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La maternité dans la création contemporaine, de la révolution sexuelle à nos jours


par Jennifer FEVRIER
UFR des Sciences Historiques, Université de Strasbourg - Master 2 Histoire de l'Art 2012
  

Disponible en mode multipage

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Institut d'Histoire de l'Art

UFR des Sciences Historiques

Université de Strasbourg

La représentation de la

maternité dans la création

contemporaine : de la

libération sexuelle à nos jours

Mémoire de Master 2

Sous la direction de Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

Juin 2012

2

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Table des matières

Remerciements 5

Avant-propos 6

Introduction 7

I. De l'histoire de la maternité: la spécificité française 10

A. XVIIIe siècle : l'Emile ou l'appel à la maternité 10

B. Fin XIXe - début XXe : l'émergence d'une conscience politique féminine - première vague de

féminisme

2nde

C. L'après Guerre Mondiale: la deuxième vague du féminisme

11

15

 

1.

La libre disposition de son corps

15

 

2.

Histoire de la contraception

17

 

3.

Maternité : affaire privée, affaire publique.

19

 

4.

Les opposants

20

 

5.

Une lutte de femmes pour les femmes

22

II.

Maternité et féminisme en art

23

A.

 

La seconde vague féministe

23

 

1.

Plus fortes ensembles

23

 

2.

Nouvelle esthétique au féminin

24

 

B.

 

De la question de la maternité au sein des mouvements féministes

26

 

1.

Les artistes révélées par la maternité

27

 

2.

Le féminisme essentialiste

30

 

3.

Le féminisme égalitaire

32

 

4.

Contre le principe « Kinde, Küche, Kirche »

34

 

C.

 

La psychanalyse et la maternité: la femme nécessairement mère

40

 

1.

La théorie de la féminité selon Freud

41

 

2.

Selon Lacan via Dolto :

43

 

3.

La mère dévorante :

44

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3

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

III.

A.

 

Maternités divines

Désacralisation du symbole de la Vierge Marie

46

46

 

1.

Le Verbe : véritable incarnation

47

 

2.

Faire la lumière sur la parturition de la Vierge

49

 

3.

Si Marie était une mère comme les autres

53

 

4.

Redonner corps à l'Immaculée Conception

55

 

B.

 

Déesses-mères

58

 

1.

Déesse et terre-mère : le retour à l'origine

58

 

2.

Créatrice cosmogonique

62

 

3.

Parallèle mythe créateur et artiste-femme

67

 

4.

Le matriarcat comme héritage féminin

68

IV.

 

« Notre corps, nous-mêmes »

71

A.

 

Réinvestir le corps

71

 

1.

Le sexe

72

 

2.

Le sein

76

 

3.

Le ventre

83

 

4.

Fluides féminins: le sang et les menstruations

86

 

B.

 

L'expérience de la maternité: le corps de la création au féminin

94

 

1.

L'avortement

94

 

2.

La naissance: l'élan vers la vie, mais le début du chemin vers la mort

100

 

3.

L'accouchement

102

 

V.

Le corps de la mère disparaissant: la parentalité ubiquiste

107

A.

 

La reconquête du corps

107

 

1.

La science vs le corps féminin

107

 

2.

Réalisme et hyperréalisme

114

 

3.

Du « penis envy» à « l'uterus envy »

118

 

B.

 

La perte du corps: virtualisation et désacralisation de la reproduction

121

 

1.

Virtualisation : la « société utérus »

121

 

2.

La glaciation du corps

123

 

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La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

C. La maternité au XXIe siècle : « Demain les post-humains » 127

1. Du miracle de la vie au monstre de la science 127

2. Libération du corps-fardeau? 132

3. L'art contemporain au risque du clonage 133

4. Vers un nouveau corps-objet: poursuite du combat féministe 135

Conclusion 137

Bibliographie 138

A. Ouvrages généraux 138

B. Ouvrages collectifs 141

C. Travaux universitaires 142

D. Monographies 143

E. Catalogues d'expositions 144

1. Personnelles 144

2. Collectives 145

F. Articles 147

G. Films 148

H. Entretien non publié 149

I. Sites internet 149

4

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La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Remerciements

Je tiens tout d'abord à remercier Mme Valérie Da Costa, critique d'art et maître de conférences à l'Université de Strasbourg, pour son suivi ainsi que ses conseils qui m'auront permis l'élaboration de ce mémoire.

Je souhaite remercier Anna'r, retraitée énergique de l'Education Nationale, signataire du manifeste des 343 et militante active pour les droits des femmes, de m'avoir accordé de son temps et ainsi de partager avec moi son histoire.

J'adresse également mes plus vifs remerciements à l'équipe de la bibliothèque des Arts, Mme Anne Costa, Mme Nicole Krieger, Mme Christiane Ehrhart et Mr Stéphane Rehlinger, pour m'avoir guidé des mes recherches.

Mes derniers remerciements iront à ma famille, et plus particulièrement à mon mari et mes fils, Noah et Léoh, pour m'avoir soutenu et encouragé ainsi que de m'avoir orienté vers ce sujet en me faisant connaître l'expérience de la maternité.

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La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Avant-propos

Mon orientation vers le sujet de la maternité dans la création artistique est tout d'abord partie d'un constat personnel. Après la naissance de mon premier fils, je ne me sentais pas en adéquation avec les images de béatitude que véhiculait la société. Je me suis naturellement posée la question de savoir comment les artistes - femmes avaient pu exprimer plastiquement leur rapport à la maternité, comment elles avaient pu la traduire.

Au commencement de mes recherches, je me suis aperçue du nombre conséquent d'ouvrages qui traitent de la maternité en art, mais sur un mode tout aussi sacralisant que ce qui m'avait mis sur la voie de ce sujet. En me penchant sur la période de l'après seconde guerre mondiale, j'ai remarqué que les représentations de la maternité évoluaient, en regard des mouvements de contestation, et notamment avec les mouvements féministes. Cependant, le sujet même de la maternité reste souvent caché par la lutte féministe, et se trouve traité de façon fragmentaire au sein des ouvrages. En prenant comme base l'histoire de la maternité, qui ne peut être dissociée de l'histoire des femmes, j'ai voulu voir comment ont évolué les acquis mis en place par les luttes féministes. Le parallèle est toujours fait entre système de l'art et histoire.

Le corps est le point de départ de l'idée de ce mémoire, et aucun ouvrage ne fait état de l'évolution de la représentation de la maternité dans la création artistique en regard des avancées sociologiques, de la légalisation de l'avortement jusqu'au clonage. C'est donc une réflexion sur le corps de la femme qui est à l'origine de mes recherches.

Pour l'élaboration du mémoire, j'ai rencontré certaines difficultés pour accéder aux ouvrages de référence. En effet, pour la période de la libération sexuelle, il existe encore peu de catalogues faisant état des différentes expositions qu'il y a pu y avoir. Cela s'explique par le fait que les musées n'exposaient que très rarement des artistes femmes, et que les collectifs féministes créés pour promouvoir la création féminine ne disposaient pas de moyens pour la diffusion. De plus, la période choisie étant très contemporaine et l'évolution du sujet étant rapide, de nombreuses études n'ont pas encore étaient réalisées ou ne sont pas encore publiées.

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La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Introduction

La représentation de la maternité fait partie des sujets les plus anciens et les plus récurrents. De la Vénus de Willendorf aux Maternités d'Eugène Carrière, en passant par les nombreuses images de la Vierge à l'Enfant, elle idéalise le pouvoir fécond des femmes et sacralise les vertus maternelles de la tendresse. Cependant, un changement s'opère après la seconde guerre mondiale. Il se traduit par une prise de conscience sociale des femmes de la domination masculine de leur sexe par le truchement de leur fonction biologique. Cette prise de conscience, et les luttes qui en découleront, auront des répercutions sans précédent, au sein de la société, en politique et artistiquement.

Le point d'ancrage historique et social choisit pour l'élaboration de ce mémoire est la création de l'association Maternité Heureuse en 1956 par Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé. A partir du constat établi par ce docteur sur le fléau que pouvait représenter la maternité (abandons d'enfants, infanticides, avortements clandestins potentiellement mortels), la création de ce qui deviendra le Planning familial constitue le premier acte conséquent dans la lutte des droits des femmes de pouvoir disposer librement de leur corps. Il faut attendre une décennie pour trouver le point d'ancrage artistique : en 1966, Niki de Saint-Phalle présente La Hon au Moderna Museet de Stockholm. Cette immense nana, lieu d'exposition dans l'espace d'exposition, surgit au sein de ce musée comme un symbole de convergence de la maternité, des luttes des femmes et du monde artistique. En effet, cette sculpture est présentée dans un pays bien plus en avance en matière de droits des femmes que la France. Par exemple, l'avortement y est légalisé en 1935, le birth-control et l'éducation sexuelle sont largement diffusés. Artistiquement parlant, il était encore très rare, en France et aux USA, d'exposer une femme seule, surtout avec un sujet si féminin d'une grande déesse enceinte.

Cependant, les deux pôles retenus pour traiter ce sujet de la maternité en arts sont la France et les Etats-Unis. Ce choix s'explique par l'histoire particulière qui accompagne ses deux pays : de nombreux ouvrages traitent de l'histoire de la maternité par l'exemple français, notamment L'Amour en plus d'Elisabeth Badinter. La spécificité française se retrouve également dans la

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La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

bataille afin de disposer librement de son corps, qui est là aussi bien renseignée en termes de sources. Les Etats-Unis auront une histoire sociale du mouvement de libération des femmes différente et plus disparate : la lutte est souvent rapprochée des combats anti-discriminations envers les minorités (ethniques et sexuelles). La grandeur du territoire et la constitution en états du pays ne favorisaient pas l'uniformité des luttes. Seulement en matière d'engagement féministe en art et dans la dénonciation du système phallocrate de l'art, les artistes américaines seront plus nombreuses et plus virulentes qu'en France, où la constitution de collectifs artistiques féminins est plus tardive.

Le thème de la maternité est vaste. Il englobe tout autant les sciences historiques que sociales, psychologiques, médicales ou biologiques. Ces disciplines se retrouvent par la suite dans les démarches artistiques des artistes. Pour ce mémoire, la notion de maternité doit être perçue avec un sens assez large : il ne s'arrête pas à l'enfantement et à l'éducation des enfants, mais réunit tout ce qui est en lien avec la maternité, en termes de corporéité, c'est-à-dire les menstruations ou l'interruption d'une grossesse par exemple. Ce qui tend à être développé au sein de ce travail, c'est l'expérience de la maternité en termes de subjectivité. Cette notion autobiographique se développe très rapidement dans le domaine artistique, notamment avec l'art dit féministe. L'émergence de l'art corporel sera également un facteur déterminant dans le traitement du thème de la maternité. Même si les artistes ne se revendiquent pas du mouvement féministe, si elles renient farouchement tout lien avec ce dernier, il n'en reste pas moins qu'elles s'en trouvent touchées par les interrogations développées. La maternité se pose comme questionnement à toute femme à un certain moment de sa vie, que cela soit pour écouter son désir de vivre la maternité ou que ce soit pour choisir de ne pas avoir d'enfants.

Le féminisme tient une part importante dans mon travail, de par l'importance des questionnements entrepris, en matière sociale ou artistique. Cependant, son importance doit être considérée comme base pour l'évolution de la notion de maternité par après. C'est l'idée de la libre disposition de son corps, vue sous l'insigne de la maternité, qui doit être perçue comme le prisme de ce mémoire. C'est cette idée qui traversera quarante ans de création artistiques, en regard des évolutions de la société, des luttes féministes à la procréation médicalement assistée.

En tenant compte de l'histoire singulière des femmes et de l'oppression subie de par leur sexe, il était important de faire le constat des répercutions que la libération sexuelle entraina dans la représentation de la maternité au sein du domaine artistique. Puis, avec l'évolution fulgurante

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de la libération sexuelle à nos jours

de la science qui se jouait en parallèle, il était nécessaire de vérifier si les droits acquis par les mouvements féministes, afin de disposer de son corps et de pouvoir choisir sa maternité, se pérennisaient ou périclitaient, au travers du regard des artistes.

Pour comprendre l'importance de la question de la représentation de la maternité dans le domaine de la création à partir de la libération sexuelle, il était nécessaire de revenir sur les dates qui ont jalonné l'histoire de la maternité, en mettant en avant l'exemple français (partie I), pour ensuite comprendre l'importance du développement du féminisme, que ce soit en art ou sur la scène sociale (partie II). Libérées des tabous de la maternité comme destin, les artistes vont réinvestir l'histoire, en s'attaquant aux représentations des maternités dites divines, pour les désacraliser ou pour se situer dans leurs généalogies (partie III). Les attributs et l'expérience liés à la maternité vont être déconstruits par les artistes afin de se les réapproprier (partie IV). Enfin, le constat sera fait en termes d'évolution du droit de disposer de son corps, maternel, aux vues des avancées scientifiques toujours plus poussées (partie V).

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I. De l'histoire de la maternité : la

spécificité française

A. XVIIIe siècle : l'Emile ou l'appel à la maternité

C'est à partir du XVIIIe siècle que vont être développées des conceptions nouvelles de la maternité et que celle-ci va être théorisée. Auparavant, le rôle des femmes ne se cantonnait pas à faire des enfants, la plupart travaillaient auprès de leurs maris, d'autres paradaient en société. La place de l'enfant au sein du couple est alors minime, et cela s'explique par différentes raisons. Tout d'abord, le très fort taux de mortalité infantile ne permettait pas l'attachement à l'enfant. Ensuite, il était d'usage, très souvent, de placer le nourrisson chez une nourrice mercenaire dès ses premières heures, et cela jusqu'à l'âge de quatre ans en général1. Lorsque l'enfant survivait jusqu'à cet âge, il revenait alors chez ses parents, pour une durée assez courte car les garçons étaient envoyés au collège, le plus souvent en pension, et les filles, elles, rejoignaient le couvent. Pour les classes les plus défavorisées, l'enfant représentait un poids pour la famille, une bouche de plus à nourrir. Il fallait également penser à une dot lorsqu'il s'agissait d'une fille. Le plus souvent donc l'enfant est ressenti comme une gêne nécessaire, dans l'idée de filiation et de perpétuation du nom par exemple. La question de la maternité était naturelle, il s'agissait d'une suite logique qui venait après le mariage. Comme le souligne Elisabeth Badinter, le choix d'avoir des enfants ne se posait pas. La reproduction était à la fois un instinct2, un devoir religieux mais également une nécessité à la survie de l'espèce. C'était alors pour les familles, officiellement, une bénédiction de Dieu, mais aussi une plaie officieuse pour les plus modestes. Cela n'exclut en rien l'amour, mais c'était une valeur réservée souvent aux plus aisés ou un sentiment d'ordre plus religieux.

1 Selon Badinter, Elisabeth, L'amour en plus : histoire de l'amour maternel, XVII-XXe siècle, Flammarion, Paris, 1980

2 Le même instinct maternel qui fera polémique dans les années 1970

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Au XVIIIe siècle se produisit par ailleurs un changement : la philosophie des Lumières se pencha sur la question de la maternité, en termes d'amour maternel et d'éducation. Une date qui marque le changement de regard sur la maternité est retenue dans l'ouvrage de Philippe Ariès, l'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien régime3, il s'agit de 1760. C'est à partir de ce moment qu'apparaissent des ouvrages développant les sentiments parentaux et appuyant l'idée de l'amour maternel plus particulièrement. L'ouvrage qui fera date et qui marque l'émergence d'une nouvelle considération de l'enfant est l'Emile de Jean-Jacques Rousseau en 1762. Il y expose ses principes d'éducation visant à considérer l'enfant en dehors des préoccupations d'adultes et en y apposant ses idées de nature. Il préconise par exemple l'allaitement maternel, ce qui va à l'encontre de l'usage très rependue des nourrices puisqu'il faut garder l'enfant auprès de soi. Les médecins appuyèrent ce point de vue, dans l'optique de réduire le taux de mortalité infantile. La préoccupation et le développement d'un amour ou instinct maternel émergent donc à cette période, forçant dans un certain sens l'affection maternelle et théorisant de manière moderne le rôle de la mère vis-à-vis de ses enfants, offrant un point d'ancrage à l'aliénation maternelle.

B. Fin XIXe - début XXe : l'émergence d'une conscience politique féminine - première vague de féminisme

Entre autre chose, c'est l'apparition d'un nouveau statut de l'enfant, acquis avec le triomphe de la pensée rousseauiste, qui va amener les femmes à reconsidérer la maternité. En effet, la mère va acquérir le rôle de nourrice et d'éducatrice, rôles auparavant délégués aux nourrices mercenaires et aux précepteurs. Les premières revendications féministes découleront de ce nouveau statut de la femme, qui n'est plus vue comme la génitrice, mais comme l'élément incontournable de l'éducation des hommes.

Au bout d'un siècle de valorisation du sentiment maternel et d'un développement de la place de l'enfant au sein du couple et de la société, celui-ci allant à l'encontre de la liberté de la mère,

3 Philippe Ariès, L'Enfant et la vie familiale sous l'ancien régime, Paris, Editions Du Seuil, 1975 cité par Elisabeth Badinter dans L'Amour en plus.

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les femmes vont émettre des volontés liées à leur nouveau statut d'éducatrice. Ces demandes auront pour but de protéger leur maternité, mais on peut y voir explicitement une volonté d'émancipation, grâce à leur fonction biologique si importante aux yeux des théoriciens. Les femmes ont alors compris l'importance de leur maternité et les féministes qui apparaissent à cette période vont revendiquer la maternité comme une haute fonction sociale. Ces dernières vont mettre en avant l'activité maternelle non comme découlant de leur fonction biologique, mais s'apparentant à un véritable travail.

Ce travail était tout d'abord d'ordre moral : les femmes faisaient naître et éduquaient les citoyens de demain, elles revendiquaient donc un travail « dont dépendait l'avenir de la Nation4. » Elles réclamaient notamment le droit à l'instruction, afin de mieux assumer leur rôle d'éducatrice auprès de leurs enfants. Elles demandaient également l'accession à des professions mieux payées et mieux considérées sous le postulat de la maternité « spirituelle » ou « sociale » comme l'enseignement, qui mettait en avant les valeurs d'éducatrices. Il y avait aussi les professions médicales qui relevaient des vertus de soins prodigués aux enfants. « Il n'y a pas de travail plus productif que celui de la mère- puisque c'est la mère qui élabore seule cette valeur par excellence, cette valeur pensante et agissante qui s'appelle être humain5 », voila comment les féministes percevaient leur rôle vis-à-vis des enfants, en montrant l'importance de leur mission et de leurs bienfaits pour l'Etat. Il allait en découler par la suite la revendication des propres droits de citoyenneté « en se fondant sur leur propre nature, qu'elles concevaient comme une contribution unique à la société6. » La politisation du mouvement prend corps en 1885 avec Hubertine Auclert qui se présenta illégalement aux élections législatives avec comme programme l'instauration d'un « Etat-mère », qui viendrait en aide aux enfants et aux femmes. Elle plaida pour des allocations maternités et un peu plus tard pour que les mères soient rémunérées pour « services indispensables rendus à l'Etat ». Le début du féminisme avec les premières revendications politiques s'étendra dans toute l'Europe. Mais c'est en France que les idées et les propositions furent les plus avancées et les plus diverses.

4 Knibiehler, Yvonne, Histoire des mères : du Moyen âge à nos jours, Hachette, Paris, 1982, p.88

5 Kâthe Schirmacher lors d'une réunion publique, Duby, Georges, Histoire des femmes en Occident, tome 5 : le XXe siècle, Plon, Paris, 1992, p.395

6 Op. Cit. p.392

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Nelly Roussel qui appelait à une « grève des ventres » soulignait que « de toutes les fonctions sociales, la première, la plus magnifique, la plus pénible et la plus nécessaire est la seule à n'avoir jamais reçu de salaire7.» La question d'un salaire maternel était posée, mais aussi vivement contestée, les détracteurs affirmant que la maternité était une responsabilité individuelle ou familiale, et non pas sociale. La valorisation économique de la maternité aboutira entre le début de la première guerre mondiale et la fin de la seconde guerre mondiale selon les pays. En France, l'allocation maternelle entra en vigueur en 1932.

A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les féministes défendaient leurs idées contre les pronatalistes. En effet, pour obtenir gain de cause, les plus radicales appelèrent à la « grève des ventres ». Les féministes savaient cette menace redoutable surtout depuis que les taux de fécondité étaient en déclin depuis la défaite des troupes françaises devant une Allemagne très peuplée en 1871. La politique nataliste ne désirait pas voir leur main d'oeuvre mais surtout leur effectif de « chair à canon » diminuer aux vues d'une prochaine guerre. En effet, la taille de la population participait à la fierté ainsi qu'à la puissance de la nation. C'est à partir de cette prise de conscience, qui s'effectua dans toute l'Europe, que sera mis en place les politiques de protection de l'enfant, que l'on étudiera de plus près le taux de mortalité infantile et maternel. Les avancées ne sont donc pas liées à une certaine empathie des pouvoirs étatiques envers la population féminine, mais partent d'une notion de grandeur nationale et d'hégémonie européenne. Ce sont donc des politiques divergentes qui amenèrent à la protection de la maternité : les féministes pour protéger les femmes et aller vers l'indépendance ainsi que les états pour inciter les couples à faire des enfants par une politique pronataliste. Cette dualité, sorte de donnant-donnant, est révélée par la phrase de Maria Martin, rédactrice du Journal des femmes, « si vous voulez des enfants, apprenez à honorer les mères » en 1896, apostrophant la politique pronataliste d'après-guerre. Après la première guerre mondiale, la politique nataliste va s'accroitre, car après un fleurissement des naissances juste après la guerre, le déclin des naissances s'accéléra. A partir de ce moment, les objectifs féministes et pronatalistes vont se rejoindre dans les solutions à apporter pour régler le problème de la croissance démographique, même si les intentions divergent encore. Les féministes travaillent à la protection des mères, les natalistes se servent de la protection des mères pour assurer la grandeur de la nation.

7 Op. Cit. p.386

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L'industrialisation va également engendrer la question fondamentale de la régulation des naissances et la protection des mères. Le besoin de main d'oeuvre fait que beaucoup de femmes travaillaient et ne pouvaient pas s'arrêter pour leur grossesse sous peine de perdre leur travail et le salaire qui allait de pair. Les féministes formulèrent alors leur voeu d'un congé maternité, afin que ces femmes puissent prendre le temps d'accoucher et de récupérer de l'accouchement, avant de reprendre le travail. Il était question également de l'allocation maternité pour ces femmes qui effectuaient des doubles journées : en effectuant leur travail à l'usine, par exemple, puis leur travail domestique.

Ce qui pouvait apparaitre comme une formidable avancée était cependant sujet à contestation : les femmes réclamaient que cette loi s'applique à tous les domaines professionnels. Mais ce qui rebuta certaines féministes, c'est qu'une assurance maternité assimilait grossesse et maladie. On constate un écart flagrant entre le discours nataliste des politiques, qui font de l'enfantement un devoir, et leur déni pour reconnaitre et donner des droits aux femmes, afin d'assurer leur sécurité et leur santé ainsi que celle de l'enfant, qui ne faisait pas le poids face aux problématiques capitalistes. On remarque cela dans le discours des femmes contre ces projets de rémunérations ou d'aides aux mères. Certaines, comme Maria Lischnewska, soutenaient que le travail ménager était improductif et parlaient de la ménagère qui ne travaillait pas comme d'une consommatrice uniquement, entretenue et surtout « sans valeur pour l'économie nationale. » Une aide, sous quelques noms qu'elle prenne, était perçue négativement, car elle rendait, supposément, les femmes moins compétitives, et renforçait certains préjugés qui assimilaient maternité avec faiblesse des femmes.

En France, il faut attendre la loi Engerand de 1909 pour garantir leur emploi aux femmes qui s'absentaient pour maternité, pour une durée de huit semaines après l'accouchement. Mais c'est en 1913, avec la loi Strauss que le congé maternité fut réellement instauré, en prévoyant une allocation pour certaines catégories professionnelles de femmes. Là où les féministes concentraient leur colère, c'est que ces allocations étaient versées au père, ce qui faisait des épouses de « simples appendices de leurs maris8. » On voit donc l'apparition d'une demande égalitaire.

8 Duby, Georges, Histoire des femmes en Occident, tome 5 : le XXe siècle, Plon, Paris, 1992, p.403

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Car même si l'égalité entre les hommes et les femmes n'était pas encore perçue comme la revendication ultime, la critique des valeurs sociétales masculines se mettait en place. Käthe Schirmacher l'énonça en ces termes « nous vivons dans un monde hoministe, créé par l'homme, pour l'homme, au point de vue de l'homme et pour ses fins. Dans cette création qu'il a faite à son image, l'homme s'est aussi considéré comme la mesure de tout. Il fallait être son pareil pour être son égal, faire ce qu'il faisait pour avoir droit à son respect. Pour lui, l'identité seule du travail en établissait aussi l'équivalence. Dans le travail de la femme, il a vu non un service mais une infériorité9. » C'est alors le prémice du féminisme de l'égalité, qui sera à son apogée à la fin des années 1970.

C. L'après 2nde Guerre Mondiale : la deuxième vague du féminisme

1. La libre disposition de son corps

Après la seconde guerre mondiale, les femmes avaient acquis une certaine clairvoyance par rapport à la différence entre les hommes et les femmes. Elles avaient remplacé les hommes dans de nombreux domaines lorsque ces derniers se trouvaient au front, et se sont même illustrées dans les rangs de la résistance. Cette guerre n'arrêta en rien le développement des idées d'égalitarisme, mais il fallut attendre les années 1960 pour que ces principes aient publicité. Entre temps, le baby-boom fit retourner les femmes dans leurs maisons. La politique nataliste des années d'avant-guerre était toujours tenace, la propagande anti-nataliste avait été interdite, la loi anti-avortement avait continué à être sévèrement appliquée, comme le cas de Marie-Louise Giraud10 qui fut guillotinée en 1943 pour avoir pratiqué des avortements.

En 1949, un pavé est jeté dans la mare avec l'ouvrage de Simone De Beauvoir, Le Deuxième Sexe. En effet, l'auteur revient longuement sur la maternité comme principe même de la domination masculine. Pour elle, l'émancipation des femmes ne peut se faire sans le refus de la maternité.

9 Op.Cit, p.393

10 Une affaire de femme, film de Claude Chabrol, MK2 Diffusion, 21 septembre 1988

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C'est par la revendication du droit à avoir des enfants, et non plus selon le hasard de la nature, que va se mettre en place la révolution sexuelle des années soixante. Ces revendications allaient dans le prolongement des demandes des feministes maternalistes, puisqu'il s'agissait d'avoir droit à la dignité en étant mère, et de ne plus vivre cette expérience au même titre que des animaux au gré des cycles. La lutte pour avoir le choix d'avoir des enfants va émerger de la lutte pour l'avortement. Car même si la loi de 1920, qui sera renforcée sous le gouvernement du maréchal Pétain en devenant un crime contre la sûreté de l'État, l'avortement était une pratique répandue, et cela dans toutes les couches sociales. Les conditions dans lesquelles étaient réalisées ses interruptions de grossesses étaient archaïques, s'apparentant à du « bricolage11 », et beaucoup de femmes mourraient des suites d'un avortement. Aux avortements s'ajoutent également une détresse des familles de plus en plus grande, et qui est évoquée par le docteur Lagroua Weill-Hallé12. C'est l'infanticide faute de soins.

Par ce double constat, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé créa, le 8 mars 1956, l'association Maternité Heureuse dans la quasi-clandestinité, mais aidée par Evelyne Sullerot. Le mouvement devait s'appeler Maternité Volontaire, ce que Mme Lagroua Weill-Hallé trouva trop révolutionnaire voire même trop provocateur, surtout que la loi de 1920 était réaffirmée par le décret du 11 mai 1955.

« Maternité Heureuse » : accolés, ces deux mots supposaient que la maternité n'était pas toujours heureuse, contrairement aux idées reçues ou véhiculées. C'était alors déjà revendiquer implicitement le droit à accéder à une maternité heureuse, avec l'idée de la choisir. L'idée de cette association ne vint pas spontanément à cette jeune gynécologue. Pendant son internat, elle fut scandalisée du sort réservé aux femmes qui s'étaient provoqué des avortements. Elles recevaient comme punition des curetages à vif. Les médecins les insultaient pendant les soins pour « leur passer l'envie de recommencer13. » En 1947, elle fit un voyage aux Etats-Unis pendant lequel elle rencontra Margaret Sanger et visita les cliniques de birth-control14. A son

11 Selon les propos d'Anna'r

12 Dans une communication faite le 5 mars 1955 devant les membres de l'Académie des sciences morales et politiques, parlant d'un procés d'assises ayant condamné un couple attendant leur cinquième enfant et ayant laissé mourir leur quatrième enfant faute de soins.

13Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.26

14 Qui avaient ouvert depuis 1916 aux Etats-Unis

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retour, elle entama son combat afin de faire avancer la cause des femmes. A partir de ce moment, ce qui était une affaire privée, la maternité, devint une affaire publique.

Alors que dans les pays du nord de l'Europe, le « birth-control » est d'actualité avant la guerre, comme en Suède où l'avortement est légalisé, le birth control ainsi que l'éducation sexuelle largement diffusés, il faudra attendre la fin des années cinquante pour que s'éveille une prise de conscience en France. Au Danemark, c'est en 1878 que le premier dispensaire fut ouvert et où des sages-femmes enseignaient l'usage des contraceptifs. A New-York, Margaret Sanger fonda la National Birth Control League en 1915. En Angleterre, il fallut attendre 1921.

En parallèle de l'apparition de l'association Maternité Heureuse, Jacques Derogy fit paraitre Des enfants malgrè nous en 1956 dans lequel il reprend les éléments de l'enquête qu'il entreprit en tant que journaliste. Dans cet ouvrage, il dénonçait avec d'horrifiantes précisions les avortements clandestins, comme un fléau silencieux touchant toute la population.

La France, par sa forte empreinte catholique et sa loi de 1920, sera en retard dans les programmes de planification des naissances. Après la seconde guerre mondiale, les hommes politiques appliquent encore la politique nataliste du général Pétain. Celui-même qui avait instauré la « fête des mères » pour valoriser la destinée procréatrice de la femme.

2. Histoire de la contraception

Au début du XXe siècle, après les différentes guerres et les poussées démographiques qui les suivent, les craintes énoncées par Thomas Malthus15 en 1798 se font plus fortes, notamment concernant le développement économique et la peur du chômage. Seulement, le néo-malthusianisme qui se développe ne prône nullement le mariage tardif ou la chasteté, mais de nouveaux principes tels que l'épanouissement des femmes, la réduction des avortements dangereux et l'épanouissement des couples. Il y a donc l'apparition d'une volonté d'une

15 Thomas Malthus, An Essay on the Principle of Population (Essai sur le principe de population), 1798, préconisait le mariage tardif ou l'abstinence afin de réduire l'excédent de population et la surpopulation qui entrainerait la perte des pays

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sexualité épanouie et non d'une sexualité reproductive. Certains politiciens se rattachent ainsi aux idées de l'économiste britannique Thomas Malthus.

Le néo-malthusianisme qui se développe alors rejoint les revendications de certains théoriciens anarchistes comme Paul Robin16 ou le journaliste Octave Mirbeau. Il ne faut pas produire de la chair à canon pour les différentes guerres ou encore de la main d'oeuvre peu chère en abondance exploitée par les patrons ni même de la « chair à plaisir » qui alimente la prostitution. Ils demandent alors « la grève des ventres ». Dans cette lutte, on peut nommer une femme, Jeanne Humbert, qui militera pour la contraception et l'avortement en créant Génération Consciente avec son mari. Ces revendications seront freinées par la loi de 1920 réprimant la complicité et la provocation à l'avortement ainsi que toute propagande anticonceptionnelle, et assimile entre autre l'avortement à la contraception.

La commercialisation de la pilule contraceptive datant des années 1960, les recherches pour parvenir à un contrôle hormonal de la reproduction datent elles, du début du XXe siècle. C'est tout d'abord en Allemagne, dans les années vingt que naissent les premiers essais, mais c'est aux Etats-Unis que la pilule fut mise au point. En effet, Grégory Pincus, biochimiste à la Worcester Foundation, travaillait à l'époque sur la fécondation des mammifères. Il fut quelque peu poussé par deux femmes, Elisabeth McCormick ainsi que Margaret Sanger, présidente de l'international Planned Parenhood Foundation, qui lui octroient cinquante milles dollars pour ses recherches. C'est en 1955 qu'il reussira à synthétiser la progesterone, dont on connaissait le pouvoir inhibiteur d'implantation des oeufs dans l'utérus. Il faudra attendre l'année 1960 pour que la Food and Drug Administration autorise officiellement l'utilisation de ce « contraceptif », avec cependant une restriction : ne pas l'utiliser pendant une période supérieure à deux ans, en raison des zones d'ombres sur les possibles effets secondaires (stérilité, cancer...).

Par ailleurs, une polémique enfla par la suite sur la manière dont cette première pilule fut testée. Ce sont des femmes portoricaines qui ont constitué le panel de cette étude, une population pauvre dont on voulait, pense-t-on, limiter les naissances.

16 Pédagogue français, il Fonda la Ligue française pour la régénération humaine

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La pilule fait son apparition en Europe très discrètement en 1961. Elle ne sera autorisée en France qu'à partir de 1967 avec la loi Neuwirth, mais avec parcimonie et seulement aux femmes mariées ayant déjà eu des enfants et ayant des problèmes menstruels.

Cependant, en parallèle de la pilule, la Mouvement Français pour le Planning Familial informe également sur la possibilité de l'usage du diaphragme et du stérilet notamment.

3. Maternité : affaire privée, affaire publique.

Les médias ont joué un rôle considérable dans l'exposition de ce problème de la maternité. C'est surtout la presse de gauche qui accordera une grande importance à la sensibilisation au contrôle des naissances dans ses pages. Libération, par exemple, publia l'enquête de Jacques Derogy mais on peut citer l'Express également. C'est d'ailleurs un journal, le Nouvel Observateur, qui publiera dans ses colonnes le célèbre Manifeste des 343 le 5 avril 1971. Il s'agissait, par l'intermédiaire des médias, de faciliter le passage de ces divers questionnements sur la condition féminine de la sphère privée à la sphère publique. Le but étant de les faire accéder aux sphères sociales qui amèneront le féminisme. Et il ne s'agissait pas de se cantonner au milieu bourgeois des grandes villes, mais bien de sensibiliser toute la population, sur tout le territoire. En témoignent les Etats généraux de la femme qui ont eu lieu les 20, 21 et 22 novembre 1970 dans dix-neuf villes de provinces et organisés par le magazine Elle. La presse traduira également la position des hommes politiques lorsque le thème du contrôle des naissances s'invita au sein de la campagne présidentielle de 1965. C'est le cas par exemple de l'interview de François Mitterrand par Colette Audry le 25 novembre 1965 dans les colonnes du journal Le Combat Républicain. Entretien au cours duquel le candidat s'exprima en faveur de l'émancipation des femmes sous ces mots « la femme a le droit de disposer des moyens modernes qui permettent de n'avoir des enfants que lorsqu'elle le désire. »

Le but était de faire prendre conscience aux politiques mais aussi à toute la population de ce mal qui rongeait les femmes. Il fallait parler de ces femmes qui mourraient, de celles qui ne voulaient pas d'enfants et la radio ne fut pas en reste. L'émission de Ménie Grégoire sur RTL dès 1967 eut un franc succès. Les auditeurs étaient invités à s'exprimer sur leur vie, à exposer leur intimité. Par là, les femmes ont pu découvrir que leur souffrance était loin d'être singulière

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et se trouvait partagée par la plupart des femmes. Forte de son succès, l'émission de Ménie Grégoire ne s'acheva qu'en 1981. C'est par le biais de la radio que Françoise Dolto répondait aux questionnements des parents, souvent en désarrois, dans son émission Lorsque l'enfant parait sur France Inter entre 1977 et 1978 quotidiennement.

4. Les opposants

La France, malgré la séparation de l'Eglise et de l'Etat, est dominée par des valeurs et principes catholiques qui influencent implicitement la politique. Il n'est pas étonnant que les premiers à s'ériger contre la libéralisation de la contraception et la légalisation de l'avortement soit l'Eglise Catholique elle-même. Le problème se situe antérieurement aux années 1960. Comme le montre l'encyclique Casti Connubii de Pie II datant de 1930, on y rappelle que « même avec la femme légitime, l'acte conjugal devient illicite et honteux dès que la conception de l'enfant y est évitée17. » Pour l'Eglise, l'accouplement ne doit avoir de but final que de procréer, excluant ainsi toutes notions de plaisirs. Cette encyclique sera renforcée en 1968 par l'encyclique Humanae Vitae de Paul VI qui condamne « toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation18. » Dans une même phrase, le pape condamne la contraception du type pilule, car il suppose une prévision de l'acte sexuel, mais également le diaphragme et le stérilet. Il condamne également la méthode du « coït interrompu » pendant le rapport sexuel, mais enfin, et implicitement, condamne également les différentes méthodes employées par les femmes après un rapport afin de réduire les « chances » de fécondation, comme la douche vaginale au savon, voire au vinaigre. Contraception et avortement étaient alors indifférenciés. La seule méthode que l'Eglise admettait était la méthode dite Ogino. Cette méthode repose sur l'observation du cycle féminin, avec notamment la prise de température le matin au réveil avant de faire le moindre effort.

17Casti connubii, lettre encyclique du souverain pontife pie xi sur le mariage chrétien considéré au point de vue de la condition présente, des nécessités, des erreurs et des vices de la famille et de la société, Rome, le 31 décembre de l'année 1930

18Humanae vitae, lettre encyclique de sa sainteté le pape paul vi sur le mariage et la régulation des naissances, Rome, le 25 juillet 1968

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Lorsqu'un changement s'effectuait, la méthode Ogino19 préconisait de s'abstenir de rapports sexuels.

En face, l'Eglise réformée, elle, était pour la libre contraception et le libre choix d'avoir des enfants, mais n'approuvait pas l'interruption de grossesse.

Aux raisons idéologiques (accouplement égal accueil de la vie, avortement perçu comme des assassinats...) s'ajoutèrent les raisons politiques. Les politiciens étaient désireux de continuer une politique nataliste, à l'image du général De Gaulle qui rêvait d'une France de « cent millions de français ». La plupart des politiciens, se cachant derrière des conceptions pseudo-humanistes et religieuses, voire ouvertement natalistes pour la grandeur de la Nation comme l'évoqua Michèle Debré à la séance de l'Assemblée Nationale le 12 juillet 1963, cachaient pour certains des raisons bien moins avouables. Selon Les Chimères20, il s'agissait, au-delà d'avoir de la chair à canon, de raisons démographiques à caractères racistes. Il fallait conserver la supériorité du peuple blanc face au surnombre des peuples africains et arabes. C'est pour cela que les moyens contraceptifs étaient autorisés en territoires d'outre-mer.21

Le Parti Communiste fut un des partis politique les plus antagonistes de prime abord. En effet, pour ce dernier, plus nombreux seraient les ouvriers et plus facile serait le combat contre le prolétariat. L'opposition au contrôle des naissances fut exprimé dans une lettre envoyée à l'intention de Jacques Dérogy le 1er mai 1956, en réponse au livre de ce dernier, et qui s'exprimait en ces termes « les communistes condamnent les conceptions réactionnaires de ceux qui préconisent la limitation des naissances et cherchent ainsi à détourner les travailleurs de leur bataille pour le pain et le socialisme. » Cependant, le Parti atténuera ses positions en demandant l'abrogation de la loi de 1920 dans une proposition de loi du 25 mai 1956 ainsi que l'amnistie des femmes ayant été condamnées pour avoir pratiqué des avortements, et sera finalement favorable à l'avortement thérapeutique.

19 Gynécologue japonais du XXe siècle, il est parti du principe qu'une femme ovulait une fois par cycle menstruel. En prenant en compte que la période ovulatoire s'étend du 12e au 16e jour après le début des règles, mais aussi qu'un ovocyte avait une durée de vie de une journée après l'ovulation, et que les spermatozoïdes survivent jusqu'à quatre jours après l'éjaculation, il préconisait de s'abstenir de rapports sexuels entre le 8e et le 17e jour après le début des règles.

20 Groupement de féministes

21 Les Chimères, Maternité esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975, p.75

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Enfin, l'Ordre des médecins s'y opposera fermement dès le début des débats, en avançant des arguments d'inspirations catholiques, et en brandissant le principe de déontologie de leur profession. Malgré tout, des médecins étaient favorables à l'avortement, car en mai 1971, deux cent cinquante deux d'entres-eux publièrent une déclaration de principe en faveur de l'avortement.

5. Une lutte de femmes pour les femmes

Devant le succès du planning familial mis en place par Marie-Andrée Lagroua ainsi qu'aux vues de la sensibilisation grandissante de l'opinion publique, le gouvernement commanda plusieurs commissions sur le sujet du contrôle des naissances et de la contraception. Mais en 1972, arriva ce qui restera connu sous le nom de « l'affaire de Bobigny » et qui fera accélérer le débat. Ce procès, qui visait une jeune fille de seize ans ayant avorté après avoir été violée, ainsi que sa mère et trois autres femmes l'ayant aidé, a défrayé la chronique et enflammé le débat en France. L'avocate Gisèle Halimi, qui avait fondé en 1971 l'association féministe Choisir la cause des femmes, défendit avec vigueur les accusées. Elle mit en cause, non pas les femmes obligées d'avorter, mais une loi injuste et inhumaine, aux vues des conditions dans lesquelles sont réalisées les interruptions de grossesse. Ces dernières plaçant les femmes dans la clandestinité et la honte. L'aboutissement de ce procès politique retentissant fut la promulgation de la loi Veil en janvier 1975. Nouvellement ministre de la santé, Simone Veil défendra pendant trois jours et deux nuits, sous des nuées d'injures la loi sur l'interruption volontaire de grossesse : « Parce que si des médecins, si des personnels sociaux, si même un certain nombre de citoyens participent à ces actions illégales, c'est bien qu'ils s'y sentent contraints ; en opposition parfois avec leurs convictions personnelles, ils se trouvent confrontés à des situations de fait qu'ils ne peuvent méconnaître. Parce qu'en face d'une femme décidée à interrompre sa grossesse, ils savent qu'en refusant leur conseil et leur soutien ils la rejettent dans la solitude et l'angoisse d'un acte perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. Ils savent que la même femme, si elle a de l'argent, si elle sait s'informer, se rendra dans un pays voisin ou même en France dans certaines cliniques et pourra, sans encourir aucun risque ni aucune pénalité, mettre fin à sa grossesse. Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus inconscientes. Elles sont 300 000 chaque année.

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Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. C'est à ce désordre qu'il faut mettre fin. C'est cette injustice qu'il convient de faire cesser. » Au matin du 29 novembre 1974, la loi est votée, elle sera ensuite promulguée le 17 janvier 1975, marquant ainsi la plus grande avancée pour l'émancipation et la dignité des femmes.

Grâce à deux lois, la loi Newirth ainsi que la loi Veil, le destin maternel revient désormais aux mains des femmes. La dissociation entre maternité et féminité a entrainé l'individuation des femmes et a montré le chemin vers leur autonomie.

II. Maternité et féminisme en art

A. La seconde vague féministe

La première vague féministe de la fin du XIXe et du début du XXe siècle revendiquait des droits en fonction de la condition de mère des femmes. Ces demandes visaient à l'émancipation mais ne remettaient pas en question la maternité. A partir des années 1960, en lien direct avec les évènements sociaux qui soulevèrent les foules dans différents pays Ð mai 68 en France, contestation de la guerre du Vietnam aux Etats-Unis Ð, la seconde vague du féminisme fit son apparition sur les scènes sociales et culturelles.

1. Plus fortes ensembles

Cette seconde vague féministe se développa particulièrement dans les domaines culturels et intellectuels. Comme l'explique Fabienne Dumont22, il y eut de nombreuses femmes diplômées d'écoles d'arts après la seconde guerre mondiale. Cependant, à leur sortie, on leur refusait

22 Dumont, Fabienne, La rébellion du Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible des théories féministes anglo-américaines (1970-2000), Presses du Réel, 2011

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l'accès à une carrière en galerie ou au professorat. Pour pouvoir être reconnue comme artiste, il fallait le plus souvent être l'épouse d'un artiste célèbre. Au sein des musées, la représentation des artistes femmes était également presque nulle23. Afin de témoigner et de lutter contre le sexisme du monde de l'art, les artistes vont se regrouper et former des collectifs. Par exemple en 1970, Lucy Lippard fondera l'Ad Hoc Committee of Women Artists qui aura pour but de critiquer l'absence de femmes au sein des expositions.

Pour contrer ce refus de l'accès des artistes femmes aux cimaises, les artistes vont ouvrir également des lieux spécifiques afin d'exposer leurs travaux. Judy Chicago ouvrira notamment la Womanhouse ainsi que le Los Angeles Woman's building ou la A.I.R Gallery24 (Artists in Residence).

En France, la prise de conscience de la domination masculine dans le domaine artistique fut plus longue et moins virulente qu'outre-Atlantique. On peut néanmoins citer différents groupes fondés pour l'auto-reconnaissance des artistes-femmes, comme le collectif Femmes/Art fondé en 1976, Feminie-Dialogue fondé en 1975, La Spirale fondée en 1972, mais également la parution en 1973 de La Création étouffée, de Jeanne Socquet et Suzanne Horer. Mais ces groupes s'apparentaient plus à des groupes de soutien. Il faudra attendre les années 1980 pour que soit créée la Fondation Camille, avec le soutien du Ministère des droits des femmes, mais également pour qu'émerge une réelle ambition politique afin de mettre en lumière la création au féminin25. Cependant, ces groupes permettaient aux artistes femmes de se rassembler, de débattre et d'exposer, afin de sensibiliser le public et d'être ensuite reconnues.

2. Nouvelle esthétique au féminin

23 Voire à ce sujet la thèse de Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006

24 Galerie collective de femmes artistes

25 Voir à ce sujet Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006

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Que les artistes de cette époque de libération sexuelle se revendiquent féministes, ou au contraire tendent à s'éloigner des tumultes engendrés par les luttes et les différents mouvements, les interrogations soulevées par l'art féministe se retrouvent très souvent au sein des démarches artistiques. En investissant le domaine artistique, les féministes désiraient mettre en lumière la domination masculine qui touchait également le monde de l'art. Elles souhaitaient aussi développer une pratique artistique différente. Dès le début, ce qui sera affirmé, c'est la validité de l'expérience des femmes, devenant sujet artistique. Le recours à l'autobiographie, l'utilisation de matériaux assimilés à l'artisanat féminin, comme la couture ou le tricot, mais aussi le recours à des figures historiques oubliées26, étaient perçus comme des alternatives à un système jugé autoritaire et patriarcale. Lucy Lippard s'exprimait alors sur les différences entre artistes masculins et artistes féminines « j'étais habituée à des artistes hommes affichant une confiance en soi, utilisant le jargon approprié pour exprimer les problèmes formels - en d'autres termes « sachant ce qu'ils faisaient ». J'ai constaté que certaines femmes étaient confuses, peu sûres d'elles-mêmes, beaucoup plus vulnérables, mais en même temps beaucoup plus disposées à s'ouvrir et à ouvrir leur travail aux lectures personnelles et associatives du spectateur, à partager leur art, leur expérience et leur vie27. » Ce nouveau sens du public évoqué par Lucy Lippard est développé par Judy Chicago « la notion d'art féministe dans son ensemble, tel que j'ai tenté de le formuler, repose sur l'idée que le code formel de l'art contemporain doit être brisé pour élargir le public [É]. Ce que je désirais depuis le début était une redéfinition du rôle de l'artiste, un réexamen de la relation entre l'art et la communauté, un élargissement des personnes qui contrôlent l'art et, en fait, un dialogue élargi sur l'art incluant de nouveaux participants plus diversifiés28. » Ces nouvelles formes artistiques ainsi que ce nouveau sens du public introduit par les artistes femmes se développent notamment grâce à la performance, qui sera un des médiums phare des années soixante-dix.

Léa Lublin, par sa présence au salon de Mai en 1968, avec sa performance Mon Fils, avait pour but de dénoncer la discrimination réservée aux femmes, liée à leur probable maternité qui était perçue comme un frein à leur carrière artistique (figure 1). Lors de cette performance, elle avait

26 Voire partie III.B., Déesses-mère et matriarcat

27 Lucy Lippard citée dans Dumont, Fabienne, La rébellion du Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible des théories féministes anglo-américaines (1970-2000), Presses du Réel, 2011, p.39

28 Broude, Norma, Garrard, Mary, « Conversation with Judy Chicago », The Power of Feminist Art, p.70-71, cité dans Dumont, Fabienne, La rébellion du Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible des théories féministes anglo-américaines (1970-2000), Presses du Réel, 2011, p.117

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recrée une chambre d'enfant dans laquelle elle pratiquait ses tâches quotidiennes de maman en présence de son propre fils, pendant les heures d'ouverture du salon. Elle fit de son expérience de femme le matériau de son intervention en vue de dénoncer la place des femmes au sein du monde artistique.

Si la volonté d'ouverture du monde de l'art est attesté, cela ne va pas empêcher les artistes de parvenir, grâce au recours à leur expérience féminine au sein de leur pratique artistique, à un recentrement, une redécouverte de leur subjectivité. Après des siècles d'oppression et de domination masculine, le domaine artistique allait devenir le théâtre de la reconstruction du moi féminin.

Figure 1: Léa Lublin, Mon Fils, 1968, Salon de Mai, photographie de sa performance

B. De la question de la maternité au sein des mouvements féministes

Si certains affirment que la question de la maternité ne figurait pas au sein des luttes féministes des années soixante-dix, au profit d'une lutte des genres, il s'avère qu'elle fut alors implicite mais néanmoins omniprésente. Comme on a pu le constater dans la première partie traitant de l'historique des mouvements de lutte féminine, la première vague du féminisme fut

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explicitement maternaliste. La deuxième vague, des années 1970 en découla. Même si les revendications évoluèrent, l'idée de la maternité, pour l'exalter ou la nier, sera présente. En effet, la seconde vague féministe va interroger plus particulièrement la notion de genre et mettre en évidence la domination masculine. Mais cette domination masculine, que ce soit dans le domaine des arts comme en société, trouve son origine dans la réduction de la femme à sa fonction biologique de procréatrice. La question de la maternité est donc toujours sous-jacente des débats féministes, puisque à la base des revendications et des dénonciations, la liberté de disposer de son corps vise en premier lieu la maternité. Ce point de vue est renforcé par Yvonne Kniebeiler « l'émancipation ne peut se faire contre la maternité ni sans elle29 », et les Chimères d'ajouter dans l'introduction de leur ouvrage Maternité esclave, « la maternité, que nous la refusons, que nous nous y laissons entrainer, est au centre de la condition qui nous est faite30. »

Par ailleurs, un rapprochement s'opère entre domination masculine et maternité, notamment sous la plume de Margaret Mead. Cette dernière pensait qu'il fallait laisser la création aux hommes car ce serait leur seul moyen de pallier leur incapacité à l'enfantement, qu'elle désignait comme le plus fort pouvoir créateur. Mais le thème de la maternité ne peut donc s'effacer complètement du paysage des mouvements féministes.

1. Les artistes révélées par la maternité

A lire les biographies de certaines artistes, la maternité a été le point de départ à leur carrière artistique, du moins à ressentir cette envie de création. Pour certaines, révélation avérée et soutenue, pour d'autres, il ne s'agirait que d'un heureux hasard. Le point d'ancrage de la création au féminin à partir de cette période est l'expérience. C'est pour cela que, pour celles qui connaissent la maternité avant d'entreprendre une carrière artistique, ce thème va être abordé.

29Knibiehler Yvonne, La révolution maternelle : Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945, Perrin, Paris, 1997, p.13

30 Les Chimères, Maternité esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975

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C'est le cas de Myriam Bat-Yosef. Cette artiste revendique ce choc esthétique qui s'est produit lors de son expérience de la maternité. « Le ressenti de ces jours constitue les pavés de la route sur laquelle je crée jusqu'à aujourd'hui. Mon état de grossesse a pulsionné ma voie et mon genre31. »

Geneviève Claisse, elle aussi, avouera que la naissance de son fils en 1972 correspondra à un changement dans sa manière de créer et l'a amené à un tournant stylistique fort. Son travail voit alors les lignes s'ouvrir et se tendra vers un passage de la peinture à l'huile, souvent connoté trop masculin pour les artistes femmes, vers l'acrylique. Il en est de même pour Tania Mouraud32, qui commence à peindre après avoir mis au monde sa fille, et « représentais des accouchements, des sexes mâles ramollis33(É). » Il s'agissait de montrer que l'expérience de la maternité n'altérait en rien les capacités créatrices des artistes femmes. Bien au contraire, pour ces artistes, la maternité leur a permis de s'émanciper des influences des courants artistiques masculins.

Niki de Saint-Phalle est une des artistes pour qui la maternité est une réelle pierre angulaire au sein de sa carrière artistique. Elle devient mère pour la première fois à vingt ans et à la suite de sa maternité, elle s'inscrira en premier lieu à des cours d'art dramatique, avant de se tourner vers la peinture. Si c'est la maternité qui amènera Niki de Saint-Phalle sur le chemin de l'art, l'art, lui, assurera la réconciliation de l'artiste avec ses enfants. Alors qu'elle vit et travaille nichée dans le ventre de l'Impératrice de son jardin des tarots, elle reconnaitra l'aspect salvateur de sa démarche « Vingt ans plus tôt, j'avais quitté mes enfants pour me consacrer à mon art... ici, je vivais à l'intérieur d'une sculpture Mère que j'avais créée ! Ce fut pendant ces années...

31 Art-thérapie, n°6, mai 1983, p.293-299, cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006 (pagination non renseignée, microforme)

32 Elle détruira toutes ces oeuvres

33 Actuel, n°43, juin 1974, p.78-79 cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006 (pagination non renseignée, microforme)

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que je redevins plus proche de mes enfants34. » C'est également une grossesse, celle de son amie Clarice Rivers, qui inspirera à l'artiste l'idée des Nanas.

La maternité chez cette artiste, comme pour Louise Bourgeois, prédomine au sein de sa démarche artistique. Louise Bourgeois développe tout un univers autour de la naissance, la grossesse, du rapport entre la mère et ses enfants, comme avec son propre fils dans Reticent Child, où elle tente, par le biais de sa pratique artistique, de comprendre le caractère de son fils (figure 2). Les derniers travaux de Louise Bourgeois reprennent le thème de la maternité, par des aquarelles représentant des femmes enceintes35.

Figure 2 : Louise Bourgeois, Reticent Child, 2003, installation de 6 éléments en tissu
marbre, acier inoxydable et aluminium, collection de l'artiste

34Women artists, Femmes artistes du XXème siècle et du XIème siècle, Taschen, Köln, Uta Grosenick, 2001, p.474 35 Larratt-Smith, Philip, Louise Bourgeois, Prints: 27 August - 27 September 2009 catalogue publié à l'occasion de l'exposition "Louise Bourgeois Prints" à la Galleri Andersson/Sandström de Stockholm, 2009

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Enfin, l'artiste Mary Kelly fit de son expérience de la maternité un travail artistique de longue haleine. Dans Post-Partum Document, elle présenta des collages à partir de couches usagées, des vêtements de bébé, des dessins, mais également un texte accompagné de diagrammes lacaniens, de schémas et une analyse détaillée du « débat en cours sur la pertinence de la psychanalyse pour la théorie et la pratique du marxisme ». Ce travail qui court sur une période de cinq années, revient sur le rapport entre la mère et l'enfant, dans l'élaboration d'un dialogue passant par les couches au départ, pour aller vers le langage (figure 3).

Figure 3 : Mary Kelly, Post Partum Document, 1973-1979, Perpsex units, white card, plaster, cotton
fabric, 1 of the 8 units, 28 x 35.5 cm

2. Le féminisme essentialiste

A côté de celles qui ont eu pour point d'ancrage à leur pratique artistique la maternité, ou qui ont ressenti un bouleversement de leur pratique du fait de leur expérience de mère ou de future mère, il y a celles qui exaltent l'expérience de la maternité par le biais de leur pratique artistique. En effet, dans les années 1970, le mouvement féministe va se scinder en deux sur la question de la maternité. Il y a les féministes égalitaires, qui demandent les mêmes droits et considérations - sociales, politiques, culturelles et artistiques - que leurs homologues masculins

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et pour qui la seule solution sera celle du refus de l'expérience de la maternité. Et il y a les féministes de la différence, appelées aussi « essentialistes », qui revendiquent le droit à la maternité et veulent montrer que cette différence est une chance dont il faut tirer parti, artistiquement par exemple. Elisabeth Badinter parle de ce nouvel aspect du féminisme sous ces termes « un nouveau féminisme mettant en avant chaque aspect de l'expérience biologique des femmes était né. Il exaltait les règles, la grossesse et l'accouchement36. »

Cette tendance émergea au moment de la crise pétrolière, vers les années 1972-1973, lorsque nombre de femmes retrouvent le chemin de leur foyer plutôt que du travail. A cela s'ajouta la montée de l'écologisme, qui amorça ce qui est considéré par les féministes égalitaires, à un certain retour en arrière. La théorie naturaliste qui se développait en parallèle de l'écologisme prônait l'accouchement sans douleur et le recentrement de la femme sur elle-même lors de l'expérience de la grossesse.

Pour les artistes, c'était montrer que la maternité n'annihile pas la créativité, mais que cette expérience est souvent bénéfique dans une carrière, les artistes se recentrant le plus souvent sur elles-mêmes, allant vers de nouvelles phases créatives, s'éloignant des influences des courants artistiques préexistants. L'objectif était de montrer que la maternité n'empêchait pas la créativité, comme l'exprime Sylviane Agacinski « la maternité est un modèle de création sans être incompatible avec toutes les autres formes de créativité ou d'expression37. »

C'est le cas de Danièle Blanchelande qui, en 1975, réalise une série de dessins à l'encre de Chine lors de sa grossesse et de son accouchement. Elle écrit « dans ce cas précis d'une activité de peintre, la transcription graphique d'un vécu étroitement lié à la grossesse et à la maternité constitue un dépassement de l'expérience individuelle. L'image (É) s'adresse aux autres, et particulièrement aux femmes directement et biologiquement concernées [les images] se veulent une approche des désirs, des angoisses, des répulsions, des fantasmes des femmes à l'égard de

36Badinter, Elisabeth, Le conflit : La femme et la mère, Librairie générale française, Paris, 2011, p.87

37 Sylviane Agacinski, Le politique des sexes, cité dans Roux, Jean-Paul, Le sang : Mythes, symboles et réalités, collection Les nouvelles études historiques, Paris, Fayard, 1988, p.72

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la maternité. En ce sens, elles vont au-delà d'un intérêt exclusivement esthétique38. » C'est ce qu'elle représente dans sa série Grossesse et désirs, où l'on voit un enfant logé au coeur du corps maternel, où les corps s'emmêlent dans un faisceau de lignes créées à l'encre de chine. L'expérience de la maternité fut une telle source de création qu'elle exprimait son souhait d'être toujours enceinte.

3. Le féminisme égalitaire

Le féminisme qui se développa dès les années 1950 fut celui de l'égalitarisme. Ce mouvement se caractérise par un rejet des caractéristiques liées à la féminité, particulièrement la maternité. Ce refus de maternité, clamé notamment par Simone de Beauvoir dans son ouvrage de 1949 Le Deuxième Sexe, partait du constat que la domination masculine ne reposait non pas sur une base biologique, mais qu'il était le résultat d'un conditionnement culturel. Les Chimères, au sein de leur ouvrage, développèrent cette idée et prônèrent d'adopter « la seule attitude cohérente quand on a réellement pris conscience de ce que notre société a fait de la maternité est de la refuser39. » Cette position fut défendue par Judith Butler mais également Françoise Héritier. Pour la célèbre anthropologue française « les catégories de genre, les représentations de la personne sexuée, la répartition des tâches, telles que nous les connaissons dans les sociétés occidentales, ne sont pas des phénomènes à valeur universelle qui prendraient leur source dans une nature biologique commune, mais bien des constructions culturelles40 » puis d'ajouter que « le masculin et le féminin relèvent d'une construction mentale et sociale établie à partir de l'observation de données anatomico-psychologiques inévitables41. » Le refus de maternité préconisé par ces féministes n'indiquait pas qu'elles refusaient le fait d'avoir des enfants. Dans ce refus de maternité s'exprimait un rejet de la fonction maternelle prédéfinie par la société phallocrate, c'est-à-dire la maternité comme destin ou la maternité comme devoir. Ce que n'admettaient pas

38Cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006 (pagination non renseignée, microforme)

39 Les Chimères, Maternité esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975, p.16

40 Héritier, Françoise, Une pensée en mouvement, Odile Jacob, Paris, 2009, p.91

41 Op. Cit.. p.99

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les féministes égalitaires, c'est la prise en charge totale des enfants par les femmes, ce qui les entrainait inévitablement à renoncer à leur vie, comme l'exprime Eliette Abecassis « mon expérienceÉdepuis que j'ai un bébé, je n'ai plus de vie de couple, je ne dors plus, je ne me lave plus les cheveux, je ne lis plus, je ne vois plus d'amis. Je suis devenue mère, soit. Mais je ne savais pas qu'une mère n'était qu'une mère. J'ignorais qu'il fallait abdiquer tous les autres rôles, qu'il fallait renoncer à la sexualité, à la séduction, au travail, au sport, à son corps, à son esprit. J'ignorais qu'il fallait renoncer à la vie42[É]. » Ce refus de maternité et des caractères féminins en général entraina le rapprochement de cette branche du féminisme avec le mouvement lesbien, et amènera à la lecture dépréciative du mouvement en virilisant ses défenseurs.

Les artistes se définissant comme féministes égalitaires ne désiraient pas être définies en tant qu'artistes grâce à leur condition de femme-mère. Comme il est indiqué dans l'ouvrage d'Elisabeth Lebovici « de plus en plus d'artistes femmes (et non plus de femmes artistes) semblent s'affirmer comme artiste « tout court », hors de toute spécificité féminine, d'épouse ou de mère43. » Il était également hors de question pour ces artistes de renoncer à la création afin d'accomplir leur devoir de mère. Annette Messager fera le constat de cette injonction sociale de la maternité au sein de ses oeuvres telles que Tout sur mon enfant ou Les enfants aux yeux rayés (figure 4). Cet album-collection montre des photos de bébés découpées dans des magazines et dont l'artiste a gribouillé les yeux. Par ses collections et le découpage des images dans les magazines, elle fait référence aux petites manies féminines, mais cette certaine frivolité est rapidement rattrapée par le sentiment d'angoisse face à ces enfants aveuglés.

42 Abécassis, Eliette, Un heureux événement, Albin Michel, Paris, 2005, p.157

43 Lebocivi, Elisabeth, Femmes artistes/artistes femmes: de 1880 à nos jours, Hazan, Paris, 2007, p.239

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Figure 4 : Annette Messager, Album-Collection III: Les enfants aux yeux rayés, 1974, tirage argentique, annotation dactylographiée « Annette Messager Collectionneuse » au dos, 8 x 13,8 cm. Exposition: «Annette Messager Collectionneuse », Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1974

4. Contre le principe « Kinde, Küche, Kirche44 »

En France, les luttes pour la légalisation de la contraception et de l'avortement renforcèrent les mouvements en faveur de la libération des femmes. Aux Etats-Unis, les mouvements féministes s'attaquèrent plus directement à la question du genre et de la contestation de l'hégémonie masculine. Cela s'explique, entre autre, par le fait que la pilule était autorisée depuis 1960, le discours était donc dirigé moins directement sur la condition biologique de la femme de faire des enfants et la liberté de son corps, mais s'orienta vers la dénonciation de la fonction sociale de la femme confinée au foyer et à l'élevage des enfants. Bien que l'avortement fut encore

44 Traduit par « enfants, cuisine, Eglise », formule de Guillaume II mais assimilé au régime nazi, il énonce les valeurs traditionnelles dévolues aux femmes en Allemagne

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interdit en 1970, c'est la place des femmes au sein de la société qui fut décriée après des constats affligeant. Les maris avaient les pleins pouvoirs sur leurs femmes, possédant salaires et actifs de leurs épouses, n'en faisant plus que des mineurs ; les universités limitaient les femmes dans leurs cours... L'ouvrage de Betty Friedan regorge d'exemples montrant par exemple que la société américaine reléguait les femmes à l'isolement et à l'ennui de la condition de mère de banlieue « le seul désir des jeunes filles américaines était de se marier, avoir quatre enfants et vivre dans une gentille maison au milieu d'une agréable banlieue45.» L'auteur constate également que si les jeunes filles pouvaient accéder à l'instruction, et notamment aller à l'université, le but n'était pas de briguer de hautes fonctions mais de trouver un mari. Après la seconde guerre mondiale, les établissements secondaires et universitaires américains dispensaient des cours sur le mariage et la famille, afin d'apprendre à être une bonne mère et une bonne épouse. Etre intelligente n'était pas bien vu et même caricaturé, invoquant une diminution de la féminité voire même une frustration sexuelle46 du seul fait de son éducation « la femme paie ses connaissances intellectuelles par la perte de précieuses qualités féminines... Toutes les observations confirment que la femme intellectuelle est masculine ; sa pensée chaleureuse et intuitive a cédé la place à une réflexion froide et stérile47. »

« La famille conjugale est fondée sur l'esclavage domestique avoué ou voilé de la femme48 » affirmait Engels. C'est ce que retiennent les femmes au XXe siècle. La femme au foyer est un modèle répandu, surtout après la guerre et la période du baby-boom, car la pénurie de moyens de garde pour les enfants entrainait les mères qui travaillaient à rester à la maison, jusqu'à ce que l'école prenne le relais. L'univers de la maison, où se trouve cantonnée la femme, va être mis à mal par les féministes, et cela va se distinguer artistiquement parlant. Car il y a une indistinction qui se produit entre la fonction procréatrice des femmes et le fait d'élever ses enfants, de les éduquer. Au fil des recherches, le constat est sans appel. En effet, lorsqu'est abordé le thème de la maternité, il s'effectue également un glissement de la fonction biologique

45 Friedan, Betty, La femme mystifiée, Gonthier, Genève, 1964, p.9

46 Dans les années cinquante, le rapport Kinsey indiquait que le degré d'instruction entrainait des frustrations sexuelles. Selon ce rapport, l'orgasme était atteint à 100% par les femmes noires non instruites, 80% pour les femmes ayant suivi des cours dans le secondaire et seulement de 15% à 50% pour les femmes ayant franchi les études supérieures.

47Hélène Deutsch, « The Psychology of Women », pagination non renseignée, cité dans Friedan, Betty, La femme mystifiée, Gonthier, Genève, 1964, p.199

48Cité dans Les Chimères, Maternité esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975, p.13

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de procréation au rôle d'éducation des enfants, car le travail domestique prendrait son origine dans les soins à apporter aux enfants. Les tâches ménagères découlaient donc du statut de mère. D'ailleurs, le thème des tâches ménagères et de l'enfermement des femmes au sein de leur foyer était débattu au sein du Mouvement de Libération des Femmes.

Dans ce contexte, les artistes vont développer une démarche artistique afin de critiquer cet amalgame et réduction entre fonction biologique de procréation et fonction sociale d'éducation des enfants.

Annette Messager explique d'ailleurs que par sa pratique, notamment avec ses oeuvres comme Les enfants aux yeux rayés ou Le repos des pensionnaires, elle « voulait montrer au second degré ce que c'est d'être une femme, donc une mère, qui travaille dans la maison, élève ses enfants et, le plus souvent, fait, en plus, un boulot artisanal ou artistique49. » Il y a dans cette citation une accumulation : la fonction maternelle, qui apparait ici comme évidente ; le travail ménager ; le rôle d'éducatrice des enfants et en dernier lieu, une part de travail qu'elle appelle artisanal ou artistique, c'est-à-dire la couture, la peinture (figure 5).

49 Dallier, Aline, « Annette Messager : un langage de plasticienne », Cahier du Grif, n°13, octobre 1976, p.44-45, cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006, p.343

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Figure 5 : Annette Messager, Le Repos des pensionnaires (détail), 1971-1972, Plumes et laine, vitrine
154 x 94 cm, Collection Musée national d'art moderne, Centre Pompidou, Paris

L'idée que la femme qui reste à la maison est non-productive, voire qu'elle ne fait rien, est remise en cause par Françoise Dolto avec une petite phrase tirée de son émission sur France Inter « Lorsque l'enfant parait » et qui dit que « blanche-neige, c'est quelqu'un qui bosse du matin au soir50.» En effet, les contes appuient cet héritage de domination masculine, toutes tour à tour sauvées par des princes qui sont toujours charmants et qui les emportent vers un avenir meilleur, pour « avoir beaucoup d'enfants ». Cependant, ce que veut dire la pédopsychiatre, c'est que finalement, Blanche-neige, quand elle est chez les nains, reste certes à la maison mais pas à ne rien faire. Elle s'occupe du ménage, et fait tout au mieux pour le retour des nains.

Raymonde Arcier mêle également enfermement au domicile et enfants lorsqu'elle dit « si dans leurs murs qu'elles habillent et déshabillent comme elles le font avec leurs bébés, ces murs qui couvrent la solitude de femme, avec les cris des enfants qui couvrent leurs cris de mères51 [É].» Pour dénoncer la « tyrannie des devoirs maternels52 », ce qui pour cette artiste comme pour d'autres, empêche l'accession à la création, Raymonde Arcier fait une immense femme, s'étirant du sol au plafond, les bras écartés en croix (figure 6). A chaque bras, elle porte de lourds cabas remplis de courses, qui pendent jusqu'au sol. D'entre ses jambes, elle donne naissance à un bébé qui lui aussi est enfermé dans un filet de ménagère. Cette artiste dénonce dans cette oeuvre Au nom du père, en 1977, le stéréotype de la femme : la femme au foyer, consommatrice acharnée et mère. Par le fait de mettre le bébé dans un filet à provision, on peut y voir l'hypothèse d'une dénonciation d'un héritage de l'image du féminin : la petite-fille qui ne connait sa mère que sous ces aspects reproduira le même schéma, et le petit garçon cherchera une femme conforme à l'image de sa mère. Car à cette époque, la génération de filles de la

50Tiré du livre compilant ses interventions radiophonique, Dolto, Françoise, Lorsque l'enfant paraît, Collection Point, Edition du Seuil, Paris, 1977, p.430

51 Dallier, Aline, « Les travaux d'aiguilles », Cahier du Grif, n°12, juin 1976, p.49-54, cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006, p.340

52, Badinter, Elisabeth, Le conflit : La femme et la mère, Librairie générale française, Paris, 2011, p.146

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libération sexuelle en voulait à leurs mères qui se laissaient confiner dans un moule social qui les asservissait.

Figure 6 : Raymonde Arcier, Au nom du père, 1977

Pour certaines femmes, qui n'ont pas été élevées dans cette tradition domestique du conditionnement à certaines tâches, qui n'ont pas en quelque sorte été dressées au ménage, un choc se produit lorsqu'elles deviennent mère de famille et lorsque se révèle « l'accablante routine du quotidien53.» Car comme le souligne Elisabeth Badinter, « la future mère ne fantasme que sur l'amour et le bonheur. Elle ignore l'autre face de la maternité faite d'épuisement, de frustration, de solitude voire d'aliénation, avec son cortège de culpabilité54. » Mierle Laderman Ukeles explique qu'elle comprit qu'en devenant mère de petits enfants, elle n'allait plus avoir le temps pour créer. C'est à partir de ce moment qu'elle décide de poursuivre son travail de création, mais à partir de son quotidien, afin d'en dénoncer le caractère routinier et aliénant. Après la naissance de son premier enfant, elle écrit son Manifesto For Maintenance Art en 1969, où elle questionne particulièrement les systèmes binaires, et notamment le rapport entre art et vie. Elle dénonce également au sein de son ouvrage l'aberration du quotidien. Bobby Baker en fera de même. Ainsi dans ses performances, Drawing On a Mother's Experience, elle

53Knibiehler Yvonne, La révolution maternelle : Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945, Perrin, Paris, 1997, p.232

54 Badinter, Elisabeth, Le conflit : La femme et la mère, Librairie générale française, Paris, 2011, p.25

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utilise des produits issus de sa cuisine et entreprend une danse rituelle autour d'une feuille, rappelant le rituel de Jackson Pollock (figure 7). Ces performances lui sont inspirées de son quotidien, alors qu'elle arrête sa carrière artistique dans les années soixante-dix pendant une durée de huit ans, afin d'élever ses deux enfants. Enfin, la dénonciation de la servitude domestique transparait dans la performance vidéo Semiotics of the Kitchen de Martha Rosler (figure 8). En 1975, elle propose une chorégraphie quelque peu grotesque (elle mime un assassinat à l'aide d'une fourchette) en énumérant par ordre alphabétique les différents ustensiles de cuisine se trouvant autour d'elle. On remarque l'omniprésence de l'univers de la cuisine, que ce soit en rapport avec l'éducation des enfants ou, comme on va pouvoir le constater par la suite, lors des avortements55.

Figure 7: Bobby Baker, Drawing On a Mother's Experience

55 IVe partie

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Figure 8: Martha Rosler, Semiotics of the Kitchen, 1975, video, 7 minutes

Le projet Womenhouse fera de la maison et de l'univers domestique une véritable oeuvre. A l'origine de ce projet, Judy Chicago, qui fonda le premier « Feminist Art Program » à la California State University, qui était un cours réservé aux étudiantes et destiné à favoriser leur affirmation sociale, entre 1971 et 1973. C'est en 1972, avec Miriam Schapiro, et ses étudiantes du Feminist Art Program qu'elle développa le projet Womenhouse. Dans un immeuble désaffecté de Los Angeles, les artistes installaient dix-sept environnements illustrant les expériences des femmes dans le cadre familiale. Habituellement lieu d'aliénation domestique, les femmes de ces projets réinvestissaient la maison pour s'affirmer en tant qu'artiste.

C. La psychanalyse et la maternité : la femme nécessairement mère

Les mouvements féministes des années soixante-dix vont mettre en avant le fait que la femme est un être sexué, et que sa destinée ne s'arrête pas à sa possible fonction biologique d'enfantement. A cela va s'ajouter la psychanalyse qui est en plein essor à cette époque. Les théories se multiplient mais les deux grands noms que l'on retient et qui s'opposent sont Freud et Lacan. Cependant, pour les deux psychanalystes, ce n'est pas de maternité dont il s'agit, mais de féminité, ce qui incorpore la maternité et la sexualité dans un rapport étroit.

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1. La théorie de la féminité selon Freud

Selon Freud, la féminité est un aboutissant de l'enfance. L'accession à la féminité ne se fait que par un cheminement négatif ou de remplacement d'un désir par un autre. Lorsque la petite fille nait, elle est dépourvue de pénis. Pour Freud, déjà à sa naissance, la fillette est perçue comme ayant un manque. Le rapport entre le pénis et la fillette fait d'ailleurs penser à l'oeuvre de Louise Bourgeois du nom même de Fillette, particulièrement connue car photographiée par Robert Mapplethorpe en 1982 et qui est une sculpture d'un phallus, maintenue sous l'aisselle de l'artiste sur le cliché en noir et blanc ou comme un poupon parfois. Tout un processus se met en place, avec notamment le complexe oedipien qui renvoie la fillette initialement en relation étroite avec la mère dans le stade préoedipien, c'est-à-dire vers le père. La fillette se tourne vers le père, et souvent dit qu'elle veut se marier avec et avoir des enfants (ou plutôt se marier avec POUR avoir des enfants), pour que son père lui donne ce que la mère ne lui a pas donné à la naissance, un pénis.

Pour Freud, le cheminement normal de la fillette est le dépassement du stade oedipien en s'attachant à un homme extérieur au cercle, ou plutôt à la triade familiale. Seulement la finalité reste inchangée : le désir du pénis pousse les femmes à l'accouplement et au désir d'enfant. Selon Freud, le désir d'enfant n'est que le remplacement du désir du pénis. La féminité, au sens incluant la maternité, est donc une quête du pénis transformée en pénis-enfant.

On retrouve une analogie avec une oeuvre de Niki de Saint-Phalle, L'Accouchement Rose (figure 9). Elle dira de ses représentations d'accouchement « c'est la femme virile. Elle porte l'enfant comme un sexe masculin56. » En effet, dans cette oeuvre, un enfant sort du sexe de la femme, comme serait placé un pénis chez un homme.

56 Schmutz, Lydie, l'art et la vie confondus : la production artistique de Niki de Saint-Phalle de 1961 à 1966, Mémoire de Maitrise Histoire de l'art, Strasbourg, 2004, p.37

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Figure 9: Niki de Saint-Phalle, L'Accouchement Rose, 1964, technique mixte, 219 x 152 x 14 cm

Pour Freud, la maternité est donc l'accomplissement de la féminité, la fin du cheminement entrepris dès la naissance d'une fille. Ne pas aller vers la maternité conduirait, selon lui, à la névrose ou à l'homosexualité.

Nicole Stryckman confirme même que « le désir d'enfant promet, introduit la femme - dans et par le réel de son corps - à la maternité, maternité qui sera la preuve de sa sexuation en tant que femme, autrement dit de sa féminité57. » Elle affirme également qu'un refus de maternité est pour elle toujours un refus de féminité.

Le parallèle entre maternité et sexualité ne s'arrête pas là. Hélène Deutsch, disciple de Freud, explique la maternité, et plus particulièrement l'accouchement comme la fin en soi du rapport sexuel, du coït. Lors d'un accouplement, l'éjaculation de l'homme correspond à la fin de sa

57 Stryckman, Nicole, « Désir d'enfant », Le Bulletin Freudien, n°21, décembre 1993, cité dans Bastien Danielle, Le plaisir et les mères : féminité et maternité, Imago, Paris, 2008, p.91

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fonction reproductive, mais également au soulagement de la tension sexuelle avec l'orgasme qui l'accompagne.

Pour la femme cependant, selon Hélène Deutsch, le processus s'établit en deux actes. Le premier est l'accouplement, avec l'orgasme, mais cela ne correspond pas à l'achèvement de sa fonction reproductive. Pour Hélène Deutsch, la fin réelle de cet accouplement qui a donné lieu à une parturition est l'accouchement, qui est vu au même titre que l'éjaculation, et qui s'accompagne d'un relâchement.

2. Selon Lacan via Dolto:

Pour Françoise Dolto, la fillette ne nait pas avec un manque de pénis. Elle nait justement plus sereinement que le garçon qui lui vit toujours dans la peur de la castration. Pour elle, rien ne peut lui manquer car elle ne connait pas le pénis. La castration, pour elle, survient lors du renoncement à l'inceste.

Là où les deux théories peuvent se retrouver, c'est au fait qu'une femme se confronte à la maternité. Françoise Dolto atteste « gester c'est, pour une femme, manifester par un acte corporel sexuel son refus, son acceptation ou le don asymptotiquement inconditionnel de son sexe aux lois de la création, à travers ses processus biologiques58. »

Le caractère sexuel également lié à la maternité c'est ce pouvoir du désir ou non de l'enfant. En effet, pour Françoise Dolto, le désir de procréer est inhérent à la femme et fait partie intégrante de sa jouissance. Par exemple, le fait même de craindre de tomber enceinte va inhiber le plaisir sexuel. Le fort taux de frigidité avant l'apparition de la contraception et de sa légalisation

58 Dolto, Françoise, Le Féminin, édition établie, annotée et présentée par Muriel Djéribi-Valentin et Elisabeth Kouki, Gallimard, Paris, 1998, p.84

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prouve la puissance de l'inconscient qui désire ou refoule le désir d'enfant, voire l'appréhende. En cela, la contraception va libérer la femme de cette fatalité de la maternité, et du choix qu'elle devait faire, lorsque cela était possible, entre sexualité et maternité. Mais cela n'a pas été sans conséquences, car le désir d'enfant devient alors un désir programmé, responsabilisé.

Les intellectuelles féministes vont remettre en question cette réduction de la femme à la maternité vue par la psychanalyse. Elles développent l'idée que ces principes découlent d'un point de vue masculin ou du côté du masculin. Simone de Beauvoir l'atteste, dans le Deuxième Sexe, s'agissant de la description de l'évolution de la fillette « les deux reproches essentiels que l'on peut adresser à cette description viennent du fait que Freud l'a calquée sur un modèle masculin. Il suppose que la femme se sent un homme mutilé59 [É]. » Elles ne comprennent pas pourquoi la femme doit ressentir un manque face au pénis, et expriment que l'homme peut lui aussi éprouver un manque au regard du pouvoir créateur biologique donné à la femme.

3. La mère dévorante:

La question vue sous un angle psychanalytique de la maternité n'est pas sans poser de problème et résulterait d'un cheminement se faisant dès la naissance, en passant par des stades préoedipiens et oedipiens. Mais qu'en est-il lorsque « l'enfant parait60 » ? On va voir que l'attitude de certaine mère est ambivalente.

Pour certaines femmes, l'enfant est celui qui va régler, réparer ou combler les manques de la mère. Cela peut être un deuil, une solitude, un destin ou un sentiment de perte. La force du désir d'enfant va se transformer pour aller jusqu'à l'obsession parfois. C'est ce que Monique

59 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I, Les faits et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.84

60 Selon l'ouvrage de Françoise Dolto

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Schneider appelle le « gouffre maternel61. » Danielle Bastien la cite pour expliquer qu'une femme ayant un désir si fort, qu'il devient pour elle inconcevable de ne pas le voir se réaliser, annonce « autant d'amour passionné que dévorant, autant de dévouement que de haine. »

Cette haine est primordiale à la relation mère-enfant, et surtout mère-fille, car c'est cette « hainamoration62 » qui va permettre à l'enfant de se tourner vers le troisième sujet de la triade, à savoir le père, afin d'éprouver le complexe d'OEdipe et le dépasser. L' « hainamoration » c'est aussi le pouvoir que ressent la femme d'avoir donné une vie mortelle.

Mais cette haine est également présente et pesante chez la femme qui éprouve de la haine à l'égard de leur mère. Selon Monique Bydlowsky, lorsqu'une femme est enceinte, elle part vers une rencontre avec elle-même et avec sa propre mère. En quelque sorte, elle devient sa mère, elle la prolonge, à l'image de l'oeuvre de Léonard de Vinci, où l'on voit sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus, les gestes des deux femmes disparaissant pour ne former qu'un. Seulement, Georg Groddeck lui affirme que la haine envers sa mère inhibe la conception, car elle ne permet pas de s'inscrire dans la continuité, « enfanter, c'est reconnaître sa propre mère à l'intérieur de soi63. » Certaines, en tombant enceintes de leurs premiers enfants, ne voient pas d'autres issues que l'avortement, ne supportant pas de porter à l'intérieur d'elle l'image maternelle. Un premier avortement peut être le prix du sang à verser pour devenir femme soi-même, dans la différence. Ce que redoutent ces femmes, c'est d'avoir envers leur mère une certaine dette, qui ne se règle que par l'arrivée d'un enfant.

En effet, le sentiment de haine ne fait qu'entrainer un sentiment de dette, et ce sentiment nous le retrouvons aussi du côté de l'homme. Nombreux conflits interviennent au sein de la famille élargie, c'est-à-dire comprenant les grands-parents, car l'homme laisse sa mère envahir l'espace de sa femme, laisse sa mère intervenir dans sa maternité nouvelle car il existe un lien de dette à l'égard de la grand-mère paternelle. Le fils étant parti fonder sa propre famille, il comble la perte éprouvée par la mère en lui donnant un ou des petits-enfants.

61 Schneider, Monique, « Mère, Terre ouverte », Etudes Freudienne, n°32, novembre 1991, cité dans Bastien Danielle, Le plaisir et les mères : féminité et maternité, Imago, Paris, 2008, p.117

62Selon Jacques Lacan

63 Bastien Danielle, Le plaisir et les mères : féminité et maternité, Imago, Paris, 2008, p.88

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Dans cette optique de maternité liée à l'angoisse, Ruth Francken développa des oeuvres angoissantes, comme Lullabye où elle associe une poussette et une affiche représentant des couteaux pointant sur cette poussette, ou encore Lilith, représentant une paire de ciseaux placée entre des seins et pointant dangereusement vers le ventre. On retrouve également cette ambigüité de mère à la fois don de vie et menace dans les grandes déesses, qui seront développées en troisième partie.

III. Maternités divines

A. Désacralisation du symbole de la Vierge Marie

La plus représentée des mères est sans équivoque la Vierge Marie, dont l'iconographie fut florissante jusqu'au Concile de Trente. Le mot « maternité » est très fortement associé à la religion catholique puisque sa racine Maternitas, n'apparait que vers 1122 pour désigner la maternité de l'Eglise catholique. Ce terme de maternité ne désigne alors qu'une qualité ou une vertu et fait donc référence à une fonction purement spirituelle. Son application à la Vierge par la suite, à celle par qui s'incarnera le Fils, donnera une version plus charnelle de la maternité, c'est-à-dire au sens « de celle qui enfante », même si ce qui est développé par la religion sont les vertus maternelles comme la tendresse, la patience ou le dévouement. La vierge doit apparaitre comme le modèle à suivre par toutes les femmes.

La vocation spirituelle de la maternité de la Vierge apparait nettement à la lecture de la bible : de charnel, il n'y aura que le sein que Marie offrira à son fils. La spiritualité de cette maternité se trouve également dès le début car l'enfantement de Marie n'est pas le résultat d'un acte sexuel mais d'une relation divine.

Mais cette image de maternité sacralisée va être mise à mal par les artistes contemporains afin de rétablir une certaine vérité au sujet de la maternité, en ébranlant toutes les phases de maternité, de l'annonce à l'éducation, afin de replacer le Vierge dans la lignée d'Eve.

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1. Le Verbe : véritable incarnation

Le premier épisode biblique qui introduit la maternité de la Vierge est l'annonciation. C'est alors que l'ange Gabriel vient signifier à Marie qu'elle est choisie pour recevoir en elle le fils de Dieu. On remarque que le récit de cet événement qui figure dans le livre de Saint Luc64 est un dialogue pour l'essentiel. La parole va avoir un rôle décisif dans cet échange, car il amène l'acceptation de la Vierge pour cette mission divine. Grâce à l'acceptation de Marie sous forme de parole, elle transforme le projet divin en projet terrestre de maternité. En effet, à cet instant, le Verbe se fait chair. L'idée se réalise concrètement par le mot, la parole. Cependant, il faut y voir également l'incarnation au sens propre dans « faire chair ». En effet, Dieu va s'incarner en son fils Jésus, par le biais de Marie, pour révéler la bonne parole et la transmettre. La transmission se fera par la parole.

D'ailleurs le Verbe est le commencement du tout, comme l'indique Saint Jean : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.65 » Le rôle de la Vierge et sa maternité ne put être effective sans sa parole d'acceptation et sans ce dialogue. Cette importance de la parole dans la révélation d'une maternité est expliquée par Françoise Dolto. Pour la pédo-psychanalyste66, ce qui donne tout d'abord une existence au foetus c'est sa révélation par le langage. L'exemple le plus probant et qui fait l'actualité depuis quelques années, c'est le déni de grossesse. En effet, se savoir enceinte ne donne pas d'existence au foetus, au contraire de le révéler à son entourage ou de partager la nouvelle avec son conjoint, ce qui rend la grossesse concrète par la parole.

64 LUC, 1, 26-38.

65 Jean, 1,1

66 Dolto, Françoise, Le Féminin, édition établie, annotée et présentée par Muriel Djéribi-Valentin et Elisabeth Kouki, collection Françoise Dolto, Gallimard, Paris, 1998

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A l'opposé, la chair fait le verbe dans la performance de Carolee Scheemann, Interior Scroll (figure 10). Totalement nue, debout sur une table, elle retire lentement de son vagin un long parchemin et lis ce qui est inscrit dessus67. Ici, le schisme est évident. D'une part, la Vierge, qui ne montrera de son intimité que son pudique sein nourricier, et l'artiste complètement nue. Mais également l'action : l'artiste est active, elle se meut et retire elle-même ce corps étranger de son sexe. Marie elle, est passive de son état, elle ne fait qu'accepter que tout se joue en elle. Son corps n'est que le réceptacle, parfaitement symbolisé par le vase.

Figure10: Carolee Scheemann, Interior Scroll, 1975, Performance, East Hampton,NY and at the
Telluride Film Festival, Colorado

La pensée phallocrate a souvent opposé spiritualité, donc pensée, et corps. Le spirituel était masculin, le charnel féminin. Par ce travail sur et par le corps, intégrant le langage avec « ce texte sortant de son vagin comme un cordon ombilical « crypté » 68 », Carolee Schneemann tend à démontrer que le corps est le langage. On peut rapprocher cette performance et les paroles de Julia Kristeva en réponses à des questions de Catherine Francblin, « l'expérience vraie du corps se désigne par le meurtre de la langue qui s'appelle texte, et ce texte est un corps refait.

67 Cezanne, She Was A Great Painter, 1976

68Phelan, Peggy, Art et féminisme, Phaidon, Paris, 2005, p.30

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Corps vrai et texte, c'est le Même d'une transsubstantiation69. ». Ici, l'artiste offre une renaissance du langage au sens du texte par l'expérience du corps.

2. Faire la lumière sur la parturition de la Vierge

L'iconographie mariale s'est rapidement développée jusqu'au Concile de Trente en 1563 où ses représentations reprenant les différents épisodes de sa vie furent restreintes. Auparavant, on pouvait trouver des Vierges parturientes (Virgo paritura) aux côtés des Vierge de tendresse, des Vierge à l'Enfant ou encore des Vierges allaitantes (Virgo Lactans). Malgré ces restrictions iconologiques, la grossesse de la Vierge était une des seules à pouvoir être représentée en art, avec celle d'Elisabeth70 lors de leur rencontre. Cela s'explique par le fait que ces grossesses n'étaient en rien charnelles, elles excluaient le péché de chair puisque de volonté divine. Plus tard dans les portraits d'apparat, les grossesses des modèles étaient suggérées par des vêtements amples à la taille, mais les différentes modes de l'époque laissaient planer le doute. Il s'agissait alors de révéler la future naissance par des signes renvoyant le plus souvent à l'iconographie de la maternité de la Vierge, comme un vase transparent ou un rayon de lumière traversant ce dernier ou se dirigeant imperceptiblement sur la jeune femme. Dans la Bible, la grossesse de la Vierge est passée sous silence, tout comme son accouchement. Il est seulement écrit « [É] le jour où elle devait accoucher arriva ; elle accoucha de son fils premier-né, l'emmaillota et le déposa dans une mangeoire [É]71. »

B.M Morineau parle ainsi de l'accouchement de la Vierge dans son ouvrage La Sainte Vierge72 : « A cause de la spiritualité pénétrante de sa chair virginale, l'Enfant Dieu naîtra sans briser la virginité maternelle. La foi de l'Eglise est ferme sur ce point et les Pères ont cherchés les plus riches formules pour exprimer cette naissance qu'ils ont comparée au rayon de lumière qui traverse le cristal sans lui porter atteinte. »

69 Julia Kristeva, « Femme/mère/pensée », Art press n5, mars 1977, p.6-8

70 Luc, 1, 5

71 Luc, 2, 6

72 Morineau, B.M, La Sainte Vierge, Bloud et Gay, Paris, 1929

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Si la fécondation de la Vierge a souvent été représentée également par un rayon lumineux se posant sur elle, la « traversant », et que le vase est un de ses emblèmes, les artistes des années soixante-dix se posent la question de l'accouchement de la Vierge dans une perspective plus charnelle que spirituelle, comme pour rétablir une certaine vérité. De plus, les femmes étaient invitées à prendre exemple sur la Vierge, notamment pour les vertus de tendresse et d'éducation que l'on développera plus loin. Cependant, en matière de maternité, en tant que processus allant de la fécondation jusqu'à l'accouchement, les femmes ne pouvaient prendre exemple sur la Vierge tant l'expérience de Marie était éloignée des maternités terrestres.

Michel Journiac reconsidère la naissance du Christ et la réinterprète dans son oeuvre La Vierge Mère. Il s'agit de dix clichés photographiques en couleurs. Sur le premier, on y voit l'artiste en Madone (figure11). Puis un rituel d'accouchement se produit, plus proche d'un accouchement terrestre que spirituel, à en considérer par la présence de sang, matière corporelle, qui y abonde. Tout de blanc vêtu, le fond de l'image et tous les accessoires étant blancs également, le sang surgit dans l'image comme l'élément de violence qui manquait à l'épisode de l'évangile selon saint Luc. Ce sang, c'est la douleur terrestre, la douleur d'enfantement, que Dieu inflige à la femme dès l'expulsion du jardin d'Eden « je ferai qu'enceinte, tu sois dans de grandes souffrances ; c'est péniblement que tu enfanteras des fils73. » La douleur conclue d'ailleurs cette série avec l'ensevelissement du corps, en référence au sacrifice du Christ. Sur le petit monticule de terre, Michel Journiac est en train d'y déposer un crucifix blanc.

73 Genèse 3, 16-17

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Figure 11 : Michel Journiac, La Vierge Mère. 1982-1983, Photos de l'action. Reliques.
Ensemble complet de 11 photos en couleurs (tirage argentique sur papier) de l'action "Le Vierge Mère"
créée en 1982 au Musée d'Art Moderne de Paris et une feuille en carton blanc avec texte de
présentation manuscrit au feutre noir au recto, La feuille de texte, 32x24 cm, est datée 1983 et signée
au feutre noir par M. Journiac. Texte de présentation manuscrit:
"Cette formulation unique de l'action: Le Vierge Mère en témoignage d'amitié, à tous ceux qui
collaborent avec passion, à l'édification de ce Centre National d'Art Contemporain à Nice. 31 Août
1983, Villa Arson, Nice. Michel Journiac".

Le doute sur l'absence de sexualité de la Vierge va être un point auquel les artistes vont s'attaquer. La photographie de 2006 de Vanessa Beecroft, Pregnant Madonna, ose le blasphème, en présentant une none noire, vêtue de blanc et se trouvant enceinte (figure 12). La dichotomie entre l'ébène de la peau de cette femme et l'immaculé de son vêtement renforce le sacrilège de mettre à jour une religieuse ayant explicitement fauté. Le caractère sexuel se révèle ici, et c'est une dimension de doute que l'on peut mettre en parallèle de l'histoire de la Vierge qui n'aurait pas connu d'homme et serait donc tombée enceinte par la volonté du Très Haut. L'artiste ici montre la faiblesse de la chair, qui succombe au plaisir malgré la spiritualité et met en doute la virginité de la Vierge Marie.

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Figure 12: Vanessa Beecroft, Pregnant Madonna, 2006, Rumbek, Soudan

Dans un registre beaucoup plus contemporain, l'artiste Soasig Chamaillard replace la Vierge dans le XXIe siècle avec son oeuvre Nouvelle Bible de 2008 appartenant à sa série Apparition (figure 13). Cette petite statuette représente une Vierge à un stade avancé de sa grossesse, lisant attentivement la « bible » des femmes enceintes et futures mères, J'attends un enfant de Laurence Pernoud. Ainsi, sur un ton quelque peu humoristique, elle affuble la Vierge de préoccupations maternelles terrestres, bien loin des inquiétudes de la mission rédemptrice de son fils à venir. Cependant, on peut voir explicitement le regard critique porté sur la femme enceinte -et la femme en général à travers ses autres travaux- dans la société actuelle par ce détournement.

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Figure 13: Soasig Chamaillard, Nouvelle bible, série Apparitions, 2008, plâtre résine et peinture, 40

cm

3. Si Marie était une mère comme les autres

Marie relève de la « mère idéale » pour ses vertus et son modèle d'éducation. L'exemple de la Vierge, c'est la maternité dévouée entièrement à son enfant, comme le dit P.R Bernard dans Le mystère de Marie, « il est très visible qu'à partir de l'annonciation Marie ne s'appartient plus du tout : elle appartient à son enfant 74 » et B.M Morineau de rajouter « il faudra qu'elle le nourrisse de son lait. Elle l'aidera heure par heure, avec ce dévouement que comprennent les mères75.» La vierge est cette mère idéale qui est présente, qui console, sourit, caresse, prend soin de l'enfant, et va aider ce dernier à aller vers sa voie, sans jamais se montrer possessive. C'est contre quoi les féministes vont se battre, ce modèle idéal silencieux de la femme-mère

74 Bernard, P. R, Le mystère de Marie : les origines et les grands actes de la maternité de grâce de la sainte Vierge, Desclée de Brouwer, Paris, 1933, p.173

75Morineau, B.M, La Sainte Vierge, Bloud et Gay, Paris, 1929, p.88

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totalement dévouée à son enfant jusqu'à s'oublier elle-même, jusqu'à ne plus être sujet indépendant, mais toujours référent : la mère de quelqu'un.

Le manque d'humanité dans ses valeurs chrétiennes sera très justement repris dans un tableau de Max Ernst, La Vierge corrigeant l'Enfant Jésus devant trois témoins, André Breton, Paul Eluard et le peintre, de 1926 (figure 14). Cette oeuvre montre la Vierge fessant le Christ, notamment après l'épisode du temple. Dans la Bible, il est rapporté que lorsque Jésus avait douze ans, il ne rentra pas avec ses parents à Jérusalem mais resta au temple, où il était venu avec eux pour la Pâques. Ses parents le cherchèrent partout, pour le trouver trois jours après au temple. Marie lui demanda seulement pourquoi il avait agi de la sorte, en lui faisant remarquer qu'ils s'étaient inquiétés pour lui. Plus humainement, les surréalistes pensent alors que cet enfant, moins âgé dans le tableau qu'au sein du récit, méritait une correction. Evidemment, la fessée a le sens le plus charnel des punitions, mais c'est aussi la transcription d'un sentiment humain : la fessée est davantage un soulagement pour les parents, sorte de défouloir après une frayeur effectuée par l'enfant.

Figure 14: Max Ernst, La vierge corrigeant l'Enfant Jésus devant trois témoins : André
Breton, Paul Eluard et le peintre,
1926, Huile sur toile, 196 x 130 cm, Museum Ludwig,

Cologne.

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Bernadette Genée met en parallèle également les vertus maternelles et le sacré dans sa série de Sainte Bernadette. Elle fait notamment des lingeries sentimentales, comme le Coeur reliquaire de 1981, où l'on voit une Vierge occupant le centre d'un autel, entourée de trois nourrissons en langes. La Vierge est habillée de dessous affriolant et d'un chapelet. Le blasphème est sans appel : par les dessous, la connotation sexuelle de la Vierge est équivoque, surtout rehaussé d'un chapelet, objet pieux par excellence. Le caractère maternel de la Vierge est appuyé par ces bébés, au nombre de trois, ce qui renvoie à la Trinité. Cette duplicité du nombre d'enfants de la Vierge fait également référence aux maternités mortelles non uniques et aux préceptes catholiques d'accueillir autant d'enfants que Dieu voudra leur donner. Il y a donc une mise en doute de la chasteté de la Vierge sur toute la durée de sa vie, et l'idée de se dire que si elle était LE modèle maternel, pourquoi n'en a-t-elle eu qu'un ?

4. Redonner corps à l'Immaculée Conception

Plus récemment, les artistes contemporains traitent le rapport à la Vierge et sa maternité en parallèle de la science. En effet, pour beaucoup, la science est ce qui a remplacé la religion. Auparavant, les avancées scientifiques se faisaient en regard de la religion, il fallait une certaine adéquation entre les deux. L'Eglise a du s'adapter aux découvertes sur la conception pour que cela aille dans le sens du dogme. Et il faut également penser que les scientifiques de l'époque sont croyants, ainsi les théoriciens sont influencés par leur idéologie. Par exemple, lors du débat entre la théorie de l'épigénèse, qui pense que toutes les parties sont présentes dans la semence mais se développent progressivement, et la théorie du germe, qui voyait des petits hommes déjà formés, le dogme a rejoint la théorie des germes qui s'adaptait au discours disant que Eve aurait eu dans son sein tous les oeufs, donc toute sa descendance, s'emboitant à l'infini. De nos jours, la science et la religion sont diamétralement opposées, surtout lorsqu'entrent en jeu les questions de l'éthique, mais ce sera le sujet d'un autre point.

L'opacité appliquée à la Vierge, et notamment au traitement de son corps si lourdement vêtu, a amené les artistes contemporains à appuyer encore plus leurs démarches sur la corporéité de la Vierge, quitte à la désincarner, afin de dévoiler le corps du Mystère.

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Par exemple, Damien Hirst nous donne à voir, en deux lieux différents -la Royal Academy of Arts de Londres et la place Lever House à New-York- une Vierge de plusieurs mètres de haut. Cette Virgin Mother nue, empruntant les traits à la petite danseuse de Degas, est représentée écorchée sur presque la moitié de son corps (figure 15). L'Incarnation porte ici tout son sens, c'est-à-dire dans la chair. Cependant, cette géante se révèle très, voir trop humaine, avec sa main posée sur son ventre dans un élan de bienveillance universelle. Le « fruit de [ses] entrailles » s'offre à la vue de tous quand des siècles de créations artistiques ont simplement symbolisé cette incarnation. Mais cette incarnation est aussi poussée à son paroxysme, devenant alors désincarnation. Le corps symbole laisse place au corps presque anonyme d'une femme enceinte, à rapprocher de la célèbre La femme écorchée enceinte avec foetus tirée de l'Anatomie des parties de la génération de l'homme et de la femme de Jacques Fabien Gautier d'Agoty en 1773 (figure 16). Ce décharnement partiel tend presque à l'idée d'un cadavre d'autopsie.

Figure 15: Damien Hirst, Virgin Mother, 1994, Plaza of Lever House, New-York

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Figure 16: Jacques Fabien Gautier d'Agoty, La femme écorchée enceinte avec foetus, tirée de
l'Anatomie des parties de la génération de l'homme et de la femme, 1773

Kiki Smith portera un regard quelque peu semblable avec sa sculpture Virgin Mary (figure 17). Le corps dans cette oeuvre est totalement écorché, anonyme. En 1992, Virgin Mary présente un corps de femme écorchée de 1mètre 80 en cire. Elle se tient les pieds joints, bras ouverts et paumes dirigées vers le ciel en posture d'orante. Le titre renvoie évidemment à l'iconographie religieuse de celle par qui Dieu s'est fait chair. Elle met en rapport la religion et la science en dirigeant son travail vers un intérêt « à l'intégrité du corps humain et au fait que différentes factions, de la religion à la loi à l'implantation de la médecine, rivalisent pour son contrôle76

76Solomon, Deborah, « Body and Soul », Bazaar, novembre 1992, p.193, cité dans Désordres : Nan Goldin, Mike Kelley, Kiki Smith, Jana Sterbak, Tunga, exposition Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 12 septembre - 8 novembre 1992, Editions du jeu de Paume : réunion des musées nationaux, Paris, 1992, p.98

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Pour Kiki Smith, la science comme la religion tendent à s'approprier le corps et à l'annihiler. Pour elle, la science serait un remplaçant de la religion, dans le sens qu'elle s'immisce dans chaque parcelle de la vie et qu'elle vise à prendre le contrôle du corps. Mais remplaçant aussi dans le sens que, malgré les doutes et les interrogations qu'elle fait naître, l'Homme a besoin de chimères auxquelles croire. Mais ces deux notions se retrouvent sur un autre point, l'anonymat. La religion ne voyait dans les dévots que des âmes, la science ne voit que des cas cliniques. Il y a la même négation du corps et de l'altérité.

Figure 17: Kiki Smith, Virgin Mary, 1992, bois et cire, 171 x 63 x 36 cm,
Courtesy PaceWildenstein, New York

B. Déesses-mères

Pour les artistes, la recherche des origines est très souvent passée par l'analogie avec une déesse-mère. En effet, le parallèle entre le corps fécond d'une femme et la nature, que ce soit la Terre ou le cosmos, fut largement développé.

1. Déesse et terre-mère : le retour à l'origine

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Un courant de pensée se développa dans les années soixante-dix et influença les artistes pour l'approche artistique des déesses : l'écoféminisme. Il mettait en rapport les idées féministes et l'écologie, en rapprochant la Terre et l'idée des Grandes Déesses, et en créant une généalogie des femmes en lien avec la nature.

La maternité est alors perçue de manière symbolique sous le signe de la fécondité, de l'énergie maternelle de la Terre. Cette idée ancestrale du parallèle entre femme et terre tient en plusieurs images. Tout d'abord, la femme, tout comme la terre, participe à la survie de l'espèce. La femme met au monde pour la perpétuation de l'espèce tandis que la terre offre aux hommes la nourriture consubstantielle à leur survie. De plus, ce rapport à la terre féconde et nourricière va être laissé aux femmes : les hommes partiront chasser quand les femmes auront comme tâche l'agriculture. Il faut également penser à ces déesses symbolisant la vie et la fécondité nourricière liées à des rites agraires telles que la déesse grecque Ga
·a, la Magna mater Cybèle ou Isis. En dernier lieu, la femme et la terre partagent un triste dessein : leur soumission par les hommes. Susan Griffin souligne le fait que l'homme a signifié une même volonté de dompter la nature et la femme77.

Dès le début de sa carrière artistique et avant son rapprochement avec le groupe féministe de la A.I.R Gallery, Ana Mendieta met en oeuvre une démarche s'articulant autour du corps et du paysage qui renvoie à des figures de fécondité. Ainsi avec ses Siluetas (figure 18), une série commencée en 1973, elle inscrit son propre corps dans le paysage, représentant l'union de la forme féminine et de la terre. « J'ai poursuivi un dialogue entre le paysage et le corps féminin (à partir de ma propre silhouette). Je pense que c'est la conséquence directe d'avoir été séparée de ma terre natale à l'adolescence. Je suis submergée par le sentiment d'avoir été chassée du sein maternel (la nature). Mon art est ce qui me permet de rétablir les liens qui m'unissent à l'univers78. » Ce parallèle entre corps féminin de l'artiste et force vitale de la terre s'ajoute à ce besoin de retrouver la terre dite maternelle. Le lien entre la nature et l'identité est alors important. On peut remarquer l'analogie du corps féminin à la matrice par cette démarche de trace au sein de la nature. Dans le catalogue de l'exposition L'Empreinte, il y a le rapprochement

77 Griffin, Susan, Woman and nature : the roaring inside her, Women's Press, Londres, 1978

78 Viso, Olga, « Ana Mendieta, Earth Body :Sculpture and Performance, 1972-1985 », p.35, cité dans Ana Mendieta: blood & fire, texte de Abigail Solomon-Godeau, Linda Montano, Nancy Princenthal, ouvrage publié à l'occasion de l'exposition à la Galerie Lelong, du 8 septembre au 8 octobre 2011, Galerie Lelong, New-York, 2011, p.57

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entre l'art procédant d'un moule et la reproduction humaine utilisant une matrice, le corps de la femme79.

Figure 18 : Ana Mendieta, Imagen de Yagul, série des Siluetas, 1973, photographie couleur, 48,3x
31,8 cm, Collection Glenstone

En 1981, avec la série sculpturale des Earthworks dans le parc national de Jaruco, le lien avec l'univers des déesses est évident, car les neuf sculptures d'aspect rupestre portent des noms de déesses amérindiennes (de la lune, du vent, des menstruations et de l'eau).

Cette insertion du corps de la femme dans la nature et au sein d'une lignée de grandes déesses marque également la notion de renaissance. La nature est le lieu de toute vie, mais la terre représente également la dernière demeure du corps. L'ambivalence équivoque entre la vie et la mort qui s'exprime au sein du travail d'Ana Mendieta par ces silhouettes disparaissant, s'inscrit

79 L'empreinte, exposition organisée par le Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle, Paris, du 19 février au 19 mai 1997 / direction. Georges Didi-Huberman, Ed. du Centre Georges Pompidou, Paris, 1997, p.38

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littéralement dans cette veine des Déesses-mère. En effet, Carl Jung80 explique que très souvent, les déesses sont porteuses de deux énergies : une créatrice et l'autre destructrice, qui s'inscrit dans l'idée du cycle de la vie, de la renaissance. Les grandes déesses sont affublées d'un aspect archaïque phallique, leur puissance féminine renverrait à un aspect viril. Kâlî, déesse hindoue, est une déesse de vie mais également de mort, mais nous pouvons également penser à Lilith, première épouse d'Adam, déesse-mère pour les Sumériens, qui se trouve être l'emblème du matriarcat au même titre qu'une tueuse de nouveau-nés. Les déesses ont donc des qualités doubles, qui s'apparentent au masculin et au féminin. Cet androgynéité se retrouve dans les Fragile Goddess de Louise Bourgeois, où elle mêle les attributs mâles, avec cette pointe phallique qui se dresse en guise de tête, et femelles par ce ventre proéminent et ces deux seins (figure 19). Les sculptures de l'artiste Elsa Sahal, que nous retrouveront dans le prochain point, incarnent en quelque sorte de nouvelles déesses de la fertilité en jouant sur l'ambigüité du masculin avec ces formes phalliques surgissant de la glaise, mais aussi du féminin, par les formes pleines comme dans l'exemple Autoportrait à l'enfant I.

80 Cité dans l'article de Gloria Feman Orenstein, « Une vision gynocentrique dans la littérature et l'art féministes contemporains », Études littéraires, Volume 17, numéro 1, avril 1984, p. 143-160

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Figure 19 : Louise Bourgeois, Fragile Goddess, 1970, bronze et patine dorée, 26 x 14, 3 x 13,7 cm,
Collection privée, New-York

2. Créatrice cosmogonique

Les artistes pouvaient s'appuyer sur certains textes anciens pour développer cette imagerie, comme le texte de Cicéron, le Somnium Scipionis, où l'espace est investi d'un sens maternel puisqu'il serait le lieu des origines. En effet, la création du monde et de l'univers est à l'origine de la vie, le mythe cosmogonique va être rapproché de la vision procréatrice de la femme. La créatrice cosmogonique est source de fécondité, de fertilité et de création. Otto Dix par exemple expose sa vision de la maternité en faisant se confondre cosmos et femme enceinte par des jeux de courbes qui se superposent aux spires d'une constellation d'étoiles dans Schwaugeres Weib (figure 20).

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Figure 20: Otto Dix, Femme enceinte (Schwangeres Weib), 1919

Monica Sjöö reprend cette idée avec God Giving Birth en 1968 (figure 21). Le dieu indiqué dans le titre se révèle être une déesse, représentée en train de donner naissance. Une figure féminine imposante emplit tout l'espace du tableau. Sa monumentalité n'a d'égale que la froideur de son exécution, la palette employée étant faite de bleu et de gris. D'entre ses jambes écartées et à demie fléchies sort une tête, ni masculine ni féminine. Le fond est neutre, on aperçoit seulement deux planètes de part et d'autre du visage impassible du « dieu ».

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Figure 21: Monica Sjoo, God Giving Birth, 1968, huile sur aggloméré, 183 x 122 cm,
Museum Anna Nordlander, Skelleftea, Suède.

Dans cette démarche de développement artistique autour de l'origine du monde, les artistes vont tendre à développer une iconographie autour de la caverne notamment. « Cette évocation de la grotte, lieu humide et sombre, incarne dans l'imaginaire artistique l'espace où la création s'identifie à une activité démiurgique et cosmique81. » L'analogie au sexe féminin, à l'utérus lieu de vie par les mots « humide et sombre » est évidente, et nous pensons également à la caverne comme premier lieu d'habitation de nos ancêtres, comme le souligne Platon avec le mythe de la caverne.

Amédée Ozenfant avait déjà exposé le thème de la maternité et d'un âge d'or primitif situé dans l'espace matriciel de la caverne. Mary Beth Edelson rassemblera ces idées de grotte et de déesse-mère dans ses performances, comme Grapceva Cave See For Yourself : Neolithic cave serie, en 1977 (figure 22). Le symbole de la grotte est expliqué par Judy Chicago et Miriam Schapiro dans Female Imagery « les femmes artistes ont utilisé la cavité centrale, qui les définit

81Da Costa, Valérie, Fondation d'entreprise Ricard, Elsa Sahal, Catalogue édité à l'occasion de l'exposition d'Elsa Sahal "Sculptures", à la fondation d'entreprise Ricard, 10 mars - 5 avril 2008, avec le concours de la Galerie Claudine Papillon, Editions Particules, Paris, 2008, p.27

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comme des femmes, en tant que structure d'une représentation qui permet de renverser totalement la manière dont les femmes sont considérées par la culture82. »

Figure 22: Mary Beth Edelson, See for Yourself, série Grapceva Neolithic cave, 1977,
performance on the island of Hvar

L'artiste Elsa Sahal développe dans ses travaux l'idée de la grotte comme révélation de son intériorité. Ces travaux, explicitement en rapport avec son expérience de la maternité, jouent également sur des matériaux qui renvoient aux origines de l'art avec le mythe de Dibutade, avec ses superpositions de couches de terre travaillées dans un rapport plus que charnel. Son oeuvre Autoportrait en forme de grotte ou encore Grotte Généalogique renvoie explicitement à ce

82Femal Imagery, p.11, cité dans Dumont, Fabienne, La rébellion du Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible des théories féministes anglo-américaines (1970-2000), Presses du Réel, 2011, p.117

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rapport à l'identité et cette intériorité (figures 23 et 24). La grotte fait écho à son expérience de la maternité, ce qui lui aura inspiré ces séries réalisées pour le musée de Sèvre.

Figure 23: Elsa Sahal, Autoportrait en forme de grotte III, 2005
Céramique, 60 x 50 x 45 cm

Figure 24: Elsa Sahal, Grotte généalogique, 2006
Céramique (5 éléments) sur table en métal 100 x 244 x 122 cm

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3. Parallèle mythe créateur et artiste-femme

Le recours à l'image de la déesse va mettre en évidence la volonté de renaissance de l'art, au sens de la culture féminine, mais de manière plus recentrée sur les artistes elles-mêmes. En effet, il s'agit de ne plus être femme, c'est-à-dire corps, mais se révéler artiste. Le recours à cette image de la déesse revient à chercher et trouver une identité, une certaine généalogie dans la culture féminine, comme une sorte de passage entre le statut de femme-artiste à celui d'artiste-femme.

L'artiste Niki de Saint Phalle en fera l'expérience avec la Hon, cette monumentale sculpture présentée au Moderna Museet de Stockholm en 1966 (figure 25). Cette grande Nana enceinte, réalisée en collaboration avec Jean Tinguely et Per Olof Ultvedt, représente pour l'artiste « une grande Déesse de la fertilité, accueillante et confortable dans son immensité et sa générosité83.» Dans cette grande déesse par laquelle on pouvait pénétrer par le vagin, on trouvait, entre autre, un bar à lait dans le sein gauche, un planétarium dans le droit, une salle de cinéma, une exposition de faux chefs-d'oeuvre, une terrasse sur le ventre. Par cette oeuvre, on remarque un changement chez l'artiste : les formes deviennent plus douces et la violence des tirs de peinture s'estompe pour aller vers une démarche en adéquation avec une certaine acceptation de sa féminité. Ainsi, l'élan vers le retour à la Mère s'effectuera avec son autre sculpture monumentale située au Jardin des Tarots, l'Impératrice.

83 Lettre de Niki de Saint Phalle à Clarice, in Niki de Saint Phalle, Kunst und Ausstellungshalle, Bonn, 19 juin- 1er novembre 1992 ; MacLellan >Galleries, Glasgow, 22 janvier-4 avril 1993 ; Musée d'Art Moderne, Paris, Juin-septembre 1993, p.168, Schmutz, Lydie, l'art et la vie confondus : la production artistique de Niki de Saint-Phalle de 1961 à 1966, Mémoire de Maitrise Histoire de l'art, Strasbourg, 2004, p.41

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Figure 25: Niki de Saint-Phalle, La Hon, 1966, matériaux divers, 28 mètre, Moderna Museet

de Stockholm

Par l'image de la déesse et la revendication d'une descendance de celle-ci, les artistes revendiquent une culture féminine. Auparavant, les artistes se sentaient prisonnières entre la volonté de faire référence à leur identité féminine et celle d'être reconnue, ce qui impliquait de pratiquer dans la veine des artistes masculins.

4. Le matriarcat comme héritage féminin

En abordant les cultures matriarcales au sein de leur démarche artistique, les artistes désiraient se créer une filiation, et montrer que le génie créateur n'est pas seulement masculin. En effet, jusqu'au début du XXe siècle, la place des femmes dans la communauté artistique était restreinte. Les premières femmes artistes ont du faire le choix de la féminité ou de la création, en changeant de noms, comme par exemple Georges Sand, ou en se masculinisant comme Rosa Bonheur et il fallait le plus souvent un mentor masculin pour accéder aux cimaises. Les femmes étaient jusqu'alors considérées comme les modèles, accentuant la passivité de leur corps et soumises au regard des hommes.

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C'est la question du genre dans l'histoire de l'art qui se développe dans les années soixante-dix et qui doit être mis en parallèle de ce développement de la recherche des origines matriarcales. Linda Nochlin pose la question fondamentale de savoir « Pourquoi nÕy a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? » et répond en montrant que l'homme était considéré comme l'action, le génie créateur, quand la femme est du côté du sexe. Il s'agissait alors de remettre en question le système patriarcal en recentrant sur des mythes fondateurs comme la déesse-mère, afin de destituer le Dieu patriarcal.

L'engouement révélé pour la thèse évolutionniste d'un matriarcat primitif exposée entre autre par l'allemand Bachofen, l'anglais Lewis Henry Morgan ou encore Friedriech Engels (considérant que les familles primitives auraient été des matriarcats) fut une base de cette recherche féministe. Dans cette veine, certains comme Evelyn Reed vont vouloir prétendre à la supériorité morale originelle des femmes, ainsi que leur supériorité technique. Mais comme le dit Aline Dallier-Poper « le féminisme n'est pas, comme on le croit souvent, une lutte contre les hommes mais contre des comportements phallocratiques et phallocentriques en vigueur dans notre société jusqu'il n'y a pas longtemps. C'est une lutte pour l'obtention de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes84. » Ainsi Kay Turner précise dans un article paru dans la revue Heresies sous le titre « Contemporary Feminist Rituals85 », qu'il ne faut pas voir dans ces références récurrentes au matriarcat « un désir de revenir à l'âge d'or matriarcal, comme certains critiques l'ont prétendu86. Il est beaucoup plus crucial pour [É] toutes les femmes de dégager et de retrouver leur imaginaire héréditaire (tel qu'il se manifeste dans les pouvoirs et les fables des déesses) et de créer de nouvelles images qui représentent la récente résurgence des femmes [É] que de prouver l'existence absolue et historique d'un matriarcat généralisé [É]. » Il s'agissait donc pour les artistes de créer leur propre univers mythique afin de légitimer leurs expressions artistiques, et de montrer que l'apparition des femmes dans la sphère artistique n'était pas une nouveauté, mais que leur importance et leur talent avaient été dissimulés par la société patriarcale.

84Dallier, Aline, Art, féminisme, post-féminisme : un parcours de critique d'art, entretien avec Claudine Roméo, L'Harmattan, Paris, 2009, p.18

85Kay Turner, « Contemporary Feminist Rituals », in Heresies :The Great Goddess issue, n°3, Sp. 1978, p.24, repris dans l'article de Gloria Feman Orenstein, « Une vision gynocentrique dans la literature et l'art féministe contemporains », Etudes Littéraires, vol.17, n°1, 1984, p.143-160

86 E. Gould Davis et Evelyn Reed sont de cette veine radicalisante.

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C'est ce qu'entend dénoncer Mary Beth Edelson, qui réalisa une série intitulée Great Goddesses en 1975 : « les symboles archétypaux ascendant au féminin se déploient aujourd'hui dans le psyché de la femme moderne. Ils englobent les formes multiples de la Grandes Déesse. Traversant les siècles, nous prenons la main de nos soeurs ancestrales. La Grande Déesse, bien vivante, se lève pour annoncer aux patriarches que leurs 5000 ans de domination arrivent à leur fin. Alléluia !nous voici87. »

Judy Chicago, qui a réalisé l'oeuvre très controversée The Dinner Party, croyait en une culture pré-patriarcale dominée par les femmes (figure 26). On retrouve dans son travail la volonté de retracer une généalogie de la création au féminin, en nommant et représentant visuellement mille trente-huit femmes artistes. A cela s'ajoute une volonté de faire référence aux techniques féminines qui procèdent également de l'héritage, avec notamment les chemins de tables brodés ou la peinture sur porcelaine. Les artistes des années soixante-dix vont très souvent employer ces techniques artisanales féminines pour les intégrer dans leur démarche artistique, toujours dans cette recherche identitaire et cette volonté de montrer un mode de transmission artistique différent des codes institués par le marché de l'art phallocrate. Les artistes utilisent les techniques comme la couture, le tricot, comme l'a démontré Aline Dallier-Popper avec son travail sur l'art textile. Certaines artistes vont utiliser des techniques féminines très fortement connotées de l'univers domestique, mais en utilisant des matériaux plus conventionnels au regard de la pratique artistique dominante. Ainsi, Raymonde Arcier crochetait du laiton. Elle allia travail féminin du crochet et matériau masculin pour fabriquer ses gigantesques sculptures, comme une éponge à récurer inutilisable de un mètre de diamètre au fil de fer au point mousse.

87Archer, Michael, L'art depuis 1960, traduit de l'anglais par Anne Michel, Thames & Hudson, Paris, 1997, p.118

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Figure 26: Judy Chicago, The Dinner Party, 1974-79, céramique porcelain et textile, 1463 x
1463 cm. Brooklyn Museum.

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IV. « Notre corps, nous-mêmes »

A. Réinvestir le corps

Le corps de la femme a toujours été assujetti au regard de l'homme, ce dernier représentant les attributs féminins selon sa propre idée de la femme, tantôt vierge tantôt putain. A partir des années soixante-dix, les femmes vont se réapproprier leurs corps, selon le slogan « notre corps, nous même », et cette réappropriation trouve un véhicule important dans la création artistique. Il s'agissait alors de faire tomber la vision hégémonique masculine sur les attributs féminins

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pour développer le regard féminin, comme l'exprime Emmanuel Grez88 « l'art dit féministe, ça peut être également la construction d'un regard de femme sur le corps de la femme, des femmes plutôt, traditionnellement propriété du regard masculin. Il s'agit ici simplement d'affirmer que le corps de la femme existe aussi sans le regard de l'homme. » Une nouvelle iconographie du corps au féminin, ainsi qu'une iconographie de l'expérience féminine, largement fondées sur la dimension biographique, vont être développées, en lien évident avec la maternité, car comme l'indique Yvonne Knibieler, « l'émancipation des femmes ne peut se faire contre la maternité ni sans elle89

1. Le sexe

Le sexe féminin est un organe ambigu : lieu de la reproduction, c'est par cet orifice que s'effectue l'accouplement mais c'est également par cette voie que les femmes donnent naissance aux enfants ; et lieu de plaisir charnel. La figuration du sexe féminin au fil des siècles va donc osciller entre ces deux pôles. La notion reproductive du sexe va être représentée de manière positive, alors que l'aspect tout à fait sexuel va être connoté négativement. Tour à tour porte du divin ou porte de l'enfer représentée dentée dans les représentations surtout religieuses du Moyen-âge, elle trouve son paroxysme d'ambigüité dans l'oeuvre de Gustave Courbet, L'origine du Monde (figure 27). En effet, cette oeuvre commandée par Khalil-Bey, un diplomate turc, montre le sexe d'une femme allongée, nue, cadrée des cuisses largement ouvertes et des seins, dont un se dévoile. L'aspect très réaliste et le fait que l'ambassadeur était connu pour sa collection de peintures érotiques porte d'abord vers le sens de l'érotisation du sexe féminin. Mais le titre peut jouer des tours. En effet, on peut penser à l'origine du monde qui se rapporterait à l'épisode de la Bible d'Adam et Eve chassés du paradis, conférant alors à la femme sa fécondité -dans la douleur- pour sa rémission. C'est alors le début de l'humanité.

88 Grez, Emmanuel, « Mon oeil, regard masculin sur quelques liens entre art et féminisme », in Art à contre corps, Quasimodo, n°5, printemps 1998, Montpellier p.78

89 Knibiehler Yvonne, La révolution maternelle : Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945, Perrin, Paris, 1997, p.12

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Figure 27 : Gustave Courbet, L'origine du monde, 1866, Huile sur toile, 46 x55 cm, Paris, musée

d'Orsay

Dans les années soixante-dix, soit presque un siècle après la réalisation de L'origine du monde, les artistes vont montrer que cette ambivalence du sexe féminin n'a pas disparu, mais qu'elle se confond et ils vont amorcer une scission entre ces deux entités : maternité et féminité. Seulement, des notions nouvelles apparaissent, comme la culpabilité de la sexualité ou même l'ignorance. En effet, si le sexe est ce qui différencie biologiquement la femme de l'homme, c'est également un tabou puissant de la société. En 1960/1970, les jeunes filles ne bénéficiaient pas d'éducation sexuelle, certaines ne sont pas prévenues de l'apparition des règles. Pour ce qui est de la notion de plaisir, il est occulté. Des jeunes filles pensaient ne pas pouvoir tomber enceintes si elles n'éprouvaient pas de plaisir pendant l'acte sexuel, car la religion catholique affirmait que la jouissance donnait la vie, toujours dans cette optique d'indistinction entre la maternité et la sexualité. Ce discours était là pour culpabiliser au maximum les jeunes filles et les femmes qui avaient des rapports sans vouloir d'enfants. La sexualité était alors perçue comme une faiblesse, car la femme n'avait pas su résister aux plaisirs de la chair.

La confusion se fait également entre la fonction physiologique du sexe, celui d'uriner, et le sexe du plaisir. Le clitoris est occulté des discours, et la masturbation féminine diabolisée. Dès le plus jeune âge, la mauvaise conscience s'abat sur cette partie du corps de la femme qui est sale, honteuse. Il faut cacher ce sexe, faire attention aux garçons. Il y a donc un climat pesant sur le sexe féminin. Les artistes vont se réapproprier cette partie du corps si importante pour l'identité de la femme en y mêlant la notion de plaisir. Le plaisir sexuel ira même jusqu'à une certaine pornographie, qui s'explique par la rébellion violente envers un monde régit par des hommes

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et la domination masculine, l'oppression masculine exercée sur le corps -et le sexe de surcroit-féminin. C'est le cas de la performance d'Annie Sprinkle, une militante porno-féministe, qui dans Public Cervix Anouncement, offre en toute complaisance, son col de l'utérus au regard du spectateur par le moyen d'un speculum (figure 28). Valie EXPORT offrira également la vue de son entre-jambe dans une performance ayant eu lieu dans un cinéma pornographique de Munich et immortalisée par une photographie dans Gential Panic (figure 29). Le sexe devient alors un médium à part entière. Il symbolise la revendication féministe et montre que le sexe n'est pas qu'un instrument de maternité, en faisant l'apologie d'une pornographie féminine. Sur ce mode, les artistes féministes vont développer des démarches artistiques autour de la figure du vagin, de l'utérus, du sexe féminin. C'est ce que l'on a qualifié de « Cunt art », l'art con en français, et qui fait donc l'apologie du sexe féminin.

Figure 28 : Annie Sprinkle, Public Cervix Announcement, 1990, performance

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Figure 29: VALIE EXPORT, Action Pants: Genital Panic, 1969, photographies, The Museum of
Modern Art, New-York

Le sexe est également « celui qui gardera toujours le souvenir de la gestation et de la maternité90. » En effet, les représentations d'accouchement montrent un sexe boursouflé, où les lèvres semblent prêtent à éclater. Un exemple masculin qui apparait avant la période que nous traitons semble à propos. Il s'agit de Gaston Lachaise avec Dynamo Mother (figure 30). La forme féminine de cette sculpture disparait derrière ce sexe qui s'offre au regard dans la violence de l'accouchement. Judy Chicago montre également ce sexe, porte de vie déchirant le corps féminin et le partageant, dans Birth Tear (figure 31).

90 Les Chimères, Maternité esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975, p.161

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Figure 30: Gaston Lachaise Dynamo Mother, 1933, Bronze, 26 x 44 x 17 cm, Lachaise
foundation, Boston

Figure 31: Judy Chicago, Birth Tear, 1982, broderie sur soie, 50,8 x 69 cm, The Albuquerque Museum

2. Le sein

Symbole même de la féminité, le sein est l'organe équivoque par excellence. A la fois érotique et source de nutrition, il représente les deux notions présentes chez la femme : sa fonction reproductive et son caractère sexuel. Ce n'est pas par hasard si le mythe veut qu'un groupe de

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féministes brûle leur soutien-gorge en place publique91. Par ce geste fort et symbolique, elles dénonçaient la domination masculine, leur féminité prisonnière des carcans institutionnels représentés par ce vêtement féminin par excellence.

i. Maternité - animalité: le corps nourriture

Des seins coule le lait, première nourriture du nouveau-né, vitale de surcroit avant l'apparition des biberons et autres substituts de laits artificiels. Il ramène donc la femme à un état animal, dans ce corps à corps avec l'enfant pour le besoin de la nutrition, comme le font les autres mammifères. L'analogie de cet attribut maternel est très fréquente : dans le langage courant, ne dit-on pas « attacher à ses mamelles » lorsque l'on parle d'un enfant trop proche de sa mère ?

Les artistes de la révolution sexuelle vont mettre à mal la représentation de la femme en tant qu'allaitante, qui était jusque là la plus fréquente représentation de la maternité, en attestent les nombreuses oeuvres d'Eugène Carrière sur ce sujet, mais également Renoir ou Mary Cassatt. La raison en est que par l'image de la femme allaitant sont toujours véhiculés les idées de tendresse mais surtout de dévouement maternel. Il va être question alors de montrer le rapport de corps nourriture, dans cette optique d'animalité, avec un aspect dépréciatif évident, afin de témoigner de l'aspect réducteur de la maternité. L'artiste allemande Judith Samen, que l'on rattache au groupe du Food Art ou Eat art, fait état de cette vocation nourricière en présentant sa poitrine, qu'elle presse de ses deux mains sur chaque sein, pour, pense-t-on, y faire jaillir le lait nourricier. Dans ses photographies, elle met en scène son corps, celui de son enfant ainsi que de la nourriture, offrant un triptyque dégradant de la maternité, ne tournant qu'autour des besoins nutritionnels de l'enfant. L'aspect grotesque des mises en scène tend à esquisser l'aspect aliénant de la maternité.

Un des rares hommes à traiter de cette question de l'allaitement autrement que par le biais de l'image de la tendre mère, c'est Michel Journiac. Ce dernier, dans sa série photographique des 24 heures dans la vie d'une femme ordinaire en 1974, se travestit en femme donnant le sein à un enfant (figure 32). La scène est banale bien que la poitrine soit totalement plate et « vide »

91 Les Archives du Féminisme indique qu'en septembre 1968, un groupe de féministes américaines avait prévu de bruler leur soutien-gorge lors de la perturbation du concours de beauté Miss America à Atlantic City. N'ayant pas obtenu l'autorisation de faire du feu sur le voie public, elles ont alors jeté leur soutien-gorge, symbole de domination masculine et d'aliénation féminine pour le regard masculin, à la poubelle.

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et abondamment poilue. Ce qui est intéressant, c'est que Michel Journiac place cette photographie dans la section des Fantasmes, avec la naissance et l'avortement. De plus, cette série photographique dénonce le quotidien des femmes, se positionnant comme féministe.

 

Figure 32: Michel Journiac, 24 heures dans la vie d'une femme
ordinaire, Réalités/Fantasmes
, l'allaitement, série des fantasmes,
1974, photographie noire et blanc

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Le corps de la mère traité comme nourriture, sur le mode de l'aliénation, se retrouve également dans une perspective cannibalisée par l'oeuvre de Bettina Rheims où l'on trouve une vierge voilée de noir présentant un sein d'où perle une goutte de sang (figure 33). Ce Lait Miraculeux de la Vierge, fait référence à l'incarnation du Christ et à l'image de la Vierge allaitante, mais sa participation à l'exposition Tous cannibales lui confère un caractère dénonciateur du rôle maternel. On y voit alors une référence à l'exigence dévorante du nouveau-né, qui mange littéralement le corps de sa mère. Le rapport cannibale entre la mère et l'enfant ne s'arrête plus à l'allaitement aujourd'hui, comme on le constate avec l'essor d'une nouvelle pratique, la placentophagie92, qui consiste à ingérer son placenta, afin de mieux récupérer de son accouchement et de minimiser les risques de dépression post-partum.

92 Pham, Laura, Des mères consomment leur placenta en gélule, L'Express, 26 aout 2011

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Figure 33: Bettina Rheims, Le Lait miraculeux de la Vierge, Série: I.N.R.I., Photographie, 1997,

Ville Evrard

Ana Mendieta traitera le thème de la maternité comme obligation sociale et aliénante avec Source en 1975, où elle se filme en gros plan en train de presser son sein pour en faire sortir du lait.

L'idée du sein nourricier et vital, va symboliser l'abondance de la Terre, la fertilité. De beaux seins ronds et pleins indiquent la possibilité de fécondité, l'appel à la vie, tandis que des seins flétris représentent la stérilité dans cette idée de corps aride. C'est la différence exprimée dans l'oeuvre du Maître de Soubise, entre la richesse du corps féminin des Amoureux du Musée de Cleveland et l'aridité du corps des Amants trépassés du Musée de l'OEuvre-Notre-Dame à Strasbourg (figure 34 et 35).

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Figure 34 : Les Amants trépassés, Revers d'un panneau peint, Souabe ou Rhin supérieur, vers 1470,
Musée de l'oeuvre Notre-Dame, Strasbourg
Figure 35 : Couple d'amoureux, Avers du panneau adjacent, Souabe ou Rhin supérieur, vers 1470,
Musée de Cleveland

Certaines artistes vont développer la notion d'abondance qu'insinue cet organe. Louise Bourgeois démultipliera des seins, en sculpture, jouant sur l'aspect érotique mais également de mamelles nourricières. En effet, par Mamelles, sculpture-paysage qui fait partie de la série des Cumuls datant de 1991, elle allie animalité et sexualité (figure 36). Animalité car elle demande au spectateur « imaginer une chienne ou une vache ; vous la retournez sur le dos et vous avez un paysage très intéressant, mobile, vivant et souple93.» Sexualité car le sillon que forme les seize mamelles semblent former un vagin.

93 Citée par Marie-Laure Bernadac, dans Louise Bourgeois, Flammarion, Paris, 1995, p.194

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Figure 36: Louise Bourgeois, Mamelles, 1991, caoutchouc, fibre de verre et bois (oeuvre
murale), 48,2 x 340,8 x 48,2 cm, Tate, Londres

ii. Le corps plaisir

Les notions de maternité et de plaisir vont être abordés par les artistes, afin de montrer que l'on peut être mère ET femme. En effet, il est révélé ce que de nombreuses mères ont éprouvé un sentiment de plaisir durant l'allaitement, mais ce sentiment est vite rabroué. Cette notion s'éloigne considérablement du rôle nourricier, mais a cependant un effet bénéfique et une explication scientifique. Hélène Deutsch évoque elle-même l'allaitement comme une source de jouissance pour la mère : « Dans l'allaitement, le sein de la femme joue aussi le rôle d'un organe de satisfaction sexuelle. Le grand plaisir de la mère ne réside pas seulement dans le fait de nourrir son enfant, c'est aussi un acte de jouissance sexuelle, au coeur duquel la glande mammaire joue le rôle d'une zone érogène. » Cependant il ne faudrait pas se méprendre sur le rapprochement de l'allaitement et d'un sentiment incestueux car elle continue « dès que le rôle sexuel de l'appareil de succion prend trop d'importance, le refoulement intervient et l'impossibilité d'allaiter apparait aussi94. » Maternité et plaisir se voient réconciliés, après des siècles de séparation, voire de négation du plaisir féminin au profit exclusif de la maternité, comme on le remarqua avec cette interdiction d'avoir des relations sexuelles pendant l'allaitement sous peine de gâter le lait.

94Hélène Deutsch, Psychanalyse des fonctions sexuelles de la femme, 1994, p.72 dans Danielle Bastien, Le plaisir et les mères, féminité et maternité, p.80

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Parlant de sa propre expérience de l'allaitement, Milan Kundera fige ce plaisir maternel au-delà du plaisir sexuel, en faisant une expérience presque mystique. « Après l'accouchement, le corps de la mère entra dans une nouvelle période. Quand elle sentit pour la première fois la bouche tâtonnante de son fils téter son sein, un doux frisson explosa au milieu de sa poitrine ; cela ressemblait à la caresse de l'amant, mais il y avait quelque chose de plus : un grand bonheur paisible, une grande quiétude heureuse. Cela, elle ne l'avait jamais connu auparavant ; quand l'amant baisait son sein, c'était une seconde qui devait racheter des heures de doutes et de méfiances, mais maintenant elle savait que la bouche qui se pressait contre son sein lui apportait la preuve d'un attachement ininterrompu dont elle pouvait être certaine. Mais il y avait autre chose... jamais elle ne s'était abandonnée pareillement à un autre corps, et jamais un autre corps ne s'était abandonné à elle pareillement. L'amant pouvait jouir dans son ventre, mais il n'y avait pas habité, il pouvait toucher son sein, mais il n'y avait pas bu95. »

La psychanalyse qui explose dès les années 1960 va permettre aux mères de ne plus se sentir coupables du plaisir ressenti par la maternité, et va réussir à allier plaisir et maternité, pour ne plus avoir à choisir entre les deux.

Chez les artistes, les seins vont retrouver une place érotique. Valie EXPORT propose aux passants de glisser leurs mains dans une boîte placée sur sa poitrine et dissimulant cette dernière. Aveuglement, ils rencontrent de leur caresse les seins de l'artiste, créant un théâtre érotique96. Elle dit « en permettant à tout le monde de toucher ce que l'on peut appeler en langage cinématographique « l'écran de mon corps », ma poitrine, j'ai dépassé les limites de la communication sociale communément admise. Ma poitrine échappait à la « société du spectacle » responsable de la transformation des femmes en objets. De plus, les seins n'appartiennent plus à un seul homme, et la femme qui dispose librement de son corps tente de se donner une identité indépendante. C'est le premier pas pour passer du statut d'objet à celui de sujet97. »

95 Milan Kundera, La vie est ailleurs, p.20, dans Danielle Bastien, Le plaisir et les mères, féminité et maternité, p.82

96 Dans cette performance Tapp und Tastkino (cinéma tactile), 1968 à Vienne lors d'un festival de cinéma.

97 Valie Export, Citée par Peter Nesweda, dans « In her own image : Valie Export, artist and feminist », Arts Magazine, 1991, cité dans Phelan, Peggy, Art et féminisme, Phaidon, Paris, 2005, p.64

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3. Le ventre

Le ventre, la partie située entre le sexe féminin et la poitrine, est une partie du corps peu représenté. C'est pourtant le lieu du développement de la vie, du foetus, c'est la matrice par excellence. Le ventre est le réceptacle, car la femme a longtemps été considérée comme un contenant, une matière inerte animée par le sperme. A l'heure de la révolution sexuelle féminine, les artistes ne vont plus évoquer mais exposer le ventre, tour à tour symbole de l'aliénation ou de la liberté de choix.

L'Espoir de Gustave Klimt, faisant apparaitre sous son pinceau une femme très avancée dans la grossesse et voluptueuse. Cette représentation d'une femme enceinte fit scandale, par le fait qu'elle fut nue entre autre. Son caractère sexuel, avec la dimension érotique indéniable, désacralisait l'image maternelle. Dans cette veine, les artistes de la libération sexuelle vont développer l'imagerie du ventre maternel non plus en négation de la sexualité, mais au contraire pour montrer l'exaltation du corps fécond. Les femmes enceintes peintes par Alice Neel dans les années soixante-dix traduisent l'épanouissement sexuel de ces femmes. Par exemple Pregnant Maria présente une femme enceinte nue, allongée lascivement sur un lit défait (figure 37). Le corps enceint n'est plus dissimulé derrière de lourds vêtements mais s'exhibe fièrement. Par ces nus s'expriment la conquête du corps, la fierté de pouvoir choisir la maternité plutôt que de la subir, dans ce contexte de libération sexuelle.

Figure 37: Alice Neel, Pregnant Maria, 1964, huile sur toile, 81.3 x 119.4 cm, Collection privée

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En parallèle, le ventre va également devenir un médium pour revendiquer le droit à disposer librement de son corps, et dénoncer l'aliénation de la maternité, notamment pendant la lutte pour obtenir le droit à l'avortement et l'accession à la pilule. C'est le cas de Claude Cehes qui dans Maternité, montre le ventre d'une femme encerclée de grosses chaînes.

Susan Hiller montre dans une série photographique intitulée Ten Months (figure 38), l'évolution de son ventre durant toute sa grossesse. Les dix blocs comprenant chacun vingt-huit photographies sont accompagnés d'extraits de son journal, qu'elle tenait en parallèle. L'évocation très poétique de paysages presque lunaires est contrebalancée par l'anxiété qui se joue au sein de ses notes. Le ventre grossit en même temps que l'angoisse face à la future rencontre avec l'enfant et le nouveau statut de mère monte.

Figure 38: Susan Hiller, Ten Month, 1977-1979, Installation à la Hayward Gallery, 1980,

Londres

Mary Kelly réalisera une vidéo en prologue de son travail The Post-Partum Document, avec Antepartum, où l'on voit son ventre enceint en gros plan et elle nous montre l'interaction avec son enfant in utéro par les mouvements qu'il fait sur son ventre.

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Plus tard, Kiki Smith développera également la réappropriation du corps de la femme, mais au sein du processus de maternité qu'elle considère spoliée par la médecine, par sa série Shields, des moulages de ventres de femmes enceintes (figure 39).

Figure 39: Kiki Smith, Shield, 1988, plâtre, 19 x 18 x 14 cm, collection de David McKee,

New York

Enfin, le ventre est la partie du corps qui conserve l'empreinte de notre vie utérine et de notre attachement à notre mère. Marie-Ange Guilleminot fait référence à la maternité comme origine de notre identité par sa série Moulage de nombril, point commun et vues de l'intérieur en 19911992 (figure 40).

Figure 40: Marie-Ange Guilleminot, Point Commun. Vues de l'intérieur, 1992, 3 moulages de
nombril en plâtre, 14,5 x 14,5 cm (chacun)

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4. Fluides féminins : le sang et les menstruations

i. Les menstruations

« De tous les écoulements celui du sang est le plus terrifiant » affirme Jean-Paul Roux98. De tout temps, le sang des femmes a été une source de questionnement, dont en résultait la discrimination des femmes par la valeur négative de ce fluide corporel. Jusqu'au XXe siècle en France, on attribuait encore au sang des menstrues des propriétés malfaisantes, comme faire tourner le lait de vache, d'émousser les lames de couteaux ou même de troubler le vin. Terrifiant, le mot n'est pas un euphémisme. On accorde au sang les vertus de l'hystérie. Par exemple, Yves Klein, qui avait voulu faire une anthropométrie avec le sang menstruel d'une prostituée qu'il avait payé pour se barbouiller de son sang et s'allonger sur une feuille de papier pour y imprimer son corps, a vu la jeune femme devenir hystérique lorsqu'elle se rendit compte de son état. L'hystérie par ailleurs, a une base toute féminine. Etymologiquement, l'hystérie est empruntée au grec qui veut dire « la matrice », et la matrice fait directement référence à la femme et sa fonction biologique de procréation.

Figure 41: Kiki Smith, Train, 1993, collection of Mandy and Cliff Einstein

98 Roux, Jean-Paul, Le sang : Mythes, symboles et réalités, collection Les nouvelles études historiques, Paris, Fayard, 1988, p.57

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Certains artistes vont dénoncer cette analogie négative du sang féminin en accentuant l'aspect avilissant de cette humeur. Kiki Smith développe l'ambigüité entre sang et souillure dans Train (figure 41), une sculpture de femme trainant derrière elle de longs filets de perles rouges sang. On ne distingue pas bien s'il s'agit de sang ou d'excréments, la proximité de leur provenance, vagin et anus, marque également la possible indistinction et renforce l'assimilation des deux.

Valie EXPORT effectuera également ce rapprochement, par le biais du contenant : dans Menstruations99, elle montre une cuvette de toilettes où stagne une eau sanglante. La destination première des toilettes, qui est de recevoir les excréments, est ici rapprochée du sang souillure.

L'angoisse face au sang des femmes, loin de l'image du sang rédempteur ou du sang glorieux livré au champ de bataille, a entrainé les hommes à conduire les femmes vers des rites d'isolement, enfermant ces écoulements divers- que ce soient les menstruations, mais également le sang de la déflorée, le sang abondant de l'accouchée ou celui des lochies et des retours de couches- dans des tabous. Encore aujourd'hui dans certaines tribus, les femmes doivent se cacher pendant la durée de leurs règles, n'ayant aucun rapport avec les hommes. A ce propos, Le Lévitique condamne à mort les hommes et femmes qui auraient eu des rapports sexuels pendant cette période de souillure, alors qu'Ambroise Paré, lui, affirmait que de ces ébats naitront des monstres, « Les femmes souillées de sang menstruel engendreront des monstres [É]. C'est chose sale et bestiale d'avoir affaire à une femme pendant qu'elle se purge100. »

Les artistes femmes vont se servir de l'image de leur sang, le plus souvent le sang des menstruations, afin de revaloriser ce fluide féminin, dans une optique de réappropriation de l'image du corps. Car ces périodes de sang correspondent à des périodes heureuses, sinon importantes de la vie d'une femme, et toujours en rapport avec la maternité : les premières règles marquent l'entrée de la fillette dans la vie de femme et annoncent la fertilité du corps; le

99 Réalisé en 1967/1968

100 Ambroise Paré, Des monstres et prodiges, p.157, dans Roux, Jean-Paul, Le sang : Mythes, symboles et réalités, collection Les nouvelles études historiques, Paris, Fayard, 1988, p.66

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sang de la défloration marque l'entrée vers la vie sexuelle ; le sang de l'accouchement marque l'accueil de la vie.

En faisant cette démarche, elles tendaient également à dénoncer le phallocentrisme à l'oeuvre au sein du monde artistique. Par exemple, pour dénoncer l'isolement de la femme indisposée et son statut négatif durant cette période du mois, Catherines Elwes transforme son cycle en outil de communication. Dans Menstruations 1 et 2 (figure 42), l'artiste s'enferme dans une sorte de boîte transparente avec au sol une feuille. Elle habite cet endroit le temps de sa période de règles et laisse couler son flux librement. Cet enfermement renvoie à l'isolement des femmes dans des habitats spécialisés de certaines tribus. Par les parois de plexiglas, elle dialogue avec le public, en écrivant sur les parois transparentes. Cette période de réclusion, l'artiste en fait une période d'ouverture, de dialogue, de rapport avec l'autre. Ce qui était perçu comme négatif, c'est-à-dire les règles comme signe de non fécondation, devient fertile par la rencontre avec le public et le dialogue qui s'instaure entre ce dernier et l'artiste.

Figure 42: Catherine Elwes, Menstruation II, 1979, performance, White Room, Slade School of Art

Dans l'idée de montrer ce qui n'était pas visible socialement, ce qui est tabou, Judy Chicago montre, même surexpose, ce qu'est le rituel féminin lors de la période de menstruations. Dans Red Flag (figure 43), elle montre en gros plan le sexe et les cuisses d'une femme, debout, qui d'une main retire de son vagin un tampon usagé. Violence de l'image et humour se mêlent. Red

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flag, traduit par « drapeau rouge », fait penser à tous ces surnoms donnés aux menstruations pour ne les citer sans vraiment le faire.

Figure 43: Judy Chicago, Red Flag, 1971, Photolithographie, 20 x 24 cm, ACA Galleries,

New York

On retrouve également des tampons, en nombre conséquent, dans la poubelle de la salle de bain de la Womanhouse101 (figure 44). Ce lieu d'exposition exclusivement féminin traite un sujet typiquement féminin, puisque physiologique, dans une pièce de la maison traditionnellement dévolu à la femme, surtout à sa frivolité, et renvoyant à l'image de la femme passant des heures dans la salle de bain. Cette oeuvre traite de la notion de cycle qui est associée aux menstrues, et le fait que lorsque des femmes sont amenées à vivre en collectivité, au bout d'un certain nombre de cycles, leurs périodes de menstruations coïncident. D'où cette poubelle maculée qui déborde de tampons.

101 Menstruation Bathroom, 1972

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Figure 44: Judy Chicago, Menstruation Bathroom, 1972, Womanhouse, Hollywood

 

Figure 45: Joana Vasconcelos, Novia, 2001, 600 x 350 x 350 cm, acier inoxydable, tampons OB, fils de coton et câbles en acier, Collection Antonio Cachola, Campo Maior

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On constate que l'univers domestique envahit la création artistique au féminin avec l'utilisation de la couture, du tricot ou de la broderie, mais il englobe également les ustensiles du quotidien féminin, comme les tampons hygiéniques, qui s'assimilent à un nouveau médium. Plus récemment et dans cet héritage de l'utilisation de produits féminins, Joana Vasconcelos a érigé un immense lustre royal uniquement constitué de tampons hygiéniques, dans cette démarche de redonner une valeur positive à ce qui était déprécié auparavant (figure 45).

Au fur et à mesure que l'Histoire avance, avec les découvertes scientifiques, le sang est mieux compris, mais pas moins tabou. Il faut regarder du côté de nos publicités du XXe siècle qui, pour vanter les mérites et l'efficacité des produits hygiéniques féminins, utilisent un produit de couleur bleue, et non un produit coloré rouge. D'ailleurs, Rachel Lachowitz dans son oeuvre Red not blue en 1992, revient sur les anthropométries d'Yves Klein, mais en utilisant la couleur rouge, et non pas une femme comme pinceau mais un homme, cela dans un processus de réappropriation du corps et de la place des femmes dans l'art (figure 46). Elle effectue une critique de la domination de l'homme sur le corps féminin mais également la domination masculine du monde de l'art.

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Figure 46: Rachel Lachowicz, Red not blue, 1992, performance

Newport Harbor Art Museum, Newport Beach

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La connotation négative du sang des menstrues vient également du fait qu'il signifie qu'il n'est pas porteur de vie, et donc qu'il y a eu un échec de fécondation. Si le sang correspond la plupart du temps à des passages importants dans la vie d'une femme, il est aussi signe de violence mais également d'une sorte de perte de soi « C'est dans cette période (les règles), qu'elle éprouve (la femme) le plus péniblement son corps comme une chose opaque aliénée ; il est la proie d'une vie têtue et étrangère qui en lui chaque mois fait et défait un berceau ; chaque mois un enfant se prépare à naître et avorte dans l'écoulement des dentelles rouges102. » Il est signe de mort lors d'une fausse-couche, et signe de violence lors d'un viol.

Ce que l'on constate, c'est que par ce fluide corporel naturel, les hommes ont appuyé leur domination sur les femmes. Les artistes des années soixante-dix, féministes de surcroit, vont se réapproprier ce symbole de la féminité, de la fécondité, pour lever le tabou et la main mise des hommes.

Si certains artistes ont travaillé avec l'idée du sang comme notion universelle de féminité, dans le sens d'une certaine sororité, ou de symbole de l'oppression masculine, d'autres vont faire valoir cet écoulement comme partie intégrante de leur identité de femme. Gina Pane réalise un autoportrait avec des cotons imbibés de son propre sang menstruel. De cette oeuvre, Autoportrait, une semaine de mon sang menstruel, en 1977, elle témoigne « dans cette performance, Autoportrait, le tampon faisait partie de mon portrait, une semaine de mes règles était pour moi aussi signifiante que de montrer l'image dans sa totalité de mon corps, c'était aussi une sorte de graffiti féminin. [É] La symbolique du sang est positive, d'ailleurs en même temps que le signe du sang, j'ai apporté le signe du lait103. »

Le lait et le sang en effet, vont être repris par certaines artistes, pour être mis en parallèle afin d'en montrer le dénominateur commun qu'est le rapport à la maternité.

102 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I, Les faits et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.68

103 Gina Pane, Sorcières, n°9, mai 1977, p.44-47

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ii. Le lait

Jusqu'au début du XXe siècle, la représentation de la mère la plus privilégiée était la mère allaitante. Le sein perdait alors toute connotation érotique et retrouvait sa fonction physiologique et vitale. Le liquide qui en sort, le lait, n'eut pas une histoire moins ambig·e que l'organe d'où il sort, et dès l'époque d'Hippocrate et de Pline l'Ancien, sa constitution et ses vertus furent discutées. Pour Ambroise Paré, selon la tradition hippocratique et aristotélicienne, le lait n'était que du sang de couleur blanche, du « sang blanchi ». En effet, le lait serait une transformation du sang des menstrues, utilisé par le foetus pour se nourrir le temps de la gestation. Sa couleur blanche, qui lui confère une notion de pureté, serait venue d'une coction et du fait de la proximité d'un organe noble, le coeur, et de la chaleur de ce dernier.

Il n'est pas étonnant de voir les artistes mêler sang et lait au sein de leurs oeuvres. La plupart du temps, cette rencontre de semences féminines se fait avec une certaine violence. C'est le cas de Valie EXPORT, qui n'hésite pas à se mutiler les doigts jusqu'au sang avec une lame de rasoir avant de plonger ses mains dans un bol de lait (figure 47). Ce film RemoteÉRemote traite de l'enfance dans la dénonciation du rôle des parents, car les deux jeunes enfants présentés sur la photographie ont été abusés par leurs parents. Ici se mêlent sang de la filiation, parentale et fraternelle, mais aussi le symbole du sang dans sa dimension de menace, de violence, de souffrance. Ce sang est lié au lait, qui connote habituellement un aspect positif de douceur et de protection, qui fait défaut par ce mélange, et prend un aspect inquiétant.

Figure 47: Valie EXPORT, RemoteÉRemote, 1973, video16 mm en couleur, durée 10 minutes

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B. L'expérience de la maternité : le corps de la création au féminin

1. L'avortement

La lutte féministe pour acquérir l'autonomie du corps et de l'esprit de la femme eut pour point d'ancrage l'avortement et la demande d'accession à la contraception. En effet, c'est après avoir assisté à des suites d'avortements clandestins tragiques, et en constatant les multiples humiliations auxquelles les femmes étaient en proie lorsqu'elles avortaient que Mme Lagroua Weill-Hallé décida de fonder « Maternité Heureuse » : une association au titre lourd de sous-entendus. Sans contraception, les femmes de cette génération étaient réduites à diverses méthodes peu efficaces afin de contrôler leurs nombres d'enfants. Lorsque ces méthodes se révélaient peu concluantes et que se profilait une nouvelle grossesse non désirée, les femmes avaient recourt à l'avortement. Dans son livre Paroles d'avortées104, Xavière Gauthier nous plonge dans l'univers de ces femmes, qui sont nos mères ou nos grands-mères. Là est révélée la désolation qu'éprouvaient ses femmes, prêtent à mourir plutôt que de prendre le risque de mener à terme une nouvelle grossesse.

« Il suffit d'écouter les femmes » clamait Simone Veil, alors ministre de la santé, lors de son discours devant l'assemblée Nationale105. Ce que l'on constate, c'est que ces femmes ont su se faire écouter par le biais de la littérature, du cinéma, mais que le sujet resta plus discret en art dit plastique. Pourtant, les plasticiennes n'étaient pas épargnées par cette horreur ordinaire, et beaucoup militaient pour l'avortement et la contraception.

C'est par le biais d'un nouveau médium que les artistes vont s'exprimer sur la question de l'avortement volontaire, et bien au-delà, les artistes vont par ce biais militer. Histoire d'A de Charles Belmont et Marielle Issartelle porte à l'écran en 1973 la bataille pour la légalisation de l'avortement en montrant une intervention avec la méthode Karman. Le film fit scandale, mais ce qu'il montre, c'est également l'emploi récurrent de ce type de vidéo, le cinéma étant aussi hermétique aux femmes, si ce n'est pour les actrices. Ce médium a permis aux artistes femmes

104 Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004

105 Discours du 26 novembre 1974

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de se faire connaitre et reconnaitre, et d'accéder ensuite aux sphères cinématographiques les plus élevées, mais là encore non sans mal. Sous forme de vidéos documentaires, ce médium a été mis sur le devant de la scène artistique, mais également sociale et politique, grâce au mouvement féministe.

Plus récemment, cinéma et art se sont rejoints dans le film Histoire d'un secret, de Marianna Otero daté de 2002. Ce film revient sur l'avortement tragique de l'artiste Clotilde Vaultier-Otero alors qu'elle était sur le point de faire une grande exposition. C'est un film qui touche ce tabou de l'avortement en plein coeur : c'est la fille de l'artiste décédée des suites de cet avortement qui réalise le film et mène l'enquête, car la mort de sa mère fut tenue sous silence, même ignorée de ses enfants dans un premier temps. On ressent alors le poids d'un lourd secret, les conséquences d'un tel mutisme mais également l'omerta qui régnait sur cette pratique qui était pourtant courante mais humiliante pour la famille de la défunte.

Cependant, certains artistes tenteront de transmettre plastiquement ce qui se révèle être un devoir de mémoire dans l'histoire des femmes.

Marie Mercié, qui faisait partie du groupe Féminie, a traité du sujet de l'avortement avec un réalisme glauque, mais criant de réalisme à la lecture de certaines confessions tirées du livre de Xavière Gauthier. Dans L'avortement, elle représente une cuisine dans une boîte en trois dimensions, à l'aide de meubles de poupée. Sur la table de cette cuisine, une femme allongée le dos contre la table, les jambes ouvertes repliées en position gynécologique, la robe retroussée sur ses cuisses et une cuvette placée sous les jambes. Une deuxième femme se tient debout dans cette minuscule pièce, c'est la « faiseuse d'anges », nom donné aux femmes pratiquant les avortements. Cette femme devait coller aux clichés de l'époque : une vieille femme, à la robe de chambre usée, aux bas limés, les cheveux grisonnant. On retrouve cette description dans les témoignages de Xavière Gauthier, « Là, il y avait une femme, avec une sale tronche. Elle faisait cela uniquement pour le fric et elle avait un souverain mépris pour les petites jeunes qui se retrouvaient dans cette situation-là ; elle a été odieuse tout le temps. [É] Puis on est passés dans la cuisine, on m'a demandé de m'assoir sur la table de la cuisine, qui était recouverte d'une toile cirée, je me suis allongée sur cette table.106 » Ou encore « je me suis allongée sur la table

106 Temoignage de Anne, Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.138

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de la cuisine et elle a introduit dans le col de mon utérus un (ou plusieurs, je ne me souviens plus) de ces bigoudis de l'époque en métal caoutchouté en forme de haricot vert107.» Xavière Gauthier, esquisse un profil type de l'avorteur ou plutôt de l'avorteuse à travers le ressenti des victimes qui témoignent. « Elles les décrivent de manière négative : sale, vieille, revêche, intéressée, brutale. Elle est négligée, son peignoir de nylon baille sur sa poitrine. Ses cheveux blancs semblent plutôt une marque de laisser-aller qu'un signe d'expérience et de sagesse. On la voit marginale, cartomancienne, sorcière108

L'univers de la cuisine, qui va être énormément utilisé pour contester les conditions de vie des femmes, est ici assez révélateur également de l'univers domestique de l'avortement. En effet, pour déclencher les avortements, les femmes se servaient souvent d'ustensiles de cuisine, de la pharmacie ou de la couture. Cela allait de la poire à lavement qui faisait souvent partie de l'armoire à pharmacie, additionnée à un mélange d'eau et de moutarde quand ce n'était pas de la javel ou de l'alcool. Mais on utilisait aussi des ciseaux, des fourchettes, des tiges de persil. Les femmes, désemparées par ces nouvelles grossesses, utilisaient tout ce qui leur passait sous la main, tout ce qui faisait parti de leur univers. Les instruments de beauté ne furent pas en reste, comme on le remarque dans la citation précédente. Elles s'inséraient dans le vagin des aiguilles à tricoter, des baleines de parapluie ou de corset, des épingles de cheveux, bigoudis. Lorsqu'elles avaient l'aide d'un médecin, qui faisait cela soit par amitié pour la condition féminine soit, bien moins honorable, pour arrondir leurs fin de mois, ils leurs disaient d'acheter des tuyaux d'aquarium. Tout cela afin de provoquer une hémorragie et que le foetus « se décolle » et tombe.

L'univers domestique, mais aussi le sentiment complet de solitude et d'isolement, se retrouvent également dans une série d'oeuvres plus récentes de l'artiste Paula Rego (figure 48). L'attitude désemparée se lit sur les visages des jeunes femmes en train d'avorter, l'une pliée en deux par la douleur provoquée par cette entreprise, l'autre se tenant sur une cuvette, attendant la fin de l'hémorragie salvatrice, mais qui pourrait se révéler fatale. Le réalisme est frappant dans cette série, à la lecture des témoignages parus dans l'ouvrage de Xavière Gauthier. On retrouve le lit,

107 Témoignage d'Oriane, Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.176

108 Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.59

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la cuvette, l'attente, la solitude voire l'isolement. On ressent par ailleurs autant la détresse au travers de cette série que dans les témoignages.

Figure 48: Paula Rego, Triptych,

1998, Pastel sur papier, monté sur aluminium, 110 x 100 cm

Michel Journiac lui, représente l'avortement dans sa série des 24 heures dans la vie d'une femme ordinaire (figure 49). Une photographie représentant une femme assise dans un lit, le même que celui emprunté pour représenter la naissance, tenant entre ses jambes ce qui s'apparente à un morceau de viande. En confrontant la photographie représentant la naissance et celle de l'avortement, on remarque des similitudes qui dépassent la simple reprise du lit. En effet, la posture de l'artiste travesti en femme est la même : assis, la jambe droite repliée vers le torse, la jambe gauche repliée sous le corps. La chemise de nuit est la même. La différence s'opère à l'objet entre les jambes ainsi que l'attitude de cette femme. L'enfant de la Naissance se substitue à un morceau de viande, constitué principalement de sang et de muscles, qui fait l'analogie avec un foetus. On peut aussi penser au placenta, qui, lorsqu'il est expulsé, est appelé « délivrance » : c'est ce que semble exprimer le visage de la femme et le fait qu'elle se tienne le ventre. Il est très étonnant qu'un homme représente cet acte, car la plupart du temps, les hommes étaient absents de la problématique de l'avortement. C'était, comme Claude Chabrol titre son film, Une affaire de femme109.

109 Une affaire de femme, film de Claude Chabrol, MK2 Diffusion, 21 septembre 1988

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Figure 49 : Michel Journiac, 24h dans la vie d'une femme ordinaire, Réalités/Fantasmes, l'avortement, Série des fantasmes, 1974, photographie noire et blanc

Un autre homme va traiter ce sujet si féminin et tabou de l'avortement, Edward Kienholz, avec The Illegal Operation en 1962 (figure 50). C'est en plein pendant les campagnes pour l'avortement qu'il présente cette sculpture qui, par son aspect repoussant, tend à dénoncer les conditions dans lesquelles les femmes doivent interrompre leur grossesse. Au milieu d'un amoncellement de pots et de seaux rouillés, le corps d'une femme représentée par un sac en toile côtoie des instruments chirurgicaux douteux.

 

Figure 50: Edward Kienholz, The Illegal Operation, 1962, Technique

mixte,

149.9 x 121.9 x 137.2 cm, Collection Betty and Monte Factor Family

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Une des premières représentations d'un avortement, mais d'ordre spontané, s'est fait par l'artiste mexicaine Frida Kahlo. Dans l'Hôpital Henry Ford (figure 51), l'artiste se représente nue, allongée sur un lit sur lequel elle saigne. Autour d'elle, et relié par un cordon de sang, on trouve un foetus, un escargot, symbolisant la lenteur de la fausse couche, une orchidée et trois représentations de l'appareil reproductif féminin. Avant de faire cette fausse-couche qu'elle traduira picturalement, elle aura pratiqué un avortement volontaire. Le rapport à la maternité de Frida Kahlo est très intéressant, car elle questionne la fragilité de la femme, qui a peur de ne pouvoir enfanter à cause de ses soucis de santé ; mais aussi cette ambivalence entre le refus de maternité et le besoin de tomber enceinte pour se rassurer sur son identité de femme, sur sa propension à enfanter. Elle questionne la position de l'artiste femme et le rapport à sa carrière mais également à la carrière de son amant, Diego Rivera. Elle dira « Je ne suis pas très forte et une grossesse m'affaiblit encore plus.... Je ne pense pas que Diego aimerait avoir un enfant car c'est son travail qui le préoccupe avant tout et il a bien raison... De mon point de vue, je ne sais pas s'il serait bon ou non d'avoir un enfant, car Diego est continuellement en voyage et pour aucune raison, je ne voudrais le laisser et rester sans lui à Mexico. Il n'y aurait donc que des difficultés et des problèmes pour tous les deux110. »

Figure 51: Frida Kahlo, Henry Ford Hospital, 1932, Huile sur metal, 32.5 x 40.2 cm, Collection
Museo Dolores Olmedo Patiño, Mexico City

110 H.Herrera, Frida, biographie de Frida Kahlo, new-york, Harper and Row, 1983, p.138-139, Whitney Chadwick, Les femmes dans le mouvement surréaliste, p.134

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Au-delà du rendu du vécu des femmes avortées, il y a la représentation de la prise de position. Cette question qui est encore aujourd'hui épineuse, de l'avortement. Dès l'origine teintée de débats religieux, les artistes des années 2000 prennent plus facilement position, et même de façon plus radicale. Marc Quinn, un artiste anglais, prend clairement position contre l'avortement avec son oeuvre Rainbow Angel, une sculpture de 2008, représentant un foetus-squelette en position de prière, agenouillé et mains jointes, placé à la cathédrale de Winchester (figure 52). La sculpture de cet artiste tend à défendre son opinion qui est très fortement liée à la religion, par l'emplacement qu'il lui confère.

Figure 52 : Marc Quinn, Rainbow Angel, 2008, bronze à patine chromée, 30cm de haut, Courtesy
Gallery Hopkins-Custot

2. La naissance : l'élan vers la vie, mais le début du chemin vers la mort

Le rapprochement de la femme et de la mort a très souvent été fait, notamment dans les représentations populaires où l'on trouvait la mort allégoriquement représentée sous les traits d'une femme. Simone de Beauvoir nous explique également qu'il revient aux femmes de pleurer les morts111. La maternité va également être étroitement liée à la mort, car la naissance

111 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I, Les faits et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.249

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est nécessairement « le début de la fin », en ce sens que la femme qui donne la vie annonce également la mort comme terme de cette vie, « la naissance, même quand tout se passe bien, est toujours, déjà, un « drame », car dans l'instant où la mère inscrit l'enfant dans l'ordre des vivants, elle l'inscrit dans celui de la mortalité112. » La femme est souvent liée à la mort dans le sens que ses règles sont le résultat d'un échec de fécondation. Certains y voient une mort car il n'y a pas eu nidation de l'embryon. Et pensons aussi à ces déesses de la maternité comme Fraja, la déesse nordique, qui préside aux accouchements tout en étant également la déesse des morts.

Quelques fois, l'expérience de la naissance rencontre celle de la mort dans un même instant. On dit d'un enfant « mort-né » lorsqu'il nait, ce qui lui donne une reconnaissance en tant que personne, mais déjà à sa venue au monde, paradoxalement, « il n'est plu ». Il y a donc eu une grossesse, un accouchement, mais pas d'enfant. Cette douloureuse expérience fut traduite chez certaines artistes. La douleur, profonde et humaine, est traduite sous la plume de Marguerite Dumas113 dans un texte paru dans la revue Sorcière sous le nom « l'horreur d'un pareil amour » : « La peau de mon ventre me collait au dos tellement j'étais vide. L'enfant était sorti, nous n'étions plus ensemble. Il était mort d'une mort séparée (É). Mon ventre était retombé lourdement sur lui-même, un chiffon usé, une loque, un drap mortuaire, une dalle, un néant que ce ventre. Il avait porté cet enfant et dans la chaleur glaireuse et veloutée de sa chair, ce fruit marin avait poussé. Le jour l'avait tué. Les gens disaient : « ce n'est pas si terrible à la naissance, il vaut mieux ça ! » Etait-ce terrible ? Je le crois ; précisément ça : cette coïncidence entre sa venue au monde et sa mort. Ce vide était terrible, je n'avais pas eu d'enfant même pendant une heure. »

Bill Viola, mêle vie et mort dans une oeuvre vidéo, dans Nantes Triptych, en 1992, l'artiste présente une vidéo de sa femme en train d'accoucher et la vidéo de sa mère agonisant sur son lit d'hôpital. Cette référence permet d'évoquer le mystère de la vie et l'impulsion vers la chute inévitable que sera la mort. Ce qui est intéressant également, c'est de constater que dans cette oeuvre, le passage du néant à la vie et de la vie à trépas se fait via le corps d'une femme, de surcroit le corps maternel.

112 Benhaïm, Michèle, La folie des mères, j'ai tué mon enfant, p.11, Création au féminin, Volume 1, Littérature, textes réunis et présentés par Marianne Camus, Editions universitaires de Dijon, Dijon, 2006, p.74

113 Egalement dans sa pièce Détruire, dit-elle, Editions de Minuit, Paris, 1969

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Christian Boltanski fait également se rencontrer la naissance et la mort dans son oeuvre Chance114, où il mêle les images de visages de nouveau-nés et décompte en temps réel des naissances et des décès dans le monde.

Cependant, l'expérience de la mort lors de la naissance peut donner lieu à un acte de renaissance qui va souvent se traduire en création. Monique Bydlowski l'exprime en ces termes « l'intense chagrin de la perte d'un enfant à peine naissant peut paradoxalement se métamorphoser, pour certains êtres, en un « merveilleux malheur »É une catastrophe intime qui se convertit en connaissance secrète capable d'illuminer les décades ultérieures. C'est le cas de celles qui transforment leur chagrin en une création originale115. » Ainsi Marguerite Duras qui transformera son chagrin en pièce de théâtre avec Détruire dit-elle, mais également d'Orlan qui fera de la fin d'une grossesse extra-utérine une oeuvre en la filmant et en la présentant116, marquant le début de ses séries d'opérations chirurgicales.

3. L'accouchement

i. Désacralisation

Si la naissance laisse penser à un instant joyeux, du fait de la rencontre avec le mystère qui a grandi pendant neuf mois, l'accouchement, lui, véhicule une image beaucoup moins positive. Le vocabulaire associé à la parturition fait référence à un travail douloureux, épuisant, long, mettant le corps à l'épreuve. « La délivrance » qui coïncide avec la dernière partie d'un accouchement - la sortie du placenta- est fortement révélatrice de l'intensité de la tâche. L'origine de la maternité a elle aussi une valeur négative : il s'agit « d'enfanter dans la douleur117 » selon la bible. Il n'est pas étonnant alors de retrouver dans les oeuvres traitant de l'accouchement une certaine violence. L'artiste photographe Howtan décide de rendre hommage aux souffrances de la femme accouchant dans une photographie lumineuse, Scream of War, représentant une femme ensanglantée et nue, proche de l'hystérie. La violence de

114 Réalisée au sein du pavillon français lors de la 54e Biennale de Venise, 2011

115 Bydlowski, Monique, Je rêve un enfant, l'expérience intérieure de la maternité, p.152, Création au féminin, Volume 1, Littérature, textes réunis et présentés par Marianne Camus, Editions universitaires de Dijon, Dijon, 2006, p.75

116 En 1979

117 Genèse 3,16

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l'accouchement est révélée également dans une vidéo de Pipilotti Rist, When My Mother's Brother Was born, It Smelled Like Wild Pear Blossom In Front Of The Brown-Burnt Still118, où l'on voit un accouchement et notamment l'épisiotomie pratiquée, sur fond de paysage montagneux.

De manière plus symbolique, Anita Molinero suggère la pénibilité de l'accouchement avec Cocoerrance, une table d'accouchement où le corps disparu semble avoir malmené la table au point d'y laisser son empreinte (figure 53). Cette table devient métaphore du corps accouchant.

Figure 53 : Anita Molinero, Cocoerrance, 1997, Table de travail et plaque d'inox, vue de l'exposition Cocoerrance, La BF15, Lyon, 2007

Il y a donc par ces oeuvres une désacralisation de l'acte d'enfanter, notamment en s'appuyant sur les notions de violence envers le corps de la femme et de douleurs. La dénonciation de ces souffrances maternelles est constatée par Patrizia Romito qui montre dans son étude sur l'expérience de la maternité, que les femmes gardent en souvenir de cette expérience un choc, et 80% d'entre elles parlent même de douleur plus insupportable que prévue.

118 1992

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ii. Accouchement comme emblème de l'artiste

La représentation de l'accouchement va être traitée dans l'optique symbolique de l'affirmation de soi en tant qu'artiste, dans l'idée d'un acte libérateur vis-à-vis du monde de l'art accaparé par les hommes.

En 1979, lors d'une exposition sur l'artiste Artémisia Gentileschi à la galerie Yvon Lambert, l'artiste Léa Lublin proposa une relecture d'une oeuvre fondamentale d'Artémisia. Dans le meurtre d'Holopherne, Artémisia représente Judith, l'héroïne qui se sacrifie pour son peuple et tranche la gorge de l'oppresseur (figure 54). Lorsque l'on connait l'histoire de cette artiste, le tableau s'éclaire davantage. En effet, Artémisia peint deux versions du meurtre d'Holopherne, à partir de l'ouverture du procès pour viol intenté par son père contre un peintre, Agostino Tassi. Le tableau est alors perçu comme la lutte d'Artémisia contre son bourreau, en tentant de reconquérir son honneur. Mais à bien y regarder, Léa Lublin y voit la naissance, l'accouchement de la femme-artiste. Dans son article, Le Milieu du tableau en 1979, elle met en avant que la disposition des protagonistes du tableau s'apparente plus à un accouchement qu'à une mise à mort. Pour elle, les bras d'Holopherne ressemblent plus aux jambes d'une accouchée qu'aux bras d'un homme en train de mourir, avec un dernier sursaut pour se défendre. La position des deux femmes, Judith et la servante, évoque pour elle le travail des sages-femmes en train de tirer la tête du bébé. « Scène de mort, la mise en scène du corps par le retournement de ces fragments fait apparaître aussi la scène de la défloration, la scène du viol, la scène de la castration, la scène de l'accouchement, de l'enfantement. »119 Léa Lublin accompagne ses propos de dessins réalisés en isolant les différents actes. Artemisia renverse donc la violence pour se mettre au monde en tant qu'artiste.

119 Lublin, Léa, espace perspectif et désirs interdits d'Artemisia Gentileschi ; Artemisia mot pour mot, Galerie Yvon Lambert, Paris, 1979, p.50, cité dans, Bonnet, Marie-Jo, Les femmes dans l'art, qu'est-ce que les femmes ont apporté à l'art?, Editions de la Martinière, Paris, 2004, p.107

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Figure 54: Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, 1620, peinture sur toile,
Galerie des Offices, Florence

Louise Bourgeois, qui a largement traité les sujets de maternité tout au long de sa carrière artistique, se représente en train d'accoucher dans Femme accouchant. D'entre ses jambes parait une tête de même dimension que la jeune parturiente. La corrélation entre création et procréation est encore plus nette avec l'oeuvre photographique Orlan accouche d'elle m'aime (figure 55).

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Figure 55 : ORLAN, ORLAN accouche d'elle-m'aime, 1964, 81 x 76 cm (avec cadre),
photographie en noir et blanc, tirage unique

Dans cette oeuvre, on voit ORLAN elle-même, nue, à demi couchée sur un drap. La photographie fige l'artiste en une position d'enfantement méditatif, sa main gauche tenant sa tête comme plongée dans une réflexion. Sa main droite effleure un être androgyne sans bras, qui sort de son sexe, figure ni homme ni femme. ORLAN accouche d'elle m'aime, du verbe aimer, avec la volonté revendiquée de se créer autant que d'avoir été créée. Malgré ce titre qui nous informe qu'elle accouche, la scène ne laisse pas apparaître un corps en souffrance, en « travail » à proprement parler. La douleur de l'enfantement, précisée par la Bible, « tu accoucheras dans la douleur », ne se lit pas sur le visage d'ORLAN. Et pour cause, elle ne donne pas naissance à un être humain, mais à elle-même. L'accouchement ici se révèle être spirituel, et non plus charnel. Elle se place en artiste démiurge, reprenant les mots d'Antonin Artaud « je suis mon fils, mon père, ma mère et moi120. » « Je suis une homme et un femme » affirme ORLAN. Cette démarche renvoie à se donner naissance comme artiste idéal, dépourvue de sexe, quittant la guerre des genres en art.

120 Antonin Artaud, "Ci-gît", dans OEuvres Complètes vol. XII, Paris, Gallimard, 1974, p.78.

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V. Le corps de la mère disparaissant: la

parentalité ubiquiste

A. La reconquête du corps

1. La science vs le corps féminin

Le combat des femmes mené de front pour obtenir la différenciation entre la sexualité et la procréation, afin d'être considérées comme des femmes et non plus comme des mères en puissance, va vite être rattrapé par la science et la médecine. Si leur liberté de corps, de pouvoir choisir d'avoir des enfants ou non ainsi que du moment, leur a été offert grâce à la médecine, notamment avec la pilule et l'interruption volontaire de grossesse dans des conditions décentes, cela ne sera pas sans une lourde contrepartie. Le constat des artistes va être sans appel, démontrant que le choix d'avoir un enfant va rapidement devenir le droit d'avoir un enfant, et que cette exigence va entrainer les femmes à sacrifier leur corps à la médecine dans cette seule volonté de procréer.

Si l' « histoire de la médecine de la naissance » 121 a mis un temps certain pour se développer, son étude connait une forte évolution dans les années soixante-dix, en marge du mouvement de la libération sexuelle. Au regard de cette « histoire », on découvre que la reproduction humaine a souvent été réduite à ses organes. A partir du XVIIe siècle, le développement de la dissection des animaux et l'homologie, c'est-à-dire l'extrapolation du système reproducteur des animaux notamment à celui de la femme, va conduire à cette réduction de l'Homme à ses organes. Par exemple William Harvey en 1672 découvrira des oeufs chez la lapine, ce qui amènera à la découverte des ovaires chez la femme. La découverte des spermatozoïdes en 1677 dans la semence masculine succède de peu d'années la découverte des ovaires, mais il faudra attendre 1824 pour découvrir que le spermatozoïde féconde l'ovule122.

121 Selon Papiernik, Emile, introduction Avant la naissance: 5000 ans d'images, Muséum d'histoire naturelle du Havre, 24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la direction de René Frydman, Émile Papiernik, Cédric Crémière, Editions du Muséum d'histoire naturelle du Havre, Paris, 2009

122 Par Jean-Louis Prévost et Jean-Baptiste Dumas

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Le XIXe siècle verra la recherche embryologique se développer en parallèle de découvertes technologiques qui lui serviront par la suite.123 Cependant, tout s'accélère à partir des années 1970 avec le basculement vers une transparence totale du corps qui va se mettre en place par le biais de l'échographie obstétricale, mais également une distanciation du pouvoir des parents par l'institutionnalisation de la reproduction avec le développement d'une véritable politique de santé publique visant la maternité. Ainsi, en 1978 va naître celle que l'on appelle le premier « bébé-éprouvette », Louise Brown en Grande-Bretagne, puis le premier « bébé-éprouvette » français Amandine, en 1982. Ces naissances montrent combien la recherche sur la reproduction et la procréation a fait de progrès, puisque les médecins peuvent « concevoir » des embryons en dehors du corps de la femme. Ces naissances marquent également une rupture : c'est l'aboutissement des recherches sur la procréation car en dévoilant une parfaite connaissance des appareils reproducteurs masculins et féminins ainsi que la mécanique de la fécondation, des questionnements d'ordres éthiques sur le devenir de l'humain et le développement de nouvelles manières de concevoir des enfants s'ouvrent alors.

Les corps, et surtout celui de la femme puisque lieu de la fécondation et de la grossesse, ont été analysés jusqu'à atteindre un niveau de transparence extrême, rendant ce corps obsolète à l'élaboration de l'embryon. Ce constat de disparition du corps va se retrouver chez les artistes dès les prémices même des recherches embryologiques des années 1970.

L'artiste Kiki Smith est celle qui révélera le mieux cette tendance à la disparition du corps au profit du médical. C'est en 1986 qu'elle pose les débuts de son investigation critique de la dépersonnalisation du corps et sa surmédicalisation avec son oeuvre Womb (figure 56). Cette sculpture de bronze représente un utérus isolé du reste du corps d'une femme, transversalement sectionné. Par l'aspect minimaliste de la sculpture, qui lui confère un aspect de récipient par le biais de ses deux anses, Kiki Smith exprime son désir de penser le corps « en terme d'intériorité » et que ce corps « a besoin d'être exploré et dévoilé » non plus sous la houlette d'une science inquisitrice, mais psychologiquement et psychiquement. Le spectateur est confronté directement à cet organe interne de procréation, lieu de vie, brutalement extrait du corps. Ce lieu de mystère est donc révélé, tout comme la science a rendu transparent le corps de la femme. Par la technologie, la femme est dépossédée de son corps, de son intérieur intime,

123 Découverte des rayons X en 1895 par Wilhelm Konrad Röntgen

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complètement transparente, presque hors d'elle. Ce rapt du corps par la science est largement décrié par l'artiste : « je veux donner accès aux gens aux choses troublantes et déroutantes. Je n'aime pas la manière dont la médecine a investi le corps. Je n'aime pas l'attitude hiérarchique des médecins envers les patients, comme s'ils étaient les détenteurs du savoir du corps du patient124

Figure 56: Kiki Smith, Womb, 1986, bronze, 45,7x 30,4x 20,3cm (fermé), Courtesy Galerie Pace
Wildenstein, New-York

Si la pratique artistique de Kiki Smith est tournée vers la réappropriation du corps en général, on constate que le corps de la femme lié à sa fonction reproductive tient une large place. Les visées féministes de l'artiste ne sont pas à occulter, car il s'agit pour elle d'une reconquête du territoire corporel, au même titre que les revendications féministes des années de libération sexuelle, mais déplacées dans un contexte scientifique et non plus sociologique. Kiki Smith déclare « nos corps nous sont littéralement volés, et il s'agit de faire en sorte que chacune reconquiert son propre territoire, son propre véhicule qui lui permet d'être là ; il s'agit de le posséder et de l'utiliser, de regarder la manière dont nous existons. L'expérience des femmes

124Codrington, Andréa, « Beneath the Skin », The Journal of Art, octobre 1991, vol.4, n°8, p.42, cite dans Désordres : Nan Goldin, Mike Kelley, Kiki Smith, Jana Sterbak, Tunga, exposition Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 12 septembre - 8 novembre 1992, Editions du jeu de Paume : réunion des musées nationaux, Paris, 1992, p.88

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se vit certainement plus profondément à travers le corps. Dans un certain sens, nous sommes le corps125. » Il n'est donc pas étonnant que cette artiste se penche si fréquemment sur le corps des femmes et leur lien à la reproduction.

Se réapproprier ce pouvoir de donner la vie, de la transporter, se retrouve dans plusieurs autres oeuvres. Alors que dans Black Flag, le corps se trouve littéralement dissout par l'imagerie médicale pour présenter la fécondation d'un ovule par des spermatozoïdes, la reconquête du charnel se fait par les oeuvres comme Through ou la série Shields (figures 57). Ces oeuvres représentent des ventres de femmes enceintes, la première étant une sculpture d'une moitié de femme avec une jambe, le ventre proéminent et un bras. Les secondes ne se focalisent que sur le ventre. Il s'agit de moules de ventres enceints, semblables à des tondi en reliefs. On assiste donc à un véritable réinvestissement de la femme, et surtout de la valeur charnelle, dans le processus de reproduction, tant dans la conception par les plâtres moulés à même les corps, que dans la valeur symbolique.

Figure 57: Kiki Smith, Shield, 1988, collection de David McKee, New York

On peut également rapprocher ces moulages de ventres de femmes enceintes avec le travail de Marie-Ange Guilleminot et sa série de moulages de nombrils vus de l'intérieur en 1991-1992 (figure 40, page 85). Il ne s'agit pas de ventres de femmes enceintes, mais renvoie au corps originel : « le nombril est le résidu de notre origine qui est le corps maternel (l'utérus). Il est la

125 Schleifer, Kristen Brooke, « Inside & Out : An Interview With Kiki Smith », The Print Collector's Newsletter, juillet-août 1991, p.86, cite dans Laboratoire pour une expérience du corps, Exposition, Université de Rennes 2 Haute-Bretagne, 1995 : Damien Hirst, Fabrice Hybert, Kiki Smith, Patrick Van Caeckenbergh, Presses universitaires de Rennes, 1995, p.92

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signature maternelle sur le corps du bébé, indélébile, la trace reste comme un message de la fin déjà décidé dès notre naissance. » Et de rapprocher la démarche des deux artistes de recentrer sur le corps comme individualité « Mais aussi la singularité parce que [...] les nombrils sont des portraits. Ils sont tous différents - uniques, originaires, authentiques [...].126 »

L'artiste canadienne Nell Tenhaaf tend également à critiquer la façon dont la technologie à « usurpé la capacité d'enfanter de la femme127. » Déjà en 1990, elle offrait une vision critique de la pratique de la fécondation in vitro avec son oeuvre In Vitro, où des paires de chromosomes illuminés étaient présentés dans des caissons de plexiglas, réduisant ainsi la reproduction à un symbole génétique.

Avec The Solitary Begets Herself, Keeping All Eight Cells, Nell Tenhaaf met en évidence la crainte de voir réduire le corps humain à un code prédéterminé, qu'est notre ADN, en le mêlant à l'oppression subie de par les organismes scientifiques et médicaux qui briment le corps de la femme à coups de procédures violentes comme la stimulation ovarienne, et l'enfermement de ce corps dans un univers trop scientifique (figure 58). L'oeuvre représente une femme nue allongée dans un caisson, avec, dispersés sur son corps, des groupes de deux, quatre ou huit cellules. Ceci renvoie directement à la médecine de la reproduction et à sa technique de diagnostique prénatale, qui prélève des cellules de l'embryon pour des fins d'essais génétiques. Tout comme pour les oeuvres de Kiki Smith, c'est la disparition du lien charnel du corps de la femme à l'enfant qui est mis en avant, disparition du corps au profit d'un organe, ou même disparaissant complètement derrière un simple code génétique, pour se réduire à l'anonymat.

126 Bronfen, Elisabeth, extrait de notes inédites prises à l'occasion d'une rencontre avec Marie-Ange Guilleminot suivie d'une séance de moulage, le 18 mars 1995, à la galerie Chantal Crousel à Paris, p.260 cité dans L'empreinte, exposition organisée par le Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle, Paris, du 19 février au 19 mai 1997 / direction. Georges Didi-Huberman, Ed. du Centre Georges Pompidou, Paris, 1997

127 Reichle, Ingeborg, « Au confluent de l'art et de la science, le génie génétique en art contemporain », Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005, p.255

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Figure 58: Nell Tenhaff, The solitary begets herself, keeping all eight cells, 1993, 369 x 19 x 25,5 cm,
Centre of contemporary canadian art

Cette volonté de se réapproprier le pouvoir de reproduction trouve des échos aujourd'hui. Un article du Monde de mars 2012 explique cette volonté des femmes de ne plus être spectatrices de leurs grossesses et de leurs accouchements, et refusent l'usurpation de leur pouvoir d'enfanter. L'une des femmes interrogées s'exprime ainsi « lors de mes contacts avec des établissements hospitaliers, j'avais le sentiment que j'étais un numéro suivi pour une intervention chirurgicale, alors que je voulais être actrice de ma grossesse. » Le constat dressé par ces artistes tels que Smith ou Tenhaaf traduit une réalité concrète qui perdure. Ce constat est d'autant plus marqué pour la femme dans son rapport à la parentalité que c'est elle qui porte l'enfant et le fait naître, mais également parce que la médecine de la reproduction s'est attachée

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presque essentiellement à la fonction procréatrice de la femme, comme par exemple avec les méthodes de contraceptions presque exclusivement féminines. Yvonne Knibiehler l'exprime clairement « la médicalisation est une autre manière de contrôler la liberté du corps128

Ces deux artistes ont mis en avant le poids de la science sur les corps, notamment sur le corps de la femme dans le domaine de la reproduction. D'autres vont mettre en évidence l'importance fondamentale de l'espace utérin et du rapport charnel au corps de la mère dans le développement des individus, comme les artistes Lygia Clark ou Egle Rakauskaite. Ces deux artistes, par des moyens plastiques différents, vont amener le spectateur à revivre un état originel déchu, comme pour la performance de Lygia Clark, A casa é o corpo. Penetraçao, ovulaçao, germinaçao, expulsao en 1968, qui proposait une expérience tactile de l'intériorité du corps féminin, ou à constater la ré-expérimentation du corps dans un état foetal reconstitué pour Egle Rakauskaite par son oeuvre Honey (figures 59 et 60).

Figure 59: Lygia Clark, A casa é o corpo. Penetraçao, ovulaçao, germinaçao, expulsao (une
maison pour mon corps. Pénétration, ovulation, germination, expulsion), 1968, installation de
huit mètres de long réalisée pour la Biennale de Venise de 1968

128 Knibiehler Yvonne, La révolution maternelle : Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945, Perrin, Paris, 1997, p.181

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Figure 60: Egle Rakauskaite, In Honey, 1996, performance, Musée de Arte, Reijkiavik

2. Réalisme et hyperréalisme

La maternité, comme on a pu le démontrer dans les chapitres précedants, a été dissimulée derrière les conceptions religieuses jusqu'à ce que les artistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe révèlent en quelque sorte le rôle maternel, en le glorifiant, par des conceptions dociles d'allaitantes et de maternantes, au sens d'éducatrices. Nous pensons alors à Eugène Carrière. Les années soixante-dix vont bousculer l'image de la maternité, en montrant qu'être mère n'est pas l'idéal féminin, en radicalisant le discours et en dévalorisant le processus maternel, de la grossesse à l'éducation des enfants. Les artistes contemporains, à partir des années 90, vont donner une image de la maternité désacralisée mais toute empreinte de vérisme,

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non pas dans une volonté de décrier la maternité, mais de montrer tout simplement la réalité du mystère. Ils montrent ce que l'on ne voit pas habituellement: une rencontre entre une jeune accouchée et son enfant hors de toute béatitude et emprunt de surprise et de doutes chez Ron Mueck; des jeunes mères épuisées par l'accouchement chez Rineke Dijkstra. L'heure n'est plus au mensonge sacralisant la maternité ni à la dénonciation d'une maternité esclave: l'heure est à la véracité.

Ron Mueck, par ses oeuvres comme Mother and Child ou encore Pregnant Woman, tend à nous proposer une expérience peu ordinaire, à savoir de pouvoir voir de près, de très près, des instants de maternité dissimulés habituellement. Pregnant Woman est une sculpture d'une femme enceinte nue, en toute fin de grossesse (figure 61). Sa position n'est pas habituelle, levant les bras derrière sa tête pour étirer ce corps malmené par la maternité. Son visage n'exprime aucune béatitude, mais une crispation qui pourrait faire croire à une extrême concentration durant une contraction utérine douloureuse, annonçant l'accouchement laborieux. Cette femme est corps, elle montre et suggère également par sa dimension129, l'aspect imposant et pesant de la maternité, il se concentre sur le corps, ce ventre proéminent vers lequel toutes forces convergent.

Figure 61: Ron Mueck, Mother and child, 2001, matériaux divers, 24 x 89 x 38 cm, collection
Brandhorts, Allemagne

129 La sculpture fait deux mètres cinquante de hauteur

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Mais s'il est des instants qui sont encore peu dévoilés, ce sont ceux de l'accouchement. Souvent suggéré par les artistes des années 70/80 comme on a pu le voir dans la partie précédente de manière radicale afin de faire prendre conscience que l'accouchement est une réelle souffrance, Ron Mueck va en révéler un fragment, tout en restant dans un vérisme profond, hors de toutes conceptions idéalisées ou dépréciatives. Mother and Child présente une femme nue, allongée sur le dos, les jambes légèrement repliées, les bras le long du corps. Sa tête se détache du socle pour regarder son ventre flasque et découvrir son nouveau-né, cet être énigmatique qui a grandi durant neuf mois dans son intimité et qui lui est brusquement dévoilé. Du sexe de la jeune accouchée, se présentant béant et bouffi, sort le cordon ombilical, reliant encore physiquement la mère à l'enfant et indiquant l'instantanéité de l'acte. Cette sculpture mélange les détails obstétricaux triviaux à la dimension psychologique de l'accouchement, avec cet émerveillement craintif qui se lit sur le visage de la mère découvrant son enfant (figure 62).

Figure 62: Ron Mueck, Pregnant woman, 2002, matériaux divers, 252 x 73 x 68,9 cm, National Gallery

of Australia, Canberra

 

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Ce même état de surprise, mêlé à une sorte de torpeur, se retrouve dans la série photographique Netherlands de l'artiste néerlandaise Reneke Dijikstra (figures 63, 64 et 65). Cette série se compose de trois photographies cadrant des jeunes femmes tenant leurs nouveaux-nés contre elles, à différents moments après leurs accouchement : quelques minutes après, une heure, un jour. Les photographies semblent être prises dans le couloir d'un hôpital, tout du moins dans un environnement neutre, impersonnel, intemporel, qui peut renvoyer au socle froid de Mother and Child de Ron Mueck. Le format et la composition de ces trois oeuvres photographiques donnent l'impression d'un documentaire sur l'accouchement et ses suites. La réalité de l'accouchement est suggérée : les traits de ces femmes sont tirés, attestant de la pénibilité du travail effectué ; le corps est encore gonflé de la présence durant de longs mois de l'enfant qu'elle serre à présent contre elle et le corps de l'enfant, recroquevillé à l'image du nouveau-né de Ron Mueck, porte également la trace de sa vie in vitro, par sa couleur renvoyant aux muqueuses utérines. Rien n'est épargné au spectateur, même pas les culottes-filées d'on l'une des jeunes mères est parée, que les futures mères découvrent sur leur liste de maternité.

Figure 63, 64, 65 : Reneke Dijikstra,

Saskia, Harderwijk, Netherlands, March 16 1994, 1994, photographie sur papier, 117 x 94 cm

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La réappropriation de la maternité, du corps de la femme, passe ici par une révélation de l'acte, par l'instantanéité. La maternité est exposée par la confrontation du spectateur à cet acte purement charnel qu'est l'accouchement. Hors de toute sacralisation ou dépréciation, ces oeuvres tendent à montrer la grande humanité de ces femmes.

3. Du « penis envy » à « l'uterus envy »130

La séparation de la reproduction et du corps, notamment du corps de la femme en ce qui concerne la fécondation, mais aussi le fait de pouvoir implanter des embryons dans le ventre d'une femme sans que ceux-ci ne soient les siens, donnent accès à toutes sortes de fantasmes. Ainsi, n'est-il de plus ancien fantasme de la part des hommes que celui de porter la vie également ? Parallèlement à ce que la maternité serait, selon Freud, l'expression de « l'envie du pénis », les progrès technologiques entraineraient ce que l'on pourra appeler « l'envie de l'utérus » chez les hommes. Ce fantasme se traduit également sociologiquement au travers des attitudes des hommes. Elisabeth Badinter le soulignait déjà dans son ouvrage131, ces dernières années nous assistons à une identification des pères vis-à-vis de leurs femmes. Lorsque ces dernières se virilisent et prennent certaines distances à l'égard de la maternité, il serait très certainement apparu un « désir de maternage, sinon de maternité132 » de la part des pères. Ce constat qui s'affirme aujourd'hui, avec notamment l'élaboration d'une politique de la paternité par la mise en place du congé paternité à la naissance de l'enfant et son possible allongement, aurait eu pour racines le dépouillement des pères de toute autorité au profit de l'Etat et des mères. « L'accroissement considérable des responsabilités maternelles, depuis la fin du XVIIe siècle, a progressivement obscurci l'image du père. Son importance et son autorité, si grande au XVIIe siècle, sont en déclin, car en prenant le leadership au sein du foyer, la mère a largement

130 Friedan, Betty dans la femme mystifiée parle p.159 des hommes d'aujourd'hui qui souffrent de « l'envie de l'utérus »

131Badinter, Elisabeth, L'amour en plus : histoire de l'amour maternel, XVIIe-XXe siècle, Flammarion, Paris, 1980 132 Op. cit. p. 365

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empiété sur ses fonctions133 » précise Elisabeth Badinter. La science va offrir un terrain neuf pour entretenir ce nouveau fantasme de paternité.

Cette idée est mise en avant par les conceptions psychanalytiques qui se développent dans les années soixante, d'une identification féminine de la part des pères lors de l'arrivée de leur premier enfant. Ce qu'explique Monique Bydlowski psychiatre et psychanalyste à la maternité de Port-Royal, c'est que « la crise induite par l'attente de l'enfant peut faire flamber des fantasmes de grossesse et d'identification féminine134. » La révélation de ce syndrome que l'on nomme « la couvade », et qui se traduit généralement par des troubles psychosomatiques, en revient au contexte sociologique qui permettrait une plus grande expression sociale qu'auparavant.

L'artiste Jana Sterbak affuble un homme d'un ventre de femme enceinte et de seins à la manière d'un tablier de plâtre, dans son installation Inhabitation, en 1983 (figure 66). L'aspect bricolé de ce ventre-prothèse ainsi que le regard froid de cet homme très, voire trop, viril, barbu, porte à montrer un caractère ironique au fantasme qui pouvait se profiler à l'époque. Le fantasme est présent mais il paraît alors chimérique, si ce n'est utopique. L'ironie présente peut renvoyer à ces conceptions nouvelles sur la paternité et cette identification des pères par rapport à leurs épouses.

Figure 66: Jana Sterbak, Inhabitation, 1983, 65 x 37 x 26 cm, résines, photographie

133 Op. cit. p.280

134 Bydlowski, Monique « La crise parentale de la première naissance », Informations sociales 4/2006, n 132, p. 64-75.

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Le malaise est plus présent dans les oeuvres photographiques d'Hiroko Okada. Dans Future plan n° 1 et 2, cette artiste nippone nous présente des hommes à moitié nus, enceints de vrais ventres ronds (figure 67). Leurs positions reprennent des positions de femmes avancées dans leur grossesse, telle la main sur les reins ou sur le ventre. Leur côté androgyne, par leur manque de pilosité virile et leur longue chevelure, marque l'ambigüité régnant sur leurs corps. Mais ce sont bien d'hommes dont il s'agit. Ces photomontages datant des années 2000 montrent l'aspect de plus en plus probable de cette situation. Là où Jana Sterbak nous proposait une remarque ironique sur les progrès de la médecine reproductive, Hiroko Okada nous laisse entrevoir ce qui pourrait être notre avenir proche, dans un certain malaise. Et l'artiste ne s'y était pas trompée, car quelques années plus tard, la réalité dépasse la fiction, en voyant la photo d'un homme, Thomas Batie135, enceint. Les progrès scientifiques ainsi que les changements des habitudes sexuelles ont donné réalité à la vision numérique de l'artiste.

Figure 67: Okada Hiroko, Future Plan 1 et 2,

2003, tirage lambda, 140.4x90 cm et 102x140.5 cm, Courtesy Mizuma Art Gallery, Tokyo

135 Il s'agit d'une femme anglaise, ayant changé d'apparence pour devenir un homme mais ayant conservé son appareil reproducteur féminin

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B. La perte du corps: virtualisation et désacralisation de la reproduction

1. Virtualisation : la « société utérus »

Parallèlement à la médecine qui réalise des progrès dans de nombreux domaines et à une allure incroyable à partir des années soixante-dix, se développe un outil technologique qui deviendra un médium novateur pour les artistes, à savoir Internet et l'informatique. Dès 1995, alors que l'utilisation d'internet en tant que réseau mondial de masse se généralise et que l'essor de la pratique artistique usant de l'internet ne fait que commencer, Marie-Ange Guilleminot et Fabrice Hybert développe l'idée du Bébé virtuel. Cette oeuvre commune, d'un homme et d'une femme, présente la « création » et la naissance d'un bébé par la seule pensée et par la volonté de deux artistes, de deux « cerveaux ». Ce bébé se développe et grandit sur la toile. Les deux artistes en donnent cette description au sein du catalogue de l'exposition Féminin-Masculin, le sexe de l'art « Multiplier la vie au-delà de la mort par n'importe quel moyen, de Gutenberg à la génétique, tous les paliers des échanges ont été peu à peu mobilisés. [...] Mais comment faire un bébé? Le cinéma nous a fait supposer plein de possibilités. Un bébé que tout le monde pourrait venir voir ou aller voir, lui donnant des leçons, des informations, un nom. Le faisant grandir, l'habillant, lui apprenant un métier, sans fin.

Le bébé est en gestation peut-être pour neuf mois, mais peut-être moins ou plus, en tout les cas il est conçu et nous l'aimons déjà beaucoup. Lorsqu'il naîtra dans tous les réseaux possibles, dans toutes les forêts que vous pouvez imaginer, nous sommes certains qu'il vous apportera beaucoup de plaisirs. Vous pouvez en faire ce que vous voulez dans les limites de vos mémoires vives, mais il aura la capacité à produire beaucoup de demandes qui vous obligeront souvent à décoller vos fesses du siège136 [...]. »

136 Guilleminot, Marie-Ange et Hybert, Fabrice, du bébé virtuel, Fémininmasculin: le sexe de l'art, Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Grande galerie, 24 octobre 1995-12 février 1996 / catalogue par Marie-Laure Bernadac, Bernard Marcadé, Gallimard-Electa, Paris, 1995, p. 263

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Cette oeuvre fait écho à certaines critiques, notamment celles des fécondations in-vitro. En effet, la FIV peut se faire entre des gamètes mâles et femelles de ceux qui désirent être parents, afin de faire grandir le foetus puis l'enfant au sein de leur couple. Mais la FIV peut se faire également par le biais de donneurs, de spermes ou d'ovocytes, et grandir au sein d'une mère porteuse. L'enfant à naître résulterait alors d'un acte purement médical, produit sans relation charnelle des parents (au sens social de ceux qui vont l'élever) ni relations aucunes entre ses parents biologiques. La perte de la sexualité est alors une critique très présente, critique d'une crainte qui se révèlera chez d'autres artistes, notamment Aziz et Cucher. L'enfant à naître ne serait donc pas réel dans le corps de la femme s'apprêtant à devenir mère, mais virtuel, dans et par les corps d'autrui. Le projet d'enfant se serait mu dans l'impulsion de deux volontés, comme avec les deux artistes, mais nécessite ensuite une pléiade d'intervenants extérieurs au couple, comme les internautes.

Il est important de souligner également le médium utilisé, et le parallèle à faire entre cette perte de sexualité et la critique de la perte de sociabilité que cet outil a entrainé. En effet cette « fenêtre sur le monde » qu'est internet va très vite se révéler comme un possible outil de « désociabilisation » et va considérablement réduire la frontière entre vie réelle et vie virtuelle. « Dans cette société-utérus, les êtres humains n'ont plus de relations sociales, encore moins sexuelles, sinon d'être branchés sur leurs machines, -à commencer par la télévision et tous les écrans- par câbles physiques ou connexions satellites137. »

En 2002, deux artistes reprendront cette démarche d'un bébé se développant par le médium Internet, avec l'oeuvre Silver Alter (figure 68). Il s'agit d'une installation où les spectateurs peuvent sélectionner des humains virtuels afin de générer une descendance. La critique de la manipulation des êtres « humains » ne peut être plus explicite, si ce n'est que le spectateur doit

137 Lachance, Michaël, « Une fiction biopolitique le corps larvaire », Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005, p.182

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décider ensuite si cette progéniture pourra survivre à ses parents à la prochaine génération. La critique de l'eugénisme qu'engendre le médium technologique se révèle très fort. Gina Czarnecki et Keith Skene, par le biais de l'univers numérique, offrent par cette oeuvre la possibilité de créer, d'élever ou d'avorter des humains virtuels. Le choix du médium n'est pas anodin et tend à dénoncer l'aspect démiurge qu'il offre, à assimiler à la science, ici technologiquement. L'aspect virtuel consent un pouvoir au spectateur qui dépasse les limites réelles et morales, et qui se traduit par une distanciation des corps qui les rend obsolètes, virtuels et « jetables » par un simple clic.

Figure 68: Gina Czarnecki and Keith Skene. Silvers Alter, 2002

2. La glaciation du corps

Les artistes vont émettre une critique sur l'intrusion de la médecine et la technologie au sein des couples, et montrer que celle-ci entraine une dé-sexualisation de la reproduction, comme l'indique Michael Lachance « [É] la reproduction humaine est devenue un acte mécanique d'insémination en éprouvette, pure répétition nauséeuse de l'espèce dans un cauchemar eugénique138. » Bien plus qu'un écartement du corps de la femme, c'est la sexualité même qui va être remis en question. En effet, comme le souligne Marie-Madeleine Chatel dans son

138 Ibidem

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ouvrage Malaise dans la procréation139, ce qui était une affaire de couple, à savoir le désir d'enfant, va entrer dans un triptyque en laissant s'introduire la médecine et la science, afin d'accéder ou d'accéder plus rapidement à ce désir d'enfant. L'intimité du couple, tout comme l'équilibre psychique de la famille, comme on pourra le voir plus loin, avec le clonage notamment, se trouve bouleversée par cette intrusion. Faire entrer la médecine au coeur même de la procréation, c'était alors faire disparaître la sexualité et l'érotisme du fait de la reproduction. L'acte de reproduction n'était et n'est plus charnel, « Si la procréation est pensée en termes de manoeuvres de substances, le désir est tout simplement atteint dans sa logique même, il est exclu de l'aventure procréative140. » Alors que les mouvements féministes avaient lutté pour acquérir le droit de disposer librement de son corps et de dissocier sexualité et reproduction, les artistes vont montrer que l'intrusion de la science se fait à l'encontre de la sexualité et annihile cette liberté de dissociation au nom d'un nouveau droit revendiqué « d'avoir des enfants » à tout prix.

Ce constat a été fait notamment lors de l'exposition L'Hiver de l'amour, présentée au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 1994. Dominique Baqué commente cette exposition et rapporte qu'elle a montré la « glaciation du corps. » Cela est dû également à l'émergence du sida et de cette sorte de peur sexuelle qui se développe, et qui a poussé à se diriger vers une sexualité aseptisée où le médical paraissait rassurant.

Paraissant emblématique de cette angoisse émergente liée à la perte de la sexuation et de la glaciation du désir, l'oeuvre des artistes Aziz et Cucher Woman and Child, provenant de la série Faith, Honour and Beauty, confronte le spectateur à une femme enceinte nue, accompagnée d'un jeune enfant, nu également, mais tous deux dépourvus d'organes sexuels (figure 69). Les seins ainsi que le sexe de la femme ont été effacés, ce qui est le cas également du sexe de l'enfant. La femme est réduite au seul stéréotype de sa condition de mère, de sa capacité sexuelle et biologique à enfanter et à sa fonction sociale d'élever son enfant. Comme l'indique Dominique Baqué « en dé-sexualisant les corps mais en maintenant pour chaque sexe des objets archétypiques de la virilité et de la féminité les plus conventionnelles, Aziz et Cucher

139 Chatel, Marie-Magdeleine, Malaise dans la procréation : les femmes et la médecine de l'enfantement, Albin Michel, Paris, 1993

140 Op. Cit., p.76

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interrogent simultanément la perte de tout érotisme possible, les risques fascisants des pratiques eugénistes et le terrifiant « formatage » auquel la culture américaine livre des corps de plus en plus dociles, de plus en plus normés141. » On assiste à un retour en arrière : la femme n'est plus pensée en termes sexuels, mais par sa fonction de mère. Son corps disparait derrière sa fonction biologique.

 

Figure 69: Aziz+cucher, Faith, Honor and beauty, 1992, photographie couleur, 86 x 38 cm, Espace d'art Yvonamor Palix, Paris.

125

Dans un registre plus ironique, l'artiste Anne Esperet livre également une critique de la disparition de l'acte charnel dans le processus de reproduction. Avec Fabrication à l'ancienne, oeuvre comprenant la photographie d'une femme enceinte portant un t-shirt avec cette même inscription, ainsi que la possibilité d'achat dudit t-shirt, l'artiste renvoie à la manière non scientifique et toute prosaïque dont cette femme en photo est tombée enceinte (figure 70). La

141 Baqué, Dominique, Mauvais genre(s): érotisme, pornographie, art contemporain, Ed. Regard, Paris, 2002, p.71

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médecine procréative est certes omniprésente dans l'univers de la reproduction, mais il ne faut pas oublier la façon originelle de concevoir des enfants. Elle critiquera également, par le même procédé, les possibles déviances de la médecine procréative, avec Pièce Unique, une photographie d'une enfant portant un body avec l'inscription pièce unique et la possibilité d'achat du body en question, écho aux techniques du clonage et de médecine préimplantatoire (figure 71).

 

Figure 70: Anne Esperet, Fabrication A L'ancienne, 2003, Photographie 53 x 40 cm et tee-shirt blanc standard "Fabrication à l'ancienne"

 

Figure 71: Anne Esperet, Piece Unique, 2003, Photographie 53 x 40 cm et tee-shirt blanc standard "Pièce unique fournie, Photographie couleur de 53/40 cm.

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Les différentes oeuvres offrent le constat que le corps de la femme devient obsolète et se voit de nouveau assujettie à la reproduction par le fait d'avoir mis au centre du couple l'enfant tant désiré et qui tarde, dans une société d'impatience. La science a engendré cela, en rendant plus qu'accessibles les méthodes de procréation assistées, en précédent l'impatience de leurs patients à concevoir un enfant naturellement.

C. La maternité au XXIe siècle : « Demain les post-humains »

Avec l'avènement des nouvelles technologies, en matière de médecine, mais également avec la découverte de l'ADN et le développement des médias numériques tels internet et l'informatique entre autre, s'est développé un courant de pensée qui traite du rapport entre l'humain et la machine. Ce courant que l'on appelle Post-humanisme rassemble des scientifiques ainsi que des artistes et se scinde en deux catégories de penseurs : les technophiles, qui considèrent positivement l'avènement d'êtres humains supérieurs grâce aux biotechnologies ; et les technophobes qui craignent les conséquences néfastes qu'une telle omniprésence des biotechnologies dans notre quotidien et notre intimité, voire notre identité, pourraient engendrer. Le post-humanisme commence dès l'apparition de la pilule et de la banalisation des fécondations in-vitro, car il y a alors l'idée d'en finir avec le déterminisme de la naissance, mais également avec le fatalisme de la vie, car il englobe les greffes ainsi que les prothèses ou tout ce qui va contribuer à repousser les limites de l'humain, de la vieillesse et de la mort - et bien sur de la naissance.

1. Du miracle de la vie au monstre de la science

Le fait de pouvoir intervenir au niveau des gênes et des cellules, de pouvoir manipuler voire transformer le vivant presque à la source, entraine des discours artistiques emplis de fantasmes,

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mais également d'espoirs et d'angoisses mêlés. Certains artistes vont encenser la biotechnologie et y voir les promesses d'un homme nouveau, d'un homme meilleur. Les autres, plus sceptiques, vont mettre l'accent sur la possibilité du manque de recul nécessaire à toute apologie de la manipulation du vivant, en montrant que le chemin pour aller vers une création parfaite peut vite déraper vers la création d'un monstre, comme l'indique le roman Frankenstein.

La figure du monstre a toujours été présente dans le champ de l'art. Aux siècles passés, on se souvient des femmes à barbes ou encore des enfants atteints de membres sous ou surnuméraires peints par les plus grands artistes, pour le plus grand plaisir des monarques et autres puissants. L'étymologie du terme monstre se rapporte à monstrum, « montrer ». En effet, le monstre est celui que l'on montre, grossièrement du doigt, du fait de son anomalie, de son irrégularité. Mais il faut se pencher également sur une deuxième étymologie possible, monestrum, dérivé du latin, et qui signifie « avertir ». Au Moyen-âge, le monstre est celui qui annonce un événement extraordinaire, mais plus souvent, une catastrophe. Le monstre fait apparaître chez l'autre des sentiments confus, il fascine et il angoisse. Cette volonté de « montrer » par le monstrueux va se retrouver chez des artistes, tels SubRosa par exemple, ou Patriccia Picinini, dans une démarche d'avertissement envers le spectateur sur les dérives de notre société en matière de biotechnologies.

Mais la définition du corps monstrueux a évolué depuis le Moyen-âge. Ce qui apparaissait aux siècles passés comme des corps monstrueux ne le sont plus aujourd'hui. Une nouvelle notion du monstrueux est apparue. Elle se retrouve dans cette volonté nouvelle de faire disparaître ou tout du moins d'atténuer la proportion d'êtres humains « anormaux » qui va faire réagir les artistes. La volonté avérée de la médecine, de la science, de ce qu'on peut appeler les anthropotechniques142 est de tendre vers la normalisation, l'uniformisation de la population. Le monstrueux à la fin du XXe siècle et en ce début du XXIe apparaît dans le risque de l'eugénisme. Cette pratique de vouloir acquérir l'art de bien engendrer, c'est à dire d'avoir une descendance sans tares, apporte nombres de questionnements.

Ceux qui sont mis en avant par le professeur Nisand dans le deuxième forum européen de bioéthique de Strasbourg, c'est qu'au nom de cet eugénisme, la dimension de mort entre très -

142Etter, Valérie et Le Dref, Gaelle, Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005

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trop- tôt dans le processus de la vie. En effet, avec les moyens de dépistages et de diagnostiques prénatals, mis en place notamment pour réduire le cas de trisomie 21, la mort fait son intrusion bien avant la naissance. Car si l'on détecte une anomalie, le couple va devoir se prononcer sur le meurtre de son enfant. Le monstrueux ici, n'est pas de l'ordre de l'anomalie corporelle, même si on l'entrevoit sur cet enfant à naître, mais sur la dimension psychologique de la décision à prendre, d'un infanticide, qui est « proposé » par la société. Ce risque eugénique est pour certains grands pontes de la médecine foetale, déjà avancé. Jacques Testart, le biologiste de la première fécondation in-vitro en France en 1982 aux côtés de René Frydman, dénonce désormais un eugénisme inauguré par les procréations artificielles et qui se développe par la sélection des embryons découlant des diagnostics, tout cela au nom d'un idéal de santé et de normalité des individus. Il ne cache pas que ces finalités ne soient rejointes très rapidement par des fins de convenances143 . Ce risque est tellement grand, dès 1986, qu'il décide d'arrêter cette pratique. Le Professeur Nisand confirme en quelque sorte les craintes posées par Jacques Testart, puisqu'il nous informe sur l'augmentation avérée d'interruption volontaire de grossesse pour, dit-il, « des anomalies curables » types bec de lièvre. La finitude de la convenance serait donc bien atteinte, puisque le dépistage de la trisomie 21, comme le souligne le Professeur Nisand, est proposé et remboursé par la sécurité sociale dans le but avoué d'une large économie pour l'Etat. En effet, cela coute plus cher de payer des structures d'accueil pour les personnes atteintes de ce handicap que de payer à toutes les femmes enceintes le dépistage. On ne sait plus très bien où se cache la monstruosité, où est la raison de l'éthique, la morale. Surtout lorsque La loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain complète le Code civil et le Code pénal en interdisant et sanctionnant les pratiques eugéniques. Les pratiques eugénistes sont regardées comme des atteintes à l'intégrité de l'espèce humaine. La législation nouvelle s'oppose donc avant tout à l'eugénisme collectif. En effet, l'article 16.4 du Code civil énonce : « Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine » et que « toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite. » L'article 511.1 du Code pénal, quant à lui, dispose « Le fait de mettre en oeuvre une pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est puni de vingt ans de réclusion criminelle. »

143Testart, Jacques, L'oeuf Transparent, Flammarion, Paris, 1986

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Déjà les artistes de l'art corporel, telle Orlan, développaient les questionnements liés à la possibilité de dépasser les limites du corps, de pouvoir rectifier les anomalies corporelles grâce à la chirurgie esthétique. C'était déjà montrer que la société allait vers une nouvelle monstruosité, créée de toute pièce par les normes sociétales du beau.

Mais avec la découverte de l'ADN et les diverses manipulations génétiques possibles, le risque est bien de ne plus être unique et de rectifier ces « anomalies » bien avant la naissance, bien avant d'être corps. C'est donc la question de l'eugénisme que les artistes vont traiter, pour atteindre le thème de l'identité de l'individu. Avec l'oeuvre Family Romance, Charles Ray tend à identifier cette normalisation de la population (figure 72). Cette oeuvre représente une famille de quatre personnes, composée du père et de la mère, ainsi que d'un garçon et d'une fille. Seulement, bien qu'il s'agisse d'une famille, tous les personnages ont la même dimension, ils se ressemblent à s'y méprendre, mais bien plus que dans un rapport de filiation. Cette oeuvre illustre parfaitement les propos d'Henri Atlan qui voit dans le clonage un « chaos des filiations »: « des individus produits par clonage reproductif seraient génétiquement identiques à des frères ou soeurs jumeaux de ceux ou celles à partir desquels ils seraient clonés, mais ils seraient éventuellement décalés dans le temps au point qu'ils pourraient en être considérés comme appartenant à la génération des « enfants » ou des « petits-enfants ». Or, une telle situation, au premier abord, risque de désorganiser totalement tous les repères humains connus dans le domaine des filiations. Bien que les anthropologues décrivent des systèmes de filiations multiples, et très différents de celui traditionnellement établi dans nos sociétés, aucun système de filiation ne fait purement et simplement l'économie d'un des deux parents biologiques, puisqu'ils reposent tous sur l'expérience universelle de la reproduction sexuée. La reproduction asexuée que réaliserait le clonage reproductif perturberait tous les systèmes de filiation existants et pourraient conduire, à terme, à la suppression même des relations de filiation144. »

144 Atlan, Henri, « Possibilités biologiques, impossibilités sociales », L'art contemporain au risque du clonage / sous la direction de Richard Conte ; Publications de la Sorbonne : ACTE 91, Paris, 2002, p.22

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Figure 72: Charles Ray, Family Romance, 1993. Fibre de verre et cheveux synthétiques,
134.6 x 215.9 x 27.9 cm. The Norton Family Foundation.

Mais si certains artistes développent l'idée que la normalisation va demeurer notre prochain fléau, d'autres se posent en critique de cette science prétentieuse. Les recherches sur les embryons ainsi que les manipulations toujours plus poussées ne vont-elles pas conduire l'être humain à créer de nouveau monstres, à déraper, voire à régresser? Ce qui devrait apparaitre comme un progrès ne pourrait-il pas se révéler régressif ? Les oeuvres de l'artiste Patricia Piccinini nous invitent à ce questionnement. Ses sculptures aux formes mi-humaines mi-animales paraissent comme le résultat d'expériences trop poussées et ayant échouées. Elle développe par ses sculptures des sortes de corps mutants qui s'annoncent comme des prémonitions sur les déviances que peuvent générer les biotechnologies appliquées à la reproduction (figure 73). C'est montrer que la manipulation du vivant n'est pas sans risques, et que la volonté eugéniste de normalisation n'est pas forcément positive, et peut entrainer notre déchéance.

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Figure 73: Patricia Piccinini, Big Mother, 2005, silicone, fibre de verre, cheveux, cuir, toiles,
175 cm, Galerie Yvon Lambert, New-York

2. Libération du corps-fardeau?

La vision positiviste, ou autrement dite aujourd'hui technophile, se trouvait déjà dans des oeuvres coïncidant aux prémices des théories post-humaines. Valie EXPORT dans son Installation Fragmente der Bilder einer Berührung en 1994 présente un mécanisme immergé d'où sortent des ampoules allumées dans des bocaux de verres remplis de lait, d'huile usagée ou d'eau sans provoquer aucun court-circuit (figure 74). On peut alors y voir une évocation des techniques de reproduction afin de libérer le corps de sa destinée procréatrice en le déléguant à la technologie.

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Figure 74 : Valie EXPORT, Fragmente der Bilder einer Berührung, 1994

Cette orientation sera le crédo des féministes les plus extrémistes, celles qui désiraient pouvoir s'émanciper totalement des hommes en même temps que de leur fatalité biologique pour se reproduire. Dans cette optique, les perspectives envisagées sont celles de l'utérus artificiel appelé également ectogénèse, qui ôterait la dimension sexuelle de la reproduction mais également la notion de corporéité dans la relation de la mère à l'enfant ; et la deuxième perspective est celle de la parthénogénèse, qui là émanciperait la femme de l'homme, en pouvant se reproduire sans l'aide d'un gamète mâle.

3. L'art contemporain au risque du clonage

La question du clonage, d'un point de vue anthropologique, entrainerait une grande scission dans le rapport homme/femme. Pour Françoise Héritier, le développement de cette technique est normal, cependant, sa banalisation ne pourrait en être de même. Le risque ne serait, pour elle, pas dans le résultat du clonage et du statut des êtres clonés, mais celui de l'assujettissement entre homme et femme. Les hommes pourraient se reproduire avec l'aide d'une femme, car il leur faudrait quand même un ovule. Quant aux femmes, elles pourraient se reproduire à l'identique sans avoir besoin du recours des hommes145.

145 Héritier, Françoise, Une pensée en mouvement, Odile Jacob, Paris, 2009, p.115

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Le clonage humain est à craindre également s'il est effectué à des fins de prélèvements d'organes. L'aspect consumériste est d'ailleurs décrié par de nombreux artistes, qui s'intéressent au corps morcelé. Dans le même but, les bébés médicaments, qui n'auraient d'autres destins que de soigner d'autres personnes. C'est la prédétermination du corps de ces enfants, faisant de la reproduction une sorte de supermarché d'organes et de cellules qui est dénoncée. Cette procréation de « remplacement » n'est pas nouvelle, le professeur Nisand dénonce lui, la volonté des parents ayant perdu un enfant de le remplacer par un autre, identique. Cette question est très présente dans le paysage scientifique et éthique également, comme l'annonce le thème de l'édition 2013 du forum européen de bioéthique de Strasbourg, à savoir « l'Homme en pièces détachées ».

L'artiste Chrissy Conant développe avec humour et ironie cette vision du corps consumériste qui se met d'ores et déjà en place. Pour son oeuvre intitulée Chrissy Caviar, elle s'est pliée à une stimulation ovarienne afin de récupérer une douzaine d'ovules qu'elle plaça dans un contenant en verre semblable aux bocaux qui contiennent le caviar Beluga (figure 75). La référence au caviar Beluga se retrouve également dans les couleurs du label donné à ces gamètes, situées sur le couvercle de chaque pot. Ces douze oeufs, dont on remarque la référence certaine au même conditionnement des oeufs de poules, sont labellisés « Caucasian: Packed by Private IVF Center, USA. Product of Conant Ovaries, Keep Refrigarated. » Le recours à la méthode de reproduction assistée afin d'obtenir un nombre élevé d'ovules, ainsi que l'utilisation que leur conditionnement et leur vente assimilés à de la marchandise de luxe périssable, indique la critique d'un corps fragmenté, réduit à un produit de consommation. En attestent les sociétés proposant des bases de données de mères susceptibles d'offrir leurs ovocytes par le biais de sites internet.

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Figure 75: Chrissy Conant, Chrissy Caviar®, douze oeufs humains (un par pot), 2001-2002, fluide tubaire humain, Polyester, nylon, verre, cuivre, équipement de réfrigération, 122 x 131 x 126 cm, Galerie Saatchi, Londres

4. Vers un nouveau corps-objet: poursuite du combat féministe

Si certains artistes voient un véritable progrès dans l'élaboration d'un homme supérieur, d'autres vont mettre en évidence que ce progrès se révèle vain et qu'il s'agit d'un retour en arrière considérable, notamment pour l'image du corps de la femme qui va transparaitre au même titre qu'un objet.

En effet, le groupe cyberféministe de bioart SubRosa démontre par ses performances que les pratiques biotechnologiques tendent à percevoir le corps comme un objet devenu inefficace et devant être amélioré afin de poursuivre l'évolution de l'espèce humaine.

Par le biais d'une performance participative intitulée U-Gen-A-Chix: cultures of Eugenics de 2003146, le groupe désirait mettre en relation technologie de reproduction, eugénisme et statut

146 Voir http://www.cyberfeminism.net/

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corps-objet de la femme. La performance s'organisait en deux parties: un kiosque fournissait des informations sur les dons d'ovocytes et les conséquences de l'assimilation du corps féminin à celui d'une poule pondeuse que cela entrainait. Le deuxième proposait de gouter un biscuit préparé apparemment à partir d'oeufs de poules améliorés (ce qui renforçait l'image de la poule pondeuse pour la femme), ayant la prétendue capacité d'améliorer la mémoire et l'intelligence. Derrière un certain humour, la volonté du groupe était de démontrer la fausse bienveillance de la bio-science, qui se cache derrière une volonté d'aider des couples infertiles, mais qui peut se révéler dangereux pour le statut du corps de la femme et celui de l'enfant, qui se voit amélioré, prédéterminé. Cette volonté de pouvoir choisir l'enfant serait née de la transparence du mystère mise en place avec l'avènement de l'échographie obstétricale. En effet, auparavant, l'enfant désiré et porté n'était qu'imaginaire jusqu'à sa naissance, et la possible déception des parents qui se produisait à la naissance disparaissait derrière la joie de la rencontre. Mais avec l'imagerie médicale, la rencontre des parents et de l'enfant se fait bien en amont de la naissance, dès les premiers signes de la grossesse. Il est même possible aujourd'hui, avec l'imagerie 3D, d'avoir une image du visage de son enfant avant qu'il naisse. L'imaginaire n'a plus sa place. « L'échographie foetale a cependant cela de particulier, qu'elle a conduit à la rencontre d'un être qui auparavant ne pouvait s'inscrire que dans l'imaginaire147. » Ce corps-objet est renforcé également par l'eugénisme qui fait que grâce à la médecine de la reproduction, au suivi de grossesse ultra-médicalisé et la médecine préimplantatoire, la possibilité est donnée aux parents de mettre fin aux jours de l'enfant.

147 Triadou, Patrick, « Transparence et obscurité », Avant la naissance: 5000 ans d'images, Muséum d'histoire naturelle du Havre, 24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la direction de René Frydman, Émile Papiernik, Cédric Crémière, Editions du Muséum d'histoire naturelle du Havre, Paris, 2009, p.129

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Conclusion

Deux siècles après les injonctions de la pensée rousseauiste faites en direction des femmes afin de garder auprès d'elles leurs enfants, ces dernières obtiennent de disposer librement de leur corps et de pouvoir choisir d'avoir des enfants. Ces droits fondamentaux, acquis grâces aux mouvements féministes, eurent pour conséquences immédiates l'émancipation des femmes. Cette émancipation va se répercuter dans le domaine artistique, les artistes faisant très souvent partie, à un moment donné, des collectifs féministes visant à promouvoir les femmes sur la scène culturelle et à dénoncer la domination masculine en tous points, culturellement, socialement et politiquement. La maternité se trouvera alors mise à mal, c'est le cas avec l'image de la Vierge, avec notamment cette volonté de se réapproprier une expérience typiquement féminine mais trop souvent idéalisée et sacralisée par le regard masculin. Ainsi, les attributs dévolus à la maternité comme le sexe ou encore les seins vont être réinvestis du pouvoir féminin, pour contrer le regard masculin qui se fait soit idéalisant, soit désacralisant. L'expérience de la maternité va également devenir un sujet central dans les démarches artistiques, afin de faire la lumière sur l'expérience au féminin, dans une optique de véracité. Ces artistes femmes, orphelines d'héritage culturel, vont se placées dans le sillage des grandes déesses-mère et remettre en question le principe du matriarcat afin de légitimer leur essor dans le monde artistique.

Mais tous ces efforts de réappropriation du corps féminin se sont trouvés - et se trouvent encore - mis à mal par les progrès de la science qui tendent à faire disparaitre le corps de la femme dans le processus de reproduction, par les techniques telles que la fécondation in-vitro ou le clonage. Les artistes vont alors questionner cette liberté du corps dans le processus de reproduction, en vantant les progrès ou au contraire en tendant à montrer les possibles défaillances que cela peut entrainer. Finalement, le corps de la femme dans sa fonction de mère lui échappe tout le temps, mais les avancées biotechnologiques montrent que c'est le Corps qui tend à disparaitre, aussi bien le féminin que le masculin, dans l'expérience de la maternité - ou parentalité - et cela au profit de l'enfant.

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La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
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· Création au féminin, Volume 2, Arts Visuels, textes réunis et présentés par Marianne Camus, Editions universitaires de Dijon, Dijon, 2006

· Création au féminin, Volume 3, Filiations, textes réunis et présentés par Marianne Camus, Editions universitaires de Dijon, Dijon, 2007

· Etats généraux de la femme, La révolte des femmes: après les états généraux de « Elle », rédacteur Jean Mauduit, Fayard, Paris, 1971

· L'autonomie des femmes en question : antiféminismes et résistances en Amérique et en Europe, sous la direction de Josette Trat, Diane Lamoureux, Roland Pfefferkorn, collection Bibliothèque du féminisme, L'Harmattan, Paris, 2006

· Le planning familial : histoire et mémoire, 1956-2006, sous la direction de Christine Bard et Janine Mossuz-Lavau, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2006

· Le siècle des féminismes, sous la direction d'Eliane Gubin, Catherine Jacques, Florence Rochefort, Editions de l'Atelier, Paris, 2004

· Les Chimères, Maternité esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975

· Pollock, Griselda, Generations & geographies in the visual arts: feminist readings, Routledge, London, 1996

· Yvonne Knibiehler, Maternité : affaire privée, affaire publique, Bayard, Paris, 2001

· Zabunyan, Elvan, Cachez ce sexe que je ne saurais voir, Editions Dis voir, Paris, 2003

C. Travaux universitaires

· Debaene Martine, Le rapport physique de l'artiste à son oeuvre, Mémoire de Maîtrise Arts Plastiques, Strasbourg, 1995

· Demuth Daphné, Le corps impossible: pour une analyse de la représentation du corps à travers le nu, et le modèle féminin, sous la direction de G. Goulon, Mémoire de Maîtrise Arts Plastiques, Strasbourg, 1996

· Desbois Marion, Maternité : représentation et son évolution dans la production d'oeuvres d'art, plus particulièrement dans l'art pictural féminin, sous la direction de Madame Marc'halant, Mémoire sage femme, Université François Rabelais, Tours, UFR de médecine, 2007

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de la libération sexuelle à nos jours

· Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006

· Favaro Camille-fleur, L'image de la femme enceinte dans l'art est-elle un reflet de la société, Mémoire de sage femme, Université Joseph Fourier, Grenoble, 2005

· Fay Sophie, La place des femmes dans les arts visuels contemporains : invisibilité de l'invisibilité, l'exemple du département de Loire atlantique, Mémoire de D.I.U Egalité des chances entre les femmes et les hommes, sous la direction de Chrystel Breysse, Université Paris III Sorbonne Nouvelle, novembre 2008

· Fest Kindler, Déborah, Les humeurs de l'art, sous la direction de Valerie Da Costa, Mémoire de Master 2 histoire de l'art et architecture, Université de Strasbourg, 2010

· Schmutz, Lydie, l'art et la vie confondus : la production artistique de Niki de Saint-Phalle de 1961 à 1966, Mémoire de Maitrise Histoire de l'art, Strasbourg, 2004.

D. Monographies

· Aliaga, Juan Vicente, Valie Export, Editions de l'Oeil, Montreuil, 2003

· Bernadac, Marie-Laure, Louise Bourgeois, Flammarion, Paris, 1995

· Bonacossa, Ilaria, Marlene Dumas, Hazan, Paris, 2007

· Karcher, Eva, Otto Dix 1891-1969 : sa vie, son oeuvre, Taschen, Kln, 1989

· Nora-Milin, Véronique, Eugène Carrière 1849-1906 catalogue raisonné de l'oeuvre peint ; avec la participation d'Alice Lamarre et sous la direction de Rodolphe Rapetti, Gallimard, Paris, 2008

· Pierre, Arnauld, Tania Mouraud, Flammarion, Paris, 2004

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de la libération sexuelle à nos jours

E. Catalogues d'expositions

1. Personnelles

· Robert Gober, Galerie nationale du Jeu de paume, Paris, 4 octobre-1er décembre 1991, catalogue par Joan Simon et Catherine David, Galerie nationale du jeu de Paume, Paris, 1991

· Marlène Dumas : Nom de Personne = Name no Names, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Galerie d'art graphique, 11 octobre - 31 décembre 2001, Ed. du Centre Pompidou, Paris, 2001

· Onfray, Michel, Oxymoriques, Les photographies de Bettina Rheims, Jannink, Paris, 2005

· Ron Mueck, Paris, Fondation Cartier pour l'art contemporain, du 19 novembre 2005 au 19 février 2006, Fondation Cartier pour l'art contemporain, Actes Sud, Arles, 2005

· Barbara Hepworth, Nancy, Musée des beaux-arts, 12 janvier - 27 mars 2006, Fage éditions, Lyon, 2006

· Fondation d'entreprise Ricard, Da Costa Valérie, Elsa Sahal, Catalogue édité à l'occasion de l'exposition d'Elsa Sahal "Sculptures", à la fondation d'entreprise Ricard, 10 mars - 5 avril 2008, avec le concours de la Galerie Claudine Papillon, Editions Particules, Paris, 2008

· Larratt-Smith, Philip, Louise Bourgeois, Prints: 27 August - 27 September 2009 catalogue publié à l'occasion de l'exposition "Louise Bourgeois Prints" à la Galleri Andersson/Sandström de Stockholm, 2009

· Ana Mendieta: blood & fire, texte de Abigail Solomon-Godeau, Linda Montano, Nancy Princenthal, ouvrage publié à l'occasion de l'exposition à la Galerie Lelong, du 8 septembre au 8 octobre 2011, Galerie Lelong, New-York, 2011

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2. Collectives

· Désordres : Nan Goldin, Mike Kelley, Kiki Smith, Jana Sterbak, Tunga, exposition Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 12 septembre - 8 novembre 1992, Editions du jeu de Paume : réunion des musées nationaux, Paris, 1992

· Hors limites : l'art et la vie, 1952-1994, exposition 9 novembre 1994 au 23 janvier 1995, Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle, catalogue par Jean de Loisy, Centre Georges Pompidou, Paris, 1994

· Fémininmasculin: le sexe de l'art, Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Grande galerie, 24 octobre 1995-12 février 1996 / catalogue par Marie-Laure Bernadac, Bernard Marcadé, Gallimard-Electa, Paris, 1995

· Laboratoire pour une expérience du corps, Exposition, Université de Rennes 2 Haute-Bretagne, 1995 : Damien Hirst, Fabrice Hybert, Kiki Smith, Patrick Van Caeckenbergh, Presses universitaires de Rennes, 1995

· L'Art au corps : le corps exposé de Man Ray à nos jours : Mac, galeries contemporaines des musées de Marseille, 6 juillet - 15 octobre 1996 / direction du catalogue : Véronique Legrand, Philippe Vergne, Réunion des musées nationaux, Paris, 1996

· L'empreinte, exposition organisée par le Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle, Paris, du 19 février au 19 mai 1997 / direction. Georges Didi-Huberman, Ed. du Centre Georges Pompidou, Paris, 1997

· Amours, Paris, Fondation Cartier pour l'art contemporain, du 5 juin au 2 novembre 1997, Actes sud, Arles, 1997

· Présumés innocents : l'art contemporain et l'enfance, exposition 8 juin au 1er octobre 2000, Bordeaux, capcMusée d'art contemporain, Réunion des musées nationaux, Paris, 2000

· Les bons génies de la vie domestique, exposition 11 octobre 2000 - 22 janvier 2001, Ed. Georges Pompidou, Paris, 2000

· Grant Marchand, Sandra, Métamorphoses et clonage : exposition, Montréal, Musée d'art contemporain, du 25 mai au 2 septembre 2001, Musée d'art contemporain, Montréal, 2001

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· Les années 70: l'art en cause : Exposition, Bordeaux, capcMusée d'art contemporain, du 18 octobre 2002 au 19 janvier 2003 / sous la direction de Maurice Fréchuret, Paris, Réunion des musées nationaux ; Bordeaux, capcMusée d'art contemporain, 2002

· L'art contemporain au risque du clonage / sous la direction de Richard Conte ; Publications de la Sorbonne : ACTE 91, Paris, 2002

· Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005

· Traces du sacré, exposition, Galerie 1, du 7 mai au 11 août 2008, Paris, Centre Pompidou, Munich, Haus der Kunst, du 19 septembre 2008 au 11 janvier 2009, catalogue sous la direction de Mark Alizart, Centre Georges Pompidou, Paris, 2008

· Beautés monstres : curiosités, prodiges et phénomènes, Nancy, musée des Beaux-Arts, du 24 octobre 2009 au 25 janvier 2010 / sous la direction de Sophie Harent et Martial Guédron, Somogy, Paris, 2009

· Elles@centrepompidou, artistes femmes dans la collection du Musée national d'art moderne, commissaire générale Camille Morineau, Éd. du Centre Pompidou, Paris, 2009

· Avant la naissance: 5000 ans d'images, Muséum d'histoire naturelle du Havre, 24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la direction de René Frydman, Émile Papiernik, Cédric Crémière, Editions du Muséum d'histoire naturelle du Havre, Paris, 2009

· Les enfants modèles : de Claude Renoir à Pierre Arditi, Paris, Musée de l'Orangerie, 24 novembre 2009-8 mars 2010 / sous la direction de Emmanuel Bréon, Réunion des musées nationaux, Paris, 2009

· Tous cannibales, Art Press 2, Trimestriel n°20, Février, mars, avril 2011

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F. Articles

· « Féminin-Masculin », dossier Art Press, n°205, septembre 1995, p.26-51

· Allara, Pamela, «« Mater » of fact. Alice Neel's pregnant nudes» , American Art, Vol. 8, n°2, Spring 1994, p.7-31

· Barber, Fionna, «The Critic's Prodigal Daughter: Feminist Writings and Art Practice», Circa, No. 40, Jun. - Jul., 1988, p. 32-35

· Bouruet-Aubertot, Véronique, « Annette Messager, Le lion de Venise », Beaux-arts magazine, n°254, août 2005, p.36-43

· Brookner, Jackie, «Feminism and Students of the '80s and '90s: The Lady and the Raging Bitch; Or, How Feminism Got a Bad Name», Art Journal, Vol. 50, No. 2, Feminist Art Criticism, Summer 1991, p. 11-13

· Comisarenco, Dina, «Frida Kahlo, Diego Rivera, and Tlazolteotl», Woman's Art Journal, Vol. 17, No. 1, Spring - Summer, 1996, p. 14-21

· Dagen, Philippe, « Les ultimes règlements de comptes de Louise Bourgeois avec son père », Le Monde, Jeudi 25 Novembre 2010, p.26

· Hagaman, Sally, «Feminist Inquiry in Art History, Art Criticism, and Aesthetics: An Overview for Art Education», Studies in Art Education, Vol. 32, No. 1, Autumn 1990, p. 27-35

· Marcadé, Bernard, « Annette Messager, la femme et le pantin », Art Press, n°313, juin 2005, p.27-33

· Santi, Pascale, « 35 ans après la loi Veil, le nombre d'IVG n'a pas baissé », Le Monde, 7 mars 2011, p.10

· Schapiro, Miriam, «Responses», Art Journal, Vol. 59, No. 2, Summer 2000, p. 4-5

· Semmel, Joan and Kingsley, April, «Sexual Imagery in Women's Art», Woman's Art Journal, Vol. 1, No. 1, Spring-Summer 1980, p. 1-6

· Pham, Laura, « Des mères consomment leur placenta en gélule », L'Express, 26 aout 2011, article internet

· Santi, Pascale, « Un accouchement où je veux, comme je veux », Le Monde, 18 et 19 mars 2011, p.21

· Monique Bydlowski « La crise parentale de la première naissance », Informations sociales 4/2006 (n° 132), p. 64-75

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· L'art biotech et le posthumain, Québec, Inter art actuel, 2006

· Baillette, Frédéric, Breye, Vincent, Herlem, Didier, « Art à contre corps », Quasimodo n°5, printemps 1998, Montpellier

· Dumont, Fabienne, « Aline Dallier-Popper, pionnière de la critique d'art féministe en France », Critique d'art, N°31, Printemps 2008

· Feman Orenstein, Gloria, « Une vision gynocentrique dans la littérature et l'art féministes contemporains », Études littéraires, Volume 17, numéro 1, avril 1984, p. 143-160

· Voison Catherine, « Multiplications de peaux d'artistes et autres curiosités biologiques reproductibles », So Multiples, n°2, novembre 2008

· « Le manifeste des 343 », Nouvel Observateur, n°334, 5 avril 1971, pagination non reinseignée

G. Films

· Une affaire de femme, film de Claude Chabrol, MK2 Diffusion, 21 septembre 1988

· Naissance et liberté, film documentaire de Boris Claret, pour l'association Naissances et Rencontres, 1991

· Histoire d'un secret, film documentaire dramatique de Marianna Otero, ID Distribution, 15 octobre 2003

· Le procès de Bobigny, téléfilm de François Luciani, Danaos, mars 2006

· On les appelait « les dames du planning », film documentaire de Marie-Monique Robin, Doc & Co, Paris, 2006

· Le premier Cri, film documentaire de Gilles De Maistre, Buena Vista International, 31 octobre 2007

· Bébés, film documentaire de Thomas Balmes, StudioCanal, 16 juin 2010

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H. Entretien non publié

· Rencontre avec Anna'r, signataire du Manifeste des 343 fait le vendredi 18 mars 2011

I. Sites internet

· http://www.choisirlacausedesfemmes.org/

· http://elles.centrepompidou.fr/blog/

· http://blog.jevaisbienmerci.net/

· http://www.planning-familial.org/

· http://soasig.ultra-book.com/

· http://howtanre.com/

· http://www.bettinarheims.com/

· http://www.cyberfeminism.net/

· http://www.aliceneel.com

· http://www.judychicago.com/

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire