Valentin Boragno
M1 Philosophie
Mémoire dirigé par M. J.-F. Pradeau
Juin 2006
La démocratie dans la Politique d'Aristote
Introduction : démocratie et gouvernement
constitutionnel
- Le gouvernement constitutionnel est l'objet de la recherche
aristotélicienne.
Aristote propose au chapitre VII du livre III un classement
des constitutions. Il combine pour cela deux critères : d'une part
le nombre du souverain, de l'autre la finalité de la constitution.
Celle-ci est une notion fondamentale. Elle permet, en effet, la discrimination
entre les constitutions dans lesquelles le pouvoir existe pour lui-même
(constitutions déviées) et celles où il l'exerce pour
l'ensemble de la communauté (constitutions droites). Dans les
constitutions droites, le souverain gouverne en vue de l'avantage commun (
ðñ?ò
ô?
êïéí?í
óõìö?ñïí),
dans les constitutions déviées, il gouverne en vue de son
avantage particulier (
ðñ?ò
ô?
?äéïí)1(*). Au sein des constitutions
droites, qui diffèrent selon le nombre du souverain, on trouve la
royauté (
âáóéëå?á),
l'aristocratie (
?ñéóôïêñáô?á),
et le gouvernement constitutionnel (
ðïëéôå?á),
le nom étant commun à toutes les constitutions. Une fois ces
constitutions droites définies, Aristote peut évoquer les
constitutions déviées.
« Les déviations des constitutions qu'on a
indiquées sont : la tyrannie pour la royauté, l'oligarchie
pour l'aristocratie, la démocratie pour le gouvernement constitutionnel.
Car la tyrannie est une monarchie qui vise l'avantage du monarque, l'oligarchie
celui des gens aisés, la démocratie vise l'avantage des gens
modestes. Aucune de ces formes ne vise l'avantage commun.2(*) »
La démocratie apparaît donc comme un
régime négatif, qui ne peut se définir qu'à partir
de son étalon, qui est le gouvernement constitutionnel.
Ce classement est pour ses contemporains d'abord on ne peut
plus banal. Le classement qu'il opère selon le nombre du souverain est
emprunté à Hérodote, le classement selon la justice au
pouvoir est emprunté à Platon. Mais il y introduit malgré
tout une nouveauté radicale, qui passe inaperçue du fait de la
symétrie de son classement : c'est le gouvernement constitutionnel,
trop souvent négligé par les classificateurs :
« il y a une cinquième sorte qu'on appelle
du nom commun à toutes (on l'appelle en effet « gouvernement
constitutionnel »), mais comme elle ne s'instaure pas souvent, elle reste
cachée à ceux qui s'efforcent de dénombrer les
espèces de constitutions, et, comme Platon, ils n'ont recours qu'aux
quatre susdites dans leurs traités sur les constitutions. 3(*) »
Or c'est précisément ce gouvernement
constitutionnel qui est l'objet de la recherche de la Politique, et du
notamment du livre IV.
« De sorte qu'il est évident qu'à
propos de la constitution c'est à la même science de
considérer ce qu'est la constitution excellente, c'est-à-dire
quelle est celle qui est conforme à nos voeux si rien d'extérieur
ne s'y oppose ; et aussi laquelle est adaptée à quels gens
(car pour beaucoup de gens il est sans doute impossible d'atteindre par
eux-mêmes la constitution excellente, de sorte que le bon
législateur, c'est-à-dire l'homme politique selon le vrai ne doit
laisser de côté ni la constitution la plus valable absolument, ni
la constitution excellente dans une situation
donnée. »4(*)
- la démocratie est la forme la plus proche du
gouvernement constitutionnel
Or Aristote parle très peu de la politie en tant que
telle. Seuls le chapitre IV, 9, qui parle des manières dont se forme le
gouvernement constitutionnel, et le chapitre IV, 7, sur le gouvernement des
classes moyennes, s'efforcent de définir le gouvernement
constitutionnel. Sinon, il n'est défini que par rapport à la
démocratie et à l'oligarchie. C'est pourquoi leur étude
permet de comprendre la politie. Celle-ci est un mélange de
démocratie et d'oligarchie.
« Il faut maintenant traiter du gouvernement
constitutionnel. Sa nature, en effet, est plus manifeste une fois qu'a
été déterminé ce qui concerne oligarchie et
démocratie, car le gouvernement constitutionnel est, pour parler
schématiquement, un mélange d'oligarchie et de
démocratie.5(*) »
Elle sera encore plus manifeste si l'on s'attache
particulièrement à l'étude de la démocratie. Car,
bien qu'il tienne des deux, le gouvernement constitutionnel est plus proche de
la démocratie que de l'oligarchie.
« Mais on a l'habitude d'appeler gouvernements
constitutionnels les formes qui penchent vers la démocratie, et
plutôt aristocraties celles qui penchent vers
l'oligarchie. »6(*)
Il n'est même pas rare qu'Aristote renonce à
toute précaution de langage et vienne à associer totalement la
démocratie de bonne qualité (
äçìïêñáô?á
÷ñçóô?)
et le gouvernement constitutionnel (
ðïëéôå?á) :
« Et là où il se trouve que le territoire
a une configuration telle que la campagne est séparée de la ville
par une grande distance, il est aisé d'établir une
démocratie de bonne qualité c'est-à-dire un gouvernement
constitutionnel. 7(*) »
On pourrait penser que cette proximité entre les deux
constitutions amène à une distinction de type platonicien, qui
serait la suivante. Platon 8(*) pense que quand toutes les constitutions sont
correctes, la démocratie est la pire, mais quand elles sont
défectueuses, la démocratie est la meilleure9(*). La démocratie serait
alors une sorte de gouvernement constitutionnel du pire, ou en tout cas un
gouvernement constitutionnel adapté à la réalité du
monde sublunaire. Et en effet, chez Aristote, la démocratie
apparaît en effet aussi comme la plus mesurée (
ìåôñéùô?ôç)
des mauvaises constitutions :
« la tyrannie, étant la pire, est celle qui
s'éloigne le plus d'une constitution, en second vient l'oligarchie, (car
l'aristocratie s'éloigne beaucoup de cette constitution), la plus
mesurée étant la démocratie.10(*) »
- la démocratie n'est pas le gouvernement
constitutionnel
Et pourtant il est clair que, si proche soient-ils, les deux
termes ne désignent pas la même chose. Aristote refuse de faire de
la démocratie une sorte de bon gouvernement en comparaison à
d'autres constitutions qui lui seraient pire. La démocratie est un
régime dévié. Contre Platon, il refuse de
considérer une constitution déviée comme bonne :
« Nous, par contre, nous disons que ces
constitutions sont complètement viciées, et qu'il n'est pas juste
de dire que telle oligarchie est meilleure qu'une autre : elle est moins
mauvaise.11(*) »
On a donc, d'une part, une grande proximité, se soldant
parfois même par une identité, entre les deux constitutions, et,
de l'autre, une opposition radicale, qui est celle du bon et du mauvais. Il
serait aisé de comprendre en quoi l'une est bonne, en quoi l'autre est
mauvaise, si Aristote venait à énoncer respectivement et de
manière antithétique, leurs critères. Mais il n'en fait
rien. Le gouvernement constitutionnel reste un régime discret, qui
apparaît dans les creux de la démocratie, et dans une moindre
mesure de l'oligarchie. Il reste une forme bâtarde, qui ne se
définit que par rapport à ses étalons déviants.
Pour comprendre le bon, il faudra donc comprendre le mauvais. Pour
comprendre le concept, il faudra comprendre la chose, bien existante, avec son
cortège d'imperfections, et pourtant si proche de la forme parfaite.
La démocratie, c'est, avant toutes choses, le
régime de la liberté, ou plutôt de l'illusion de la
liberté. Cette liberté qui consiste à faire ce que l'on
veut, et qui incite à règner sans prêter attention aux
lois. C'est en vivant selon les lois que l'on devient vertueux, et la vertu est
la fin du gouvernement constitutionnel. La liberté serait ainsi devenue,
dans la démocratie, une fin en elle-même, alors qu'au mieux, elle
n'est qu'un moyen pour accéder à l'excellence. Comment la
liberté démocratique entre en conflit avec les lois ? et
entre-t-elle forcément en conflit avec elles ? Ce sera l'objet de
notre premier point.
L'usage que les démocrates feront de la liberté
ne tient pas seulement à leur moralité ou leur immoralité,
de même que les démagogues n'adviennent pas seulement grâce
à leur perversité et à la stupidité de la foule.
Ces déviances ont des causes. Quelle place ménage-t-on aux lois,
face à l'omnipuissance du peuple ? Quel mode de vie et quel type de
peuple doit-on privilégier pour que la démocratie dure ?
Selon les réponses apportées à ces questions, les
démocraties varieront, en taille, en ordre, en bien ou en mal. C'est
donc cette typologie qu'il nous faudra donc établir en deuxième
lieu afin, éventuellement, de juger des formes de démocratie les
plus compatibles avec le gouvernement constitutionnel.
La loi doit être respectée. Mais, universelle,
elle ne peut gouverner dans tous les cas particuliers que propose la
réalité. Il faudra donc aux démocrates établir des
magistratures pour pallier à cette insuffisance des lois. Comment les
répartira-t-on entre le peuple et les gens compétents, entre les
riches et les pauvres ? Quelles seront les conséquences de la
répartition de la souveraineté en ce qui concerne la
répartition des richesses ? Chacun peut en effet prétendre
au pouvoir et aux richesses en fonction de sa qualité propre :
science, richesse, ou liberté. Laquelle il faudra privilégier,
c'est là la question du rapport de la justice et de la justice
démocratique.
Une fois au pouvoir, les pauvres profitent de leur avantage
pour spollier les riches, par des confiscations ou par divers procès.
Etant les plus nombreux, ils peuvent prétendre à une
répartition des richesses en leur faveur. Ils le peuvent en droit,
peut-être, - mais ici la question n'est plus celle de la justice, mais
celle, très pratique, de la sauvegarde des constitutions - ils ne le
peuvent pas en fait. Le juste défini plus haut est ce qui permettra au
gouvernement de durer. Quelles mesures concrètes (politiques,
économiques, éducatives) faudra-t-il prendre pour ce faire ?
Ce seront là des pistes qui nous permettront d'évaluer la
distance finale entre démocratie et gouvernement constitutionnel, et de
mieux comprendre la nature de leur différence radicale.
1. « La définition du régime
populaire c'est la liberté
(?ëåõèåñ?á). 12(*) »
La liberté est pour nous une notion
intégralement positive. Mais elle comporte, pour Aristote, des
acceptions négatives. Pour comprendre que ce principe de la
démocratie n'est pas forcément une qualité et qu'il est du
moins ambigu, il faut d'abord approcher cette notion par les définitions
implicites qu'il en donne, au sein des définitions de la
démocratie, aux chapitres III, 8 et IV, 4. On pourra alors
étudier les différents sens donnés au mot
« liberté » en tant que principe de la
démocratie (VI, 1). De ces différents sens découleront
différentes caractéristiques communes à toutes les
démocraties, qui font l'objet du chapitre VI, 2.
1.1. Approches de la notion de liberté par ses
notions contraires
1.1.1. Approche économique : la notion de
liberté contre la notion d'aisance (III, 8, 1279 b 11 - 1280 a 6)
Au chapitre III, 8, intitulé par P. Pellegrin
« Difficultés à définir la démocratie et
l'oligarchie », Aristote essaie de trouver ce par quoi diffère
la démocratie de l'oligarchie. Il reprend d'abord pour cela le
critère qu'il avait énoncé au chapitre III, 7, selon
lequel la démocratie « vise l'avantage des gens
modestes »13(*) : le critère économique. La
démocratie est la constitution gouvernée par les pauvres (
?ðïñïé) ;
l'oligarchie au contraire (?íáíô?ïò), la
constitution gouvernée par les riches (
å?ðïñïé) .
« Une tyrannie est une monarchie exerçant sur la
communauté politique un pouvoir despotique ; il y a oligarchie quand ce
sont ceux qui détiennent les richesses qui sont souverains dans la
constitution, démocratie au contraire, quand ce sont ceux qui ne
possèdent pas beaucoup de richesses, mais sont des gens
modestes.14(*) »
La démocratie est en réalité le
gouvernement des pauvres plutôt que celui du grand nombre. L'ensemble des
pauvres est l'un des sens que l'on peut donner au mot démos,
lequel « peut parfois désigner le peuple comme un ensemble
politique, mais parfois aussi les gens ordinaires, qu'on oppose à la
bonne société. »15(*) Aristote donnerait donc ici au mot
« démocratie » le sens
d' « ochlocratie », c'est-à-dire du
gouvernement des pauvres.
Le terme « pauvre » contient davantage
qu'une seule indication économique. Il implique d'autres qualités
qui viennent en outre (
óõìâá?íåé)
s'y rajouter : d'abord une qualité numérique, qui est le
nombre, mais aussi une qualité politique, qui est la liberté.
« Les différences ne viennent donc pas des
causes invoquées ; mais ce par quoi diffèrent l'une de l'autre la
démocratie et l'oligarchie, c'est la pauvreté et la richesse, et
nécessairement, là où ceux qui gouvernent le font par la
richesse, qu'ils soient minoritaires et majoritaires, on aura une oligarchie et
là où ce sont les gens modestes, une démocratie. Mais ce
qui arrive en outre, comme nous l'avons dit, c'est que ceux-là sont peu
nombreux, et ceux-ci nombreux, car peu de gens sont aisés, alors que la
liberté est le partage de tous : voilà les raisons pour
lesquelles ces deux groupes se disputent le contrôle de la
constitution.16(*) »
Il ne dit pas : « alors que la pauvreté
est le partage de tous », ce qui serait logiquement le contraire de
« peu de gens sont aisés », mais « alors
que la liberté est le partage de tous (
?ëåõèåñ?áò
ìåô?÷ïõóé
ð?íôåò). »
On entrevoit déjà le sens qui va être donné à
la liberté démocratique, celle d'une liberté pauvre, d'une
liberté vulgaire. La définition du démos au
pouvoir se compose donc d'une base intangible, constituée par la
pauvreté ou la liberté qui sont à peu près
synonymes, et d'un attribut secondaire, qui est le nombre.
Liberté est le partage de tous. Libre est synonyme de
pauvre. Cette opposition sera réaffirmée au chapitre
consacré à la définition finale de la
démocratie.
1.1.2. Approche sociologique : la notion de
liberté contre la notion de bonne naissance (IV, 4, 1290 a 30 - b
20)
Au chapitre IV, 4, intitulé par P. Pellegrin
« Définitions exactes de la démocratie et de
l'oligarchie », Aristote renforce sa position établie au
chapitre III, 8, en s'opposant à nouveau au critère du nombre,
pour ensuite poser celui de la liberté.
« Il ne faut pas poser, comme certains en ont
aujourd'hui l'habitude, que la démocratie existe simplement là
où la masse est souveraine (car dans les oligarchies aussi, comme
partout ailleurs, c'est la fraction majoritaire qui est souveraine), ni qu'il y
a oligarchie là où peu de gens sont souverains dans la
constitution. 17(*) »
Platon prétend par « des formules aussi
simples » (
?ðë?ò
ï?ôùò)18(*) que la démocratie
« existe seulement » là où « la
masse est souveraine » (
ê?ñéïí
ô?
ðë?èïò).
Dans le Politique, il définit en effet la démocratie
comme le « gouvernement du grand nombre19(*) ». Mais, cette
définition est erronée du fait de l'existence de contre-exemples,
déjà évoqués en III, 8. Si mille riches gouvernent
sans partager le pouvoir avec trois cents pauvres, on ne peut soutenir que ces
citoyens vivent en démocratie20(*). Par ailleurs, le critère du nombre peut
être fondé sur n'importe quelle qualité. Ainsi, les
Ethiopiens qui répartissent les magistratures selon la taille (
êáô?
ì?ãåèïò)21(*), vivraient en oligarchie parce
que les magistrats seraient peu nombreux. C'est absurde, l'oligarchie est le
gouvernement des riches.
« Mieux vaut donc dire qu'il y a régime
populaire quand les hommes libres sont souverains, et oligarchie quand ce sont
les riches. Mais c'est par accident que ceux-là sont nombreux et ceux-ci
en petit nombre, car il y a dans les faits beaucoup d'hommes libres, mais peu
de riches.22(*) »
Le régime populaire (
ä?ìïò)
attribue la souveraineté aux hommes libres (
ï?
?ëå?èåñïé).
On voit mal ici en quoi la liberté devrait être le contraire de la
richesse. « Liberté », en fait, ne désigne
pas une qualité dont jouirait une catégorie d'hommes, mais elle
désigne tout ceux qui ne sont pas esclaves, y compris les
étrangers : « Eleuthéros (être libre, par
opposition au fait d'être esclave) s'appliquait tant aux citoyens qu'aux
étrangers, dans tous les types de cités, puisqu'il existait des
esclaves dans toutes les poleis indépendamment de leur
constitution.23(*)».
L'homme libre c'est celui qui n'est pas esclave. Cette nouvelle distinction
incite à croire que la démocratie est le gouvernement de tous,
à l'exception des femmes et des esclaves, alors que l'oligarchie se
limiterait aux riches. On aurait alors, entre démocratie et oligarchie,
non plus un rapport d'opposition mais plutôt un rapport de contenant et
de contenu.
La démocratie platonicienne est celle du nombre, la
démocratie aristotélicienne est celle des hommes libres. Quel
sens donner à cette opposition entre les deux philosophes ?
L'élément constitutif d'une définition
sera nécessairement la cause principale des qualités qui
échoieront par la suite à l'élément défini.
Pour Platon, le responsable des qualités, mais surtout des vices de la
démocratie, ce sera le nombre. Pour Aristote, le nombre n'est pas un
élément aussi déterminant que la conception que la masse a
d'elle-même, c'est-à-dire que sa conception de la liberté.
Il n'y a donc pas de tare « arythmétique » au coeur
de la démocratie, mais plutôt une tare éthique, celle de
s'appeler libre alors qu'on est tout simplement pauvre, ou sans
hiérarchie. En conséquence, une éducation du nombre sera
possible. Ce n'est donc pas le grand nombre qui est mauvais, mais la
qualité illusoire qu'il s'attribue : la liberté.
Mais, nouvelle palinodie d'Aristote, ces seuls critères
sont à nouveau insuffisants pour bien définir la
démocratie.
« Mais ce n'est pas par ces seuls critères
qu'on peut définir adéquatement ces constitutions. Par contre,
puisque le régime populaire aussi bien que l'oligarchie ont plusieurs
parties, il faut bien saisir qu'il y a régime populaire ni quand des
hommes libres et peu nombreux commandent à une majorité de gens
non libres, [...] ni quand les riches l'emportent par le nombre. [...] Mais il
y a aura aussi démocratie quand une majorité de gens libres et
modestes seront les maîtres du pouvoir, et oligarchie quand ce sera les
gens riches et mieux nés en petit nombre. 24(*) »
D'une manière remarquable, dans la dernière
phrase, Aristote glisse une définition de la liberté, en
l'opposant à la bonne naissance. Ceux qui sont libres sont ceux qui ne
sont pas « biens nés ». Et si la démocratie
est bien le contraire de l'oligarchie, alors elle est le régime des sans
naissance (
?ã?íåéá).
Mais ce seul critère ne suffit pas. Il s'agit d'un type
particulier de démocratie, qui convoque d'autres qualités.
Oligarchie et démocratie admettent des définitions
composées 25(*).
Celles-ci ont plusieurs parties (
ðëå?ïíá
ì?ñéá)26(*) chacune, respectivement la
noblesse, le petit nombre, la richesse, et la naissance libre, le grand nombre,
la pauvreté. Les critères sont donc économique,
mathématique, et eugénique. Mais aucun d'eux n'est suffisant.
D'ailleurs, ils ne sont pas « partes extra partes ».
Comment alors composer avec eux ? Il faut retenir la liberté, et
donner au mot toute sa polysémie pour résoudre ces
problèmes. La liberté est en effet le principe de base de la
démocratie, et comme sa substance.
1.2. La liberté est le principe de base (
?ð?èåóéò)
de la démocratie (VI, 2, 1317 a 40 - 1317 b 17)
1.2.1. La liberté démocratique prise comme lieu
commun
« Le principe de base de la constitution
démocratique c'est la liberté (c'est en effet, ce qu'on a
coûtume de dire, parce que c'est seulement dans une telle constitution
que les citoyens ont la liberté en partage, dit-on, toute
démocratie).27(*) »
Le mot « liberté » est
utilisé à mauvais escient par les partisans de la
démocratie (
ï?
äçìïôéêï?),
et devient un lieu commun. Pour les démocrates, la liberté n'a
d'autre fondement que l'égalité entre les citoyens : elle
est la liberté fondée sur l'égalité
(?ëåõèåñ?á
êáô?
ô?
?óïí)28(*). Platon, non sans ironie,
parodiait déjà, dans la République, les paroles
des démocrates, qui se paraient du mot de liberté là
où il fallait entendre anarchie : « Dans une cité
démocratique, tu entendras dire que la liberté est le plus beau
bien de tous les biens, ce pourquoi un homme libre ne saurait habiter ailleurs
que dans cette cité.29(*) »
Pour Aristote, la vraie liberté a un tout autre sens
que celui donné à cette liberté
démocratique30(*). Selon lui, l'homme libre est essentiellement
celui qui est à lui-même sa propre fin et n'est pas la chose d'un
autre. La condition d'homme libre n'entraîne donc pas
nécessairement participation au gouvernement : cette
dernière exigence se manifeste seulement dans les démocraties
pures 31(*). Il ne suffit
pas d'être citoyen pour être libre, il faut savoir se commander
à soi-même et aux autres. L'homme libre, c'est celui qui a
« la vertu du commandement32(*) ». La liberté est donc un bien
moral, lequel peut se traduire en bien social, car l'homme libre c'est aussi le
maître. « Nous appelons libre l'homme qui ne travaille que pour
lui et non pour un autre.33(*) » La vraie liberté n'a pas de
rapport avec la conception démocratique de la liberté. La
liberté démocratique n'est pas une qualité individuelle,
elle n'est qu'un statut politique.
La liberté démocratique prend deux formes, dont
découle de chacune un mode de de gouvernement : le gouvernement par
personne (
?ð?
ìçèåí?ò),
c'est-à-dire l'anarchie, et le gouvernement à tour de rôle (
êáô?
ì?ñïò),
c'est-à-dire l'alternance. « Forme » traduit ici
?ñïò34(*), qui signifie plus exactement
la frontière ou la limite. Le principe de base qu'est la liberté
peut donc s'étendre entre des frontières totalement
opposées, bien que celles-ci soient toujours sous le terme
« liberté ». Le fait qu'Aristote les juxtapose ne
doit pas cacher leur grand éloignement.
1.2.2. La liberté prise comme alternance
« Et l'une des formes de la liberté c'est
d'être tour à tour gouverné et gouvernant. En effet, le
juste selon la conception démocratique, c'est que chacun ait une part
égale numériquement et non selon son mérite, et avec une
telle conception du juste il est nécessaire que la masse soit
souveraine, et ce qui semble bon à la majorité sera quelque chose
d'indépassable, et c'est cela qui sera le juste, car ils disent qu'il
faut que chaque citoyen ait une part égale. De sorte que dans les
démocraties il se trouve que les gens modestes ont la
souveraineté sur les gens aisés ; ils sont en effet plus
nombreux, et c'est l'opinion de la majorité qui est souveraine. Tel est
donc le signe de la liberté que tous les partisans de la
démocratie posent comme caractéristique de cette constitution.
35(*) »
L'alternance, littéralement le fait d'être
gouverné partie après partie (
?í
ì?ñåé),
est pour Aristote une pratique positive, même s'il n'est pas sûr
qu'elle le reste lorsqu'elle est dictée par la conception
démocratique du juste. C'est même une caractéristique du
gouvernement constitutionnel. Dans ce type de gouvernement, chaque citoyen est
à son tour gouverné et gouvernant. Cette alternance est le moyen
d'assurer l'égalité des citoyens, non pas l'égalité
absolue en capacités et en mérites, mais l'égalité
en regard de la loi, c'est-à-dire cette fameuse isonomie que
les Athéniens savaient gré à Solon d'avoir apporté
à la Cité. L'alternance, dit Aristote, est elle-même une
loi. Les monarchies absolues, étudiées au chapitre III,
16, sont injustes, parce qu'elles ne respectent pas cette alternance entre le
« gouverner » (
?ñ÷åéí)
et l' « être gouverné » (
?ñ÷åóèáé).
« Pour les égaux, il n'est pas juste de
gouverner, plus que d'être gouverné, et ce qui est juste, c'est
donc l'alternance à égalité. Mais cela c'est
déjà une loi, car l'ordre est une loi.36(*) »
Le juste n'étant autre que l'égal, Aristote nous
livre ici une tautologie. Elle n'en pose pas moins un vrai problème. Car
les démocrates qui prétendent jouir de la liberté
fondée sur l'égalité, sont-ils réellement
égaux, et s'ils le sont entre eux, le sont-ils aussi devant les
non-démocrates ? L'alternance pour les inégaux peut
être injuste. Or, la conception démocratique de
l'égalité est erronée. L'alternance est-elle alors juste
en démocratie ? Les régimes fondés sur la
« similitude et l'égalité des citoyens »,
évoqués au chapitre III, 6, qui gagnaient autrefois à
pratiquer l'alternance, et que certains commentateurs citent pour faire
d'Aristote un démocrate, ne sont pas forcément des
démocraties.
« En des temps plus anciens, [les citoyens]
trouvaient juste que chacun prenne à sa charge à son tour les
fonctions publiques, et qu'un autre veille en retour sur son bien, tout comme
il avait veillé aux intérêts de cet autre quand celui-ci
était magistrat. Aujourd'hui, par contre, du fait des avantages que l'on
retire des biens publics et du pouvoir, les gens veulent gouverner
continuellement, comme si, cela était toujours un gage de santé
pour ceux qui gouvernent, si maladifs soient-ils. C'est peut-être cela
qui fait qu'on n'a cessé de se ruer sur les magistratures.37(*) »
On pourrait s'empresser de lire ces passages comme un
éloge de l'alternance démocratique. Mais ceux-ci concernent plus
vraisemblablement l'aristocratie. Aussi faut-il aller, comme le fait F. Wolff,
jusqu'à dire que ce principe de la démocratie, qu'est la
liberté par alternance, fait de ce régime une sorte de
gouvernement constitutionnel ? « La règle de fonctionnement
nécessaire à la seule « démocratie »
est ainsi la plus conforme au mode d'autorité proprement
politique. 38(*) » Faut-il généraliser
l'approbation de l'alternance par Aristote à toutes les
démocraties ? Le passage juste cité ne précise pas
s'il s'agit d'une démocratie ou d'une aristocratie, car l'alternance
peut aussi se pratiquer au sein d'un groupe d'hommes vertueux. L'alternance
n'implique pas plus la démocratie que la démocratie n'implique
pas l'alternance.
En fait, l'alternance démocratique est
réellement une alternance si elle permet l'accès au pouvoir aux
différentes parties de la cité. Si elle n'est qu'une alternance
entre pauvres, du fait de la supériorité numérique de la
masse, alors ce qui semble juste à la majorité sera quelque chose
d'indépassable. Or c'est la loi qui doit être indépassable.
Dans sa dérive, la règle de l'alternance peut ainsi rejoindre une
forme d'anarchie, et qui est le deuxième sens donné à la
liberté.
1.2.3. La liberté prise comme le « vivre
comme on veut » (
ô?
æ?í
?ò
âï?ëåôá?
ôéò)
« Un autre signe c'est de vivre comme on veut, car,
disent-ils, tel est l'effet de la liberté, étant donné que
la servitude c'est de vivre comme on ne veut pas. Voilà donc la seconde
caractéristique de la démocratie.
De là est venue la revendication de n'être, au
mieux, gouverné par personne, ou sinon de l'être à tour de
rôle. Et cela va dans le sens de la liberté fondée sur
l'égalité. 39(*) »
C'est cette conception de la liberté qui mène
à l'anarchie. Dans la République, Platon
développe uniquement ce deuxième aspect de la liberté.
« Les traits de l'homme démocratique sont libres, la
cité déborde de liberté et de franc-parler, et on y a
licence de faire ce que l'on veut. » Pour Aristote, le
« vivre comme on l'entend » n'est pas la liberté, au
contraire c'est une aliénation. La vraie liberté, celle qui
découle de l'autotélie, est la soumission aux lois de la
constitution : « Il ne faut pas croire que ce soit un esclavage de
vivre selon la constitution, c'est au contraire le salut.40(*) » L'anarchie est
forcément inférieure à un autre gouvernement. De
même, chez Platon : « La totale liberté et
l'indépendance à l'égard de toute autorité sont
inférieures, et non de peu, à une autorité que d'autres
autorités limitent et mesurent.41(*) »
La nécessité de l'obéissance ne
découle pas d'un conformisme politique ou d'un culte voué
à l'autorité, mais du principe selon lequel la cité est
une communauté naturelle, elle-même intégrée
à un univers réglé par des lois. Dans la cité comme
dans le monde, les êtres vraiment libres ne sont pas ceux qui se laissent
guider au hasard de leurs caprices, réduits à l'errance de leur
singularité, mais ceux dont l'action est réglée par
l'ordre de la totalité : ce sont les astres plus que les vivants
terrestres. « Tout dans l'univers est soumis à un ordre
certain [...]. Les choses n'y sont pas arrangées de telle façon
que l'un n'ait aucun rapport avec l'autre [...]. C'est qu'il en est de
l'univers comme d'une maison bien conduite. Les personnes libres n'y ont pas du
tout la permission de faire les choses comme bon leur semble. 42(*) » Obéir
à la loi, c'est respecter la totalité.
Par conséquent, obéir à la loi, c'est
aussi être libre. En obéissant à la loi, on n'obéit
pas à un autre homme. La loi est faite pour les hommes vraiment libres,
c'est-à-dire les maîtres. Seul l'esclave obéit un autre
homme. Les démocrates obéissent aux décisions
intempestives (décrets) de l'Assemblée ou des démagogues,
mais pas à la loi. Aussi les citoyens vivant sous le règne de
l'anarchie, qui se transforme en démagogie, deviennent eux-mêmes
esclaves, ou du moins sujets d'une tyrannie43(*), tout en ayant l'impression d'être libres. Ces
démocrates vivent dans l'arbitraire du désordre. Ils ne sont pas
intégrés à l'harmonie de la cité, et du cosmos,
mais à une sorte d'oeuvre monstrueuse comme, pour reprendre le sarcasme
de Socrate, « un vêtement bigarré qui offre toute la
variété des couleurs, [et qui] pourra paraître d'une
beauté achevée.44(*) »
Mais ce n'est là qu'un aspect de la liberté.
Celle-ci n'entraîne pas forcément une démocratie
tyrannique. Du principe de base qu'est la liberté découlent
nombre de caractéristiques diverses, qui peuvent donner lieu à
des formes de démocratie respectant les lois. Sur ce principe de base,
lui-même mouvant, peuvent en effet se greffer différents
caractères de la démocratie, et qui, malgré leur
diversité, restent démocratiques, comme en témoigne leur
nom de « démotiques ».
1.3. Les caractéristiques des démocraties (
ô?
äçìïôéê?)
(VI, 1, 1317 a 17 - 1317 a 39 ; et VI, 2, 1317 b 17 - 1318 a 4)
1.3.1. Présentation des caractéristiques (VI, 1,
1317 a 17 - 38)
« Et d'abord parlons de la démocratie, car on
rendra du même coup manifeste quelque chose de la constitution
opposée, celle que certains appellent oligarchie. Pour appliquer une
telle méthode, il faut saisir tout ce qui a un caractère
populaire, c'est-à-dire tout ce qui semble aller avec les
démocraties. C'est de la composition de ces éléments
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=du%2Fo&bytepos=447158&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057que
les espèces de la démocratie viennent à l'être, et
c'est de ce fait qu'il y a plusieurs variétés de chaque forme de
démocratie.45(*) »
Construire chaque sorte de démocratie46(*) est le but que se fixe
Aristote au chapitre VI, 1. Pour cela, il doit saisir tout ce qui a un
caractère populaire (
ð?íôá
ô?
äçìïôéê?)47(*). Ces
« démotiques » sont des nouveaux
éléments qui viendront s'ajouter aux trois
précédents (liberté, richesse, nombre), et surtout
à l'hypothèse de base qu'est la liberté. De leur
mélange synthétique naîtront différentes sortes (
ðëå?ïõò
äéáö?ñïõò)
de démocratie. La traduction de Pellegrin fait penser qu'il y a
plusieurs formes de démocratie et que chaque forme a plusieurs
variétés.48(*) Aristote parle en effet d'espèces de la
démocratie (
ô?
ô?ò
äçìïêñáô?áò),
et parle plus loin de plusieurs variétés (
ðëå?ïõò
äéáö?ñïõò).
Mais rien ne dit que les deux termes ne sont pas synonymes, et rien ne dit
encore moins qu'il y ait entre eux une relation de complément du nom. On
préférera la traduction d'Aubonnet.
« c'est de leur combinaison que résultent, de
fait, les formes de la démocratie et l'existence de démocraties
de plus d'une sorte et différentes entre elles.49(*) »
Les classements que nous opérerons dans la partie
suivante seront donc opérés à partir de la composition de
ces « démotiques » uniquement. Il y en a deux
sortes : les éléments sociologiques, et les
éléments institutionnels.
« Car il y a deux causes du fait desquelles les
démocraties sont plusieurs: la première est celle qui a
été dite plus haut, à savoir les différentes sortes
de peuple (car il y a la masse des paysans, celle des artisans, celle des
hommes de peine ; si la première s'ajoute à la seconde et la
troisième à son tour aux deux autres, il y aura non seulement une
différence en mieux ou en pire
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=gi%2Fnesqai&bytepos=447542&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057,
mais la démocratie aussi ne sera plus la même. 50(*) »
Sociologiquement, il y a différentes parties dans la
cité. Celles-ci dépendent des revenus (pauvres, classe moyenne,
riches), mais aussi des métiers (paysans, artisans, thètes). Le
dosage de ces parties, lequel sera quantitatif, conduira à former
différentes sortes de peuple (
äé?öïñïé
ï?
ä?ìïé)51(*). Ces différences
entraineront des différences de nature entre les démocraties. Si
une partie du peuple dépasse une certaine proportion, la
démocratie ne sera plus la même (
ô?
ì?
ô?í
á?ô?í) que ce qu'elle a été.
Les démocraties peuvent, par ailleurs, présenter
diverses sortes d'institutions caractéristiques à cette
constitution (
ô?ò
ðïëéôå?áò
ï?êå?á
ôá?ôçò)
52(*).
« la seconde est celle dont nous parlons maintenant.
En effet les éléments qui vont avec les démocraties et qui
semblent être caractéristiques de cette constitution font quand
ils sont mis ensemble, que les démocraties sont diverses. L'une en
effet, aura moins de ces éléments, une autre les aura tous.
Et il est utile de connaître chacun d'eux en vue
d'établir celle des démocraties qu'il se trouve que l'on
souhaite, et aussi en vue de rectifier. celles qui existent. En effet ceux qui
établissent les constitutions cherchent à réunir tous les
éléments caractéristiques d'un genre donné de
constitution mais en faisant cela ils se trompent.53(*) »
Celles-ci seront énumérées au chapitre
VI, 2, 54(*) au paragraphe
intitulé par Pellegrin « les caractéristiques à
toutes les démocraties » . Leur mise en application, plus ou
moins totale, fait que les démocraties sont diverses (
?ô?ñáò).
Si donc, la définition de la démocratie est
composite, il ne faut pas que ceux qui établissent les constitutions
s'empressent de réunir tous les éléments
caractéristiques d'un genre donné de constitution (
ðñ?ò
ô?í
?ð?èåóéí)55(*), c'est-à-dire dans le
cas de la démocratie, tous les caractères de la liberté.
Le texte porte « caractéristiques par rapport à
l'hypothesis », ce qui signifie aussi : « la
constitution excellente dans un genre donné »56(*), «
?î
?ðïè?óåùò » signifiant
littéralement : « dans une forme
supposée » (au sens étymologique du mot). Il ne faut
pas essayer de remplacer une forme défectueuse de constitution par une
constitution excellente de même forme, qui serait
« la » constitution excellente de cette
forme. 57(*)
Il n'existe pas une recette donnée pour obtenir une
« forme excellente de constitution ». Celui qui
établit la constitution devra composer les éléments en
fonction de la démocratie qu' « il se trouve qu'il
souhaite » (
ô?÷?
âïõë?ìåíïò)
établir, ou bien rectifier. Par cette formule, Aristote rappelle
ici que les Politiques s'adressent au législateur qui a affaire
à des situations chaque fois différentes (« il se
trouve »).58(*)
L'erreur des législateurs puristes est d'oublier que le propre des
organismes composites est d'offrir une infinité de combinaisons
possibles.
1.3.2. Enumération des caractéristiques (VI, 2,
1317 b 17 - 1318 a 4)
La démocratie est le régime du gouvernement de
tous par tous 59(*),
certes. Mais elle ne présente pas forcément une liberté
débridée dans l'exercice du pouvoir. Aristote insiste sur la
permanence des magistrats au sein de la cité, presque davantage que sur
les assemblées populaires, qui sont pourtant la grande
particularité des démocraties. « De toutes les parties
qui gouvernaient, l'administration était la moins facile à
concilier avec l'idée d'une démocratie directe, où la
liberté politique se confondait avec le droit de tous à
participer. Ce pourrait bien être pour cela qu'Aristote, quand il dresse
la liste des principes fondamentaux de la démocratie dans sa
Politique, dit fort peu de choses sur l'Assemblée et les
tribunaux (ils ne posaient pas de problèmes particuliers à cet
égard), mais cite un grand nombre de principes relatifs à
l'exercice d'une fonction publique.60(*) » Dans les démocraties qu'il nous
présente, tout le monde ne peut pas accéder à la
magistrature, tout le monde ne peut y faire ce qu'il veut. Il faut donc
à la lecture de ce chapitre VI, 2 remettre en cause cette idée
qui voudrait que la démocratie soit la mise en oeuvre du grand n'importe
quoi et de l'anarchie. Certes, cette possibilité existe, et on le verra
dans la partie consacrée à l'étude du classement des
démocraties. Mais il est aussi des démocraties où l'usage
que les citoyens font de la liberté est plus fin et aussi plus
contraignant.
La liste des caractéristiques démocratiques
telle qu'elle est donnée au chapitre VI, 2 étant longue et
désordonnée, il nous a fallu la réorganiser, en
dégageant trois idées principales, qui viennent contredire les
caricatures de la liberté démocratique que le chapitre
précédent pouvait laisser entendre : la soumission des
magistrats à la règle de l'alternance, leur possible
sélection selon leur compétence, et enfin l'importance
donnée à la Boulée.
- la soumission des magistrats à la règle de
l'alternance
Aristote insiste sur la règle de l'alternance, qui a
été énoncée comme principe de la démocratie
au chapitre précédent.
« gouvernement de chacun par tous et de tous par
chacun à tour de rôle 61(*)»
L'égalité devant la loi (isonomie)
implique un rapport particulier du citoyen au gouvernement. Celui-ci devra
être symétrique, c'est-à-dire que le citoyen sera en
même en amont de la loi, puisqu'il la produit ou qu'il l'accepte, mais
qu'il sera aussi toujours en aval, c'est-à-dire qu'il devra y
obéir. D'une certaine manière, par l'intermédiaire de la
loi, le citoyen n'obéit qu'à lui-même. Concrètement,
l'alternance implique deux choses. Il faut que d'une part, les magistrats ne
prennent pas l'habitude d'être exclusivement en amont de cette loi, et
que de l'autre, les citoyens administrés ne prennent pas l'habitude
d'être en aval de la loi, c'est-à-dire en se laissant aller
à la passivité et au conformisme.
Ces deux exigences se traduisent concrètement par la
« rotation » régulière des magistrats.
Plusieurs autres caractéristiques favorisent ainsi la rotation, telle
l'impossiblité pour un même citoyen d'exercer, en dehors des
fonctions militaires, deux fois la même magistrature62(*), telle la « courte
durée des magistratures63(*) » (
ô?
?ëéãï÷ñïí?ïõò),
telle l'interdiction des magistratures viagères64(*) (
ô?
ìçäåì?áí
??äéïí
å?íáé)
, ou son cantonnement à des fonctions honorifiques65(*), comme pour la fonction de roi
dans la démocratie athénienne66(*). Les magistratures sont donc organisées de
telle sorte que le magistrat en place ne puisse gouverner suffisamment
longtemps pour oublier que sa tâche est d'honorer la loi et non son
propre avantage.
- la sélection des magistrats
Aristote introduit également un certain jeu dans le
choix des magistratures, dont il se servira pour distinguer les diverses sortes
de démocratie. Par ce jeu, une place est laissée aux magistrats
compétents. Le tirage au sort des magistratures (
ô?
êëçñùô?ò
ô?ò
?ñ÷?ò)
peut certes les concerner toutes, mais peut aussi ne concerner que celles qui
ne demandent ni expérience ni savoir
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=mh%2F&bytepos=450630&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.005767(*). De même, il laisse une
latitude dans la fixation d'un cens, ce qui aura une importance par la
suite : la magistrature peut certes ne dépendre d'aucun cens (
ôéì?ìáôïò
ìçèåí?ò),
mais elle peut aussi dépendre d'un cens très petit (
ìéêñïô?ôïõ)68(*). De même, les fonctions
judiciaires ouvertes à tous (
ô?
äéê?æåéí
ð?íôáò)
peuvent certes concerner toutes les causes, mais aussi seulement les causes les
plus nombreuses, les plus importantes, et les plus décisives, par
exemple la vérification des comptes (
å?èõí?í),
les affaires politiques (
ðïëéôå?áò),
les contrats privés (
ô?í
?ä?ùí
óõíáëëáãì?ôùí)69(*). Ainsi, les magistrats en
démocratie gouvernent selon la loi de l'alternance, mais celle-ci
n'implique pas nécessairement l'accès de tous à n'importe
quelle magistrature. Aristote laisse aux magistrats de qualité une porte
ouverte pour accéder aux magistratures de la constitution
démocratique.
Ces nuances concernant les magistratures, dira-t-on à
la suite de Tricot, constituent « une maigre fiche de consolation
contre l'omnipotence de l'Etat.»70(*) L'individu reste subordonnée aux
volontés de l'Assemblée, qui de fait, a la souveraineté.
Les magistratures seraient secondaires par rapport à l'Assemblée.
Cette objection sera néanmoins peut-être nuancée en
fonction de l'interprétation que l'on fait du passage consacré au
rapport entre l'Assemblée et la Boulée.
- rôle de la Boulée : enjeux de la
traduction
Regroupant tous les citoyens, l'Assemblée semble
maîtresse de la vie politique. Mais elle peut trouver une contrepartie
à son pouvoir.
« souveraineté de l'assemblée dans
tous les domaines, aucune magistrature ne l'emportant en aucun domaine ou
seulement en très peu de domaines, ou souveraineté de
l'assemblée sur les affaires les plus importantes71(*) »
Le segment «
?
ô?í
ìåã?óôùí
âïõë?í
êõñ?áí »,
à propos duquel le manuscrit est douteux, est un écueil
interprétatif. Selon l'interprétation qu'on en fait, le rapport
entre Boulée et Assemblée n'est plus du tout le même. Selon
Pellegrin, le génitif
ô?í
?êêëçó?áí
reste complément du nom de ce segment de phrase, et le mot
âïõë?í
a été rajouté avant
êõñ?áí
à la ligne 1317 b 30. Mais d'autres préfèrent y lire
souveraineté de la
âïõë?í .
Pour éviter ce qui apparaît comme une simple
répétition, la plupart des commentateurs rajoutent, à la
suite d'Immisch, le mot
âïõë?í,
et comprennent :
« ou souveraineté d'un conseil sur les
affaires les plus importantes »72(*).
Le sens en est changé, car si le Conseil peut
l'emporter, alors les magistrats, et donc l'élite, peuvent conserver une
part de pouvoir, face au gouvernement direct du peuple.
Il y a un deuxième problème de traduction
important.
« (Des magistratures, celle qui a le
caractère le plus populaire c'est le conseil : aucun citoyen n'y touche
d'indemnité importante, car quand il y existe une telle indemnité
cela enlève tout son pouvoir à cette magistrature: le peuple en
effet, quand il est composé de gens touchant une grosse
indemnité, évoque devant lui-même toutes les
décisions, comme cela a été dit ci-dessus dans
l'exposé précédent celui-ci) ;73(*) »
Aristote distingue deux cas selon la rétribution ou non
des citoyens. Si les membres de l'Assemblée touche une indemnité
importante
ìéóèï?
å?ðïñ?á,
ceux-ci prennent toutes les décisions, et le Conseil, dont la fonction
principale était de préparer les
délibérations74(*), n'a plus de pouvoir . Aristote en a
déjà donné la raison à la fin du livre IV 75(*). Sans préparation des
délibérations (
ðñïâïõëå?åéí)76(*) par le Conseil (
âïõë?),
les gens du peuple devraient passer beaucoup plus de temps à
l'assemblée et ne pourraient rien faire d'autre. C'est ce qui tend
à se produire dans la démocratie extrême où il faut
alors donner une indemnité aux citoyens. A l'inverse, dans les
démocraties où personne ne touche d'indemnité importante,
alors le Conseil est la magistrature la plus démocratique (
äçìïôéê?ôáôïí)
77(*).
A ce titre, dans la traduction de Pellegrin, le pronom
indéfini « y » peut induire en erreur :
« Des magistratures, celle qui a le caractère
le plus populaire c'est le conseil : aucun citoyen n'y touche
d'indemnité importante, car quand il y existe une telle indemnité
cela enlève tout son pouvoir à cette magistrature. »
L'indemnité importante concerne en effet les membres de
l'assemblée et non ceux du Conseil. On préférera donc la
traduction d'Aubonnet :
« La plus démocratique parmi les
magistratures est le Conseil, mais seulement dans un Etat où il n'y a
pas, en abondance, des indemnités pour tous.»
L'idée donc, ici présentée, que les
citoyens touchent une faible rétribution, n'est pas descriptive, elle
est normative. C'est pourquoi dans la caractéristique suivante, Aristote
établit à nouveau une distinction entre le versement d'une
indemnité (
ô?
ìéóèïöïñå?í)78(*) pour toutes les charges
publiques, et la misthophorie pour seulement les principales d'entre elles.
« ensuite versement d'une indemnité au mieux
pour toutes les charges publiques - assemblée, tribunaux, magistratures
- ou au moins pour les magistratures, les tribunaux, le conseil, les
assemblées principaux, ou pour celles des magistratures qui
nécessitent des repas en commun.79(*) »
Trop d'indemnités risque de rendre le pouvoir du
peuple trop puissant, par le biais de l'Assemblée, surpuissance qui
n'est pas une caractéristique obligatoire de la démocratie.
------------------------------
De la variété des caractéristiques
citées, on peut conclure qu'Aristote ne dresse pas un tableau de
« la » démocratie, mais qu'il donne les
éléments avec suffisamment de latitude pour pouvoir en produire
différentes sortes, notamment une démocratie
modérée, fondée sur l'alternance et la compétence.
Ainsi, les « caractéristiques communes à toutes les
démocraties » ne doivent donc pas être toutes mises en
application, bien au contraire. « Si tous les éléments
énoncés sont pleinement constitutifs de la démocratie,
elle sera radicale, du type IV ; s'ils ne sont constitutifs qu'à
titre de principes directeurs, elle sera
« modérée », de type I, qui est aussi, dans
la pensée d'Aristote, le type originel, introduit à
Athènes, par exemple par Solon.80(*) »
Les problèmes de définition tiennent à
la pluralité des parties des démocraties. Ce terme de
« partie » pose lui-même problème, car il
recouvre plusieurs éléments. Les parties constitutives des
démocraties, ce sont les éléments caractéristiques (
ô?ò
äçìïêñáô?áò
?ñïò),
c'est-à-dire ce qui, quoi qu'il en soit, distinguera toujours une
démocratie d'une oligarchie. Aristote en a donc distingué
trois : le nombre, la pauvreté et la liberté, le plus
important étant la liberté qui est donné comme le
principe-même de la démocratie. Les divers agencements de ces
parties constitutives produiront des démocraties plus ou moins riches,
plus ou moins nombreuses, et plus ou moins libres. Mais la différence
restera du plus au moins, et Aristote ne se donne pas la peine d'établir
une typologie des démocraties à partir de ces critères.
C'est pourquoi, la constitution démocratique contient
d'autres parties (
ô?
äçìïôéê?),
parties du peuple et parties institutionnelles. Ici par contre, la
variété des mélanges de ces parties produira diverses
espèces de démocratie, qui se distingueront notamment de par leur
rapport à la loi. En refusant de poser le critère du nombre, de
la « masse », comme caractère principal de la
démocratie, Aristote suggère un rapport particulier de la
démocratie aux lois. La masse ne respecte pas les lois. Si la masse est
souveraine en effet, alors les lois ne le sont plus. Or la démocratie
est le gouvernement des hommes libres. La définition comporte
suffisamment d'ambiguïté pour ménager une place à des
espèces qui respectent la loi.
2. Les espèces de démocratie :
souveraineté de la masse ou souveraineté de la loi.
Aristote dresse trois typologies différentes des
espèces de démocratie : au chapitre IV, 4, au chapitre IV,
6, et au chapitre VI, 4. Chacune des typologies peut contenir quatre ou cinq
branches, mais Aristote se concentre surtout sur les deux espèces
principales, celles qui sont opposées : la démocratie
extrême, et la démocratie mesurée, les formes
intermédiaires n'étant que des phases de transition81(*). Sous le même terme se
tiennentt donc deux extrêmes : une forme constitutionnelle de
gouvernement, et une forme anticonstitutionnelle. Cette déviation
tient-il davantage aux espèces de peuple considérées,
auquel cas l'action politique serait inefficace, ou au contraire tient-elle
seulement à la qualité des institutions ? La qualité
d'une démocratie est-elle comme inscrite dans la nature de son peuple ou
bien se construit-elle ? Mais peut-être cette distinction pour nous
classique entre le naturel et l'artificiel, l'inné et l'acquis, est-elle
à reconsidérer chez Aristote, la cité étant
elle-même une communauté naturelle ? L'élément
discriminant entre les bonnes et les mauvaises démocraties est pourtant
assez simple : c'est le respect de la loi.
Conformément à ce qui a été dit
à propos des
äçìïôéê?,
classées selon le peuple et selon les magistrats, les deux
critères de classification seront les suivants : l'organisation
institutionnelle (chapitre IV, 4) et l'organisation sociologique (chapitre IV,
6, et VI, 4).
2.1. Classification institutionnelle (IV, 4, 1291 b 30 -
1292 a 39)
Les quatre premières espèces de la
classification du chapitre IV, 4, respectent les lois. Même si Aristote
ne le précise pas pour chacune d'elles, il le sous-entend puisque par la
suite, il oppose la cinquième espèces aux
précédentes sur le seul critère du non-respect des lois.
Le gouvernement se fait sous la souveraineté de la loi (
?ñ÷åéí
ô?í
í?ìïí)
82(*), alors que dans la
cinquième et dernière espèce, la masse a la
souveraineté sur les lois (
ê?ñéïí
å?íáé
ô?
ðë?èïò
êá?
ì?
ô?í
í?ìïí)83(*).
2.1.1. Les espèces qui respectent les lois
Ces espèces diffèrent de par la constitution de
leur corps civique. Elles apportent chacune une réponse
différente à la question : qui est citoyen ?
Dans la première espèce, tous partagent le
pouvoir politique84(*). La
quatrième espèce lui ressemble puisque tous, à la seule
condition d'être citoyens (
??í
ì?íïí
?
ðïë?ôçò)85(*), participent aux
magistratures. Ces citoyens peuvent être des étrangers faits
citoyens.
Dans la deuxième espèce, qui est une
démocratie censitaire, seuls peuvent prendre part aux magistratures ceux
qui possèdent le cens.
La troisième espèce opère une
discrimination, non sur l'argent des citoyens, mais sur leur naissance. Seuls
peuvent participer au pouvoir ceux qui sont citoyens incontestablement (
ôï?ò
ðïë?ôáò
?íõðå?èõíïé)86(*), c'est-à-dire ceux dont
personne ne met en doute qu'ils soient citoyens de naissance.87(*)
Pour Aristote, la citoyenneté est plus un fait qu'un
droit : « Il faut reconnaître que sont citoyens même
ceux qui le sont injustement.88(*) » En effet, « un citoyen ne peut
pas être mieux défini que par la participation à une
fonction judiciaire et à une magistrature. »89(*) C'est bien ce qui se passe
ici : ces hommes sont citoyens, mais le sont injustement. Ce sera
particulièrement vrai dans la cinquième espèce.
2.1.2. La cinquième espèce de
démocratie
- La cinquième espèce n'est pas une
constitution
« Une autre espèce de démocratie,
c'est celle où toutes les autres caractéristiques sont les
mêmes, mais où c'est la masse qui est souveraine et non la loi.
C'est le cas quand ce sont les décrets qui sont
souverains et non la loi. [...] De plus, ceux qui accusent les magistrats
disent que c'est le peuple qui doit trancher, et celui-ci accueille avec joie
cette invitation, de sorte que toutes les magistratures sont ruinées. Et
on pourrait raisonnablement penser qu'il faut blâmer cette sorte de
démocratie en disant qu'elle n'est pas une constitution, car partout
où les lois ne gouvernent pas, il n'y a pas de constitution. 90(*) »
Cette démocratie n'est pas une constitution. Le
critère de la souveraineté de la loi est fondamental, pour
Aristote. Pour Platon, le respect des lois est l'apanage des régimes
imparfaits. La loi n'est qu'un pis-aller91(*). Pour Aristote, les lois éduquent. C'est par
leur moyen que nous pouvons devenir bons.92(*)
- supériorité de la loi sur le décret
Ce sont les décrets (
ô?
øçö?óìáôá)
qui favorisent la souveraineté de la masse sur celle de la loi. La loi,
qui était à Athènes la réglementation la plus
forte93(*), lui est
supérieure pour deux raisons : son universalité, et sa
longévité.
« Car il faut que la loi commande à tous, les
cas particuliers étant tranchés par les magistrats en accord avec
la constitution. De sorte que, si la démocratie est bien l'une des
constitutions, il est manifeste qu'une telle organisation, dans laquelle tout
se règle par les décrets, n'est pas une démocratie
à proprement parler, car aucun décret ne peut être
universel.94(*) »
Cette distinction entre universel et particulier
correspond à la distinction entre réglementation
générale et réglementation d'espèce. Les lois sont
des règles qui lient tout un chacun, les décrets s'appliquent
à un individu déterminé ou à un sujet ponctuel.
Le deuxième avantage de la loi sur le décret est
sa longévité. Une loi universelle doit être immortelle.
Dans les Définitions platoniciennes, on lit :
« un nomos est une définition prise dans les affaires
de la polis par le pléthos (la majorité) sans
limitation de durée ; un pséphisma est une
décision qui intervient dans les affaires de la polis pour une
durée limitée. »95(*) L'émergence des décrets est la cause du
non-respect de la loi. Sachant que les décrets étaient
promulgués par l'Assemblée, il semble donc que dans cette
dernière espèce de démocratie les pouvoirs soient
concentrés dans les mains de l'Assemblée, au détriment,
comme on l'a vu, du Conseil. C'est l'avantage commun qui en pâtit, au
profit de l'avantage de certaines personnes.
- rôle des démagogues
« Cela arrive par le fait des démagogues. Car
dans les cités gouvernés démocratiquement selon la loi, il
ne naît pas de démagogue, mais ce sont les meilleurs des citoyens
qui occupent la première place. Là où les lois ne dominent
pas, alors apparaissent les démagogues; le peuple en effet devient
monarque, unité composée d'une multitude:, car ce sont les gens
de la multitude qui sont souverains, non pas chacun en particulier mais tous
ensemble.96(*) »
Aristote écrit donc : « Cela arrive par
le fait des démagogues97(*) », et plus loin : « Ces
démagogues sont cause que les décrets sont souverains et non les
lois.98(*) » et
plus loin encore, Aristote suggère qu'ils apparaissent « en
conséquence » de la souveraineté de la masse sur les
lois : « Là où les lois ne dominent pas, alors
apparaissent les démagogues. » Cause, conséquence, ou
influence, quelle action ont les démagogues sur le non-respect des
lois ?
Il semble que les démagogues soient davantage les
profiteurs d'une situation opportune, qui leur préexistait et qu'ils ne
font qu'aggraver, que les réels instigateurs de la dérive de la
démocratie. Comme le courtisan ou le flatteur qui profite de la
faiblesse d'un monarque, le démagogue joue le rôle de catalyseur
dans la destruction d'un régime moribond. Ils ont chacun une
« influence prépondérante99(*) » sur le peuple et
les monarques. L'origine du mal est la place trop importante accordée
aux décisions du peuple, c'est-à-dire aux décrets. A
l'arrivée du démagogue, le peuple est déjà
« despote », ses décrets sont déjà des
ordres tyranniques (
ô?
?ðéô?ãìáôá).
Le démagogue est, pour nous modernes, une figure forcément
négative. Mais comme le rappelle P. Pellegrin, le démagogue,
c'est avant tout « le chef du, ou d'un, parti populaire.100(*)» Peut-être
pourrait-on aussi traduire : « ceci arrive par le biais des
démagogues ». La dernière démocratie serait
alors mauvaise, non pas à cause des protagonistes qu'elle
hébergerait, mais par nature.
Comment les démagogues peuvent favoriser les
décrets ? La loi est, on l'a vu, l'expression de la raison. Le
décret est plus passionnel. C'est pourquoi il est favorisé par
les démagogues, qui sont des hommes de passion et qui eux mêmes
excitent les passions. « Le frelon c'est l'homme plein de passions,
et d'appétits gouvernés par les désirs superflus101(*) », écrit
Platon. Bien que moins rationaliste que son maître, Aristote fait primer
aussi l'exercice de la raison dans la décision, politique ou non. la
décision n'est ni l'appétit, ni le souhait, ni l'ardeur :
elle présuppose une délibération.102(*) Or quand il est
« unifié », le peuple est plus soumis aux passions.
Le peuple devient tyran quand il se regroupe, quand il devient un bloc, une
unité composée d'une multitude (
ó?íèåôïò
å?ò
?ê
ðïëë?í).
Le peuple est bon s'il garde sa diversité, autrement dit quand il n'est
pas un troupeau sous les ordres d'un démagogue tyrannique. Il est alors
soumis aux passions.
- la « polykoirania »
« De quel gouvernement parle Homère en disant
que "le commandement de plusieurs n'est pas bon", de celui-ci ou de celui
où beaucoup de gens exercent le pouvoir individuel, cela n'est pas
clair. 103(*) »
En soulevant cette difficulté d'interprétation
du texte de Homère (
ï?ê
?ãáè?í
å?íáé
ðïëõêïéñáí?çí104(*)), Aristote souligne en
même temps la proximité entre la tyrannie et cette
démocratie. La
ðïë?-êïéñ?í?á,
gouvernement de plusieurs, peut en effet aussi désigner le gouvernement
d'une succession de tyrans, comme celui d'une succession de démagogues.
Cette hésitation devant la phrase de Homère pourrait bien
être le reflet de son hésitation à l'égard de la
valeur de la
ðïë?-êïéñ?í?á,
c'est-à-dire ce que nous appelons la démocratie. Cette citation
lorsqu'elle sera reprise et assumée par Aristote dans sa
Métaphysique 105(*) sera à l'origine, selon P. Aubenque, d'une
lecture anti-démocratique des textes politiques aristotéliciens.
Mais il ne s'agit ici que d'une espèce de démocratie. La
typologie révèle la primauté donnée au
« nomos », et l'importance du chef. D'autres espèces
peuvent respecter ces impératifs.
2.2. Les classifications selon les parties du peuple (
ô?
ì?ñç
ôï?
ä?ìïõ)
(IV, 6, 1292 b 22 - 1293 a 11)
Au chapitre IV, 6, Aristote inaugure une classification des
espèces
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=to%2F&bytepos=283522&wordcount=3&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057de
la démocratie et de l'oligarchie, relativement semblable à celle
des quatre premières espèces du IV, 4 106(*), au détail
près qu'elle se fait selon les parties du peuple au pouvoir. Le
critère de classement des parties du peuples n'est pas seulement un
critère socio-professionnel. Les différentes parties
étudiées tour à tour sont en effet : les paysans, les
citoyens de naissance, les hommes libres, et les citoyens des villes dans la
dernière espèce. La qualité du gouvernement
dépendra du temps, du loisir que chacune de ses parties pourra consacrer
à la cité, et surtout de la manière dont elle le
consacrera. Dans ce chapitre, Aristote donnera donc une description plus
poussée de la démocratie mesurée qu'au chapitre
précédent.
- les espèces où le gouvernement se fait selon
les lois (
êáô?
í?ìïõò)
« Quand donc la partie agricole et celle qui
possède une forme mesurée
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=ku%2Frion&bytepos=282705&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057
sont souveraines dans la constitution, le gouvernement se fait selon les lois.
Ces gens-là, en effet, ont de quoi vivre de leur travail, mais ne
peuvent pas mener une vie de loisir, de sorte qu'ayant établi la loi
au-dessus de tout ils ne tiennent pas les assemblées indispensables. Il
est permis aux autres de participer au pouvoir quand ils ont atteint le cens
défini par les lois, de sorte que tous ceux qui possèdent un
patrimoine équivalent au leur ont le droit d'y participer. En soi, le
fait de ne pas permettre à tous cette participation est oligarchique,
mais il est impossible d'avoir du loisir quand on n'a pas de revenus
suffisants. Qu'il y ait là une espèce de démocratie,
telles en sont les causes. 107(*) »
Seuls ceux qui ont du loisir, c'est-à-dire les riches,
qui paient le cens, peuvent participer au pouvoir. Or, les
caractéristiques communes aux démocraties du chapitre VI, 2, ne
faisaient pas mention de cette possibilité d'être gouverné
par une classe censitaire. Aristote signale lui-même le caractère
oligarchique d'une telle constitution : « En soi, le fait de ne
pas permettre à tous cette participation est oligarchique »,
mais il confirme pourtant qu' « il y a bien là une
espèce de démocratie ». Une constitution
démocratique peut donc reposer sur des citoyens qui « ne
tiennent pas les assemblées indispensables108(*) »,
c'est-à-dire des citoyens absentéistes. « Avoir du
loisir » ne signifie pas exclusivement « ne pas
travailler ». Le verbe grec
ó÷ïë?æåéí
a un sens actif. Le loisir est une activité à part
entière, d'ailleurs la seule activité qui vaille, et non un
moment de repos ou de divertissement. C'est le moment où l'homme libre
s'accomplit.
La deuxième espèce ressemble de très
près à la première. Il s'agit d'une démocratie de
citoyens pauvres et bien nés 109(*), qui correspond à la troisième
espèce du chapitre IV, 4110(*). A nouveau, ne gouvernent que ceux qui peuvent en
avoir le loisir (
äõíáì?íïõò
ó÷ïë?æåéí)
111(*). La loi est
respectée pour deux raisons. Le fait que seuls les biens nés
participent au pouvoir limite la taille du corps civique. Par ailleurs, le fait
qu'ils soient pauvres fait de cette démocratie elle-même un
régime pauvre, et donc incapable de payer beaucoup de
rétributions. Les assemblées, et donc les décrets, se
trouveront limités, et donc la loi se trouvera respectée. Ainsi
la pauvreté n'est pas forcément une faiblesse. Au contraire, les
démocraties de la dernière espèce sont des régimes
riches112(*).
La troisième espèce élargit encore le
corps civique, puisque tous, pourvu qu'ils soient libres 113(*) , peuvent participer au
pouvoir. Mais, comme les autres, ils n'en ont pas le temps. Ce sont pourtant
bien des démocraties : être citoyen en effet ne se
réduit pas à la participation au pouvoir. C'est un ensemble de
droits, et de privilèges économiques114(*), qui compensent l'absence de
participation politique. Dans ces trois espèces, les lois gouvernent,
car le peuple ne cherche pas à gouverner en promulgant des
décrets. On peut être un bon citoyen sans pour autant avoir
« l'assemblée facile ».
- les espèces où la masse est souveraine
« Quatrième espèce de
démocratie, celle qui est apparue chronologiquement la dernière
dans les cités. Car du fait que les cités sont devenus beaucoup
plus importantes qu'à l'origine
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=kai%2F&bytepos=284153&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057
et plus riches de revenus, tous y participent au pouvoir dans la constitution
du fait de la supériorité de la multitude, mais ils y prennent
part comme citoyens parce qu'ils peuvent mener une vie de loisir et que les
gens modestes touchent une indemnité. Et c'est avant tout une masse de
ce genre qui a du loisir, car ces gens-là ne sont pas gênés
par leurs affaires privées, alors que les riches ont cette gêne,
de sorte que ceux-ci, souvent, ne participent ni à l'assemblée ni
aux tribunaux. De là vient que c'est la masse des gens modestes qui est
souveraine dans la constitution, et non pas ses lois.115(*) »
La quatrième espèce est, elle,
foncièrement différente des précédentes. Elle
n'existe que dans les cités riches et contemporaines d'Aristote. La
redistribution des revenus publics (
ðñïó?äùí)
en indemnités incite la masse des pauvres à participer au
pouvoir. La situation est inversée par rapport aux
précédentes. Du fait que les assemblées sont
fréquentes et que les riches sont retenus par leurs affaires
privées, alors que les pauvres ont tout le temps, les riches se
retrouvent en minorité par rapport aux pauvres. Ceux-ci ne se privent
pas de promulguer des décrets qui font contravention aux lois.
Aristote semble penser que les riches sont plus aptes à
respecter les lois que les pauvres. Parmi les arguments que donnaient les
anti-démocrates en faveur de la classe censitaire, on peut citer
l'habitude de manier des sommes importantes, l'éducation qui favorise la
discipline et la rigueur, à la différence des nouveaux riches
grossiers, et surtout et enfin, le temps qu'ils ont à consacrer à
la cité116(*).
Dans ce chapitre, Aristote affirme l'efficacité, toute
paradoxale, du désengagement partiel de la masse de la sphère du
pouvoir. Est-ce seulement son emploi du temps qui fait qu'une masse est
bonne ? ou au contraire celle-ci a-t-elle des qualités
déterminées ?
2.3. Classement selon la qualité
déterminée (
ô?
ðïé?í
ôéíá)117(*) de chaque partie de peuple (VI, 4,
1318 b 6 - 1319 b 33)
Les qualités du peuple démocratique ont
déjà été présentées en un rapide
portrait, caractérisé par la bassesse. « De plus
puisqu'une oligarchie se fonde sur la naissance, la richesse,
l'éducation, les caractéristiques du régime populaire
semblent être le contraire de ceux-ci: basse naissance, pauvreté,
grossièreté.118(*) ». La messe semble être dite. Le peuple
se caractériserait uniquement par des défauts. Mais une de ces
trois qualités n'est peut-être pas inévitable. La
âáíáõó?á
c'est certes la grossièreté, mais c'est aussi le fait
d'être un artisan. Ce type de grossièreté correspondra donc
davantage aux démocraties urbaines. Les qualités du peuple
démocratique sont donc susceptibles de varier, selon son mode de vie.
2.3.1. Le bon mode de vie des paysans et des
pâtres (VI, 4, 1318 b 6 - 1319 a 6)
Ce bon mode de vie fait de la démocratie rurale non
seulement la meilleure de toutes les démocraties (
ô?í
äçìïêñáôé?í
?ñ?óôç)
119(*), mais en plus un
véritable gouvernement constitutionnel. Il consiste en trois
caractères de la paysannerie : son caractère ancestral, son
absence de loisir, et son acceptation d'un commandement par des magistrats
compétents.
- une paysannerie archaïque
« Des quatre sortes de démocraties existantes
la meilleure est la première dans l'ordre. C'est aussi la plus ancienne
de toutes. Je dis que c'est la première en suivant le même ordre
qu'on adopterait pour distinguer les peuples Car le peuple le meilleur c'est
celui des paysans, de sorte qu'il est possible d'instituer même une
démocratie là où la masse populaire a une vie agricole ou
pastorale.120(*) »
Le classement des démocraties, qui va suivre,
obéira donc à un ordre chronologique. Aristote livre ici son
sentiment quant à l'évolution historique des démocraties.
L'ancien est associé à l'ordre. La meilleure démocratie,
celle des paysans, est la plus archaïque (
?ñ÷áéïô?ôç),
la pire est la plus récente
(ôåëåõôá?á), mot qui peut se
traduire aussi par « extrême ». A d'autres reprises
Aristote prône ce modèle de démocratie archaïque. La
politie telle qu'il la conçoit, c'est la démocratie
traditionnelle « Ce que nous appelons aujourd'hui des gouvernements
constitutionnels s'appelaient auparavant des
démocraties. 121(*) » A l'inverse la démocratie de ses
contemporains est la dernière espèce de démocratie proche
de l'anarchie : « Dans la démocratie au sens où on
entend de nos jours la démocratie par excellence (je veux dire celle
où le peuple est souverain même des lois).122(*) » Il s'inscrit
dans un courant répandu à son époque, empreint de
nostalgie, notamment à Athènes, à l'égard de la
constitution primitive, de la démocratie des pères (
ô?ò
ðáôñ?áò
äçìïêñáô?áò),
nostalgie qui flambait surtout dans les périodes de crise, comme
après une défaite militaire123(*). Mais chez Aristote, le passé n'est pas
seulement un refuge contre les imperfections du présent. L'amour de l'
?ñ÷á?ïò, qui signifie littéralement
« depuis l'origine », ce peut aussi être un amour de
l'origine ou encore, étymologiquement, du principe de toutes
choses.
- une paysannerie sans loisir
« Car du fait de la modicité de son avoir
cette masse populaire n'a pas de loisir, ce qui fait qu'elle ne peut pas
souvent se réunir en assemblée.
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=dia%2F&bytepos=456715&wordcount=2&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057D'autre
part, comme ils manquent du nécessaire, ces gens passent leur temps au
travail et ne convoitent pas le bien d'autrui, mais il leur est plus
agréable de travailler que de s'occuper de politique ou d'être
magistrats du moment qu'il n'y a pas de grands profits à tirer des
magistratures. Car la plupart de ces gens courent plutôt après le
gain qu'après les honneurs. Une preuve en est qu'ils supportaient
autrefois les tyrannies comme ils supportent aujourd'hui les oligarchies, pour
peu que nul les empêche de travailler ni ne leur prélève
rien. Ainsi certains d'entre eux s'enrichissent-ils si vite, alors que
même que les autres ne sont pas dans l'indigence. 124(*)»
Du fait qu'il est sans loisir (
?ó÷ïëïò),
le peuple rural participe peu au pouvoir délibératif, et aux
magistratures, puisqu'il n'a pas le temps de souhaiter les honneurs. Les
paysans sont guidés par des besoins
« nécessaires », au sens de primaires. Pourtant la
cité n'est pas une association commandée par le seul besoin. Les
affaires politiques (
ðïëéôå?åóèáé)
visent quelque chose de plus que la satisfaction de ces besoins. Or
précisément les citoyens paysans n'ont pas accès à
ce quelque chose. Est-ce à dire que le typiquement humain que produit la
cité échoierait aux magistrats uniquement, pendant que les
paysans travailleraient ? Les biens matériels, l'argent et
l'enrichissement, dont jouissent les paysans ne constituent pas une fin digne
d'être choisie pour Aristote : seuls les meilleurs devraient-ils
accéder à la vraie fin de la cité, qui est la vertu ?
Les qualités de ce peuple, estimées qu'à l'aune de la
non-participation au pouvoir politique et aux magistratures, sont-elles
exclusivement négatives ?
Il faut se garder de caricaturer l'admiration
aristotélicienne à l'égard des paysans. Les paysans ne
forment pas un peuple d'animaux, asservis par des magistrats compétents,
strictement équivalents à des tyrans. Ils sont bel et bien les
membres d'une démocratie, c'est-à-dire que tous participent
à certaines fonctions politiques.
- une masse participante et des magistrats compétents
et contrôlés
Le peuple a deux pouvoirs fondamentaux, desquels
dépendra le bon gouvernement : élire les magistrats (
ô?ò
á?ñ?óåùò
ô?í
?ñ÷?í)
et contrôler leur gestion.
« C'est donc pourquoi dans le cas de la
démocratie dont on vient de parler il est avantageux (et telle est bien
la pratique habituelle) que d'une part, tous choisissent les magistrats,
vérifient les comptes, rendent la justice, et que d'autre part, on
choisisse les titulaires des magistratures les plus importantes parmi les
censitaires, d'autant plus importantes qu'ils paient plus de cens, ou bien
qu'aucun cens ne soit exigé, mais que les magistratures soient
confiées aux gens qui sont aptes à les exercer. Et il est
nécesssaire que des gens ainsi gouvernés soient bien
gouvernés.125(*) »
Il faut atténuer le pouvoir populaire en le combinant
avec un exécutif plus puissant et compétent, qui gouvernera dans
les magistratures les plus importantes (
ô?ò
ìåã?óôáò).
On évitera ainsi de remettre le pouvoir dans les mains
d'incompétents. « Le remède trouvé à
l'incompétence populaire est une synthèse, qui par la
délégation du pouvoir tend à se rapprocher de nos
démocraties indirectes. » 126(*)
Les magistrats ne sont pourtant pas coupés du peuple,
d'abord parce que celui-ci les élit, mais aussi parce qu'il a un droit
de regard permanent sur leurs comptes. Le peuple n'est pas un groupe d'esclaves
dirigés par des maîtres. Il est lié à ses
gouvernants par une relation de réciprocité : l'un dirige
l'autre, mais l'autre approuve ou réprouve l'autre. Le magistrat est
dépendant (
óõìö?ñïí)
du peuple.
« Il est avantageux en effet d'être
dépendant, c'est-à-dire ne pas avoir la possibilité de
faire ce qu'on trouve bon, car la possibilité de faire ce que l'on veut
rend incapable de se prémunir contre ce qu'il y a de mauvais en chacun.
Dans ces conditions on aura nécessairement ce qui est utile à
chacun dans les constitutions: que le gouvernement soit aux mains
d'honnêtes gens mis dans l'impossibilité de faillir, sans que la
masse en subisse aucun dommage. 127(*) »
Cette vérification, qui avait notamment cours à
Athènes128(*),
trouve sa nécessité, selon Aristote, dans la nature de l'homme.
L'homme, aussi compétent soit-il, porte du mal en lui, le mal humain (
ô?
ô?í
?íèñ?ðùí
öá?ëïí).
Ce sont les lois et la cité qui l'aident à devenir bon. Sa
moralité n'a rien à voir avec son intelligence ou sa science. Ce
n'est pas parce qu'il est compétent qu'il faut lui accorder une
confiance absolue. Le pouvoir chez Aristote n'est pas fondé sur une
morale intellectualiste, mais sur l'idée que chacun a un lieu qui lui
est attribué et qu'il doit respecter. C'est notamment pourquoi les
paysans ne doivent pas se rapprocher de la ville.
- une paysannerie nombreuse et dispersée
« Dans le but d'avoir un peuple de paysans,
certaines lois jadis en vigueur dans beaucoup de cités étaient
très utiles: elle ne permettait absolument pas que l'on
possédât de la terre au-delà d'une certaine limite ou au
moins en-deça d'un certain point d'éloignement de la citadelle de
la cité.129(*) »
La loi empêche deux choses : la trop grande
proximité de la ville, et donc de l'accès aux magistratures, et
la trop grande propriété, et donc la désertion des
campagnes. Elle crée ainsi le peuple idéal, celui qui est
composé de petits ou de moyens propriétaires
éloignés du centre urbain.130(*) Plus nombreux seront les paysans, et donc meilleure
sera la démocratie, si les propriétés sont de petite
taille. La dispersion empêche les hommes d'être trop
regroupés, et de former des partis au sein de la cité. Les
bergers mènent ainsi également une vie convenable, car,
au-delà de leur vertu militaire131(*), ils sont dispersés et ne peuvent se
réunir qu'épisodiquement. Cette configuration ne doit pas
forcément s'établir par des lois. Elle peut simplement
résulter de la géographie.
« Et là où il se trouve que le
territoire a une configuration telle que la campagne est séparée
de la ville par une grande distance, il est aisé d'établir une
démocratie de bonne qualité c'est-à-dire un gouvernement
constitutionnel, car la masse est contrainte d'aller installer des
établissements dans les champs, de sorte que, même s'il y a une
foule de gens fréquentant l'agora, on est bien forcé de ne pas
tenir d'assemblée sans la masse du peuple habitant la campagne.
132(*) »
Pour établir ces bonnes démocraties, il faut
respecter l'équilibre entre le pouvoir des villes et celui de la
campagne, et mettre une distance entre eux. La bonne configuration est celle
où la campagne est séparée de la ville par une longue
distance. Chacun y a sa place propre. C'est pourquoi, le peuple
démocratique des campagnes apparaît comme une sorte de
modèle de référence du bon peuple. Ceux, que nous allons
étudier maintenant, se définissent en effet comme des
déviations de ces premiers.
2.3.2. Le mauvais mode de vie (
?
â?ïò
öá?ëïò)
des autres sortes de masse (VI, 4, 1319 a 1 - 1319 b 33)
Tout ce qui ne sera pas une démocratie rurale ou
pastorale sera moins bien que celle-ci : « pour les obtenir il
faut, en effet, dévier sans cesse du type premier, la masse exclue de la
vie politique étant sans cesse pire.133(*) » Etudier les défauts de ces masses
permettra de mieux comprendre les qualités des paysans.
Alors que la paysannerie archaïque rendait possible une
démocratie fondée sur l'ordre, ces démocraties
apparaissent comme les régimes du désordre. Plusieurs types de
relations naturelles se trouvent renversées : les relations entre
l'homme libre et le travailleur, entre le maître et l'esclave, entre le
fils de citoyen et le fils d'étranger, entre l'homme et la femme, entre
l'enfant et les parents.
- le travailleur des villes, le paysan et l'homme libre
« Par contre, presque toutes les autres sortes de
masse populaire qui produisent, les sortes restantes de démocratie sont
beaucoup plus mauvaise que ces deux premières. C'est que leur mode de
vie est mauvais, du fait que l'activité à laquelle se livre la
masse des artisans, des marchands et des hommes de peine ne va de pair avec
aucune vertu. De plus à cause des allées et venues sur l'agora et
par la ville, toute cette race de gens a, si l'on peut dire, l'assemblée
facile. Les paysans au contraire à cause de leur dispersion dans la
campagne ne se réunissent pas aussi facilement et n'ont pas le
même besoin de ce genre de rencontre.134(*) »
Les « autres masses » sont mauvaises par
leurs habitudes, mais aussi par nature. Leur mode de vie favorise
l'émergence d'une démocratie d'assemblée, où les
décrets l'emporteront sur les lois. L'artisan, pour Aristote, n'est pas
seulement mauvais par les modifications institutionnelles que son nombre
induit. Le travail manuel ne favorise pas les activités typiquement
humaines, que sont les activités politiques, la
délibération et le jugement. Il est par nature une sorte
d'esclave. Aristote semble au chapitre III, 4, traitant des « vertus
de commandement et des vertus d'obéissance », déplorer
le temps où les travailleurs manuels ne participaient pas aux
magistratures. 135(*)
Quant au commerçant, il porte bien son nom grec d'homme de la place
publique (
ô?
ô?í
?ãïñá?ùí
?íèñ?ðùí).
Chez Aristophane déjà, il était l'emblème du
démagogue. Sa vulgarité est proche de celle de l'artisan ou du
thète, car ces professions sont alors peu différenciées.
Le marchand travaille aussi de ses mains. Ainsi, dans les Cavaliers,
le Marchand de boudin est aussi désigné sous le nom de
Charcutier. Ces travailleurs sont dangereux pour la Cité parce que, par
nature, ils sont des sortes d'esclave, mais aussi parce que, par leur mode de
vie, urbain et plein de loisir, ils peuvent aspirer à devenir
maîtres. Il s'agit alors d'un des nombreux renversements de relations
naturelles qu'induit la démocratie. Il en est d'autres.
- l'enfant légitime et l'enfant illégitime
« En vue d'établir cette sorte de
démocratie, les dirigeants ont coutume de renforcer le peuple en lui
adjoignant le plus de gens possible, c'est-à-dire en faisant citoyens
non seulement les enfants légitimes mais aussi les illégitimes
c'est-à-dire ceux dont un seul parent est citoyen, j'entends le
père aussi bien que la mère, car tout ce monde convient
particulièrement à un régime populaire de cette sorte.
136(*) »
Le renversement du lien se fait entre l'homme de la race ou de
la cité ou encore l'enfant légitime
(ãí?óéïò), et l'étranger ou le
bâtard (í?èïò). Cette libéralité
dans l'attribution de la citoyenneté ne peut avoir cours que dans les
démocraties riches de la dernière espèce. Il faudra en
effet que dans un deuxième temps la cité paie les
indemnités137(*) : « Quant à la forme
extrême, du fait que tout le monde prend part à la vie politique,
toute cité n'est pas capable de la supporter138(*) ». Athènes,
remarque Hansen139(*),
est un excellent exemple de ce que dit Aristote au livre VI de sa
Politique sur les démocraties en général :
elles commencent par accroître le nombre de leurs citoyens en accueillant
les bâtards, les métèques et les esclaves, jusqu'à
ce que les gens ordinaires se soient assurés la majorité à
l' assemblée ; après quoi elles n'accordent plus la
citoyenneté aux étrangers qu'avec une extrême
parcimonie.
L'ouverture de la citoyenneté à n'importe qui
répond à un calcul politique, visant à favoriser le parti
des pauvres, au risque de créer un déséquilibre. Aristote
n'est pas contre le fait de donner plus de poids à la masse qu'aux
notables « ce qu'il faut c'est augmenter la masse populaire
jusqu'à ce qu'elle l'emporte sur les notables et les gens de la classe
moyenne 140(*)». Mais il y a un risque de dépasser la
limite : « Car dépasser cette mesure c'est augmenter le
désordre de la constitution.141(*)» Le désordre est ce qui fait qu'une
partie de la cité, en l'occurrence les notables, risque de se coaliser
et de rentrer en sédition.
- rupture des relations anciennes : le vivre dans le
désordre (
ô?
æ?í
?ô?êôùò)
La démocratie extrême rompt deux types de
relations naturelles : les relations hiérarchiques au sein de la
société, mais aussi au sein de la famille.
« De plus, il semble que toutes les dispositions des
tyrannies
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=dhmotika%2F&bytepos=464511&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057conviennent
aux régimes populaires, je veux dire par exemple, l'absence
d'autorité sur les esclaves (qui pourraient être utiles
jusqu'à un certain point à la démocratie extrême),
les femmes et les enfants, et le refus de contrôler le genre de vie que
chacun veut mener. De ce fait, une telle constitution ne manque pas d'appui
car il est plus agréable à la multitude de vivre dans le
désordre que dans la tempérance.142(*) »
La division entre partis de la cité n'est pas le seul
risque de la démocratie extrême. Aristote craint l'excès de
mélange des citoyens, c'est-à-dire la rupture des relations
anciennes. Le scandale est, pour Aristote, de remettre en cause la distinction
des parties de la cité, en dépassant la juste mesure (
?ðåñâ?ëëïíôåò).
Les parties ne sont pas, comme on l'a vu, uniquement conventionnelles, mais
naturelles. Il est scandaleux qu'un thète puisse débattre avec un
hoplite, car leurs natures sont différentes. L'un est maître,
l'autre est esclave. « Celui qui par nature ne s'appartient pas mais
qui est l'homme d'un autre, celui-là est esclave par nature.143(*) » « La
nature fait une chose pour un seul usage.144(*) » On est esclave par nature. Chez Platon,
il n'y a pas de différence par nature entre les hommes.
Le mélange crée une sorte de corps
monstrueux.Les moeurs ici favorisés sont contre-nature. Les relations
maritales sont en effet censées être
« despotiques145(*) », et le « mâle est plus
apte à gouverner que la femelle.146(*) » Aristophane avait anticipé cette
remarque d'Aristote avec L'Assemblée des Femmes, qui montre
précisément une démocratie aux moeurs carnavalesques,
où les femmes ont tous les pouvoirs sur les hommes, ou encore avec
Les Cavaliers où les thètes, vulgaires et
malhonnêtes, accèdent aux plus hautes magistratures. Par ailleurs,
cette popularité de la démocratie auprès des non-citoyens
n'est pas un véritable soutien au régime, mais un soutien
opportuniste et circonstanciel. Qu'il suffise qu'ils soient bien traités
dans la pire des tyrannies, et ils soutiendront la tyrannie147(*). Autrement dit, les lois et
les moeurs qui découlent de la démocratie extrême ne sont
pas en accord avec l'essence de la constitution. Or précisément,
les lois n'ont pas d'autre impératif que celui-là. En effet, le
fait que tous soient citoyens fait perdre l'habitude de la hiérarchie et
du commandement (
?íáñ÷?á).
De fait, femmes et esclaves sont plus heureux, et accordent leur soutien
à ce régime alors même qu'ils ne sont pas citoyens. Cette
forme extrême repose donc sur une popularité qui n'a pas lieu
d'être.
La société est alors organisée de
manière désordonnée (
?ô?êôùò),
c'est-à-dire qu'elle n'est pas en ordre de bataille, ou encore qu'elle
manque de structure hiérarchique.
-----------------------------------
- le respect de la loi, de l'ordre, de la nature de la
cité.
La démocratie est mauvaise quand elle transforme le
peuple. La communauté est en effet naturelle. La bonne constitution est
celle qui reste naturelle. Tout n'est pas permis à l'homme sous
prétexte qu'il vit en cité, bien au contraire la cité
n'est qu'une communauté naturelle plus élaborée.
Dès lors, comment les institutions peuvent-elles être
bonnes ? Que veut dire être en accord avec la nature pour un homme,
et a fortiori pour une communauté ?
L'étude des typologies des démocraties
révèle avant tout l'importance des qualités
intrinsèques aux peuples. Les institutions ne peuvent que renforcer
celles-ci ou les rectifier. Le mauvais mode de vie (
?
â?ïò
öá?ëïò)148(*) des autres sortes de masse
populaire produit des mauvaises démocraties. Ce sont bien les
qualités du peuple qui produisent
óõíåóô?óé
les types de constitutions. Mais elles ne peuvent pas les créer. Un
législateur ne peut pas établir n'importe quelle espèce de
démocratie n'importe où, car il faut que le peuple y soit d'une
qualité déterminée. On retrouve ces distinctions
axiologiques au sein même des peuples. Il y a des parties meilleures que
d'autres. Il est alors juste de leur accorder plus de pouvoir. Et c'est contre
cette exigence que la conception démocratique du juste entre en
conflit.
Aristote avait insisté sur le fait que la
démocratie ne se définit pas par la souveraineté de la
masse, et que cette définition platonicienne était fausse. En
effet, là où la masse est souveraine (
ê?ñéïí
ô?
ðë?èïò),
les lois ne le sont plus. Ces deux entités s'opposent. Alors que les
libres et les lois peuvent cohabiter. La démocratie n'est donc pas
forcément une démagogie, car le peuple n'est pas forcément
une masse. Pourquoi les démocraties extrêmes ne respectent-elles
pas la loi ? Pourquoi sont-elles mauvaises et injustes ? Pourquoi le
légal, et non le légitime, est-il nécessairement
bon ? C'est ce qu'il convient désormais d'examiner.
« Ce qui est juste c'est ce qui est légal et
ce qui est équitable.149(*) » En ce qui concerne le respect de la loi,
on a vu que celle-ci dépendait de l'importance donnée aux
décrets, laquelle était davantage favorisée par certains
types de peuple que par d'autres. Il est des démocraties justes, du
point de vue du légal. Le terme « légal » ne
pose pas de problème. L'égal en pose. Comme le montre Aristote au
livre précédent150(*), il y a deux sortes d'égal :
l'égalité numérique (
ô?
?ñéèì?)
et l'égalité selon le mérite (
ô?
êáô'
?î?áí).
L'absolument juste (
ô?
?ðë?ò
ä?êáéïí)
est le juste selon le mérite. Mais le mérite n'est pas une valeur
rationnelle qui se déduirait d'un calcul. Chacun a sa propre conception
du mérite, et surtout l'envisage par rapport à
lui-même :
« si les gens sont d'accord sur le fait que
l'absolument juste c'est le juste selon le mérite, les divergences
surgissent comme on l'a dit plus haut, du fait que les uns, s'ils sont
égaux sur un point déterminé pensent être
totalement égaux, les autres, s'ils sont inégaux sous quelque
rapport, se croient dignes d'être inégaux en tout. C'est pour
cela qu'il se forme surtout deux types de constitution : des
régimes populaires et des oligarchies.151(*) »
La justice démocratique repose sur un principe
erroné, qui est celui de la liberté fondée sur
l'égal, et qui revient à dire que tous les hommes se valent, et
qu'ils doivent par conséquent également avoir accès au
pouvoir et aux richesses. Il faut donc trouver une solution acceptable par les
deux partis, une conception de la justice démocratique qui s'accorderait
avec le juste selon le mérite. Il est juste qu'un certain type de masse
ait la souveraineté, bien que la conception démocratique du juste
soit fausse. La théorie des démocrates n'est pas juste en ce qui
concerne la répartition des richesses, comme on le verra grâce aux
chapitres III, 9 et VI, 2, mais elle peut l'être en ce qui concerne, dans
une certaine mesure, la répartition des pouvoirs, comme on le verra
ensuite grâce au chapitre III, 11.
3.1. Justice entre pauvres et riches (III, 9, 1280 a 7
- 1280 a 30 et VI, 3, 1318 a 11 - 1319 b 5)
Ce n'est ni l'opinion de la majorité numérique,
ni l'opinion des plus riches qui doit l'emporter, mais celle de la
« majorité économique. »
3.1.1. Mauvais jugement des oligarques, mauvais jugement des
démocrates (III, 9, 1280 a 7 - 1280 a 30)
Ce chapitre, considéré par certains
commentateurs comme un des plus importants de la Politique152(*), est souvent cité
pour insister sur l'incompatibilité entre la conception
aristotélicienne du juste et la conception démocratique du
juste. La démocratie échoue, dans ses principes, à
instituer autre chose qu'une justice relative.153(*)»
Démocrates comme oligarques tiennent deux discours
opposés, mais en fait ils commettent tous deux le même type
d'erreur. Tous deux ont tort, pour une même raison : leur mauvaise
conception de l'homme et de la cité.
- mauvaise conception de la personne (III, 9, 1280 a 7 - 1280
b 7)
Les personnes jugées sont forcément
différentes, car elles appartiennent à des groupes
différents. Or démocrates et oligarques adoptent des
critères en usage au sein de leur propre groupe. Les riches prendront la
richesse, et donc l'égalité, les pauvres la liberté, et
donc l'égal. Ils font ensuite l'erreur de généraliser
l'usage de ce critère, uniquement valable au sein d'un groupe, entre
tels, à l'ensemble de la cité. Dès lors, les deux parties
parlent un langage différent. Elles parlent chacune d'une certaine
conception du juste (
äéêá?ïõ
ôéí?ò),
que par ailleurs elles ne partagent pas, mais ne parlent pas du juste par
excellence (
ô?
êõñ?ùò
ä?êáéïí).
« En premier lieu il faut bien saisir quels
critères on donne habituellement de l'oligarchie et de la
démocratie, c'est-à-dire ce qu'est le juste oligarchique et le
juste démocratique. Car tous parviennent jusqu'à une conception
déterminée du juste, mais ils ne dépassent pas un certain
point
ì?÷ñé
ôéí?ò,
ce qui fait qu'ils ne parlent pas du juste par excellence dans son ensemble.
Par exemple, les uns sont d'avis que le juste c'est l'égal
?óïí
ô?
ä?êáéïí
å?íáé,
et c'est le cas, mais pas pour tous mais seulement entre égaux. Aux
autres, il semble que l'inégal est le juste et c'est le cas, mais pas
pour tous mais seulement entre inégaux. Or ils suppriment le "entre
tels"
ô?
ï?ò
et portent un jugement faux. La cause en est que c'est eux-mêmes qu'ils
jugent, et que la plupart des gens sont mauvais juges de leurs affaires
propres.154(*) »
Les deux groupes commettent ainsi une même erreur en
choisissant un critère qui ne vaut qu'au sein de leur groupe et qui
n'est pas universel. La tâche du bon juge est de trouver du
général. Quel est alors ce critère (
?ñïò) ?
Y en a-t-il seulement un ? il faut trouver une règle de
proportionalité, car « Ce qui est juste c'est quelque chose de
proportionnel.155(*) » Mais celle-ci peut-elle s'exprimer sous
forme mathématique ? C'est que les personnes ne suivent pas les
mêmes règles que les choses. On peut être d'accord sur le
fait que différentes choses valent le même prix, mais la valeur
humaine ne peut s'estimer d'une manière
« pragmatique ». Chacun fait bien la distinction, sauf
peut-être pour les esclaves, mais n'en trouve pas plus le principe de
justice qui doit régir les rapports humains.
« De sorte que, puisque le juste est relatif
à des personnes déterminées et qu'on établit la
même distinction entre les choses que l'on accorde et les gens à
qui on les accorde, comme on l'a déjà dit dans les traités
éthiques, tous sont d'accord sur l'égalité entre les
choses, mais ils s'opposent sur celle concernant les personnes à qui on
doit les attribuer, principalement pour la raison donnée plus haut,
à savoir qu'on juge mal de ses propres affaires, et ensuite parce que
chacune de deux parties parle de ce qui est juste jusqu'à un certain
point en pensant parler du juste absolu. Les uns, en effet, sous
prétexte qu'ils sont inégaux d'un point de vue
déterminé (par les richesses, par exemple), se croient
globalement inégaux, les autres, sous prétexte qu'ils sont
égaux d'un point de vue déterminé (par la liberté
par exemple) se croient globalement égaux. Mais ils n'abordent pas
l'essentiel.156(*) »
Chacun choisira le critère qui l'arrangera, les riches
la richesse, les hommes libres la liberté, et se permettra de juger d'un
point de vue global (
?ëùò).
Comme critère de justice, la liberté des pauvres ne vaut pas
mieux que la richesse des gens aisés. La liberté n'est qu'une
sorte de revanche des pauves. Ceux qui n'ont pas d'argent s'offrent une vertu
morale fictive qui est la liberté. Le juste pour le pauvre ou pour
l'homme libre, le juste pour le riche, c'est le rapport qui prend pour
étalon ce que chacun a. Ils oublient que la justice comporte
nécessairement quatre termes, soit entre deux choses mais aussi entre
deux hommes, lesquels ne sont pas comme les choses. De fait qu'ils se trompent
sur la nature de l'homme en en faisant une chose, ils se trompent sur la nature
de la cité.
- la mauvaise conception de la cité (III, 9, 1280 b 7 -
1281 a 11)
En jugeant comme cela, ils confondent la cité avec une
association de commerce.
« Car si c'était pour accumuler des biens que
l'on s'est unis en communauté, on devrait participer aux affaires de la
cité dans la mesure où l'on possède des biens, et alors le
raisonnement des partisans de l'oligarchie semblerait solide ; il n'est pas
juste en effet que celui qui apporté une mine sur cent ait la même
part du capital initial ou des intérêts qu'il rapporte que celui
qui a donné tout le reste.157(*) »
La cité n'est pas une association financière.
Les règles qui régissent une cité et une association
commerciale ne sont pas les mêmes. Ce n'est donc pas du côté
de la science de la gestion des richesses, la
« crématistique », qu'il faut espérer trouver
la règle de la justice.
Aristote ici critique le jugement des oligarques, mais juste
après avoir précisé qu'oligarques et démocrates
commettent la même erreur. Car finalement, la justice démocratique
fonctionne à peu près de la même façon. Argent ou
liberté, le raisonnement est le même. Chacun a une chose, et
généralise son usage et sa valeur de comparaison à
l'ensemble de la cité. La liberté est peut-être plus
valable que l'argent, qui n'est qu'un symbole. Mais il faut rappeler que la
liberté est selon la conception démocratique du juste une erreur,
qu'elle ne vaut rien par rapport à ce qu'elle est réellement.
Donc, le démocrate, qui arrive avec son capital de liberté, qu'il
croit inné, se présente exactement comme l'oligarque qui arrive
avec son capital financien pour gouverner. L'erreur des deux candidats à
la justice est d'appliquer pour l'homme une démarche
mathématique, en prenant pour unité soit l'unité
monétaire, soit l'unité individuelle, celle de l'homme, celle de
son corps qui semble un. Ils confondent qualité et quantité. Or
la justice récompense le mérite, c'est-à-dire la
qualité.
Sur quelle conception de la cité la justice
doit-elle alors reposer ? Pourquoi vit-on ensemble si ce n'est pour mieux
satisfaire nos besoins ?
« Mais si ce n'est pas seulement en vue de vivre,
mais plutôt en vue de vivre une vie heureuse qu'on s'assemble en une
cité (car autrement il existerait aussi une cité d'esclaves et
une cité d'animaux, alors qu'en fait il n'en existe pas, parce qu'ils ne
participent ni au bonheur ni à la vie guidée par un choix
réfléchie), ni en vue de former une alliance militaire pour ne
subir de préjudices de la part de personne, ni en vue d'échange
dans l'intérêt mutuel, car alors les Tyrrhénéens et
les Carthaginois, et tous ceux qui ont passé des conventions entre eux
seraient comme les citoyens d'une cité unique. 158(*) »
Aristote distingue le vivre seulement (
ôï?
æ?í
ì?íïí)
et le vivre bien (
ôï?
å?
æ?í)159(*). La finalité de la
cité n'est ni commerciale ni militaire, elle est éthique :
la fin de la cité, c'est le bonheur et la vertu160(*), et le mode de vie le plus
digne d'être choisi concernent les biens de l'âme, non les biens
extérieurs 161(*). La cité ne répond pas uniquement
à des besoins primaires. « C'est pourquoi même
quand ils n'ont pas besoin de l'aide des autres, les hommes n'en ont pas moins
tendance à vivre ensemble.162(*) » C'est là un point de divergence
important d'avec la philosophie politique de Platon. « Ce qui donne
naissance à une cité, c'est l'impuissance où se trouve
chaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu'il
éprouve d'une foule de choses163(*) » Parce que l'homme n'est pas une
bête, il peut espérer trouver dans la cité quelque chose de
plus que la satisfaction de ses besoins élémentaires, telles la
faim ou la protection face aux ennemis. Quel est ce quelque chose ?
Comment alors trouver la juste égalité ?
3.1.2. Le bon jugement de la majorité économique
(VI, 3, 1318 a 11 - 1319 b 5)
Ce ne sont ni les riches ni les pauvres qui doivent avoir le
pouvoir. Poser la question de la justice en ces termes mène à un
problème insoluble.
« Mais ensuite se présente la
difficulté suivante: comment obtiendra-t-on l'égalité?
Vaut-il mieux diviser entre mille citoyens les biens de cinq cents et donner un
pouvoir égal aux mille et aux cinq cents? ou faut-il ne pas
établir l'égalité de cette manière, mais diviser de
la même manière qu'auparavant puis prendre un nombre égal
de citoyens parmi les cinq cents et les mille, qui auront la
souveraineté en matière de répartition des biens et dans
le domaine judiciaire.164(*) »
Aucune de ces deux solutions, qui correspondent à
l'option démocratique et à l'option oligarchique, n'est
satifaisante. Aristote fait l'effort de poser les termes du problème de
manière claire. Mais il s'agit là d'une alternative
incomplète. Il manque une voie médiane. Pour l'entrevoir, il faut
réaffirmer les risques que présentent la conception
démocratique du juste.
- le risque de confiscation
Politique et économie sont imbriqués l'une dans
l'autre. Dans les dernières espèces de démocratie, les
citoyens sont nombreux à se réunir. Ils confisquent les biens
pour payer les rétributions, pour continuer à être nombreux
à se réunir. Les mesures économiques sont liées au
fonctionnement des assemblées.
L'injustice ne concerne pas tant la souveraineté
politique, que la répartition des biens privés. La conception
démocratique du juste peut être bonne pour le pouvoir, mais
mauvaise pour les biens, du moins elle est bonne tant qu'elle n'inquiète
pas la répartition des biens (
ô?í
á?ñ?óåùí).
Il est juste que les plus nombreux aient le pouvoir, il est injuste qu'ils
confisquent les biens des plus riches. L'inégalité (
?íéó?ôçôá)
concerne les biens matériels.
« Ces deux positions comportent
inégalité et injustice, car si c'est l'opinion du petit nombre
qui l'emporte on aura une tyrannie (si, en effet, l'un des gens aisés
possède plus que les autres, il est juste, selon la conception
oligarchique du juste qu'il commance seul), mais si c'est l'opinion de la
majorité numérique, ces gens tomberont dans l'injustice
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=dhmeu%2Fontes&bytepos=454454&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057
en confisquant les biens des riches minoritaires, comme on l'a dit plus
haut.165(*) »
Il faut que la majorité économique soit au
pouvoir de façon à ne pas créer de
déséquilibre, et de confiscations. La justice est mauvaise si
elle est partisane, soit du côté des riches, soit du
côté des pauvres. Ce n'est donc pas à la majorité
numérique (
ï?
ðëå?ïõò
êáô'
?ñéèì?í),
pour laquelle militent les démocrates, de l'emporter.
- Que l'emporte le parti dont la fortune est la plus grande. (
ê?ñéïí
?óôù
?í
ô?
ô?ìçìá
ðëå?ïí166(*) )
C'est la majorité
« chrématistique », c'est-à-dire ceux qui ont
tous ensemble la fortune la plus grande, qui doit l'emporter.
« puisqu'il se trouve qu'il y a deux partis dont la
cité est composée, les riches et les pauvres, ce qui est
l'opinion de ces deux groupes ou de la majorité, que cela l'emporte, et
si les opinions sont contraires, que l'emporte celle de la majorité,
c'est-à-dire de ceux qui ont la fortune la plus grande. 167(*) »
La majorité économique est composée de
ceux qui paient le cens le plus élevé, qu'il s'agisse du total
d'un grand nombre de faibles cens ou du total d'un petit nombre de cens
élévés. Les gens modestes par leur nombre peuvent
être plus riches que les riches.168(*) Il ne s'agit donc pas clairement d'une prise
de position pour l'oligarchie, car de cette conception peut émerger une
démocratie, mais la conception du juste, ici défendue, elle, est
oligarchique. Les riches seront quand même plus avantagés que les
pauvres. Et pourquoi ne le seraient-ils pas, un petit peu ?
- convaincre les forts de la justice
Un des objectifs principaux de la constitution juste est
d'éviter les spolliations. Elle doit éviter que, de fait, les
forts, minorité de très riches ou masse des pauvres, aient tous
les droits.
« Mais en ce qui concerne l'égal et le juste,
bien qu'il soit vraiment difficile de découvrir la vérité
à leur propos, il est pourtant plus facile de l'atteindre que de
convaincre ceux qui ont la possibilité de s'approprier plus que leur
part. Car ceux qui recherchent l'égal et le juste ce sont toujours les
plus faibles, alors que les forts n'en ont cure.169(*) »
Aristote est conservateur, au sens où il souhaite que
les riches restent riches et que les pauvres restent pauvres, mais aussi au
sens où il souhaite que les riches ne s'approprient pas davantage que de
droit. C'est un conservatisme qui vise à convaincre les forts du juste
plus qu'à découvrir la justice pour elle-même. Convaincre
les forts (
ï?
êñáôï?íôåò),
est la tâche la plus difficile parce qu'ils ne considèrent que
leurs propres affaires, et qu'il est malaisé de leur faire entrevoir
l'avantage commun. Aristote ne mise donc pas sur la bonté des citoyens.
Réaliste, sa théorie de la justice vise à prévenir
ceux qui le peuvent (
ôï?ò
äõíáì?íïõò
ðëåïíåêôå?í)
de s'approprier plus qu'ils ne le doivent.
Il faut apprendre la mesure pour acquérir, et faire le
départ entre besoins nécessaires et besoins superflus. La
solution acceptable pour toutes est une sorte de ploutocratie
démocratique. En disant « Que l'emportent ceux qui ont la
fortune la plus », Aristote réconcilie la masse politique et
la masse économique. Il conseille de ménager les riches tout en
ménageant les pauvres. C'est par ce juste milieu que l'on pourra sauver
les démocraties. C'est donc à un groupe, plus nombreux que celui
des oligarques, moins nombreux que celui des démocrates, de gouverner.
Ce groupe, cette masse, constitué par la majorité
économique, prendra des bonnes décisions.
3.2. La justice entre spécialistes et profanes
(III, 11, 1281 a 40 - 1282 b 13)
La justice ne consiste pas seulement en l'attribution
équitable de biens matériels. Elle n'est pas qu'un
problème de répartition des richesses, car, on l'a vu, la
cité n'est pas seulement une association économique. La justice
consiste également en l'attribution équitable des pouvoirs entre
les citoyens. Au chapitre III, 10, intitulé par P. Pellegrin
« à qui donner le pouvoir souverain », cette
question est explicitement présentée comme un problème de
justice. « Si les pauvres, du fait qu'ils sont majoritaires, se
partagent les biens des riches, n'est-ce pas injuste ? Non, par Zeus,
puisque cela a semblé juste à l'autorité souveraine. Mais
que faudra-t-il appeler le comble de l'injustice sinon cela ?170(*) » L'attribution de
la souveraineté est donc un problème de justice, lequel a
déjà, en théorie, été partiellement
résolu dans la partie précédente. Il reste à voir
ce que, en pratique, vaut la masse au pouvoir. Il faut pour comprendre la
position d'Aristote l'opposer à celle de Platon.
3.2.1 Critique du paradigme platonicien du
médecin (III, 11, 1281 b 38 - 1282 b 13)
Pour Platon des Lois, le gouvernement sans lois est
légitime, du moment qu'il est fondé sur le savoir. Toutes les
décisions du roi philosophe seront équitables, et les lois
trouvent leur incarnation dans la personne d'un homme buté et ignorant
171(*). Les gouvernants
doivent être les gens compétents et la masse, étant
incompétente, doit être exclue des fonctions de gouvernement. Il
serait aussi absurde de laisser le peuple ignorant gouverner que laisser un
homme du peuple soigner un malade. Il serait aussi absurde qu'un médecin
soit choisi par des profanes qu'un magistrat par des ignorants.
« il semblerait que l'homme à qui il
appartient de juger celui qui a prescrit un traitement médical correct,
c'est précisément l'homme qui est en mesure de traiter le malade,
c'est-à-dire de le libérer de la maladie qui l'habite. Or cet
homme c'est un médecin. Et il en est de même pour les autres
métiers et les autres arts. De même, donc, qu'un médecin ne
doit rendre de comptes qu'à des médecins, de même aussi
les autres professionnels ne doivent-ils le faire qu'à leurs semblables.
172(*) »
Platon, dans les Lois,173(*) propose le paradigme
suivant. Si pour se faire prescrire un traitement médical correct, le
malade n'hésite pas à choisir celui qui est en mesure de traiter
le malade (
ô?
?áôñå?óáé),
c'est-à-dire la médecin (
?
?áôñ?ò),
pourquoi devrait-il en être différemment pour les problèmes
politiques ? De même, pourquoi celui qui est en mesure de gouverner
ne devrait-il pas être le gouvernant ?
Celui qui sait, le médecin, ne doit rendre de comptes (
ô?ò
å?è?íáò)
à personne, si ce n'est à ses confrères, ses semblables (
ôï?ò
?ìï?ïéò),
de même un magistrat n'a ni à se faire choisir ni à rendre
de comptes, au sens propre du terme, auprès de ceux qui ne savent pas le
métier. Le choix des magistrats, au contraire, doit donc, comme pour les
autres professions, se faire par cooptation, c'est une affaire de
spécialistes174(*).
Pour Aristote, la comparaison ne tient pas. L'homme politique
n'est pas comparable à un médecin, le citoyen n'est pas
comparable à un malade. La politique serait-elle un de ces
métiers (
ô?ò
?ìðåéñ?áò)
ou un de ces arts (
ô?÷íáò)
qui échappent à ces règles de base ? Quels nouveaux
paradigmes Aristote apporte-t-il en réponse à Platon ?
- le médecin et l'homme cultivé
« Or un médecin ce peut être soit le
praticien, soit le chef d'école, soit en troisième lieu celui qui
possède une culture médicale, car il y a tant de gens
cultivés pour ainsi dire dans tous les arts, et nous n'accordons pas
moins le droit de juger aux gens cultivés qu'aux
spécialistes.175(*) »
L'homme cultivé est aussi à même que le
spécialiste de juger. Ce type de savoir permet de juger dans n'importe
quel domaine. L'homme cultivé est capable de se soigner tout
seul.176(*)
Le bon citoyen se caractérise par sa culture
générale. Parce que les affaires de la cité ne sont pas
restreintes à un domaine précis, mais au contraire à
l'ensemble des sphères de la vie humaine, le citoyen se doit
d'être versé dans tous les arts.
- le médecin et celui qui a à faire à la
médecine
Le deuxième argument est le suivant. L'usager (
?
÷ñ?ìåíïò)
juge mieux de la qualité du produit qu'il utilise que le fabricant (
?
ðïé?óáò)
juge de son propre produit
« De plus, dans certains domaines, le fabricant ne
saurait être ni le seul ni le meilleur juge, dans la mesure où
ceux qui ne sont pas des techniciens ont aussi à connaître des
produits : connaître d'une maison, par exemple, ce n'est pas seulement le
fait de celui qui la construit, mais celui qui s'en sert
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=krinei%3D&bytepos=209188&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057
en juge mieux que lui, et celui qui s'en sert c'est le chef de famille ; de
même en est-il du pilote par rapport au charpentier, pour le gouvernail,
et dans le cas du festin c'est le convive et non le cuisinier qui jugera le
mieux. Il semblerait donc que cette difficulté trouve ainsi facilement
une solution adéquate.177(*) »
De même que le convive qui goûte le plat est
meilleur juge que le cuisinier, de même les citoyens, qui font les frais
du gouvernement d'un magistrat, sont plus aptes à juger de sa
compétence qu'il ne l'est lui-même ou que ne le sont ses
collègues, et donc de devenir lui-même cuisinier,
c'est-à-dire législateur. Car, on l'a vu, on juge mal de ses
propres affaires.
Cet argument, pourrait-on objecter, trouve cependant ses
limites dans le fait que dans la plupart des cas, les magistrats en
démocratie ne pouvaient être élus qu'une fois, et que donc,
nul citoyen ne pouvait voter en connaissance de cause. Ils élisaient
toujours un magistrat qui n'avait jamais gouverné dans cette fonction.
Mais peut-être les bons citoyens apprennent-ils à ne pas tant
voter pour une personne particulière que pour ses idées ?
Juger des idées d'un autre n'est pas seulement une opération
intellectuelle. Cela implique aussi une expérience, c'est-à-dire
concrètement le fait d'avoir déjà
expérimenté la mise en application de ces idées ou
d'autres. C'est en quelque sorte l'expérience qui prime sur le savoir.
Et c'est pour cela qu'Aristote compare l'activité politique à des
pratiques physiques (alimentation, navigation). On voit pourquoi, par cet
aspect, la comparaison ne tient pas. Le médecin est celui qui intervient
ponctuellement en réponse à une crise, et le malade le voit le
plus rarement possible. L'activité politique est une activité sur
le long terme, comme l'est la navigation pour le marin, ou l'alimentation pour
le convive. Elle est dans notre nature même d'animal politique. Ces
natures mises ensemble en forment une plus grande : une nature
collective.
- corps individuel du médecin et corps collectif du
pouvoir
Le médecin opère seul. Il possède un
savoir individuel. Il n'en va pas de même dans les assemblées. Ce
n'est pas la décision de chaque membre qui compte, mais celle du
collectif.
« Car ce n'est ni le juge, ni le membre du conseil,
ni le membre de l'assemblée qui sont magistrats, mais le tribunal, le
conseil, l'assemblée populaire, chacun de ceux-là en étant
une partie (par partie je désigne le membre du conseil, le membre de
l'assemblée, le juge). De sorte que c'est à bon droit que la
masse est souveraine dans des domaines de plus grande importance, car il y a
beaucoup de gens
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=o%28&bytepos=210454&wordcount=2&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057dans
l'assemblée populaire, le conseil, le tribunal, et le revenu est
supérieur à celui de ceux qui exercent les magistratures les plus
importantes individuellement ou en petit nombre.178(*) »
Chacun des membres de ces trois institutions (
?
äéêáóô?ò,
?
âïõëåõô?ò,
?
?êêëçóéáóô?ò)
n'est qu'une partie (
ì?ñé?í)
de l'assemblée (
?
ä?ìïò),
du conseil (
?
âïõë?),
ou du tribunal (
ô?
äéêáóô?ñéïí).
Or on ne juge pas des parties, mais du tout, c'est-à-dire de la
magistrature en tant que telle.
En vertu de la supériorité du jugement collectif
sur les jugements individuels, il est juste (
äéêá?ùò)
que les magistratures tenues par le peuple l'emportent sur ceux qui exercent
les magistratures individuellement (
êáè'
?íá).
Par ailleurs, leur légitimité tient également à la
masse de leur revenu (
ô?
ô?ìçìá),
c'est-à-dire du cens que collectivement ils paient. Ainsi, le juste
démocratique dans ce cas semblerait bien être absolu dans cette
démocratie directe, où l'assemblée populaire est
souveraine sur les magistratures individuelles. Peu importe que les juges
soient individuellement compétents, pourvu que le tribunal le soit.
L'analogie ne tient pas. Le citoyen n'est pas le malade, que
le savoir d'un législateur pourrait soigner. C'est à la limite
quelqu'un de méchant que les lois peuvent éduquer, mais avec son
propre assentiment, et de manière permanente. Il ne reçoit pas
une vérité provenue d'une sphère idéale avec
laquelle le philosophe-roi serait en contact. Pour Platon, être
méchant c'est être malade, au sens où nul n'est
méchant volontairement. Pour Aristote, l'homme peut être savant et
méchant. On peut agir mal en connaissance de cause. Dès lors, le
savoir n'apparaît plus comme un remède politique. C'est en vivant
que l'on apprend à être bon, en vivant selon les lois.
3.2.2. Les paradigmes aristotéliciens (III, 11,
1281 a 40 - b 21)
Lorsque des hommes s'assemblent, la compétence du
groupe est-elle supérieure ou inférieure à celle de
n'importe quel individu ? Le pouvoir de décision du groupe est-il
divisé ou multiplié par le nombre de membres ? Pour Platon,
il est divisé : « Tenons pour être débile
sous tous les rapports le gouvernement de la multitude, pour être
impuissant à rien faire qui soit un grand bien, ni un grand mal ;
[...] pour cette raison que l'autorité y est répartie par menues
parcelles entre un grand nombre d'individus.179(*) » Pour Aristote, dans certaines
conditions, il peut être multiplié.
« Ce qui concerne les autres prétendants au
pouvoir, sera l'objet d'une autre discussion. Mais qu'il faille que la masse
soit souveraine plutôt que ceux qui sont les meilleurs mais qui sont peu
nombreux, cela semblerait apporter une solution qui certes fait aussi
difficulté, mais comporte aussi sans doute du vrai. 180(*) »
Que sous-tend cette opposition entre les positions
platonicienne et aristotélicienne ?
Quatre comparaisons sont ici convoquées : la masse
souveraine est comparée à une tablée de convives, à
un corps géant, à un spectateur et à une oeuvre d'art.
- le convive, ou le paradigme de l'acte commun
« Car il est possible que de nombreux individus,
dont aucun n'est un homme vertueux , quand ils s'assemblent soient meilleurs
que les gens dont il a été question, non pas individuellement
mais collectivement, comme les repas collectifs sont meilleurs que ceux qui
sont organisés aux frais d'une seule personne. 181(*) »
Le premier argument en faveur de la masse milite pour les
qualités collectives d'un groupe, alors même que ces individus ne
sont pas des hommes vertueux. Il faut changer de point de vue sur la masse, en
considérant ses éléments non pas individuellement mais
dans leur ensemble (
ï?÷
?ò
?êáóôïí
?ëë'
?ò
ó?ìðáíôáò).
On peut interpréter cette analogie de la façon suivante. Les
repas à frais collectifs (
ô?
óõìöïñçô?
äå?ðíá)
sont meilleurs, non parce qu'il y a plus à manger, non parce que les
aliments y sont de meilleure qualité, mais parce qu'on le goûte
mieux. La sensation éprouvée par chacun est meilleure, parce que
plusieurs personnes sont orientées vers le même acte. La
sensation est en effet acte commun du senti et du sentant. Dès lors
qu'il y a plusieurs êtres sentants, plus de facultés en puissance
passent dans l'acte commun, ce que chacun a son échelle individuelle
éprouve. A l'inverse, lorsque le repas est donné, il ne demande
pas de qualités de la part du mangeur, qui reste passif. L'image de la
nourriture n'est pas choisi au hasard. Elle convoque en effet davantage les
sens que l'intellect. Nous partageons tous l'usage des sens, et avons tous une
expérience de la vie, alors que nous maîtrisons le langage d'une
manière très variable. C'est par l'expérience que la masse
peut accéder à un droit de juger.
- l'homme polypode ou le paradigme de la mise en commun
« Au sein d'un grand nombre, en effet, chacun
possède une part d'excellence et de prudence, et quand les gens se sont
mis ensemble de même que cela donne une sorte d'homme unique aux
multiples organes, aux multiples mains et avec beaucoup d'organes des sens, de
même en est-il aussi pour les qualités éthiques et
intellectuelles.182(*) »
Le peuple forme donc une sorte de surhomme, plus apte que
n'importe quel individu à la vie politique. En mêlant
qualités et défauts individuels, on obtient une unité d'un
autre ordre. Le corps est ainsi constitué sur le modèle du
puzzle. Chacun y met sa part (
ì?ñéïí)
d'excellence et de prudence. Chaque homme possède certes une part
mauvaise, mais chaque homme porte aussi du bon, et le plus mauvais des
individus a toujours une petite part à apporter à la
communauté. Il ne faut donc pas considérer la justice sous
l'angle de l'individu, car non, cet individu n'est
pas « égal » à l'homme vertueux, mais
sous l'angle de la totalité, car oui, cet individu, au même titre
que l'homme vertueux a quelque chose à apporter à la cité.
Il est donc juste que tous participent au pouvoir, il est en revanche injuste
que tous se voient attribuer la même quantité de biens.
Pourquoi sont-ce les vertus qui forment puzzle et non les
vices ? Pourquoi cet ordre de la totalité est-il
généralement supérieur, et non inférieur à
celui des hommes individuels ?
L'image du corps renvoie à une conception organique de
la cité. La cité est une agrégation naturelle de familles,
elles-mêmes composées de manière naturelle.
« Toute cité est naturelle puisque les communautés
premières le sont aussi.183(*) » Il ne faut pas voir l'association
humaine comme le fruit d'une décision rationnelle, commune à
différents partis. La cité n'est pas le fruit d'une convention,
ou d'un contrat. Elle est une communauté naturelle, comparable à
un corps indivisible. L'homme vivant à l'état de nature n'est pas
un homme. C'est pourquoi on ne peut analyser la cité comme une somme
d'éléments individuels, qui se plierait aux opérations
mathématiques. Nous sommes à l'opposé de ce que sera le
libéralisme moderne, qui voit la société formée par
agglomération d'individus égoïstes184(*).
Cet homme géant n'est pas seulement doté de
grandes qualités intellectuelles. Il possède toutes les
facultés de l'âme. Ce n'est pas aux seuls philosophes d'avoir le
pouvoir. L'âme humaine n'est pas uniquement intellective. La fonction
intellective repose en effet et dépend des fonctions sensitives et
végétatives. Avec la réunion des membres de la masse, et
donc des diverses professions, qualités et cultures, la cité
devient cette sorte d'âme unifiée. Le gouvernement n'est pas
seulement la tête d'un peuple, de la même façon que
l'âme n'est pas seulement la tête d'un corps. Même dans les
activités purement rationnelles, comme le jugement, les diverses
expériences concourent à un résultat meilleur. C'est
pourquoi les philosophes, à la différence de chez Platon, ne
gouvernent pas, ils éduquent les futurs citoyens. Aristote est un
précepteur, pas un gouvernant.
- le spectateur ou le paradigme du jugement commun
« ...C'est aussi pourquoi la multitude est meilleur
juge en ce qui concerne les arts et les artistes : en effet, les uns jugent une
partie, les autres une autre, et tous jugent le tout. 185(*) »
Le point de vue du spectateur n'est pas tout à fait le
même que celui du convive, car il fait intervenir l'âme
intellective et non plus seulement l'âme sensitive. Il ne fait pas
qu'apprécier, car, dans les concours « musicaux »,
il débat, juge et vote. Il confronte son point de vue à celui des
autres. C'est là un aspect important du bon gouvernement selon Aristote.
Il doit y avoir des parties adverses. La mise en commun de point de vue est
d'autant plus riche que les partis sont divers. « La
délibération sera meilleure si tous délibèrent en
commun, le peuple avec les notables, ceux-ci avec la masse.186(*) »
Comme l'intellection, la perception est acte commun du senti
et du sentant. Dans le jugement, la chose senti et le spectateur actualisent
leur puissance jugeante dans un même acte. Le jugement collectif consiste
donc en l'actualisation d'un nombre plus grand de puissances. Il est plus
actuel, et donc plus réel.
- l'oeuvre d'art ou le paradigme de l'être commun :
de l'âme
« Les hommes vertueux, par contre, l'emportent sur
chacun des individus de la foule, de la même manière dont on dit
que les gens beaux l'emportent sur ceux qui ne sont pas beaux, et les
personnages peints sur leurs modèles réels: par le fait que des
traits épars sont rassemblés en un seul individu, puisque si on
prend ces traits séparément ils seront plus beaux dans la
réalité qu'en peinture, l'oeil chez un tel, une autre partie chez
tel autre. 187(*) »
Aristote inverse l'analogie précédente de
l'oeuvre d'art. La foule se trouvait devant une oeuvre d'art, elle est
désormais l'oeuvre d'art. Celle-ci se compose de chacun des jugements,
qui précisément s'appliquaient à estimer l'oeuvre
précédente. En effet, l'oeuvre tire sa supériorité
de la liberté de composition avec laquelle elle réunit
différentes parties188(*), et pourtant il peut y avoir des modèles
réels qui présentent des parties plus belles que les personnages
peints (
ô?
ãåãñáìì?íá).
Mais parce que la peinture est composition de belles parties, elles sera plus
belle que le modèle. La cité est à l'homme ce que l'oeuvre
est au modèle, au sens où tous deux sont plus achevés. La
cité est aussi à l'homme ce que l'âme est au corps, au sens
où l'âme est harmonie des facultés en puissance du corps.
De même, le bon groupe harmonise les différentes puissances de
chacun de ses membres. De par cette nature plus proche de l'âme que du
corps, le gouvernement collectif présente enfin un dernier
avantage : l'indifférence aux passions.
- la masse comme un plat assaisonné : le paradigme
de l'indifférence aux passions : (III, 15, 1286 b 5)
La masse est présentée comme plus difficilement
corruptible qu'un individu. Elle est en effet moins intéressée,
et d'une manière générale, moins sujette aux passions.
« En effet, quand ils sont tous réunis, ils
possèdent une juste perception des choses, et mélangés aux
meilleurs ils sont utiles aux cités, comme un aliment impur
mélangé à un aliment pur rend le tout plus profitable
qu'une trop petite quantité d'aliment pur. Par contre, pris
individuellement chacun a un jugement imparfait. 189(*) »
Alors que les qualités de la foule sont
multipliées, ses défauts sont divisés. Lorsqu'un individu
est mauvais, son vice est comme noyé dans la masse. Bien plus, il
apporte quelque chose de bon à la masse, comme une goutte de vinaigre
qui fait prendre un plat, et le rend ainsi meilleur.
Le grec ne dit pas exactement que chaque jugement est
« imparfait », il dit qu'il est « sans
fin » (
?ôåë?ò).
Seul l'homme libre sait se fixer sa propre fin. L'homme de la masse a besoin de
la collectivité pour avoir une fin à ses actions et à ses
jugements, pour les finaliser.
« De plus, la multitude est plus difficile à
corrompre : comme l'est une plus grande quantité d'eau, la masse
est plus difficile à corrompre que des gens peu nombreux. Or quand un
individu est dominé par la colère ou quelque autre passion de ce
genre, il est nécessaire que son jugement soit altéré,
alors que dans l'autre cas c'est toute une affaire pour que tous ensemble se
mettent en colère et se trompent.190(*) »
La masse n'est pas soumise aux mêmes défauts que
les individus. Panique, conformisme, lâcheté, il semble pourtant
qu'elle ait des défauts graves. Les passions concernent les individus
dans leur particularité. Elles s'annulent si le groupe présente
de la diversité. S'il est unité composé d'une multitude,
alors elles s'additionnent. C'est pourquoi, toute masse n'est pas bonne.
- ces comparaisons s'appliquent à une certaine sorte de
masse
Le chapitre III, 11, est souvent considéré comme
un passage-clé, notamment par ceux qui font d'Aristote un
démocrate. Pour F. Wolff, la souveraineté de la masse est la
solution au problème de la bonne constitution : « Tous
les prétendants à la souveraineté viennent d'être
déboutés au cours du chapitre précédent. La
souveraineté populaire serait-elle la solution ? Oui,
répond Aristote, en avançant ce que nous appelerons l'argument
fondamental (1281 a 42 - 1281 b 15) : la masse, prise en corps, est
supérieure aux individus même les
meilleurs. »191(*) Oui, la masse est supérieure aux individus,
mais, faudrait-il ajouter : si elle présente certaines
qualités. De la même façon qu'il existe des beaux tableaux
et des laids, et que ceux-ci seront inférieurs aux modèles, alors
que ceux-là seront supérieurs, de la même façon, il
existe des bonnes et des mauvaises masses.
« Qu'une différence de ce type existe entre
la foule et un petit nombre de gens vertueux existe pour tout peuple et pour
toute masse, ce n'est pas évident, et dans certains cas, par Zeus, c'est
sans doute impossible (car le même argument s'appliquerait aussi aux
bêtes sauvages
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=a%28rmo%2Fseie&bytepos=205191&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057,
et, en vérité, en quoi certaines foules diffèrent-elles
pour ainsi dire des bêtes sauvages?). Mais rien n'empêche que ce
que nous avons dit soit vrai, mais vrai d'une certaine sorte de masse.
192(*) »
Il faut ne pas confondre n'importe quelle sorte de masse (
ð?í
ðë?èïò)
à une certaine sorte de masse (
ô?
ðë?èïò).
Il existe des sortes de masse qui en effet se rapprochent plus de l'animal que
de l'homme. L'animal n'est pas capable de percevoir le bien ou le juste.
« Or avoir de telles notions en commun, c'est ce qui fait une famille
et des cités. 193(*) » La cité ne fonctionne qu'avec des
citoyens qui sont pleinement hommes. Ceux-ci doivent pouvoir percevoir le juste
et le bien, afin de mener des actions collectives. Si la masse est servile, ou
animale, alors l'assemblée ne formera pas un
« tout », mais bel et bien un « tas ».
Pour certains peuples, les bons, des individus sans aucune compétence
peuvent accéder à des fonctions importantes. Ces fonctions sont
malgré tout définies et délimitées. Toutes ne sont
pas ouvertes aux incompétents.
« C'est pourquoi , au moyen de ces
considérations, on pourrait résoudre la difficulté
exposée plus haut et celle qui la suit : sur quoi les hommes libres,
c'est-à-dire la masse des citoyens - tous ceux qui ne sont ni riches ni
pourvus d'aucun titre à aucune excellence- doivent-ils être
souverains? 194(*) »
3.2.3. Sur quoi les hommes libres doivent-ils
être souverains ? (III, 11, 1281 b 22 - 38)
Les qualités de la délibération
collective confèrent au peuple le droit de délibérer. Le
pouvoir délibératif n'est pas un os à ronger donné
au peuple, pour qu'il comble ses désirs d'honneurs. Il est l'essence
même de la souveraineté. Celui qui a le pouvoir
délibératif est souverain dans la constitution195(*). Mais cette
souveraineté sera indirecte, au sens où ce ne sera pas le peuple
qui commandera, mais les magistrats que lui-même aura élu.
- Accès aux fonctions délibératives et
judiciaires (
âïõëå?åóèáé
êá?
êñ?íåéí),
mais pas aux magistratures individuelles.
« D'un côté, en effet, les admettre aux
plus hautes magistratures n'est pas sans péril, du fait que leur
injustice et leur déraison leur feront commettre, l'une des actes
injustes, l'autre des erreurs. Mais d'un autre côté, ne leur
concéder aucune part du pouvoir est redoutable: quand beaucoup de ses
membres sont privés des honneurs publics et misérables, il est
inévitable qu'une cité soit remplie d'ennemis. Il reste donc
à faire participer ces gens-là aux fonctions
délibérative et judiciaire. Voilà aussi pourquoi Solon et
certains autres législateurs leur assignent la désignation aux
magistratures et la vérification des comptes des magistrats, mais ils ne
les laissent pas gouverner individuellement. 196(*) »
Gouverner individuellement (
?ñ÷åéí
ä?
êáô?
ì?íáò)
doit rester l'apanage des hommes compétents. Il faut donner une part du
pouvoir au peuple, ou à la communauté des hommes de bien, et une
autre part aux individus compétents. Les individus de la masse ont donc
le pouvoir d'élire les magistrats (
ô?ò
?ñ÷áéñåó?áò),
mais pas de devenir eux-mêmes magistrats (
?ñ÷åéí).
C'est là l'heureux mélange (
ìå?îáíôá
êáë?ò)
197(*) qu'a
établi Solon et qu'Aristote évoque au chapitre II, 12 :
« Il établit une démocratie, celle du temps de nos
pères, en mélangeant harmonieusement plusieurs
éléments dans la constitution.198(*)» Ce mélange ici détaillé
comporte exactement les modalités décrites au chapitre VI, 4
à propos de la démocratie rurale. La bonne masse, quoique en
grande partie désengagée du pouvoir politique, aurait donc,
malgré tout, une vertu collective qu'elle mettra en oeuvre dans les
assemblées indispensables.
Lorsqu'il ne participe pas au pouvoir, le peuple devient
mauvais. Le refus d'exclure la masse du pouvoir découle aussi du constat
réaliste que trop d'exclusion entraîne des révoltes. Il ne
faut pas qu'une partie du peuple, même si celle-ci participe aux conseils
et aux assemblées, soit privée d'honneurs. Mais ce qui
apparaît ici comme une mesure préventive ne doit pas faire oublier
les vertus qu'il véhicule aussi.
- le juste milieu entre lois, constitution, et magistratures
Si le pouvoir se divise nécessairement en magistratures
collectives et en magistratures individuelles, le débat entre la
position élitiste platonicienne et la position collectiviste (au sens
politique) aristotélicienne semble insoluble. Le peuple est meilleur
dans un domaine, l'individu compétent dans un autre, le pouvoir
oscillerait entre ces deux sphères. Ce serait le cas s'il n'y avait un
troisième terme à cette alternative : la loi. Qui doit
gouverner ? La loi.
« Mais la difficulté mentionnée en
premier lieu rend manifeste ceci, mieux que toute autre chose: il faut que ce
soit les lois qui soient souveraines si elles sont correctement
établies, et que le magistrat, qu'il y en ait un ou plusieurs, soit
souverain dans les domaines où les lois sont absolument incapables de se
prononcer avec précision du fait qu'il n'est pas facile de
définir une règle universelle dans tous les domaines. Il est vrai
que ce que doivent être les lois correctement établies, cela n'est
pas encore clair, et la difficulté initiale demeure toujours.
199(*) »
Si la cité appartenait au monde supralunaire, les lois
suffiraient, car la loi n'est rien d'autre qu'un ordre. « La loi est
un certain ordre, c'est-à-dire que la bonne législation est un
ordre harmonieux.200(*) » Mais l'harmonie de l'ici-bas est
toujours et sans arrêt rompue. Les magistrats qui gouvernent doivent
cependant faire en sorte de rapprocher au plus possible l'ordre de la
cité de l'ordre des lois, même si c'est impossible.
Il faut donner le pouvoir souverain aux lois (
äå?
ôï?ò
í?ìïõò
å?íáé
êõñ?ïõò)
201(*). Tant que faire
ce peut, la cité doit être gouvernée par des règles
universelles (
êáè?ëïõ) ;
mais, et c'est là que se pose le problème de la
démocratie, il faut accorder un autre domaine de souveraineté aux
magistrats là où les lois cessent d'être efficaces. Mais ce
n'est là qu'un domaine second par rapport aux lois, une sorte de
pis-aller pour compenser l'imperfection de ce monde sublunaire 202(*). Peu importe que les
magistrats soient un ou plusieurs. Finalement, dira-t-on, que le choix des
magistrats se fasse de manière démocratique, oligarchique ou
monarchique, cela n'a pas d'importance, pourvu que la loi règne. Mais la
loi ne règne pas partout. On est dans une sorte d'aporie.
La solution serait de remettre le pouvoir dans les mains d'un
bon monarque qui verrait la juste décision à prendre pour chaque
cas particulier. Mais ce serait alors un régime d'arbitraire. Entre ces
deux extrêmes, la règne de la loi, et le règne de la
décision individuelle, se tient la préférence
d'Aristote. La délibération collective permet de juger les
cas particuliers, sous la souveraineté de la loi.
« Qu'il soit donc nécessaire que cet homme
soit législateur et qu'il y ait des lois, c'est évident, mais
elles ne doivent pas être souveraines là où elles
dévient de ce qui est bon, alors qu'elles doivent être souveraines
dans les autres domaines. Là où la loi n'est pas capable de
trancher du tout ou de trancher bien, faut-il que ce soit un seul individu, le
meilleur, qui gouverne, ou tous les citoyens ? En fait, en effet, ce sont
les citoyens qui rendent la justice, délibèrent, décident,
et ces décisions portent toutes sur des cas particuliers. 203(*) »
Au chapitre « Avantages et inconvénients de
la royauté », la délibération collective est
présentée comme une solution. Mais ici, les membres
délibérants sont des hommes de bien. Le gouvernement qui est
proposé en creux est une aristocratie. Aristocratie ou
démocratie, le problème n'est pas là. Il est
ailleurs : les lois sont-elles en accord avec leur constitution ?
« Mais à l'image des constitutions, les lois
sont nécessairement mauvaises ou bonnes, c'est-à-dire justes ou
injustes. Ce qui est toutefois manifeste, c'est qu'il faut accorder les lois
à la constitution. Mais s'il en est ainsi, il est évident que
celles qui correspondent à des constitutions droites seront
nécessairement justes, et celles qui correspondent à des
constitutions déviées injustes.204(*) »
Ce « point fondamental de la philosophie politique
d'Aristote205(*) » est le suivant : la constitution
est antécédente aux lois, et celles-ci doivent être
produites en accord avec celle-là (
äå?
ðñ?ò
ô?í
ðïëéôå?áí
êå?óèáé
ôï?ò
í?ìïõò).
L'important est de commencer par établir une constitution droite, ce qui
est plus ou moins possible, comme on l'a vu, en fonction des peuples. Si
celle-ci est droite, alors d'une part les lois seront correctement
établies206(*),
c'est-à-dire elles-mêmes droites, et, de l'autre, elles seront
souveraines. Les lois ne font que découler de la nature de la
constitution. C'est pourquoi les démocraties extrêmes où la
loi n'est plus souveraine, ne sont plus des constitutions. Mais elles ne l'ont
jamais été. Pour l'éviter, il faut respecter ce
« principe de la constitutionnalité des
lois » 207(*). Une constitution juste, et la démocratie
comme les autres, ne doit donc pas s'attacher qu'aux magistratures, mais aussi
et surtout aux lois.
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Pauvres ou riches, profanes ou compétents, la justice
doit garder la même ligne directrice : celle du juste milieu. C'est
pourquoi, en pratique, le pouvoir doit être réparti de la
manière suivante. Le peuple a le choix d'élire les magistrats et
de le révoquer, mais pas celui de commander. C'est une certaine forme de
pouvoir. Il est juste que le peuple choisisse qui va décider, mais
injuste qu'il décide directement.
La démocratie juste serait finalement constituée
d'une structure à quatre étages. Tout en haut, se trouve la
constitution : elle est la forme de gouvernement qui s'accorde le mieux
à un peuple donné, à un moment donné de son
histoire, et à un lieu géographique donné. Viennent
ensuite les lois : elles donnent les règles universelles de la
cité, en accord avec la constitution, et constitue en quelque sorte
l'âme de la constitution. Plus en bas, c'est-à-dire plus dans
l'imperfection, se trouvent les magistrats : ils répondent aux
failles laissées par les lois, celles des cas particuliers. Enfin, au
sol, se trouve l'immense peuple qui élisent les cas particuliers
eux-mêmes chargés de résoudre les cas particuliers. Dernier
échelon, de cette hiérarchie démocratique, le peuple n'en
est pas moins la base.
La constitution n'est pas une idée platonicienne. Elle
est la forme conforme à la nature d'un peuple. L'organisation politique
inférieure est plus artificielle, mais fait en sorte que la nature de la
cité soit respectée. Le respect de la constitution n'est pas un
impératif moral. Il est ce qui, réellement, permet la sauvegarde
des constitutions, et des démocraties.
4. La sauvegarde des démocraties
La sauvegarde n'est pas pour Aristote le choix d'une politique
du pire, selon laquelle il vaudrait mieux construire que sauvegarder un vieux
régime, mais que dans l'impossibilité de construire, alors mieux
vaudrait sauvergarder ce qu'on a déjà. Sauvegarder un
régime, c'est le rendre bon, car est bon ce qui dure. Aristote
privilégie le conserver (
ô?
ó?æçôáé)
sur l'établir (
ô?
êáôáóô?óáé) .
Le législateur doit avant tout chercher à assurer la
stabilité (
ô?í
?óö?ëåéáí)
du régime, et en éviter la ruine. Le bonheur est quelque chose de
stable et la stabilité du bonheur ne tient pas à la fortune, mais
à l'activité vertueuse.208(*) Comme le bon est plus difficile à atteindre
que le mauvais, la sauvegarde d'un régime est plus difficile à
accomplir que son établissement. C'est même la tâche la plus
ardue.
« Mais pour le législateur et ceux qui
veulent édifier quelque constitution de ce genre, ce n'est pas de
l'établir qui est la tâche la plus ardue, mais plutôt
d'assurer sa sauvegarde. Car il n'est pas difficile de faire durer un, deux ou
trois jours n'importe quel gouvernement. C'est pourquoi il faut, suivant nos
considérations antérieures sur les modes de sauvegarde et de
ruine des constitutions, essayer d'en assurer la stabilité, en le
prémunissant contre les facteurs de ruine, et en établissant des
lois, aussi bien non écrites qu'écrites, telles qu'elles
contiendront le plus possible de quoi assurer le salut de ces
constitutions.209(*) »
Avant d'étudier comment Aristote envisage la sauvegarde
des démocraties au chapitre VI, 5, il faut comprendre quelles sont les
facteurs de ruine, c'est-à-dire les causes des changements dans les
démocraties.
« C'est de la sauvegarde des constitutions, à
la fois en général et de chacune d'entre elles, dont il faut
parler ensuite. Il est d'abord évident que, si nous saisissons ce par
quoi les constitutions sont détruites, nous saisissons aussi ce par quoi
elles assurent leur sauvegarde.210(*) »
C'est l'objet du chapitre V, 5.
4.1. Les changements (
ô?ò
ìåôáâïë?ò) dans
les démocraties (V, 5, 1304 b 21 - 1305 a 35)
La thèse principale du chapitre V, 5 est que
« les démocraties changent principalement du fait de l'audace
des démagogues.211(*) » Il y a deux phases à distinguer dans
le changement occasionné par le démagogue : d'abord leur
accession au pouvoir, dont Aristote ne parle pas explicitement au chapitre V,
5, puis leur action proprement dite.
- L'arrivée des démagogues
Le changement se fait souvent d'une manière brutale.
Arrivent au pouvoir ceux qui n'y étaient pas préparés,
ceux qui n'ont jamais reçu d'éducation intellectuelle, et qui se
trouvent donc séduits par ceux qui flattent leurs désirs bas.
D'une manière générale, le changement de
constitution naît d'une disproportion, d'une rupture de l'harmonie du
corps civique. « Des changements de constitutions adviennent du fait
d'un accroissement hors de proportion d'une de leur partie. 212(*) » Or il faut que
la cité conserve de la proportion entre ses partis, comme l'âme
est ce qui proportionne les parties du corps. Les démocraties
extrêmes adviennent souvent à la suite d'une catastrophe. A
Athènes, ce sont les guerres qui favorisent l'émergence de la
plèbe sur la scène politique. « la masse des marins,
qui avait été l'artisan de la victoire de Salamine et par
là de l'hégémonie dûe à la puissance maritime
rendit la démocratie plus forte. 213(*) » C'est une situation
déterminée qui favorise l'émergence des démagogues.
« Le peuple ayant entre ses mains la suprématie navale pendant
les Guerres Médiques en conçut de l'orgueil, et prit le parti des
mauvais démagogues. 214(*) » Les démagogues arrivent dans ce
contexte historique de crise, dont ils savent tirer partie. La
conséquence philosophique en a déjà été
analysée par Platon au livre VIII de la
République : les démocrates, qui n'ont jamais
jusque là reçu d'éducation, sont ignorants. Les pauvres,
jeunes et ignorants, sont alors nécessairement attirés par le
miel du frelon 215(*),
qu'est le démagogue. Leur action est alors mauvaise.
- L'action des démagogues
Aristote remotive le topos du démagogue vicieux (
ðïíçñ?í
äçìáãùã?í)216(*), énoncé par
Euripide : « La foule est chose redoutable lorsque ses chefs
sont des pervers. 217(*) » Elle est redoutable y compris pour
elle-même, puisque son action aboutit au renversement des
démocraties (
?
äçìïêñáô?á
ìåô?âáëå)
et à l'établissement des oligarchies. Les démagogues
calomnient les riches, de sorte que ceux-ci s'unissent
óõí?ãåé
contre la cité.
« Dans presque tous les autres cas, on peut
constater, si l'on y regarde bien, que les changements se déroulent de
la même manière : pour plaire au peuple, les
démagogues tantôt provoquent une coalition des notables en les
traitant injustement, soit en partageant leurs patrimoines, soit en les
affectant au paiement des charges publiques tantôt ils calomnient les
riches pour pouvoir confisquer leurs biens.218(*) »
Platon, au même livre de la République,
évoque l'injustice de l'action des pauvres face aux riches, quand ils
sont menés par les démagogues. Leur action est la même que
celle ici décrite, à ce détail près, qu'elle ne
trouve pas de sanction immédiate. « La démocratie
apparaît lorsque les pauvres, ayant remporté la victoire sur les
riches, massacrent les uns, bannissent les autres et partagent avec ceux qui
restent gouvernement et charges publiques.219(*) » Pour Aristote, ces actions sont
mauvaises pour la démocratie, parce qu'elle mène
irrémédiablement à sa perte.
Parmi tous les exemples cités au chapitre V, 5, la
succession des événements menant à la chute des
démocraties est en effet toujours la même : spolliation,
coalition des spolliés, et chute du régime. Ou bien les
démagogues-calomniateurs (
óõêïöáíôï?íôåò)220(*) confisquent (
äçìå?åéí)221(*) les richesses des notables,
ou bien ils ne leur remboursent pas ce qu'ils avaient prêté
à la cité, comme à Rhodes. Toujours, dans un
deuxième temps, les notables s'allient
(óõí?óôçóáí)222(*), comme à Cos, forment
une coalition (
óõóô?íôåò)223(*), comme à Rhodes, se
liguent (
?èñïéóè?íôåò)224(*) comme à
Héraclée, pour, dans un dernier temps, renverser la
démocratie (
êáôáë?óáé
ô?í
ä?ìïí
225(*)) et
établir l'oligarchie. Les changements obéissent donc à un
schéma quasi déterminé et extrêmement simple
: l'appât du gain est source de crise. Le pire qui puisse arriver
à une cité est quand elle devient source de profit. Le vice du
peuple, même des bonnes sortes de peuple est d'être
appâté par le gain (
ôï?
ê?ñäïõò) :
« Car la plupart de ces gens courent plutôt après le
gain qu'après les honneurs226(*) » , écrit Aristote à propos
des paysans.
Ce schéma se met surtout en place dans les
périodes de guerre. La dénonciation (eisangélie)
des riches et la confiscation qui s'ensuivait servaient, dans les
démocraties extrêmes, en effet à renflouer les caisses de
l'Etat, notamment pour payer les rétributions 227(*). Ce qu'Aristote souligne ici
n'est donc pas une constante du régime démocratique, c'est, d'une
part, un risque conjoncturel, de l'autre, un risque qui ne guette que les
démocraties extrêmes.
Les richesses (
÷ñ?ìáôá)
des notables constituent la principale pierre d'achoppement des régimes
démocratiques. Le risque de la dernière espèce de
démocratie est donc un risque crématistique. Les
démagogues flattent la cupidité du peuple pour tirer profit de la
cité. « Mais la règle cardinale dans toute
constitution c'est qu'elle soit organisée, tant du point de vue des lois
que de celui de n'importe quelle administration, de telle manière que
les magistratures ne soient pas source de profit.228(*) »
- Un risque analogue à une guerre
S'il se concentre avec tant d'insistance sur la version
négative de la démocratie, c'est que celle-ci n'est pas
seulement, pour reprendre sa typologie, le pire des régimes
« modérés », mais qu'elle est
réellement une tyrannie, c'est-à-dire la pire des constitutions,
quoiqu'elle garde le nom fallacieux de régime populaire.
« Dans les temps anciens, quand un même
individu devenait démagogue et stratège la constitution se
changeait en tyrannie. Car la grande majorité des anciens tyrans
étaient sortis du rang des démagogues. La cause pour laquelle il
en était ainsi à cette époque, alors que ce n'est plus le
cas aujourd'hui, c'est qu'alors les démagogues étaient pris parmi
les chefs militaires , car on n'était pas alors habiles en l'art des
discours, alors qu'aujourd'hui avec le développement de la
rhétorique, ceux qui sont capables de parler deviennent
démagogues, mais du fait de leur inexpérience guerrière
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=ou%29k&bytepos=365951&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057,
ils ne s'attaquent pas à la constitution, même si ça et
là, il y a eu quelques tentatives de ce genre. 229(*) »
Auparavant, les démagogues avaient le courage de
renverser les démocraties par les armes pour y établir une
tyrannie à leur avantage. Désormais, la situation demeure
inchangée, les démagogues ont toujours les mêmes mauvaises
intentions, seulement, pour différentes raisons, - leur
inexpérience guerrière, l'absence de concentration des pouvoirs
telle qu'elle avait cours dans la royauté archaïque, l'importance
de la population urbaine, la puissance militaire des démocraties - ils
n'ont ni le courage ni la force de s'attaquer à la constitution, et
préfèrent établir une autre sorte de tyrannie, avec la
complicité du peuple qu'il séduit grâce à ses
talents rhétoriques, une tyrannie qui ne dit pas son nom, mais aussi
éloignée du bon régime que l'étaient les tyrannies
archaïques. Cette démocratie est donc plus proche de la tyrannie
que de la bonne forme de démocratie, qui porte pourtant son nom. Les
démagogues despostiques n'ont pas besoin de détruire la
démocratie par les armes, ils la détruisent de
l'intérieur.
Les changements dans la démocratie tiennent
principalement à deux écueils : la personne du
démagogue, et la personne du peuple. Dans les Cavaliers
d'Aristophane, le démagogue incarné par le Marchand de boudin est
un flatteur habile et pervers, Démos est présenté comme un
vieillard stupide et cupide. On retrouve à peu près ces
données chez Aristote, si bien que pour sauver les démocraties,
il nous faut distinguer deux modes d'intervention principaux. Le premier
permettra d'éviter le premier écueil : il sera
institutionnel et consistera dans le choix de magistrats compétents. Le
second évitera le deuxième écueil, l'incitation à
la cupidité du peuple : il sera économique.
4.2. La sauvegarde des démocraties (VI, 5, 1319
b 34 - 1320 b 16)
Sauvegarder c'est faire vivre longtemps. La sauvegarde
implique la paix et l'aisance durable. Quelle économie propre à
la démocratie permettra alors de la faire durer? L'égalité
implique-t-elle une répartition égalitaire des richesses, ou un
abandon de la propriété ? Quels sont les meilleurs moyens de
sauvegarde ? Car, à côté des mesures institutionnelles
et économiques, se tient un moyen privilégié de faire
durer une constitution : l'éducation. Aristote n'en parle pas
explicitement au chapitre VI, 5, traitant de la sauvegarde des
démocraties, mais c'est que l'éducation est un moyen important
pour faire accéder à la vertu les citoyens de chaque
constitution.
4.2.1. Réponse politique : garder des
magistrats compétents
Au chapitre IV, 4, Aristote évoque succintement ce
qu'il faut pour obtenir une démocratie à proprement parler (
äçìïêñáô?á
êõñ?ùò)230(*), c'est-à-dire un bon
gouvernement, le terme ayant ici, un sens positif. Les magistrats ne doivent
pas être inquiétés dans l'exercice de leur fonction, car
eux seuls peuvent traiter les cas particuliers. Pour les assemblées,
elles devront obéir aux lois, et non se laisser aller à tout
régler par les décrets. Une bonne démocratie doit toujours
être gouvernée par des magistrats compétents. On ne peut
pas supprimer les chefs d'une cité, car ils seront remplacés par
les démagogues. Un bon régime démocratique doit juxtaposer
deux modes de fonctionnement : d'une part le fonctionnement direct tel
qu'il a cours à l'assemblée, de l'autre le fonctionnement
indirect tel qu'il doit avoir cours dans les magistratures.
Mais donner au peuple l'élection de tous les magistrats
est encore risqué. Car, celui-ci peut facilement se laisser flatter.
Face à la menace des démagogues, il est meilleur de mettre en
place une démocratie doublement indirecte, où le peuple
élit un magistrat, par exemple un magistrat de tribu, qui sera
lui-même chargé d'élire les magistrats de la
cité.
« Il y a aussi des changements qui font passer de la
démocratie traditionnelle à sa forme la plus récente, car
là où les magistratures sont électives et où
l'élection est faite par le peuple sans condition de cens, ceux qui
briguent les charges ont recours à la démagogie, au point de
rendre le peuple souverain même des lois. Un remède qui supprime
cet inconvénient, ou du moins qui en diminue l'effet, c'est de confier
l'élection aux magistrats des tribus et non au peuple tout entier.
231(*) »
A la fin du chapitre V, 5, Aristote ébauche la
description d'une solution, d'un remède. Il y a une maladie dans la
cité : ce sont les démagogues, ceux qui briguent les charges
(
ï?
óðïõäáñ÷é?íôåò).
A cette maladie, on peut apporter un remède (
?êïò),
qui est purement institutionnel. Cette mesure vise en lieu ultime à
éviter confiscations et collectivisations. C'est pourquoi elle doit se
doubler de mesures économiques.
4.2.2. Réponse économique : la
propriété sera déclarée sacrée
- s'opposer aux confiscations
« Mais les démagogues d'aujourd'hui, pour
plaire aux masses, font prononcer beaucoup de confiscations par les tribunaux.
C'est pourquoi, il faut, pour s'opposer à ces pratiques, que ceux qui se
soucient de la constitution établissent une loi disant que les biens
des condamnés ni ne reviendront au peuple ni ne seront versés au
trésor public, mais seront déclarés sacrés.
232(*) »
Le principal danger, on l'a vu, est la démagogue, et
pour cause : le démagogue n'est pas un démocrate : il
fait changer les démocraties, soit en une oligarchie soit en une
démocratie extrême. Or une constitution qui change est
nécessairement mauvaise. Il faut donc se prémunir contre les
actions judiciaires des démagogues. Les biens des condamnés
doivent faire l'objet d'une protection contre différentes pratiques.
Pour trouver des financements, le peuple et les démagogues utilisent
différents types de mise en accusation. La plus fréquente,
après l'eisangélie, est le graphé
paranomon. Ceux qui intentent des actions (
ôï?ò
å?ê?
ãñáöïì?íïõò)233(*), sont ceux qui intentent des
« graphé paranomôn », ces procédures
qui consistent à attaquer un décret et son créateur sous
prétexte que celui-là est anticonstitutionnel
(paranomon)234(*). Ceux-là donc devront recevoir de lourdes
pénalités. Le législateur doit s'opposer à la
confiscation des biens (
äçìå?ïõóé),
c'est-à-dire à leur don au peuple, et au contraire les
déclarer sacrés (
?åñ?í).
Il vaut mieux réduire les dépenses que
d'augmenter les recettes. Il vaut mieux réduire les coûts
consacrés au fonctionnement de la cité que de s'attirer
l'hostilité des notables.
« Puisque les démocraties extrêmes ont
une population importante et qu'il leur est ainsi difficile de réunir
à l'assemblée des gens non rémunérés, mais
que, là où les revenus publics sont inexistants, cela provoque
l'hostilité des notables (car alors l'argent viendrait
nécesairement d'un impôt, de confiscations, de tribunaux iniques,
toutes choses qui ont déjà provoqué la chute de bien des
démocraties), là donc où les revenus publics sont
inexistants, il faut convoquer peu d'assemblées et ne réunir les
tribunaux composés de beaucoup de membres que quelques jours.235(*) »
Les démocraties extrêmes sont
nécessairement « polyanthropes » (
ðïëõ?íèñùðï?),
et doivent nécessairement payer les indemnités à tous ces
hommes. D'une part, elle ne peut fonctionner avec des citoyens non
rémunérés
(?ìéóèïò), de l'autre, elle ne peut
puiser dans les ressources, déjà peu élevées, des
riches par le biais des confiscations, sans risquer une guerre civile. C'est
pourquoi les réunions et assemblées doivent être rares. On
convoquera toujours des assemblées avec des gens
rémunérés mais plus rarement (
äå?
ðïéå?í
?ë?ãáò
?êêëçó?áò)236(*), de même pour les
tribunaux. Cette solution présente un autre avantage, qui est de faire
participer les riches aux tribunaux.
Il est donc, pour Aristote, plus important de préserver
l'amitié des riches, quitte à exclure les pauvres du pouvoir, que
d'envisager une réforme égalisatrice. Aristote ne parle cependant
pas d'établir une oligarchie. Les tribunaux composé de beaucoup
de membres (
äéêáóô?ñéá
ðïëë?í)
restent une institution typiquement démocratique 237(*). Il ne s'agit donc pas de
transformer en nature la constitution démocratique, mais de l'affaiblir,
de l'endormir, ou encore d'adapter ses activités à la mesure de
ce qu'elle peut faire : limiter la vie politique aux réunions
indispensables (
ô?ò
?íáãêá?áò
óõí?äïõò)238(*).
En quoi après tout ces mesures économiques ne
sont-elles pas oligarchiques ? Si les pauvres ont le pouvoir, mais qu'ils
ne peuvent redistribuer les richesses, la démocratie n'est-t-elle pas
alors seulement une démocratie théorique ? En fait, Aristote
propose des mesures économiques à l'avantage des pauvres, mais
qui se distinguent d'une simple redistribution ou d'une indemnisation.
- orienter les pauvres vers certains travaux
Ces mesures sont l'apanage des démocraties riches.
« Là où il y a des revenus publics, il
ne faut pas faire ce que les démagogues font en réalité
(ils distribuent, en effet, les sommes restantes; mais au moment même
où ils les perçoivent, les gens en réclament encore
autant: c'est le tonneau percé que cette façon de venir en aide
aux gens modestes), mais le gouvernement véritablement populaire doit
prendre garde à ce que la masse ne soit pas trop démunie, car
c'est là une cause qui vicie la démocratie. 239(*) »
Les cités avec revenus doivent faire face à
un problème : la répartition de l'excès des
richesses. Les subventions et rétributions sont comparées
à un tonneau percé (
?
ôåôñçì?íïò
ð?èïò).
Il ne suffit pas de donner quelque chose pour que le receveur en fasse quelque
chose de bien. Il n'y a pas réellement de philosophie du don chez
Aristote. Tout acte est un acte commun, avec certes, des puissances
inégales de part et d'autres. Mais pour que l'acte se réalise, il
faut que les deux partis agissent. Aristote ne parle pas de mendiant, ni de
charité.
Les aides aux pauvres doivent correspondre à diverses
incitations à la création d'entreprises, soit agricole en leur
payant un petit domaine foncier, ou une prise en ferme 240(*), soit commerciale avec une
mise de fonds (?öïñì?) pour un commerce. Il faut,
comme l'ont fait les Carthaginois, donner aux pauvres les moyens (
?öïñì?ò)
de les orienter vers certains travaux (
ôñ?ðåéí
?ð'
?ñãáó?áò)241(*).
« Il faut donc s'ingénier à ce que
l'aisance devienne durable, et puisque cela est aussi à l'avantage des
gens aisés, il faut, après avoir rassemblé les recettes
publiques, les répartir, en une seule fois entre les gens modestes,
avant tout pour qu'ils accèdent à la propriété d'un
petit domaine foncier s'il est possible de leur donner une somme suffisante,
sinon comme mise de fond pour un commerce ou une exploitation
agricole.242(*) »
Les réformes ne sont pas seulement économiques.
S'il suffisait d'enrichir les pauvres, de simples subventions suffiraient. Mais
dans le financement de l'orientation vers certains travaux, il y a plus. Les
pauvres prennent une habitude de vie, professionnelle et donc politique. Le but
n'est pas non plus de créer des richesses agricoles, ce que les grandes
propriétés font déjà très bien. Il est de
faire en sorte que chacun trouve la place qui lui revient. L'économie
doit aider à rendre vertueux. Elle demande un effort de la part des
pauvres : un travail.
Tout se passe comme si dans la bonne cité
aristotélicienne, les citoyens, pouvaient, et économiquement et
politiquement, finir par se passer, non pas de la cité, mais du pouvoir.
Peut-être, parce que, comme on l'a vu, dans la cité
réussie, les hommes sont amis, et qu'ils peuvent vivre alors comme
au-dessus des lois. Les hommes vertueux se gouvernent eux-mêmes :
ils deviennent libres. Tel est l'idéal de la stabilité politique,
qui rapprocherait le plus possible le monde d'ici-bas à
l'immuabilité du monde supra-lunaire. Celle-ci ne s'atteint que par
l'amitié, et non par les réformes brutales, car, une fois
l'amitié acquise, tout devient possible, y compris une
répartition de la part des riches généreux. Il semble que
ce soit ce qu'Aristote attende de mieux pour la stabilité de la
cité démocratique : son modèle est donné par
l'exemple des riches Carthaginois243(*) à la fois généreux et
sensés. La politique doit davantage inciter aux initiatives justes que
les forcer. Toute transformation radicale sera mauvaise.
- refuser les collectivisations (II, 5, 1262 b - 1264 b 25)
Le foncier est privé, mais les produits sont
consommés en commun.
« La meilleure solution est que les biens soient
privés, et qu'ils soient rendus communs par leur usage.244(*) »
La collectivisation radicale n'est pas réalisable et,
produirait, si elle était tentée, des profits qui ne valent pas
le bouleversement de la tradition ni ne compensent les pertes qu'elle
entraînerait245(*). La sacralisation de la
propriété n'est pas un principe moral. Elle découle chez
Aristote du constat de l'irréalisabilité politique des
collectivisations. Elle repose également sur un principe
anthropologique, opposé au platonisme : c'est la
méchanceté humaine et non la propriété
privée en elle-même qui aboutit à l'injustice. Il faut donc
saisir le mal à sa racine, et non dans ses symptômes :
« Certes, cette législation platonicienne a
un visage riant et semblerait bien traduire de l'amour pour le genre
humain : celui qui en entend parler l'accueille avec joie, pensant qu'elle
établira quelque merveilleuse amitié de tous à
l'égard de tous, surtout quand on impute à l'absence de
communauté des biens tous les vices qui existent actuellement dans les
différentes constitutions, je veux dire des procès
intentés à propos de contrats, des jugements pour faux
témoignages, des flatteries à l'égard des riches. Or ces
maux n'adviennent pas de l'absence de communauté des biens, mais du fait
de la perversité humaine, puisque nous voyons que ceux qui
possèdent des biens en commun et en partagent la jouissance ont beaucoup
plus de différends que ceux qui ont un patrimoine propre.246(*) »
Pour Platon, « Nul n'est méchant
volontairement.247(*) » : c'est pourquoi le
législateur platonicien apparaît comme un médecin. Les
collectivisations constituent un remède idéal aux maux de la
société. Pour Aristote, il n'est pas réellement de cause
aux maux. Le mal est en chacun de nous. Nous ne sommes pas les objets d'un mal
extérieur. « La méchanceté est quelque chose
à quoi l'on consent.248(*) » Aussi une telle réforme n'aurait
pas de sens, car la « méchanceté
humaine »249(*) ne serait pas moindre, au contraire, si l'homme
était dépossédé au profit de la
collectivité. Aristote est donc porté à envisager l'action
salvatrice des lois dans le sens d'une éducation de
l'homme-propriétaire tel qu'il est, plutôt que dans le sens d'une
transformation de l'homme dans le collectif. La juste mesure incite donc
à privilégier l'éducation sur des réformes
démiurgiques.
4.2.3. Réponse culturelle :
l'éducation démocratique
« De tous les moyens indiqués pour assurer la
durée des constitutions, le plus important est celui que tout le monde
néglige actuellement: c'est un sytème d'éducation conforme
au régime politique. 250(*) »
La thèse générale d'Aristote est que la
loi doit éduquer les citoyens, car c'est par les lois que l'on devient
bon, et non les créer. C'est pourquoi les lois doivent s'accorder
à la constitution, elle-même en accord avec la nature d'une
cité. Le législateur oublie trop souvent ce principe de la
postérité des lois par rapport à la constitution.
« L'art politique ne fabrique pas d'hommes, mais les reçoit de
la nature pour s'en servir.251(*) » Ce jugement est lourd de
conséquences. Il dénonce tout projet en quelque sorte
« démiurgique », qui assimile la politique à
une oeuvre de production et prétend disposer, avec l'homme, d'une
matière première à transformer. 252(*) La critique des moyens
employés aux fins de dérives démagogiques
préfigurerait alors une critique des régimes totalitaires
contemporains.
« Il est étrange que celui qui entend
introduire un système d'éducation en pensant ainsi la rendre
vertueuse, soit d'avis de se servir des dispositions citées plus haut
comme moyens de correction, et non des moeurs, de la philosophie et
des lois, comme l'a fait le législateur à
Lacédémone et en Crète en établissant une
certaine communauté de biens par le biais de repas en
commun.253(*) »
Les régimes spartiate et crétois qui ont
préféré à une collectivisation des biens de type
platonicienne, « établir une certaine communauté de
biens par le biais de repas en commun. »254(*) L'exemple des repas en
commun n'est pas pris au hasard. Cette pratique a servi de comparaison au
chapitre III, 11, avec la délibération collective. La
théorie est donc en accord avec la pratique. De la même
façon que dans le repas en commun, chacun apporte ce qu'il peut à
manger selon sa richesse, dans l'assemblée, chacun apporte ce qu'il peut
selon ses qualités. Le certain collectivisme économique est donc
en harmonie avec la mise en commun proprement politique. Le repas payé
par un individu est moins bon que le repas à frais commun. Ce qui arrive
de l'extérieur sans que l'individu y participe n'est pas efficace. Ainsi
des grosses réformes économiques, décrétées
ex nihilo par un législateur. Les réformes des moeurs l'emportent
sur les pures réformes politiques pures, parce qu'elles entrainent une
conversion psychologique des individus en la faveur de la constitution, ce qui
ne peut se faire que par l'éducation, laquelle s'appuie sur la formation
intellectuelle (c'est ici le sens de philosophie), l'usage et les lois qui,
quand elles ont un laps de temps suffisant, agissent de la même
manière que l'usage. Plutôt que de décréter ex
abrupto un « régime communiste 255(*) », les
législateurs spartiates et crétois ont mis en place une
législation qui inclinait les individus à un certain
collectivisme. L'éducation permet de rendre les citoyens vertueux.
Cette vertu consiste en l'amitié. La tâche du
législateur est en effet avant toute chose que les hommes s'entendent
bien : « L'oeuvre de la politique consiste surtout, de l'avis
général, à engendrer l'amitié.256(*) » Aussi la
série de mesures préventives des diverses spolliations sous-tend
une idée fondamentale de la cité. Le premier impératif,
avant toute chose, c'est que la cité soit unie : « Et
quand les hommes sont amis, il n'y a plus besoin de justice.257(*) », il n'y a plus
besoin de propriété car « tout est commun entre
amis258(*) ».
Aussi, que la conception de la justice dominante soit démocratique ou
oligarchique, cela importe peu, car l'amitié, engendrée par une
bonne éducation, remplace ces principes abstraits de justice.
Conclusion : la nature de chaque chose
La démocratie n'est pas la politie, parce qu'elle se
trompe d'échelle. La politie vise l'avantage commun. La
démocratie, comme tout régime dévié, vise
l'avantage particulier. L'échelle de la démocratie est celle de
l'individu, l'échelle de la politie est celle de la cité. Il faut
toujours avec Aristote envisager la politique comme un effort vers un ordre
supérieur. Le peuple délibère pour donner le pouvoir
à des magistrats compétents. Les magistrats commandent en
essayant de respecter les lois. Les lois sont elles-mêmes soumises
à la constitution. Et c'est tout. Au-delà, il n'y a rien. La
constitution n'est en effet rien d'autre qu'une organisation de
magistratures259(*). Les
magistrats doivent gouverner en accord avec la constitution, la constitution
n'est qu'une mise en accord des magistratures : c'est une tautologie.
Mais cette tautologie n'est pas un vice logique. Il faut
concevoir l'organisation de la cité, non comme une ligne verticale, mais
comme un cercle. La bonne cité n'est pas celle qui monte le plus haut et
qui dépasse les autres, elle est un cercle. La bonne cité n'est
pas le modèle de toutes les cités. La bonne cité est la
cité autarcique. Sorte de serpent qui se mord la queue, la bonne
constitution aristotélicienne semble, en bien des points, fuyante, sinon
abberrante. La bonne cité est difficilement concevable - d'ailleurs elle
est à peine conçue -, parce qu'elle est unique. Il peut y avoir
une infinité de bonnes cités toutes différentes les unes
des autres, bien que partageant quelques traits de modération (classe
moyenne, respect de la propriété, répartition des
magistratures), et ce seront des gouvernements constitutionnels. Aristote ne
cherche pas « la » cité idéale, et c'est
pourquoi il cite tant d'exemples. Il ne conçoit que des êtres
particuliers, ou des compositions d'êtres particuliers, et qui sont
souvent plus complexes qu'une idée pure. C'est pourquoi aussi, le
lecteur cherchant désespérément dans la Politique
à quoi resssemble le bon gouvernement, est pris entre une masse de
réponses différentes, qu'il ne pourra synthétiser
qu'à l'aide d'une réponse de Normand.
Et en quelque sorte, Aristote nous fait des réponses de
Normand tout le temps, mais à une affirmation près, et qui n'est
pas des moindres : « la cité a une nature qui lui est
propre. » C'est un principe, à partir duquel tout est dit et
plus rien ne sera à dire. Toute cité a une nature qui lui est
propre, et c'est à partir de cette nature que la constitution
s'organise, que les lois s'organisent, que les magistratures s'organisent, et
que tous s'engagent dans le cercle de l'autarcie. Il n'y a qu'une chose
à respecter : c'est la nature propre de chaque chose. Et c'est
pourquoi Aristote insiste tant sur le « pour
qui »260(*) - davantage que sur le
« pourquoi » - de chaque constitution. A chaque situation,
changeante, complexe, il y a une réponse, mais dans l'abstrait et le
général, Aristote n'en formule pas.
On butte là sur les limites mêmes de la
philosophie politique, et de la philosophie en général. Comment
en effet produire des concepts, si l'on ne peut regrouper des objets qui
se ressemblent ? Si toute chose a une nature qui lui est propre, il n'est plus
besoin de trouver de causes aux comportements, ni de couper à ces
réponses tautologiques : une cité est telle parce que c'est
sa nature ; une cité est mauvaise, parce qu'elle ne suit pas sa
nature, une cité est bonne parce qu'elle suit sa nature. Mais bonne, par
rapport à quoi, et nous étrangers non-héllènes et
d'une autre époque, parlons-nous même du même
« bon » ?
Ce réalisme ne se solde pourtant pas, bien au
contraire, par un abandon de la pensée. Tout dépend une fois de
plus de ce qu'on appelle pensée. Si la pensée est la
réduction des particularismes à du commun, alors non, la
philosophie politique d'Aristote ne vaut rien. Et on trouvera plus de
pensée chez Platon. Si, en revanche, la pensée est la saisie de
la spécificité de chaque être, et l'incitation à la
saisir, alors oui, Aristote, pense. Et ce qu'il dit de la politie, et de la
démocratie, doit encore nous parler.
Que dit-il finalement ?
La démocratie est mauvaise, parce que,
précisément, elle ne pense pas. La théorie
démocratique est dure, rigide, généralisante. Pour une
réalité humaine infiniment riche et diverse, elle vient
lourdement poser pour tous, pour toute cité et pout tout le temps, son
principe de liberté, aussi absurde que séduisant : un homme
vaut un homme. Qu'il soit riche, pauvre, intelligent, stupide, esclave,
maître, thète, paysan, voire de sexe masculin ou de sexe
féminin, un homme vaut un homme. La démocratie nivelle, c'est
bien connu. Elle nivelle exactement comme les oligarques applatissent la
cité sous leur théorie tout aussi simplificatrice : tout a
un prix, et une pièce d'or vaut un espèce d'or. Pour les
démocrates, l'unité marchande est l'homme.
Aussi, ne nous empressons pas de crier au scandale parce
qu'Aristote est anti-démocrate. D'ailleurs, la question n'est plus
là. Aristote peut être démocrate, dans certains cas, et
farouchement anti-démocratre dans d'autres : tout dépend,
une fois de plus, de la cité considérée, de son peuple, et
de son degré d'évolution. Un peuple qui, sortant d'une longue
période de tyrannie, baigné dans l'ignorance depuis son enfance,
et dans l'amour quasi exclusive des biens matériels, du fait de sa
pauveté, arrive brutalement dans une démocratie, court de toute
évidence à sa perte. Il n'y est pas prêt. Que vaut-il mieux
pour lui : qu'il reste dans la forme constitutionnelle traditionnelle,
possiblement une tyrannie, mais en paix et dans une relative aisance ; ou
qu'il tombe aussitôt dans les mains de démagogues, qui profitant,
de son appétit aiguisé par de longs jeûnes, redistribue les
richesses, en prenant aux riches, mais au risque de déclencher une
guerre civile ou un renversement du régime ? Notre approche moderne
du politique valorise la prise de risque et pencherait plutôt, en termes
plus nuancés, vers la deuxième solution. Mais après tout,
lorsque nous nous demandons « tel peuple est-il prêt pour la
démocratie ? » n'accréditons-nous pas plutôt la
position aristotélicienne ? Par ailleurs, les équivalents
modernes des « confiscations » antiques - impôts
très élevés, nationalisations...- , ont pu historiquement
entraîner, non pas une coalition armée, mais du moins une fuite
massive de capitaux, comme ce qu'on a appelé le « mur de
l'argent » de 1936. Ce sont des exemples, et uniquement des
exemples, mais on voit bien qu'ils trouvent une effectivité
historique : les régimes de partis (au sens politique mais aussi et
surtout économique), démocratie comme oligarchie, tiennent
mal.
Les gouvernements déviés tiennent mal parce
qu'ils négligent l'unité de la cité. La démocratie
a certes le mérite de prendre pour elle la partie la plus nombreuse, par
rapport à un monarque ou à des oligarques. Mais elle ne casse pas
moins l'unité de la cité pour autant, en plusieurs fractions, et
le pouvoir ne revient pas à tous, mais à une « fraction
majoritaire » (
ô?
ðë?ïí
ì?ñïò)261(*). La bonne unité est
celle de la diversité. De la même façon que les
cités sont différentes, de la même façon, les hommes
le sont. Et chacun a sa nature propre. Le problème philosophique
rencontré plus haut semble se durcir. Comment décidément
pourrons-nous fixer une « politique », et en cela le titre
de P . Pellegrin est bon, comment le pourrons-nous, si même
l'anthropologie qu'elle suppose n'est pas fixe ? Comment pourrons-nous
nous entendre sur les cités si nous ne savons même pas ce qu'est
« l' » homme ? Qu'est-ce que, et existe-t-elle, cette
philosophie politique du juste milieu ?
Le juste milieu n'est pas un abandon de la pensée, mais
une leçon reçue par les choses, une leçon de juste mesure.
Il faut prêter attention aux choses, c'est-à-dire aux
singularités. Le réalisme aristotélicien n'est pas le bon
gros point de vue du « réalisme » politique qui
invite à honorer le bon sens, les évidences, et les
clichés. Le réel est cette infinie complexité, qui invite
toujours à se remettre en question, à chercher et à
avancer. Le réalisme est cette humilité face à la chose.
Nous avons à apprendre de chaque chose. On touche là à un
fondement ontologique de la philosophie d'Aristote. Chaque être a de la
puissance. C'est pourquoi chaque chose nouvelle est à connaître,
car son intellection nécesite à chaque fois un acte commun entre
le connaissant et le connaissable. Ainsi de la cité, ainsi des peuples,
ainsi des démocraties : leurs cas sont à reconsidérer
à chaque fois, car le naturel n'est pas l'universel.
Le naturel n'est pas plus l'intemporel. Ce peuple de
travailleurs ignorants, subitement sortis de son joug politique, que nous
évoquions tout à l'heure, ce même peuple peut changer et un
jour accéder à la démocratie, peut-être. Mais ce ne
sera pas forcément mieux : ce sera différent. Car le bien
ne vaut que par rapport à lui-même. Ce sera mieux si c'est
adapté. Le bon gouvernement, le gouvernement constitutionnel, n'est
rien d'autre que la constitution en accord avec la nature de sa cité.
Examinons donc la nature de chaque, quitte à trouver des natures
communes, et trouvons une forme adaptée qui la respecte. Telle est cette
méthode politique à la fois modeste, déroutante, et
parfois décevante, une méthode qui ne prend pas de risques, mais
qui, ce faisant, en évite beaucoup, et en évite des grands.
Bibliographie
1. - Textes d'Aristote
1.1) Les traductions modernes des Politiques
- ARISTOTE, La Politique, nouvelle traduction avec
introduction, notes et index par J. Tricot, Paris, Vrin, 1962.
- ARISTOTE, Politique, texte grec et traduction
française par J. Aubonnet, Paris, Les Belles Lettres, 5 vol.,
1960-1989.
- ARISTOTE, Les politiques, introduction, notes, et
bibliographie par P. Pellegrin, Paris, Flammarion, 1990.
1.2) Autres oeuvres d'Aristote
- ARISTOTE, Ethique à Nicomaque,
édition et traduction R. Bodéüs, Paris, Flammarion, 2004.
- ARISTOTE, Rhétorique, édition et
traduction M. Duffour, Paris, éd. des Belles Lettres, 1960.
- ARISTOTE, Métaphysique, édition et
traduction J. Tricot, Paris, éd. Vrin, 1953.
- ARISTOTE, Constitution d'Athènes,
édition et traduction G. Mathieu et B. Haussoullier, Paris, Belles
Lettres, 1941.
- ARISTOTE, Ethique à Eudème,
édition et traduction, préface et notes d'E. Lavielle, Paris,
Pocket, 1999.
2. - Textes antiques et médiévaux autour
de la démocratie
2.1) Platon
- PLATON, Les Lois, traduites par E. des Places
(I-VI), puis par A. Diès (VII-XII), Paris, Les Belles Lettres,
1951-1956.
- PLATON, La République, traduite par P.
Pachet, Paris, Gallimard, 1993.
- PLATON, Le Politique, traduit par A. Petit, Paris,
Hachette, 1996.
2.2) Autres auteurs antiques
- ARISTOPHANE, L'Assemblée des femmes,
traduction M.-J. Alfonsi, Paris, Flammarion, 1966.
- ARISTOPHANE, Les Cavaliers, traduction M.-J.
Alfonsi, Paris, Flammarion, 1966.
- CICERON, De la République, traduit par E.
Bréguet, Paris, Belles Lettres, 1989.
- DEMOSTHENE, Sur les affaires de Chersonèse,
traduit par C. Terreaux, Paris, Arléa, 1998.
- DEMOSTHENE, Contre Aristogyton, traduit par G.
Matthieux, Paris, Les Belles Lettres, 1958.
- POLYBE, Histoires, Paris, établi par E.
Foulon et traduit par R. Weil, Paris, Les Belles Lettres, 1995.
- XENOPHON, La constitution des Athéniens,
traduction F. Ollier, Gallimard, Paris, 1996.
2.3) Auteurs médiévaux
- MARSILE DE PADOUE, Defensor pacis, traduit et
annoté par A. Gewirth, New-York, Columbia University Press, 2001.
- ORESME, Nicole, Maître Nicole Oresme Le Livre
de Politique d'Aristote, éd. critique de A.D.Menut,
Philadelphie,1970.
- THOMAS D'AQUIN, Somme théologique, traduit
et annoté par J. Tonneau, Paris, éditions du Cerf, 1998.
- THOMAS D'AQUIN, In octo libros Politicorum
Aristotelis expositio, éd. R.M.Spiazzi, Turin, Rome,1966.
3.- Textes modernes
3.1) Introduction historique
- BORDES, J., Politeia dans la pensée grecque
jusqu'à Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 1982.
- BRULE, P., DESCAT, R. (dir.), Le monde grec aux temps
classiques, Paris, PUF, 2004.
- CARLIER, P. (ed.), Le IVe siècle av.
J.-C. Approches historiographiques, Nancy et Paris, De Boccard, 1996
- COOPER, F., MORRIS, S., "Dining in round buildings", in
MURRAY 1989.
- DEMONT, P., Le tirage au sort des magistrats à
Athènes : un problème historique et historiographique,
dans F. Cordano et C. Grottanelli (eds.), Sorteggio pubblico e cleromanzia,
dall'antichità all'età moderna, Milano, Et, 2001, pp.
63-81.
- GLOTZ, G., Le Travail dans la Grèce ancienne.
Histoire économique de la Grèce depuis la période
homérique jusqu'à la conquête romaine, Paris, F.
Alcan, 1920.
- GLOTZ, G., La Cité grecque, Paris, Albin
Michel, 1928.
- HANSEN, M. H., La démocratie athénienne
à l'époque de Démosthène, traduction
par S. Bardet, Paris, Belles Lettres, 1993.
- MEIER, C., Introduction à l'anthropologie
politique de la Grèce antique, éd. de la M.S.H., 1986.
- MOSSE, C., Les institutions grecques, Paris, Armand
Colin, 1996, .
- MOSSE, C., La démocratie grecque,
Paris, M.A. éditions, 1986.
- MOSSE, C., La fin de la démocratie
athénienne : aspects sociaux et politiques du déclin de la
Cité au IV e siècle avant J.C, Publications de la
Faculté des Lettres et de sciences humaines de Clermont Ferrant,
1962.
- MURRAY, O., "L'homme grec et les formes de
sociabilité", in VERNANT, Jean-Pierre (dir.), L'homme grec,
Seuil, 1993.
- OBER, J., Political Dissent in Democratic Athens.
Intellectual Critics of Popular Rule, Princeton, Princeton University
Press, 1998.
- SCHMITT - PANTEL, P., "Les repas au Prytannée et
à la Tholos dans l'Athènes classique. Sitésis,
trophé, misthos: réflexions sur le mode de nourriture
démocratique.", Annali dell' Istutito Orientale di Napoli,
n°2, 1980, pp.55-68.
3.2) Sur la démocratie
- ARENDT, H., Condition de l'homme moderne, Paris,
Calmann-Lévy, 1983.
- BAECHLER, J., Démocraties, Paris,
Calmann-Lévy, 1985.
- FINLEY, M. I., Démocratie antique et
démocratie moderne, traduction de l'anglais par M. Alexandre,
Paris, Payot, 1976 (éd. originale 1972).
- HANSEN, M. H, The origin of the term
«demokratia», « Liverpool Classical
Monthly », XI (1986), pp. 35-36.
- PRADEAU, J.-F., Platon, les démocrates et la
démocratie. Essai sur la réception contemporaine de la
pensée politique platonicienne, Naples, Bibliopolis, 2005.
- RAAFLAUB, K. A., Equalities and Inequalities in Athenian
Democracy, in J. Ober et C. Hedrick (eds.), Demokratia. A Conversation
on Democracies, Ancient and Modern, Princeton, Princeton University Press,
1996, pp. 139-174.
- ROMILLY, J. de, Problèmes de la démocratie
grecque, Paris, Hermann, 1975.
- ROMILLY, J. de, "Le classement des constitutions
d'Hérodote à Aristote", Revue des Etudes Grecques, 72,
1985.
- ROMILLY, J. de, L' élan démocratique
dans l'Athènes ancienne, Paris, éditions de Fallois,
2005.
- STAVELEY, E. S., Greek and Roman Voting and
Elections, London, Thames and Hudson, 1972.
- STRAUSS, L., Qu'est-ce que la philosophie
politique?, Paris, PUF, 1992.
- VERNANT, J.-P., Les origines de la pensée
grecque, Paris, PUF, 1962.
- VIDAL-NAQUET, P., La démocratie grecque vue
d'ailleurs, Paris, Flammarion, 1990.
3.3) Sur Aristote et la démocratie
- AUBENQUE, P., "La loi selon Aristote", Archives de
philosophie du droit, t.25 (1980), pp.147-157.
- AUBENQUE, P., La prudence chez Aristote, Paris,
PUF, 1963.
- AUBENQUE, P., Aristote politique, Paris, PUF,
1993.
- BODEUS, R., Aristote. La justice et la Cité,
Paris, PUF, 1996.
- GOBRY, I., La philosophie pratique d'Aristote,
Presses Universitaires de Lyon, 1995.
- HOURDAKIS, A., Aristote et l'éducation,
Paris, PUF, 1998.
- LEVEBVRE, C., "Approches aristotéliciennes de
l'égalité entre les citoyens" dans "La méthodogie
d'Aristote", RIP, 133-134 (1980), pp.541-565.
- LEFEBVRE, R., Politiques. Aristote, Paris,
Ellipses, 1997.
- La "Politique" d'Aristote, "Entretiens sur
l'Antiquité Classique", tome IX, Vandoeuvres-Genève, 1965.
- LOMBARD, J., Aristote, politique et
éducation, Paris, L'Harmattan, 1994.
- MOREAU, J., Aristote et son école, Paris,
PUF, 1962.
- NEWMANN, W.L., The politics of Aristotle, 4. vol.,
Oxford, Clarendon Press, 1887-1902.
- SINACOEUR (dir.), M.A., Aristote aujourd'hui,
Paris, Toulouse, Erès, UNESCO, 1988.
- SIMPSON, P. L. P., A philosophical commentary on the
Politics of Aristotle, The Univerrsity of North Carolina, 1997.
- VANNIER, G., L'esclave dans la cité.
Aristote, éthique et politique, Paris, PUF, 1999.
- VERGNIERES, S., Ethique et politique chez Aristote,
Physis, Ethos, Nomos, Paris PUF, 1995.
- VON FRITZ et KAPP, K. et E., "The development of
Aristotle's Political Philosophy and the concept of nature", extrait de
Aristotle's Constitution of Athens and Related Texts, New-York,
1950.
- WEIL, Raymond, Aristote et l'Histoire. Essai sur la
Politique, Thèse principale pour le Doctorat de Lettres
présentée devant la Faculté de Lettres de Paris, LIbrairie
C. KLINCKSIECK, 1960.
- WOLFF, F., Aristote et la politique, Paris, PUF,
1995.
- WOLFF, F., Aristote démocrate,
« Philosophie », XVIII, 1988, pp. 53-87.
Table des matières
Introduction : démocratie et gouvernement
constitutionnel
1. « La définition du régime
populaire c'est la liberté
(?ëåõèåñ?á). »
1.1. Approches de la notion de liberté par ses notions
contraires
1.1.1. Approche économique : la notion de
liberté contre la notion d'aisance (III, 8, 1279 b 11 - 1280 a 6)
1.1.2. Approche sociologique : la notion de
liberté contre la notion de bonne naissance (IV, 4, 1290 a 30 -
1280 a 6)
1.2. La liberté est le principe de base (
?ð?èåóéò)
de la démocratie (VI, 2, 1317 a 40 - 1317 b 17)
1.2.1. La liberté démocratique prise comme lieu
commun
1.2.2. La liberté prise comme alternance
1.2.3. La liberté prise comme le « vivre
comme on veut » (
ô?
æ?í
?ò
âï?ëåôá?
ôéò)
1.3. Les caractéristiques des démocraties (
ô?
äçìïôéê?)
(VI, 1, 1317 a 17 - 1317 a 39 ; et VI, 2, 1317 b 17 - 1318 a 4)
1.3.1. Présentation des caractéristiques (VI, 1,
1317 a 17 et suivants)
1.3.2. Enumération des caractéristiques (VI, 2,
1317 b 17 - 1318 a 4)
2. Les espèces de démocratie :
souveraineté de la masse ou souveraineté de la loi.
2.1. Classification institutionnelle (IV, 4, 1291 b 30 - 1292
a 39)
2.1.1. Les espèces qui respectent les lois
2.1.2. La cinquième espèce de
démocratie
2.2. Les classifications selon les parties du peuple (
ô?
ì?ñç
ôï?
ä?ìïõ)
(IV, 6, 1292 b 22 - 1293 a 11)
................................................2
...................................................6
...................................................6
...................................................6
...................................................7
..................................................9
..................................................9
................................................10
................................................12
................................................13
.................................................13
................................................15
................................................20
................................................20
.................................................20
.................................................21
................................................23
2.3. Classement selon la qualité
déterminée (
ô?
ðïé?í
ôéíá)
de chaque partie de peuple (VI, 4, 1318 b 6 - 1319 b 33)
2.3.1. Le bon mode de vie des paysans et des pâtres (VI,
4, 1318 b 6 - 1319 a 6)
2.3.2. Le mauvais mode de vie (
?
â?ïò
öá?ëïò)
des autres sortes de masse (VI, 4, 1319 a 1 - 1319 b 33)
3.1. Justice entre riches et pauvres (III, 9, 1280 a 7 - 1280
a 30 et VI, 3, 1318 a 11 - 1319 b 5)
3.1.1. Mauvais jugement des oligarques, mauvais jugement des
démocrates (III, 9, 1280 a 7 - 1280 a 30)
3.1.2. Le bon jugement de la majorité économique
(VI, 3, 1318 a 11 - 1319 b 5)
3.2. Justice entre spécialistes et profanes (III, 11,
1281 a 40 - 1282 b 13)
3.2.1 Critique du paradigme platonicien du médecin
(III, 11, 1281 b 38 - 1282 b 13)
3.2.2. Les paradigmes aristotéliciens (III, 11, 1281 a
40 - b 21)
3.2.3. Sur quoi les hommes libres doivent-ils être
souverains ? (III, 11, 1281 b 22 - 38)
4. La sauvegarde des démocraties
4.1. Les changements (
ô?ò
ìåôáâïë?ò) dans
les démocraties (V, 5, 1304 b 21 - 1305 a 35)
4.2. La sauvegarde des démocraties (VI, 5, 1319 b 34 -
1320 b 16)
4.2.1. Réponse politique : garder des magistrats
compétents
4.2.2. Réponse économique : la
propriété sera déclarée sacrée
4.2.3. Réponse culturelle : l'éducation
démocratique
................................................26
................................................26
................................................29
.................................................33
................................................33
................................................33
................................................36
................................................38
................................................39
................................................41
................................................46
................................................50
................................................50
................................................53
................................................54
................................................54
................................................58
Bibliographie
Table des matières
.................................................63
.................................................68
* 1 Politique, III,
7, 1279 a 30
* 2 Politique, III,
7, 1279 b 5-10
* 3 Politique, IV, 7,
1293 a 35 - b 1
* 4 Politique, IV, 1,
1288 b 21 - 28
* 5 Politique, IV, 8,
1293 b 30-35
* 6 Politique, IV, 8,
1293 b 30-35
* 7 Politique, VI,
4, 1319 a 33
* 8 Platon, Le
Politique, 302 e sq
* 9 Politique, IV,
2, 1289 b 7 - 9
* 10 Politique, IV,
2, 1289 b 2
* 11 Politique, IV,
2, 1289 b 8
* 12 Politique, IV, 8,
1294 a 10
* 13 Politique, III,
7, 1279 b 9
* 14 Politique, III,
8, 1279 b 16 - 20
* 15 Hansen M.-H., La
démocratie athénienne, Paris, 1993, Les Belles Lettres, p.
96
* 16 Politique, III,
8, 1280 a 1 - 5
* 17 Politique, IV, 4,
1290 a 30 - 35
* 18 Politique, IV,
4, 1290 a 30
* 19 Platon,
Politique, 303 a
* 20 Politique, IV,
4, 1290 a 37
* 21 Politique, IV,
4, 1290 b 5
* 22 Politique, IV, 4,
1290 b 1 - 4
* 23 Hansen, p. 103.
* 24 Politique, IV,
4, 1290 b 8 - 20
* 25 Tricot, p. 269.
* 26 Politique, IV,
4, 1290 b 9
* 27 Politique, VI, 1,
1317 a 16 - 19
* 28 Politique, VI,
2, 1317 b 16
* 29
République, VIII, 562b
* 30
voir :Politique, I, 4, 1254 a 14 ; III, 4, 1277 b 3 ;
VIII, 2, 1337 b 17 et ss. ; Métaph., A, 2, 982 b 25.
* 31 Aristote, La
Politique, traduit et annoté par J.Tricot, Vrin, 1962, Paris, p.
431.
* 32 Politique, III,
4, 1277 b 3
* 33 Métaph.,
L, 2, 982 b 25
* 34 Politique, VI,
2, 1317 b 13
* 35 Politique, VI, 2,
1317 b 2 - 10
* 36 Politique,
III, 16, 1287 a 16 -17.
* 37 Politique,
III, 6, 1279 a 8 - 14
* 38 Wolff, F., Aristote
et le politique, p. 109.
* 39 Politique, VI, 2,
1317 a 40 - b 15
* 40 Politique, V,
9, 1310 a 34.
* 41 Platon, Lois,
III, 698 a
* 42
Métaphysique, L, 10, 1075 a 19-22.
* 43 Politique, IV, 4,
1292 a 4-18
* 44 Platon,
République, VIII, 557 b
* 45 Politique, VI, 1,
1317 a 16 - 22
* 46 Pellegrin, note 10 p.
415
* 47 Politique, VI,
1, 1317 a 19
* 48 Pellegrin, note 11 p.
415
* 49 Politique, VI,
1, 1317 a 20 - 23
* 50 Politique, VI, 1,
1317 a 23- 29
* 51 Politique, VI,
1, 1317 a 24
* 52 Politique, VI,
1, 1317 a 31
* 53 Politique, VI, 1,
1317 a 29 - 38
* 54 Tricot, note 1 p. 430
* 55 Politique, VI,
1, 1317 a 37
* 56 Pellegrin, note 14 p.
415.
* 57 Pellegrin, note 2 p.
278
* 58 Pellegrin, note 13 p.
415
* 59 Politique, VI,
2, 1317 b 20
* 60 Hansen, La
démocratie athénienne, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p.
264
* 61 Politique, VI,
2, 1317 b 20
* 62 Politique, VI,
2, 1317 b 23
* 63 Politique, VI,
2, 1317 b 24
* 64 Politique, VI,
2, 1317 b 42
* 65 Politique, VI,
2, 1318 a 1
* 66 Pellegrin, note 14 p.
420.
* 67 Politique, VI,
2, 1317 b 21 - 22
* 68 Politique, VI,
2, 1317 b 23
* 69 Politique, VI,
2, 1317 b 26 - 28
* 70 Tricot, p. 433
* 71 Politique, VI, 2,
1317 b 28 - 32
* 72 Pellegrin, note 8 p.
419
* 73 Politique, VI, 2,
1317 b 32 - 34
* 74 Hansen, p. 287.
* 75 Politique, IV,
15, 1299 b 36 - 46
* 76 Politique, IV,
15, 1299 b 31.
* 77 Politique, VI,
2, 1317 b 32
* 78 Politique, VI,
2, 1317 b 35
* 79 Politique, VI, 2,
1317 b 35 - 38
* 80 Hansen, p. 95
* 81 Hansen, p. 95.
* 82 Politique, IV,
4, 1292 a 3
* 83 Politique, IV,
4, 1292 a 4
* 84 Politique, IV,
4, 1291 b 37
* 85 Politique, IV,
4, 1292 a 3
* 86 Politique, IV,
4, 1292 a 1
* 87 Pellegrin, note 14 p.
293
* 88 Politique,
III, 2, 1276 a 6.
* 89 Politique, IV,
1, 1275 a 22 -24.
* 90 Politique, IV, 4,
1292 a 4 - 37
* 91 Platon, Le
politique, 297 b - e
* 92 Ethique à
Nicomaque, 1280 a 15, et 1280 b 25
* 93 Hansen, p. 208
* 94 Politique, IV, 4,
1292 a 33 - 37
* 95 Platon,
Définitions, 415 b, cité par Hansen, p. 205.
* 96 Politique, IV, 4,
1292 a 7 - 12
* 97 Politique, IV,
4, 1292 a 7
* 98 Politique, IV,
4, 1292 a 23
* 99 Politique, IV,
4, 1292 a 22
* 100 Pellegrin, note 15 p.
294
* 101 Platon,
République, VIII, 560 a
* 102 Politique,
1111b - 1112 a
* 103 Politique, IV,
4, 1292 a 13 - 15
* 104 Iliade, II,
204
* 105
Métaphysique, L, 10, 1076 a 4, cité dans Aubenque, p.
255.
* 106 Tricot, p. 277
* 107 Politique, IV,
6, 1292 b 25 - 35
* 108 Politique,
IV, 6, 1292 b 29
* 109 Politique,
IV, 6, 1292 b 36
* 110 Politique,
IV, 4, 1292 a 2
* 111 Politique,
IV, 6, 1292 b 37
* 112 Politique, IV,
6, 1293 a 2
* 113 Politique,
IV, 6, 1292 b 40
* 114 Hansen, p. 127
* 115 Politique, IV,
6, 1293 a 1 - 11
* 116 Romily, J. de, p. 104
* 117 Politique,
VI, 4, 1319 a 5
* 118 Politique,
VI, 2, 1317 b 42
* 119 Politique,
VI, 4, 1319 a 5
* 120 Politique, VI,
4, 1318 b 6 - 11
* 121 Politique,
IV, 13, 1297 b 24.
* 122 Politique,
IV, 14, 1298 b 15.
* 123 Hansen, p. 343.
* 124 Politique, VI,
4, 1318 b 12 - 22
* 125 Politique, VI,
4, 1318 b 29 - 34
* 126 Romilly, J. de,
Problèmes de la démocratie grecque, p. 95.
* 127 Politique, VI,
4, 1318 b 38 - 1319 a 4
* 128 Hansen, p. 259.
* 129 Politique, VI,
4, 1319 a 6 - 10
* 130 Pellegrin, note 6 p.
426
* 131 Politique,
VI, 4, 1319 a 20 - 23
* 132 Politique, VI,
4, 1319 b 33 - 37
* 133 Politique,
VI, 4, 1319 a 40
* 134 Politique, VI,
4, 1319 a 24 - 32
* 135 Politique,
III, 4, 1277 a 38 - b 7
* 136 Politique, VI,
4, 1319 b 6 - 12
* 137 Pellegrin, note 15 p.
428
* 138 Politique,
VI, 4, 1319 b 3
* 139 Hansen, p. 125.
* 140 Politique,
VI, 4, 1319 b 13
* 141 Politique,
VI, 4, 1319 b 15
* 142 Politique,
VI, 4, 1319 b 27
* 143 Politique, I,
4, 1254 a 13
* 144 Politique, I,
2, 1252 b 4F
* 145 Politique, I,
3, 1253 b 8
* 146 Politique, I,
12, 1259 b 1
* 147 Politique,
V, 11, 1313 b 33
* 148 Politique,
VI, 4, 1319 a 27
* 149 Eth., V, 1229 a
40
* 150 Politique,
V, 1, 1301 b 30 et suivants
* 151 Politique,
V, 1, 1301 b 35 - 40
* 152 Van der Meeren, p.
116
* 153 Bodéüs,
p. 73
* 154 Politique, III,
9, 1280 a 8 - 17
* 155 Eth., 1131 a
29
* 156 Politique, III,
9, 1280 a 17- 25
* 157 Politique, III,
9, 1280 a 25 - 30
* 158 Politique,
III, 9, 1280 a 31 - 36
* 159 Politique,
III, 9, 1280 a 31
* 160 Moreau J.,
Aristote et son école, Paris, PUF, 1962, p. 236
* 161 Politique, VII,
1, 1323 b 40
* 162 Politique, III,
6, 1278 b 20
* 163 Platon,
République, II, 369 b
* 164 Politique, VI,
3, 1318 a 13 - 17
* 165 Politique, VI,
3, 1318 a 22 - 27
* 166 Politique,
VI, 3 , 1318 a 34
* 167 Politique, VI,
3, 1318 a 31 - 33
* 168 Pellegrin, note 4 p.
422
* 169 Politique, VI,
3, 1318 b 1 - 5
* 170 Politique, III,
10, 1281 a 14 - 17
* 171 Platon, Le
politique, 294 a
* 172 Politique, III,
11, 1281 b 39 - 1282 a 3
* 173 Lois, IV,
719
* 174 Politique,
III, 11, 1282 a 9
* 175 Politique,
III, 11, 1282 a 4 - 7
* 176 Eth., 1180 b
20
* 177 Politique,
III, 11, 1282 a 18 - 23
* 178 Politique, III,
11, 1282 a 34 - 42
* 179 Platon, Le
politique, 303 a
* 180 Politique, III,
11, 1280 b 38 6
* 181 Politique, III,
11, 1281 b 1 - 42
* 182 Politique, III,
11, 1281 b 4 - 7
* 183 Politique, I,
2, 1252 b 32
* 184 Lefebvre, R.,
Politique d'Aristote, Paris, Ellipses, 1997, p. 44
* 185 Politique, III,
11, 1281 b 8 - 10
* 186 Politique, IV,
14, 1298 b 20
* 187 Politique, III,
11, 1281 b 10 - 15
* 188 Pellegrin, note 5 p.
241.
* 189 Politique, III,
11, 1281 b 34 - 37
* 190 Politique, III,
15, 1286 a 22 - 37
* 191 Wolff, p. 110.
* 192 Politique, III,
11, 1281 b 15 - 22
* 193 Politique, I,
2, 1253 a 17
* 194 Politique, III,
11, 1281 b 22 - 26
* 195 Politique, IV,
14, 1298 b 20
* 196 Politique, III,
11, 1281 b 26 - 34
* 197 Politique,
II, 12, 1273 b 38
* 198 Politique,
II, 12, 1273 b 38
* 199 Politique, III,
11, 1282 b 1 - 8
* 200 Politique, VII,
4, 1326 a 30
* 201 Politique,
III, 11, 1282 b 2
* 202 Wolff, p. 113
* 203 Politique, III,
15, 1286 a 22 - 27
* 204 Politique, III,
11, 1282 b 8 - 11
* 205 Pellegrin, note 9 p.
245
* 206 Politique,
III, 11, 1282 b 7
* 207 Van der Meeren, p.
119
* 208 Eth., 1100 a 30
- 1100 b 20
* 209 Politique,
VI, 5, 1319 b 34-40
* 210 Politique, V,
8, 1307 b 26-30
* 211 Politique,
V, 5, 1304 b 22
* 212 Politique,
V, 3, 1302 b 9
* 213 Politique,
V, 4, 1304 a 23.
* 214 Politique,
II, 12, 1273 b 13.
* 215 Platon,
République, 560 a
* 216 Politique,
V, 5, 1304 b 28
* 217 Euripide,
Oreste, 772 - 773.
* 218 Politique,
V, 5, 1305 a 1-6
* 219 Platon,
République, 557 b
* 220 Politique,
V, 5, 1304 b 22
* 221 Politique,
V, 5, 1304 b 37
* 222 Politique,
V, 5, 1304 b 27
* 223 Politique,
V, 5, 1304 b 31
* 224 Politique,
V, 5, 1304 b 34
* 225 Politique,
V, 5, 1304 b 27
* 226 Politique, VI,
4, 1318 b 17
* 227 Hansen, pp. 251 -
253.
* 228 Politique, V,
8, 1308 b 32
* 229 Politique, V,
5, 1304 b 7 - 15
* 230 Politique,
IV, 4, 1292 a 37
* 231 Politique, V,
5, 1305 a 28 - 34
* 232 Politique,
VI, 5, 1320 a 5-8
* 233 Politique,
VI, 5, 1320 a 13
* 234 Hansen, p. 241.
* 235Politique, VI,
5, 1320 a 17 - 24
* 236 Politique,
VI, 5, 1320 a 23
* 237 Pellegrin, note 2 p.
431
* 238 Politique,
VI, 5, 1320 b 4
* 239 Politique, VI,
5, 1320 a 29 - 36
* 240 Pellegrin, p. 432
* 241 Politique,
VI, 5, 1320 b 9
* 242 Politique, VI,
5, 1320 a 35 - 1321 b 1
* 243 Politique,
VI, 5, 1320 b 9
* 244 Politique, II,
5, 1263 a 37
* 245 Bodéüs,
p. 56-57.
* 246 Politique, II,
5, 1263 b 15 - 25
* 247 Platon, Lois, V, 731
* 248 Eth., III, 1113 b 15
* 249 Politique, II,
5, 1263 b 20
* 250 Politique,
V, 9, 1310 a 12
* 251 Politique, I,
10, 1258 a 21-23
* 252 Bodéüs,
p. 56-57.
* 253Politique, II,
5, 1263 b 37 - 1264 a 2
* 254 Politique,
II, 5, 1263 b 37
* 255 Pellegrin, note 16 p.
154
* 256 Ethique à
Nicomaque, V, 3, 1234 b 24.
* 257 Ethique à
Nicomaque, VII, 10, 1248 b 22
* 258 Pol, II, 5, 1263 a 30
* 259 Politique, III,
6, 1228 b 8
* 260 Politique, IV,
2, 1289 b 18
* 261 Politique, IV,
4, 1290 a 35
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