes, la composition floristique est dominée par des baobabs

    et des acacias mais également des espèces telles que des margousiers, des eucalyptus, des tamarins et des genêts épineux. La ressource faunique a sensiblement diminué avec la destruction des habitats naturels intervenue sous l'action combinée de la sécheresse et des hommes. Elle reste dominée par les oiseaux tels que les perdrix, les grues, les corbeaux, mais aussi d'animaux comme les chacals, les lièvres, les lézards.

    Des sols de type argilo-sableux (deck-dior) sont aussi identifiés dans la zone, un sol argileux étant appelé deck en wolof, un sol sableux dior. La nappe phréatique se situe entre 7

    et 30 mètres. Elle est renfermée dans des sables argilo-marneux du Continental Terminal et

    des calcaires du Paléocène du bassin sédimentaire. On note l'existence de deux vallées encaissantes dans les villages de Deny Demba Codou, Sebi Ponty et Ndoyène où s'installent

    des mares temporaires en hivernage. Il y a un lac de barrage appelé lac de Séby-Ponty, à hauteur du village Gyent Arafat, dont la digue a été construite à l'époque coloniale. Le relief accidenté et la nature imperméable des sols favorisent un ruissellement intense des eaux de pluie. La zone est ainsi fortement lacérée de vallées où coulent en hivernage des marigots qui fusionnent en piedmont à hauteur de Diamniadio pour former le marigot de Pantior qui se perd en mer.

    La sécheresse qui a perduré ces dernières années, le ruissellement de l'eau qui coule vers la mer, la profondeur de la nappe phréatique imposent de fortes contraintes pour une agriculture traditionnelle manquant cruellement d'équipements et de moyens. Concentrée sur trois mois de l'année, pendant les mois d'hivernage, cette agriculture familiale s'accompagne rarement de la possession de titres fonciers. Nous allons essayer de comprendre le fonctionnement de cette agriculture au statut précaire, puis nous mettrons en perspective une agriculture d'entreprise s'affirmant des contraintes naturelles, et dominée par des acteurs

    urbains.

    2 L'agriculture traditionnelle, une activité à la marge ?

    Dans ce chapitre, le milieu paysan apparaît comme conservateur de traditions et de pratiques foncières coutumières, à la marge des nouvelles pratiques spatiales véhiculées par l'Etat et le droit de propriété. Mais cette traditionnalité n'est peut être qu'une apparence... En effet, l'entraide laisse progressivement la place à une logique monétaire, révélatrice d'une remise en cause de l'intégrité des groupes sociaux. Cette agriculture connaît également des dynamiques spécifiques émergeant de la part de groupements féminins et d'ONG venant de Dakar, doublées d'interactions toujours prégnantes avec la ville. Mais celles-ci ne semblent

    pas suffire à moderniser une agriculture qui conserve des rendements trop faibles.

    A) Une prépondérance du domaine national et un accès à la terre par l'héritage et le don.

    Tableau 4 : Répartition des exploitations familiales selon la superficie (27 exploitations):

    Superficie

    (ha)

    =1

    [1,1 - 2]

    [2,1- 4]

    = 4,1

    Exploitations

    (%)

    40,4

    33,3

    19,9

    7,4

    Source : enquêtes personnelles

    Nombre total d'exploitations : 27

    Concernant les surfaces cultivées, près de 40% des exploitations familiales ont une

    superficie inférieure à un hectare. La faible taille de ces exploitations permet une mise en culture intensive des terres lors de l'hivernage grâce à la mobilisation de la main d'oeuvre familiale.

    Un faible niveau d'investissement constitue un moindre désavantage pour l'exploitation d'une parcelle de petite taille dans laquelle la main d'oeuvre pourra être utilisée

    de manière intensive.

    Tableau 5 : Modes d'accès à la terre des exploitations familiales et types de droit foncier

    Modes accès à la terre et types droit foncier

    Droit coutumier

    (Domaine national non régularisé)

    Droit d'usage

    (Domaine national régularisé)

    Régularisation par la commune ou à l'époque par les communautés rurales

    Droit réel

    (immatriculation de la parcelle et possession de titre foncier)

    Héritage

    Don

    Achat

    Héritage

    Don

    Achat

    Héritage

    Achat

    Exploitations

    %

    33,3

    25,9

    0

    14,8

    0

    11,1

    7,4

    14 ,8

    Source : enquêtes personnelles

    Total : 107,3

    Nombre de doublons : deux exploitations ont été comptées deux fois, le type de droit étant différent pour les

    parcelles secondaires.

    Seuls 22,2% des exploitations de l'échantillon détiennent des droits réels sur les terres qu'elle exploite (titre foncier). Les droits fonciers des exploitations familiales de la zone sont

    de trois types : droit coutumier détenu par des propriétaires socialement reconnus comme tels, droit d'usage résultant d'une affectation, ou droit réel avec un titre foncier. De nombreux exploitants (59,2%) se contentent des droits traditionnels hérités ou reçus de leurs parents. Pour eux, une pareille situation ne pose aucun problème parce que ces droits reflètent une légitimité de fait. Comme l'indique l'un de nos interlocuteurs, «chacun sait que ces terres appartiennent à mes parents depuis de nombreuses années, voire des générations».

    Dans leur grande majorité, les exploitations familiales ont accédé à la terre par l'héritage ou par la donation (81,4% des exploitations). Aucun cas de conflit lié à l'héritage

    des terres n'a été relevé. L'analyse des cas de donation tend à montrer, au sein des familles,

    des pratiques qui favorisent la prévention ou la limitation des risques de conflit. Toutes les donations ont été effectuées par les propriétaires des parcelles eux-mêmes, donc de leur vivant. Dans les cas les plus fréquemment rencontrés, elles sont faites par le père à ses fils adultes ou par le mari à son épouse. Au sein de l'échantillon, elles sont toujours le fait de

    personnes devenues trop âgées pour pouvoir continuer l'exploitation de leurs champs.

    Cependant, l'achat de terres constitue, dans la zone d'étude, une forme courante d'accès à la terre, et surtout pour la possession de droits réels (2/3 des possesseurs de titres fonciers déclaraient l'avoir acheté). Dans cet espace péri urbain, la valeur monétaire de la terre semble être acquise pour tous, mais des différentiels liés à l'information se créent : des jeunes locaux qui bénéficient de fonds provenant de la migration internationale, ou du commerce à Dakar, tentent d'acheter des parcelles à moindre coût auprès des personnes âgées moins au courant de la spéculation foncière qui a cours au sein du le territoire d'étude.

    Concernant le droit d'usage et le droit coutumier, l'importance réelle des transactions foncières est difficile à évaluer dans la mesure où les ventes se font de façon «souterraine». Cela s'explique par le fait qu'elles revêtent un caractère illégal au regard des dispositions de

    la législation foncière qui interdisent la vente de terres ne faisant pas l'objet de titre foncier. Certains interlocuteurs déclarent avoir acheté des parcelles mitoyennes pour agrandir leurs exploitations, sans toutefois accepter de fournir des indications détaillées sur ces transactions.

    C'est seulement 14,8% des exploitants qui ont fait régulariser leurs droits fonciers coutumiers en sollicitant une affectation auprès du conseil rural à l'époque à laquelle les deux communes étaient réunies en formant la communauté rurale de Yène. Ces affectations constituent de fait la reconnaissance du droit d'usage par la loi. En règle générale, cette même démarche a été adoptée par ceux qui achètent des terres auprès de propriétaires coutumiers. Ces personnes n'ont manifestement pas eu suffisamment confiance en la filière coutumière, et sont conscient qu'une légitimité double (auprès des chefs coutumiers et du conseil rural) serait plus à même de sécuriser leur acquisition. En effet, l'obtention d'une décision d'affectation délivrée par le conseil rural donne à ces acquéreurs la garantie (théorique) de bénéficier d'une indemnisation pour les investissements réalisés, en cas de désaffectation.

    En ce qui concerne les propriétaires coutumiers qui ne bénéficient d'aucun justificatif manuscrit, l'indemnisation en cas d'expropriation est plus aléatoire. En cas d'agriculture d'hivernage, le terrain n'est mis en valeur que 3 mois par an. La mise en valeur est donc considérée comme nulle par la commune, et les exploitants sont dépossédés sans contrepartie.

    Selon les exploitants interrogés, une autre forme d'accès au foncier est le prêt. Mais les prêts de terres sont devenus une pratique de plus en plus rare (aucune enquête). La raison mise en cause est que certains bénéficiaires ont tendance à se reconnaître des droits sur les

    parcelles qui leur sont prêtées, au motif qu'ils y ont effectué une mise en valeur.

    Cela les conduit à s'adresser au conseil rural pour solliciter l'affectation de ces parcelles. De l'avis de plusieurs interlocuteurs, les prêts de terres ne se font actuellement qu'entre des personnes entretenant des relations de confiance, notamment des amis, des individus apparentés ou alliés. En tout état de cause, il est interdit au bénéficiaire du planter

    des arbres ou de réaliser des investissements (fonçage de puits, aménagement de réseaux d'irrigation, construction de bâtiments...) qui pourraient être considéré comme des mises en valeur.

    B) Un fonctionnement familial fortement lié à l'autoconsommation et aux marchés urbains

    Tout d'abord, toutes les exploitations familiales enquêtées avaient d'autres revenus que l'agriculture et l'arboriculture qui constituent avant tout des revenus saisonniers pour ces familles. Cela s'explique par l'absence de cuvette maraîchère, avec de l'eau disponible à faible profondeur comme cela est le cas dans les dépressions inter dunaires des Niayes. Concernant le fonctionnement des exploitations familiales, les formes d'organisation de la production se caractérisent par une articulation étroite entre les fonctions de production, de consommation, d'accumulation d'une part et, par leur aptitude à mettre en application une logique successorale. Celle-ci vise à garantir le maintien du patrimoine au sein de la famille. Cette prégnance du groupe domestique dans l'organisation du travail agricole s'accompagne d'une orientation des systèmes de production vers l'autoconsommation élargie qui implique une production pour le marché local ou pour Dakar.

    Au sein d'une exploitation familiale, les membres actifs du groupe prennent part aux travaux agricoles et les femmes participent en compagnie des hommes à certaines opérations (désherbage, récolte, etc.). Dans les exploitations qui disposent d'une force de travail relativement réduite, toutes les potentialités en main-d'oeuvre sont mobilisées : hommes, femmes, enfants et personnes âgées. Les règles observées dans la consommation alimentaire collective, lors de chaque repas, trouvent leur fondement dans un travail coopératif qui permet

    au groupe familial de produire ou de se procurer les biens nécessaires à sa survie et à sa

    reproduction.

    Au niveau des exploitations familiales de la zone d'étude, la plus grande partie des travaux culturaux est assurée par les « dépendants » (notamment les jeunes et les femmes). Seules de rares exploitations font appel à des saisonniers qu'elles recrutent durant l'hivernage (juillet à septembre). Ceux-ci bénéficient d'un salaire mensuel ou une rétribution globale en

    fin de cycle. Le recrutement des journaliers au moment des récoltes devient une pratique courante dans la zone ; cela traduit un abandon progressif des formes d'entraide entre familles apparentées ou voisines, au profit du système marchand.

    Les exploitations familiales cultivent principalement des fruits tels que le melon, la pastèque, des variétés locales de mangues, c'est-à-dire des fruits et légumes destinés au marché local. Les légumes cultivés entrent dans la composition des plats quotidiens des consommateurs, comme le tieb u dien (riz au poisson accompagné de légumes) l'aubergine, le chou, la tomate, le bissap sont les plus fréquemment cités.

    Pour fertiliser les parcelles, les exploitations familiales enfouissent de la «poudre d'arachide» (coques d'arachides déchiquetées), des déchets de poisson, de l'engrais vert ou alors elles utilisent des engrais chimiques. Le problème étant de connaître les doses maximales de produits à respecter, les agriculteurs locaux ayant la réputation d'avoir la

    « main lourde ». Dans les quartiers Peuls, l'élevage est relativement bien intégré à l'horticulture par l'utilisation du fumier organique comme principal engrais et la traction animale comme principale moyen de transport des hommes et des produits. La matière

    organique provient des ruminants et des ânes.

    Photo 1-Absence de mise en valeur des terres : les

    enquêtes de terrain se sont déroulées avant l'hivernage

    (Mai 2005)

    Photo 2-Un élevage manquant cruellement de

    moyens : il n'y a ni enclos ni parcours de bétail...

    Cependant les pratiques pastorales restent traditionnelles dans la zone d'étude. Les races ne sont pas améliorées, la contrainte spatiale est prégnante ; cette activité pastorale n'a

    pas été prise en considération dans les plans d'occupation de l'espace. L'absence d'itinéraire

    de parcours augmente le nombre de conflits, quotidiens, entre éleveurs et agriculteurs. Des bagarres sanglantes liées au parcours du bétail éclatent régulièrement. Les vols durant la nuit,

    de bétail et de fourrage par des personnes venant de Dakar, sont des problèmes très fréquents pour les éleveurs périurbains interrogés.

    Les marchés urbains constituent les principaux débouchés pour les productions de légumes, de fruits, de viande, de lait caillé. La région de Dakar, qui concentre plus de 20% de

    la population sénégalaise, constitue le marché le plus important pour les produits provenant de

    la zone d'enquêtes. Le carrefour de Diamniadio, au croisement de la Nationale 1 et la Nationale 2, est favorable à la présence d'un marché. C'est le long des nationales qu'est vendue la majeure partie de la récolte des exploitations familiales. Durant la période d'hivernage, les « bana-bana » achètent les productions directement sur les champs pour les commercialiser sur les marchés de Dakar.

    L'enquête a mis en évidence le fossé important qui existe entre les exploitations familiales et les entreprises agricoles sur le plan des investissements et des équipements. Seules trois d'entre elles disposent d'un réseau d'irrigation.

    C) Un financement difficile causé par le désengagement de l'Etat et un manque de garanties monétaires et matérielles.

    Dans le contexte actuel d'une économie agricole libéralisée, le financement de l'agriculture dépend des ressources mobilisées par les producteurs eux-mêmes, et aucunement

    des fonds publics. Dans le cas spécifique des producteurs de la zone d'étude, ce sont les exploitations familiales qui ont subi les contrecoups de l'arrêt de la politique de soutien à l'agriculture, parce qu'elles ont été privées des possibilités d'approvisionnement en intrants offertes par les programmes agricoles. Selon les éleveurs Peuls, les distributions gratuites de d'aliments pour le bétail sont bien moins nombreuses qu'auparavant. Les petits producteurs se

    sentent complètement « oubliés » des politiques d'intervention étatiques.

    Le manque de financement ou le non accès aux crédits des producteurs est dû à plusieurs facteurs :

    - Il y a d'abord une méconnaissance des circuits financements de la part des agriculteurs : la majeure partie des producteurs ignore les processus de recherche des partenaires financiers. Cela s'explique par la faiblesse des niveaux d'instruction, beaucoup d'entre eux sont analphabètes.

    - Il y a ensuite le manque de sécurité foncière : l'absence de garantie sur les terres ne favorise pas le financement à long terme. Sans titre foncier réel, l'hypothèque du terrain auprès d'une banque est impossible.

    - Les agriculteurs n'ont pour la majorité pas de revenus sur un compte en banque et ne peuvent pas accéder aux circuits bancaires proposés par exemple, par le crédit mutuel

    de Diamniadio.

    - La pluriactivité des personnes interrogée ne dégage pas de revenus suffisants pour influer sur l'exploitation agricole. Le recours à la migration internationale (une enquête seulement) a permis l'achat d'un titre foncier, mais la question des investissements agricole est en suspens. En effet, pour un agriculteur périurbain, il est plus urgent (et plus rentable) d'investir dans la spéculation foncière que dans le matériel agricole.

    Le micro crédit, une réponse pertinente au manque de financement ?

    Il existe aujourd'hui dans la région de Dakar, un réseau de 17 caisses d'épargnes et crédit crées avec l'appui d'Enda Graff et regroupant quelque 21 000 membres (80% de femmes, 15% d'hommes et 5% d'organisations). L'activité principale de ces caisses est constituée de services financiers offerts aux membres à travers la collecte de l'épargne et la distribution du crédit. Les caisses sont alimentées pour 25% de cotisations individuelles et pour 75% d'une contribution d'Enda sous formes de prêts. Les modalités de financement sont caractérisées par :

    - Une somme minimale allouée est fixée à 25 000FCFA et une somme maximale de

    300 000 FCFA, pour le prêt individuel.

    - Une somme plafonnée à 2 000 000 FCFA pour les groupements.

    - Un taux d'intérêt très élevé, 16% l'an (généralement 8% sur 6 mois), calculé sur le montant total.

    - Une durée de crédit faible: la durée maximale est de 12 mois (généralement 6 mois dont un mois de différé)

    - Avant de débloquer l'argent, les caisses exigent de chaque bénéficiaire une caution de garantie à l'ouverture du compte et pour chaque groupement une garantie solidaire supplémentaire.

    D'autres organisations, à majorité féminines, ont été citées lors des enquêtes pour l'accès au crédit. Les femmes, organisées en GIE inter-villageois (dans les villages de Deny Youssouf, Ndoyène I, Ndiassane) de 300 membres, font du crédit revolving (crédit avec une réserve d'argent, qui se renouvelle partiellement) grâce à une cotisation mensuelle de 600 Frs.

    A Deny Malick Guèye, le Groupement féminin «Yakkar » comprenant 107 membres fait preuve de dynamisme : les femmes disposent d'un périmètre maraîcher de 6 ha dont 2 ha sont mis en valeur grâce au soutien technique et matériel de l'ONG Association Culturelle d'Auto- Promotion Educative et Sociale (ACAPES). Elles accordent du crédit revolving permettant aux membres de mener des activités génératrices de revenus. Ces initiatives ont pu voir le jour grâce à un financement de 2.000.000 Frs. L'ONG GROSEF apporte elle aussi un appui

    financier à ces femmes et leur permet de suivre des cours d'alphabétisation.

    Photo 3-Une parcelle de choux cultivée par un groupement féminin avec l'aide de l'ONG Acapes.

    Photo 4-La responsable du groupement

    féminin Yakkar lors d'un entretien.

    Ces financements agricoles concernent surtout le fond de roulement (achat d'intrants

    agricoles) grâce à de petites sommes. Ils concernent rarement l'acquisitions d'équipements et

    de matériel, encore moins la réalisation de constructions et d'infrastructures.

    La nature des ressources, leur modicité et les conditions de crédit ne permettent que des financements à cours terme, le crédit moyen et long terme étant inexistant.

    Conclusion : une agriculture en sursis ?

    Bien qu'entretenant de fortes relations avec la ville, tant pour les entrants (graines, engrais) et l'écoulement de la production, l'agriculture traditionnelle se trouve face à l'impossibilité de se moderniser, à cause d'un manque d'investissements et de moyens. Les machines et outils défectueux sont rarement remplacés, c'est donc la main d'oeuvre familiale

    qui assure encore la quasi-totalité des travaux. Le recours aux engrais chimiques constitue la seule innovation adoptée par la majorité. Même si l'intégrité des groupes sociaux est progressivement remise en cause (une baisse de l'entraide entre villageois a été soulignée lors

    des entretiens), on peut dire que cette agriculture tend à se reproduire sur elle-même, sans possibilité réelle d'innovation. Génératrice de revenus pendant moins de trois mois par an, elle ne fait que compléter le revenu des personnes interrogées, dont l'activité principale est l'artisanat (boulanger, charretier, tailleur...), la fonction publique (douanier, professeur) le petit commerce, ou l'élevage (poulets, bovidés). L'eau reste inaccessible pour des individus non solvables, et lorsque qu'une forte somme d'argent est disponible (par la migration d'un ami d'enfance ou d'un membre de la famille), elle est destinée en premier lieu à l'achat d'un titre immatriculé. Les investissements agricoles passent dès lors au second plan. Concernant

    les droits d'usage et coutumiers, la mise en valeur saisonnière est considérée comme nulle par

    la loi sur le Domaine National pour l'Etat et les promoteurs fonciers qui voient en ces champs

    des terres vacantes. L'emprise de l'agriculture « traditionnelle » se trouve donc au coeur des convoitises des acteurs urbains.

    3 Une logique d'entreprise tournée principalement vers le marché extérieur

    L'agriculture d'entreprise se caractérise par un recours systématique à la main d'oeuvre salariée, un accès à l'eau permanent, et une exportation des productions vers l'Europe. Ces exploitations bénéficient d'appuis bancaires voire politiques. Certains entrepreneurs sont connus dans tout le Sénégal (Gafari, Filfili...), car ils détiennent de véritables domaines et bénéficient de relation au plus haut niveau de l'Etat. Pouvant investir dans des réseaux commerciaux entre ville et campagne, ils sont au contact du monde grâce à

    la capitale, véritable noeud du système de transport international.

    Ces gros producteurs sont totalement intégrées à l'économie sénégalaise et sont, en définitives les plus à même de jouer des relations ville campagne. C'est donc des acteurs socio économiques tranchant fortement avec la situation précédemment exposée, et connaissant un tout autre rapport à la ville et à ses dynamiques qu'il va falloir analyser.

    A) Accès à la terre et transactions foncières des exploitations d'entreprise

    Les exploitations d'entreprise que nous avons enquêtées sont localisées dans la commune de Sébikhotane et de Diamniadio, dans une zone plus excentrée par rapport au projet de ville. Elles ont des tailles variables, allant de 1,3 à 150 hectares et les deux tiers d'entre elles gèrent des domaines dont la superficie est comprise entre 1,5 et 5 hectares.

    Tableau 6 : Répartition des exploitations d'entreprise selon la superficie (6 exploitations)

    Superficie

    (ha)

    <3

    [3,1 ; 5]

    [5,1 ; 10]

    [10 ; 90]

    Exploitations

    3

    1

    1

    1

    Source : enquêtes personnelles

    La très faible taille de l'échantillon ne permet pas une interprétation très fiable.

    Cependant on a remarqué que ces exploitations bénéficient d'investissements qui justifient la mise en valeur de terrains bien plus grands que les exploitations familiales.

    Tableau 7 : Modes d'accès à la terre des entreprises agricoles

    Modes d'accès à la terre et types droits fonciers

    Droit coutumier (Domaine national non régularisé)

    Droit d'usage (Domaine national régularisé) Régularisation par la

    commune ou à l'époque par

    les communautés rurales

    Droit réel (immatriculation de la parcelle et possession de titre foncier)

    Achat

    Affect.

    CR

    Achat régularisé

    par affectation

    Héritage

    Achat

    exploitations

    1

    2

    2

    0

    2

    Source : enquêtes personnelles Nombre de doublons : 1 ; un exploitant bénéficie de deux parcelles : la première, régularisée par une affectation, a été agrandie par l'achat d'un titre foncier.

    On constate une diversité des modes d'accès à la terre et de la nature des droits fonciers. L'achat de terres et l'affectation de parcelles par les conseils ruraux constituent les modalités les plus courantes d'accès à la terre des opérateurs agricoles. Dans cinq cas, les promoteurs ont acheté les terres qu'ils exploitent auprès des populations locales. Mais les droits détenus sur ces terres ne sont pas toujours de même nature. Trois cas de figure se sont présentés :

    - La détention d'un droit réel en raison de l'acquisition de terres faisant l'objet de titres fonciers ;

    - La détention d'un droit d'usage reconnu par le conseil rural (après avoir acheté une parcelle, le promoteur sollicite une affectation auprès du conseil rural pour régulariser l'occupation de la terre) ;

    - La détention de droits «précaires» dans les cas où les terres achetées par le promoteur n'ont pas fait l'objet d'une décision d'affectation (notée « droit coutumier » dans le tableau). Outre qu'il fragilise l'exploitation, ce cas de figure a généré un conflit, car la vente a été faite par un membre de la famille à l'insu des autres.

    Les terres affectées représentent quatre parcelles exploitées par les entreprises agricoles. Une affectation atteint 90 hectares pour un seul promoteur. L'importance de la taille unitaire des parcelles attribuées souvent à des personnes non originaires de la zone suscite des ressentiments au niveau des populations villageoises qui éprouvent de réelles difficultés à obtenir des terres auprès des administrations locales. Les élus locaux font valoir l'argument selon lequel les autochtones ne disposent pas toujours de moyens suffisants pour mettre en valeur les terres. Pour leur part, les villageois estiment que les promoteurs parviennent à bénéficier facilement d'affectation de terres, parce qu'ils concluraient des arrangements avec les élus locaux.

    Un habitant natif de Sébikhotane nous a expliqué comment un investisseur libanais avait acquis plusieurs dizaines d'hectares sur l'ancienne commune rurale (donc avant 1996).

    « Des éleveurs nouveaux venus ont mis en valeur de grandes parcelles en construisant uniquement des enclos pour leurs bêtes et en plantant quelques arbres. A l'époque, cela suffisait pour bénéficier d'une affectation du Conseil Rural, c'est beaucoup plus difficile

    aujourd'hui.

    Le libanais et les éleveurs ont alors effectué une transaction souterraine avec la complicité de plusieurs élus locaux. Je pense que d'ici quelques années, le libanais aura transformé ses champs de mangues en habitations, profitant d'une énorme plus-value, en vendant des parcelles à des Dakarois ».

    Un entrepreneur interrogé a rapporté une autre version quant au devenir de la parcelle : il avance que « les investissements mis en oeuvre (pour le système d'irrigation, le conditionnement, la mise en place d'une logistique) sont les preuves qu'il y un véritable savoir faire digne d'un professionnel très efficace, et que le possesseur n'a pas intérêt à revendre son moyen de production. Ses plantations représentent trop d'années de travail

    Ce témoignage montre qu'il est difficile de connaître les stratégies et les représentations mentales des entrepreneurs agricoles périurbains: bien que conscients de la montée du prix des terrains, ceux-ci se positionnent quasi systématiquement comme de véritables ruraux, qui font leur travail par vocation, et parlent de développer leur filière. S'agit

    t-il de méfiance vis-à-vis d'un interlocuteur étranger susceptible de communiquer ses informations à des acteurs concurrents sur le territoire ? L'attachement à la terre est-il réellement si fort ?

    B) Un fonctionnement déterminé par le marché international, et nécessitant des investissements lourds

    Les exploitations d'entreprise privilégient des spéculations destinées à l'exportation (mangue, tomate cerise), des légumes utilisés dans la préparation de plats de type européens (haricot, pomme de terre) ou rares sur le marché à certaines périodes de l'année (arachide). Les exploitations d'entreprise et les exploitations familiales ne cultivent pas les mêmes variétés de fruits et légumes. Par exemple, les entreprises agricoles cultivent une variété de mangue destinée uniquement au marché européen, la mangue « Kent », qui est une variété à chair ferme supportant mieux le stockage prolongé que les variétés locales. On constate un désintérêt de ces exploitations vis-à-vis de productions locales comme les aubergines amères

    et les choux par exemple.

    Photos 5-Conditionnement de tomates cerises dans

    une coopérative de Sébikhotane.

    Photo 6-Champs de mangues Kent destinées au

    marché européen. Un système d'irrigation par goutte à goutte est utilisé.

    Toutes les exploitations d'entreprise de l'échantillon sont dotées de réseaux

    d'irrigation. La connexion au réseau de la Sénégalaise Des Eaux est le fait de promoteurs qui exploitent des superficies peu importantes (entre 0,5 et 3 hectares). En revanche, l'aménagement de forages concerne une exploitation de l'échantillon qui met en valeur un domaine de 90 hectares. Les équipements inventoriés sont divers : tracteurs, groupes électrogènes, véhicules, pulvérisateurs, semoirs, charrues, charrettes. La plus grande des exploitations possède sa propre chaîne de conditionnement et sa chambre froide, les autres utilisent les installations de la fédération des producteurs maraîchers.

    Selon les résultats de l'enquête, la majorité des exploitations d'entreprise dispose d'un personnel permanent composé non seulement d'ouvriers agricoles, mais aussi de techniciens chargés du conseil et du suivi titulaires au minimum du baccalauréat. Mais parfois, la gestion

    de certaines exploitations implique aussi la main-d'oeuvre familiale. Dans ce cas de figure, les promoteurs font appel à des membres de la famille (épouses, fils, frères) ou à d'autres personnes apparentées (neveux, cousins, etc.) pour qu'ils apportent un appui dans la conduite

    des activités en prenant en charge des tâches, telles que la supervision des ouvriers.

    Pour le Président de la Fédération des producteurs maraîchers, les horticulteurs sénégalais bénéficient d'un environnement favorable aux productions de contre-saison pour le marché européen. En effet, le pays jouit d'une position géographique lui permettant de se positionner de façon avantageuse sur le créneau de la fourniture de fruits et légumes hors saison aux clients européens. Ces produits pourraient également trouver des débouchés dans

    d'autres régions du monde (en particulier, Amérique du Nord et Moyen-Orient).

    L'entité Syspro de l'Ong Enda a effectué durant une année des exportations d'haricots

    à destination des Etats-Unis. Il s'y ajoute que le transport maritime offre actuellement des possibilités plus grandes d'exporter des produits réfrigérés vers l'Europe. Un plus grand recours aux bateaux pourrait permettre d'exporter des volumes plus importants de légumes à

    des coûts inférieurs à ceux du fret aérien qui concentre plus des trois quarts des exportations actuelles.

    Le développement des exportations de produits frais se heurte cependant aux contraintes liées aux normes de calibrage et de qualité exigées par les pays européens : seuls quelques grands exploitants sont actuellement en mesure de satisfaire les conditions de qualité

    des produits qu'exigent les pays du Nord. Les petits producteurs, qui sont les plus nombreux

    au niveau de la filière horticole, cherchent à intégrer le cercle des exportateurs par l'intermédiaire de fédérations maraîchères. Aujourd'hui, à l'échelle nationale, cinq exploitants réalisent environ 80% des exportations de produits horticoles (dont 30% pour la seule

    entreprise FilFili).

    Photo 7-Champs de haricots à Sébikhotane Photo 8-Triage des haricots avant conditionnement

    Photo 9-Bâtiment avec chambre froide d'une

    coopérative maraîchère.(Sébikhotane)

    Photo 10 Tomates cerise prêtes à être envoyées sur le

    marché européen

    Un rapport élaboré récemment par le ministère chargé de l'agriculture (MAE, 2001) indique que l'accroissement du niveau des exportations de produits horticoles est entravé par trois séries de contraintes qui concernent :

    · le non respect des normes de qualité par les acteurs de la filière ;

    · l'insuffisance des infrastructures de base (entrepôts frigorifiques et infrastructures de transport) ;

    · l'inexistence de systèmes de crédit adapté aux besoins des exportateurs.

    Les chefs d'exploitations d'entreprises interrogés ont déclaré que le projet de marché national, par la mise en place d'unités de conservation, de transformation, et de conditionnement favoriserait l'écoulement des produits de la zone. Cette structure nationale pourrait aussi jouer un rôle d'information sur les prix des spéculations sur les marchés internationaux. Le projet de plate-forme multimodale constitue une aubaine pour ces agriculteurs, qui, lors des enquêtes, ne se sentaient pas immédiatement concernés par d'éventuelles expropriations.

    La majeure partie des interlocuteurs rencontrés déclare entretenir des relations cordiales avec les populations des villages situés à la périphérie de leurs exploitations. Dans certains cas, des relations de confiance ont été favorisées entre les promoteurs agricoles et les villageois, à la suite de l'intermédiation de ressortissants de la zone lors de transactions foncières conduites entre autochtones et exploitants agricoles.

    Une concurrence de débouchés entre agriculture d'entreprise et agriculture familiale ?

    De l'avis de certains interlocuteurs, c'est au niveau de la commercialisation que les exploitants traditionnels subissent le préjudice le plus important. «Ces gens-là ont les moyens

    de produire de grandes quantités de légumes et ils inondent les marchés. Forcément, les prix baissent et cela pose des problèmes aux petits producteurs qui sont obligés de vendre leurs récoltes à des prix très bas. C'est une perte énorme de revenus pour nous», rapporte un petit exploitant lors d'un entretien.

    Ces appréciations sont contestées par les promoteurs des exploitations agricoles qui considèrent que leur intervention dans la zone n'affecte pas, de façon négative, l'activité des familles paysannes autochtones. Pour eux, il n'y a pas véritablement de concurrence sur le marché entre les deux groupes parce qu'ils ne se positionnent pas sur les mêmes filières de

    production.

    Certains d'entre eux considèrent que la situation créée par l'arrivée des opérateurs agricoles ouvre des perspectives de développement local et de création d'emplois pour les jeunes et les femmes des villages de la zone.

    C) Des agriculteurs citadins

    Le trait commun à ces exploitations d'entreprises réside dans le fait qu'elles sont parvenues à mobiliser des fonds provenant principalement de l'épargne des promoteurs, d'activités différentes (commerce, fonction publique...) ou de transferts effectués par des émigrés. Le lieu de résidence peut être urbain ou rural mais ne se confond pas avec le bâtiment d'exploitation (villa « moderne » dans le village ou sur un terrain de la propriété). Dotés d'un véhicule personnel ils se déplacent plusieurs fois par semaine à Dakar ou Rufisque. Les enfants vont à l'université pour étudier le commerce international, l'administration des entreprises ou l'agronomie, et souvent à l'étranger. Ils adoptent la semaine de travail de 5 jours et sont branchés à des réseaux bancaires, informationnels (connaissance des prix grâce à Internet), achètent des expertises à des bureaux d'études, et font appel à des sociétés d'import export parisiennes et dakaroises. La formation de ces chefs d'entreprises revêt un caractère primordial pour pouvoir anticiper les productions par rapport aux demandes du marché international. Un enquêté possède également deux magasins à Dakar, qui lui servent occasionnellement à écouler une partie de sa production. Cet homme de l'articulation ville-campagne accroît donc ses gains en jouant sur des segments plus étendus

    de la filière : à la production, il ajoute le commerce, la transformation (confiture, concentré de tomates) et la vente au détail.

    Conclusion : une agriculture « branchée » sur la ville et son interface avec le monde.

    La dichotomie ville campagne semble disparaître pour ces exploitants connectés à des réseaux urbains et impliqués dans la globalisation des échanges. Cette « petite bourgeoisie », composée de fonctionnaires et de commerçants, se situe sur un bassin versant de l'économie mondiale. Elle confond dès lors ses activités rurales et urbaines grâce à une bonne mobilité

    spatiale et une logistique de production moderne.

    Conclusion : cependant, au delà des différences entre exploitations, on observe des processus urbains comparables.

    Quelque soit le type d'exploitation rencontré, l'agriculture péri urbaine est aussi, voire avant tout, un moyen de maintenir et d'alimenter la spéculation foncière, dans une agriculture d'attente. En effet, le riz (asiatique) et le poisson (de Mbour, Dakar, Kayar...) consommés lors de presque tous les repas doivent être achetés. Pour tous les agriculteurs, le lien qui unit

    la cellule familiale au produit de la terre est donc interrompu et avec lui disparaît un moteur important de la ruralité. Cette désunion entre production et consommation est une étape essentielle dans le processus d'urbanisation des campagnes. Dans bien des cas, les activités extra agricoles permettent de maintenir la production agricole, concentrée sur une courte période, mais elles introduisent une distance toujours plus grande entre l'exploitant et la terre. Dans une telle perspective, les investissements agricoles sont aussi des moyens d'accroître les chances de conserver son terrain pour les conserver le plus longtemps possible, dans un contexte où l'Etat immatricule à tour de bras les terres du domaine national urbain qu'il

    considère comme vacantes.

    Troisième partie

    L'agriculture périurbaine au risque de la ville ? Le cas de Diamniadio (Dakar, Sénégal)

    Conflits et mutations d'une agriculture sous tutelle urbaine

    La confirmation a été apportée que les relations entre urbanisation et agriculture ne relèvent pas d'une coupure simple entre « citadins » et « ruraux », et entre « ville » et

    « campagne ». Cette analyse, trop réductrice, ne rendrait pas compte de l'hétérogénéité des intérêts, et de la capacité des acteurs à jouer sur différents plans. Le territoire d'étude est révélateur de césures qui apparaissent lorsque l'on tente de le décrire. Celles-ci sont dynamiques et autant révélatrices de contradictions qui se régulent entre entreprises, collectivités locales, pouvoirs coutumiers et agriculteurs, grâce à de nouvelles règles du jeu

    qui ont pour arrière plan la marchandisation des ressources. Car même si elle se mondialise et

    se libéralise, l'économie ne peut être indifférente aux ancrages locaux et doit forcément s'appuyer sur eux pour s'implanter. La problématique de l'eau, la pression foncière et la quête d'un emploi seront les entrées d'une grille d'analyse révélatrice de compétitions et de coopérations entre acteurs d'un même endroit et nouveaux venus, tout en étant porteuse d'une nouvelle urbanité.

    1 Accès à l'eau : une compétition exacerbée face à un épuisement de la ressource

    L'un des champs majeurs de confrontation entre l'urbanisation et son environnement rural est celui de l'usage de l'eau. L'agriculture irriguée consomme la majeure partie de l'eau disponible, grâce à des forages profonds dans la nappe souterraine, mais la croissance de la population dakaroise s'accompagne également d'une augmentation de la demande par tête. La nappe phréatique est donc surexploitée alors même que la région a connu des années de sécheresse successives. Dans les communes de Diamniadio et Sébikhotane, « tout le monde » veut faire du maraîchage et planter des manguiers, mais la baisse de la nappe exclut les petits exploitants dont les puits sont asséchés. Ceux qui n'abandonnent pas leur exploitation recourent à des quotas d'eau auprès de la Sénégalaise Des Eaux (SDE), car c'est désormais le

    système marchand qui joue le rôle d'arbitre entre usages concurrents de la ressource.

    A) Des problèmes de compétition pour une ressource de plus en plus rare

    La succession d'années sèches que le pays a connu au cours de la période écoulée a entraîné un abaissement progressif de la nappe phréatique. Cet abaissement est lié non seulement à la faible recharge, mais aussi à la surexploitation des nappes qui subissent des prélèvements intensifs pour satisfaire la forte demande en eau de la ville de Dakar. Actuellement, les prélèvements effectués dépassent la capacité de la nappe du paléocène de Sébikotane. En effet, celle-ci s'est abaissée de 15 mètres depuis la fin des années 70. Une telle situation entraîne des risques importants de tarissement. La Sénégalaise des eaux dispose de

    5 forages dans la commune et d'un équipement de pressurisation qui prend part dans l'approvisionnement de la ville de Dakar et contribuent à l'assèchement de la ressource.

    S'agissant des techniques d'exhaure et d'irrigation, il faut noter que l'exploitation des puis traditionnels n'est plus possible sur la commune de Sébikhotane, suite à l'abaissement de

    la nappe phréatique ces dernières années.

    Photo 11-Forage privé d'une entreprise agricole Photo 12-Un puit traditionnel rendu

    inutilisable par la course à la profondeur : le propriétaire de la parcelle a abandonné l'arboriculture par manque d'eau.

    Celle-ci est attribuée aux 10 forages, dont 5 privés qui permettent une exhaure de l'eau

    en profondeur et rendent inutiles les puits traditionnels. Au niveau de l'arboriculture, la zone était très productive auparavant avec les mangues, les papayes, les mandarines, les pamplemousses. Mais la baisse de la nappe phréatique durant ces deux dernières décennies à causé la perte de plus des 2/3 des manguiers et 3 /4 des mandariniers, surtout chez les petits producteurs. Le lac de barrage de Séby-Ponty constitue une réserve d'eau intéressante pour les

    exploitations familiales alentours, mais le manque de pompes rend l'irrigation difficile.

    Photo13-Départ pour la borne fontaine

    payante le long de la N1: des quartiers de

    Diamniadio ne sont pas encore équipés

    Photo 14-Une retenue colinéaire peu mise

    en valeur. Le manque de pompe a été invoqué par les enquêtés

    B) L'arbitrage des demandes : une généralisation du système marchand

    L'eau est considérée comme une marchandise dont le prix est fixé par l'offre et la demande. Considérer l'eau en tant que bien économique, c'est considérer que les mécanismes

    du marché vont en assurer la répartition optimale. Or, dans la logique du marché, la répartition optimale des ressources signifie amener les ressources ou investir là où cela rapportera le plus, non pas où cela est le plus utile socialement et humainement.

    L'enquête a mis en évidence le fossé important qui existe entre les exploitations familiales et les entreprises agricoles sur le plan des investissements et des équipements en système d'irrigation. Tout d'abord, on constate que 85.1% des exploitations familiales n'ont

    pas de système d'irrigation et ne cultivent donc que pendant les mois d'hivernage. Pour les

    14,9% restants, le système d'irrigation repose sur la connexion au réseau de la S.DE. A l'inverse, toutes les exploitations d'entreprise de l'échantillon sont dotées de réseaux d'irrigation. Pour assurer l'approvisionnement en eau, cinq d'entre elles sont connectées à la SDE et une a accès à des forages privés. Les choix en matière de système d'alimentation en eau sont raisonnés en fonction de la superficie des terres exploitées. Dans la plupart des cas, l'option en faveur de la connexion au réseau de la SDE est le fait de promoteurs qui exploitent

    des superficies peu importantes (entre 0,5 et 3 hectares). En revanche, l'aménagement de forages concerne une exploitation de l'échantillon qui met en valeur un domaine de 90 hectares. Le fonçage de forages profonds à exhaure mécanique implique un niveau d'investissement très élevé qui ne peut être réalisé que par quelques rares particuliers,

    principalement par les industriels.

    En prenant en charge des exploitations agricoles déjà existantes (par exemple l'ex Bud Sénégal, au Nord du quartier de Deny Malick Guèye), certains promoteurs ont trouvé sur place quelques investissements de base permettant de mettre en valeur la terre (réseau d'irrigation, clôtures, etc.). Mais ceux qui ont créé leurs exploitations eux-mêmes ont mis au point des plans d'investissement, en accordant la priorité aux réalisations indispensables pour démarrer l'activité de production (réseau d'irrigation et alimentation en eau). Dans les deux

    cas de figure mentionnés, des investissements complémentaires ont été parfois effectués pour améliorer le système d'irrigation, accroître la capacité de production ou diversifier les activités.

    Les entreprises agricoles qui ont adopté des systèmes d'approvisionnement en eau coûteux utilisent les nouvelles techniques d'irrigation par aspersion ou par goutte-à-goutte plus économes en eau que les techniques traditionnelles, afin de pallier l'augmentation du prix

    de l'eau. Mais ceux ou celles qui sont tentés d'investir dans un système d'irrigation avec accès au réseau de la SDE pour mener des activités de maraîchage sont souvent vite dissuadés par le coût relativement élevé de l'eau. En effet, les tarifs de l'eau appliqués aux maraîchers de la zone se présente comme suit :

    - 1ère tranche (0 - 1500 m3) : 105,81 FCFA/m3 ;

    - 2ème tranche (1500 - 10000 m3) : 149,35 FCFA/m3 ;

    - 3ème tranche (supérieur à 10000 m3) : 631,47 FCFA/m3.

    Les producteurs se plaignent de la révision à la hausse des tarifs appliqués à l'eau destinée au maraîchage et du plafonnement des quotas. De plus, ils se plaignent du système de tarification mensuelle établi par la SDE. Cette nouvelle politique de l'eau les expose à des difficultés de trésorerie en cours de campagne, alors que le système de crédit en vigueur ne prend pas en compte les besoins financiers liés à l'approvisionnement en eau des exploitations. Les producteurs sont obligés alors de limiter les fréquences et les doses d'arrosage, avec pour conséquence une baisse de la productivité de leurs exploitations.

    Malgré ce coût de l'eau contraignant, la Sénégalaise des eaux préfère vendre l'eau à des habitants plutôt qu'accorder des quotas à des agriculteurs, la marge de la compagnie étant plus faible avec des agriculteurs qu'avec des particuliers. C'est une forme de concurrence de la ville qui peut mener à l'abandon de surfaces agricoles

    importantes.

    La tentative avortée d'une coopération entre les exploitants :

    Dans un passé récent, beaucoup de producteurs des Niayes installés dans les secteurs

    de Bayakh, Sangalkam, NdoYène et Sébikotane (329 maraîchers exploitant un domaine de

    1.000 hectares) s'approvisionnaient en eau à partir de forages et du réseau de Beer Thiolane gérés par la Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONEES). En 1996, ces infrastructures

    ont été rétrocédées à un comité de gestion des usagers, sans réhabilitation préalable. Depuis

    1999, elles ne sont plus fonctionnelles, suite à un contentieux entre le comité et la Société

    Sénégalaise d'électricité (SENELEC). Face à cette contrainte, plusieurs exploitants ont décidé

    de raccorder leurs périmètres au réseau de la SDE alors qu'une meilleure gestion du forage aurait permis une irrigation à moindre coût.

    Conclusion : vers une destruction de la ressource ?

    En plus de tarissement de la nappe, la ressource est confrontée à de graves risques de pollution par les intrants chimiques et le fumier utilisés en grande quantité par les producteurs maraîchers. La plupart de ces producteurs n'appréhendent pas réellement le danger que présentent les produits phytosanitaires. Le problème récurrent est l'analphabétisme des exploitants qui ne peuvent pas respecter les doses inscrites. Les élevages porcins du ranch Filfili déversent également des citernes entières de purin à 200 mètres des forages de la SDE. Les Ong et les collectivités locales n'apportent malheureusement aucune réponse qui permettrait une exploitation durable de la nappe aquifère.

    2 Une agriculture en proie à des pressions foncières de multiples acteurs

    La montée des problèmes fonciers est un autre révélateur de la gravité du problème de

    la gestion des ressources par des populations de plus en plus denses. La compétition pour la terre a durci la concurrence et la tradition foncière n'arrive plus à cohabiter avec la modernité.

    La loi sur le domaine national montre ses limites en étant porteuse d'une situation foncière complexe qui laisse la place au détournement à la fois des parcelles et des indemnisations. Cette loi montre son inadaptation aux nouveaux enjeux et ne pourra éviter une réforme foncière que les acteurs de la pression urbaine, c'est-à-dire l'Etat, les exploitants, les

    investisseurs et les bourgeois urbains appellent de leurs voeux.

    A) Impact de l'émergence de «l'agriculture d'entreprise» sur le foncier : une flambée des prix et des pratiques qui favorisent une reconversion des petits paysans.

    Un agro éleveur a relaté s'être fait exproprier, sans indemnités, un hectare de terres qu'il cultivait uniquement pendant l'hivernage. Ces terres ont été affectées par le conseil rural

    de l'époque à Enda Syspro, qui a installé une plantation de haricots destinés au marché extérieur. L'enquête montre bien qu'en majorité, les exploitations familiales perçoivent de façon négative la présence d'entrepreneurs agricoles dans la zone. Pour elles, ces «nouveaux acteurs» ont en commun le fait d'être étrangers au milieu, auquel ils ne sont liés que par leur intérêt immédiat. Tous les paysans rencontrés affirment que la création d'entreprises agricoles

    a entraîné des conséquences importantes sur la dynamique foncière au niveau local.

    De l'avis des entrepreneurs agricoles et des paysans rencontrés, l'arrivée dans la zone d'investisseurs agricoles désireux d'acheter des terres a fortement accru la valeur des terres agricoles et créé un marché foncier très actif, en particulier à Sébikhotane. Il n'existe pas de barème de prix, en raison du fait que les transactions touchent des terres du domaine national dont la vente est prohibée par la législation foncière. Les prix sont négociés au cas par cas et varient en fonction de la qualité des sols, de l'accessibilité du terrain par une piste et de l'accessibilité par un réseau d'eau.

    En ce qui concerne l'évolution du prix de vente de la terre, les interlocuteurs s'accordent à souligner le fait que les prix augmentent d'année en année. Cette flambée des prix est liée à l'accroissement de la demande de terres par des promoteurs perçus comme des gens riches, disposant de moyens pour créer des entreprises agricoles rentables. Des terres nues qui étaient vendues entre 300.000 et 500.000 F CFA par hectare il y a seulement une dizaine d'années, sont cédées aujourd'hui à un prix trois à quatre fois plus élevé (entre 1 et 2 millions de francs CFA suivant la qualité des sols). Les prix de cession atteignent 4 millions

    de francs CFA/hectare, lorsqu'il s'agit de terres sur lesquelles des plantations d'arbres sont réalisées et, 6 à 10 millions de francs pour des parcelles faisant l'objet d'un titre foncier.

    Dans la plupart des cas, les ventes de terres sont effectuées par les familles qui ne disposent plus de moyens suffisants pour faire fonctionner leurs exploitations, ou qui ne peuvent pas vivre correctement de leur activité horticole. Les raisons invoquées sont liées au coût élevé de l'irrigation résultant de l'affaissement de la nappe qui impose des investissements importants pour s'approvisionner en eau (aménagement de puits profonds ou

    de forages, abonnement à la SDE).

    L'autre facteur important mentionné par certains chefs d'exploitations familiales concerne leur incapacité à résister à la concurrence des exploitations d'entreprise dont les productions inondent le marché à certaines périodes. Comme le souligne un paysan enquêté :

    «celui qui possède des parcelles qu'il ne peut pas cultiver est bien obligé de les vendre parce que sa famille doit manger, s'habiller et résoudre d'autres problèmes qui se posent à elle». Le risque de se faire spolier est d'autant plus grand si la parcelle est inutilisée, la vente du terrain pouvant dès lors revêtir un caractère sécurisant.

    Ainsi, acculés par les difficultés qu'ils rencontrent dans l'agriculture, certains paysans

    ont préféré vendre leurs terres pour se reconvertir dans d'autres activités économiques, ou pour prendre en charge les frais d'émigration d'un membre de leurs familles. Une étude récente de ENDA/MUAT (2002) souligne que «lorsque des dynamiques d'intensification agricole se mettent en place, la valeur agricole des terres s'accroît. La vente de terrains à des investisseurs ou à des promoteurs immobiliers apparaît aux yeux de certains exploitants plus intéressante que de continuer à les cultiver [...]. Les jeunes et les femmes des villages ne peuvent plus accéder au foncier ou préfèrent s'orienter vers les activités économiques urbaines et le commerce. Une partie des jeunes scolarisés se détourne du travail de la terre qu'elle perçoit comme étant sans avenir et préfère l'exode en ville ; ce qui favorise dans une certaine mesure les ventes de terre en milieu rural et périurbain».

    Une disparition des prêts de terres

    En plus de l'effet induit sur le prix de la terre, le développement des exploitations d'entreprise a amplifié les transactions foncières, tout en modifiant leur nature. Les prêts et les locations de terres qui étaient pratiqués couramment tendent à disparaître. En effet, certains propriétaires craignent que le locataire ou l'emprunteur ne se fasse affecter les terres par le conseil rural, après quelques années d'exploitation

    S'agissant de la location des terres, les prix pratiqués sont relativement élevés (entre

    50.000 et 125.000 F CFA/hectare/mois). Les engagements portent sur de courtes durées renouvelables (1 à 3 ans) et font l'objet de contrats signés.

    Des transactions qui peuvent contourner la loi sur le Domaine national

    Dans la plupart des cas recensés (80%), les ventes de terre concernaient des terres du domaine national surtout à l'époque de la communauté rurale de Yène. La pratique est beaucoup plus difficile depuis que la création des communes de Diamniadio et de Sébikhotane. Selon les habitants l'affectation d'une parcelle est devenue bien plus difficile qu'elle ne l'était du temps de la communauté rurale de Yène.

    Les populations procédaient à des transactions souterraines qui étaient le plus souvent avalisées par les conseils ruraux. En règle générale, l'acheteur était introduit auprès du vendeur par une tierce personne (intermédiaire originaire du village). Il négociait directement

    et concluait le marché avec le vendeur en présence d'un témoin, souvent un notable du village. Une fois la transaction effectuée, l'acheteur introduisait auprès du conseil rural une demande d'affectation de la parcelle. Il obtenait généralement satisfaction, dés lors que la décision de cession de la parcelle par le propriétaire était notifiée au conseil rural.

    Aujourd'hui, de telles pratiques «sont encore courantes dans les communautés rurales

    des Niayes depuis que les gens des villes et les fonctionnaires se sont mis à l'agriculture. Dans la zone, tu achètes une parcelle ; ensuite tu vas voir le responsable du CERP et le conseil rural pour obtenir une affectation» selon un responsable de la mairie de Sébikhotane. Certains interlocuteurs estiment que les conseillers ruraux ne font pas toujours gratuitement

    ces « affectations-régularisations ». Les conseillers rencontrés récusent de telles accusations

    et considèrent que les transactions telles qu'elles s'effectuent actuellement sont régulières, dans la mesure où l'exploitant ne vend pas sa terre, mais reçoit un dédommagement pour les mises en valeur qu'il a réalisées.

    Il n'en reste pas moins que ces pratiques demeurent illégales au regard de la loi sur le domaine national. En régularisant les ventes de terres par des affectations a posteriori, les conseils ruraux ont contribué, volontairement ou non, au développement de nouvelles formes

    de transactions foncières qui favorisent l'implantation des exploitations d'entreprise, sans

    toutefois leur donner des droits réels sur la terre.

    B) Impact des projets de l'Etat sur l'agriculture

    On peut remarquer à l'aide du tableau 3: « Situation des Grands Chantiers de l'Etat » p.31, que seuls deux projets étaient commencés pendant notre recherche : l'université du futur africain et la Société des industries dakaroise/parc sénégalo chinois. Au moment de l'enquête cinq chefs d'exploitation n'avaient plus de champs suite à l'implantation de la Sodida II, et de

    l'université sur leur terrain. Un village situé sur l'emprise de la Sodida a été déplacé.

    Photos 15- Un village Peul reconstruit après

    déguerpissement. Ce village se trouve sur l'emprise d'un autre projet industriel, et devra être déplacé à nouveau.

    Photos 16- Les bâtiments de la Sodida/Parc

    Sénégalo-chinois en Juin 2005

    A partir de Dény Malick Guèye, le village le plus proche de l'ancienne société Bud

    Sénégal, on peut apercevoir l'Université du Futur qui occupe les deux tiers des champs. Les populations ne peuvent pardonner à l'Etat la confiscation de leurs champs, qui a immatriculé à son nom les terres du Domaine National. « L'Etat a confisqué nos terres pour l'Université du Futur Africain. Cette année, nous n'avons même pas cultivé nos champs familiaux. Beaucoup

    qui ne comptaient que sur l'agriculture ont gelé leurs activités, faute de terres », nous a appris

    un jeune du village. Il n'y a eu ni sommation, ni indemnisation de la part de l'Etat. De nombreux jeunes rencontrés sont obligés d'aller travailler, comme beaucoup d'autres jeunes

    des villages environnants, dans les exploitations agricoles moyennes, le ranch Filifili implanté non loin de son village ne recrutant plus. Beaucoup de producteurs rencontrés à Diamniadio pensent que personne ne peut interdire à l'Etat l'implantation d'un équipement public sur le domaine national. Mais ils pensent que l'Etat doit éviter toute discrimination : « Filfili n'exploite que 300 ha mais détient plus de 600 ha en réserve. Pourquoi mettre la pression sur ceux qui travaillent et pas sur les autres ? Aujourd'hui, tous les grands projets de l'Etat

    esquivent Filfili, à l'étonnement des populations rurales et des autres producteurs ».

    Les producteurs craignent surtout la répétition du syndrome de la ZAC de Mbao, où toutes les terres cultivables ont été cédées à des spéculateurs fonciers. Or, pour eux, «L'ex Bud Sénégal doit rester un tampon naturel entre Dakar et Thiès. Mais avec cette poussée urbaine et l'implantation des projets, sous peu, ils vont atteindre nos exploitations et, avec la législation en vigueur, mettre la main sur nos terres sans aucune indemnisation alors que nous avons dix ans de présence et d'investissement ».

    Une expulsion progressive des éleveurs de l'espace agro-pastoral

    Les enquêtes ont aussi mis en évidence un déguerpissement d'environ 120 personnes (25-30 chefs de famille) à partir du site de la Sodida à 200 mètres de la voie ferrée Dakar Thiès. Il s'agit du village de Gyent Arafat, qui fait partie administrativement du quartier de Deni Diakhate. Parmi ces agro éleveurs Peuls, aucun des ménages propriétaires ne déclarait avoir de titres légaux, en occupant les terres du Domaine National depuis 1964. Depuis février

    ces agro éleveurs ont été déplacés à quelques centaines de mètres des nouvelles implantations. Beaucoup déclaraient être nés sur l'actuel terrain de la Sodida. Mais l'extrait de naissance ne leur a pas été délivré à Diamniadio, car ils étaient considérés comme des étrangers, ce qui montre une réelle volonté de mise à l'écart de la part des populations autochtones. Les infrastructures de ce village sont quasi inexistantes : il n'y a ni fosses septiques ni dépotoir d'ordures. Celles-ci sont déposées à coté du village sans qu'il y ait de ramassage. De plus il n'y a aucun accès à l'eau pour l'ensemble du quartier. Tous les matins, les femmes et les enfants cherchent de l'eau à la borne fontaine située le long de la nationale 1. Ce village forme une communauté homogène, bien différente des citadins Lébous de l'entrée de la ville

    de Diamniadio, même si ils partagent -non sans heurts- le même territoire.

    Les entretiens ont révélé qu'il n'y avait pas eu de sommation avant l'éviction et un refus de négocier. Des compensations ont bien été accordées à quelques occupants (des ordres

    de grandeur de 110 000 FCFA pour deux cases ont été citées) mais une dizaine de chefs de familles n'ont absolument rien touché. Le chef du quartier de Deni Ndiakhate qui est le chef pris en considération par la commune, aurait « oublié » de prendre en compte certaines habitations lorsqu'il a recensé les ménages qui devaient être indemnisés. Un entretien contradictoire avec ce chef de quartier a confirmé que c'est bien lui qui avait recensé les ménages à indemniser par la commune. Il a expliqué que le chef de quartier voisin avait une

    légitimité pour les habitants du quartier Peul, mais aucune pour la mairie de Diamniadio.

    C'est bien une situation de conflit pour la légitimité qui a permis un détournement des premières indemnisations touchant au projet de ville de Diaminiadio.

    Lors de l'éviction, le maire et le service technique de la mairie sont intervenus et des

    « menaces » auraient été proférées « On vous a payés, maintenant il faut quitter cette place. Si vous avez des problèmes, on ne vous viendra pas en aide. » Les éleveurs ont cependant été déplacés dans une zone qui, selon le plan et les entretiens, sera industrielle d'ici quelques années. Peut-être s'agit-il d'une volonté d'anticiper sur une deuxième indemnisation de la part d'autres investisseurs, avec la complicité des conseillers municipaux.

    Le chef coutumier du quartier Peul semble être en grande difficulté: le terrain où ils étaient installés était constitué de sable, alors que les sols où ils ont été déplacés sont argilo- sableux. Une épaisse couche de boue va donc se développer durant l'hivernage. La commune

    ne leur affecte aucun terrain où ils pourraient construire un enclos. Ils doivent dès lors dormir avec les bêtes pour lutter contre les vols de bétail.

    Nous avons informé l'entité RUP d'Enda Tiers Monde, ceux-ci coopérant avec le programme des Nations Unies pour les établissements humains. En effet, depuis 1996, le Sénégal avait souscrit une déclaration commune posant comme objectif l'accès à la sécurité

    de l'occupation et aux services de bases. Selon un responsable d'Enda RUP, le gouvernement

    se trouverait dans l'illégalité vu les textes signés, un recours serait envisageable pour obtenir

    un déplacement plus décent de ces populations.

    C) L'appétit foncier des Dakarois sur les espaces ruraux : une appropriation de l'espace

    en marge des lotissements qui reste difficile à appréhender

    En dehors des lotissements, on remarque que des parcelles dont les coins sont matérialisés par des blocs de ciments agglomérés, et ce au milieu de champs cultivés lors de l'hivernage. Les habitants se montrent peu loquaces vis-à-vis de ces appropriations, car il s'agit de ventes illégales de terres du Domaine national, à usage d'habitation, en majeure partie au profit d'habitants de Dakar. Ces futures constructions sont en situation d'insécurité foncière, mais sont pour le moment tolérées par la commune de Diamniadio. Les réseaux politiques et familiaux semblent jouer assez efficacement pour acquérir une parcelle. Mais les habitants non solvables craignent de ne plus pouvoir acquérir de parcelles pour eux et leurs

    familles. L'appétit foncier des particuliers dakarois est vécu comme une concurrence

    préjudiciable par de nombreux habitants: « La mairie vend tous les terrains à des Dakarois

    qui ont plus des moyens que nous, si cela continue ainsi, il ne va plus rien nous rester »

    rapporte un habitant du quartier basse Casamance à Sébikhotane.

    Par contre, les enquêtés qui possèdent un titre foncier ont conscience de la facilité à laquelle ils arriveront à revendre leur parcelle. Cependant, tous déclarent qu'ils veulent continuer l'agriculture ou bien construire une maison pour leurs enfants sur le terrain. La vente de terre à un étranger est perçue comme une situation d'échec, car elle constitue une perte de patrimoine pour la famille. Selon les personnes interrogées, la vente de terrains est le

    fait de personnes qui ne peuvent plus continuer leurs activités fautes de moyens. Celles-ci vendent leur parcelle afin de nourrir leur famille. Selon les enquêtes, ces personnes se tournent vers le commerce ou l'artisanat, et dans certains cas de dénuement total, vers la mendicité.

    Conclusion : une réforme de la loi sur le domaine national nécessaire

    Les dynamiques foncières en cours dans la zone d'étude, et ailleurs au Sénégal suscitent des interrogations sur la législation foncière adoptée en 1964. Celle-ci semble constituer une entrave au développement de l'investissement privé, à la modernisation de l'agriculture et à la sécurité foncière des exploitants. Si tous les acteurs interrogés, y compris

    les autorités politiques, conviennent de la nécessité de réformer la loi sur le domaine national,

    ils n'ont cependant pas une vision partagée des orientations de la nouvelle législation. Pour cette réforme, un différend oppose les partisans d'une agriculture familiale modernisée et ceux qui préconisent une privatisation des terres pour favoriser le développement de l'entreprenariat agricole, et l'appropriation par des urbains. L'Etat vient d'adopter une loi d'orientation agro-sylvo-pastorale (LOAR) dont l'article 23 ordonne qu'une «une nouvelle politique foncière sera définie et une loi de réforme foncière sera soumise à l'Assemblée nationale dans un délai de deux ans, à compter de la promulgation de la présente loi ». Cette réforme modifiera sans aucun doute les rapports de la société sénégalaise au sol, en favorisant l'achat privé des terres du Domaine National. La question serait de savoir dans quelle mesure

    le Domaine National urbain resterait le « fait du prince », et quelle marge de manoeuvre va-t-

    elle être laissée aux acteurs privés.

    3 Des mutations professionnelles obligatoires pour les petits exploitants

    Dans un contexte où les terres agricoles deviennent de plus en plus rares, où l'accès à l'eau demande des moyens toujours plus élevés, les femmes et les jeunes multiplient les expériences professionnelles à la fois rurales et urbaines. Ils convoitent déjà les emplois futurs qui émergeront du projet de ville. En effet, les jeunes, qui sont de loin majoritaires sur

    le territoire d'étude, perçoivent de façon négative le concept de paysan, dévalorisé par de multiples connotations : techniques archaïques, très faibles revenus, forte sujétion aux aînés, sujétion des femmes... Ce refus d'être perçu comme un paysan pousse les jeunes à s'habiller

    de fripes occidentales achetées au marché hebdomadaire au détriment des habits traditionnels. Parallèlement, le salarié jouit d'une très bonne considération sociale, car il a le privilège d'un salaire fixe. La majorité des jeunes interrogés, qui avait déjà travaillé pour une entreprise dans divers domaines (hôtellerie, transports, agriculture) souhaite accéder durablement au statut de salarié, mais le problème de leur formation reste entier.

    A) La montée du salariat agricole : vers une prise de conscience de classe ?

    Le recours à une main-d'oeuvre salariée pour effectuer les tâches de production constitue une pratique quasi systématique au niveau des entreprises horticoles. Selon les résultats de l'enquête, la majorité des exploitations d'entreprise dispose d'un personnel permanent composé non seulement d'ouvriers agricoles, mais aussi de techniciens chargés de l'appui/conseil et du suivi. Les données collectées dans le cadre des enquêtes montrent que la gestion de certaines exploitations implique à la fois la main-d'oeuvre familiale et un personnel salarié (permanent, saisonnier ou journalier). Dans ce cas de figure, les promoteurs font appel

    à des membres de la famille (épouses, fils, frères) ou à d'autres personnes apparentées

    (neveux, cousins, etc.) pour qu'ils apportent un appui dans la conduite des activités en prenant

    en charge certaines tâches spécifiques (supervision des activités, commercialisation, etc.).

    L'implication du promoteur lui-même ou de membres de sa famille dans la gestion de l'entreprise agricole (organisation des chantiers, supervision des activités ou exécution de certaines tâches) permet de recruter un personnel moins nombreux. Il convient toutefois de mentionner que le recours à la main-d'oeuvre salariée constitue la règle. L'effectif des employés permanents varie de 1 à 7 en fonction du volume des activités qu'ils doivent accomplir au sein de l'exploitation (surveillance des travaux, exécution des travaux culturaux,

    gardiennage, etc.).

    Dans la plupart des cas, les employés permanents perçoivent une rétribution mensuelle dont le montant varie entre 20.000 et 55.000 F CFA. La faiblesse de la rémunération est parfois compensée par des avantages en nature (mise à disposition d'un logement, prise en charge de la restauration, du déplacement etc.).

    Le recrutement d'employés journaliers est devenu un phénomène général au niveau des exploitations d'entreprise spécialisées dans l'horticulture et les cultures fruitières. Cette main- d'oeuvre est mobilisée principalement pour les opérations de désherbage, de sarclage et de récolte. En période de récolte, certaines grandes exploitations (par exemple Safina Filfili à Sébikhotane) font appel à plusieurs centaines de femmes et de jeunes originaires des villages environnants. L'utilisation de plus en plus massive de la main d'oeuvre féminine a fait naître

    un intéressant phénomène d'exode urbain temporaire des femmes des villes environnantes comme Rufisque, Bargny et Pout vers la zone agricole à la recherche d'emplois saisonniers.

    Ces travailleurs sont payés à la tâche ou au rendement, sans considération des dispositions de la convention collective. Les rétributions négociées de gré à gré avec l'employeur ou son représentant varient de 1000 à 2.000 F CFA pour une journée de travail, lorsqu'il s'agit du désherbage. Pour les opérations de récolte, ce personnel est rémunéré à la journée à raison de 1.400 à 1700 Fcfa/jour. Les femmes sont payées moins que les hommes.

    On retiendra que dans la zone d'étude, l'emploi salarié concerne une main-d'oeuvre journalière constituée de femmes et de jeunes originaires des villages environnants, mais aussi

    de techniciens et d'ouvriers agricoles. Les salaires trop faibles pratiqués par les exploitants

    ont déjà déclenché des grèves des ouvriers agricoles : deux semaines de grèves ont été organisées par des employés chargés de la sécurité (engagés au niveau baccalauréat ou licence universitaire) au sein de l'entreprise Safina Filfili. Une « lutte de classe » prend donc forme

    au sein des plus grandes exploitations. Cependant, au dire des notables locaux, ces entreprises contribuent à fixer les jeunes sur le territoire en leur permettant d'accéder à des emplois, sans lesquels les jeunes adultes seraient tentés par l'émigration à Dakar. Pour eux, il s'agit

    d'apprendre à négocier avec les chefs d'entreprises et d'ouvrir le dialogue.

    B) ...Mais des emplois industriels sans doute illusoires pour les autochtones

    Parmi les enquêtés qui ont perdu leur terrain ou une partie de leur terrain, beaucoup espèrent des retombées positives pour eux ou leurs familles. Le projet de plate forme multidimensionnelle serait une opportunité d'embauche pour les habitants du site. Le gouvernement a annoncé son intention de privilégier le recours aux technologies de construction fondées sur l'utilisation intensive de la main-d'oeuvre (HIMO) et des ressources locales. Un exemple est la réalisation de voirie en pavés, qui permettrait d'embaucher une main d'oeuvre peu ou pas qualifiée. Le personnel de la Sodida a avancé aux populations locales expropriées qu'elles seraient les premières à être embauchées. On notera que pour l'instant aucun engagement n'a été signé et les personnes enquêtées n'ont fait écho d'aucune embauche au moment de l'investigation. Des cas similaires ont été rapportés par des personnes étrangères au terrain d'étude qui posent une question cruciale : les investisseurs accepteront-ils d'attendre que les employés locaux soient formés pour commencer leur activités ? Les personnes seront-elles employées durablement ou seulement pour un effet d'annonce ? Si ces questions n'ont pu être élucidées lors des entretiens, il apparaît néanmoins qu'une nouvelle mobilité fonctionnelle des habitants tend à s'affirmer.

    Conclusion : l'affirmation d'un phénomène nouveau de pluri activités

    La perte du rôle moteur de l'agriculture rend nécessaire d'autres secteurs. Une femme agricultrice vend des repas sur le lieu de travail des ouvriers de l'Université du futur, une autre s'improvise boulangère, un chef de famille élève des poulets de chair... Cette économie familiale élargie, souple, est très ouverte sur la ville et révèle une société rurale dynamique et entreprenante, comme le montre de nombreux entretiens. Ces stratégies de diversification et

    de reconversion permettent aux paysans de s'adapter à la crise par un redéploiement des activités, au-delà d'un dualisme entre ville et campagne. Dès lors, il n'y a pas de coupure mais une mobilité et une fluidité entre l'urbain et le rural, ce qui laisse entrevoir une frontière mouvante entre les deux milieux. Avoir un pied dedans et un pied dehors, c'est aussi mettre

    en place une « panoplie anticrise ». Les dynamiques rurales sont dès lors les inventrices de

    nouvelles identités citadines.

    Conclusion générale

    Le développement n'est plus imaginé qu'en termes d'intégration au marché mondial,

    et cette nouvelle modernité bouleverse complètement les rapports entre progrès économique, progrès politique et progrès social. L'Etat sénégalais a clairement affiché son intention de confier le développement du monde rural aux initiatives privées ou populaires. Mais en se réservant le droit d'encourager, par des mesures appropriées, les investissements privés lourds étrangers ou nationaux, le pouvoir politique central a décidé de faire de la zone d'étude une annexe urbaine plutôt qu'une entité rurale spécifique, dans une volonté de discipliner l'extension urbaine de Dakar et dans la mouvance d'un axe de développement privilégié s'étendant de Dakar à Thiès. L'espace périurbain est donc géré en fonction des priorités des acteurs citadins qui le perçoivent comme une zone transitoire. Ces zones agricoles autour de

    la ville sont des zones à raser lorsque le besoin se fera sentir...

    Si des ateliers de concertation locale ont bien permis de faire émerger le point de vue

    des acteurs locaux sur l'évolution souhaitable des communes concernées par le projet de ville,

    il faut rendre compte de la crainte, formulée par certains acteurs au cours des entretiens de voir les propositions formulées rester « lettre morte » et que le processus de concertation ne serve que « d'alibi », pour asseoir la légitimité de l'Etat. Les agriculteurs redoutent la répétition du « syndrome de la ZAC de Mbao », où les agriculteurs n'ont pas été indemnisés,

    et les investissements qu'ils avaient effectués n'ont pas été pris en compte par l'Etat. Dans cette perspective, les promesses d'embauche consécutives aux expropriations apparaissent comme des leurres pour des populations locales manquant cruellement de formation et d'informations. Pour le pouvoir politique, c'est désormais à la région du fleuve Sénégal qu'appartient l'avenir agricole du pays. Les entrepreneurs agricoles les plus avisés ont bien intégrés cette tendance en s'arrogeant des réserves foncières au sein de communautés rurales situées dans les départements de Louga et de Podor.

    L'interpénétration ville campagne peut-elle être facteur de développement pour les agriculteurs périurbains? D'un point de vue économique, la réponse est nuancée. Les producteurs de Diamniadio et de Sébikhotane sont maintenant dépendants du marché pour

    leur subsistance.

    Au moment des enquêtes de terrain, la phase de transition entre économie de subsistance et économie de marché était largement achevée. Mais ce système repose sur une politique du prix des céréales importées d'Asie, qui rend hypothétique les cultures céréalières,

    et impossible le retour à une agriculture rurale indépendante de la ville. La seule alternative

    des agriculteurs réside dans une intensification de leurs productions tant agricoles que pastorales. Or, celle-ci passera sans aucun doute par une réforme de la loi sur le Domaine National. La loi d'orientation agro-sylvo-pastorale adoptée en juin 2003 vise à définir une nouvelle politique foncière qui permettrait une appropriation privée de la terre, d'ici quatre à cinq ans, comme le préconise la Banque mondiale. Celle-ci y voit la nécessité d'assurer, par le

    jeu des hypothèques, un accès au crédit rural. La privatisation des terres du Domaine National permettrait aussi l'établissement d'un impôt foncier, nécessaire au budget de l'Etat. En s'accompagnant d'un remembrement des terres, les appropriations privées pourraient être une occasion pour l'ethnie Lébou, qui détient à la fois le pouvoir politique et coutumier, de chasser les ethnies et entrepreneurs allochtones de leurs terres.

    Le développement de l'espace urbain au Sénégal semble donc devoir passer par une accentuation des inégalités, et par l'émergence d'une classe paysanne pluri fonctionnelle,

    intégrée et fortement dépendante de l'économie de marché.

    Bibliographie

    & AGENCE DE DEVELLOPEMENT DE LA VILLE DE DAKAR (ADM), Commune de

    Dakar, Dakar, 2001, 127p.

    & AUVRAY M.-P., Projets de quartier et gestion urbaine dans la périphérie dakaroise :

    les interventions de l'A.F.V.P. dans les quartiers de Wakhinane, Geule Tapée II et

    Médina Fass Mbao (Sénégal) Thèse de Doctorat, Université Paris X Nanterre, 2002,

    485p

    & BART F., LENOBLE BART A., (dir) Afrique des réseaux et mondialisations, Paris, Karthala MSHA, 2003, 204p.

    & BENARDET P. Association agriculture-élevage en Afrique. Les Peuls semi- transhumant de Côte d'Ivoire, Paris, L'Harmattan, 1984, 235p.

    & CAMARA S., L'agriculture intra et péri urbaine au Sénégal : les exemples de Saint

    Louis, Thiès, Dakar, Kaolack, et Ziguinchor. Thèse de doctorat, Université de Lille III,

    1986, microfiches.

    & COQUERY-VIDROVITCH C., ALMEIDA-TOPOR H., SENECHAL J. (dir.),

    Interdépendances villes campagnes en Afrique, Paris, L'Harmattan, 1996, 293p.

    & CROUSSE B., LE BRIS E., LE ROY E . (dir) Espaces disputés en Afrique noire, Paris, Karthala, 426p.

    & DELER J.-P ; (dir.), FAURE Y.-A. (dir), et al, ONG et développement. Société, économie, politique, Karthala, Paris, 1998, 688p.

    & DIONGUE M., Le projet de ville de Diamniadio : enjeux et possibilités d'aménagement.

    Mémoire de Maîtrise en Aménagement du territoire, ULP, Strasbourg, 2003, 134p.

    & DUBRESSON A., RAISON J-P., L'Afrique Subsaharienne. Une géographie du changement, Paris, Armand Colin, 2003, 245p.

    & ENDA Graf Sahel, Le financement de l'agriculture péri-urbaine par un système de crédit à caution solidaire, 2002, 18p.

    & FALL A.S., et FALL S.T., (dir), Cités horticoles en sursis ? L'agriculture urbaine dans

    les grandes Niayes au Sénégal, CRDI, Ottawa, 2001, 138 p.

    & GASTELLU J.M., MARCHAL J.Y., (dir.) La ruralité dans les pays du Sud à la fin du

    XXe siècle, Paris, ORSTOM, 1997, 768p.

    & HARVATOPOULOS Y., LIVIAN Y-F, SARNIN P., L' Art de l'enquête, guide pratique, Eyrolles, Paris, 1988, 137p.

    & LEIMDORFER F., MARIE A. (dir.) L'Afrique des citadins. Sociétés en chantier

    (Abidjan, Dakar), Paris, Karthala, 2003, 400p.

    & LESOURD M. (dir.), L'Afrique, vulnérabilité et défis, Nantes, Editions du temps, 2003,

    447p

    & OSMONT A., GOLDBLUM C., (dir.) Villes et citadins dans la mondialisation, Paris, Karthala, 2003, 300p.

    & PIERMAY J.L., Citadins et quête du sol dans les villes d'Afrique centrale, Paris, L'Harmattan, 1993, 579p.

    & PROGRAMME D'APPUI A L'AMENAGEMENT ET A LA GESTION CONCERTEE

    ET DURABLE DES NIAYES (PACN), Rapport de synthèse des activités de concertation pour la finalisation du PDAS, Niveau sites et villes. Dakar, PASDUNE,

    2004, 38p.

    & PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LES ETABLISSEMENTS HUMAINS (PNUEH), Etudes sur la sécurité de l'occupation foncière et immobilière et la bonne gouvernance, Rapport final. 2004, 104p.

    & REPUBLIQUE DU SENEGAL, Loi d'orientation agro-sylvo pastorale. Exposé des motifs. 2004, 26p.

    &

    SCHILTER C., L'agriculture urbaine à Lomé, Karthala, Paris, 1991, 334p.

     

    &

    SECK M., ENGELHARD P., et SECK T., Le développement rural en Afrique.

    De

    quelques mythes paralysants et de quelques issues possibles. ENDA SYSPRO, 1996,

    23p.

    Sites Internet

    @ http://www.enda.sn/graf/presenta/histo/index.html

    @ http://www.inra.fr/dpenv/huberd22.pdf

    @ http://www.interdev-net.org/theme.agriurb/pres1.html

    @ http://www.web.idrc.ca/en/ev-27919-201-1-DO_TOPIC.htm

    Annexes






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe