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Du rapport imagination transcendantale -temps et le problème de la finitude et la métaphysique du Dasein chez Heidegger, une lecture thématique de "Kant et le problème de la métaphysique"

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par Davy DOSSOU
Université Canisius, Buffalo - Licence de philosophie 2008
  

Disponible en mode multipage

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    Article N° 1 : « Du rapport imagination transcendantale-temps et le problème de la finitude dans l'homme et la métaphysique du Dasein ». Etude analytique de Kant et le problème de la métaphysique de Martin Heidegger

    Introduction

    Dans la préface à la première édition de la Critique de la raison pure (1781), Emmanuel Kant affirme : « le champ de bataille de ces combats sans fin, voilà ce qu'on nomme métaphysique. Il fut un temps où elle était appelée la reine de toutes les sciences, et si l'on répute l'intention pour le fait, elle méritait assurément ce titre honorifique, par l'importance singulière de son objet »1(*).

    Par cette affirmation, Kant en son temps voudrait souligner que le champ de la métaphysique n'est pas une entreprise aisée. Elle donne toujours du fil à retordre à quiconque désire se lancer dans une telle voie. Il ne s'agit pas ici en terme heideggerien d'un Holzweg, d'un chemin qui ne mène nulle part, mais plutôt d'un lieu, d'un champ de bataille où s'affrontent plusieurs doctrines. Celles-ci, aux points de vues divergents, empruntent chacune leur méthode, leur démarche dans le but de la quête du sens, de la signification, de la vérité. En d'autres termes, il s'agit de la quête, si nous osons nous exprimer ainsi, de l'essence, de l'être.

    N'est-ce pas dans ce champ de bataille de tous les combats qu'est la métaphysique que nous voulons situer Martin Heidegger comme l'une des figures emblématiques de cette doctrine ? Réfléchir pour chercher à savoir, ou réfléchir pour comprendre Heidegger dans les profondeurs de ses pensées les plus brûlantes en métaphysique, mieux en ontologie n'est pas chose facile. Cependant, cela ne devrait pas être , à notre avis, un prétexte pour ne pas oser sonder l'insondable de ses réflexions. C'est justement cette audace qui nous pousse à réfléchir avec lui « Du rapport imagination transcendantale-temps et du problème de la finitude dans l'homme et la métaphysique du Dasein ». Force est de constater que chez notre auteur, un thème prédominant semble s'imposer, à travers l'interprétation de Kant, à tout le projet de l'ontologie fondamentale : celui de la finitude. On le retrouve partout dans l'ouvrage Kant et le problème de la métaphysique. La notion de la finitude occupe une place capitale dans la pensée de Heidegger. A celle-ci, nous pouvons également ajouter une autre notion essentielle dans la plume de notre auteur : l'imagination transcendantale.

    La fonction de l'imagination transcendantale, nous dit Kant, est de s'assurer une médiation entre la réceptivité de la sensibilité et la spontanéité de l'entendement. A ce sujet, notre projet est de relever le sens que revêt celle-ci dans la perspective heideggerienne et montrer comment notre auteur interprète cette idée chère à Kant, en lien avec le temps. C'est pourquoi, nous nous proposons de développer le thème de notre travail en deux grandes parties.

    Dans un premier temps, nous tenterons d'approfondir, à la balance d'une recherche plus attentive, du rapport qu'établit Heidegger entre l'imagination transcendantale et le temps. Il s'agira d'abord de clarifier la notion de l'imagination transcendantale en prenant comme point de départ Kant ; ensuite, nous dégagerons l'attitude de Heidegger face à la conception kantienne de l'imagination transcendantale et enfin du rapport qu'il établit entre cette dernière et le temps. En second lieu, il s'agira pour nous d'exposer la compréhension heideggerienne de la finitude. Celle-ci consiste en un approfondissement du problème de la finitude dans l'homme et la métaphysique du Dasein.

    1 - Du rapport imagination transcendantale et temps

    1.1- Kant et l'imagination transcendantale

    Kant distingue de la simple imagination empirique et reproductrice, comme faculté de se représenter un objet même en son absence et reposant sur les seules lois empiriques de l'association, l'imagination transcendantale et reproductrice dont la fonction est de s'assurer une médiation entre la réceptivité de la sensibilité et la spontanéité de l'entendement. « Encore faut-il, pour constituer l'objet, un acte composant le divers donné dans l'intuition conformément à l'unité synthétique de la conscience qu'exprime le concept. Cet acte, nous apprend le début du second livre de l' « Analytique », est celui de l'imagination, laquelle construit les images correspondant à un concept et permettant au jugement de saisir une intuition »2(*). Les deux opérations de l'imagination transcendantale sont la synthèse et le schématisme. Toute appréhension du divers dans l'intuition s'effectuant selon la forme du temps, l'imagination doit en associer la reproduction en faisant porter sa synthèse sur cette forme universelle des représentations qu'est le temps. Une telle liaison transcendantale de la forme temporelle du phénomène, en tant qu'elle est un effet de l'entendement sur la sensibilité, est également appelée synthèse figurée en tant qu'elle se rapporte simplement à l'unité originairement synthétique de l'aperception, c'est-à-dire à cette unité transcendantale par lequel l'entendement confère une unité à la synthèse de l'imagination.

    L'imagination est la faculté de se représenter dans l'intuition un objet même sans sa présence. Or comme toute notre intuition est sensible, l'imagination, à cause de la condition subjective, sous laquelle seulement elle peut donner aux concepts de l'entendement une intuition correspondante, appartient à la sensibilité. Mais en tant que sa synthèse est un exercice de la spontanéité, qui est déterminante et pas simplement, comme le sens, déterminable, et qu'elle peut par suite déterminer a priori le sens selon sa forme, conformément à l'unité de l'aperception, l'imagination est à ce titre une faculté de déterminer la sensibilité a priori. Et sa synthèse des intuitions, conformément aux catégories, doit être la synthèse transcendantale de l'imagination, ce qui est un effet de l'entendement sur la sensibilité et la première application de l'entendement (principe en même temps de toutes les autres) à des objets de l'objet de l'intuition possible pour nous.3(*) Par ailleurs, la catégorie n'est applicable aux objets de l'expérience que pour autant que l'imagination la temporalise en la dotant d'un schème, qui est une détermination transcendantale du temps conférant à la catégorie une efficience. Les principes de l'entendement pur sont alors la mise en oeuvre des catégories schématisées, telles qu'elles puissent s'appliquer à des objets spatiaux.

    Faculté intermédiaire entre la sensibilité et l'entendement, l'imagination porte sur ces deux cadres a priori que sont le temps et la catégorie. Synthétisant la forme des représentations, elle rend également les catégories représentables par la conscience en les temporalisant. Loin d'être une puissance trompeuse, elle devient une pièce essentielle dans la constitution de l'objectivité, à tel point que l'on pourrait voir en elle la racine de la raison. Si Hegel voit dans l'imagination kantienne l'unité originaire antérieure à la scission sujet-objet, Heidegger y voit une percée unique dans la philosophie, consistant à enraciner la rationalité dans la temporalité et la finitude et anticipant par là la question de l'Etre et du Temps.

    La liaison de l'imagination à la sensation ne conduit pas à la philosophie empiriste - pour qui toute pensée a son origine dans la seconde - à faire de la première un thème primordial. Chez les empiristes, quand bien même on pourrait dire que tout l'entendement dépend de la faculté des images, l'imagination au sens propre demeure la capacité de lier des représentations indépendamment de l'ordre intrinsèque à leurs objets, voire au hasard. Elle reçoit donc, par rapport à la faculté de connaître, une évaluation négative. C'est à la philosophie critique qu'il revient d'avoir changé définitivement cette évaluation, en concevant l'imagination transcendantale comme la condition pour qu'une donnée sensible puisse être liée à une représentation intellectuelle.

    L'imagination a pour rôle de lier l'intuition sensible et le concept qui la subsume, grâce au schématisme de notre entendement. Le schème n'est pas une copie-image, pâle reproduction du donné sensible ; il est « représentation d'une méthode », «  image-épure », « monogramme de l'imagination pure a priori ». Il est universel alors que l'image est singulière. Il est difficile d'aller plus loin dans sa définition : les procédures de l'imagination restent « un art caché dans les profondeurs de l'âme humaine »4(*). Dans sa fonction transcendantale, l'imagination est reproductrice, elle produit des images, non des schèmes. Les exemples des schèmes donnés par Kant sont très abstraits. L'originalité de Kant tient à ce qu'il a traité l'imagination dans le registre esthétique. Alors que la Critique de la Raison Pure expliquait l'élaboration objective du réel, la Critique de la faculté de juger montre plutôt comment l'imagination produit dans le jugement réfléchissant, le plaisir esthétique d'un sujet. Dans l'expérience du Beau, « l'imagination dans sa liberté et l'entendement dans sa légalité s'animent [ en effet] réciproquement »5(*).

    1.2- Heidegger face à la conception kantienne de l'imagination transcendantale

    La préoccupation de Heidegger est assez pertinente. Alors que Hegel voit dans l'imagination kantienne l'unité originaire antérieure à la scission sujet-objet, Heidegger y voit une percée unique, consistant à enraciner la rationalité dans la temporalité et la finitude et anticipant par là la question de l'être et du temps. Le commentaire de Heidegger sur le schématisme peut parler de « synthèse ontologique imaginative pure », car ajoute-t-il, « l'imagination est elle-même le temps - au sens de ce temps originaire que nous appelons la temporalité »6(*). Cette même idée est reprise également dans Kant et le problème de la métaphysique. Cette dimension temporelle de l'imagination vient de ce qu'elle reproduit dans la mémoire la sensation passée. A cet effet, notre question de départ reste posée : comment Heidegger conçoit-il l'imagination transcendantale à partir de Kant ?

    Pour Heidegger, l'imagination pure est « ce pouvoir de « former » originairement des relations »7(*). Dès lors, l'aperception transcendantale possède une relation essentielle à l'imagination pure. Pour notre auteur, elle ne saurait, en tant que faculté pure, re-présenter une donnée empirique quelconque qu'elle se contenterait de reproduire. L'imagination pure est nécessairement génératrice a priori, c'est-à-dire productive pure et c'est justement cette imagination productive pure, aux dires de Heidegger, que Kant appelle « transcendantale ». Mais notre auteur soulève une équivoque : « toute imagination productrice n'est pas pure, mais l'imagination pure, au sens décrit, est nécessairement productrice. Et dans la mesure où celle-ci forme la transcendance, cette imagination est appelée à bon droit transcendantale »8(*). Chez Heidegger, l'imagination transcendantale revêt plusieurs sens ou significations selon l'angle ou la perspective où il la situe. C'est ce que nous nous permettrons de développer dans les lignes suivantes.

    1.2.1 - L'imagination transcendantale comme centre de constitution de la connaissance ontologique et comme troisième faculté fondamentale

    Pour Heidegger, « ce n'est pas seulement dans la doctrine du schématisme transcendantal que l'imagination transcendantale apparaît comme thème premier »9(*). Pour lui, elle occupait déjà cette situation privilégiée au stade précédent de l'instauration du fondement, c'est-à-dire dans la déduction transcendantale. Et comme elle doit assumer l'unification originelle, poursuit Heidegger, il faut que mention en soit faite dès la première esquisse de l'unité essentielle de la connaissance ontologique, c'est-à-dire dès la deuxième phase de l'instauration10(*). Cela signifie donc que l'imagination transcendantale est le fondement sur lequel se construisent la possibilité intrinsèque de la connaissance ontologique et du même coup celle de la métaphysica generalis. Alors que Kant affirme que l'imagination est une faculté d'intuitionner même sans la présence, Heidegger pour sa part, estime que l'imagination, en tant que faculté sensible, fait partie des facultés de la connaissance qui se divisent entre la sensibilité et l'entendement, la première constituant notre faculté de connaissance « inférieure ». En d'autres termes, l'imagination est une manière d'intuitionner sensiblement même sans la présence de l'objet. Elle peut intuitionner, recevoir une vue, sans que l'objet correspondant se manifeste lui-même comme étant et sans qu'il soit à l'origine de la vue qu'elle possède. Ce faisant, l'imagination jouit d'abord d'une indépendance caractéristique à l'égard de l'étant. Elle est libre dans la réception de ses vues. Elle est donc, en quelque sorte, une faculté de se donner ses vues à elle-même.

    Dès lors, l'imagination peut être, aux yeux de Heidegger, nommée en deux sens caractéristiques, une faculté formatrice. En tant que faculté d'intuition, elle est formatrice, puisqu'elle procure une image (vue). Cependant, en tant que faculté non ordonnée à la présence d'un objet d'intuition, elle achève elle-même, c'est-à-dire crée et forme les images. Cette puissance imaginante et formatrice est un acte à la fois récepteur et créateur (spontané) et pour notre auteur,

    « cet « à la fois » indique l'essence propre de la structure de l'imagination. Si cependant on identifie la réceptivité avec la sensibilité et la spontanéité avec l'entendement, l'imagination se place curieusement entre l'une et l'autre. C'est ce qui lui confère un caractère étrangement ambigu ; celui-ci se fait du reste jour dans la définition kantienne de cette faculté »11(*)

    Eu égard à cela, Heidegger estime que la définition de l'imagination, selon laquelle celle-ci peut représenter intuitivement un objet absent, ne figure pas dans l'exposé de l'instauration du fondement que donne la Critique de la Raison Pure. Mais, poursuit Heidegger, outre que cette définition apparaît explicitement dans la déduction transcendantale, encore que seulement dans la deuxième édition, la discussion du schématisme transcendantal n'a-t-elle pas très précisément manifesté ce trait de la définition de l'imagination ? L'imagination forme d'avance, préalablement à l'expérience de l'étant, la vue de l'horizon de l'objectivité. C'est justement sa pré-formation du schème pur, par exemple de la substance, qui est donc la permanence, qui consiste à la mettre sous le regard comme constante présence12(*). Et voilà pourquoi l'essence de l'imagination qui est de pouvoir intuitionner sans une présence concrète, est saisie dans le schématisme transcendantal d'une manière principiellement plus originelle.

    L'imagination transcendantale n'est pas seulement et avant tout une faculté intermédiaire entre l'intuition et la pensée pure, mais elle est, avec celles-ci, une faculté fondamentale en tant qu'elle rend possible l'unité de l'une et de l'autre et, par là, l'unité essentielle de la transcendance en sa totalité13(*).

    1.2.2 - L'imagination comme racine des deux souches

    Quel est ici le problème de Heidegger ? Il s'agit tout simplement de montrer que l'origine de l'intuition et de la pensée pures réside dans l'imagination transcendantale14(*) en tant que faculté. Cela ne veut pas dire que l'intuition et la pensée pures seraient un simple produit de l'imagination, une simple fiction, mais que leur structure s'enracine dans la structure de l'imagination transcendantale. Autrement dit, l'imagination transcendantale ne peut imaginer quelque chose que par son unité structurelle avec les autres facultés. L'imagination dont il est question ici n'est pas à confondre avec le « pur imaginaire » (l'apparence ontique). Elle ouvre aux clairières de la vérité ontique, de la compréhension de l'être, de la connaissance ontologique. Et en tant que racine, elle est formatrice. Mais comme le stipule Heidegger lui-même, tout cela n'est à comprendre que dans la mesure des indications données par l'instauration kantienne.

    Le désir de Heidegger est tout simplement d'assurer la subordination de l'entendement et de la sensibilité à l'imagination qui se retrouve dès lors promue source originaire de toute connaissance, car « c'est par elle que l'espace et le temps sont tout d'abord donnés comme intuition ». Mais notre auteur, pour parvenir à sa finalité, va abandonner le donné « espace » au profit du « temps ». D'où le rapport imagination et temps qu'il établit.

    1. 3- Du rapport imagination transcendantale - temps

    Heidegger semble établir un rapport entre l'imagination transcendantale et le temps. Il ébauche cette relation dans la troisième section intitulé « l'instauration du fondement de la métaphysique en son authenticité » et en particulier dans le grand C où il est question de l'imagination transcendantale et le problème de la raison humaine. Dans le §.32, Heidegger affirme : « nous avons principiellement prouvé que le temps surgit, comme intuition pure, de l'imagination transcendantale. Il est cependant nécessaire d'expliquer par une analyse particulière la manière dont le temps se fonde sur l'imagination transcendantale »15(*). Le temps « coule constamment », comme pure succession de la série des maintenant. L'intuition pure intuitionne cette succession sans l'objectiver. Le rapport qui lie l'imagination transcendantale au temps peut être compris de trois manières, d'après l'interprétation kantienne par Heidegger de la triple fonction qu'exerce l'imagination. D'abord la faculté d'imagination comprend la faculté de former des images, qui engendre des représentations du présent, ensuite la faculté de reproduire des images, qui engendre des représentations du passé et enfin, la faculté d'anticiper des images, qui engendre des représentations de l'avenir. Selon Heidegger, bien qu'en cet endroit Kant ne parle pas de l'imagination transcendantale, il est pourtant fort clair que la formation d'image par l'imagination est en elle-même relative au temps. L'imagination pure, parce qu'elle forme spontanément son corrélat, doit, puisqu'elle est elle-même relative au temps, constituer [former] le temps16(*) . Le temps comme intuition pure, renchérit Heidegger, n'est ni uniquement ce qui est intuitionné dans l'acte pur d'intuition, ni uniquement l'acte d'intuitionner, privé de son « objet ». Le temps comme intuition pure forme spontanément ce qu'il intutionne. Tel est, pour notre auteur, le concept intégral du temps.

    Si chez Kant, le temps ne doit pas être pensé comme un champ quelconque dans lequel l'imagination s'est engagé pour les besoins de son activité, alors sur le plan ordinaire de l'expérience, celui-ci doit être regardé comme pure succession des maintenant. Cette succession n'est aucunement le temps. C'est au contraire l'imagination transcendantale qui fait surgir le temps comme succession des maintenant et donc - comme origine de ceux-ci - le temps originel. Le problème de Heidegger ici est de savoir si l'unification originelle de l'unité essentielle de la connaissance s'accomplit par le temps. Autrement dit, n'est-il pas manifeste que l'imagination transcendantale est le temps originel ? Pour répondre à cette question, Heidegger fait recours aux trois modes de synthèse que sont la synthèse pure comme appréhension pure, la synthèse comme reproduction pure et enfin la synthèse comme récognition pure. Ces diverses synthèses ont un rapport immédiat avec le temps d'après notre auteur et en ce sens, il affirme :

    « il est nécessaire que nous disposions aussi d'une synthèse appréhensive pure parce que, sans elle, nous ne saurions avoir la représentation du temps, c'est-à-dire l'intuition pure elle-même. La synthèse appréhensive pure ne s'accomplit pas dans l'horizon du temps : c'est elle qui forme le maintenant et la succession des maintenant. La synthèse pure comme appréhension, en tant que présentative du « présent en général », forme le temps. C'est pourquoi la synthèse pure de l'appréhension a en soi un caractère temporel »17(*).

    Quant à la synthèse reproductive, elle forme selon le mode de reproduction, le passé comme tel. Cela ne signifie pas que l'imagination pure est, relativement à ce mode de synthèse, formatrice du temps. Elle peut être dite une re-production, non pas parce qu'elle vise un étant qui a disparu ou qui fut perçu autrefois, mais parce que, en général, elle révèle l'horizon qui rend possible la rétrovision, c'est-à-dire le passé ; elle forme ainsi la postérité et le retour sur ce qui fut18(*). Enfin, la synthèse reproductive se rapporte par nature à un étant qu'elle tient pour identique, et dont elle a expérimenté l'identité avant, pendant et après qu'elle s'accomplit dans la perception présente19(*). En ce qui concerne la synthèse récognitive dans son rapport au temps, il sied de souligner avant tout qu'elle est celle qui forme l'avenir. Elle prospecte et épie ce qui devra être pro-posé comme identique afin que les synthèses appréhensive et reproductive puissent découvrir un domaine circonscrit d'étants, à l'intérieur duquel elles pourront en quelque sorte fixer et recevoir comme étant ce qu'elles apportent et rencontrent. Sa prospection est, en tant que pure, la formation originelle de ce qui permet tout projet, c'est-à-dire l'avenir.

    Alors que des doctrines s'étaient bornées à dire que le temps, mais aussi l'espace forment l'horizon à l'intérieur duquel les affections des sens peuvent nous toucher et nous solliciter, Heidegger, pour sa part, va plus loin et estime que c'est le temps lui-même qui affecte, mieux, le temps est affection. En effet, parler d'affection, c'est évoquer, c'est désigner une manifestation par laquelle s'annonce un étant déjà donné. Or le temps n'est ni un étant déjà donné, ni quoi que ce soit d'extérieur à nous. Dès lors une question se pose : d'où vient donc si le temps nous doit affecter ? A cette question, diverses sont les solutions que Heidegger suggère. D'abord, le temps n'est intuition pure, selon lui, que parce qu'il préforme de lui-même la vue de la succession et se pro-pose à lui-même (en tant qu'activité réceptrice et formatrice) cette vue comme telle20(*). Le temps est, par nature, pure affection de lui-même, c'est-à-dire, ce qui justement forme la visée qui, partant de soi, se dirige vers de telle manière que le but ainsi constitué jaillit, reflue sur cette visée. Ensuite, le temps comme affection pure de soi n'est pas une affection effective qui touche un soi concret. En tant que pur, il forme l'essence de toute auto-sollicitation. Enfin, si le temps comme affection pure de soi laisse surgir la succession pure de la série des maintenant, ce qui surgit est, d'ordinaire uniquement considéré dans l'expérience vulgaire du temps, mais ne peut absolument pas suffire à déterminer sa vraie essence21(*).

    Du début de notre démarche jusqu'ici, nous avons parcouru avec Heidegger dans quelle mesure l'imagination transcendantale est en étroit rapport avec le temps. Il s'agit maintenant pour nous de dégager la compréhension heideggerienne de la finitude.

    2- Le problème de la finitude dans l'homme et la métaphysique du Dasein.

    La finitude est la réflexion de l'homme comme être limité sur lui-même. Cette limite peut être comprise de deux manières différentes. Premièrement comme limitation heureuse des activités humaines à l'intérieur du cosmos, deuxièmement comme limitation malheureuse de la transcendance infinie de la liberté humaine, au sens du péché ou existentiel de la contingence. La lecture heideggerienne de la Critique de la Raison Pure vise « à mettre en lumière la nécessité de poser le problème de la finitude dans l'homme, afin d'instaurer le fondement de la métaphysique22(*) ». La finitude a été mise en évidence au début de l'interprétation de Kant. Dans cette section, Heidegger veut non seulement reposer le problème des présupposés kantiens relatifs à l'essence de la finitude, mais il présente également la finitude et les problèmes qu'elle suscite, lesquels problèmes restent liés à la détermination de la forme interne d'une analytique transcendantale de la subjectivité humaine.

    2.1- Le problème d'une détermination possible de la finitude de l'homme

    Il faut, à proprement parler, souligner que le concept de la finitude n'est pas un thème absolument nouveau ou surprenant dans l'orbe de l'ontologie fondamentale, où la temporalité du Dasein, et sa mortalité, revendiquaient d'office un rôle primordial. Il demeure que la finitude n'avait jamais été nommée comme telle dans l'introduction à Sein und Zeit. Elle était aussi extraordinairement discrète dans les cours antérieurs à Sein und Zeit avant de s'imposer avec une force presque foudroyante à la fin des années 1920. Or, en 1929, toute l'ontologie fondamentale semble rouler sur la finitude. Heidegger s'interroge sur la manière de poser le problème de la finitude et de son évidence. Pour notre auteur, la finitude humaine paraît évidente au regard de multiples imperfections qui caractérisent l'homme. Mais la somme de toutes ces imperfections ne rend pas encore compte de l'essence de la finitude. Une autre voie, renchérit-il, qui ne mène nulle part est la démarche rationnelle. Celle-ci conçoit l'homme comme un ens creatum et affirme en lui le fait de la finitude, mais sans en éclairer l'essence et sans montrer comment cette essence finie constitue la nature fondamentale de l'homme. Pour Heidegger, « il n'y a aucune évidence touchant la manière dont doit être abordée la question de la question de la finitude dans l'homme... Le seul résultat obtenu par notre enquête est donc : la question de la finitude n'est pas une recherche arbitraire des propriétés de cet être23(*) ». La question surgit et s'impose comme une question fondamentale dès qu'on se propose d'instaurer le fondement de la métaphysique. La problématique de l'instauration du fondement de la métaphysique offre des directives pour aborder et progresser dans cette question. De même, l'instauration du fondement de la métaphysique, en tant qu'elle permet une ré-pétition authentique, met en lumière le lien essentiel entre le problème de l'instauration du fondement de la métaphysique et la question de la finitude. Heidegger rappelle que chez Kant l'instauration du fondement de la métaphysique commençait par la justification de la metaphyica generalis, comme base de la métaphysique proprement dite. La metaphysica generalis, identique à la philosophie première d'Aristote, est devenue une ontologie. Celle-ci, en s'interrogeant sur l'étant en tant qu'étant, mélange, dans une confusion totale, deux questions : la question de l'étant comme tel et la question de l'étant dans sa totalité. Mais en tant que la question de la finitude se détermine à partir d'une répétition originelle de l'instauration du fondement de la métaphysique, la question kantienne s'éloigne de la métaphysique classique et de la métaphysique aristotélicienne. En effet, la métaphysique classique pose la question de l'étant, mais sans en élaborer la problématique dominante. Ainsi, la répétition du problème de l'instauration du fondement de la métaphysique n'équivaut-il pas à une simple de la question : « qu'est-ce que l'étant comme tel ? ». Cette répétition est un retour à une question plus originaire qui fonde la première : la question de l'être dont le but est de mettre en lumière l'imbrication essentielle entre l'être (non pas l'étant) et la finitude dans l'homme24(*).

    2.2- Elaboration originaire de la question de l'être comme accès au problème de la finitude dans l'homme

    Alors que les physiologues s'intéressaient déjà à l'étant comme tel sans en préciser les directives, Heidegger, dans la question qu'est-ce que l'étant comme tel ?, se pose l'exigence de préciser d'abord ce qui détermine l'étant. Il faut que ce qui détermine l'étant se montre plus clairement. Ce déterminant est l'être. D'où la nécessité de la compréhension de l'être s'impose avant toute question de l'étant. La question de la philosophie première « qu'est-ce que l'étant comme tel ? », se transforme en la question « qu'est-ce que l'être ? » et l'élaboration de cette dernière clarifie le problème de la finitude humaine. Pour Heidegger, la question de l'être comme tel est enveloppé d'obscurité. Dans cette obscurité, elle doit être posée comme une question sur la possibilité de comprendre l'être. Cette question jaillit de la compréhension préconceptuelle que l'homme a de l'être. Ainsi, la question de l'être comme tel recule d'un degré et se pose comme la question sur l'essence de la compréhension en général25(*). Dès lors, le problème de l'instauration du fondement de la métaphysique se pose comme une explication de la possibilité intrinsèque de la compréhension. Son élaboration permet d'élucider le problème de la finitude.

    2.3- La compréhension de l'être et du Dasein dans l'homme

    Pour l'homme, la connaissance de l'étant est évidente, mais pas celle de l'être. L'homme entretient un rapport avec l'étant, mais pas avec l'être car celui-ci est semblable au Néant. En dépit de cette obscurité, une compréhension de l'être se profile partout où l'étant apparaît. Partout où l'homme se préoccupe de l'essence et de l'être tel de l'étant, il constate le fait d'être. Il y a donc une référence implicite à l'être dans le quotidien. « Nous comprenons l'être quoique son concept nous manque26(*) ». De l'être, l'homme a une compréhension préconceptuelle constante et étendue, mais aussi indéterminée, puisqu'elle échappe à toute remise en question. Mais cette compréhension est évidente, car elle fonde le caractère privilégié de l'étant qu'est l'homme.

    Doté de facultés exceptionnelles, l'étant humain a le privilège d'être marqué par l'ek-sistence dont la compréhension est la condition de possibilité. En effet, l'homme reste ouvert et tendu aux autres étants, sans être maître de l'étant qu'il est lui-même. Par l'ek-sistence, l'étant humain fait irruption parmi les autres étants et cette irruption les rend manifestes. Ce privilège de l'homme implique la nécessité de la compréhension de l'être. Pour Heidegger, l'ek-sistence comme mode d'être est en soi finitude et, comme telle, elle n'est possible que lorsqu'elle est fondée sur la compréhension de l'être. La compréhension de l'être domine toute l'essence de l'homme. Elle est, en ce sens, le fondement originel de la finitude du Dasein. La finitude du Dasein apparaît dès lors, souligne Heidegger, comme le fondement même de la métaphysique27(*). Car, « c'est seulement parce que la compréhension de l'être ce qu'il y a de plus fini dans le fini, qu'elle est en mesure de rendre possible même les facultés dites « créatrices » de l'être humain fini. C'est aussi uniquement parce qu'elle s'accomplit au sein même de la finitude, que la compréhension de l'être a de l'ampleur, la constance mais encore l'obscurité que nous lui avons reconnues28(*) ».

    Heidegger écrit dans une phrase en apparence toute simple : « la finitude du Dasein - c'est-à-dire la compréhension de l'être - se tient dans l'oubli29(*) ». On peut et doit entendre cette déclaration de deux manières. Elle dit d'abord que la finitude se manifeste, se traduit par l'oubli, mais aussi que la finitude du Dasein, identifiée ici, de manière inédite, à la compréhension de l'être, est elle-même oubliée. La tâche d'une ontologie fondamentale sera donc de tirer cette finitude de l'oubli30(*). Or c'est le Dasein ou sa finitude qui s'oublie lui-même. D'où l'idée de Heidegger, selon laquelle il faut rendre le Dasein en l'homme, visible. Il faudra, dira Heidegger dans un cours de 1929/1930, réveiller, secouer le Dasein en l'homme. Pour y parvenir, il faut, pour ainsi dire, « attaquer » le Dasein. La compréhension de l'ontologie fondamentale, explique Heidegger, se voulait une telle attaque (Angriff) du Dasein en l'homme, attaque qui procède du Dasein lui-même. L'ontologie fondamentale qui vise ainsi à réveiller le Dasein est une attaque de l'homme qui vise à le reconduire à son Dasein, le tirer de son Wegsein de l'oubli de soi. Il s'agit donc de tirer de l'oubli un oubli qui s'oublie. C'est ici, dans ce contexte de finitude et d'oubli, que la dimension de l'historicité ou de la jectité acquiert une portée systématique qui deviendra de plus en plus déterminante. Rivée à l'ordre de la passion ou de la Stimmung dans Sein und Zeit, la jectité, dira Heidegger, domine et traverse tout le Dasein, s'il est vrai que le Dasein est porté par la finitude31(*). Pour le dire en un mot, il semble que ce soit cette précellence reconnue à la finitude ou à la jectité du Dasein qui finit par faire vaciller tout le projet de l'ontologie fondamentale, dont la fin de Kant et le problème de la métaphysique propose, de facto, la dernière présentation publique. Après cet ouvrage, nous savons combien Heidegger explorera déjà de nouvelles approches de la question de l'être au risque de perdre le fil de l'ontologie fondamentale. On sait que cette remise en question de l'ontologie fondamentale conduira lentement, mais sûrement à la pensée de l'histoire de l'être (Seinsgeschichte) qui s'imposera en quelque sorte comme le véritable sujet de la jectité et de la finitude du Dasein. Une lecture attentive du parcours de Heidegger nous oblige cependant à voir dans ce tournant une radicalisation de la finitude du Kantbuch.

    Conclusion

    Notre parcours avec Heidegger a porté sur la question du rapport de l'imagination transcendantale avec le temps et sur le problème de la finitude dans l'homme et la métaphysique du Dasein. Cette réflexion révèle qu'à l'origine de la connaissance ontologique, en tant que synthèse pure et mise en image originaire, l'imagination transcendantale se trouve paradoxalement réduite par Kant au rang de simple auxiliaire. Mais avec Heidegger, l'imagination transcendantale de Kant revêt un tout autre sens. Heidegger y voit une percée unique, consistant à enraciner la rationalité dans la temporalité et la finitude et anticipant par là la question de l'être et du temps. L'imagination pure est ce pouvoir de former originellement des relations. Comme telle, l'imagination transcendantale, aux yeux de Heidegger, est non seulement le centre de constitution de la connaissance ontologique et la troisième faculté fondamentale, mais aussi la racine des deux souches (que sont l'entendement et la sensbilité) et c'est par elle que l'espace et le temps sont d'abord donné comme intuition. Quant au rapport qui la lie au temps, notre auteur nous fait savoir que le temps se fonde sur l'imagination transcendantale, que celle-ci a un caractère temporel intrinsèque, mieux l'imagination transcendantale a en soi le caractère de la temporalité pure. En d'autres termes, l'imagination transcendantale est le temps originel.

    Par ailleurs pour Heidegger, la problématique de l'instauration du fondement de la métaphysique aboutit à une réflexion sur la finitude dans l'homme et en tant qu'une question qui lui est intimement liée et qu'elle engendre. Contrairement à la métaphysique classique qui réfléchit sur l'étant comme tel, Heidegger pose le problème de la finitude comme un questionnement sur la compréhension de l'être de l'homme en tant que cet être détermine l'homme. L'homme en tant qu'étant privilégié, dont la propriété est l'ek-sistence, a la capacité de faire irruption parmi les autres et de les rendre manifestes. Heidegger veut donc poser la compréhension de l'être comme ce fondement ultime de la finitude du Dasein. Ainsi le questionnement sur la finitude de l'homme, loin d'être une problématique épistémologique ou anthropologique, est essentiellement métaphysique. Ainsi se clarifie le lien intrinsèque entre le problème de l'instauration du fondement de la métaphysique et celui de la finitude humaine.

    * 1 Emmanuel KANT, OEuvres philosophiques I Des premiers écrits à la Critique de la Raison Pure, traduction Ferdinand Alquié, Paris, Gallimard, 1980, p. 112

    * 2 Cette citation est l'introduction faite par Ferdinand Alquié à la Critique de la Raison pure, in OEuvres philosophiques, Gallimard, p.713.

    * 3 Emmanuel KANT, Critique de la Raison Pure, in OEuvres philosophiques, op.cit, p. 867.

    * 4 Emmanuel KANT, Critique de la Raison Pure, traduction Tremesaygues et Pacaud, PUF, P.153.

    * 5 KANT, cf Critique de la Faculté de Juger.

    * 6 HEIDEGGER Martin, Sein und Zeit, traduction Martineau, Paris, 1986, p. 302.

    * 7 HEIDEGGER, Kant et le problème de la métaphysique, traduction Alphonse de Waelhens et Walter Biemel, Gallimard, 1953, p. 141.

    * 8 Ibid., p.191.

    * 9 Martin HEIDEGGER, Kant et le problème de la métaphysique, Introduction et traduction par Alphonse de Waelhens et Walter Biemel, Gallimard, 1953, p. 187.

    * 10 Ibid.

    * 11 Ibid., p. 188.

    * 12 Ibid., p. 190

    * 13 Ibid., p. 193

    * 14 Ibid., p. 196.

    * 15 Ibid., p. 229.

    * 16 Ibid., p. 230.

    * 17 Ibid., p. 235.

    * 18 Ibid., p. 237.

    * 19 Ibid., p. 240.

    * 20 Ibid., p. 244.

    * 21 Ibid., p. 248.

    * 22 Ibid., p. 275.

    * 23 Ibid., p. 276.

    * 24 Ibid., p. 278.

    * 25 Ibid., p. 282.

    * 26 Ibid., p. 283.

    * 27 Ibid., p. 288 : « le dévoilement de la structure d'être du Dasein est ontologie. Cette dernière se nomme ontologie fondamentale pour autant qu'elle établisse le fondement de la possibilité de la métaphysique, c'est-à-dire pour autant qu'elle considère comme son fondement la finitude du Dasein ».

    * 28 Ibid., p. 285.

    * 29 Ibid., p. 289.

    * 30 Ibidem.

    * 31 Ibid., p. 292.






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