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Politique coloniale de lutte contre le paludisme. Cas de l'ancienne province de Léopoldville (1888-1960)

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par Leslie SABAKINU LUKWIKILU
Université de Kinshasa RDC - Licence en sciences historiques 2011
  

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CHAPITRE II. QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR
L'HISTOIRE GÉNÉRALE DU PALUDISME

Le paludisme est présent dans l'histoire de l'humanité et affecte tous les continents. Il a en outre été la cause d'une mortalité excessive.

Cependant, faute de nombreux documents historiques, il est difficile d'attribuer avec une grande certitude au paludisme telle ou telle grande épidémie de fièvres passées, mais on a pu reconnaitre nombre d'épidémies palustres qui laissent croire que cette maladie est aussi vieille que l'humanité82. Elle s'est déclarée dans presque toutes les régions du monde depuis les temps les plus reculés et continue de sévir dans certaines parties du monde83.

En effet, les premières descriptions de cas des fièvres palustres remontent déjà vers l'antiquité. On trouve ainsi des références sur cette maladie dès 2.700 avant Jésus-Christ, dans les écrits des anciennes civilisations égyptiennes et chinoises. De même, dans les textes sacrés de la civilisation indienne (Veda) vers le Ve siècle avant J-C, on retrouve les différentes descriptions imputables aux fièvres paludiques : piqûre de moustiques, fièvres intermittentes des terres humides ou inondées (palus, marais), et des régions où l'air est vicié (mal' aria).84 Déjà à cette époque, ils établissent un rapport entre les épidémies de fièvres et la saison de pluies.

Dès le IIe siècle, cette maladie a été également évoquée par les Grecs et les Romains, qui firent déjà la relation entre la présence des fièvres et la proximité des marécages, et dont les symptômes ont été décrits par le médecin Hippocrate dans les premiers livres de ses « épidémies » où il fait mention des fièvres intermittentes sévissant dans les

82DESOWITZ, R.S., The malaria capers, article tit2 du site web

http://archive.idrc.ca/books/reports/1996/01-05.html. Selon cet auteur le paludisme aurait existé depuis l'apparition de l'écriture (soit vers 6000 ou 5500 av. J.C. D'autres chercheurs pensent que le paludisme affecte les êtres humains depuis plus de 50.000 ans, cfr Paludisme in wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/paludisme, consulté le 30/01/2011

83 DURIEZ, R., « Le paludisme », dans Encyclopedia Universalis, Corpus 13, p. 1001

84 Encarta "paludisme." Microsoft® Encarta® 2009 [DVD]. Microsoft Corporation, 2008.

milieux humides et provoquant des frissons et des températures corporelles très élevées85. En janvier 2010, « une équipe de scientifiques égyptiens et américains ont prouvé, par l'analyse de l'ADN, que Toutankhamon était atteint de paludisme au moment de son décès vers 1327 avant J-C ».86

Toutefois, il convient de signaler que l'histoire du paludisme est le plus souvent liée à la chronique militaire des nations87. En effet, cette maladie a lourdement pesé sur le sort des campagnes militaires dans le monde88, on signale quelques cas de paludisme qui auraient causé d'énormes dégâts lors des campagnes gauloises menées contre Rome. Au Moyen-Âge, cette même maladie avait causé de nombreuses pertes en vies humaines lors des expéditions italiennes de l'empereur Lothaire et de Frédéric Barberousse89. Au XVIe siècle, Charles Quint voulant combattre le sultan Soliman le Magnifique, sort victorieux à Tunis, mais à Alger, ses troupes sont décimées par la maladie90. On la retrouve également au XIXe siècle en Amérique pendant la guerre de sécession (1861-1865) où la moitié des troupes et la plupart des soldats noirs de l'Union contractaient le paludisme annuellement.

Cette maladie exerça également ses ravages au cours des conquêtes et expéditions coloniales en Asie, en Amérique, et particulièrement en Afrique où les différents récits des explorateurs, des voyageurs, missionnaires et agents commerciaux concordent pour attribuer au paludisme la cause de leurs échecs et pertes impressionnantes91. Tel fut le cas lors de la campagne d'Algérie menée par les troupes françaises où un soldat sur quatre mourut de la fièvre palustre, la conquête de Madagascar, considérée comme une

85 Encarta, Art. cit.

86 HAWASS, Z., « Ancestry and pathology in King Tutankhamen's family », in Jama, vol. 17, n° 307, 2010, pp. 638-647.

87 ODIKA, M., Paludisme : maladie parasitaire au très lourd passé militaire. Articlé tiré du site web : http://www.lenouvelobservateur/santé publique.com

88 PAGES, F., Le Paludisme, Coll. Que sais-je? Paris, PUF, 1953, p. 7.

89 Ibidem

90 DEBACKER, J-M., Op. cit, p.25

91 WERY, M. et JANSSENS, P.G., « Paludisme », in Hygiène et Médecine tropicale en Afrique Centrale de

1885 à nos jours, vol. II, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, 1992, p. 1239 ; L'historien CURTIN, P.D. y a consacré une étude approfondie dans son livre Death by migration. Europe's encounter with the tropical world in the nineteenth century, Cambridge, Cambridge University press, 1989.

promenade militaire, fut un désastre sanitaire92, où les troupes françaises perdirent un tiers de leurs effectifs, soit 4.614 morts causés par la malaria93. Lors des constructions du Canal de Suez, du Canal de Panama on dénombra près de 5.527 morts parmi les travailleurs français ou antillais94, de même que les constructions des voies ferrées en Afrique et en Asie furent ralenties à cause du nombre des dégâts que le paludisme avait causé dans les rangs des travailleurs95. Pendant la Première Guerre Mondiale, dans l'armée française d'Orient, le paludisme toucha la moitié des effectifs et nécessita le rapatriement d'au moins 20.000 soldats96. Lors de la Deuxième Guerre Mondiale, près d'un demi-million de soldats américains furent hospitalisés à cause du paludisme97.

Signalons également que le paludisme a joué un rôle important dans la mortalité excessive des différents explorateurs qui avaient osé pénétrer dans une Afrique, considérée comme le tombeau de l'homme blanc. C'est ainsi que l'on retrouve quelques instructions octroyées par certains explorateurs qui avaient déjà subi les conséquences désastreuses de la maladie. Il s'agit notamment des instructions de l'Amirauté Lord John Barrow, fondateur de la Royal geographical «(...) éviter de passer la nuit près des endroits marécageux. Vous empêcherez que les hommes ne soient trop exposés au soleil pendant la grande chaleur, non plus qu'aux pluies lourdes et orageuses. Vous ne permettez jamais { personne de dormir en plein air(...) »98. Malgré cette instruction, l'équipe du capitaine James Kensington Tuckey de la Royal Navy, qui s'était engagée le 9 août 1816, en remontant le fleuve Congo est décimée aux environs d'Isangila le 9 septembre 1916, en proie à des maux étranges, ils doivent tourner sur leurs pas ...tenaillés par les fièvres. Dans des hamacs portés par des indigènes, des moribonds...plusieurs morts le 15 septembre. Un désastre. Au total : vingt-et-un morts!99

92 SEIGNEURIE, C., CAMARA, B. et alii, Du Quinquina et des Hommes, Médecine tropicale, 2008, p. 462.

93 Maladie : l'arme la plus meurtrière, article tiré du site web http://www.Net4war.com

94 DEBACKER, M., Op. Cit, p. 26.

95 PAGES, Op. Cit, p. 8.

96 Ibidem.

97 Idem, p.7.

98 CORNET, R.J., Médecine et exploration. Premiers contacts de quelques explorateurs de l'Afrique centrale avec les maladies tropicales, Bruxelles, ARSOM, 1970, p. 12.

99 Ibidem.

Notons par ailleurs, que certains faits rapportés par l'aide-chirurgien MacKerrow constituent des éléments importants pour l'histoire de la médecine tropicale : « Quoique la plupart aient été emportés par une fièvre intermittente qui se déclara avec la plus grande violence, quelques-uns n'eurent d'autre mal que celui qui résulte d'une extrême fatigue, et ils moururent d'épuisement. Cependant, le plus grand nombre des gens de l'équipage fut attaqué de la fièvre, et il en mourut plusieurs qui étaient restés à bord du « Congo », en deçà des cataractes.

(...) La fièvre, écrit MacKerrow (...) commençait généralement par des frissons auxquels succédaient de violents maux de tête qui se portaient principalement sur les tempes et sur le front. Dans quelques cas, des douleurs dans les reins et dans les extrémités inférieures, de fortes oppressions de poitrine et des vomissements bilieux qui semblaient faire souffrir extrêmement les malades ; mais en général, lorsque le mal de tête était très violent, les symptômes gastriques étaient plus doux et vice versa, quoique j'aie pourtant quelques exemples contraires(...). Beaucoup d'affaiblissement et d'inquiétude, les yeux toujours humides, quoique dans quelques-uns la conjonctivite fut d'un lustre perlé ; la langue d'abord blanche et unie, ayant une espèce de tremblement convulsif lorsqu'on la sortait et devenait bientôt jaune et brune, et, dans la dernière période, couverte d'une croûte noire. Quelquefois la figure était rouge et animée ; plus souvent elle était pâle et les joues creuses et enfoncées. Quelques malades avaient la peau sèche et rude et le pouls dur et fréquent ; d'autres avaient une transpiration pâteuse. Une suffusion jaune se manifesta chez plusieurs, depuis le troisième jusqu'au sixième ou septième jour (...) Le hoquet était un symptôme commun et alarmant. Quelques-unes des personnes qui furent attaquées de cette horrible maladie, moururent dès le troisième ou le quatrième jour ; d'autres languirent jusqu'au vingtième(...) On attribua cette terrible fièvre soit { la fièvre jaune, fièvre typhoïde, soit { la malaria tropicale (paludisme). En conclusion, c'est le paludisme qui est le plus vraisemblable du point de vue épidémiologique100.

Les explorateurs anglais Richard Francis Burton et John Hanning Speke quidécouvrirent le 13 février 1858 le lac Tanganyika eurent surtout à souffrir de cette

maladie, alors mystérieuse en 1858. Pour lutter contre la malaria, les deux explorateurs
prirent de la quinine101. Le Dr David Livingstone pour sa part a eu en six mois six

attaques de malaria et il est miné par la dysenterie : c'est « un squelette couvert de haillons » qui entre à Saint-Paul de Loanda » 102.

100 Idem, p. 20.

101 Idem, p. 21.

102 Idem, p. 27.

Comme nous l'avons dit précédemment, le paludisme a été vécu comme une maladie redoutée et redoutable, traumatisante et très mortelles pour les Européens. L'explorateur Henri Morton Stanley, qui en a souffert, pendant un mois, du 5 mai au 4 juin 1882, à la Station de Manyanga dans les Cataractes au Bas-Congo, nous laisse une description vivante de différents symptômes qu'il a ressentis et des conséquences de cette maladie sur son oeuvre d'occupation coloniale :

« (...) Le premier jour, toutefois, la maladie ne me tourmenta pas assez pour m'empêcher d'assister { une importante palabre(...). Le 6 mai, ma fièvre reparut, plus intense. Je dus m'aliter et les chefs indigènes retournèrent à leurs villages, sans avoir pu avoir avec moi la grande entrevue projetée. Ce fut pis encore le lendemain. La maladie s'accentua considérablement. Et pourtant, elle ne m'effrayait pas encore. Ma santé n'avait pas subi un seul accroc depuis près de douze mois ; je n'attachais pas grande importance { cette indisposition qui me paraissait devoir être passagère et, { vrai dire, j'étais plutôt exaspéré d'avoir { me reposer en un moment si défavorable qu'alarmé des progrès persistants du mal. Le jour suivant, toutefois, l'inquiétude commença { s'emparer de moi, car la fièvre progressait violemment, en dépit des nombreux médicaments que j'absorbais. Le 9 mai, des nausées se produisirent durant toute la journée, je me sentis consumé par un feu qui envahissait peu à peu tout mon être. Ma tente était-elle dressée trop près de la terrasse ? Je le supposai. Aussi la fis-je transporter sur le sommet d'une hauteur qui s'élevait { quatre-vingt-cinq mètres au-dessus du fleuve et surplombait notre camp. La fièvre n'en continua pas moins { m'accabler jusque dans la matinée du huitième jour. Elle me laissa alors un instant de répit dont je profitai pour m'administrer vingt grains de quinine, dissous dans l'acide hydro-bromique et que l'estomac conserva fort heureusement. Cette puissante médication eut pour effet de me troubler la cervelle et de jeter le désordre dans mes idées.

En retrouvant ma lucidité, j'éprouvai une grande faiblesse. Mais craignant une nouvelle rechute, j'absorbai avidement trente grains de quinine préparés comme la première fois. Il était temps, car je ne tardai pas à perdre de nouveau la notion de ce qui se passait autour de moi et à tomber dans l'abime du rêve. Pendant six longs jours, la fièvre se maintint au même degré. Toutes les vingt-quatre heures se produisait une courte accalmie pendant laquelle je voyais et entendais clairement ce qui se faisait et se disait autour de moi. Mais ces trêves étaient de si courte durée qu'elles ne me donnaient pas le temps de me recueillir. Je me réveillais juste assez pour sentir que j'étais très malade, extrêmement faible, presque seul sur le sommet de la montagne, n'ayant pour me soigner que le petit Mabrouki, Doualla et le capitaine Braconnier qui venait une fois par jour recommander quelque nouveau remède, notamment l'augmentation des doses de quinine-unique

moyen de salut, selon lui. Mais le quatorzième jour, je me sentais tellement épuisé qu'il m'était impossible de lever les bras ou de me mettre sur mon séant sans le secours d'autrui. Je restais l{ sans force et sans nerfs, et quand je voulais me mouvoir ou me soulever, je devais m'adresser aux jeunes nègres dont je craignais de lasser à la longue le dévouement. Après chaque dose de quinine, portée désormais { cinquante grains, je sentais mon cerveau battre sur l'oreiller avec bruit de tambour, et, peu à peu, je retombais dans l'inconscience et dans l'oubli du mal qui me dévorait.

Le 20 mai, vers sept heures du matin, la maladie parut atteindre son apogée. Subitement réveillé, je ne me fus pas plutôt rendu compte de ma situation, qu'un sombre pressentiment m'assaillit. La crise était venue, la mort ne pouvait être loin. Alors voulant rendre les derniers devoirs de l'amitié { tout le personnel, je priai Mabrouti d'aller appeler tout mon monde, Européens et Zanzibarites. Il partit. Pendant son absence, Doualla me versa dans la bouche soixante grains de quinine dissous dans du vin de Madère et de l'acide hydrobromique, car j'étais complètement hors d'état de porter moi-même le verre à mes lèvres. Prompt comme la foudre, ce violent breuvage répand son feu dans tout mon être ; mes idées se brouillent, un engourdissement profond commence { m'envahir, je supplie Doualla d'aller dire { tous mes amis de se hâter, d'arriver avant qu'il ne soit trop tard. Quelques instants après, des bruits de pas se font entendre de tous côtés. On soulève les rideaux de ma tente. Je distingue, dans un rayon de soleil qui me paraît froid et blafard, les silhouettes des hommes assis en demi-cercle devant moi. Mes camarades européens se placent au pied du lit. Et, voulant leur indiquer ce qu'ils auront { faire quand je ne serai plus, je lutte pour rassembler mes idées qui s'égarent. Il y a dans mon cerveau comme un violent combat entre les préoccupations de la mort et le désir d'articuler quelques paroles intelligibles. Il me semble discerner dans l'éloignement une grande lumière blanche dont l'attirant éclat me distrait en dépit de mes efforts pour concentrer toute mon attention sur les amis assemblés devant la tente. Et mes lèvres se refusent à prononcer les mots que je cherche à faire entendre.

- Regardez-moi, Albert, m'écriai-je brusquement. Restez immobile et tenez les yeux fixés sur moi, car j'ai quelque chose { vous dire -.

Le jeune marin, dont la main pressait la mienne, riva son regard sur le mien pour me permettre de vaincre l'oppression qui me paralysait. Enfin, après un effort, je triomphe, mes lèvres formulent nettement la phrase voulue et il en résulte pour moi un tel soulagement que ce cri s'échappe de bouche : « sauvé ! ». Puis un nuage noir paraît fondre sur ma tête, la perception des choses s'évanouit, une syncope de plusieurs heures détruit toute espèce de sensation. Quand j'ouvris les yeux, le jour suivant, j'appris que j'étais resté pendant vingt-quatre heures dans la même position. Toute ma personne était courbaturée et affectée comme un tremblement sénile. Mais je ne m'en

préoccupai pas autrement. A peine réveillé, j'éprouvai le désir de manger ainsi qu'une sorte d'aversion pour toute espèce de médicaments. Mon état s'était-il amélioré ? Je l'ignorai ; mais, résigné { l'inévitable, renonçant { lutter contre la fièvre, j'étais décidé { me passer la fantaisie de manger, et l'étonnement du jeune Mabrouki fut grand quand je lui demandai de la soupe. Le capitaine Braconnier, que je fis appeler par le petit garde-malade, déféra à mon désir et aida même Mabrouki à préparer le potage. Une heure après, je redemandai à manger et devins tout à fait vorace. Le capitaine me conseilla de la prudence ; mais Doualla et Mabrouki ne tinrent pas compte de cette recommandation. Pervers jeunes gens !...Ils introduisirent, en fraude, dans ma tente des espèces de petites friandises qu'ils s'étaient procurées on ne sait où et que mon estomac digérait successivement sans la moindre difficulté. Le 30 mai, tout danger était si bien écarté que les soins de Doualla et Mabrouki ne visaient plus qu'{ me rendre des forces. Mais, étant terriblement ébranlé par la maladie, il me fallait du temps pour me rétablir, et ce temps allait me paraître bien long. Ce jour-là(le 30 mai), cependant, je me sentis suffisamment remis pour me faire porter sur mon lit au camp ; et cette promenade, ou plutôt cette visite à mon personnel, me fit grand bien ; le 4, je pus m'habiller et rester assis une grande partie de la journée sous ma tente~103.

Les effets mortels du paludisme ont été ressentis et vécus également lors de la bataille du rail. En effet, Les fièvres de toutes sortes, notamment la fièvre bilieuse hématurique, ont été à la base d'une mortalité effrayante lors de la construction du chemin de fer Matadi-Léopoldville : « La vallée de la M'Pozo est une vaste tombe : des centaines d'hommes y sont morts { la tâche. Le long de la voie, les cimetières s'échelonnent. Ces lieux(...) sinistres et répandirent la terreur : la maladie, le désespoir et la mort les hantaient. Une terrible lassitude, une terreur latente pesaient sur tous. Les Blancs avaient baptisé les camps établis dans la vallée de noms suggestifs, reflets de leurs angoisses : Camp de la Miséricorde, Camp de la Mort, Camp de la Fièvre, Camp de la Misère ? Camp de la Désespérance...104. Tragique période : du 15 novembre au 15 décembre 1891, on avait perdu cent cinquante hommes ; pendant le seul mois de novembre 1891, il y avait eu cent et huit décès ; du 15 décembre 1891 au 1er février 1892 : cent cinquante-cinq ; au 30 juin 1892, neuf cents hommes étaient morts. Les malades et les invalides ne se comptent plus. Les trois médecins blancs n'ont pas un instant de repos. Des

103 STANLEY, H.M., Cinq années au Congo, Notice introductive par Nadine Fettweis et Emile Van Balberghe, Archives Générales du Royaume et Archives de l'Etat dans les Provinces, Bruxelles, Reprints 292, 2002, pp 181-184.

104 CORNET, R.J., La bataille du rail, Bruxelles, édition L. Cuyers, 1958, p. 207.

centaines de noirs abandonnent le travail et adoptent la « profession » de malades. C'est un enfer atroce »105.

Durant longtemps, le paludisme mis en relation aux zones humides, fut jusqu'{ la fin du 19è siècle attribué au mauvais air des marais106. C'est en 1880 que l'on doit au médecin de l'armée française Alphonse Laveran, la découverte de l'agent responsable de la maladie, le plasmodium. Celui-ci démontra que la maladie est provoquée par un parasite, qu'il met en évidence dans les globules rouges des 44 personnes souffrant du paludisme au sein de l'hôpital militaire de Constantine à Alger. Il a émis également l'hypothèse d'une transmission de ce parasite par les piqûres de moustiques107. En 1897, le Britannique Ronald Ross confirma cette hypothèse en soulignant la présence de plasmodiums à différents stades de leur vie dans le tube digestif des moustiques108. A cette découverte s'est ajoutée celle de l'italien Giovanni Batista Grassi qui démontra, en 1898, que les moustiques impliqués dans la transmission du paludisme chez l'homme sont les femelles du genre Anophèles, et il décrivit le cycle de vie du parasite { l'intérieur de l'organisme du moustique109. Les connaissances sur la question ayant progressé, la bataille pour l'éradication du paludisme fut engagée.

Cette lutte contre le paludisme remonte à une période ancienne. Dès la fin du XIXe siècle, les connaissances sur cette maladie ayant progressé, il a fallu donc tout mettre en oeuvre pour son éradication, et c'est { partir du XXe siècle que cette lutte prit véritablement corps110.

Depuis ses débuts, les premiers projets de combat contre le paludisme furent inscrits dans un contexte colonial (Asie et Afrique). La lutte antipaludique fut principalement abordée sous l'angle du développement économique des colonies111. Dans un premier temps, il s'agissait de préserver la santé des Européens afin de permettre la colonisation des pays où le paludisme fut endémique. Néanmoins, les

105 Idem, P. 209.

106 DEBACKER, M., Op. Cit, p. 39.

107 DURIEZ, R., Art.cit, p.1001.

108 Encarta, Art. cit.

109 WERY, M.et JANSSENS, P.G. Art. Cit, p. 1240.

110 GUILBAUD, A., Le paludisme. La lutte mondiale contre un parasite résistant, Paris, l'Harmattan, 2008, p. 27.

111 Idem., p. 39.

pouvoirs coloniaux se sont engagés dans la protection de la population africaine, qui constituait la main-d'oeuvre principale pour les colonies112. Cette lutte était indispensable au fonctionnement de l'économie coloniale et { l'amélioration de la production113. Les premiers projets sanitaires contre le paludisme furent donc liés aux intérêts économiques.

Sur le plan international, la mise en oeuvre des moyens de lutte contre le paludisme débuta effectivement à partir de la Première Guerre Mondiale. A la fin de cette guerre, le développement et la propagation de nombreuses épidémies poussèrent la Société des Nations { instituer en 1923 l'Organisation d'Hygiène de la Société des Nations dans laquelle fut créée en 1924 une Commission spéciale pour le paludisme114. Cette commission avait pour mission l'étude des moyens les plus appropriés pour contrôler le paludisme sur le plan mondial et réduire son impact115. Néanmoins, l'Organisation d'Hygiène de la Société des Nations resta largement centrée sur l'Europe, en particulier parce que certains pays tels que la France et l'Angleterre, se montrèrent réticents { l'idée de laisser une organisation internationale agir dans leurs colonies en Afrique et en Asie, où le paludisme prévalait116. Dès lors, la lutte contre le paludisme fut menée par un acteur privé : la Fondation Rockefeller.

En effet, la Fondation Rockefeller créée depuis 1913, avec comme objectif de promouvoir le progrès de la science dans tous les pays du monde, inscrira dorénavant le problème de santé publique, plus particulièrement le problème du paludisme, dans ses premières priorités. Grâce à ses ressources financières et ses propres experts et laboratoires, elle fut engagée dans la lutte, à grande échelle, contre le paludisme117.

Après des premières tentatives fructueuses de lutte contre le paludisme aux Etats Unis d'Amérique, notamment dans le delta du Mississipi et dans l'Arkansas en 1915118, la

112 KIVITS, M., « Que savait-on de la situation sanitaire en Afrique centrale vers 1885 ? » in Le centenaire de l'Etat Indépendant du Congo, Bruxelles, ARSOM, 1988, p. 266.

113 Ibidem.

114 GUILBAUD, A., Op. Cit. p. 28

115 Ibidem.

116 Idem, p. 29.

117 Ibidem.

118 GUILBAUD, Op. Cit. p. 30.

Fondation Rockefeller développa également ses activités d'assistance auprès des autorités locales d'Amérique du Sud, particulièrement en Argentine et au Brésil, en Italie, en Inde, en Egypte. Cette Fondation joua également un rôle très important dans la recherche sur le paludisme ; à cet effet, elle créa en 1930 un laboratoire d'études scientifiques du paludisme, situé à Tallahassee, en Floride119.

C'est après la Seconde Guerre Mondiale que la lutte contre le paludisme fut prise en charge par les acteurs internationaux, et en particulier par l'Organisation Mondiale de la Santé. Depuis sa création, en 1948, celle-ci s'imposa comme leader de l'action sanitaire internationale, en ce sens que la lutte contre le paludisme va figurer parmi ses premières priorités. C'est ainsi qu'en 1955 fut mis en place le Programme d'Eradication du Paludisme(PEP), avec pour objectif principal l'éradication du paludisme { l'échelle mondiale120.

Malgré les moyens mis en place, ce programme se solda par un échec dans les zones où le paludisme s'avérait le plus intense, c'est-à-dire en Afrique et en Asie. Les seuls succès eurent lieu dans les zones tempérées où le paludisme était instable, ce qui permit l'éradication de la maladie dans certains pays européens121. Cet échec était dû, d'une part aux difficultés financières rencontrées par l'OMS, au regard de l'étendue du travail { couvrir, d'autre part aux obstacles techniques et { l'organisation ayant joué en défaveur de la réalisation du programme122.

Après l'échec du PEP, la campagne mondiale d'éradication fut partiellement abandonnée ; peu d'attention a été accordée au paludisme les années suivantes. Ce n'est que vers les années 1980, compte tenu de l'augmentation de la résistance des parasites aux traitements antipaludiques et de celle des vecteurs aux insecticides, que la lutte contre le paludisme reprit de l'ampleur. Désormais, plusieurs acteurs internationaux entrèrent en jeu : il s'agit notamment de la Banque Mondiale, de l'UNICEF, du PNUD, de Roll Back Malaria Patnership(RBM)123. La lutte antipaludique se retrouve également

119 Idem, p. 31.

120 Idem, p. 43.

121 Idem, p. 45.

122 Idem, p. 50.

123 Roll Back Malaria : Faire reculer le paludisme ; Programme lancé par l'OMS en 1998.

incluse dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement, à travers son objectif n°6 « Combattre le VIH/Sida, le paludisme et autres maladies »124 Cette question d'actualité témoigne du retour de la question de la lutte contre le paludisme sur la scène internationale.

C'est ainsi qu'en 1992, sous la coordination de l'OMS, fut organisée { Amsterdam une conférence qui donna lieu à la Déclaration mondiale de contrôle du paludisme et à la mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie mondiale mettant l'accent sur l'Afrique subsaharienne où la maladie sévit le plus125. Cette stratégie dite de «contrôle » de l'endémie palustre et non plus d'éradication (mot banni) a pour objectifs de prévenir la mortalité et de réduire la morbidité, ainsi que les pertes sociales et économiques liées à la maladie, grâce à la mise en place progressive et au renforcement de moyens de lutte locaux et nationaux.

De nos jours, le paludisme est considéré comme une maladie des pays en développement, car c'est surtout dans les régions pauvres d'Afrique et d'Asie qu'on le retrouve. D'après certains économistes, la croissance économique des pays { forte transmission du paludisme a toujours été inférieure à celle des pays sans paludisme. Ceux-ci imputent au paludisme un déficit annuel pouvant atteindre 1,3% dans certains pays d'Afrique126. Ainsi, la lutte contre le paludisme devient alors un élément des stratégies de développement, auquel les institutions internationales se sont fermement engagées en raison surtout du coût économique que cette maladie impose aux pays en développement.

Toutefois, certains pays africains ont réussi à réduire le taux de mortalité dû au paludisme grâce leurs politiques nationales visant à promouvoir un traitement efficace contre cette pathologie. Il s'agit notamment de la Tanzanie, du Ghana, de la Guinée, de la Zambie et de l'Erythrée127.

124 www.un.org/french/millenniumgoals/index.html

125 GUILBAUD, Op. Cit. p. 92.

126 Paludisme comme maladie des pays en développement. Article obtenu à la page web : www.rbm.who.int

127 THOMAS, C., Lutte contre le paludisme : encore un effort, avril 2010, article tiré à la page web : www. Rfi.fr /Afrique/santé

On peut dès lors relever que le paludisme presque enrayé totalement dans les pays occidentaux, est devenu l'une des caractéristiques des pays du Tiers-Monde oü il continue de produire de nombreuses victimes, avec ses conséquences socioéconomiques désastreuses.

Après avoir fourni ce repère historique du paludisme, nous allons présenter l'évolution de cette maladie au Congo.

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