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Associations ethniques en milieu estudiantin de l'Université de Kinshasa (RD Congo) : Neo-fraternité, lutte hégémonique et citoyenneté segmentée

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par Jean Pierre Mpiana Tshitenge
Université de Kinshasa -  DES en Sociologie 2006
  

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Associations ethniques en milieu estudiantin de l'Université de Kinshasa (RD Congo) :

Néo-fraternité, lutte hégémonique et citoyenneté segmentée.

Introduction.

Après le musellement des mouvements estudiantins (cas de l'Union Générale des Etudiants Congolais) et leur récupération et réorganisation par le pouvoir d'Etat Mprien1(*) à travers sa jeunesse estudiantine démantelée par la tsunami de la démocratisation des années 90, la vie estudiantine s'organise en divers types d'associations parmi lesquelles les associations ethniques figurent en bonne place. Leur émergence coïncide avec la crise socioéconomique et politique que traverse le pays, la décrépitude de l'institution universitaire elle-même et l'essoufflement des mouvements estudiantins.

Ces nouvelles formes de sociabilité et solidarité estudiantine se posent comme stratégies de survie dans un contexte de délabrement des conditions de vie et de travail au sein des universités traduisant au niveau local l'implosion de la société globale. Elles entretiennent des relations dialectiques avec l'environnement interne et externe de l'université. En effet, si leur objectif avoué, comme le stipulent leurs statuts, s'avère être l'entraide des étudiants ressortissants d'une même ethnie (d'une même province, territoire ou collectivité) et l'encadrement des nouveaux venus à l'université, elles ne sont pas moins des sauf-conduits pour la réussite académique. En même temps, elles servent de point de ralliement avec les opérateurs politiques2(*) qui trouvent, par leur entremise, la voie d'accès à l'université, un espace apolitique et non partisan par principe. Par ces contacts qu'elles facilitent avec les notabilités de l'ethnie, ces associations garantissent enfin l'emploi à certains membres au sortir de l'université en cette période de plein chômage.

Analysant la situation à partir de l'Université de Kinshasa, nous décrivons l'univers associatif des étudiants de cette université et précisons la place et l'importance des associations ethniques dans cet univers.

Ensuite sont mis en exergue le profil et les motivations des animateurs et des adhérents de ces associations. Ce qui nous conduit naturellement à saisir les relations dialectiques que ces associations ethniques entretiennent avec l'environnement interne et externe de l'Université de Kinshasa.

Au titre de conclusion, nous soumettrons ces associations à l'épreuve de l'éducation à la citoyenneté de ses membres. (Associations ethniques pour quelle citoyenneté ?).

I. DYNAMIQUE DU MOUVEMENT ASSOCIATIF EN MILIEU ESTUDIANTIN DE L'UNIVERSITE DE KINSHASA.

En dépit de l'autonomie qu'il a toujours revendiquée et de l'image insulaire qu'il reflète dans l'imaginaire collectif, le champ universitaire est traversé par les flux de la société dont il émerge et se trouve même surdéterminé par d'autres champs avec lesquels il interagit, notamment le champ politique. Sa dynamique interne et la structuration des forces sociales qui y opèrent procèdent de la nature de ces interactions.

L'Université de Kinshasa n'échappe pas à cette loi générale et implacable du fonctionnement du champ universitaire. La vie associative dans cette université, comme dans d'autres universités et instituts supérieurs du pays, intègre les dynamiques impulsées au niveau de la société globale. Celles-ci s'actualisent en trois périodes de l'histoire nationale post-coloniale allant de l'accession du Congo à l'indépendance en 1960 à la transition politique actuelle déclenchée depuis le 24 avril 1990 en passant par les 25 ans (1965-1990) de pouvoir autocratique du feu Président Mobutu. Ces trois périodes coïncident avec trois manifestations différentes de la vie associative en milieux universitaires.

La première période est marquée, pour l'Université de Kinshasa, par des associations estudiantines dont les unes inscrivaient leurs actions dans une perspective purement syndicale (le cas de l'Association Générale des Etudiants de l'Université Lovanium « AGEL ») alors que d'autres, à l'instar de l'Union Générale des Etudiants et Elèves du Congo (UGEC), ne cachaient pas leur inclinaison politique. Mais globalement, ces associations, comme le font remarquer Abemba et Ntumba, étaient animées par un faisceau de clivages dont les plus important sont : le clivage politique entre nationalistes et modérés d'une part et, d'autre part, le clivage régional entre les étudiants de l'Est et ceux de l'Ouest du pays.3(*) Cette physionomie offerte par l'univers associatif épouse la fracture idéologique et politique de la scène politique nationale entre les partisans de Lumumba (nationalistes-progressistes) et ceux de Kasa-vubu (modérés). Toute la première république a été marquée du sceau de cet antagonisme à la base de la crise sociopolitique ayant donné prétexte au coup d'Etat militaire le 25 novembre 1965.

Au cours de la seconde période inaugurée par ce coup d'Etat, la vie associative des étudiants s'organise sous l'égide de la Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolutionnaire (JMPR), unique institution d'encadrement des jeunes zaïrois (congolais). Cette jeunesse devait réaliser sur le campus universitaire le projet social, économique, politique et idéologique du parti unique MPR institué par le Président Mobutu.

En effet, « l'ambition du MPR a été de former au coeur de l'Afrique une société monolithique, fortement intégrée sur le plan politique d'abord, mais aussi, certes, sur celui des idées et des valeurs culturelles. En d'autres termes, le MPR était l'ennemi des particularismes politique, social, culturel...En ce sens la tribu et le tribalisme étaient une bête noire, dans ce qu'ils pouvaient représenter de négatif pour l'action globale du parti unique. Le monolithisme, le consensus social et politique, le MPR les voulait même de façade, car le plus important pour lui était l'image extérieure du pays et du régime.

Dans cette optique, la JMPR devait bénéficier du monopole sur le champ universitaire comme seul cadre dans lequel l'intégration politique, sociale et économique était destinée à se réaliser. Elle devait et pouvait, par conséquent, satisfaire toutes les aspirations collectives et individuelles du monde étudiant : aspiration à l'unité et à la cohésion, aspiration à la sécurité, à la solidarité et à l'entraide »4(*).

Dans ces conditions, l'université en tant que segment de la société zaïroise se posait en moule où étaient pétris les futurs cadres à l'image du MPR parti-Etat. Au terme de ses études universitaire, le citoyen zaïrois ainsi socialisé était supposé s'identifier à la nation zaïroise politiquement organisée que se voulait le MPR.

Mais la prétention de la JMPR à régenter toute la vie estudiantine n'avait pas gommé le sentiment ethnique dans le chef des étudiants. Si elle avait réussi à confiner toutes les associations qui se constituaient en dehors d'elle dans la zone d'illégitimité, elle portait néanmoins officiellement les stigmates de la fracture de l'antagonisme entre les étudiants du bloc Est et ceux de l'Ouest dont la conscience régionale était aiguisée par la politique de quota. Sous le couvert de ces deux blocs, plusieurs associations ethniques avaient investi l'Université de Kinshasa. Maquis où s'organisait la révolution cachée, les associations ethniques « offraient le cadre dans lequel l'étudiant se réfugiait pour agir et penser non seulement en dehors de la JMPR, mais souvent contre elle » 5(*), par ricochet, contre le MPR parti-Etat.

La JMPR, comme le MPR dont elle était l'émanation, n'a pas résisté au tsunami de la démocratisation. A l'absence d'une structure fédérative et au regard de la conjoncture politique, la communauté estudiantine avait éclaté en plusieurs groupuscules antagonistes en dépit des tentatives de réunification initiées au lendemain du 24 avril 1990 par le « Groupe de réflexion pour l'unité estudiantine ».

La troisième période, qui est sous examen dans cette étude, s'ouvre avec la démocratisation de la vie politique le 24 avril 1990. Elle inaugure la transition vers la troisième république conjecturée fondatrice d'un Etat démocratique, respectueux des libertés et des droits humains. La suppression du rôle dirigeant du MPR (JMPR) et la consécration du principe de liberté d'association qui en résultent ont provoqué la floraison des associations estudiantines à l'Université de Kinshasa. Celles-ci, sans doute, accusent d'une polymorphie qui astreint à une typologie basée sur le critère au fondement de leur constitution6(*).

II. LES ASSOCIATIONS ETHNIQUES A L'UNIVERSITE DE KINSHASA

Au nombre des structures qui animent la vie en milieux estudiantins et qui font de l'Université de Kinshasa à la fois un espace et un enjeu de lutte, figurent en bonne place les associations ethniques. Aussi vieilles que l'Université elle-même, leur importance s'est accrue au cours de ces quinze dernières années et coïncident avec l'étiolement du mouvement estudiantin.

A la différence des autres regroupements estudiantins, les associations ethniques regroupent les étudiants ressortissants d'un même groupe ethnique, communauté partageant la même langue, les mêmes traditions, us et coutumes. Cette communauté culturelle (ethnie) est articulée à son l'assise territoriale ou géographique qui permet aux membres de circonscrire leur groupe et de le distinguer d'autres groupes avec lesquels il partage des similitudes culturelles. La prise en compte de l'assise géographique traduit la nouvelle conscience induite par les subdivisions administratives opérées par le pouvoir colonial et maintenues par l'Etat postcolonial ou reflète des rivalités ethnopolitiques entre les différentes fractions d'une même ethnie. Ainsi, les étudiants luba lubilanji (du KasaÏ oriental) se regroupent dans une association distincte des luba shankadi (du Katanga) et des lulua ; alors que les tchokwe de la Province de Bandundu le font distinctement de ceux des Provinces du Kasaï occidental et du Katanga.

Trois observations à propos de ces associations ethniques. En premier lieu, il sied d'indiquer à ce niveau que le générique « association ethnique » recouvre une diversité d'organisations. Le premier type comprend des associations autonomes, constituées par et pour les seuls étudiants de l'Université de Kinshasa.

Le second type comprend des associations sections/Unikin des grandes organisations regroupant les étudiants d'une même ethnie disséminés dans toutes les institutions d'enseignement supérieur et universitaire de la ville de Kinshasa. Rentre dans ce type des associations telles que la mutuelle des étudiants de Masamuna dont le siège est sur l'avenue Aruwimi n° 59 dans la commune de Lemba.

Le troisième type comprend des associations qui sont des branches estudiantines des regroupements socioethniques externes au monde universitaire. Tel fut le cas de la représentation estudiantine à l'Université de Kinshasa de l'Alliance des Bangala (ALIBA/section UNIKIN).

Quoiqu'il en soit, toutes ces associations entretiennent des liens divers avec des associations analogues du monde non universitaire

En second lieu, il est fastidieux d'établir un relevé exhaustif de ces associations, la plupart étant informelles, c'est-à-dire non officiellement enregistrées par le Secrétariat Général Administratif de l'Université7(*).

En troisième lieu, outre ces associations purement ethniques, d'autres regroupent les ressortissants d'une même entité administrative : province, district, territoire ou collectivité8(*). Ces associations sont des fédérations d'associations ethniques. Ces structures fédératives ont pour résultat une efficacité réduite sur le plan de la solidarité et de leur capacité à encadrer l'étudiant et à satisfaire ses aspirations à la sécurité et à l'entraide9(*). Mais elles font la démonstration de leur pertinence et efficacité en tant qu'élément de la stratégie politique comme nous le verrons plus loin.

Basées sur la solidarité mécanique, les associations ethniques sont, somme toute, une constante dans l'histoire de l'Université de Kinshasa. Elles remanient leurs orientations, actions et stratégies à chaque phase du développement historique de cette institution universitaire. Cette constante s'inscrit dans l'histoire même de la construction de l'Etat-nation congolais où l'ethnie joue un rôle important dans le jeu politique.

Toutes les associations estudiantines fonctionnent sous le régime de la loi............ portant organisation et fonctionnement des associations sans but lucratif (asbl) en RDC. Pour s'assurer de leur contrôle, l'Université les astreint au renouvellement annuel de leur enregistrement. Obligation qu'elles ne remplissent plus une fois agrées.

Ces associations se constituent de trois catégories de membres : effectifs que sont les étudiants eux-mêmes, sympathisants et d'honneur désignés parmi des personnalités qu'elles considèrent comme de marque. Généralement, le champ d'action de ces associations débordent le cadre de l'Université de Kinshasa et s'étend à l'ensemble de la société globale. Hormis la clameur qui accompagne leur création, leurs actions sont à compter du bout des doigts et difficilement évaluables parce que sans impact réel sur le milieu. Leur existence est néanmoins attestée par des assemblées générales qu'elles organisent au début et à la fin de l'année académique soit pour élire des nouveaux comités exécutifs, accueillir des nouveaux membres ou célébrer la fin d'études de leurs, soit pour définir les orientations et les stratégies qui doivent sous-tendre leurs actions. Chapotées par des assemblées générales réunissant tous les membres, elles ont chacune un comité directeur à la tête duquel trône un président assisté par un vice-président, un secrétaire, un trésorier, un chargé des relations publiques, comité directeur encadré par un conseil des sages et les commissaires aux comptes pour rendre efficace son action. Les cotisations des membres, les dons et legs constituent l'essentiel de leurs ressources financières.

III. PROFIL ET MOTIVATIONS DES ANIMATEURS ET MEMBRES DES ASSOCIATIONS ETHNIQUES.

1. Profil

Le profil des animateurs et membres des associations ethniques à l'Université de Kinshasa renseigne sur la décrépitude de l'institution universitaire mais surtout sa déchéance de son statut d'instance de rupture symbolique avec le milieu socioculturel des étudiants.

Les données recueillies au cours de nos enquêtes établissent que la quasi-totalité des animateurs et membres se recrute parmi les étudiants d'origine rurale, fraîchement arrivés dans la ville de Kinshasa. Mus par leur volonté de s'offrir une sécurité sociale, et même matérielle, dans un environnement relativement hostile et jonché d'incertitudes, ils (animateurs et membres) reconstruisent le tissu social primaire déconstruit par le fait de leur exode. Cette néo-fraternité aborigène se trouve promue par l'absence de structures formelles d'accueil chargées d'opérer la rupture avec l'environnement familial, clanique et ethnique. C'est non sans raillerie que la plupart d'étudiants nés et grandis à Kinshasa allèguent que les associations ethniques sont l'apanage des « bahuta », des « mbokatiers », c'est-à-dire des villageois. Mais ils ne manquent pas d'y adhérer par opportunisme étant donné les perspectives alléchantes qu'offrent ces associations comme nous le verrons plus loin.

En outre, nombre d'étudiants qui peuplent ces associations sont à l'externat. Faute de trouver un logement sur le campus universitaire la plupart des étudiants venus de l'intérieur du pays débarquent d'abord dans une famille qui leur sert de point d'ancrage tout au long de leurs études universitaires10(*). Ces accointances prolongées avec la parentèle, loin de les sevrer des liens primaires, les inclinent à les reconstituer même de manière bricolée pour assurer leur sécurité sociale.

Et pourtant jadis, tout étudiant inscrit trouvait sur le campus universitaire une structure d'accueil qui le soustrayait des membres de sa communauté ethnique. Il logeait au home universitaire avec des condisciples venus d'autres coins de la République. Bénéficiant d'une bourse et nourri par l'Etat, il n'avait pas besoin des apports de sa famille pour vivre sur le campus. Le T-shirt aux motifs de l'université, le képi avec perles et d'autres insignes qu'il arborait, attestaient son appartenance à la communauté universitaire. Ce qui ne manquait pas d'éveiller en lui la conscience d'une nouvelle identité.

2. Motivations.

Faisons remarquer, d'entrée de jeu, que les associations regroupant les étudiants sur des bases ethniques fonctionnent sur un terrain fertile. En effet, l'Université de Kinshasa est une institution où la fibre ethnique informe et gouverne aussi bien les pratiques que les représentations collectives11(*). Elle est la catégorie première de l'interaction sociale, la première caractéristique à laquelle réagissent les membres de la communauté universitaire. Elle rentre dans les stratégies d'accumulation du capital social et politique des agents et révèle son efficacité dans les luttes qui ont pour enjeu le contrôle du champ universitaire. Les élections de chefs de promotions et de membres de la coordination estudiantine, de chefs de départements, de doyens des facultés, de comités exécutifs des différentes corporations professionnelles, etc., procèdent des combines ethnicistes. Placer un « frère » de l'ethnie quel que soit son profil à ces postes revient à garantir et à sécuriser les intérêts des membres du groupe ethnique. Ainsi, ces derniers se font-ils, au nom des intérêts de la coterie, l'obligation de soutenir et défendre même dans ses délires leur frère alors que ceux ressortissant d'autres groupes ethniques s'érigent en opposition pour désapprouver toutes ses actions, même celles qui sont salvatrices pour tout le personnel.

Une autre particularité de cette université réside dans l'ethnicisation de toute revendication. Lorsque s'annonce ou éclate un mouvement de revendication, la question suspendue à toutes les lèvres est celle de savoir quel groupe ethnique en est instigateur et contre quel autre groupe il est destiné. L'intériorisation du fait ethnique explique pour une part non négligeable (la fronde) les dissensions qui minent et fragilisent la plupart de revendications salariales au sein de cette Université. L'échec de la grève lancée par le Comité exécutif de l'Association des Cadres Scientifiques pour protester contre le barème salarial signé par le ministre de l'enseignement supérieur et universitaire Emile Ngoy en avril 2004 s'explique en partie par la manipulation de la fibre ethnique.

L'Université, ce haut lieu de l'intelligentsia, offre ainsi aux analystes l'image d'un laboratoire où se fabrique le virus ethniciste dont on infeste le reste de la communauté nationale. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que certaines associations estudiantines soient commanditées par ceux qui ont intérêt à les instrumentaliser lors des différents enjeux qui ont cours dans le champ universitaire.

2.1. De la néo-fraternité aborigène à l'affirmation identitaire dans les associations ethniques.

Les associations estudiantines à caractère ethnique répondent aux motivations aussi bien manifestes que latentes. En compulsant leurs statuts et règlements d'ordre intérieur, il ressort que trois préoccupations motivent leur existence en milieux estudiantins, à savoir : la solidarité et l'entraide entre les membres ; la promotion de leurs valeurs culturelles et le développement socio-économique de leurs territoires d'origine.

2.1.1. Renforcer la solidarité et l'entraide entre étudiants (membres).

Les ajustements structurels initiés par la BM et le FMI, ont sommé l'Etat congolais de se désengager des secteurs sociaux, notamment de l'enseignement supérieur et universitaire. La communauté estudiantine est la plus affectée par cette politique de désengagement de l'Etat. Avec la suppression de tous les avantages matériels qui en a résulté (restauration, transport, bourse, frais de professionnalisation, etc.), la survie des étudiants sur le campus universitaire relève depuis lors de la seule responsabilité des parents pour la plupart laminés par la crise socio-économique prolongée qui sévit au pays. Pour compenser l'incapacité de leurs parents à subvenir à toutes les exigences liées à la vie estudiantine et assurer leur propre survie sur le campus, les étudiants sont-ils obligés d'imaginer tant d'initiatives au nombre desquelles figurent les associations ethniques.

Ces associations, pour reprendre la formule de Théodore Trefon, sont de nouvelles formes d'organisations sociales mises en place par les étudiants pour pallier à la situation sinistrée leur léguée par l'Etat-nation post coloniale12(*). Elles se créent dans ce contexte où les initiateurs, pour la plupart soustraits de la parentèle, se sentent engloutis et désarmés dans un microcosme (université) lui même dominé dans un vaste espace économico-politique (la ville de Kinshasa) et dans lequel ils n'ont aucune emprise sur les instruments de production. A travers elles, les étudiants polémiquent avec l'ordre social qui leur inspire inquiétude tant cet ordre témoigne de la décrépitude de ses instruments d'intégration et étale ses limites à satisfaire leurs besoins existentiels. Dans ces conditions, les associations ethniques constituent pour les étudiants, une nouvelle modalité de réappropriation collective du champ universitaire et des instruments de domination et d'appropriation matérielles et symboliques qui y ont cours. Elles leur permettent, par conséquent, d'agir, selon les cas, sur le champ universitaire en tant qu'acteur individuel et collectif.

La néo-fraternité aborigène  forgée dans ces associations garantit aux membres une sécurité sociale et matérielle dans un univers inconnu et plein d'incertitudes. Les contacts qu'elles permettent brisent l'anonymat et l'isolement et replacent les membres dans des réseaux de relations de type primaire. Ce capital social à l'investissement duquel travaille chaque membre produit ses profits, surtout à des moments d'adversité.

En outre, ces associations se posent comme des espaces de prise en charge collective des problèmes communs qui affectent leurs membres et qui ne peuvent être aisément résolus au niveau individuel : inscription et logement des nouveaux venus, hospitalisation des malades, inhumation en cas de décès, etc. Avec les cotisations consenties par les membres, elles fonctionnent comme des caisses de crédits (d'assistance sociale). Aussi, apportent-elles un appui logistique et financier aux membres finalistes en soutenant la réalisation de leurs travaux de fin d'études. A l'honneur des finalistes, elles organisent des réceptions pour célébrer la fin de leurs études universitaires.

Dans cette quête collective des solutions aux problèmes collectifs, elles ne peuvent compter seulement sur les cotisations de leurs membres effectifs que sont les étudiants déjà paupérisés par la crise en cours au pays, elles jouent le rôle de lobby auprès des notabilités de l'ethnie (souvent élevées au rang de membres d'honneur ou sympathisants) en les sensibilisant sur les situations qui les préoccupent. C'est grâce à ce lobbying qu'elles mobilisent l'essentiel des fonds qui alimentent leur caisse d'assistance.

2.1.2. Promouvoir les valeurs culturelles de la communauté d'origine.

Le Congo est une mosaïque des ethnies estimées à 450. Leur coexistence en milieux urbains et à l'université en particulier aiguise la conscience aussi bien d'identité que d'altérité. Ainsi, l'ethnicité comme « sentiment d'identification à son ethnie, la définition de son authenticité en tant que membre d'une ethnie et la reconnaissance de l'authenticité correspondante des membres d'autres ethnies »13(*) participent de la subjectivation même de l'individu dans la vie quotidienne.

Cette conscience d'identité et d'altérité engendre naturellement un réflexe d'autodéfense face aux « menaces d'invasion » que représentent réellement ou virtuellement les autres groupes ethniques. Instrument de lutte contre la violence symbolique, les associations ethniques sont investies de la mission de faire valoir sur le site universitaire les valeurs culturelles d'une ethnie face aux autres avec lesquelles elle est virtuellement en compétition. Les étudiants Luba dans leur mutuelle n'en disent-ils pas mieux que kuetu kakujimini (que l'on peut littéralement traduire par « que notre origine ne disparaisse » pour dire « ne perdons pas nos valeurs culturelles »). A travers ces associations, les membres déclinent leur identité culturelle et leur permettent de s'affirmer en tant que groupe social distinct des autres.

La langue est le premier élément objectif de l'identité d'un peuple qui extériorise son unicité. Promouvoir la langue pour chaque association consiste à aider les membres à conserver leur habilité linguistique durant leur séjour universitaire, qui disparaîtrait faute d'un exercice quotidien ; l'apprendre à ceux d'entre eux qui ne la connaissent pour n'avoir jamais été au terroir ; dissiper chez d'autres la honte de communiquer publiquement dans la « bouche du village ». Raison pour laquelle dans les associations ethniques les réunions se tiennent en langue maternelle. Comme aiment bien le stigmatiser les étudiants Luba dans leurs rencontres « français idi inyemesha bakishi » (le français chasse les mânes des ancêtres).Ceci permet aussi de limiter l'accès des autres communautés à l'information qui circulent dans le groupe. Des analyses faites, il se dégage que la promotion des langues maternelles participe des mécanismes de résistance contre le lingala parlé à Kinshasa, langue jugée brutale, impolie et envahissante des gens de la province de l'Equateur.

Outre la langue, le folklore qui agrémente leurs manifestations constitue une autre valeur culturelle à la promotion de laquelle travaillent les associations. Le folklore réconcilie avec l'univers culturel du terroir et met en communion les membres avec les mânes des ancêtres. Au cours de leurs manifestations, ces associations jouent la musique du « village » ou invitent un groupe musical de la contrée pour agrémenter la circonstance. Sont également scandés les hymnes ethniques qui exhortent à l'amour du terroir et célèbrent la grandeur du groupe. L'unicité culturelle du groupe se révèle également dans les mets du terroir servis à cette occasion.

A travers ces valeurs culturelles, les étudiants célèbrent la solidarité ou l'habitus communautaire de leurs milieux d'origine dans une société où la rareté toujours croissante incite à l'individualisme.

Comme on le voit, les étudiants opèrent sur un tableau contrasté (un double registre). La modernité et la tradition. Cette dernière compense les déficits que provoque une modernité mal maîtrisée mais dont on se réclame pour témoigner son ascension dans la hiérarchie sociale. C'est dans cette continuité et rupture que se définissent les identités non seulement dans le champ universitaire mais aussi dans tous les univers sociaux et dans tous les segments de la structure sociale.

2.1.3. Promouvoir le développement socioéconomique du terroir.

Si les indicateurs macroéconomiques permettent de se faire une idée sur le niveau atteint par le Congo dans son chevauché vers le sous-développement, c'est dans la vie quotidienne des populations confinées dans son hinterland que l'on peut apprécier à leur juste valeur les conséquences sociales de cette descente en enfer : pas de routes, d'hôpitaux, d'écoles, pas d'eau potable, malnutrition, mortalité infantile, manque des biens de première nécessité, etc.

Comme « élites intellectuelles», les étudiants réunis dans les associations ethniques s'assignent la tâche de contribuer par leurs réflexions au relèvement socioéconomique de leurs milieux d'origine. Ils planifient à leur manière des actions à mener en faveur de leurs compatriotes restés à la campagne où ils ploient sous la misère depuis des décennies. Joignant l'acte à la parole, la mutuelle des étudiants de Mansamuna avait, en 2002, fourni des matériels didactiques et des fournitures scolaires au lycée Mikembo et aux instituts CBCO Kalonda et Kingundu-Mputu de la cité de Mansamuna dans la province de Bandundu.

Ces réflexions débouchent sur l'élaboration des stratégies de réduction de la pauvreté dans leurs terroirs. Ces cahiers de charge sont présentés à qui veut les entendre pour le financement des projets. Généralement, ils retournent du côté des hommes d'affaires, des gestionnaires des entreprises publiques et des opérateurs politiques de leurs ethnies pour solliciter les fonds indispensables au financement desdits projets. Ils entendent ainsi sensibiliser et conscientiser ces « traîtres » qui n'ont pas mis leur position privilégiée au profit du développement de leurs villages.

Dans le fait, nous n'avons aucune connaissance d'un projet réalisé grâce à l'implication des étudiants rassemblés dans des associations ethniques qui finissent eux aussi par trahir leurs villages en refusant, à la fin de leurs études, d'y retourner pour les faire bénéficier de l'expertise acquise à l'université. Tous, sous prétexte de l'inexistence des bonnes conditions de travail qui y prévaut, se cramponnent dans la ville de Kinshasa, siège de toutes les institutions et symbole de la modernité (poto moindo, Europe des noirs-congolais).

2.2. Les associations ethniques et le sponsoring académique et professionnel des membres.

Outre leurs objectifs déclarés ci-haut décrits, les associations ethniques en milieux estudiantins remplissent des fonctions occultes. Elles sont des sauf-conduits pour la réussite académique et un tremplin pour la vie professionnelle de leurs membres.

2.2.1. Promotion académique des membres.

Dans une étude réalisée sous notre direction sur le paradoxe observé entre les mauvaises conditions de travail et de vie des étudiants et leur performance à la clôture des années académiques, l'auteur dévoile quelques facteurs qui en sont à la base : l'assouplissement des modalités d'évaluation qui frise la complaisance ; les réseaux de tricherie communément appelés cartels, le mercenariat à l'entremise de laquelle des tiers (mercenaires) passent des examens en lieu et place de certains étudiants, le clientélisme, la corruption, les recommandations des enseignants, de leurs épouses et enfants, des multiples examens de repêchage ainsi que l'ethnicisme.14(*)

A propos de ce dernier facteur, l'ethnicisme15(*), force est d'indiquer que c'est au sein des associations ethniques que se ficellent tous les stratagèmes. Celles-ci font le lobbying auprès des enseignants pour la réussite académique des membres. Elles conscientisent, au cours de leurs assemblées, des invités de marque, des membres d'honneur ou sympathisants du monde académique sur la nécessité d'oeuvrer à la promotion académique de leurs cadets et de les sécuriser contre les brimades des professeurs d'autres groupes ethniques. Ces invités de marque sont également conviés à être des porte-paroles auprès de leurs pairs de la coterie non présents afin de réussir ce pari. Généralement, l'argumentaire qui sous-tend cette invite relève les conditions difficiles dans lesquelles étudient les cadets, le danger de marginalisation et de minorisation par les autres groupes ethniques, l'impérieuse nécessité de porter toujours plus haut l'étendard de l'ethnie et l'urgence de former beaucoup des cadres pour le développement du terroir. Les plus réceptifs s'affairent au « suivi » de la situation de leurs cadets qu'ils recommandent sous l'étiquette de neveux ou cousins auprès de leurs collègues pour le sauvetage académique. Cette pratique est connue, à la faculté des sciences sociales, administratives et politiques, sous la dénomination des ordonnances ou de la sociologie de bouts de papiers.

Au bout de compte, tous les aînés sont interpellés pour assurer à leurs cadets une sortie honorable de l'université et de les aider à s'intégrer dans la vie professionnelle.

2.2.2. Tremplin pour la vie professionnelle.

Dans un pays où les diplômes sont en inflation sur un marché de travail quasi-inexistant, trouver un emploi s'avère être un véritable parcours de combattant. Les étudiants qui franchissent le premier cycle et qui amorcent leur sortie de l'université au second cycle sont hantés par le spectre du chômage à la fin de leurs études. L'occasion faisant le larron, ils saisissent toute opportunité pour, comme on le dit dans le jargon populaire à Kinshasa, placer un piège qui attrapera tôt ou tard un gibier, entendu l'emploi.

A ce titre, les associations ethniques s'y prêtent mieux. Faisons remarquer que le leadership au sein de ces associations est souvent exercé par les étudiants finalistes, dont le séjour prolongé sur le site universitaire et dans la capitale les crédite d'une expérience et des atouts indispensables à leur épanouissement. Cette position les propulse sur l'orbite.

En effet, le passage à la tête de ces associations est un moment d'accumulation du capital social à fructifier sur le marché du travail. Il permet aux leaders des associations de se mettre en exergue et de séduire ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir dans la société. Ceux des animateurs de ces associations qui font preuve d'une grande capacité d'organisation et de mobilisation se voient cooptés par les responsables des partis politiques et des ONGD. Alors que d'autres, au nom d'une expertise supposée ou réelle qu'ils détiennent se voient confiés des responsabilités au sein des institutions publiques ou privées.

Ceux des membres du comité exécutif qui ne peuvent se faire directement coopter profitent des contacts pris au nom de leur association pour solliciter le parrainage des notabilités. Ceux-ci recommandent les filleuls auprès de leurs amis et connaissances pour un éventuel emploi. Ces contacts répétés ouvrent les opportunités d'un emploi après les études universitaires. Les associations ethniques apparaissent ainsi comme des mécanismes de survie et des tremplins pour la vie professionnelle.

2.3. Les associations ethniques dans la spirale des luttes hégémoniques dans le champ universitaire.

Le champ universitaire est naturellement un espace et enjeu de lutte entre d'une part les différentes fractions de la communauté universitaire16(*) et, d'autre part, les forces politico-idéologiques externes en lisse pour son investissement. Son contrôle est au centre des préoccupations de tous les protagonistes tant son potentiel subversif ne rassure jamais tous les groupes dominants et son prestige comme espace de production du savoir légitime (et rationnel) les fascine, ravive leur convoitise et les porte à y chercher un appui (soutien) pour légitimer leurs actions. Dans cette croisade, les associations ethniques en milieu estudiantin sont sollicitées tantôt pour subvertir tantôt pour maintenir les positions acquises (le statu quo) dans le champ universitaire.

Nous soulignions précédemment que les associations ethniques en milieu estudiantin constituaient pour les étudiants une stratégie de réappropriation des instruments de domination matérielle et symbolique dans le champ universitaire. Au nombre de ces instruments figurent les postes de la représentation estudiantine : chef de promotion, délégué facultaire et président de la coordination estudiantine. A l'annonce des élections à ces postes, unique pratique démocratique tolérée par le pouvoir à l'échelle de l'université, tous les états-majors des associations ethniques se mettent en branle pour désigner leurs candidats et planifier les alliances à conclure pour conquérir ces postes. Les contacts officiels et officieux que permettent ces différents niveaux de la représentation estudiantine avec la hiérarchie académique et politique sont convoités pour sécuriser et garantir les intérêts de l'électorat ethnique. C'est ici que les regroupements supra-ethniques à l'échelle de la Province ou de coalition des Provinces (bloc de l'est ou bloc de l'ouest) montrent leur efficacité. Ce qui fait monter d'un cran la tension entre étudiants qui débouche de fois sur la violence.

Généralement, l'ombre des autorités académiques à différents échelons ne manque pas de planer sur ces associations estudiantines qu'elles promeuvent et téléguident. A leur initiative se créent certaines de ces associations qu'elles mettent à contribution pour contrôler les postes de la représentation estudiantines. Elles incitent leurs cadets de la coterie réunis dans ces associations à briguer ces postes et soutiennent financièrement leur « campagne électorale ». Les membres de ces associations sont instrumentalisés tantôt comme « fan-clubs » pour soutenir et vulgariser les actions de leurs mécènes, tantôt pour anticiper ou étouffer dans l'oeuf toute contestation en milieu estudiantin, tantôt pour conduire une contestation contre une autorité académique qu'on voudrait évincer. Elles se chargent de démobiliser toutes les revendications destinées à bousculer une autorité académique ou à les attiser contre celles contestées.

Dans leurs ramifications externes, et en dépit de leur aveu officiel à l'apolitisme, les associations ethniques s'affichent généralement comme des jeunesses des partis politiques (du pouvoir comme de l'opposition). A travers elles, les partis politiques investissent le milieu universitaire, ce qui fait de l'Unikin l'université la plus politisée de la capitale. Avoir une base en milieu universitaire, surtout parmi les étudiants, semble être le pari à gagner pour tout parti politique, tant la communauté estudiantine apparaît comme fer de lance ou l'avant-garde du changement. Comme au Congo le parti politique est avant tout une affaire ethnique, la mobilisation de la communauté estudiantine par un parti passe toujours par les associations ethniques à telle enseigne que chaque parti politique dispose de sa jeunesse estudiantine tribale.

Celles-ci rivalisent d'ardeur lorsqu'il faut soutenir les actions politiques de leurs leaders ou mobiliser en aussi grand nombre possible les participants aux meetings politiques. Elles se distinguent également dans la diffusion des rumeurs et la distribution des tracts que lacent leurs partis respectifs.

De fois sous le couvert des associations scientifiques, certaines associations ethniques invitent leurs notabilités pour de production politique sur le site universitaire.

2.4. Les associations ethniques comme services de renseignement

Les associations ethniques font également office des services secrets non seulement des instances académiques mais aussi des organes étatiques et des organisations politiques. Leurs membres se chargent de glaner les renseignements, talonnent les suspects, ou dispatchent des tracts, font circuler les rumeurs, etc. C'est par ces associations que passe la politisation de l'université que décrie toute la communauté universitaire. Kawele, mutuelle informelle des étudiants ngbandi, tribu du feu président Mobutu, à laquelle se joignaient d'autres étudiants de l'Equateur, s'est superbement illustrée en cette matière. Elle est passait pour un service d'intimidation et de dissuasion. Au cours d'une perquisition menée par les éléments de l'AFDL au home 30 après la chute du régime Mobutu, quelques effets militaires ont été retrouvés dans les chambres des étudiants membres de cette mutuelle.

Les renseignements qu'elles glanent permettent aux destinataires d'anticiper sur les actions à mener dans le monde étudiant. Ce service d'intelligence exercé par les associations ethniques explique en partie l'étiolement du mouvement estudiantin à l'Université de Kinshasa. C'est par elles que sont brisées et étouffées dans l'oeuf les contestations estudiantines.

La fonctionnalité latente des associations ethniques atteste la crise multiforme de l'institution universitaire et de la société congolaise dont elle émerge. Reine longtemps couronnée du diadème de l' « excellence » et hissée au sommet de la colline inspirée, elle a été destituée par son propre géniteur (mari) (l'Etat congolais) et sa propre progéniture. Et faute de mourir du dénuement dans lequel elle est désormais condamnée, elle se prostitue pour assurer sa survie. Si ses bâtards ne s'aperçoivent pas de sa condition marginale, le verdict populaire est néanmoins sans complaisance : la reine est nue, la colline inspirée s'est expirée, raillent les kinois.

III. ASSOCIATIONS ETHNIQUES POUR QUELLE CITOYENNETE ?

Tout au long de cette étude, nous avons essayé de démontrer que de par leur fonctionnalité, les associations ethniques en milieu estudiantin de l'Université de Kinshasa s'inscrivent dans l'illusio politique au sein du champ universitaire lui-même et de la scène politique nationale. Nous avons également démontré que ces associations naissent et prospèrent sur les décombres des mécanismes intégrateurs qui naguère définissaient l'identité étudiante. C'est dire que la néo-fraternité aborigène qui cimente ces associations trouve ses lettres de noblesse dans la situation sinistrée de l'institution universitaire au Congo.

Traditionnellement, en effet, l'université se conçoit comme une institution où les étudiants (...) subissent une forme de déculturation visant à les préparer à leur futur statut d'élite bureaucratique17(*). Elle participe par la formation qu'elle dispense en tant qu'instance de socialisation, à façonner un type d'homme au profil national et républicain. L'inscription du cours de civisme et développement aux programmes de toutes les facultés lors de la réforme de 1971, répondait officiellement entre autre à cet objectif. C'est donc dire que l'université est un agent de construction de la citoyenneté. Cette vocation de l'institution universitaire a jadis justifié sa rupture physique et symbolique avec les milieux socioculturels de provenance des étudiants.

Mais avec la crise la crise multiforme et multisectorielle qui a fragilisé des mécanismes institutionnels de protection sociale des étudiants et démantelé des espaces sociaux et symboliques de façonnement de leur identité, l'Université de Kinshasa n'arrive pas à déposséder les communautés originelles (les ethnies) de leurs fonctions essentielles de toujours : être des « unités de survie » pour les étudiants qui continuent d'y trouver leur sécurité, leur identité, le sens de leur existence. Elle semble même s'en remettre à ces communautés et oeuvrer à leur promotion, comme le témoigne la reprise en main de ces fonctions intégratives par les associations ethniques.

Il nous paraît donc opportun de nous interroger sur l'impact de ces associations en cette période où l'éducation à la citoyenneté s'impose comme socle pour l'édification de la nation congolaise en bute à des multiples défis. Car, au moment où le Congo négocie un tournant décisif de son histoire dans la tourmente de la mondialisation et des incessantes agressions par ses voisins de l'Est, requérant une cohésion nationale, ces associations se posent en officines de fabrication de stimulants ethnicistes (particularistes) et de vaccins « anti-nationalisme » et jouent un rôle important dans l'effritement de la conscience nationale, surtout chez l'« élite intellectuelle » 

En effet, la citoyenneté est à la fois un statut, correspondant à un ensemble de droits définis juridiquement et fondant la légitimité politique dans les sociétés démocratiques, et une identité, reposant sur un sentiment d'appartenance à la collectivité politique et donc source de lien social. Façonnée par l'Etat-Nation, elle a nécessité une séparation, plus ou moins radicale, entre l'espace privé, lieu d'identifications familiales, religieuses, professionnelles... et un espace public où s'exprime, de façon prioritaire, l'appartenance à la communauté nationale.18(*)

Mais la dynamique à l'oeuvre au sein des associations ethniques en milieu estudiantin de l'université de Kinshasa, débouche sur la construction du point de vue identitaire d'une citoyenneté segmentée à forte prégnance ethnique. La citoyenneté segmentée pose l'ethnie comme catégorie première de l'identité, de l'interaction sociale, la première caractéristique à laquelle réagissent les individus qui en sont marqués. Elle pose par principe autrui comme une menace d'invasion contre lequel il sied de se protéger. Elle repose sur la logique qui gouverne tout sectarisme : autoévaluation et dépréciation de l'autrui

Au demeurant, la citoyenneté segmentée dans son aspect identitaire conduit les membres de ces associations à se penser en toute circonstance d'abord comme ressortissant d'une ethnie. Ceci est d'autant plus périlleux pour ceux qui sont redevables à ces associations pour leur intégration professionnelle et qui, pour rendre l'ascenseur, sont consciemment ou inconsciemment conduits à se comporter comme des ambassadeurs de leurs ethnies respectives. Comme le disait l'ancien footballeur camerounais Antoine Joseph Bel à propos de son pays, « quand un ministre ou un fonctionnaire envoie de l'argent à ses covillageois, c'est par égoïsme...Au Cameroun, un ministre est le ministre de son village. Sauf que c'est l'argent public qu'il distribue. Comme il y a une quarantaine de ministres, cela veut dire qu'au Cameroun, il y a quarante villages qui vivent sur le dos de tous les autres villages du pays. »19(*)

Aussi, le sentiment ethnique galvanisé par la néo-fraternité aborigène forgée dans les associations estudiantines incline leurs membres à des pyrotechnies et subterfuges, à la recherche des intérêts particularistes, à l'exclusivisme sacrifiant par ce fait même sur l'autel de l'ethnicisme l'excellence, la compétence, l'intérêt général et la coexistence (des piliers de la promotion nationale).

En résulte dans le chef de tels citoyens, la confusion entre l'espace privé de sa tribu et l'espace public de la nation. La manipulation somme toute de ces deux espaces ne répond en réalité qu'à des fins personnelles. Les citoyens tribaux distillent des discours nationalistes là où ils étalent leur incapacité à mobiliser la communauté nationale pour le développement national et se présentent en défenseurs et garants des intérêts de leurs communautés tribales lorsque leurs intérêts sont menacés. La déchéance actuelle de la RDC en est la conséquence éloquente. On s'aperçoit en définitive, que ces associations incarnent les contradictions de la société globale où les pratiques ethnicistes et tribalistes trahissent les discours nationalistes de toutes les élites (politiques, intellectuelles, religieuses, etc.), où la floraison des universitaires dans tous les secteurs s'accompagne de la descente aux enfers du pays.

Au regard de ce qui précède, si la rupture symbolique d'avec le milieu familial est souvent considérée comme pivot de la définition du mode de vie (ajoutons de l'identité) étudiant, si l'université se pose comme espace où l'étudiant travaille à sa propre disparition en tant que tel, où il se construit une identité par bien des aspects universelle20(*), alors il y a lieu de souligner que la néo-fraternité aborigène que postulent les associations ethniques à l'Université de Kinshasa porte ombrage au façonnage de l'étudiant congolais dans cette perspective.

La question qui reste pendante est celle relative à la conversion des associations ethniques en milieux estudiantins en des espaces de construction de la citoyenneté nationale. Un tel projet ne peut être envisagé que si l'université elle-même est réhabilitée dans toutes ses fonctions régulatrices et intégratives de la vie étudiante. C'est en se posant comme vaste espace symbolique de définition de l'identité étudiante que l'Université de Kinshasa peut consolider la citoyenneté nationale dans le chef des étudiants congolais. Dans tous les pays, la citoyenneté n'a pu se construire qu'au prix d'un effort d'unification identitaire de la part de l'Etat-nation. Transcendant les particularismes, elle intègre les populations en une « communauté de citoyens » fondée sur un projet et des institutions politiques communs21(*).

Une précision avant de terminer. Ce n'est pas le fait objectif que sont les associations ethniques qui a été porté devant le tribunal de la raison. Ces sphères privées qui rassemblent ceux qui se ressemblent du fait de leur unicité culturelle, ont droit de cité dans la société congolaise. Elles sont les matériaux avec lesquels la nation congolaise se construit. En l'absence des véritables mouvements sociaux, elles constituent des intermédiaires par lesquels la société congolaise agit sur elle-même. Travailler à leur disparition constituerait une forme d'oppression, mieux d'ethnocide. Seul leur relent ethniciste a été mis au crible de l'intelligence sociologique.

Si l'histoire est un mouvement effectif par lequel la liberté se constitue en se délivrant de l'aliénation22(*), s'impose alors aux associations estudiantines à caractère ethnique un affranchissement de la pesanteur ethniciste afin que, la liberté retrouvée, elles s'érigent en actrices du développement national. Elles doivent, tout en préservant l'identité locale, participer à l'émergence d'une citoyenneté nationale, gage du développement du Congo. Leur droit de cité tient à ce prix.

Bibliographie

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* 1 MPR : Mouvement Populaire de la Révolution, parti unique mis en place par feu Président Maréchal Mobutu qui a régenté le Congo alors Zaïre entre 1965 et 1997.

* 2 Au Congo, par manque d'idéologie et de programme politiques cohérents et mobilisateurs, les partis politiques recrutent leurs membres dans les entités ethniques. Ainsi, toute association ethnique constitue une clientèle, sinon, une branche naturelle.

* 3 ABEMBA B. et NTUMBA L., Mouvements étudiants et évolution politique en République Démocratique du Congo, 1971-1991, Cahiers du C.E.P., n°004, Kinshasa, 2004, p.5.

* 4 ABEMBA B. et NTUMBA L., Op-Cit, p.124.

* 5 Idem p.132.

* 6 Il existe plusieurs types d'associations à l'université de Kinshasa, nous pouvons notamment cité les associations des anciens élèves, les associations ethniques, les associations religieuses, les associations scientifiques, etc.

* 7 Nous citons à titre illustratif les associations suivantes : Mutuelle des étudiants Luba-Lubilanji ; Mutuelle des étudiants Kaniok ;Mutuelle des étudiants Manianga ; La grande famille KIRIZA (associations des étudiants Bashi) ; Jeunesse estudiantine Yansi (BI - A - BI) ; Cercle des étudiants Bolomba (CERBO) ; Mutuelle des étudiants de Masamuna

* 8 C'est le cas des associations suivantes : Association des Etudiants ressortissants de Kalima ; Association des Etudiants ressortissants de la Lukaya ; Association des Etudiants ressortissants de Matadi ; Cercle de réflexion Ban'Ekanga et alliés (CREA) ; Communauté des étudiants du Bandundu (COMEBA) ; Mutualité des étudiants de Maidombe et plateau (MUEMAP) ; Communauté des étudiants Kwangolais (CEK) ; Communauté des étudiants du Kwilu (CEKWI) ; Okapi (mutuelle des étudiants de la province orientale)...

* 9 Abemba et Ntumba, op-cit, p.128

* 10 L'incontrôlable explosion démographique a sensiblement limité la capacité d'accueil des homes universitaires. Construits pour accueillir 5000 étudiants, ils sont sollicités par plus ou moins 25.000 étudiants que comptent à ce jour l'Université de Kinshasa. Face à cette incapacité de contenir toute cette population estudiantine, l'Université de Kinshasa n'attribue officiellement le logement qu'aux étudiants de deuxième cycle. Aux trois pensionnaires officiels s'ajoutent des maquisards qu'ils sous-logent faisant passer à huit ou à dix le nombre d'occupants d'une chambre. Nombre d'étudiants terminent leurs études sans avoir été logés aux homes universitaires.

* 11 Dans cette Université on est d'abord perçu comme Luba, Tetela, Kongo, Mbala avant d'être reconnu comme professeur ou assistant de telle ou telle faculté ou département.

* 12 TREFON T., Ordre et désordre. Réponses populaires à la faillite de l'Etat, L'Harmattan, Paris, 2004.

* 13 Tshishimbi K. E. et Thienke K. D., « Les limites théoriques du discours ethniques au Congo-Kinshasa. Eléments pour une sociologie de l'historicité », in Mouvements et enjeux sociaux, n°1, Kinshasa, Octobre 2001, p.58.

* 14 Gaston Kayenga Musunzu, Conditions de vie et prestation des étudiants de l'université de Kinshasa. Enquête menée à la faculté des sciences sociales, administratives et politiques, mémoire de licence en sociologie, université de Kinshasa, 2000.

* 15 L'ethnicisme est à la fois une idéologie et une pratique sélectionniste et ségrégationniste au service des intérêts particuliers. Il est une façon de nous (re)présenter nos compatriotes en les divisant à partir de leur appartenance commune ou on avec nous même en tant que groupes ethnologiques ou entités politico-administratives, en deux catégories : celle de « frères » et celle de « non frères ». A partir de là, on adopte et développe, à l'égard des uns et des autres, des comportements diamétralement opposés, consistant à se montrer très compréhensif vis-à-vis des premiers, à fermer les yeux sur leurs fautes et faiblesses, à leur faciliter la vie. Cependant que l'on s'emploie à la compliquer aux second en refusant de les écouter et de reconnaître leurs compétences et mérites, en exagérant la moindre de leurs erreurs, en leur mettant partout les bâtons dans les roues. Lire kalele ka-bila in tshishimbi et tshienke, art-cit., p. 53.

* 16 Celle-ci est définie par Tshund'olela comme un groupe social spécifique, constitué par toutes les personnes qui enseignent, étudient, font la recherche ou travaillent à tout autre titre dans une institution d'enseignement universitaire. Cette communauté comprend quatre grandes composantes : les enseignants et les chercheurs (membres du personnel académique et scientifique) ; les étudiants ; les membres du personnel administratif, technique et ouvrier, et enfin les autorités académiques. Tshund'olela E.S., « Pour une (re)définition des libertés académiques en République Démocratique du Congo », in Actes du colloque sur les libertés académiques en République Démocratique du Congo, CODESRIA, Kinshasa, juin 2004.

* 17 YANN LEBEAU, Etudiants et campus du Nigeria, Karthala, Paris, 1997, p.25

* 18 Jean Etienne et alii, Dictionnaire de sociologie, Hatier, Paris, 2004, p.71.

* 19 Cité par Tshishimbi et tshienke, art-cit, p.57.

* 20 Yann Lebeau, op-cit, p.23

* 21 Jean Etienne et alii, Dictionnaire de sociologie, Hatier, Paris, 2004, p.75.

* 22 Marx K. cité par Verhaegen B., L'enseignement universitaire au Zaïre. De Lovanium à l'UNAZA. 1958-1978. L'Harmattan, Paris, 1978, p.8.






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