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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 26 : LE « SCANDALE DES GRÂCES MÉDICALES »: LE RÉCIT DES FAITS

Un détenu incarcéré aux Baumettes porte plainte le 29 mars 1982 pour escroquerie contre deux autres prisonniers à qui il aurait versé une importante somme d'argent pour obtenir une grâce médicale qui lui avait été promise (LM, 11-12/04/1982). Les deux détenus mis en cause prétendent avoir agi en qualité de rabatteurs pour le compte du Dr Colombani, médecin-chef de l'établissement, et de Me Fraticelli, avocat au barreau de Marseille. Le juge d'instruction, François Ardiet fait interpeller le 7 avril le médecin-chef de la prison des Baumettes, remis en liberté sans avoir été inculpé après trente-six heures de garde à vue. Les enquêteurs retrouvent dans des registres la trace de plusieurs dizaines de milliers de francs touchés par l'un des codétenus mais « n'excluent pas la possibilité d'une simple escroquerie entre détenus sans implication de l'administration pénitentiaire » (Libération, 13/04/1982). Le juge d'instruction fait alors placer sur écoute le 30 avril le Dr Colombani ainsi que Me Fraticelli. Vingt-trois dossiers médicaux de détenus ayant bénéficiés d'une hospitalisation extérieure voire d'une libération pour raison de santé sont saisis à la Prison hôpital des Baumettes (PHB). Réunis le 8 avril en assemblée générale, les dix-sept praticiens exerçant à la PHB, entament une grève administrative de huit jours contre « la campagne injurieuse et diffamatoire développée à l'encontre de leur médecin-chef ».

L'inspecteur général Philippe Chemithe est envoyé à cette occasion à Marseille par le ministère de la Justice afin d'établir un rapport sur cette affaire dans lequel il est question de la mort du juge Pierre Michel, abattu le 21 octobre 1981, qui enquêtait sur les trafiquants de drogue ayant bénéficié de grâces médicales suspectes (Le Quotidien de Paris, 01/07/1982). Il enquêtait notamment sur la libération de Robert Kechichian, gros bonnet de la « Sicilian Connection », dont Me Fraticelli avait obtenu la libération le 10 juillet 1981. Plusieurs faits confèrent aux événements une autre dimension. A l'automne 1982, deux anciens détenus des Baumettes portent plainte contre le Dr Colombani accusé d'avoir exercé sur eux un racket (Libération, 28/10/1982). L'un d'eux disparaît le jour de son audition par le juge d'instruction. La bataille juridique qui a lieu entre juin 1982 et février 1983 au sujet des écoutes téléphoniques entre Me Fraticelli et le Dr Colombani, considérées comme portant atteinte au secret professionnel, achève de conférer à ce sujet une audience nationale. D'instigateur, le Dr Colombani est progressivement décrit par certains journaux comme un élément qui « aurait été lui-même manipulé » dans un plus vaste trafic : « Le chute du Dr Colombani ne vise-t-elle pas en réalité, à faire tomber toute une filière dont il n'aurait été lui-même que le jouet ? » (Le Matin, 19/02/1983). En février 1983, le juge Raysseguier, chargé du dossier de Robert Kechichian, prononce un mandat d'arrêt contre le docteur Colombani, qui est interpellé le 10 février, pour « falsification et usage de documents médicaux, connivence d'évasion et trafic d'influence » (Libération, 12-13/02/1983).

C'est autour du seul cas de Robert Kechichian que se sont par conséquent établis le « scandale » et le procès des grâces médicales. Incarcéré en juin 1980 par le juge Michel, ce trafiquant de drogue déclare souffrir d'un cancer de la peau, le sarcome de Darier-Ferrand, à évolution lente mais très grave. Son médecin traitant confirme qu'il fut opéré à deux reprises d'une tumeur maligne de la paroi abdominale pouvant très probablement récidiver. Le médecin-chef des Baumettes fait alors pratiquer une biopsie qui s'avère négative. Cependant, après avis favorable du dermatologue de son service, il envoie Kechichian au Centre régional anti-cancéreux de Marseille (CRACM) pour « vérification » où, après de nombreux examens négatifs, le chef de service renvoie le 25 juin 1981 le malade aux Baumettes. Kechichian présente au juge Michel par l'intermédiaire de son avocat, Me Fraticelli, plusieurs demandes de mise en liberté.

Déjà confronté à un cas où l'expertise réalisée à Marseille avait été contredite par une contre-expertise effectuée à Fresnes, le juge Michel rejette la demande et ordonne une contre-expertise. Après une visite au CRACM où ils ne consultent pas le chef de service mais le seul dossier médical, les Dr Mariotti, médecin légiste, et Mazaud, cardiologue, certifient que Kechichian « nécessite une intervention chirurgicale [...] et des soins très spécialisés et très prolongés », cette « thérapeutique très spécialisée ne peut être mise en oeuvre à la prison hôpital des Baumettes et, de ce fait, son état de santé n'est pas compatible avec la détention ». Fort de ses conclusions, Me Fraticelli renouvelle la demande de mise en liberté le 1er juillet. Celle-ci est rejetée une nouvelle fois par le juge Michel qui décide de faire transférer Kechichian à Fresnes le 6 juillet. Mais le lendemain, lui parvient un mot du Dr Colombani lui communiquant une attestation de Solange Troisier, datée du 4 juillet 1981, dans laquelle elle s'oppose à ce transfert assurant que « Kechichian est atteint d'un cancer si grave que ses jours sont en danger » (L'Express, 21/01/1983). Le 10 juillet, le juge signe l'ordonnance de mise en liberté pour raison médicale, remettant ainsi Robert Kechichian en liberté sous contrôle judiciaire. A son retour de vacance, il apprend que Kechichian ne s'est fait hospitaliser. Il décide alors d'enquêter sur les remises en liberté pour raisons médicales jusqu'à l'apparition du scandale au printemps 1983.

L'inculpation du Dr Colombani a lieu sur le fondement d'une contre-expertise confiée à deux experts grenoblois, qui concluent à l'absence de cancer chez Kechichian. Convoqués, les deux experts marseillais affirment ne pas reconnaître le dossier médical. Certains journaux alimentent alors l'hypothèse d'un « vaste réseau de complicités » : « Des experts, des magistrats, des responsables de l'administration pénitentiaire sont aussi dans le collimateur » (Libération, 12-13/02/1983). Le juge Raysseguier procède à l'audition de Solange Troisier ainsi qu'à une perquisition à son domicile (Libération, 20/02/1983). Début mars, les deux experts marseillais sont inculpés. Une semaine après, le 16 mars, Solange Troisier est inculpée de « fabrication et usage de faux certificats médicaux ». L'inculpation du Médecin-inspecteur contribue à mettre au premier plan l'affaire des grâces médicales. « Inculpation au sommet. L'ancienne patronne de la médecine pénitentiaire, Solange Troisier, membre du Comité central du RPR est accusée d'avoir couvert la libération d'un gros bonnet de la drogue », titre L'Humanité le 17 mars 1983.

Le Médecin-inspecteur clame son innocence au cours d'une conférence de presse. N'ayant pas voulu mettre en doute les propos d'Alain Colombani, elle lui aurait fait parvenir « un papier administratif » (LF, 18/03/1983). L'ancien Médecin-inspecteur minimise en outre le rôle que sa lettre a pu avoir dans la libération de Kechichian : « C'est le juge qui est le seul maître. A lui d'ordonner expertise et contre-expertise. A lui de signer la mise en liberté ou le transfert dans un hôpital sous surveillance policière ». Le Canard enchaîné fait état dans son édition du 30 mars de lettres découvertes au domicile de Solange Troisier établissant une correspondance entre elle et Robert Kechichian après la libération de ce dernier. Tandis que l'ancien Médecin-inspecteur affirme au juge n'avoir « eu aucun contact avec Robert Kechichian » (Libération, 30/03/1983), le Pr Gisselbrecht de l'hôpital Saint-Louis affirme que Kechichian s'est présenté le 28 juillet 1981 dans son établissement pour un avis thérapeutique avec une « lettre d'introduction » signée de la main de Solange Troisier (LM, 02/04/1983). Celui-ci avait alors demandé à Solange Troisier la communication du dossier médical de Robert Kechichian avant de lui fixer un nouveau rendez-vous auquel il ne s'est jamais rendu. Solange Troisier porte plainte devant le conseil de l'Ordre contre le Pr Gisselbrecht (QDM, 4/05/1983).

Le 16 mai, lors de son audition, André Fraticelli, prétextant un malaise, prend la fuite du palais de Justice de Marseille alors qu'il était sur le point de signer son procès verbal d'accusation (Libération, 17/05/1983). Le 30 mai, le juge Raysseguier notifie à Solange Troisier un nouveau chef d'inculpation pour « corruption et trafic d'influence » (LM, 02/06/1983). Le juge d'instruction clôt le 4 août l'information estimant que suffisamment de charges pèsent contre les cinq inculpés. Il abandonne pourtant les chefs d'inculpation de « corruption » et de « trafic d'influence », aucun versement d'argent n'ayant pu être mis en évidence au cours de l'instruction, les inculpés risquant dès lors au maximum trois années d'emprisonnement (LM, 19/08/1983). Le « procès-spectacle » des grâces médicales, qualifié d'événement de la rentrée judiciaire, est annulé le 17 septembre par une décision de la Cour de cassation « dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice » (Libération, 19/09/1983). La totalité des prévenus ayant été des auxiliaires des magistrats de Marseille, la Cour donne ainsi raison à la requête en suspicion légitime déposée par Alain Colombani afin que l'affaire soit traitée par une autre instance (03/09/1983). Le procès est renvoyé devant le TGI de Versailles (Libération, 4/10/1983).

Après avoir donné plusieurs interviews à la presse, André Fraticelli se constitue prisonnier lors de l'ouverture du procès. Dans son jugement du 16 novembre 1983, le tribunal de Versailles inflige une peine de un an de prison, dont huit mois avec sursis, à André Fraticelli et Alain Colombani et six mois avec sursis à Solange Troisier et Mariotti. Mais le 21 février 1984, la Cour d'appel de Versailles prononce une relaxe générale établissant qu'en « s'opposant au transfert de Kechichian, Mme le Pr Troisier restait dans le cadre de ses fonctions ». « Il n'y pas eu d'affaire Kechichian, il n'y pas eu de trafic de grâces médicales [...] Le scandale des grâces médicales entre guillemets passe au domaine des rumeurs sans fondement ce qui ne veut pas dire qu'on ait fini d'en parler » (JT A2, 20H, 21/02/1984). « Le dossier de cette affaire est donc définitivement clos : le scandale des "grâces médicales" n'a pas existé, et Robert Kechichian a quitté la prison des Baumettes en 1981 le plus légalement du monde », constate Le Monde le 23 février. « Il n'y a plus de scandale » pour France-Soir, de même pour Le Figaro qui y voit « un désaveu absolu des thèses de l'accusation ». « Les grâces médicales n'étaient donc qu'une mince et vulgaire sardine qui bouchait le port », ironise Patrice Carmouze dans Le Quotidien du médecin.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault