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Formation de la personnalité des enfants de la rue à  Port-au-Prince

( Télécharger le fichier original )
par Dieuveut GAITY
Université d'Etat d'Haiti - Licence en Psychologie (Bachelor Degree) 2009
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE D'ETAT D'HAITI

FACULTE D'ETHNOLOGIE

DEPARTEMENT DE PSYCHOLOGIE

La formation de la personnalité des enfants de la rue entre 10 et 12 ans à

Port-au-prince

Préparé Par : Dieuveut GAITY

Pour l'obtention du grade de licencié en psychologie

Dirigé par : Jean Robert CHERY

Promotion 2003-2007

Octobre 2009

Cette recherche est dédiée à:

Tous les enfants de la rue en Haiti et à travers le monde,

tous ceux et toutes celles qui ont lutté, tous ceux et toutes celles qui

luttent toujours, tous ceux et toutes celles qui lutteront jusqu'à leur mort

pour une Haiti meilleure.

MES REMERCIEMENTS LES PLUS SINCERES S'ADRESSENT A :

Ma mère, Marie Thérèse CATOR

Mon père, Luckson GAITY

Mes frères et soeurs...

Mes professeurs d'Honneur et de Mérite, Jean Claude MICHAUD, Jn Anil LOUIS-JUSTE

Mes amis (es), Jeanne ACHESON-MUNOS, Jack MUNOS, Lindsey STRAUCH, Katherine

ZOOK, Blake Nathaniel WENNER, Innocent JOSEPH, Eseulson ELYSEE,

Willio FRANCILLON, Frantzy GENARD, Vladimir PIERRE, Schneider

BELIZAIRE, Rodady GUSTAVE, Farah MARCELIN, Mauley COLAS, Luco

JOACHIM, Randy FRANCOIS et à tous ceux dont je n'ai pas cité le nom.

La promotion 2003-2007 de la Faculté des Sciences Humaines

La promotion de 2003-2007 de la Faculté d'Ethnologie, Madeleine Sylvain Bouchereau

et à L'Université d'Etat d' Haiti toute entière.-

Vos contributions ont été très grandes et j'en ai la reconnaissance

TABLE DES MATIERES

I- Dédicace .......................................................................................................i

II- Remerciements ............................................................................................ii

III-Table des matières ........................................................................................iii

IV- Listes des encadrés, tableaux, graphiques............................................................viii

V- Liste des sigles et/ou acronymes........................................................................xi

PREMIERE PARTIE : Introduction

CHAPITRE I : PRESENTATION DE LA RECHERCHE....................................... 4-10

1- Thème de la recherche............................................................ 4

2- Problème de la recherche......................................................... 4

3- Sujet de la recherche.............................................................. 4

4- Objectifs de la recherche......................................................... 4

5- Justification de la recherche...................................................... 5

CHAPITRE II : PROBLEMATIQUE................................................................. 11-27

1- La Société haïtienne et ses réalités multiples................................. 11

2- Le Problème étudié : ................................................................ 13

3- Le Sens du problème: ............................................................... 17

4- L'Emergence historique du phénomène des enfants de rue.................... 20

5- La Provenance de l'enfant de la rue............................................... 25

6- La Mobilité spatiale des enfants de la rue........................................ 26

DEUXIEME PARTIE : Cadre Théorique

CHAPITRE III : L'OBJET D'ETUDE ET SA DEFINITION THEORIQUE.................. 28-48

1- Théories les plus utilisées dans l'étude de la personnalité de l'individu...... 29

1.1.- la Psychanalyse et sa vision de l'individu...................................... 29

1.2.- le Culturalisme et l'étude de la personnalité................................. 31

1.3.- parcourir Haiti à travers l'étude la personnalité............................ 33

2- Considérations critiques :

2.1.- A propos du Culturalisme ......................................................... 37

2.2.- A propos de la Psychanalyse ...................................................... 39

2.3.- Limites d'un héritage théorique, à propos de la personnalité............ 41

3- Notre choix théorique : le Matérialisme historique............................. 42

3.1.- Avec le Matérialisme historique, une autre façon de voir l'individu... 42

3.2.- Les rapports sociaux, un véritable déterminant.............................. 43

3.3.- L'individu entre ses conditions d'existence et sa personnalité............ 44

3.4.- L'individu est-il déterminé à se reproduire ?....................................... 46

CHAPITRE IV : L'ENFANCE, UNE NOTION A COMPRENDRE.......................... 48- 52

1- Définition et perspectives.......................................................... 48

2- La famille, l'enfant et la rue...................................................... 49

3- L'enfant de la rue, c'est Qui ou c'est Quoi ?................................... 50

.

TROISIEME PARTIE : Cadre Méthodologique

CHAPITRE V : DESCRIPTION DE LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE............ 53- 58

1- Présentation de la méthode de recherche....................................... 53

2- Techniques de collecte de données............................................. 54

3- Analyse des données............................................................. 55

4- Echantillonnage.................................................................. 55

5- Séquences des activités de terrain............................................. 56

6- Description des zones d'observation.......................................... 56

CHAPITRE VI : PRESENTATION DE L'HYPOTHESE..................................... 59- 63

1- Définition et opérationnalisation de l'hypothèse........................... 60

2- Concepts, dimensions et indicateurs de recherche......................... 61

QUATRIEME PARTIE : Présentation et analyse des données

CHAPITRE VII : CONDITIONS QUI DEFINISSENT L'ENFANT DE LA RUE........ 64- 72

1- Age, sexe et nombre d'enfants par zone................................... 64

2- Leurs Caractéristiques physiques :

2.1.- Etat du corps.................................................................... 64

2.2.- Etat de la voix et des regards............................................... 65

3- Milieux et cartes de déambulation des enfants de la rue

3.1.- Carrefour de l'Aéroport....................................................... 65

3.2.- Champ de Mars.................................................................. 66

4- La rue, un espace et une réalité pour des centaines de vie bafouée

4.1.- Logement......................................................................... 67

4.2.- Travail........................................................................... 68

4.3.- Nourriture....................................................................... 69

4.4.- Santé.............................................................................. 69

4.5.- Politique ......................................................................... 70

4.6.- Divertissement................................................................. 70

CHAPITRE VIII : L'ENFANT DE LA RUE, UNE ENIGME PSYCHOSOCIALE...... 73- 105

1- Les enfants de la rue nous parlent :

1.1.- Cas # 1...................................................................... 74

1.2.- Cas # 2..................................................................... 77

1.3.- Cas # 3..................................................................... 80

1.4.- Cas # 4..................................................................... 83

2- Les Dimensions de la personnalité étudiées chez l'enfant de la rue

2.1.- Quelques aspects de la motricité chez l'enfant de la rue :

2.1.1.- le corps de l'enfant de la rue, entre sa musculature et ses

Mouvements............................................................87

2.1.2.- le corps de l'enfant de la rue est ses dérivés sensoriels........... 88

2.1.3.-le corps, ça absorbe.... C'est comme une éponge.................. 89

2.2.- L'Intelligence de l'enfant de la rue : un outil de survie

2.2.1.- l'Enfant de la rue : A la lumière de ses informations de base... 90

2.2.2.- Sa perception de la réalité : A la limite de ses représentations

et de son jugement............................................ 91

2.2.3.- Quelle intelligence, pour quel type d'enfants et pour quelles

Situations................................................... 94

2.3.- L'Evolution socio affective de l'enfant de la rue....................... 96

2.3.1.- l'identité de l'enfant de la rue : objet de son humanité.......... 98

2.3.2.- l'enfant de la rue : entre ses émotions et son émotivité.......... 101

3- La personnalité de l'enfant de la rue : un puzzle qui se construit pièces par

Pièces ........................................................................... 102

4- L'enfant de la rue survit et sa personnalité s'endurcit.......................... 104

CHAPITRE IX : L'ENFANT DE LA RUE, UN AGENT DE LA REPRODUCTION SOCIALE

1- Entre ses conditions de vie et sa personnalité, l'enfant de la rue se reproduit constamment................................................................ 106

1-1.- L'enfant de la rue crée sa journée et, en retour, elle définit son histoire........................................................................ 108

1.2.- Et si, en réalité, les aspirations de l'enfant de la rue étaient comptées ?..................................................................... 111

2- Au delà de la confusion : entre la promotion, la mobilité sociale et le dépassement de l'enfant de la rue....................................................... 114

CINQUIEME PARTIE :

I- Conclusion, recommandations.......... ................................................... 118- 122

II- Bibliographie.................................................................................. 123- 129

Annexe

I- Grille d'entretiens pour enfants..................................................................................... 130

II- Grille d'entretiens pour nos experts........................................................................... 136

III- Grille d'observation.................................................................................................... 137

IV- Glossaire........................................................................................ 139

IV- Photos........................................................................................................................ 141- 149

LISTE DES GRAPHIQUES, ENCADRES ET TABLEAUX

GRAPHIQUES

Graphique 1.- Provenance des enfants de rue

Graphique 2.- Mobilité spatiale des enfants de la rue

Graphique 3.- Zones d'observation : Champ de Mars

Graphique 4.- Zones d'observation : Carrefour de l'Aéroport

Graphique 5.- Présentation de l'hypothèse

Graphique 6.- Cartes de déambulation : Carrefour de l'Aéroport

Graphique 7.- Cartes de déambulation : Champ de Mars

Graphique 8.- Processus présentant l'effectuation d'un acte de l'individu ou de l'enfant de la

rue

Graphique 9.- Cycle présentant la relation : Activités et Satisfaction de besoins

Graphique 10.- Schéma présentant la force de travail comme base de la spirale

ENCADRES

Encadré 1.- Perception et représentations de l'enfant de la rue : La Rue

Encadré 2.- Perception et représentations de l'enfant de la rue : l'Ecole

Encadré 3.- Perception et représentations de l'enfant de la rue : les centres d'accueil

Encadré 4.- Données sur les techniques pratiques de l'enfant de la rue

Encadré 5.- Données sur la conscience de soi : Image de soi

Encadré 6.- Données sur la conscience de soi : Présentation de soi

Encadré 7.- Données sur la conscience de soi : Estime de soi

Encadré 8.- Données sur les aspirations de l'enfant de la rue

TABLEAUX

Tableau 1.- Présentation de l'émergence historique du phénomène des enfants de rue

Tableau 2.- Données sur les connaissances de base de l'enfant de la rue

Tableau 3.- Données sur l'organisation de la journée de l'enfant de la rue

Tableau 4.- Données sur les dépenses quotidiennes de l'enfant de la rue

Tableau 5.- Données sur les niveaux socioprofessionnels de l'enfant de la rue

LISTES DES SIGLES ET/OU ACRONYMES

C.E.P : Centre d'Education Populaire

FRAPH : Front pour l'Avancement et le Progrès d'Haiti

GHESKIO : Groupe Haïtien d'Etude du Sarcome de Kaposi et des Infections opportunistes

HASCO : Haitian American Sugar Company

MAST : Ministère des Affaires Sociales et du Travail

MINUSTAH : Mission des Nations-Unis pour la Stabilité en Haiti

MST : Maladies Sexuellement Transmissibles

ONG : Organisation Non Gouvernementale

PIB : Produit Intérieur Brut

UNICEF: United Nations International Children's Emergency Fund

VSN : Volontaire de la Sécurité Nationale

PREMIERE PARTIE : INTRODUCTION

INTRODUCTION

Faire de la recherche en Haïti se révèle un grand sacrifice pour l'étudiant haïtien qui s'y investit en vertu de la quantité et de la qualité de manques qu'il a à combler et en raison de la quantité de besoins qu'il a à satisfaire chaque jour comme étant un auto dominé1(*) de la formation socioéconomique de la société. Etant étudiant de la même structure, nous avons mis du temps et de l'énergie à produire ce document qui rentre dans le cadre d'une recherche de fin de cycle d'études universitaires pour l'obtention du grade de licencié en psychologie. Ce présent document qui constitue notre rapport de recherche, est non seulement un avantage pour nous, mais il est aussi au bénéfice de tout secteur qui s'intéresse aux catégories de personnes qui vivent dans des conditions difficiles en Haiti. Il fait, de son objet, l'étude d'un phénomène social qui s'est érigé en problème social dans notre société et qui nous incite à le questionner, en raison de le rendre intelligible aux yeux de tout un chacun en mettant à nu les paramètres sociaux, psychologiques et historiques qui déterminent son essence.

Ainsi, nous l'avons susmentionné, nous vous présentons dans ce document la formation de la personnalité de l'enfant qui vit de la rue entre 10 et 12 ans à Port-au-Prince. Il est divisé en plusieurs parties (5) qui vous aideront à suivre le déroulement méthodologique, empirique et théorique de cette dite recherche. Elle se propose de faire ressortir les conditions matérielles dans lesquelles vit l'enfant de la rue, de faire comprendre sa personnalité et de situer sa position dans le système de reproduction sociale qui caractérise toute société. Pour cela, dans cette recherche, nous allons procéder ainsi :

Dans la première partie qui contient les chapitres I et II, nous tachons premièrement de présenter la recherche à travers son thème, son sujet, sa question et son hypothèse, ses objectifs, ses limites, etc. et aussi, nous présentons la problématique de la recherche dans laquelle nous détaillons le problème que nous étudions dans son contexte social et historique.

Dans la deuxième partie qui contient les chapitres III et IV, nous définissons l'objet d'étude de cette recherche à l'aide de théories, nous faisons une analyse critique de ces théories qui nous permet ensuite de mieux faire asseoir notre théorie de choix. Et, en dernier lieu, nous présentons un Quid sur la notion d'enfance, sa définition et ses perspectives et nous en profitons pour définir encore une fois les notions d'enfants dans la rue et les enfants de la rue.

Les chapitres V et VI sont présentés dans la troisième partie, elle concerne le cadre méthodologique de la recherche dans lequel nous faisons la description détaillée de notre démarche : Méthode, Techniques, échantillon, etc. et, aussi, nous y présentons minutieusement notre hypothèse, ainsi que ses dimensions, indicateurs et ses sous indicateurs.

La quatrième partie dans laquelle nous présentons et nous analysons les données à travers les chapitres VII, VIII et IX, nous prenons le grand soin de présenter les conditions matérielles qui définissent la vie de l'enfant de la rue à Port-au-Prince ; ensuite, nous présentons quatre (4) études de cas des sujets de notre échantillon grâce auxquelles nous faisons une analyse de la personnalité de ces derniers à travers les facteurs sensorimoteur, cognitif et socioaffectif au gré de leurs conditions d'existence ; et, enfin, nous démontrons la capacité de ces enfants à reproduire les conditions de leur vie en s'appuyant sur leur réalité actuelle et sur les réalités datant de 1986 à nos jours2(*).

Enfin, dans la cinquième partie, nous faisons la conclusion de la recherche, nous tâchons également de faire des recommandations pouvant aider à l'éradication de ce phénomène et nous insérons un annexe en dernière instance dans lequel seront affichés les documents supplémentaires et importants à la recherche.

C'est ainsi que cette recherche est conçue et dirigée ; nous la réalisons comme étant une obligation académique et nous allons en servir comme étant un outil de travail capable de relever le niveau de notre conscience critique et celui des autres à l'égard de notre existence, des phénomènes que nous vivons chaque jour, de notre société et à l'égard du monde entier ; en espérant un jour qu'Haïti deviendra la perle du monde.

Que tout lecteur soit édifié...

CHAPITRE I : PRESENTATION DE LA RECHERCHE

Notre travail de recherche s'étend sur un thème qui, dans son ampleur, relie deux concepts fondamentaux dans une tentative d'aborder cet objet réel assez complexe qui est : «  Enfants de la rue et personnalité. »

En ce sens, nous allons cerner ces deux concepts, dans les différents rapports dynamiques qu'ils entretiennent entre eux, à partir de la formulation de ce problème de recherche suivant : « Comment la personnalité des enfants qui vivent de la rue de Port-au-Prince se forme-t-elle » Cette question ainsi formulée, nous a facilité simultanément deux tâches, elle nous a permis de réduire l'étendue et la complexité de cette recherche et, du même coup, elle a assuré sa viabilité.

Alors, l'intitulé de notre travail de recherche devient : « la formation de la personnalité des enfants de la rue entre 10 et 12 ans à Port-au-Prince ». Ce travail se veut, dans ses différents chapitres et parties, une cohérence logique que doit impliquer toute activité scientifique, ainsi que notre tentative de rendre intelligible cet objet réel que nous voulons étudier dans son dynamisme, sa totalité, son historicité et son empiricité.

En vue de répondre provisoirement à la question de recherche, nous formulons l'hypothèse suivante : « la personnalité des enfants de la rue se forme dans leurs conditions matérielles d'existence qui, du même coup, orientent leurs comportements dans des logiques de reproduction sociale. »

A partir de là surviennent les objectifs de la recherche qui se formulent de la façon suivante :

1. Identifier les conditions matérielles d'existence des enfants de la rue.

2. Etudier le modelage de la personnalité des enfants de la rue à cet effet.

3. Etudier, d'une part, les conditions matérielles d'existence des enfants de la rue dans leur renforcement et, d'autre part, leur comportement dans des pratiques de reproduction sociale.

4. Présenter les possibilités pour l'enfant de la rue de résister, de s'adapter ou de dépasser ces conditions concrètes de vie et, aussi, les possibilités de transformation de la structure sociale elle-même.

JUSTIFICATION DU CHOIX DU SUJET

Ce travail définit l'une de nos principales préoccupations en matière de recherche durant nos quatre années études au cycle de licence à la faculté d'Ethnologie. A bien remarquer, ce travail va se dérouler autour d'un thème, d'un problème et d'un sujet de recherche qui sont liés entre eux, ce qui nous permet d'étudier une réalité psychosociale assez complexe portant sur la formation de la personnalité des enfants de la rue.

Ce travail de recherche abordera l'étude de cette dite réalité dans une perspective critique et de dépassement des autres recherches qui ont été déjà réalisées, afin de mieux apporter sa contribution. Ce faisant, la pertinence de ce travail prend de l'importance et du sens dans le souci que nous avons pour appréhender, contrairement à la psychanalyse Freudienne et néo-Freudienne, l'étude de la personnalité.

Tout compte fait, ce travail se veut une approche socio-historique de la formation de la personnalité des enfants de la rue, qui ne sera en aucun cas une étude superficielle, ce qui veut dire que cette étude appréhendera son objet en se posant sur les facteurs matériels qui déterminent le devenir3(*) des enfants de la rue. Donc, une telle activité scientifique se justifie suivant ces trois niveaux :

Sur le plan personnel, notre travail est le résultat d'une réflexion de longue date sur la situation, le profil psychosocial de l'individu haïtien qui vit dans la misère, par la misère et pour la misère. Personnellement, à ce niveau, comprendre les conditions dans lesquelles l'individu haïtien se construit ou se déconstruit a été toujours notre ambition scientifique la plus poussée depuis notre entrée à l'Université d'Etat d' Haiti. Nous voilà maintenant dans une situation de production de connaissance, nous allons sans un brin de doute concrétiser l'un de nos projets scientifiques les plus chers. Car, étudier la vie des enfants de la rue dans la formation de leur personnalité nous conduira dans un univers de misère et de pauvreté dans une société structurée par la domination socio-économique. En un mot, étant Haïtien, l'image de la misère, de la pauvreté et de la domination se reflète aussi en nous. Donc, ce travail, une fois réalisé, définira le niveau de notre conscience critique de la réalité sociale haïtienne.

Sur le plan académique, ce travail doit répondre aux différents critères pédagogiques avant tout essor scientifique. Après avoir vu, critiqué, approuvé, soutenu et mentionné, ce travail de recherche nous permettra d'obtenir le grade de licencié en psychologie, à destination du deuxième cycle d'études universitaires.

Sur le plan scientifique, nous avons une tâche qui doit favoriser notre entrée, aussi humble et honnête soit-elle, dans la catégorie des hommes de science par l'élaboration de ce travail de recherche. Aussi, cette étude nous accordera aisément le privilège d'acquérir un rigoureux discours théorique visant à favoriser le mouvement scientifique en Haiti et à travers le monde. Puis, dans cette même logique, le corpus théorique et méthodologique de ce travail constituera une voie de recherche prometteuse pour tout groupe d'intellectuels engagés en tant que scientifiques dans la pratique de la production de connaissance sociale

LA NATURE ET LA PORTEE DE LA RECHERCHE

Cette recherche est de nature empirico-théorique dans le champ de la psychosociologie. Contrairement aux démarches expérimentales qui, dans leur dimension fonctionnaliste, présentent l'objectivité comme paradigme, la mesure comme moyen et le laboratoire expérimental comme espace de recherche, notre étude est plutôt descriptive et corrélationnelle en utilisant la démarche dialectique comme procédé méthodologique.

Cette recherche, dans ses étendues, présente sa portée comme une condition scientifique préalable à cette démarche dans trois dimensions. D'abord, la portée heuristique et épistémologique de cette recherche réside particulièrement dans notre choix méthodologique comme étant un changement de paradigme dans la recherche sociale en Haiti ; surtout en Psychologie, elle ouvrira sans doute de nouvelles pistes pouvant contribuer à l'enrichissement de ce champ disciplinaire. Ensuite, la portée pratique et théorique est définie dans la dimension empirique qui imprègne l'objet réel que nous étudions dans le cadre de cette recherche. Etant basée sur l'étude des rapports humains dans leurs milieux concrets de vie, le recours aux observations et aux entretiens nous garantira, outre les outils d'analyse théorique, une appréhension plus scientifique de cet objet réel. Enfin, la portée critique de cette recherche provient de son caractère dialectique qui l'oblige à remettre en question, d'un côté, les quelques recherches ayant été effectuées sur cette réalité psychosociologique que nous étudions en accentuant sur leurs insuffisances, dans un effort de dépassement. De l'autre côté, ce caractère oblige à cette étude de porter particulièrement un regard interrogateur sur les conditions de vie de l'enfant de la rue en Haïti et en général sur la structure sociale et économique.

PRESENTATION DE LA METHODE DE RECHERHE.

Comme fil de conduction de cette recherche, nous utilisons la méthode dialectique pour pouvoir atteindre respectivement les différents objectifs qui lui sont fixés. Lesquels objectifs sous-tendent, non seulement d'étudier la formation de la personnalité des enfants de la rue, mais de comprendre aussi leurs comportements dans des pratiques de reproduction sociale sous des conditions matérielles déterminantes de vie.

La méthode dialectique nous permettra de nous questionner, comme tout chercheur d'ailleurs, sur les conditions de vie de la personne humaine dans une formation sociale donnée. A vrai dire, en ce qui nous concerne plus précisément, elle nous facilitera par son caractère propre à mettre l'accent sur les contradictions, à réfléchir et à agir sur les mécanismes et les conditions dans lesquels se forme la personnalité des enfants de la rue, et qui définissent leurs actions et leur place dans la société haïtienne.

En outre, cette méthode nous permettra de comprendre dans un cadre social et historique, le phénomène des enfants de la rue, dans son évolution, dans son développement, etc., et de comprendre aussi les dynamiques qui le mettent en mouvement jusqu'à date dans des rapports implicites ou explicites avec la totalité de la société.

Ainsi notre méthode de recherche étant présentée, nous allons maintenant préciser les différentes limites de cette étude.

LES LIMITES DE LA RECHERCHE

Cette étude, comme nous la concevons, est une tentative de réflexion critique sur la réalité de vie des enfants de la rue en accentuant sur la formation de leur personnalité dans le contexte social haïtien. Donc, aux yeux des lecteurs, ce travail pourrait être tout autre chose mais, nous le signalons, il ne sera en aucun cas révélateur de la vérité absolue sur les modes de vie des enfants de la rue.

Sur le plan théorique, cette recherche ne prétend pas étudier la personnalité de l'enfant de la rue dans sa description en termes de traits, de facteurs, de niveaux, d'instances et de types. Ces aspects nous conduiraient à l'étude du développement de la personnalité et nous obligeraient à rejoindre les différentielles4(*) de toutes formes chez l'enfant de la rue comme : les différentiels psycho-factoriels, les différentiels génétiques, les différentiels culturels, les différentiels psycho-fonctionnels, etc., ce qui paraissait loin d'être nos objectifs. A l'opposé, cette recherche se limite à l'étude de la formation de la personnalité de l'enfant de la rue dans ses conditions matérielles d'existence à travers les formes d'expression psychologiques qui y sont associées.

Sur le plan méthodologique, cette recherche a été conçue au départ selon un échantillon intentionnel ou typique de six (6) enfants de la rue, trois (3) garçons et (3) filles. Cependant, en arrivant sur le terrain, nous n'avons pas retrouvé de filles5(*) ; face à cela, nous sommes obligés de revoir notre échantillon en travaillant avec quatre sujets mâles pour pallier ce problème. Puisque nous adoptons un échantillon non probabiliste et exemplaire, nous avons voulu continuer la recherche au delà de quatre (4) sujets ; comme lors des entretiens, nous avons atteint le point de saturation6(*) dans la collecte des données, nous sommes restés à un échantillon de quatre enfants de la rue de sexe masculin ; deux (2) au Carrefour de l'Aéroport et deux (2) au Champ de Mars. Ce qui semble, à notre avis, être l'une des faiblesses de cette recherche que nous estimons importantes à signaler.

A notre avis, cette réflexion n'a pas la prétention de cerner tous les problèmes impliquant le phénomène des enfants de la rue. Non plus elle ne se plonge pas dans un réductionnisme scientifique en tentant, par défaut de précisions et de vérifications, de ramener notre objet d'étude à des pointillés sur lesquels nous devrions poser le problème. Tout au contraire, cette réflexion dépassera ces deux niveaux en inscrivant son objet d'étude (réduction) dans le contexte global de la société haïtienne (expansion) qui le fait émerger comme réalité problème.

Cette réflexion, en résumé, n'a pas la prétention de se refermer en théories et en méthodes sur elle-même en négligeant les autres procédés méthodologiques et théoriques que l'on utilise, qu'il soit d'ici ou d'ailleurs dans les recherches sociales ; à l'opposé, ces procédés, après confrontation, finissent par affermir notre position théorique et renforcer notre réflexion critique, lesquelles position et critique consistent à éviter le plus que possible les impairs conceptuels dans ce processus de production de connaissance. Tout compte fait, cette étude laisse des ouvertures et des possibilités de dépassement pour d'autres recherches qui se veulent une réflexion critique sur les contradictions.

CHAPITRE II : LA PROBLEMATIQUE

1- La société Haïtienne7(*) et ses réalités multiples

L'île d'Haiti se trouve dans la mer des Antilles, près de Porto- Rico, de Jamaïque et, plus précisément à l'Est de Cuba. Elle est divisée en deux états indépendants : la République Dominicaine à l'Est et la République d'Haiti à l'Ouest. L'île entière est de 78 250 Km2, par contre la partie haïtienne de l'île occupe 27 750 km2, soit un peu plus du tiers de la superficie globale. Elle a une population de huit millions d'habitants, son économie est à prédominance agricole et accuse un taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB), marqué par une contraction continue, s'établissant à 0,9% en 1999-2000, moins de 0,5% en 2001-2002 et 0,4% en 2002-2003. Ces taux sont nettement inférieurs au taux de croissance de la population estimé à environ à 2% par an.

De là, les dernières enquêtes sur les conditions de vie en Haiti concluent que sur une population de 8,1 millions d'habitants, 4,4 millions de personnes, soit 55% sont des ménages vivant en dessous du niveau de pauvreté extrême de 1 dollar US par personne et par jour ; 71%, soit environ 6,2 millions d'habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté de 2 dollar US par jour8(*). En outre, selon certains économistes, la pression fiscale en Haïti accuse une réduction extrême d'année en année à cause des déficits budgétaires enregistrés pour chaque gouvernement, aboutissant à une accélération incontestable du taux d'inflation pour les périodes respectives allant de 1989 à 2006.

En Haiti, la pauvreté et la misère battent leur plein. A partir des idées de DOURA, F., plus de 75% des haïtiens n'ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins et 50% des enfants haïtiens de moins de 5 ans souffrent de malnutrition. Entre 60 et 80% de la population haïtienne se trouve en situation de chômage et de sous emploi9(*). Et, nous devons rappeler qu'en Haïti la moitié des haïtiens adultes, soit 55%, est analphabète. En fait, en Haiti, dans presque toutes les institutions publiques ou privées, la corruption est très répandue, ce qui paralyse de plus en plus la distribution des services sociaux, politiques et économiques que la population a le droit de bénéficier.

Dans le milieu rural, la grande majorité de la population vit en dessous de la ligne de la pauvreté de 2 dollars US par jour. L'inaccessibilité de cette population dite rurale aux services sociaux de base tels que l'éducation, la santé, l'eau courante et potable, l'électricité et l'assainissement, aggrave davantage la situation de misère dans ce milieu assez important pour notre société, avec plus de 4,7 millions d'habitants environ, soit 59,58% de la population globale10(*). Les principales sources de revenus des ménages en milieu rural sont la production agricole, la pêche et le commerce ; cependant, il y a d'innombrables conditions et toute une série de contraintes qui limitent le développement de ces secteurs d'activités économiques sur lesquels repose la vie des habitants. Parmi ces problèmes nous comptons : le manque d'opportunités ou d'alternatives, un faible accès au crédit, des infrastructures délabrées ou non existantes, un environnement dégradé et un appauvrissement des terres les rendant moins fertiles tout en compromettant la production agricole, des droits de propriétés mal définis et, en dernier lieu, un manque de mécanisme de résolution de conflits fonciers. En fait, depuis 1804, passant par le code rural (1826), l'occupation américaine (1915) et jusqu'à nos jours, les problèmes du monde rural haïtien restent presque inchangés. Sa structuration, la logique de la distribution de la terre et les inégalités attisent davantage les oppositions, les antagonismes et les contradictions dans ce milieu et, aussi, ses conséquences affectent la société toute entière. A ce sujet, Gérard Pierre-Charles11(*) a dit que la question agraire constitue le noeud du problème national. Elle détermine, à son avis, le caractère du commerce extérieur, la gestion et la marche des finances publiques, les rapports entre les hommes et les rapports de classes au sein de la production et, en dehors de celle-ci, dans les institutions politiques.

Ceci étant dit, la réalité socio-économique des régions rurales a de fortes incidences sur tout le reste du pays, particulièrement sur les centres urbains et toutes les grandes villes. Cependant, l'aire Métropolitaine, parmi tous les autres centres urbains, est la région la plus touchée par l'augmentation de la paupérisation du rural depuis 1950-197112(*) jusqu'à maintenant, qui a engendré un déplacement massif des personnes qui vivaient dans les milieux ruraux vers la capitale à la recherche de meilleures conditions de vie. Ce qui contribue en réalité à l'accroissement du nombre des personnes vivant dans des conditions difficiles dans la région métropolitaine et qui engendre de graves problèmes sociopolitiques dûs aux déficiences et à l'incapacité de l'Etat à offrir des services qui puissent répondre à cette croissance rapide et non planifiée de la population. D'où des problèmes majeurs tels que : bidonvilisation, chômage renforcé, cherté du coût de la vie, insécurité sur toutes les formes, violence, drogue, délinquance juvénile, déscolarisation, viol, analphabétisme, prostitution, maladies (MST), enfants domestiques, enfants de rue, etc. font surface et sont établis irrémédiablement dans les régions urbaines, en particulier dans la zone Métropolitaine et, en général, dans la société toute entière en ce 21e siècle.

2- Le problème étudié

La situation de précarité et d'insécurité dans laquelle se trouve la société haïtienne est le résultat d'un ensemble de problèmes sociaux, politiques, économiques et culturels qui paraissent un peu insolubles aux yeux de la population.

A ce propos, nombreux sont les problèmes que, d'un côté, nous percevons et nous sommes conscients de leur impact sur la société ; nombreux sont ceux dont nous ignorons la portée et le poids dans les situations chaotiques du pays tout entier. De l'autre côté, il existe des problèmes que nous n'avons jamais abordés avec les outils théoriques qu'il faut, on ne sait pas pourquoi. De ce fait, nous avons toujours tendance à réfléchir sur les problèmes les plus visibles pour y apporter des solutions pendant que nous faisons fi de certaines catégories de problèmes, si petites soient-elles, qui sont des sources de troubles sociaux et qui, à notre avis, méritent aussi d'égales réflexions et solutions. En ce sens, ces problèmes en Haïti doivent faire l'objet de questions sociologiques, psychologiques, etc. sur lesquelles nous devons réfléchir et intervenir pour assurer un possible équilibre dans les conditions de vie jusqu'à la transformation de cette structure sociale et économique en Haïti.

Parmi tous les problèmes sociaux de la société, la situation des enfants de la rue s'émerge comme étant un phénomène multi varié et multidimensionnel qui fait l'objet des préoccupations les plus courantes de la population. A ce niveau, beaucoup de chercheurs ont déjà réalisé des études concernant ce phénomène sous des angles divers pendant les 20 dernières années.

Sauveur Léger,13(*) dans ses travaux sur le phénomène de la mendicité à Port-au-Prince, a élaboré un chapitre sur la situation des enfants des rues. Il a étudié le cas de ces enfants dans leur situation de vie sur les plans social, économique et culturel par rapport à l'expansion du phénomène de la mendicité.

Roth Pierre,14(*) de son côté, a étudié le profil psycho-social des enfants des rues à travers des études de cas concernant leurs espaces de socialisation. L'auteur, à partir de cette recherche, a fait une description assez importante de cette catégorie d'enfants en tentant de déterminer les causes de leur autonomie précoce dans la rue pour obtenir des résultats qui vont contribuer à l'élaboration d'un plan d'action de réinsertion sociale et d'un plan de prévention de réinsertion familiale qui serviront à l'avancement de la recherche dans ce domaine en Haiti.

Josué Vaval15(*) a réalisé des travaux de recherche sur la maturité socio-affective chez les enfants des rues. Les résultats de sa recherche ont démontré que, malgré les situations de misère dans lesquelles vivent les enfants des rues qui sont de nature à susciter chez eux de la méfiance et de la haine, ils sont capables de faire preuve de solidarité dans des actions d'entraide et de support mutuel qui définissent, selon ces indicateurs, leur degré de maturité socio affective.

Yanick Apollon Thomas16(*) a fait un travail de recherche exploratoire pour déterminer l'existence de l'agressivité chez les enfants de la rue et mettre en évidence les manifestations et les tendances agressives de ces jeunes : formes, cibles, intensités, motivation et étendue du phénomène.

Jean Jorel Janvier17(*) a fait une étude sociologique des catégories d'enfants appelés « Kokorat ». Ce travail a été réalisé, affirme-t-il, pour déterminer les causes et les conséquences de ce phénomène dans le contexte haïtien, déterminer les raisons de cette appellation, leur profil, leurs attitudes, leurs comportements et les impacts de leurs activités sur la société.

D'autres recherches ont été réalisées sur la prise en charge de ces enfants par des institutions (UNICEF, SAVE THE CHILDREN, LAKOU, LAKAY) et par d'autres groupes de chercheurs, toujours dans le but de comprendre la réalité des enfants de rue et d'y trouver des pistes de solution.

Cependant, malgré tout ces efforts, la situation des enfants des rues reste presque inchangée et la compréhension de leur réalité psychosociale demeure grandement limitée. Car, à plusieurs niveaux, les recherches susmentionnées ne suffisent pas à rendre plus intelligible le phénomène pour deux raisons fondamentales.

En premier lieu, ces recherches, ainsi réalisées, ne touchent aucunement à l'essence de ce phénomène réel ; ce qui empêcherait, encore plus, la compréhension des comportements sociaux ou anti-sociaux des enfants des rues. En étudiant l'agressivité, la maturité socio- affective, l'intelligence, leur prise en charge, etc., les recherches ne font qu'aborder un ensemble de formes d'expressions psychologiques des enfants des rues qui sont superficielles et flottantes, si nous tenons compte des dynamiques de leur situation de vie, qui sont configurées dans la structure de la société et qui méritent des réflexions globales et plus profondes.

En second lieu, dans ces différents travaux, tous les aspects que les auteurs ont abordés sont pris en dehors de la réalité sociohistorique de laquelle ils font partie ; ils sont étudiés comme étant des éléments isolés. Sans tenir compte de la dialectique dans laquelle ces aspects s'imbriquent et se développent pour être ce qu'ils sont réellement aujourd'hui, nous n'en sortirons jamais avec les résultats escomptés.

En dépit de tout cela, ces travaux de recherche ont laissé de larges pistes pour d'autres chercheurs de continuer et de faire progresser la même logique. Par contre, de notre côté, nous aurons à profiter de ces premiers travaux, non pas dans la logique d'une continuité, mais plutôt dans un effort de dépassement qui nous aidera à aborder ce même phénomène sous un autre angle et dans un autre paradigme, qui sera le matérialisme historico-dialectique.

Ainsi, notre premier effort de dépassement nous permettra d'inscrire l'enfant de la rue et de l'étudier dans ses rapports avec le temps et dans l'espace. Un second niveau de dépassement réside dans notre effort à aborder l'enfant de la rue dans ses logiques de personnalisation et d'y faire ressortir les empreintes socio-économiques dans lesquelles il s'interagit. C'est-à-dire que, non seulement nous posons le problème de la formation de la personnalité de l'enfant de la rue qui n'est pas encore étudiée, mais nous allons aussi faire ressortir les rapports de domination qui, matériellement, la déterminent et qui, sans cesse, la contraignent dans des pratiques de reproduction sociale.

Donc, puisque nous sommes exactement à notre champ d'intérêt scientifique, nous devons encore présenter, avec plus de précision, nos directives de recherche en formulant l'intitulé de notre étude ainsi : «  La formation de la personnalité des enfants de la rue entre 10 et 12 ans à Port-au-Prince. » Ce travail est fondé sur une question de recherche fondamentale sur laquelle nous allons réfléchir pour comprendre et expliquer ce problème. Elle peut bien se formuler de la façon suivante : «  Comment la personnalité des enfants qui vivent de la rue de Port-au-Prince se forme-t-elle ?

Provisoirement, nous allons répondre à cette question par cette hypothèse de recherche qui s'énonce comme suit : « La personnalité des enfants de la rue se forme dans leurs conditions matérielles d'existence qui, du même coup, orientent constamment leurs comportements dans des logiques de reproduction sociale. »

3- Le sens du problème étudié

Ces enfants dits de la rue, selon la définition de l'UNICEF,18(*) sont ceux qui considèrent la rue comme leur foyer où ils trouvent abri et nourriture. Ce sont leurs compagnons de survie qui leur donnent un certain sens de la famille, car les rapports avec leur famille biologique sont plutôt lointains, sinon inexistants ; ils se réfèrent, pour s'identifier, au groupe auquel ils appartiennent plutôt qu'à une famille.

Leur nombre, selon les résultats de l'enquête de l'Université Quisqueya,19(*) varie entre 1500 et 2000, et nous les retrouvons dans différentes zones de la capitale, comme dans certaines provinces. A ce titre, ces enfants sont considérés comme des mineurs vulnérables et en difficulté vivant dans des conditions de vie infrahumaines ; alors que, nous le savons bien, ces conditions jouent un rôle important dans leur développement psychosocial, quand elles les contraignent dans des logiques objectives de déterminations socio-culturelles. A quoi ces contradictions vont- elles rimer ?

A ces propos, les modes de vie réels de ces enfants nous ont donné une idée de la réalisation de ce travail et, implicitement, des enjeux sur lesquels nous devons miser et qui, à certains égards, assigneront sens et signification à cette recherche de la façon suivante.

D'abord, sur le plan juridico-politique, l'enfant de la rue jusqu'à aujourd'hui n'arrive pas à jouir pleinement de ses droits fondamentaux. Ni les textes de loi de la convention relative aux droits de l'enfant (1994),20(*) ni la convention américaine relative aux droits de l'homme (1979), ni le pacte international relatif aux droits civils et politiques (1990), encore moins la constitution haïtienne (1987) ne permettent à l'enfant, dans un cadre légal, d'être protégé et de jouir de ces privilèges sociaux et culturels. Ce qui fait que le phénomène des enfants de la rue entrave non seulement, la politique sociale de la protection de l'enfance en Haïti, mais il devient aussi un défi pour tous ceux (individus, groupes, ONG, institutions publiques ou privées) qui veulent prendre en charge cette catégorie d'enfants. D'où l'émergence d'une question assez actuelle : comment prendre en charge les enfants de la rue sans comprendre leur personnalité dans le contexte haïtien?

Ensuite, sur le plan socioéconomique, nous considérons le phénomène des enfants de la rue comme le produit des rapports sociaux inégalitaires de la société ; d'ailleurs il est l'un des problèmes concrets engendrés par cette formation sociale et économique dans laquelle nous vivons. Donc, il faut bien que nous comprenions les rapports sociaux de production au sein de notre société pour mieux aborder ce phénomène. Car, l'enfant de la rue porte d'emblée en lui-même les méfaits du système social et économique dans lequel il vit, et qui le contraint constamment dans des conditions de vie matériellement déterminées. Si nous prenons le temps de bien observer, nous remarquerons que dans chaque enfant de la rue, il y a le produit de l'ensemble des problèmes fondamentaux de la société. Donc, puisqu'il en est ainsi, en quoi l'enfant de la rue, dans ses interactions, participe-t-il au renforcement de ces problèmes ?

Enfin, sur le plan psychosocial, le problème du développement sociohistorique et psychologique de l'enfant de la rue le met directement face au schéma classique des théories de la socialisation21(*) qui, à notre avis, ne correspond pas au contexte et aux modes de vie réelle, concrète et matérielle de cette catégorie d'enfants. Sans doute, cela veut bien dire que ces enfants entrent en interaction avec d'autres agents, d'autres situations socialisatrices et ils créent leurs propres réseaux d'affiliation sociale qui, d'une façon ou d'une autre, les accompagnent dans la production des logiques identitaires. Plus précisément, dans les processus psychosociaux qui déterminent et orientent leur perception de soi, leur perception du monde extérieur et leur perception à l'égard d'autrui.

Donc, ces enjeux définissent en quelque sorte tout le sens du problème que nous étudierons pendant tout le déroulement de cette recherche, eu égard au phénomène des enfants de la rue dans la formation de leur personnalité. Sur ce, une présentation de l'émergence de ce problème sera d'une grande importance dans le cadre de cette recherche ; alors, nous la présenterons dans les pages ci- après indiquées.

4- Emergence historique du problème

Partout dans le monde, nous retrouvons le problème des enfants de la rue. Cependant, à notre avis, c'est un phénomène qui diffère d'un espace socioéconomique à un autre, suivant la structure, la construction, le niveau de vie, les modes de production de cette société, et suivant les dynamiques dans lesquelles se développe cette société.

Mises à part les assises socioéconomiques sur lesquelles se pose le phénomène des enfants de la rue, en Haïti, les dynamiques sociohistoriques donnent une ampleur plus considérable à ceci. Ce qui fait que dans notre société, non seulement ce phénomène est distinct d'ailleurs, mais il est aussi distinctif quant au registre social et historique qui le caractérise et qui le fait émerger en son essence. Ceci veut bien dire que ce phénomène d'enfants de la rue, conçu comme problème aujourd'hui, fait surface à un moment donné de notre histoire, dans un contexte social, politique, économique et culturel ; et avec une dénomination qui est liée à des pratiques sociales spécifiques. Aussi avons-nous remarqué que ce phénomène, dans son dynamisme, peut se changer, se renforcer, se transformer suivant le contexte événementiel du moment. Donc, essayons-nous maintenant de retracer les lignes historiques de l'émergence de ce phénomène suivant deux points de vue.

Dans des séries d'entrevues22(*) avec les psychologues Jean Robert CHERY et Danielle St PAUL, ils nous ont donné une explication de cette émergence en cinq périodes.

D'abord, de 1971 à 1986, sous le régime dictatorial des DUVALIER, il y avait un exode rural économique manifestement accéléré à Port-au-Prince depuis Papa Doc jusqu'à l'arrivée des premières manufactures de sous-traitances en Haïti sous le régime de Baby Doc ; une désorganisation de la famille paysanne dans les provinces devient une concentration de cette même catégorie de familles dans la capitale que l'on appelait à l'époque la « population secondaire » et qui constituait la première montée de nos bidonvilles à Port-au-Prince. A ce moment, les enfants de ces bidonvilles sans surveillance parentale ont commencé à se constituer des bandes en fonction de leur âge, de leur proximité et de leurs besoins ; aussi, ils ont commencé à créer petit à petit leurs espaces de regroupement clandestin, soit devant les églises, devant les salles de cinéma, sur les places publiques, dans les marchés, etc., parce qu'à cette époque, il y avait une instance de contrôle du bien-être social ( CHALAN) et le groupe des volontaires de la sécurité nationale (VSN / Macoutes)23(*) qui empêchaient ces enfants vagabonds non encore dits de la rue, ou du moins non encore définis en tant que tels, de se regrouper librement dans la rue.

Ensuite, de 1986 à 1990, il y avait un renversement politique en Haïti caractérisé par la fin d'une longue dictature ; puis survenait un exode politique interne et externe siégeant à Port-au-Prince d'une vague d'immigrants se sentant libérés sous le poids de cette longue période de dictature. C'était la période d'une seconde montée de nos bidonvilles dans la capitale, et aussi c'était le moment où le pouvoir politique était beaucoup plus militaire que civil. Pour être plus clair, c'était une période où les institutions publiques d'Etat étaient faibles et elles n'avaient aucun contrôle des situations qui se déroulaient à l'époque ; encore moins des groupes d'enfants qui deviennent de plus en plus visibles dans les rues avec des étiquettes identitaires de « SAN MANMAN » ou de « SE LAVI » , et avec des pratiques statutaires comme la mendicité, le lavage des voitures, des vaisselles et le lavage des pieds des commerçants à la Croix des Bossales.

Egalement, de 1990 à 1994,24(*) l'ancien prêtre Jean Bertrand ARISTIDE devient président d'Haiti ; passant quelques mois au pouvoir, un coup d'Etat militaire venait terrifier d'un côté les aspirations du nouveau président et, de l'autre côté, l'espoir de la population. Le chaos s'installait à nouveau. A cette période, nous étions en face d'une dictature militaire avec tous les dangers que cela implique ; par exemple, la formation d'une nouvelle force de répression (FRAPH : Front pour l'Avancement et le Progrès d'Haiti), 25(*)des vols, des crimes et des assassinats. Un embargo économique a été imposé à Haiti, durant cette même période, suivi d'une invasion militaire américaine (les MARINES) dans le but de pacifier le territoire, d'y instaurer la démocratie et qui, du même coup, servira à faciliter le retour de l'ancien président exilé. Vu l'atrocité de cette situation, les enfants de la rue continuent à lutter pour la vie ; malgré tout, ils recherchent les traces de la vie dans les poubelles des MARINES américaines. A cet effet, il n'y avait pas d'autres manières plus descriptives de les identifier à l'époque que de les appeler « KOKORAT ».

Outre ces années précédentes, la période allant de 2000 à 2004 était caractérisée par de graves bouleversements sociopolitiques en Haïti. Plusieurs catégories sociales et politiques de cette époque se regroupaient pour protester contre la mauvaise gestion du pouvoir par le régime en place, alors que les partisans de ce régime résistèrent avec tous les moyens dont ils disposaient pour protéger les intérêts du gouvernement et les leurs. Vols, corruption, crimes politiques, incendies, pillages, kidnapping sont les principaux actes manifestant la résistance des partisans de ce régime connus à l'époque sous le nom de « RAT PA KAKA » ; puis le diminutif semble être attribué aux enfants de la rue comme étant des « TI RAT ».

Enfin, de 2004 à nos jours, une seconde invasion militaire transnationale arrive en Haïti. Rien n'a vraiment changé. Après examen, un gouvernement de transition a été établi, les bouleversements restent inchangés ; il n'y a plus de trêve. Suite à l'élection présidentielle en 2006, un nouveau régime est au pouvoir, s'efforçant de travailler à l'éradication de quelques problèmes qui bouleversent la société. Par contre, le coût de la vie s'élève et la hausse des prix a contraint la population à manifester en revendiquant ses droits à la nourriture et en protestant contre le chef du gouvernement... Cependant, les enfants de la rue vivent quotidiennement l'aigreur du coût de la vie ; leur situation reste et demeure une vie de grappillage, ce qui a actualisé leur existence comme étant aujourd'hui des « GRAPYAY ».

A l'état actuel, au niveau national, le nombre des enfants de rue varie entre 1500 et 2000. On les retrouve dans presque tous les recoins du territoire, spécialement à Port-au-Prince dans les localités comme Champs de Mars, Delmas, Pétion-ville, etc. Dans les rues, ces enfants vivent, grandissent et travaillent ; ils s'adonnent à toutes sortes de pratiques, rémunérées ou pas, qui leur permettent de satisfaire les besoins les plus fondamentaux tels que : manger, boire, se vêtir, se loger et se soigner dans une lutte incessante qui doit garantir la survie. A Port-au-Prince, la visibilité de ces groupes d'enfants est manifeste. Sur les trottoirs, dans les marchés, sur les places publiques, devant les églises, ils s'y affichent jour et nuit sans le moindre signe de fatigue. Ils sont des candidats potentiels à l'espérance, au mépris, au rejet, à la violence ; ce qui fait qu'il porte le nom de Selavi, Kokorat et Grapiyay

Au niveau international, le phénomène des enfants de rue est bel et bien visible. De Mexico à Madrid, de Brasilia à Hanoi, de Kinshasa au Sud de l'Italie, on retrouve des enfants qui vivent de la rue ; sous alimentés, exploités, malades, maltraités, abandonnés, ces enfants habitent et survivent dans les rues où ils sont contraints à travailler, à mendier, à se prostituer dans une quête incessante pour trouver de quoi subsister. Dépendamment de la culture, ils portent des noms différents qui aident à les identifier plus facilement ; par exemple, suivant les pays, on les appelle : Sin casa, Streetkids, Sem casa, Niños de calle, Strasskinder, Homeless, etc. Ces enfants représentent approximativement entre 50 et 120 millions de la population mondiale.

Tableau 1.- Présentation de l'émergence historique du phénomène des enfants de rue

 

Contexte

 

Identité

 

Pratiques

1971-1986

· Dictature des Duvalier

· Exode rural économique

· Arrivée des premières manufacture de sous-traitance

· Désorganisation de la famille paysanne

· Première montée des bidonvilles.

ENFANTS VAGABONDS

Mendicité

1986-1990

· Fin de la dictature

· Renversement de la situation politique en Haïti

· Exode politique: vague d'immigrant dans la capitale

· Seconde montée des bidonvilles

· SAN MANMAN

· SE LAVI

Mendicité, lavage des voitures, vaisselles et des pieds des commerçants à la Croix des bossales, Etc.

1990-1994

· Coup d'état militaire: dictature militaire.

· Formation de la FRAPH

· Embargo économique

· Invasion militaire: les MARINES américaines

· Retour du président exile

KOKORAT

Mendicité, lavage des voiture, vols, etc.

2000-2004

· Bouleversement politique en Haïti

· Protestation contre le gourvernement en place

· Resistance des partisans du gourvernement

· Principaux actes des partisans du gouvernement: vols, crimes politiques, Kidnapping, etc.

· RAT PA KAKA

· TI-RAT

Mendicité, lavage des voitures, vols, Conflits armés, éclaireurs, rançonneurs, etc.

2004 à nos tours

· Invasion militaire transnationale

· Gouvernement de transition

· Election présidentielle

· Protestation contre la hausse des prix: le phénomène (KLOROKS, ASID, TINÈ)

GRAPYAY

Mendicité, lavage des voitures, vols, Conflits armés, éclaireurs, rançonneurs, etc.

5- Provenance de l'enfant de la rue

En réalité, le phénomène des enfants de la rue n'est pas un problème assez sectoriel ayant seulement de rapport, en toute évidence, aux régions Métropolitaines, notamment Port-au-Prince et ses environs. Il est foncièrement lié à la précarité de notre société à tous les points de vue et, par ailleurs, il est un problème qui est engendré, nous le savions clairement, à cause de la paupérisation du milieu rural haïtien. Ce qui veut dire, en d'autres mots, que la présence des enfants de la rue à Port-au-Prince n'est que le résultat des inégalités sociales, politiques et économiques qui affaiblissent notre société, particulièrement nos provinces, et qui rendent possibles ce genre de phénomène, en l'occurrence les enfants de la rue.

Les enfants de la rue sont, pour la plupart, fils de paysans venant de régions diverses du milieu rural pour s'établir à Port-au-Prince. Minime est le nombre des enfants qui vivent de la rue et qui sont nés dans la capitale ; ainsi l'effectif de ceux qui proviennent de nos provinces est davantage plus élevé quant aux résultats de l'enquête de l'Université Quisqueya en 2002 à ce sujet. Des enfants dans la rue, on en retrouve dans presque tout le pays ; dans le Nord, dans le Sud, dans l'Artibonite, dans la Grand' Anse, dans le Centre, ils sont présents régulièrement. Fuyant la misère de leur milieu, ces enfants entreprennent de longs voyages à destination de Port-au-Prince en quête incessante de survie. Donc, suivant précisément, à l'aide de cette figure ci-dessous, la provenance et les trajets de ces derniers en direction de Port-au-Prince.

Graphique 1.- Provenance géographique des enfants de la rue

6- Mobilité spatiale de l'enfant de la rue

Une fois que les enfants rentrent à Port-au-Prince, ils créent des points de regroupements, des activités spécifiques qui correspondent d'une manière ou d'une autre à leurs besoins de survie. En d'autres mots, ces enfants créent des indices concrets (travail, jeux, modes de vie particuliers) sous l'influence des conditions objectives de vie pauvre dans lesquelles ils viennent pour en profiter à Port-au-Prince afin de rester en vie. En effet, ces indices matérialisent l'existence de ces enfants, mobilisent leurs actions et leur assurent une certaine visibilité de près ou de loin dans chaque espace qu'ils investissent.

Parlant d'espace, l'enfant de la rue de Port-au-Prince fait montre d'une mobilité continuelle quant au nombre de sites qu'ils ont à disposition de leurs pratiques sociales, culturelles et économiques. Ce qui fait que, dans cette logique de mobilité, nous pouvons aujourd'hui même rencontrer un enfant de la rue à un endroit X donné, demain nous le retrouverons à un endroit Y. Cette dynamique est assurée, pour le peu que nous sachions, par le caractère apparemment illimité de la rue, par le type de l'enfant (ses besoins, ses influences, son champ de déambulation, etc.) et, aussi, à cause des situations de conflits de rue. Parmi les espaces dans lesquels les enfants de la rue sont régulièrement actifs à Port-au-Prince nous retenons à l'aide de ce schéma ci-dessous :

Graphique 2.- Mobilité spatiale de l'enfant de la rue

En somme, la problématique qui accompagne le phénomène des enfants des rues nous a permis de comprendre non seulement ce dit phénomène, mais aussi la société et le contexte historique qui l'ont accouché. Dans une société où la majorité de la population vit dans une situation d'extrême pauvreté, où les problèmes sociaux, politiques et économiques battent leur plein, il est possible de constater l'émergence de certains phénomènes comme celui des enfants des rues.

Pour comprendre ce phénomène, plusieurs recherches ont été réalisées par des individus groupes et institutions. Pour nous autres, ce phénomène se revêt de certains sens qui sont de l'ordre juridico-politique, socioéconomique et psychosocial qui nous ont permis de situer la question de la protection de l'enfance en Haiti, de comprendre les méfaits de la structure socioéconomique au détriment de l'enfant des rues et de suivre les traces ou les trajectoires de l'enfant des rues depuis leur lieu de provenance jusqu'à port-au-Prince.

DEUXIEME PARTIE : CADRE THEORIQUE

CHAPITRE III : L'OBJET D'ETUDE ET SA DEFINITION THEORIQUE

Pour définir et étudier à fond notre objet de recherche, le recours à des outils théoriques devient inévitable. Ces outils théoriques donneront une définition conceptuelle et conceptualisée de notre objet d'étude en assurant la parité dans la relation dynamique théorique/empirique inhérente à toute recherche (fondamentale, appliquée, d'action, etc.). En d'autres mots, les outils théoriques que nous allons utiliser dans le cadre de cette recherche diminueront les écarts de connaissance et réduiront les impairs conceptuels quant aux explications que nous aurons à fournir pour la compréhension de notre objet d'étude. Compte tenu de la formulation de notre hypothèse de recherche, les concepts de personnalité, de conditions matérielles d'existence et de reproduction sociale feront l'objet de présentation théorique dans cette tentative de réflexion critique sur le phénomène des enfants de la rue.

A ce propos, beaucoup de chercheurs en sciences sociales et humaines se sont intéressés et déjà penchés sur l'étude de ces concepts cités plus haut. Notamment, les psychologues, les sociologues, les anthropologues et autres, ont déjà réalisé d'énormes travaux pour construire un riche et vaste répertoire de théories et d'approches pouvant rendre intelligible le rapport individu/société26(*) . Plus précisément, le rôle de l'individu dans la société et ce que la société représente, en retour, dans l'individu. Cependant, comme nous l'avons mentionné précédemment, notre travail se situera entre l'individu et la société en étudiant spécifiquement la formation de la personnalité de l'individu, ses conditions matérielles d'existence dans la société et ses pratiques de reproduction sociale dans leurs rapports dialectiques, ce qui veut dire que nous allons, avec les outils théoriques marxistes, conduire cette réflexion jusqu'à la vérification de notre hypothèse de recherche.

Dans ce contexte, il existe certains travaux scientifiques qui représentent un champ particulier pour tout un chacun et qui proviennent de diverses sources théoriques. C'est ainsi que nous retrouvons les approches psychanalytiques, les approches culturalistes et les approches psychosociales qui orientent de façon continuelle les points de vue des scientifiques dans les débats polémiques actuels autour de l'étude de la personnalité de l'individu. Donc, il nous faut les présenter succinctement pour pouvoir mieux faire asseoir notre choix théorique, eu égard à la formation de la personnalité des enfants qui vivent de la rue de Port- au- Prince ; objet d'étude qui, jusqu'à présent, nous intéresse et pour lequel nous sommes énormément motivés.

1- Théories27(*) les plus utilisées dans l'étude de la personnalité de l'individu

La psychanalyse et les travaux du culturalisme dans l'étude de la personnalité de l'individu paraissent fort intéressants. Si nous tenons compte du contexte de leurs recherches, leur importance et leur contribution dans la compréhension de l'être humain d'une manière générale, nous pouvons avancer l'idée que ces travaux ne sont pas vains. A cet effet, ces travaux ont facilité de nombreux chercheurs à amplifier l'étude de la personnalité humaine dans ces différentes perspectives ; voyons comment ils présentent leur approche de l'individu dans les lignes qui suivent.

1.1.- La Psychanalyse28(*) et sa vision de l'individu

La psychanalyse est définie comme étant l'étude de la structure psychique de l'individu. D'une part, elle met l'accent sur la vie pulsionnelle de l'individu, sur les dynamiques psychiques et même sur les phénomènes psychiques apparemment les plus obscurs et arbitraires. Elle s'accentue d'autre part sur la doctrine du conflit intrapsychique et de la nature pathogène du refoulement, sur la conception des symptômes morbides comme satisfaction substitutive et sur la reconnaissance de la signification étiologique sur la vie sexuelle. En gros, tous ces facteurs forment le contenu dans lequel la psychanalyse fait valoir sa scientificité en tant que procédé d'investigation des processus psychiques chez l'individu et, aussi, en tant que méthode de traitement des troubles névrotiques.

Dans cette perspective, le psychanalyste Sigmund FREUD, dans sa théorie de la sexualité infantile29(*), avance l'idée que le développement et le comportement de l'individu sont motivés par une énergie psychique appelée LIBIDO. Chez l'individu, au cours de son développement dans l'enfance, cette énergie tend à se localiser dans différentes parties de son corps à des moments chronologiques spécifiques sous forme de stades : Oral (0- 18 mois) ; Anal (18mois- 3 ans) ; Phallique (3- 6 ans) ; Latence (6- puberté) et le stade génital. Ces stades, dit l'auteur, permettent le développement psycho sexuel de l'enfant ; au fur et à mesure qu'il grandit, sa personnalité s'organise et se structure dans des dynamiques incessantes de conflits intrapsychiques (progression/fixation/régression) qui sont propres à chaque stade, dans la mesure où le complexe d'Oedipe et celui de castration sont liquidés et/ou dépassés, jusqu'au stade génital.

Dans la psychanalyse freudienne, l'organisation de la personnalité de l'individu se trouve dynamisée dans son appareil psychique ; cet appareil est divisé en plusieurs registres inter reliés qui sont les sources cognitives, affectives et motrices du comportement de l'individu. D'un côté, il y a les trois instances majeures (Moi, Surmoi, Ça) entre lesquelles se livrent tous les conflits mettant en face les pulsions fondamentales et les pressions sociales ; de l'autre côté, il y a la structure de la conscience constituée entres autres de l'inconscient, du préconscient et du conscient ; chacun de ces éléments dans ses fonctions respectives, favorise le contact de l'individu avec la réalité du monde extérieur.

Toujours dans l'étude de la personnalité, une nouvelle notion s'est apparue : « la structure psychique » avec Jacques Lacan pour désigner le mode global et définitif de la personnalité de l'individu après la période de latence. Cette structure peut prendre fondamentalement deux orientations distinctes, l'une névrotique et l'autre psychotique, suivant le degré de protection de la mère à l'égard de son enfant, suivant l'identification réalisée par l'enfant au stade du miroir pour la formation de son Moi idéal et suivant les relation qu'il entretient avec le « nom du père » qui peut être, selon l'auteur, imaginaire, réel et/ou symbolique.

A ce propos, d'autres psychanalystes comme W. Reich, M. Klein, A. Freud, F. Dolto, W. Apollon, L. Cantin, ont tous contribué, chacun à sa manière, à une meilleure compréhension de l'individu. Ceci n'empêche pas qu'ils ont compris l'importance des premiers stades dans la formation de la personnalité de l'individu et misent sur l'étude des conflits inconscients dans le comportement de ce dernier.

1.2.- Le culturalisme et l'étude de la personnalité

Les tenants de l'approche culturaliste, pour une étude plus approfondie de la personnalité de l'individu, ont entrepris de nombreuses recherches de terrain dans le souci de comprendre comment la personnalité de l'individu en société peut être culturellement déterminée et modelée. En effet, Ralph Linton, auteur du livre « Fondement culturel de la personnalité »30(*), part d'une définition exclusivement psychologique de la culture en la considérant comme étant une organisation structurée de conduites qui prend sens et existence dans et par les comportements que l'individu a certainement appris en société. A ce moment, la théorie lintonienne que nous voulons présenter dans ce travail s'appuie sur l'influence de la culture sur la personnalité de l'individu : à travers cette influence, nous arrivons à comprendre le rôle des modèles culturels configurés par la société dans les comportements explicites de l'individu. Ces comportements, dit l'auteur, sont considérés comme étant des réponses émergentes et/ou établies que l'individu doit fournir dans des situations précises, déterminées et préétablies que celui-ci a même apprises, organisées et conservées pour constituer son répertoire de comportements habituels (habitudes). A ce propos, Ralph Linton a précisé : 

« Que l'individu reproduise les mêmes réponses aux mêmes stimuli, alors

les réponses sont complexes et ne peuvent manifestement pas être

tenues pour instinctives, c'est là le seul indice qui permette de penser

qu'il organise et conserve de quelque manière son expérience. »31(*)

Par conséquent, ces comportements explicites et habituels sont le résultat d'une configuration stimulus-réponse que l'auteur appelle le système valeurs-attitudes qui, de manière précise, automatique et inconsciente, permet à l'individu de répondre aux différents modèles culturels qui configurent les situations diverses dans lesquelles il peut se trouver.

Donc, le couple conceptuel Culture - personnalité définit particulièrement l'intérêt des culturalistes. Cependant, la personnalité en tant que configuration unique, abstraite sans équivalent dans le domaine physique ne peut être abordée, selon l'auteur, que dans le rapport du comportement explicite de l'individu avec ses besoins et son environnement. A ce sujet, Linton a signalé : « Il n'est pas question d'ailleurs d'observer directement la personnalité, on ne peut qu'inférer ses propriétés du comportement explicite (Overt behavior) où elles trouvent leurs expressions. »32(*)

 D'où, l'idée du comportement explicite devient inhérente à la culture même qui se perpétue généralement dans l'individu par le moyen de l'éducation et qui, particulièrement, prédéfinit les modèles de comportement à adopter suivant le système des valeurs- attitudes qui caractérisent culturellement la société.

Par ailleurs, l'étude de la personnalité n'attire pas seulement l'attention de Ralph Linton ; d'autres chercheurs ont consacré leurs temps et leur compétence dans cette immense étude qui s'élève au rang des plus complexes. Les nombreuses variations dans l'étude de la personnalité à perspective culturaliste nous permettent de présenter les points de vue d'A. Kardiner insistant sur l'existence d'une « personnalité de base » des individus qui vivent des situations de vie communes. Cette personnalité se forme dans l'enfance et favorise l'intégration sociale de ce dernier, elle le rend plus réceptif aux normes et aux idéologies de la société sous l'influence des institutions primaires et secondaires qui sont des moteurs d'ancrage devant garantir la stabilité des éléments culturels dans l'individu. Abondant dans le même sens, E. Fromm décrit la même réalité en se servant d'une autre appellation qui est celle du « caractère national » caractérisé par la manière dont l'individu pense la réalité sociale et culturelle, et par laquelle il peut agir sur elle, ce qui veut bien dire que le caractère national est requis par la société afin de mener l'individu à désirer agir comme il a à agir. A cet égard, Fromm précise sa position : « le caractère national signifie le noyau de structure caractérielle de la plupart des membres d'un groupe, qui s'est développé en tant que résultat des expériences de base et du mode de vie commun à ce groupe. »33(*)

A l'opposé de l'existence d'une personnalité de base, commune aux individus vivant dans la société globale, les tenants du culturalisme définissent un type de personnalité plus ou moins spécifique et différenciée qui se réfère à des sous-cultures de la culture globale. Cette gamme de personnalités, les culturalistes l'ont désignée « personnalités statutaires » du fait qu'elles sont liées aux différentes positions dans lesquelles peut se trouver l'individu, et en fonction desquelles un certain nombre de statuts lui sont conférés pour agir dans des situations déterminées. A ce sujet, des anthropologues et psychosociologues comme M. Mead, G. Mead, R. Benedict, K. Horney voient dans la notion de Statuts un autre élément, à la fois corollaire et fondamental, qui est celui des Rôles. A ce moment, le couple Statuts-Rôles définit avec plus de précisions possibles le concept de personnalités statutaires qui est superposé à celui de personnalité de base. Donc, qu'il s'agisse de personnalité de statuts ou de personnalité de base, il est à noter que tous les deux font référence aux différents modèles de comportements qui caractérisent la société, pour constituer les réponses habituelles de l'individu, en interaction avec son environnement, dans la généralité ou dans la spécificité.

1.3.- Parcourir Haïti à travers l'étude de la formation de la personnalité

Comme les normes de la formation de la personnalité varient d'une société à une autre, en Haïti, il est difficile de retrouver ce qui fait l'originalité de notre mode de formation de la personnalité par manque de recherche scientifique à ce sujet. Il nous convient de citer quelques travaux ayant été réalisés dans le but de fournir des explications de ce processus psychosocial complexe qu'est la formation de la personnalité de l'individu haïtien.

La Dre J. Philippe, dans son livre « classes sociales et maladies mentales en Haïti »34(*), a fait un travail assez important dans lequel elle a étudié les stades de la vie de l'individu haïtien depuis l'enfance jusqu'au stade adulte. L'auteure met beaucoup l'accent sur le rôle de la structure familiale, plus précisément sur les relations avec les parents dans la formation de la personnalité de l'enfant. La Dre J. Philippe, pour présenter le développement de l'individu, a précisé » :

« De 0 à 4 ans, au cours de cette période nous parlons de grossesse, de l'accouchement, de l'allaitement et du sevrage. Au cours de la période de 5 à 9 ans, nous parlons des relations avec les parents (période oedipienne/période de latence) et du début de la vie scolaire. De 10 à 14 ans, c'est la période pubertaire [...] »35(*)

Qu'il soit dans le milieu paysan, dans la famille des classes aisées et des classes moyennes en Haïti, la réalité psychosociale en matière de formation de la personnalité suit le même processus en ayant pour point de mire la famille, avec quelques différences près au niveau des relations, des pratiques sociales habituelles et au niveau de la protection des parents à l'égard de l'enfant.

Tout différent, le Dr E. Douyon36(*) a mené également une étude dans un cadre spécifique ayant rapport à la crise de possession chez l'haïtien dit criseur en voulant, à l'aide des outils psychométriques, saisir les éléments de sa personnalité. Malgré la spécificité de la population, cela n'empêche pas que l'auteur s'accentue sur des pistes d'analyse qui prennent en compte les relations familiales (parents- enfants) du criseur dans le passé, ses rêves, ses restrictions au niveau des relations sexuelles pour obtenir des résultats qui révèlent des types spécifiques de personnalité liée à des profils diversifiés de troubles mentaux comme la psychose, la névrose, et même la schizophrénie.

Plus loin encore, le Dr L. Bijoux37(*) va étudier la personnalité de l'individu haïtien. D'une logique culturellement adaptée, il a obtenu des résultats qui permettent de comprendre le développement de l'individu haïtien à travers un registre de complexes38(*) qui, en dernier ressort, caractérisent les comportements de ce dernier. Liés fondamentalement à la personnalité comme étant ses principaux contenus, ces complexes sont au nombre de trois chez l'haïtien. Le Dr L. Bijoux les a identifiés comme suit : (1) le complexe de pintade sauvage ; (2) le complexe de marsouin et (3) le complexe du tigre, pour définir les fondements des comportements de l'haïtien dans des situations sociales et politiques variées.

En définitive, nous avons réalisé une expérience pilote dans la zone métropolitaine auprès de trois (3) ménages39(*) dans le souci de comprendre les angles les plus touchés quand on parle de la formation de la personnalité de l'enfant haïtien. Dans des séries d'entretiens informels avec des parents, nous sommes arrivés à comprendre les orientations qui y figurent quand nous prêtons attention à ces passages :

« [...] jan w leve timoun nan, se konsa l ap grandi [...] »

« [...] Timoun alèkile yo san pèsonalite [...] »

« [...] si timoun nan te ne pou l te bon, li ap bon ; si l te ne pou l pat bon, pa gen anyen ki pou fè l bon [...] »

« [...] nan tan lontan, fanmi te plis reskonsab fòmasyon timoun yo ; lè yo ale lekòl ou gen yon espwa y ap vini yon bagay demen. Kounye a, ou pa ka konnen egzakteman sa k ap fòme pèsonalite timoun yo, pou valè bagay nou wè ki gen anpil enfliyans sou yo; tankou Mizik, fim, entènèt ak zanmi [...] »

En somme, grâce à cette expérience, nous pouvons vite comprendre, jusqu'à présent en Haïti, pour certains, que l'éducation (famille) est responsable de la formation de la personnalité, des attitudes et comportements des enfants, et même leur devenir. Pour d'autres, ils s'accrochent toujours à l'idée que les enfants d'aujourd'hui n'ont pas de personnalité sous prétexte que les familles en Haïti sont désorganisées ; l'école, et même la société est sans perspectives, ce qui empêche aux enfants de construire une personnalité, car ces derniers sont sans repères et sans projets d'avenir. Aussi, ils ont mis l'accent sur l'idée que la formation de la personnalité ou le devenir de l'enfant en Haïti est quelque chose de fatidique et sur lequel on ne peut pas agir dans l'optique d'un changement éventuel, car tous les événements sont fixés à l'avance. Donc, s'il y a autant de problèmes à définir la formation de la personnalité des enfants qui sont nés et qui grandissent dans des familles structurées, qu'en est-il des enfants qui se sont élevés sans parents ? Notamment les enfants de la rue qui se ravitaillent et qui vivotent pour survivre dans un environnement hostile et rigide dans lequel ils courent tous les risques du monde d'être meurtris, sont-ils sans personnalité ? Ou du moins, leur devenir est-il le fruit d'un incontournable fatalisme ? Car, vous le savez aussi bien que moi, que les modèles de socialisations classiques leur font défaut.

2- Considérations critiques à propos :

2.1.- Du culturalisme

La présentation que le culturalisme a faite de la personnalité de l'individu est assez intéressante, par le fait qu'il a abordé cet objet dans ses fondements culturels qui apparaissent comme une réflexion tout à fait nouvelle dans le registre des études réalisées sur la personnalité de l'individu humain. Cependant, cette réflexion théorique dans laquelle ont participé R.Linton et d'autres chercheurs pose un certain nombre de problèmes qui, pour la plupart, sont d'ordre épistémologique et engageant ses aspects méthodologiques, théoriques et conceptuels.

D'abord, le culturalisme est découlé d'un modèle qui nous empêche de l'utiliser dans notre recherche à cause de la possibilité de l'inadéquation qui puisse exister, du point de vue épistémologique, entre ce modèle et notre travail. Certainement, nous le savons bien, le culturalisme est foncièrement à base fonctionnaliste ; et nous retrouvons cette tendance chez A. Kardiner suivant la manière dont il conçoit et définit sa notion de personnalité de base. A ce sujet, il a souligné : « La personnalité de base est un facteur important d'intégration sociale. Parce que [...] les traits de personnalité rendent l'individu plus réceptif aux normes, aux idéologies du groupe, lui permettent de s'adapter à la culture et d'y trouver un équilibre. »40(*)

Egalement, il est à comprendre que, malgré ses nombreux efforts à fournir une explication originale de la personnalité de l'individu, la conception de R. Linton est aussi empreinte de la tendance fonctionnaliste. Sachant que, pour lui, la personnalité de l'individu est façonnée par les modèles culturels qui sont entre autres configurés par la société ; donc, il est aussi clair dans les explications de l'auteur: « tout modèle culturel contient à la fois des éléments explicites et des éléments implicites qui sont organisés en une totalité fonctionnelle.» Sans une telle organisation qui maintient la formation des comportements individuels à travers un système de valeurs-attitudes qui tendent à faciliter l'incorporation et l'intériorisation des normes, la culture ne pourrait se transmettre ni la société se perpétuer en tant que totalités dites fonctionnelles. Avec les propres mots de Linton, nous retenons :

«  Les modèles culturels dont dépend la survie de toute société doivent être constitués comme modèles de réponse habituelle chez ses membres. Cette constitution est rendue possible grâce à l'extraordinaire aptitude de l'homme à assimiler ce dont on l'instruit. »

Il poursuit en disant :

« La pression sociale maintient la formation des comportements individuels à l'intérieur des limites imposées par les modèles culturels, et elle garantit que les habitudes individuelles qui apparaissent seront de nature à rendre le comportement prévisible en fonction de la position dans la société [...] sans cette composante sociale, la culture ne pourrait se transmettre ni les sociétés se perpétuer en tant que totalités fonctionnelles.»

D'où, Linton finit par dire :

«  Que l'individu reproduise les mêmes réponses aux mêmes stimuli, alors que les réponses sont complexes et ne peuvent pas être tenues pour instinctives, c`est là le seul indice qui permette de penser qu'il organise et conserve de quelque manière son expérience .»

En outre, J.C.Filloux, dans le préface du livre «  le fondement culturel de la personnalité », a présenté l'idée critique de David Bidney en qualifiant d'idéaliste la définition que Linton accorde à la personnalité du fait qu'elle est effective en termes de réponses intérieures et d'attitudes.

Par ailleurs, l'approche culturaliste se limite encore à deux niveaux qui nous empêchent de s'en servir dans notre travail. D'abord, le culturalisme a défini son approche à partir d'une démarche dite éclectique dans laquelle on retrouve certains concepts des théories behavioristes, des théories psychosociales (apprentissage social) et des théories psychanalytiques. Tout cela concourt aux difficultés que nous avons pour appréhender notre objet d'étude dans cette perspective qui est loin de répondre aux rigueurs théoriques et conceptuelles exigées de notre recherche. Ensuite, la perspective culturaliste s'est enfermée, dit Jean Claude Filloux, dans une tendance à exclure l'histoire de la conception des phénomènes culturels ; or, l'arrière-fond historique est l'élément majeur qui peut nous conduire à la compréhension des dynamiques culturelles, ainsi que les processus psychiques qui les ont rendues possibles. Donc, ce qui nous intéresse le plus dans notre recherche, c'est l'aspect historique dans la formation de la personnalité de nos sujets d'étude, ou de présenter aux lecteurs une façon de permettre à l'histoire d'intégrer la psychologie. Et c'est la raison pour laquelle notre théorie de choix prend en compte cet aspect jugé si fondamental.

2.2.- De la psychanalyse

La psychanalyse s'est présentée comme étant davantage une méthode de traitement plutôt qu'une méthode d'analyse. S. Freud a dit : « La psychanalyse est le nom d'une méthode de traitement des troubles névrotiques qui se fondent sur [...] l'investigation des processus psychiques [...] »41(*)

Si elle s'apparente, dans certains cas, à une méthode d'analyse, c'est particulièrement dans un contexte clinique où les entretiens prétendument curatifs doivent favoriser une attitude analytique chez le thérapeute, lui permettant de différencier ce que le besoin du patient exige de ce que la demande implore. A ce moment, le point focal n'est autre que l'espace clinique, le divan, la position assise couchée, les associations libres, etc. d'où, l'idée qu'il existe bien une réalité extra clinique assez manifeste à considérer dans la cure importe peu pour les psychanalystes ; en partie, c'est ce qui fait l'avis de certains auteurs en disant que la psychanalyse a fait de l'homme, une abstraction. En mettant de côté les réalités extra cliniques et en définissant l'individu à travers ses activités intra psychiques, la conception de la psychanalyse en devient totalement abstraite ; comme K. Marx le dit : « la conception ne peut être concrète quand l'objet de la conception est abstraite. »42(*). Donc, sans tenir compte des activités socio-économiques dans lesquelles s'investit pleinement l'individu, à l'opposé des activités intrapsychiques, la psychanalyse est encore loin de promouvoir une étude de l'homme réel dans ses dimensions sociales et historiques ; malheureusement, par excès de réduction, elle fait l'impasse sur ces dimensions jugées fondamentales pour appréhender la vie concrète même de l'individu.

Pour la psychanalyse, il n'y a que les charges libidinales qui soient fixées, les réalités de l'expérience quotidienne de l'individu restent en état d'apesanteur sociologique. Les psychanalystes, hormis ceux d'obédience marxiste, n'ont jamais mis en relief la détermination matérielle des faits sociaux qui entrent en jeu dans la formation de la personnalité de l'individu ou dans ses comportements, pour ne citer que Bakhtine, Fromm qui, à leur époque, ont tenté de produire une explication rigoureuse, les classiques eux se contentent seulement et de manière abstraite d'établir une détermination purement psychique en utilisant quelque toile de fond biologique basée sur la sexualité et dans laquelle le concept de la génitalité devient le dernier stade de l'évolution de la libido. Autrement dit, arrivée à ce stade, la personnalité de l'individu est définitivement structurée.

En conséquence, c'est ce qui fait ordinairement que certains auteurs ont qualifié la psychanalyse de biologique et que d'autres, par ailleurs, la considèrent comme étant tournoyée dans une surdétermination sexuelle. En ce sens, E. Fromm a affirmé :

« La psychanalyse n'a pas à s'occuper uniquement de la structure et des mécanismes du psychisme de l'individu. Ce dernier est avant tout un être social, donc on doit insister sur les facteurs sociaux, aussi pour montrer comment la situation économique est transposée en passant par le chemin pulsionnel. »

Toujours, concernant la psychanalyse, il est dit d'après G. Corey : « [...] in the human beings, irrational forces are strong ; they are driven by sexual and agressive impulses. »43(*). Ce qui veut bien dire qu'en effet l'étude de la formation et du développement de la personnalité dans la perspective psychanalytique est fortement empreinte d'un pan sexualiste et d'un biologisme. Sans être allés au-delà de la structure de domination qui caractérise généralement les relations sociales et qui, en particulier, déterminent les modes de vie concrets des individus, les psychanalystes ne font que les réitérer dans une pratique qui occulte totalement le contexte socioéconomique et politique dans lequel elle s'inscrit. Ce qui permet , ajoutons-nous pour finir, à R. Castel de dire que la psychanalyse, en toute dernière analyse, ne fait que transposer, supprimer ou conserver cette logique de domination sans la transformer.44(*)

2.3.- Limites d'un héritage théorique, à propos de la personnalité

Dans notre société, la question de la formation de la personnalité de l'individu ne suit pas une logique théorique qui s'est inspirée de notre réalité de vie. Les explications que les chercheurs haïtiens octroient le plus souvent à ce processus psychosocial ne sont, disent certains auteurs, qu'un décalque du modèle psychanalytique classique et orthodoxe. Ceci nous ramène aux travaux du Dr Bijoux, de Philippe et de Douyon afin de les requestionner. Pour ainsi dire, les problèmes que l'on retrouve en amont dans la psychanalyse sont également présents en aval dans les travaux jusqu'ici réalisés en Haïti dans ce domaine ; plus précisément, la formation de la personnalité de l'individu. Par-dessus tout, il y a en effet un problème qui est important et que nous devons signaler : la question de l'OEdipe, tant considérée dans l'étude de la formation de la personnalité, est-elle aussi fondamentale dans le contexte haïtien ? Si nous tenons compte de l'essence de cette question, nous pouvons dire qu'il existe un OEdipe haïtien? Et, plus encore, comment se manifeste-t-il? A ce niveau, toutes ces interrogations nous renvoient directement au siège de « la famille » en Haïti, dans le rôle qu'elle doit jouer dans la formation de la personnalité de l'individu haïtien. Et, c'est pourquoi une auteure comme J. Philippe y a mis beaucoup l'accent dans « classes sociales et maladies mentales en Haïti  », en croyant que c'est un facteur incontournable et que c'est également le principal déterminant. Cependant, s'il en est ainsi, comment la personnalité des individus qui se sont élevés sans parents est-elle formée, plus précisément les enfants qui vivent de la rue en Haïti ? N'y a-t-il pas d'autres déterminants qui sont fondamentaux dans ce cas que de miser sur les relations familiales, les rêves et sur les restrictions sexuelles précoces chez l'individu ?

Eu égard à ces questions, nous retrouvons notre centre d'intérêt quand nous choisissons d'étudier sous un autre angle la formation de la personnalité de l'haïtien, plus précisément celle des enfants de rue en mettant l'accent sur les réalités extra-psychiques qui sont à base socio-économique et qui contribuent fondamentalement à leur développement psychosocial.

3- Notre théorie de choix: Le matérialisme historique

Vu que les objectifs de notre travail embrassent, d'une manière générale, les conditions de vie des enfants de la rue et, en particulier, la formation de leur personnalité, nous allons, dans ce chapitre, soumettre aux lecteurs la grille théorique fondamentale nous permettant de comprendre cette réalité et d'atteindre les objectifs poursuivis.

3.1.- Avec le matérialisme historique, une autre façon de voir l'individu

La conception que les auteurs de cette théorie ont faite de l'être humain trouve son expression caractéristique dans la notion du travail. A partir de cette notion, les auteurs y voient la pratique sociale essentielle qui définit les différents rapports de l'être humain et qui lui permet d'agir concrètement dans le but de produire sa vie. En d'autres termes, c'est par le travail que l'être humain crée, pour subsister, ses moyens d'existence lui permettant de répondre à la satisfaction de ses besoins ; et aussi, c'est par le travail que l'être humain arrive à développer et à exprimer ses capacités intellectuelles et physiques. A cet effet, Karl Marx, l'une des ressources clés de cette approche, a mentionné :

« Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature. L'homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d'une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s'assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature et développe les facultés qui y sommeillent. »45(*)

Une telle explication permet de comprendre le rôle du travail ontologique, comme étant une pratique essentielle dans le développement sociohistorique de l'homme concret. De ce fait, ce mode de développement ne peut se réaliser que dans le travail, par le travail et pour le travail ; dans lequel l'homme se rencontre, affirment les marxistes, en contact avec les forces productives et les relations sociales les plus décisives. En un mot, c'est ce que Marx et Engels ont conjointement désigné de Rapports sociaux dans l'Idéologie allemande.46(*)

3.2.- Les rapports sociaux, un véritable déterminant...

En réalité, la littérature marxiste permet de voir l'être humain comme un sujet de la production qui, en produisant, se transforme lui-même. De cette façon, il est vu comme celui qui crée ses conditions concrètes d'existence, les organise et les reproduit dans des rapports sociaux matériellement orientés et déterminés. Selon les réflexions de Marx, à propos des rapports sociaux, il est dit :

« Une somme de forces productives, un rapport avec la nature et entre les individus, crées historiquement et transmis à chaque génération par celle qui la précède, une masse de forces de production, de capitaux et de circonstances qui, d'une part, sont bien modifiées par la nouvelle génération, mais qui, d'autre part, lui dictent ses propres conditions d'existence et lui impriment un développement déterminé, un caractère spécifique. » 47(*)

De surcroît, ces rapports sociaux limitent les activités de l'individu à tous les niveaux, et les fixent dans la forme la plus stricte de la reproduction de la force de travail, en lieu et place de la satisfaction réelle des besoins fondamentaux auxquels l'individu est constamment accroché. A ce moment, ces rapports sont loin d'être des pratiques permettant à l'individu de se réaliser lui-même, mais plutôt de le contraindre à produire des biens, des objets, des capitaux et à fournir des services, dont il n'est pas le bénéficiaire ni le maître, qui mortifient son corps et ruinent son esprit tout en empêchant sa pleine réalisation. A ce point, ni le travail que l'individu effectue, ni les relations qu'il se noue ne peuvent être aucunement perçus comme un exercice de manifestation de soi, dans la mesure où ce que l'individu produit, dit Georges Gurvitch48(*), échappe pleinement à son contrôle, dans lequel il se perd totalement à un point tel que même sa conscience y est assujettie. Et c'est, en fait, pour cela que Marx a beaucoup insisté en précisant que ces rapports ne sont point des relations établies consciemment, que les individus rêveraient de transformer suivant leur propre désir ou une quelconque aspiration par le fait que ces rapports sont non seulement indépendants de la volonté de l'individu, mais aussi ils se réfèrent à un ensemble de pratiques sociales matériellement déterminées et déterminantes qui, selon les forces productives en vigueur, définissent un mode de production approprié autour duquel s'organise la structure économique de la société en question, et qu'un individu à lui seul ne peut transformer. Car, une telle structure économique entraîne avec elle, et crée des conditions matérielles dans lesquelles l'individu manifeste sa vie réelle et qui reflètent finalement ce qu'il est. En d'autres mots, la façon dont l'individu agit, ses représentations des choses et des événements, sa pensée, son langage, ses activités, voire sa personnalité se trouvent liés et bien dépendants de ses conditions d'existence. D'où, K. Marx en a fait un résumé intelligent en précisant que : « Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. »49(*) C'est pourquoi d'ailleurs, Marx et Engels ont conclu dans l'Idéologie Allemande en ces termes : 

« La contradiction entre la personnalité du prolétaire en particulier et les

conditions de vie qui lui sont imposées, c'est-à-dire le travail, lui apparaît

lui- même, d'autant plus qu'il a déjà été sacrifié dès sa prime jeunesse (...)

Ils (les prolétaires) se trouvent, (...), en opposition directe avec la forme

que les individus de la société ont jusqu'à présent choisie pour expression

d'ensemble, (...) et il leur font renverser cet Etat pour réaliser leur

personnalité. »50(*)

3.3.- L'individu, entre ses conditions d'existence et sa personnalité

L'individu, tout au long de sa vie, se trouve aux prises à des conditions matériellement et économiquement déterminées et qui façonnent son être biologique, social et politique, et qui lui assurent un développement historique, élément de sa singularité.

Parlant de singularité, nous faisons référence à l'individu concret, être singulier, singularisé et singularisant, étudié dans ses conditions concrètes de vie et qui, au cours de son développement social et historique, se forme une personnalité. Cette personnalité est définie, selon Lucien Sève, comme un « système complexe d'Actes. »51(*). Tous maintenus dans des relations sociales porteuses d'activités concrètement déterminées pour l'individu, dans lesquelles il produit, développe ou spécifie ses capacités de production pour obtenir les résultats objectifs et significatifs pour la société. Et, de ce fait, nous rejoignons Antonio Gramsci qui, lui aussi, a défini « l'homme comme étant un processus et plus précisément le processus de ses actes. ».52(*) Donc, la notion d'Actes est devenue tellement importante dans l'étude de la personnalité de l'individu, que Lucien Sève l'a ainsi décrite :

« Tout comportement de l'individu, de quelque niveau qu'il soit, considère non pas seulement en tant que comportement, c'est-à-dire rapporté au psychisme, mais en tant qu' activité concrète, c'est-à-dire rapporté à une biographie ; autrement dit en tant qu'il produit un certain nombre de résultats, non pas de résultats pour l'individu lui-même et de façon directe, mais des résultats pour la société, compte tenu de ses conditions concrètes, résultats qui font retour à l'individu à travers des médiations objectives plus ou moins complexes. »53(*)

A cet égard, la notion d'Actes ne se réfère pas seulement aux activités concrètes que l'individu entreprend, elle se rapporte également à sa biographie. Ce qui, de notre côté, nous permet de dire que la personnalité de l'individu est l'ensemble des actes qui composent sa biographie et qui a permis ainsi à Lucien Sève d'enchaîner :

« Tout acte est un acte d'un individu, un aspect de sa biographie, une expression de soi. Et, aussi, c'est l'acte d'un monde social déterminé ; un aspect des rapports sociaux, une expression des conditions historiques objectives. »54(*)

En somme, l'individu, par ses actes qui constituent sa biographie, est d'abord activité sensible et matérielle dans des milieux déterminés, avec des matériels déterminés, dans une structure sociale déterminée où ses différents rapports sociaux de production et ses capacités physiques et intellectuelles sont développés et définis au cours de l'histoire. Donc, nous semble-t-il, l'individu est d'emblée dans l'histoire ; ce qui fait, plus loin, que Jean Claude Filloux55(*) va définir la personnalité de l'individu comme étant une histoire dans une histoire

3.4.- L'individu, est-il déterminé à se reproduire ?

Le schéma historique, dans lequel agit généralement l'individu qui se rapporte à la production des moyens lui permettant de satisfaire ses besoins, est la pièce majeure qui définit la vie de celui-ci. Etant vivant, l'individu est appelé à renouveler cette forme de production garantissant la vie et à développer une manière de vivre stable, un mode de pensée qui se transmet de groupe en groupe, de génération en génération. Tout ceci se réfère à la reproduction des modes de vie impliquant l'individu dans un renouvellement quotidien de sa force de travail où les relations sociales et les pratiques de la vie quotidienne sont restées pratiquement inchangées, sans écarter les activités dans lesquelles les individus se reproduisent eux-mêmes, en créant d'autres hommes et d'autres femmes de la même espèce. Ce qui traduit parfaitement la conception matérialiste en ce sens :

«  Le facteur déterminant, en dernier ressort, dans l'histoire, c'est la production et la reproduction de la vie immédiate. Mais, à son tour, cette production de

moyens d'existence, d'objets servant à la nourriture, à l'habillement, au

logement, et des outils qu'ils (les individus) nécessitent ; d'autre part, la

production des hommes, la propagation de l'espèce [...] »56(*)

Ainsi, les situations dans lesquelles les individus sont astreints à reproduire constamment leurs conditions d'existence sont matériellement déterminées. D'un côté, même si les individus sont remplacés dans le temps, le système se reproduit cependant à l'identique ; ils peuvent bien modifier leur comportement dans le temps, mais ces modifications isolées et partielles ne produisent pas de changement au niveau global. De l'autre côté, ce que les individus produisent augmente, mais les relations qui se nouent entre les différentes classes demeurent constantes.

En résumé, l'étude de la personnalité de l'individu peut être abordée suivant plusieurs courants théoriques. La psychanalyse, le culturalisme, le behaviorisme, les études psychosociales ont tous contribué dans le travail qui consiste à explorer, à comprendre et à expliquer la personnalité de l'individu vivant en société ; ses pensées, ses sentiments, ses actions etc. Parmi ces courants, il y en a qui, en étudiant la personnalité, mettent l'accent sur la structure psychique de l'individu, la vie pulsionnelle et les conflits intrapsychiques qui dynamisent son être. Pour d'autres, les modèles culturels sont beaucoup plus importants dans la configuration des comportements habituels de l'individu en société suivant un système de valeurs-attitudes qui le guide de manière automatique, précise et inconsciente à chaque situation. Pour certains, la personnalité de l'individu est acquise par conditionnement des comportements pour lesquels il suffit d'examiner à quels stimuli avait été exposé l'individu et quelles avaient été ses réactions pour expliquer sa personnalité. Et, pour d'autres catégories, la question de l'apprentissage social est déterminante dans la formation de la personnalité de l'individu ; le renforcement, la punition, l'imitation, etc. aident l'individu à se conformer à chaque stade de son développement.

Tout cet arsenal théorique qui décrit, d'une manière ou d'une autre, la personnalité de l'individu est d'une importance particulière en nous offrant de larges pistes de réflexions relatives à notre étude. Cependant, cet arsenal ainsi présenté n'embrasse pas totalement notre objet d'étude construit à l'aide de trois (3) concepts qui, dans leur dynamique, sont inter reliés pour donner un sens dialectique à cette recherche. Les concepts de «conditions matérielles d'existence de l'enfant de la rue, sa personnalité et ses comportements à reproduire ses propres conditions » mis dans notre hypothèse constituent l'objet de cette étude que nous allons aborder avec la grille théorique marxiste.

La personnalité, généralement définie comme étant la somme des pensées, sensations et des actions caractérisant la façon de vivre d'un individu, est étudiée dans la perspective marxiste comme étant, selon Lucien Sève, un système d'actes. L'ensemble de ces actes constitue entre autres, la biographie de l'individu. Sa vie réelle dans laquelle il effectue des travaux, réalise des activités et noue des relations sociales qui le modifient tout le long de son histoire, ce que les auteurs ont désigné de rapports sociaux ; ses représentations, son langage, ses sensations, sa pensée, ses capacités physiques et intellectuelles s'y trouvent bien liés, orientés et déterminés dans le but de créer ses conditions concrètes d'existence, de les organiser et de les reproduire.

Donc, selon cette lecture, la sphère sociale et économique dans laquelle l'individu vit et agit, participe de ses rapports sociaux, est déterminante de sa vie toute entière. En définissant ses conditions matérielles, elle lui imprime un développement déterminé, un caractère spécifique, voire une personnalité qui a l'empreinte du mode de production autour duquel s'organise la structure économique de la société et des conduites souhaitables à sa perpétuation.

CHAPITRE IV : L'ENFANCE, UNE NOTION A COMPRENDRE...

1- Définition et perspectives

Le terme enfance, dans son acception actuelle en psychologie, désigne une étape de développement qui se situe entre la naissance et la maturité, entre la naissance et la puberté, ou encore entre l'émergence du langage et la puberté. Généralement, l'enfance est une période dans laquelle l'individu dit enfant est conduit par son entourage à apprendre et à élaborer un répertoire de comportements tant sur le plan intellectuel que sur les plans socio-affectif et psychomoteur. Selon Henri Piéron, dans le vocabulaire de psychologie, l'enfance se distingue à trois niveaux :

1) la première enfance qui se situe entre 0 et 3 ans

2) la deuxième enfance entre 3 et 7 ans

3) la troisième enfance de 7 à 12 ans, cette dernière débouche sur l'adolescence ; ce qui veut dire que, en d'autres mots, l'enfance est une période dans laquelle l'individu, au cours de son développement, vit les douze premières années de sa vie.

A ce propos, le développement de l'enfant ne se repose pas seulement sur des critères strictement chronologiques. Mais aussi, sur un ensemble d'interactions de différents ordres qui correspondent aux activités physiques et mentales de l'enfant et qui lui assurent une croissance normale. A cela, Piaget, dans ses recherches, a mis l'accent sur les principes de l'équilibre qui favorise l'adaptation de l'individu. Une telle adaptation implique une interaction du sujet avec son milieu, définie par le niveau d'organisation des structures du sujet et par les caractéristiques du milieu. Donc, le développement de l'individu correspond au passage d'un niveau d'organisation à un autre, ce qui explique selon l'auteur l'apparition des stades (sensori-moteur, préopératoire, opératoire concret, opératoire formel). Cependant, selon certains auteurs de la théorie de l'activité, le développement de l'enfant n'est pas seulement biologique, cérébrale ou psychique ; il est bien davantage social. Car selon, eux, l'enfant se développe dans les pratiques quotidiennes, à travers des activités ou des actions qu'il réalise au cours de son histoire qui sont insérées dans une matrice sociale composée d'individus, d'objets, de situations et d'événements. Ce qui fait que, pour Vygotski et Leontiev, la vraie direction du développement de l'enfant, de sa pensée et de ses émotions ne va pas de l'individuel au social, mais du social à l'individuel. D'où, l'idée que la conscience et la pensée de l'enfant sont déterminées par les activités réalisées avec des congénères dans un environnement social donné devient imminente quand ils mettent l'accent sur les conditions dans lesquelles cette pensée, cette conscience se développe et les conditions dans lesquelles cet apprentissage se produit57(*).

1.1.- La famille, l'enfant et la rue

La famille est fondamentalement composée de père, de mère et d'enfants vivant sur un même toit. Elle est un espace social concret dans lequel les enfants font l'apprentissage de la vie sociale, et elle est aussi considérée comme le lieu par excellence de reproduction des normes collectives. Selon certains auteurs, la famille peut bien être perçue dans ses dimensions nucléaires et élargies, dans ces formes dissociées (dysfonctionnelles, non structurées, monoparentales) et dans sa recomposition. Toutes ces formes incluent les problèmes économiques majeurs comme la pauvreté, la misère, la faim, le chômage et affectent les familles, particulièrement la famille haïtienne et qui ont de fortes incidences sur le développement intellectuel et socio-affectif de l'enfant en le maintenant dans des situations difficiles. Parmi les enfants en situations difficiles, on distingue :

1) les enfants domestiques

2) les enfants maltraités

3) les enfants abandonnés

4) les enfants de rue

5) les enfants prostitués

6) les enfants armés

7) les enfants en conflits avec la loi, etc.

Entre ces catégories, celle des enfants de rue nous intéresse davantage, car c'est de cette catégorie que nous allons retenir pour cette étude, notre population cible qui est « l'enfant de la rue ». Dans bien des cas, quand la famille fait défaut à l'enfant, la rue y supplante et se présente généralement comme l'espace d'accueil le plus accessible aux yeux de l'enfant. De cet espace public58(*) qui, grâce au transport, est un espace de transport et, grâce aux marchands, un espace de commerce, l'enfant se trouve exposé à une série d'interactions déterminantes pour son futur. Cet espace public, dans lequel on fait la collectivisation des déchets urbains, où les actes délictuels et criminels sont très fréquents et, aussi, dans lequel les nuisances sonores, olfactives et thermiques sont abondantes, est devenu grâce aux enfants, un espace de lutte pour la vie. La rue a rendu floues et limite la notion de territoire et celle de la propriété privée. En étant le dénominateur commun d'une population entière, la rue appartient à tous, et, en même temps, elle n'appartient à personne.

1.2.- L'enfant de rue, c'est qui ou c'est quoi ?

Généralement appréhendé comme phénomène dans les études scientifiques, l'enfant de la rue peut aussi s'étudier comme individu. Il est par définition tout enfant qui est livré à lui-même, qui mène la majeure partie de son existence dans la rue pour y trouver des moyens de subsistance. On distingue dans cette catégorie deux grands groupes d'enfants, selon l'UNICEF : les enfants dans la rue et les enfants de la rue.

Les enfants dans la rue sont ceux qui y travaillent et entretiennent encore des relations plus ou moins régulières avec leur famille. Leur vie reste centrée sur le foyer familial. Un grand nombre d'entre eux vont à l'école, la plupart rentrent chez eux après leur journée de travail. Ils maintiennent un sentiment d'appartenance vis-à-vis de la communauté où ils habitent.

Les enfants de la rue, en revanche, sont ceux qui considèrent la rue comme leur foyer et y trouvent abri et nourriture. Ce sont leurs compagnons de survie qui leur donnent un certain sens de la famille, car les rapports avec leur propre famille sont plutôt lointains, sinon inexistants. Ils se réfèrent, pour s'identifier, au groupe auquel ils appartiennent plutôt qu'à une famille. Ils arrivent qu'ils aient des parents quelque part, en un lieu plus ou moins éloigné, ce qu'ils finissent par révéler après insistance.

Selon Paulo Freire, le phénomène des enfants de rue est le résultat normal d'une économie non structurée et désorganisée. Pour présenter les caractéristiques de ces enfants, l'auteur précise que :

1) ce sont des adultes prématurés cherchant un moyen de survivre à cause du système social qui les rejette ;

2) ils satisfont leurs besoins réels et primaires dans la rue où ils dorment, mangent et travaillent ;

3) ils développent des talents leur permettant de survivre ;

4) ils s'adonnent à des activités génératrices de revenus en réponses à des situations imposées socialement ;

5) leurs activités se situent dans le cadre de l'économie formelle, informelle et/ ou marginale.

Donc, cela traduit l'importance de la théorie de l'activité de Vygotski et de Leontiev par rapport à la façon dont l'enfant de la rue est présenté par Paulo Freire. La rencontre de leur développement biologique ou physique avec les activités sociales que cette catégorie d'enfants réalise quotidiennement définit l'idée que l'apprentissage, la pensée, la conscience de l'enfant sont moulés dans les conditions sociales et dans ses rapports avec son environnement (individus, objets, événements et autres artefacts). Alors, il serait toujours difficile de comprendre qu'un enfant de 5, 6, 9, 11, 12 ans qui devrait être à l'école, apprendre à chanter, se divertir sur la cour de recréation, regarder les dessins animés, raconter des histoires et des contes de fées, s'adonner aux exercices de dessins, s'est retrouvé tout au contraire en situation de produire sa vie. En ayant 10 ans, il réalise des activités sociales économiques, rémunérées ou non, qu'une personne de 20 ou de 25 ans devrait réaliser ; son discours, ses conversations n'ont presque rien d'enfantin à l'entendre parler. Chez nous, en Haïti, il parle généralement de la loterie (Bòlet), de longs voyages aux fêtes patronales (Fèt Chanpèt), d'argent, etc.... Ce qui fait, en d'autres mots, que les activités qu'il mène quotidiennement le définissent mieux, au lieu de centrer l'étude de son développement par rapport à son âge, aux stades et aux activités qui y correspondent. (Cf. Piaget, Freud, Erikson, Wallon. et al.)

TROISIEME PARTIE : CADRE METHODOLOGIQUE

CHAPITRE V : DESCRIPTION DE LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE

Le cadre de référence méthodologique de cette étude est défini selon des critères de recherche qui sont généralement liés à la démarche qualitative. Sans négliger les quelques supports des techniques et des instruments quantitatifs qui y sont inclus ; cette recherche est justifiée fondamentalement par les moyens qui facilitent son déroulement via la démarche qualitative et qui permettent une certaine cohérence logique tout le long de sa réalisation.

1- Présentation de la Méthode de recherche

Ce travail, comme nous l'avons déjà souligné, est organisé suivant la Méthode dialectique qui nous permet de mieux aborder notre objet d'étude dans son empiricité. Cette démarche dite qualitative, dans sa logique, dans sa complétude et par rapport à sa finalité, est destinée à mobiliser l'ensemble des techniques de cueillette de données, de présentation et d'analyse de données suivant les rigueurs que requiert notre Méthode de travail.

La Méthode dialectique, par son caractère empirique, nous oblige des observations sur les situations des enfants de la rue. Ces observations nous permettent de recueillir des données que nous aurons à exploiter à des fins exclusivement scientifiques dans le souci d'avoir des informations sur les modes de vie de ces enfants et d'en dresser finalement un portrait détaillé, global et crédible.

De plus, la Méthode dialectique, dans un cadre social et historique nous permet de mettre l'accent sur les événements et les contradictions matérielles qui marquent l'existence des enfants de la rue, leurs pratiques, leurs activités, etc. De ce point de vue, la Méthode dialectique, comme une forme de conscience des processus globaux et historiques, nous facilitera l'adéquation par rapport à l'objet que nous voulons étudier. Car, en réalité, c'est la méthode qui doit être adéquate à l'objet auquel elle s`applique, et non l'objet adéquat à la méthode qui lui est appliquée. Donc, dans ce cas, étudier le phénomène des enfants de la rue en rapport avec leurs conditions matérielles d'existence définit fondamentalement cette adéquation.

En définitive, le Méthode dialectique nous permettra de comprendre et de présenter les possibilités de dépassement des conditions de vie des enfants de la rue dans une logique qui tend à modifier ou à changer leurs conditions matérielles d'existence. Et, de cette même idée, elle nous permettra de présenter aussi les possibilités de transformation de la structure sociale elle-même qui, en effet, produira un autre type de société.

2- Techniques de collecte de données

Collecter des données est une phase assez importante dans le processus de cette recherche ; alors pour confronter notre hypothèse avec la réalité, il nous faut des données et des faits concrets susceptibles de rendre notre objet d'étude intelligible. Parmi les techniques de collecte de données, nous en retenons :

Les recherches documentaires qui nous permettent de collecter des données de différents horizons théoriques apparentés aux concepts de la formation de la personnalité et au phénomène des enfants de la rue. Donc, plus loin elles nous permettent de dégager à partir d'une conjecture théorique, une approche et une description nouvelle de ce phénomène.

Les observations seront conduites suivant deux catégories. D'abord, les observations naturelles nous permettent d'investir le milieu concret de vie des enfants de la rue en les observant dans un premier temps de façon non participante. Ensuite, la catégorie des observations systématiques, centrées sur les indicateurs, nous aidera à faire une description exacte du phénomène que nous étudions. A cet effet, nous utilisons une grille d'observation comme instrument élémentaire de cette collecte systématique.

Les entretiens sont parmi des techniques qui nous permettent de recueillir des données et d'obtenir particulièrement des informations en profondeur sur notre objet d'étude. Dans le souci de collecter des données suffisantes, nous devons obtenir des informations venant directement des enfants de la rue et, en même temps, interroger des experts dans le domaine, pouvant nous fournir d'autres informations supplémentaires et constructives dans le but de faciliter notre démarche. Pour cela, deux guides d'entretiens seront à notre disposition. La première sera directive, consacrée à nos sujets experts ; la seconde sera semi directive, longitudinale et transversale à la fois, et elle sera destinée aux enfants de la rue à proprement parler. Donc, cette démarche nous conduira à élaborer des récits de vie des sujets de notre échantillon.

3- Analyse des données

Pour comprendre le sens et les significations des données que nous avons recueillies, nous allons recourir à une technique qui nous permettra de faire la classification d'une manière rigoureuse des différentes données recueillies. A ce propos, pour cette recherche, nous allons utiliser l'analyse de contenu qui ne nous oblige pas la quantification des données que nous avons recueillies, du fait que notre démarche est qualitative. En ce sens, nous allons analyser les données de nos différents entretiens avec notre grille théorique, qui nous faciliteront la tâche de porter l'hypothèse à vérification.

4- Echantillonnage

Notre technique d'échantillonnage est non probabiliste, basé sur des critères d'âge, de sexe, de statuts et de localités qui définissent le choix raisonné/intentionnel59(*) des personnes auprès desquelles nous allons recueillir des données et qui vont constituer notre échantillon typique. Pour cela, nous procédons ainsi :

La population qui nous intéresse est un sous-groupe de la catégorie des enfants de rue vivant à Port-au-Prince, identifié au statut d' « enfants de la rue » par rapport à un autre sous-groupe connu sous le nom d' « enfants dans la rue ». Si nous considérons les estimations quantitatives qui chiffrent la catégorie des enfants de rue dans la fourchette de 1500-2000 pour tout le pays, il est de ce fait intéressant de signaler que nous ne retrouvons aucune estimation qui peut préciser le nombre d'enfants de la rue, population de notre étude, qui vivent à Port-au-Prince. Pour le moins qu'il puisse être, notre échantillon de choix, plutôt exemplaire60(*) que représentatif, nous permettra de mener l'étude dans toute sa rigueur.

L'échantillon que nous retenons pour cette étude est de quatre (4) enfants de la rue. Cet échantillon est subdivisé, suivant le critère de localités, en deux groupes; ce qui veut dire  maintenant que nous menons l'étude sur un échantillon typique de deux (2) enfants de la rue au Carrefour de l'Aéroport et deux (2) au Champ de Mars .

5- Séquences des activités de terrain

Les activités de terrain sont présentées sous forme de séquences, réparties en plusieurs étapes relatives à la conduite rigoureuse de cette dite recherche.

Séquence I : Observations (4 semaines)

Etape 1 : observations générales (du 26 janvier 2009 au 10 Mars 2009)

1 Les sujets (qui sont-ils, combien, leurs relations ?)

2 Les milieux (description)

3 Les activités (que font-ils, comment, avec qui, avec quoi ?)

Les comportements et les indicateurs

Etape 2 : observations spécifiques (du 13 au 27 Mars 2009)

Les sujets de l'échantillon

Séquence II : Entretiens (2 semaines)

Etape 1 : entretiens d'expert (14, 27 Mars 2008 et 19, 21 Avril 2009)

Etape 2 : entretiens avec les sujets de notre échantillon (du 13 au 27 Mars 2009)

1 Relation de confiance

2 Récits de vie...

6- Description des zones d'observation

Pour mener l'enquête, nous avons considéré deux localités dans l'aire métropolitaine, à savoir Champ de Mars et Carrefour de L'Aéroport qui constituent un point fixe dans lequel nous retrouvons, avec plus d'accès, un nombre considérable d'enfants de la rue.

· Champ de Mars

Champ de Mars est un espace public de la capitale situé au centre de la ville, c'est un lieu de recréation pour la population toute entière. Il contient douze (12) places publiques environ sur lesquelles toutes sortes d'activités socioculturelles et politiques sont fréquemment réalisées. Champs de mars est l'un des espaces publics les plus fréquentés de la capitale, ce lieu est côtoyé par un public assez varié, composé d'enfants, de jeunes, d'adultes, de mendiants, de commerçants, d'étudiants, de chômeurs, etc. En fait, c'est un espace d'activités dans lequel on retrouve un grand nombre d'enfants de rue.

Graphique 3.- zones d'observation : Champ de Mars

· Carrefour de l'Aéroport

Carrefour de l'Aéroport est un espace de croisement qui conduit dans quatre directions distinctes, à savoir Nazon, Autoroute de Delmas et Pétion ville (haut), Autoroute de Delmas et Centre ville (bas) et route de l'Aéroport. Dans cet espace, il existe trois (3) places publiques qui attirent une population assez dense, du matin au soir. Non seulement, ce carrefour est un espace de passage, de commerce et de recréation, mais il est aussi un espace de vie pour une catégorie de gens bien spécifiques, notamment les enfants de rue. Cet espace dans lequel nous menons notre enquête peut se présenter ainsi :

Graphique 4.- Zones d'observation : Carrefour de l'Aéroport

CHAPITRE VI : PRESENTATION DE L'HYPOTHESE

Voulant comprendre comment la personnalité des enfants qui vivent de la rue de Port-au-Prince se forme, nous avons tenté de répondre provisoirement de la manière suivante : « la personnalité des enfants qui vivent de la rue de Port-au-Prince se forme dans leurs conditions matérielles d'existence qui, du même coup, orientent leurs comportements dans des logiques de reproduction sociale. »

Cette hypothèse multi variée est de type associatif.61(*)Elle est composée de trois (3) concepts fondamentaux associés entre eux, dont l'un influe sur l'autre dans une relation dialectique. Ce que nous pouvons ajouter comme élément de précision par rapport à cette relation, c'est qu'il n'est pas question de donner selon les logiques classiques une définition à priori du caractère d'indépendance ou de dépendance des concepts de l'hypothèse à cause de ce que G. Gurvitch appelle « procédés opératoires de dialectisation »62(*) des phénomènes sous étude qui empêchent le rapport fonctionnel des variables dans les hypothèses de recherche. Cependant, ces procédés définissent de préférence des dynamiques corrélationnelles entre les concepts qui constituent l'hypothèse de recherche. En voici maintenant notre système d'hypothèse et ses concepts de base suivant cette présentation synoptique :

Graphique 5.- Présentation de l'hypothèse

1- Opérationnalisation de l'hypothèse

Pour diminuer le niveau d'abstraction de notre étude, il s'avère important de rendre opérationnelle notre hypothèse de recherche, pilier de notre travail, en présentant ses concepts, ses dimensions et ses indicateurs. Considérant le champ dans lequel notre étude se réalise et, plus précisément, selon la disposition des concepts dans notre hypothèse, nous pouvons clairement les identifier dans ces tableaux ci- dessous :

Description détaillée et opérationnelle :

Concepts Dimensions

Conditions Economique

matérielles d'existence Environnementale

Psychosociale

Politique

Personnalité Affective

des enfants de la rue Cognitive

Psychomotrice

Reproduction

Sociale Occupationnelle

Culturelle

Procréationnelle

2- concepts, dimensions, indicateurs et sous indicateurs

Concept I : Conditions matérielles d'existence

Dimensions composantes Indicateurs sous indicateurs

Occupation Rémunération personnelle, autres

Alimentation Source et fréquence ///////////////////////////

Habillement Acquisition //////////////////////////

Lieu d'origine //////////////////////////////

Mobilité ////////////////////

Espace d'activités Espace d'hébergement ////////////////////////

Espace de travail //////////////////////////

Espace récréatif /////////////////////////

Espace de consommation Alimentaire

Sexuelle

Impact //////////////////////////// /////////////////////////

Lien direct //////////////////////////// /////////////////////////

Lien indirect /////////////////////////// ////////////////////////

Type

Loisir Fréquence

Apport

Interaction Intragroupe

Extra groupe

Socialisation Groupes de paires

Famille

Eglise

Ecole

ONG

Media

Police

Justice

Prison

Concept II : Personnalité

Dimensions Composantes Indicateurs Sous indicateurs

Sentiments Sensibilité ///////////////////////////

Emotions Colère, rires, peurs, pleurs//////////////////////////

Motivation ///////////////////////////////////// /////////////////////////

Identité Estime de soi ////////////////////////

Image de soi ////////////////////////

Conscience de soi ///////////////////////

Représentation de soi ///////////////////////

Aspirations ///////////////////////

Intelligence Mémoire Calcul, Réflexion, etc.

Raisonnement ///////////////////////////////

Résolution de problème Conflit intragroupe //////////////////////////////

Conflit intergroupe /////////////////////////////

Conflit extra groupe ////////////////////////////

Problèmes personnels Mécanismes

de défense

///////////////////////////// Sexe ///////////////////////////////////////

//////////////////////////// Age //////////////////////////////////////

/////////////////////////// Statuts et poids //////////////////////////////////////

//////////////////////////// Mouvement /////////////////////////////////////

//////////////////////////// Préhension ////////////////////////////////////

/////////////////////////// Indicateurs de maladies Types de maladie

Soins de santé

Concept III : Reproduction sociale

Dimensions Composantes Indicateurs Sous indicateurs

Occupationnelle Statuts Qui il est ///////////////

Qu'est ce qu'il fait ///////////

Que font ses parents ///////////////

Espaces Où il est //////////////

Les endroits

qu'il fréquente //////////////////////

Où sont ses parents ///////////////////

Culturelle activités Reproduction jours, semaines

des activités

Motif de la réalisation

des activités /////////////////////////

Modèles Parents, Amis. Pairs ////////////////////////

Aspirations ///////////////////////////////////////////////////////////

Signes de réussite ///////////////////////////////////////////////////////////

Procréation progénitures Père et mère Nombre d'enfants

Nombre d'enfants

qu'il désire avoir /////////////////////////

Nombre d'enfants

que les aînés de

la rue ont /////////////////////////

QUATRIEME PARTIE : CADRE D'ANALYSE

CHAPITRE VII : LES CONDITIONS QUI DEFINISSENT L'ENFANT DE LA RUE

1- Âge, sexe et nombre d'enfants de rue par zones d'observation

Les sujets sur lesquels cette recherche est menée représentent la catégorie des enfants de la rue63(*) de la zone Métropolitaine, plus précisément ceux de Carrefour de l'Aéroport et de Champ de Mars. Ils ont entre quatre (4) et douze (12) ans, cependant notre échantillon se limite aux enfants qui ont entre dix (10) et douze (12) ans. Ces enfants, généralement, sont très nombreux si l'on se réfère aux estimations que l'UNICEF avait faites grâce à l'enquête menée par l'Université Quisqueya64(*). Par conséquent, nous avons observé pendant la période de notre recherche une trentaine d'enfants de la rue environ pour les deux localités, soit une quinzaine au Carrefour de l'Aéroport, soit une vingtaine au Champ de Mars et, de ce fait, par rapport à ce nombre, tous sont en réalité de sexe masculin65(*).

2- Caractéristiques Physiques de ces enfants

Généralement le profil de l'enfant qui vit de la rue correspond fidèlement aux conditions matérielles qui définissent son existence. Engendré par des manques fortement ressentis et par des besoins insatisfaits, l'enfant de la rue peut être présenté ainsi.

2.1.- Etat du corps : l'enfant de la rue est généralement musclé et dur, certains sont apparemment minces et d'autres sont très chétifs. Le corps de l'enfant qui vit de la rue est généralement sale, criblé de plaies et de blessures ; il est très facile de remarquer des cicatrices dans toutes les parties de son corps, de la tête aux pieds. De plus, l'odeur de son corps ne peut pas se distinguer de celle de ses vêtements, elles sont toutes deux désagréables. Fort souvent, l'enfant de la rue marche pieds nus, certains portent des paires de baskets usagés et, d'autres, des sandales. Ils ne portent pas de sous vêtements, ses maillots et chemises, ses pantalons et jeans sont souvent sales, déchirés et maculés de boues, d'essence, de rhume, de graisse et de poussière.

- Les cheveux de l'enfant de la rue sont crépus, roux, mal coiffés, sales et très poussiéreux.

- Pendant les observations, un fait est à remarquer, les dents de l'enfant qui vit de la rue sont, pour la

plupart, cariées, tartrées, édentés et surnuméraires.

- Généralement, les enfants qui vivent de la rue ont les ongles mal nivelés et couverts de crasse.

2.2.- Etat de la voix et des regards : la voix de l'enfant de la rue est grave, rigide et, certaines fois, enrouée sous un ton généralement agressif et autoritaire. Avec les yeux un peu rougeâtres, ses regards miment fort souvent la colère et la frustration. Cependant, dans certains cas particuliers, il se sert d'une voix souple et d'un regard pitoyable, surtout quand il veut obtenir quelque chose de quelqu'un.

3- Caractéristiques des milieux :

Les milieux dans lesquels l'enfant de la rue réalise ses différentes activités paraissent un peu complexes quant à l'ampleur du champ de déambulation66(*) de ce dernier. Ce qui veut dire que, l'enfant qui vit de la rue est capable de fréquenter une dizaine d'espaces dans une seule journée. Donc, pour cela, nous avons élaboré des cartes de déambulation qui nous ont permis de cerner les trajectoires ou les activités les plus récurrentes réalisées par ce dernier dans une zone bien précise.

3.1.- Carrefour de l'Aéroport et sa carte de déambulation

Graphique 6.- Carte de déambulation de l'enfant de la rue : Carrefour de l'Aéroport

3.2.- Champ de Mars et sa carte de déambulation

Graphique 7.- Carte de déambulation de l'enfant de la rue : Champ de Mars

Légendes

4- La rue : un espace et une réalité pour des centaines de vie bafouée

Dans les pages précédentes (49 et 50), nous avons présenté, grâce aux réflexions de Stéphane Tessier67(*), quelques points qui peuvent définir la notion de la rue en tant que telle. Cependant, cet espace peut bien représenter davantage de choses pour un groupe de gens bien spécifiques qui y vivent en permanence. Alors, comment ce groupe s'imprègne-t-il de ce dit espace ?

4.1.- Logement

L'enfant de la rue, comme son nom l'indique, est une catégorie de gens pour lesquels la rue est le principal garant qui leur offre les maigres possibilités de survivre avec toutes les conséquences que cela puisse entraîner. Dans la rue, ils grandissent, ils dorment, ils travaillent, ils mangent et ils jouent.

Au Carrefour de l'Aéroport, la majorité des enfants de la rue s'hébergent dans une petite pièce qui a été construite comme dépôt de matériels de nettoyage des places publiques. Transformé en site d'hébergement, ce dit espace dénommé ZAKAT ZANFAN accueille une quinzaine d'enfants environ. Cet espace est insalubre et malsain, la présence des eaux usagées est très fréquente, l'odeur des immondices est battante, car la pièce (ZAKAT ZANFAN) est construite en croisée sur un ravin dans lequel la population avoisinante fait la décharge des détritus. C'est dans cet espace que l'enfant de la rue s'héberge au Carrefour de l'Aéroport. Espace dans lequel il fait la conservation de ses affaires (vêtements, dentifrices, chaussures, savons, etc.) et, aussi, dans lequel il passe généralement ses nuits ; il dort sur des draps, de petits matelas ou sur des morceaux de cartons, soit aux alentours de la pièce, soit sur le toit ; car, par défaut d'aération, ils sont beaucoup trop nombreux pour la petite pièce. Cependant, quand il pleut, ils sont obligés de se faire entasser ou de se faire empiler dans cette dite pièce, ou bien ils se dispersent sur une autre place publique (PAVILLON) ayant de toit pouvant les protéger contre la pluie.

Fort souvent, au Carrefour de l'Aéroport, l'enfant de la rue dort un peu tard entre 10h30 et 11h du soir. Avant de dormir, il se discute et raconte des histoires farouches et amusantes de ses différentes aventures ; s'il y a de l'électricité, il fait de la télé ; il peut même cuisiner, en faisant la collecte du gain de la journée en se servant des ustensiles de cuisine des marchands (es). Enfin, sans se laver le corps, sans se brosser les dents et sans changer de vêtements, l'enfant de la rue est plongé dans son profond sommeil. Écrasé de fatigue, il perd presque totalement le contact avec son entourage ; à ce moment, toutes sortes de trucs sont possibles : il peut être brûlé, battu, volé et il peut être retiré du morceau de carton ou du matelas pour le placer directement sur le sol.

Tôt dans la matinée, on peut les retrouver, tous ensemble, allongés les uns à côté des autres couverts de mouches. Ce qui attire autant de mouches, c'est l'odeur de leurs vêtements, la saleté de leur corps, les blessures qu'ils portent et l'insalubrité du milieu.

Généralement, l'enfant de la rue, au Carrefour de l'Aéroport, se lève entre 6h30 et 7h du matin. Pour se lever, le premier qui s'est réveillé donne des fessés et des coups de pieds aux autres ou bien il leur crie après de cette façon, suivons ces bribes : «  kò karang, leve » ; « san benyen, jou bare w » ; « grapyay, men y ap fè foto w ». Au réveil, la majorité d'entre eux se brossent mais, parfois, il prend un bain dans la matinée. Il fait pipi au même endroit dans lequel il prend son bain, c'est-à-dire aux alentours de la pièce où il dort ; cependant, pour aller à la selle, il le fait directement dans le ravin.

Par contre, au Champ de Mars, il n'y a pas un site spécifique à l'enfant pour se loger ; il dort sur toutes les places publiques de ce dit espace. A vrai dire, nous pouvons retrouver l'enfant de la rue en train de dormir plus exactement sous le Quiosque, par devant l'amphithéâtre REX, devant le collège St Pierre et dans bien d'autres endroits. Il se couche, à même le sol, sur le ciment dur et froid ; généralement, il dort tard dans la soirée entre 11h et 12h et se lève entre 8h et 10h le matin. Quand il se réveille, il se lave le corps dans l'eau des égouts et ne fait que peu de souci pour le brossage des dents. Ainsi, l'enfant de la rue se prépare pour aller travailler jusqu'à la tombée de la nuit.

4.2.- Travail

Les travaux que l'enfant de la rue réalise quotidiennement rentrent dans le cadre de ses pratiques économiques à partir desquelles il s'affiche et se sent existé. Qu'elles soient rémunérées ou non, il s'en sert pour gagner sa vie. En ce sens, l'enfant de la rue travaille du matin au soir, il passe la majeure partie de son temps sous le soleil au milieu de la rue et, certaines fois, nous pouvons le retrouver sous la pluie en train de réaliser les mêmes activités. Dans la rue, comme pratiques, l'enfant essuie les voitures qui s'arrêtent devant le feu rouge de la circulation ou bien il court après elles en attendant que le chauffeur donne en échange une ou deux pièces de monnaie. Et, dans le cas contraire, au lieu d'en recevoir une ou deux pièces, l'enfant peut recevoir de la déception, du mépris, de l'humiliation, de l'agression, etc.

Dans ce milieu bruyant, mouvementé, et plein de risques, l'enfant de la rue s'adonne à d'autres activités qui sont dans l'ordre suivant : mendicité, portefaix, essuyage des souliers, lavage de voitures en stationnement, cirage des voitures en pleine circulation, vol, etc. Plus précisément, au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, l'enfant de la rue offre d'autres types de services aux marchands qui font l'étalage de leurs marchandises au bord de la rue et pour lesquels il reçoit en contrepartie, soit de la nourriture, soit de l'argent ou d'autres formes de satisfaction.

4.3.- Nourriture

Pour rester en vie, du matin au soir, l'enfant de la rue se défonce pour se nourrir. Au bord de la rue, sur les trottoirs, dans les coins de la rue nous les voyons généralement en train de manger. Alors, comment l'enfant de la rue trouve-t-il à manger ?

En réalité, l'enfant de la rue a plusieurs sources et moyens de consommation alimentaire. D'abord, il peut acheter sa nourriture suivant ce qu'il gagne par moments de travail, par exemple au Carrefour de l'Aéroport, tôt dans la matinée, l'enfant de la rue achète du café et du pain ou des pâtés ; il boit souvemment de l'eau et, certaines fois, il fait de la consommation de l'alcool (clairin Asowosi) et des cigarettes. Ensuite, dans l'après-midi, le coût des plats est un peu élevé, il est très difficile pour l'enfant de s'en procurer. Dans les restaurants en plein air, aux environs du Champ de Mars, il s'adonne à la mendicité, il fouille dans les poubelles pour obtenir le reste des mets. Souvent, les consommateurs demande aux enfants de danser ou de se battre entre eux, avant de leur donner un morceau de viande. Dans cette même optique, il existe certains d'entre eux qui, soit au Champ de Mars, soit au Carrefour de l'Aéroport, travaillent avec les marchands (es) comme portefaix ; des fois ils font le nettoyage de l'espace, des chaudières et vaisselles dans l'après midi ; ainsi, ils pourront bénéficier d'un plat gratuit. Enfin, dans la soirée, l'enfant de la rue reste plus proche des marchands (es) de poulets grillés (barbecue), de bégats, de spaghetti, etc. et, en même temps, il mendie auprès des acheteurs quelques pièces de monnaie ou de lui faire goûter la saveur de ce plat.

4.4.- Santé

Privé de soins sanitaires, l'enfant de la rue se bat jour et nuit pour être physiquement performant et capable de répondre à toutes les exigences de son milieu et aux dynamiques de ses pratiques. La plupart du temps, les malaises physiques, organiques ou physiologiques que l'enfant de la rue, sujet de notre échantillon, ressent, sont : la grippe, les céphalées, le fièvre, des sensations de brûlures à l'appareil génital ( kanal brile, la douleur la gorge, des sensations de brûlures aux yeux et des blessures de toutes sortes. Tous sont relatifs aux conditions du milieu : la poussière, la chaleur, la fatigue, la nutrition, le type d'alimentation et ses conditions hygiéniques (nourriture et boissons) et les conflits dans le groupe. Ces malaises en réalité n'affectent pas les activités de l'enfant de la rue, car il doit se débrouiller et rester actif chaque jour pour gagner sa vie dans la rue, c'est l'une des exigences du milieu.

4.5.- Politique

En fait, l'enfant de la rue est fils des conditions politiques en Haïti. A nous rappeler que le phénomène de l'enfant de la rue, tel qu'il est conçu aujourd'hui, est un épiphénomène accouché par des phénomènes de migration urbaine causés par la politique en Haïti (1957- 1971, 1986- 1994... 2004), ce qui fait qu'au départ, l'enfant de la rue était le fils de celui ou de celle qui était venu (e) s'installer dans la capitale. Jusqu'à aujourd'hui, l'enfant de la rue est affecté de loin ou de près par la politique. Dans un sens large, l'enfant de la rue est victime des politiques sociales et économiques de la société qui le prive de tous ses droits ; l'éducation, la nourriture, le logement, la santé lui font défaut depuis sa naissance. Dans un sens restreint, il jouit ou, certaines fois, il est victime des crises et des démonstrations politiques diverses : manifestation, grève, conflits politiques, élection, etc. ; soit qu'il est sollicité, soit qu'il participe volontairement pour ses besoins (vols, divertissement, etc.), soit qu'il reste sans rien faire précisément puisque ses activités habituelles sont paralysées. Cela se produit généralement dans les cas d'élection et de grève. Au Carrefour de l'Aéroport, dans ces cas, il passe la journée à dormir, à regarder la télévision, à se regrouper au bord de la rue et il fait, certaines fois, de la cuisine grâce aux cotisations qu'il réalise en groupe, etc. au Champ de Mars, il passe la journée à dormir, il se promène et, en même temps, il cherche des objets et de monnaies perdus sur la chaussée et sous la chaussée, dans les égouts. Il se regroupe dans la rue en bande en attendant les heures des repas des policiers au Champ de Mars et des gardes du Palais national, espérant recevoir quelques plats.

4.6.- Divertissement

Se divertir est pour l'enfant de la rue une activité qui, dès fois, est au même titre que les activités grâce auxquelles il gagne de l'argent. Ce qui veut dire que l'enfant qui vit de la rue s'adonne à deux catégories de pratiques récréatives ; la première est pratiquement sans enjeux , elle concerne les jeux de football, de cerf-volant, de combat corps à corps, de patin (skate), etc. ; la seconde est pleine d'enjeux, face auxquels celui qui gagne reçoit de l'argent ou d'autres formes de satisfaction ; elle en compte : les jeux de carte ( Albou, bèf toufe, baccara, etc.) le pike kole, la loterie (borlette) , les jeux de billes, pédales, le pari « gè domi », le lagot de fonds, etc.

L'enfant de la rue, pour se recréer, fait usage de tout l'espace de la rue ; sur les trottoirs, dans les coins de rue, au beau milieu de la rue et sur les places publiques nous pouvons les remarquer en train de mener leur petit jeu. Au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, l'enfant de la rue joue à toute heure (matin, midi et soir), il n'a pas un temps précis alloué à son jeu. Il ne définit pas sciemment son temps suivant des plages d'horaires organisées. C'est ce qui permet, d'un moment à l'autre, on a la parfaite impression qu'il est en train de travailler en jouant.

En somme, l'enfant se défonce à travers les pratiques de la rue pour satisfaire ses besoins les plus élémentaires comme se nourrir, se loger, se divertir, s'habiller, s'instruire et se soigner. En fait, tous ces besoins auxquels il a droit à temps voulu lui échappent la plupart des temps. Il se livre dans des combats pleins d'enjeux et de risques qui, au moins, le raffermissent dans la position qu'il occupe dans la société. Ce qui revient à dire qu'en d'autres mots, cette position se retrouve jumelée aux conditions de son existence, lesquelles définissent son parcours social et économique à travers ce qu'il fait, ce qu'il mange, la façon dont il s'habille et à travers le jeu et le travail qu'il fait. Tout ce que nous venons de citer n'est pas une question de choix délibéré, ni une question de volonté propre de l'enfant qui vit de la rue, tout se réfère aux conditions matérielles dans lesquelles il vit, qui limitent ses moyens et privilèges par un certain nombre de contradictions liées à cette réalité dès son émergence. Lesquelles contradictions augmentent les tensions physiologiques et psychosociales chez l'enfant de la rue à chaque fois que les besoins (nourriture, sommeil, jeux, etc.) se font sentir. En effet, l'emprise est tellement forte qu'une quelconque satisfaction d'un de ses besoins ne dépend pas directement ou totalement de l'enfant, mais du niveau de tension qui le tenaille et des situations auxquelles il fait face. D'où, dans un tel contexte, il sera toujours impossible pour l'enfant de se réaliser pleinement, car il n'est pas maître de la satisfaction de ses besoins.

En fait, satisfaire ses besoins de base est, pour l'enfant de la rue, un exercice quotidien qui se fait généralement en groupe. Tout ce qu'il fait, il le fait pratiquement en compagnie de ses paires. De toute évidence, le groupe est comme une petite famille pour l'enfant de la rue, dans laquelle il a appris à définir ses différents rapports social et économique dans le souci de rester en vie et, de surcroît, d'affronter la réalité de la rue et de produire un sens à cette réalité. Comme le dit Pierre TAP dans son ouvrage la société Pygmalion :

« Par la socialisation, l'individu va s'insérer dans le système complexe de relations, par engagements, par affiliation à des groupes, par adhésion à des organisations, s'identifier à des personnes valorisées, s'approprier par incorporation ou intériorisation les modes d'action, les normes et les valeurs propres à son groupe »68(*)

A bien remarquer, l'enfant de la rue grâce à ses différentes appartenances groupales arrive vraiment à définir ses façons d'agir, de parler, ses façons de voir les choses qui répondent proprement à son ou ses milieu(x) de vie qui est la rue, son ou ses groupe(s) d'appartenance qui sont les groupe de paires et à son ou ses groupe(s) de référence qui sont les aînés de la rue ou tout autre significatif de son environnement et de la société globale. A cela, nous reconnaissons que le cours de la vie de l'enfant de la rue se déroule dans un ensemble d'interactions significatives, notamment les groupes de paires, quant à ce qu'il est, ce qu'il veut être et ce qu'il devient en conséquence. Ce qui fait que la socialisation de l'enfant de la rue passe fondamentalement dans sa vie de groupe lui permettant de répondre à ses différents besoins et lui facilitant l'incorporation de l'ensemble des pratiques de son milieu.

Donc, il est évident de comprendre que la réalité de la rue définit forcément la vie de cette catégorie d'enfants. Sans la rue, plus précisément sans les activités de rue, ce groupe d'enfants qui vivent dans ces conditions, soit au Champ de Mars, soit au Carrefour de l'Aéroport, aura un autre profil psychosocial ; car, la réalité dans laquelle il vit pèse d'un lourd poids sur son développement intégral, si elle n'en est pas son essence. Par conséquent, quel est donc actuellement le profil personnalisant l'enfant qui vit de la rue de Port-au-Prince ?

CHAPITRE VIII: L'ENFANT DE LA RUE, UNE ENIGME PSYCHOSOCIALE

Etudier l'individu ne signifie pas l'aborder de manière isolée, mais c'est le comprendre en tant qu'un être complexe évoluant dans un environnement social donné et entretenant des interactions considérables pour sa survie. Ainsi, connaître la vie de celui-ci est d'autant plus complexe que diverses conditions le maintiennent et orientent de loin ou de près ses modes d'actions. A cet effet, plusieurs auteurs comme MORIN, E. ; GAULEJAC, V. et autres ont affirmé que l'individu, un et indivisible, ne peut être réduit ; encore moins le séparer de son histoire, de ses affects, de ses organes, de son intelligence et de ses représentations quand on veut l'étudier comme une réalité vivante. Ce qui fait qu'il faut toujours prendre en compte les composantes psychosociales et historiques qui caractérisent l'individu dans ses champs d'actions en tant qu'un être multi déterminé et multi factoriel. A ce propos, cette complexité réside également dans le cas de notre recherche. Car, à notre avis, aborder l'enfant de la rue est une étude qui, dans sa complexité, entraîne avec elle une gamme d'incompréhensions qui paralysent les actions et les interventions de tout un chacun à l'égard de ce phénomène.

L'enfant de la rue comme tout individu est membre d'une société ; il est sorti d'une famille et il a une histoire qui le rend différent de tous ses congénères et de tout autre individu vivant sur cette terre. Alors, il ne s'agit pas de l'étudier en parcelles ; mais de l'aborder dans son intégralité dans la mesure oú l'on puisse arriver à offrir une meilleure compréhension de la vie de ce dernier. Car, la plupart du temps on se met toujours à sa place et à parler pour lui ; de ce fait, la vie de l'enfant de la rue reste une énigme à déchiffrer dans tous les angles pour constituer son histoire et à travers laquelle on va découvrir réellement ce qu'il est et ce qu'il peut devenir. Donc, à partir d'une étude de cas, nous allons présenter l'histoire de l'enfant de la rue et essayer de comprendre en même temps comment sa personnalité est moulée par ses conditions d'existences matérielles de chaque jour. C'est ainsi que nous pouvons essayer de faire ressortir une compréhension globale de cette catégorie de gens qui vivent dans des conditions difficiles à Port-au- Prince.

1- les enfants de la rue nous parlent...

1.1.- Cas # 1 : Jean Junior ANTOINE69(*)

A- Brève présentation

Nom : ANTOINE

Prénom : Jean Junior

Lieu de naissance : Cap Haïtien

Date de naissance : 1997

Education : ?

Taille et poids : 4» 4 et 39 Kg

B- Montage de scénario

Je suis jean Junior Antoine, né au Cap Haïtien dans une famille de six (6) enfants ; trois (3) filles et trois (3) garçons. J'ai laissé le Cap en 2003 pour rentrer à Port-au-Prince; mais, d'abord, avant de rentrer à la capitale, j'ai passé des périodes de courte durée dans des provinces comme Port de Paix, St Marc, Gonaïves, Artibonite pour des pratiques de mendicité, accompagné de la dame qui s'est chargée de m'emmener à Port-au-Prince. Cette même année, nous y sommes rentrés et nous vivons, si je me rappelle bien, à Cité soleil, du côté de Bois Neuf ou de Belekou, puis à Boston70(*) quelque temps après. Nous étions quatre (4) dans la maison ; moi, la dame, un monsieur (soit disant son mari) et un petite fille domestique apparemment plus âgée que moi. Chaque matin, la dame m'emmène dans la rue. Au Carrefour de l'Aviation, Champ de Mars, Pétion ville et devant les églises ; dans presque toutes les rues de la capitale, elle et moi, nous mendions sans relâche auprès des gens, du matin au soir, jusqu'au coucher du soleil. Il arrive un jour, soit en 2004, oú l'on a arraché et tué le mari de la dame avec des coups de machette et, quelques jours plus tard, notre maisonnette a été incendiée, avec deux morts brûlées vives (la dame et la petite fille) et moi, je me suis échappé et sauvé de justesse. Me voila maintenant, seul, face à la vie et la misère dans les rues de Port-au-Prince perdant complètement les traces de ma famille, et c'est ainsi que je deviens un enfant de la rue.

Actuellement, je vis au Carrefour de l'Aéroport et j'y travaille constamment pour satisfaire mes besoins immédiats. Avec cent, cinquante, vingt gourdes pour une journée de travail, je peux manger, boire, jouer au poker, m'acheter des vêtements et faire de petites économies. Dans la rue, je me sens bien. Avec mes amis, communément appelés `` sosye''71(*), on s'amuse, on se dispute, on se bat, on se rivalise et on mange ensemble. Même s'ils sont mes amis, je ne leur fais pas confiance parce qu'ils me volent tout le temps pendant la nuit ; je fais seulement confiance à la rue.

Organisation de la journée : dès que je me lève le matin, si j'ai du temps, je peux prendre un bain et me brosser les dents. Puis, sans rien manger, je vais directement dans la rue pour travailler ; en gagnant quelques sous si possible, je reviens auprès des marchands (es) de café et de pain ou de pâtés pour me mettre en pleine forme « pou m al kontinye bwase lè a ». En même temps, je joue au poker (Tonton palmis), je fais des va et vient tout le long du trottoir pour surveiller l'arrivée des voitures. Dans cette tranche d'heure, entre 8h AM et 2h pm, je suis en train de parcourir tous les coins et recoins de la rue en travaillant et en m'amusant. Vers les 2h et 3h de l'après midi, je m'arrête pour aider une marchande d' «  Aleken »72(*) avec qui je travaille en lavant les vaisselles et d'autres ustensiles de cuisine, en nettoyant et en faisant le portefaix ; je reçois, en échange de tout ça, un beau plat de riz ou de mais moulu suivant le menu du jour. Aux environs de 4h pm, généralement, je retourne sur le trottoir dans mes activités régulières d'essuie de voitures. Aussi, à cette heure, dans certains cas, si mes vêtements sont sales et si j'en ai assez d'argent, je pourrais aller en m'accrochant à l'arrière d'une voiture dans les marchés publics à la Croix des bossales (sou pay) pour m'acheter d'autres vêtements. Le soir, je me retrouve toujours dans la rue en train de jouer, de mendier et de chercher des objets et des pièces de monnaie au bord de la rue, l'endroit dans lequel les marchands (es) s'étalaient leurs marchandises au cours de la journée. Puis, quand il se fait tard, soit que je regarde la télé s'il y a de l'électricité, soit que je vais dormir directement.

Du côté socio affectif : je me sens très bien dans la rue, je me reconnais comme un enfant qui vit, qui travaille et qui dort dans la rue et j'en suis très fier. Je me fiche pas mal de ce que les autres pensent de moi, ils ne font jamais rien de sérieux pour moi. Dans la rue, je ne me suis jamais découragé dans mes travaux, sinon je crèverai de faim. Même quand je suis malade (migraine, grippe, fièvre, blessures, etc.), je suis obligé d'être présent et d'y travailler. Avec les autres, je suis souvent de bonne humeur sauf quand il y a disputes ou conflits entre moi et une autre personne de la bande. Egalement quand les plus âgés me battent et abusent de mes affaires, à ce moment-là je fais l'expérience la plus extrême de la colère et de la tristesse ; soit que je réagis par des injures, fuites et des pleurs tout en disant : «  lè m gran, lè m pran level, n a vin fè m sa yo ; m ap tou touye nou youn ». Si dans des situations, comme celles-ci, je prends la fuite ou je pleure, cela ne veut pas dire que je suis un lâche ; au Carrefour de l'Aéroport, je ne suis esclave de personne, sauf PAPA que je respecte. Jamais rien ne m'effraie, sauf les policiers, les projectiles des armes à feu et, autrefois, les militaires de la MINUSTAH73(*) ; maintenant, ils nous laissent en paix. Je n'ai peur de rien, ni de personne.

Du côté de l'intelligence : dans la rue, je me débrouille parfaitement bien du matin au soir ; c'est ce que nous appelons « chavire lè a ou byen bwase lè a ». Je maîtrise tous les trucs de base qu'à mon âge je dois savoir et d'en faire usage pour vivre dans la rue. Je sais compter les chiffres ; depuis mes bas âges, j'ai commencé à calculer tout seul mes revenus de travail et la somme de mes économies dans la petite Caisse « bwat sekrè ». Je ne sais ni lire, ni écrire. Par conséquent, dans le groupe, les autres enfants me doivent beaucoup de respect et les aînés ont beaucoup d'admiration à mon égard parce que «  mwen se yon piti ki vivan e mwen sou menm anpil ».

Du côté des aspirations : sans vous cacher, j'aime beaucoup vivre de la rue. Si je cessais d'y vivre un jour, je me sentirais très mal ; soit que j'irais vivre chez quelqu'un, soit que j'irais vivre au centre d'accueil de Carrefour si je voudrais réellement survivre. A ce moment, je serais à la risée de tous, je perdrais un peu d'estime qui fera de moi quelqu'un de faux aux yeux de mes paires «  lè sa mwen se yon Fake, mwen p ap janm vin Real »74(*). Dans la rue, j'y travaillerai toujours ; soit au carrefour, soit au Champ de Mars parce qu'à mon avis ces deux zones offrent beaucoup plus d'avantages aux enfants de la rue. Je ne sais pas, si toute ma vie, je m'hébergerai dans la rue ; mais, je sens que je resterai accroché à la vie de la rue, au travail, à la nourriture et à certains divertissements de la rue. De grands projets, je n'en ai pas vraiment. Cependant, étant enfant, j'aimerais bien aller à l'école ; puis, quand je serais grand, j'aimerais devenir un chauffeur de véhicules. Quoique j'aime beaucoup la vie de la rue, en aucun cas, si j'ai un fils, il ne sera jamais un enfant de la rue.

1.2.- Cas # 2 : Jonas FRANCOIS75(*)

A- Brève présentation

Nom : FRANCOIS

Prénom : Jonas

Lieu de naissance : Port-au-Prince

Date de naissance : 1998

Education : 2e année

Taille et poids : 4» et 32 Kg

B- Montage de scénario

Je suis né à Port-au-Prince dans une famille de quatre (4) enfants, trois (3) filles et un (1) garçon orphelins de père, et dont je suis le cadet. Mon nom est Jonas FRANCOIS, je vivais avec ma mère à Delmas depuis ma naissance jusqu'au jour où j'avais choisi de mener la vie de la rue. A dire vrai, ma mère était très cruelle envers moi ; elle me disait tout le temps «  se ti volè m ye », pour des pièces de monnaies égarées, pour des objets déplacés ou perdus ; j'en suis toujours l'acteur. Car, selon ses dires, je suis le seul garçon de la maison, alors c'est moi qui suis capable de commettre ces genres d'actes. A ce moment, elle me battait souvent avec rage et véhémence. Sous l'influence de ses bastonnades, ses tortures et ses maltraitances, j'ai dû laisser une première fois la maison pour aller retrouver un ancien camarade de classe de l'Ecole Nationale de la République de l'Equateur qui vivait déjà dans la rue et qui m'invitait, chaque fois que je l'ai rencontré, à venir y passer une journée. Pendant une semaine et demie, je suis avec lui, apprenant petit à petit tous les trucs de cette nouvelle vie, jusqu'au jour oú quelqu'un du quartier de ma mère m'a vu et m'a raccompagné chez moi. Après quelques temps, un, deux, trois mois passés sans anicroches, ma maman a recommencé à me frapper à tort ou à raison ; cette fois-ci, je lui ai signalé que je quitterai la maison pour de bon. Elle m'a cru sur paroles et m'a ligoté aux cordes. Un jour, je suis arrivé à me défaire des noeuds de la corde et je suis parti à jamais dans la rue ; je ne me rappelle pas exactement de la date, mais c'était après le départ d'Aristide.

Maintenant, je suis dans la rue, je ne vais plus à l'école, ni à l'église. A ZAKAT ZANFAN, au Carrefour de l'Aéroport, je m'héberge depuis quelque temps en compagnie d'autres enfants sous la garde d'un responsable que, tous, nous appelons PAPA76(*). En fait, dans la rue, je vis, je me divertis, je travaille pour gagner assez d'argent nécessaire à ma survie et j'apprends à me défendre dans tous les sens. En plus de tout ça, dans la rue, je me sens réellement libre...

Organisation de la journée : Ordinairement, le matin, je me réveille entre 7h30 et 8h30, et je me lave le visage. Puis, avec ma toile en main, je me dirige dans la rue afin de gagner quelques pièces de monnaie me permettant d'acheter quelque chose à manger. En fait, je dois avouer que je n'aime pas trop travailler, il suffit que je trouve à manger une fois, deux fois dans une journée, soit que mes amis m'apportent un petit morceau de quelque chose, soit que j'en achète. Après quoi, je peux passer tout le reste de la journée à m'amuser en jouant au « Tonton palmis » pour maximiser mes sous, ou en taquinant les autres enfants jusqu'à ce qu'ils s'énervent. Il est des jours oú je n'ai aucune envie de travailler. Dans ces situations, j'ai eu toujours l'habitude d'aller me baigner et m'amuser un peu en plaine à la grande rivière, et je suis retourné vers les 1h30 de l'après-midi pour rendre service à des marchands (es) qui vont me réserver un plat gratuit aux environs de 3h. Avec ces deux repas, je n'ai aucun problème ; je continuerai à m'amuser sans relâche et à mendier jusqu'à la tombée de la nuit. Le soir, je me promène et je fais souvent des activités farouches et amusantes en groupe : soit les blagues, soit les taquineries de toutes sortes. D'autant plus qu'en me promenant, je profite pour chercher objets et monnaies perdus au bord de la rue et sur les places publiques à l'aide de bougies allumées ou, s'il y a de l'électricité, grâce aux projecteurs d'éclairage installés au Carrefour de l'Aéroport. Enfin, je regarde la télé et, quand il se fait un peu tard, je cherche un petit coin où je peux m'allonger pour dormir en paix et qui me met à l'abri de tout abus.

Du côté socio affectif : Au Carrefour de l'Aéroport, avec les autres enfants, je suis toujours de bonne humeur ; j'aime beaucoup jouer, c'est ma meilleure besogne. Je ris souvent, je suis très plaisant et j'ai accepté presque facilement tout ce que l'on me fait. J'ai en outre un caractère très soumis, c'est pourquoi les autres m'ont appelé « Ti joel » ; si PAPA dit qu'il faut nettoyer et jeter les débris, j'accepte volontiers, je n'aime pas répliquer. A cause de ce caractère, je suis souvent victime chaque fois que je veuille me montrer un peu arrogant dans certaines situations ; par exemple, deux fois dans toute ma vie de rue, on m'a fait grand mal à cause des tentatives de répliques et d'affront. Une fois, j'avais reçu d'un aîné deux graves blessures à la tête à coups de pierre et, tout récemment, un de mes pairs m'a sectionné le bras avec un tesson de bouteille. Face à ces deux situations, j'ai eu toutes les peines du monde : douleurs, pleurs colère, frustration, tristesse, etc. ; à cet effet, j'ai toujours voulu me venger, tuer ou faire du mal, mais je n'ai pas ce courage ; je suis trop sensible. Sans vouloir plaisanter, c'est vraiment dur de vivre dans la rue, je me sens très mal. Pour être content, je suis obligé de chercher du plaisir auprès des autres en les taquinant et, dès fois, ça tourne mal. J'ai vraiment honte d'être un enfant de la rue, toujours sale et sans chaussures ; je n'y trouve aucune fierté. Je suis certainement plus libre, mais c'est très malaisé. Dans les rues, les gens m'humilient à tous égards ; ils me voient vraiment mal. Souvent, ils me disent «  Kokorat, ti volè » ; pour une plus récente illustration, la dernière fois, je suis arrivé auprès d'un chauffeur pour lui solliciter quelque pièce de monnaie, il m`a répondu soudainement : «  Poukisa w pa rale zam sou mwen pito, pou w pran kòb la ? Demen se ou k ap tounen pi gwo gang nan k ap vin tire m », ça m'a beaucoup affecté et j'ai passé tout e reste de la journée sans travailler. Dans des cas comme ceux-ci, j'ai eu toujours l'envie de retourner chez moi ; mais les souvenirs macabres de toutes les tortures et souffrances que j'ai endurées pendant ma prime enfance m'incitent à rester davantage dans la rue. D'autant plus que dans ces cas, je perds totalement la motivation d'y travailler ; mais je ne peux pas supporter la faim, certaines fois j'y résiste en demandant des morceaux de viandes, de pâtés ou du pain à mes pairs ; ça leur donne la possibilité de me ridiculiser davantage. Donc, je m'efforcerai d'y travailler pour manger quoiqu'il en soit, sinon je mourrai de faim.

Du côté de l'intelligence : Au rang des enfants qui vivent de la rue, je suis capable de réaliser avec brio toutes les activités ayant rapport à mon statut comme tous les autres, je maîtrise assez bien les trucs et les astuces qui me permettent de survivre ; soit dans le sens de gagner de l'argent ou de me défendre contre tout danger. Je peux, en outre, me servir de tout ce qui se trouve dans mon entourage ; car je suis très curieux. Ce qui me remonte un peu l'estime, comparativement aux autres enfants, je sais lire, écrire, compter, je connais les couleurs et je maîtrise des tas d'autres choses qu'ils ignorent, qui ne sont pas de l'ordre de la rue, tels que : quelques notions de bonnes manières, le téléphone cellulaire, l'Internet, comprendre un film et d'autres trucs du genre.

Du côté des aspirations : l'un de mes plus grands voeux est de mettre un terme à ma vie de rue, mais je ne vois pas comment y arriver. Si j'ai tenté après tout ce temps de retourner chez moi, ce dont j'ai grande envie, ma mère continuera sans doute à me maltraiter. Non plus, je n'ai aucune intention d'aller à un centre, je ne suis pas un prisonnier ; et, en plus, on va certainement me ramener chez ma mère. Voila la situation dans laquelle je me trouve depuis quelque temps. Ceci dit, je veux cesser de vivre de la rue, je veux continuer mes études car je rêve de devenir ingénieur en construction de bâtiment pour avoir assez d'argent me permettant de faire des oeuvres sociales pour les enfants démunis. Ce qui traduit l'idée que, jamais, je ne souhaiterais pas que mon ou mes fils fassent l'expérience de la rue ; c'est trop malaisé et risqué. Puisque la rue n'est pas faite pour les enfants.

.3.- Cas # 3 : Félix MERCIDIEU77(*)

A- Brève présentation

Nom : MERCIDIEU

Prénom : Félix

Lieu de naissance : Port de Paix

Date de naissance : 1997

Education : ?

Taille et poids : 4» 6 et 41 Kg

B- Montage des scénarios

Mon nom est Félix MERCIDIEU, je suis né à Port de Paix en 1997 dans une famille de quatre (4) enfants : trois (3) garçons et une (1) fille, et dont je suis le junior. Depuis que j'étais tout petit (5 ans environ), je menais la vie de la rue avec mes deux frères aînés au Cap-Haïtien et à Port de Paix. Dans la rue, nous y passons la journée, voire des semaines afin de gagner assez d'argent pour rentrer chez nous et pour donner à manger à nos parents et à notre petite soeur qui habitent «  nan mòn podpè ». En 2004, après le cyclone, moi et mes frères, nous étions allés à Gonaïves dans le but de participer aux dons faits aux sinistrés du cyclone. Recevant des vêtements, de l'argent et de la nourriture, mes deux frères se sont retournés à Port de Paix et, moi, j'ai décidé de rentrer à Port-au-Prince en quête d'une nouvelle vie. Seul, je suis rentré dans la capitale en laissant frères, soeur et parents ; je me sentais énormément motivé et capable de mener la vie de la rue à Port-au-Prince tout en imaginant combien rentable elle puisse être. Sur le Wharf de Jérémie, c'était là que je m'étais trouvé le premier pour passer les nuits et pour travailler. Puis, avec d'autres compagnons de rue, j'étais allé me loger à Cité soleil « Zòn bò HASCO » et je fréquentais le Carrefour de l'Aviation, le Portail Saint Joseph et les marchés publics (Lavil). A cette période, mes premières activités étaient la mendicité, l'essuyage des voitures et le vol ; au bout de quelques années, à Cité soleil, les gens commençaient à nous utiliser (moi et mes copains) comme éclaireurs, passeurs et rançonneurs lors des conflits armés et dans d'autres activités criminelles. En 2006, j'ai été touché à l'épaule par deux projectiles, trois (3) de mes partenaires ont été arrêtés par les soldats de la MINUSTAH et deux (2) d'entre eux furent tués. Alors là, moi qui veux garder la vie sauve, je me suis vite rentré à Port de Paix oú j'ai passé sept (7) ou huit (8) mois sans rien expliquer précisément à mes parents. Puis, en 2007, je suis retourné à Port-au-Prince, précisément à Portail de Léogâne, «  Bò madan Kolo » et au Champ de Mars, endroits dans lesquels je vis, je travaille et je me divertis généralement.

Organisation de la journée: Dès que je me lève, vers les 8h/9h AM, je cherche à me laver le visage ; avec un morceau de tissus, je me brosse les dents et, certaines fois, je ne m'en occupe guère. Après quoi, je cherche ma toile pour me diriger dans la rue vers les voitures. S'il n'y a pas trop d'activités (si pa gen afè), soit que je vais dans d'autres endroits, soit que je laisse la toile de côté, pour aller me coucher encore une fois, pour aller jouer ou pour aller me rendre à Portail de Léogâne, au centre Don Bosco. Des fois, entre 9h-12h, si le professeur est présent au Champ de Mars et si je suis motivé, je participe à des séances de mathématiques et d'écriture en attendant que l'heure du corridor (Bwadchèn) sonne ; endroit dans lequel, entre 12h et 4h, j'y suis généralement pour mendier, pour s'accaparer du reste des plats que les consommateurs laissent sur la table ou ce qu'ils jettent dans les poubelles. Une fois que je sois un peu rempli, je suis retourné dans la rue travailler et me divertir un peu avec les autres. Le soir, la plupart du temps, je suis dans les parages de l'amphithéâtre REX et ses environs en train de mendier de l'argent et de la nourriture. Il est des fois que je fréquente les prostituées de la place si je gagne assez d'argent pour la journée. Mais, à côté de cela, j'ai une cliente que nous appelons « Dènye lè » pour le peu d'argent que nous ayons 10, 15, 20 Gourdes : « Baton ».

Du côté socioaffectif : Dans la rue, je ne vois aucun inconvénient ; je me sens aussi bien que si j'étais chez moi, pour ne pas dire plus bien. Dans la rue, plus précisément au Champ de Mars, il y a toujours de l'espoir ; les gens (chauffeurs, marchand(s) (es), passants...) m'offrent d'énormes possibilités de gagner de l'argent, de manger et de boire, ce qui, au moins, me permet de rester en vie au jour le jour. Je ne peux pas dire que je suis toujours content, mais il y a des situations qui me donnent souvent la sensation du plaisir par exemple : « lè vant mwen plen ak lè m gen anpil lajan », ce qui veut dire par contre que je suis plus facilement de mauvaise humeur (en colère) que d'être content, mais je ne le démontre pas du tout. «  M gen gwo san anpil », je ne tolère pas les taquineries et je vois toujours d'un mauvais oeil une personne qui aurait l'intention de m'abuser ; ce sont ces genres de situations qui me mettent généralement dans le pétrin «  Nan cho ». Dans la rue, j'ai déjà vécu de dures expériences et j'ai déjà perpétré quelques actes flagrants comme par exemple : l'année dernière , j'ai été mis en prison au commissariat du Champ de Mars (Ponpye) pour une semaine (6 jours environ) parce que «  Mwen te fann tèt yon madanm nan Koridò a » ; un gardien des places publiques m'a tranché la peau avec un fil électrique ; tout récemment, je l'ai surpris en train de dormir sur un mur de la place «  nou fann li ak wòch ak boutèy, nou pete tout tèt li » ; ensuite, en 2006, j'ai été touché à l'épaule par une projectile d'une arme à feu. Donc, les douleurs, les peines, les pleurs et la colère m'accompagnent dans la rue chaque jour et j'y suis un peu habitué. Etant enfant de la rue, il n'est pas question pour moi d`être fier ou d'avoir honte ; je suis dans la rue, sale et pieds nus, je n'ai pas le choix, tout le monde me voit ainsi. Mais il existe des situations qui me gênent davantage que d'autres, surtout quand quelqu'un m'appelle et me parle de ma vie, de ma famille ou de la rue. Cependant, que les gens me disent ou m'appellent « Kokorat, Volè, Grapiyay », etc. « Sa pa fè m ni cho ni frèt »

Du côté de l'intelligence : Je n'ai jamais été à l'école, je ne sais ni lire, ni écrire, je ne suis même pas capable d'écrire mon nom ; pourtant je sais que je suis intelligent. Dans la rue, je suis capable de manier, et ceci, très bien, tout ce auquel j'ai accès. Pour les pratiques de la rue, il faut être «  Vivan » pour les réaliser. Depuis que je suis dans la rue, je n'ai jamais été dupé par les autres comme par exemple : « Fouye m, Klase m, Bon sou mwen » ; je suis toujours sur tous les coups, même si j'étais absent, je trouverais quelqu'un qui me mettrait au courant : « Se mwen ki pou bon sou nèg yo, se mwen ki pou fouye yo[...] yo tou pè m paske yo konnen mwen se nèg Site solèy [...] »

Du côté des aspirations : je suis dans la rue depuis mon enfance, je pense que j'y resterai accroché pour beaucoup d'années encore ; car je ne suis pas encore prêt à la laisser. Non seulement, je suis dans la rue pour survivre (me donner à manger), mais j'y suis aussi pour aider mes parent, mes frères et soeur de survivre. Même si je vais à un centre, rien ne va réellement changer puisque je dois trouver de l'argent pour apporter à Port de Paix tous les deux (2), trois (3) mois. Donc, tu vois ça, si je quitte la rue, c'est le chaos «  M ap blo ». Autrefois, j'avais eu l'envie d'aller à l'école, mais c'était une folie ; elle n'est pas faite pour moi et elle ne m'intéresse plus maintenant. J'ai davantage besoin d'argent et de travail. J'aimerais devenir tout ce que la vie me réserve «  M ta renmen tout bagay nan vi m, nenpòt sa k vini an, anwetan kidnapè ak chimè ». Mes enfants, si j'en aurai, je ne les laisserai jamais mener la vie de la rue et je l'espère même si je serais mort.

1.4.- Cas # 4 : Samuel PETIT-HOMME78(*)

A- Brève présentation

Nom : PETIT-HOMME

Prénom : Samuel

Lieu de naissance : Jérémie

Date de naissance : 1999

Education : ?

Taille et poids : 4» 2 et 29 Kg

B- Montage des scénarios

En 1999, je suis né à Jérémie dans une famille monoparentale de père où je vivais avec ma petite soeur. En 2004, après la mort de mon père, nous sommes rentrés à Port-au-Prince avec l'une des soeurs du défunt et avec qui nous allons habiter Fort National « Sou Fo » afin qu'elle prenne soin de ma petite soeur et de moi. Nous étions tous deux les bienvenus dans la capitale, mais au bout de quelques temps les choses commencent à se tourner très mal ; nous sommes devenus comme des esclaves de maison, on dirait plutôt des « Restavèk ». Chaque jour, notre tante quitte très tôt la maison et elle est rentrée généralement après six (6) heures du soir ; et, moi et ma petite soeur, nous sommes restés tous seuls et nous passons toute la journée à la maison sans rien faire et sans rien manger non plus en attendant que notre tante nous apporte quelque chose à manger. Avec mon père, avant sa mort, j'avais eu la chance d'aller à l'école pendant une année ; mais avec elle, c'est tout différent. Elle ne veut que ma force de travail. Généralement, quand ma tante est sortie, elle ne m'a rien dit de faire précisément ; mais quand elle est rentrée, si elle trouve quelque chose qui ne lui plait pas, question de propreté et d'ordre, elle me fait une raclée suivie de sévères punitions. D'année en année, ma tante augmente la sévérité de ses punitions à mon détriment. Un jour, elle m'a brûlé a la jambe avec un fer à repasser pendant que j'étais en train de faire un somme sur une chaise et elle m'a dit : « Kochon, m pa diw piga w dòmi san benyen nan kay la, al fout chache dlo pou w lave pye w. » Ca a été une grave brûlure, après quelques jours elle devient une grande blessure ( yon gwo plaka, yon gwo maleng) ; en dépit de cela, je continue à subir ses bastonnades. Un soir, sous une punition horrible, je lui ai dit : « si papa m te la ou pa t ap ka fè m tout sa yo... » et elle m'a répondu : «  Ebyen al jwenn papa w. » Elle a ouvert la porte et elle m'a poussé dans la rue, l'endroit dans lequel je devrais passer la nuit ; mais, j'avais tellement peur que je me suis dirigé vers le W.C79(*) qui se trouve à côté de la maison ; et, en fait, c'est là que j'ai passé ma première nuit. Le lendemain matin, j'attends qu'elle sorte et j'y suis rentré. Quand elle est revenue, elle m'a dit : «te kwè m di w  pa met pye w nan kay mwen ankò... » Puis, elle s'est dirigée vers ma petite soeur et lui dit : «  le jou ou kite samyèl antre la, w ap tou al jwenn li [...] » Pour me faire pardonner, je l'ai beau supplier ; mais elle ne m'a pas accepté. Donc, pour protéger la vie de ma petite soeur, je me suis obligé de chercher d'autres endroits pour vivre et c'est ainsi que ma vie de rue a commencé dans les années 2006-2007.

Organisation de la journée : chaque jour, comme d'habitude, je me lève vers les 8h/9h du matin ; la première chose que j'ai faite, je cherche ma toile huilée de travail et je me dirige dans la rue. Pendant un certain temps, je travaille (m siye machin, epi m mande) je gagne assez d'argent pour m'acheter du pâté, du jus, de l'eau, du clairin et de la cigarette. Une fois terminé, je jouerai au poker avec presque le reste de mes revenus, certaines fois je vais au centre ville ( Bò madan Kolo) pour aller au cinéma (télévision) et pour lequel je dois payer cinq (5) gourdes à chaque film et, aussi, je vais souvent à Portail de Léogâne (Centre Don Bosco) endroit dans lequel je me rends généralement pour me divertir ( bicyclette, balançoire, skate, etc.) vers les 12h, 1h, 2h, 3h, je me retrouve au corridor Bois de chêne (koridò Bwadchèn) auprès des marchands (es), acheteurs et consommateurs entraîne de mendier de la nourriture, du jus ou de l'argent. Il est des jours où, généralement les mercredis, moi et mes compagnons, nous irons à CARITAS et on nous donne à manger. En arrivant vers les 4h, je continue à créer d'autres moyens de gagner de l'argent en alternant travail (mendicité, essuie de voitures, etc.) et jeux (poker) ; « depi vant mwen plen, sèl sa m wè pou m fè se jwe ». Le soir, je me promène en côtoyant tous (tes) les marchands (es) de la place (Spaghetti, Hotdog, Barbecue, etc.) et, plus tard, vers les 10h/11h, je me prépare à dormir. Si je joue au « lagot de fonds » ce que nous appelons : « Gè domi » je peux passer la nuit sans dormir.

Du côté socioaffectif : La rue, comme un espace de vie, me parait assez convenable. Avec les autres compagnons de rue, qu'ils soient plus grands ou plus petits, je les respecte et ils me respectent aussi ; ce qui voudrait dire qu'en d'autres mots, je me sens vraiment bien avec eux. Je me souviens tout le temps de ma première journée au champs de Mars, les pairs m'avaient bien accueilli ; comparativement aux autres parvenus, ils ne m'avaient ni frappé, ni battu, ni demandé de l'argent. Au contraire, ils (deux d'entre eux) m'avaient accompagné, ils m'avaient cherché à manger et ils m'avaient trouvé un endroit pour dormir. Jusqu'à maintenant ils sont mes amis ; nous formons une vraie famille et je leur fais confiance. Grâce à eux et, également, grâce aux gens qui nous supportent au Champ de Mars (chauffeurs, marchands, policiers, passants...), je vis encore. Dans la rue, je suis toujours de bonne humeur ; sauf quand ils jouent aux taquineries et qu'ils m'appellent « Blakawout » (Black-out), je me mets certaines fois en colère, mais c'est juste pour quelques secondes. Des fois, il m'arrive d'être triste surtout quand je pense à la vie de ma petite soeur et, aussi, il existe d'autres situations qui incitent la peur et l'inquiétude chez moi « tankou lè gen deblozay nan peyi, manifestasyon , tire, eksetera. Tankou avan yè lè te gen eleksyon an, m pase jounen an san manje anyen e san senkòb ; se gras ak chèf ki nan palè yo ki fè m te jwenn yon ti kal manje... ». Donc, pour moi, il n'est pas facile de vivre dans la rue; étant fils de parents pauvres et orphelin, je mène une vie de misère dans la rue, soutenue par les gens de bonne foi et qui prennent pitié à mon égard. Qu'ils me dénigrent ou non, en m'appelant « Kokorat, Ti volè, Selavi... », Je me rabaisse «  poukisa pou m fè gwo kolèt ak moun yo, bon se yo k ap ede m nan lari a » ; je suis un enfant de la rue, ils me traitent en tant que tel.

Du côté de l'intelligence : A Jérémie, pendant une année, j'avais eu la chance de fréquenter l'école ; mais cela ne m'est pas suffisant pour que je sache comment lire et écrire. Dans la rue, j'ai appris à compter et à faire le calcul de mes revenus, mais j'ignore complètement les grands nombres comme cent (100), deux cents (200), etc. Dans la vie, je connais ce que je dois faire et ce que je ne dois pas faire (Sa k byen, sa k mal) et, aussi, dans la rue, je peux parfaitement me débrouiller pour me trouver à manger, pour me divertir, pour me loger et pour me défendre. Les seules choses que je ne maîtrise pas parfaitement, ce sont les dates et les heures : jours- mois- années, etc. mais, tous les autres trucs du genre habituel et qui font partie de ma vie de rue, je les connais et je les maîtrise sans trop d'efforts.

Du côté des aspirations : Actuellement, je perds tout le contact avec ma famille : ma soeur et ma tante ; elles se sont déménagées à Fort National et se sont rendues dans divers autres endroits dont j'ignore les adresses. Ce qui fait qu'en réalité je me sens vraiment seul dans la vie. Je suis dans la rue et j'y resterai pour longtemps, car je n'ai aucun autre endroit dans lequel je peux me rendre pour que je vive une meilleure vie, mis à part les centres qui m'offrent certaines possibilités de me nourrir, de me divertir, etc. ; mais, cela ne me suffit pas. J'ai besoin aussi de l'argent pour économiser, car je ne veux pas que ma soeur souffre. J'aimerais lui donner un commerce quand je serais plus grand et, moi, j'aimerais aller à l'école, car je rêve de devenir président. La mort de mon père m'a fait beaucoup souffrir, je n'aurais pas dû être dans la rue ; puisque je n'ai pas de famille, je n'ai personne d'autre, je me résigne. Dans les années à venir, si jamais j'aurais un enfant, je ne souhaiterais pas qu'il soit un enfant de la rue ; par rapport à toutes les souffrances que j'ai endurées, je ferai tout mon possible pour lui épargner tous ces malheurs.

2- Les dimensions de la personnalité étudiées chez l'enfant de la rue

2.1.- Quelques aspects de la motricité80(*) chez l'enfant de la rue

Les sujets que nous avons observés et interviewés tout le long de notre étude ont fait preuve d'exubérance motrice dans la réalisation de leurs activités régulières, jeux, gestes et dans d'autres domaines de la vie courante. Dans cette tranche d'âge, entre 10 et 12 ans, selon les chercheurs en psychologie génétique, tout enfant, déjà, fait l'acquisition des prestations sensori-motrices générales nécessaires à son développement psychophysique, telles que : les sensations multiples, la préhension, les positions assis/debout, la marche, la course et d'autres mouvements primaires. A ce propos, nous avons observé que l'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, à cet âge, poursuit un développement musculaire très accéléré et apparemment établi ; en plus de ses nombreuses capacités physiques et sa vigueur qui augmentent son endurance, l'enfant de la rue jouit énormément de son acuité sensorielle pour réaliser ses entreprises quotidiennes au bénéfice de sa survie.

2.1.1.- Le corps de l'enfant de la rue : entre sa musculature et ses mouvements

L'enfant de la rue, au regard de notre échantillon, a fait preuve de forces physiques assez considérables en l'observant dans ses jeux d'acrobatie, de combats et dans ses pratiques de portefaix, en soulevant de lourdes charges des commerçants au bord de la rue matin et soir, même avec excès. Sans épuisement réel dans ses travaux de chaque jour, l'enfant de la rue agit avec énergie et résistance par rapport son âge.

Entre 10 et 12 ans, les enfants de la rue que nous avons observés sont présentés relativement suivant une croissance staturo-pondérale qui s'établit en moyenne dans l'intervalle entre 4» et 4» 6 de taille et entre 29 Kg et 41 Kg de poids. En effet, les activités de ces derniers sont très intenses et leur champ d'exécution est très étendu. Au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, du matin au soir, ils sont constamment en mouvement ; ils inventent, découvrent, répètent, améliorent de nouveaux gestes et expressions faciales, et de nouvelles coordinations adaptés au milieu dans lequel il évolue. En fait, suivant les données de nos observations, l'enfant qui vit de la rue est généralement instable. Dans des situations diverses, ces mouvements sont un peu massifs, rapides, non affinés mais bien coordonnés et différenciés pour la réalisation des activités multiples au gré de leur délices ; prenons l'exemple des leurs acrobaties en descendant une voiture qui court à grande vitesse.

Ensuite, quant à sa gesticulation, l'enfant de la rue en situation de communication émet des gestes qui sont pour la plupart abondants, globaux et parfois explosifs ; mais, la synchronisation y est souvent absente. Sauf, dans les cas précis, lorsqu'il s'agit pour l'enfant de montrer ou d'indiquer un objet placé plus ou moins devant son champ sensoriel, la synchronisation entre l'intention, le verbe et les gestes de l'enfant est améliorée. En fait, d'autres gestes discrets de l'enfant de la rue qui sont à l'ordre des mimiques, formes d'expressions à dominante faciale qu'il émet au niveau du front, des sourcils, des yeux et de la mâchoire, et qui sont produites généralement quand il est en colère et quand il veut intimider. Hormis le sourire qui n'en fait pas partie. De toutes les mimiques observées pendant la période de notre enquête, nous avons noté : «  Dan di, Sousi kontre, Bay min, Dan klete, Bay vizaj, Dan soude, Zo bèf, Monstre, etc. »

Enfin, une coordination musculaire bien établie requiert une certaine capacité de latéralisation et de latéralité de la part de l'individu. A ce propos, l'enfant de la rue, sujet de notre échantillon, affiche une dominance latérale droite ayant le choix préférentiel à utiliser la main droite et le pied droit lors de l'exercice de ses pratiques quotidiennes (jeux, travail, utilisation de matériels, réflexes, etc.). Cependant, au niveau de la latéralisation, il est plus facile à l'enfant de la rue de faire la différence droite/gauche sur lui que de le distinguer sur autrui et dans un espace quelconque.

2.1.2.- le corps de l'enfant de la rue et ses dérivés sensoriels

A ce niveau, l'enfant qui vit de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars est étudié suivant un tableau poly-sensoriel qui, dans un rapport étroit avec le cerveau, définit les différentes sensations et impressions de ce dernier face aux stimulations du milieu dans lequel il vit, en l'occurrence la rue. Cette correspondance entre les sens, les sensations et les mouvements chez l'enfant nous permet de comprendre et de présenter les quelques réactions possibles de celui-ci par rapport aux exigences de ses conditions matérielles d'existence et, plus loin, elle va nous conduire aux pieds du champ cognitif et socioaffectif de ce dernier. A ce propos, chez l'enfant de la rue, un faisceau de sensations ou d'impressions sensorielles tout nécessaires à sa survie, fait de lui quelqu'un de différent par rapport à tout autre enfant de son âge, de sa taille, de son poids et de son sexe, et qui vit dans un autre milieu assez aisé. Pour l'enfant de la rue, toute impression de mal-être ou d'incomplétude liée aux besoins physiologiques comme manger, dormir, se faire uriner, aller à la selle, se baigner, se changer de vêtements qui peuvent garantir une certaine satisfaction physique, est pratiquement éteinte. Au lieu de pleurnicher ou de pousser des cris quand il a faim, il résiste et il cherche à manger en mendiant de toute part ; quand il faut aller à la selle, il se dirige vers les ravins ou dans les toilettes publiques ; quand il faut se baigner et changer de vêtements, il s'en occupe très rarement. De ce point de vue, sans vouloir faire une énumération complète, il est bien d'autres sensations d'ordre visuel, auditif, tactile, olfactif, gustatif, kinesthésique, etc., qui mettent en évidence les différences sensori-motrices chez l'enfant de la rue quant aux conditions concrètes qui les engendrent. C'est ce qui fait, vraisemblablement, que l'enfant qui vit de la rue a une autre impression de la douleur, il réagit différemment aux bruits multiples produits dans la rue, il s'adapte à l'odeur des poubelles, des égouts, de son corps et de ses vêtements. En dernier lieu, il résiste sous le soleil toute la journée pieds nus et sans casque ; aussi il passe la nuit à froid en dormant sur le sol et à ciel ouvert.

2.1.3.- le corps, ça absorbe... c'est comme une éponge

Généralement, le corps de l'individu prend la forme de ce que l'individu a fait au cours de son histoire, constituée de toutes les expériences jusqu'ici vécues par celui-ci. Le développement et les caractéristiques du corps ne dépendent pas seulement d'une simple maturation organique, mais aussi du milieu dans lequel l'individu en question évolue, de ses activités pratiques et de ses exercices à utiliser ou à manipuler les objets et les matériels de son environnement ; citons l'exemple des cas bien connus de deux enfants loups dénommés Ramala et Kamala81(*).

En réalité, les conditions d'existence de l'enfant qui vit de la rue ne diffèrent pas trop de celles de ces deux enfants retrouvés dans la forêt quant au caractère frustre, rigide, hostile et rudimentaire des deux milieux. Dans la rue, le nombre de temps que l'enfant a passé et les expériences qu'ils ont vécues ne sont pas sans effet sur son développement intégral, sa taille, son poids, ses jambes, ses bras, ses cheveux, ses dents, son teint épidermique, sa préparation pubertaire, etc. En somme, sous le poids de conditions de vie difficiles, le corps de l'enfant de la rue se développe et se trouve sans cesse modifié, facilitant celui-ci à répondre aux diverses exigences du milieu et à se battre pour la survie. Dans le corps de ces enfants est reflétée la misère de toute une société et, en particulier, y sont retenues le souvenir de toutes les aventures et les rixes auxquelles ces derniers ont été livrés pendant toute leur enfance.

2.2.- L'Intelligence82(*) de l'enfant de la rue : un outil de survie

Les comportements intelligents des enfants qui vivent de la rue, en les regardant agir jour et nuit, peuvent être assimilés à la « débrouillardise ». A ce titre, ses nombreux efforts sont précisément accomplis pour contrecarrer les situations de misère et de souffrances quotidiennes rencontrées dans la rue. Pour ce faire, l'enfant doit utiliser son cerveau, son corps, ses sens, ses muscles afin d'apprendre et, simultanément, de réaliser les activités qui lui permettent de survivre jour après jour. Ces exercices assez indispensables que ces derniers réalisent chaque jour au Carrefour de l'Aéroport sont désignés de  «  Bwase lè a, Chavire lè » et, en leurs propres mots, ils affirment : « Lari a mande fòk ou vivan, fòk ou sou men w pou w ka bwase l ». La vie de la rue, selon l'agir de ces enfants qui en font partie, a ses propres exigences et elle définit des façons particulières à ces derniers d'y répondre ; pour se nourrir, se divertir, se déplacer, se trouver des vêtements, s'échapper ou semer quelqu'un en courant dans la foule après avoir commis un vol, les enfants de la rue utilisent leurs capacités intellectuelles en développant des techniques pratiques spécifiques à chaque situation.

2.2.1.- l'enfant de la rue, à la lumière de ses connaissances et informations de base

Généralement, un enfant de 10, 11 et 12 ans dans notre société est supposé, en toute régularité, au niveau de la 6e année ou de la 7e année d'études fondamentales où il fait l'acquisition d'une somme de connaissances de base l'entraînant à participer à la vie socioéconomique et culturelle de son milieu de vie. A ce sujet, les enfants de la rue, dans cette tranche d'âge, que nous avons observés et interviewés au niveau du Carrefour de l'Aéroport et de Champ de Mars n'atteignent pas ces niveaux d'études ; pourtant ils maîtrisent bon nombre de connaissances de base leur permettant de se conduire intelligemment dans la rue. Lors de notre enquête, nous avons collecté les informations suivantes qui figurent dans ce tableau ci-dessous :

Tableau 2.- Données sur les connaissances de base de l'enfant de la rue

Cas # 1

Cas # 2

Cas # 3

Cas # 4 //////////  ???

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

De ce tableau, un (1) enfant sur quatre (4), de notre échantillon, sait lire et écrire en raison d'avoir été scolarisé ; cependant, les trois (3) autres enfants, malgré qu'ils n'aient pas été scolarisés, ont tous le nombre d'informations nécessaires caractérisant leur niveau de connaissance de base. Sur une échelle de quatre sur quatre (4/4), ils sont tous capables de s'identifier par leur nom complet, leur âge, le nom de leurs parents et leur provenance. Ensuite, ils maîtrisent les notions du temps en termes de Date : Jour, Semaine, mois, Année ; en termes d'Heure : Matin, Midi, Après-midi, Soir et ils les distinguent par rapport aux activités du milieu. Par contre, les heures précises les intéressent très peu ; soit, 4/4 de notre échantillon ne maîtrisent pas les heures précises. Et, encore, ils sont tous capable de faire un repérage général de l'espace en termes de Zones et de Localités, en termes de Latéralisation : Gauche et Droite et en termes de Sens, de Direction ou de Distance un peu rapprochée : Isit, Anba, Lòt bò, La, Anwo, etc. De plus, ils connaissent les Couleurs de base comme le bleu, le rouge, le jaune, le noir, le vert, le blanc, etc. Enfin, dans les entretiens, ils ont tous fait preuve d'être capables de réaliser des opérations arithmétiques concrètes et abstraites à leur niveau en termes de calcul leur permettant de jouer au hasard (poker), de faire des achats en cas de besoins, de participer aux jeux de loterie (borlette) et de faire le décompte de leurs revenus journaliers.

2.2.2.- l'enfant de la rue et sa perception de la réalité : A la limite de ses représentations et de son jugement

Avec des connaissances limitées dans ses conditions de vie, l'enfant de la rue est capable de jauger ses propres situations et de donner un sens à cette réalité. L'enfant qui vit de la rue, avec qui nous avons travaillé pour cette étude, a conscience de sa situation et comprend tous les risques qui y sont impliqués. Eu égard à notre échantillon, nos quatre (4) sujets affirment qu'ils aimeraient changer leur situation de vie ; cependant, au cours des entretiens, voici comment ils représentent leur situation et ces quelques corollaires dans ce tableau ci-dessous:

Encadré 1.- Données sur la perception et la représentation de l'enfant de la rue : LA RUE

Cas I

« Lari a sove lavi m, li fè m jwenn machin pou m siye, li fè m jwenn manje san pwoblèm...»

Cas II

»Menm lè mwen pa renmen l, men ladan l mwen santi m lib anpil. Tout di m ap di m pa renmen l lan, se lè yon move bagay rive m sèlman mwen rayi l wi, pou yon ti tan. Se kòm si lari a fè w bilye tout pwoblèm, se tankou yon dwòg...»

Cas III

« Li gen yon leman ladan l k ap rale w [...] Li se yon sous... »

Cas IV

« Lari a se li ki tout mwen, se ladan l mwen dòmi, se ladan l mwen manje, ladan l mwen fè ti kòb mwen. Menm lè m ta al yon lòt kote, m ap toujou kwè ladan l ; lari a, pa gen manti ladan l menm... »

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

Dans cet encadré est relaté ce que la rue représente pour nos sujets d'étude au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars. Ces enfants définissent leur attachement à ce milieu, leur sentiment d'appartenance du fait qu'il constitue pour eux une source de revenus, un espace de survie et, aussi, il leur offre un sentiment de liberté. Malgré que ces enfants disent qu'ils souhaitent quitter ce milieu, la façon dont ils le représentent, est très différente de ce qu'ils émettent comme discours. À ce moment, nous remarquons une incohérence de leur jugement due à des contradictions du milieu qui peuvent provoquer une perte de repères chez ces derniers. Ce comportement est possible chez tout individu opprimé et pour qui le processus qui facilite son ancrage, soit dans des situations, soit dans un milieu ou dans un système quelconque, est presque complet.

En outre, nous avons continué, au cours des entretiens, à collecter les idées de nos sujets d'étude ; question de savoir ce que l'Ecole représente pour eux. En ces propres termes, dans l'encadré suivant, ils disent :

Encadré 2.- Données sur la perception et la représentation de l'enfant de la rue : L'ECOLE

Source : Enquête du Memorand, Mars 2009

A partir de cet encadré, nous avons collecté les idées de l'enfant de la rue relatives à sa perception à l'égard de l'école. Au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, l'enfant de la rue, soit 4/4, perçoit l'école comme un espace de réussite qui peut lui garantir la promotion sociale. A partir de là, l'enfant de la rue arrive à comprendre que l'école lui réserve des possibilités d'avoir une profession, d'être un citoyen, un employé, un intellectuel et, en gros, de devenir en société ce qu'il désire. A cela, nous avons vite compris combien les idées, les représentations et la perception de l'enfant de la rue sont imprégnées des clichés véhiculés, partagés et acceptés par les hommes et les femmes de la société à l'égard de l'école. C'est ce qui fait qu'à son niveau, il la perçoit dans une optique d'obtention et de conservation de statuts dans cette société d'exploitation et de domination socioéconomique. D'où, l'école en Haiti, telle qu'elle est conçue, serait-elle capable en réalité de libérer l'enfant de la rue de ses contraintes sociales et psychologiques qui font de lui un demi être, un sous être ou un non être ?

Et, en dernier lieu, nos sujets d'étude ont présenté leurs points de vue concernant les centres de réhabilitation ou les centres d'accueil que les responsables ont mis à leur disposition. A cet effet, ils affirment :

Encadré 3.- Données sur la perception et la représentation de l'enfant de la rue : LES CENTRES

Cas I

«Sant lan se tankou yon prizon pou timoun li ye, m pi alèz nan kafou ayopò a ; m manje, m gen lajan. Ou pa wè lè yo te vin deyè nou an nou te fè zèl...»

Cas II

« Bon gen nèg ki te nan sant lan ki sove, pou m ta ale mwen menm ? Nèg yo di nan sant lan ou dèyè yon gwo mi, ou pa menm ka wè deyò [...] se kòb moun y ap fè sou do nou pou gran mesi nan sant lan wi, pou tout ti bagay y ap fè foto nou pou yo mete sou jounal...»

Cas III

«le yo ap bay manje m konn al nan sant yo, Don Bosco, Caritas la. Avèk lè m bezwen al jwe (monte bekàn, monte blèd, monte balansin) epitou lè lapli ap tonbe m konn ale tou. Aprè sa m vin nan lari a se la m ka viv pi byen...»

Cas IV

«sant lan se yon bon bagay li ye, yo konn ba nou manje; epitou ou ka aprann

ebenis, soudè ( soudure) ladan l. Men dakèy (centre d'acceuil) pa bon menm, gen yon

grenn bòt k ap mache ladan l chak swa. Gen yon Machann fresko ak yon machann

pistach ki se djab yo manje plizyè timoun, chak swa ou tande vwa yo deyò a nan

lakou a lè yo vin touche nan men nou. si w sòti ou tou la. Sak fè tou m pa pral nan

dakèy, le w goumen, moun yo mete w nan yon twalèt se la pou w fè tout bagay ou:

manje, dòmi...»

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

Cet encadré nous présente les idées de l'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars sur les centres de réhabilitation. Pour l'enfant de la rue, cet espace est davantage un lieu à éviter qu'à intégrer par rapport aux nombres d'exigences qui tendent à limiter sa liberté, telle qu'elle est dans la rue. Contrairement à l'école, les centres de réhabilitation apparaissent à l'enfant comme une instance servant à réduire son champ en termes d'espace à investir, en termes d'actions à livrer et en termes d'argent à gagner qui empêchent son expression de soi et qui lui retirent du reste de la société. Alors, pendant que l'école soit représentée par l'enfant de la rue comme un espace qui peut favoriser la promotion et la réussite sociale, professionnelle et économique ; les centres de réhabilitation sont vus de l'autre côté comme un espace d'exclusion sociale.

Donc, dans ce contexte, nous avons vite compris que les possibilités sensorielles et les expériences de l'enfant de la rue influent grandement sur sa perception de la réalité. En ce sens, ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu et ce qu'il a vécu dans la rue ont conduit son jugement au point qu'il puisse donner sens et signification à cette réalité dans laquelle les situations qu'il vit au quotidien s'imbriquent. De ce fait, nous avons vu ce que la rue, l'école, les centres de réhabilitation représentent pour nos sujets d'étude en utilisant leurs facultés propres pour penser ce qu'ils perçoivent, se les représenter par intériorisation afin de leur donner un contenu verbal qui n'est pas dépendant de leur volonté, mais qui traduit l'empreinte de leurs conditions sociales, politiques, économiques et culturelles par le raisonnement et le langage. Alors, tout ce processus cognitif chez nos sujets est un construit réel de la rue de ses nombreuses expériences ; ce qui veut dire, en d'autres mots, que les racines de l'apprentissage de l'enfant sont accrochées à ses conditions de vie dans la rue. Autant que ses expériences se multiplient, autant il peut de mieux en mieux se remémorer des situations vécues et les raconter ; d'où ses capacités intellectuelles, à cet effet, se développent et s'affermissent de plus en plus dans la rue.

2.2.3.- Quelle intelligence, pour quel type d'enfants et pour quelles situations ?

Par rapport à tout autre mineur de son âge, entre 10 et 12 ans, d'une famille donnée, l'enfant de la rue diffère par ses capacités à résoudre ses problèmes de chaque jour en mettant en branle son mécanisme de survie qui lui permet de se défendre et de trouver des moyens d'approvisionnement en temps et lieu. Ce mécanisme de survie, constitué de réponses aux besoins réels ou au sentiment de besoin de l'enfant de la rue, l'incite à répéter, à améliorer les pratiques déjà existées ou à créer d'autres manières, d'autres trucs du genre : astuces, ruses, mimiques, gestes, etc. ; d'autres matériels et d'autres techniques plus efficaces et productifs mettent en évidence ses capacités intellectuelles dans le seul objectif de rester en vie.

Au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, l'enfant de la rue entre 10 et 12 ans, fait preuve d'adaptabilité quant à ses capacités à résoudre les problèmes avec lesquels il est confronté dans ce milieu. Il cherche intelligemment à manger, à boire, à multiplier ses sous, à se déplacer en voiture, à se divertir et à gérer ses conflits. De ce fait, il ne se laisse pas abattre sous le poids de ses conditions d'existence ; au contraire, il cherche à l'intérieur même de celles-ci tous les moyens, tous les objets et tous les matériels qui sont à sa disposition (les poubelles, l'eau des égouts, le morceau de tissus, etc.) et lui offrant ces maigres possibilités de survivre s'il les manipule aisément et convenablement. A cet effet, suivant notre enquête, nous sommes arrivés à comprendre que les capacités intellectuelles de l'enfant de la rue, en se référant à notre échantillon, sont davantage motrices et gestuelles que représentatives ou symboliques ; cela ne veut pas dire qu'il n'et pas apte à produire des opérations mentales à quelque niveau que ce soit, mais son activité motrice un peu dominante a mis en évidence l'efficience et l'efficacité de son intelligence83(*) pratique et manipulatoire.

Alors, comment l'enfant de la rue arrive-t-il à faire le pick pocket, communément appelé « Dedwèt, koupe pòch » ? Où a-t-il appris à fouiller les poches d'un cadavre sur le chaussée ? Comment arrive-t-il à savoir que le type de tissus dont il se sert pour essuyer les voitures doit être maculé d'huile ou d'essence (Gaz) ? Qui a appris à l'enfant de la rue toutes ces expressions faciales, tous ces intonations et gestes pitoyables lorsqu'il est en train de mendier auprès des gens avec ces termes suivants : «  Manmi, Papi, Patwon lâge yon bagay nan menm non tanpri. Depi m maten m poko pran anyen, m ap mouri wi. Li te mèt yon (1) goud, li te mèt ti moso zo sa a. »? Et, pour finir, où a-t-il appris à faire des sauts acrobatiques et périlleux quand il veut monter ( Plake) ou descendre ( Deplake) une voiture qui court à grande vitesse ? Alors pour mieux nous situer, suivons cet extrait dans l'encadré ci-après indiqué :

Encadré 4.- Données sur l'une des techniques pratiques de l'enfant de la rue

Cas I

» Mwen vin konn deplake nan ta, m plede tonbe. Gende lè nèg yo di w pou w lage kò w y ap kenbe w, epi yo kite w tonbe pou yo ka tchip ( griyen dan) sou wou, lè sa se nan kafou avyasyon m te ye. Kounye a m ka fè l byen»

Cas II

» Lè m te fèk vin nan lari a, m te wè nèg yo ap deplake, yon jou m tal eseye fèl, epi

tout jenou, tout ponyèt mwen te dekale. Mwen te vin pè fè l, men lè nèg yo ap

deplase yo toujou ale kite m e sa te toujou ban m pwoblèm. Mwen eseye fè l anko

plizyè fwa, epi nan detwa jou m vin fò...»

Cas III

« Aa, deplake a fasil men li pa dous ! fòk moun nan pa pè pran zòk. Premye fwa

m te fè l se te pou chans, m pat tonbe non ; se te nan kamyonèt yon moun te pouse

m anba, depi lè a mwen kontinye fè l san m pa tonbe... »

Cas IV

» Mte konn deplake depi nan peyi m, m pran anpil so anvan m vin fò. L ap difisil pou m ta montre yon moun fè l, paske se nan lari a m te aprann fèl depi m te pi piti; fòk moun nan ta plede eseye fè l toutan... »

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

A cet égard, nous pouvons comprendre que l'enfant de le rue fait l'acquisition de ses conduites intelligentes sous l'influence des exigences de ses besoins vitaux dans ce milieu préfabriqué, qui est la rue, avec tout ce qu'elle comporte de contraintes, d'expériences concentrées et de résignation. C'est dans ce milieu que l'enfant a appris à réagir aux stimulations multiples de son entourage dans la ligne des potentialités inhérentes à son adaptation correcte. D'où, le développement intellectuel de cette catégorie d'enfant est fait, selon les données que nous avons recueillies, suivant plusieurs niveaux d'apprentissage : les tâtonnements cumulatifs, l'exécution des mouvements ayant produit des effets fortuits qui sont aussitôt répétés pour produire les mêmes effets, la combinaison de mouvements réellement effectués qui permettent d'atteindre une fin, les exercices d'essais-erreurs, l'imitation, le conditionnement et l'engagement.

2.3.- L'Evolution socio affective de l'enfant de la rue.

En abordant cet aspect, nous nous sommes plongés à plein et en profondeur dans le phénomène du « grouping », l'une des caractéristiques de la vie de l'enfant de la rue. En psychologie, pour certains auteurs, ce phénomène a son tout début dans l'enfance vers l'âge de 6-7ans84(*) et, pour d'autres, le grouping prend toute son importance à l'adolescence où l'individu manifeste naturellement, selon les auteurs, un désir intense, un sentiment profond et un besoin d'appartenir à un groupe d'amis de son âge, de les ressembler et de s'insérer dans un milieu à sa mesure pour contrecarrer la stabilité, le conservatisme et la stagnation de la famille85(*). À ce moment, selon ces auteurs, le groupe parait se constituer en opposition à la famille. Par contre, dans le cas de notre recherche sur l'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, nos observations et nos entretiens nous permettent de comprendre la réalité du grouping d'une autre manière. D'abord, dans la rue, à tout âge, une fois que l'enfant y fasse partie, il vit automatiquement en groupe ; il se regroupe sans s'en rendre compte, car ce milieu préfabriqué exige ce mode de comportement grégaire de la part de l'enfant. Au Carrefour de l'Aéroport, pour illustrer, nous avons observé deux enfants entre 4 et 6 ans qui vivent déjà en groupes et qui peuvent utiliser tous les codes du milieu. Ensuite, se regrouper est loin d'être pour l'enfant de la rue un désir ou un sentiment, c'est davantage une exigence due aux conditions de vie dans le milieu, à savoir la rue qui puisse lui garantir la survie. Ces conditions, à travers les pratiques quotidiennes, se trouvent liées à un ensemble de contraintes qui prédéfinissent le regroupement chez celui-ci ; par exemple : le milieu (sa rentabilité), les jeux, le travail, le défense, le lieu de sommeil, etc. Enfin, nos observations et nos entretiens nous permettent de comprendre que, dans la rue, le groupe ne se constitue pas en opposition à la famille en réalité. Au contraire, il s'érige en substitution à celle-ci, à cause de la misère, des manques, de la maltraitance et des souffrances qui s'y installent. L'enfant de la rue, sujet de notre échantillon, veut s'échapper à ses conditions de misère extrême dans sa famille, sans le désir préétabli de se révolter ou de contrecarrer les règles familiales, il fuit la faim ou la maltraitance en rejoignant les groupes de survie dans la rue, son dernier recours. A cela, pendant notre enquête, deux (2) enfants de la rue sur quatre (4) nous ont présenté leur situation de la manière suivante :

Le premier a affirmé :

«  Si m te lakay mwen, lè konsa m te mouri grangou deja. Nan lari a mwen manje pi byen, epitou m fè plis lajan pase manmanm m ak papa m... » (Cas III)

Le second a dit :

  « [...] M kite kay manmanm aprè lè Aristid fin ale. Si m te rete lakay la toujou, manman m t ap fin touye m ; jiskounye a si m tounen l ap touye m. Ou wè m pa gen chwa.» (Cas II)

Donc, en référence à ces deux cas, il est davantage question de survie, de lutte pour la vie que d'un désir de révolte ou de rébellion face à la famille ; à moins que, pour eux, ce désir se manifeste à l'enfance.

En somme, le groupe constitue un rempart pour l'enfant qui vit de la rue et en son sein, chacun se défend de sa propre manière contre les aléas du milieu, selon le niveau de son apprentissage, sans pour autant sortir du groupe. Toutes les acquisitions motrices et intellectuelles de l'enfant de la rue, sa capacité à supporter la frustration, ses rivalités, ses compétitions et ses conflits, sont faites dans la rue et pratiquement dans la vie de groupe. Celle-ci, dans son dynamisme, détermine le développement affectif de ses membres en participant à la construction de leur identité et en canalisant leurs affects, leurs émotions et leurs sentiments.

2.3.1.- L'identité86(*) de l'enfant de la rue : objet de son humanité

Dans ce milieu préfabriqué, l'enfant de la rue se fait une identité à travers ses relations socialement et économiquement déterminées, le conduisant à être celui qu'il est censé être aujourd'hui et à devenir demain celui qu'il a été contraint de devenir dans notre société. Par rapport à tout cela, nous avons remarqué que plus la conscience que l'enfant a de lui (son image, sa représentation et son estime de soi) est péjorative ou méliorative et plus elle est garnie d'événements que celui-ci a vécus dans ce dit milieu, plus il se dresse une identité qui facilite son positionnement et qui le renforce davantage dans sa vie de rue.

A cet effet, les sujets de cette étude nous ont raconté leur vie, au cours des entretiens, et nous ont permis de collecter les termes récurrents ayant rapport à ces facteurs susmentionnés, ce qui constitue la trame de son identité.

D'abord, au niveau de l'image de soi qui se réfère à l'ensemble des idées que l'enfant de la rue a sur lui-même et qui lui donne un certain niveau de connaissance de soi, nos sujets d'étude se présentent eux-mêmes au cours des entretiens de la manière suivante :

Encadré 5.- Données sur la conscience de soi de l'enfant de la rue : IMAGE DE SOI

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

A partir de cet encadré, nous avons remarqué que l'image que nos sujets d'étude, soit 4/4, viennent de se présenter se rapporte à leurs conditions de vie dans la rue ; plus précisément à leur groupe d'appartenance ou à leur catégorie sociale (ce qu'il est), à leurs activités (ce qu'il fait) et à l'état de leur corps (comment il est). Etant celui qui est sale et pieds nus, qui travaille, qui mendie, qui dort et vit de la rue, l'enfant se fixe avec précision une image de soi et, d'ailleurs, dans un ordre assez conforme à leur réalité de vie. Cette construction progressive de leur image de soi dans la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, est due non seulement à la vision directe que l'enfant a de lui-même, mais aussi à l'image d'autrui, en regardant les autres pairs et, le plus important, à ce que les autres pensent disent et font de lui dans la rue.

Ensuite, au niveau de la présentation de soi et de l'estime de soi traduisant respectivement comment l'enfant de la rue est-il perçu par les autres, les informations qu'il a de la façon dont il est représenté ? Et comment réagit-il par rapport à ces informations ? Nous allons, dans ces encadrés ci-après indiqués, afficher les données correspondantes.

Encadré 6.- Données sur la conscience de soi de l'enfant de la rue : PRESENTATION DE SOI

Cas I

« Gen nan moun yo ki konn sèvi byen avè nou, men yo tout panse mal de nou. Tout

tan y ap di m ti san manman, ou kite lakay paran pou w vin pase mizè nan lari a, yo

konn rele sou mwen , yo konn ap di m vòlè toutan...» « Nan ZAKAT la, gwo nèg

yo konn ban m ti respè m paske m vivan anpil, men gen delè yo konn toupizi m tou.

Nèg pòy mwen yo respekte m, yo konn se yon danje m ye. Nou konn ap fè tchip (ranse), men yo pa janm rive sou mwen pou dyèl...»

Cas II

« Moun nan lari yo panse mal anpil de mwen. Se toutan yo ap di m kokorat, ti vòlè ;

yo konn voye krache sou mwen...» « Nan ZAKAT la, nèg yo rele m Ti Joel paske m

renmen netwaye fatra kote nou dòmi an, yo pran m pou yon ti egare; men lè gen

televizyon, yo toujou bezwen m pou m eksplike ki jan fim yo pra l fini. Gwo nèg yo

menm, yo konn fè m anpil abi...»

Cas III

« Yo rele m Kokorat, Grapyay, yo konn di m gwo betiz. Paske yo konnen m se

timoun nan lari, yo toujou ap pote boure pou yo vin fè m abi; ke l te polis, nenpòt

moun nan...»

Cas IV

« Gen anpil moun ki pa pran m pou anyen, yo wè nou tout la ki nan lari a mal. Tout

tan y ap joure manman m, di m vòlè. Te gen yon patnè nan machin li ki te kenbe menm

epi li ap trennen m pandan machin nan t ap kouri, tout do pye m te dekale jou sa ;

moun yo mechan anpil wi deyò a...

Encadré 7.- Données sur la conscience de soi de l'enfant de la rue : ESTIME DE SOI

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

A partir de ces deux (2) encadrés, nous sommes arrivés à comprendre la limite jusqu'à laquelle l'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, sujet de notre échantillon, est affecté par ce que les autres pensent, disent et font de lui. Des situations comme le mépris, l'humiliation, le rejet, la maltraitance, l'abus, la désapprobation, les injures, etc. produisent un sentiment de honte permanent, accepté comme normal qui peut engendrer une baisse de l'estime de soi chez l'enfant de la rue. Tout ceci a une grande valeur socio affective et vise à influencer la conscience de soi de cette catégorie d'enfant en prenant conscience de son corps dans un ensemble de relations sociales par l'attention qu'il porte à celui qu'il est et à ce que les autres pensent, disent et font de lui.

Les résultats de la confrontation de ces deux niveaux d'attention débouchent sur une contradiction fondamentale dans la construction de l'identité de l'enfant de la rue, entre celui qu'il est, le sentiment de rester le même et le besoin de vivre autrement. D'où, sous l'influence de ses conditions de vie dans la rue, la conscience de soi de cette catégorie d'enfant est loin d'aboutir à une acceptation de soi proprement dite qui, au cours de l'identisation, peut favoriser des efforts de dépassement de la situation dans laquelle il vit. Au contraire, cette forme de conscience de soi construite à l'aide d'éléments favorables et défavorables du milieu et de ses expériences quotidiennes contribue à un processus complexe de résignation qui l'accroche de plus en plus à son style de vie.

2.3.2.- L'enfant de la rue : entre ses émotions et son émotivité

Les enfants de la rue, pareils à tout autre individu, éprouvent aussi des émotions au rythme de leur développement psychosocial et selon les situations dans lesquelles ils se trouvent. A cet effet, leurs réactions émotionnelles sont facilement décelables, ainsi que les situations qui les provoquent. Dans la vie de groupe, nous avons observé chez l'enfant de la rue un certain nombre d'émotions fondamentales comme la joie, la tristesse, la colère, la surprise, etc. qui se débordent en temps et lieu pendant la période de notre recherche.

L'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars répond facilement et de manière immédiate aux diverses sensations de son entourage. Etant assaillie par toutes sortes de situations à caractère pénible, douloureux et frustrant, cette catégorie d'enfants fait l'expérience de la joie et du plaisir en les observant en train de réaliser leurs jeux : le poker, les taquineries, etc. Cependant, à cause de l'hostilité de leur environnement et de la rudesse de leurs relations, leurs réactions émotionnelles dites négatives comme le tristesse, la colère et la frustration sont davantage plus fréquentes chez eux et, somme toute, débouchent sur des habitudes émotionnelles ayant rapport à leur tendance agressive : leur colère manifeste, leur hardiesse, leur dureté, et à leur intrépidité qui donne l'impression à tout observateur que l'enfant qui vit de la rue n'a peur de rien et qu'il n'a pas de sentiment. A ce sujet, nous ajoutons que, certainement, l'enfant de la rue, sous l'influence de ses conditions de vie de chaque jour, construit des habitudes émotionnelles caractérisant sa bravade, son aplomb et son cran, lui facilitant tous ces exploits et toutes ces aventures dans la rue comme par exemple fouiller les poches d'un cadavre vers les 9h30 et 10h du soir à l'entrée de Delmas 1787(*). Mais, cela ne veut aucunement dire que toute frayeur et tout sentiment chez l'enfant de la rue sont éteints ; à notre avis, le poids des conditions sociales et économiques a altéré ses situations de vie quotidienne en le contraignant à s'exprimer émotionnellement dans cette lignée, à chaque fois qu'il y a gratification, facilitation et sollicitation. De là, nous arrivons à comprendre que la peur chez ce dernier n'est pas éteinte et, encore moins, ses sentiments ; ils sont hypertrophiés sous l'emprise des contradictions inhérentes à son milieu de vie.

3- La personnalité de l'enfant de la rue : un puzzle qui se construit pièces par pièces._

Dans les pages antérieurs, divers aspects du développement global de l'enfant de la rue ont été étudiés dans le souci de comprendre l'existence de celui-ci et, aussi, de comprendre son agir quotidien dans son milieu propre de vie. Ce faisant, les aspects d'ordre sensori-moteur, d'ordre intellectuel et d'ordre socioaffectif ont été précisément abordés comme étant les expressions profondes, exclusives et permanentes de la personnalité de l'enfant qui vit de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars. Ses capacités sensori-motrices, ses performances intellectuelles et son évolution socio affective sont développées dans et par les expériences que l'enfant a vécues et, à quelque niveau que ce soit, elles sont canalisées par les modalités de son milieu de vie, plus précisément, par les contraintes, les exigences et les contradictions qui sont inhérentes à ce mode de vie particulier. A notre avis, ces différents aspects ne sont pas des éléments isolés que l'on tente de regrouper à partir d'une sériation quelconque pour produire un certain résultat. Ceci étant dit, bien au contraire, ces aspects s'imbriquent, s'entremêlent ou s'entrelacent dans des rapports dialectiques incessants lors de l'effectuation d'un acte de la part de quelqu'un qui vise un but concret (la survie) sous la pression des conditions matérielles de l'environnement (la rue et ses avatars) en utilisant ou en créant des moyens lui permettant d'atteindre cette fin pour produire un résultat pour l'individu et pour la société.

Graphique 8.- Processus présentant L'effectuation d'un acte d'un individu ou de l'enfant de la rue

Chez l'enfant de la rue, ces facteurs que nous avons étudiés entre autres définissent l'ensemble des éléments qui, dans leurs rapports dynamiques, constituent l'expression de la personnalité de celui-ci, passant par l'exercice de ses capacités dans le travail qu'il réalise quotidiennement pour construire ses banques d'expériences d'enfant de la rue ou pour construire sa biographie. A ce propos, Lucien Sève affirme :

« Connaître concrètement la personnalité (de l'individu), c'est d'abord connaître l'ensemble des actes qui composent sa biographie [...] Tout acte est (...) un aspect de sa biographie, une expression de soi. Et, aussi, c'est l'acte d'un mode social déterminé, un aspect des rapports sociaux, une expression des conditions historiques. »88(*)

Sur ce point, la personnalité de l'enfant au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, sujet de notre échantillon, est formée dans la rue. Tous les éléments que nous venons d'étudier dans les pages précédentes qui caractérisent cette personnalité font partie intégrante de l'existence de celui-ci, plus précisément de son existence matérielle, en subissant les retombées des inégalités sociales et économiques de la société. Lesquelles inégalités amènent l'enfant de la rue à des conditions sociales qui canalisent ses conduites et, du même coup, compromettent indirectement son développement psychosocial à partir des contradictions entre son âge chronologique, son statut idéal et son statut réel. D'où, l'enfant de la rue, aux prises à des actions, à des interactions et à des transactions matériellement déterminantes et déterminées, se forme une personnalité de survie89(*) qui imprègne les dynamiques de son milieu de vie et, d'une manière générale, les inégalités socioéconomiques qui caractérisent la société dans laquelle il vit. C'est cette même forme de personnalité qui facilite son adaptation à ce mode de vie et qui définit son ancrage permanent à ces conditions

4.- L'enfant de la rue survit, et sa personnalité s'endurcit

Les conditions matérielles de la rue ne permettent pas à cette catégorie d'enfants de vivre, dans le vrai sens du terme. Selon des discours divers, les enfants de la rue, dans leurs pratiques, se battent pour la vie, ils vivotent, ils survivent, etc. ; à travers leurs activités, ils réclament le droit à la vie en disant symboliquement chaque jour : «  Mwen vle viv ». Privés d'un ensemble de privilèges fondamentaux, les enfants de la rue survivent dans des conditions qui les positionnent, qui les caractérisent, qui définissent leur évolution sociohistorique et qui, en dernier ressort, confinent leurs activités à des tentatives incessantes de satisfaction de besoins personnels qui ne peuvent pas être accomplis matériellement. Dans ses activités, l'enfant de la rue déploie toutes ses forces qui, pour le meilleur et/ou pour le pire, sont déterminées et limitées par ses conditions d'existence qui sont le facteur matériel déterminant de son développement socioaffectif, intellectuel et sensorimoteur, éléments exclusifs de sa personnalité de survie.

L'enfant de la rue, dans ses situations de misère, se forme une personnalité de survie qui le facilite à adopter des comportements dans le sens de produire sa vie matérielle de chaque jour. Les activités qu'il réalise et les conditions dans lesquelles il les réalise endurcissent sa personnalité dans la lignée de la survie en faisant de lui quelqu'un qui subsiste entre la vie biologique et la mort psychosociale, politique, culturelle et juridique. Eu égard à cette polarisation dialectique qui apparaît dans ses conditions matérielles d'existence sous formes de contradictions, l'enfant de la rue devient un candidat potentiel qui se bat jour et nuit pour se faire une place dans cette société de classe où les inégalités et la domination emprisonnent son développement physico mental aux murs de ses pratiques routiniers pour s'assurer la survie. Alors, dans ce contexte, l'idée de se faire une place est d'une extrême difficulté ; à notre avis, elle est pour l'enfant de la rue plus une illusion qu'une réalité.

En résumé, la personnalité de l'enfant de la rue s'exprime concrètement à travers l'exercice des capacités de celui-ci dans ses activités de chaque jour. Les nourritures auxquelles il a accès, les endroits dans lesquels il dort, les travaux et les jeux qu'il réalise, le groupe auquel il est appartenu et, somme toute, les rapports sociaux dans lesquels il est impliqué arrivent jusqu'à atteindre son développement intégral : son corps, ses sensations, sa perception, ses émotions, sa conscience de soi, ses représentations, son intelligence, etc. Ne laissant pas d'autres choix à l'enfant de la rue, ces situations concrètes, telles qu'elles sont, étouffent l'essor psychosocial, économique et culturel normal de celui-ci et développent les actions de ce dernier au compte de la satisfaction de ses besoins vitaux dans des conditions infrahumaines qui définissent sa vie. De telles conditions provoquent des tas de situations, de moments et d'événements dans lesquels est impliqué l'enfant de la rue et qui constituent sa biographie et, par imprégnation, construisent finalement sa personnalité comme le produit psychosocial et historique de ses conditions matérielles d'existence. En tant qu'un individu qui vit dans la misère, par la misère et pour la misère, l'enfant de la rue à Port-au-Prince se forme une personnalité en s'appropriant des éléments matériels de son milieu de vie, les valeurs, les codes langagiers, les pratiques socioéconomiques, rémunérées ou non, qui lui garantissent les capacités réelles de se défendre contre la mort biologique et pour la reconnaissance sociale. Telle est la personnalité de l'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au cham de Mars.

CHAPITRE IX : L'ENFANT DE LA RUE, UN AGENT DE REPRODUCTION SOCIALE

1- Entre ses conditions et sa personnalité, l'enfant de la rue reproduit constamment...

L'environnement dans lequel l'enfant de la rue est impliqué délimite préalablement les actions de celui-ci suivant des conditions matérielles qui, dans la structure globale de la société, doivent lui garantir la survie. Pour une telle survie, l'enfant développe des rapports sociaux fondamentaux, tels que ses rapports avec le milieu, les individus et avec d'autres artefacts de la société qui font le lien entre ses activités socioéconomiques et la satisfaction de ses besoins de chaque jour. À dire vrai, ces rapports ne sont pas en dehors des conditions matérielles déterminées et déterminantes dont le contenu fait répercussion dans le milieu de vie de l'enfant de la rue ; au contraire, ils prennent corps et se renforcent à l'intérieur même de ses conditions pendant qu'ils orientent, canalisent les attitudes et les comportements de l'enfant de la rue dans la logique de la conservation de sa vie. Alors, comment celui- ci arrive-t-il à conserver sa vie ?

Au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, notre recherche nous permet de comprendre que l'enfant de la rue, sujet de notre échantillon, fait la conservation de sa vie à travers ses pratiques et ses activités quotidiennes. Dans de telles activités, il utilise, comme le dit Marx, sa capacité de travail pour la satisfaction de ses besoins et, constamment, il la reproduit puisque la nécessité de survie l'exige suivant ce qui est ou ce qui a été établi dans la conscience de ce dernier lors de la formation de sa personnalité. Selon Lucien SEVE90(*), voici le schéma qui correspond à cette forme de reproduction :

Graphique 9.- Cycle présentant la relation : Activités et Satisfaction de Besoins

Besoins Activités

A cet effet, dans le cas de notre recherche, nous avons aussi utilisé ce même schéma tout en essayant de le remanier pour expliquer l'idée de la conservation de vie des enfants de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars ; ceci étant dit, le schéma devient :

Graphique 10.- Schéma présentant la force de travail comme base de la spirale

Donc, selon le schéma, si la capacité de travail de l'enfant de la rue s'insère dans cette spirale, ce n'est pas étonnant que son développement intégral soit limité, aboutissant à un type d'individu dont la conscience, l'intelligence, les conduites affectives ne lui permettent pas de dépasser ses conditions matérielles d'existence, mais de les reproduire. C'est ce qui fait que, dans l'Idéologie allemande, Marx et Engels, ont mentionné :

« Si les circonstances où cet individu évolue ne lui permettent que le développement unilatéral d'une qualité aux dépens des autres, si elles ne lui fournissent que les éléments matériels et le temps propices au développement de cette seule qualité, cet individu ne parviendra qu'à un développement unilatéral et mutilé. »91(*)

A ce propos, il nous est revenu de comprendre que les conditions et les circonstances dans lesquelles l'enfant vit quotidiennement au Champ de Mars et au Carrefour de l'Aéroport déterminent un niveau, un type et un rythme de développement physique, socio affectif et intellectuel à ce dernier qui soit caractéristique de son travail, de ses pratiques et de ses activités dans le but de produire sa vie par la consommation et la satisfaction de ses besoins.

1.1.- L'enfant de la rue crée sa journée et, en retour, elle définit son histoire

Dans la rue, l'enfant qui vit au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars est présent du matin au soir et se manifeste en tant que tel à travers ses modes de production de vie, notamment ses activités matérielles et/ou ses rapports socioéconomiques comme la mendicité, l'essuyage de voitures, le vol, les jeux de toutes sortes, etc. qu'il réalise à longueur de journée.

De notre échantillon, les cas que nous avons étudiés ont démontré que nos sujets d'étude ont quasiment la même cadence, tenant compte des activités qu'ils ont réalisées au cours d'une journée. A partir de ce tableau ci-après indiqué, nous allons présenter la récurrence de leurs activités de chaque jour :

Tableau 3.- Données sur l'organisation de la journée de l'enfant de la rue

Items

Cas I

Cas II

Cas III

Cas IV

Se brosser les dents chaque matin

Rarement

Toujours

Jamais

Jamais

Se laver le visage et le corps

Rarement

Souvent

Souvent

Souvent

Se nourrir chaque matin

Toujours

Toujours

Toujours

Toujours

Travailler

Toujours

Toujours

Toujours

Toujours

Se divertir

Rarement

Toujours

Rarement

Souvent

Fréquenter des Centres

Jamais

Jamais

Souvent

Souvent

Se nourrir entre 12h et 4h

Toujours

Toujours

Toujours

Toujours

Se nourrir chaque soir

Toujours

Toujours

Toujours

Toujours

Regarder la télévision

Rarement

Souvent

Rarement

Souvent

Prendre un bain avant de dormir

Jamais

Jamais

Jamais

Jamais

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

Dans ce tableau est affiché l'ensemble des items qui définissent les activités de chaque jour de l'enfant de la rue de manière régulière au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars. De ce fait, la récurrence de ces activités chez chacun de nos sujets (Cas I, II, III, IV) nous permet de déterminer les conditions dans lesquelles l'enfant de la rue crée son quotidien qui, par répétition, le conduit à un mode de reproduction de vie déterminé par ces conditions et qui, bien sûr, participe au renforcement de ces mêmes conditions chaque fois que l'enfant de la rue produit un travail et/ou consomme les résultats de ce travail pour la satisfaction de ses besoins.

En fait, la satisfaction des besoins réels de l'enfant de la rue dans laquelle s'entremêlent « Production et Consommation »92(*) ne débouche pas nécessairement, pour sa réalisation, sur la reproduction du capital au premier chef. L'enfant de la rue, un individu qui mène forcément des activités rémunérées, reproduit sa capacité de travail pour satisfaire ses besoins immédiats de chaque jour, l'essence de sa survie, tout en formant de manière continuelle et continuée sa personnalité et en renouvelant ses conditions matérielles d'existence. Donc, si l'enfant gagne Trois cent cinquante (300) gourdes par jour, voici comment il en fait généralement la consommation selon les résultats consignés dans ce tableau:

Tableau 4.- Données sur les dépenses quotidiennes93(*) de l'enfant de la rue

Café

Pain

Pâtés

Aleken matin

Aleken midi

Barbecue

Spaghetti

Total 1

10 Gdes

10 Gdes

15 Gdes

20 Gdes

***********

75 Gdes

50 Gdes

180

Saucisses

Jus

Clairin

Cigarettes

Eau

« Bega »

Marijuana

Total 2

10 Gdes

25 Gdes

10 Gdes

3 Gdes

1 Gde

10 Gdes

25 Gdes

84

Total final

264

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

Et c'est ainsi que l'enfant de la rue fait ses dépenses journalières. Tout cela, c'est pour insinuer que le travail ou les activités que celui-ci réalise quotidiennement, produisant du numéraire, représentent l'élément matériel fondamental qui lui permet de produire sa vie matérielle par la consommation de ses gains journaliers, fruits de sa capacité de travail. Ces gains ou ces revenus journaliers, une fois consommés pour la satisfaction de ses besoins, l'enfant de la rue est conduit constamment à reproduire sa capacité de travail dans cette même lignée, du Lundi au Dimanche et de Janvier à Décembre pour s'assurer la survie. Une telle nécessité de survie n'exige pas nécessairement à l'enfant de la rue d'intégrer des structures de domination et d'exploitation à partir desquelles des relations de production se sont déclenchées en tant que manières de garantir l'accumulation du capital d'un patron ou d'une institution. Au contraire, elle provoque chez ce dernier des comportements d'autodestruction ou d'auto-dénigrement sur tous les plans : social, économique, psychologique, politique et culturel qui sont liés de loin à des relations de domination entre classes, certes ; mais qui sont davantage les résultats d'une exploitation de soi par soi dan le système de production sociale et économique. Si nous nous référons aux réflexions de l'auteur Jn Anil Louis-Juste dans un article « la question de la personnalité chez le paysan haïtien » nous ajoutons pour finir que cette une sorte d'auto exploitation.94(*)

1.2.- Et si, en réalité, les aspirations de l'enfant de la rue étaient comptées...

L'histoire de vie de l'enfant de la rue, entre perplexité et confusion, nous a conduit aux contradictions inhérentes à ce mode de vie particulier et, en même temps, elle défile implicitement sous nos yeux le devenir de cette catégorie d'enfants dans la société haïtienne. D'où émergent les questions : Qui ou qu'est-ce que l'enfant de la rue devient ? Quelles sont les attentes de la société à son égard ? Qui ou qu'est-ce qu'il espère ou rêve de devenir ? Et qui ou qu'est-ce qu'il devient en réalité ?

Par rapport à toutes ces questions, nous avons vite compris que l'enfant de la rue, en luttant pour la survie, lutte en même temps pour se faire une place dans la société. De 1986, 1996, 2006 à nos jours, l'enfant de la rue existe, s'affiche, est et vit dans la rue. Il fait partie de la société, il est un élément de la structure sociale et, par dessous tout, nous le représentons clairement dans notre conscience, soit à partir des activités qu'il réalise à longueur de journée, soit à partir des services que nous lui offrons chaque jour, soit à partir des abus que nous lui faisons subir ; nous le représentons en tant que tel. Cependant, à chaque fois qu'il nous soit arrivé de parler de son futur, nous prenons toujours les devants pour dire qu'il n'y a pas d'espoir. Ce qui fait que dans la société, pour la grande majorité de la population, nous attendons à ce qu'il devienne des voleurs, des criminels et à ce qu'il reste des Grapyay, Kokorat, Se lavi, etc. pour le reste de sa vie ; car, en toute évidence, c'est cette place que nous lui réservons dans la société.

En fait, quoique le devenir de l'enfant de la rue soit fortement déterminé, cela n'empêche pas qu'il a des aspirations ou qu'il rêve d'une autre vie qui soit meilleure et qui dépasse amplement ce que la société a fait de lui. A cela, pendant la période de l'enquête, les sujets de notre échantillon nous ont permis de comprendre les quelques aspirations possibles :

Encadré8.- Données sur les aspirations de l'enfant de la rue

Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009

Alors, étant enfant de la rue qui vit dans un milieu où les conditions prédéfinies, déterminées et contraignantes ne lui offrent que la possibilité de développer une seule qualité, celle de satisfaire les mêmes catégories de besoins et de maintenir chaque jour les mêmes types de relations sociales, comment arrivera-t-il à rendre effectives et à matérialiser ces aspirations ? De plus, ces conditions d'existence peuvent-elles le conduire à ce port ? Devenir95(*) président, Ingénieur, etc. ne se réfère pas totalement aux héritages96(*) sociaux, culturels, politiques et économiques de l'enfant de la rue ; les conditions matérielles d'existence dont l'enfant de la rue a héritées de sa famille, de son milieu de vie, de ses aînés ( la génération d'avant) et de sa classe sociale et , en outre, celles qui lui sont imposées et qu'il finit par accepter en les reproduisant encore et encore depuis 1986 jusqu'à présent n'ont presque aucun rapport à ces positions sociales, économiques et professionnelles. Au contraire, selon les résultats de nos observations et de nos entretiens, de 1986 à nos jour, les positions sociales, économiques et professionnelles que l'enfant de la rue a toujours atteintes et qu'il continue à les reproduire de génération en génération par rapport à ce qu'il a vu, entendu, appris, réalisé, et acquis et qui s'est maintenu de manière durable dans sa personnalité sous forme de dispositions permanentes sont totalement différentes. Etant celui qui ne possède aucune des forces productives du système de production socioéconomique en vigueur et, aussi, n'étant pas capable de jouir du capital suffisant, les positions de l'enfant de la rue au cours des vingt (20) dernières années peuvent se présenter de cette manière :

Graphique 10.- Présentation du niveau socioprofessionnelle de l'enfant pendant deux (2) décennies

Enfant de la rue Monsieur de la rue

1986- 1996- 2009 2009

Essuie de voitures Lavage des voitures

Mendiants Gérants des places publiques

Faiseurs de poubelles Voleurs, tueurs, etc.

Porte-faix Homme de peine (Bèf chèn)

Laveurs de vaisselles Activistes, partisans politiques

Voleurs Associés des prostituées

Eclaireurs Chauffeurs de Tap-tap

Passeurs Marchands de marijuana

Rançonneurs Chauffeurs de motocyclette

Rappeurs, Musiciens des Rara

Fè resèt nan men machann yo

Donc, la liste de la partie droite se réfère aux activités ou aux positions qui sont généralement accessibles à l'enfant de la rue en devenant adulte et à partir desquelles il continue pour vivre. A ce moment, il devient un véritable «Nèg lari »97(*) à l'entendre parler le plus souvent dans ses moments de colère ou de prouesses. Un tel «Nèg lari » qui a longtemps survécu, arrive enfin à se faire une place dans la société ; une place pour laquelle il s'est constamment battu, qui lui a garanti la survie et qui a permis directement ou indirectement à d'autres personnes ou à d'autres groupes formels ou non formels, organisés ou non organisés, de survivre. Et enfin, pour cette place, le dit « Nèg lari » s'implique davantage dans les conditions qui lui ont garanti la vie, qui le personnalisent, qui le construisent, le déconstruisent et le reconstruisent à chaque instant au cours de son histoire.

2- Au delà de la confusion : Entre la promotion, la mobilité sociale et le dépassement de l'enfant de la rue.

L'enfant de la rue qui vient siéger à Port-au-Prince pour se loger, se nourrir, se divertir et, en gros, pour gagner sa vie, provient de différents endroits du pays. Il est généralement fils de paysans, l'un des groupes du « prolétariat » haïtien qui subit le poids de l'exploitation économique de la classe dominante dès la construction de notre société et à cause de laquelle il souffre de tous les manques qui l'empêchent de satisfaire ses besoins réels, de se réaliser ou de se manifester pleinement et librement. Etant dominé (e), le paysan ou la paysanne privé(e) de ressources, n'ayant ni biens, ni capitaux, ni forces productives et n'ayant que sa capacité de travail physique et psychique, espère que son fils ou sa fille se fasse un nom en société en devenant quelqu'un ou quelque chose. Pour ce faire, généralement, le fils du paysan le plus privilégié rentre dans la capitale, continue ses études, est admis à l'Université et fait une carrière professionnelle en devenant ouvrier, employé, professeur, directeur de banques, homme d'Etat, etc. s'efforce par ses capacités et ses compétences d'être promu, de percevoir un salaire dix (10), vingt (20), cent (100), mille (1000) fois plus grand que ses parents, de passer de position en position, d'investir d'autres rapports de production qui sont, en somme, d'autres formes de relations sociales et économiques qui sont, autant que ces prédécesseurs, autant que ces parents, déterminées par les conditions matérielles de la structure et de la formation socioéconomique dominante et déterminante de vie. Alors, qu'en est-il de l'enfant de la rue ?

L'enfant de la rue, également fils de paysan, mais non privilégié, rentre à Port-au-Prince et mène une toute autre vie ; comme l'on dit, une vie de « San manman », de « Selavi », de « Kokorat », de « Rat » et de « Grapyay ». En luttant de toute sa force pour subsister et pour se faire une place. L'enfant de la rue finit par s'adapter à son milieu et à ses conditions d'existence. Autant que celui-ci veut rester en vie, autant il s'enracine dans ce mode de vie particulier. Ce qui fait qu'au cours de nos entretiens, l'un de nos experts, en l'occurrence la psychologue Danielle St Paul a affirmé que certaines fois des institutions publiques ou privées, des ONG et des particuliers donnent assistance, aide et support à l'enfant de la rue en lui offrant logement, éducation, nourriture, etc. et au bout de quelques temps, soit qu' il s'évade ou il prenne la fuite, soit qu'il raconte des histoires du genre : je dois aller en provinces... ma mère est malade... mon père est mort, etc. dans le but de regagner sa place dans la rue. D'où sort ce comportement d'évitement de l'enfant de la rue ? A ce propos, elle a ajouté que la réccupérabilité de l'enfant de la rue n'est pas chose facile, elle prend en compte deux (2) facteurs importants et fondamentaux qui sont d'abord de l'ordre biologico-chronologique ayant rapport à l'âge de l'enfant de la rue et le nombre de temps qu'il a passé dans la rue ; ensuite, qui sont de l'ordre événementiel qui traduit le nombre d'événements significatifs positifs, négatifs, délétères ou non dans ce dit milieu dont il porte l'empreinte98(*) dans son physique et dans son psychique. Par rapport à tout cela, nous avons compris clairement que le rapport histoire- conditions d'existence est de toute évidence fort important dans l'étude de la formation de la personnalité de l'enfant de la rue. Cependant, cette catégorie d'enfants, selon nos experts Jean Robert Chéry et Danielle St Paul, n'écarte pas toute possibilité de mobilité ou de promotion sociale. Selon eux, au cours des vingt (20) dernières années, nous avons connu des cas d'enfants de la rue, quoique minimes, qui s'en sont bien tirés en devenant professeurs, techniciens, employés dans des institutions privées, étudiants en France et au Canada, etc. Alors, cinq (5), dix (10), quinze (15), vingt (20) enfants de la rue ont gravi de nouveaux échelons socioéconomiques et professionnels, qu'est ce que cela a bien changé ? Dans ce cas, où en est-on avec le phénomène dans la société ?

En dépit de tous les efforts consentis par les institutions publiques ou privées, les ONG et les particuliers, le phénomène se perpétue, se renforce et s'amplifie de jour en jour. L'enfant de la rue à Port-au-Prince devient de pus en plus proche de la population. Arrivé à ce stade, nous avons compris que rien n'a réellement changé malgré la promotion et mobilité individuelle dont jouit l'enfant de la rue. En devenant professionnel, en percevant un salaire assez élevé, il se peut bien qu'il ne dépasse pas les conditions matérielles limites liées à sa classe. Mais, en produisant du capital et de la plus value, il ne fait qu'agrandir la chaîne des exploités et des dominés du prolétariat et du lupemprolétariat au profit de la classe dominante, sans avoir la conscience que ses actes aident à reproduire le système et ceci n'a rien à voir à un changement de vie social, économique et politique de la classe défavorisée, encore moins de l'enfant de la rue. Donc c'est ce qui permet de dire que la promotion ou la mobilité socioéconomique n'implique pas automatiquement le dépassement. Et, même s'il y aurait dépassement, un (1), dix (10), vingt (20) individus promus et qui dépassent les conditions socioéconomiques déterminantes de leur vie avec pleine conscience ne signifieraient pas grand-chose, car ce qui devrait être collectif et massif est individuel et isolé. D'où, l'idée de Marx reformulée par François Bourricaud prend tout son sens :

«  Les agents peuvent modifier leurs comportements dans le temps mais ces modifications microsociologiques ne produisent pas de changements au niveau macrosociologique [...] il suffit pour q'un système se reproduise qu'aucun des acteurs ne soit incité à agir en vue de sa transformation. »99(*)

Et aussi, pour finir, Jean Robert Chéry a bien compris et nous a bien précisé au cours de l'entretien quand il a dit :

«  L'enfant de la rue est un acteur social, sorti d'une classe sociale et d'une famille à l'intérieur d'une société. Il vit les conditions sociales qui sont liées à sa classe, son statut rentre dans l'organisation sociale même du pays [...] tant que la classe défavorisée ne change, la situation de l'enfant de la rue ne changera. »100(*)

Et nous ajoutons à cela, tant que la structure de la société ne change pas pour pallier tous les manques, tous les problèmes et pour répondre à tous les besoins de la population dans la capitale et dans nos provinces, nous ferons face à longueur de journée à ces épiphénomènes qui feront nos malheurs, les malheurs de nos petits enfants jusqu'à ce que nous ne puissions plus y remédier.

CINQUIEME PARTIE :CONCLUSION ET

RECOMMANDATIONS

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

L'enfant de la rue, catégorie de personnes vivant dans des conditions difficiles, agit dans le quotidien, évolue dans le quotidien, se manifeste dans le quotidien par l'intermédiaire de ses relations socioéconomiques et c'est ce quotidien qu'il est appelé à reproduire au cours de son histoire. Dans notre société, l'enfant de la rue est meurtri par les intempéries, les privations, les maladies, la précarité, la violence et l'indifférence ; il est exposé à tout risque et à tout danger avec lesquels il doit jongler pour devenir ce qu'il est censé être aujourd'hui. Se livrant dans des combats intenses de survie, l'enfant de la rue à Port-au-Prince, particulièrement au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars finit par porter les marques de ses conditions dans son physique, dans son psychique et il va agir en conséquence tout le long de sa vie.

Etant intéressé à cette catégorie d'enfants, nous avons mené cette étude dans le but de mieux comprendre la vie de l'enfant de la rue. A travers les différentes parties méthodologique, empirique et théorique de cette recherche, nous avons fait de notre préoccupation académique une réussite scientifique. A l'aide de notre analyse, de nos réflexions théoriques qui ont à leur appui des encadrés, des tableaux et des graphiques, nous avons favorablement atteint nos différents objectifs visés qui sont :

1. Identifier les conditions matérielles d'existence des enfants de la rue ;

2. Etudier le modelage de la personnalité des enfants de la rue à cet effet ;

3. Etudier, d'une part, les conditions matérielles d'existence des enfants de la rue dans leur renforcement et, d'autre part, leur comportement dans des pratiques de reproduction sociale ;

4. Présenter les possibilités pour l'enfant de la rue de résister, de s'adapter ou de dépasser ces conditions concrètes de vie et, aussi, les possibilités de transformation de la structure sociale elle-même.

Lesquels objectifs sont liés à la pertinence et à la validation de notre hypothèse de recherche qui est formulée ainsi : « la personnalité des enfants de la rue se forme dans leurs conditions matérielles d'existence qui, du même coup, orientent leurs comportements dans des logiques de reproduction sociale. » Une fois atteints, ces objectifs nous ont permis de vérifier cette hypothèse et d'annoncer sa confirmation. Ainsi en parcourant toutes les lignes de notre analyse, nous sommes arrivés à comprendre que la personnalité de l'enfant qui vit de la rue à Port-au-Prince se forme dans ses conditions matérielles d'existence pendant qu'il soit conduit à les reproduire quotidiennement pour rester en vie.

D'abord, les conditions matérielles d'existence de l'enfant de la rue restent l'élément fondamental dans lequel sont noués tous les rapports sociaux de l'enfant de la rue afin qu'il devienne ce qu'il est réellement aujourd'hui et ce qu'il sera demain. Etant l'élément déterminant, ces conditions d'existence sont cruciales au développement de l'enfant de la rue. Elles touchent et modifient chaque partie de son être, sa pensée, ses représentations, ses émotions, ses muscles, son identité et ses goûts.

Ensuite, la personnalité de l'enfant de la rue, comme nous l'avons remarqué, est définie selon le cours de ses conditions de vie qui le contraignent et qui le dictent à faire tout ce qui est disponible à sa perception. Son intelligence, sa vigueur, sa force, toutes les autres formes d'expression psychologiques et physiques sont canalisées et déterminées à ce que l'enfant de la rue réalise et satisfait ses besoins à juste mesure, ce que nous pouvons qualifier de l'élan de survie, qui ne va pas plus loin que ça...

Enfin, comprendre l'enfant de la rue à Port-au-Prince, c'est comprendre le mécanisme lui permettant d'être en vie, de survivre et de conserver cette vie jusqu'à la renouveler quotidiennement. Ce renouvellement permet plusieurs choses. D'abord, il permet à l'enfant de la rue de rester en vie au jour le jour, ensuite il permet que l'enfant de la rue reproduise ses conditions matérielles d'existence ; et, enfin, il permet à ce dernier de créer sa place dans le système de production socio économique qui l'a produit vingt (20) ans déjà et pour lequel il est appelé et contraint de participer à sa reproduction s'il ne prend pas conscience de ses conditions de vie, afin de participer à la transformation de cette société qui l'a produit et continuera d'en produire des centaines et des milliers.

D'où, ces données recueillies et analysées nous ont fourni des informations qui sont concordantes à nos objectifs et qui vérifient notre hypothèse de recherche. Donc, la question qui nous a fortement intéressé avant et pendant la recherche, à savoir comment la personnalité de l'enfant qui vit de la rue à Port-au-Prince se forme-t-elle ? est méthodologiquement et théoriquement répondue et les résultats foncièrement qualitatifs que nous avons obtenus, serviront de pistes à d'autres chercheurs, institutions publiques ou privées, ONG et à des particuliers, soit d'entreprendre d'autres recherches du même type, soit de comprendre davantage le phénomène de l'enfant de la rue et d'y travailler à son éradication.

A cela, nous recommandons ou, pou dire plus sagement, nous proposons :

I- Aux institutions publiques :

a) De faire de la question de l'enfant de la rue une priorité sociale, politique et juridique.

b) D'accorder de nouvelles priorités à l'enfance en Haïti, dans nos provinces et dans la

capitale en redéfinissant les services sociaux, économiques et politiques de nos

familles qui permettront à leurs fils et petits fils de jouir de leur droit à l'éducation, à

la citoyenneté, à la santé, à la nourriture et au logement sur tout le territoire d'Haïti.

c) De repenser la vision de l'Institut du Bien-être Social et de la Recherche et de créer

d'autres instances de contrôle spécifique à l'enfant et à la famille dans toutes les

régions du pays.

d) De faire, avec consistance, de la sensibilisation à tous les niveaux jusqu'à ce que la

population en prenne totalement conscience.

e) De faire des enquêtes annuelles permettant de repérer l'enfant de la rue d'où qu'il

provienne, où qu'il soit, d'identifier ses besoins et ses aspirations et de collecter

d'autres données importantes sur sa famille.

f) De redéfinir les services que les Centres offrent à ces enfants, veuillez à ce qu'ils

soient adaptés et à ce qu'ils répondent aux modes de pensée, aux soucis et à la culture

de l'enfant.101(*)

II- Aux institutions privées, ONG...

a) De faire des actions sociales significatives au bénéfice de l'enfant de la rue : Dons,

parrainage, adoption et d'autres formes de support pouvant aider à réduire l'essor du

phénomène.

b) De faire un partenariat avec les institutions publiques à cet effet dans le but

d'affermir les prises de décision, d'augmenter les fonds disponibles et dans le but de

mieux orienter les interventions, non pas dans le sens d'améliorer ou de renforcer les

services, mais au contraire d'éradiquer et de transformer

c) A cela, nous ajoutons :

(1) Que chaque école offre cinq (5) bourses d'études primaires tous les trois ans à

l'enfant de la rue.

(2) Que l'église fasse son travail par des actions sociales correspondantes102(*) : les

églises catholiques, baptistes, méthodistes, adventistes, pentecôtistes, mormons,

indépendantes de chaque localité se regroupent autour de la question

l'enfant de la rue et font des interventions respectives. Car, il ne s'agit pas

seulement de sauver des âmes, mais aussi de sauver des corps et des vies.

III- A l'Etat :

a) De réguler ses politiques de développement social et économique à l'égard de la

classe défavorisée en Haïti et de comprendre la nécessité d'une autre forme de

société est possible en Haiti basant sur l'égalité des droits et des biens sociaux et

économiques en partant de la libération du prolétariat haïtien

b) De s'intéresser aux problèmes sociaux, politiques et économiques qui battent leur

plein dans la société et de définir un plan axé sur la justice et l'égalité pour tous en

se débarrassant des contraintes sociales et économiques de type capital servile103(*)

exercées par la classe dominante en Haiti.

IV- A la population :

a) De réduire ses comportements discriminatoires et abusifs vis-à-vis de l'enfant de la

rue.

b) Donner tous ses supports, dans la mesure du possible, le peu qu'ils puissent être,

pouvant contribuer à l'éradication de ce problème de société.

Pendant que nous, en agissant ainsi, nous travaillions à la transformation de la société haïtienne en établissant de nouvelles conceptions du social, du politique, de l'économique, du juridique, du culturel et de l'idéologique en mettant un terme aux rapports sociaux de domination sociale et économique afin que toute la population bénéficie avec justice et équité de tous les biens, tous les droits, de tous les services et de tous les produits de la société.

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16- UNICEF, Convention relative aux droits de l'enfant, 1994

17- UNICEF, Le Rapport #35, Juillet 2006

ANNEXE- I 

Griy pou antretyen ak timoun yo

Premye pati : Kondisyon lavi

I- Kondisyon ekonomik

1. Kisa ou fè pou viv ?

2. Konbyen kòb sa ka rapòte w chak jou konsa ?

3. Kijan ou fè pou jwenn manje?

4. Chak kilè ou manje nan yon jou ?

5. Kote ou jwenn rad pou w mete ?

6. Eske ou konn dwe moun ?

7. Eske moun konn dwe w?

8. Kisa ou konn fè ak lajan w?

II- Kondisyon anviwonmantal

9. Ki kote ou domi ? Eske ou toujou dòmi menm kote a ?

10. Ki kote ou travay, pou jwenn lajan ?

11. Ki kote ou fè aktivite ki ede w distrè kò w ? ki kote ou jwe ?

12. Ki kote ou manje ?

13. Eske ou konn fè bagay ak tifi/ tigason? Kibò? Chak kilè? Lè nap fè bagay, eske nou pa pran prekosyon? Eske nou fè sa pou kòb?

III- Kondisyon politik

14. Eske pwoblèm ki konn gen nan peyi a konn nwi aktivite ou?

15. Kisa ou konn fè le gen pwoblem nan lari a?

16. Eske gen moun politik ki konn kontakte ou?

IV- Kondisyon sikososyal

17. Kisa ou renmen fè pou w pran plezi? Chak kilè ? Ou menm sèl ou byen tout gwoup la ?

18. Eske sa bay lajan ?

19. Eske ou konn jwe ?

20. Eske ou gen kontak fanmi ou ? manman w ak papa w ?

21. Eske ou gen frè ak sè? Kisa yo ap fè?

22. Eske ou ale legliz ?

23. Eske ou ale lekòl ?

24. Eske gen moun ki konn ede ou ?

25. yo arete w deja? ou te ale nan prizon?

26. Eske ou konn gade televizyon? Koute radyo?

27. Eske ou konn sa yon odinatè ye?

28. Eske ou te ale lekòl yon jou ? ou kontinye ale ? ki kote ? nan ki klas ou rive ? kijan ou te fè ale lekòl la ?

29. Eske ou gen gwoup zanmi ?

30. Ou avek yo toutan?

31. Eske gwoup sa gen yon moun kap dirije l?

32. Kisa ou fè nan gwoup la?

33. Eske gen bagay ou dwe fè ? eske gen bagay ou pa dwe fè nan gwoup la ?

34. Eske nan gwoup la fanm ak gason fè menm bagay ?

35. Eske konn gen pwoblèm nan gwoup la ? ki pwoblem konsa?

36. Eske ou konn gen pwoblèm ak lòt moun deyò?

37. Eske w konn gen pwoblèm ak lòt moun nan gwoup ou a?

38. Eske gen kèk zòn ou pa ka ale?

39. Eske gwoup ou a konn gen pwoblèm ak lot gwoup?

40. Eske pwoblèm sa yo konn toujou rezoud?

41. Kilè ou te fè premye goumen w? Sa ki te fè sa ?

42. Kisa ou te itilize nan goumen sa ?

43. Kilè ou te fè dènye goumen w ? sa ki te fè sa ?

44. Kisa ou te itilize nan goumen sa ?

45. Si ou pral fè yon goumen tale konsa, kisa ou tap itilize ?

Dezyem pati : Pèsonalite

I- Afektivite

a) Pati sou Idantite

1. Ki moun ou konnen ou ye? Kijan ou panse lòt moun yo wè w ?

2. Kisa ou panse de fason moun yo wè w la?

3. Eske ou fyè? Ou byen ou wont de moun ou ye a ?

4. kisa ou pi renmen nan wou ?

5. ki bagay ou ta renmen chanje nan wou ?

b) Pati sou Motivasyon

6. Kisa ki fè w vini nan lari an

7. Kisa ki fè ou anvi travay ? kisa ki fè ou anvi viv ?

8. Eske se bezwen ou yo ? ou byen yon chanjman lavi ?

9. Eske ou gen moun sou kont ou pou okipe ?

c) Pati sou Emosyon

10. Kisa ki konn fè kèw kontan ? sa rive w souvan? Raman/ pafwa? Sa pa janm rivew?

11. Kisa ki konn fè w fache?

12. Kisa ki konn fè ou pè?

13. Kisa ki konn fè ou kriye ?

14. Kisa ki konn fè w mal?

II- Entelijans

a) pati sou Memwa

1. Eske ou konn nan ki ane ou fèt ?

2. Eske ou sonje kisa ou te fè yè ? kisa ou te manje ?

3. Eske ou konn non manman w ak non papa

c) Pati sou enfomasyon ak kalkil

1. Eske ou konn konte ?

2. Eske ou konn lajan ?

3. Eske ou konn konbyen jou ki gen nan semen nan? konbyen mwa ki gen nan ane a? Eske ou konn lè? Ou konn Li? Ou konn ekri? Ou konn koulè? Ou konn lè?

d) pati sou teknik pratik

4. Kisa nou itilize pou nou fè lajan, pou nou travay ? kijan nou fè materyèl nap sèvi yo ?

5. Kijan yon moun kapab fè poul aprann deplake ? ki tip de moun ou chwazi pou w mande ? ki tip de machin nou siye ?

e) pati sou pèsepsyon, refleksyon ak jijman

6. ki sa ou panse de lekòl ?

7. sant yo konn vin dèyè nou pou n ale ladan l lan, kisa nou panse l ye ?

8. Kisa ou panse de lari a ?

f) pati sou jan yo rezoud pwoblem

10. Lè ou gen kont ak yon moun nan gwoup la, kijan ou rezoud sa ?

11. Lè ou gen pwoblèm ak lòt moun deyò, kijan ou ranje sa ?

12. Lè gwoup zanmi w yo gen pwoblèm ak lòt gwoup, kijan sa fini ?

13. Lè ou gen ti pwoblèm tankou : ou grangou, ou bezwen kote pou w dòmi, ou bezwen lajan Kisa ou fè ?

III- sikomotè( ko moun nan) : reseve pou obsevasyon

10. kijan kò timoun nan ye ? nan ki eta li ye ?

11. ki laj li ?

12. Ki wotè li?

13. Ki pwa li ?

14. Ki eta dan li?

15. Ki eta Zong li?

16. Ki eta cheve Li?

17. ki maladi ou konn genyen?

Twazyèm pati: Repwodiksyon sosyal

I- Okipasyonèl

a) Pati sou pozisyon sosyal timoun nan

1. Kijan ou fè vin nan lari a?

2. Ou gen konbyen tan nan lari a?

3. Eske ou gen fanmi oubyen yon moun ki pwòch ki ap ou byen ki tap viv nan lari?

4. Si ou bay lari a vag, ki lòt bagay ou kapab fè pou jwenn kòb, pou jwenn manje ?

b) Pati sou Espas timoun nan ap viv lan

1. Ki zòn nan lari a ki gen plis avantaj?

2. Ki zòn nan lari a ou ta renmen viv pou jis ou granmoun ?

3. Eske se menm zòn sa yo nan kapital la ki te toujou konn gen timoun nan lari ladan yo? (Rezève pou antretyen ak ekspè yo)

c) Pati sou aspirasyon

1. Lè ou gran ki sa ou ta renmen vini ye? Ki bò ou ta renmen ap viv ?

2. Lè ou gran ou ta renmen pitit ou viv nan lari a? poukisa ?

3. Ki pi gwo rèv ou nan vi w?

II- Kiltirèl

1. Ki travay ki te toujou konn gen nan lari a ? yo vin plis oubyen yo vin mwens ? (Rezève pou antretyen ak ekspè yo)

2. Ki travay wap toujou kontinye fè nan lari a, menm lè ou vin gran ?

3. Nan lari a ou fè lajan pa vre, sa w fè avek lajan sa yo ? ki sa ou achte konsa ?

4. Kisa ou konn fè pou jounen an ?

III- pwokreyasyonèl

1. Konbyen pitit manmanw ak papaw genyen ?

2. Kisa manman w ap fè? kisa papa w ap fè? kisa frè w yo ak sè w yo ap fè?

3. Eske gen nèg nan lari ki fè pitit, epitou pitit yo ap viv nan lari a? ( rezève pou obsèvasyon)

4. Konbyen pitit ou ta renmen genyen?

ANNEXE- II

Griy pou antretyen ak ekspè yo

I- Istorik fenomèn timoun nan lari yo.

a) kilè fenomèn sa koumanse an Ayiti? Eksplike m dewoulman l?

b) Kijan li ye jounen jodi a?

II- Kondisyon lavi timoun sa yo.

a) Kouman yo ap viv ?

c) Eske timoun sa yo konsève fason ya p viv lan jouk yo gran? Kijan?

d) Eske timoun sa yo chanje fason sa ya p viv lan? Kijan?

III- Istorik ONG yo

A- Kilè premye ONG a te antre an Ayiti?

1) De kisa l te okipe l?

2) si li la toujou, eske li ap fè menm bagay la?

3) si li pa la, kisa ki pase l?

B- Kilè ONG yo koumanse travay sou kesyon timoun nan lari?

1) Ou panse nomb yo ( kantite yo) ogmante ou byen li diminye? Si li diminye , kisa ki fè sa?

2) Daprè ou menm, eske gen yon amelyorasyon sou kesyon timoun nan lari yo ? si wi, ki tip amelyorasyon? Si non, sa ki fè sa?

3) Ki meyè fason ou panse ki ka rezoud pwoblèm sa ?

ANNEXE- III

Grille d'observations

I- Les sujets

a) Qui sont-ils?

1- Âge

2- Profils et caractéristiques physiques

3- Couleur

4- Niveau d'études

5- taille et poids

b) Combien sont-ils ?

1- Le nombre par zones (sites d'hébergement)

- Delmas

- Champ de Mars

2- Le nombre par sexe

3- Le nombre total

II- Les milieux

a) Espace d'hébergement

1- Caractéristiques du sol

2- Présence d'eau usagée

3- Egouts

4- Immondices

5- Obscurité, Salubrité, Aération, etc.

6- Nombre d'enfants par sites d'hébergements

b) Espace de travail

1- Présentation des milieux de travail

2- Types de travail

3- Organisation du travail

4- Lien entre travail et revenu

c) Espace récréatif (idem)

1- Présentation des milieux récréatifs

2- Types de recréation

3- Organisation des jeux

4- Lien entre jeu et revenu

d) Espace de consommation

1- Caractéristiques physiques

2- Lien entre travail et consommation

3- Types de consommation

III- Les Activités

a) Que font les enfants ?

b) Comment ils le font ?

c) Avec quoi ils le font ?

d) Avec qui ils le font ?

IV- Les comportements et les relations

a) comportements et attitudes des autres à l'égard des enfants

b) comportements et attitudes des enfants à l'égard des autres

c) comportements et attitudes des enfants entre eux.

ANNEXE- IV

Glossaire: Mots et expressions de l'enfant de la rue...

1- Aleken : Type de nourriture préparé dans la rue ou au bord de la rue pour une clientèle assez variée le matin et aux environs de midi. C'est un restaurant populaire en plein air dans lequel les repas sont offerts à prix réduit aux clients. Généralement, on désigne ces genres de repas de :

«  Akoupi m chaje w », de « Anba dra », de « Bann a Pye », etc.

2- Bon sou mwen : Cette expression est généralement utilisée quand l'enfant de la rue est en train de jouer l'intelligent au détriment d'un autre. A ce moment, il dit : «  m sot bon sou msye »,

« msye al dèyè bon sou mwen ».

3- Bwase lè a : Manière permettant à l'enfant de la rue de décrire le travail qu'il fait du matin au soir. Car, généralement, nous constatons au cours de cette enquête que l'enfant de la rue n'aime pas du tout préciser ; à chaque fois que nous lui demandons ce qu'il fait comme travail,

comme activités ; il répond : « se nan lè a map bwase »

4- Banm on grenn : une façon spécifique à l'enfant de la rue au Champ de Mars de demander cinq gourdes ; ce que nous appelons en Haïti de : « Adoken »

4- Dedwèt : c'est un exercice permettant à l'enfant de la rue de retirer de la poche des gens qui passent dans la rue toutes sortes de chose ; à savoir leur téléphone, leur portefeuille, leur camera, etc. c'est ce qu'on désigne généralement de « Pick-pocket »

5- Fè dach ou : cette expression est synonyme de « Sodomisation » pour l'enfant de la rue.

6- Fè touwego, fè rigòl : C'est une pratique qui consiste à descendre dans les égouts et à chercher des pièces de monnaies, des bijoux, etc. Généralement, l'enfant de la rue s'adonne

à cette pratique si dans la soirée d'avant il y avait de la pluie.

7- Lagè dòmi : c'est un jeu que l'enfant de la rue réalise généralement le soir entre deux (2), (4), (10) enfants, etc. les règles sont établies comme ce qui suit : celui qui trouve l'endroit dans lequel son adversaire est en train de dormir, il peut lui faire tout ce qu'il veut ; le brûler, le tuer,

l'étrangler, etc. c'est une vraie chasse à l'homme.

8- Klase yon moun : cette expression traduit l'idée q'un enfant de la rue a reçue une somme d'argents ou un plat qu'il devrait séparer avec les autres enfants ; par contre, il garde tout le

bénéfice pour soi. A ce moment, on dit : «  M sye klase lot nèg yo ».

10- Pran level : cette une expression qui traduit le fait q'un enfant de la rue soit devenu plus hardi et plus brave dans le rang des enfants de la rue.

11- Tatonnen : l'enfant de la rue utilise ce mot qui traduit la réalité dans laquelle un enfant est en train de fouiller la poche d'un autre pendant que ce dernier est en plein sommeil.

12- Vivan & sou menm : ces deux mots traduisent la même réalité dans le sens qu'ils définiraient le degré d'intelligence de l'enfant de la rue.

ANNEXE- V 

Support photographique

Photo I : Présentation de l'espace d'hébergement de l'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport

Photo II : L'enfant de la rue est en train de jouer au Poker

3

Photo III : Présentation de l'autre angle de Zakat Zanfan, espace d'hébergement

Photo IV : l`enfant de la rue fait des mises au jeu de Poker

Photo V : l'enfant de la rue est en train d'essuyer une voiture

Photo VI : l'enfant de la rue est en train de dormir. Vue : Carrefour de l'Aéroport

Photo VII : L'enfant de la rue dans son travail d'essuie de voiture.

Photo VIII : l'enfant de la rue est en train de dormir. Vue : Champ de Mars

Photo IX : Les principaux matériels utilisés au cours de cette recherche.

* 1 _ Cf. Jn Anil Louis Juste, De l'éducation de la crise à la crise de l'éducation, Imprimeur II, Port-au-Prince, 2003

* 2 _ Cf. L'enquête de terrain nous a facilité de recueillir des données ayant rapport à la réalité actuelle des enfants qui vivent de la rue à Port-au-Prince. Mais, pour atteindre nos objectifs de recherche, les réalités datant de 1986, 1996 à 2006 se révèlent très significatives à notre recherche ; pour ce faire, nous avons eu recours à d'autres formes d'entretiens que nous estimons capables de nous fournir des informations pertinentes qui nous permettent de pallier cette carence. C'est pour cela que nous avons réalisé au cours de cette recherche, deux catégories d'entretiens : (1) avec les enfants de la rue et (2) avec des experts.

* 3 _Cf. Judith Harris, pourquoi nos enfants deviennent ce qu'ils sont? , Robert Laffont, 1999, Www. Google.fr / consulté le 17 Mars 2008.

* 4 _ Cf. Jean Pierre Rossi, Méthodes de recherche en psychologie, Dunod, 1999, Paris

* 5 _ En menant l'enquête sur le terrain à la fin du mois de janvier, nous avons remarqué qu'il n'y a pas de filles pouvant faire partie de notre population d'étude, ni de notre échantillon. En demandant aux gens de la rue, les marchands et les autres enfants de rue, ils nous ont bien clairement expliqué que les responsables du centre d'accueil étaient venus les retirer de la rue pour les intégrer à ce dit centre. Alors, c'est sans doute une politique de l'Etat visant à lutter contre ce phénomène et, c'est en même temps, une réalité qui a affecté notre recherche par rapport au genre des différents sujets de notre échantillon.

* 6 _ Cf. Cela traduit l'idée que, pendant l'enquête, nous étions arrivés à un point où l'observation de cas et les entretiens supplémentaires n'apportent plus rien de nouveau. Donc, la saturation de la collecte de données par rapport à nos objectifs de recherche était évidente ; d'où nous nous appuyons sur ce critère qui dit : «  [...] lorsque les répétitions sont suffisantes, on cesse de les accumuler, car on présume que même en continuant l'énumération, les nouveaux cas ne nous apprendraient rien qui ne soit déjà connu » (Voir François Depelteau, la démarche d'une recherche en sciences humaines, ed. de Boeck, Québec, 2000, pp 234-235)

* 7 _Cf. Température : Moyenne annuelle variant entre 21° et 33°C

Langues parlées : Français, Créole

Religion : Vodou, Catholicisme, Protestantisme

Monnaie Nationale : Gourde

Salaire minimum : 70 gourdes par jour

Monuments historiques : La Citadelle Henry Christophe, Le Fort-Jacques et Alexandre, Le Palais de Sans-Souci

* 8 _ Cf. Gouvernance et corruption en Haiti, Résultats de l'enquête diagnostic sur la gouvernance, Janvier 2007, BRIDES, IBM, ULCC

* 9 _ CF. Fred Doura, Economie d'Haiti : dépendances, crise et développement, Montréal, t 1, 2001

* 10 _ Cf. Carte de pauvreté d'Haiti, version 2004, Ministère de la planification et de la coopération externe

* 11 _ Cf. Gérard Pierre- Charles, La radiographie d'une dictature, nouvelle optique, Montréal, 1973

* 12 _ Cf. 1950 : après l'occupation américaine de 1915

1971 : après la présidence de François Duvalier

* 13 _ Cf. Sauveur Léger, Le phénomène de la mendicité à Port- au- Prince, FE, p.60

* 14 _ Roth Pierre, Etude psychosociale des mineurs de 12 à 18 ans vivant dans la rue de Port-au-Prince, FE, p.11

* 15 _ Josué Vaval, Etude sur la maturité socio affective des enfants de la rue, FASCH, p.p.3-11

* 16 _ Yanick Apollon, L'agressivité chez les enfants de la rue : étude de cas sur les mineurs de 6 à 12 ans, p.59.

* 17 _ Janvier Jean Jorel, Port-au-Prince et les enfants de rues : le phénomène des Kokorat, p. 7

* 18 _ UNICEF /MAST, Plan National de protection : enfance en situation difficile et de vulnérabilité, Nov. 2005 p. 12

* 19 _ Op. Cit. p.p 12-13

* 20 _ UNICEF, La convention relative aux droits de l'enfant, 1994

* 21 _Cf. Considérée comme une filière de médiation dans laquelle est passée toute personne vivant dans une société donnée, elle est un processus d'apprentissage qui participe à la construction de la personnalité et de l'identité de l'individu à partir des modèles normatifs de la société. (Cf. Boudon- Bourricaud, dictionnaire critique de la sociologie, PUF, P.p 527-534). A cet effet, ce processus d'apprentissage se fait en deux étapes qui, sur plusieurs angles, ne définissent pas conceptuellement notre objet d'étude, en l'occurrence les enfants de la rue dans les rapports qu'ils entretiennent avec la société tenant compte de leurs modes de vie. Selon, T. Luckmann et P. Berger, ces deux étapes sont :

1) La socialisation primaire qui est maintenue par des instances comme la famille, l'école, les médias, etc., qui vont déterminer, dans l'enfance, l'intégration sociale de l'individu.

2) La socialisation secondaire est plus largement maintenue par d'autres instances comme les associations, les entreprises, clubs de sport, etc., qui contribueront à la structuration de ses manières de penser et d'agir en consacrant des statuts sociaux à l'individu, depuis la fin de l'enfance. (Cf. Peter Berger et Thomas Luckmann, construction sociale de la réalité, Paris, 1986, P.p 177-189).

* 22 _Cf. Une première série d'entrevues a été déroulée au centre GHESKIO le 14 Mars 2008 avec la psychologue Danielle St PAUL, responsable d'études psychologiques des enfants en situations difficiles. Une autre série a été réalisée à la C.E.P (Centre d'Education Populaire) avec le psychologue Jean Robert CHERY, le 27 Mars 2008.

* 23 _ A l'époque des Duvalier, le « CHALAN» surveillait les enfants qui vagabondèrent dans la rue, pieds nus, qui sont mal vêtus; il les ramassait, les enfermait dans un centre de correction pour mineurs (centre d'accueil de Carrefour). Les Macoutes, á l'époque, assuraient la sauvegarde du régime en place ; ayant des profils de policiers, ils étaient chargés également d'empêcher le vagabondage social et politique dans les rues de Port-au-Prince.

* 24 _ Robert Debs Heinl, Written in blood / the story of the Haitian people 1492-1995. University Press of America, 2005, p.p 669-724

* 25 _ FRAPH: Front of Advancement and progress of Haiti. Op. Cit. p. 709

* 26 _ Cf. A notre sens, l'étude des rapports entre individu et société parait assez complexe si l'on tient compte du nombre disciplines et d'approches qui y sont intéressées, et dans le sens qu'elle exige, chez les chercheurs, un effort de spécification par rapport à la réalité qu'ils veulent comprendre, décrire et expliquer .A cela, notre effort de spécification consiste à étudier ce rapport en rendant intelligible et opérationnel le phénomène des enfants de la rue, avec des outils théoriques que nous estimons appropriés

* 27 _ Cf. Les chercheurs, pour étudier la personnalité de l'individu, utilisent plusieurs théories de différentes perspectives. Outre les théories sur lesquelles nous insistons dans ce travail, il en existe d'autres, comme le Behaviorisme et les approches psychosociales qui s'y investissent aussi. Pour les behavioristes, la personnalité de l'individu est acquise par conditionnement des comportements. Ce qui fait que pour Watson, il suffit d'examiner à quels stimuli avait été exposée la personne et quelles avaient été ses réactions pour expliquer sa personnalité. Donc, elle est construite dans un processus d'apprentissage où le renforcement, la punition et l'observation des comportements sont déterminants. Cependant, avec Erickson, Piaget, Wallon, Bandura et autres, les approches psychosociales mettent, d'une manière différente, l'accent sur l'apprentissage. Ils affirment que la personnalité de l'enfant se développe à partir d'imitations, où l'enfant est appelé à reproduire les comportements appris dans ses relations avec autrui, dépendamment du stade de développement dans lequel il se trouve.

* 28 _ Cf. Erich Fromm, Sigmund Freud, résultats, idées, problèmes.- t.II, Paris, PUF, 1985 p. 25

* 29 _ Cf. La théorie de la sexualité infantile est centrée sur un modèle de développement de l'enfant, dit de développement psycho sexuel qui se réalise grâce à une énergie psychique qui déterminera les différentes zones érogènes chez ce dernier. Ces zones érogènes correspondent aux différents stades de développement de l'enfant de la manière suivante :

1) le stade oral : la zone impliquée est la bouche, cette zone procure du plaisir au bébé quand il se nourrit, suce et mord.

2) le stade anal : la zone érogène est l'anus, la gratification sexuelle s'obtient par la constriction et la relaxation des muscles du sphincter qui contrôle l'évacuation des déchets.

3) le stade phallique : l'enfant trouve plaisir dans l'excitation de sa région génitale.

4) la période de latence : stade calme au cours duquel l'évolution sexuelle marque un temps d'arrêt.

5) le stade génital : période dans laquelle l'enfant développe sa maturité sexuelle et fait l'apprentissage de relations satisfaisantes avec le sexe opposé.

* 30 _ Cf. Ralph Linton, le fondement culturel de la personnalité.- Dunod, Bordas, Paris, 1986.

* 31 _ Cf. Op.cit. p.79

* 32 _ Cf. Ibidem

* 33 _ Cf. Hérold Toussaint, Psychanalyse sociale, religion et politique / lire Erich Fromm en Haïti.- H. Deschamps, pp.63-65

* 34 _ Cf. Jeanne Philippe, Classes sociales et maladies mentales en Haïti.- presses nationales, Port-au-Prince, 1975.

* 35 _ Cf. Op.cit. p. 61

* 36 _ Cf. Emerson Douyon, « Crise de possession », in Revue de la faculté d'Ethnologie #12.- Presses nationales, Port-au-Prince, 1967, pp. 28-40

* 37 _ Cf. Legrand Bijoux, des moeurs qui blessent un pays.- Haiti.

* 38 _ Cf. La notion de complexe admet plusieurs définitions pertinentes qui la rendent plus opérationnelle. Généralement, un complexe est un ensemble de traits personnels, acquis dans l'enfance, doués d'une puissance affective et généralement inconscients (Cf. Alain Rey, Dictionnaire Le Robert micro poche, 1994, p. 224). Il est, selon Carl G. Jung, un groupe d'éléments représentatifs liés ensemble et chargés d'affects (Cf. S. Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, p.36 / Carl G. Jung, l'homme à la découverte de son âme, pp.182-192). Ces traits, ces éléments, ces fragments sont chargés d'émotions ; ils se tapissent dans une partie de la zone inconsciente, ils dirigent les actions des individus à leur insu.

Donc, cette dernière synthèse se rapproche le plus de la définition que le Dr. Legrand Bijoux a adoptée dans son ouvrage pour étudier cette notion de complexe. Parmi les complexes qu'il étudie, nous retrouvons :

1) le complexe du tigre qui est celui qui porte un être humain à abuser de sa supériorité, de sa force pour blesser d'autres humains, sans nécessité réelle.

2) le complexe du marsouin qui porte le sujet qui en souffre à dénigrer et à avilir tout objet valable, tout acte digne d'éloges et toute personne méritoire. Ce complexe porte également sa victime à espérer recevoir à tout moment des marques de mépris, de dénigrement et d'avilissement.

3) le complexe de la pintade sauvage qui amène le sujet à se servir constamment de la ruse, à faire des parjures, de fausses promesses, de la cachotterie, etc.

En définitive, affirme l'auteur, ces éléments ont aidé à la population esclavagiste de St Domingue d'échapper à la servitude et de se rendre indépendante ; et, jusqu'à maintenant, ils constituent les moeurs et les complexes qui forment la personnalité, orientent la pensée et définissent les actions de chaque haïtien. (Cf. Legrand Bijoux, Op. cit. pp.10-50)

* 39 _ Cf. Cette expérience de terrain, nous l'avons réalisée dans l'aire métropolitaine auprès de trois (3) ménages constitués de parents et d'enfants dans les communes de la Croix des bouquets, de Delmas et de Carrefour durant les périodes allant du 18 au 20 juillet 2008. Au cours de cette interview dite informelle, nous avons sensibilisé et interrogé seulement des parents qui ont trois enfants au plus et, de ce fait, nous avons eu respectivement des parents de 37ans, 43ans et 55ans ; hommes et femmes qui ont répondu aux questions suivantes : Daprè ou menm, kisa ki fòme pèsonalite timoun yo ? Kisa ou panse ki fòme pèsonalite pitit pa w yo ? Ce faisant, les données que nous avons recueillies proviennent de ces deux questions-types.

* 40 _ Cf. Ralph Linton, Op.cit. p. XXII (préface)

* 41 _ Cf. François Parot et Roland Doro, Dictionnaire de la psychologie.- PUF, 1991, p. 549

* 42 _ Cf. Karl Marx, Critique de la philosophie de l'Etat de Hegel.- p. 165, tiré du texte de Lucien Sève, Marxisme et personnalité, 2e ed. Sociales, Paris, 1972

* 43 _ Cf. Nous essayons de faire une traduction de cette citation tirée du livre de Gerald Corey : «  [...] Chez l'individu, les forces irrationnelles sont déterminantes. Ce dernier, à savoir l'individu, est guidé (motivé) par les pulsions sexuelles et agressives. » Cf. Gerald Corey, Theory and practice of counseling and psychotherapy, Brooks, California, 4e edition, 1991.

* 44 _ Cf. Robert Castel, Le psychanalysme.- Francois Maspéro, Paris, 1973, pp. 94-95

* 45 _ Cf. Karl Marx, Economie et philosophie (le capital, 3e section) in oeuvres.- Gallimard, Paris, Tome II, 1972

pp. 727-728

* 46 _Cf. Karl Marx et Friedrich Engels, l'Idéologie allemande.- ed. Sociales, Paris, 1982

* 47 _ Cf. Op.cit. p.27

* 48 _ Cf. Georges Gurvitch, Dialectique et Sociologie.- ed. Flammarion, 4e édition, Paris, 1977

* 49 _ Cf. Karl Marx, Critique de l'économie politique, in oeuvres, p. 273

* 50 _ Cf. Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, op cit. P. 135

* 51 _ Cf. Lucien Sève, Marxisme et théorie de la personnalité.- ed. sociales, 2e edition, Paris,1972 p.375

* 52 _ Cf. Antonio Gramsci, oeuvres choisies.- ed. Sociales, Paris, 1959 p.50

* 53 _ Cf. Lucien Sève, Op.cit. p.383

* 54 _ Cf. Idem. P. 384

* 55 _ Cf. Jean Claude Filloux, la Personnalité, PUF, Paris, 1993.- et la version portugaise de ce livre publiée en 1983 par l'édition difusão le traduit ainsi : «  A personalidade é uma historia numa historia »

* 56 _ Cf. Karl Marx et Friedrich Engels, oeuvres choisies, t. III ed. Progrès, Moscou, 1974, pp. 198-199

* 57 _ Cf. www.Google.fr/théorie de l'activité, consulté en Avril 2009

* 58 _ Cf. Stéphane Tessier, Alphonse Tay et ses collaborateurs, langage et cultures des enfants de la rue, Kartala, Paris,, 1995, pp. 40-47

* 59 _ Cf. François Depelteau, le démarche d'une recherche en sciences humaines, ed. De Boeck, Québec, 2000 p. 226

* 60 _ Cf. François Depelteau, Op.cit. p. 234

* 61 _ Cf. Op.cit, François Depelteau, p. 165

* 62 _ Cf. Georges Gurvitch, Dialectique et sociologie, 4e ed. Flammarion, Paris, 1977, pp. 188-237

* 63 _ Cf. Voir Définition aux pages 17 et 50

* 64 _ Cf. Voir les pages 17 et 55

* 65 _ Cf. Voir la page 9 et les notes de bas de page)

* 66 _ Cf99. Péneff Jean, les sociétés contemporaines/ mesures et contrôle des observations dans le travail de terrain, 1995

* 67 _ Cf. Op cit. Voir les pages 49 et 50

* 68 _ Cf. Pierre Tap, Société Pygmalion, Dunod, Paris, 1988

* 69 _ Cf. Pour des raisons d'éthique et par souci d'anonymat, les nom et prénom de ce sujet ont été modifiés

* 70 _ Cf. A ne pas confondre avec celui des USA : Ce « BOSTON » est l'un des quartiers de la commune de Cité soleil

* 71 _ Cf. le mot « SOSYE» est une déformation du mot français « Associé» que les enfants au Carrefour de l'Aéroport utilisent au lieu de dire correctement « Asosye »

* 72 _ Cf. C'est un type de repas que l'on prend généralement en plein air et au bord de la rue ; les plats sont préparés et sont servis au bord de la rue. Dans la capitale, on en retrouve beaucoup ; on les appelle : Akoupi m chaje w, chen janbe, anba dra, etc.

* 73 _ Cf. Voir la liste des sigles et acronymes à la page ix. Cette Mission des Nations unies est composée de soldats et est installée en Haïti depuis 2004

* 74 _ Cf. «Fake and Real», deux mots anglais qui veulent dire « faux et vrai ». Actuellement, en Haïti, dans des groupes de (clans, ghetto, etc.) nous remarquons l'utilisation fréquente de ces deux anglicismes dans leur créole. Dans leur jargon, ces deux mots servent à juger, à s'identifier et à mesurer l'implication de quelqu'un dans les activités du groupe.

* 75 _ Cf. pour des raisons d'éthiques et par soucis d'anonymat, les nom et prénom de ce sujet ont été modifiés

* 76 _ Cf. PAPA, nous avons eu la chance de l'observer pendant notre enquête. Il est le responsable de l'espace dans lequel sont hébergés les enfants, il est un ancien enfant de la rue, il peut avoir entre 28 et 31ans et il continue jusqu'à maintenant à dormir dans le centre avec les enfants. Son fils aussi vit avec lui dans le centre ZAKAT ZANFAN.

* 77 _ Cf. Pour des raisons d'éthique et par souci d'anonymat, les nom et prénom de ce sujet ont été modifiés

* 78 _ Pour des raisons d'éthique et par souci d'anonymat, les nom et prénom de ce sujet ont été modifiés

* 79 _ Cf. Water Closet

* 80 _ Cf. Alain Rideau, Comment connaître son enfant, ed Marabout, Retz- C.Ep.L, Paris, 1975

* 81 _ Cf. Paul Osterrieth, Introduction à la psychologie de l'enfant, 11ème ed. PUF, Paris, 1972, pp. 20-34

* 82 _ Cf. André Rey, Connaissances de l'individu par les tests, 3e édition, Dessart et Mardaga, Bruxelles, 1966

* 83 _ Cf. Jean Pierre Rossi, Méthodes de recherche en Psychologie, Dunod, Paris, 1999

* 84 _ Cf. Paul Osterrieth, Introduction à la psychologie de l'enfant, 11è ed. PUF, Paris, 1972, pp. 177-221

* 85 _ Cf. Cholette- Pérusse François, la psychologie de l'adolescent de 10 à 25 ans, ed. Du jour, Ottawa, 1966

* 86 _ Cf. Serge Moscovici, Psychologie sociale des relations à autrui, Armand Collin, Paris, 2005, pp. 41-69

* 87 _ Cf. A Delmas 17, l'événement a été survenu pendant la période de notre enquête au Carrefour de l'Aéroport dans la soirée

et de cet événement nous avons largement profité pour comprendre plus amplement la réalité de la vie de l'enfant de la rue.

* 88 _ Cf. Lucien Sève, Marxisme et théorie de la personnalité.- ed. sociales, 2e edition, Paris,1972 p.375

* 89 _ Cf. A propos de la description de la personnalité, voir p. 8

* 90 _ Cf. Lucien Sève, Marxisme et théorie de la personnalité.- ed. sociales, 2e edition, Paris, 1972

* 91 _ Cf. Karl Marx et Friedrich Engels, l'idéologie allemande.- ed. Sociales, Paris, 1982, p. 178

* 92 _ Cf. « La production et la consommation », deux concepts jumeaux qui définissent le cours de la vie d'un individu dans ce qu'il fait et ce qu'il fait de ce qu'il a produit depuis son enfance jusqu'à sa mort. A cela, Lucien Sève a mentionné :

«  la production est le véritable point de départ, et par suite le facteur qui l'emporte, la consommation en tant que nécessité que besoin est elle-même un facteur interne de l'activité productive ; mais cette dernière est le point de départ de la réalisation et par suite aussi son facteur prédominant, l'acte dans lequel tout le procès se déroule à nouveau. L'individu produit un objet et fait retour en soi même par la consommation de ce dernier, mais il le fait en tant qu'individu productif et qui se reproduit lui-même » (Voir Op. cit. Lucien Sève, P. 48)

* 93 _ Cf. Nous recueillons ces données pour présenter le prix des produits que l'enfant de la rue généralement consomment au cours d'une journée et qui, en même temps, représentent en moyenne ses dépenses journalières. Sachant, toutefois, que nous ne mentionnions pas dans ce tableau les dépenses livrées dans des jeux de Hasard et ses dérivés. Cependant, il faut signaler que les dépenses consignées dans le tableau ci-dessus peuvent varier d'un enfant à un autre, et le prix des produits, d'un milieu à un autre et suivant sa qualité ; par exemple, le prix du Aleken à Midi peut se situer entre 25, 75 et 100 gourdes. C'est ce qui traduit la difficulté pour nous de fixer ce prix dans ce tableau.

* 94 _ Cf. Jn Anil Louis Juste, « La question de la personnalité chez le paysan haïtien » in Alter Presse, soumis le 1er juillet 2004, consulté en Mars 2009

* 95 _ Cf. Judith Harris, pourquoi nos enfants deviennent ce qu'ils sont? , Robert Laffont, Paris, 1999

* 96 _ Cf. Pierre Bourdieu, les Héritiers. Les étudiants et la culture, De minuit, Paris, 1984

* 97 _ Cf. Concept référentiel qui décalque le modèle identitaire du Noir Américain rappeur qui se qualifie ou se fait qualifier souvent de « Street Negro ou Street Nigga » en opposition à la dénomination de « Home Boy » qui signifierait «  Garçon de maison »

* 98 _ Voir la notion d' « Imprinting », Konrad Lorenz, évolution et modification de comportement, ed. Payot&Rivâges, Paris, 2007.

* 99 _ Cf. Boudon Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Quadrige, PUF, Paris, 2000

* 100 _ Cf. Entretien réalisé avec le professeur Jean Robert Chéry le 21 Avril 2009 en son bureau.

* 101 _ Cf. Stéphanie Tessier, Langage et culture des enfants de la rue, Kartala, Paris, 1995

* 102 _ Cf. Colette Humbert, la Conscientisation, ed. L'Harmattan, L'INODEP

* 103 _ Cf. Jn Anil Louis Juste, De la crise de l'Education a l'éducation de la crise, Imprimeur II, Port -au-Prince, 2003






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