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La diversité et sa gestion dans un comité local d'ATTAC.

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par Jean Engel
Université Paris 1 - Sorbonne - Dea Sociologie Politique 2004
  

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Un militantisme sur mesure

On l'a vu, les nombreuses possibilités offertes en termes d'activité militante offrent un choix très intéressant pour les militants. Le fait qu'ils puissent s'investir sur des thèmes larges et de leur choix, qu'ils puissent choisir entre différentes formes d'engagement et en impulser d'autres, permet à chacun de se façonner un engagement qui lui convienne. Au vu de la diversité des militants, une organisation comme ATTAC n'aurait certainement pas connu le même succès si elle avait imposé une manière uniforme de s'engager. La liberté accordée aux militants, l'improvisation qui caractérise l'association, permet à chacun de s'engager dans la même association en suivant sa logique propre.

Ainsi, selon l'origine politique, les sensibilités, les thèmes de prédilection et les attentes, les militants adoptent des postures différentes : tournés vers le local ou l'international, vers l'intérieur ou vers l'extérieur, recherchant la formation ou l'action, une action à court ou long terme, sur les instances politiques ou la vie quotidienne, proches de l'écologie ou de l'économie...

Le militant qui émerge de ces nouveaux mouvements s'affiche comme un acteur, et non comme un atome anonyme qui revêtirait des fonctions déterminées ou une identité d'emprunt.

«  Ce qui m'intéresse en fait dans ATTAC, c'est que justement, c'est chaque personne qui est acteur ou actrice de son militantisme. » 168(*)

C'est donc l'individu qui agit dans le mouvement, il n'est pas agi par le mouvement. Il faut comprendre « acteur », ici, dans le sens opposé à « marionnette ». Le militant est maître de

son engagement et en choisit les formes. Non seulement, le militant est acteur de son militantisme mais il en est donc également le metteur en scène. En fonction des thèmes qui les intéressent, le temps qu'ils choisissent d'investir, leurs compétences particulières, les militants façonnent les dimensions de leur militantisme.

Nous avons remarqué que les militants, puisqu'ils jouissaient d'une grande liberté et d'une grande initiative, s'engageaient là où ils détenaient des ressources particulières. Les capacités en informatique se traduisent dans la participation au site web ou la gestion des listes de diffusion, les connaissances en mise en page sont réinvesties dans le journal, et ainsi de suite. Chaque militant peut donc participer au groupement en fonction de ses capacités et de ses préférences. Tirant parfois les leçons de leurs engagements précédents, les membres de l'association peuvent donc recentrer leur engagements sur les activités qui les attirent le plus :

«On va dire que c'est mon expérience des « chômeurs et précaires » qui m'a aidé à mettre en place mon engagement correctement. Parce que les « chômeurs et précaires » c'est comme partout dans les mouvements que tu as dans les petites villes, on est peu nombreux et il y a beaucoup de choses à faire, donc tu peux vite tomber dans un activisme effréné et tu t'épuises et tu t'arrêtes totalement parce que tu as ta vie à côté, ton boulot... et donc quand je suis revenue à ATTAC, je me suis dit, je vais agir là où je suis bien, là où je peux prendre du plaisir mais où je suis bien. C'est-à-dire pas être à tout, quoi. Moi, je suis décoratrice et plasticienne donc à ATTAC j'essaye d'utiliser cette fibre là.

Donc c'est plus pour faire une illustration des analyses d'ATTAC, moi, j'utilise leur travail d'analyse, j'en profite, je suis bien contente d'apprendre ce que les copains d'ATTAC m'apprennent, quoi. Je mets après des performances, des trucs visuels dans la rue. »169(*)

Le grand nombre de militants de l'association, la diversité des activités et l'initiative offerte permet donc aux militants de créer les dimensions de leur engagement. Ils partagent et retirent de leur engagement ce qu'ils veulent, sur le modèle d'une Auberge Espagnole. Les militants tirant les leçons du passé, se concentrant sur les thèmes qui les attirent le plus et réinvestissant leurs compétences, leurs connaissances ou carnets d'adresse dans les activité qu'ils choisissent, l'engagement dans ATTAC apparaît comme résolument individualisé. Ceci correspond tout à fait avec ce que nous dit Jacques Ion pour qui « ce n'est plus à se conformer aux attentes du groupement qu'il apparaît le plus utile à ce dernier, mais c'est inversement en mettant à son service la variété de ses disponibilités même éphémères, qu'il participe pleinement au groupement »170(*). Cette phrase a, en outre, le mérite de faire apparaître le caractère volatile et limité de l'engagement des membres.

Un engagement distancié

Dans une étude sur un comité parisien d'ATTAC, Maxime Szczepansky171(*) dresse une typologie des façons de participer ou d'adhérer à ATTAC. Des plus au moins engagés, il distingue des participants actifs, des participants actifs-passifs, des participants passifs, des adhérents actifs et des adhérents passifs. Sans entrer dans les détails, nous pouvons dire que cette typologie illustre la variété des pratiques qui traduisent l'engagement dans cette association. On pourrait distinguer dans les participants actifs qui nous intéressent dans cette étude autant de types de « militance ».

Ce terme, utilisé pour définir un engagement plus libre et distancié des militants par rapport au mouvement est bien illustré également par la grande maîtrise de leur temps qu'affichent les militants. Ils déterminent leur engagement en fonction de leurs possibilités personnelles et professionnelles. Leur engagement politique vient au second plan. Ceci ne signifie pas que les militants d'un comité local d'ATTAC s'engagent forcément moins que dans une structure politique traditionnelle. Certains anciens militants reconnaissent d'ailleurs avoir un engagement plus soutenu que dans les organisations dans lesquelles ils ont milité précédemment. Mais ceci correspond à un choix de leur part. Surtout, cela signifie qu'ils ont un engagement plus volatile. L'actualité politique et sociale est déjà un facteur déterminant le temps dédié à l'association. Cette fluctuation est renforcée par le fait que les militants décident de s'investir plus ou moins selon les périodes. Certains militants connaissent ainsi des mois où ils accordent trois ou quatre heures à l'association, et d'autres où cela va jusqu'à 20, des périodes où ils s'investissent dans une activité de l'association, et d'autres où ils participent à trois ou quatre groupes simultanément. Les militants déterminent donc au jour le jour le temps qu'ils désirent accorder à leur activité militante. Cette liberté qu'ils s'accordent et qui est acceptée par l'association172(*) nous paraît rendue possible par la façon dont les membres d'ATTAC-Strasbourg considèrent l'engagement politique. Celui-ci n'est pas vu comme un « sacerdoce » ou une « religion » qui pourrait empiéter sur tous les aspects de leur vie. Certains militants déterminent donc de façon précise les moments qu'ils accordent à leur engagement politique et celles qui sont réservées à leur famille par exemple, en tenant compte également des engagements de leur conjoint:

« Moi, j'ai trois enfants. Et j'ai un mari qui est aussi engagé dans des trucs donc...[...]Lui, il a été longtemps à Aides-Alsace, donc il avait aussi pas mal de réunions. Maintenant il continue à suivre des gens en individuel, en aide comme ça. Donc ça veut dire qu'il est pris le soir aussi. Donc voilà, il faut qu'on jongle pour savoir qui s'occupe des gamins quand les deux sont pris. En gros, j'ai réservé le lundi mais des fois il a des trucs aussi le lundi qu'il ne peut pas changer. C'est vrai qu'après, les enfants râlent. Et puis on les voit déjà pas de la journée, donc si en plus on les voit pas le soir, ça fait pas beaucoup. Et moi je crois que si on s'engage politiquement, ça c'est vraiment un truc auquel je crois profondément, c'est bien de s'engager dans la politique ou dans la vie de la cité mais pas au prix de délaisser ses enfants.[...] Donc je ne veux pas sacrifier mes gamins à l'engagement que je peux avoir à l'extérieur. Je pense que les deux sont liés et que j'ai une responsabilité vis-à-vis de mes enfants. Eux, ils n'ont rien demandé et c'est moi qui ai décidé de les faire. Donc je peux pas dire après «écoute, j'ai pas le temps de m'occuper de toi«. Je peux déjà pas être femme au foyer parce que ça me rend dingue donc forcément ça veut dire que je n'ai pas beaucoup de temps à leur consacrer donc le peu de temps que j'ai, je vais pas en plus, tout le temps être en réunion. »173(*)

Les militants posent ainsi les conditions de leur engagement au préalable, qu'il s'agisse des dates des réunions ou des séances de travail. Le fonctionnement de l'association et des groupes de travail s'adapte donc aux possibilités de chacun. Le fait que la permanence de l'association ait lieu le mercredi après-midi n'est par exemple pas étranger au fait qu'ATTAC soit fortement composé d'enseignants qui sont libres dans ce créneau.

Les rôles des élus de l'association n'étant pas répartis de manière stricte, il est également possible aux militants de poser les conditions de leur participation :

« Je suis surtout chargée de rédiger le bulletin. Le bulletin mensuel qu'on fait après l'AG. Donc normalement, à chaque AG, on débat des actions à venir, je note toutes les dates. Et normalement, chaque responsable de commission est censé donner la date de la prochaine réunion. Et à la suite de ça, dans les deux jours qui suivent, j'écris le bulletin et je l'envoie par mail et après, il y a quelqu'un qui le tire pour l'envoyer. Pour l'instant, j'ai dit que c'était tout ce que je prenais parce que je savais que j'aurais pas beaucoup le temps pour faire plus. »174(*)

Le peu de militants (et surtout de militantes, ce qui est plus problématique depuis que la parité a été installée) volontaires pour occuper les postes du bureau explique en partie cette facilité pour chacun de définir le niveau de sa participation. Mais gageons que ce n'est pas seulement pour cette raison que l'association sait s'adapter aux militants.

La vie de l'association suit donc en partie le rythme de l'engagement de ses membres. Ainsi, suivant l'évolution du temps disponible des militants responsables d'un groupe, certaines activités peuvent cesser ou être mises entre parenthèse. Le déménagement d'un membre a par exemple mis fin aux forums publics organisés sur une péniche. Les autres membres n'ayant pas le temps ou l'envie de les organiser, ils ont été abandonnés. Ou selon les priorités de certains meneurs, certaines commissions peuvent dormir un moment :

« Là j'ai un peu diversifié en fait parce que j'avais une action continue sur « les femmes et la mondialisation ». On était en train de faire une brochure donc ça impliquait de faire un suivi d'articles, tout ça donc... mais là elle est sortie depuis quelques mois et c'est vrai que la commission est un peu en suspend. J'essaierai de la relancer un peu plus tard mais pour l'instant, c'est vrai qu'on était surtout en train de travailler sur les questions européennes. Enfin moi, personnellement, j'étais en train de travailler sur les questions européennes. »175(*)

Nombre de soirées limité pour l'association, week-ends banalisés pour « prendre du recul », les militants délimitent parfois strictement leur activité militante. Il est donc effectué une différence entre la sphère militante et la sphère familiale voire amicale. Même s'il est évident que des affinités se créent entre certains militants qui débordent du cadre politique, certains se refusent à mélanger les genres. Le temps de la coopération politique et le temps personnel sont différenciés comme en témoignent les commentaires de ce militant sur le type de relations qu'il a établi avec les autres membres du mouvement :

  • « De la coopération, coopération, vraiment... Alors est-ce qu'il faut tout mélanger ? Je ne pense pas. C'est bien d'avoir... bon à mon âge d'avoir une vie de famille et ensuite de temps en temps je retrouve les gens d'ATTAC et il y a autre chose. C'est très bien comme ça d'ailleurs. D'avantage, est-ce que ça ne devient pas lassant à la fin ? Je pense. Comme ça, c'est bien. Se dire tiens, maintenant on se voit, on est prêts, on fait ça, on le fait en commun et on fait un travail qui, même s'il ne sert pas ou pas tout de suite, ça peut peut-être servir dans le futur ».176(*)

L'engagement dans ATTAC ne nécessite donc pas un engagement total de sa personne et n'est pas exclusif. Les militants opèrent des séparations entre leur engagement et leur vie privée. L'engagement est donc beaucoup moins prégnant que dans des organisations traditionnelles du type mouvement ouvrier. Ceci a tendance, nous semble-t-il, à relativiser pour les militants l'importance des différences qui existent entre eux.

L'engagement dans ATTAC-Strasbourg est donc à la fois modulable et respectueux du mode d'engagement que souhaitent adopter les membres. Cet engagement distancié et volatile assure que chacun trouve sa place sans se sentir envahi par son activité politique. Les moments partagés dans la réflexion ou l'action sont donc des moments voulus et les militants en retirent une satisfaction plus grande.

* 168 Entretien 8.

* 169 Entretien 11.

* 170 In Jacques Ion, La fin des militants, les éditions de l'atelier, coll. enjeux de société, 1997, P: 50.

* 171 Maxime Szczepansky, « Du militantisme à la militance, une étude microsociologique des modalités de participation des militants « anti-mondialisation » à travers l'exemple d'un comité local de l'Association pour la Taxation des Transactions financières pour l'Aide aux Citoyens (A.T.T.A.C.) », in Regards Sociologiques n°24, 2003

* 172 Ce qui apparaît naturel puisque les autres membres du mouvement entendent également pouvoir disposer de leur temps. Il n'y a donc pas de comptes à rendre en ce qui concerne le temps dédié par chacun à l'association, du moment que les personnes remplissent au moins leurs obligations électives lorsqu'elles en ont, bien entendu.

* 173 Entretien 20.

* 174 Entretien 20.

* 175 Entretien 19.

* 176 Entretien 18.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon