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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

Disponible en mode multipage

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LES ENFANTS D'IMMIGRÉS ITALIENS DANS LES ÉCOLES FRANCAISES

QUELQUES EXEMPLES DE PARCOURS SCOLAIRES DE 1935 A 1955

Master 2 de recherche en histoire préparé sous la direction de Monsieur
Michel CATALA, Professeur en Histoire Contemporaine.

Par Louise CANETTE

LES ENFANTS D'IMMIGRÉS ITALIENS DANS LES ÉCOLES FRANCAISES

QUELQUES EXEMPLES DE PARCOURS SCOLAIRES DE 1935 A 1955

Master 2 de recherche en histoire préparé sous la direction de Monsieur
Michel CATALA, Professeur en Histoire Contemporaine.

Par Louise CANETTE

Je tiens ici à remercier les témoins qui m'ont fait confiance en me livrant leurs histoires. Je souhaite aussi exprimer ma gratitude aux personnes, historiens, sociologues ou passionnés d'histoire, qui m'ont guidée dans cette recherche en me conseillant ou en me permettant d'entrer en contact avec des enfants d'immigrés italiens : Adriana Dadà, Antonio Bechelloni, Marie-Claude Blanc-Chaléard, Odette Ossan, Laurent Garino, Patrick Goutefangea, Marc Suteau et Georges Leclair.

> Table des sigles et des abréviations :

ADLA : Archives Départementales de Loire-Atlantique.

AMN : Archives Municipales de Nantes. AN : Archives Nationales.

ARESSLI : Association de Recherche en Sciences Sociales sur la Lorraine Industrielle.

BDIC : Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine.

BMN : Bibliothèque Municipale de Nantes. BNF : Bibliothèque Nationale Française. BNI : Bibliothèque Nationale Italienne. B.P : Brevet Professionnel.

CADN : Centre des Archives Diplomatiques, Nantes. C.A.P : Certificat d'Aptitude Professionnelle.

CC : Cours Complémentaires.

CCFI : Centre Culturel Franco-Italien.

CE1 : Cours Elémentaire Première année.

CE2 : Cours Elémentaire Deuxième année.

CEDEI : Centre d'Etude et de Documentation sur l'Emigration Italienne.

C.E.G : Collèges d'Enseignement Général. C.E.P : Certificat d'Etudes Primaires.

CERI : Centre d'Etudes et de Recherches Internationales.

C.E.T : Collèges d'Enseignement Technique. CGT : Confédération Générale du Travail.

CM1 : Cours Moyen Première année.

CM2 : Cours Moyen Deuxième année.

CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique.

CO.AS.IT : Comité d'Assistance aux Italiens.

CP : Cours Préparatoire.

Dir. : Directeur.

DIR : Dossier d'Initiation à la Recherche.

EN : Ecole Normale.

EPS : Écoles Primaires Supérieures.

IA : Inspection Académique.

Ibid : Abréviation utilisée pour éviter la répétition lorsque la même source a été citée dans la référence précédente.

IEP : Institut d'Etudes Politiques.

INA : Institut National de l'Audiovisuel.

INED : Institut National des Etudes Démographiques.

INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques.

IUT : Institut Universitaire de Technologie.

LIDU : Liga Italiana dei Diritti Dell Uomo.

MOI : Main d'Oeuvre Immigrée.

ODRIS : Observation Diffusion Recherche Intervention en Sociologie.

OMB : Observatoire des Migrations en Bretagne

ONI : Office National d'Immigration.

Op. Cit. : Abréviation de la locution latine « opus citatum » (oeuvre citée) utilisée pour indiquer une référence bibliographique lorsque l'ouvrage a déjà été cité.

TDLA : Traduction De L'Auteur.

INTRODUCTION

I). Introduction générale

« Vous m'avez décollé les yeux et décrassé le dedans de la tête »

Cette phrase, tirée de l'autobiographie de François Cavanna1 et destinée à ses instituteurs, m'a marquée dès la première lecture des Ritals. Au cours de ma dernière année de Licence, j'ai lu l'ouvrage de Pierre Milza, Voyage en Ritalie2 qui m'a, lui aussi, passionnée et donné l'envie d'étudier l'immigration italienne en France. L'aspect, à la fois, politique et humain de ce travail a renforcé mon intérêt pour ce sujet. La réponse positive de M. Michel Catala m'a permis d'entamer mes recherches avec, pour sujet de départ du Dossier d'Initiation à la Recherche, l'immigration italienne entre les deux guerres. J'ai ensuite décidé de partir à Florence dans le cadre du programme de mobilité Erasmus au cours de ma première année de recherches, j'ai ainsi pu bénéficier de fonds d'archives différents de ceux que j'ai ensuite consulté en France. M'immerger dans la vie quotidienne en Italie m'a par ailleurs permis d'approcher de plus près le mode de vie de ses habitants et de mesurer, par exemple, les clivages sociaux qui existent dans la Péninsule ou encore l'impact de la religion sur les comportements individuels et collectifs des Transalpins. Cette année passée à étudier à l'université de Florence m'a aussi permis d'apprendre à parler l'italien, ce qui est sans nul doute un atout pour aborder mon sujet, certains témoignages étant rédigés dans la langue maternelle des intervenants (particulièrement lorsque la scolarisation des enfants n'a pas entraîné une sédentarisation définitive en France, ou lorsque l'historien auquel est livré le témoignage est lui-même Italien). De même, pouvoir lire des historiens italiens me semble un apport bibliographique non négligeable au traitement de ce sujet puisque nous parlerons ici des Italiens de France, nous posant ainsi la question de leur scolarisation et de son implication. Les enfants d'immigrés italiens fuyant Mussolini ont ainsi pu être bien accueillis par des instituteurs républicains partageant des opinions politiques parfois proches de celles de leurs parents, nombreux sont les témoignages et les autobiographies regorgeant de souvenirs

1 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 38-39).

2 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993.

gratifiants des écoliers se disant remarquablement bien intégrés au sein de l'Ecole Républicaine. Cependant, d'autres entretiens, entre les historiens et les enfants d'origine italienne, mettent en avant la sensation d'exclusion et d'humiliation ressentie par ces derniers sur les bancs des classes de l'Hexagone. Cette variété de témoignages, parfois contradictoires, nous engage à nous interroger sur le comportement des enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises et sur la façon dont ils sont accueillis par les enseignants.

. Les travaux antérieurs et les sources utilisées

A l'instar de Gérard Noiriel nous pouvons parler, en ce qui concerne l'Ecole et les étrangers d'un « non-lieu de mémoire »3. Dominique Schnapper explique ainsi, dans La France de l'intégration, que les sociologues comme les historiens « sensibles avant tout à la problématique des classes sociales [...] ne se sont pas interrogés sur le rôle de l'enseignement pour constituer et maintenir la collectivité nationale »4. Cependant, s'il reste des études à mener, de nombreux travaux ont tout de même été réalisés. Citons ainsi les recherches d'Antoine Prost sur les institutions scolaires et l'histoire sociale de l'Ecole5. Par ailleurs, concernant les contenus des cours dispensés aux élèves intéressant notre sujet, il nous faut souligner que Mona et Jacques Ozouf6 ou encore Christian Amalvi7 ont écrit des ouvrages très complets. Cependant, Olivier Loubes8 met en lumière le manque de travaux concernant l'Ecole française en tant que modèle assimilateur. Ces aspects sont tout de même évoqués, bien qu'assez rapidement, dans certains ouvrages répertoriés dans la bibliographie. Citons ainsi Le Creuset français de Gérard Noiriel9, L'opinion française et les étrangers de Ralph Schor10, Voyage en Ritalie de Pierre Milza11, ainsi que la thèse12 et les articles écrits par Marie-Claude Blanc-Chaléard. Sur l'immigration italienne

3 G. NOIRIEL, Le creuset français, Paris, 1988.

4 D. SCHNAPPER, La France de l'intégration, Paris, 1991 (p. 212).

5 A. PROST :

- L'enseignement en France (1800-1967), Paris, 1968.

- Autour du Front Populaire. Aspects du mouvement social au XXème siècle, Paris, 2006.

6 M. et J. OZOUF, La République des instituteurs, Paris, 2001.

7 C. AMALVI, Les lieux de l'histoire, Paris, 2005.

8 O. LOUBES, « L'école et ces étrangers : assimilation et exclusion » dans P. MILZA et D. PESCHANSKI, Exils et migration, Italiens et Espagnols en France (1938-1946), Paris, 1994.

9 G. NOIRIEL, Le creuset français, Paris, 1988.

10 R. SCHOR, L'opinion française et les étrangers, Paris, 1985.

11 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993.

12 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000.

en France, la recherche a été si vaste qu'il semble ici inutile de se préter à une fastidieuse liste de l'ensemble des ouvrages sur le sujet.

Cependant, il n'existe pas à ce jour de travail faisant un bilan des différences d'accueil au sein des institutions scolaires des écoliers d'origine italienne sur tout le territoire français. Nous nous proposons ici de commencer ces recherches. Précisons que, la somme d'investigations sur tout le territoire français étant bien trop lourde, nous recourrons en conséquence à des exemples géographiquement variés afin de remarquer les éventuelles différences au sein du territoire français. Face à la plus vaste immigration que la France ait connue, les recherches livrées dans ce Mémoire ne se veulent ni ne peuvent donc en aucun cas prétendre à l'exhaustivité. Il est entendu que nous ne faisons pas ici état de la situation de chacun des enfants italiens de 1935 à 1955 : il s'agit de se référer à quelques cas et d'essayer de les situer grace aux études précédemment menées par les historiens et sociologues. Nos témoins sont-ils « originaux » ? Leurs cas reflètentils une réalité retrouvée fréquemment dans la situation de la plupart des enfants d'immigrés ? Pour des questions pratiques liées à l'Université dans laquelle cette étude est menée, notre regard s'est principalement porté sur les archives concernant le phénomène migratoire italien dans l'Ouest de la France. En effet, on retrouve dans les témoignages recueillis pour ce Mémoire de nombreux Nantais, pourcentage qui ne représente en aucune façon la proportion des Italiens de France installés dans l'Ouest. Des exemples parisiens, lorrains ou encore marseillais ont cependant constitué une source importante puisqu'ils nous ont permis d'avancer des objets de comparaison des situations des différents enfants de migrants implantés dans des villes ou dans des zones plus rurales, territoires aux histoires migratoires très différentes.

Notre recherche est particulièrement sujette à polémique dans cette période où les pouvoirs politiques s'emparent des débats sur l'immigration à l'Ecole. L'utilisation des témoignages est, non seulement utile mais aussi nécessaire à une recherche sérieuse sur le sujet, elle nous permet de passer ainsi, de l'horizon d'un seul à l'horizon de tous. Avec l'émergence et l'affirmation de l'Ecole des Annales à partir des années trente, l'Histoire s'inscrit désormais dans la longue durée et, pour cela, bénéficie de l'apport des autres sciences humaines et sociales. En ce qui concerne notre sujet, la sociologie sera un des chaînons nécessaires à la bonne compréhension de la mentalité des enfants d'immigrés dans les écoles, les approches psychologiques de l'intégration des élèves13, des rapports aux idiomes14, ou encore des conflits

13 F. STORTONI, Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... », Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie) sous la direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007.

14 J-C. VEGLIANTE, « le problème de la langue : la « Lingua Spacà » », CEDEI, acte du colloque franco-italien sur « L'immigration italienne en France dans les années 20 », Paris 15 au 17 octobre 1987.

intergénérationnels alimentés par le phénomène migratoire, seront, elles aussi, utilisées. L'immigration et l'Ecole n'échappent pas à cette relecture par le « temps long ». Nous prenons alors en compte, comme facteurs explicatifs, les précédentes réformes menées par les ministères en charge de l'éducation - en ce qui concerne l'Ecole - et les phases anciennes de mouvements de population - pour ce qui concerne le phénomène migratoire. Les historiens et les sociologues qui étudient cette période s'intéressent aux témoignages des enfants de migrants car ils leur permettent de dresser un tableau de l'histoire des mentalités. En tout, une soixantaine de témoignages sont utilisés dans notre étude. Ils relèvent de différentes sources : certains sont le résultat d'entretiens directs, d'autres sont constitués par des réponses de témoins à un questionnaire précédemment envoyé. Certains témoignages, encore, sont extraits d'ouvrages historiques et sociologiques, plus rarement nous avons pu aussi recourir à l'utilisation d'autobiographies15. Cette méthode biographique est utilisée dans un objectif de reconstruction d'histoires individuelles, elles sont ensuite réinsérées dans leurs contextes micro et méso sociaux (c'est-à-dire, à l'échelle des organisations et des systèmes d'action). Ces histoires de cas doivent être étudiées avec un regard attentif sur les contextes locaux de la société française (dans cette étude, c'est l'école qui est choisie comme structure d'accueil aux immigrés). Cette technique nous permet de comprendre comment le contexte scolaire fonctionne à l'égard des immigrés italiens et de leurs enfants. On offre ainsi au lecteur un panel d'exemples relativement variés (hommes et femmes, provenance, histoires migratoires, résultats scolaires, villes de scolarisation, etc.). Ainsi, si les témoignages recueillis directement sont essentiellement ceux de personnes ayant été scolarisées dans l'Ouest (Nantes, Saint-Nazaire, Saumur...), on a veillé à les étudier de façon couplée avec les histoires d'autres témoins issus de différentes villes françaises. Nous ne pouvons cependant que déplorer la rareté bibliographique actuelle en matière d'études régionales sur les Italiens à l'Ecole. Sur les deux années de travail préalable à ce Mémoire, un an a été consacré à la recherche sur le sol italien, la connaissance des conditions d'accueil en France a donc pu en pâtir quelque peu. Effectivement, c'est seulement à la fin de cette dernière année que nous avons pu être certains qu'il était effectivement possible de traiter du même thème sur un espace restreint (la rue de Trignac à Saint-Nazaire aurait ainsi pu être un passionnant sujet d'étude). Rencontrer des groupes communautaires, joindre des milieux spécifiquement italiens est une entreprise de longue haleine et nous avons, malheureusement, souvent pu déplorer n'avoir pu entrer en contact que trop tard au cours de l'année avec des familles concernées par ces thèmes de recherche.

Les autres sources, utilisées ici dans une moindre mesure mais fort utiles néanmoins, sont issues des écoles. Nous avons ainsi pu consulter des reconstitutions de listes d'écoliers et de professeurs, l'impression d'un journal réalisé par des élèves ou encore des photographies témoignant de la vie de la classe, de l'école, parfois aussi des images nous ont été données, illustrant les sorties scolaires organisées par les instituteurs. Il n'a pas été possible de trouver ces documents pour les écoles nantaises de nos témoins, soit parce qu'elles ne les avaient pas conservés (c'est le cas le plus courant), soit parce que les portes des établissements nous sont restées fermées. Par ailleurs, outre une comptabilisation des enfants n'ayant pas la nationalité française, et de ceux ayant un patronyme italien, ces listes de matricule des établissements scolaires n'apportent en définitive que de maigres informations qui n'offrent pas d'indices sur l'expérience vécue à l'école par nos témoins. Pour les listes d'effectifs qui ont été consultées, elles n'apportent, en tous cas, aucune indication sur le contenu quotidien de l'enseignement. Aucune des écoles de la région nantaise évoquées dans cette étude n'a conservé les bulletins scolaires (quand nous les avons en notre possession, c'est qu'il nous ont été donnés par les témoins). Les établissements étudiés à Paris par Marie-Claude Blanc-Chaléard offrent, quant à eux, des informations un peu plus riches (sur le comportement et le niveau des élèves en particulier)16.

? Les bornes chronologiques de l'étude

Nous ne pouvons aborder ce sujet sur l'accueil des enfants d'immigrés par les enseignants, sans exposer un bilan historique de l'immigration italienne ni même sans faire la nécessaire description de ce qu'est l'Institution scolaire française entre 1935 et 1955. Il nous faut, par ailleurs, nous livrer à une nécessaire étape d'identification afin de savoir qui sont les migrants dont nous parlerons, leurs lieux de provenance et les raisons qui poussent leurs parents à quitter la terre mère, empruntant les navires de la Méditerranée, traversant les Alpes, pour venir travailler avec leur famille dans l'Hexagone.

Pour traiter notre sujet, la période de l'Entre-Deux-guerres s'était d'abord imposée comme un moment intéressant puisque très riche quant au nombre d'enfants de migrants italiens présents dans les écoles de France (phénomène lié à la fois à l'importance de l'immigration et à la politique de regroupement familial). En fait, les sources vivantes étant, bien sûr, plus rares

pour cette période, il semblait logique de décaler le sujet aux années 1935-1955. Nous nous penchons donc là sur une vingtaine d'années, ce qui équivaut à une génération d'écoliers.

La période qui s'étend du milieu des années trente au milieu des années cinquante est synonyme d'une grande variété quant aux situations des migrants, d'une multitude de lois relatives à l'émigration comme à l'immigration. En effet, nos témoins bénéficient, inégalement néanmoins, des réformes sociales du Front Populaire, ils subissent le passage d'une guerre avec la xénophobie anti-italienne qu'elle a parfois pu susciter, ils vivent les politiques du régime de Vichy qui portera une attention toute particulière à l'Ecole. Ils voient ensuite l'arrivée massive et organisée de centaines de travailleurs appelés à reconstruire la France d'après-guerre. Les années soixante marquent le déclin de ces flux migratoires italiens, faisant de cette immigration un sujet d'étude « fermé ».

Il semble ici nécessaire de faire un rapide bilan de l'émigration de l'Italie vers la France durant la génération qui précède celle à laquelle nous nous intéressons ici. L'immigration italienne de masse commence vraiment à partir de 1860. L'Italie, récemment unifiée, est alors le premier fournisseur de la main-d'oeuvre étrangère de l'Hexagone. Le dernier recensement avant la Grande Guerre fait état de 420 000 Italiens sur le territoire français en 1911 (les Transalpins représentent alors 36% des immigrés de l'Hexagone et 1% de la population française). A la veille de la Première Guerre mondiale, la masse des migrants est rassemblée à l'est d'une ligne imaginaire qui relierait les villes du Havre et de Montpellier, les principales régions d'accueil étant alors les Alpes, le littoral méditerranéen (un résident marseillais sur cinq est alors Italien, un sur quatre à Nice), les régions lyonnaise et parisienne et le bassin de la Lorraine sidérurgique. Le mouvement migratoire, en effet, est développé par capillarité à partir des zones frontalières, le long des lignes ferroviaires (dont la construction a d'ailleurs mobilisé nombre de migrants d'Outremont), puis par l'attraction des grands pôles d'emploi, principalement de façon concentrique autour des métropoles.

Le 2 avril 1917, un décret institue pour la première fois une carte de séjour pour les étrangers de plus de 15 ans résidant en France, autrement dit, on prend désormais en compte les jeunes mineurs d'origine étrangère. Cependant, les enfants restent encore, pour leur part, encore transparents aux yeux de l'administration française. Il est vrai que les enfants italiens étaient alors relativement peu nombreux, l'immigré type étant encore un homme jeune et célibataire. Il est fréquent, par ailleurs, que l'on retrouve des groupes communautaires originaires de la même région, voire du même village d'Outremont, et ce sur une même zone de peuplement français. L'explication de ce regroupement allogène est simple : le recrutement est massif pour une activité bien déterminée, souvent déjà pratiquée dans la région d'origine des immigrés (beaucoup

sont des spécialistes de leur domaine, caractéristique que l'on retrouve d'ailleurs pour la période qui nous intéresse). En outre, il est plus « aisé » d'immigrer en sachant que l'on retrouvera dans la zone d'accueil des repères de la vie d'avant, de « l'époque italienne ». Les Italiens arrivés avant la Seconde Guerre mondiale viennent alors surtout des régions du Nord-est (Vénétie, Trentin, Frioul) et du Centre-Nord (principalement d'Emilie-Romagne) 17 de la Péninsule italienne.

La population italienne fixée en France avant la Première Guerre mondiale est déjà amplement intégrée et fortement sédentarisée dans les années 1935-1955. A cette première vague s'ajoute un nombre conséquent de migrants arrivés après la signature du Traité de Versailles, recrutés pour la reconstruction de la France dévastée. Les travailleurs itinérants (journaliers agricoles, manoeuvres) se font moins nombreux qu'autrefois, et pour cause : la mécanisation réduit le nombre de postes disponibles dans ces domaines désormais désertés. La famille italienne rejoint souvent le père, premier du foyer à partir chercher du travail de l'autre côté de la frontière des Alpes. Cependant, les années vingt connaissent un léger regain du nomadisme, particulièrement pour les jeunes hommes dans une situation de clandestinité au moment de leur émigration puisque leur départ est provoqué par des raisons politiques liées à l'implantation du fascisme dans la Péninsule. Cette mobilité aura, globalement, plutôt tendance à compliquer les rapports avec les Français18. « L'immigré type » est alors un travailleur sans qualification, issu le plus souvent d'un milieu rural. Ils occuperont en France des postes dans les métiers du bâtiment, seront sidérurgistes, mineurs, ils travailleront dans les usines ou dans les industries de l'Hexagone. Les moins chanceux seront manoeuvres sur les chantiers, dans les ports, les salines, les entreprises de service boudées par les Français, comme les égouts parisiens par exemple. Nombreux sont aussi les Italiens employés dans l'hôtellerie, comme vendeurs de glaces ou dans les restaurants. Quant aux femmes de l'époque, elles émigrent rarement seules : la période où les Italiennes partaient pour être nourrices dans l'Hexagone est en passe d'être révolue. Lorsqu'elles trouvent du travail, elles obtiennent, en général, des emplois de bonnes, d'ouvrières dans les domaines du textile ou de l'agro-alimentaire. L'ascension sociale de quelques-uns de ces migrants d'Outremont permet l'ouverture de restaurants italiens et d'entreprises de maçonneries. Ces nouvelles entreprises entraînent l'arrivée de nouveaux membres de la famille, si toutefois l'affaire s'agrandit.

17 Voir la carte des régions italiennes disponible en document annexe n° 6.

18 L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 47).

Les Transalpins bénéficient par ailleurs d'un autre facteur bénéfique à l'emploi : la France est alors dans une période où sa population n'assure plus son renouvellement. Le baby-boom de l'immédiate après-guerre ne suffit pas à enrayer un criant manque de main d'oeuvre puisque, dès 1922, le taux de natalité retombe à son niveau de l'avant-guerre. Le Premier Conflit mondial a entraîné un reflux important des Italiens résidant dans l'Hexagone : dès le début de la guerre, nous constatons de nombreux retours en Italie d'immigrés en age de se battre, le nombre des départs ralentit, même si, les flux partant de la péninsule restent conséquents19. A la fin de la guerre, l'immigration reprend et s'amplifie : pour les dirigeants français, il est nécessaire de combler la baisse de la population active, laquelle est, de plus, intensifiée par l'exode rural, les exigences grandissantes de la main-d'oeuvre nationale et les lois de limitation de la durée des journées de labeur. En somme, la France, saignée à blanc par l'hécatombe, a besoin d'ouvriers et de maçons, d'une main-d'oeuvre non qualifiée préte à accepter des emplois difficiles et mal payés. Le climat de terreur qui règne dans la Péninsule, avant et après la prise du pouvoir par les fascistes, contribue lui aussi aux départs. Le solde migratoire entre la France et sa soeur latine est alors très favorable à l'Hexagone 20 . En 1920-1921, l'Italie connaît une première crise économique, celle de l'après-guerre, le pays souffre désormais d'un important taux de chômage auquel les vagues de retours des soldats n'arrangent rien21. Avant 1931, la France n'est pas touchée de plein fouet et la crise est encore globalement cantonnée aux Etats-Unis. La dépression de l'après-guerre entraîne le chômage de six millions et demi de travailleurs américains, la frontière des Etats-Unis devient donc imperméable aux éventuels migrants tout comme celles du Canada, de l'Allemagne, de la Suisse et des Etats qui ont succédé à l'empire austro-hongrois entre 1919 et 1924. Ainsi, l'immigration des voisins transalpins se concentre dorénavant tout particulièrement vers la France. Côté italien, Mussolini condamne d'ailleurs l'émigration en 1927, pour autant il ne réussit pas à l'empêcher. Dans l'Hexagone, on essaye de ralentir les arrivées en imposant des quotas : les étrangers ne semblent plus les bienvenus. C'est dans ce climat peu engageant que commence notre étude de la scolarisation des enfants d'origine italienne en France.

Si l'immigration en provenance d'Outremont vers la France est aujourd'hui nulle, en revanche, la péninsule italienne est aujourd'hui désormais elle-méme terre d'accueil et c'est bien là ce qui fait l'originalité de la position italienne dans les études migratoires.

19 2,6 millions de départs pour l'ensemble des pays d'accueil pour la période 1911-1914, un peu plus de 360 000 au cours des années 1915-1919.

20 L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 45).

21 Voir la chronologie en document annexe n° 1.

Carte n°1 : Répartition de la population italienne dans les
départements français en 193122.

. La scolarisation en France :

Après avoir étudié le contexte général de l'immigration italienne, il nous faut maintenant nous pencher sur la scolarisation durant la période 1935-1955. Lorsque les Français se questionnent sur leur identité, l'institution scolaire est toujours au premier rang de leurs interrogations. L'Ecole républicaine s'affirmant alors comme la fabrique du citoyen et du soldat, son rôle dans la société se veut primordial.

Quand nous parlons d'Ecole, d'institutions scolaires, nous comprenons à la fois les établissements du primaire et ceux du secondaire, l'intégralité de la scolarisation en somme. La crise économique des années trente rend plus difficile les possibilités d'entrée en apprentissage et dans la vie active. En revanche, le prolongement de la scolarité, une réalité dès les années vingt, est favorisé, dans les années trente, par les nouvelles possibilités offertes par l'École (notamment lorsque Jean Zay est nommé ministre de l'Education Nationale sous le gouvernement Léon Blum23). Nombreuses alors sont les ouvertures de classes secondaires dans les écoles autrefois en mal d'élèves prolongeant leur scolarité. L'enseignement secondaire classique cesse d'être payant et les collèges techniques s'implantent sur tout le territoire français, aussi bien en ville qu'à la campagne. L'Ecole doit désormais « produire » de la promotion sociale24. En effet, la volonté d'utiliser les chances offertes par l'Ecole afin de trouver un métier, et, éventuellement, de réaliser l'ascension sociale espérée par les parents s'accroît alors, les familles immigrées n'échappant pas à la règle.

Jusqu'en 1930, la gratuité est réservée à l'enseignement primaire, elle est ensuite étendue aux sixièmes. En 1933, ce sont tous les établissements du secondaire qui bénéficient de la gratuité scolaire. Ces réformes sont le fruit de la mise en oeuvre de l'élitisme scolaire. A cette idéologie, prônant la réussite à l'école, s'ajoute une réalité concrète : le but de ces réformes est en fait de compenser la chute des effectifs du secondaire liée à l'arrivée en sixième des classes creuses nées pendant la guerre25. Nous retrouvons par ailleurs, à cette période, l'idée d'un enseignement modèle, d'un discours éducatif idéal devant être tenu par les instituteurs à leurs jeunes disciples. Or, nombreux sont les témoignages et les autobiographies, où les enfants de

23 Voir, en document annexe n° 5, la liste des ministres de l'Instruction.

24 Lire à ce sujet l'article de Marie-Claude Blanc-Chaléard.

M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens à l'école primaire française : l'exemple parisien, « La Trace » n° 5, Paris, Octobre 1991 (p. 6).

25 M-O MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET, Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p. 44, 45).

migrants Italiens (on compte aujourd'hui trois millions et demi de Français d'origine italienne dans l'Hexagone26) révèlent qu'ils se sont sentis parfois exclus ou moqués au sein de l'Institution scolaire.

II). Explication des termes du sujet

? Explications historiques et lexicales

Nous en arrivons maintenant à l'étape du rappel du rôle et des caractéristiques des différents protagonistes de nos recherches. Ce passage de l'étude peut sembler un peu fastidieux mais il n'en est pas moins nécessaire à une bonne compréhension des thèmes soulevés par notre sujet d'étude.

La situation de « migrant » se distingue de celle de « l'immigré » en tant qu'elle indique que le processus migratoire n'est pas clos. De méme, le terme « d'émigré », c'est-à-dire celui qui s'est expatrié par rapport à son pays d'origine, exprime un point de vue différent du mot « immigré » (celui qui est venu de l'étranger par rapport au pays qui l'accueille). La plus grande visibilité des immigrés, particulièrement Italiens, s'explique par leur stabilisation sur le territoire français. La recherche historique comme sociologique s'intéresse, dès lors, davantage à eux. Gérard Noiriel, historien pionnier du travail sur l'histoire de l'immigration en France, explique ainsi que « le regard se déplace vers les « improductifs », surtout les enfants. La problématique de la famille, donc de la généalogie, donc de l'assimilation, aiguisée par les fantasmes xénophobes, est en terrain sûr »27.

Nous aurons aussi l'occasion d'étudier le rôle et la formation des instituteurs dans les Écoles Normales de France.

Une des grandes polémiques que l'on retrouve chaque fois qu'est évoquée l'immigration en lien avec l'Ecole est le concept d'assimilation. Ce processus, qui, sans être une spécificité française relève tout de même de « l'habitude » nationale, fait l'objet aujourd'hui de vives critiques mais fut longtemps considéré comme l'unique solution à l'intégration des enfants de

26 Entretien de A. GUYOT avec P. MILZA pour Ouest France, « Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France », mai 2008.

27 G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Histoire de l'immigration (XIXème-XXème), Paris, 1988 (p. 37).

16 migrants dans l'Hexagone. L'Ecole est, sans nul doute, un des plus puissants « appareils démocratiques de représentation »28. Le témoignage du sociologue et philosophe Edgar Morin publié dans Le Monde, est, à cet égard, hautement significatif :

« La IIIe République institue [...] les lois de naturalisation qui permettent aux enfants d'étrangers nés en France de devenir automatiquement français et facilitent la naturalisation des parents. L'instauration, à la même époque, de l'école primaire laïque, gratuite, et obligatoire, permet d'accompagner l'intégration juridique par une intégration de l'esprit et de l'âme. J'en témoigne : fils d'immigrés, c'est à travers l'école et à travers l'Histoire de France que s'est effectué en moi un processus d'identification mentale »29.

Qu'en est-il donc de cette assimilation qui provoque, tour à tour, reconnaissance des enfants d'immigrés et critiques amères de ceux qui considèrent leur liberté et leur identité étouffées par ce processus ? Les capacités de l'Ecole Républicaine à intégrer les jeunes d'origine étrangère sont loin d'être considérées comme évidentes par tous les historiens. Citons ainsi le cas de Gérard Noiriel et celui d'Antonio Perroti qui, tous les deux, voient le pouvoir intégrateur de l'Ecole comme une idée reçue. Les rapports d'inspection (surtout en Sud-ouest et en Lorraine30 car à Paris, l'intégration semble avoir été effectivement poussée par l'école31), eux aussi, permettent de mettre en doute l'idée d'un pouvoir intégrateur sans faille de l'Institution Scolaire.

Il est nécessaire, dans l'étude à laquelle nous nous consacrons, de nous arrêter un moment sur trois termes que nous serons amenés à employer et qui ont fait débat chez les sociologues comme chez les historiens. L'entrée des résidents italiens en France, et donc de leurs enfants, se fait en effet selon trois modalités : l'intégration l'assimilation, et l'insertion.

Le projet français d'intégration est déjà présent dans les dispositions de 1889 qui se proposent de « transformer » les jeunes étrangers en Français 32 . En France, la tradition d'intégration républicaine a longtemps prévalue chez les pédagogues et les sociologues. L'origine scientifique du mot « intégration » évoque la construction dynamique d'une unité de citoyens, c'est donc une incorporation. L'intégration se veut un tout dans lequel chaque élément

28 « Appareil démocratique de représentation » est une expression utilisée par G. NOIRIEL dans La tyrannie du national, Paris, 1991 (p. 91).

29 E. MORIN, « La francisation à l'épreuve », Le Monde, Paris, 1991.

30 G. NOIRIEL, Les Italiens en France de 1914 à 1940, « Les immigrés italiens en Lorraine pendant l'entre-deux-guerres : du rejet xénophobe aux stratégies d'intégration », Paris, 1986.

31 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000.

32 Voir la chronologie disponible en document annexe n°1.

compte à part entière. Dans les années soixante-dix, historiens et sociologues critiquent le terme d'intégration au nom du droit à la différence, le mot « insertion » lui est alors préféré.

Ce terme est parfois utilisé dans les témoignages des enfants d'immigrés transalpins. « L'insertion » a l'avantage d'être le mot le plus neutre lorsque l'on évoque la collision du migrant avec sa société d'accueil. Cela suppose que les migrants conservent leur identité mais en ne se fondant jamais vraiment dans le corps social français. L'insertion souligne ainsi l'extranéité de l'arrivant et accepte la possibilité de son détachement de la société d'accueil lié au refus de la part du migrant d'être assimilé. Il est finalement rapidement abandonné à son tour.

Le thème de l'assimilation par l'Ecole, quant à lui, domine la période qui s'étend des années trente aux années cinquante, époque dont nous verrons qu'elle est particulièrement alimentée et aiguisée par les fantasmes xénophobes. Cependant, ce terme est déjà utilisé au XIXème siècle puisque le modèle d'assimilation est mis en place au début de l'ère républicaine, sur les enfants étrangers comme d'ailleurs sur les provinciaux (les historiens de l'Ouest ont ainsi développé quantité d'intéressants ouvrages sur le cas des Bretons par exemple). La France continue sa longue croisade jacobine vers l'Etat centralisé et le prisme adopté par l'Institution Scolaire doit alors être le même dans chacune des écoles essaimées dans l'Hexagone. L'assimilation est globalement défendue par les partisans de la « préférence nationale », c'est un processus qui fait disparaître l'élément étranger par une absorption dans l'organisme assimilateur. L'extranéité disparaît donc totalement lorsque l'on parle d'assimilation. Ce concept rend nécessaire la confiance dans la vertu assimilatrice des institutions étatiques, et en ce qui nous concerne, de l'Ecole. L'Italien immigré doit alors abandonner ces particularismes pour ne former qu'un avec la société d'accueil. Se pose alors le problème non négligeable de l'acculturation, problème sur lequel nous aurons bien entendu l'occasion de revenir dans nos recherches.

L'avantage de la notion d'intégration par rapport au concept d'assimilation est de concerner chacun des citoyens français et non uniquement l'immigré et ses enfants. En 1927 l'enfant d'un milieu allogène33, s'il est né en France, n'a plus la possibilité de choisir : s'il est de mère française ou de parents étrangers nés en France, il est Français. Cette loi, définie par de nombreux historiens comme assimilatrice, fait diminuer considérablement le nombre d'élèves étrangers dans les écoles françaises 34 . Ces nombreux écoliers d'origine italienne mais de nationalité française rendent, pour l'historien, plus difficile la tâche, nécessaire et préalable à l'étude, de reconnaissance des témoins potentiels au travail de recherche (en effet, nous le

33 Le groupe allogène décrit ici une communauté ethnique installée depuis peu sur un territoire et présentant encore des caractères la distinguant de la population autochtone.

34 Voir la chronologie disponible en document annexe n° 1.

verrons, ce serait se fourvoyer que de penser que la bonne intégration à l'école va de pair avec la naturalisation des élèves et de leurs parents).

Pour résumer, nous laissons ici la parole à Jacqueline Costa-Lacoux, politologue, chercheuse au CNRS et directrice de l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration, qui résume les complexes notions précédemment évoquées, par la définition suivante :

« L'assimilation souligne l'unité de la communauté nationale ; l'intégration, le choix et la participation des nouveaux membres ; l'insertion, les conditions d'accueil de l'étranger avec le maintien du particularisme d'origine »35.

Outre les thèmes relatifs à l'intégration, il est nécessaire de définir celui de « deuxième génération ». La définition de cette notion a donné lieu à de nombreuses polémiques au sein de la recherche historique, sociologique, anthropologique et scientifique. La première difficulté que nous devons affronter est l'absence de distinction des différentes catégories d'enfants de migrants dans la nomenclature officielle française. Effectivement, contrairement aux Etats-Unis où l'on distingue les enfants de souche américaine de ceux dont les parents sont nés à l'étranger, il n'existe pas réellement en France de communauté mixte « d'Italo-français ». Cette « deuxième génération » est donc composite, l'expression désigne indistinctement des jeunes français d'origine italienne et des jeunes italiens qui sont scolarisés en France. C'est seulement à la fin des années soixante-dix qu'apparaît l'emploi courant du vocable de « deuxième génération » 36. Par ailleurs, aucune définition précise n'ayant été adoptée, il nous semble donc plus prudent et plus juste d'utiliser avec parcimonie et précaution ce terme polémique. Nous choisissons donc plutôt, lorsque cela est possible, de préciser individuellement les trajectoires familiales de chacun des enfants de migrants que nous évoquons. Cette attitude semble, en effet, plus en accord avec l'éthique nécessaire à l'historien dont le regard se porte sur le phénomène migratoire.

35 J. COSTA-LACOUX, « Assimilation, intégration ou insertion ? Querelles sémantiques et choix politiques » dans J-L RICHARD, Les immigrés dans la société française, n° 916, Rennes, septembre 2005 (p. 49).

36 Il faut cependant préciser que, lors de la rédaction du Code Civil, promulgué le 21 mars 1804 par Napoléon Bonaparte, la question de la nationalité des enfants de migrants est déjà posée, y compris par le terme « deuxième génération ».

Pour traiter de ces thèmes, ambitieux par l'abondance des problématiques qu'ils soulèvent, nous ne pourrons bien sûr pas prétendre à l'exhaustivité. Il s'agira, dans notre étude, de s'interroger sur le rôle de l'Ecole dans le maintien et l'intégration des enfants d'immigrés italiens dans la société française.

Pour ce faire, nous procèderons à une organisation interne comprenant trois niveaux différents de recherche.

La première partie de ce travail permet de replacer l'enfant dans le contexte familial, ses fondations personnelles en somme (le parcours de ses parents et sa matrice culturelle).

Le second chapitre de ce Mémoire nous amène à étudier le contexte de l'école et, donc, l'imbrication des relations de l'élève, de ses camarades et de ses professeurs.

Enfin, la dernière partie de ces recherches est consacrée au rôle de l'école dans le sentiment d'appartenance ou non de l'élève d'origine italienne à la nation française ou, du moins, d'observer son intégration dans l'environnement tricolore.

CHAPITRE 1
L'ELEVE DANS SA FAMILLE.

Etudier les enfants d'origine italienne dans les écoles de France implique, en premier lieu, que l'on s'interroge sur leur matrice culturelle et familiale. Comme pour tous les écoliers de l'école, le milieu familial, en général prolétaire et populaire pour les immigrés italiens de la période 1935-1955, a une influence non négligeable sur les réussites à l'école (scolaires comme sociales). Quelles particularités liées au phénomène migratoire retrouve-on au sein de la vie familiale et qu'implique le milieu culturel dans la scolarisation des enfants ?

Quantité d'épisodes liés au phénomène migratoire sont dissimulés ou, du moins, évoqués rapidement seulement, au coeur du foyer transalpin. Le trajet migratoire, quant à lui, peut nous être raconté en détail par tous nos témoins. Cette anecdote est d'autant plus intéressante que, bien souvent, les enfants n'étaient pas encore nés au moment du départ d'Italie. Pourtant, l'évènement marque la famille de façon profonde et sur plusieurs générations. Maria raconte ainsi, de façon très émouvante : « Quand papa et maman sont arrivés de Sicile, ça a été comme une deuxième naissance pour toute la famille »37. Cette expérience migratoire, après plusieurs mois à étudier la scolarisation des enfants de migrants, nous est apparue comme un phénomène qui a marqué le passage à l'école des élèves d'origine italienne, nous montrerons ici de quelle façon. Nous nous pencherons ensuite sur l'influence du mode de vie, globalement traditionnel, des familles italiennes sur la scolarisation des élèves.

37 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
(Maria ne souhaite pas que son nom entier soit divulgué)

I). Les raisons de l'arrivée en France : quel retentissement de l'expérience migratoire sur la scolarité des enfants d'origine italienne ?

Mussolini condamne l'émigration dès 1927, il prend des mesures restrictives pour ralentir le départ des candidats mais il ne peut pas les empêcher totalement. Cette même politique le conduit aussi à faire revenir les Italiens déjà partis si bien que le nombre de retours de migrants passe de 53% entre 1921 et 1930 à 84% pour la décennie suivante38.

Du côté français, après avoir encouragé l'arrivée d'étrangers essentiellement européens dans le but de la reconstruction d'après-guerre, les dirigeants politiques se concentrent désormais, ici aussi, sur un freinage de l'immigration. En effet, en 1931, la crise économique internationale frappe le pays et des dispositions sont alors prises pour ralentir l'entrée des travailleurs étrangers qui ne sont plus, désormais, les bienvenus dans l'Hexagone.

A). Le Front Populaire.

Le Front Populaire est souvent perçu comme un intermède libéral pour les immigrés. En fait, cette observation est loin d'être aussi évidente. Le début de notre période est marqué par des discours xénophobes particulièrement présents au sein du monde politique, dans les journaux, ces débats sont donc investis aussi par la population française en général. Après la crise économique de 1930, les poussées xénophobes connaissent un déclenchement particulièrement rapide et intense (comme ce fut d'ailleurs le cas après la crise de 1880). Lorsque la France connaît la prospérité, l'immigré est le bienvenu pour occuper les emplois difficiles ou ingrats laissés par les nationaux. En temps de crise, ces postes sont de nouveau revendiqués par les Français. Ces conflits d'intérêts sont alors propulsés sur la scène publique comme arguments politiques par les dirigeants comme par les journalistes. Gérard Noiriel observe ainsi la croissance importante du nombre des articles sur l'immigration dans la presse au cours des années 1930-1939 à la lumière de l'étude de Ralph Schor sur l'opinion française39. Le sujet intéresse particulièrement les journaux quand le pays se trouve dans une situation critique : lorsqu'un étranger est impliqué dans un fait divers, comme c'est le cas en 1934, le nombre

38 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 74).

39 R. SCHOR, L'opinion française et les étrangers, Paris, 1985, cité par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 125).

22 d'articles croît brusquement40. Il convient donc de se demander si l'inflation du discours xénophobe gagne aussi le champ scolaire, en ce qui concerne les enseignants, les élèves et leurs parents. Ce nationalisme patent a-t-il un impact dans les débats sur l'assimilation ? En effet, l'euphorie de la victoire commune des deux soeurs latines en 1918 s'estompe rapidement pour laisser place à un agacement français face à une présence italienne jugée trop envahissante. Il est vrai que, si les Italiens bénéficient globalement d'une image individuelle de marque41, la vision collective de l'immigration transalpine est, quant à elle, plutôt négative dans la première partie de notre période.

Période de bouillonnement social et d'effervescence en terme de luttes sociales, le Front Populaire a particulièrement marqué les enfants dont les parents avaient fuit le fascisme pour des raisons politiques. Ainsi, Walter Buffoni, enfant de Liguriens de sensibilité communiste dont l'oncle Alfredo a été assassiné par les fascistes, se rappelle de ses souvenirs d'alors :

« Les origines politiques de mes parents, méme s'ils n'en faisaient pas état en France pour des raisons évidentes, m'ont marquées. Les grèves de 1936 et l'avènement du Front Populaire ont été à l'origine de mes options politiques et syndicales, avec des responsabilités syndicales très importantes, y compris nationalement »42.

Par ailleurs, un autre évènement contribue alors à mettre « de l'huile sur le feu » dans les relations franco-italiennes. Depuis octobre 1935, les armées mussoliniennes mènent une guerre en Ethiopie43 qui marque le retrait de l'Italie de la Société des Nations et, par la même, son rapprochement avec l'Allemagne nazie. Ce conflit est souvent synonyme de rupture des bonnes relations tant entre adultes que pour les plus jeunes. Ainsi, en 1992, Enzo Brun confie à Marie-Claude Blanc-Chaléard :

« On avait à l'école des amis d'origine française, ça se passait bien... ça se passait bien jusqu'en 35-36, quand il y a eu la guerre d'Ethiopie, là, alors, il y a eu une vague de xénophobie dont je me souviens très bien. J'avais des amis, ils parlaient des « sales Italiens » et ils disaient « pas toi, pas toi », mais je le prenais pour moi »44.

40 G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris, 2002 (p. 24, 25).

41 La note générale sur leur capacité d'intégration en 1926 est de 7,3 %, les plaçant ainsi en troisième position.

G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris, 2002 (p. 25).

42 Walter Buffoni, fondateur de l'association nazairienne France-Italia, est adhérent politique en 1944 et syndical en 1945, il est aujourd'hui retraité mais toujours militant.

Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010 et rencontre à Méan-Penhoët le vendredi 30 avril 2010.

43 La Seconde guerre d'Éthiopie ou campagne d'Abyssinie oppose l'Italie fasciste de Benito Mussolini à l'Empire d'Éthiopie d'Hailé Sélassié entre octobre 1935 et mai 1936.

44 Témoignage de Enzo BRUN (3/12/1992), dans M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 481).

Politiquement en revanche, pour ce qui est des droits des étrangers sur le sol de l'Hexagone, le Front Populaire représente bien un intermède libéral, plus cependant par l'interprétation de textes précédemment votés et par la façon de les mettre en oeuvre que par l'adoption d'une législation nouvelle45. C'est en 1936, que désormais, les enfants étrangers résidents en France sont, eux aussi, soumis aux lois républicaines sur l'obligation scolaire46. Le Front Populaire met fin au laxisme qui entourait jusque là l'absentéisme des écoliers. L'obligation scolaire est portée de 13 à 14 ans, à l'initiative de Jean Zay, alors ministre de l'Education Nationale au sein du gouvernement. Concrètement, cette mesure aménage des classes de fin d'études, elle permet l'ouverture de centres d'apprentissage. Ainsi l'Ecole garde plus longtemps aussi les élèves destinés au travail manuel. Une autre des mesures phares du Front Populaire en matière d'éducation est souvent évoquée par nos témoins. En effet, en 1937, les « classes promenades » sont instaurées : l'objectif de ce projet est de se servir de l'environnement comme d'un support pédagogique. Jean Burini se rappelle d'ailleurs de ses sorties avec son instituteur, après la guerre :

« Un samedi, on allait à la piscine, un samedi, on allait faire un tour à vélo ... ou les jeudis... On allait au bois, il nous apprenait les arbres, il était vraiment génial ».

Les sorties étaient, parfois, plus lointaines et sur une plus longue période, Jean explique ainsi :

« Avec le centre d'apprentissage, l'été, on allait en montagne [...] ça permettait de faire de l'escalade, on a fait la traversée d'Annecy à la nage, je suis arrivé le vingthuitième ! »47.

45 Précisons ici que la polémique porte sur la période du Front Populaire, certains mettent en avant les quelques avancées de la coalition des partis de gauche au niveau du traitement des immigrés alors que d'autres déplorent le fait qu'aucune loi majeure ne fut votée à cette période, Pierre Milza par exemple. En fait, le Front Populaire constitue une avancée dans le traitement des immigrés et leur intégration, mais il déçoit certains dont les attentes sont plus importantes que les réformes réellement appliquées.

46 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004 (p. 251).

47 - Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 -- Vigneux).

- Voir aussi la rédaction de Gérard COLOMBO en annexe n° 8.

(« Joyeux écoliers », journal mensuel de la classe de Jean Romac, école de garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954).

Figure n° 1 : Sortie scolaire au Luxembourg48
(École Poincaré, Villerupt, début des années cinquante)

Figure n° 2 : Le spectacle de l'école, les activités artistiques49
(École Poincaré, Villerupt, début des années cinquante)

48 Collection privée de Jean BURINI.

49 Ibid.

Le contexte social, quant à lui, s'il est favorable aux classes les plus en difficulté et aux ouvriers de la vague d'immigration d'avant 1914, ne semble pas bénéfique aux parents de nos témoins. La France connaît alors une période longue de chômage. Dès lors, on remarque une vague de xénophobie qui ne sera pas, soulignons le, le monopole de l'ultra droite nationaliste, ainsi, le socialiste Fernand Laurent s'exclame à la Chambre : « Paradoxe irritant en France, à l'heure actuelle : 500 000 chômeurs et deux millions d'ouvriers étrangers » 50 . Quel retentissement a pu avoir cette absence de travail disponible pour les immigrés sur la scolarité de leurs enfants ? Plusieurs conséquences découlent de cette situation de crise. Tout d'abord, les immigrés sont contraints de se déplacer davantage sur le territoire français pour trouver un emploi ce qui implique des changements d'école fréquents pour leurs enfants. Par ailleurs, certains d'entre eux doivent rentrer en Italie, ils reviendront parfois après la Seconde Guerre mondiale. Outre les changements imputables aux déplacements familiaux, les échos de ce pic de chômage se font aussi sentir dans les rapports avec les camarades de classe. C'est surtout les élèves d'origine italienne dont les parents travaillent qui subissent les injures de leurs homologues français :

« Le chômage était très important, nos parents, pour l'essentiel des Italiens, travaillaient et ce n'était pas sans amener des remarques désobligeantes. Egalement pour des raisons dues au fascisme en Italie, ça retombait sur nous, cela m'a amené à me battre quelques fois »51.

L'élève français répète ce qu'il entend à la maison et a parfois tendance à stigmatiser son camarade d'Outremont comme « l'indésirable » de l'école. Citons ainsi WM, qui se souvient de ses difficultés lors du pic de chômage. Il a alors douze ans et a déjà changé quatre fois d'école, ses parents, son petit frère et lui-même déménageant au rythme des emplois précaires de son père.

« En 1936, plus de travail ! C'était le début du Front Populaire en France, des difficultés pour tout le monde pour avoir du travail. En particulier pour les étrangers. Les étrangers majeurs à l'époque c'était les Italiens. [...] Et là, j'ai commencé à sentir qu'il y avait des agressions »52.

50 E. CAPORALI, « Le Peuple », 27 novembre 1984

Dans l'ouvrage de R. SCHOR, L'opinion française et les étrangers, Paris, 1985 (p 908).

51 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

(Ce témoin a demandé à ce que seules ses initiales soient divulguées)

52 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

Effectivement, le taux de chômeurs en France est alors proche des 10 % en agrégeant chômage recensé et chômage partiel53. A ces difficultés d'intégration liées au non-emploi, s'ajoutent bientôt les prémices de la guerre.

B). Les prémices de la guerre.

Si la crise économique mondiale a eu pour effet de réduire la population immigrée en France (seulement 721 000 Transalpins en 1936), les années 1937 et 1938 ont, quant à elles, été marquées par une reprise non négligeable des arrivées dans l'Hexagone54.

Comment vont être accueillis ces nouveaux contingents d'Italiens ? Ni la proximité géographique ni la parenté culturelle de la France et de l'Italie ne semblent suffire à vaincre les préjugés et la xénophobie de certains autochtones. Daniel Fantin, évoquant l'union de ses parents, raconte ainsi :

« Etant jeune, on peut dire que nous avons souffert que notre père soit italien. La première a en souffrir, je pense que c'est notre mère : se marier en 1939, cela n'a pas du être facile tous les jours. Il ne fallait pas dire que notre père était italien »55.

Tous les immigrés de France ne sont cependant pas « logés à la même enseigne ». En tout cas selon Georges Mauco, qui, en 1938, alors employé au cabinet du sous-secrétaire d'Etat chargé des services de l'immigration et des étrangers auprès du Président du Conseil, opère pour la première fois une distinction entre « l'immigration voulue » (constituée par les ouvriers) et « l'immigration imposée » (formée par les réfugiés)56. Par ailleurs, des différences sont aussi établies, dans l'opinion publique entre le migrant urbain et le rural. Ce dernier est davantage stigmatisé, on se moque de ses mauvaises conditions d'hygiène, de la promiscuité dans laquelle il vit avec ses compatriotes, de sa mauvaise alimentation, comparée à celles des populations françaises de l'exode rural, cinquante ans plus tôt. De méme, en général, l'Italien du Nord sera préféré au méridional et les hommes du bâtiment bénéficieront d'un a priori positif quand le commerçant sera, quant à lui, plus souvent dénoncé comme malhonnête57. Les mêmes remarques

53 Voir à ce sujet les données disponibles en ligne sur le site de l'INSEE.

54 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 77 à 82).

55 Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).

56 G. MAUCO, Les Etrangers en France, leur rôle dans l'activité économique, Paris, 1932.

57 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 126, 127).

sont faites dans la cour de récréation, où les jeunes transalpins essuient des insultes sur leur qualité de « fils de ritals magouilleurs »58.

Nous le verrons, les facteurs religieux et politiques de leur exil pourront être propices à l'intégration des Italiens. Cependant, face à un prolétariat politisé et déchristianisé, ils pourront aussi être la cause d'un rejet qui se traduit souvent par le repli sur elle-même de la communauté. Néanmoins, le chiffre de 40 % d'étrangers ayant obtenu la naturalisation à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l'infime proportion d'enfants d'immigrés optant à la majorité pour la nationalité italienne 59 , ou encore les nombreux mariages mixte « italo-français » 60 , nous permettent d'observer une relativement bonne intégration des migrants Transalpins. Par ailleurs, à cette période, les immigrés Italiens viennent tout de même en troisième position (après les immigrés de Belgique et de Suisse, c'est-à-dire deux pays en partie francophones) dans l'échelle des préférences nationales en France61. L'image de l'immigré Italien est plus souvent négative dans les régions où le sentiment identitaire est très fort (la Corse, malgré sa part d'histoire italienne, en est un exemple parlant). En revanche, nos témoins bénéficient globalement d'un bon accueil et d'une intégration remarquable dans des régions (comme la Garonne, par exemple) où l'apport migratoire a permis d'enrayer la désertification alors en marche.

Luc Delmas, investi par l'ARESSLI, explique, pour ce qui concerne la Lorraine que l'Entre-Deux-guerres voyait souvent les mussoliniens, avec le soutien de leur consulat investir le Pays Haut62. Alain Croix, quant à lui, étudie la situation nantaise, repérant une organisation fasciste en place dès 1926, presque aussitôt suivie par des critiques de la part « d'Italiens francophiles », c'est-à-dire anti-fascistes63. En effet, dès 1922 et jusqu'au début de la guerre, les Italiens qui arrivent en France pour des raisons politiques, fuient souvent le fascisme. Ils rejoignent alors des réseaux déjà en place et reconstituent des structures partisanes (socialistes de

58 Un intervenant d'origine italienne racontera cette anecdote lors de la conférence sur les « Italiens de Bretagne », de Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.

59 L. GERVEREAU, P. MILZA, E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 46).

60 En témoignent les histoires de François CAVANNA, (Op. Cit.) ou de Pierre MILZA (Op. Cit.) par exemple.

61 R. SCHOR, L'opinion française et les étrangers, Paris, 1985, cité par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 125).

62 L. DELMAS, « Les immigrés italiens pendant les guerres », n° 11, mai 1999, Communication présentée au festival de Villerupt, le 28 octobre 1995) (p.8).

63 « Le « président de la colonie italienne des Batignolles », Lino ZANNI, et son vice-président, Natale PENCO, sont des fascistes. [...] des notables italiens créent un fascio : ces initiateurs du fascisme à Nantes sont des commerçants [...] c'est le gouvernement italien qui est derrière cette offensive concertée ».

A. CROIX, Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, 2007 (p. 266).

différentes obédiences, anarchistes, communistes, républicains) ou des organisations associatives (la LIDU64 par exemple). Les colonies italiennes sont dès lors parfois déchirées par un clivage qu'il ne serait pas aberrant de désigner comme répondant à une logique de guerre civile, pour la France méridionale en tout cas 65 . Les « fuoriscisti » s'échappent ainsi la répression mussolinienne, emmènent avec eux femmes et enfants, en danger dans la Péninsule. Aucune mesure administrative n'est prise à l'encontre de ces Italiens du côté français mais la manifestation de comportements italophobes au sein de l'opinion se fait plus forte. Le climat est tendu pour les immigrés italiens puisque aux tensions politiques intestines entre fascistes et antifascistes s'ajoutent les affrontements racistes entre Français et Italiens. Signalons cependant que les familles de « fuoriscisti » bénéficiaient tout de même du soutien de nombreux hommes de gauche, or, nous savons qu'ils existent dans des proportions non négligeables parmi les hussards de la République française. La « politisation » se fait d'ailleurs dès l'Ecole Normale qui a pour mission de diffuser des valeurs prétendument universelles aux maîtres Français qui devront, à leur tour, les enseigner aux écoliers de l'Hexagone. Bien sûr, ses valeurs diffusées par l'EN sont plus de l'ordre de la solidarité et de la tradition républicaine que de la lutte politique. La compassion envers les difficultés qu'ont connues les immigrés et leurs enfants est d'ailleurs souvent signalée par nos témoins. En effet, au cours des entretiens, ils « justifient » souvent, a posteriori, par des raisons politiques, la décision de leurs parents de quitter la terre mère. Les explications liées à la fuite du fascisme sont, il est vrai, considérées comme plus valorisantes que les raisons économiques, Pierre Milza parle ainsi de « légende noire du fait migratoire »66. En fait, les raisons politiques et économiques s'entremêlent souvent. Il n'est, dès lors, pas aisé de se faire une idée juste du motif principal de départ, analyse d'autant plus difficile que souvent les enfants ignoraient pourquoi leurs parents s'étaient exilés. Si la fuite du fascisme est parfois valorisée par les maîtres d'école, on remarque aussi qu'elle a pu joué comme un frein à l'intégration. La compassion bienveillante des instituteurs à l'égard de familles ayant fuit l'Italie n'est pas si courante.

Si l'on cherche à déterminer le moment de la rupture dans les relations franco-italiennes on désignera sans doute le discours de Ciano du 30 novembre 1938 à la chambre des Faisceaux et des Corporations. Le « plan Ciano », qui s'avère par la suite être un cuisant échec pour le

64 La Liga Italiana dei Diritti dell Uomo (Ligue italienne des droits de l'homme - TDLA) est constituée à Paris en 1922.

65 L. TEULIERES, Français et Italiens dans la France méridionale de la fin de la Grande guerre au sortir de l'occupation : opinion et représentations réciproques, Thèse de doctorat sous la direction du professeur P. LABORIE, Université de Toulouse II Le mirail, 1997.

66 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 474).

camp italien, a pour but de « faciliter les nombreux courants d'Italiens qui ont manifesté l'envie de rentrer dans la Patrie ». Mussolini tente de bloquer l'émigration, alors que le gouvernement français augmente les naturalisations afin de pouvoir appeler plus de soldats potentiels en vue de la guerre qui se prépare à éclater. En fait, quelques fascistes en vue et quelques milliers d'immigrés rentreront en Italie. Le gouvernement de Rome exige par ailleurs l'application stricte de l'article 21 de l'armistice franco-italien (les Italiens internés pour raison politique doivent être rapatriés, les adversaires tout comme les partisans du régime). Les missi dominici de Mussolini, aidés par les fasci locaux et les missions catholiques, développent en France une importante propagande en faveur du retour de ces immigrés67. Retours qui s'avèrent assez conséquents dans les trois années qui marquent les prémices de la guerre :

Années

Total des départs

Départs vers la France

Retours de France

1938

61

548

10

551

8 440

1939

29

489

2

015

59 877

1940

51

817

1

119

45 741

Tableau n° 1 : Emigration italienne et solde migratoire entre la France et l'Italie pendant les
prémices de la Seconde Guerre Mondiale68.

Ces retours expliquent que quelques uns de nos témoignages soient en langue italienne : après avoir été scolarisés en France durant l'Entre-Deux-guerres, les jeunes retournent vivre en Italie et font leur vie d'adulte là-bas. Avec le début de la Deuxième Guerre mondiale, un grand nombre d'émigrants italiens installés en Angleterre, en Belgique, en Suisse ou en France doivent retourner dans leurs villes d'origine. On comptera près de 150 000 Italiens venus de France qui traversent alors les Alpes, prenant ainsi le chemin du retour « forcé » à la terre mère. Cependant, durant cette période, des navires continuent, depuis les ports de Gênes ou Naples, à alimenter l'immigration aux Etats-Unis.

67 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 83, 84).

68 A partir des sources de l'ISTAT, P. MILZA, Ibid. (p. 75).

C). Le contexte français de la guerre : un regain de xénophobie de la part des autochtones ?

En septembre 1939, la guerre est déclarée et la France connaît des départs d'étrangers difficiles à quantifier. La menace est militaire mais pas seulement : la pression est aussi présente dans la vie quotidienne en raison d'une xénophobie ambiante particulièrement violente. On estime à une soixantaine de milliers de personnes ces départs, un effectif qui représente 8 à 10 % des migrants d'alors69. Par ailleurs, cette phase de la Seconde Guerre mondiale est vécue comme une période ou l'intégration est extrêmement difficile pour la plupart des jeunes d'origine italienne : évacuations massives70 et stigmatisation du « faux frère latin » comme « le traître » se font particulièrement présents en cette période trouble. Les écoliers d'origine italienne n'échappent pas aux vives critiques de certains instituteurs et de quelques écoliers quant à leur position d'ennemis de la France. René Maestri, alors élève de l'école de Montreuil, et Maria Birlouez, racontent à Marie-Claude Blanc-Chaléard ces épisodes terribles :

« C'était pendant la guerre, en 1942 ou 1943. Nous étions en train de jouer dans la cour de l'école quand les instituteurs nous ont demandé de nous mettre en rang. Les fils d'étrangers ont été regroupés en haut à droite. Sur le coup, je n'ai pas compris jusqu'à ce que la distribution des masques à gaz commence. Tout le monde a eu son masque... Tout le monde sauf nous, les fils de Ritals, d'Espagnols, de Polonais ». Cependant, René Maestri garde sa confiance en l'Ecole française et explique que « les instituteurs n'y étaient pour rien. Ils avaient reçu des ordres ».

Maria Birlouez raconte, quant à elle, situant l'évènement en 1944 : « notre nom italien ne nous donnait pas droit au masque. Cet épisode nous a traumatisés. On a cru qu'on allait mourir, pas les autres »71.

Ajoutons aux difficultés liées à ces remarques désobligeantes les problèmes intrinsèques de la guerre, que, tout comme leurs camarades français, nos témoins ont subis72 :

69 M C. BLANC CHALÉARD, « les mouvements d'Italiens entre la France et l'étranger. Eléments pour une approche quantitative », Paris, 1991.

70 Les hommes de Heinrich Himmler évacuent de Marseille une vingtaine de milliers de personnes, dont beaucoup d'Italiens. En janvier 1943, le 14ème régiment de police dynamite le quartier du Vieux Port : le « chancre de l'Europe », comme l'appelait le général SS Karl Oberg est désormais un champ de ruines.

71 Entretiens de René MAESTRI et Maria BIRLOUEZ dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 520, 521).

72 Soulignons qu'à Nantes, le lycée Vial est sinistré lors des bombardements de 1943, des baraquements provisoires sont alors édifiés pour que les cours puissent continuer. La reconstruction de l'établissement n'est effective qu'en 1953.

« La position de l'Italie ennemie n'a pas été sans commentaires vis-à-vis de nous. [...] J'avais quinze ans en 1940 à l'apprentissage. Les bombardements étaient nombreux avec beaucoup de victimes, en particulier en novembre 1942 au centre d'apprentissage où plus de cent apprentis et moniteurs furent tués. Moi-même, je suis en quelque sorte un rescapé. »73.

« Mon père a fait partie de la défense passive et des « cinquante otages », ils faisaient un roulement d'otage ! C'est passé à côté mais ça aurait pu ! »74.

Les insultes liées à la position italienne de 1940 laissent parfois encore leurs marques sur les décisions d'adultes des témoins, comme c'est le cas, par exemple, pour Mario Merlo :

« À l'école je n'étais pas français, je ressentais la différence. A l'école on est ensemble mais de mes cinq à mes dix ans, compte tenu de Mussolini qui avait retourné sa veste, les Français, c'est normal... on était mal vus ! C'était un complexe. Mais ça ne se voyait pas de l'extérieur : quand ils envoyaient des vannes, je leur disais rien mais ça marquait. C'est pour ça qu'à 21 ans, il y a eu l'Algérie, j'ai dit j'y vais mais pour faire mon devoir mais sans être convaincu »75.

La réaction à la stigmatisation de l'Italien en cette période conflictuelle est souvent de s'affirmer comme Français, posture sûrement plus aisée pour les enfants issus de couples mixtes comme c'est le cas de Pierre Milza dont seules les attaches paternelles le rattache aux montagnes émiliennes :

« On m'avait appris à l'école [...] que les « macaronis » [...] nous avaient donné un coup de poignard dans le dos en 1940 et je ne me sentais en rien un macaroni »76.

73 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

74 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

- Le terme de « défense passive » désigne la protection des populations en situation de guerre.

- Les « cinquante otages » font ici référence à cet épisode douloureux de la mémoire nantaise : le 16 octobre 1941, trois jeunes résistants arrivent à Nantes avec pour mission d'exécuter un officier allemand qui est assassiné quatre jours plus tard. En réaction, le général allemand Von Stülpnagel ordonne l'exécution de cinquante otages. Seize personnes sont fusillées au camp du Bêle, les autres sont exécutées à Châteaubriant et à Paris.

75 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

76 P. MILZA Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 9).

 

A gauche :

Mussolini, empereur de la méditerranée. A droite : Mussolini, l'affreux échec.

Sur les papiers :

- Guerre, signé Mussolini

- Ordres de Berlin - Roosevelt

 
 

Figure no 3 : « Le rêve et le cauchemar "
Caricature de David Low77.

Cet évènement est une des grandes étapes de notre étude puisqu'il est souvent évoqué par les anciens écoliers. « L'accusation " est reprise maintes fois dans les écoles comme injure envers les élèves d'origine italienne78. C'est Roosevelt qui, le premier, qualifia de « coup de poignard dans le dos " la déclaration de guerre italienne du 10 juin 1940, alors que les troupes allemandes avançaient sur tous les fronts 79 . Laura Teuillères explique l'influence de cet évènement politique et diplomatique : « La trahison de Mussolini fait que l'on glisse vers l'idée que le coupable, c'est l'Italien de la ferme d'en face, « ce salaud de macaroni ». [...] L'animosité de terrain a été renforcée à ce moment là "80. Le 24 juin 1940, le gouvernement Badoglio dénonce l'armistice franco-italien ce qui rétablit l'état de guerre entre les deux pays81. Cet évènement politique majeur va avoir une influence non négligeable sur l'attitude des écoliers et

77 Caricature de D. LOW, « Evening Standard ", 11 mai 1940.

78 P. MILZA, Op. Cit. (p. 9).

79 Ajoutons qu'à ce climat, déjà peu propice à l'apaisement entre Italiens et Français, s'ajoute l'italophobie renforcée par la rumeur, pourtant erronée, du mitraillage des colonnes de l'exode par des avions italiens.

80 L. TEULIERES

Dans « La vie rêvée des Italiens du Gers ", documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

81 Pour cet éclairage chronologique, les ouvrages utilisés sont :

L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 45 à 48).

Et P. MILZA Op. Cit. (p. 9 et 290).

33 des professeurs envers leurs élèves et camarades italiens. Le statut des ressortissants transalpins est défavorable, leur image dans l'opinion publique est négative82. Plusieurs milliers d'Italiens dont les papiers ne sont pas en règle seront arrêtés83. Cette situation douloureuse, en plus de ses conséquences directes et souvent dramatiques, sur toute la cellule familiale a, sans nul doute, contribué à la dégradation des rapports entre les élèves étrangers et Français. Même lorsque, comme pour César à Noisy-le-Grand, l'intégration est globalement bonne, elle pâtit tout de même de la guerre : « A huit, neuf ans, quand je suis arrivé, je suis allé à l'école du Centre. Il n'y avait pas de problèmes avec les autres, sauf peut-être pendant la guerre »84. Souvent, le conflit mondial n'est pas directement dénoncée par les témoins comme la cause de leur « rejet » mais elle est presque toujours évoquée lorsqu'ils évoquent les insultes dont ils ont parfois été victimes, citons, par exemple, Maggiorina Bozzuffi, née Cattirolo, qui fréquente l'école privée à Rennes de 1930 à 1943 :

« toutes mes institutrices m'aimaient bien, sauf les derniers professeurs pendant la guerre »85.

Jean-Louis Scaglia, à Nogent, fait sensiblement le même constat :

« Pendant la guerre, les difficultés avec les Français étaient plus grandes : « sale macaroni, viens pas nous emmerder ici. En plus, il y avait un instituteur, un type qui avait fait la guerre de 14, avec le béret et tout, il avait l'habitude de compter tous les étrangers une fois par mois. J'étais français mais il regardait que les noms »86.

Ce qui marque aussi cette période de guerre, c'est bien sur le gouvernement de Vichy et, pour ce qui concerne notre sujet, sa politique quant aux immigrés et à l'éducation. En effet le gouvernement du maréchal Pétain considérant que « si nous avons perdu, la faute en incombe au système éducatif »87, il porte sur l'Ecole un regard attentif accompagné de nombreuses réformes. Par ailleurs, plus d'un millier d'instituteurs seront alors révoqués (parmi eux, des pacifistes, des résistants, des juifs ou encore des francs-maçons), les Ecoles Normales supprimées (le gouvernement vichyste les considère comme des vases clos où le socialisme règne en maître). La réforme vichyste instaure l'intégration des classes primaires supérieures au secondaire, l'objectif

82 L. TEULIERES, « Mémoires et représentations du temps de guerre dans le midi toulousain » dans M-C BLANC-CHALEARD (dir), Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003. (p. 206, 207).

83 P. MILZA, Op. Cit. (p. 83).

84 I. VENDRAMINI-WILLEMS, L'immigration italienne à Noisy-le-Grand (1886-1968). Une intégration réussie, Université Paris IV, 1992 (p. 121).

85 Questionnaire complété par Maggiorina CATTIROLO-BOZZUFFI (2010).

86 Jean-Louis SCAGLIA dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 521).

87 M-O. MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET, Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p. 34).

est alors d'enlever les élèves les plus âgés à l'influence de leurs maîtres. Ces mesures sont supprimées à la chute du gouvernement en août 1944, en revanche, les nouveaux centres de formations techniques (plus de 600 sont créés à cette période), qui font à peu près consensus quant à leur grande efficacité, sont conservés.

Le printemps 1945 marque le retour de flux d'entrées importants, les migrants sont alors souvent des personnes ayant déjà travaillé en France avant le conflit. A ces cohortes d'immigrés déjà bien intégrés à la société française s'ajoutent les victimes du chômage transalpin et du surpeuplement de l'Italie, souvent des clandestins chargés de famille. Or, l'attitude libérale face aux flux est bien finie et le criblage est désormais sans concession88. Cependant la France en reconstruction a besoin de bras et le phénomène d'immigration massive qui avait suivi la première guerre mondiale se répète ici. Dès l'été 1945, le général De Gaulle négocie, avec le gouvernement de Rome, l'entrée, sous l'égide de l'ONI, de travailleurs. Les résultats des deux accords négociés se font rapidement sentir, dans des proportions néanmoins inférieures à celles prévues initialement par les experts. L'immigration italienne est ensuite stabilisée, tout comme la répartition géographique des migrants89.

D). L'après-guerre : une décennie de laborieuse amélioration de l'image de l'immigré italien.

A l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, l'Italie est le seul pays « développé » qui n'a pas encore achevé sa transition démographique. Elle bénéficie donc d'une main d'oeuvre nombreuse. A l'heure où tous les autres pays européens sont à l'heure de la reconstruction, ces travailleurs transalpins bénéficient de la plus grande attention de leurs voisins mais aussi de celle de pays plus lointains (l'Argentine en est l'exemple le plus parlant). L'Etat italien essaye de « vendre » ses émigrés aux pays les plus offrants90. La France n'est pas la destination la plus courue, elle est donc progressivement délaissée pour des destinations où les salaires des ouvriers

88 Les raisons invoquées sont professionnelles ou médicales, parfois politiques.

P. GUILLEN, « Le cas italien », dans DUMOULIN (Michel) (dir.), Mouvements et politiques migratoires en Europe depuis 1945, Bruxelles, 1989 (p. 40).

89 P. MILZA, Op. Cit. (p. 86, 87).

90 - Le 23 juin 1946, la Belgique signe à Rome le protocole d'un accord économique entre les deux pays. Il prévoit l'envoi de 500 000 travailleurs italiens en échange de l'approvisionnement de trois millions de tonnes de charbon annuel.

- En 1955, l'Allemagne, quant à elle, signe un engagement en matière de migration ce qui amène presque 3 millions d'Italiens à immigrer.

sont meilleurs. L'arrivée des Transalpins n'en est pas pour autant devenue négligeable dans l'Hexagone et le gouvernement français fait, en 1946, un choix historique en prenant la décision de faire appel à l'immigration. Ces entrées sont contrôlées par le biais de l'ONI qui est chargée des contrats de travail et de la sélection des migrants91. Désormais, trois types de cartes leur sont délivrés92. Dans la décennie qui suit la Seconde Guerre mondiale, on remarque une relative stabilisation de l'immigration italienne et de la répartition géographique des Transalpins de France. En 1946, ils sont encore 450 000, soit 25, 9 % des étrangers présents dans l'Hexagone93.

Pour ce qui est de la situation économique des parents de nos témoins, anciens ou nouveaux arrivés dans l'Hexagone, les « Italo-français » profiteront de l'élan économique d'après 1955, principalement ceux qui travaillent dans le bâtiment (les banlieues sont alors en plein essor).

Après la Seconde Guerre Mondiale, l'Italien, jusque là plutôt considéré comme indésirable, connaît un processus de légitimation et de revalorisation de son image94 même si on remarque toujours, dans la presse française comme au sein des établissements scolaires un antiitalianisme par défaut, conséquence douloureuse du souvenir de l'alliance transalpine avec les puissances de l'Axe. Le début des années cinquante montre que, désormais, ce sont les Méridionaux qui émigrent majoritairement vers le territoire français : à la vision négative des autochtones sur leurs voisins d'Outremont, s'ajouteront donc souvent les critiques des Italiens du Nord sur ceux venus du Sud. L'amélioration de l'image de l'Italien est très lente comme en témoignent les incidents fréquents rapportés par la presse et les institutions publiques. Une illustration récurrente de ces difficultés peut ici être citée en exemple. En effet le domaine du sport à toujours tendance à concentrer les oppositions dans les cours d'écoles. Ainsi, l'illustration de cette vision négative est donné cinq ans après la fin de la guerre sur une étape pyrénéenne du Tour de France : l'équipe italienne est huée, et le célèbre coureur cycliste Gino Bartali, après une

91 Les critères de recrutement sont essentiellement sanitaires et basés sur la force de travail des postulants. Le 2 novembre 1945, une ordonnance paraît, véritable charte de l'immigration vers la France.

92 « La hiérarchisation entre trois types de carte permet une sélection des étrangers, y compris de ceux déjà installés en France : la carte de résident temporaire, pour des séjours inférieurs à un an, celle de résident ordinaire, valable trois ans, celle enfin, de résident privilégié, valable dix ans. [...] La carte de résident privilégié permettant seule une installation durable. L'ordonnance distingue ces titres de séjour des titres de travail, autre moyen de filtrage des étrangers d'autant plus efficace que le refus d'un titre de travail entraîne, en principe, le refus d'un titre de séjour ».

« Les étrangers au temps des « Trente Glorieuses » » dans A. CROIX, Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, 2007 (p. 337).

93 P. MILZA Op. Cit. (p. 86, 87).

94 A. BECHELLONI, « Il riferimento agli Italiani nell'elaborazione di una politica francese dell'immigrazione » (1944 - 1946), dans G. PERONA, Gli italiani di Francia 1938 À 1946, Milano, 1994 (p. 45 à 57).

impressionnante chute dans le col d'Aspin, doit défendre son vélo à coups de poings face à un public hostile. D'ailleurs un élève de l'école de Blanquefort dans le Gers confie cette anecdote de cour de récréation : « à l'école, il fallait être pour les coureurs cyclistes français »95.

Figure no 4 : « Les Italiens dans « le Tour »»
Dessin paru dans le Canard Enchaîné96.

En outre, les rapports des fonctionnaires d'état constituent, eux aussi, une preuve que les relations tendues entre Français et immigrés italiens sont toujours d'actualité durant la décennie qui suit la victoire des Alliés. L'ambassadeur transalpin en poste à Paris à partir de 1947, Pietro Quaroni, explique ainsi que : « L'opinion publique en France partageait un sentiment de vengeance envers l'Italie »97. On retrouve d'ailleurs les mêmes constats dans les rapports des

95 Témoignage d'un enfant d'origine italienne à Blanquefort,

Dans « La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

Cette anecdote sur l'importance du soutien aux coureurs français est aussi illustrée par le témoignage de Pierre Milza qui raconte un de ses souvenirs alors qu'il était en vacances en Italie : « A San Remo, en ce début d'été 1948, je suis allé crier mon enthousiasme pour Bobet [...] et je trouvai parfaitement déplacé cette jeune femme, tifosa du grand Bartali et qui, tenant à bout de bras son bambin vaguement inquiet, l'invitait à contempler le héros du jour : « guardi ! guardi, Gino, com'è bello » (« regarde ! Regarde Gino, comme il est beau ! » TDLA).

Dans P. MILZA, Op. Cit. (p. 10).

96 Dessin « Les Italiens dans « le Tour » », « Le Canard Enchaîné », 1932, BDIC.

Dans GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 58).

97 P. QUARONI, Il mondo di un ambasciatore, Milan, 1965 (p. 253).

préfets : à la fin des années 1940, le fonctionnaire en charge du Tarn-et-Garonne observe que : « Les Italiens ne jouissent pas d'une grande sympathie parmi la population »98.

Rien d'étonnant donc à ce que l'on retrouve ces tensions dans les cours d'écoles : la période pourrait être définie comme « l'étroite frontière entre la maîtrise d'une politique publique et l'héritage d'une xénophobie qui aurait acquis un visage humain »99. Il est vrai que l'on remarque alors une difficile articulation entre la massive entrée d'étrangers sur le sol français et les politiques de terrain. Conseil est d'ailleurs donné aux immigrés de la part des préfets de franciser leur nom100. L'assimilation a encore de beaux jours devant elle. Les inspecteurs de la population, sous l'autorité du ministère de la Population, sont chargés de donner des cours de français aux nouveaux arrivés et de veiller à la scolarisation de leurs enfants. Par ailleurs, on tente d'éviter la « ghettoïsation » des immigrés toujours dans le but de favoriser leur intégration.

E). Le rôle joué par l'école dans l'installation définitive en France

Marie-Claude Blanc Chaléard, dans sa thèse publiée en 2000, relate le témoignage que lui a livré Louis Taravella, né à Nogent en 1920. Ce dernier explique qu'au moment de passer son baccalauréat, en 1935, il apprend qu'il n'en a pas le droit, n'étant pas de nationalité française. En pleine période de la crise éthiopienne, il semble que cette loi est appliquée assez strictement. Le père de Louis Taravella, un notable local, entrepreneur de son état, réussit cependant à régler cette situation délicate en allant voir le juge de paix. Néanmoins, la solution au problème du jeune homme ne pu être autre que la naturalisation. On s'aperçoit donc bien de l'importance que

98 L. TEULIERES, « Mémoires et représentations du temps de guerre dans le midi toulousain » dans M-C BLANC-CHALEARD (dir), Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003 (p. 210).

99 « Les étrangers au temps des « Trente Glorieuses » » dans A. CROIX, Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, 2007 (p. 337).

100 Ainsi, dans son entretien avec un témoin issu de parents originaires des Abruzzes, Federica Stortoni rapporte l'anecdote suivante : « Quand en 49 mon père est allé me déclarer à la Mairie, 49 c'était trois ans après la guerre, les Italiens étaient mal vus. Mon père a dit : « Carlo-Bruno » et le monsieur lui a dit : « je ne connais pas, c'est quoi ? » Et mon père a dit : « je suis italien, c'est un prénom italien ». Le monsieur a dit : « Si on est en France, il faut mettre un prénom français et mon père a regardé les noms et a dit « Charles-Bruno » ».

Document annexe de la thèse de psychologie clinique et pathologie de F. STORTONI, Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... », sous la direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007. (Cité dans son intégralité en document annexe n° 14).

38 peut revêtir la scolarisation des enfants de migrants italiens, non seulement dans une implantation en France plus longue, mais aussi dans les demandes de naturalisation.

De façon plus globale, la réussite scolaire est souvent expliquée, dans les témoignages, comme facteur d'une meilleure intégration pour l'ensemble de la famille. Nous retrouvons cette motivation dans de nombreux dossiers de naturalisation. L'enfant est présenté, dans le dossier destiné au Conseil de l'Emigration et au Commissariat Général, comme un citoyen modèle en devenir, le succès des élèves rejaillissant alors sur ses parents.

Au-delà de leurs bénéficiaires immédiats, les leçons récitées au sein de la cellule familiale diffusent les références historiques littéraires ou politiques qui sont le ciment de la nation française. C'est dans ces conditions que l'Ecole a pu permettre aux parents de nos témoins de développer un sentiment d'appartenance à la France, parfois très fort. Ajoutons à cela, nous aurons l'occasion d'y revenir, que l'allégeance à la nation italienne est alors plutôt rare, ce qui, on est en droit de le supposer, a pu faciliter le phénomène de transculturation et d'agrégation des immigrés transalpins à la France. La scolarisation, méme lorsqu'elle n'est pas caractérisée par des succès particuliers en classe, est un formidable facteur d'intégration et d'implantation du noyau familial dans l'Hexagone. Nombreux sont les migrants expliquant que leur sentiment d'appartenance s'est fait naturellement et très rapidement grace à l'école :

« La génération de mon père, ils comptaient revenir chez eux, mais, au bout d'une dizaine d'années, ils ont compris que leurs enfants, ils étaient devenus pratiquement français. [...] On a eu trois frères et soeurs qui sont nés en France, ils étaient des gens français eux. Assez rapidement, c'était en 1935, mon père a racheté sa propre exploitation »101.

Effectivement, la scolarisation ne va pas seulement conduire l'élève à se sentir Français, l'Ecole va aussi, parfois, pousser le foyer tout entier à passer d'un « nomadisme » contraint à une installation en France choisie par la famille. « Ces jeunes élevés à Paris ne se sont pas seulement adaptés. Ils ne se voient pas autrement que Parisiens, Nogentais ou Montreuillois, l'intégration s'est faite pour eux de façon spontanée »102.

Par ailleurs, l'aide des enseignants à l'installation des familles de migrants est parfois matérielle. L'assistance aux immigrés est toutefois surtout distribuée par les mairies et par les prestations de l'Etat (allocation chômage, aide pour les familles nombreuses, entre autres). A la

101 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL,

Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

102 M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 411).

39 Libération, on voit en France naître une sorte de « consensus familiariste »103, il se traduit par l'instauration massive d'allocations familiales. L'objectif souterrain de ces mesures est de montrer, par un soutien financier, l'encouragement de l'Etat à la natalité. Le système des prestations familiales s'applique alors selon un principe de territorialité, les étrangers peuvent donc bénéficier de la même somme d'argent que les Français. Par ailleurs, l'immigration italienne bénéficie d'un régime dérogatoire tout à fait à son avantage : le travailleur transalpin peut, en effet, profiter des allocations même si sa famille est toujours en Italie. En juin 1951, ce transfert d'argent est limité à dix-huit mois, passé ce délai, deux solutions se présentent : la famille doit rejoindre le travailleur et scolariser ses enfants en France ou bien les allocations seront suspendues. Par ailleurs, il arrive parfois que les instituteurs aident la population italienne à se fixer par des « cadeaux », terme utilisé par Marie-Claude Blanc-Chaléard. Le témoignage de Rina Biasin-Raumer confirme d'ailleurs cette information :

« Un jour, je me suis trouvée à l'école, papa était au chômage. [...] Je suis allée voir la maîtresse, qui était très gentille : Il est au chômage ton père ? Attends, il va arriver d'autres choses... Et elle m'a fait avoir un de ces gilets ! J'étais drôlement contente, c'était pour le dimanche »104.

Les aides et les allocations liées à la scolarisation des enfants contribuent souvent à faciliter la vie des immigrés en France. Certains font donc le choix de demander la naturalisation. Etant donné l'importance accordée en France à la question de la nationalité, le fait d'être Français modifie sensiblement l'intégration et l'ascension sociale des enfants d'immigrés et ce, tant dans les constructions et les représentations mentales que dans les lois. La naturalisation permet ainsi l'accès aux emplois réservés aux nationaux105. Au cours des entretiens, les témoins sont d'ailleurs souvent fiers de montrer la carte d'identité de leurs parents (du père en général, étant donné la forte proportion de couples mixtes chez les personnes interrogées dans le cadre de ces recherches).

Le projet professionnel de l'enfant en France et les solidarités familiales vont donc souvent pousser les parents à ne pas rentrer en Italie. Nous aurons l'occasion, plus loin dans notre étude, de nous pencher sur les carrières des enfants d'immigrés italiens et sur ce qu'elles

103 Cité par A. SPIRE, « Un régime dérogatoire pour une immigration convoitée. Les politiques française et italienne d'immigration/émigration » dans M-C BLANC-CHALEARD (dir), Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003 (p. 50 à 53).

104 M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 -- Entretien avec Rina BIASIN-RAUMER (p. 376).

105 « Le travail n'était pas sûr tant que papa n'était pas naturalisé ».

Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

impliquent. Par ailleurs, une cause qui peut sembler évidente mais qu'il ne faudrait pas omettre d'évoquer ici est l'union mixte. Marié avec une Française, ayant des enfants français, s'établir dans l'Hexagone de façon pérenne est la décision la plus courante, même si elle n'est pas nécessairement évidente106.

Le travail d'acculturation et de francisation exercé par l'Ecole française se fait donc bien, non seulement sur l'élève, mais aussi sur toute la cellule familiale, cette influence de l'Ecole rejaillit sans nul doute sur l'installation définitive des familles. Effectivement, quand les témoins relatent le cas de proches qui ne firent qu'un séjour temporaire en France, c'est presque exclusivement des hommes célibataires. Par ailleurs, lorsqu'une famille avec des enfants rentre en France, c'est pour des raisons qui relèvent de situations exceptionnelles à la « norme »107.

F). La difficulté de connaître les sentiments des migrants sur leurs expériences migratoires

Étendre la mise en oeuvre de notre méthode de recherche biographique à tout le groupe familial, et multiplier les « histoires de cas » de familles partant de conditions similaires, permet d'appréhender les dynamiques intergénérationnelles des groupes. C'est ici ce que nous avons tenté de faire pour comprendre les décisions d'émigrer des parents de nos témoins et leur influence sur la scolarisation de leur progéniture. Cependant, les retentissements de l'expérience migratoire sur les primo arrivants et sur leurs enfants restent difficiles à analyser. Une des raisons de cette difficulté réside dans le fait que ce sont rarement les migrants qui livrent directement leurs impressions sur l'épreuve que représente l'immigration. En effet, la littérature « immigrée » ne commence à exister dans des proportions importantes qu'à partir de la deuxième ou de la troisième génération. Rares sont les exilés ayant des habitudes de rédaction ou maîtrisant suffisamment le français pour rédiger leurs mémoires ou des autobiographies. D'ailleurs, si

106 Ainsi Daniel Fantin explique, parlant de son père, Enrico : « Il est vrai que l'Italie et sa mère lui manque beaucoup. S'il ne nous avait pas eu, il ne serait pas resté en France. ». On remarque que le mariage endogène italien a joué sur le retour en Italie des familles, parlant de ses oncles et de son père, Daniel raconte que des trois frères, Sergio et Enrico, mariés et ayant eu chacun deux enfants avec des Françaises, restent toute leur vie dans l'Hexagone, alors que Luigi, marié à une italienne, reprend la route vers Coltura au moment de sa retraite.

Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).

107 Antonio, le demi-frère de Jean BURINI, issu du premier mariage de sa mère, doit rentrer en Italie chez son grand-père avec sa soeur Carla lorsqu'ils deviennent orphelins. Antonio avait pourtant la nationalité française, qui lui avait été donnée à sa naissance, en France.

Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 -- Vigneux).

41 l'émigration italienne motivée par des raisons politiques est bien présente entre les deux guerres, nous sommes surtout, durant cette période, face à une immigration de travail de la part d'hommes et de femmes souvent illettrés ou, du moins, très peu familiers avec l'écrit. La tradition orale, et sa transmission par l'intermédiaire de chansons populaires sont, quant à elles, apportées dès la première vague de migrants. Les premiers textes littéraires de la deuxième et la troisième génération d'immigrés italiens sont souvent des récits narrant leur enfance en France, ou des sagas familiales, où l'on retrouve certaines constantes. Ces témoignages présentent donc un intérét certain pour notre sujet de recherche. Outre une nostalgie de la période de l'enfance (que l'on ne voit d'ailleurs pas seulement dans les récits d'expérience migratoire mais dans la plupart des autobiographies), il n'est pas rare que soient abordés le trajet migratoire effectué par les parents, les problèmes liés à la constitution d'une l'identité, les souvenirs « par procuration » de l'Italie et les révélations sur l'Institution scolaire française, ses pratiques et ses codes. Il est donc délicat de déchiffrer l'état d'esprit des parents des jeunes italiens quant à la décision d'émigrer qui fut la leur. Dans les témoignages, on s'aperçoit ainsi que, bien souvent, les témoins ne font que supposer les raisons du départ de leurs parents.

Maria C. explique ainsi : « Je ne sais pas vraiment pourquoi papa et maman sont partis. Mon père n'en parlait pas, il n'était pas causant ! De toute façon, il n'aurait pas eu les mots »108.

Le discours de Mario Merlo est sensiblement empreint des mêmes doutes : « Je crois que mon père est parti pour le travail et à cause du fascisme, il ne supportait pas ça. Il ne parlait pas de politique -- est-ce qu'il avait deviné quelque chose je ne sais pas -- mais il a préféré quitter l'Italie »109.

Cependant, on peut tout de même remarquer une constante : les raisons économiques, de subsistance, sont les premières évoquées. A la question « Pourquoi vos parents ont-ils immigré ? », les réponses des témoins portent presque toujours sur la nécessité de trouver un emploi plus lucratif que celui qu'ils avaient en Italie. :

« Mes parents ont immigré pour avoir un travail sûr »110.

« C'était une nécessité eu égard au niveau de vie en Italie »111. « Mon père a immigré seul afin d'améliorer sa vie »112.

108 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).

109 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

110 Questionnaire complété par Maggiorina CATTIROLO-BOZZUFFI (2010).

111 Questionnaire complété par Lucien ZANDOTTI (2010).

112 Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO-CORBEAU (2010).

Nous l'avons déjà rapidement évoqué, il est particulièrement difficile de déterminer la part des raisons politiques dans le choix de quitter l'Italie. Pierre Milza explique ainsi que « tout se passe comme si [...] l'émigré définitivement installé en France [...] cherchait à justifier rétrospectivement sa « trahison » par celle dont il estime avoir été lui-même la victime de la part de sa propre patrie et des hommes qui avaient eu à charge de faire accéder celle-ci à la modernité »113.

Il nous faut enfin aborder une dernière raison qui a pu pousser les migrants sur les chemins de l'exil. Cette dernière explication est encore souvent douloureuse pour les témoins qui d'ailleurs feront souvent la demande, au cours de l'entretien, de ne pas en faire part en détail ici. En effet, les immigrés sont assez nombreux à avoir fui le milieu d'origine pour être loin de leurs parents et de leurs frères et soeurs. Deux raisons principales expliquent cette « fuite » : parfois liée à des « scandales » familiaux, l'échappatoire de l'immigration est nécessaire114. La deuxième explication est inhérente à la notion d'individualisme et à l'idée du bonheur dans la réalisation d'une vie autonome qui ont fait leur chemin dans la péninsule italienne (cela peut s'expliquer par le fait que nous étudions ici un pays d'émigration ancienne115).

Les immigrés sont la plupart du temps, issus de classes populaires et, bien sûr, cette caractéristique va avoir un impact dans la scolarité des jeunes écoliers d'origine italienne. Notre prochain point d'étude porte donc sur le mode de vie traditionnel dans lequel les enfants issus de la péninsule italienne vont évoluer.

113 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 475).

114 Plusieurs témoins me rapporteront des histoires de familles, des scandales qui ont poussé leurs parents à fuir leur pays d'origine. A leur demande ou par souci de préserver leur vie privée, je ne rapporte pas ici ces évènements.

115 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 410).

II). Un mode de vie traditionnel

Comment se confrontent les modèles familiaux traditionnels et ceux de la société d'accueil ? Est-il forcément pertinent de les placer en opposition ? Tradition et modernité constituent parfois deux ensembles au sein desquels les immigrés puisent des ressources dans un effort de « bricolage " constructif. Comment les élèves d'origine italienne gèrent-ils ces deux milieux, représentant l'un comme l'autre une bonne partie de leur quotidien ?

A). Une population fortement imprégnée par la religion, une éducation traditionnelle.

Si le début de notre période est un moment où l'émigration pour des raisons politiques existe dans des proportions non négligeables, les Italiens immigrent tout de même principalement pour des raisons financières. Cependant, comme d'ailleurs pour tous les phénomènes migratoires, ce ne sont, globalement pas les plus démunis qui prennent le chemin de l'exil. En effet, il est nécessaire d'avoir un capital de départ pour quitter la terre mère et quelques menues économies pour « tenir » si l'on arrive sans contrat de travail en France. L'immigré « type " des années 1935-1955 est tout de même généralement pauvre et, quand il y a été, il a reçu de l'école, en Italie, une instruction que l'on peut qualifier de « minime ". La plupart du temps, l'adulte reproduit l'éducation traditionnelle qu'il a lui-même reçue de ses parents. Bien sûr, des changements s'opèrent entre les deux générations mais ils sont infimes. Les valeurs liées à la religion catholique, en particulier, sont presque toujours transmises par les témoins116.

L'immigration familiale et le caractère catholique des Italiens sont d'ailleurs deux ferments d'assimilation vigoureusement défendus dans les milieux religieux autochtones. N'oublions pas qu'ils s'installent alors dans une nation qui a longtemps été appelée « fille aînée de l'Eglise "117. Cependant cette caractéristique, nous le verrons, a un rôle pour le moins ambivalent dans l'opinion française : tantôt lénifiante, tantôt repoussoir, elle n'est pas toujours un facteur évident d'intégration.

116 « Des deux côtés, c'était catholique : petit, j'allais à la messe et je suis toujours allé dans des écoles privées. »

Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

117 R. SCHOR, « Religion et intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres ", dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 248).

Dès lors, on peut s'interroger sur la part d'enfants d'origine italienne scolarisés dans l'enseignement privé, celui-ci étant nécessairement confessionnel à l'époque qui nous intéresse. Les Italiens sont majoritairement très catholiques comme on peut l'observer à la lumière de ce tableau réalisé grâce aux données d'Alain Girard et Jean Stoetzel. Cette analyse de leur pratique cultuelle montre ainsi que 96 % des Italiens de France se déclarent catholiques, même si seulement la moitié d'entre eux sont pratiquants.

 

Italiens

Catholiques pratiquants

49%

Catholiques non pratiquants

47%

Autres

4%

Tableau n°2 : La pratique religieuse, dans les années cinquante, des Italiens arrivés en France
avant la Seconde Guerre mondiale118.

Pourtant, les Italiens ne sont que peu nombreux à scolariser leurs enfants dans le secteur privé. Cette proportion est effectivement plus faible chez les élèves issus de l'immigration que chez les Français de naissance119, seule l'immigration polonaise constitue une exception à cette règle. Cette faible proportion d'étrangers s'explique d'abord par le coût des écoles privées mais pas seulement. En effet, pour les parents de sensibilité communiste, et donc la plupart du temps athées voire « anti-cléricaux », il n'est pas question de scolariser leurs enfants dans les établissements confessionnels. Walter Buffoni, issu de géniteurs ayant fuit le fascisme, explique ainsi le choix de son école et de celle de ses soeurs : « mes parents, de sensibilité communiste, tenaient à ce que nous allions dans le public »120.

Nous avons veillé à interroger des témoins issus de l'enseignement public comme de la sphère privée, nous pouvons identifier les raisons principales qui poussèrent les parents à choisir les écoles confessionnelles catholiques au moment de l'inscription des enfants. Les explications de ce choix s'expliquent souvent par la volonté de maintenir une tradition catholique. Globalement, les témoins en savent peu sur la foi de leurs parents. La question portant sur leur pratique religieuse les étonne souvent :

118 Sondage réalisé au cours des années cinquante sur des Italiens arrivés en France avant la Seconde Guerre mondiale.

Cité par R. SCHOR, « Religion et intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres » dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 250).

119 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004 (p. 251).

120 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

« on allait à l'église mais comme tout le monde, quoi !»121. Cette réflexion est surtout rapportée par les témoins de l'Ouest de la France. Il semblerait que, dans cette région, de 1935 à 1955, la pratique religieuse étant toujours globalement forte chez les Français, les Italiens aient été moins stigmatisés en tant que « papistes » et « curetons »122. Cependant le choix ne se fait pas toujours de façon aisée ou naturelle : Jacqueline et Daniel Fantin m'expliquent ainsi que la décision de les placer en école privée à Nantes était celle de leur mère et qu'elle a provoqué des disputes nombreuses à la maison123. En ce qui concerne les témoins avec qui nous sommes en contact pour cette étude, on remarque une quasi parité entre ceux scolarisés dans les établissements privés et les élèves issus des écoles publiques. Il ne faudrait pas étendre cette donnée à l'ensemble de la France de la période 1935-1955 puisque, en effet, il y a déjà, à l'époque une disparité de répartition des écoles confessionnelles en France. L'Ouest compte un grand nombre d'établissements privés par rapport au reste du pays. Nous touchons là une des limites de notre étude : ne disposant pas de chiffres précis quant à l'inscription des Italiens de France, nous ne pouvons qu'apporter des suppositions sur la disproportion observée entre l'Ouest et les autres régions du territoire français.

Il semble ici nécessaire de faire un rapide bilan de ce qu'était l'enseignement privé à la période qui nous intéresse. Le débat entre école publique et école privée est ancien, on trouve ses origines au XIXe siècle, le problème repose alors sur l'origine du financement des établissements. Rapidement, les débats se tournent vers la question de la laïcité. Dans le contexte tendu des rapports entre les gouvernements républicains français et l'Eglise, les lois Ferry (1881, 1882 et 1886) établissent un enseignement primaire publique gratuit, elles instaurent l'obligation de l'enseignement élémentaire et la laïcisation des programmes des écoles publiques. La loi Goblet de 1886 laïcise le personnel enseignant des écoles publiques. Au coeur de notre période, le régime de Vichy critique ces principes laïcs mais, à la Libération, les aides financières de l'Etat aux écoles privées sont à nouveau supprimées avant d'être restaurées en 1951 par les lois Marie et Barrangé.

Les valeurs catholiques sont donc revendiquées par les immigrés Italiens pour des raisons de conservation d'un certain nombre de caractéristiques propres au pays récemment quitté. Par

121 Entretien avec Maria C, (24 novembre 2009 -- Nantes).

122 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 39).

123 Jacqueline fréquente ainsi le pensionnat du Sacré-Coeur de mars 1945 au 14 juillet 1955 et l'école de la Châtelaine du 15 septembre 1955 jusqu'en septembre 1958. Daniel est scolarisé en 1947-1948 à l'école maternelle Saint Clair de la rue Ampère puis, jusqu'en juillet 1954, il étudie à l'école élémentaire Saint Clair de la rue Danton.

- Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

- Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).

46 ailleurs, le caractère majoritairement catholique du phénomène migratoire de la population originaire de la péninsule italienne est souvent mis en avant par les Italiens comme une des caractéristiques communes avec les Français, en tout cas, il est rarement dénoncé comme un frein à l'intégration dans le creuset hexagonal. La scolarisation au sein des écoles confessionnelles serait dès lors un gage de sérieux auprès des Français et un moyen de valoriser les traits communs entre les deux pays. Le passage du public au privé, bien qu'exceptionnel, a pu se faire dans de rares cas, et ceci non sans difficultés. Citons ainsi Maria Cera-Branger, dont l'expérience est un bon révélateur des tensions entre les établissements confessionnels et ceux « appartenant » à l'Etat :

« Pendant la guerre, on a été « réfugié total », c'était du côté d'Héric, Blain. Là, j'ai eu des difficultés, non pas parce que j'étais italienne mais parce que j'arrivais d'une école laïque. J'ai dü aller à l'école chrétienne et là les instituteurs ne me mettaient jamais la première si j'avais bien travaillé et, pour la cantine, je ne mangeais pas à la méme non plus »124.

Nous pouvons tout de même observer quelques cas isolés, en général relevés lors de contacts avec des Français aux opinions ancrées à gauche. Les jeunes élèves français issus de familles « politisées », en relation avec des enfants élevés dans la tradition italienne catholique, feront parfois des remarques acerbes sur ce caractère de « christos » des Italiens : « probabilmente perché i nostri erano visti come dei gran bestammiatori » interprète le journaliste italien Gian Antonio Stella.125 Ce type d'insultes est aussi « investi » par les jeunes élevés dans la foi chrétienne mais qui, répétant là les discours de leurs parents, critiquent l'aspect plein de superstition, selon eux, du culte transalpin. D'ailleurs, les enfants issus d'un couple mixte et bénéficiant donc d'un « double appartenance » tiennent parfois sensiblement les mêmes discours, comme Maria Cera-Branger :

« Mon papa n'aimait pas l'Eglise, pourtant on était croyants, comme tous les Italiens : c'est-à-dire plus superstitieux que croyants ! Se prosterner dans les églises, embrasser les pieds des statues et tout ! »126.

Les instituteurs sont assez représentatifs de cette classe sociale de gauche souvent athée et assez
parfois anticléricale. Citons ainsi l'analyse de l'enquête de 1951 menée par des maîtres d'école

124 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

125 « Probablement parce que nous (les Italiens, NDLA) étions vus comme des grands blasphémateurs ». Dans G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003 (p.285)/

126 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

47 sur les cultivateurs italiens installés dans le Lot-et-Garonne. L'attitude de ces enseignants est assez représentative de ce que l'on peut entendre dans les témoignages des jeunes italiens de la période 1935-1955 :

« Un fond d'anticléricalisme qui fait partie de leur culture laïque se reflète parfois dans la manière dont les maîtres d'école évoquent la pratique religieuse des immigrants. Et son assiduité à aller à l'encontre de la norme dans un département non seulement déchristianisé, mais de tradition rouge »127.

En effet, on s'inquiète de la nouvelle poussée religieuse apportée en France par les Polonais ou par les Italiens. En 1936, en France, les religieuses italiennes gèrent encore une dizaine d'écoles128. Même dans les milieux catholiques, on craint l'attitude de ces étrangers qui, bien que pratiquant la même religion que la majorité des Français, ont des rites assez différents. Leur piété est jugée trop ostentatoire, ouvertement superstitieuse. Effectivement, « ces comportements faisaient craindre à la gauche et aux syndicats que le clergé étranger ne maintînt ses ouailles sous la coupe de traditions réactionnaires et sous le contrôle de gouvernements tyranniques »129. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, on observe une brèche dans le pouvoir hégémonique, restrictif et autoritaire du clergé italien130. La scolarisation dans les écoles de France entraîne l'élève d'origine italienne à vouloir fréquenter le catéchisme et le patronage des paroisses françaises afin d'y retrouver leurs camarades de classe. Le mouvement d'éducation populaire des patronages prend de l'ampleur en France mais sans réelle coordination nationale, il connaît son apogée entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années cinquante. Il existe des patronages de filles et de garçons, qui peuvent être laïcs, privés, municipaux, ou encore paroissiaux.

127 R. HUBSCHER « 1951, une enquête sur les immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p. 195, 196).

128 R. SCHOR, « Religion et intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres », L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 249).

129 R. SCHOR, Français et immigrés en temps de crise (1930 À 1980), Paris, 2004 (p. 67).

130 « Les prêtres étrangers, autoritaires, enclins à intervenir dans la vie privée des individus, interdisant aux enfants de fréquenter le catéchisme du pays d'accueil, mettant les parents en garde contre une imitation des moeurs immorales de la France et les intentions assimilationnistes prêtées à celle-ci. »

Dans l'article de R. SCHOR, « Religion et intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deuxguerres », L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Op. Cit. (p. 250).

« J'y allais le jeudi et le dimanche. J'ai commencé, j'avais trois ans. Il y avait une petite garderie, avec des bénévoles. C'était très grand le patronage, mais c'était formidable ! On jouait aux échasses, à la balle au chasseur. Chaque étage correspondait à un age [...]. Il y avait une chorale, il avait du théâtre, il y avait du basket »131.

Par ailleurs, même dans les milieux de droite et dans les rangs des autorités catholiques, on s'inquiète de l'aspect « nationaliste » présenté par le catholicisme italien. Les prêtres étrangers sont nombreux dans l'Hexagone, ils diffusent l'idée que les processions doivent se faire en costumes nationaux et que les cantiques doivent être chantés dans la langue du pays. Laura Teuillères, historienne, et Yolande Magni, institutrice d'origine italienne, expliquent que des membres du clergé d'Outremont arrivent d'Italie en même temps que les immigrés issus d'un village près de Bergame, la colonie tout entière s'installe à Blanquefort, dans le Gers. Quatre bonnes soeurs italiennes s'occupent ainsi des jeunes filles. Une de leurs « élèves », Constance Gavazzi témoigne ainsi « ils [les Français] faisaient attention à ce qu'on reste catholiques. Ils voulaient qu'on se marie avec des Français »132. L'assimilation des immigrés voulue par les autorités ecclésiastiques françaises est donc en péril : on cherche dès lors à remplacer les prêtres étrangers par des Français polyglottes.

Cependant, si la doctrine « à l'italienne » se maintient parfois dans les colonies transalpines, au sein des écoles privées et confessionnelles, les élèves étrangers suivent totalement le « dogme à la française ».

B). L'espoir d'une immigration temporaire : une intégration moins forte dans l'Ecole française ?

« Tous les individus interviewés insistent sur le fait qu'ils n'auraient jamais cru, au moment du départ, que leur expérience migratoire durerait au point de les emmener à construire en France leur vie et celle de leurs enfants. [...] D'ailleurs, méme les récits de ceux qui se sont installés définitivement [...] font apparaître des trajectoires relativement hachées et marquées souvent par de longues périodes de crise et par des changements de direction soudains et pénibles. Toutes les expériences de vie, particulièrement intenses et difficiles qui s'y dessinent, semblent souvent le fruit d'une série d'évènements fortuits qui transforment progressivement en réalité définitive ce qui à l'origine n'était que provisoire et temporaire »133.

131 Louis PELLINGHELLI dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 434).

132 « La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

133 Lucia GRILLI, « Entre Naples et Paris : les migrants napolitains des années cinquante » dans Marie-Claude BLANC-CHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p.225 à 227).

Cette observation de l'historienne Lucia Grilli concernant les migrants napolitains des années cinquante installés à Paris s'applique en fait à la quasi-intégralité des Italiens arrivés en France entre 1935 et 1955. Dès lors, on peut s'interroger sur l'influence de ce caractère précaire des trajectoires de l'immigration des Italiens sur les enfants italiens et leur scolarisation en France. Leur intégration va-t-elle en souffrir ? Avant d'étudier cette question, nous nous devons de rappeler sur quels piliers fondamentaux est bâtie l'intégration. Jacqueline Costa-Lacoux en compte cinq : l'égalité des droits, la lutte contre les discriminations, les politiques compensatoires des inégalités, les modes de participation à la vie de la Cité et l'accession à la citoyenneté par l'entrée dans la communauté nationale 134 . Pour ces deux dernières caractéristiques, la volonté, de la part du migrant, de n'être que de passage ne va pas faciliter l'intégration. Cependant, l'immigration terrienne et catholique bénéficie déjà d'un regard assez bienveillant des milieux conservateurs qui considéraient que ces travailleurs étaient globalement dociles et fermement tenus par la main nationale. Ces milieux, pourtant traditionnellement relativement enclins à la xénophobie, voyaient d'un oeil peu inquiet une main d'oeuvre de travail qui, souvent, n'avait pas immigré avec l'objectif de s'implanter durablement sur le territoire français.


· Les « nomades » de l'immigration : différentes étapes en France avant l'installation définitive ?

L'image véhiculée en France est celle d'une immigration qui s'est stabilisée au sein du creuset français. Il est logique que l'on pense essentiellement, lorsque l'on parle d'immigration transalpine, à ceux qui sont toujours en France aujourd'hui et naturalisés la plupart du temps. Cependant, n'oublions pas qu'il existe des Italiens qui resteront toujours des migrants et ne passeront jamais de ce statut à celui d'immigré de France. La source qui permet de suivre les parcours des Italiens itinérants nous est donnée par les documents d'immatriculation qui devaient être tamponnés en mairie. Bien sûr, certains ne se déclareront jamais mais ceux là sont des hommes venus seuls, sans enfants. Presque toujours, les Italiens de la période 1935-1955 pensent n'aller en France que pour une courte période, pour des raisons de travail. Le seul vrai indice objectif d'une volonté de vivre en France de façon permanente est la naturalisation. Or, et c'est

134 J. COSTA-LACOUX, « De l'assimilation à l'intégration », dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 212, 213).

50 ce qui nous intéresse ici, cette décision est souvent liée à la présence d'enfants. Etre père de famille est d'ailleurs un des deux critères les plus efficaces pour obtenir la naturalisation135. En outre, les enfants qui naissent sur place consolident le lien avec le pays d'accueil et ce tant au niveau du ressenti de la famille qu'au plan légal. En effet, ces fils et filles d'Italiens nés en France acquièrent d'emblée la nationalité française. En somme, lorsque le souhait de la famille de rester en France existe, il est possible, la plupart du temps, d'obtenir la nationalité, ce, du moins, avant la Seconde Guerre Mondiale. Effectivement, la France est alors appauvrie en enfants et, donc, en soldats potentiels. En somme, ce mouvement de naturalisations massives et précipitées à partir de 1938 n'a en rien l'apparence de l'intégration. Nous avons vu que l'école est souvent le moteur principal qui pousse les parents à demander à être naturalisés, de même, les perspectives de carrière jouent un rôle important dans la naturalisation comme en témoigne d'ailleurs WM, se souvenant de sa motivation à enrayer la situation « nomade » de sa famille (il a d'ailleurs changé quatre fois d'école) :

« On est en France, on est des étrangers... On n'est pas chez nous, on n'est pas bien ! On ira mourir chez nous. Quand on aura gagné quelques sous, on ira chez nous... C'était ça jusqu'à la guerre. Mais arrivé à la guerre... moi j'avais seize ans, je me sentais géné de pas pouvoir faire ce que je voulais ! Parce que déjà à seize ans, je voulais être à mon compte. Je me disais, je ne suis pas français, je ne peux pas ou j'aurais des difficultés alors j'avais encouragé mes parents à demander la nationalité. »136.

Souvent le caractère précaire de l'installation en France de la famille n'est pas seulement lié à ses déplacements dans l'Hexagone mais aussi à ses allers-retours de chaque côté des Alpes. Que ce soit pour des raisons professionnelles ou de voyage, l'enfant « subit » les conséquences sur sa scolarité de ses voyages et des migrations pendulaires de sa famille137.

? Le problème de l'absentéisme.

En effet, la non fréquentation scolaire et l'absentéisme des étrangers, problèmes intimement liés aux déplacements de travail des familles de migrants, sont parfois abordés dans les études. Cependant, si une étude de 1927, citée par Gérard Noiriel dans son Atlas de

135 Le deuxième facteur aidant à la naturalisation est d'avoir fait la guerre.

M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 401).

136 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

137 Par exemple, pour son élève, un natif de Bedonia, le maître d'école écrit :

« Interruption de scolarité pour un voyage en Italie. Turbulent, mais bon partout. Placé à la campagne par l'Assistance publique. »

l'immigration en France, montre que, sur 257 000 enfants d'immigrés de 6 à 13 ans (soit 8,4 % de la population scolaire), 22 000 ne vont pas ou très peu à l'école, ces chiffres diminuent ensuite. Les enfants étrangers ne suivant pas les cours dispensés (on ne parle ici que de personnes n'ayant pas la nationalité française) représentent donc 8 % en 1927. Globalement ce taux d'absentéisme diminuera doucement tout au long de la période de l'Entre-Deux-guerres138. Malheureusement, nous ne disposons pas ici nouveaux chiffres sur ce taux d'absentéisme à l'école des enfants issus de l'immigration italienne. Le fait que ces écoliers aient tous des statuts différents (Français, Italiens ou encore naturalisés au cours de leur scolarisation) ne rend, bien évidemment, pas aisé les calculs sur la fréquentation des écoles qu'il serait intéressant de pouvoir livrer ici.

Au moment du départ, la majorité des migrants ne possède que de rares informations sur leurs opportunités de travail et sur ce qui les attend en France : le projet des protagonistes est alors de gagner suffisamment pour retourner en Italie vivre une vie moins misérable. C'est souvent chez leurs enfants que naîtra l'espoir d'enracinement.

C). Des classes sociales populaires :


· Les difficultés d'apprentissage de la langue française et l'analphabétisme des parents d'élèves.

Chez tous les témoins, on remarque qu'à la question de leur provenance géographique, est aussitôt associée l'origine sociale. Issus de milieux populaires, ils font tous état des difficultés d'apprentissage de la langue française de la part de leurs parents. Par ailleurs, ayant généralement peu ou pas fréquenté l'école, les parents des élèves italiens sont fréquemment incapables d'aider leurs enfants à surmonter les difficultés intrinsèques de l'intégration dans un pays étranger. WM raconte ainsi :

138 G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris, 2002 (p. 46, 47).

< Je suis issu de l'Emilie Romagne... Parme... [...] Mon père est né en 1882. Il est mort à 96 ans. Il avait rien mangé quand il était gosse, il s'appelait Primo. Il était le premier de la deuxième douzaine. Vous voyez, à l'époque c'était de très grandes familles. On est issus de régions rurales. A l'époque l'Italie, il y avait pas de petites propriétés, c'était des seigneurs qui avaient 40 fermes, donc ils avaient des métayers et des locataires. Il fallait commencer par métayer parce qu'un couple, quand il allait se marier, il avait rien. Donc ils gagnaient un peu d'argent, ils changeaient de ferme éventuellement, et ils devenaient locataires et ça jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. C'était un peu comme il y a 100 ans ici, il y avait les serfs et les grands seigneurs "

< Mon père a été à l'école de 6 à 7 ans. Il a fait un an. Et à 7 ans, il est parti en apprentissage "

< Il lisait le journal mais il fallait du temps, manque d'école "

< Ma mère elle a été à l'école jusqu'en 1920. C'est elle qui écrivait les lettres. Elle savait lire et écrire " 139.

Il n'est pas rare, surtout dans la première partie de notre période, que les témoins aient des parents analphabètes (en 1931, l'Italie compte 21 % d'analphabètes, le chiffre tombe ensuite à 12,9 % en 1951 puis 8,3 % en 1961140). Par ailleurs, ils ont souvent des difficultés à parler le français141, surtout lorsqu'ils travaillent presque uniquement avec d'autres Italiens. Prenons ainsi l'exemple significatif de Paul qui a grandi dans la colonie italienne de Blanquefort, où on trouve environ 75 % d'Italiens des années vingt aux années soixante-dix :

< J'étais géné parce que mon père avait du mal à s'exprimer en français [...] Le proviseur, le censeur, c'étaient des personnages de la grande société [...] J'étais un peu géné... pour lui... pas pour moi "142.

La gêne parfois occasionnée par nos témoins devant les difficultés de langage de leurs parents s'explique par le fait que les enseignants en font un des critères décisifs de la francisation. L'enquête de 1951, déjà évoquée plus haut, offre des témoignages assez révélateurs sur cette

139 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

140 G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003 (p. 297).

141 Sur l'ignorance de la langue des Italiens récemment arrivés en France, un homme d'origine transalpine raconte que ses parents devaient se rendre à Saint-Nazaire pour travailler aux Chantiers de l'Atlantique. Lorsqu'ils arrivèrent à Paris, plus exactement à la gare Saint-Lazare, ils se crurent arrivés à bon port et demandèrent à un passant de leur indiquer les chantiers < de Saint-Lazare ". Cette anecdote est assez révélatrice des difficultés que connaît tout migrant à son arrivée dans un pays où la langue parlée est différente de celle de la terre d'origine.

(Lors de la conférence sur les Italiens de Saint-Nazaire, vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan Penhoët).

142 Paul (de Blanquefort), dans < La vie rêvée des Italiens du Gers ", documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

53 attente des professeurs : non seulement, il s'agit de manier correctement la langue, mais il ne faut pas avoir le moindre accent143 :

« « Il parle le français à peu près correctement avec une légère déformation de certains sons » constate l'instituteur de Monflanquin. [...] 144.

Son collègue de Monclar observe une bonne assimilation, il émet néanmoins un regret : « dommage qu'il garde l'allure et un léger accent italien »145.

Chez ce même instituteur, on remarque un sentiment xénophobe face aux défauts de langue d'un cultivateur transalpin :

« Peut-on, observe t'il à propos de l'un de ses locuteurs, l'assimiler à un vrai et loyal français ? Non : il a encore quelque chose d'Italien dans son allure et sa prononciation. Que feraient ses enfants si l'Italie était en guerre avec la France ? Les réactions seraient douteuses »146.

Des recherches ont été menées pour trouver dans les écoles de nos témoins des sources similaires mais il semble qu'elles n'aient jamais existées ou, en tout cas, n'aient pas été conservés. Peut-être faut-il chercher la raison de ce « manque d'intérêt » dans les pourcentages relativement faibles d'Italiens, voir d'immigrés en général, scolarisés dans les départements de l'Ouest du pays en 1935-1955. Nous avons donc cherché des informations dans les bulletins de notes et de comportements des témoins mais il n'y a aucune remarque quand à l'accent éventuel des élèves comme de leurs parents. Ici encore, précisons qu'aucune conclusion ne peut réellement être tirée de cette observation étant donné que beaucoup de nos témoins sont issus de couples mixtes et n'ont pas d'accent italien. Pour trouver des sources éclairantes sur ce thème, nous avons donc tenté de chercher dans le registre de matricule de l'école primaire élémentaire de garçons Raymond Poincaré de Villerupt, colonie italienne de Lorraine. Là encore, dans la colonne des observations de l'instituteur sur ses élèves scolarisés du 1er octobre 1946 au 5 février 1951, aucune remarque faite sur d'éventuelles difficultés à s'exprimer en français des écoliers transalpins 147 . Dès lors, on pourrait émettre l'hypothèse que, dans une région d'immigration constante et massive comme l'Est sidérurgique, les problèmes de langue ne se remarquent pas particulièrement. Nous savons, en effet, grâce aux témoignages que ces soucis

143 R. HUBSCHER, « 1951, une enquête sur les immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p. 191 à 204).

144 Dossier n° 17, Ibid. (p. 191 à 204).

145 Dossier n° 77, Ibid. (p. 191 à 204).

146 Dossier n° 74, Ibid. (p. 191 à 204).

147 Registre matricule de l'école primaire élémentaire de garçons Raymond Poincaré, inscrits du premier octobre 1946 au 5 février 1951, Villerupt, Lorraine.

54 dans la maîtrise de la langue française des parents existent. WM explique ainsi que, jusqu'à sa mort, sa mère appelait la salade « l'insalate »148.

La volonté d'aider l'enfant, tant dans son quotidien scolaire que dans son intégration à son environnement français en général est bien là, mais les parents n'ont donc pas toujours les compétences pour le faire correctement. Le père de WM, par exemple, l'encourage dans ses études (« j'ai pas été à l'école, c'est pour ça que je veux que tu ailles à l'école jusqu'en prépa »149) mais se voit dans l'incapacité à l'aider pour ses devoirs. La même volonté de pousser leurs enfants se retrouve dans le discours des parents de Jacqueline et Daniel, scolarisés à Nantes. Jacqueline, l'aînée des deux enfants, explique ainsi :

« J'ai été aidée dans ma scolarité par ma mère150. Mon père suivait ma scolarité. Pour perfectionner son français, il faisait des devoirs avec moi. Il lisait journaux, revues, livres... Il parlait le français avec un fort accent qu'il a toujours gardé ... un peu de difficultés à écrire le français. Il nous parlait uniquement en français parce qu'il voulait se perfectionner et s'intégrer, il parlait en italien quand il rencontrait des amis »151.

Son frère, Daniel retient, quant à lui, certaines difficultés liées au fait que son père soit italien :

« Ce n'est pas la joie tous les jours à la maison, enfant, il nous faut taire l'origine de notre père et, dans les sorties son exubérance italienne et son accent nous gênent »152.

Il n'est pas rare que les parents commencent à parler en français à leurs enfants à la demande des instituteurs, inquiets des difficultés de leurs élèves :

« Mes parents n'étaient pas en mesure de m'aider pour les devoirs, c'est ça le problème. On était vraiment embarrassés. Le frère qui nous faisait classe les avait appelé pour leur dire de nous parler mieux en français. Je ne l'ai pas mal pris du fait que j'étais dernier de la classe »153.

La « méthode » est courante : on ne parle ni en dialecte, ni en italien pour aider à l'intégration
des enfants mais le français parlé par les parents est souvent maladroit154, il arrive fréquemment

148 « L'insalata » signifiant la salade en italien TDLA.

Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

149 Entretien avec WM, Ibid.

150 Jacqueline FANTIN-CRAMPON est issu d'un couple mixte.

151 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

152 Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).

153 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

154 « Mon père voulait que sa famille s'intègre et ne parlait jamais italien ».

Dans les réponses au questionnaire de Carina CORBEAU-TRAVOSTINO, 2010.

55 que les témoins qualifient ce « parler véhiculaire » de « charabia »155, expliquant que cette langue approchant le français les a surtout desservis dans leur scolarité. Par ailleurs, le fait que seule la langue française ait sa place au sein de l'école républicaine est l'objet de nombreuses polémiques et de vives critiques dans les milieux intellectuels156.

En fait, l'aide aux devoirs de la part des parents est souvent impossible, l'apprentissage est même couramment inversé : nombreux sont les témoignages d'immigrés expliquant qu'ils ont eux-mêmes enseigné la langue du pays d'accueil à leurs géniteurs (« C'est nous qui avons appris le français à nos parents »157). En fait, les priorités premières des immigrés s'étendent avant tout à bien d'autres champs que la scolarité de leurs enfants. Elles sont plus « vitales » : il faut trouver du travail, le garder, nourrir sa famille, réussir à rester en France.

« Travail au jardin jusqu'à 10 heures donc le boulot à l'école ... je me faisais souvent tirer les oreilles ! Ma mère voulait que je m'instruise mais il n'y avait pas de journaux, pas de livres à la maison donc l'instruction... »158.

En 1935, la scolarisation comme l'interdiction du travail des enfants sont acquises, cependant, cette information sur la vie quotidienne du jeune WM nous permet de prendre conscience de l'importance des activités que certains jeunes d'origine italienne sont tenus de faire après la journée d'école, bien sûr, les devoirs en pâtissent souvent.

Par ailleurs, c'est la plupart du temps par le biais de l'école que l'enfant d'immigré italien prend conscience de sa différence, tant de culture que de catégorie sociale (ce dernier élément valant d'ailleurs aussi pour les familles endogènes « françaises ») :

« C'est au lycée que je me suis rendu compte que nous n'étions pas des privilégiés ». « C'est à l'école qu'on a vu les différences, on a compris qu'on était des immigrés ». « On finissait par avoir un drôle de regard sur notre propre famille » 159.

155 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

Entretien avec Maria C, (24 novembre 2009 -- Nantes).

156 « Légitimer d'une façon ou d'une autre l'existence de langues ou de cultures autres, c'est donner à
l'enfant la possibilité d'être lui-même, de faire l'économie de censures coûteuses traduisant la
culpabilisation forcée de ce qui lui est transmis par le milieu familial. Il faudrait aussi, sans doute, que

les parents eux-mêmes puissent ne pas avoir honte de leurs origines et s'en autoriser la transmission. Iifaudrait enfin que notre système éducatif à commencer par ses enseignants, se montre capable d'admettre

que le meilleur apprentissage de la langue française, pour les enfants de migrants passe par le détour d'une autre langue ».

Dans R. BERTHELIER, Enfants de migrants à l'école française, Paris, 2006 (p. 104).

157 Retranscription de l'interview de Damira TITONEL,

Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

158 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

D). Les parents d'élèves : des travailleurs acharnés ?

Nous avons vu que l'immigration italienne des années 1935-1955 est constituée essentiellement de Transalpins issus de milieux populaires et prolétaires. Il nous faut maintenant nous essayer à une rapide typologie des professions exercées par les parents de nos témoins. Dans l'Ouest de la France, outre de nombreux ouvriers exerçant aux Batignolles et aux chantiers de l'Atlantique à Nantes et à Saint-Nazaire, on remarque des particularismes locaux dans les emplois des immigrés italiens. On constate ainsi que l'Ouest connaît des arrivées assez conséquentes d'artisans spécialisés, ainsi, maîtrisant mieux et depuis plus longtemps que leurs homologues français la fabrication du ciment. Les villes de Saumur, de Brest et de Rennes voient se former des équipes de cimentiers presque uniquement composées de Piémontais, Carina Travostino explique aussi, en parlant de la Sarthe que « chaque village, ou presque, avait un maçon italien »160. Quant au reste de la France, on retrouve là encore des ouvriers en usine (particulièrement dans l'Est), et toujours un nombre important de maçons. A Nantes, par exemple, les deux tiers des Italiens sont maçons (pourcentage que l'on retrouve à peu près dans les professions des parents de nos témoins161), leur savoir faire est reconnu et valorisé : en 1937, le consul d'Italie explique d'ailleurs avec un brin de fierté non dissimulée : « sono ricercati dalla picola borghesia che si vuol costruire la casetta » 162 . On trouve aussi des mosaïstes, principalement frioulans, dans les villes de l'Ouest163. A Nantes, le percement du tunnel sous les cours destiné au passage de l'Erdre a, lui aussi, donné du travail à un grand nombre d'Italiens,

159 Témoignages d'enfants d'immigrés italiens dans « La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

160 Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010).

161 - « L'Italien del Norde, il vient en Franche fare le machon » (dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 50)). Le père de Georges Leclair, né le 15 Décembre 1934 à Nantes, Antonio OPPO, exerce cette profession de maçon dans le quartier de Chantenay (entretien d'O. OSSAN avec LECLAIR (Georges), le 24 avril 2008 (en vue de l'exposition au restaurant « Interlude »)). De même, que celui d'Odette Garino, originaire du Piémont, est maçon à Saumur. Son frère exerce quant à lui la profession de plâtrier (questionnaire complété par Odette GARINO - POIRIER (2010)). Le père de Carina Travostino a créé son entreprise de bâtiment (Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010)). Celui de Lucien Zandotti, après une première formation de serrurerie en Haute-Savoie est ensuite maçon à Saumur (questionnaire complété par Lucien ZANDOTTI (2010)), celui de Mario Merlo exerce la même profession à Nantes (Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine)). Le père de Maggiorina Cattirolo est cimentier à Rennes (Questionnaire complété par Maggiorina CATTIROLOBOZZUFFI (2010)).

162 « Ils sont particulièrement recherchés par la petite bourgeoisie qui veut se faire construire une maison » TDLA.

163 A Rennes, Isidore ODORICO et ses successeurs connaîtront des succès importants. A Nantes, les
décors en mosaïque les plus connus réalisés par des Italiens se trouvent rue de la Marne (la devanture de
la confiserie Charles BOHU) ou encore à l'accès nord de la gare (cette façade est réalisée par CORTINA).

57 comme le père de Maria Cera-Branger164 par exemple. La plupart d'entre eux ne font pas le même travail que celui qu'ils exerçaient auparavant en Italie. Les femmes restent au foyer, sont parfois nourrices, bonnes, ou ont des emplois précaires : « Ma mère faisait la cantinière : elle achetait une barrique de vin et elle vendait litre par litre à tous les travailleurs qui étaient là »165. A la campagne, s'ajoutent parfois à l'emploi principal, des travaux aux champs qui permettent de vivre un peu mieux. Ainsi, WM, originaire d'Emilie-Romagne et scolarisé à Moissac dans le Tarn-et-Garonne, explique ainsi :

« Ma mère faisait le jardin, mon père faisait les travaux, les grands chantiers. Le soir, il venait arroser, on faisait pousser des légumes, il y en avait trop donc ma mère les vendait au marché. [...] Il y avait deux fermes où mes parents avaient leur maisonnette. Les propriétaires étaient maraîchers. On avait la dépendance que mon père a améliorée ensuite pour en faire une habitation acceptable. Mon père faisait toujours son métier et ma mère donnait des coups de main à la propriétaire, elle ne se faisait pas payer. Elle ne lui donnait pas de légumes parce qu'on avait un grand jardin mais elle faisait des confits d'oie, de canard, de cochon. [...] On mangeait mais on ne dépensait pas, et encore on ne mangeait que ce qu'on récoltait. Si on ne plantait pas d'arbres, on ne mangeait pas de fruits »166.

Tous les témoins interrogés pour cette étude « valorisent » leurs familles en expliquant que leurs parents travaillaient beaucoup. C'était à la fois une réalité et une nécessité167 puisque souvent, il faut envoyer de l'argent en Italie en plus des sommes allouées pour faire vivre la famille en France168. C'est aussi une sorte de défi : l'immigré cherchant ainsi à compenser sa situation humiliante d'exploité. Cet « acharnement » au travail s'accompagne souvent par la transmission de valeurs laborieuses à leurs enfants, comme l'explique Mario Merlo qui parle ainsi de ses camarades d'école :

164 Le père de Maria fut de ceux qui creusèrent le tunnel Saint-Félix.

Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

165 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

166 Entretien avec WM, Ibid.

167Le témoin parle ici de ses parents : « Ils vivaient parce qu'ils travaillaient : il n'y avait pas d'assistance. Ils n'avaient rien... ».

Entretien avec WM, Ibid.

168 « Il continue à envoyer pendant longtemps de l'argent (ses deux frères arrêtent une fois mariés) ce quifait que la situation financière de notre famille n'a pas toujours été brillante ».

Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).

« Je ne les voyaient pas en dehors de l'école parce que mon père voulait que son garçon apprenne à travailler avec lui tous les jeudis. Mes copains allaient jouer et moi j'étais en train de travailler, c'était la méthode italienne : je ne l'ai jamais vu prendre de vacances ! "169.

WM fait sensiblement le même constat :

« Ma mère me sollicitait pour arroser, il fallait pomper l'eau : je pompais, je pompais... jusqu'à mille coups, j'ai compté [...] Pour la lessive, il fallait chauffer de l'eau : « mets du bois, W ! Mets du bois ! " « Oui maman ". Je mets du bois, deux fois, trois fois ! J'avais envie de m'amuser [...] J'ai eu le malheur de lui dire « non, j'en veux plus ! ". Elle a été fourrer du feu puis elle a pris une büche longue comme ça, elle me l'a mise dessus parce que j'ai dit non ! [...] Elle me poursuivait avec le balais, c'était des manches en bois "170.

Les tracts syndicaux dénoncent parfois ces Italiens prêt à accepter n'importe quel emploi, on condamne le caractère de « main d'oeuvre servile " de ces travailleurs étrangers qui sont considérés parfois comme représentant un frein aux avancées sociales en France. L'arrivant est vu comme celui qui accepte des conditions de travail très difficiles, voire illégales, des emplois sans contrats, des horaires stakhanovistes. Pour nombre d'ouvriers de l'Hexagone, l'Italien est le « briseur de grève ". On retrouvera ces accusations dans les insultes proférées dans la cour de récréation. En Lorraine, cependant, la situation semble quelque peu différente : le très grand nombre de travailleurs italiens dans les usines et les habitudes de revendications politiques 171entraînent une syndicalisation assez importante des Transalpins comme l'illustre d'ailleurs le témoignage de Jean Burini de Villerupt. Soulignons tout de même que ce témoignage est plus représentatif des enfants, Français ou non, grandissant dans un milieu très ouvrier qu'il ne l'est de « l'immigré italien type ".

« Mon père, il était à la CGT. Les meneurs de syndicats ça n'était que des Italiens, des durs... [...] On a grandi dans les cités ouvrières avec les grèves. On a été bercé par la révolte ouvrière donc vous preniez parti pour votre père, vous n'alliez pas prendre parti pour le CRS qui lui tapait dessus [...] automatiquement, on devenait pro socialocommunistes "172.

L'archétype de l'argumentaire des Français se concentre sur l'idée que l'immigré viendrait en France pour « prendre le travail aux locaux ". Des considérations des parents à la

169 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

170 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

171 On remarque une mobilisation non négligeable des ouvriers étrangers durant l'occupation des Batignolles en 1936.

Voir à ce sujet l'ouvrage de C. PATILLON, Batignolles. Mémoires d'usine, mémoires des cités..., Nantes, 1991 (p. 40 à 42).

172 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

59 maison aux insultes de l'école il n'y a qu'un pas, souvent franchi allégrement, surtout dans la première partie de notre période. Les réponses des Italiens à ces attaques porteront sur les qualités ouvrières non seulement de leurs parents mais aussi de toute la communauté transalpine, nous aurons l'occasion de revenir sur ces conversations « musclées » de cours de récréation plus loin dans notre étude.

«Entre 1920 et 1938, les Français disaient qu'on venait prendre leur boulot. On ne leur prenait rien du tout parce qu'il n'y avait méme pas de chômeurs. A Villerupt, il y avait un chômeur. Celui qui était au chômage, c'était celui qui n'avait pas envie de bosser »173.

Ce lourd emploi du temps des parents de nos témoins n'est donc pas toujours en corrélation avec une intégration réussie. Par ailleurs, il est aussi synonyme d'une absence quasi constante des parents, du moins du père, qui entraîne parfois une rareté des rapports inter générationnels. Nombre de témoins affirment avoir finalement peu connu leurs parents.

« Le matin, il partait avant qu'on s'éveille, le soir, ma mère me disait, il est fatigué, il ne faut pas l'embêter »174.

« Mon père était ajusteur mécanicien à Sidelor, il ne pensait qu'à travailler pour gagner un salaire pour faire manger tout le monde. Notre père c'était le top du top, le gars qui bossait comme un dingue »175.

Malgré cette apparente volonté, qui relève d'ailleurs avant tout de la nécessité, des immigrés d'Outremont, de travailler, il n'est pas rare que les insultes autochtones se basent sur l'idée que les Italiens seraient un peuple de flâneurs indolents au caractère léger ou paresseux. Nombreux sont les témoins qui rapportent ces injures et racontent le sentiment de colère qu'ils avaient alors ressenti. Citons ainsi le témoignage de Carina Travostino, née en 1930 d'un mariage mixte entre un Piémontais et une Sarthoise. A la question des insultes qu'elle a pu subir, elle répond qu'elle a été injuriée une ou deux fois :

« J'ai « bondi » lorsqu'on m'a dit que les Italiens étaient fainéants alors que je voyais mon père et ses compagnons travailler dix ou douze heures ! »176.

173 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

174 Madame AVRIL, née MUTTI dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 411).

175 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

176 Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010).

Si les vertus de travailleurs de leurs parents sont la plupart du temps vues par les témoins comme un élément positif, valorisant, ce n'est pas toujours le cas. Effectivement, à cet acharnement au travail, sont associés assez fréquemment des comportements difficiles à gérer pour la famille. Plusieurs témoins justifieront ainsi l'alcoolisme du père par la nécessité de travailler de façon acharnée : « il lui fallait ça pour tenir ! ».

Souvent, malgré les heures de travail accumulées, les conditions de vie sont difficiles, surtout quand la famille est nombreuse, comme c'est le cas dans le foyer recomposé de Jean Burini :

« Ces années, je ne les aient pas senties difficiles mais, quand j'y repense, mon père n'avait pas d'argent, on était six enfants à la maison. On allait à l'école avec le minimum de trucs. Je me rappelle qu'en hiver, on avait juste un short. [...] C'est mon père qui faisait les sacs pour l'école : il prenait deux bouts de bois, il cousait de la toile américaine tout autour »177.

E). La relation entre l'équipe pédagogique et les parents

Une caractéristique suffisamment présente dans les témoignages pour que nous nous fassions un devoir de l'évoquer ici concerne la volonté des migrants d'offrir à leur descendance, non seulement, un futur correct mais aussi des perspectives d'ascension sociale. Rien d'étonnant à cela d'ailleurs puisque les migrants sont fréquemment parmi les plus entreprenants de leur village, en tout cas, ceux de la première vague partant de leur localité. Leurs pairs les ont, effectivement, souvent « envoyés » en France afin de subvenir à la cellule familiale élargie, en témoigne l'importance des sommes envoyés au pays, souvent, durant toute la vie du migrant de la première génération. Malgré leurs discours encourageant l'enfant à travailler correctement à l'école, rappelons que la majorité des classes populaires n'attend toujours pas grand-chose de l'Institution scolaire avant la Seconde Guerre mondiale178. Si on la voit comme un moyen de bien s'intégrer à la société d'accueil, les parents de nos témoins, comme d'ailleurs le reste de la population, ne comptent pas vraiment sur l'école en ce qui concerne la promotion professionnelle de leurs enfants. Souvent, c'est leur décision d'immigrer qui est mise en avant par les parents pour expliquer leur volonté d'une ascension sociale dans la famille plus que leur attitude

177 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

178 « Dans l'Entre-Deux-guerres la majorité des classes populaires n'attendait pas grand-chose de l'école, si ce n'est le Certificat d'études conduisant à un apprentissage des métiers d'ouvriers qualifiés et d'employés de bureau ».

Dans G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988 (p. 292).

61 consistant à encourager au maximum l'enfant dans ses études. En effet, et nous aurons l'occasion d'y revenir, les carrières de nos témoins ne sont pas vraiment en corrélation avec leur réussite scolaire. De même, leurs diplômes, pourtant « professionnalisants », ne définissent pas souvent quelles seront réellement leurs professions futures. Cependant l'attention portée à l'Ecole augmente sensiblement, surtout chez les populations d'origine étrangère pendant et après le second conflit mondial179.

Par ailleurs, on observe que plus le niveau scolaire est élevé, plus la délégation parentsmaître est contrôlée par les géniteurs, observation qui vaut pour les immigrés comme pour les Français. On constate cependant quelques variations à cette constatation : ce lien est particulièrement fort au sein des classes les plus populaires et dans les familles ou au moins un des deux parents est d'origine étrangère. En fait, « La relation pédagogique [...] implique aussi les parents de l'élève, qui, déléguant au maître ou à la maîtresse d'école une part plus ou moins grande de leur autorité parentale, attendent de lui autre chose que la simple prestation d'un service »180.

En outre, il n'est pas rare que les témoins évoquent le souvenir de leurs parents, allant raconter les incartades de leurs enfants au maître. En effet, « les familles populaires ont été souvent complices du système scolaire, cherchant même, le cas échéant, la caution de son autorité pour renforcer la leur auprès de leurs enfants »181. Régulièrement, dans les témoignages, on remarque l'approbation des parents pour une discipline scolaire qui, jusqu'au milieu des années 1960 selon François Grezes-Rueff et Jean Leduc, pratiquera encore régulièrement les châtiments corporels182. Le quitus donné aux enseignants constitue presque toujours, pour eux, l'assurance que leur enfant, cadré et encadré au sein de l'école, ne deviendra pas un voyou.

« A huit, neuf ans [...] je suis allé à l'école du Centre. [...] Une fois, la maîtresse m'a donné une claque, je ne sais plus ce que j'avais fait. Je suis rentré à la maison. Je l'ai dit. Mon père m'en a retourné une deuxième et il m'a accompagné à l'école. Quand elle l'a vu ma maîtresse lui a dit : « je lui ai donné une claque mais vous savez monsieur B., il l'avait mérité » Mon père lui a répondu : « vous avez bien fait, et la prochaine fois vous lui en donnerez deux, ça m'évitera de lui en donner quand il rentrera à la maison »183.

179 G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988 (p. 292, 293).

180 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 91 à 92).

181 Y. DELSAUT, Ibid. (p. 97).

182 F. GREZES-RUEFF et J. LEDUC, Histoire des élèves en France, de l'Ancien Régime à nos jours, Paris, 2007 (Introduction).

183 César B. Interrogé par I. VENDRAMINI-WILLEMS, L'immigration italienne à Noisy-le-Grand, Paris, 1992 (p. 121).

62 Les méthodes disciplinaires des enseignants sont presque toujours acceptées, voire même encouragées par les parents. Fessée, mise au coin, relégation sous le bureau du maître sont légion, plus rarement l'instituteur utilise aussi la férule. Ces punitions sont plus souvent évoquées dans les écoles de garçons que dans les établissements pour filles. Pour l'Ouest, les témoignages reçus pousseraient plutôt vers une situation où les élèves étaient relativement préservés de ces représailles physiques. Pour autant, on ne remarque pas cette « quiétude " dans des proportions suffisantes pour en tirer de vraies conclusions. Les témoignages ne sont pas assez nombreux pour avancer un bilan géographique sérieux de ces « sanctions physiques ".

L'influence de l'école et des instituteurs ne s'exerce pas uniquement sur les enfants mais aussi sur toute la cellule familiale. La relation entre l'équipe pédagogique et les parents est essentiellement indirecte, en tant qu'elle s'effectue surtout par le biais des devoirs et des leçons apprises en famille (plus souvent, avec la mère ou avec les aînés). Les témoignages rapportent effectivement que les rencontres entre les enseignants et les parents d'élèves étaient peu courantes et presque toujours à l'initiative des maîtres ou des maîtresses d'école. En général, ces visites sont motivées par le comportement ou les mauvaises notes des écoliers. Cependant l'amusante anecdote de WM montre que, dans son cas, ses parents se sentaient concernés par sa scolarité puisqu'il explique :

« Ma mère voulait que je passe le certificat d'études, elle est venu trouver l'instituteur, elle lui a dit « il faut présenter mon fils ". Lui, il a dit « il n'est pas prêt ", « si, si, si ! ". Ma mère elle voulait que je sois instruit mais il fallait que je fasse les travaux paysans ! Elle est venu une deuxième fois avec une paire de poulets et ça a fonctionné ... mais le certificat d'études je ne l'ai pas eu "184.

L'enquête dont l'analyse est fort intéressante, menée en 1951 sur les immigrés retient particulièrement notre attention ici, parce qu'elle a été réalisée par des instituteurs. Ce sont le démographe Alain Girard et le psychosociologue Alain Stoetzel qui en sont à l'origine. Cent treize familles du Lot-et-Garonne ont été interrogées par les maîtres d'école dans un entretien semi directif. Etudiée par Ronald Hubscher, professeur d'histoire contemporaine à Paris X Nanterre, cette enquête nous livre des résultats intéressants sur le rapport de l'enseignant avec le parent d'élève, il analyse ainsi de façon très fine le rapport de domination de l'instituteur sur les cultivateurs italiens du Lot-et-Garonne : « L'enquêteur est l'instituteur du village, celui qui fait classe à vos enfants ! Autorité reconnue, incarnation de l'administration, le maître d'école introduit peut-être à son corps défendant, un rapport de dominant/dominé entre son interlocuteur

184 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

et lui-même » 185. Nous nous servirons aussi de ce travail pour analyser les présupposés de ces instituteurs qui font surface dans cette enquête.

Nous avons ainsi pu observer que les raisons de l'arrivée en France ainsi que le contexte d'accueil ont un retentissement non négligeable sur la scolarité des élèves d'origine italienne, sur leur intégration et aussi sur leurs résultats scolaires. De même, le caractère sédentaire de la plus grande partie de l'immigration transalpine est, maintes fois, lié à la scolarisation dans l'Hexagone des enfants de migrants. Face à une population globalement fortement imprégnée par la religion, l'éducation traditionnelle italienne domine, bien que des cas, non négligeables, d'immigration politique impliquent une éducation différente des exemples précédemment évoqués. Nous avons ainsi pu observer que, si les attentes des parents face à l'école sont souvent fortes, contraints à un quotidien fait de travail acharné et à un manque de capacité pour aider l'enfant dans sa scolarité, l'élève « italien » se trouve souvent un peu démuni face aux demandes qui lui sont faites de la part de ses instituteurs.

185 Ronald Hubscher s'interroge alors sur la tentation du parent d'élève à tenir le langage qu'il croit que l'instituteur attend de lui.

Dans R. HUBSCHER, « 1951, une enquête sur les immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C. BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p. 195).

CHAPITRE 2
LE QUOTIDIEN DE L'ENFANT D'ORIGINE ITALIENNE A L'ECOLE

L'Ecole est, sans nul doute, l'instrument privilégié de la communication et de l'intégration des enfants de migrants. Cependant, l'établissement scolaire est aussi un microcosme où se reflètent comme à travers une lentille grossissante, les tensions de la société française par le biais des attitudes adoptées par les élèves. Faire partie intégrante d'un groupe constitue un besoin bien connu chez l'enfant. Aux questions portant sur leur vécu à l'école, les témoins interrogés évoquent, en premier lieu, des souvenirs d'ordre social ou relationnel. Aucun ne se rappelait des contenus précis des programmes scolaires, mis à part quelques leçons particulièrement marquantes, ou des exercices où ils s'étaient trouvés en difficulté.

Dès lors, travailler sur le quotidien de l'enfant à l'école n'est pas l'exacte traduction d'une étude des enseignements fournis par des professeurs, ou, du moins, pas seulement. L'élève connaît effectivement là son premier espace de socialisation, et en cela, au sein de l'école, dans la classe ou sur la cour de récréation marque profondément sa vie d'adulte et sa sensation, ou non, d'intégration dans un milieu social. Ajoutons à cela, pour ce qui concerne les enfants d'origine italienne, que ce lieu est souvent le premier espace officiel français et le fief de l'idéologie républicaine.

Figure n° 5 : La vie en classe186
(École Poincaré, Villerupt, début des années cinquante)

Figure n° 6 : Daniel Fantin187 Figure n° 7 : Jacqueline Fantin - Crampon188

186 Collection privée de Jean BURINI.

187 Collection privée de Daniel FANTIN.

188 Collection privée de Jacqueline FANTIN-CRAMPON.

I. L'élève dans son école

Pénétrons désormais dans les écoles de l'Hexagone afin de comprendre de quelle façon l'enfant d'origine italienne s'intègre dans ce milieu « français » : comment est-il accueilli ? Quelles sont ses activités dans la cour de récréation ? Quels autres écoliers fréquente-t-il ? Si elles existent, quelles différences entre son quotidien à l'école et celui des élèves issus d'un milieu endogène français ?

A). L'arrivée dans l'école :

Globalement, les enfants d'immigrés sont scolarisés plus tôt que leurs homologues français. En effet, il est plus courant, dans ses familles, que les deux parents travaillent lorsque la situation financière est particulièrement critique, comme c'est souvent le cas pour les jeunes d'origine étrangère.

? Les inscriptions.

L'enfant peut-être scolarisé dès ses trois ans (plus rarement vers ses deux ans et demi) si toutefois l'école l'accepte, cette décision étant laissée à la discrétion du directeur. En réalité, peu de familles en font la demande, les femmes de l'époque étant encore majoritairement au foyer (même à la fin de notre période, on ne comptabilise pas plus d'un enfant sur trois dans les structures correspondant à l'actuelle école maternelle). Cependant, sans pour autant pouvoir avancer de chiffres précis, se dessine une tendance : les enfants italiens sont plus fréquemment scolarisés à l'école maternelle que les petits français. Cette différence s'explique par le fait que, dans une situation critique, les parents, lorsqu'ils ont immigré, sont souvent obligés, pour des raisons financières, de travailler tous les deux. Les primo arrivants scolarisent donc globalement plus tôt leur progéniture. Citons par exemple Nuncio Titonel qui évoque l'école du Lot-etGaronne qui l'a accueilli très jeune sur ses bancs :

67 « Je me rappelle, je suis arrivé à l'école à deux ans et demi. J'étais plus souvent dans les culottes de l'institutrice que dans les miennes parce que je me salissais encore. »189

Scolarisés jeunes, les enfants d'Italiens diront, lors des entretiens, tantôt que cette habitude de la collectivité et de la vie à l'école fut une des raisons de leur réussite scolaire, tantôt que cet « abandon » dans les bras de l'Institution Scolaire explique leurs échecs. Soyons donc attentifs à ne pas tirer de trop rapides conclusions : nous sommes là face à des récits d'expériences humaines dans lesquelles bien d'autres données que celle liées à l'immigration entrent en jeu, c'est d'ailleurs ce qui rend l'étude aussi difficile que passionnante.

Au cours de la période 1935-1955, l'obligation scolaire commence à six ans et se termine à quatorze ans190. Les écoles maternelles, souvent appelées « asilio » par nos témoins utilisant ainsi le vocable d'Outremont, accueillent filles et garçons dans les mémes structures jusqu'à leurs six ans. Les adultes chargés de s'occuper de ces jeunes enfants sont alors exclusivement des femmes.

? Le premier jour d'école.

En quoi le premier jour d'école d'un enfant issu d'au moins un parent étranger est-il différent de celui d'un petit français ? Le premier regard sur l'enfant est bien souvent celui du Français sur l'étranger, en effet, lorsque les deux parents sont Transalpins, le jeune élève ne s'exprime la plupart du temps qu'en italien lors de sa première rentrée. C'est alors par l'école que l'élève va s'apercevoir de sa différence191. Dès lors quelles sont les premières réactions face à l'écolier étranger ? Couramment, l'afflux d'une population immigrée peut provoquer deux attitudes différentes : l'ethnocentrisme et la stigmatisation. L'ethnocentrisme consiste à juger de façon négative la culture de l'étranger. Ce contact réaffirme des réactions chauvines, xénophobes voire racistes. La stigmatisation attribue aux immigrés une étiquette les catégorisant comme déviants, et bien souvent, comme dangereux et inassimilables. Un des aspects de notre travail est d'analyser les réactions apparemment ethnocentristes ou visant à la stigmatisation des enfants de migrants dans l'enceinte de l'Ecole. Précisons ici que ces réactions n'ont été évoquées pour la

189 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL, dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

190 C'est en 1936 que l'obligation scolaire est portée de 13 à 14 ans, à l'initiative de Jean Zay, ministre du Front Populaire.

191 « Je me sentais complètement Français, pas du tout immigré mais c'était les autres qui me traitaient de macaroni ».

Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

68 toute petite enfance que par deux des témoins que j'ai directement interrogés. Au premier contact avec le futur élève et ses parents, elles semblent être inhabituelles et se présenter essentiellement dans des régions ou l'immigration était rare. Un des témoins interrogés m'a demandé de ne pas raconter en détail ce premier jour qui reste encore un souvenir très douloureux, quatre-vingt-cinq ans après. Quant à Maria C., scolarisée à la campagne au sud de Nantes, elle explique :

« Je me rappelle du jour de ma première rentrée. J'étais terrorisée, tout le monde parlait français. J'avais déjà été scolarisée un an en Italie mais ici ce n'était pas pareil... Ma mère m'a emmenée, elle ne comprenait pas non plus ce que lui disait ma maîtresse. Ma maîtresse avait l'air de nous mépriser, en tout cas, c'est ma vision des choses mais... c'était il y a longtemps... »192.

Albert Balducci, interviewé par Pierre Milza fait le même constat sur son arrivée à l'école alors qu'il a sept ans :

« L'instituteur [...] le premier jour, il me dit d'aller au tableau. Alors j'y vais, je vais au tableau. Mais je ne comprends rien aux questions qu'il me pose. Alors il me balance deux paires de claques »193.

Cette réaction, apparemment peu commune, peut aussi, et c'est d'ailleurs sous-entendu par Maria, avoir été transformée par le temps dans l'esprit du témoin. Globalement, à la demande de leurs sensations sur cette arrivée dans l'école française, les témoins répondent de la même manière qu'aurait pu le faire des Français : soit ils ont tout oublié de ce premier jour lorsqu'ils ont été scolarisés jeunes, soit ils se souviennent de leur crainte de quitter le rassurant foyer familial. Si l'on observe que « la situation d'émigré réduit la vie à l'extérieur de la famille et conduit à faire de la vie familiale l'essentiel »194, pour ce premier jour, on ne peut pour autant pas parler de différences notables à grande échelle entre les sensations « d'abandon » des élèves Français et des étrangers.

192 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).

193 A. BALDUCCI, interviewé par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 329).

194 D. SCHNAPPER, « Centralisme et fédéralisme culturels : les émigrés italiens en France et au EtatsUnis », Annales ESC, n°5, septembre et octobre 1974 (p. 1150).

B). Mixité, écoles de garçons et écoles de filles : quelles différences ?

Il nous faut aussi évoquer un des grands changements qui transforment l'éducation dispensée en France. C'est en 1925 que les programmes scolaires de l'enseignement secondaire féminin sont modifiés, ceci dans le but de les aligner au contenu des cours dispensés aux jeunes garçons. Ce détail est en fait fort éclairant pour notre sujet, les habitudes transalpines en matière de rapports garçons filles étant alors assez différentes de celles mises en place par la réforme française de 1925195. A cette date, le cursus des lycées de filles s'aligne sur celui des garçons et débouche désormais sur le baccalauréat. La mixité dans les écoles, quant à elle, voit le jour en 1945 dans les établissements publics des cycles primaires et secondaires. En fait, même après cette date, rares sont réellement les bancs d'école où se côtoient garçons et filles avant la fin des années soixante196. Ainsi, tous nos témoins sont scolarisés dans des établissements non mixtes, du moins une fois passées leurs années en école maternelle.

L'influence des enseignants et enseignantes semble particulièrement forte pour les filles197. La rencontre, à l'école, avec des Françaises et le contact avec la culture et les valeurs de leurs professeurs sont, pour de nombreuses élèves d'origine italienne, « l'occasion d'échapper aux contraintes que la tradition fait peser sur leur sexe )>198. Les Italiens sont souvent perçus par les femmes interrogées comme plus machistes que les Français199. Citons ainsi Madeleine Pruvost, née Dusio :

« Avec ma soeur, on se disait qu'on préférerait épouser un Français, parce qu'ils étaient plus gentils avec les femmes que les Italiens )>200.

De même, Maria C explique :

« Avec mon père, je n'avais rien le droit de dire parce que j'étais une fille. A l'école par contre, on m'interrogeait, on me montrait que j'étais importante, que mon avis comptait ! )>201.

195 Voir à ce sujet, M. VERHOVEN, École et diversité culturelle, regards croisés sur l'expérience scolaire des jeunes issus de l'immigration, Bruxelles, 2002 (p. 57).

196 Y. GAULUPEAU, La France à l'école, 1992, Paris (p. 116).

197 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 268).

198 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 397).

199 « J'ai vu mon grand-père en photographie mais jamais ma grand-mère parce que les Italiens, ils étaient très macho : on ne devait pas prendre les femmes en photo. »

Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

200 Témoignage de Madeleine PRUVOST dans M-C. BLANC-CHALÉARD, Op. cit. (p. 397).

201 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).

Pour autant, ce dernier témoignage aurait pu être celui d'une Française de la même époque, gardons nous donc d'influencer notre pensée par le prisme des informations sur l'immigration auxquelles nous serions particulièrement sensibles. Cependant, nous pouvons tout de même remarquer que, méme au sein d'écoles non mixtes, s'opèrent des changements importants pour les filles d'origine italienne.

C). Les questionnements liés à l'habitat : quelles différences entre l'intégration en ville, en banlieue ou en milieu rural pour les enfants des primo arrivants ?

? D'ou viennent nos témoins ?

Notre étude n'est bien sür pas exhaustive : la large gamme des statuts de migrants rend illusoire l'analyse d'un ensemble homogène. En effet, si l'on compte 40 % d'élèves étrangers dans les Alpes-Maritimes en 1935202, ce chiffre est, on s'en doute nettement inférieur dans la plupart des autres départements français. On a cherché à examiner les situations de témoins aux conditions culturelles et géographiques les plus variées possible, la majorité des témoignages sont ici recueillis dans le Nord-Ouest de la France. Cette base géographique d'une bonne partie de notre étude, n'est pas à proprement parler une région de forte immigration italienne, phénomène pourtant ancien, particulièrement en Bretagne. Comme on peut l'observer à la lumière de ce tableau, en 1936, les Italiens ne sont pas très nombreux en Bretagne, cependant, ils sont régulièrement placés au premier rang des étrangers présents dans la région :

Côtes du Nord

743 italiens

1571 étrangers

47, 3 %

 

Finistère

570 italiens

1290 étrangers

44, 2 %

 

Ille-et-Vilaine

664 italiens

2499 étrangers

26, 6 %

 

Morbihan

522 italiens

1591 étrangers

32, 8 %

Tableau n° 3 : Le recensement des Italiens de Bretagne en 1936203

202 G. NOIRIEL, « L'école » dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 259).

203 « Italiens de Bretagne », conférence de Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.

NB : les chiffres soulignés font référence aux périodes ou les italiens étaient au premier rang des étrangers dans les départements correspondants.

Déjà, au XIXème, les artisans et les réfugiés politiques sont nombreux dans les villes de l'Ouest. De méme, la construction du chemin de fer au départ de Rennes en 1857 permet le recrutement d'une main d'oeuvre arrivant du Nord de la Péninsule. Ces immigrants constitueront des réseaux migratoires pérennes, puisque encore debouts à la période sur laquelle nous nous penchons. Ce sont les primo arrivants qui, installés en France, permettent l'arrivée de nouveaux Italiens, en effet, « la condition de venue en France était que quelqu'un puisse subvenir à ses besoins avant de trouver du travail »204. Par ailleurs, les Italiens arrivent au premier rang des étrangers présents en Bretagne durant l'Entre-Deux-guerres205. Ils viennent alors majoritairement du Piémont, de l'Emilie-Romagne sont Frioulans ou Vénitiens206 (les méridionaux arriveront majoritairement après la Seconde Guerre mondiale). L'immigration de l'Ouest est principalement motivée par la recherche d'un travail, les Italiens utilisent alors les solidarités professionnelles ou familiales. La population étrangère en Loire-Atlantique est globalement plus tournée vers les métiers ouvriers que celle installée en Bretagne, plus rurale. Aujourd'hui, on compte encore un peu plus de 400 personnes d'origine italienne en Loire-Atlantique207. Si ce n'est pas la région de prédilection des migrants d'Outremont, on remarque cependant la présence limitée de quelques « petites Italies » essaimées dans l'Ouest. Citons par exemple, la micro colonie de Saumur208 ou la rue de Trignac à Saint-Nazaire, où l'on compte dans les années trente, dix-huit foyers italiens et une dizaine de célibataires. En 1936, 625 Italiens habitent à Nantes209. Dans la rue de Richebourg, on remarque huit familles italiennes. A noter que tous les hommes de ces foyers travaillent dans l'entreprise de travaux publics Le Guillou. De méme, dans le quartier de Malakoff (voir figure n°8) on recense 57 Italiens qui travaillent presque tous dans l'entreprise de maçonnerie Cattoni210. Les lieux de sociabilité italienne sont présents dans toutes les villes qui comptent un nombre des « colonies », même réduites, de Transalpins. A Nantes, par exemple, « ils se réunissaient entre la place du Pilori et la rue du Château. Dans ce café, il n'y avait presque que des Italiens. Ils se rencontraient le dimanche matin. L'après-midi, ils emmenaient

204 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

205 « Italiens de Bretagne », conférence de Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.

206 Voir la carte des régions italiennes disponible en document annexe n° 6.

207 AM, Nantes, Emigrer c'était fuir la misère, 13 janvier 1997.

208 A Saumur, Laurent Garino remarque d'ailleurs que presque aucun des migrants de la première génération n'a pris la nationalité française.

Conférence de L. GARINO sur les Italiens de Saint-Nazaire, vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan Penhoët.

209 A. CROIX (dir), Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines a nos jours, Rennes, 2007 (p. 230).

210 A. CROIX (dir), Ibid. (p. 237).

leurs femmes et leurs enfants. Ils ne chantaient que des chansons en italien, surtout en napolitain »211.

Figure n° 8 : La « petite Italie » de Malakoff en 1937212

« A la terrasse du café du boulevard, décoré pour l'inauguration du stade de Malakoff (futur stade Marcel-Saupin), plusieurs membres de la famille Cattoni, dont l'entreprise est installée tout près, rue Cornulier, et à droite M. Cocquio. A la fenêtre, les locataires : la famille Vigano vient du même village que les Cattoni, Rodero ».

211 Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

212 Collection privée, publiée par A. CROIX (dir), Op. Cit., 417 pages.

800

 
 
 
 
 
 
 

700

 
 
 
 
 
 
 

600

 
 
 
 
 
 
 

500

 
 
 
 
 
 
 

400

 
 
 
 
 
 
 

300

 
 
 
 
 
 
 

200

 
 
 
 
 
 
 

100

 
 
 
 
 
 
 

0

 
 
 
 
 
 
 
 

Hommes

Hommes

Femmesde Femmesde

 
 

Total

 
 
 
 

Total

Total

 
 

de moins

de plus de

moins de

plus de 20

hommes

femmes

hommes et

 

de 20 ans

20 ans

20 ans

ans

 
 

femmes

Italiens

68

348

67

142

416

209

625

Eqoagnols

42

140

44

97

182

141

323

Polonais

24

81

28

50

105

78

183

Beiges

13

86

16

57

99

73

172

Autres

96

381

65

170

477

235

712

s de

Graphique n° 1
Réalise à partir des chiffres fournis par Alain Croix dans « Entre-Deux-guerres : étrangers et 2 an a as ans fmidéologie », Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours,

sRennes, 2007 (p. 338).

(On ne fait figurer ici que les quatre nationalités les plus représentées a Nantes).


· Des différences importantes liées au fait qu'il y ait, ou non, une communauté italienne importante dans la ville et l'école.

Les milieux quasi-exclusivement transalpins jouent souvent, au sein du territoire d'accueil français, un rôle de « refuge " où se trouvent conservés l'ambiance et le mode de vie italien. Il ne fait aucun doute qu'il existe une tendance grégaire chez les migrants Italiens comme dans tous les phénomènes migratoires d'ailleurs (les exemples des colonies transalpines de Lorraine, les quartiers parisiens ou marseillais presque exclusivement constitués d'immigrés originaires du même village en sont des exemples flagrants). Cependant, l'essaimage individuel a pu être aussi une caractéristique de la période 1935-1955. Nous estimons de 6 à 10 % la moyenne des étrangers scolarisés dans les écoles françaises au début de notre période (6 % pour Marie-Claude Blanc-Chaléard pendant l'Entre-Deux-guerres213, 8 à 10 % dans les années trente selon Gérard Noiriel214). Pour la fin de la période étudiée, on se situerait plutôt autour de 3 % d'étrangers dans l'enseignement primaire en 1952215. Cependant, ces chiffres ne faisant pas état des naturalisés scolarisés, son intérêt pour notre sujet est limité.

Marie-Claude Blanc-Chaléard a étudié le maintien des familles italiennes dans les villes françaises, elle a ainsi pu démontrer que la ville fixe moins que la banlieue en raison des passages plus intenses de toutes les catégories de la population216.

Pour Nantes et l'Ouest en général, mis à part les « petites Italies " relativement réduites où l'on observe une forte prégnance de « l'entre soi ", il y a, proportionnellement à la France, peu d'autres immigrés dans les écoles fréquentées par nos témoins. Après 1939, on remarque néanmoins la présence de quelques enfants de réfugiés espagnols ayant fuit le régime franquiste 217 . Par ailleurs, particulièrement, à Couëron, on remarque une colonie assez importante de travailleurs polonais218. Les écoles de l'Ouest ne sont donc pas tout à fait

213 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 9).

214 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004 (p. 251).

215 G. NOIRIEL, « L'école " dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France.Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 260).

216 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 389).

217 On trouve de jeunes espagnols dans l'école de Carina Travostino, en Sarthe par exemple. Questionnaire de Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010).

218 Voir à ce sujet, le travail de V. NOWACKI, « La paroisse polonaise de Couëron de 1923 à nos jours ", Nantes, 1989 (116 pages).

75 dépourvues de bataillons d'élèves étrangers non italiens219. La proportion d'étrangers dans les classes ou dans les quartiers où vivent les témoins influence leur scolarité, tant d'ailleurs leur attitude et leur intégration dans l'école que leurs résultats scolaires. Phénomène difficile à quantifier, il est cependant suffisamment fréquent dans les témoignages pour qu'on s'arrête ici quelques instants sur les différences de modes de vie que connaissent un jeune issu d'une « colonie italienne » et un autre, isolé de ses condisciples d'Outremont. Ivo Livi, futur Yves Montand, dit ainsi n'avoir pas vraiment été affecté par les injures anti-italiennes proférées dans la cour de récréation : cette réaction de relative indifférence s'expliquerait, selon lui, par le fait que son école était fréquentée essentiellement par des immigrés. Yves Montand naît en Toscane, son père, Giovanni Livi, militant communiste fuit le fascisme en s'installant en France. Ivo est alors scolarisé à l'école communale du 52 boulevard Viala dans le centre de Marseille. Il quitte l'école, alors qu'il n'a qu'onze ans et demi pour entrer à l'usine, la fabrique de balais fondée par son père ayant fait faillite. A quatorze ans, il passe son CAP de coiffeur. Il explique dans une interview rapportée par ses biographes :

« Je ne percevais pas vraiment que j'étais un immigré. J'entendais bien, ici ou là, des injures telles que « sale macaroni » ou « babi de con »220. Mais je n'en saisissais ni la cause ni le but. Cela me passait au-dessus de la tête et je me disais : « qu'est ce qu'il raconte cet imbécile ? ». A l'école, nous n'étions que des enfants d'immigrés. Le maître pouvait à bon droit demander « qui est français, ici ? » tous les noms avaient des consonances étrangères ... »221.

On voit donc une différence importante, dans la perception des élèves, liée au fait qu'il y a, ou non, une forte présence d'étrangers dans l'école d'accueil des jeunes italiens. Bien sûr, le caractère de l'écolier a aussi une grande importance dans ses émotions en réaction aux offenses qui lui sont faites. Ainsi, par exemple, Carina Travostino, en réponse à la question « comment

219 - « Pas d'autres étrangers dans les écoles. En apprentissage de maçonnerie, j'ai retrouvé des enfants d'immigrés. C'était des copains d'apprentissage, on parlait en français. Il y avait des Polonais. Dans mon école, je pense que j'étais le seul d'origine italienne ».

(Nantes : école de Toutes Aides à Doulon, Saint-Clément, collège Saint-Stanislas).

Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

- « A Vial, il y avait une Polonaise, mais, en fait, il y avait peu d'étrangers ».

(Lycée de Nantes), entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

- « En plus des Italiens, il y avait une famille polonaise, une allemande ».

(Scolarité à Saint-Nazaire) questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

220 On traite habituellement de « babi » les Italiens du Sud. Il semble que ce terme injurieux désignant la population méridionale d'Italie n'était employé que dans le Sud de la France, et, on le voit pour Yves Montand, utilisé ponctuellement, et probablement par ignorance, pour désigner aussi des Transalpins du Nord.

221 Interview de Yves Montand cité par H. HAMON et P. ROTMAN dans Tu vois, je n'ai pas oublié, Paris, septembre 1990 (p. 41).

76 vous sentiez vous à l'école ? », explique qu'elle a été « quelque fois « agressée " par ces petites paysannes pour qui j'étais quand méme l'étrange fille pas comme eux. Donc « macaroni " était leur insulte première, ne sachant peut-être pas ce que ça voulait dire... Cela passait parce que j'avais bon caractère " 222. Par contre, Jacqueline Fantin-Crampon, répond, à la même question, « J'ai subi quelques insultes hors de l'école par des camarades qui me traitait de « macaroni ", je leur répondais, je ne me laissais pas faire "223.

Dans d'autres régions, comme l'Ouest, d'où provient la majorité de nos témoins, les Italiens sont minoritaires.

« Comme on était des ruraux, il n'y avait pas de regroupement, on était isolé donc on était comme un cheval dans un pré : perdu ! Ceux qui ont vécu en ville, c'est pas la méme façon. [...] J'étais toujours isolé, j'étais avec mon frère mais avec lui, on parlait patois aussi "

Ce même témoin me parle de la période où il vivait en ville, la situation était alors fort différente :

« Je crois que j'ai appris le français dans l'année de maternelle à Biarritz. Mais quand je rentrais à la maison, je ne parlais que le patois. Mon père a travaillé avec des Italiens, des Portugais et des Espagnols [...] et donc on parlait charabia. [...] Donc l'évolution c'est que ça n'était pas bon pour moi : je parlais le patois jusqu'à mes 21 ans à la maison. "224

De méme, Jean Burini, lorsqu'il évoque la Lorraine sidérurgique de son enfance, explique :

« A l'école primaire, dans la classe, on était dix nationalités : Français, Luxembourgeois, Italiens, Polonais, Russes, Ukrainiens, etc. ".

La photographie de sa classe au cours de l'année scolaire 1949-1950 et son descriptif sont une parfaite illustration de cette constatation : sur les vingt-et-un élèves de la classe de Monsieur Delon, dix ont des noms italiens225.

Citons aussi le souvenir de Serge Reggiani, bien différent de celui des enfants de primo arrivants installés dans les « petites Italies » de l'Hexagone. Son école est, en effet, fort éloignée de la cosmopolite Marseille du jeune Ivo Livi, des colonies italiennes de Lorraine ou de la ville de Biarritz racontée par WM. Le jeune Sergio est, pour sa part, scolarisé en Seine Inférieure (dans l'actuelle Seine-Maritime), à mi-chemin entre les villes du Havre et de Rouen. Il arrive à huit ans en France et est inscrit à la rentrée des vacances de la Toussaint 1930 dans l'école

222 Questionnaire de Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010).

223 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

224 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

225 Le faible nombre d'élèves s'explique par le fait qu'il s'agît de la « classe creuse " de 1941. Les classes étaient donc fréquemment des cours doubles.

primaire de la rue Carnot à Yvetot (qui aujourd'hui porte le nom d'école « Cahan Lhermitte "). Lui aussi, comme tant d'autres témoins, rapporte les habituelles insultes xénophobes antiitaliennes mais il semble avoir vécu l'évènement avec bien moins d'indifférence que ses homologues cités plus haut226. Il est en effet le seul italien de son école, et, en tant que tel, considéré comme une « curiosité locale ".

De même, le fait d'être issu ou non d'un couple mixte a une grande influence sur l'intégration à l'école et le sentiment d'appartenance à la nation (c'est en 1924 que les Italiens accèdent au premier rang des mariages mixtes chez les étrangers résidents en France, dépassant ainsi les Belges227). Les couples mixtes sont bien sûr plus fréquents lorsque l'on sort des « petites Italies ". Précisons cependant que les chiffres « mentent " puisque, souvent, les unions déclarées comme « franco-italiennes " se font en fait entre conjoints d'origine italienne, dont l'un des deux est né en France ou bien a été naturalisé. Plus la situation socioprofessionnelle du migrant est élevée, plus la probabilité d'une union avec une Française est importante. Ce sont toujours les citadins, et les immigrés les plus anciennement arrivés qui offrent les taux d'unions mixtes les plus importants228. On associe presque toujours ce phénomène à une bonne intégration comme l'atteste Wassila Ltaief qui explique que « dans le discours actuel sur l'immigration, qu'il soit médiatique, sociologique ou même juridique, le mariage mixte est invoqué de façon récurrente pour soutenir l'idée de la réussite du processus d'intégration des migrants, que celle-ci soit pensée dans les termes de l'assimilation ou du pluralisme culturel "229 . La forme la plus fréquente des unions maritales franco-italiennes est celle illustrée par une famille où le père est italien et la mère française230.

D). La cour de récréation, espace de détente.

Pour certains témoins, la récréation est le moment salvateur des cancres (sentiment que l'on retrouve d'ailleurs aussi chez les élèves français) puisqu'elle est l'espace du jeu et de la socialisation, caractères qui ne vont pas nécessairement de pair avec la réussite scolaire. En

226 Interview de Serge REGGIANI pour « Les Inrockuptibles ", mai juin 1991.

227 Voir la chronologie en document annexe n°1.

228 G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988 (p. 25).

229 W. LTAIEF « Jalons du mariage mixte dans l'immigration : entre la loi, la foi et la trace identitaire " dans B. STORA et E. TEMIME, Immigrances, l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 2007. (p. 124).

230 « Les enfants d'Italiens, amis de mon père, ils avaient tous une mère française ».

Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

78 revanche, pour d'autres écoliers, elle est, avant tout, le lieu des insultes xénophobes et des batailles rangées entre les élèves d'origine italienne et les Français.

? Un espace de jeu.

La récréation dure dix minutes à un quart d'heure, elle traîne parfois en longueur les jours de beau temps. Les souvenirs de cet espace de loisir qui sont évoqués en premier lieu sont les jeux de la cour, moyen formidable de sociabilité entre les immigrés et leurs camarades français, parfois aussi catalyseurs des tensions entre les élèves et des relations de dominé/dominant.

« Les jeux étaient communs : billes, boules de pétanque, cartes, etc. »231.

« On jouait aux gendarmes et aux voleurs, au chameau, à saute-mouton. »232.

Pour les « cancres », c'est souvent là « l'épreuve de rattrapage » vers une autre reconnaissance que celle scolaire, les capacités sportives et sociales sont valorisées dans l'espace de défouloir que constitue la cour :

« J'avais beaucoup de copains qui, dans l'ensemble, m'aimaient bien, il faut dire que j'étais plutôt amuseur et, excusez-moi, quelque peu meneur dans le bon sens du terme »233.

Parfois plus âgés, puisque ayant redoublé au moment de l'arrivée en France, nombreux sont les enfants issus de famille étrangère à avoir une place honorable dans l'espace de socialisation que constitue la cour de récréation234.

On remarque souvent durant la période 1935 -- 1955, outre les divertissements de cour de récréation qui traversent les époques (billes, marelles ...), le caractère patriotique de certains jeux, et ce surtout dans les écoles de garçons. Les jeunes élèves jouent ainsi à la guerre ou « à la résistance ».

231 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

232 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

233 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

234 « Dans la cour, je m'entendais bien avec tout le monde. Comme j'étais plus vieux d'un an, j'étais presque chef de file ».

Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).


· Les chansons dans les cours d'école.

La cour de récréation est aussi un lieu de rencontre entre enfants d'origine française et italienne. Cette confrontation se développe souvent par le biais de chansons que les élèves chantent à la récréation pour se moquer des « Ritals ». La perception agressive de la différence culturelle est souvent exprimée par cette comptine que les Français chantent dans la cour de récréation :

« As-tu vu Négus

A la Porte d'Italie

Qui secouait les puces A Mussolini 235».

Ce refrain humiliant est rapporté par plusieurs témoins du début de notre période, toutes régions confondues d'ailleurs. La mémoire collective en a fait l'exemple type des discriminations à l'école pendant le conflit éthiopien. Les défaites de l'armée mussolinienne face au Négus éthiopien sont moquées. Les affrontements de cours de récréation se multiplieront dans les écoles à partir du déclenchement de la guerre d'Abyssinie. Pour de nombreux écoliers, cette entreprise militaire est synonyme de la cassure des bonnes relations avec leurs camarades, comme d'ailleurs le sera plus tard la déclaration de guerre de Mussolini à la France, elle aussi vécue comme une rupture de la bonne entente par nos témoins. Dès lors, il ne semble pas sans intérêt de se livrer à une étude des conflits dans les cours d'écoles et à ce qu'ils révèlent des tensions entre Français et élèves d'origine italienne.

E). Les conflits de cour de récréation : une loupe sur les tensions ?


· « Macaronis », « enfants de pouilleux » : quelles réponses à la xénophobie dans la cour de récréation ?

L'entretien de Marie-Claude Blanc-Chaléard avec la famille Ricci constitue un témoignage criant quant à la présence d'importantes bagarres dans les cours de récréation de

235 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 37).

Ou encore Maria C. qui m'a dit, lors de notre entretien à Nantes le 24 novembre 2009, avoir déjà entendu parler de cette comptine.

80 l'Hexagone. Il semble ici intéressant de citer l'épouse de Julien Ricci expliquant les difficultés que connut le jeune garçon pendant sa scolarité dans la banlieue parisienne :

« - il a quitté l'école très jeune parce qu'il a eu pas mal de problèmes. Déjà, il a été renvoyé de l'école...

- pour quelle raison ?

- Oh, parce qu'il se battait tout le temps. Si on lui disait sale italien, ça, il ne supportait pas, c'était tout de suite le poing dans la figure, alors le directeur ne voulait plus le prendre. »236.

Les bagarres ne sont pas le monopole des garçons. Le témoignage de la romancière Inès Cagnati est, à cet égard, significatif. Elle raconte ainsi les rixes de l'école de Monclar d'Agenais dans le Lot-et-Garonne où elle est scolarisée après le départ d'Italie de ses parents :

« Les autres enfants manifestaient aussi leur aversion, par la dérision, les injures, les poursuites. Mais nous nous battîmes bien sür... je me souviens...de magnifiques batailles rangées dans la cour de l'école. Françaises contre étrangères, aussi enragées les unes que les autres, et toutes maniant glorieusement les insultes dont nous disposions »237.

De même, Madeleine Dusio explique :

« Ma soeur, elle était pourtant jamais allée en Italie, rien que de savoir qu'on attaquait les Italiens, pouf ! Ça partait »238.

Il est courant, au cours de ces « rixes », que l'on voit naître des alliances entre les écoliers d'origine étrangère, les Polonais au coude à coude avec les Italiens par exemple.

On s'aperçoit que, bien souvent, les insultes proférées dans la cour de récréation, provoquent des batailles en dehors. Qu'ils soient à l'usine ou à l'école, ces conflits détériorent l'image de l'individu mais aussi celle de la communauté italienne tout entière. On assimile le caractère violent d'un enfant au nom à consonance italienne à tous ses camarades aux parents d'Outremont. C'est, du moins, ce qui est enseigné par les parents de nos témoins à leurs enfants pour les dissuader de se montrer violents ou irrespectueux. La formule entendue est presque toujours la même : « Mes parents m'ont toujours dit : ici, on n'est pas chez nous. Il faut se tenir tranquille » 239 .L'hypercorrection sociale tient donc bien une place importante dans de nombreuses familles d'origine italienne. La volonté de la part des parents est alors de réussir à

236 Entretien avec la famille Ricci dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 420).

237 I. CAGNATI, « Je suis restée une étrangère », Sud-ouest dimanche, 16 et 25 mars 1985.

238 Entretien avec Madeleine DUSIO dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 427).

239 Entretiens avec Madeleine Toni, Rina Raumer, et la famille Mutti, Ibid. (p. 249).

81 gagner correctement sa vie et à s'intégrer à la société française en en copiant les coutumes et sans « faire de vagues ". L'enfant doit avoir « l'air propre ", les parents cherchent bien souvent à rendre leurs fils et leurs filles transparents (la volonté de franciser les prénoms et de parler français au sein du foyer en sont deux exemples que l'on retrouve très fréquemment).

Par ailleurs, les conflits, dans la première partie de notre période, portent souvent sur le fascisme, là encore, les considérations politiques de la maison vont être transférées à l'école. Ainsi, Walter Buffoni, pourtant fils de communistes, raconte l'anecdote suivante :

« Ma mère couturière m'avait fait une chemise d'un gris foncé. Certains camarades de l'école faisaient une relation avec les « chemises noires » des fascistes. N'étant pas du genre à me laisser faire, il s'ensuivait des bagarres, ce qui n'empêchait pas d'être ensuite bons copains "240.

On voit donc que la gravité de ces échauffourées était considérée comme toute relative par leurs protagonistes. Par ailleurs, nous retrouvons très fréquemment, dans les autobiographies, le récit des insultes et chansons visant à se moquer des jeunes élèves d'origine italienne. « On était des moins que rien " : tel est le ressenti de la famille Lucia de Nogent, sentiment partagé par beaucoup241. François Cavanna se souvient lui aussi avoir eu à affronter les critiques et les quolibets de ses camarades français, il dresse ainsi, dans son autobiographie une sorte de catalogue des insultes habituellement proférées dans la cour de récréation :

« Les Ritals, vous êtes bons qu'à jouer de la mandoline "

« Dans votre pays de paumés, on crève de faim, alors vous êtes bien contents de venir bouffer le pain des français !"242.

L'image collective des Italiens souffre donc d'une vision négative, on les voit pauvres, paresseux, « pouilleux et culs-bénits "243.

« Les Ritals, on est mal piffés [...] les mômes français ne risquent pas le bout de leurs pompes dans nos rues à Ritals, mais à l'école, là ils se rattrapent "244.

240 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

241 Témoignages de la famille Lucia en 1994

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 356).

242 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 33).

243 F. CAVANNA, Ibid. (p. 38).

244 F. CAVANNA, Ibid. (p. 33).

De même, nous constatons fréquemment, dans nos témoignages, que les discours des parents refont surface à l'école par l'intermédiaire des critiques culinaires. Les écoliers italiens traitent ainsi les Français de « patates pourries », répondant sur le méme registre que l'habituel « macaroni »245. Cette insulte s'explique par le fait que les Français, en fait de pâtes, ne connaissaient que les macaronis (c'est-à-dire faites au gratin, avec du fromage). La critique de départ concerne donc la pauvreté des Italiens, on se moque d'un repas considéré comme destiné à des miséreux puisque les pates ne sont pas accompagnées de viande comme c'est l'habitude dans la plupart des familles françaises.

« Ah les français, ils mangeaient le macaroni au fromage c'est-à-dire au four. Mais nous la « pastasciutta » comme on la faisait, ils aimaient pas ça... Ah ! c'était pas bon, c'était un plat italien, et puis il y avait de la tomate dedans. Eux, ils n'aimaient que le macaroni au fromage. Ils n'aimaient pas les spaghetti »246.

Il va de soi que, rapidement, l'insulte se diffuse dans les cours de récréation et devient un sobriquet habituel contre les jeunes d'origine italienne, cependant, son origine provient bien des critiques culinaires parentales. Le jeune Sergio, futur Serge Reggiani, répond d'abord aux « macaronis » de ses camarades de classe par des jurons en italien qui ne font qu'augmenter la raillerie des autres écoliers. Le fait de ne pas connaître la langue de ses camarades joue sur la réaction de l'enfant insulté247. Ainsi, il sera impossible à un élève qui ne connaît que la langue italienne de répondre par l'humour, solution pourtant souvent salvatrice, aux remarques xénophobes de ces homologues francophones. Serge Reggiani explique ainsi que sa volonté très forte d'apprendre le français a été « provoquée » par cette situation de reclus qu'il connaît au moment de son arrivée dans l'Hexagone248. On retrouve sensiblement les mêmes motivations chez de nombreux témoins :

245 « A l'école, je me suis retrouvé avec des paysans. Il y avait un copain, son père avait eu des problèmes avec les voisins italiens. C'est là que, pour la première fois, on m'a traité de « macaroni ». Il était plus grand et plus costaud que moi alors je n'ai pas cherché la bagarre ! Je lui ai dit « toi tu manges des carottes et des patates pourries ! ».

Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

246 Témoignage de P. P.

Dans M. ROUCHE « un village du sud-ouest dans l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens à Monclar d'Agenais » CEDEI, acte du colloque franco-italien, Paris 15-17 octobre 1987.

247 Sur ce sujet, voir R. GUALDARONI, « Scolarisation des élèves étrangers en France », dans Educazione interculturale : dalla teoria alla prassi, mars 1997 (p. 103).

248 Interview de Serge REGGIANI pour « Les Inrockuptibles », mai juin 1991.

Luigi Tirelli explique ainsi :

« Sono venuto in Francia che avevo sei anni. [...] io sono andato subito alla scuola francese, e dopo sei mesi parlavo il francese, come un francese. Sono andato fino al Baccalauréat. »249.

WM fait le même constat :

« A l'école je me suis mis à parler le français automatiquement. Je crois que j'ai appris le français, dans l'année de maternelle à l'école. J'ai appris très rapidement. »250

La situation est courante car, comme le soulignent Marianne Amar et Pierre Milza, « les élèves étrangers souffrent bien sûr du handicap linguistique mais, une fois surmonté, ils réussissent mieux car ils savent que l'école est leur seule chance de gravir quelques degrés de l'échelle sociale »251. Ce sera le cas de Serge Reggiani qui s'avérera être un excellent élève tout comme Walter Buffoni252. Sans, bien sûr, se réjouir de la présence récurrente de ces insultes dans les cours de récréation, les témoins expliquent souvent qu'il est indéniable qu'elle a été un moteur d'apprentissage important dans l'apprentissage du français.

L'enquête de 1951 d'Alain Girard et Jean Stoetzel souligne, elle aussi, les moqueries de la cour de récréation :

« Rapport avec les maîtres : cordiaux. Rapports avec les camarades français : bons. Evidemment, ils ont parfois été traités de « macaronis » par leurs camarades mais jamais avec méchanceté »253.

On aurait donc tendance à penser que les pouvoirs publics minimisent l'impact de ces insultes sur les élèves, mais, nous l'avons vu avec l'interview donnée par Yves Montand ou le récit des souvenirs de Walter Buffoni, les témoins confirment la plupart du temps avoir ressenti ces injures comme n'étant, finalement, pas si graves :

249 « Je suis arrivé en France à 6 ans. [...] Je suis allé aussitôt à l'école française, et, après six mois, je parlais le français comme un Français. J'ai étudié jusqu'au Baccalauréat ». TDLA

Témoignage de Luigi TIRELLI (né à Cavriago en 1928) livré le 31 octobre 1997 à Antonio CANOVI au théâtre du Champ de Mars

Dans A. CANOVI, Cavriago ad Argenteuil, Migrazioni Communità Memorie, Cavriago, 1999.

250 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

251 M. AMAR et P. MILZA, L'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1990, (p. 108-109).

252 « - Etiez vous un bon élève ?

- J'aimais assez l'école. Cela m'est désagréable de répondre à la question, en effet, j'étais très bien noté par mes maîtres. A l'apprentissage, je suis sorti avec la mention « très bien » ».

Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

253 A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des Polonais, Paris, 1953 (p. 350).

« Bien sûr il y avait les sales macaronis. Mais on réglait ça à la récré, ou dans la rue ; quelques coups de poing et on n'en parlait plus »254.

« I Francesi !255 _ Je rigole maintenant mais on se lançait des pierres ! Il y a eu quelques bagarres, mais le plus souvent on s'amusait ensemble, hein »256.

De même, les injures ne sont jamais mises en corrélation avec leur intégration par nos témoins, Walter Buffoni, évoquant son école nazairienne, répond ainsi à la question « à l'école, perceviez vous que vous étiez un immigré ou vous sentiez vous Français ? » : « Certains enfants savaient me le faire savoir (sale macaroni). Toutefois, j'étais parfaitement intégré »257.

Par ailleurs, si la question des insultes en rapport avec leurs origines reste très rarement sans réponse, deux témoins diront tout de même ne pas en avoir reçues. Alors, oubli lié à l'ancienneté des évènements ou témoignage réel de situations relativement privilégiées au regard du nombre de personnes faisant état des habituelles algarades de préau ? Soulignons aussi qu'à la question « vous souvenez vous d'épisodes violents à l'école ? », Giovanna répondra qu'elle « préfère ne pas en parler »258 signe que les souvenirs de ces moments de tensions restent bien souvent douloureux plusieurs dizaines d'années après les faits.

Nous avons pu observer le large panel des insultes proférées contre les enfants de migrants italiens, il n'est pas rare que l'enfant passe de la provocation verbale aux coups. Les critiques envers les Transalpins restent rarement sans réponses. Nous retrouvons ainsi assez fréquemment des insultes de la part des jeunes « Ritals » sur la fainéantise des Français. Le Transalpin compense ainsi l'humiliation qu'il peut ressentir quant à la condition de travailleurs exploités de ses parents en stigmatisant une soi-disant paresse chez le Français. Chez les Italiens, « on se tue au travail par nécessité mais aussi par défi »259.

« On était souvent traités de macaronis... la grande insulte c'était qu'on venait manger le
pain des Français, on le trouvait dur le pain... Après, on était bien incorporé, mais il y a

254 Témoignage de Laurent PELLICIA

Dans M- BLANC-CHALÉARD et Pierre MILZA, Le Nogent des Italiens (p. 112).

255 « Les Français » TDLA.

256 Témoignage de N. T.

Dans M. ROUCHE « un village du sud-ouest dans l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens à Monclar d'Agenais », CEDEI, acte du colloque franco-italien, Paris 15-17 octobre 1987.

257 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

258 Questionnaire de Giovanna, 2010.

(Giovanna a demandé à ce que seul son prénom soit divulgué).

259 - M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000. (p. 411).

- « Dommage qu'on soit obligé de s'arrêter pour dormir, que sans ça on tombe ».

Dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 239).

des moments où on se disputait, alors là toutes les insultes étaient bonnes. On le leur rendait largement. Je pense que c'était plutôt de la jalousie »260.

Les critiques des parents se retrouvent, là aussi, dans les cours de récréation. Cavanna exprime cette transposition du foyer à l'école en écrivant : « on voit bien que leurs parents ne se privent pas de débloquer sur nous autres, à la maison » 261 . Par souci d'exactitude, il est donc indispensable de souligner que ces insultes furent évidemment réciproques. Le fils de migrant italien n'est pas nécessairement le « mouton noir » de la classe. Effectivement, nombreux sont les témoignages d'immigrés italiens expliquant qu'ils n'étaient pas les derniers à provoquer les conflits. Ainsi Auguste Bocarelli raconte :

« Je cherchais la bagarre. A la sortie de l'école, je savais où jouaient les autres qui nous traitaient de macaronis et tout ça. Alors, je leur tombais dessus quand ils jouaient aux billes. Les mères ont protesté auprès du directeur, disant qu'il y en avait assez de cet Italien, etc. Il m'a sermonné, mais il m'aimait bien. En classe, j'étais toujours dans les premiers. A la fin il disait aux mères de faire rentrer leurs enfants plus vite. Il me donnait raison »262.

Il est intéressant de se demander si ces bagarres, ces insultes, sont synonymes d'un refus d'être considérés comme étrangers de la part de l'élève d'origine italienne, ou bien sont l'expression de la revendication et de la défense de sa communauté. Parfois, les deux sentiments se mêlent : la recherche de soi est un chemin difficile pour celui qui a un premier pays dans les veines et un second sous les pieds. Nous aurons l'occasion d'étudier plus en profondeur cette question lorsque sera interrogé le sentiment d'appartenance des élèves d'origine étrangère.

Par ailleurs, si les écoliers français semblent, la plupart du temps, réutiliser presque textuellement les critiques contre les Italiens qu'ils entendent à la maison ; les enfants d'origine italienne se démarquent parfois de leurs parents (qui, souvent, prônent l'hypercorrection sociale). Cette attitude est sans doute le reflet de leur incompréhension du choix de l'immigration ou peutêtre aussi de leur colère de ne pas être tout à fait intégrés. La « paternité » des conflits est souvent difficile à analyser, en effet, les souvenirs sont partiels. Pierre Milza, lui-même témoin, mais aussi historien contemporanéiste, précise le caractère subjectif de la mémoire. Il semble

260 Témoignage de G. C. B.

Dans M. ROUCHE « un village du sud-ouest dans l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens à Monclar d'Agenais » CEDEI, acte du colloque franco-italien, Paris 15-17 octobre 1987.

261 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 33).

262 Entretien avec Auguste BOCARELLI :

Dans Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 420).

86 nécessaire de replacer notre étude dans son cadre, celui d'une recherche en science humaine avec ce que cela comprend de partialité dans les témoignages analysés.

« J'ai pu le constater avec de nombreux entretiens avec des représentants de la deuxième génération issue de l'immigration [...] nous avons tendance à grossir avec le temps ces blessures de l'enfance. Je me suis moi-même égaré dans cette voie avec une bonne foi absolue. Le souvenir des humiliations subies a fait que nous en avons souvent rajouté en intégrant à nos propres expériences des faits de mémoire collective d'une toute autre gravité. Parler de racisme anti-italien à propos des chasses à l'homme et des tueries de la fin du siècle dernier ne me paraît nullement déplacé. Ça l'est au contraire, appliqué aux dérapages verbaux, voire aux horions échangés, du second XXème siècle »263.

Passons maintenant de la cour de récréation à la porte de la classe. Si l'espace de jeu a un rôle majeur dans le développement de l'enfant, c'est dans la salle de classe que l'élève doit faire face aux impondérables handicaps de départ qui le rendent, tantôt plus acharné dans son travail, tantôt démissionnaire par avance. C'est en grande partie sur les bancs de l'école que se jouera le futur des enfants de migrants, les implications liées à l'école n'ayant pas seulement une influence sur la carrière mais sur toute la construction du futur adulte.

263 P. MILZA, Op. Cit. (p.135).

II). L'élève dans sa classe

Comprendre la vie de la classe, c'est s'interroger sur la formation des enseignants et sur leur rôle mais aussi sur les résultats des élèves, l'organisation au sein des salles de classe, le contenu des programmes scolaires, et enfin, sur la carrière des témoins.

A). Les enseignants

. La formation des maîtres d'école.

Lorsque l'on aborde un sujet traitant de l'Ecole, il va sans dire qu'il est nécessaire d'aborder la question de la formation des enseignants. C'est en 1833 que les lois Guizot264 commencent à organiser l'école primaire et créent les Ecoles Normales (EN). L'année 1854 marque un changement important puisque c'est désormais le recteur d'académie qui nomme, seul, les enseignants. En effet, désormais les instituteurs seront libérés du contrôle des notables et du certificat de « bonnes moeurs » délivré autrefois par l'Eglise. La IIIème République, quant à elle, marque l'ascension du prestige du métier de professeur. L'instituteur devient alors le symbole de l'idéal républicain et laïc. C'est Charles Péguy le premier, écrivain et promoteur du nationalisme français, qui les qualifiera de « hussards noirs de la République ». Les hussards étaient des cavaliers de l'armée hongroise, la comparaison est donc lourde de sens, Charles Péguy exprimant ainsi la déférence et l'obéissance quasi-aveugle des enseignants envers l'Etat français. Le début du XXème siècle marque la syndicalisation du corps enseignant, par ailleurs, beaucoup d'entre eux adhèrent au socialisme « à la Jaurès ». Jusqu'en 1924, cette activité politique est considérée comme incompatible avec leur statut, nombreux sont donc les instituteurs à être révoqués. Quant aux premières années de la période qui nous intéresse, elles sont considérées comme « l'age d'or » de la profession265. Après la Première Guerre mondiale, en effet, les revenus des professeurs augmentent. Leur engagement politique est toujours tourné

264 28 juin 1833 : la loi Guizot impose une Ecole Normale par département, une école primaire supérieure dans chaque commune de plus de 6 000 habitants et dans chaque chef-lieu de département, une école primaire publique au moins par commune.

Voir aussi à ce sujet la chronologie en document annexe n°1.

265 J. GIRAULT, Instituteurs syndiqués et enseignement de l'histoire entre les deux guerres, Paris, 1984 (p. 140).

vers la gauche, ils s'inscrivent massivement dans la défense du pacifisme. L'exemple le plus célèbre de ces instituteurs pacifistes est probablement celui de Gaston Clémendot (1904-1952), syndicaliste, rédacteur de manuels scolaires et qui s'est engagé dans une défense sans failles du socialisme266. Le pacifisme que l'on retrouve souvent chez les enseignants est-il pour autant un gage de sécurité dans l'acceptation facile des élèves d'origine étrangère ? En tout cas, la présence, dans de nombreux témoignages, de comparaisons entre les armées transalpines et françaises nous pousse à nous intéresser à cette évolution dans les opinions des instituteurs : que pensent-ils des affrontements politiques, militaires entre les deux pays ? Par ailleurs, l'engagement à gauche de nombreux professeurs sera tantôt un point commun avec les parents de nos témoins, eux-mêmes ayant souvent fui l'Italie mussolinienne pour des raisons politiques, tantôt une occasion d'incompréhension, voire de discorde, avec des familles traditionnelles italiennes très catholiques mais n'ayant pas les moyens financiers de scolariser leurs enfants dans des écoles privées.

Après ce point délicat (en tant qu'il relève avant tout des histoires individuelles) sur les opinions des instituteurs, nous nous devons donc de nous livrer ici à un rapide panorama de l'apprentissage délivré aux futurs maîtres d'école dans les Ecoles Normales d'instituteurs. Cependant, soulignons que, malgré l'esprit de corps qui les anime forgé par leur formation uniforme, l'enseignant ne peut se réduire à la légende du « héros républicain » ou du « militant intransigeant de la laïcité » car le corps de ce métier est en fait assez hétérogène267. Si la corporation des instituteurs est composée d'hommes et de femmes aux opinions très diverses, il est tout de méme possible d'observer des traits communs dans leurs comportements. Tout d'abord, le concours de l'enseignement prétend offrir une formation identique à chacun des apprenants. Yvette Delsaut, dans son ouvrage sur l'Ecole Normale, définit cette institution comme « chargée de produire le personnel d'encadrement pédagogique des futurs citoyens et, à ce titre, la cible jalousement surveillée de tous les programmes d'éducation » 268 . La dénomination même de cette formation souligne le caractère de système modèle que revendiquent les Ecoles Normales, nous sommes ici face à une institution autorisée, logique. C'est du moins, ce qui est mis en avant par l'Etat républicain. C'est dans les années 1920 que se met définitivement en place l'instauration du commandement étatique sur l'ensemble du système

266 O. LOUBES, L'étrange défaite de la patrie à l'école primaire en France entre 1918 et 1940, Paris, 2005 (p. 194).

267 S. JOSPIN, « Les hussards noirs de la République » dans L'actualité de l'Histoire, n°102, septembre 2009 (p. 72, 73).

268 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 5).

éducatif. Ecole Normale, institution dirigée par l'Etat donc, mais aussi organisation éminemment polémique, souvent vivement critiquée. Si l'Ecole est le lieu de la formation des futurs citoyens, elle devient alors un enjeu primordial pour les diverses obédiences politiques. D'ailleurs, le gouvernement de Vichy décide, le 18 septembre 1940, de supprimer les Ecoles Normales. C'est seulement le 19 avril 1945 qu'une ordonnance du général De Gaulle abroge toutes les lois relevant de la législation scolaire vichyste.

La vision des instituteurs de la France est résolument jacobine dans son ensemble : vantée pour ses vertus accueillantes, l'accueil des immigrés s'y veut la plupart du temps en accord avec les processus d'assimilation. La grande majorité des professeurs semble d'ailleurs n'émettre aucune réserve à l'idée de la supériorité nationale, au moins au niveau culturel. Parlant de la vision des enseignants de l'intégration des familles italiennes, Ronald Hubscher explique d'ailleurs que « le fichu ou la mantille des femmes, le chapeau de feutre noir des hommes désigne l'étranger. La couleur vive des robes des immigrantes est qualifiée de criarde et manifestement ne répond pas au gout français de la mesure. L'intérieur de la maison est scruté avec attention : le tableau d'un paysage cisalpin ou un calendrier italien accrochés au mur sont considérés comme les lieux d'une mémoire qui n'est pas effacée » 269 . Effectivement, l'intégration de l'enfant d'origine étrangère semble, pour leurs enseignants, le plus souvent, synonyme d'un travail d'oubli du passé transalpin et de suppressions des traces d'italianité pour se fondre dans le creuset français.

L'Ecole Normale n'est pas mixte. L'enseignement qui y est dispensé aux élèves maîtres hommes ou femmes est toutefois sensiblement le même. La formation des « hussards de la République » se fait en quatre années. Dans un premier temps, le futur enseignant commence cette formation, très sélective, dès qu'il a obtenu son certificat d'études270. Autrement dit, les apprenants au métier d'instituteur sont eux-mêmes très jeunes au début de leur entrée à l'Ecole Normale. Le concours comporte un commentaire de texte puis une dictée (pour laquelle le zéro est éliminatoire). Il y a aussi une épreuve de mathématiques, puis, un document est lu et, sans avoir le droit de prendre des notes sur ce texte, les postulants au concours de l'enseignement doivent en faire un compte-rendu. A l'oral, de nouveau, des questions sont posées sur toutes les matières principales (en français, le candidat doit expliquer un texte, en mathématiques, il doit démontrer une formule). Viennent ensuite des épreuves moins classiques pour les élèves

269 R. HUBSCHER, L'immigration dans les campagnes françaises (XIXème À XXème siècle), Paris, 2005 (p. 401).

270 En 1969, le gouvernement français met fin à l'existence du recrutement en fin de troisième. Désormais il devient donc plus compliqué pour les enfants de paysans et d'ouvriers d'accéder à des études prises en charge par l'Etat et menant au métier d'instituteur.

90 apprenants qui passent alors des tests de dessin et de modelage, ainsi qu'une épreuve sportive avec un barème adapté selon l'âge du candidat. L'exercice de musique consiste à solfier une partition et à chanter une chanson.

Une fois acceptés à l'EN, les futurs maîtres apprennent des leçons modèles et font des stages au sein des classes d'application. Le discours livré aux apprenants est stéréotypé271, rien d'étonnant dès lors à ce que celui diffusé dans les classes de nos témoins ait été lui aussi conventionnel272. Il en va de même pour le style d'écriture qui semble extrêmement formel dans leurs cahiers a d'ailleurs été un souci pour analyser les rédactions de nos témoins. En effet, cette forme ritualisée peut être synonyme d'une certaine forme d'autocensure sur l'éventuelle expression du ressenti de nos jeunes témoins, quant à leur intégration par exemple273.


· « Vous m'avez décollé les yeux et décrassé le dedans de la tête » (François Cavanna).

Par ailleurs, l'instituteur est aussi vu comme le garant des apports culturels et intellectuels, il est donc relativement fréquent que les interlocuteurs d'origine italienne soulignent le rôle majeur des enseignants dans leur engagement politique, leur insertion dans le monde du travail, leur passion pour la littérature ou pour l'art. Ainsi, Jean Burini, se rappelle avec émotion de son instituteur de l'école Poincaré :

« Mon maître, monsieur Jean Romac, je me rappellerai toujours de son nom, quand je parle de lui, je suis ému. C'était un homme, il était sévère, très sévère, c'était pas le mec gentil mais avec lui vous vous en sortiez vraiment bien : il vous obligeait à prendre la direction qu'il fallait »274.

Il lui écrira même une lettre en 2002 pour lui témoigner sa reconnaissance, expliquant ainsi :

« Tant d'années se sont écoulées mais je n'ai pas oublié les trois années scolaires passées dans votre classe de l'école Raymond Poincaré de Villerupt. Votre gentillesse, votre rigueur et votre droiture, ainsi que votre disponibilité m'ont fortement marqué. Je n'ai jamais oublié les sorties que vous nous avez consacrées à Obercom, au Moulin de Tiercelet, les promenades en forét ou au plateau de la Gare et bien d'autres encore, restent pour moi de très bons souvenirs. [...] Vous faites partie de ceux qui ont tenu une grande

271 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 80 à 82).

272 On ressent d'ailleurs l'influence de cette écriture formelle dans les lettres de soldats durant les deux guerres mondiales

Voir à ce sujet, S BRANCA-ROSOFF, Conventions d'écriture dans la correspondance des soldats, Paris, 1990 (p. 21 à p. 36).

273 Voir à ce sujet, « Joyeux écoliers », journal mensuel de la classe de Jean Romac, école de garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954.

274 Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 -- Vigneux).

place dans ma vie car, pour nous, enfants des cités ouvrières, vous avez joué un rôle important en nous inculquant deux qualités essentielles ; le respect et la droiture »275.

De même, François Cavanna exprime de façon véhémente sa gratitude aux « hussards de la République » :

« La foi [...] je l'ai virée. [...] Foutue dehors à coups de pieds dans le cul. Et c'est bien à vous que je le dois, vous, mes instits de la communale pourtant pas spécialement bouffeurs de curés. A vous surtout, mes profs de l'école supé. [...] Vous m'avez décollé les yeux et décrassé le dedans de la tête »276.

Pour François Cavanna dessinateur reconnu, polémiste de talent, l'engagement politique s'est fait bien plus par l'Ecole que par sa famille. En effet, il est issu de parents peu politisés le fait de parler de politique est assimilé au fait de ne pas se tenir « tranquille ». Écrivain récompensé maintes fois, le jeune François est un excellent élève. Son talent littéraire est, lui aussi, provoqué en grande partie, grâce au travail de quelques professeurs qui l'ont « fait pleurer de bonheur à Molière, à la Fontaine, à Rabelais... »277. De même, la passion pour la géographie de Maria Cera-Branger est née de l'influence d'un de ses professeurs :

« J'ai eu une institutrice [...] à l'école de la rue Evariste Luminais, elle s'appelait Madame Dabouis. Cette dame là, elle m'a fait passer des choses qu'aucune autre n'a pu me faire passer. En géographie, elle parlait avec amour des Alpes, elle avait été réfugiée à côté de la mer de glace. J'étais en admiration devant cette dame »278.

Cependant, est-ce pour autant toujours une posture consciente que celles des professeurs qui poussent les enfants d'immigrés à la découverte de la culture française et de ses auteurs ? Nous pourrions penser que la réponse positive est évidente. En fait, François Cavanna suppose le contraire pour son cas personnel :

« Vous m'avez mis au monde tout beau, tout neuf, et vous n'avez rien senti. T'es rital,

t'es cureton, c'est marre. Voltaire et Diderot là-dessus, confiture aux cochons... »279

Consciente ou pas, l'ascendance de certains instituteurs n'est pas négligeable et fera naître des vocations chez quelques-uns des enfants de migrants qui sont le ciment de notre étude. Cette

275 Lettre de Jean BURINI à son instituteur Jean ROMAC, 26 avril 2002, Vigneux.

276 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 38-39)

277 F. CAVANNA, Ibid. (p. 39).

278 Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

279 F. CAVANNA, Op. Cit., Paris, 1978. (p. 39).

influence est parfois si forte qu'elle peut être le facteur déclencheur de l'installation définitive en France du noyau familial. Nous l'avons rapidement évoqué plus haut 280 , l'influence des instituteurs sur leurs élèves se ressent aussi par les vocations que ces derniers ont pu susciter chez les jeunes Italiens. Nombreux sont les historiens qui citent dans les témoignages recueillis l'exemple d'enfants de migrants ayant voulu embrasser la carrière de professeur. C'est d'ailleurs le cas de la plupart des historiens de l'immigration italienne, si l'on observe la bibliographie des recherches ici livrées, on remarquera en effet un nombre élevé de chercheurs aux patronymes italiens. Cependant, les témoins étant interrogés sur la base du volontariat, il semble logique que, davantage que les autres, ils aient envie de se confier à des personnes les remettant de nouveau en contact avec l'Institution scolaire. Le phénomène est donc mineur, il est d'ailleurs plus difficile que pour les Français, pour les descendants d'immigrés transalpins de faire carrière dans l'Education. Effectivement, s'ils peuvent passer le concours de l'Ecole Normale, il est toutefois nécessaire de bénéficier d'une ascendance de trois générations d'ancêtres ayant la nationalité française281.

? Les enseignants et l'Italie.

Si, dans la période que nous étudions ici, rares sont les professeurs d'origine italienne (on remarquera des enseignants issus de l'immigration transalpine dans la génération suivante), l'Italie n'en est pas moins évoquée de temps à autre dans les leçons de la période 1935-1955. Souvent la discussion est enclenchée par une remarque du professeur quant à la consonance italienne du nom de l'élève. Marie Cera-Branger nous fait ainsi part de son expérience :

280 Voir la partie sur le rôle joué par l'Ecole dans l'installation définitive en France.

281 « J'adorais l'école. J'étais une excellente élève. Je voulais être institutrice. J'étais reçue au concours de l'École Normale. Mais c'était en 1940, il fallait une ascendance de trois générations de Français. Ma carrière a été brisée ~ ».

Témoignages de Zina AVRIL-MUTI, dans M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 422).

« À l'école Vial, j'ai eu une professeur en géographie qui, à cause de mon nom, m'a demandé si j'étais d'origine italienne. Je lui ai dit oui, alors, elle m'a demandée de parler un peu de l'Italie et d'expliquer comment mon papa était venu ».

« J'allais à l'école française et je n'ai jamais trop parlé de mon papa italien sauf à un cours de géographie ou la professeur a, elle aussi, demandé s'il y avait des enfants d'immigrés. J'étais la seule italienne, il y avait une autre fille d'origine russe. La professeur, à la suite de ça, a fait gentiment un cours sur l'Italie. Ça a été bien perçu. C'était en CM1 ou CM2 »282.

Ce témoignage est assez représentatif de ce que les enfants d'immigrés italiens ont pu me raconter : on évoque peu l'Italie en classe mais quand l'instituteur en parle, c'est rarement en termes négatifs comme on peut par contre l'entendre dans la cour de récréation de la part des autres écoliers de l'école.

B). Cancres et bons élèves.

Certains témoignages mettent en exergue la réticence, voire l'agressivité des instituteurs envers les enfants de migrants. Beaucoup de témoins, encore, parlent de leurs grandes difficultés scolaires. Par ailleurs, la décision de rédiger ses mémoires est probablement, en partie du moins, conditionnée par le fait que les épreuves au sein des établissements scolaires furent importantes, suffisamment marquantes en tout cas pour s'en souvenir, parfois plusieurs dizaines d'années après. Cependant, leur réussite à l'école a aussi tendance à donner l'envie aux enfants de la « seconde génération » de raconter leur expérience scolaire, se posant ainsi parfois en modèles d'une intégration réussie. Le constat avancé prudemment par Pierre Milza fait état d'une « scolarité transalpine à deux vitesses, les enfants d'immigrés occupant soit les places d'honneur (avec les enfants juifs originaires d'Europe centrale et orientale), soit au contraire la queue de la classe : cela pour des raisons qui sont rarement explicitées mais où entrent en ligne de compte les considérations relevées plus haut (mariages endogènes ou mixtes, date d'arrivée en France, etc.) »283. Entre cancres et bons élèves, nous chercherons, plus qu'à faire un inutile et, surtout, impossible portrait de l'écolier italien type, à comprendre de quelles façons sont entremêlées les

282 Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

283 - P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 329).

- Cette remarque est d'ailleurs confirmée par l'enquete de l'INED sur le Lot-et-Garonne :

« Le type de l'élève moyen [...] est rare chez les Italiens. On trouve en général, d'excellents élèves, ou alors de vraies « bûches » qui terminent leur scolarité au niveau des cours élémentaires ».

Dans A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des Polonais, Paris, 1953 (p. 351).

problématiques liées à l'exil et les résultats scolaires sans oublier, bien entendu, que des différences liées aux capacités et au caractère de chacun existent chez les jeunes d'origine italienne comme dans les milieux endogènes français284.


· Quelles explications aux grandes différences de niveau observées chez les enfants d'origine italienne ?

Les élèves qui poursuivent en Écoles Primaires Supérieures (EPS) ou en Cours Complémentaires (CC) font encore figure de cas assez rares dans les années 1935-1955. Les EPS et les CC sont les voies de prolongement de la scolarité primaire, les bourses de l'Etat permettent aux enfants issus de classes populaires les plus « méritants » d'y poursuivre leurs études. La question des difficultés scolaires et des soucis d'intégration de ces jeunes avait déjà été posée publiquement et des associations voient le jour pour aider les écoliers d'origine étrangère tant par des cours de soutien que par la distribution de bourses scolaires. Ainsi, par exemple, dès les années vingt, le Foyer Français permet une assistance aux arrivants, particulièrement en ce qui concerne leurs enfants285. Ces élèves sont alors principalement des fils et filles d'employés et de petits commerçants. Si le niveau scolaire et social auquel se hissent les fils et filles d'Italiens est, presque toujours, supérieur à celui de leurs parents, il reste, dans la plupart des cas, assez modeste. Pour les années cinquante, Marie-Claude Blanc-Chaléard s'est livrée à un travail de comptabilisation fort éclairant. Grâce aux registres de certaines écoles primaires elle a pu observer le phénomène suivant : « les CET (collèges d'enseignement technique) et l'apprentissage tiennent encore lieu de prolongement des études pour plus du quart des Italofrançais (28 %), dans cette décennie encore proche de la guerre (19 % pour les Français, mais ces derniers s'engagent plus nombreux dans la vie active). Le cours complémentaire, puis le collège d'enseignement général (CEG) accueillent le plus grand nombre des deux groupes (39 % des Italo-français contre 46 % des Français). Mais la « réussite » transalpine est sensible dans la proportion de ceux qui entrent au lycée, supérieure aux Français de souche »286.

284 Ainsi, Mario Merlo explique « mes deux soeurs, qui étaient italiennes, ont eu des difficultés, elles aussi à s'intégrer. Une était un peu plus débrouillarde, elle s'est bien tirée d'affaire mais j'ai une soeur qui, à 82 ans, a toujours des difficultés à écrire le français, elle fait des fautes d'accords donc elle est toujours complexée de ça. Elles étaient toutes les deux à l'école privée des soeurs à Doulon ».

Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

285 G. NOIRIEL, Le creuset français, Paris, 1988 (p. 251).

286 M-C. BLANC-CHALEARD, « Français et Italiens à l'école de la République », t. XXXVIII Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, octobre - décembre 1991, (p. 661).

Une des caractéristiques communes à toutes les populations émigrées est que les migrants qui tentent l'aventure migratoire sont souvent les plus audacieux et ont de solides capacités pour bâtir un avenir pour leur famille et eux même287. De là, peut-être, découlent en partie les lourdes attentes de réussite transmises à leurs enfants par les immigrés. Globalement, nos témoins font état d'une forte pression familiale pour qu'ils obtiennent de bonnes notes à l'école. A l'hypercorrection sociale est souvent associé un surinvestissement scolaire demandé par les parents italiens à la génération qui les suit :

« J'étais la première de la classe avec Franca Bos. On se disputait la première place [...] Toujours la colonie italienne était en tête de classe : est-ce qu'on voulait se valoriser aux yeux des autres ? Je ne sais pas. On nous faisait travailler. Je suis entrée à onze ans, en 1944, en sixième ; j'ai eu mon concours et je suis allée à Nogent. C'était un gros sacrifice à l'époque pour mes parents [...] Mes parents ne sont jamais allées voir les instituteurs, il y avait du respect, c'était une autre classe sociale »288.

Parfois encore, ce sont les frères et soeurs aînés qui demandent à leur cadet cet effort scolaire, comme pour Jean Burini par exemple :

« J'avais mon grand frère [...] qui était professeur au collège technique, c'était un cerveau lui ! [...] Il était intransigeant, d'une sévérité incroyable. Avec lui, il fallait toujours être le premier, respecter les horaires. [...] Si je ne comprenais pas, mon frère me faisait étudier de cinq heures de l'après-midi à dix heures du soir et sans manger ! [...] Nous on avait rien au départ mais on avait un caractère de guerrier. Il fallait toujours être le meilleur et foncer ! Ne compte pas sur les autres, toi tu ne dois compter que sur toimême ! »289.

Les géniteurs dotent leurs enfants d'une mission parfois extrémement lourde à porter : leur statut double de fils d'étrangers et de représentants de classes sociales souvent défavorisées les investit d'une volonté de porter le défi scolaire particulièrement haut. Pour autant, la requête parentale ne s'ensuit pas toujours des résultats escomptés. En effet, les immigrés italiens, souvent issus de milieux très populaires, doivent souvent, en plus des difficultés intrinsèques à leur classe sociale, se concentrer sur des problèmes jugés plus importants que les gratifications scolaires pour la survie du foyer. On remarque ainsi un phénomène qui peut, à première vue, sembler paradoxal. Ces adultes, issus de classes populaires, placent souvent dans l'école, de grands espoirs, qui ne sont pourtant pas suivis d'une aide concrète pour le travail scolaire auprès de leurs enfants. En fait, les parents se sentent incapables de les soutenir dans leurs difficultés

287 Ouest France, « Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France », entretien de A. GUYOT avec P. MILZA, mai 2008.

288 Mme JANIN interrogée par I. WILLEMS, « Plusieurs générations d'Italiens à Noisy-le-Grand », « La Trace » n° 10, juin 1997 (p. 29).

289 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

scolaires. Soulignons qu'il semble que, dans les familles les plus politisées, les enfants sont globalement plus souvent en situation de réussite scolaire290. C'est le cas de Walter Buffoni qui saute une classe à l'école Paul Bert de Saint-Nazaire. L'explication de ces bons résultats est simple : les parents sont souvent habitués à lire et bénéficient d'une culture et d'habitudes de réflexion intellectuelle qu'ils transmettent tout particulièrement à leurs enfants, ayant eux-mêmes dû fuir leur pays à cause de l'affirmation de leurs idées politiques.

? Quelle mémoire des gratifications scolaires ?

Figure n° 9 : Distribution des prix de Luciano,
scolarisé à l'école des Batignolles, Nantes, 1933291.

Pendant notre période, les récompenses scolaires occupent une place particulièrement importante, elles font alors partie des « techniques éducatives ». Rappelons que c'est un moment

290 Dans G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003 (p.117).

291 Reproduction du document donné par A. CROIX dans Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, 2007 (p. 232).

Les prix obtenus par Luciano RAPETTI, alors âgé de treize ans, sont si nombreux qu'il faut deux documents pour tous les mentionner.

où le thème de « l'école unique » a un écho particulièrement fort. Ses défenseurs soutiennent l'idée que la sélection par le mérite est l'enseignement démocratique par excellence292. Les gratifications sont effectivement fort nombreuses : la croix hebdomadaire, les distributions de prix (souvent accompagnés de livres en cadeaux), les traditionnelles images et bons points, et bien sûr, les mentions aux examens (pour le CEP, et le Brevet en particulier, parfois aussi dans les apprentissages293). Les bonnes notes de l'écolier italien ne sont cependant pas toujours assorties du « respect » de leurs professeurs comme l'explique François Cavanna lors d'une interview à la radio : « Mes instituteurs, ils m'aimaient bien parce que j'étais un bon élève mais en même temps ça les gênait qu'un p'tit rital ait ces notes là »294.

? Les échecs scolaires et la réponse des élèves à leurs difficultés à l'école.

Lorsqu'on évoque le problème de l'échec scolaire entrent aussitôt en ligne de compte diverses problématiques qui ne sont pas toujours propres aux enfants de migrants. L'échec scolaire n'existe pas en soi mais en tant que variable au regard des attentes de la société et de l'institution scolaire à l'égard des élèves. Les facteurs des difficultés à l'école sont aussi variés que la place qu'occupe l'écrit au sein de la famille, le niveau socio-économique et culturel du foyer, les relations intrafamiliales ou l'intensité des stimuli... Nous l'avons vu, issus la plupart du temps de milieux très populaires, les enfants d'origine italienne ont souvent des parents qui parlent mal le français et sont parfois analphabètes. Privés de l'aide parentale, il semble donc logique que les écoliers d'origine italienne connaissent des difficultés au sein des classes françaises. Nous devons donc nous interroger ; en effet, on peut se demander à quels obstacles se heurtent les jeunes immigrés, quelles différences trouve-t-on entre les témoignages et la réalité des difficultés scolaires. Nos interrogations portent aussi sur la proportion d'Italiens connaissant des échecs scolaires au cours de la période qui s'étend du milieu des années trente au milieu des années cinquante. Ces déceptions scolaires font-elles pour autant des jeunes d'origine étrangère

292 En 1918, récemment démobilisés, des universitaires surnommés « les Compagnons de l'Université nouvelle » développent, dans des manuels pédagogiques et des conférences, le projet de l'école unique. L'idée serait de regrouper, jusqu'à l'age de 14 ans, les élèves de la communale et ceux des petites classes des lycées réservés à l'enfance bourgeoise. L'école unique serait alors un lieu où seuls les résultats scolaires permettraient l'accès aux hautes études.

Y. GAULUPEAU, La France à l'école, 1992, Paris (p. 112, 113).

293 A l'issu de son apprentissage comme chaudronnier dessinateur, Walter Buffoni reçoit ainsi la mention « très bien ».

Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

294 Emission de radio de Daniel MERMET « Là bas si j'y suis » sur France Inter, François CAVANNA interviewé par François RUFFIN. 26 mai 2010.

98 des exclus dans leurs écoles ? C'est en tout cas ce que dit avoir ressenti l'auteur de Génie la folle. Inès Cagnati explique, en effet, son incompréhension au sein de la classe « tricolore » qu'elle fréquente :

« A l'école, le monde a basculé. Je ne comprenais rien à ce que l'on me disait, je ne pouvais même pas obéir, je ne savais pas ce qu'on me voulait. Les Français n'avaient plus rien de fascinant. Leur monde était hostile, agressif, il ne nous voulaient pas ; je ne comprenais ni son langage ni ses lois et ni ce que je devais faire non pour être tolérée, mais au moins pour être pardonnée d'être moi, différente... »295.

Une femme, présente à une conférence sur les Italiens de Saint-Nazaire, a sensiblement les mêmes souvenirs :

« La maîtresse me disait d'aller au tableau ou de mettre mes mains sur la tête mais je ne faisais rien de tout ça car je ne comprenais pas ! »296.

On remarque chez de nombreux autres témoins, l'échec scolaire expliqué par leurs lourdes difficultés à comprendre et à parler la langue du pays d'accueil :

« J'ai eu une grande difficulté à apprendre le français parce que mes parents parlaient très mal. C'était pas comme maintenant... ils parlaient leur petit nègre, et moi ça me faisait des mauvaises répercutions, je mélangeais tout... Je suis né ici, j'ai appris le français à l'école. Je l'ai pris avec un an de retard sur tout le monde. Je faisais soixante-douze fautes dans ma dictée. Dans mon milieu on parlait en italien alors avec le mot cheval, je faisais « cavale » »297.

« Je ne travaillais pas beaucoup à la maison et j'étais toujours à parler patois, mon développement était limité »298.

Souvent, l'apprentissage du français se fait, en grande partie en tout cas, à la maison. La volonté d'apprendre la langue du pays d'accueil est souvent motivée par une forte pression familiale, les parents parlant français pour aider à l'intégration des enfants. Non seulement, la situation des élèves dont la langue maternelle est l'italien ou un de ses dialectes est plus difficile que celle des Français en raison de leur mauvaise connaissance de la langue française, mais ils peuvent rarement se faire aider à la maison pour leurs devoirs. En général, cependant, l'échec est relativement passager. L'apprentissage du français se fait rapidement pour différentes raisons : la proximité de langue entre les deux pays sans nul doute, mais aussi le fait que les jeunes enfants

295 Témoignage de I. CAGNATI, « Je suis restée une étrangère », Sud-ouest dimanche, 16 et 25 mars 1985.

296 Une femme originaire du Nord de l'Italie, lors de la conférence sur les Italiens de Saint-Nazaire, vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan Penhoët.

297 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

298 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

99 ont une forte capacité d'apprentissage. Par ailleurs, connaître la langue du pays d'accueil est nécessaire, que ce soit pour se faire accepter en classe, par la pression exercée par les parents, ou encore pour communiquer, voire pour répondre aux quolibets des camarades d'école comme nous l'avons vu précédemment. Citons ainsi le syndicaliste Albert Balducci scolarisé dans l'Est, à la frontière allemande :

« J'ai eu un autre instituteur, d'origine italienne, d'origine romagnole. C'est-à-dire que c'était l'émigration d'avant la guerre de 1914. [...] Et lui, il comprenait ce que je disais vu qu'il avait appris le méme dialecte que moi. Il faisait semblant de ne pas comprendre, mais il comprenait. Il était de la méme région que mon père, à dix kilomètres près. Il m'a aidé. Six mois après, je connaissais la langue. Á l'époque, il y avait deux cours par classe. Chaque année, je faisais deux cours. Et puis à 13 ans j'ai passé mon certificat d'études.

Q. : Il y avait d'autres élèves qui ont eu les mémes difficultés que vous ?

Oui, beaucoup. Tous les nouveaux qui arrivaient. Faut dire qu'à l'école, à Hussigny, on était plus de la moitié qui étaient fils d'immigrés italiens. Là-dessus, il y avait beaucoup de nouveaux arrivants »299.

Dans le cas d'Albert Balducci, nous pouvons voir que les difficultés de départ sont conséquentes mais que l'apprentissage est rapide puisque, chaque année, ses progrès lui permettent de passer deux classes. Les difficultés ne sont pas toujours liées uniquement aux problèmes de maîtrise du français. Si les enfants de l'immigration ont un rôle de prisme pour révéler les dysfonctionnements de l'ensemble du système scolaire, les écoliers autochtones peuvent présenter des difficultés semblables à nos témoins sur bien des points. Le travail des instituteurs sur les échecs des élèves d'origine étrangère est conséquent300. La grande majorité des témoins explique que leurs professeurs cherchaient réellement à les aider, souvent ils s'accusent eux-mêmes de ne pas avoir travaillé suffisamment.

« A l'école, je n'étais pas tellement content d'y aller : je savais que j'étais à la merci de l'échec donc ce n'était pas la joie. J'avais un an de retard. A force de me secouer, le frère Clément qui me disait « vous aller encore redoubler », ça m'a réveillé ! [...] C'était quelqu'un de bien, il m'a aidé à décoller. »301.

Les « cancres » payent souvent au prix fort leurs mauvais résultats, culpabilisés par des parents faisant état de leurs sacrifices et de la nécessité de l'hypercorrection sociale, de là aussi peuvent s'ancrer des réactions de résistance à cette normalisation comme l'explique Pierre Milza qui dit qu'« on trouve des Ritals parmi les plus irrécupérables des cancres, et pas toujours

299 Albert BALDUCCI interviewé par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 329).

300 R. BERTHELIER, Enfants de migrants à l'école française, Paris, 2006 (p. 96 à 110).

301 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

100 pour des raisons qui tiennent au QI de l'intéressé ou au caractère peu porteur de son milieu social et familial. Nombreux sont d'ailleurs, parmi ces rebelles, ceux qui, empruntant d'autres voies que celles de la réussite scolaire, effectueront de spectaculaires percées sociales »302.

Se poser la question de l'échec scolaire, c'est aussi se poser la question des remèdes possibles. Quelles étaient les réactions des instituteurs face aux élèves en difficulté ? On trouve toutes sortes d'attitudes dans les témoignages, l'enseignant abandonnant parfois l'écolier dans l'incompréhension la plus totale du français au fond de la classe, d'autres fois, comme dans le cas précédemment cité de Mario Merlo, on rapporte le cas de professeurs s'acharnant à aider l'enfant en échec303.

C). L'organisation de la classe.

Cependant, l'influence de leurs professeurs sur les élèves n'est pas particulièrement corrélée à leur réussite scolaire. En témoigne la lettre envoyée par Jean Burini à son instituteur :

« Je n'ai sans doute pas été votre meilleur élève ; j'avais il me semble un peu la tête en l'air comme on dit, et je pensais un peu trop à la récré ou à jouer, mais ces années de classe sous votre direction ont porté leurs fruits plus tard, dès mes débuts dans la vie professionnelle »304.

En fait, l'influence de l'enseignant, l'organisation de l'école, de la classe, sont des vecteurs de transmission de certaines valeurs qui marquent jusque dans leurs vies d'adultes les anciens élèves. Le rôle des établissements scolaires et de leurs professeurs est primordial, rien d'étonnant dès lors à ce que les liens entre le pouvoir en place et l'Ecole soient considérables. En effet, la République est « l'institutrice du peuple »305, sa propension à vouloir organiser la vie en classe est donc forte. En 1937, Jean Zay uniformise les programmes du premier cycle des lycées et ceux des E.P.S (c'est le premier pas sur la voie d'une « école moyenne »). De nouvelles instructions sur les constructions et le mobilier scolaires sont alors publiées : la classe type est

302 P. MILZA, Op. Cit. (p. 486).

303 On constate le même type de souvenirs lorsque WM parle de Monsieur Bertin, son instituteur qui le poussait à travailler pour qu'il obtienne son certificat d'étude :

« Avant de partir en vacances, il m'a dit : « l'année prochaine, tu le présentes alors tu vas travailler, tu vas lire le journal ! » ».

Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite)

304 Lettre de Jean BURINI à son instituteur Jean ROMAC, 26 avril 2002, Vigneux.

305 C. COUTEL, La République et l'Ecole : une anthologie, Paris, 1991 (p.25).

désormais prévue pour quarante élèves, dans les écoles de filles comme dans les écoles de garçons. Le pupitre individuel est dorénavant recommandé, cependant le témoignage de WM nous montre que la loi ne s'ensuivait pas nécessairement des faits :

« C'était une classe unique à Biarritz alors qu'à Moissac, on était trois classes. Une rangée pour faire ses devoirs pendant que le maître faisait réciter aux autres donc on travaillait mais on écoutait autre chose... On n'était pas assidus ! »306.

En effet, des problèmes de concentration se posent dans certaines écoles : les élèves sont nombreux, en moyenne de trente à quarante par classe. Les écoliers suivent, à l'école primaire, les cours d'un instituteur unique.

La journée scolaire se déroule en général (on remarque des variations mineures d'une école à l'autre) de huit heures ou huit heures trente jusqu'à seize heures. Les cours commencent par une correction des devoirs de la veille ou par une leçon de morale, viennent ensuite les leçons de calcul mental ou d'arithmétique. L'élève va ensuite en récréation (il y en a deux dans la journée, qui durent en général autour d'un quart d'heure). Puis, c'est l'heure de la dictée, dont la correction est immédiate, et de la leçon d'écriture (un soin tout particulier est porté à la calligraphie). Après l'heure et demie d'interclasse qui permet de prendre le repas, à la cantine307 ou au sein du foyer familial, l'école reprend avec un cours d'histoire et de géographie puis un travail de rédaction. Après la récréation de l'après-midi, l'élève se livre à des activités sportives ou artistiques (dont la durée augmentera tout au long de la période que nous étudions). Les sports pratiqués varient un peu selon les régions. Dans le Sud-Ouest ou à Saint-Nazaire, par exemple, les jeunes jouent au rugby308, pour la Lorraine « c'était le foot, la piscine et, le jeudi après-midi,

306 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

307 En 1882, les Lois Jules Ferry créent l'école laïque et obligatoire et la ville de Paris offre aussitôt une aide alimentaire, ses cantines accueillent exclusivement les enfants de familles nécessiteuses ou nombreuses ou bien ceux qui n'ont pas le temps de rentrer chez eux. L'instauration de cantines découle d'initiatives individuelles et non de l'Etat. La crise économique des années trente conduit la troisième République à obliger chaque école à avoir une cantine. Le nombre d'enfants dépendant de la cantine s'accroît au cours de la Seconde Guerre mondiale. Malgré l'attribution de quotas de rationnement supplémentaire aux cantines, les écoliers subissent des retards de croissance importants. La gratuité de la cantine scolaire est l'une des revendications des « clandestins » communistes sous le régime de Vichy.

Voir l'ouvrage de Didier Nourrisson sur le sujet : D. NOURRISSON, « Des cantines pour l'Ecole », dans À votre santé ! Education et santé sous la IVème République, Université de Saint-Étienne, 2002, 210 pages.

308 C'est le cas de WM qui pratique le rugby et, qui, fera partie de l'équipe de son école pratique à Agen. Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

on faisait du hand-ball, du basket et de la natation avec l'école »309. La journée d'école se termine par une leçon de choses310.

Jusqu'en 1968, toutes les écoles imposent le port d'une blouse qui uniformise en apparence la population scolaire. Nos témoins, lorsqu'ils évoquent cette caractéristique, mettent en avant ses aspects positifs : les différences de milieux sociaux et de culture sont donc visuellement gommées. On souhaite véhiculer une impression d'unanimité311, cependant Maria C. précise :

« L'uniforme, ça pouvait sembler bien... les livres aussi : on a tous les mêmes, on est égaux ! Mais, en fait, les différences tout le monde les connaissait »312.

L'organisation de la classe passe aussi par la répression de ses éléments les plus « remuants ». Dans les écoles de filles, on nous rapporte que la punition la plus courante, en réponse au travail non fait ou aux éventuelles indisciplines, est d'aller derrière le tableau ou au fond de la classe. Chez les garçons, il semble que l'usage de la fessée et l'utilisation du bonnet d'âne sont alors plus légion. La paire de claques et les lignes à copier ne sont pas rares non plus :

« Une fois, j'avais un chewing-gum, le maître me dit : « Burini, viens me voir ici, enlève ton chewing-gum ! », « ben non monsieur, je n'ai pas de chewing-gum ». Je l'avais cachésous ma langue. Il m'a foutu une raclée ! Deux gifles qui me faisaient tellement mal que je n'avais plus mal ! « Ce soir, retournez chez vous et vous me copierez cent fois « Je ne

mâcherai plus de chewing-gum en classe » »313.

309 Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 -- Vigneux).

310 M-O. MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET, Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p.32)

311 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 86).

312 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes)

313 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

Horaire

Lundi

Mardi

Mercredi

Vendredi

Samedi

8, 30 à 9

Morale

Récitation

Morale

Instruction

Récitation

 

Morale

Récitation

Morale

civique

Récitation

 

Morale

Récitation
(moniteur)

Morale

Vocabulaire sur
la lecture

Récitation
(moniteur)

 
 
 
 

Récitation

 
 
 
 
 

(moniteur)

 

9 à 9, 30

Vocabulaire

Grammaire

Rédaction

Compte-rendu de

Grammaire

 

Vocabulaire

Grammaire (10

Initiation à la

la rédaction

Grammaire

 

Ecriture - copie

min. de leçon, 20

rédaction

Ex. de

(10 min. de

 
 

min. d'ex. écrits)
Ecriture - copie

Ecriture - copie

conjugaisons
Ecriture - copie

leçon, 20
min. d'ex.
écrits)

 
 
 
 
 

Ecriture -
copie

9, 30 à 10

Ex. de

Ex. de grammaire

Suite de la

Corrigé

Ex. de

 

vocabulaire

Ecriture - copie

rédaction

individuel et

grammaire

 

Ex. de

Lecture (maître)

Ecriture -

études de phrases

Ecriture -

 

vocabulaire

 

copie

Ecriture - copie

copie

 

Lecture (maître)

 

Lecture

Lecture (maître)

Lecture

 
 
 

(maître)

 

(maître)

10 à 10,

Récréation

10

 

10, 10 à

Leçon de calcul (arithmétique les mardis, mercredis et samedis - système métrique les

10, 30

lundis et vendredis)

 

Calcul écrit

10, 30 à

Ex. écrit de calcul

11

Calcul oral (maître)

 

Calcul oral (maître)

11 à 11,

Ecriture les mardis, vendredis et samedis (une ou deux leçons seulement au CS, le temps

30

disponible est ajouté au calcul) - travail manuel les lundis et mardis

 

Lecture (maître)

 

Lecture (moniteur). Répétition de la leçon faite le matin par le maître.

Tableau n° 4 : Vade-mecum pour l'enseignement français en classe unique (Matinées)314
Cours moyen, cours supérieur, Cours élémentaire, Cours préparatoire

NB1 : Ici, le Vade-mecum est celui d'une classe unique, cependant, les programmes étaient sensiblement les mêmes partout.

NB2 : Sous la surveillance de l'instituteur, le moniteur fait répéter au cours préparatoire les leçons faites précédemment par l'instituteur.

NB3 : Abréviations : - Ex. : exercice.

- Min. : minutes.

314 Reproduction de l'extrait du Vade-mecum pour l'enseignement français par A. SOUCHE, inspecteur de l'enseignement primaire, 1930.

Dans S. BUKIET et H. MEROU, Les cahiers de la République (promenade dans les cahiers d'école primaire de 1870 à 2000 à la découverte des exemples d'écriture et de la morale civique), Paris, 2000 (page 89).

Horaire

Lundi

Mardi

Mercredi

Vendredi

Samedi

13 à 13,

Leçon de choses et sciences.

30

(Les cours préparatoires et élémentaires ne prendront part qu'aux leçons à leur portée, dans

 

la limite de 1h 30 par semaine. Le temps disponible sera réservé au travail manuel et au
dessin).

13, 30 à

Leçon commune de lecture

14

Leçon commune de lecture

 

Ecriture

14 à 14,

Dessin et travail

Ex. sur la phrase

Préparation

Préparation d'une

Ex. sur la

30

manuel

Ex. sur la phrase

d'une dictée

dictée empruntée

lecture

 

Dessin et travail

Lecture (maître)

empruntée au

au texte lu 20

Ex. sur la

 

manuel

 

texte lu 20 min.

min. dictée 10

lecture

 

Lecture (maître)

 

dictée 10 min.

min.

Lecture

 
 
 

Préparation

d'une dictée empruntée au texte lu 20 min. dictée 10 min.

Préparation d'une
dictée empruntée
au texte lu 20
min. dictée 10
min.

(maître)

 
 
 

Lecture maître
20 min.
moniteur 10
min.

Lecture maître 20
min. moniteur 10
min.

 

14, 30 à

 

14, 40

Récréation

14, 40 à

Exercices physiques dans la cour et sous le préau

15

 

15 à 15,

Histoire

Géographie

Histoire

Géographie

Histoire

40

Histoire

Géographie

Histoire

Géographie

Histoire

 

Lecture et récitation (moniteur)

15, 40 à

Dictée de

Chant

Dessin, travail

Chant

Travail

16

contrôle

 

manuel

 

manuel

 

Ecriture, copie
Ecriture, copie

 

Dessin, travail
manuel

 

Travail
manuel

 
 
 

Récitation

 

Elocution

 
 
 

(maître)

 

(maître)

Tableau n° 5 : Vade-mecum pour l'enseignement français en classe unique (Après-midi)315
Cours moyen, cours supérieur, Cours élémentaire, Cours préparatoire

D). Les programmes scolaires

L'Ecole est un lieu associé par les élèves comme leurs parents, qu'ils soient Français ou non, à l'Etat. Elle est « l'institutrice de la nation »316 qui installe les écoliers dans le corps national, elle leur incorpore ainsi des valeurs patriotiques en les francisant. L'enfant d'étranger est-il pour autant stigmatisé à l'Ecole comme étant en dehors de l'Etat français et donc de l'Institution scolaire ?

En tout cas, le patriotisme tient un rôle central dans les apprentissages des élèves entre 1935 et 1955, il est présent dans les leçons de morale, d'histoire, d'éducation au civisme et méme de géographie où l'on met parfois en avant la position centrale de la France comme facteur explicatif de sa prétendue place de plaque tournante de l'Europe. On le retrouve d'ailleurs dans les instructions destinées aux enseignants de 1923 : le patriotisme est alors placé au méme plan que les matières toujours enseignées aujourd'hui dans les écoles primaires (calcul, écriture ...) :

« La place de la France dans le monde est assez grande, son rôle est assez noble, pour qu'un enseignement sincère, soucieux de vérité jusqu'à l'intransigeance, favorise l'éclosion et l'épanouissement du sentiment patriotique »317.

Ce patriotisme est régulièrement critiqué durant la période que nous étudions, Olivier Loubes parle ainsi de « désenchantement patriotique »318, les vives critiques de la colonisation dans la presse et les milieux intellectuels n'y sont sans doute pas étrangères, ainsi Walter Buffoni explique :

« Mes maîtres mettaient souvent l'action de la France dans le monde, son rôle en tant que pays des droits de l'Homme sans esprit cocardier, critiquant quelquefois néanmoins la colonisation. Personnellement j'ai une grande reconnaissance envers mes instituteurs, ne serait-ce que pour le respect qu'ils avaient des immigrés italiens »319.

Nous aurons l'occasion d'étudier plus en détail les nombreuses critiques du patriotisme qui se font jour au sein de la corporation enseignante. L'idée n'est pas neuve : l'Ecole doit faire de l'élève un citoyen et un soldat, ce patriotisme est donc présent quotidiennement dans les leçons, obligatoire selon les programmes scolaires, il est aussi ressenti dans l'espace de jeu de

316 O. LOUBES, L'École et la Patrie, Paris, 2001 (p. 9).

317 Instructions de l'enseignement primaire, 20 juin 1923, Revue « Histoire et Géographie » (p. 14).

318 O. LOUBES, Op. Cit. , Paris, 2001 (p. 9).

319 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

106 l'Institution scolaire. Cette stigmatisation de l'étranger en opposition avec ses camarades de souche française va être reprise, dans la cour de récréation de l'école, par les autres élèves qui insistent sur la supériorité de la France face à une Italie jugée faible et désorganisée. Ainsi, les écoliers, répétant les discours de leurs parents, et parfois de certains instituteurs, mettent en avant les faiblesses de l'armée italienne et les contre-performances de l'armée de Mussolini :

« Vous êtes pas des soldats ! Si les Français n'étaient pas là pour vous donner un coup de main, vous vous faites déculotter par les Boches, à tous les coups ! »320.

« A l'école, porteur [...] d'un patronyme difficilement situable, je n'avais pas eu trop souvent à subir les insultes ou les quolibets de mes petits camarades. Je n'en étais pas moins conscient de mes origines paternelles, et j'en souffrais : non pas en tant qu'étranger ou demi-étranger, mais parce que l'image qui m'était renvoyée était celle de mon appartenance, même lointaine, à un pays ennemi et à un peuple de soldats d'opérette »321.

Outre le patriotisme, qui attire ici particulièrement notre intention, les élèves des années 1935-1955 étudient l'algèbre, font des problèmes de mathématiques, en français, ils étudient l'orthographe par le biais de dictées et la littérature. On apprend aussi aux écoliers, par les leçons de chose, des notions d'histoire naturelle. Tous les enseignants travaillent selon une méthode d'apprentissage répétitive : « on récitait, ça n'était pas individuel »322. D'ailleurs, même les cours de dessin se font selon des modèles. Dès les années trente pourtant, l'idée est développée de passer de la pédagogie « concentrique », où l'on se répète, à un apprentissage « progressif » et actif. En fait, des réflexions de quelques intellectuels spécialistes de pédagogie aux applications réelles en classe, il y a une distance non négligeable qui ne sera franchie que dans de rares cas au cours de la période qui nous intéresse.

Signalons aussi que, bien que réduite et désormais jumelée à l'instruction civique depuis 1923 par la réforme de Paul Lapie, la morale est toujours présente dans les leçons de nos témoins. Le maître d'école doit propager un credo et semer les idées jugées saines par l'institution dans les consciences de ses élèves.

Par ailleurs, beaucoup de mouvements de jeunesse indépendants de l'Ecole voient le jour durant notre période (les centres laïques des auberges de jeunesse, les centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active entre autres), contestant le système éducatif en place. Les critiques se portent alors essentiellement sur le fait que la formation des instituteurs serait trop étroite : on accuse les Ecoles Normales de refuser d'intégrer les activités culturelles à leurs programmes.

320 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 34).

321 P. MILZA, Op. Cit., 1993 (p. 491).

322 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 - Vertou).

Après la Seconde Guerre mondiale, ces mouvements seront annexés par l'institution scolaire. Le sport ou encore la musique seront d'ailleurs intégrés dans les programmes officiels de l'Ecole Normale à la même période323. De méme, nous voyons, pendant la décennie d'après-guerre, se multiplier les sorties scolaires, déjà un peu développées sous le nom de « classes promenades » par le Front Populaire. Par ailleurs, les initiatives comme la rédaction de journaux en classe dans lesquels les élèves racontent des évènements de leur vie quotidienne et réalisent des travaux artistiques (dessins, linos...)324 sont désormais courantes.

Figure n° 10 : Travail de lino réalisé en classe, école Poincaré, Villerupt, 1951325.

Après le passage du certificat d'études (qui donne accès aux fonctions d'employés), les centres d'apprentissages techniques et les CET offrent une formation professionnelle mais, encore, l'enseignement des professeurs est en fait plus large :

« J'ai eu mon CAP d'ajusteur mécanicien [...] dans ces écoles, ils vous donnaient une
telle obligation à vous améliorer que, quand vous sortiez de là-dedans, vous étiez
bien. C'était une bonne formation technique (il y avait la technologie, la pratique) mais

323 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 73 à 75).

324 Nous donnons des exemples de ces petites rédactions et des linos réalisées en classe en documents annexes n° 7 à 13.

Dans « Joyeux écoliers », journal mensuel de la classe de M. Jean Romac, école de garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954.

325 Collection privée de Jean BURINI.

Lino extraite du journal mensuel de la classe de M. Jean Romac, Ibid.

108 aussi pour le civisme, la politesse. Notre maître nous apprenait comment dire bonjour, ce qu'il fallait faire »326.

E). La carrière des témoins : une fréquente reproduction sociale ?

Le certificat d'études apparaît, chez nos témoins, comme une étape extrémement marquante de leur scolarité327. A l'issu de cet examen (passé à treize ou quatorze ans en général et obtenu par 50 % des enfants au début de la Seconde Guerre Mondiale), l'élève sort du tronc commun de l'enseignement. Il est désormais temps pour lui de choisir sa voie professionnelle. « Quand on avait passé le Certificat d'Etudes, on passait un petit examen et, si on était pas trop mal, on entrait dans le centre d'apprentissage technique »328. La grande majorité de nos témoins se dirige alors vers l'enseignement professionnel. Si tout se passe bien, ils obtiendront ensuite, après une formation de trois années, le CAP (qui donne accès à des emplois d'ouvriers qualifiés et de contremaîtres) ou le Brevet.

Si l'on s'interroge sur l'intégration au niveau socio-économique, on s'aperçoit que l'école a plutôt bien fait son travail d'insertion des enfants issus de l'immigration italienne sur le marché du travail. En effet, globalement, nos témoins ont tous bénéficié, au cours de leur carrière, d'une assez forte ascension sociale. Cependant, comme l'explique Gérard Noiriel, l'Etat Providence français permet une montée dans l'échelle sociale mais celle-ci se fait sur plusieurs générations, lentement329. Il utilise pour expliquer ce phénomène la métaphore du frein et du parapluie. Effectivement, cette progression professionnelle ne vaut que pour la « seconde génération » : les parents de nos témoins ont, presque toujours, été employés pour des travaux précaires. Souvent ce sont leurs enfants qui ont du subvenir à leurs besoins lorsqu'ils se faisaient trop vieux pour travailler. Ici, nous nous servirons des témoignages de Jacqueline et Daniel Fantin pour montrer un exemple très représentatif des carrières qui ont pu être menées par nos témoins. La situation professionnelle de leur père n'a pas connu d'évolution sociale sensible en France jusqu'à sa retraite, à 63 ans. Enrico Fantin arrive à Nantes le 20 août 1938 à 27 ans, embauché aux carrières de granit Barré en qualité d'épinceur, il exercera cette profession jusqu'en 1964. Le travail est difficile et dangereux, on recense plusieurs cas d'ouvriers décédés suite à des écrasements de

326 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

327 « J'ai passé mon certificat d'étude à 14 ans et j'ai fait une faute en orthographe, un accent sur le « a » que j'avais oublié ~ J'avais bossé comme quatre ! ».

Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

328 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

329 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004 (p. 179).

109 pierres, les blessures et les problèmes de santé sont courants, Enrico est d'ailleurs atteint de la silicose (la maladie pulmonaire provoquée par l'inhalation des particules de poussières de silice dans les carrières, les mines ou lors de la percée de tunnels). De plus, les ouvriers doivent parfois supporter des températures extrêmement froides. Par ailleurs, le père de Daniel et Jacqueline Fantin est payé à la pièce, il travaille donc beaucoup, d'autant plus qu'il doit aussi envoyer de l'argent à certains membres de sa famille, restés en Italie. A la fermeture de la carrière, il devient ouvrier métallurgique. La carrière de ses enfants sera plus « heureuse », ils bénéficient d'une ascension sociale que peu d'immigrés de la première génération ont la chance de connaître :

Jacqueline Fantin-Crampon :

mars 1945 - 14 juillet 1955 : Pensionnat du Sacré-Coeur (école privée catholique). 15 septembre 1955 - septembre 1958 : Ecole de la Châtelaine (20 rue Crébillon - Nantes).

1960 -- 1961 : Cours de la chambre de commerce de Nantes.

Ensuite, Jacqueline obtiendra successivement son certificat d'études catholique premier degré, puis son certificat d'études de la République. Ensuite, elle passe avec succès son C.A.P. de vente, elle décroche le diplôme de la chambre de commerce.

Pour ce qui relève de sa carrière, elle est apprentie vendeuse dans les grands magasins à Nantes, elle obtient une promotion comme sous-chef. Elle est mutée à Dieppe comme chef de département, elle passe ensuite cadre commerçante.

Daniel Fantin :

1947 - 1948 : Jardin d'enfant Saint-Clair (rue Ampéré - Nantes).

1948 - juillet 1954 : Ecole élémentaire primaire de garçons Saint-Clair (rue Danton - Nantes).

Septembre 1954 - juillet 1957 : Ecole élémentaire primaire de garçons Sainte Jeanne d'Arc (rue du bouillon - Nantes).

Echec au C.E.P (1957).

Septembre 1957 - septembre 1960 : Apprenti serrurier pour l'entreprise Pageaud (place du Petit Bois -- Nantes).

Cours professionnels du bâtiment (37 bis quai de Versailles -- Nantes) : admis au C.A.P. Examen de fin d'apprentissage de serrurier (1960).

Septembre 1960 -- novembre 1962 : Ouvrier serrurier pour l'entreprise Pageaud. Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour - Nantes).

Admis au B.P serrurier (1962).

Novembre 1962 -- février 1964 : Service militaire.

Brigadier (Montluçon, Metz).

Brigadier chef (Alger).

Admis au C.E.P adulte, mention bien (1963).

Mars 1964 -- février 1966 : Traceur monteur au chantier naval Dubigeon (Nantes). Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour - Nantes) : préparation du C.A.P. de dessinateur en construction métallique.

Mars 1966 - décembre 1969 : Dessinateur puis conducteur de travaux en

menuiserie serrurerie pour l'entreprise de bâtiment Jallais (rue Cornulier - Nantes).

Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour - Nantes) : préparation du C.A.P (obtenu en 1966) et du B.P. (obtenu en 1968) de dessinateur de construction métallique.

Janvier 1970 -- octobre 2003 : Mairie de Vertou : dessinateur puis dessinateur chef, surveillant de travaux, technicien puis technicien supérieur chef (responsable des services des bâtiments communaux). Ce dernier poste est considéré comme étant équivalent au grade d'ingénieur.

Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour -- Nantes) jusqu'en 1973 : niveau supérieur (préparation à l'entrée dans une école d'ingénieur)330.

On s'aperçoit ici que la progression professionnelle est vécue par la « deuxième génération » mais qu'elle n'a pas été effective pour leurs parents. L'autre information délivrée par ces parcours est la suivante : des cours pour les B.P, C.A.P ou C.E.P semblent souvent suivis en parallèle au travail pour bénéficier d'éventuelles promotions. La formation professionnelle se fait donc souvent sur toute la carrière et ce pour les Français comme pour les employés d'origine étrangère. On retrouve d'ailleurs le lycée Livet dans la formation continue d'un grand nombre de nos témoins nantais.

En effet, si certains enfants d'origine italienne, comme Jean Burini331 ou WM332 par exemple, créent leur entreprise et deviennent patrons, la norme est plutôt une ascension assez lente et régulière tout au long de la carrière des enfants d'immigrés italiens. Catherine Withol de Wenden, aujourd'hui directrice de recherche au CNRS-CERI, montre qu'un nombre relativement réduit d'Italiens de France ont monté des entreprises importantes. Elle explique ce constat en disant qu'il s'applique à tous les migrants relativement fraîchement arrivés dans l'Hexagone : leurs habitudes culturelles portent en effet sur le fait de ne miser que sur son travail personnel333.

La carrière est aussi fonction des choix disponibles à proximité du foyer familial. Aux envies de l'élève s'ajoutent les projets des parents et les facteurs liés à la situation financière de la famille ou encore à la distance entre la maison et les écoles. On peut ainsi observer, dans le témoignage de WM, l'influence des multiples raisons sur la carrière de charpentier qu'il a finalement empruntée.

« J'étais à l'école en ville et j'ai eu mon certificat d'études. Après, il fallait choisir un métier. J'aurais bien aimé faire paysan mais pas travailler tout à la main comme mon père, avoir une ferme ... J'aimais le bâtiment, je donnais un coup de main parfois, quand les voisins agrandissaient. Bénévolement, mon père faisait les travaux là bas. Donc, il fallait choisir un travail, en dehors de paysan, j'ai dit à mon père « maçon » mais je ne voulais pas apprendre sur le tas, je voulais apprendre à l'école pratique de commerce et

330 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).

Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

331 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

332 Entretien avec W. B. (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

333 C. WITHOL DE WENDEN, « L'immigration italienne en France, la formation et la mobilité », n° 22, juin 1985 (p. 218, 219).

d'industrie. A Agen, il n'y avait que menuisier, mécanicien, ajusteur et commerce. Je suis rentré à l'école pratique je suis resté un mois, moi je voulais être maçon. J'ai su qu'il y avait une école de formation et pas question de demander à mes parents de me payer la pension. Je ne voulais pas qu'ils payent. Au bout d'un mois, j'ai dit « je vais rester dans le bâtiment, je vais faire menuisier ». J'ai fait mes trois ans, j'étais premier du département ! J'avais appris à faire les escaliers avec un maçon, j'ai demandé à faire une quatrième année volontaire, rien que de la pratique, de l'atelier. Je voulais rentrer dans une entreprise pour faire des escaliers. Il fallait que je rentre dans une entreprise de charpente. Très peu de menuisiers faisaient des escaliers à l'époque. C'était le secret professionnel. Dans un atelier, il y avait le traceur, c'était le patron ou le chef d'atelier, et les autres faisaient les assemblages, le montage mais ils n'avaient pas le droit de regard pour apprendre à tracer. A l'époque les patrons interdisaient qu'on leur vole le secret de la fabrication. [...] Pour faire honte au gars, on cassait la porte qui avait un défaut devant tout le monde. [...]. Pour l'escalier, il fallait changer de métier. Un jour, il y a un artisan qui est venu voir mon père [...] Je tournais en rond. Je n'avais pas de boulot. Il a dit « j'ai des escaliers à faire » il m'a embauché comme apprenti, il m'a payé comme apprenti la première année, après mes quatre ans mais j'y suis resté parce que le soir de six heures à huit heures, il m'a pris à la gorge avec son savoir. Comme j'aimais le dessin, malgré qu'il ne me paye pas, je me suis mis à faire le charpentier, j'ai changé de métier. ...] Je suis resté deux ans chez ce patron. Il m'a envoyé aux cours du soir chez les compagnons. Comme j'avais fait beaucoup de dessin au collège, ça a été facile pour moi après de faire du dessin. J'ai vite appris le métier de charpentier ».

Les cours du soir sont suivis par presque tous nos témoins de l'Ouest, souvent au lycée Vial, la formation en classe ou en atelier continue donc bien souvent assez longtemps après la fin de la scolarisation traditionnelle334. Les membres de la « deuxième génération » qui ont de bons résultats scolaires parviennent relativement aisément à quitter la condition ouvrière de leurs parents pour guigner une situation plus enviable au niveau du salaire comme des modalités de travail, devenant ainsi des petits fonctionnaires dans la poste, la police ou l'enseignement. La réussite scolaire et l'accès au professorat sont des facteurs décisifs de mobilité et de reconnaissance sociale dans un pays où règne le culte de la méritocratie et du concours. Pierre Milza est un bon exemple de ces enfants d'immigrés italiens (il est issu d'un couple mixte donc d'un double enracinement culturel) qui ont fait une carrière d'intellectuel puisqu'il est devenu professeur. La question de l'influence de leurs professeurs dans ce choix professionnel vient

334 Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités, nous nous contenterons donc de l'expérience de Maria Cera-Branger :

« Je suis allée à l'école jusqu'à dix-sept ans. J'ai obtenu le certificat d'étude en 1948. Ensuite, j'ai pris une option secrétariat à l'école des Halles. J'ai passé un brevet commercial en 1951, j'ai fait une première année de sténodactylographe et puis après j'ai rempilé pour faire une année de comptabilité en 1952, mais celle là je l'ai faite en cours du soir après le travail, à Vial ».

Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

donc aussitôt à l'esprit.335. Le phénomène est courant : dans la famille Magni, des Italiens originaires d'un village près de Bergame qui ont immigré dans le Gers, cinq des neuf enfants du foyer sont instituteurs. Yolande Magni résume cette situation en disant « l'Ecole Républicaine a fait son oeuvre dans ma famille ! ». Cette carrière d'enseignant implique un retournement de situation émouvant pour nombre de parents de témoins. Ainsi, le père de cette famille a dit en pleurant à l'un de ses enfants : « tu vas apprendre à lire aux petits français ! »336. Cependant, cette forte ascension sociale dès la « deuxième génération » est assez rare, de plus, si elle semble relativement courante c'est en fait souvent parce que les témoins interrogés sur l'école ont particulièrement envie de s'exprimer sur le sujet lorsqu'ils ont évolué dans ce milieu toute leur vie professionnelle et lorsqu'ils sont le produit « parfait » de l'ascension grace à la scolarisation.

Schema n° 1 : L'évolution des structures scolaires françaises de 1918 à 1960337.

335 Pierre Milza raconte ainsi :

« Mon ami, Romain Rainero est professeur à Milan et lui aussi fils d'émigré, mais a fait son retour en Italie après la guerre. [...] il était Italien et j'étais Français, et le contraire aurait aussi bien pu se produire. Nous étions l'un et l'autre des produits hybrides de cette Ritalie aux frontières fluctuantes » Dans P. MILZA, Op. Cit. (p. 286).

336 Le père d'un des enfants italiens devenus professeurs :

« Il a fait l'EN, c'était quelque chose d'or du commun, surtout pour un des nôtres, un fils d'ouvrier » Dans « La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

337 Schéma réalisé à partir de Y. GAULUPEAU, La France à l'école, 1992, Paris (p. 124, 125).

Nous l'avons vu, le « nomadisme contraint » entraîne le migrant et sa famille sur les chemins d'un exil permanent qui ne facilite pas l'intégration. Hors, chez l'enfant, Français ou non, le sentiment d'appartenance à son école est non seulement un phénomène récurrent mais aussi un vrai besoin et une première reconnaissance identitaire du pays qui l'accueille pour l'élève étranger. Le sentiment d'appartenance des enfants de migrants au milieu scolaire est intimement lié au développement de la socialisation. L'appartenance à l'école apparaît ainsi souvent, dans les témoignages, comme un premier pas vers le sentiment d'être français. En effet, nous pouvons nous interroger sur l'influence de l'institution scolaire sur l'impression d'appartenir à la nation française développée par les Français d'origine italienne.

CHAPITRE 3
L'ECOLE A-T-ELLE UNE INFLUENCE SUR LE SENTIMENT
D'ETRE FRANÇAIS ?

Les constantes concernant le séjour à l'école et sa corrélation avec le sentiment d'appartenance ont attiré notre attention. La masse de documents (témoignages, biographies et autobiographies) étant très importante, notre étude ne peut prendre en compte l'ensemble des souvenirs d'enfants de migrants. Cependant, nous cherchons à être le plus précis possible en rapportant des exemples, parfois contradictoires, en tentant de comprendre les cas particuliers et en expliquant pourquoi nous nous trouvons face à ces « exceptions ». Il n'y a effectivement pas qu'une manière spécifique d'investir son appartenance nationale.

Dans son article consacré à l'appartenance nationale des Français d'ascendance étrangère, Marie-Laetitia Des Robert-Helluy, sociologue et directrice de l'IEP de Paris, définit le sentiment d'appartenance comme la « certitude partagée par un individu d'avoir à projeter une part plus ou moins substantielle de son histoire de vie dans une portion d'espace-temps commune aux membres du groupe »338.

Les études sur l'intégration des immigrés par l'école souffrent de l'influence d'une idée reçue, que, poursuivant ainsi la démarche de Gérard Noiriel, nous nous empressons de dissiper. Ce présupposé prétend que l'Ecole aurait été jadis facteur d'intégration des jeunes d'origine étrangère et qu'elle ne serait plus aujourd'hui en mesure de mener à bien cette ambition républicaine. La problématique est plus complexe : au sein de la même analyse historique, il nous faut aborder de façon couplée les problèmes d'intégration et d'exclusion. C'est la technique d'étude qui est ici abordée pour se faire l'idée la plus juste possible de l'influence qu'a pu avoir l'Ecole sur le sentiment d'être Français. Prétendre qu'il existe une intégration dans le creuset français évidente et totale des immigrés jusqu'aux années soixante n'est effectivement pas tout à fait juste. Il convient d'émettre des réserves à cette affirmation récurrente de nombreux médias et groupes politiques. En tout cas, nous verrons que cette intégration ne se fait pas sans souffrance.

I). La volonté d'être français.

La gêne liée aux origines transalpines, les difficultés traversées à l'école par ceux dont le patronyme ne sonne pas français, ont pu se manifester par des refus de la part des Français d'origine italienne de témoigner de leur expérience.

Les témoins qui ont accepté l'entretien remarquent souvent qu'ils ont, dès l'école, souhaité être Français. Cette constatation fréquente s'accompagne d'exemples forts du souci des jeunes d'origine italienne à ne surtout pas montrer de traits communs avec un pays auquel ils ne souhaitent pas etre associés. En témoignent l'exemple de WM et d'Albert Uderzo qui transformaient leurs patronymes italiens pour en faire des noms « bien français [...] pour etre intégré plus rapidement »339 : « Inscrit à l'état civil par erreur sous le nom d'Alberto à cause de l'accent de mon père, je rayais sur les papiers le « o ». Aujourd'hui, j'aimerais bien qu'on m'appelle Alberto »340. Pierre Milza évoque, dans ce même processus de distinction avec les aspects italiens de leur identité, ces fils et filles d'immigrés qui utilisaient un « passeport corse » pour la même raison que celle invoquée par WM ou par Albert Uderzo341. La démarcation avec l'Italie était ainsi justifiée comme le préalable nécessaire à l'intégration dans le nouvel environnement. A ces réactions, les témoins donnent différentes explications : tantôt, ils expriment leur certitude que l'appartenance est nécessaire puisqu'ils savent qu'ils vont faire leur vie en France. Plus souvent, ils émettent l'hypothèse que l'école républicaine était une mécanique bien huilée pour leur donner la volonté d'être une part de la nation française.

A). Le patriotisme à l'école : une volonté de « convertir » l'enfant de migrant à la société française ?

Gardons nous cependant de faire ici preuve d'un irénisme rétrospectif déplacé : l'image de l'école, si elle a effectivement joué un rôle non négligeable au coeur du processus d'intégration des familles de la péninsule italienne, a parfois laissé des souvenirs extrêmement

339 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

340 Entretien entre Laurent Gervereau et Albert Uderzo.

L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 55).

341 P. MILZA, Op. Cit. (p. 493).

douloureux dans les mémoires des enfants d'Italiens. Outre leurs difficultés de départ, leurs handicaps liés à l'apprentissage du français, les enfants des migrants se heurtent souvent à un patriotisme dont ils sont exclus, et ce dans la cour comme dans le contenu des enseignements.

Le terme « patriotisme " est issu du mot latin « pater " qui signifie « père ". Gette notion se caractérise par un sentiment d'appartenance à la patrie. Get attachement renforce l'alliance au nom de valeurs communes du groupe de ceux qui appartiennent au pays. On distingue la terminologie du patriotisme du terme de chauvinisme, qui en est la manifestation excessive. Le nationalisme, quant à lui, est davantage une idéologie politique. Or, les instituteurs sont loin d'être toujours « patriotes " puisqu'il existe aussi, dans la corporation des maîtres d'école, une forte présence du courant pacifiste, voir antimilitariste. Signalons ainsi qu'en 1935, au congrès de la Fédération Unitaire d'Angers, un grand nombre d'enseignants syndiqués acclameront la formule « plutôt la servitude que la guerre ". Les discussions autour du pacifisme seront aussi très présentes au congrès de 1938. Gependant, on observe que globalement, le patriotisme est très présent dans les leçons, et ce particulièrement pendant la guerre. C'est du moins à cette période que les prises de position des enseignants dans les salles de classe, qu'ils soient particulièrement patriotes ou qu'ils revendiquent leur pacifisme, se font plus fréquentes.

Entre 1935 et 1955, on remarque que « les impressions d'enfants et de jeunesse sont toutes imprégnées d'un patriotisme jovial et mythique [...]. La socialisation nationale a opéré de façon redondante et convergente au sein des familles, à l'école, au catéchisme et dans tout l'environnement social " 342 . En effet, le patriotisme occupe une place centrale dans la scolarisation de l'élève. Le maître, dans sa formation à l'Ecole Normale reçoit lui-même un enseignement patriotique. Nous l'avons vu plus haut, l'amour de la France est véhiculé par l'apprentissage de l'histoire, de la géographie et de l'instruction civique. La présence très claire d'une volonté de diffuser une image positive de la France est bien présente dans les instructions officielles. Que disent exactement du patriotisme les professeurs dans leurs leçons ? Quel est le ressenti des jeunes immigrés face à cet enseignement élémentaire ? Ge patriotisme, diffusé par les maîtres, a-t-il contribué à l'attachement à la France ? L'enseignement de l'Histoire, tout particulièrement, concentre les critiques. Gertains instituteurs militeront même pour sa suppression, en tant qu'ils considéraient qu'il était le reflet des ambitions patriotiques qui poussaient le pays dans la guerre et que, par ailleurs, cette matière avait tendance à exclure les

117 jeunes d'origine étrangère. C'est le cas du militant pacifiste Gaston Clémendot qui exprime dès 1924 son refus d'enseigner l'Histoire à ses élèves :

« L'oubli est la première condition du désarmement des haines, la première condition de la paix. Et, l'Histoire c'est le contraire de la paix ».

Jusqu'au début des années 1920, Gaston Clémendot est ainsi partisan d'une modification de l'enseignement de Histoire à l'école. Elle doit être impartiale, méme s'il se déclare conscient qu'un tel objectif est délicat à mettre en place dans une Institution scolaire où la patrie domine. Il développe ensuite le constat de l'impossibilité de l'enseignement de l'Histoire aux élèves de moins de douze ans343.

La représentation de l'Italien faite par le professeur comme par les livres d'histoire souffre souvent de l'idée d'une supériorité du Français sur sa soeur latine. Dès lors, le portrait peu flatteur des personnages historiques italiens va-t-il pousser l'élève « étranger » à s'inclure dans le patriotisme ambiant ou à s'en exclure d'office ? On remarque que, globalement, les témoins adhèrent aux idées qui reflètent une image valorisante de la nation française. Marie-Laetitia Des Robert-Helluy observe ainsi que « la sacralisation de la France, en particulier par la médiation de l'Histoire opère pour le plus grand nombre quelle que soit la diversité des ascendances familiales »344. En effet, la plupart des témoins interrogés n'abordent pas d'eux-mêmes la question du patriotisme dans leurs leçons, si on les interroge sur le sujet en revanche, tous remarquent que l'amour de la France était véhiculé dans les leçons mais la plupart d'entre eux semblent l'avoir bien vécu :

« Nous vivions bien le patriotisme : j'étais à l'école après la guerre 1939-1945 »345.

(à propos du patriotisme) « On est en France, moi, je trouve ça normal. L'Histoire de France, je trouve ça incontournable. [...] En primaire, c'était les Gaulois jusqu'à Napoléon III, on ne parlait jamais de l'Italie, méme pour la Renaissance. [...] On était contents parce que les Français avaient battu les Italiens, quand on est jeune on se dit que la France a rayonné sur l'Europe alors on est content ! »346.

« Je respectais ! Comme disait toujours mon père « respecte le pays qui vous donne le travail et une vie meilleure » ».

343 Il ne parle que très peu d'immigration mais lorsqu'il l'évoque, il dit que le retrait de l'apprentissage historique permettra sans doute une meilleure ouverture vers la culture de l'élève d'origine étrangère.

J. GIRAULT, « Instituteurs syndiqués et enseignement de l'histoire entre les deux guerres », Cent ans d'enseignement de l'histoire (1880-1981), Paris, 1984 (p. 139-155).

344M-L. DES ROBERT-HELLUY, « Des Français parmi d'autres, de l'appartenance nationale des Français d'ascendance étrangère », volume 23, n° 3 (2007) (p. 187).

345 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

346 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

118 On remarque parfois quelques menues réserves à cette adhésion, comme dans le témoignage de Maria Cera-Branger :

« Les leçons d'Histoire, c'était très patriotique. Naturellement j'aurais aimé que le rôle de

l'Italie soit plus valorisé. L'Italie, on en parlait pas, oui, ça m'a déjà mise mal à l'aise ça »347.

Néanmoins, la grande majorité des témoins interrogés dans le cadre de ces recherches expriment avec chaleur leur reconnaissance pour le pays nourricier qui a accueilli leur famille348. Ces entretiens montrent que, malgré les difficultés qu'ils ont connues pour s'intégrer, malgré l'exploitation de leurs parents dans des emplois dangereux et sous-payés, leur fidélité à l'égard de la France est totale. Cet attachement s'accompagne régulièrement de vives critiques de l'Italie, ces reproches, cependant, se feront moins ardents après la Seconde Guerre mondiale.

Le sentiment national tire d'une certaine manière son origine d'une forme d'endoctrinement par l'école pour laquelle, non seulement, être dans la norme c'est être Français mais aussi, qu'être le gagnant des batailles, c'est être le Français. Gardons nous des hâtifs jugements intégralement négatifs sur l'éthique historienne de l'époque, cependant, il nous faut préciser ici l'apparente propension des instituteurs de notre période à valoriser tout particulièrement la France et son rôle dans l'Histoire. Dès lors, l'inclination forte à se « déclarer » totalement Français est courante, méme si, nous le verrons, l'aspect inverse, c'est-àdire l'affirmation de l'identité italienne, n'est pas absente des témoignages.

Ceux qui bénéficient d'une double culture ont globalement tendance à aller naturellement vers l'adoption plus franche du mode de vie français. A ceci, plusieurs explication : l'immigration étant plus couramment masculine, c'est habituellement la mère qui est française au sein des couples mixtes, or, c'est aussi, dans les années 1935--1955, surtout elle qui s'occupe de l'éducation des enfants :

« Fréquemment, dans le couple que formaient nos parents, la femme a été amenée ainsi par les circonstances à tenir le gouvernail, donc à imposer sa culture en marginalisant, ou en gommant purement et simplement celle du père, avec l'assentiment plus ou moins tacite de ce dernier »349.

347 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

348 « Je me sentais Français parce que j'avais un père qui avait un respect total de la France. Il ne fallait pas lui en parler mal. Un pays qui nous avait accueilli, donné la possibilité de pouvoir vivre sans trop de problèmes malgré que c'était un peu la galère... ».

Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

349 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 493).

François CAVANNA et COLUCHE (orphelin de père à deux ans), tous deux issus d'une mère française et d'un père italien, connaîtront sensiblement ce même souci d'afficher, à l'adolescence, une « ritalité » jusque là dissimulée, consciemment ou inconsciemment.

119 Elevés en France, en français et à l'école française, la disposition à investir, presque uniquement, le « côté français » est fréquente350 bien que difficile parfois à faire accepter des autres élèves. François Cavanna, portant le nom d'un maçon lombard et ayant bu la francité avec le lait maternel d'une mère morvandelle, verbalise ainsi l'étrange dichotomie de sa situation d'enfant d'un couple mixte :

« Pour les Ritals, je suis un bâtard plus qu'à moitié français, mais pour les Français, pas de problème, ils me traitent de macaroni 351 ».

L'élève Français, au sein de l'espace de discussion que représente la cour de récréation, met parfois en avant son appartenance prétendument totale à la nation française, excluant ainsi ses camarades issus de familles immigrées. L'attitude est fréquente chez nos témoins, Pierre Milza relate ainsi la naissance du sentiment patriotique comme, en grande partie, due à la récréation :

« J'étais tricolore jusqu'au bout des ongles. On m'avait appris à l'école - plutôt dans la cour de récréation qu'en classe - que les « macaronis » (on ne disait pas encore les « ritals ») nous avaient donné un coup de poignard dans le dos en 1940 et je ne me sentais en rien un macaroni »352.

Mario Merlo, né en 1934 et scolarisé à Nantes adopte sensiblement la même attitude avec ses camarades :

« On avait un raisonnement d'enfant. Des chansons contre les macaronis j'en ai entendues [...] les gamins ne savaient pas que j'étais italien, mais ça me faisait mal au coeur. Entre gosses on ne parle pas de nationalités mais... [...] On était pris pour des macaronis. Avec Mussolini on était mal vus... à tel point que, pour me sentir un peu plus français que les autres, plus tard, j'ai fait la guerre d'Algérie. Je voulais prouver aux autres que j'étais français, que les tireurs au cul, ce n'était pas mon genre »353.

350 Pierre Milza explique ainsi, évoquant sa propre expérience :

« Façonnés par l'école de la République, élevés dans le souvenir glorieux de la Grande Nation, nourris de la geste des grandes figures qui ont fait la nation française, et aussi psychologiquement structurés autour d'un modèle qui privilégie les vertus viriles et les valeurs guerrières, nous avions en tête une hiérarchie des peuples fondée sur ces qualités plus ou moins sublimées. Or, dans le portrait-robot de l'Italien dont était porteuse la mentalité collective des Français, le trait était plutôt mis sur la douceur et la gentillesse dans le meilleur des cas, la traîtrise et la lâcheté dans le pire, que sur les vertus qui font les grands peuples ».

Dans P. MILZA, Op. Cit. (p. 491, 492).

351 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37).

352 P. MILZA, Op. Cit. (p. 9).

353 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

120

De même, Danira Titonel, née en Italie et scolarisée dans le Lot-et-Garonne, explique elle aussi, en 1997, son fort sentiment d'appartenance à la France :

« Moi, je ne me suis jamais sentie italienne, je me suis toujours sentie française et d'ailleurs je n'étais jamais allée en Italie jusqu'à l'an dernier »354.

Les retours, les vacances « au pays », ont un impact conséquent sur l'impression ou non de faire partie de la nation française.

B). Le contact avec les autres étrangers de l'école : une volonté d'être « plus Français que les Français » ?

Par ailleurs, il est courant que le jeune d'origine italienne se moque à son tour d'un autre étranger de l'école, souvent plus fraîchement arrivé, ou déjà raillé par d'autres élèves - peut-être parce qu'issu d'une société dont la culture est jugée comme plus éloignée de celle de la France. Nous retrouvons beaucoup de Belges, en France depuis l'avant-guerre pour la plupart, des Russes et des Polonais, souvent de confession juive et quelques élèves originaires des Balkans arrivés à la fin des années trente.

Le nomade d'autrefois, aujourd'hui sédentarisé et intégré, a tendance à mettre en avant sa « francité » pourtant récemment « acquise »355. Dans son roman, Pays-Haut, Anne-Marie Blanc fait ainsi le récit de ces nouveaux arrivants Polonais qui prendront le relais des Italiens à la place inconfortable de souffre-douleurs à l'école356. Une fois de plus, François Cavanna nous fournit, lui aussi, un bon exemple de ce que peut être l'attitude d'un élève d'origine italienne face aux autres « exclus » de son entourage. Dans son travail d'immersion au coeur de ses sentiments d'enfant, l'auteur exprime ainsi sa vision négative d'alors envers un Algérien, expliquant que : « les Sidis ça ne peut pas travailler. C'est trop feignant. C'est pas de leur faute, c'est la race qui est comme ça »357. Cette vision des travailleurs en provenance d'Algérie est même assez diffusée au sein des milieux intellectuels. Du moins, dans ces sphères, on n'hésite pas à établir un classement dans l'assimilabilité des immigrés de l'Hexagone. Ainsi Alfred Sauvy, figure

354 Retranscription de l'interview de Danira TITONEL,

Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

355 P. MILZA, Op. Cit. (p. 330).

356 « Les garçons [...] se continrent jusqu'au jour où les Polonais prétendirent leur ravir la tête des classes. Alors, dans un bel élan d'émulation À jaloux ? Vexés ?- les Français et les Italiens s'unirent pour faire la guerre aux Polonais ».

Dans A-M. BLANC, Pays-Haut, Metz, 1988 (p.336, 337), cité par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 330).

357 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 35).

121 emblématique des démographes sollicités à la Libération, déclare qu'« un Italien s'adapte plus facilement qu'un Arabe ». Il met cette différence d'intégration sur le compte de « l'influence du milieu »358. Par ailleurs, les Russes sont, eux aussi, jugés comme des étrangers « à part » mais, la plupart du temps, de façon, cette fois, positive :

« Les Russes c'est pas des étrangers. Ils font des métiers de Français. Les Français ne les méprisent pas, ne se foutent pas de leur gueule à l'école. C'est eux qui méprisent les Français. Il paraît que c'est tous des princes et des marquises et qu'ils se sont sauvés à cause des Bolcheviks qui tuaient tous les aristocrates. Les Français ne les aiment pas beaucoup, les Français n'aiment personne, mais on sent qu'ils ont de la considération parce que c'est pas des vrais pauvres mais des gens riches qui ont vécu des choses très tristes comme dans les feuilletons »359.

Si le jeune François Cavanna fait une distinction nette entre les Russes immigrés en France et la communauté italienne à laquelle il appartient 360 , il fréquente cependant ces camarades soviétiques361. Dans les témoignages analysés nous n'avons pas encore trouvé d'Italiens exprimant leur solidarité à l'école avec les autres étrangers. Il semble, au contraire, que la norme soit plutôt de jouer des coudes pour atteindre la place la moins mauvaise dans l'estime des camarades et des professeurs français.

Même au sein de la communauté italienne, les élèves font des distinctions. Avec fierté, l'Italien du Nord dénigrera ainsi parfois le méridional.

358 « En 1945, la volonté d'instaurer un fort contrôle de l'Etat sur la politique de l'immigration nécessite pour le gouvernement provisoire de disposer d'une expertise susceptible de prévoir et d'anticiper cette « nouvelle politique ». Les démographes sollicités au sein du Haut Comité de la Population et de la Famille ont déjà tous participé, à des titres divers, à des organismes officiels mis en place durant l'EntreDeux-guerres et sous Vichy ».

Cité par A. SPIRE, « un régime dérogatoire pour une immigration convoitée. Les politiques française et italienne d'immigration/émigration » dans M-C BLANC-CHALEARD (dir) Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003. (p. 42).

359 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 36).

360 « Ils sont marrants, ces gens-là, ils foutent l'argent en l'air pour des conneries, et pourtant ils sont aussi pauvres que nous, mais je ne sais pas comment ils se démerdent, même tous dégueulasses pleins de trous, ils ont pas l'air petit monde comme nous autres qu'on est pourtant bien propres, bien reprisés ». Ibid (p. 36).

Je connais bien Litvinoff et les frères Lichkine, c'est des copains d'école, je suis même allé chez

361 «

eux ».

« J'étais dans la classe de M. Cluzot, à côté de moi, à la même table, il y avait un Russe, il s'appelait Chendérovitch. A la table de devant, il y avait deux Russes, à la table de derrière, deux autres ».

Ibid (p. 36).

122 « Silvio est tout fier de raconter ça, et les autres sont contents aussi, ils se marrent. Il y en a toujours un pour dire sentencieusement : « l'Italien del Norde, il vient en Franche fare le machon. L'Italien del Soud, il va en Amérique fare le ganchetère "362.

L'homme du Sud est donc, lui aussi, un « étrange étranger ", situation qui n'apparaît pas illogique dans une nation aussi jeune que l'Italie. Cette distinction est même diffusée au sein du discours démographique. Là encore, le recours à l'enquête, cette fois ci datant d'avril 1946, d'Alain Girard et Jean Stoetzel est intéressant. Ils concluent, à l'issu de leur étude, que « priorité doit être donnée à une immigration de parents ou d'amis d'Italiens déjà établis en France, recrutés de préférence parmi les originaires des provinces du nord, en particulier du Piémont, de Lombardie et de Vénétie "363. De même, Alfred Sauvy, secrétaire général à la famille et à la population en juillet 1945, se range du côté des partisans d'un accord de main d'oeuvre ItalieFrance avec des exigences géographiques d'embauche : « Tant au point de vue de sa valeur comme main d'oeuvre que de sa qualité sociale, on s'accorde à reconnaître que l'Italien du Nord l'emporte de beaucoup sur l'Italien du Sud "364.

Toujours au sein de la problématique des insultes contre les différentes communautés présentes à l'école, il nous faut souligner que les juifs sont aussi souvent les « boucs émissaires " des autres écoliers365. Cet antisémitisme démontre avec certitude, si besoin était, que les Italiens ne sont pas les seuls à être moqués. Pourtant, peut-être est-ce dû à leur impondérable manque d'objectivité, les témoins se déclarent souvent comme uniques victimes, ou, du moins, comme souffre-douleur privilégiés, des camarades comme des enseignants : « comme étrangers mal piffés, y a que nous, les Ritals. C'est nous qu'on éponge tout »366. Le relais opéré par d'autres arrivants accélèrera, souvent à leur insu d'ailleurs, l'intégration des enfants d'immigrés transalpins. Dans son article publié dans la revue du CEDEI, « La Trace ", Marie-Claude BlancChaléard souligne que les autres étrangers sont particulièrement nombreux dans les quartiers

362 Ibid. (p. 50).

363 INED, Une possibilité d'immigration italienne en France, collection « Travaux et Documents ", Cahier n° 4, Paris, 1947.

Dans M-C BLANC-CHALEARD (dir) Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003. (p. 45).

364 Lettre du 27 juillet 1947 de M. SAUVY à M. BOUSQUET (ministère des affaires étrangères), Dans M-C BLANC-CHALEARD, Ibid. (p. 44).

365 « Français, Ritals, les Russes s'en foutent. [...] Eux, ce qu'ils peuvent pas piffer, c'est les juifs. [...] J'ai vu que Chedérovitch n'était pas un Russe comme les autres. [...] Ils lui disaient tout le temps « sale juif !», « fumier de youpin pourri !». Ils lui balançaient des vacheries en russe qui le faisait chialer ou le foutait dans des crises de rage épouvantables. Alors, il cassait tout, leur tapait dessus, criait comme un fou, mais eux évitaient les gnons, ricanaient et se tapotaient la tempe avec le doigt. Ils me disaient : « il est dingue. Tous les juifs sont dingues » ».

Dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 36-37).

366 Ibid. (p. 37).

parisiens (à Sainte Marguerite, on excède largement la moyenne de 6 à 8 % de l'ensemble du système scolaire, les étrangers étant, en moyenne cinq à six par classe de trente à quarante élèves, dont souvent moins de trois Italiens)367. Dans la banlieue parisienne comme dans l'Ouest de la France, les tendances au ghetto italien observées dans la Lorraine sidérurgique ou dans certains quartiers de Marseille sont très rares.

C). L'égalité sur les bancs de l'école.

Nombreux sont les témoignages louant un ou plusieurs enseignants dont l'influence fut capitale dans les orientations professionnelles et politiques de leurs jeunes élèves. A un âge où seules les fondations sont réellement en place et où une bonne part de la personnalité reste à bâtir, l'importance de ces « constructeurs d'idées », que sont les professeurs, est évidente.

Toutes les instructions aux enseignants que nous avons pu consulter expriment, lorsqu'elles abordent le sujet, l'importance de considérer tous leurs élèves de la méme manière. Selon Marie-Claude Blanc-Chaléard, cette attitude est d'ailleurs totalement effective à Paris. Elle précise que « la seule différence qui soit consignée dans les appréciations a trait à l'intelligence »368. C'est aussi l'impression que donnent les critiques des professeurs aux élèves de la rue de la Plaine, à Paris dans le XIe arrondissement. Nous ne relevons aucune discrimination dans les appréciations des instituteurs, en revanche, on y perçoit sans peine, derrière la rédaction très administrative, les difficultés des enfants de migrants369. Cependant ces sources se situant dix ans avant notre période, elles ne témoignent pas vraiment des critiques qui purent être émises entre 1935 et 1955. Une attitude dubitative face à la rédaction académique et prudente des appréciations semble, en tout cas, justifiée. Si l'Ecole de la République porte comme on hisse un drapeau la valeur d'égalité, les discriminations ethniques, nous l'avons vu, ne l'épargnent pas pour autant.

Cependant, le sentiment d'égalité semble être présent dans la plupart des témoignages oraux rétrospectifs comme dans les biographies et autobiographies. Il semble, à ce point de notre

367 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens à l'école primaire française : l'exemple parisien, Paris, 1991, (p.9).

368 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 417).

369 « Interruption de scolarité pour un voyage en Italie. Turbulent, mais bon partout. Placé à la campagne par l'Assistance publique. »

Instituteur de Bédonia dans le registre de matricule de l'école de garçons de la rue de la Plaine, inscrits en octobre 1923, dans M-C BLANC-CHALÉARD, Ibid. (p. 417).

124 étude, nécessaire de s'arrêter quelque temps sur les exemples de témoignages évoquant ce sentiment quasi-général d'égalité sur les bancs de l'école. Marie-Claude Blanc-Chaléard rapporte ainsi les propos des personnes qu'elle a pu interroger. Rina Raumer lui explique :

« Non, il n'y avait aucun problème... Les institutrices ont toujours été très gentilles avec moi. C'était comme les autres »370.

Sentiment d'ailleurs confirmé par Nuncio Titonel scolarisé dès 1924 dans le Lot-etGaronne :

« On a fait une scolarité de petits Français plus que d'immigrés. On n'a pas eu tellement le stress des étrangers en France dans un pays hostile. Au contraire. [...] Nous avons été, avec ma soeur, les deux premiers élèves de maternelle et, je l'ai souvent dit mais c'est vrai, on a été plutôt une curiosité pour les autres camarades et les enseignants qu'un rejet »371.

Quant à René Maestri, qui fut élève à Montreuil, sa critique de l'Ecole française est encore plus dithyrambique :

« On se retrouvait en classe avec des maîtres qui n'ont jamais fait de discrimination. L'école laïque avec un grand L, c'est formidable ! »372.

Parlant son école privée de Doulon, à Nantes, Mario Merlo, aboutit lui aussi, à la conclusion d'une égalité manifeste sur les bancs de l'école : « Mes instituteurs étaient neutres, ils étaient éducateurs [...] Je n'ai jamais vécu d'épisodes violents à l'école : j'étais bien, à l'abri. [...] C'était d'une neutralité complète »373.

Marie Claude Blanc-Chaléard souligne que la question de l'égalité à l'école paraît souvent étonnante aux yeux des enfants de migrants interrogés. De même, nous retrouvons dans les souvenirs d'école de François Cavanna, une impression de justice au sein de la classe. Dans L'oeil du lapin, il fait ainsi l'éloge de l'attitude de Madame Grenier, son institutrice de maternelle, qui, plaçant les enfants selon leurs résultats, évinça son propre fils de la meilleure place pour y installer le jeune François, élève exemplaire tout au long de sa scolarité374.

Par ailleurs le rapport de 1951 d'Alain Girard et Jean Stoetzel confirme les impressions fournies par les sondages de 1947 et 1949 et affirme :

370 Témoignages de Rina RAUMER,

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 418).

371 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL,

Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

372 Témoignages de René MAESTRI,

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Op. Cit. (p. 418).

373 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

374 F. CAVANNA, L'OEil du lapin, Paris, 1987 (p. 22).

« Les étrangers jouissent des mêmes droits que les Français et ils sont particulièrement sensibles à cette égalité qui leur permet de donner à leurs enfants, gratuitement, une instruction au moins égale, et souvent supérieure à celle qu'ils ont reçu en Italie ou en Pologne. Les rapports avec les maîtres et les camarades sont, en règle générale, excellents : les enfants ignorent les distinctions de nationalité. Les très rares incidents signalés se produisent le plus souvent dans des périodes de tensions internationales »375.

Cette méme enquête évoque les jeunes élèves d'origine italienne du Lot-et-Garonne, enfants de cultivateurs.

« Les enfants d'age scolaire fréquentent l'école française... On garde une impression générale d'excellents rapports des maîtres avec ces enfants et avec leurs familles, rien en tout cas qui distingue ces enfants de leurs condisciples français. D'une manière très générale aussi, les rapports entre camarades des deux nationalités sont excellents : rien ne semble distinguer à l'école les enfants des immigrés italiens »376.

Ces enquêteurs sont presque tous instituteurs, il semble donc nécessaire de tempérer cet apparent « paradis scolaire ». Si les témoignages des enfants d'immigrés révèlent parfois leur extreme susceptibilité, la subjectivité des auteurs de ce rapport est aussi à remettre en question.

Par ailleurs, l'idée des nécessaires pratiques égalitaires de l'Ecole républicaine entraîne aussi la formation d'un moule scolaire unique qui peut sembler liberticide et donc critiquable à bien des égards. Ce postulat de départ de l'égalité sur les bancs des classes peut en effet transformer l'intégration en un conformisme comportemental.

D). Des facilités à « franciser » les immigrés italiens ?


· Existe-t-il une identité italienne préalable à l'identité française des jeunes d'origine italienne ?

Si l'Italien arrivant en France n'est évidemment pas une « page blanche », s'il arrive avec son bagage spécifique comme tout migrant, il n'en possède pas moins une spécificité qui, on peut en émettre l'hypothèse, le rendrait plus enclin à être « francisé ». En effet, le sentiment d'appartenance à la nation de départ est, pour les Transalpins de l'époque, un phénomène récent, datant probablement des guerres du Risorgimento au milieu du XIXème siècle. L'émigration a

375 A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des Polonais, Paris, 1953 (p. 79).

376 Ibid. (p. 349).

en effet précédé une réelle « nationalisation » du peuple italien. Cet hésitant sentiment d'appartenir à la nation offre une caractéristique particulièrement révélatrice : peu nombreux sont les parents de nos témoins à s'exprimer en italien « classique ». La grande majorité d'entre eux s'expriment en « dialetti », leur appartenance identitaire est principalement régionale. Cet attachement des Italiens à leur chapelle, les sociologues italiens l'appellent le « campanilismo », et qui pourrait se traduire par « l'esprit de clocher » en français. C'est un phénomène extrêmement courant, et ce, y compris dans les discours tenus par leur descendance pourtant parfois née en France. Effectivement, l'identité affirmée semble d'abord locale. Ces observations sont assez faciles à expliquer : outre la jeunesse précédemment évoquée de la nation italienne, la Péninsule est tout particulièrement multiculturelle, ainsi le Ligure s'installant à Nantes ne ressentira guère plus de dépaysement que le Sicilien parti chercher du travail à Milan : ils connaissent tous deux les mêmes difficultés de langue, les mêmes changements de climats, de paysages ou d'habitudes alimentaires et, bien souvent, les mêmes réactions de défiance xénophobe. En revanche, l'arrivée en France est souvent caractérisée par la fréquentation d'Italiens du méme village ayant suivi les mémes réseaux d'immigration. Dès lors, ce lien ténu entre le migrant, et donc son enfant, et l'idée d'appartenance à une nation italienne a, globalement, tendance à laisser un « espace libre » à l'adoption d'une autre identité. Cette caractéristique est fort bien analysée par Pierre Milza qui explique que « le phénomène de transculturation et d'agrégation des migrants à la société d'accueil se pose moins à cette date en termes de passage de l'identité italienne à l'identité française que de mixage à l'échelle d'une aire culturelle qui transcende assez largement la frontière des deux Etats intéressés »377. En outre, l'habitude ancienne de migrer de ces populations italiennes originaires des micro-sociétés montagnardes, a plutôt tendance à faciliter l'adoption du mode de vie de la terre d'accueil378.

Par ailleurs, le rejet de l'Italie est courant chez les parents de nos témoins : fréquente est la peine des immigrés se sentant abandonnés par l'Italie incapable de leur offrir un travail, le ressentiment des migrants qui ont fuit leur terre d'origine parce qu'ils estimaient que sa politique était inacceptable, ou encore la colère de ceux qui n'eurent d'autre choix, poursuivis par les milices fascistes, que de gagner la France. Dès lors, on remarque un phénomène de deuil de l'Italie, transmis consciemment ou non aux enfants, qui, sans nul doute a pu faciliter la « francisation » des fils et des filles de migrants transalpins de la période 1935-1955.

377 P. MILZA, Op. Cit. (p. 471).

378 M-C. BLANC-CHALEARD, « Les Italiens dans l'est parisien, les dessous d'une assimilation exemplaire », n° 13, décembre 2000 (p. 23).

. La mise en lumière d'une proximité de culture entre l'Italie et la France

Il nous faut souligner que l'enseignement de l'Histoire a aussi pu avoir des effets valorisants sur les jeunes italiens. Les professeurs expliquent ainsi parfois à leurs classes le passé glorieux de la Rome impériale.

Par ailleurs, il n'est pas rare que les enseignants cherchent à mettre en avant le passé commun de la France et de sa soeur latine ce qui aide à l'intégration des élèves d'origine italienne, parfois au détriment des autres étrangers. Ce thème de l'union latine permet d'exalter la parenté culturelle et historique avec les migrants d'Outremont. La proximité des moeurs entre les deux pays incline une majorité des jeunes transalpins à intérioriser l'image du « presque même »379, de « l'autre le plus proche »380, de l'étranger plus facilement assimilable en somme. L'expérience de Cavanna est, à cet égard, intéressante :

« A l'école, quand on a fait les Gaulois, Rome, tout ça, le prof nous a expliqué la Gaule cisalpine. Tout le Nord de l'Italie, c'étaient des Gaulois. Du coup, j'ai compris des choses. J'ai compris pourquoi les Ritals de Nogent-sur-Marne et de toute la banlieue Est parlent une langue plus proche du patois des paysans de la Nièvre que du bel Italien de la méthode Assimil. [...] Ils avaient déformé vachespagnolisé la langue du petit père Cicéron juste de la même façon que devaient la déformer, plus tard, après le coup en vache de Jules César, les Gaulois de la Grande Gaule »381.

Le jeune François s'est ainsi aperçu que son père, lorsqu'il parlait le dialecte de Piacenza, pouvait se faire comprendre des maçons d'origine limousine avec qui il travaillait. Il raconte son impression d'alors de grande proximité entre le patois morvandiau de son grand-père maternel et le dialecte de son père où l'on retrouve les diphtongues nasalisées.

Par ailleurs, les points communs entre les milieux familiaux de nos témoins et leurs instituteurs se trouvent souvent dans le domaine politique. Nous l'avons observé dans nos recherches sur les « hussards noirs de la République », cette classe sociale d'intellectuels est globalement ancrée à gauche. Or, certains des migrants, dont les enfants ont été scolarisés au cours de la période 1935-1955, ont fuit le fascisme, comme ceux de Walter Buffoni, de sensibilité communiste, par exemple :

379 D. SCHNAPPER, « Centralisme et fédéralisme culturels : les émigrés italiens en France et au EtatsUnis », Annales ESC, n°5, septembre et octobre 1974.

380 J-C. VEGLIANTE « le problème de la langue : la « Lingua Spacà » », acte du colloque franco-italien sur « L'immigration italienne en France dans les années 20 », Paris, 1987 (p. 343).

381 F. CAVANNA, Les Ritals, 1978, Paris (p. 52).

« - Pourquoi vos parents ont-ils immigré ?

- Tout à la fois pour des raisons économiques et politiques, mes parents étaient des antifascistes. Un frère de ma mère a été assassiné par les milices »382.

Remarquons cependant qu'en fait, peu d'immigrés étaient amenés à parler avec les instituteurs de leurs enfants, les considérations politiques, pour des raisons évidentes, étaient généralement soigneusement évitées lors des rares entretiens entre les professeurs et les familles.

Même en dehors de l'école, est mise en avant cette proximité de culture entre les deux voisins. En effet, après la Libération dans les premiers travaux que l'INED consacre à l'immigration, on expose l'idée d'un ordre de préférence variant selon les groupes en fonction de capacités d'assimilation relevant, à la fois de critères culturels et de nationalité mais aussi, de considération sur les origines ethniques. En fait, ce terme « d'assimilation » a longtemps été seul à avoir cours dans les débats sur l'intégration des élèves d'origine étrangère. Au cours de la période que nous étudions néanmoins, on commence à développer la théorie, dans laquelle s'illustre le spécialiste de l'immigration Georges Mauco, d'une distinction nécessaire entre peuples assimilables et non assimilables, les Italiens faisant partie de la première catégorie 383 . Il établit un classement des étrangers selon leur degré « d'assimilabilité » à la société française, les notant sur une échelle de zéro à dix :

Graphique n° 2 : Le degré d'assimilabilité des étrangers à la société française

52

selon Georges Mauco, 1932

6,3

Nous pouvons donc observer que les ressemblances de langue et le lien entre Histoire

65

ens

italienne et française ont pu être des facteurs explicatifs d'une intégration globalement réussie,

73

s ,5

méme si il va sans dire qu'ils n'en constituent pas l'unique explication.

382 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

383 G. MAUCO, Les Etrangers en France, leur rôle dans l'activité économique, Paris, 1932.

E). La peur d'une identité nationale en péril

Les immigrés italiens qui arrivent en France sont intégrés dans un système jacobin et « gallo centriste ": une seule langue est parlée dans les écoles de tout le pays, les règles et les pratiques scolaires sont unifiées, etc. L'idée de « nation à la française " est souvent considérée comme une conception universaliste. L'individu pourrait s'agréger au corps national à la condition d'en adopter les coutumes. L'identité nationale de l'Hexagone est un moule qui n'existe qu'en un unique exemplaire. Dès lors, on peut s'interroger sur la place à laquelle peuvent prétendre des éléments étrangers dans les institutions françaises et particulièrement, c'est ce qui nous intéresse ici, dans l'Ecole.

L'acculturation est un phénomène d'effacement de la culture du migrant. La francisation a, elle aussi, une connotation négative. L'image généralement véhiculée par ces deux notions est, en effet, celle de l'ablation d'une part « d'appartenance ", dès lors, l'identité nationale serait en péril. Mais qu'est-ce au juste que cette identité presque toujours évoquée par les témoins mais rarement définie en termes précis ? En fait les médias comme les responsables politiques ou le grand public ont bien des difficultés à expliquer cette notion complexe. Ralph Schor, dans l'ouvrage Français et immigrés en temps de crise, parle d'une « conception intuitive et naturelle "384 et explique ainsi les problématiques politiques posées par cette idée d'identité :

« Pour les Français des années 1930, le « trop plein " dont ils se plaignaient minait la civilisation française dans son essence même. Cette crainte taraudait surtout la droite traditionaliste et, dans une moindre mesure, les radicaux. Les nationaux étaient très généralement persuadés de la supériorité de leur culture. Ils voulaient bien transmettre celle-ci et entreprendre, comme on disait alors, la « francisation " des étrangers. Mais ils redoutaient que les nouveaux venus, porteurs de valeurs et d'usages propres, ne vainquissent leurs hôtes, trop tolérants ou trop ouverts aux apports allogènes par snobisme. Les extrémistes pensaient même que les immigrés avaient sciemment commencé une oeuvre de « désintégration nationale " "385.

La compétition scolaire exprime, elle aussi, de façon assez claire, le fait que l'élève se sente concerné par le système national. Peut-on pour autant parler de volonté d'être un des éléments de la nation française ? Le témoignage de Pierre Milza, en tout cas, met clairement en lumière l'influence de l'école sur son sentiment d'être Français bien plus qu'Italien :

384 R. SCHOR, Français et immigrés en temps de crise (1930 À 1980), Paris, 2004 (p. 61).

385 R. SCHOR, Ibid. (p. 64)

« J'ai vécu sur ce souvenir fabriqué d'un père « étranger » qui aurait pu me détourner du destin tricolore dont je me sentais investi. Entre douze et quinze ans, je rêvais sur fond de scoutisme et de lectures épiques de gloire militaire et maritime. Celle-ci ne pouvait être que française et l'idée que je m'en faisais se nourrissait de cent épisodes glanés dans les livres d'histoire et les prix de fin d'année que l'école républicaine m'avait généreusement attribués »386.

Les gratifications scolaires peuvent donc parfois être synonymes d'adhésion aux visées patriotiques de l'enseignement. A cet égard, il est intéressant de raconter cette anecdote, révélatrice d'un certain malaise identitaire provoqué par la dichotomie qui existe parfois entre la scolarité française et le foyer italien. Marie-Claude Blanc-Chaléard raconte ainsi l'histoire de ce peintre de Novare dont la fille, Jeanne Vecchio, est l'exemple type de la bonne écolière. Un soir, cette élève de l'école de la rue Paul Bert de Nogent, récite à sa mère sa leçon d'Histoire du jour. Son père se lance alors dans une diatribe contre l'enseignement prodigué à sa fille :

« Mais qu'est-ce qu'on leur apprend à l'école ! Tes ancétres c'est pas les Gaulois, ce sont les Romains, c'est Jules César ! ».

Jeanne Vecchio raconte a posteriori (en 1994) :

« Cela m'a fait un choc, j'y pense encore aujourd'hui... Je détestais Jules César qui avait fait plein de misères à ce brave Vercingétorix, je pensais dur comme fer que mes ancêtres étaient les Gaulois, et puis, c'était écrit dans le livre, j'étais sure de mon affaire »387.

On retrouve sensiblement le même type de sentiment dans de nombreux témoignages :

« L'Italie n'a pas gagné beaucoup de guerres. Là je me sens français, à bloc, comme maman. Vercingétorix, Jeanne d'Arc, Guynemer388 et tout »389.

« On était contents parce que les Français avaient battu les Italiens. On était fiers ! »390.

Albert Uderzo, qui s'est plus tard illustré dans la représentation humoristique des Gaulois, se rappelle lui aussi de l'étrangeté de sa position par rapport à l'Histoire française après sa naturalisation :

386 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 43).

387 Témoignage de Jeanne VECCHIO le 3 mai 1994,

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 425).

388 Georges Guynemer était un pilote Français de l'armée de l'air durant la Première Guerre mondiale.

389 F. CAVANNA, Ibid. (p. 34).

390 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

« D'émigrés italiens nous devenons français. J'apprends alors à l'école ma première leçon d'Histoire de France sur « nos ancêtres les Gaulois » ; je ne comprends pas tout de suite que jusqu'à présent, mes ancétres étaient Romains, et que, par la magie de l'Administration, ils sont devenus Gaulois »391.

Ces exemples montrent l'importance que revêt le chapitre sur la guerre des Gaules et sur l'Empire Romain traité en classe pour les jeunes d'origine italienne. L'enseignement de l'Histoire de France a souvent un impact considérable sur les jeunes écoliers dans leur volonté de faire partie de la nation française. Le « dénigrement » de la nation italienne dont parle François Cavanna est retrouvé dans différents témoignages. D'ailleurs, Pierre Milza explique que « de ces Italiens transplantés dans ce qui n'était pas encore l'Hexagone, l'histoire n'a souvent retenu que ceux qui ont été mêlés à des épisodes douloureux ou pervers »392. Ainsi, les manuels scolaires évoquent, par exemple, les banquiers lombards qui pratiquaient l'usure en des termes très critiques. Cependant, l'exemple qui semble le plus évident est celui de Mazarin dont les manuels dénoncent la duplicité, la mauvaise foi, la malhonnêteté ou encore l'absence de scrupule.

Nous retrouvons évidemment le poids des sentiments patriotiques diffusés en grande partie par les enseignants dans les discours tenus par la seconde génération dans les témoignages :

« On nous disait à l'école qu'il fallait aimer son pays. Or, on n'arrêtait pas de me dire que j'étais un sale italien. J'aimais l'Italie ! »393.

Les ressentis, concernant l'identité, sont presque aussi nombreux que les témoignages. La construction identitaire et mentale des jeunes italiens est un parcours semé d'embüches. Parfois, l'élève d'origine italienne choisit le camp de sa patrie d'origine, il se fait, nous le verrons, le partisan de l'Italie puisqu'il ne peut être reconnu comme celui de la France. Cependant, pour Marianne Amar et Pierre Milza, qui s'appuient sur les thèses de Ralph Schor, il semble bien que l'école française ait joué son rôle d'absorption des jeunes d'origine italienne. Pour eux, « l'école est, en théorie, le lieu de l'intégration [...] l'apprentissage culturel est une première porte ouverte sur la société française, la création d'une mémoire partagée et les prémisses d'un dialogue futur. Ces fonctions, l'école les assure normalement pendant l'Entre-Deux-guerres [...] Le corps enseignant, dans son ensemble, manifeste un évident esprit d'ouverture Aux chantres de la discrimination, la République, l'école laïque ne céderont pas »394.

391 A. UDERZO, Uderzo se raconte, Paris, 2008 (p.40).

392 P. MILZA, Op. Cit. (p. 59).

393 Témoignage d'Enzo BRUN dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 482).

394 M. AMAR et P. MILZA, L'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1990 (p. 108-109).

Il est vrai que la lecture des témoignages, biographies et autobiographies soulignerait plutôt que ces enseignants permettent en effet globalement à leurs élèves d'évoluer dans un climat scolaire d'égalité. Cependant, la construction de l'identité n'est-elle pas multiple et progressive ? Dès lors comment concilier l'égalité sur les bancs de l'école et l'affirmation nécessaire aux élèves d'une identité ? Effectivement, la vie de la famille connaît plusieurs grandes étapes qui constitueront, chacune, différents parcours d'identité. Ainsi, l'identité de soi comme les identités sociales ou culturelles se construiront par des gradations individuelles ou familiales telles que la location de l'appartement, l'obtention d'un travail pour les parents ou encore la scolarisation des enfants. Ces phases fondamentales de l'intégration sont, finalement, des données bien plus aisées à calculer que le sentiment d'appartenance à la nation, notion plus subjective et plus variable selon le contexte. En effet, le sentiment d'appartenance est une donnée fluctuante. Marie-Laetitia Des Robert-Helluy observe d'ailleurs que l'on peut séparer le sentiment d'appartenance des natifs de 1913 à 1935 et celui de ceux nés entre 1940 et 1955. Elle met ainsi en avant la forte consistance mémorielle et historique explicite des premiers et la logique d'affiliation nationale, surtout culturelle et implicite des seconds395. En somme, les explications historiques au sentiment d'appartenance à la France des populations d'origine étrangère installées dans l'Hexagone ne valent vraiment qu'avant la Seconde Guerre mondiale. Les ressorts culturels, en revanche, sont plus facilement mis en avant durant la guerre et la décennie qui la suit.

Il est aisé de constater que le sentiment national se construit aussi par rapport à l'extérieur constitutif que représente « l'Autre », autrement dit « l'élément étranger », considéré comme un individu fondamentalement différent, qui ne fait pas partie de la même communauté ni ne partage de valeurs semblables avec la population implantée de longue date sur le territoire hexagonal. Lorsque ce sentiment d'appartenance à la nation est exacerbé, on est parfois proche du phénomène qui consiste à affirmer un certain universalisme totalitaire et destructeur, qui a pour objectif de supprimer la diversité, et qui postule la supériorité d'une civilisation sur une autre. Le modèle d'assimilation « à la française » voudrait que la bonne intégration dans la

133 nation tricolore aboutisse à la disparition des éléments étrangers396. Du point de vue de l'élément allogène exclu, si se « fondre dans la masse " semble impossible ou trop difficile, il n'est pas rare que l'on observe une tendance à développer ce que l'on peut appeler un « sentiment de ritalité ".

II). Le sentiment de « ritalité ».

En effet, la réaction au patriotisme ambiant va souvent constituer en une sorte de rejet de la France, ou, du moins, une revendication des origines italiennes. A cet égard, le témoignage de G. C. B, d'origine transalpine mais scolarisé dans le Sud-Ouest de la France est particulièrement significatif :

« On s'est tellement battu pour l'Italie, dont on se fichait en définitive, mais rien que le fait qu'on était attaqué... c'était une agressivité que les autres enfants avaient envers nous, que peut-être n'importe quels enfants avaient les uns avec les autres. Bon, eh bien, on trouvait parce qu'on était italien, que c'était une insulte. On s'invectivait, on s'insultait... "397.

C'est ainsi que commence souvent le sentiment de « ritalité " : par la relation avec l'autre écolier plus que par une conviction intérieure et individuelle.

Avant d'entrer dans le vif du sujet de la sensation de « ritalité ", il nous faut justifier l'utilisation du terme de « ritalité ". Pourquoi, plutôt que de parler d'un éventuel sentiment d'appartenance à l'Italie, avons-nous recourt à ce mot, pourtant parfois assez polémique. Journaliste italien au « Corriere della Sera ", Gian Antonio Stella s'essaye, dans son essai sur l'émigration italienne, à une définition de ce terme de « rital " :

396 Le colloque tenu à Phoenix est particulièrement intéressant sur ces thèmes puisqu'il livre l'opinion d'historiens américains sur les pratiques assimilatrices françaises. Ainsi, par exemple, leur manifeste étonnement sur l'assimilation juridique qui fait disparaître toute trace des origines dans les documents officiels montre que la France se distingue dans cette politique par rapport à un grand nombre de pays d'immigration.

« France for the French ? National and International contradictions ", colloque réunissant les historiens américains spécialistes de la France le 1er avril) 2000 à Phoenix (Arizona).

397 Témoignage de G. C. B.

Dans M. ROUCHE, « un village du sud-ouest dans l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens à Monclar d'Agenais " CEDEI, acte du colloque franco-italien, Paris 15-17 octobre 1987.

« Spregiativo ma non troppo, era la contrazione di franco-italien e veniva usato per sottolineare come l'immigrato italiano oltralpe non riusciva neppure molti anni a pronunciare correttamente la « r » francese »398. Mais c'est Pierre Milza qui explique que « le mot « rital », expression même du mépris dans lequel une partie de la population française a longtemps tenu les Transalpins, a pris, adopté par les descendants de migrants, une connotation positive »399.

A). Les moqueries des enseignants

Le sentiment de « ritalité », s'il est souvent la conséquence de la culture et de l'éducation inculquées à l'enfant d'origine italienne par sa famille et son entourage transalpin, est aussi expliqué par les témoins comme le résultat d'un sentiment de frustration provoqué par les moqueries des enseignants de France. Effectivement, la reconnaissance du sentiment régional, des particularismes locaux, ainsi que l'intégration laborieuse des immigrés, sont souvent identifiées comme étant des difficultés internes pour asseoir l'enseignement républicain d'esprit fondamentalement « jacobin » et basé sur un modèle centraliste.

Sur les témoignages recueillis directement dans le cadre des recherches menées ici, il est très rare cependant que l'on fasse le récit de moqueries des instituteurs concernant le caractère italien des élèves. En fait, seul un cas parmi la quinzaine de témoignages directs recueillis pour ce travail analyse la critique de son professeur comme étant directement liée à son origine transalpine. Marie-Claude Blanc-Chaléard explique quant à elle que c'est à Montreuil, ville ouvrière et particulièrement cosmopolite, qu'elle a pu entendre le plus de témoignages négatifs concernant l'attitude des instituteurs envers les enfants d'immigrés italiens400. Elle fait ainsi le récit de Pellicia, écolier entré à 12 ans dans une petite classe de Nogent. Le jeune garçon n'a pas encore appris le français, il explique a posteriori que sa maîtresse riait ostensiblement lorsque son accent transformait le texte d'une célèbre fable de La Fontaine : « l'arbre perché » du corbeau devenait ainsi « l'arbre perqué ». Pour éviter les sarcasmes, la réaction majoritaire semble avoir été de se doter le plus rapidement de nouveaux réflexes de langue et d'attitudes, ceux-ci résolument « gallo ».

398 « Péjoratif mais pas trop, c'est la contraction de franco-italien. Le terme était utilisé pour souligner le fait que l'immigré italien ne réussissait pas, même après de nombreuses années, à prononcer correctement le son « r » présent dans la langue française » TDLA.

Dans G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003 (p.287).

399 P. MILZA, Op. Cit. (p. 490).

400 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000, (p. 425).

Les migrants évoquent souvent les moqueries concernant la religion dont ils furent victimes en classe. Nous l'avons vu dans la partie que nous avons consacrée à l'éducation traditionnelle offerte à leurs enfants par la plupart des immigrés transalpins, le catholicisme est presque une caractéristique des migrants italiens de 1935 à 1955. En effet, deux populations se trouvent face à face à l'école : les hussards Républicains et les enfants d'immigrés souvent très croyants. Si l'Entre-Deux-guerres voit arriver un flot massif de migrants fuyant le fascisme, donc en général, ayant des idées s'inscrivant nettement à gauche et souvent anti-cléricales, l'immigration de travail, en revanche, est constituée par des classes populaires catholiques. Il est nécessaire ici de faire un bref rappel des relations complexes et passionnées de l'Ecole française avec la laïcité. L'Entre-Deux-guerres n'est pas le temps de l'élaboration de la laïcité scolaire mais celui de son application concrète. En effet, les lois qui ont laïcisé l'école sont anciennes (1881, 1882, et 1886). L'école française est-elle laïque pour autant ? Pas totalement puisque, lors du retour de l'Alsace et de la Moselle dans le giron de la France après la Première Guerre mondiale, le choix est fait de ne pas y imposer la législation laïque. En 1924, le Cartel des Gauches tente de l'appliquer mais se heurte de nouveau à l'opposition de l'épiscopat. La population enseignante française est souvent anti-cléricale, cette position se ressent dans les témoignages des enfants de migrants catholiques.

« Les profs, à l'école, ils peuvent pas s'empêcher de nous faire sentir qu'on est des culsbénits, de la graine de fascistes. Eux, laïques, républicains et Jules Ferry comme des fous »401.

« C'est nous qu'on éponge tout. La crise, c'est de notre faute. Le chômage, c'est nous. Mussolini qui fait le con, c'est pour nos pieds »402.

Ce sentiment de rejet dont parle François Cavanna semble assez courant. En outre, parfois, en plus des moqueries, il arrive que certains enseignants usent, nous l'avons vu précédemment, de violence sur leurs élèves. Nous retrouvons assez régulièrement ce souvenir chez les élèves, mais les enfants d'immigrés vont quelquefois avoir tendance à analyser, parfois à tort, cette violence comme une attaque contre leur condition d'immigré. Prenons ainsi l'exemple d'une des grandes figures du syndicat régional de la CGT chez les mineurs de fer de Lorraine, Albert Balducci. Interviewé par Pierre Milza en mars 1992, cet anarchiste, fils d'un ouvrier italien, émigre en France alors qu'il n'a que sept ans. Il ne connaît alors ni l'italien, ni le français

401 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 38).

402 Ibid. (p. 37)

136 et s'exprime exclusivement en dialecte romagnol. Il explique la réaction violente de son instituteur face à son incompréhension manifeste du français :

« Non, j'ai pas été heureux à l'école. Vous savez, les gosses c'est les gosses... Je me rappelle toujours, l'instituteur, je me rappelle aujourd'hui. C'était un gazé de 1914, un Corse ; il s'appelait Ortoli. Le premier jour, il me dit d'aller au tableau. Alors j'y vais, je vais au tableau. Mais je ne comprends rien aux questions qu'il me pose. Alors il me balance deux paires de claques. Qu'est-ce que je fais... quand je retourne à la maison, je gueule. Mais ma mère, qui a déjà tellement souffert, avec mon père qui ne sait ni lire ni écrire, alors elle me dit qu'il faut que j'aille à l'école. Elle m'a ramené à l'école... »403.

On remarque régulièrement, dans les témoignages, l'approbation des parents pour une discipline scolaire qui, jusqu'au milieu des années 1960 selon François Grezes-Rueff et Jean Leduc, pratiquera encore régulièrement les châtiments corporels404. Il est indéniable qu'il y ait eu des professeurs violents face à l'incompréhension des jeunes arrivants. Nous l'avons vu, les parents se révoltent rarement contre ce genre de pratiques. La mère de François Cavanna, cependant, alla s'en plaindre auprès du directeur405. Il nous faut donc souligner que, des deux parents de ce dernier, seul son père est Italien. Peut-être est-il alors plus facile pour une Française de réprouver cette attitude et de la condamner « publiquement » que pour des immigrés dont le statut est précaire et, pour qui, l'hypercorrection sociale est une condition sine qua non à l'intégration tant des enfants que de la cellule familiale dans son ensemble.

B). La violence à l'école : un facteur de repli sur l'univers familial italien ?

Si nous pouvons souligner que l'origine étrangère des élèves n'est jamais rapportée, dans les témoignages recueillis pour ce travail, comme la cause directe de la violence physique dont ont parfois fait usage certains enseignants, en revanche, l'agressivité xénophobe verbale est assez souvent présente dans les souvenirs des témoins. L'atmosphère n'est pas toujours baignée de tendresse réciproque entre les différentes communautés, loin s'en faut. François Cavanna se rappelle de la violence physique exercée par son maître d'école mais ne la met pas en corrélation avec sa situation d'enfant issu d'un parent étranger :

403 Albert BALDUCCI, interviewé par P. MILZA, Op. Cit. (p. 329).

404 F. GREZES-RUEFF et J. LEDUC, Histoire des élèves en France, de l'Ancien Régime à nos jours, Paris, 2007. (Introduction).

405 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37).

« Le père Cluzot faisait venir Chendérovitch au tableau et il lui cinglait les mollets avec sa règle, c'était son vice [...] il tapait jusqu'à ce que les mollets soient tout noirs, et après il mettait Chendérovitch au piquet. A moi aussi, il me l'a fait le coup des mollets, et maman m'a demandé où que tu as eu ça, et moi j'osais pas lui dire, parce que j'avais bavardé en classe, et à la fin je lui ai dit, et elle a foncé chez le dirlo, le père Garnier, et Cluzot a dû se faire salement engueuler, en tout cas il a plus recommencé » 406.

La brutalité de son professeur ne semble ici n'avoir aucun rapport avec les problématiques liées à la migration italienne. En revanche, nombreux sont les propos véhéments qui auraient été tenus par les instituteurs à l'encontre des jeunes écoliers d'origine étrangère. Il arrive aussi que la « technique » utilisée pour pousser l'élève à plus de travail soit assez violente pour marquer nos témoins pas moins de soixante années après les évènements, ainsi WM nous raconte cet épisode qui s'est produit dans son école élémentaire d'Agen :

« J'ai encore changé d'école, pour la quatrième fois. Là je ne suis pas bien tombé, l'instituteur [...] était dur ! Si on ne savait pas répondre, il vous prenait par là et il vous décollait du sol. Il ne tapait pas mais il prenait par les joues, je n'étais pas trop à l'aise, j'étais froussard un peu... Je l'ai eu deux ans et demi. Il ne m'agressait pas, il me tirait les oreilles, les favoris, à moi mais aux autres aussi. »407.

Autre effet de l'incompréhension linguistique, les échecs scolaires sont légions au sein de la population d'origine italienne, du moins dans les premières années de la scolarisation en France de nos témoins. Dès lors, pour ceux, relativement nombreux, dont l'école a été synonyme d'angoisses portées par leurs déboires scolaires ou par l'appréhension liée à la récurrence de la violence qui a pu exister entre les murs des établissements, le foyer familial peut sembler un refuge. Il n'y a, dès lors, qu'un pas à « choisir » d'investir dans l'univers italien du foyer plutôt que dans le monde français de l'institution républicaine, pas toujours chaleureux.

Par ailleurs, la récurrence de la brutalité est aussi parfois provoquée par l'élève étranger lui-méme, cette réaction est souvent le reflet de grandes difficultés à s'exprimer par la parole. Il n'est donc pas rare que la réponse à l'humiliation soit incarnée par la violence, y compris contre l'enseignant. Ainsi, Madame Biasin, évoque la scolarité de ses beaux-frères :

406 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37)

407 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

138 « Beppi était dur. Il se battait avec le maître. On l'a renvoyé. Quand son petit frère Marcel lui a succédé, il a commencé à répondre. Alors le maître a dit : « t'es une tête de lard comme ton frère ». Il l'a tapé, il est rentré tout bleu à la maison »408.

Malgré le blanc-seing donné, presque systématiquement, par les parents aux professeurs de leurs rejetons, la maison est souvent vue comme le lieu du refuge rassurant comparée à l'école, parfois chargée d'angoisses et de jugements négatifs : en quoi ce cocon de l'univers familial italien est-il différent du refuge que représente le foyer français ? Quelques traits distinguent les peuples des deux soeurs latines : globalement, les Transalpins conçoivent d'une manière différente de celle des autochtones, l'autorité du patriarche, la place de la femme, de la mère. En somme, les dissemblances culturelles qui se détachent sont beaucoup d'ordre familial, même si c'est souvent les différences culinaires qui sont d'abord mises en avant par les camarades d'école de nos témoins. Si il est indéniable qu'il existe, dans les foyers italiens comme dans les familles françaises, une certaine subordination féminine dans la sphère familiale, on note une différence entre les deux milieux. En effet ce caractère de « soumission » de la mère est renforcé chez les migrants par le fait que la femme est rarement à l'origine du choix d'émigrer. Par ailleurs, cette subordination est accentuée par l'hégémonie catholique encore ancrée dans la mentalité italienne. Cependant, en ce qui concerne le rôle de la femme italienne, et, pour ce qui intéresse notre étude, celui de la mère, on sait que leur dimension culturelle et sociale est majeure, particulièrement en ce qui concerne la transmission intergénérationnelle. En outre, l'organisation quotidienne lui revient (la tenue des enfants, la gestion financière et la préparation des repas)409.

Violence de l'enfant, violence de l'adulte, ces témoignages ne sont pas rares. Certains migrants expliquent ainsi que, si à l'école, ils se conformaient strictement aux règles en vigueur, la rue était le lieu où se réglaient les contentieux commencés dans la cour de récréation avec leurs camarades. Nous avons ainsi pu retrouver chez différents témoins la sensation de connaître deux mondes bien distants, sans liens apparents et au sein desquels leurs comportements sont souvent discordants.

408 Témoignage de Madame BIASIN, le 27/05/1993,

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 420).

409 - I. TABOADA-LEONETTI, « Le rôle des femmes migrantes dans le maintien ou la déstructuration des cultures nationales du groupe migrant », n° 70, juin 1983 (p. 214 à 220).

- A. SOLDANO, « Les femmes immigrées italiennes installées dans le Nord de la France après 1945 », n° 14, décembre 2001 (p. 35 à 43).

C). L'école et la rue : deux espaces de jeu clairement séparés ?

Tout particulièrement en France, la nation demeure le lien des solidarités sociales, le sentiment d'appartenance à celle-ci ne saurait donc tout à fait s'estomper. Cependant, en dehors des institutions étatiques, n'y a-t-il pas de places disponibles pour l'affirmation d'une identité italienne, ou plutôt « ritale » en tant qu'elle s'inscrit dans un contexte français ? A l'extérieur des murs des établissements scolaires, qu'en est-il du ressenti de l'enfant d'origine italienne ? Il existe souvent, dans l'esprit des témoins, entre le monde extrascolaire et l'univers commun des écoliers une frontière presque imperméable : « Je ne parlais pas de l'Italie à l'école, ni aux amis ni aux instituteurs : lá-bas, j'étais entièrement français »410.

Souvent, l'enfant oppose l'univers français « sérieux » à l'univers italien de la rue, rassurant, familial et ludique411. Nous l'avons vu dans les témoignages, la réponse aux insultes de la cour de récréation est fréquemment violente et les provocations ont souvent lieu en dehors de l'enceinte de l'école et de ses règles strictes. Citons encore l'exemple, décidemment fort éclairant, de François Cavanna, qui vit dans la rue Sainte-Anne de Nogent-sur-Marne, essentiellement habitée par des Italiens, mais, qui est scolarisé dans une école où les immigrés sont peu nombreux. Pourtant issu d'un couple mixte, il explique :

« Quand je suis à l'école [...] j'oublie tout ce qui n'est pas l'école. [...] J'ai des copains d'école, avec qui je me marre bien, avec qui je me tabasse à l'occasion, mais qui disparaissent de ma vie dès que je suis sorti de là. On dirait que ces mecs de l'école n'existent pas en dehors de l'école. Jamais j'en rencontre un quand je fais le con avec les autres traîne-patins dans les rues de Nogent. »

Dans son entretien avec Marie-Claude Blanc Chaléard, Zina Mutti évoque, elle aussi, son sentiment d'avoir connu deux vies bien séparées durant son enfance. Une fois franchies les bornes de son territoire scolaire, l'environnement devient exclusivement italien412. Les enfants de migrants se fréquentent entre eux et parlent souvent italien ou même le dialecte local. Marie-

410 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

411 « La situation d'émigré vient rendre ce repli sur [...] la privauté et le foyer plus nécessaire encore, puisque le foyer devient le recourt essentiel dans une situation où tout, au dehors, semble étrange et étranger ».

Dans D. SCHNAPPER, « Centralisme et fédéralisme culturels : les émigrés italiens en France et au EtatsUnis », Annales ESC, n°5, septembre et octobre 1974 (p. 1154).

412 « Ma vie a été partagée entre mes parents, qui avaient leurs coutumes et l'école où nous vivions à la française ».

Entretien entre Laurent Gervereau et Albert Uderzo.

L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 55).

140 Claude Blanc-Chaléard précise que ce sentiment de séparation est « différent de ce que nous avons signalé pour Paris, où les jeunes étaient entre eux sans avoir l'impression d'être coupés des autres »413. La violence est donc à la fois verbale et physique. Nous l'avons dit, elle est souvent le déclencheur des progrès en français de nos témoins à la recherche de réponses cinglantes à ces situations violentes. La vie quotidienne de l'écolier et son activité sur les terrains de jeux et dans la rue sont donc parfois ressenties comme deux univers sans lien l'un avec l'autre. En général, cette attitude s'explique par le fait que les camarades de jeu de la rue ne sont pas les mêmes que les écoliers avec lesquels jouent les enfants d'immigrés. Dès lors, certains témoins font remarquer que leur identité même change selon le contexte. Maria me livre d'ailleurs cette phrase lourde de signification : « à l'école j'étais Française, en dehors, j'étais Italienne »414. Dès lors, on peut s'interroger sur la signification de cette remarque : l'institution scolaire serait-elle le lieu de la France alors que la rue appartiendrait à l'Italie ? En tout cas, beaucoup de témoins fréquentent les Français à l'école, alors que le monde extérieur est italien. Cette ambivalence communautaire se révèle fréquemment dans la pratique du sport, activité plus souvent pratiquée par les garçons. En conséquence de quoi il apparaît que, si les filles n'en sont pas exemptées, les espaces de jeu différenciés sont souvent masculins, d'autant que les garçons ont plus souvent et plus tôt l'autorisation de sortir jouer à l'extérieur415. Souvent, le milieu familial supportant les équipes transalpines, les enfants du foyer vont investir cette identité italienne, caractéristique valorisante au vue des succès sportifs de la péninsule. Parlant des « ritals » de la communauté saumuroise, Laurent Garino explique ainsi :

« Quelquefois, ils exposaient même leur nationalité, heureux de parler de ce qui se faisait en Italie, surtout si c'était mieux qu'en France. Le sport leur offrait, à cette époque, de belles occasions de le faire. La Squadra Azzura rafle à deux reprises, en 1934 et en 1938, la coupe du monde de football, et, dans l'après-guerre, le Tour de France et les autres classiques cyclistes se déclinent en vert, blanc, rouge, avec les Bartali, Coppi... »416.

Jean Burini nous révèle un autre élément qui pourrait nous laisser penser que la thèse de deux espaces communautaires différenciés entre rue et école n'est pas à éliminer. Au cours de l'année 1954, avec son instituteur Monsieur Romac, Jean et ses camarades rédigent un mensuel,

413 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 371).

414 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).

415 « On faisait des concours de course, donc, si tu arrivais le premier, on te disait « ouais mais lui c'est un macaroni ! » ».

Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

416 L. GARINO, La charrette à bras, Histoire des Italiens de Saumur, Laval, 2006 (p. 148, 149).

141 « Joyeux Ecoliers », qu'ils vendent pour vingt francs. Dans ce journal, les enfants racontent des histoires inventées ou des anecdotes qu'ils ont vécues (sorties scolaires, jeux avec leurs amis...), ils font des relevés météorologiques417 ou des articles sur le baguage des oiseaux... Tous ces récits sont accompagnés de dessins ou de linos. Citons ici une des rédactions qui a particulièrement retenu notre attention. En effet, Robert Licitar, alors âgé de treize ans, fait ici un récit écrit en français pour la narration et en italien pour les dialogues :

« Les flammes montaient vers le ciel, puis le feu s'éteignit. Mon camarade Dignasio qui voulait se reposer s'assit sur une pierre du foyer qui était encore chaude. Tout à coup, je l'entendis hurler comme un fou. Je lui demandais ce qu'il avait, il me répondit : « mi sono bruciato una cocia » (je me suis brûlé une cuisse) »418.

Outre l'élément révélateur de l'utilisation du français à l'école, et de l'usage de la langue italienne au dehors des institutions républicaines, on remarque que, même au sein de la classe, il apparaît parfois admis que la double culture des enfants existe et qu'elle a sa place dans un devoir scolaire. Cependant, s'il n'en est pas moins intéressant, nos autres témoignages révèlent que ce « bilinguisme » franco-italien dans les rédactions d'école fait figure d'exception.

D). L'apprentissage de l'italien comme besoin d'une reconnaissance identitaire.

La réussite de ces enfants est, parfois, particulièrement visible en cours d'italien dans l'enseignement supérieur, à condition, bien sür, qu'ils aient l'occasion et les capacités de continuer leurs études jusque là. Chez ceux qui n'ont jamais appris la langue maternelle de leurs parents, le désir d'étudier l'italien est fréquent. Effectivement, la « fidélité linguistique » ne va pas de soi chez les migrants qui nous intéressent ici : la faiblesse de la prégnance de la langue italienne est maintes fois soulignée a posteriori par leurs rejetons. Nombreux sont les enfants d'immigrés transalpins à éprouver cette nécessité de revenir aux racines par l'intermédiaire de l'apprentissage de la langue de Dante. S'ils ne la pratiquent pas dans les écoles et collèges de

417 Document annexe n° 11 (« Joyeux écoliers », journal mensuel de la classe de Jean Romac, école de garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954).

418 Robert LICITAR dans « Joyeux écoliers », Ibid.

(Voir en document annexe n°10 le texte complet).

France, ils l'apprendront plus tard : à Nantes, par exemple, de nombreux témoins iront aux cours du soir du Consulat de la rue Contrescarpe, à Saint-Nazaire, des leçons sont données à l'IUT419.

La langue d'origine a été remplacée dans les familles endogènes transalpines par un parler mixte bricolé avec de l'italien, du « dialetto » et du français, ajoutons que vient parfois s'ajouter à ce mélange des éléments de patois local français. Cet idiome particulier est étudié par Jean-Charles Vegliante qui emploie le terme de « lingua spacà », ce qui signifie à la fois double, brisée, et traduit, selon lui, « la dualité et le déchirement d'un parler mixte, en même temps que la fidélité à l'origine régionale de la langue maternelle »420. Même parmi les Italiens porteurs des différentes langues de la Péninsule, le français a fait fonction de parler véhiculaire commun puisque la langue italienne, peu parlée dans les milieux populaires, ne peut que rarement remplir cette fonction. L'historien spécialiste de l'Italie Pierre Milza évoque sa propre expérience lorsque, à la recherche de ses racines, il choisit d'étudier l'italien au lycée. Dans son quartier du Temple, à Paris, les immigrés sont bien présents mais viennent surtout de Roumanie, de Pologne ou encore de Russie421. Il exprime ainsi ce choix lui permettant un premier pas vers ses racines transalpines :

« Bon élève en anglais sans me donner beaucoup de mal, je décidai de présenter l'italien en première langue au bac, ce qui eut des effets catastrophiques sur ma prestation de juin et me contraignit à [...] préparer la session de septembre »422.

Scolairement, le choix de l'apprentissage de l'italien, pour qui n'a pas étudié au préalable la langue, est donc parfois une erreur, mais, cette décision permet la reconstruction, voire parfois même la construction, d'une identité italienne souvent dissimulée jusque là pour faciliter l'intégration dans la première partie de l'enfance. Plus rarement, certains parents semblent être à l'origine de la décision de transmettre à leur enfant l'usage correct de l'italien. Ainsi, Daniel Fantin, issu d'un couple mixte, prend des cours de langue jusqu'à ses douze ou treize ans les

419 « J'ai suivi deux ans des cours d'italien à l'IUT pour ne pas perdre ma langue natale ». Questionnaire de Giovanna, 2010.

420 J-C. VEGLIANTE « le problème de la langue : la « Lingua Spacà » », acte du colloque franco-italien sur « L'immigration italienne en France dans les années 20 », Paris, 1987, 385 p.

Voir aussi à ce sujet la thèse de psychologie clinique et pathologie de F. STORTONI, Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... » sous la direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007.

421 « Ma famille habitait dans un quartier de Paris où les Italiens étaient peu nombreux et, à la maison, tout le monde parlait français. J'ai appris l'italien dans la méthode Assimil, à la fin des années 1940. » Dans Ouest France, « Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France », entretien de A. GUYOT avec P. MILZA, mai 2008.

422 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 20).

jeudi après-midi au Consulat de Nantes, me précisant « qu'à l'oral, c'était une catastrophe »423. François Cavanna connaît sensiblement le même besoin de reconnaissance identitaire que celui narré plus haut par Pierre Milza : issu lui aussi d'une famille mixte, il parle uniquement français à la maison et dit l'avoir regretté dès son enfance424. A dix ans, il décide d'apprendre l'italien :

« Je me suis acheté un « Assimil » [...] mais c'est le vrai beau académique, quand je dis une phrase à papa, en mettant bien l'accent comme c'est dit dans le bouquin, il me regarde comme si je lui faisais peur »425.

Nous sommes là en plein coeur d'une problématique majeure en ce qui concerne les relations familiales et la recherche d'identité de la « seconde génération ». Le conflit intergénérationnel est, en effet, encore plus prégnant dans les familles d'immigrés que chez les Français. Le migrant italien se heurte à son enfant déjà très « francisé » et l'incompréhension apparaît, d'un côté comme de l'autre. Au décalage de génération s'ajoute de lourdes différences de culture entre les enfants et leurs géniteurs. Ces différences sont particulièrement bien analysées par Pierre Milza qui explique que « aussi complète qu'ait été la fusion, les fils d'immigrés portent en eux non seulement les traces d'une première socialisation effectuée au sein d'un milieu familial encore très fortement imprégné d'italianité, mais aussi les stigmates des conflits qui ont pu opposer les normes sociales en vigueur dans cette micro communauté et celles du pays d'accueil, imposés par les enfants français du même âge et par les représentants des institutions auxquelles ils ont été soumis, en premier lieu, l'institution scolaire »426. Si, bien souvent, l'adulte souhaite une bonne intégration de son enfant à la société française, il se trouve, en effet, démuni face à l'attitude de celui, qui, malgré leurs liens de sang, lui semble désormais un étranger427. Par ailleurs, cet exemple de l'enfant qui, ayant appris l'italien, se retrouve déçu de ne pas comprendre le patois de ses géniteurs est fréquent. De même, certains témoins regrettent qu'on leur ait parlé en patois à la maison mais jamais en italien. Citons ainsi, WM qui évoque les amis de ses parents :

423 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).

424 « A la maison, on parle français. Enfin, maman et moi. Papa fait ce qu'il peut. Dommage. J'aurai tant voulu parler le dialetto ! ».

Dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 52).

425 Ibid. (p. 53).

426 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 486).

427 La même observation est faite, en 1951, par les enquêteurs de l'INED :

« Le développement et l'intégration de ses enfants accroissent encore le sentiment qui domine dans sa conscience. Sentiment de différences par rapport au milieu récepteur, par rapport enfin, à ses enfants, qu'il pousse avec loyauté dans la voie qui les sépare de lui ».

Dans A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des Polonais, Paris, 1953 (p. 114).

« A Moissac, ils étaient entre trente-cinq et quarante-cinq, toujours d'Emilie-Romagne. Quand il y en a qui venaient à la maison, ils parlaient toujours en patois. Du coup les enfants en italien : zéro ! J'en ai voulu à ma mère qu'elle ne m'ait pas parlé en italien mais bon ... »428.

L'idiome d'origine des pères est en effet, souvent d'ailleurs à la demande des instituteurs, utilisé uniquement lors des contacts extérieurs, festifs ou professionnels. Simone Iemmi a, elle aussi, été « contrainte » à parler français à l'école comme à la maison, mais il est intéressant de rapporter ici son témoignage puisqu'elle développe un discours critique quant à ce choix pédagogique. Elle déplore l'utilisation systématique de la langue de son pays d'accueil au sein du foyer familial, pourtant italien des deux côtés de ses géniteurs :

« Anche perché i genitori parlavano francese per volontà d'integrazione. Io mi ricordo che i miei genitori parlavano sempre in francese, soltanto la nonna parlava italiano, ma avevano questa voglia di essere come gli altri dunque facevano lo sforzo di parlare in francese. [...] è stato un sbaglio. Il francese uno lo impara sempre, lo vediamo adesso con gli altri immigrati, era meglio parlare in italiano, a casa, perché noi, l'italiano lo abbiamo perso ma i portoghesi non hanno perso il portoghese, gli arabi non hanno perso l'arabo, perché in casa parlano la lingua madre, e poi a scuola parlano il francese, dunque sono veramente bilingue. Noi no. »429.

Soulignons que, globalement, c'est à l'adolescence que naît la volonté d'apprendre la langue maternelle qui serait d'ailleurs bien souvent plus juste, pour nos témoins, de nommer « la langue paternelle ». Processus classique que celui de l'adolescent d'origine italienne qui, après avoir parfois renié ses origines étrangères, affirme et même improvise une « italianité » a posteriori.

Les associations d'Italiens pullulent en France aujourd'hui, créées par volonté culturelle ou communautaire, elles sont souvent le fruit des initiatives d'immigrés italiens de la « seconde

428 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

429 « Mes parents parlaient français dans un objectif d'intégration. Je me souviens que mes parents parlaient toujours en français, seule ma grand-mère parlait italien mais ils avaient cette volonté d'être comme tout le monde, donc ils faisaient l'effort de parler français. [...] ce fut une erreur. Le français, on peut toujours l'apprendre, on le voit de nos jours avec les autres immigrés, il aurait été préférable de parler en italien, à la maison, parce que nous, l'italien, nous l'avons perdu mais les Portugais n'ont pas perdu le portugais, les Arabes n'ont pas perdu l'arabe, parce que à la maison ils parlent la langue maternelle, et ensuite à l'école, ils parlent le français. Ainsi, ils sont vraiment bilingues. Nous, non ». TDLA.

Témoignage de Simone IEMMI, dans A. CANOVI, Cavriago ad Argenteuil, Migrazioni CommunitàMemorie, Cavriago, 1999.

génération », Walter Buffoni par exemple, est le fondateur de l'association « France -- Italia " qui regroupe les Italiens implantés à Saint-Nazaire.

Pour ce qui concerne l'apprentissage de l'idiome originaire de la famille, deux étapes se dégagent : la première, nous l'avons vu, se situe à la période du passage à la vie d'adulte ; la deuxième, au moment de la retraite. Effectivement, nombreux sont les témoins à s'être inscrits à ce moment là dans des associations italiennes et à avoir appris la langue de leurs aïeux une fois leur quotidien libéré des contraintes impondérables à la vie de tout travailleur. C'est aussi souvent à cette période que va se transmettre le relais historique intergénérationnel par le récit aux enfants ou aux petits enfants du « sang italien qui leur coule, à eux aussi, dans les veines "430.

E). Le récit aux descendants

Le rejet de « l'italianité " est parfois expliqué comme un besoin fondamental pour réussir à l'école, pas seulement scolairement mais aussi pour aboutir à une bonne intégration. En effet, cette première épreuve de sociabilité si importante à l'équilibre de l'enfant se joue dans les cours des établissements scolaires. La quête des racines italiennes, de l'assise du pays d'origine est souvent un phénomène tardif, l'age aidant, le refoulement se fait moins vif. Nombre de témoins confieront en effet, hors enregistrement, que l'intérêt pour leur part d'italianité s'est fait à la retraite431, à l'issue d'une vie de labeur au sein du territoire français, d'une existence faite de contacts, voire d'une union maritale, avec des Français. Pierre Milza parle ainsi avec beaucoup de justesse de ce « besoin qu'ont les hommes de se sentir arrimés à quelque chose qui dépasse leur propre durée ". Maria confie qu'après avoir « prouvé " toute sa vie qu'elle était Française, elle pouvait, enfin être un peu Italienne432. Avec le développement, dès la fin des années cinquante, du tourisme de masse, beaucoup de migrants renouent avec leurs attaches italiennes par le biais de voyages sur la terre de leurs ancêtres.

430 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).

431 Un bon nombre des témoins nantais ont adhéré à la retraite au CO.AS.IT ou à l'association France-Italia. Carina Travostino appartient à l'association « La Dante Aglieri » ou elle apprend l'italien, les chants anciens italiens en chorale.

432 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).

Les récits évoqués tout au long de cette étude sont souvent des histoires familiales maintes fois répétées aux enfants et petits enfants433. Ce n'est cependant pas toujours le cas. Un des témoins rencontrés explique ainsi qu'il souhaite que ses petits enfants soient présents lors de notre entretien car c'est une part de son histoire que, jusqu'ici, il n'avait pas transmise à ses descendants. Il ne sera d'ailleurs pas le seul à me rencontrer en présence de membres de sa famille. Par ailleurs, au cours des entretiens, nombreux sont les témoins à demander une copie des enregistrements pour leurs descendants. Dès lors, il m'a semblé intéressant pour clore ce Mémoire, de faire une dernière étape consacrée à cette transmission de « l'identité ritale ». En effet, la mythification des origines italiennes est un phénomène particulièrement fort chez la troisième génération. WM m'explique que sa petite-fille est partie en Italie, dans le cadre du programme Erasmus, et étudie actuellement l'italien à l'université434. Il en est de même pour Laetitia, petite nièce de Carina Travostino-Corbeau435. Une des filles de Georges Leclair est aujourd'hui professeur d'italien. L'identité « ritale » semble donc aujourd'hui revendiquée par nombre de descendants italiens : ni Italiens ni tout à fait Français, ils sont une partie de cette France métisse et se disent souvent fiers de leurs origines transalpines :

« Je suis fier de mes racines italiennes. Le récit de réussite de nos aïeux, leurs souffrances nous ont permis à nous descendants d'immigrés italiens, de développer une fierté: la fiertéd'être Rital et d'avoir réussi en France envers et contre tout. Car moi je me considère comme Rital. Je dis bien Rital, ni Français ni Italien....Rital. »436.

Pour leurs petits enfants, l'appartenance italienne est, bien entendu, plus lointaine, mais elle n'est pourtant pas pour autant totalement absente de leur construction identitaire :

433 Laetitia TRAVOSTINO raconte ainsi en parlant de son grand père :

« Il me racontait des anecdotes sur la famille et, par conséquent, il en venait à parler de son père, des ses oncles et tantes ou de ses cousins italiens, que j'avais l'impression de commencer à connaître, bien que je ne les ai jamais rencontrés. Et ma curiosité grandissait. De la même façon, [...] la soeur de mon arrièregrand-père [...] m'a racontée des tonnes de choses depuis que je suis toute petite. [...] Pour mon plus grand bonheur, car elle m'a vraiment transmis le goût de l'Italie et l'envie de découvrir un peu mieux mes origines ».

Courrier de Laetitia TRAVOSTINO, descendante d'Italiens, mai 2010, Trieste.

434 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

435 « L'Erasmus à Trieste a aussi été une belle opportunité de pouvoir vivre en Italie sur une période assez longue et donc de m'immerger complètement dans l'atmosphère du pays ». Courrier de Laetitia TRAVOSTINO, Op. Cit.

436 L. GARINO, interview pour Ouest France, Jeudi 2 Mars 2006.

« Dire que j'ai une origine italienne, c'est une fierté ! Des fois, on me parle de mon nom italien mais ça n'est pas négatif »437.

« Pour être franche, je me sens à 99% française (étant née et ayant vécu toute ma vie en France), mais ce petit pourcent d'italianité qui est en moi compte énormément! Je suis fière d'avoir des origines italiennes car l'Italie est un pays magnifique et très riche culturellement. »438.

Finalement, s'il est intéressant de s'interroger sur le sentiment d'appartenance des enfants d'immigrés italiens à leur pays d'accueil, on ne peut pas nécessairement apporter de véritables réponses à cette problématique complexe. Ils sont les produits hybrides de cette société de mélange qu'est la France. Laissons ici la parole à Mario Merlo qui a particulièrement clairement exprimé ce sentiment d'avoir un pied de chaque côté des Alpes :

« Je ne me suis jamais senti Français ni Italien. Je suis les deux ! Mon pays, il va de Lille à Palerme. [...] Je prends ce que je trouve meilleur [...] Je suis des deux cultures [...] Je ne me sens pas installé quelque part. Quand je suis là-bas, on me traite de Français, quand je suis ici, on me traite d'Italien : c'est le métissage, quoi ! »439.

Le « combat d'identité » apparaît, à l'issue de cette étude, un important souci de l'enfance pour de nombreux témoins, leur vie d'adulte étant, idéalement, une mosaïque constituée d'une multitude d'identités assumées. Pierre Milza exprime ainsi avec acuité, mêlant son talent d'écrivain, sa justesse d'historien et la profondeur de l'expression de ses sentiments d'Homme, sa découverte de lui-même :

437 Le petit fils du témoin lors de l'entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

438 Courrier de Laetitia TRAVOSTINO, descendante d'Italiens, mai 2010, Trieste.

439- Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

- Laurent Garino fait aussi état de cette volonté de redécouverte de ses racines italiennes, cependant, pour lui ces recherches sont révélatrices d'un certain malaise qu'il explique ainsi :

« Moitié Français, moitié Italien, on a le cul entre deux chaises et on ne sait plus sur quel pied danser [...] Nous renouons avec nos racines italiennes en réponse à un sentiment de spoliation ».

L. GARINO, La charrette à bras, Histoire des Italiens de Saumur, Laval, 2006 (p. 208).

« Pour ma part, après avoir été tricolorisé jusqu'au bout des ongles par ma famille maternelle, puis par l'école de la République et les scouts de France, je suis parti en quête d'une autre identité [...] celle d'un pays dont l'exotisme (tout relatif) satisfait ma soif adolescente de distinction. J'ai ainsi nourri une différence fabriquée, faite d'emprunts à ce qu'il pouvait y avoir de valorisant dans l'histoire et dans la culture de mes deux patries, de mes deux familles et gommant le reste, sans être tout à fait dupe de l'entreprise. [...] J'ai au moins appris une chose au cours de ce long voyage : c'est que je n'avais pas, je ne pouvais pas avoir d'enracinement unique, définitif. Des fidélités, sans doute, des racines, si l'on veut, mais que je porte avec moi quand je change d'horizon, comme ces peuples de nomades qui se déplacent avec les images de leurs dieux dans leurs bagages »440.

440 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 500).

CONCLUSION

A la lumière des éléments expliqués au cours de ces recherches, on a vu de quelle façon l'expérience migratoire des parents italiens, et les raisons de ce départ, marquent la scolarité de leurs enfants. Le milieu familial, comme d'ailleurs pour les écoliers français, influence, lui aussi, le temps passé à l'école, nous avons pu voir en quelle mesure. Cependant, il va de soi que le milieu d'accueil - l'école pour ce qui concerne notre sujet - prodigue également des environnements plus ou moins propices à l'intégration. Cette phase de notre étude a été l'occasion d'éclairer un aspect intéressant de notre sujet : les heurts xénophobes qui, nous l'avons vu, ne sont pas présents dans tous les établissements, ont parfois existé au sein des écoles, chocs éprouvés de façons diverses et qui entraîneront autant de chemins de vie. Premier révélateur de la différence du « petit rital " et de ses congénères français, le milieu scolaire a pu être le lieu privilégié de l'intégration mais aussi celui où naît une réaction à la volonté manifeste de « franciser ". Se développe alors un sentiment «de « ritalité » qui, la plupart du temps, n'est pas en contradiction avec une bonne intégration dans le creuset français.

Finalement la réponse aux questions sur l'identité de nos témoins réside souvent dans le développement d'un sentiment de « francitalité " exprimé par les Français d'origine italienne. Cependant, outre leur caractère subjectif, il nous faut rappeler l'aspect sélectif des évènements racontés, en effet, « la mémoire est aussi menteuse que l'imagination, et bien plus dangereuse, avec ses petits airs studieux ". Ce qu'exprime ici Françoise Sagan nous pourrions l'appliquer à chaque témoignage livré a posteriori. Nous nous trouvons là, face à des témoins dont la mémoire modifie le souvenir exact, parfois même efface les faits les plus douloureux ou les moins valorisants. La xénophobie est présente parfois dans les écoles françaises, cependant, elle est peut-être exagérée ou, au contraire, minorée par l'adulte narrant son enfance. De méme, les difficultés de l'élève comme ses réussites sont parfois modifiées par la mémoire « sélective " des témoins. Dresser un bilan de ces recherches est donc une tâche pour le moins délicate. On l'a vu, le sentiment d'intégration provoqué ou non par l'école, subit également les influences liées à l'implication familiale, à l'établissement d'accueil, aux rencontres de nos témoins avec leurs professeurs, etc. Il en va d'ailleurs de même pour les enfants issus d'un mariage endogène français.

En revanche, on peut désormais établir quelques traits qui distinguent la scolarisation des enfants d'origine transalpine et celles de leurs homologues français. Ces caractéristiques sont à verser essentiellement « au détriment " des Italiens dont les handicaps de départ, en ce qui concerne le domaine scolaire, sont parfois lourds : difficultés à s'exprimer en français mais aussi pour trouver l'adéquation nécessaire à l'équilibre de tout un chacun, ce mixte rassurant entre la culture familiale et l'intégration à la société.

Aujourd'hui, la question de l'intégration des migrants fait quotidiennement les grands titres de la presse française et se situe au coeur de l'actualité, au centre des débats politiques, citoyens, et philosophiques. Or, le pourcentage d'écoliers issus de l'immigration à l'Ecole primaire n'est pas supérieur aujourd'hui à ce qu'il était dans les années 1930-1940 (il se situe toujours entre 8 et 10% de l'ensemble des élèves de l'Hexagone)441. L'immigration italienne est à ce jour la plus longue qu'ait connue la France, elle est définie, par les historiens qui l'étudient, comme un objet d'histoire fermé. Pierre Milza souligne la récurrence des discours sur l'idée qu'une « mauvaise immigration " trop éloignée du modèle français se serait substituée à la « bonne immigration " constituée par les Italiens, les Espagnols et les Portugais. En cela, il est particulièrement important de rappeler que l'insertion des Transalpins ne s'est pas faite, nous l'avons vu, sans douleur442.

Nous retrouvons, dans les informations récoltées au cours de ces derniers mois de labeur, des questionnements précédemment émis dans le Dossier d'Initiation à la Recherche : l'Ecole at-elle pour fonction d'assimiler les élèves ou bien de les intégrer en leur permettant de garder leurs différences culturelles ? A plusieurs reprises, nous avons évoqué l'idéologie républicaine de l'homogénéité nationale de l'Institution scolaire, la question se pose donc de déterminer si ce concept fait de l'Ecole une institution liberticide ou bien s'il offre un repère clair d'intégration, facile à identifier et donc à adopter ? Ces problématiques sont récurrentes, il me paraît indispensable de les évoquer sans pour autant entrer dans une analyse qui, aussi digne d'intérêt soit-elle, relève davantage du journalisme, de l'essai ou de l'exercice politique que de l'Histoire.

441 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004 (p. 251).

442 Pierre Milza analyse, en 1993, son observation de la panne du creuset français de la façon suivante : « Crise de l'institution scolaire qui remplissait moins bien sa fonction assimilatrice. Crise du modèle culturel produit par l'école et dont s'est nourrie, pendant plus d'un siècle, une identité nationale aisément adoptée par les enfants d'immigrés. Crise des réseaux associatifs classiques, particulièrement des organisations de jeunesse qui avaient fortement concouru à la diffusion de ce modèle. Crise d'une culture ouvrière ayant fourni aux migrants et à leur descendance directe, majoritairement employés aux mêmes tâches, un système de valeurs aujourd'hui fortement érodé. Dépérissement enfin du travail industriel, lequel avait continûment permis aux hôtes nouveaux de s'intégrer au corps social et de franchir les premières étapes d'un parcours plus ou moins long, plus ou moins difficile, mais non complètement fermé ».

P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 466 à 469).

DOCUMENTS ANNEXES

> Chronologie :

Annexe n° 1

Chronologie générale de l'immigration italienne, de la situation juridique des candidats italiens à l' émigration.et des réformes sur l'école en France :

1799 : République napolitaine et premiers exilés politiques.

1816 : Création d'un brevet de capacité à trois degrés, premier diplôme officiel exigé des instituteurs.

1833 : Loi Guizot : naissance d'un véritable enseignement primaire public. Une école normale par département, une école primaire supérieure dans chaque commune de plus de 6 000 habitants, une école primaire publique par commune.

1848 : première fuite en masse de la Lombardie après l'insurrection milanaise.

1850 : Loi Falloux sur l'instruction primaire, visant à renforcer le contrôle de l'Eglise catholique sur l'Ecole. Les communes de plus de 800 habitants doivent ouvrir une école de filles.

1867 : Loi Duruy : les communes sont autorisées à percevoir un impôt pour instaurer la gratuité de leurs écoles primaires publiques ; l'obligation d'ouvrir une école de filles est étendue à toutes les communes de plus de 500 habitants.

1878 : Création de la Caisse des écoles facilitant le financement des constructions scolaires. 1879 : Jules Ferry ministre de l'Instruction publique.

Loi Paul Bert sur la création des écoles normales d'institutrices.

1881 : Loi Ferry instaurant la gratuité de l'école primaire publique.

1882 : Loi Ferry instaurant l'obligation de l'enseignement élémentaire et la laïcisation des programmes des écoles publiques. Création de la Commission d'hygiène des écoles chargée « d'étudier les questions relatives soit au mobilier scolaire, soit au matériel d'enseignement, soit aux méthodes et aux procédés d'instruction dans leurs rapports avec l'hygiène ».

1886 : Loi Goblet fixant l'organisation générale de l'école primaire. Laïcisation du personnel des écoles publiques.

1887 : Monseigneur Scalabrini fonde la Congrégation des missionnaires de San Carlo pour les émigrants.

Une première loi en 1888 établit les rapports entre émigrants et entrepreneurs de transports. Elle déclare libre l'émigration des personnes.

1889 : Les maîtres des écoles publiques deviennent fonctionnaires de l'Etat.

1893 : massacre d'Aigues Mortes.

1901 : loi Luzzati sur l'émigration.

Institution du Commissariat Général de l'immigration (CGE) (article 7 de la Loi de 1901) En 1901 un Conseil de l'Emigration et un Commissariat Général sont créés en Italie.

1904 : La loi Combes interdit à tous les congréganistes d'enseigner (c'est-à-dire aux hommes et femmes faisant partie d'une congrégation religieuse).

1905 : Loi de séparation des Eglises et de l'Etat.

1908 : premier congrès des Italiens de l'étranger

1910 : le commissariat général de l'émigration devient une partie du Ministère des affaires étrangères.

En 1911, le gouvernement italien crée à Milan un Office d'émigration.

1915 : avec la guerre, on oblige les émigrants italiens à avoir un passeport.

2 avril 1917 : Un décret institue pour la première fois une carte de séjour pour les étrangers de plus de 15 ans résidant en France.

1919 : Le « test unique » met des restrictions à la liberté d'émigrer, l'Italie commence à filtrer le départ de ses ouvriers qualifiés et le fascisme entend bien que ceux qui partent pour la France ne soient pas perdus pour la patrie.

Le traité franco-italien de 1919 reprend certaines dispositions de la loi de 1904. Il établit l'égalité dans les domaines des traitements entre Italiens et Français et évoque les salaires, les assurances sociales, l'hygiène et la sécurité des travailleurs.

En 1922, la ligue pour la défense des intéréts nationaux, émue par le chômage, ne voit qu'une solution à ce problème : favoriser l'émigration afin de combattre la crise de la main-d'oeuvre. L'Italie considère l'émigration comme un exutoire nécessaire, une contribution à l'enrichissement du pays par l'épargne de ses émigrants.

1923 : Le ministre Paul Lapie met en place une réforme des programmes : la morale est réduite et jumelée à l'instruction civique.

1924 : Première conférence nationale et internationale sur l'émigration.

1924 : Organisation du recrutement à travers la Société générale d'immigration (organismes patronaux).

En 1924 toujours, la conférence Internationale de l'Emigration, tenue à Rome, a essayé d'élaborer une formule qui soit admise par tous les pays.

Des mesures sont prises en 1924 par le « Quota Act » aux Etats Unis pour tenter de freiner l'immigration. Ceci prive l'Italie du plus important marché de travail. De plus, la crise économique dans les années vingt en Amérique du Sud réduit considérablement la migration italienne.

Globalement, entre 1920 et 1924, 900 000 Italiens émigrent. Bien que les motivations aient des origines différentes mais concomitantes, le pays connaît un accroissement notable de la population. Un accroissement de 13 millions d'habitants en 55 ans pose un problème alimentaire dans la Péninsule.

1927 : Vote d'une loi permettant l'extradition (procédure selon laquelle l'Etat livre une personne appréhendée sur son territoire à l'Etat requérant qui la réclame pour exercer contre elle des poursuites pénales ou lui faire exécuter une peine).

Loi visant à rendre plus aisées et plus efficaces les mesures de 1889 : l'enfant, s'il est né en France n'a plus de possibilité de choix s'il est de mère française ou de parents étrangers nés en France, il est nécessairement français.

« Il peut, si ses parents sont étrangers nés hors du territoire, choisir à la majorité de garder la nationalité de ces parents. Pour les étrangers immigrés, le grand changement est la réduction de 10 à 3 ans du temps de résidence obligatoire avant la demande de naturalisation ».

En 1927, on assiste à un changement complet en Italie, dans la façon d'envisager le problème de l'émigration. Au mois de mai, Mussolini la condamne. Il prend des mesures restrictives pour freiner le départ des candidats. Il ne peut, cependant, geler de façon totale les départs vers la France. L'intention du gouvernement est d'accroître les forces productives de l'Italie, de restreindre l'émigration au minimum, et d'utiliser au maximum à l'intérieur les travailleurs qui veulent partir à l'étranger.

Le Commissariat Général de l'Emigration est donc supprimé en 1927.

Par ailleurs, la méme année, en France la loi d'aoüt 1927 pousse l'immigré à associer installation et francisation. Il va sans dire que les habitudes traditionnelles de migrations pendulaires, de vaet-vient constant entre l'Italie et la France depuis plus d'un siècle sont ainsi remises en cause. Pour obtenir un passeport ou une autorisation de sortie d'Italie, l'aspirant à l'émigration doit solliciter un certificat, appelé « Nulla Osta » précisant sa situation civile, pénale et militaire. Souvent, les autorités locales se servent de cette obligation pour retarder sinon empêcher toute initiative de départ, ou comme d'un moyen de pression.

Au travers des autorités consulaires, les faisceaux veillent à la protection des travailleurs italiens, pour que ceux-ci restent attachés à leur patrie.

En plus du travail des fonctionnaires gouvernementaux, l'oeuvre « Bonomelli », à tendance catholique, compte un grand nombre de missionnaires qui proposent une assistance religieuse, matérielle et morale aux émigrants. Des prêtres suivent des cours spéciaux pour apprendre leurs devoirs vis à vis des émigrés ; leur but est d'entretenir chez eux l'amour de la terre natale. Ainsi, la religion elle-même lutte contre l'assimilation et la dénationalisation des Italiens à l'étranger.

A Nice, cette organisation possède un secrétariat qui organise des rencontres entre Italiens, mais il est dissout en 1928.

La frontière entre l'Italie et la France est provisoirement ré ouverte ce qui permet à un dernier contingent de migrants de traverser les Alpes vers la voisine française.

1927 : le CGE est transformé par Mussolini en « Direction Générale des Italiens à l'étranger ». 1929 : nouvelle loi sur les quotas approuvée par les Etats-Unis.

1930 : la gratuité, jusqu'alors réservée à l'enseignement primaire, est étendue aux sixièmes. Après 1930, le régime fasciste fait obstacle à l'émigration. Au méme moment, la France, plongée dans la guerre, a besoin du concours d'une main d'oeuvre complémentaire pour sa reconstruction. 1931 : la crise économique internationale frappe la France, des dispositions sont prises pour ralentir l'entrée des travailleurs étrangers.

10 août 1932 : Une nouvelle loi accorde priorité du travail à l'ouvrier français dans l'industrie en instaurant des quotas d'ouvriers étrangers dans les entreprises.

1933 : La gratuité, jusqu'alors réservée à l'enseignement primaire et aux sixièmes est étendue à tout le secondaire.

Avril 1933 : La loi Armbruster limite l'exercice de la médecine aux titulaires français de doctorats de médecine.

1934 : Une aide au rapatriement des ouvriers volontaires est décidée

Juin 1934 : Le Parlement français fait voter une loi interdisant aux français naturalisés l'inscription au barreau pendant une durée de 10 ans.

1935 : Des retours forcés sont organisés (ils concerneront surtout les ressortissants polonais). 1936 : Le Front Populaire représente un intermède libéral, plus par l'interprétation de textes précédemment votés, et par la façon de les mettre en oeuvre que par l'adoption d'une législation nouvelle.

L'obligation scolaire est portée de 13 à 14 ans, à l'initiative de Jean Zay, ministre du Front Populaire, cette mesure conduit ainsi à aménager des classes de fin d'études et permet l'ouverture des centres d'apprentissage. Ainsi l'école garde plus longtemps aussi les élèves destinés au travail manuel.

Les circulaires Jean Zay de 1936 et 1937 interdisent toute forme de propagande (politique, confessionnelle) et tout prosélytisme à l'école.

En 1937, Jean Zay uniformise les programmes du premier cycle des lycées et ceux des E.P.S (c'est le premier pas sur la voie d'une école moyenne).

De nouvelles Instructions sur les constructions et le mobilier scolaires sont publiées : la classe type est désormais prévue pour quarante élèves et le pupitre individuel est recommandé. novembre 1938 : l'Italie revendique la Savoie, Nice, la Corse et Djibouti.

1937-1939 : Mesures restrictives et libérales se conjuguent : ainsi un simple arrété ou l'accord de l'inspecteur du travail suffisent pour qu'une entreprise obtienne une dérogation aux quotas d'emploi d'étrangers, les naturalisations sont favorisées à l'approche de la guerre.

1940 : Après la loi mettant tous les Juifs au ban de la société, la loi du 4 octobre 1940 sur "les ressortissants étrangers de race juive" permet d'interner ceux-ci dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence". La loi du 27 septembre 1940 concernant les autres étrangers non juifs, règle le sort des "étrangers en surnombre dans l'économie nationale" : l'étranger est soumis à une surveillance étroite et n'a plus le droit de libre circulation sur le territoire et ne bénéficie pas de la législation du travail.

3 septembre 1940 : Abrogation de la loi interdisant aux congréganistes d'enseigner.

18 septembre 1940 : Le gouvernement supprime les écoles normales d'instituteurs, trop républicaines. Les instituteurs doivent désormais obtenir le baccalauréat.

15 octobre 1940 : Les syndicats enseignants sont supprimés

6 décembre 1940 : Les devoirs envers Dieu sont explicitement rétablis dans les programmes primaires.

1940-1946 : avec l'entrée de l'Italie dans la deuxième guerre mondiale, les émigrants qui partent vers les pays alliés sont déclarés étrangers ennemis et parfois enfermés dans des camps d'internement en Italie.

1941 : Le ministre Carcopino transforme les Écoles primaires supérieures en collèges modernes et les Écoles pratiques de commerce et d'industrie en collèges techniques.

2 novembre 1941 : A la demande de l'épiscopat, une subvention de quatre cent millions de francs au profit des écoles privées est inscrite au budget du ministère de l'Intérieur.

17 avril 1945 : Une ordonnance du général De Gaulle abroge la législation scolaire de Vichy. 2 novembre 1945 : Vote de l'ordonnance sur l'entrée et le séjour des étrangers en France.

Création de l'ONI (Office National d'Immigration) qui donne à l'Etat le monopole de l'introduction de la main d'oeuvre étrangère dans le pays.

Trois cartes de séjour sont instaurées (1, 3 et 10 ans).

L'immigration des familles est favorisée dans une optique démographique.

Suppression des classes élémentaires payantes dans les lycées et les collèges. La disparition effective de cette filière destinée aux milieux aisés n'interviendra pas avant les années 1960.

22 février 1946 : Un accord prévoit le recrutement de 20 000 ouvriers italiens en directions des mines françaises.

21 mars 1947 : Un accord de main d'oeuvre est signé à Rome, il inaugure un dispositif dérogatoire au regard du traitement réservé aux autres étrangers.

1947 : Création du brevet d'études du premier cycle du second degré (BEPC) qui se substitue au brevet élémentaire qui permettait d'accéder aux postes de bases dans l'administration.

5 mai 1948 : Les décrets Poinsot-Chapuis permettent l'attribution de fonds publics aux écoles privées.

Novembre 1948 : suppression du visa consulaire pour les Italiens séjournant en France moins de trois mois.

28 septembre 1951 : La loi Barrangé accorde des bourses et des subventions à l'enseignement privé (le 9 novembre, une grève réunira 80% des instituteurs du pays à manifester contre cette réforme).

1er janvier 1958 : Entrée en vigueur du traité de Rome qui instaure le principe de libre circulation.

L'immigration s'accélère avec la décolonisation et la modernisation de l'appareil productif conduit à remplacer la main-d'oeuvre qualifiée par des ouvriers effectuant un travail parcellisé avec une productivité accrue.

? Tableaux :

(Annexes 2, 3 et 4 : réalisées d'après les données du site de l'ISTAT (Sommario di statistiche storiche italiane)).

Annexe n° 2
Immigration italienne dans le monde

monde entier en milliers

1876

- 1879

1 163 000

1880

- 1889

1 783 000

1890

- 1899

2 698 000

1900

- 1909

5 728 000

1910

- 1919

3 836 000

1920

- 1929

301 000

1930

- 1939

931 000

1940

- 1949

996 000

Annexe n° 3
Immigration italienne vers les pays européens

 

Vers les pays européens en milliers

 

1876

- 1879

25

000

1880

- 1889

97

000

1890

- 1899

135

000

1900

- 1909

328

000

1910

- 1919

213

000

1920

- 1929

148

000

1930

- 1939

28

000

Annexe n° 4
Immigration italienne en France

Années :

Italiens de France

1916

- 1925

998

642

1926

- 1935

532

383

1936

- 1945

47

045

1946

- 1950

192

039

1951

- 1960

592

492

1961

- 1970

206

687

1971

- 1980

61

355

1981

- 1990

43

685

Annexe n° 5
Les ministres français en charge des questions scolaires du 8 novembre 1934 au 1er février 1956

(D'après Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Marie-Odile MERGNAC, Caroline GOROSCIO-BRANCQ et Delphine VILRET, 2008, Paris - p. 44 et p. 48).

Nom du ministre et titre

Début

Fin

MALLARME André Victor
Ministre de l'Education Nationale

8 novembre 1934

31 mai 1935

ROUSTAN Marius, François, Pierre (dit
Mario)
Ministre de l'Education Nationale

1er juin 1935

6 juin 1935

MARCCOMBES Marie Jean Philippe
Ministre de l'Education Nationale

7 juin 1935

16 juin 1935.

ROUSTAN Marius, François, Pierre (dit
Mario)
Ministre de l'Education Nationale

17 juin 1935

23 janvier 1936.

GUERNUT Henri
Ministre de l'Education Nationale

24 janvier 1936

4 juin 1936

ZAY Jean Elie Paul
Ministre de l'Education Nationale

4 juin 1936

10 septembre 1939

DELBOS Yvon
Ministre de l'Education Nationale

13 septembre 1939

20 mars 1940

SARRAUT Albert Pierre
Ministre de l'Education Nationale

21 mars 1940

5 juin 1940

DELBOS Yvon
Ministre de l'Education Nationale

5 juin 1940

16 juin 1940

RIVAUD Georges
Ministre de l'Education Nationale

16 juin 1940

12 juillet 1940.

MIREAUX Emile Bernard
Secrétaire d'Etat de l'Instruction publique
et des Beaux-Arts

12 juillet 1940

6 septembre 1940

RIPERT Georges
Secrétaire d'Etat Instruction publique et
Jeunesse

6 septembre

13 décembre 1940

CHEVALIER Jacques
Ministre de l'Education nationale

13 décembre 1940

23 février 1941

Jérôme Carcopino
Secrétaire d'État à l'Education Nationale

25 février 1941

18 avril 1942

BONNARD Abel
Ministre et secrétaire d'État de l'Education
nationale et de la Jeunesse

18 avril 1942

20 août 1944

CAPITANT René
Ministre de l'Education nationale

20 août 1944

21 novembre 1945

GIACOBBI Paul Joseph Marie
Ministre de l'Education nationale

21 novembre 1945

26 janvier 1946

NAEGELEN Marcel-Edmond Naegelen
Ministre de l'Education nationale

26 janvier 1946

13 octobre 1946

NAEGELEN Marcel-Edmond
Ministre de l'Education nationale

13 octobre 1946

12 février 1948

DEPREUX Édouard
Ministre de l'Education nationale

12 février 1948

26 juillet 1948

DELBOS Yvon
Ministre de l'Education nationale

26 juillet 1948

5 septembre 1948

REVILLON Tony
Ministre de l'Education nationale

5 septembre 1948

11 septembre 1948

DELBOS Yvon
Ministre de l'Education nationale

11 septembre 1948

2 juillet 1950

MORICE André
Ministre de l'Education nationale

2 juillet 1950

12 juillet 1950

LAPIE Pierre-Olivier
Ministre de l'Education nationale

12 juillet 1950

11 août 1952

MARIE André
Ministre de l'Education nationale

11 août 1952

19 juin 1954

BERTHOUIN Jean
Ministre de l'Education nationale

19 juin 1954

1er février 1956

? Carte :

Annexe no 6
Les régions italiennes
(Fond de carte de l'Italie complété à l'aide Grand Atlas du Monde, Paris, 1999, 370 p.)

> Documents « scolaires » :

- Extraits de rédactions de la revue scolaire « Joyeux écoliers »

(Journal mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC, instituteur de l'école Poincaré de Villerupt, n° 36, mois de janvier et février 1954).

(On remarque le grand nombre de patronymes italiens dans les petits récits des enfants de Villerupt. Par ailleurs, ces sources illustrent bien l'organisation de « classes promenades » de la part des instituteurs).

Annexe n° 7

Une bataille

Jeudi, nous sommes allés au plateau de la gare dans une vieille caisse à mine abandonnée qu'on appelle « la maison mystérieuse ». Nous y avons organisé une bataille.

Munie de perches, mon équipe occupait la maison et l'équipe adversaire était à l'extérieur. La bataille commença. Nous sortîmes de notre forteresse et fîmes reculer l'ennemi. Avec énergie, nos assiégeants avancèrent, prirent d'assaut le château et nous nous rendîmes, car nous étions encerclés.

BURINI Jean 12 ans 1/2
Equipe des Cerfs.

Annexe n° 8

Aux pissenlits

Le jeudi 25 mars, avec notre maître et quelques camarades, nous sommes allés aux pissenlits à Rédange. Nous passons devant l'agglomération, le concasseur en construction, le crassier de Micheville, et enfin, nous arrivons dans un immense pré. On se disperse.

Sibilia me donne ceux qu'il cueille. Marinelli part seul en nous disant : « ce sont des vieux, moi, je vais en chercher des blancs ». Il s'en va en fouillant dans les taupinières. La cueillette finie nous nous coupons des bâtons et nous retournons. En passant devant le crassier, nous regardons déverser des poches de crasse. Nous descendons heureux de pouvoir manger gratuitement une bonne salade de pissenlits.

COLOMBO Gérard 10 ans 1/2
Equipe des Panthères.

Annexe n° 9

Une promenade

Un jeudi qu'il faisait beau, je suis monté avec Burini me promener au bois de Cantebonne. A ce moment, Rizzo sortait du cimetière. Il nous dit :

- Où allez-vous ?

- Nous promener près du terrain de foot ball.

- Attendez, je viens avec vous. Je vais avertir maman qui est sur la tombe de mon grand père. Nous montons tout doucement en attendant notre camarade. Enfin, il nous rejoint. Nous rentrons dans le bois et nous nous coupons des baguettes, puis nous allons au stade. Piérini y était avec son père/ ensuite, nous aurions voulu aller chez Margaroli, mais il était trop tard. Nous sommes redescendus par la rue du Loque, contents de cette promenade ensoleillée.

MONACELLI Jean-Claude 12 ans
Et RIZZO Robert 14 ans 1/2
Equipe des Cerfs.

Annexe n° 10

Un feu

Un jour, deux camarades et moi nous sommes partis au moulin de Tiercelet, faire un feu. Nos avons commencé à faire un foyer en pierres et nous sommes allés chercher des brindilles et du bois. Nous avons allumé le feu.

Les flammes montaient vers le ciel, puis le feu s'éteignit. Mon camarade Dignasio qui voulait se reposer s'assit sur une pierre du foyer qui était encore chaude. Tout à coup je l'entendis hurler comme un fou. Je lui demandai ce qu'il avait, il me répondit : « Mi sono bruciato una cocia » (Je me suis brûlé une cuisse). Et nous repartîmes à la maison.

LICITAR Robert 13 ans 1/2
Equipe des Renards.

- Bulletin météo de la revue scolaire « Joyeux écoliers »

(Journal mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC, instituteur de l'école Poincaré de
Villerupt, n° 36, mois de janvier et février 1954).

Annexe no 11

METEO

Février 1954 : Mars 1954 :

Minimum : - 14° Minimum : - 3°

Maximum : 11° Maximum : 19°

Moyenne mensuelle : 2, 3° Moyenne mensuelle : 8, 7°

Pluie 37, 8 mm en 13 jours. Pluie 48, 3 mm en 15 jours.

13 jours de gelée. 2 jours de gelée.

5 chutes de neige. 1 chute de neige.

- Linos de couvertures des revues scolaires « Joyeux écoliers »

(Journal mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC, instituteur de l'école Poincaré de
Villerupt, n° 36, mois de janvier et février 1954).

Annexe n° 12

Annexe n° 13

> Entretien libre de recherche mené par Federica STORTONI avec un Français

d'origine italienne (deuxième génération) de mère et père italiens des Abruzzes.

Annexe n° 14

(Dans STORTONI (Federica), Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... ».

Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie) sous la direction du professeur NATHAN (Tobie) et du professeur CHATTAH (Rabih), Université de Paris 8 Vincennes - Saint Denis, (UFR7/Psychologie, pratiques cliniques et sociales) et université de Bologne (département de Psychologie clinique), soutenance le 16 juillet 2007).

(Lieu de l'entretien : sur la terrasse de la maison du témoin en banlieue parisienne.)

« F. S. : je fais une thèse en psychologie sur les descendants d'Italiens et je m'intéresse à ce qu'est être un Français d'origine italienne. Je m'intéresse aux choses qui restent, qui disparaissent, qui se transmettent, qui se mélangent, qui ne se mélangent pas sur plusieurs générations. Voilà le point de départ de notre dialogue mais tu peux à partir de cette piste, me

raconter ce que tu veux...

Bruno : Oui, je commence par mes parents... Je parle français ou en italien ?

F. S. : comme tu préfères.

B : oui, alors, mes parents venaient avec leurs parents, mes grands parents en France dans les années 20-30. Ma mère est venue en France, elle avait huit ans. Du côté de mon père qui vient d'un petit village à la frontière avec le Molise, c'est un petit village de 900 mètres d'altitude.

Son père a commencé à migrer aux Etats-Unis au début du siècle, pour des raisons économiques, et il avait amené ses deux fils aînés, il y est resté cinq ans. Un a fait souche là-bas, et c'est comme ça que j'ai des cousins à Boston ; et par contre le deuxième fils s'est engagé à 17 ans dans l'armée américaine, il est venu en Europe, il a pris les gaz en 14-18 et il est mort jeune, de ça. Il n'a pas eu d'enfants. L'aîné est resté en Amérique et le grand-père est rentré en Italie. Et ensuite il vient en France et là, il amené mon père la première fois. La grand-mère était restée au village pendant tout ce temps. Il est mort en France, mon grand-père.

F. S. : Il est enterré où ?

B : Il est enterré ici, en France. Pour l'anecdote, mon grand-père aux Etats-Unis envoyait des dollars, et disait à sa femme : « nourris bien les enfants, envoie-les à l'école » et elle ne faisait rien de tout ça, elle mettait de côté l'argent à la Caisse d'épargne, « cassa di Risparmio ». Après ça s'est révélé, comme on le sait, aller dans les poches des industriels du Nord, c'est l'analyse de Gramsci... mais bon ! Lorsque mon père est rentré d'Amérique, lui et la grand-mère se sont disputés pour cela. Mon grand-père ici en France a construit une « palazzina », un petit immeuble, à Drancy (avec cet argent qui restait) et ils étaient à un étage et les enfants dans les autres étages.

F. S. : la grand-mère, elle, voulait construire la maison avec l'argent et le grand--père aurait voulu envoyer les enfants à l'école.

B : Oui, ce qui était rare à l'époque pour un homme du Sud, c'est que mon grand-père était un socialiste (maçon), un pur et dur et donc, il avait de la présence, un esprit indépendant, il avait des idées progressistes.

F. S. : Et ils avaient une maison au village ?

B : oui.

F. S. : Ils repartaient au village l'été ?

B : Non, à l'époque on ne partait pas en vacances, ça n'existait pas. Du côté de ma mère, le grand-père était très petit, (il faisait un mètre quarante-neuf), il est allé avec son frère, mon oncle, en Angleterre. Ils tenaient un petit café en banlieue, et il y a eu une bagarre un soir, et ils ont été expulsés. Après ils faisaient des allers et retours entre la France et l'Italie, ils travaillaient, ils achetaient du terrain là-bas, ils se rendettaient et ils partaient en France pour faire un peu d'argent (comme maçons). Et, à ce moment là, ma mère est venue (en 1925), mais ils ne s'installaient pas, jusqu'en 1939. Ils venaient à l'origine de la Ciociaria, d'ailleurs ce nom de famille vient de cette partie de la région. Alors les deux familles étaient de deux régions différentes : l'Etat pontifical, et le règne de Naples. Mon grand-père a fait 5 enfants (une seule fille) et mon père était le dernier. Ma grand- mère a fait 6 enfants (3 filles, 3 garçons). Tout le monde est ici, sauf la famille de Boston. Mon grand-père maternel et la grand-mère sont retournés au pays et après sont décédés là-bas. Mes parents se sont connus en France, en 36, à la Villette. Ils étaient voisins, se sont mariés en 36 et en 39, à l'approche de la guerre, ils sont retournés en Italie. Mon père était philo-faciste. Mussolini disait aux Italiens de rentrer, il leur promettait des choses, et mon père a suivi. Ça lui a coûté 15 jours de prison parce que le régime disait bien : retournez en Italie, mais là d'où vous êtes originaire. Comme il n'y avait pas de travail au village, mon père a essayé de partir à Rome, mais il s'est fait arrêter, après en Grèce, en Albanie. Les oncles et les tantes, une partie est restée en France pendant la guerre, mais mon père lui, voulait retourner en Italie. Il est resté le seul de la famille très italien, il n'a pas cherché à se naturaliser. Jamais. Après ils sont revenus en France mais, ma tante, par exemple, est venue en France en 1920, elle est morte en 1980 ici. Elle n'a jamais remis les pieds au village. Pour elle, dans sa tête, c'était un pays de la faim, de la misère. Elle a transmis ça à ses enfants qui sont restés ici, mariés à de non italiens. Les autres de la famille ont gardé quelques liens avec le village. Tout le monde était de gauche, sauf mon père qui a un certain moment a été séduit par le régime fasciste parce que comme il m'a expliqué : « nous Italiens à la fin des années 30, on relevait la tête... On était maltraités par les Français ». A la Villette à l'époque il y avait les réfugiés politiques qui venaient d'Italie et mon père se battait un peu, il y avait une vraie guerre dans la même communauté italienne. Tu avais les immigrés réfugiés politiques et les autres philofascistes qui espéraient quelque chose. Il faut voir aussi dans quelles conditions ils vivaient à la ville, ils étaient dans des baraques en planches, on appelait ça « la zone ». Pendant la guerre, il y avait les petits fascistes italiens en uniforme et les autres, mais cela ne se passait que dans la communauté italienne, ils allaient embêter les autres Italiens. Jamais ils se seraient permis d'aller embêter les Français. D'ailleurs il y a eu des règlements de comptes entre Italiens dans les années 45. La guerre a été dure pour tout le monde, mon père était prisonnier en Grèce. Et ma mère, en Italie, était sur le front, la ligne Gustave, à Montecassino. Les allemands déplaçaient les populations civiles qui allaient au Nord, ma mère avait deux filles et un fils qui est mort avant moi, elles ont été amenées en camion dans le Nord. Le voyage a duré deux mois, c'était très dur, il y avait les bombardements. Et ma mère, quand elle est arrivée, elle ne tenait plus. Ils ont été très bien accueillis chez les paysans du nord, riches. Ma mère s'est refaite une santé et ma deuxième soeur est restée, jusqu'en 47 là-bas, et on voulait la garder, elle. Elle est toujours restée très liée à cette famille. Elle a vu mon père en 47, elle ne le connaissait pas. Elle parlait l'italien très bien, elle était la seule, elle appelait mon père : Monsieur. Elle est née en 39, mon père est parti en 40 à la guerre. Ma soeur qui était très courtisée par les gens du village, s'est mariée avec un Padovano, du nord qui l'a connue en France. Donc mes parents et les enfants sont venus à Paris, et moi je suis né ici, en France. Bruno, c'est mon prénom, était le chef de famille de cette famille du Nord, d'ailleurs. Avant moi, il y avait un frère qui est mort petit, et ça c'était un drame. Il, Bruno, a fait une crise énorme, il a changé depuis, il n'a plus remis les pieds dans un café avec les amis. Le petit était gardé par une nourrice. Ma mère devait travailler, il n'y avait pas de frigidaire et donc elle a laissé le lait, qui a dû tourner avec la chaleur, et il s'est choppé une

entérite. La mère de mon père a accusé un peu ma mère qui, si elle était restée à la maison, cela ne serait pas arrivé, elle aurait fait attention.

F. S. : Donc toi tu es arrivé...

B : Moi j'étais surprotégé dans l'angoisse de ma mère. Je ramenais pour mon père cet enfant mort à la vie... et cela a été beaucoup travaillé dans ma psychanalyse. A la Courneuve en 40, on ne connaissait pas bien la psychanalyse. C'était quelqu'un qui était un peu autodidacte. J'ai pensé que je voulais être géologue, j'aimais beaucoup les montagnes (de mon village), je voulais aller étudier les glaciers, ou être archéologue. Et j'ai fait l'Université, c'était en mai 68. ça a duré 11 ans, ma psychanalyse.

F. S. : tu as été baptisé ?

B : oui, à la Courneuve et c'était des gens du pays, ma marraine, mon parrain. Ce n'est pas comme en France qu'on choisit les gens de la famille, nous là-bas, c'est vraiment quelqu'un d'une vie particulièrement bien et c'est pour élargir le cercle, ils ont des liens presque sacrés. Mon parcours par rapport à l'Italianité... Je suis allé à la maternelle et la première fois qu'il y a eu quelque chose qui a fait sens, c'est à la dernière année, j'avais fait des objets qui avaient émerveillé les maîtresses. Et j'ai surpris ma maîtresse qui disait à la directrice de l'école : Non, on ne lui donne pas quelque chose c'est un Italien ! Cela a été mon premier choc. C'était en 1955, et c'était la première fois que j'étais confronté, moi, à une hostilité. J'ai raconté ça à ma mère et mes parents le soir, ils n'étaient pas contents. Je sentais une différence entre l'éducation à la maison, j'étais le petit Roi, et à l'extérieur où je devais être poli, serviable, baisser la tête. Et j'ai commencé à intégrer qu'on n'était pas chez nous : « Mon père me disait, on n'est pas chez nous, il faut être respectueux, ils nous accueillent... En gros, tu n'as pas droit à la parole toi, tu fais ce qu'on te dit de faire et voilà... C'est ça qu'il m'a transmis. Il me disait toujours, soit toujours loin de la loi, être loin de la loi : ne pas faire de bêtises pour ne pas avoir à faire à la loi ». Pour commencer, quand en 49 mon père est allé me déclarer à la Mairie, 49 c'était trois ans après la guerre, les Italiens étaient mal vus. Mon père a dit : « Carlo-Bruno » et le monsieur lui a dit :
« je ne connais pas, c'est quoi ? » Et mon père a dit : « je suis italien, c'est un prénom italien ».

Le monsieur a dit : « Si on est en France, il faut mettre un prénom français et mon père a
regardé les noms et a dit « Charles-Bruno ». Par la suite par rapport aux Français, c'était très rare qu'on me dise quelque chose. Mais dans la famille de mon père, j'ai entendu beaucoup de choses anti-italiennes de leur part.

Quand j'ai eu le bac, il y avait les bacheliers pour faire une fête à Paris, en 67, et moi de banlieue, j'allais à Paris (c'était rare !) et on se fait arrêter dans la manifestation et je n'avais aucun papier. Et j'étais mineur, j'avais 18 ans (21 ans, la majorité à l'époque) et la police est allée voir mon père sur le chantier, ils m'ont gardé tout une nuit : « comment ça vous n'avez pas de papiers ! » et c'est lui qui m'a dit que j'étais Italien. Ils m'ont établi une carte de séjour, jusqu'à l'age de 21 ans. Jusque-là c'était pas pour moi une vraie question, j'étais sur le passeport de ma mère et point. Et après, j'avais d'office la nationalité française à 21 ans, étant né en France. Et j'ai gardé les deux, j'ai fait militaire ici. Et la police a dit à mon père : « si on le revoit à une manif, on le renvoie en Italie », et mon père m'a menacé là. Donc, on était en 1968 et toutes les manifs (j'étais en plein dedans !), j'ai dü faire attention de ne pas être pris. Là, j'avais déjà la double nationalité comme mes filles ont maintenant. Ceux qui se sont naturalisés à 16 ans pour le travail, ou mes cousines, ils n'ont pas la double nationalité.

F. S. : Et la nourriture...

B : Ma mère cuisinait à l'italienne, les soupes « pasta1 et cice, pasta et fagiole », des pâtes avec les légumes, et non pas les pâtes avec la sauce.

1 Traduction de la langue au français: pâtes et pois chiches, pâtes et haricots.

Chez nous, il y a une tradition culinaire pauvre, ce n'est pas l'Emilie Romagne, la Toscane. Mais
ici on l'appelait pour les mariages pour cuisiner les lasagnes, les pâtes à la main. Et le dimanche
midi, les pâtes étaient pantagruéliques, ils associaient le repas italien et le français : les entrées

françaises et les légumes italiens, les pâtes (lasagnes), la viande rouge (le rôti, on ne mange pas la viande rouge en Italie) avec les légumes, ensuite le fromage (à la française, en Italie, on ne le mange pas dans nos coins pendant le repas), le dessert. On sortait tout l'après midi, et toute la famille venait. Il y avait ma soeur avec son mari qui était un descendant d'italien bien francisé, etc. Ma mère se voulait pratiquante, mais elle devait aller au marché le dimanche matin et moi j'ai fait le baptême, la communion, tout.

B : Dans ma région, ils ont émigré très très tôt, et ils ont perdu certaines traditions par rapport à certains villages très vite et les américains, les anglais italiens apportaient de nouvelles mesures. Il y avait quelque chose, une tisane, un médicament que ma mère faisait mais très peu. Ma mère faisait une tisane avec le pavot, ou la camomille, ou le tilleul pour calmer et pour dormir. Ou elle faisait de l'ail pour les intestins et le marsale avec l'oeuf pour les vitamines.

L'Italianité, c'est complexe, très complexe, je vais chercher à t'expliquer... A mes filles, les choses abruzzes se transmettent involontairement. Ma femme a tenu à ce qu'elles aient des prénoms italiens facilement prononçables en français. Moi aussi j'y tenais. Pour la langue, ma femme a tenu que les filles apprennent l'italien à l'école. Ma fille veut faire l'Erasmus à Naples. Et je suis content, pour moi symboliquement, Naples, c'est ma capitale, ce n'est pas Rome, encore moins Milan. Moi, à la maison, petit je parlais le dialecte, et maintenant, je le parle mais pas très très bien, des termes précis de l'agriculture par exemple,

On parlait le dialecte et le français. Ensuite j'ai eu une période où à l'adolescence, j'ai eu honte d'être italien, et aussi pour ce que je sentais dans la famille de mon père. Si tu veux, il y a un truc à comprendre, ce qui passe dans le langage de tous les jours, c'est que tout ce qui était français était mieux, même avec des gens qui s'intéressent aux Italiens, même ma mère un peu... mon père non, mais il n'affichait pas son italianité, il avait été fasciste et puis en Grèce, il a déchanté (il a été dégoüté... les Grecs étaient des paysans comme chez nous, on ne voit pas ce qu'on faisait chez eux alors qu'ils sont comme nous, aussi pauvres que nous...). On a du mal à se sortir de ce moule qui nous a imprégnés depuis petit que tout ce qui est français, c'est mieux. Chez les Italiens même... on est venu en France parce qu'on ne pouvait pas être en Italie.

En été je vais au village, ils arrivent, les Italo-belges, les Italo-Ecossais, eux ils ont vécu davantage en communautés et nous en France, on s'est facilement, pas assimilé, mais adapté. Assimilés il y a aussi, mais ça n'a pas réussi spécialement. Bon, moi je n'ai aucun accent, je suis bien adapté. Comme ils disent les historiens, s'il n'y avait pas eu Jules César, la Gaule (la Gallia) aurait été germanisée. On est plus proche, les Italiens et les Français, que d'autres.

Dans l'histoire, en effet, c'est que la France est toujours mieux, et la place de l'Italie, qui du point de vue international, est zéro. Jusqu'en juin 40, la France était une puissance internationale énorme. Donc en France c'est mieux ! L'Italie est belle, mais le message qu'on nous faisait passer, c'était que, en France c'était mieux, les écoles, la Santé, le système, les trains. Mon père restait discret sur son italianité, il était content quand on gagnait au sport. La fierté nationale, c'était à travers le sport, ou à partir des années 60, avec le boom économique. Tout ça dans les milieux modestes, dans les milieux bourgeois, c'est autre chose. »

> Questionnaire destiné aux témoins :

Annexe n° 15

(Ce questionnaire est livré à titre indicatif, en fait, la méthode d'entretien a plutôt été de poser les questions les plus ouvertes possibles afin de laisser le témoin libre d'en dire plus. Cependant, ayant interrogé uniquement des personnes n'ayant jamais été questionnées auparavant sur leur scolarité, il m'est parfois arrivé de me retrouver face à des personnes ayant du mal à s'exprimer, auquel cas, l'entretien était guidé grace à ces questions).

1). Prénom et nom du témoin.

2). Date et lieu de naissance.

3). Etes-vous issu(e) d'un couple mixte ou de deux parents italiens ?

4). De quelle région d'Italie êtes-vous originaire ?

- Faisiez-vous une différence entre le Nord et le Sud de l'Italie ?

- Sentiez-vous que vos instituteurs ou vos camarades faisaient une différence entre le Nord et le Sud de l'Italie ?

5). Date et lieu d'arrivée en France (de vos parents ou de toute la famille)

- Par quels moyens votre famille a-t-elle émigré ? (Légaux ou non, train, bateaux ...) - Pourquoi vos parents ont-ils immigré ? (Raisons politiques, économiques...)

- Avaient-ils déjà un contrat de travail ?

- Rejoignaient-ils un réseau déjà en place (amis, familles, personnes originaires du même village) ?

6). Quel métier exerçait votre père ? Votre mère ?

7). Nombre de frères et/ou soeurs.

8). Scolarisation.

(Si possible, répondre aussi à ces questions pour vos frères et soeurs)

- où ? (Ville(s) et noms des écoles)

- de quand à quand ?

- scolarisation dans l'enseignement privé ou dans l'enseignement publique ? (Précisez si vous connaissez les raisons de ce choix de vos parents)

- avez-vous redoublé au cours de votre scolarité ?

(Au moment de votre arrivée en France ou plus tard ?)

9). Naturalisation ou non ? (Précisez comment vous avez obtenu la nationalité française)

- de vous-même ?

- de vos frères et/ou soeurs ?

- de vos parents ?

10). Perceviez-vous que vous étiez un(e) immigré(e) ou vous sentiez vous Français(e) à l'école ? Pourquoi ?

11). Y avait il d'autres enfants d'origine étrangère dans votre classe ? Dans votre école, dans votre entourage ?

- Y avait il d'autres enfants d'origine italienne dans votre classe ? Dans votre école, dans votre entourage ?

- Aviez-vous des amis d'origine italienne ?

- Quelles relations entreteniez-vous avec ces camarades ?

- Fréquentez-vous toujours des Italiens ?

12). Parliez-vous de l'Italie avec vos camarades ?

- Avec vos instituteurs ?

- Avec vos parents ?

- Vos parents vous en parlaient-ils ? (De façon positive ? négative ?)

13). - Vos parents étaient-ils en mesure de vous aider pour vos devoirs ?

- Parlaient-ils bien le français ? En quelle langue vous parlaient-ils ?

- Savez vous parlez un dialecte italien ? Savez-vous parler l'italien ?

14). Avez-vous reçu de la part de vos parents une éducation politique ?

- Une éducation religieuse ?

15). Comment-vous sentiez vous en classe ?

- Etiez-vous un bon élève ?

- Comment-vous sentiez vous dans la cour de récréation ?

- Aviez-vous des amis à l'école ?

16). Aviez-vous l'impression que le rôle de la France était particulièrement valorisé dans les leçons de vos instituteurs ?

- Si oui, comment viviez-vous ce patriotisme scolaire ?

17). Vous rappelez-vous de maîtres d'école vous ayant particulièrement marqué ? (De facon positive ou négative)

18). Etes-vous retourné(e) en Italie ?

- Avec votre conjoint/épouse ?

- Etes-vous en contact avec des Italien(ne)s ?

- Votre conjoint est-il/elle d'origine italienne ?

- Etes-vous toujours en contact avec des Italiens ?

19). Avez-vous eu des enseignants d'origine italienne ?

20). Vous souvenez vous d'épisodes violents à l'école ?

- Avec vos camarades ?

- Avec les instituteurs ?

- Avez-vous déjà reçu des insultes en rapport avec vos origines ? Si oui, quelle a alors été votre réaction ?

21). Jusqu'à quel age êtes-vous allé(e) à l'école ?

- Quels diplômes avez-vous obtenus ?

- Quelle profession avez-vous exercée ?

22). Si vous l'avez vécue, vous souvenez-vous de l'impact de la seconde guerre mondiale sur votre enfance, sur votre scolarité ?

- Comment avez-vous vécue la position « d'ennemie » de l'Italie vis-à-vis de la France ? 24). Si vous avez des enfants, avez-vous souhaité qu'ils apprennent l'italien ?

- Sont-ils intéressés par leurs racines italiennes ?

TABLEAU DES SOURCES

. Sources d'archives publiques :

Archives départementales de Loire-Atlantique :

Série J :

ADLA, 51 J 2

Correspondance avec le Ministre des Affaires
Etrangères -- Lettres de Français au Duce.

1929 à 1936

ADLA, 51 J 13

Papiers du consulat italien

1928 à 1944

ADLA, 51 J 15

Affaires de justice : condamnations, poursuites.

1931 à 1942

ADLA, 51 J 16

Appels en France de membres de familles italiennes
restés en Italie.

1930 à 1947

ADLA, 51 J 17

Servizio « Gestanti » (secours aux italiennes enceintes).

1928 à 1940

ADLA, 51 J 18
à 51 J 21

Correspondances sur les mariages des sujets italiens.

1928 à 1940

ADLA, 51 J 26

Expulsions.

1935 à 1942

ADLA, 51 J 47

Culture : écoles, musées, voyages, expositions.

1932 à 1943

ADLA, 51 J 48

Ecole et diffusion de la langue.

1937 à 1943

ADLA, 51 J 52

Langue italienne.

1930 à 1938

ADLA, 51 J 53

Ecole : personnel enseignant.

1939 à 1942

ADLA, 51 J 54

Affaires scolaires : enseignement de l'italien.

1922 à 1942

Série M :

ADLA, 1M 794

Surveillance des étrangers suspects
(rapports de police qui évoquent les fascistes nantais).

1929

Série T :

ADLA, 204 T
1.2

(Fond de l'Inspection Académique)
Affaires disciplinaires devant le Conseil
départemental : dossiers individuels et décisions.

1894 à 1940

Série W :

ADLA, 374 W
et 1286 W

Fond des demandes de titres de séjour.

1880 à 1980

Archives municipales de Nantes :

Série BG :

AMN, BG br
122

« Emigrer c'était fuir la misère "

13 janvier 1997

AMN, BG br
143

« Les conditions institutionnelles de la scolarisation des
garçons de 1920 à 1940 "

Juillet -
septembre 1979

AMN, BG br
1663

« Les Italiens à Nantes et dans le pays nantais "

1963

Enquêtes et sondages :

Publication dans GIRARD (Alain) et STOETZEL (Jean), Français et immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des Polonais, 1953, Paris. (Travaux et documents - cahier n°19) :

- Institut National des Etudes Démographiques, épaulé par l'UNESCO, décembre 1950. Enquête sur l'assimilation des étrangers.

- Sondage effectué en janvier 1951 sur 2463 personnes de nationalité française sur « les attitudes et comportement des Français à l'égard des émigrants ».

Statistiques :

- Sommario di statistiche storiche, Rome, 1958.

- Bulletin de la Statistique générale de la France

« L'enseignement primaire en France depuis la guerre », janvier 1936, t. 25, p. 300-336.

. Sources d'archives privées :

Nom du témoin

Année de
naissance

Provenance

Lieu de la
scolarisation

Informations
sur le
témoignage

Maggiorina
BOZZUFFI --
CATTIROLO

1923

Piémont
(Mariage
endogène).

Rennes

Questionnaire

WM
(Ce témoin a
demandé à ce que
seules ses initiales
soient divulguées)

1924

Emilie-Romagne
(Mariage endogène)

Biarritz
Moissac (Tarn
et Garonne)
Agen

Entretien le 27
octobre 2009 à
Sainte
Marguerite

Walter BUFFONI

1925

La Spézia, Ligurie

Saint-Nazaire

Questionnaire

 
 

(Mariage endogène)

Penhoët

et entrevue le vendredi 30 avril 2010, maison de quartier de

 
 
 
 

Méan Penhoët

Lucien ZANDOTTI

1928

Piémont

Saumur

Questionnaire

 
 

(Mariage endogène).

 
 

Carina

1930

Père du Piémont

Autour du

Questionnaire

TRAVOSTINO-
CORBEAU

 

(Mariage mixte :
mère française)

Mans

 

Maria CERA-

1934

Abruzzes

Nantes

Entretien le 4

BRANGER

 

(Mariage mixte :
mère nantaise)

 

février 2010 à
Vertou

Georges LECLAIR

1934

Sardaigne
(Mariage mixte)

Nantes

Entrevue le vendredi 30 avril 2010, maison de quartier de

 
 
 
 

Méan Penhoët

et entretien
d'O. OSSAN

le 24 avril

 
 
 
 

2008 en vue de
l'exposition au
restaurant

 
 
 
 

« Interlude »

Mario MERLO

1934

Lombardie
(Mariage endogène)

Nantes

Entretien le 1er
décembre 2009
à Basse
Goulaine

Odette
GARINO -
POIRIER

1935

Piémont
(Mariage endogène)

Saumur

Questionnaire

Maria
(Maria ne souhaite
pas que son nom
entier soit divulgué)

1939

Messine, Sicile.
(Mariage endogène).

Près de
Clisson

Entretien le 24
novembre 2009
à
Nantes

Jean BURINI

1941

Père issu des
Marches, mère
Vénitienne
(Mariage endogène)

Villerupt
(Lorraine)

Entretien le 14
janvier 2010 à
Vigneux
Et prise de
documents 4
mars 2010 à
Nantes

Jacqueline
FANTIN -
CRAMPON

1941

Coltura-Polcenigo,
Nord de Venise.
(Mariage mixte :

mère française)

Nantes

Questionnaire

Giovanna.

1942

Sondrio, Nord de

Couëron

Questionnaire

(Giovanna a

 

l'Italie.

Pornichet

et entrevue le

demandé à ce que

 

(Giovanna n'a connu

 

vendredi 30

seul son prénom soit
divulgué).

 

que sa mère)

 

avril 2010,
maison de
quartier de

 
 
 
 

Méan Penhoët

Daniel FANTIN

1943

Coltura-Polcenigo,
Nord de Venise.

Nantes

Entretien le 29
janvier 2010 à

 
 

(Mariage mixte :
mère française)

 

Vertou et
témoignage
recueilli par O.

 
 
 
 

OSSAN pour
l'exposition

 
 
 
 

« Ciao Italia !
l'Italie en
fête » (26
octobre au 1er
novembre

 
 
 
 

2009).

Correspondance :

- Lettre de Jean BURINI à son instituteur Jean ROMAC, 26 avril 2002, Vigneux. - Courrier de Laetitia TRAVOSTINO, descendante d'Italiens, mai 2010, Trieste.

Documents officiels issus des établissements scolaires :

177 - Liste du personnel enseignant de 1946 à 1953 de l'école primaire élémentaire de garçons Raymond Poincaré à Villerupt, en Lorraine.

- Registre matricule de la classe de Monsieur DELON, école primaire élémentaire de garçons Raymond Poincaré, cour élémentaire année 1949-1950, Villerupt, Lorraine.

Travail scolaire :

- Revue scolaire « Joyeux écoliers », journal mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC, instituteur de l'école Poincaré de Villerupt.

Numéros des mois de janvier et février 1954.

- Travaux de lino réalisés dans la classe de Jean ROMAC, instituteur de l'école Poincaré de Villerupt.

Année 1954.

. Sources imprimées :

Autobiographies :

CAVANNA (François), Les Ritals, Paris, 1978, 284 pages.

CAVANNA (François), L'Oeil du lapin, Paris, 1987, 282 pages.

Dans ces deux autobiographies, la période évoquée est l'enfance de Cavanna (de six à seize ans). L'auteur a cherché à décrire les situations, les personnages tels qu'il les voyait lorsqu'il était enfant.

QUARONI (Pietro), Il mondo di un ambasciatore443, Milan, 1965 ? 302 pages.

C'est l'auteur lui-même qui témoigne de son expérience d'ambassadeur italien à Paris.

UDERZO (Albert), Albert Uderzo se raconte, Paris, 2008, 220 pages.

443 « Le monde d'un ambassadeur » TDLA.

Biographies :

Ces biographies n'évoquent les enfances et la scolarisation des deux artistes que sur quelques pages, se concentrant davantage sur la suite de leur carrière.

BOGGIO (Philippe), Coluche, Paris, 1991, 424 pages.

BRIERRE (Jean-Dominique), Serge Reggiani, C'est moi, c'est l'Italien, Paris, juin 2005, 156 pages.

HAMON (Hervé) et ROTMAN (Patrick), Tu vois, je n'ai rien oublié, Paris, septembre 1990, 742 pages.

(Biographie de Yves Montand).

Littérature :

BLANC (Anne-Marie), Pays-Haut, Metz, 1988, 374 pages.

Dans ce roman, Anne-Marie Blanc évoque l'arrivée des immigrés en Lorraine.

FILIPPETTI (Aurélie), Les derniers jours de la classe ouvrière, Paris, 2003, 189 pages.

GARINO (Laurent), La charrette à bras, Histoire des Italiens de Saumur, Laval, 2006, 220 pages.

Essai journalistique :

STELLA (Gian Antonio), L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi444, Milan, 2003, 306 pages.

Journaux et périodiques non savants :

(Classement chronologique).

- « Evening Standard » :

Caricature de LOW (David), « The dream and the nightmare445 », 11 mai 1940.

- « Sud-ouest dimanche » :

Article de CAGNATI (Inès), « Je suis restée une étrangère », 16 et 25 mars 1985.

- « Les Inrockuptibles » :

Interview de REGGIANI (Serge), mai juin 1991.

- « Le Monde » :

Article de MORIN (Edgar), « La Francisation à l'épreuve », vendredi 5 juillet 1991.

444 « La horde. Quand nous étions les Albanais » TDLA.

445 « Le rêve et le cauchemar » TDLA.

- « Ouest France " :

- Article de GUYOT (Antoine) avec MILZA (Pierre), « Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France ", mai 2008.

- Interview de GARINO (Laurent) pour la sortie de « La charrette à bras ", jeudi 2 mars

2006.

- « L'Actualité de l'Histoire " :

Dossier « Vive l'école ! ", n°102, septembre 2009 (pages 61 à 79).

. Autres sources :

Reportages :

- Reportage du 17 octobre 1997 pour France 3, (7 minutes et 32 secondes).

A Mondar d'Agenais (Lot et Garonne), Damira et Nuncio TITONEL, dont les parents ont fuit le fascisme, affirment qu'ils n'ont jamais été rejetés par les habitants. C'est la nationalité française des enfants qui a en fait décidé les immigrés à s'installer véritablement. Dans ce film, la scolarisation des enfants est évoquée.

- Documentaire diffusé le 13 avril 2010 à minuit 15 sur France 3.

« La vie rêvée des Italiens du Gers ", produit en 2009. (Durée : 52 minutes)

Réalisateur : VEDEL (Jean-Pierre)

(Intervention de l'historienne Laura TEUILLERES)

(D'après le livre, « Une Histoire De Promesses " de MAGNI (Yolande), Bordeaux, 2009)

Conférences et expositions :

. Exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête " 26 octobre au 1er novembre 2009, Espace Cosmopolis, Nantes.

- Conférence de GARINO (Laurent) et présentation de son livre « La charrette à bras " sur les Italiens de Saumur (samedi 31 octobre 2009).

- Présentation des « Raccontami », témoignages d'immigrés italiens de la région nantaise recueillis par OSSAN (Odette), (samedi 31 octobre 2009). Cette exposition a été sollicitée par l'Association « CO.AS.IT. » (Comité d'Assistance aux Italiens) créée en 1959 dont le siège est à Nantes.

-Entretien avec LECLAIR (Georges), le 24 avril 2008 (en vue de l'exposition au restaurant Interlude).

. « Italiens de Bretagne »

Conférence de EMERY (Céline), 21 novembre 2009, « Les Champs Libres " Rennes.

· Exposition et conférence sur « les Italiens de Saint-Nazaire », association France-Italia.

Vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan Penhoët.

Emissions de radio :

· « France Inter » :

- 30 mars 2010

Journée spéciale sur France Inter, en direct et en public de la Cité de l'Histoire de l'Immigration446.

- 26 mai 2010 (de 15 à 16 heures).

Emission de Daniel MERMET « Là bas si j'y suis », François CAVANNA interviewé par François RUFFIN.

446 Programme :

7h15 - Reportage de Philippe Reltien avec de jeunes afghans

Le 6H/9H00 de Nicolas Demorand

à 7h20 - Claire Rodier, juriste au GISTI (groupe d'information et de soutien aux immigrés), présidente de Migreurope, un réseau regroupant une trentaine d'associations en Europe.

à 7h45 - Pierre Henry, directeur général de France Terre d'Asile, Cecilia Malmström, Commissaire Européenne suédoise en charge des questions d'immigration (en duplex)

à 8h20 - Patrick Weil, historien et politologue, auteur de « La France et ses étrangers ». Avec sept autres universitaires, il a démissionné des instances de la CNHI le 18 mai 2007, pour protester contre l'instauration par Nicolas Sarkozy d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale

à 8h40 - Eric Fassin, sociologue, professeur à l'Ecole Normale Supérieure, Jacques Toubon, président de la CNHI, secrétaire général de "la mission chargée d'organiser l'initiative «2010 - Année de l'Afrique»". Esprit Critique de Vincent Josse à 9h10

Dans le cadre de l'exposition « Générations, un siècle d'histoire culturelle des Maghrébins en France » à La Cité de l'immigration : Visite du cimetière de Thiais avec Amadi, chanteur kabyle à succès dans les années 50 (un reportage de Caroline Gillet)

Comme on nous parle de Pascale Clark à 9h35, le film "Les Arrivants" avec les réalisateurs Claudine Bories et Patrice Chagnard.

Et Pourtant elle tourne de Jean-Marc Four à 18h15, les flux Sud-Sud, avec Catherine de Wenden, politologue, directrice de recherche au CNRS-CERI, spécialiste des migrations internationales

Et des reportages en Afrique du Sud et au Brésil

Le Téléphone Sonne d'Alain Bedouet, à 19h20, quelle politique d'immigration pour la France ?Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS-CERI, auteur de « L'Atlas mondial des migrations » (Autrement) et "La globalisation humaine" (PUF), Michèle Tribalat, Directrice de recherche à l'INED (Institut national d'études démographiques), qui publie "Les yeux grand fermés - l'immigration en France" (Denoël), Stéphane Maugendre, Président du GISTI, Groupe d'information et de soutien des immigrés.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux :

Sont, dans cette catégorie, mentionnés les ouvrages généraux donnant les bases chronologiques et des notions générales sur l'immigration et sur l'éducation. Ils nous permettent d'avoir une vue d'ensemble sur la période et le sujet avant de nous tourner vers des ouvrages beaucoup plus spécifiques. Ils nous ont aussi donné la possibilité, par l'intermédiaire de leurs bibliographies, de rencontrer des études intéressant davantage notre sujet de recherche.

Atlas

Grand Atlas du Monde, Paris, 1999, 370 pages. (Collectif d'auteurs)

Ouvrages généraux sur l'émigration :

AUDENINO (Patrizia) et TIRABASSI (Maddalena), Migrazioni italiane, storia e storie dall'Ancien Regime a oggi447, Milan, 2008, 213 pages.

Ce manuel présente, pour nous, un intérêt certain : bien que très général, il expose le point de vue italien quant au départ de ces citoyens.

PERONA (Gianni), Gli italiani di Francia 1938 À 1946448, Milano, 1994, 476 pages.

- Chapitre de BECHELLONI (Antonio), « il riferimento agli Italiani nell'elaborazione di una politica francese dell'immigrazione »449 (1944 -- 1946), (p. 45 à 57).

Ouvrages généraux sur l'immigration :

AMAR (Marianne) et MILZA (Pierre), L'immigration en France au XXéme siècle, Paris, 1990, 331 pages.

BLANC-CHALEARD (Marie-Claude) dir, Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003, 272 pages.

GERVEREAU (Laurent), MILZA (Pierre) et TEMIME (Emile), Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998, 285 pages.

DUMOULIN (Michel) (dir.), Mouvements et politiques migratoires en Europe depuis 1945. Le cas italien, Bruxelles, 1989, 418 pages.

447 « Migrations italiennes, Histoire et histoires de l'Ancien Régime à aujourd'hui » TDLA.

448 « Les Italiens de France, 1938 À 1946 » TDLA.

449 « La référence aux Italiens dans l'élaboration d'une politique française d'immigration » TDLA.

HUBSCHER (Ronald), L'immigration dans les campagnes françaises (XIXème À XXème siècle), Paris, 2005, 478 pages.

LEQUIN (Yves) (dir.), La Mosaïque France. Histoire des étrangers et de l'immigration en France, Paris, 2006, 544 pages.

Le travail d'Yves Lequin porte sur l'histoire des migrations en longue durée. Consulté à la bibliothèque du CEDEI à Paris, il a été utile pour le contexte général mais n'est malheureusement accompagné d'aucun témoignage.

MILZA (Pierre), Voyage en Ritalie, Paris, 1993, 530 pages.

Pierre Milza y évoque son expérience personnelle mais c'est aussi une étude historique précise, riche en témoignages et remarquablement documentée sur l'histoire de l'immigration italienne en France. Ses entretiens avec des migrants présentent un intérêt certain concernant notre sujet.

MILZA (Pierre) et PESCHANSKI (Denis), Exils et migration, Italiens et Espagnols en France (1938-1946), Paris, 1994, 665 pages.

Cet ouvrage se penche surtout sur les causes politiques de la migration.

Les Italiens en France de 1914 à 1940, École Française de Rome, Palais Farnèse, 1986 (collectif), 787 pages.

- MILZA (Pierre) : << L'immigration italienne en France d'une guerre à l'autre : interrogations, directions de recherche et premier bilan ».

- NOIRIEL (Gérard) : << Les immigrés italiens en Lorraine pendant l'Entre-Deux-guerres : du rejet xénophobe aux stratégies d'intégration ».

- SCHOR (Ralph): << L'image de l'Italien dans la France de l'Entre-Deux-guerres ».

NOIRIEL (Gérard), Le Creuset français. Histoire de l'immigration, XIXème-XXème siècle, Paris, 1988, 437 pages.

Cet ouvrage général permet au lecteur de se faire une idée claire des politiques d'intégration des immigrés en France durant la période qui nous intéresse. Par ailleurs, les observations de l'auteur sur les blocages et les polémiques de l'Histoire de l'immigration m'ont bien aidée à comprendre le tableau historiographique de notre sujet.

PONTY (Janine), L'immigration dans les textes, 1789-2002, Paris, 2004, 416 pages.

Dans ce recueil de 200 textes commentés par l'auteur, divers documents éclairent nos recherches. Ainsi, Janine Ponty évoque les lois, les décrets relatifs à l'immigration mais aussi des témoignages (un seul est directement en rapport avec notre sujet), des extraits de débats sur l'assimilation à la Chambre des députés.

SCHOR (Ralph), Histoire de l'immigration en France de la fin du XIXème siècle à nos jours, Paris, 1997, 347 pages.

STORA (Benjamin) et TEMIME (Emile), Immigrances (l'immigration en France au XXème siècle), Paris, 2007, 374 pages.

C'est un des ouvrages de référence en matière d'immigration qui a le mérite de poser les problèmes de l'intégration, de mettre en parallèle les vagues d'arrivées en France et de confronter les différentes provenances des migrants.

TEMIME (Emile), France Terre d'immigration, Paris, 2000, 160 pages.

Ouvrages généraux sur l'Education :

AMALVI (Christian) (dir.), Les lieux de l'histoire, Paris, 2005, 411 pages.

C'est la troisième partie de cet ouvrage qui nous intéresse (l`auteur y évoque la période qui s'étend de 1914 à nos jours). Christian Amalvi se penche tout particulièrement sur l'enseignement de l'Histoire et les rapports entretenus par l'Etat avec l'École.

DURU-BELLAT (Marie) et HENRIOT-VAN ZANTEN (Agnès), Sociologie de l'école, Paris, 1999, 267 pages.

GARCIA (Patrick) et LEDUC (Jean), L'enseignement de l'histoire en France, de l'Ancien Régime à nos jours, 2003, Paris, 310 pages.

GAULUPEAU (Yves), La France à l'école, 1992, Paris, 176 pages.

Ce manuel permet de clarifier les enjeux engendrés par les projets sur « l'école unique ».

GREZES-RUEFF (François) et LEDUC (Jean), Histoire des élèves en France, de l'Ancien Régime à nos jours, Paris, 2007, 450 pages.

François Grezes-Rueff et Jean Leduc font là une étude très détaillée (ils consacrent, par exemple, un chapitre aux châtiments corporels dans l'espace scolaire, sujet rarement traité).

LELIEVRE (Claude) et NIQUE (Christian), Bâtisseurs d'école, histoire biographique de l'enseignement en France, Paris, 1994, 491 pages.

MERGNAC (Marie-Odile), GAROSCIO-BRANCQ (Caroline) et VILRET (Delphine), Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008, 220 pages.

PROST (Antoine), L'enseignement en France (1800-1967), Paris, 1968, 511 pages.

PROST (Antoine), Autour du Front Populaire. Aspects du mouvement social au XXème siècle, Paris, 2006, 350 pages.

Concernant ces deux dernières publications d'Antoine Prost, elles sont utiles à notre analyse de l'enjeu politique que représente l'École Républicaine et à l'étude du travail d'enseignant. Le deuxième manuel nous permet d'expliquer les changements occasionnés par la politique scolaire du Front Populaire dans le séjour au sein des classes françaises des enfants d'immigrés.

SUTEAU (Marc), Nantes, une ville et ses écoles (1830-1940), Rennes, 1999, 253 pages.

Etudes particulières :

Etudes sur l'intégration et l'exclusion des immigrés :

BERTHELIER (Robert), Enfants de migrants à l'école française, Paris, 2006, 202 pages.

Très important pour la notion de bilinguisme à l'école. Ce livre a le mérite de se poser la question des parents et de leurs rapports avec le corps scolaire. L'auteur consacre aussi une partie très intéressante sur l'échec scolaire des enfants d'immigrés. Cependant, il est essentiellement basé sur les années 1990-2000.

BLANC-CHALÉARD (Marie-Claude) et MILZA (Pierre), Le Nogent des Italiens, Paris, 1995, 149 pages.

Cette étude est géographiquement étroite mais explore de larges perspectives concernant l'intégration des Italiens, elle est riche en témoignages.

BLANC-CHALÉARD (Marie-Claude), Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, 803 pages.

Ce travail est remarquable, le chapitre 7, « La grande stabilisation ", particulièrement, a été très utile à nos recherches. L'intégration des Italiens est ici analysée à la fois dans sa propre spécificité et dans sa contribution au peuplement de Paris (intra muros puis extra muros), comme révélatrice des différentes périodes migratoires et des dynamiques durbanisation des espaces « francitaliens ". Marie-Claude Blanc-Chaléard soutient la thèse d'une intégration des jeunes Italiens « achevée et réussie " même si elle précise que cette observation ne s'applique qu'à l'est parisien.

CANOVI (Antonio), Cavriago ad Argenteuil, Migrazioni Comunità Memorie450, Cavriago, mars 1999, 351 pages.

CHIBRAC (Lucienne), Les pionnières du travail social auprès des étrangers, (le service social d'aide aux émigrants des origines à la Libération), Rennes, 2005, 302 pages.

(C'est ici le chapitre 3, « Des années grises aux années noires " qui nous a été utile).

CROIX (Alain) (dir), Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, 2007, 417 pages.

DEWITTE (Philippe) (dir.), Immigration et intégration, Paris, 1999, 443 pages.

GIRARD (Alain) et STOETZEL (Jean), Français et immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des Polonais, Paris, 1953 (Travaux et documents - cahier de l'INED n°19).

Cette enquête de l'INED étudie concrètement les notions d'intégration et d'assimilation appliquées aux populations immigrées. Elle évalue le niveau d'insertion dans la société française auxquels les Italiens sont parvenus au milieu du siècle dans deux zones d'accueil aussi dissemblables que le sont la région parisienne et le Sud-ouest aquitain. Pierre Milza émet une critique sur cet ouvrage qu'il m'a semblé intéressant de livrer ici : « ce qui n'est pas dit [...] c'est la relation entre intégration et assimilation qui ressort de ce type de migrations par réseaux et parentèles ".

450 « De Cavriago à Argenteuil, migrations, communautés, mémoires " TDLA.

MAUCO (Georges), Les étrangers en France, Paris, 1932, 238 pages.

(ch. XII. Les problèmes de l'immigration)

La thèse de Georges Mauco est la suivante : les Italiens ne seraient pas les mieux situés pour être « bien assimilés » en raison des résistances de l'Etat italien. Sa vision date de 1932, son témoignage pourrait donc apporter beaucoup à notre étude quant à l'impression d'un expert en immigration qui développe les idées de l'époque en matière « d'assimilabilité ». Elle est un reflet intéressant des préjugés dont ont pu souffrir les Transalpins de l'Entre-Deux-guerres.

NOIRIEL (Gérard), La tyrannie du national, le droit d'asile en Europe (1793-1993), Paris, 1991, 335 pages.

Gérard Noiriel cherche à démontrer de quelle façon l'Etat agit sur le comportement quotidien des citoyens.

NOIRIEL (Gérard), Atlas historique de l'immigration en France. Exclusion, intégration ..., Paris, 2002, 63 pages.

L'auteur aborde la question de l'étranger et de l'immigration, ses causes, ses particularités et les phénomènes contemporains qui y sont liés, en trois parties : l'histoire du phénomène migratoire en France, les formes d'exclusion subies par les populations immigrées depuis deux siècles et l'immigration vue comme une chance pour la France, par les richesses et les échanges culturels qu'elle apporte.

RICHARD (Jean-Luc), Les immigrés dans la société française, Rennes, septembre 2005, 115 pages.

Ont été utilisés les articles :

- « Une grande migration du passé : les Italiens " (MC. BLANC-CHALEARD) (page 31).

Et les chapitres :

- « Assimilation, intégration ou insertion ? " (Articles de J. COSTA-LACOUX, D. SCHNAPPER et documents du Haut Conseil à l'intégration) (page 47).

- « De nombreux indicateurs d'intégration " (articles de R. SCHOR, J-L.

RICHARD, M. LARONCHE, C. ATTIAS-DONFUT, P. TESSIER et F-C WOLFF).

SCHNAPPER (Dominique), La France de l'intégration, Paris, 1991, 374 pages.

SCHOR (Ralph), Français et immigrés en temps de crise (1930 À 1980), Paris, 2004, 230 pages.

Etudes particulières sur le contenu des programmes d'enseignement :

BUKIET (Suzanne) et MEROU (Henri), Les cahiers de la République (promenade dans les cahiers d'école primaire de 1870 à 2000 à la découverte des exemples d'écriture et de la morale civique), Paris, 2000, 143 pages.

Ces exemples concrets de leçons dans les écoles sont des documents importants pour notre étude de la vie quotidienne des élèves immigrés à l'école.

OZOUF (Mona et Jacques), La République des instituteurs, Paris, 2000, 480 pages.

Cet ouvrage de référence en matière d'études sur l'École m'est particulièrement utile pour faire des questionnaires destinés aux migrants car les conseils des auteurs pour recueillir des témoignages sont précis. Par ailleurs, Jacques et Mona Ozouf y exposent le point de vue des instituteurs et le contenu des programmes enseignés.

Étude particulière sur la cantine :

NOURRISSON Didier, « Des cantines pour l'Ecole », dans À votre santé ! Éducation et santé sous la IVème République, Université de Saint-Étienne, 2002, 210 pages.

Étude particulière sur le rapport entre enseignement et immigration :

VERHOVEN (Marie), École et diversité culturelle, regards croisés sur l'expérience scolaire des jeunes issus de l'immigration, Bruxelles, 2002, 109 pages.

Etude très actuelle mais néanmoins intéressante au niveau de la définition des termes, l'ouvrage permet en outre de prendre conscience des ressemblances des parcours et des difficultés rencontrées par les enfants de migrants actuels et les Transalpins de la période 1935-1955.

Études sur le rapport entre l'enseignement et l'Etat :

COUTEL (Charles), La République et l'Ecole : une anthologie, Paris, 1991, 279 pages. Textes choisis et expliqués par l'auteur.

LOUBES (Olivier), L'École et la Patrie, Histoire d'un désenchantement (1914-1940), Nantes, 2001, 172 pages.

La relation entre les leçons et le patriotisme y est ici étudiée dans toute la complexité de ses applications.

Étude particulière sur le contexte nantais :

PATILLON (Christophe), Batignolles. Mémoires d'usine, mémoires des cités..., Nantes, 1991, 127 pages.

Actes de colloques :

? CEDEI, acte du colloque franco-italien sur « L'immigration italienne en France dans

les années 20 », Paris 15 au 17 octobre 1987, 385 pages :

- L'intervention de RAMELLA (Franco) intitulée « L'émigration dans la mémoire des migrants : les récits oraux » est d'une aide certaine pour comprendre comment interpréter les témoignages des enfants d'immigrés italiens.

- ROUCHE (Monique), « un village du sud-ouest dans l'Entre-Deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens à Monclar d'Agenais ».

- VEGLIANTE (Jean-Charles), « le problème de la langue : la « Lingua Spacà » ».

. « Instituteurs syndiqués et enseignement de l'Histoire entre les deux guerres », colloque

tenu à Paris les 13 et 14 novembre 1981, 155 pages.

(Publié dans le numéro spécial de la Revue d'histoire moderne et contemporaine en 1984).

. « France for the French ? National and International contradictions 451 », colloque

réunissant les historiens américains spécialistes de la France le 1er avril) 2000 à Phoenix (Arizona).

Publications de séminaire :

. Educazione interculturale : dalla teoria alla prassi, I quaderni di Eurydice n°11 -

Ministero della pubblica Istruzione452, mars 1997,

- AUGENTI (Antonio). « Scuola e società multiculturale453 », pages 13 à

16.

- FALTERI (Paula). « Interculturalismo e immagine del mondo occidentale nei libri di testo della scuola dell'obbligo »454, pages 61 à 66.

- GUALDARONI (Raphaël). « Scolarisation des élèves étrangers en France », dans Educazione interculturale : dalla teoria alla prassi, mars 1997, pages 103 à 110.

- WITTEK (Fritz). « Education interculturelle : la politique de l'Union Européenne », dans Educazione interculturale : dalla teoria alla prassi, pages 17 à 26.

- GAZTELIS (Vasso). « Présence d'enfants étrangers: problèmes et expérience », dans Educazione interculturale : dalla teoria alla prassi, pages 111 à 116.

Cette publication du séminaire de mars 1997 avait pour but de réfléchir à l'action que devrait mener l'Union Européenne au niveau de l'éducation interculturelle dans les pays d'accueil d'immigrés. Au niveau de la période concernée, nous sommes donc assez loin de notre sujet d'étude. Cependant, il me semblait indispensable de citer ces interventions de séminaires car elles m'ont beaucoup aidé à comprendre les problèmes liés à l'intégration des jeunes immigrés et les réponses politiques développées face à cette question de l'accueil des élèves d'origine étrangère.

451 « La France pour les Français ? Contradictions nationales et internationales » TDLA.

452 « Education interculturelle : de la théorie à la pratique, Les carnets d'Eurydice n°11 À Ministère de l'Instruction publique » TDLA.

453 « Ecole et société multiculturelle » TDLA.

454 « Inter culturalisme et images du monde occidental dans les livres de textes de l'école de l'obligation » TDLA.

Mémoires et Thèses :

BECHELLONI (Antonio), La dernière vague migratoire italienne en direction de la France (1945-1960) : le poids des structures, la politique des Etats, les représentations de l'autre.

Thèse de doctorat sous la direction du professeur BRUNET (Jacqueline), Université de FrancheComté, soutenance le 28 novembre 1996.

BLANC-CHALEARD (Marie-Claude), Les Italiens dans l'est parisien des années 1880 aux années 1960. Une histoire d'intégration.

Thèse de doctorat sous la direction du professeur MILZA (Pierre), IEP de Paris, soutenance le 05 décembre 1995.

CHAFFRAIX (Nathalie), L'intégration scolaire des enfants de migrants : une exigence éthique pour les enseignants ?

Mémoire de Maîtrise (Sciences de l'éducation) sous la direction du professeur MOREAU (Didier), Université de Nantes, 2008.

STORTONI (Federica), Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... ».

Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie) sous la direction du professeur NATHAN (Tobie) et du professeur CHATTAH (Rabih), Université de Paris 8 Vincennes - Saint Denis, (UFR7/Psychologie, pratiques cliniques et sociales) et université de Bologne (département de Psychologie clinique), soutenance le 16 juillet 2007.

TEULIERES (Laure), Français et Italiens dans la France méridionale de la fin de la Grande guerre au sortir de l'occupation : opinion et représentations réciproques.

Thèse de doctorat sous la direction du professeur LABORIE (Pierre), Université de Toulouse II Le mirail, soutenance le 12 juin 1997.

VENDRAMINI-WILLEMS (Ivana), L'immigration italienne à Noisy-le-Grand (1886-1968). Une intégration réussie,

Mémoire de Maîtrise (UER d'italien) sous la direction du professeur GUIMBARD (Catherine), Université Paris IV, 1992.

Revues historiques :

- Revue « La Trace " (Cahier du CEDEI) :

- BLANC-CHALEARD (Marie-Claude), « Les Italiens à l'école primaire française : l'exemple parisien ", n° 5, octobre 1991.

Pages 5 à 12.

Cette étude de 4 écoles élémentaires de l'Est Parisien (une école de fille et une école de garçons dans chaque quartier) est remarquablement précise puisqu'elle s'appuie, bien sûr, sur les recherches historiques précédentes, mais aussi sur les registres scolaires, documents particulièrement rares. Il est important de préciser que le tableau dressé par Marie-Claude Blanc-Chaléard survalorise ceux qui ont poursuivi le plus complètement leur scolarité (puisque c'est pour eux que l'on a le plus d'informations). Par ailleurs, il ne traite que de 4 écoles, uniquement dans la capitale, et sur des quartiers qui battent des records de population italienne dans les années vingt.

- BLANC-CHALEARD (Marie-Claude), « Les Italiens dans l'est parisien, les dessous d'une assimilation exemplaire ", n° 13, décembre 2000.

Pages 15 à 24.

- DELMAS (Luc), de l'ARESSLI, « Les immigrés italiens pendant les guerres ", n° 11, mai 1999.

Pages 6 à 10.

(Communication présentée au festival de Villerupt, le 28 octobre 1995).

- SOLDANO (Anna), « Les femmes immigrées italiennes installées dans le Nord de la France après 1945 ", n° 14, décembre 2001.

Pages 35 à 43.

- TEMIME (Emile), « La dernière vague de migration italienne vers le Sud-est de la France : une recherche sur le regroupement familial ", n° 5, octobre 1991.

Pages 13 à 19.

- WILLEMS (Ivana), « Plusieurs générations d'Italiens à Noisy-le-Grand ", n° 10, juin 1997. Pages 21 à 39.

- Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine (« RHMC ") :

- BLANC-CHALEARD (Marie-Claude), « Français et Italiens à l'école de la République ", tome XXXVIII, octobre - décembre 1991.

Pages 658 à 676.

- GIRAULT (Jacques), « Instituteurs syndiqués et enseignement de l'Histoire entre les deux guerres ", Cent ans d'enseignement de l'histoire (1880-1981).

Colloque tenu à Paris les 13 et 14 novembre 1981, n° spécial de la Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1984.

Pages 139 à 155.

- Revue Européenne des Migrations Internationales (« REMI ») :

- COSTA-LASCOUX (Jacqueline), « L'intégration « à la française » : une philosophie à l'épreuve des réalités », volume 22, n° 2, 2006.

- FRIGOLI (Gilles) et RINAUDO (Christian), « Les usages sociaux de l'histoire de l'immigration : enquête auprès d'un cercle de militant », volume 25, n° 1, 2009.

- DELCROIX (Catherine) et MISSAOUI (Lamia), « Familles, destins personnels et appartenances collectives en migration », volume 21, n° 3, 2005.

- DES ROBERT-HELLUY (Marie-Laetitia), « Des Français parmi d'autres, de l'appartenance nationale des Français d'ascendance étrangère », volume 23, n° 3, 2007.

- « Historiens et géographes » :

- LOUBES (Olivier), « L'étrange défaite de la patrie à l'école primaire en France entre 1918 et 1940 », n° 390, avril 2005.

Pages 193 à 202.

La relation entre les leçons et le patriotisme est ici vue comme un échec. La thèse de l'auteur est
la suivante : le nationalisme ne parvient pas à s'insérer dans les écoles de l'Entre-Deux-guerres.

- « Studi Emigrazione » :

- TABOADA-LEONETTI (Isabel), « Le rôle des femmes migrantes dans le maintien ou la déstructuration des cultures nationales du groupe migrant », n° 70, juin 1983.

Pages 214 à 220.

- TEULIERES (Laura), « Mémoires et représentations croisées du temps de guerre -- Français/Italiens immigrés », n° 146, 2002.

Pages 400 à 414.

- WITHOL DE WENDEN (Catherine), « L'immigration italienne en France, la formation et la mobilité », n° 22, juin 1985.

Pages 213 à 225.

- « La Revue des Annales » :

- SCHNAPPER (Dominique), « Centralisme et fédéralisme culturels : les émigrés italiens en France et au Etats-Unis », Annales ESC n° 5, septembre et octobre 1974.

Page 1141 à 1159.

- « Les Cahiers de la Méditerranée » :

Publiés par le Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC), laboratoire de recherche de l'Université de Nice-Sophia Antipolis, cette revue à comité de lecture international publie des dossiers thématiques et des articles de fond.

- PIETRI (Valérie), « Famille et migration de Piémont en Provence : un exemple buscese », Cahiers de la Méditerranée n° 52, juin 1996.

Pages 183 à 210.

Le Mouvement Social :

- SUTEAU (Marc), « Le rôle des villes, du patronat et des chefs d'établissement dans le développement des écoles techniques : l'exemple des écoles municipales de Nantes de 1890 à 1940 », n°189, 1999.

Pages 67 à 82.

Sites Internet consultés :

- Site de l'INA (Institut National de l'Audiovisuel) :

http://www.insee.fr/

- Site de l'INED (Institut National des Etudes Démographiques) :

http://www.ined.fr/

- Site de l'INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) : http://www.insee.fr/

- Site de l'ISTAT (Sommario di statistiche storiche italiane) :

http://www.istat.it/

- Site de l'ODRIS (Observation Diffusion Recherche Intervention en Sociologie) : http://www.odris.fr/

TABLES

Table des illustrations

> Figures :

- Page de couverture : Souvenir scolaire d'une fille d'émigré politique italien (région lyonnaise, année scolaire 1939-1940)455.

- Figure n° 1 : Photographie d'une sortie scolaire au Luxembourg (école Poincaré, Villerupt, début des années cinquante).

- Figure n° 2 : Photographie d'un spectacle de l'école, les activités artistiques (école Poincaré, Villerupt, début des années cinquante).

- Figure n° 3 : « Le rêve et le cauchemar ", caricature de David LOW (« Evening Standard ", 11 mai 1940).

- Figure n° 4 : « Les Italiens dans « le Tour "", caricature (« Le canard enchaîné ", 1932).

- Figure n° 5 : Photographie de la vie en classe (école Poincaré, Villerupt, début des années cinquante).

- Figure n° 6 : Photographie Daniel FANTIN (début des années cinquante).

- Figure n° 7 : Photographie Jacqueline FANTIN-CRAMPON (fin des années quarante). - Figure n° 8 : Photographie de la « petite Italie " de Malakoff (1937).

- Figure n° 9 : Distribution des prix de Luciano (école des Batignolles, Nantes, 1933). - Figure n° 10 : Travail de lino réalisé en classe (école Poincaré, Villerupt, 1951).

> Cartes :

Carte n°1 : Répartition de la population italienne dans les départements français en 1931.

455 Photographie de couverture du n° 10 de « La Trace ", juin 1997.

> Graphiques :

- Graphique n° 1 : Les étrangers à Nantes en 1936.

- Graphique n° 2 : Le degré d'assimilabilité des étrangers à la société française selon Georges Mauco, 1932.

> Schéma :

- Schéma n° 1 : L'évolution des structures scolaires françaises de 1918 à 1960. > Tableaux :

- Tableau n° 1 : L'émigration italienne et le solde migratoire entre la France et l'Italie pendant les prémices de la Seconde Guerre Mondiale.

- Tableau n° 2 : La pratique religieuse, dans les années cinquante, des Italiens arrivés en France avant la Seconde Guerre mondiale.

- Tableau n° 3 : Le recensement des Italiens de Bretagne en 1936

- Tableau n° 4 : Vade-mecum pour l'enseignement français en classe unique (Matinées)

- Tableau n° 5 : Vade-mecum pour l'enseignement français en classe unique (Après-midi)

Table des matières

Table des sigles et des abréviations p. 1

Introduction p. 3

Chapitre I : l'élève dans sa famille p. 18

I). Les raisons de l'arrivée en France : quelle retentissement de p. 19

l'expérience migratoire sur la scolarité des enfants d'origine

italienne ?

A. Le Front Populaire. p. 19

B. Les prémices de la guerre p. 24

C. Le contexte français de la guerre : un regain de p. 28
xénophobie de la part des autochtones.

D. L'après-guerre : une décennie de laborieuse amélioration p. 32 de l'image de l'immigré italien.

E. Le rôle joué par l'école dans l'installation définitive en p. 35
France.

F. La difficulté de connaître les sentiments des migrants sur p. 38
leurs expériences migratoires

II). Un mode de vie traditionnel p. 41

A. Une population fortement imprégnée par la religion, une p. 41
éducation traditionnelle.

B. L'espoir d'une immigration temporaire : une intégration p. 46
moins forte dans l'Ecole française ?

C. Des classes sociales populaires. p. 49

D. Les parents d'élèves : des travailleurs acharnés ? p. 54

E. La relation entre l'équipe pédagogique et les parents. p. 58

Chapitre 2 : Le quotidien de l'enfant d'origine italienne à l'école p. 62

I). L'élève dans son école p. 64

A. L'arrivée dans l'école. p. 64

B. Écoles de garçons/écoles de filles, mixité : quelles p. 67

différences ?

C. Les questionnements liés à l'habitat, quelles différences p. 68
entre l'intégration en ville, en banlieue ou en milieu

rural pour les enfants des primo arrivants ?

D. La cour de récréation, espace de détente. p. 75

E. Les conflits de cour de récréation : une loupe sur les p. 77
tensions ?

II). L'élève dans sa classe p. 85

A. Les enseignants. p. 85

B. Cancres et bons élèves. p. 91

C. L'organisation de la classe. p. 98

D. Les programmes scolaires. p. 103

E. La carrière des témoins : une fréquente reproduction p. 106
sociale ?

Chapitre 3 : L'Ecole a-t-elle une influence sur le sentiment d'être Français ? p. 112

I). La volonté d'être Français p. 113

A. Le patriotisme à l'école : une volonté de « convertir » p. 113
l'enfant de migrant à la société française ?

B. Le contact avec les autres étrangers de l'école : une p. 118
volonté d'être « plus Français que les Français » ?

C. L'égalité sur les bancs de l'école ? p. 121

D. La mise en lumière d'une proximité de culture entre p. 123
l'Italie et la France.

E. La peur d'une identité nationale en péril. p. 127

II). Le sentiment de « ritalité » p. 131

A. Les moqueries des enseignants. p. 132

B. La violence à l'école : un facteur de repli sur l'univers familial italien ?

C. L'école et la rue : deux espaces de jeu clairement séparés ?

D. L'apprentissage de l'italien comme besoin d'une reconnaissance identitaire.

p. 134
p. 137
p. 139

 

E. Le récit aux descendants. p. 143

Conclusion

p. 147

Documents annexes

p. 149

Tableau des sources

p. 169

Bibliographie

p. 179

Conclusion

p. 147

Tables

p. 190

Table des illustrations

p. 190

Table des matières

p. 192






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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King