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Pérégrinations dans l'empire ottoman : récits & voyageurs français de la seconde moitié du XVI e siècle .

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par Paul Belton
Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance, Université François-Rabelais Tours - Master  2011
  

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Conclusion

« Il se tire une merveilleuse clarté pour le jugement humain, de la fréquentation du monde (...) Tant d'humeurs, de sectes, de jugements, d'opinions, de loix et coustumes, nous apprennent à juger sainement des nostres, et apprennent nostre jugement à recognoistre son imperfection et sa naturelle foiblesse : qui n'est pas un legier apprentissage »

Michel de Montaigne, les Essais, I, 26, p.157-158.

Ce travail nous a amené aux origines d'un genre nouveau, hybride (qui ne cessera de croitre et aura un grand succès, comme en témoignera une abondante production littéraire au XVIIe siècle), dont une des principales caractéristiques est la diversité de contenu et la variété des objets pris en compte. Ces textes nous donnent à voir des écrivains, qui jonglent entre plusieurs disciplines et donnent ainsi naissance à des écrits composites (mais ne manquant pas d'unité pour autant), qui pourraient se rattacher à des disciplines aussi variées que la politique, les sciences naturelles, la littérature, l'Histoire ou encore la géographie. Le voyageur-écrivain se fait archéologue, botaniste, ethnologue, géographe, ou historien, selon les thèmes et les points de vue qu'il aborde. Les perspectives qu'offrent les voyageurs sur l'Orient s'attachent à retranscrire toute la diversité de la faune, la flore, des savoirs-faire et cultures, leurs discours se concentrent également sur le pouvoir ottoman, sur la figure, pleine d'ambigüité, du Turc, qui est la grande nouveauté rencontré sur ces territoires, déjà anciens vis-à-vis des imaginaires et de la culture des Européens. Certes, nos récits empruntent à des narrations et des modèles antérieurs, de même que leur démarche -qui consiste à voyager pour connaitre & apprendre- est souvent inspirée d'exemples très anciens. Mais, ces récits de voyage du second XVIe siècle se détachent à la fois du récit de pèlerinage et des récits merveilleux médiévaux, car les considérations d'ordre politique et scientifique y sont prépondérantes, ils amènent des éléments nouveaux & des questionnements inédits, une approche beaucoup plus mimétique dans ses intentions. Ainsi, au cours de cette période de 1553 à 1583, l'Orient se transforme sous la plume de nos voyageurs, de même que l'Europe qui regarde n'est plus là même qu'auparavant. D'ailleurs, notre étude a montré à quel point cette transformation de la représentation de l'Orient, nous permet, par effet de miroir, d'observer les métamorphoses à l'oeuvre en Europe. C'est bien souvent les mentalités et le contexte d'une époque, qui se reflètent dans les récits de voyage, leurs discours sur l'autre et sur l'ailleurs sont sans cesse en rapport avec l'actualité européenne, ils sont révélateurs des problèmes identitaires et des transformations qui travaillent une « Europe » en plein implosion au XVIe siècle.

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Le voyageur est confronté à l'altérité et à l'inconnu, ce décalage induit la réflexion, il invite au discours, stimule la curiosité du voyageur, comme du lecteur. L'écriture viatique répond à deux impératifs complémentaires : la recherche de l'extraordinaire d'un côté (notamment avec la notion de singularité) et volonté d'organiser le réel de l'autre (avec des descriptions fondées sur l'observation et des discours, qui tentent de faire ressortir l'unité du vivant et les liens subtils qui relient les êtres). De même, la description de l'Orient est prise entre une tentative d'émancipation vis à vis des Anciens (qui passe notamment par une remise en cause partielle de ceux-ci) et une réactualisation des textes de référence, qui se double, sur place, comme dans les discours, d'une admiration des vestiges d'un « âge d'or », de la contemplation des reliques d'un passé glorieux. Ces textes représentent bien la relation au passé ambigüe et complexe, qu'on put avoir les hommes de la Renaissance. En effet, la dimension historique, que prend la découverte de l'Orient ottoman, est apparue essentielle au cours de ce travail, en quelque sorte, le voyage spatial est aussi un voyage temporelle, une expérience culturelle extraordinaire, qui rapproche parfois le voyageur de l'Antiquité, tant admirée pour ses réalisations culturelles et ses écrits. Parallèlement, ces récits de voyage illustrent la tension, à l'oeuvre au XVIe siècle, entre expérience oculaire et compilation livresque : la mimesis et l'imitatio s'y côtoient sans cesse, la confrontation des textes nous a permis de révéler des tendances plus ou moins fortes à l'une ou à l'autre, selon les auteurs. Ce qui rapproche les trois récits de voyage étudiés, c'est à la fois l'importance du regard (dont les illustrations et la mise en avant de l'observation directe témoignent), mais aussi le poids du déjà écrit, des motifs attendus, voire dans certains cas, de la réécriture. Certes, l'Orient est multiple dans les représentations qui en sont données, mais les centres d'intérêts des voyageurs, les objets du discours sont souvent les mêmes, d'où la fécondité de l'approche comparative entre les textes.

Nous avons étudié les représentations de l'Orient sous certaines de leurs déclinaisons particulières, principalement la nature & les territoires, le pouvoir ottoman & la figure du Turc. De cette analyse ressort toujours une même ambigüité, une équivocité féconde, en adéquation avec les rapports contradictoires et paradoxaux, que l'Occident entretient avec l'Orient au XVIe siècle. D'abord, la nature orientale est à la fois présentée comme dangereuse (les éléments s'opposent souvent au voyageur, jusqu'à parfois mettre sa vie en danger) et comme merveilleuse (la nature y prend parfois des allures paradisiaques, les références culturelles et littéraires projetées sur les territoires leurs ajoutent souvent un pouvoir d'attraction important). De même, la représentation du pouvoir ottoman et des Turcs oscille, sans cesse, entre crainte et admiration, entre rejet et acceptation des Musulmans, parfois, ils sont de véritables modèles de vertus, qui laissent admiratifs les voyageurs ; d'autres fois, ils deviennent, sous les mêmes plumes, des « barbares » dangereux et

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immoraux. De même, le pouvoir ottoman séduit les Français par sa puissance et ses manifestations spectaculaires, tout autant qu'il les effraye (par son autorité) et les dégoute (notamment, à cause de l'esclavage et de l'enrôlement de force, dont sont victimes les Chrétiens d'Europe et d'Orient). Ainsi, la fascination (qui ne désigne pas seulement une attraction particulièrement forte, mais insiste sur une forme de sidération, qui compromet l'exercice de la faculté critique) exercée par l'Empire ottoman sur le voyageur n'est jamais totale. Certes, une attraction intense se décèle, à certains moments, chez les auteurs, mais elle n'induit pas une paralysie du sens critique, comme le prouve de nombreux exemples développés au cours de notre travail, notamment, celui de Palerne lors des fêtes de Murad III. D'un autre côté, cette faculté critique, lorsqu'elle est exacerbée à l'extrême, peut conduire à des effets tout aussi désastreux que si elle est absente, en effet, un sens critique totale conduirait à un rejet pur et simple de l'autre, et dans ce cas, l'expérience viatique n'amènerait pas grand chose au voyageur totalement prisonnier de sa propre idéologie. Fort heureusement, ce n'est pas le cas et les discours des voyageurs ne sont donc pas uniquement des miroirs de leurs préoccupations, ils laissent parfois une place authentique à l'altérité (humaine ou naturelle).

Ce travail nous permet, à présent, de résumer quelques-une des principales fonctions de ces textes pour les Européens (ce qui revient à répondre à la question : pourquoi nos voyageurs écrivent t-ils ses textes ?). Tout d'abord, ces « récits de voyage »apportent aux lecteurs des informations stratégiques sur l' « Adversaire » musulman (certes, allié du moment pour les Français, mais pas moins ennemi potentiel pour autant), par ailleurs, certaines parties de leurs discours peuvent être sources d'informations politiques et pourquoi pas donner des idées aux puissants (les réussites politiques et militaires de cet Empire en font à certains égards une sorte de modèle). D'autre part, ces textes ont de fortes potentialités critiques dans les domaines politiques & sociaux, cette portée réflexive a été mise en évidence à de nombreuses reprises au cours de la dernière partie de ce travail, l'altérité donne à réfléchir et amène à des conclusions, qui peuvent avoir des implications jusqu'en Europe. En effet, les remarques, que font les voyageurs ont une portée assez universelle, leur démarche et le questionnement, que provoque la rencontre de l'ailleurs et de l'autre, s'inscrit à merveille, dans des perspectives « humanistes » d'une réflexion sur l'Homme et sur soi-même493. Les récits prennent sont sources d'enseignements pour le lecteur, de même que le voyage a pu l'être pour l'auteur, au sens d'une transformation de soi par la rencontre de l'autre.

493 Pour illustrer cette idée, on peut citer Michel de Montaigne, qui affirme, à propos du voyage : « L'ame y a une continuelle exercitation à remarquer les choses incogneuës et nouvelles ; et je ne sache point meilleur escolle, comme j'ay dict souvent, à former la vie, que de lui proposer incessament la diversité de tant d'autres vies, fantaisies et usances, et luy faire gouster une si perpétuelle variété de formes de nostre nature » Essais, III, 9.

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Dans une autre perspective, les expériences et les observations des voyageurs peuvent devenir sources de connaissances scientifiques & techniques sur la nature (plantes, animaux, utilisation des ressources), sur la géographie des territoires ottomans & sur les hommes et leurs savoirs faire; ils peuvent même, quelque fois, participer à des « transferts de technologies » entre l'Europe et l'Empire ottoman. Plus généralement, ces discours sur des régions lointaines contribuent à l'assouvissement de la curiosité sur le monde, très forte chez des Hommes du XVIe siècle. Les récits de voyage au Levant sont donc à rattacher à l'entreprise, plus vaste, d'une cosmographie universelle, construite de manière parcellaire, pour conserver l'irréductible particularité de chaque région, voire de chaque lieu.

Ces textes illustrent également une volonté d'appropriation symbolique de l'Orient méditerranéen, au sens où la description du monde amène à une prise sur celui-ci, le fait de nommer les choses peut être rattaché à un désir de contrôle & de maitrise. Ainsi, transposer en image les « nations » orientales, comme le fait Nicolay, peut participer d'une neutralisation de la peur, d'une tentative de classifier ; de manière plus générale encore, « décrire » l'Orient, c'est souvent y apposer la marque de l'Occident. Dans une perspective assez similaire, nous avons vu à quel point des récits, comme celui de Palerne et plus encore celui de Nicolay, vont appeler à la reconquête des territoires sous domination ottomane, ils exhortent, à maintes reprises, les Chrétiens à l'unité, dans le cadre d'une croisade contre un géant, qui nécessairement (ainsi, le veulent les conceptions de « l'Histoire » de l'époque et l'implacable mutation des temps qu'elles postulent), ne pourra se maintenir éternellement à son apogée. Mais d'un autre côté, malgré la grande part de préjugés qu'ils véhiculent, les discours sur les Ottomans permettre de nuancer la perception de l'autre, d'affiner les catégories, et en somme, de ne pas réduire le Turc à un archétype du mal absolu.

Finalement, l'écriture du voyage dans l'Empire ottoman révèle le besoin de transmettre une expérience exceptionnelle, de la conceptualiser pour pouvoir la partager, c'est l'occasion, pour les voyageurs, de faire le point sur leur vécu, de tirer quelques enseignements de leurs expériences orientales. Décrire son périple et ses découvertes permet à l'écrivain de proposer un modèle nouveau du savant voyageur ou du diplomate cosmopolite, qui vont à la rencontre de cultures et de mondes différents, de ceux qui leurs sont connus ou habituels. Le voyageur livre un message par son propre exemple, par la mise en scène de sa démarche viatique dans l'espace littéraire du récit, il propose le modèle d'un homme, qui ose se déplacer pour vérifier des informations et qui considère le voyage, comme un moyen pour faire progresser la connaissance sur la nature ou sur les peuples étrangers. Cette démarche et cette attitude ont quelque chose de très « modernes », tout en

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s'autorisant des modèles les plus anciens. Le livre devient une invitation à parcourir le monde, non seulement en mots et en esprit, mais aussi en expérience et en observation authentiques et vécues. Paradoxalement, avec les récits de voyage, l' Orient se condense dans les pages du livre, les régions deviennent autant de chapitres, que peut tranquillement parcourir le lecteur français, comme si le Levant entier était à portée de sa main. En cela, le récit de voyage, et plus largement les travaux cosmographiques, participent, une fois de plus, d'une forme de « domestication du monde », qui passe par l'organisation de celui-ci, par la patiente observation des différents objets inconnus, qui s'offrent au sens, par la description méticuleuse de leurs aspects singuliers, tout autant, que par leur inscription dans un tout (dont l'unité harmonieuse est la marque de l'Intelligence créatrice).

Le voyage est assez représentatif de la dynamique du savoir à l'oeuvre en cette fin de Renaissance (les discours sont un subtil mélange de redécouvertes, de reconnaissances et d'éléments nouveaux), nous assistons avec l'écriture viatique, en quelque sorte, à l'opération par excellence de la connaissance : à partir d'un vécu et d'un perçu en terres ottomanes, le voyageur, qui se fait alors écrivain, tente de représenter quelque chose, d'en extraire quelque savoir, voire quelque enseignement ou leçon494. Que se soit de l'ordre du conseil qui pourra servir au futur voyageur, du savoir (sur le monde naturel, les espaces géographiques ou l'Histoire) théorique et pratique (techniques, savoir-faire, utilisation de plantes, etc.), ou même du questionnement culturel, le voyage a pour vertu d'offrir une matière vivante, sur laquelle peut s'exercer de manière diverse le jugement du voyageur et du lecteur. Le monde inconnu et lointain permet une véritable réflexion -au sens littéral- du voyageur, les terres lointaines seront alors supports de ces réflexions, souvent , elles seront même des miroirs, renvoyant à des préoccupations personnelles et des problèmes collectifs (liés au contexte historique), qui occupent les voyageurs -ceux-ci les portent t-ils, à tel point en eux-mêmes, qu'ils les retrouvent même à l'autre bout du monde ? Ainsi, la représentation du monde donnée par les récits de voyage, ne doit jamais être considérée, comme une représentation totalement ou uniquement mimétique, elle est bien plus souvent, le reflet de l'âme qui contemple, qu'une reproduction à l'identique de ce qui serait objectivement perçu et présent ailleurs. Reflets de « l'âme », nous entendons par là, miroir des intérêts profonds du voyageur, ainsi que des modes de perception de son époque et de la réorganisation du savoir, qui la traverse : les discours tenus sur l'autre, sur l'ailleurs et sur l'inconnu, permettent de percevoir, en filigrane, les mentalités et conceptions de ceux qui écrivent, et dans une certaine mesure, ils reflètent une époque et ses

494 Ainsi, dans l'alchimie subtile du récit de voyage se retrouve à la fois le scientifique et le « didactique », au savoir sur le monde et les êtres, se mêle une réflexion à partir de l'autre sur soi même. Et parfois même une réflexion sur le « savoir » lui-même, avec, par exemple, la démarche de Belon, qui joue le jeu de la « transparence » dans son discours (se positionnant dans les débats, en citant et confrontant ses sources, etc.), tout en donnant à voir au lecteur l'application pratique de sa propre méthode : le voyage d'observation.

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préoccupations, ses interrogations et ses systèmes de représentation.

Les perspectives de recherches ouvertes, suite à ce travail, sont donc multiples. Tout d'abord, elles relèvent de l'Histoire des représentations et des sensibilités : le voyageur est confronté à des mondes nouveaux, inédits -certes en partie, car les territoires sous domination ottomane comme la Terre Sainte, certaines îles Méditerranéennes, la Grèce ont des relations millénaires avec l'Europe plus occidentale, mais il demeure toujours quelque élément provoquant l'étonnement, quelques moeurs incroyables, qui confrontent le voyageur à l'inconnu et l'altérité. Face à celle-ci, il serait intéressant d'étudier, plus en détails, les multiples réactions des voyageurs : attraction, soif de connaitre de comprendre ; volonté de rationaliser, de fixer dans un discours ou une représentation ; peur et perception à travers des aprioris « idéologiques », des préjugés, etc... Un autre point, qui mériterait d'être étudié plus précisément, est la perception de la Nature dans le récit de voyage : quels rapports aux êtres vivants et à la Création ressortent de ces textes ? Le récit de voyage de Pierre Belon est particulièrement riche à cet égard, car il présente, à la fois, la perception d'un botaniste, soucieux de distinguer et classer les plantes, doublé d'un médecin, qui les identifie et les utilise pour soigner et guérir, tout en donnant à voir, une nature fortement liée à la culture des sociétés rencontrées, indissociable de leurs savoir-faire et de leurs représentations495. Nous avons esquissé quelques éléments de réponse à ce sujet, mais de nombreux travaux restent à écrire... De même, une autre piste ouverte à des études futures serait la recherche d'un « contre-point » oriental. Y aurait-il des récits de voyageurs ottomans, qui pérégrinent en Europe à la même époque ? Ceux-ci permettraient une étude en regards croisés (sur le modèle du travail de Serge Gruzinski réalisé entre Amérique et Empire Ottoman496) et des comparaisons probablement fécondes en découvertes.

Finalement, nous avons montré à quel point les récits de voyage sont un genre hybride, qui convoque de multiples disciplines du savoir pour répondre à la diversité de ces objets. De manière analogue, en matière de recherche, ces récits apparaissent comme des sources à la croisée des disciplines universitaires, ils permettent de reconstituer une partie des mentalités, des contextes, des conditions de rédaction et des modes de représentation d'une époque, ils peuvent donc être étudiés sous des angles divers : approche littéraire, dimension philosophique, étude historique et

495 Il remarquable de constater à quel point la « technique » des sociétés orientales du XVIe siècle, les rapproche de la nature, bien plus, qu'elle ne les sépare de celle-ci. À la lumière du texte de Belon, les savoir-faire font le pont entre les hommes et leurs environnements, ils font vraiment partie de la culture des sociétés, qui instaurent une relation d'équilibre, une sorte de microcosme duquel les hommes font partie intégrante. Ces réflexions historiques et ce genre de travaux pourraient apparaitre d'autant plus nécessaires et utiles, face à aux problèmes environnementaux contemporains,de plus en plus urgents et inquiétants.

496 S. Grunzinski, Quelle heure est-il là-bas ? : Amérique et Islam à l'orée des temps modernes, Seuil, 2008.

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épistémologiques. Certaines initiatives contemporaines tendent justement à croiser ces disciplines, pensons, par exemple, à des projets comme Viatica, qui se concentre uniquement sur les illustrations des récits de voyages, mais résume bien, dans ses déclarations d'intentions, le caractère fédérateur et transversal de l'étude du voyage : « Les résultats inédits obtenus à partir de plusieurs millions de clichés intéressent au premier plan la recherche interdisciplinaire dans les domaines de la littérature des voyages, de l'iconographie et des systèmes de représentation, de la génétique de l'image d'un lieu ou d'un sujet, de la gravure, de l'histoire du livre et du livre d'art, de l'histoire de la cartographie, de l'imagerie culturelle, de l'anthropologie historique, de l'histoire des mentalités. »497. Ce genre de projet invite à la fédération de pôles de recherche variés, à des approches pluridisciplinaires, qui nous semblent très adaptées à ce type de source, que sont les récits de voyage. Finalement, ce genre de projet permet la centralisation des informations, encore trop souvent disparates, mais déjà remarquablement avancée, dans le cas de base de donnée comme viati-web498, mise en place par le Centre de recherche sur la littérature des voyages (C.R.L.V.), qui propose des centaines d'articles, organisés par ères géographiques et par thèmes. De même que le voyageur dépasse sans cesse les frontières des mondes connus et que son discours jongle habilement entre « différentes » disciplines, l'étude des récits de voyage gagne à adopter de multiples perspectives. Belon n'apparait-il pas alors comme une sorte d'avant-gardiste ? Il nous offre l'exemple d'une démarche, qui a encore beaucoup à nous apprendre ; à l'ère de l'informatique, qui permet une accessibilité & une centralisation sans précédent des informations, ses conceptions de l'intertextualité peuvent apparaitre fécondes, nous aussi nous devons apprendre à trier nos sources, à ouvrir de larges dialogues entre les disciplines et entre les auteurs, nous devons également, à son exemple, ne pas rester river aux informations préconçues et « reconnues », mais vérifier celles-ci, aller vers le monde, ne pas uniquement le percevoir derrière un écran ou un texte. « Juché sur des épaules de géants », nous devons, de même qu'on sut le faire certains hommes de la Renaissance, réactualiser la masse d'information, dont nous disposons, dans un va et vient constant entre la redécouverte et l'enrichissement. Le sens critique (qui distingue, rejette ou conserve, qui amène à juger et à trier) est donc primordiale, pour que notre voyage dans les galaxies numériques, ne reste pas superficiel et virtuel... L'essentiel du problème contemporain réside également, selon notre opinion, dans le réveil de cette « soif de connaitre », qui anima les hommes du XVIe siècle, à tel point qu'ils eurent le courage de traverser les mers et de braver les mille et un dangers du voyage. Ils eurent une telle envie de connaitre et de découvrir, qu'ils furent prêt à mettre leurs vies en danger et à se rendre en des territoires peuplés d'« Infidèles » : en effet, outre les éléments hostiles, les

497 « Fondements et objectifs du programmeVIATICA », consulté en ligne à l'adresse suivante : http://www.crlv.org/viatica/index.php.

498 http://www.crlv.org/crlv/viati-web.php.

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voyageurs ont donc, dans une certaine mesure, bravé les préjugés de leurs temps. Étudier ces récits de voyage et les voyageurs, c'est aussi rechercher les origines de leur irrépressible quête du Savoir, c'est observer leur amour de la connaissance ...Voilà un point crucial vis-à-vis des temps présents, car ce qui semble faire obstacle à l'utilisation des potentialités énormes, qui nous sont offertes, c'est bien souvent l'absence de gout pour le savoir, la perte d'intérêt pour la connaissance. Il serait donc fort utile d'étudier les récits de voyage et plus largement les mouvements intellectuels, culturels, et artistiques, qui ont transformé leurs époques, sous cet angle problématique. Qu'es-ce qui réveille chez les hommes la soif de connaitre, l'aspiration au savoir et à la découverte ? Nous estimons, que les récits de voyage sont des sources privilégiées pour apporter des éléments de réponses, puisque l'émerveillement & de l'étonnement sont au centre de l'écriture viatique, reflets de l'indomptable curiosité et de l'insatiable soif de connaitre, qui animent les voyageurs du XVIe siècle.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo