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Le pouvoir de la population sur son environnement! Cas du Plateau de Millevaches

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par Julien Dupoux
Université Paris Sorbonne IV - Master 2 2012
  

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Le pouvoir de la population

sur son environnement

Cas du Plateau de Millevaches

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Sommaire

Introduction p.7

I) Les marqueurs spatiaux du pouvoir p.21

1. Le territoire abordé ... p.21

2. L'environnement : indicateur des pouvoirs p.27

II) Relations et formes de pouvoir des acteurs locaux p.59

1. L'approche de la population p.59

2. Les acteurs : relations, perceptions du pouvoir et actions sur

l'environnement p.65

3. Différents leviers de pouvoir de la population sur le Plateau de

Millevaches p.83

III) Au-delà du Plateau, des leviers de pouvoir en débat p.99

1. D'autres delà. Des comparaisons avec le Plateau de Millevaches sur le

pouvoir des habitants p.99

2. Le pouvoir comme question d'organisation de la démocratie et question

d'échelle p.106

3. Débats sur le pouvoir des habitants p.111

Conclusion . p.125

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« La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. »

Pascal, Pensées, III.1.255

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Introduction

Tout finit dans l'âtre du salon. Les verbes au feu et les pensées en cendres ne dégagent qu'un cône de fumée qui fendra la neige, annonçant au voyageur une maison encore habitée, un hiver de froid combattu. Quelle valeur que d'avoir beaucoup de choses à dire, ces choses-ci ou d'autres : mieux vaut que l'estimable résultat ne soit qu'une lanterne fatiguée parcouru des salves du vent.

Avant le départ, j'envisageai un voyage en Equateur pour parler de mon sujet. On cherche pour vivre, davantage que le contraire. Alors qu'importera l'idée rapportée au creux des mains. Je savais ce que je trouverai là-bas, la force ou la faiblesse déjà aperçue, la volonté entrevue de la population d'être son maître. On se figure quelque aventure à raconter ; cela ne l'ai-je pas déjà fait ? Il n'est pas si simple de tomber dans l'émerveillement du voyage, de lui consacrer sa passion ou sa lucidité, pas si simple de vivre. Et l'envie, ma reine, m'a porté au pied de chez moi, je veux dire de ma région natale : c'était facilité et c'était, aussi, une certaine pré-connaissance, des interrogations qui me passaient par les oreilles quand je me reposais en Creuse et que j'avais envie de rencontrer. Bonjour, très cher doute, comment allez-vous ?

C'est donc plein d'erreurs que j'avancerai dans mes recherches puisque j'ai déjà parcouru la région. Mes yeux ne voient certainement pas ce qui choquerait l'observateur extérieur, ils ne possèdent pas la simplicité nécessaire pour aborder les faits les plus évidents. Ce qui me pousse à choisir le plateau de Millevaches comme lieu d'études est aussi ce que je dois oublier. Que je trouve où je vais mon propre visage, cela semble pourtant inexorable. Il ne faut pas chercher mais vivre pour devenir enfin un autre que soi. Si j'aime et si je suis ce qui m'entoure, je n'ai plus besoin de ma blessante identité.

Alors l'envie, c'est certainement la réputation anarchiste du Plateau, c'est l'écho d'originalité du plateau qui me pousse vers lui, la pensée que je puisse trouver des initiatives à raconter, et qu'à partir de ces initiatives, je puisse souffler la notion de pouvoir, la faire exploser comme un atome qui livre ses quarks. Et c'est plein de mon attachement au courant altermondialiste que je m'y rends : la subjectivité est déjà dans le choix du sujet. Et je ne peux que faire l'erreur de lire les discours et les faits en rapport avec mes positions. Puisque, d'une certaine façon, c'est elle j'interroge par ma recherche.

Mais un autre constat me pousse là-bas : celui de la présence étouffante des bois de « sapins » : c'est déjà un paradoxe pour mon étude et mieux m'aurait valu traverser l'océan pour éviter une contradiction. Car comment peut-on trouver du pouvoir à la population, quelle

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influence lui trouver sur son environnement quand la première piste écologique ne révèle qu'un paysage à la santé déclinante ? Mais ces résineux m'ont aussi poussé sur le plateau de Millevaches parce que je n'aimerais pas les voir autour de chez moi, envahir les Combrailles comme ils envahissent le sud creusois et la haute Corrèze. Le conifère est un arbre planté de force, une intrusion humaine sous perfusion dont la culture intensive laisse amer autant l'homme qui contemple l'horizon que le sol sur lequel il repose.

Je n'ai donc, au final, pas choisi un terrain où le contexte dénote le pouvoir des habitants. La profondeur de la démocratie voudrait que ce soit eux qui décident. Voici tout mon souci. Quels sont les leviers de pouvoir de la population sur son environnement ?

C'est donc sur ces formes de pouvoir qui peuvent venir de la population locale que j'entends me concentrer. Vanité de la recherche... ou vanité de l'homme qui veut trop croire qu'il peut. Et que cette croyance pourra égaler en pouvoir l'argent ou la hiérarchie : c'est le même élan, certainement.

Le sujet

Pouvoir et Environnement sont des notions bien vagues et peuvent être définies de diverses manières. Ce vague, je ne veux pourtant pas le perdre car ce sont ses formes que je veux approcher, distinguer. Je ne veux pas le perdre car j'aurai l'impression d'être un ouvrier spécialisé, à la chaîne, à qui l'on ne demande qu'une seule tâche et qui perd l'image et les objectifs de sa réalisation. Néanmoins, il faut mieux s'entendre directement sur les termes et la compréhension que j'en aurai orientera inévitablement l'étude. Je voudrais les comprendre comme les gens les comprennent et comprendre comment ils les comprennent.

C'est aussi, généralement, ce que les dictionnaires essaient de faire, à ceci près qu'ils résument au lieu de décomposer. J'ai choisi deux dictionnaires de géographie pour présenter les acceptations d'Environnement puis de Pouvoir.

De l'environnement, il nous est dit que le terme « est appliqué aujourd'hui à l'observation des effets des activités humaines de tous ordres sur leur entourage par un renversement de l'application du terme, qui dans les sciences de la nature procède de l'étude de l'action du milieu. » [Georges & Verger, 2000] et, dans l'autre dictionnaire [Lévy & Lussault, 2003] qu'il s'agit de « l'ensemble des réalités extérieures à un système [...] conditionnant son existence et interagissant avec lui. Spécialement, les réalités biophysiques comme environnement des sociétés. », il cite aussi Paul Vidal de la Blache qui stipulait que « l'environnement est moins ce qui entoure que ce qui inclut », « ce qui entoure » étant la définition répandue des Larousse et Robert. Si j'ai choisi ce terme d'environnement, c'est

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parce qu'on le relie principalement à la nature et qu'il permet d'étudier davantage que les effets (comme le dit la première définition) mais étudie aussi les interactions de l'être humain avec la nature. L'être humain étant une composante de la nature, les autres êtres humains étant des éléments de l'entourage naturel d'un être humain, il est également question des relations entre les sapiens sapiens. Le paysage dans lequel l'Homme évolue, le paysage utilisé comme ressource pour soi mais aussi comme média pour parler aux autres, c'est-à-dire l'occupation du sol, par la verdure, le bâti, par la présence, l'occupation de l'espace par la culture font partie de l'environnement. Quand on parle de l'environnement d'une population, on peut aussi comprendre « territoire », sauf qu'il ne s'agit pas de partir de limites territoriales pour regarder comment bouillonne l'humanité à l'intérieur mais de regarder l'espace d'ébullition de cette population, et puisqu'il faut partir d'elle, pour parler de son espace, il me semble plus juste d'employer le terme d' « Environnement ». D'autant plus que je tiens à la connotation écologique dont il est très souvent teinté, au-delà de la définition littérale.

Quant au pouvoir, l'objet de l'étude est d'en extraire certaines composantes et canaliser trop tôt la définition serait trop vite conclure. Les premières précisions, ne feront donc que traduire les hypothèses avec lesquelles je pars.

Littéralement (et selon le Larousse), le pouvoir est « la capacité de faire », le dictionnaire géographique [Lévy & Lussault, 2003] précise : « la capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir », un « type de rapport de quelqu'un (ou d'un groupe) à quelqu'un d'autre par la médiation d'une force ou d'une mainmise sur les choses. ».

Je pars surtout des définitions littérales. En ce qui concerne le pouvoir, ce sont les manifestations de cette capacité à agir que je veux préciser. Et pour mon étude, le rapport ne sera pas uniquement d'un groupe à un autre groupe mais à tout ce qui entoure le premier groupe, pas seulement les hommes (ou groupes d'hommes) mais aussi ce qui se passe entre les hommes. Car on peut agir sur les liens entre les hommes.

J'ai donc préjugé du constat que l'environnement physique était noyé de résineux et ne reflétait pas forcément la mainmise de la population locale, ni son souhait, si l'on ajoute à ça que le pouvoir est souvent compris comme l'autorité exercée du fait des institutions, de la voie hiérarchique, comment donc peut se manifester la volonté « des habitants d'un territoire défini par des limites administratives ou politique ou géographique 1» ?

1 Définition de « population » [George & Verger, 2000]

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Parce que j'ai déjà traversé le plateau de Millevaches, j'ai supposé que le pouvoir de la population, la revendication « démocratique » pouvait aussi passer par la culture, que la culture était un moyen, trouvé par la population, d'impacter son environnement. En tout cas, cela va obliger à présenter des formes de pouvoir qui seraient autre chose que la domination ou la conquête physique du terrain, à penser différemment le pouvoir.

« En géographie, le mot « pouvoir » a longtemps été tenu à l'écart au titre du rejet du politique » et « les géographes ont eu du mal à penser la notion de pouvoir car ils entretenaient avec les pouvoirs institués une relation de sujétion qui les a conduits, sans parfois qu'ils en aient conscience, à garder le silence » relate encore le dictionnaire [Lévy & Lussault, 2003]. L'espace est pourtant la division de parcelles où l'on aime à planter son drapeau, tel Armstrong sur le satellite, c'est un moyen de peser sur l'organisation d'une société par l'agencement de l'environnement et c'est ainsi que Paul Claval peut introduire la notion de pouvoir dans Espace et pouvoir [Claval, 1978]. Déjà, il parlait de l'écologie comme politique comprenant la traduction d'inégalités sociales par la pollution de l'environnement. L'axe géographique, puisqu'il s'intéresse aux lieux, relie facilement l'étude du pouvoir à l'environnement. C'est parce que le besoin des rapports humains est patent que ce concept d'environnement, en géographie sociale, ne peut être étudié comme une somme de composantes naturelles et que l'on peut s'appuyer sur le holisme1, en écologie, pour interroger les pratiques du pouvoir [Atkison,1991]. L'homme n'est plus le centre ni le sommet de la pyramide, il est en interdépendance avec la nature. La remise en cause de la hiérarchie interspécifique en remet en cause une autre : la hiérarchie intraspécifique, construite entre les hommes. Si c'est la démocratie que l'on cherche, on peut alors, à l'image du sociologue Pierre Bourdieu, condamner la reproduction de la domination par la hiérarchie, domination qui peut aussi passer par la confiscation de la culture et de la connaissance [Bourdieu, 2002]. La sociologie ajoute à la géographie et à l'approche du pouvoir par les relations entre les hommes et leur espace, sa compréhension par les relations des hommes entre eux.

La façon dont le citoyen peut décider des lois qui vont conditionner son environnement, sa qualité de vie et l'étude des formes institutionnalisées remontent plus généralement à Aristote et on cherche encore actuellement, dans les études politiques, des moyens de rendre la démocratie plus participative, à lier plus directement le citoyen aux choix politiques, à rendre le citoyen maître [Aristote, 1971][Bacque & Sintomer, 2011].

1Holisme : concept qui veut que le tout soit davantage que la somme des parties et qui conduits généralement à donner une valeur aux systèmes naturels (à la manière d'Aldo Léopold par exemple) plutôt qu'aux individus.

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Ce n'est pas à la notion de pouvoir que j'avais d'abord donné ma priorité mais, me semble-t-il, à celle de l'environnement parce que je constatai que les décisions prises par de simples paysans sans science pouvaient être beaucoup plus pertinentes écologiquement que de grands projets étatiques, pensés à grande échelle et aliénés aux besoins économiques ou au mythe de la croissance du Produit Intérieur Brut. Il s'agissait donc pour moi de me familiariser avec l'évolution des conceptions de la Nature, les problèmes environnementaux majeurs et ceux d'aménagement du territoire. La conception des réserves naturelles n'est pas inutile à rappeler (pas seulement parce qu'il Existe un Parc Naturel Régional de Millevaches mais pour leur mode de fonctionnement). Conçues à l'origine comme des espaces de tourisme pour les plus fortunés, quitte à exclure par le déplacement les personnes vivant sur les lieux, les Parcs Naturels vont lentement faire leur mea culpa, et à l'aide de la remise en cause de la dualité Homme/Nature, s'enquérir de la conciliation des activités humaines et de la permanence d'un environnement prétendument sauvage [Arnould & Simon, 2007]. L'environnement devient une cause planétaire et si la biodiversité fait son apparition au sommet de la Terre à Rio en 1992, c'est parce que le maintien d'une saine hygiène de vie pour l'espèce humaine lui est corrélée. Les philosophes Catherine et Raphaël Larrère vont insister sur la nécessité d'une éthique de la nature, éthique qu'ils font dépendre d'un passage de l'anthropocentrisme à l'écocentrisme [Larrère, 1997]. Avec ce passage, selon eux, doit s'opérer la substitution de l'économie par l'écologie en politique environnementale. Je pense donc, et c'est peut-être ce pourquoi j'ai retenu leur ouvrage, qu'on ne situe plus dans le simple discours du développement durable. Lorsque je suis allé aux « nuits du 4 août », l'été dernier, à Peyrelevade, un atelier était organisé sur la façon dont les mots sont atténués pour masquer leur sens, on proposait de les retraduire et, de la même manière qu' « agent d'entretien » était le nouveau terme pour « balayeur », des participants ont dit que « développement durable » était celui pour « capitalisme ». Parce qu'il y a toujours cette priorité au progrès du profit monétaire. Je ne m'intéresse pas, pour ma part, à la persistance du simple progrès économique mais à celle du progrès des conditions de vie. Les buts et principes dudit « développement durable » seront ainsi critiqués dans un article de la revue Débats [Le Goff, 2009].

L'histoire des parcs et réserves, quant à elle, semble s'être arrêtée non pas à la conciliation des activités humaines avec la sauvegarde de la biodiversité mais à celle des profits générés par ces activités avec la permanence d'une nature idéalisée, touristique et alors patrimonialisée. Ce qui engendre la possibilité d'oublier que la nature est un fait culturel [Berque, 1995] et que son érection en symbole n'est pas indépendante des stratégies et volontés de pouvoir. Certes, on voit cependant se développer, dans certains espaces protégés,

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le souci de faire participer la population, que celle-ci puisse s'approprier l'environnement et ce sera l'un de mes points d'études, mais les fonctionnements institutionnels de moult réserves (comme ceux des Etats d'ailleurs) ne font pas apparaître la population comme un organe directement décisionnel.

Les questions d'aménagement du territoire vont cependant soulever certains conflits, et à travers eux, certaines attentes de la population, certaines conceptions du pouvoir en matière d'environnement. Des grands travaux routiers, de la pose du réseau téléphonique, électrique, des circuits de gaz, d'eau courante, à l'établissement de barrages, de lignes à grandes vitesse, le développement du territoire a connu, après la deuxième guerre mondiale, une recrudescence des projets d'aménagement frappés du sceau de l'intérêt général. Intérêt général, semble-t-il, de plus en plus discuté et critiqué, notamment par de nombreuses associations environnementales (c'est le cas du projet d'aéroport à Notre-Dame des Landes aujourd'hui), d'autant plus critiqué que, localement, le mot intérêt est souvent un non-sens, quand il ne l'est pas, de surcroît, à échelle plus large. La prise en compte de la voix locale devient donc une obligation. Et nombre d'études (géographiques en particulier) de s'attacher à ce dialogue entre aménageurs et aménagés. On cherche la force décisionnelle des habitants dans le consensus, la concertation [Mermet & Berlan-Darqué, 2009] mais c'est encore, à mon sens, une peur de certains auteurs d'entrer dans la démocratie et reconnaître une légitimité à un projet d'aménagement qu'on cherche, de toute façon, à réaliser, et dont les arguments principaux sont des retombées économiques. Retombées qui ne riment pas particulièrement avec qualité de vie de la population concernée, surtout lorsqu'elles ne la concernent pas. Un ouvrage comme Ecotourisme et gouvernance participative [Lequin M, 2001] s'avère beaucoup plus critique quand au potentiel démocratique des concertations et autres consensus et nous montre que le pouvoir potentiel de la population n'est pas forcément à lire autour d'une table lors d'un projet d'aménagement.

Si je cite ces études autour de tels projets, c'est qu'elles sont nombreuses et qu'elles constituent souvent l'ossature des rencontres entre Pouvoir et Environnement, l'émergence de tensions à propos de ce qu'il faut faire d'un espace. Mais, il n'y pas à proprement parler de projet d'aménagement en cours sur mon lieu d'étude et ce ne sont pas les débats autour d'un projet que je compte autopsier. Ces débats, qui existent ailleurs, pourront simplement me servir d'outils de comparaison avec mon cas : le plateau de Millevaches. Comment une institution donne un droit de décision à la population sur la constitution de son environnement m'intéresse moins que les façons par lesquelles, au quotidien, les habitants pourraient revendiquer le choix de leur environnement.

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Cela m'amène, magnétiquement, à considérer l'environnement comme un espace vécu. Les travaux de l'école de Berkeley et de Carl Sauer, refusant le déterminisme géographique, considéraient déjà un espace (espace souvent urbain par ailleurs) comme un lieu de vie et d'interactions. Les activités culturelles sont alors reconnues comme ayant une influence sur le paysage, l'organisation de l'espace. Ceci amène Carl Sauer à réfléchir à l'éthique de cette « mise en valeur » de l'espace sociétal [Sauer, 1956] et à une réflexion politique et culturelle de l'écologie. Avec l'apport d'une dimension psychologique, Armand Frémont va formaliser la région comme espace vécu [Frémont, 1999] ainsi que ruraliser les jeux d'acteurs et l'influence des échanges culturels. La combinaison régionale est pour lui un ensemble (écologie-économie-population-paysage) et il sera davantage question d'étudier les relations entre les composantes de l'espace plutôt que les composantes elles-mêmes. Si on conçoit l'espace comme vécu, on s'occupe alors de la manière dont les hommes évoluent dans cet espace, la manière dont ils l'intériorisent, le perçoivent, la manière dont ils font « leur » un environnement. Cette appropriation sensitive des hommes est aussi le sujet d'étude d'Yves Lüginbuhl chez lequel on peut dénoter le souci que l'agencement du paysage soit affaire de démocratie locale puisque les impacts environnementaux concerneront directement la population locale [Lüginbuhl, 1981]. Armand Frémont présentera aussi les révolutions sociales comme évènements permettant de rendre l'espace vécu.

Chez ce dernier, le monde sera abordé par sphères de connaissance : le départ de l'étude est l'habitant. Si ce ne peut être tout à fait celui de ma recherche, puisque nous commençons, quoiqu'on veuille, de notre point de vue extérieur et subjectif, avec d'emblée quelques préjugés, l'habitant est toutefois le départ de la réflexion de l'espace. Ce dernier étant compris comme « les zones d'impact d'une population ».

Evidemment, cette connaissance du monde se tisse à diverses échelles. Frémont avance que la région, espace « intermédiaire entre les lieux de l'immédiate quotidienneté et les territoires les plus lointains » est l'espace le plus intériorisé des hommes. Et le pouvoir qu'aurait la population pourrait se diffuser au travers de ces diverses échelles. Il me semble que mon échelle d'étude, le plateau de Millevaches, soit inférieure à la région de Frémont qui est organisée par le maillage des grandes villes. Il m'aurait fallu davantage étudier les déplacements vers les préfectures, vers Limoges, inclure ce maillage dans mon champ d'études pour obtenir cet espace vécu. Pour obtenir davantage de précisions sur les déclinaisons, par la population, du Pouvoir, pour pouvoir sillonner raisonnablement le terrain pendant deux à trois mois et l'aborder de façon plus complète, il me fallait concentrer sur une zone moins étendue. D'autant moins étendue que les notions que j'ai choisi d'aborder :

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l'environnement et le pouvoir, sont suffisamment vastes pour ne pas ajouter à leurs déclinaisons de trop grandes disparités intra-régionale.

Il n'empêche que le plateau de Millevaches ne se pense pas comme rattaché à des grandes villes mais comme une entité parsemée de villages, comme un centre qui ne serait pas un point mais un plan, comme un tout sans capitale, bien qu'entouré de petites villes. Ce fait n'est pas mon seul point de vue (ou celui d'habitants qui voudraient rejeter la ville), il est également souligné par Agnès Bonnaud dans sa thèse [Bonnaud, 1998]. Pour moi, il peut donc tout à fait être un espace vécu au sens d'Armand Frémont.

Sur le plateau de Millevaches (si l'on consulte le catalogue SUDOC), on trouve surtout des thèses de géographie physique qui étudient la composition du sol et du sous-sol, le granit, mais aussi quelques études, assez récentes, qui s'occupent de problème sociétaux, notamment à travers la place de la forêt dans le paysage. Parfois le penchant et le souci se tourne davantage vers le développement économique (dans Forêt et société de la montagne limousine [Beynel, 1998]) et la forêt est surtout considérée comme ressource, parfois cet espace boisé est davantage compris comme un lieu de vie que la logique industrielle peut défigurer (Le paysage, vecteur d'hybridation économique et culturelle d'un territoire [Terracol, 2009]) ou comme espace perçu différemment selon les populations -extérieures et locales, entre autres- (Perception et appréciation de l'espace forestier Le cas du plateau de Millevaches [Nasr, 2005]). Bien qu'elles se concentrent énormément sur la forêt, ces études sont les principaux travaux universitaires sur lesquels j'ai pu m'appuyer, et dont j'ai pu me servir pour compléter mes investigations.

Le plateau de Millevaches est pourtant loin d'être sous-étudié puisque les associations présentes reçoivent souvent du monde, journalistes, étudiants ou laboratoires universitaires1. Mais les résultats de ces études ne font pas forcément l'objet d'un référencement ou d'une publication accessible. Si les thèses que j'ai citées étaient bien référencées, certaines pouvaient se consulter uniquement sur place (l'une d'elles m'a été envoyée par l'auteur par la poste), ce qui, à mon sens, et quand on veut parler de pouvoir et de démocratie, représente une certaine confiscation des travaux scientifiques et pose le problème de leur accès... et de leur utilité ? On peut espérer que le développement du numérique puisse y répondre en partie.

Les journaux et autres médias locaux constitueront néanmoins de bonnes sources d'informations qui, elles aussi, pourront compléter le travail d'enquête et fournir des points de

1 Par exemple par le GEOLAB de Limoges, voir article (pp. 12-13) sur IPNS n°37 en annexe 1. Et la page 14 par-dessus le marché n'est pas du luxe !

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vue qui dépasseront le cadre forestier. Agnès Bonnaud les citera par exemple comme source de première main dans sa méthodologie.

Méthodologie et plan

Sur Millevaches, les chercheuses qui décrivent le plus leur méthodologie sont Agnès Bonnaud et Tania Nasr. Toutes deux proposent des études qualitatives parce que leur sujet s'y prête mais aussi par goût personnel et ce sera aussi mon approche. Elles ne croient pas à la possibilité de chiffrer les résultats de leurs rencontres ni à la pertinence de statistiques obtenues et prétendument objectives. Les conclusions codifiées d'une étude locale sur la gentrification par le Geolab de Limoges ont été critiquées en ce sens dans le journal local1. En particulier, parce que les sondés étaient sélectionnés et que cette sélection aurait dû apparaître comme une limite au regard de laquelle l'étude aurait pu se tourner. Selon le journal, les présupposés de l'étude, et donc le côté subjectif de l'approche, avaient été éludés. Je tâcherai d'afficher toute la partialité de mon jugement et toutes les limites de mon approche.

Agnès Bonnaud avait procédé par entretiens semi-directifs, et Tania Nasr par entretiens, ou plutôt par rencontres, non directives, sans afficher son but et laissant les gens parler. En ce qui concerne l'approche de la population, même si celle de Tania Nasr me plaît, j'ai prévu d'avance une série de questions à aborder avec chaque personne rencontrée mais sans m'obliger à ranger les propos recueillis dans une grille directive. Plutôt que de construire un échantillon représentatif de la population, j'essaie d'obtenir des discours variés, pouvant provenir d'un panel différencié d'habitants (élus, membres associatifs, retraités, chasseurs, pêcheurs, agriculteurs,...) et d'analyser les messages obtenus. Evidemment, il y a des personnes qui sont plus faciles à rencontrer que d'autres (les membres associatifs par exemple) ne serait-ce que parce qu'ils sont installés dans un local tandis qu'un agriculteur, par exemple, sera souvent aux champs. Si j'avais du faire un sondage (ou un questionnaire représentatif), il est probable que j'aurais eu toutes les difficultés à obtenir en un ou deux mois un échantillon significatif et représentatif de la population locale. Sans parler que ne vous répondent les seuls individus qui le désirent et que certains sont plus loquaces que d'autres. Et que les propos qui vous font le plus réfléchir, qui peuvent faire sauter un peu votre étude, la faire dévier, l'enrichir, ne se rangent pas forcément dans une grille et ne se résument pas. Il est même possible que je ne sache comment les utiliser dans l'étude et que j'omette de les

1 IPNS n°37, p. 14. (annexe 1) A lire sans détours.

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présenter ! Après tout, si la recherche ne peut se passer de la vie, le vécu peut se passer de la recherche...

De plus, je peux déjà m'appuyer sur nombre de données statistiques, présentes via le référencement (de l'INSEE) ou obtenues dans certains ouvrages (par exemple par la consultation de cadastres), dans celui de Christian Beynel en particulier. Bien que certaines données puissent dater de dix ans (ce qui est encore raisonnablement jeune), je préfère les utiliser et me concentrer ensuite sur mes propres observations et entretiens plutôt que de chercher à les réactualiser ou à les compléter par certains détails. Les statistiques de l'INSEE fournissent un abordage complet de la population qui me permettra certainement de la mieux caractériser que si je voulais fabriquer mon propre catalogue. Il me semble que les données chiffrées sont suffisamment présentes sans que j'aie besoin de vouloir construire les miennes à tout prix.

Les personnes rencontrées relèveront à la fois de la sélection et du hasard. La sélection pour m'assurer d'avoir des personnes de plusieurs horizons, d'associations me semblant s'enquérir de l'expression locale (parce que j'ai supposé que l'action culturelle n'était pas neutre quant au pouvoir) , et le hasard pour me permettre d'être surpris et de recueillir la parole de n'importe quel habitant croisé. S'il y a une grande utilité à avoir prévu cela ? Je ne sais pas. D'ailleurs, je m'évertuerai à mettre à mal la prévision autant que possible, en frappant aux portes (y compris d'associations) sans spécialement de rendez-vous mais parce que cela se présente en parcourant le territoire. Il se trouve que je passe par là, voyez-vous, je me suis arrêté pour vous dire bonjour. Cela peut autant laisser les personnes sans grand-chose à vous dire que leur permettre de s'exprimer sans se sentir le besoin d'une préparation à l'entretien ou d'un calcul. Battre la campagne et s'arrêter devant un étang pour casser la croûte, c'est probablement toute la base scientifique de mes propres recherches. Je pense que la méthodologie ne se construit pas spécialement dans la planification de son programme mais surtout dans l'organisation des observations, dans les projections que l'on peut tirer de certaines observations. La méthode d'Andrew Wiles pour résoudre le théorème de Fermat ne semble avoir été que l'acharnement. S'il est un protocole qui serait soi-disant la marque de la science avec ses piliers : hypothèse, expérience, conclusion, il est davantage dans la construction mentale du discours rendu, dans l'organisation de sa pensée que dans la manière de trouver des résultats. Je me garde donc bien de croire complètement à ma méthodologie. Elle est aussi la norme que la science attend.

Dans la mesure du possible, j'essaierai de joindre le regard de la population, des personnes interrogées sur mon propre discours à ce dernier. D'une part parce que mon étude

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s'adresse à elles et que si mon souci est celui que la population puisse décider de son environnement, je me dois de relater mon activité, de ne pas simplement repartir avec mon paquet sous le bras comme si les interrogés vivaient dans un zoo d'étude, d'autre part parce que cette réflexivité peut corriger ou compléter mes propos, ou leur apporter une approche plus sensible. Bien sûr, on peut continuer longtemps dans la réflexivité avec à nouveau mon regard sur leur propos et cætera et dans le rendu d'un écrit, la réflexivité aura une limite temporelle. Elle aura aussi celui du bon-vouloir des personnes à vouloir faire des commentaires. Je n'aurai donc pas tout le monde pour commenter, ni certainement le temps de chercher suffisamment de monde, puisque cela aura nécessité que je développe d'abord un discours (donc que j'aie vu au préalable beaucoup de personnes) pour pouvoir le présenter.

Il y a aussi une réflexivité induite qui se tisse entre moi et les personnes que je rencontre du simple fait de ma présence, parce que je dis quel est le sujet de mon étude, et que je croise les personnes plusieurs fois. Mon comportement comme le leur se trouve modifié par nos rencontres, mes questions comme leurs réponses, et leurs questions comme mes réponses. Puisque quand on me demande « où j'en suis », j'essaie de parler de mon plan. Dans le discours que je veux donner de la population, il y a aussi, sous une forme implicite ma propre voix, et peut-être déjà mes propres préjugés.

De plus, j'utilise le discours des médias locaux et je suis potentiellement orienté par eux, ils sont une source de données, une source d'influence, d'autant que je peux les apprécier et qu'eux aussi intègrent mon étude dans leur discours1. Cela peut rendre mes propos autant intérieur qu'extérieur au terrain, c'est non seulement l'environnement que la population vit, mais l'environnement que je vis et que je change potentiellement à mes propres yeux du fait de mon regard sur lui. La catégorisation de la méthode n'en est que plus difficile. Mais c'est parce que j'ai choisi l'erreur de me départir de l'appréhension objective plutôt que celle de me départir de l'appréhension subjective. Ou bien je n'ai pas su trouver le beurre et l'argent du beurre sur la même table. Ce qui arrive pourtant puisqu'il nous faut être raisonnables et exiger l'impossible. Dans ce cas la possession, du beurre comme de son argent, devient bien désuète...

Si j'ai pu citer, comme sources d'informations les personnes et les écrits (locaux en particulier), c'est-à-dire ce qui relève plus ou moins de la parole, du message, et s'ils forment probablement le coeur de mon étude, je ne me concentrerai pas uniquement sur leur décryptage. Les réalisations humaines, ou ce qui peut-être compris comme le résultat des

1 Ainsi j'ai pu présenter mes études et proposer un article dans IPNS. Je fais momentanément partie de mon sujet d'étude.

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actions, tout ce qui peut aussi servir à mesurer une sorte de pouvoir local, sera intégré dans mes sources. Cela sera surtout le résultat de l'observation des lieux et de la vie dans les lieux. Le paysage, par sa lecture, fournit des informations, il donne des indications sur certaines moeurs, une certaine façon de vivre, une façon dont les hommes se le sont (ou non) approprié. Cette lecture peut se faire dans la globalité comme dans les détails, dans le résultat de la composition générale du paysage : la sensation d'un environnement, ou bien dans certains indices trouvés chacun à part et qui permettent de déduire certaines formes de pouvoir.

L'immersion dans l'environnement, son parcours est souvent le premier moyen dont le visiteur appréhende le lieu (et c'est pour cela que je choisirai de commencer mon propos par ce parcours), c'est lui qui m'a fourni mes premières impressions du plateau de Millevaches, bien avant que je rencontre les habitants. Ayant souvent traversé les lieux et les connaissant avant que de vouloir faire ressortir d'eux une démonstration particulière, il est fort possible que je perde de vue ce qui fait leur originalité, les particularités qu'on pourrait trouver sur le Plateau, et lorsque je m'attache à certains détails, que je retienne surtout ceux qui tranchent avec le reste de la région (au sens large : la Creuse, la Corrèze, le Massif Central). Je m'attacherai à certains points de cassure dans le paysage, à certains éléments qui changent la statique, ou pourrait-on dire : à certains éléments dynamiques. Parce qu'ils me surprennent et parce qu'ils sont la note de certaines actions, la marque d'une culture, ils sont une modernité.

Je complèterai ma propre appréhension, mes propres préjugés par ceux d'autres personnes qui n'auraient pas forcément l'envie d'écrire un mémoire sur le Plateau de Millevaches et qui voient potentiellement les lieux d'un oeil différent. Mais que je ne me mente pas trop : c'est bien de ma petite envie que je vais partir, c'est elle que je vais retenir en priorité, piètre vision individualiste, vision tempérée par le fait que l'individu se dissout toujours dans son environnement et qu'il n'est probablement plus à chercher sur sa peau.

Si des chemins empruntés au hasard me feront bien sûr traverser des lieux, mes trajets relèveront surtout de l'utilisation des cartes IGN, ne serait-ce que pour repérer les hameaux, les tourbières, les sommets. La signalisation me poussera aussi dans certaines directions plutôt que dans d'autres (parce qu'une ferme est mentionnée sur un panneau, une chapelle, un point de vue...) : ce dernier chemin pris (contrairement au pointage sur carte) est déjà dépendant d'un discours qu'on veut servir par panneaux (à l'habitant, au touriste) et donc d'une appropriation de l'espace. Tout comme les sentiers de randonnées, balisés, que j'ai empruntés (avant et pendant l'étude) reflètent déjà une orientation. Le choix d'une destination d'après la carte IGN peut donc être soumise à davantage de hasard que la libre promenade (dont la curiosité se trouve potentiellement guidée) et la complète de manière nécessaire. Moins cadré

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(par les explications d'un prospectus, par exemple), je suis davantage porté à faire attention à ce qui m'intrigue qu'à ce que j'attends. Et il n'est pas si simple de se départir d'une valorisation de l'environnement mise en place ou par les habitants, ou par des admirateurs (ou dépréciateurs d'ailleurs) extérieurs.

Je me déplacerai aussi de trois façons différentes : à pied, en vélo, en voiture. Et selon le mode de transport choisi, le regard sur l'environnement n'est pas forcément le même, l'échelle sensible n'est pas la même. Le vécu est différent.

Comme je l'ai signalé, la progression (vécue) de l'étude commence d'abord par l'appréhension de l'environnement. C'est donc ainsi que je débuterai mon plan. Une description des lieux, mais relative à la recherche de modes de pouvoir, me semble aussi préférable pour comprendre la suite du discours. Car certains propos sont relatifs à l'environnement actuel et se comprennent mieux, à mon sens, si on a déjà une idée du territoire dans lequel on évolue. J'ai dit plus haut que le pouvoir de la population partait des personnes, que c'était elles qui appréhendaient l'environnement, leur vision qui en formait les limites ; une logique aurait très bien pu me conduire à présenter d'abord leurs discours pour ensuite me porter sur sa matérialisation. Mais j'ai choisi la logique avec laquelle j'aborde moi-même l'environnement du Plateau. Parce que les dérivations du pouvoir (perçu et vécu) sont mon objectif, il me paraît, dans le déroulement de mes propos, plus indiqué de terminer avec elles. Certes, l'ordre basique lieux-acteurs-concepts de mon plan est un peu rétrograde, surtout pour qui n'est pas un grand partisan de la norme ni ne reconnaît son existence, mais je gage que l'originalité peut se trouver parfois dans l'utilisation du classique. En tout cas, cet ordre me paraît un cheminement assez ordonné et permet de présenter les éléments du dossier de manière lisible pour la compréhension.

La première partie sera donc consacrée aux marqueurs spatiaux du pouvoir, celui qui pourrait consister en une force de domination sur la population et celui qui relève d'une action de la population. Il n'est pas inutile d'introduire un pouvoir sur l'environnement qui serait extérieur à la population pour comprendre celui qui vient des habitants. Cette première partie peut donc constituer une explicitation de la notion d'environnement, en explorer (par le biais des marqueurs spatiaux) les divers volets : paysage, nature, patrimoine, culture.

En regard, la seconde partie s'attachera, quant à elle, à décliner la notion de « pouvoir de la population ». Elle sera composée des caractéristiques des différents acteurs parmi la population, de leurs relations, de leur perception du pouvoir et de leurs formes d'actions.

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Dans la dernière, je replacerai mon étude par rapport à d'autres cas et par rapport à certains écrits sur le sujet (dont plusieurs ont été déjà cités). Cela pour poser d'autres limites à mon cas d'études et aux leviers de pouvoir que j'aurais pu présenter dans un contexte particulier. Ce sera aussi pour moi l'occasion de placer ma position parmi d'autres pour trouver une conclusion à cette étude.

Deux-mois et demi. De fin février à fin avril deux mille douze: c'est la période où je serai sur les lieux. Ce n'est pas tout à fait innocent. Outre le dernier immobilisme de l'hiver, le réveil des bourgeons avec celui de la couleur sur les joues des jeunes filles, des jeux de tous ordres qui se cherchent, c'est surtout une période de faible tourisme. Ou plutôt d'un retour estival qui ne s'est pas encore accompli. Le tourisme n'est pas une grande industrie ici. Mais je pense éviter les quelques perturbations qui lui sont dues. J'évite d'être davantage considéré comme touriste que je ne peux l'être dans mon département d'enfance.

L'espace sera celui de ceux qui restent toute l'année. Ou celui de ceux qui ne sont plus là. Les deux seront visibles : je parle au premier et le second me répond. Et on peut encore dire, que par la manipulation dont l'auteur peut user, je vais d'abord faire répondre le second, l'espace de ceux qui ne sont plus (là) pour écrire l'écho des voix qui m'ont parlé, et parmi ces voix, la mienne, quelque part, perdu dans le flou des autres et dont cette perte n'est qu'une fierté. De plus et toujours de trop.

Dans le drap blanc qu'étale la neige sur le paysage, on aimerait effacer ses empreintes et marcher toujours sans chemin. Ne rien voir, aucune indication, surtout ne pas être coupable d'avoir attenté à la beauté, cette harmonie des cristaux, comme on serait coupable de ne pas savoir répondre à regard intriguant. Et pour connaître la douceur du crime, il faut marcher avant que tout ne fonde. Alors à ce rythme, pourquoi ne pas courir ? Et se couvrir pour échapper aux languissants effluves de la douceur dans lesquels se confondent rêves et insomnies, chemin et cheminant. On va vous dire ce qu'il vous reste quand vous aurez atteint et touché cet arbre qui est votre but.

Et celle que vous voulez, elle s'engage.

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I - Les marqueurs spatiaux du pouvoir

Avant de faire un tour d'observation des éléments physiques de l'environnement, je vais déjà situer les lieux étudiés et dire de quelle façon je les ai abordés. Le territoire abordé est d'abord un territoire nommé, où je peux me rendre en demandant le nom « Plateau de Millevaches » et c'est aussi un territoire que, comme d'autres, j'appréhende, un nom qui possède ses mythes vécus.

1 - Le territoire abordé

1.1 - Un territoire nommé

Si le mot « Millevaches » a une consonance bovine, l'hypothèse la plus avancée est que le terme signifierait « mille sources », de par son origine celte batz (puis vaccas) se rapportant à cette eau qui jaillit. D'autres, en invoquant Melo vacua (moins probable), le rapportent à un lieu élevé et vide. Toujours est-il que le plateau de Millevaches est actuellement très peu peuplé (moins de 10 habitants/km2) et que moult rivières y prennent leurs sources (Vienne, Vézère, Gartempe, Corrèze, Creuse, Luzège, ...) et alimentent les bassins de la Loire et de la Dordogne.

Le plateau de Millevaches n'a évidemment pas de frontières et les délimitations varient selon l'entendement des individus. Ce n'est pas un territoire administratif et ses contours sont assez flous [Bonnaud, 1998] ; il se situe néanmoins au coeur du Limousin dont c'est le lieu le plus élevé, avec une dominante en Corrèze, une partie (la plus sujette à interprétations peut-être) dans le sud de la Creuse, et une petite extension en Haute-Vienne.

Il peut être identifié, aujourd'hui, à l'entité qui a pris son nom en 2005 : le Parc Naturel Régional (PNR) de Millevaches. Il regroupe 113 communes (aujourd'hui) et dépasse légèrement, en superficie, la moitié d'un département (=0.56 fois la Creuse). C'est une délimitation large du plateau. Elle regroupe néanmoins des communes aux caractéristiques semblables : faible démographie, altitude relative, sol plutôt pauvre. C'est un espace sans grande ville. Les trois principales du PNR sont Felletin (Creuse, 1855 hab.), Eymoutiers (Haute-Vienne, 2033 hab.) et Meymac (Corrèze, 2579 hab.)1, Meymac n'étant que la 33ème ville du Limousin. Ces trois cités se situent aux abords du PNR et ne sont absolument pas centrales au Plateau.

1 Chiffres INSEE 2009

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L'entité « Plateau de Millevaches » dans la bouche des habitants correspondrait davantage au découpage de la Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) du Limousin (carte 4 parmi les cartes de situation), c'est-à-dire la zone plane qui passe les 800 mètres d'altitude. Mais cette dénomination orale peut s'élargir et comprendre facilement le plateau de Gentioux, voire celui de La Courtine. Une étude en cours du Parc Naturel Régional tend, quant à elle, à découper le Parc en unités territoriales vécues, plus petites (donc plus nombreuses) que celles de la DREAL.

Comment, pour ma part, je me rends compte d'arriver sur le Plateau ? La route commence à s'élever, naissent les premiers virons, et la neige donne le ton blanchi à la voie pendant l'hiver. Fin février, la présence de neige au bord des routes pouvait être un bon indicateur : c'était la limite ressentie du Plateau. Ensuite, il y a tous les marqueurs spatiaux (ceux qui seront décrits par la suite) qui confirmeront cette impression. Il y a peut-être un coeur géophysique du Plateau, entre Bugeat, Peyrelevade et évidemment la commune de Millevaches mais les déplacements des personnes, les discours, obligent à prendre en compte une zone plus large qui tient davantage aux limites du PNR.

C'est cette région que je vais considérer pour mon étude. Mais elle reste vaste, difficile à appréhender complètement pour mes trois petits mois d'investigations et j'ai donc choisi de centrer mon étude sur quelques communes témoins situées à la limite des trois départements1 et qui peuvent être identifiées comme le coeur culturel du plateau de Millevaches. Ces communes sont celles de Gentioux-Pigerolles, Faux-la-Montagne, La Villedieu, Royère-de-Vassivière en Creuse, Tarnac et Peyrelevade en Corrèze, Nedde et Rempnat en Haute-Vienne (carte 1). Nombre d'entre elles se rattacheraient physiquement davantage au plateau de Gentioux qu'au plateau de Millevaches. Quand je demandais à des habitants de Gentioux ou de Rempnat s'ils se trouvaient sur le Plateau de Millevaches, ils répondaient « pas vraiment ». Le plateau de Millevaches, c'était plus haut, là où le maraîchage devient difficile. Mais je n'ai pas constaté d'existence orale au plateau de Gentioux, seulement au « Plateau » tout court qui sans l'adjonction de « Millevaches » peut permettre une identité plus large et, peut-être, plus culturelle que physique.

J'ai choisi ces communes pour leur activité associative reconnue. Faux-la-Montagne, en particulier est le siège de plusieurs mouvements alternatifs à la société de consommation. Un homme à Royère, m'a néanmoins dit que tout avait commencé sur cette dernière commune avant de se déplacer vers le sud : Faux, Gentioux ou Peyrelevade. « Tout » cela

1 Et aussi à la croisée des anciens parlers : auvergnats, bas-limousin, haut-limousin [Boudy, Caunet, Vignaud, 2009] p.18.

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signifie le dynamisme, des groupes de personnes avec la volonté pratique de sortir de la société de consommation. Ce pouvait être des soixante-huitards, mais pas seulement. Il y a donc une dénomination « Plateau » qui tient compte de la population, de son activité culturelle.

Mais que je ne me mente pas, j'ai surtout choisi ces communes parce que je les ai déjà traversées, ne serait-ce que pour me rendre chez mon oncle, parce que j'en avais déjà un aperçu, parce que je les connaissais déjà de manière lointaine et légèrement imagée. Ce sont des préjugés, une curiosité orientée, qui m'ont dirigé vers elles.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon