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Le génocide rwandais à travers Murambi, le livre des ossements de Boubacar Boris DIOP

( Télécharger le fichier original )
par Zakaria Demba SOUMARE
Université de Nouakchott - Maîtrise 2003
  

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Chapitre 2 : Responsabilités nationales et internationales

Un génocide n'est jamais un crime gratuit, sans idéologie interne ou externe. Le cas du pays des Milles et une fosse communes ne fait pas exception à la règle.

2-1 Les responsabilités internes

Après un génocide, se pose toujours le problème de responsabilités. Qui a fait quoi ? Qu'elles sont les responsables internes et externes ? Le cas du Rwanda n'est pas en reste de ce genre de questions. La responsabilité des autorités rwandaises dans les massacres des Tutsi, dont le point culminant fut le génocide de 1994, ne fait pas l'ombre d'un doute.

Depuis 1959, date de la « révolution sociale », les différents pouvoirs successifs ont toujours soutenu l'extermination des Tutsi. On se rappelle que la première fuite des réfugiés tutsi vers les pays voisins (Burundi, l'Ouganda...) avait pour cause les exactions dont ces derniers furent victimes dans une impunité totale. A la veille du génocide de 1994, personne n'ignorait les préparations des massacres en cours. Tout le monde savait que des « listes noires » ont été établies :

«Tout était près[sic] : des listes, les milices, un système fasciste entraînant une partie importante de l'administration rwandaise [...], la montée visible des exactions terroristes, et un instrument performant de propagande, chauffant un mélange de haine et de peur [...]. Début avril, chacun - du chef d'état-major aux paysans de Myganza - est persuadé que le déclenchement des massacres est imminent. Dans ce contexte, l'assassinat du président Habyarimana est le signal attendu par les tueurs aux « listes noires ».70(*)

Les autorités rwandaises d'avant génocide étaient impliqués dans toutes les phases, de la préméditation à la mise en marche de la machine infernale du génocide. Il n'est pas facile dans ce contexte d'exclure la thèse de la préparation de longue date des massacres de 1994 : « Les flambées de haine sauvage s'inscrivent dans une programmation technique qui ne peut être inconsciente et spontanée71(*) ».

Les médias rwandais de la haine ont eux aussi joué un rôle déterminant dans l'accélération des massacres. En effet, le 10 décembre 1990 le journal Kangura, une publication extrémiste ethniste financée par les proches d'Habyarimana, publiait les « Les dix commandements du Hutu ». Ce texte raciste légitimait « l'autodéfense contre la minorité tutsi ». Dans les campagnes, on constitue et on arme des milices paysannes, qui allaient jouer un rôle important dans les tueries de 1994. A la fin de 1993 et au début de 1994 la Garde présidentielle entraîne 200 à 300 hommes par préfecture au maniement du fusil et de la grenade72(*).

Du début à la fin du génocide de 1994, la responsabilité du pouvoir hutu extrémiste était déterminante. De la préméditation, on passa vite à l'accomplissement du drame : « Dès le début du 7 avril, ordre a été donné aux milices des partis MRND et CDR de travailler. C'est-à-dire de tuer les Tutsi et les « complices du FPR ». «Entendez par complice« tout hutu non originaire de Gisenyi et Ruhengeri qui ne soutenait pas le régime du président Habyarimana »73(*).

2-2 Responsabilités internationales

Dans son article intitulé Les responsabilités internationales dans la tragédie rwandaise, Christophe Ayad déclare :

«  A la différence de la France, le génocide au Rwanda a été vécu comme un véritable traumatisme national en Belgique. Pour au moins deux raisons : la première est historique : après la première guerre mondiale, Bruxelles s'est vu confier par la Société des nations [...] la tutelle du pays des milles collines. [...]. Après avoir administré le territoire en s'appuyant sur l'élite tutsi, le colonisateur finit par se tourner vers la majorité hutu pour tenter de conserver son influence. En 1959 [...] les Hutu se livrent à une série de massacres contre les Tutsi [...]. Bruxelles ne pipe mot [...]. La seconde raison est liée à la crise : le 7 avril 1994, au lendemain du crash de l'avion du président Habyarimana, dix casques bleus belges sont assassinés [...] par des soldats hutu persuadés que Bruxelles est à l'origine de l'attentat 74(*)».

Nous pensons que la deuxième raison a plus de crédibilité que la première. Car ce sont les Belges qui ont ancré dans l'esprit des Rwandais la notion d'ethnie, qui a conduit aux différents massacres au Rwanda.

De même que la Belgique, la France a joué un rôle on ne peut plus déterminant dans la catastrophe rwandaise. Ici, nous ne nous contenterons que de quelques exemples illustratifs pour justifier la présence de la France aux côtes du gouvernement rwandais génocidaire. Dans son ouvrage intitulé L'Inavouable, la France au Rwanda Patrick de Saint Expery scande : « Des soldats de notre pays ont formé, sur ordre, les tueurs du troisième génocide du XXème siècle. Nous leur avons donné des armes, une doctrine, un blanc-seing75(*) ».

Dans le même sens, François Xavier Verschave déclare :

« Pendant trois ans (1990-1993), l'armée française a tenu à bout de bras les troupes d'un régime rwandais - ou plutôt d'un clan - s'enfonçant dans le génocide, le racisme et la corruption. Engagée dans le combat contre le FPR, « l'ennemi diabolisé en khmer noir », la France a massivement équipé les Forces armées rwandaises [FAR] ; elle les a instruites dans des camps où se pratiquaient la torture et le massacre de civiles76(*) ».

L'ONU, tout comme la France et la Belgique, a assumé une part de responsabilité fort importante dans l'extermination de près d'un million de Tutsi du Rwanda en 1994. Dans son télégramme daté du 11 janvier 1994, le Général canadien Roméo Dallaire, alors responsable de la mission du maintien de la paix de l'ONU au Rwanda, avertissait la communauté internationale d'un complot d'extermination des Tutsi qui prévoit la mise à mort possible de « mille personnes en vingt minutes », de l'entraînement des miliciens Interahamw et de diverses manifestations organisées par des militaires et des gendarmes contre des opposants hutu et des casques bleus en vue de provoquer le FPR et de lancer la guerre civile. En réponse, le chef de la Direction des opérations de maintien de la paix des Nation Unies, Kofi Annan, lui rappelle les limites de son mandat. Ce qui voudrait dire que cela n'était pas son problème. Voilà qui résume en quelques lignes la part de responsabilité de l'ONU dans la tragédie rwandaise.

Les drames en Afrique sont le plus souvent liés à des causes externes. Les puissances étrangères provoquent toujours des différends afin de promouvoir leurs intérêts ou tout simplement laissent mourir les populations parce qu'elles n'ont rien à tirer comme avantage, comme ce fut le cas du Rwanda77(*). Longtemps encore, nous nous souviendrons de cette phrase d'un responsable français : « Un génocide dans ces pays-là n'est pas trop important ». En outre, dans le même contexte, Charles Pasque pendant un journal télévisé en juin 1994 scande : « Monsieur, en réponse à une question d'un téléspectateur, il ne faut pas croire que le caractère horrible de ce qui s'est passé là-bas [Rwanda] a la même valeur pour eux [les Rwandais] et nous [les Français] ».

CONCLUSION

Murumbi, le livre des ossements de Boubacar Boris Diop est le récit des cents jours atroces de la tragédie rwandaise de 1994. Entre le 6 avril et le 4 juillet, près d'un million de Tutsi sont tombés sous les coups fatals des machettes, des fusils, des gourdins de leurs compatriotes hutus extrémistes et haineux.

A travers un procédé de narration sans précédent dans le parcours d'écrivain de l'auteur sénégalais Boris Diop, il nous est restitué au moyen de différents récits des rescapés et des bourreaux les divers moments surréalistes des massacres des femmes, des hommes, des vieillards, des enfants du Rwanda.

Chacune des parties du texte se distingue par son originalité et sa capacité d'objectivité voire de clarté. Dans cet ouvrage de témoignage, de mémoire d'un génocide programmé, l'auteur nous dit sa stupéfaction devant la capacité de l'homme à détruire, à honnir, une haine qui, finalement, tourne au drame que l'on sait.

Murumbi, le livre des ossements nous plonge dans la philosophie de l'absurde. Les scènes des tueries qu'on y raconte sont impensables. Un père de famille massacre sans aucun état d'âme tous les siens, un voisin élimine sans pitié son avoisinant. Personne ne peut comprendre une telle tournure de la haine. Murumbi doit être lu avec beaucoup de recueillement, une façon de compatir aux souffrances des victimes de la folie collective humaine. Murumbi, le livre des ossements devrait nous amener à nous interroger : pourquoi et comment en est-on arrivé à ce stade de la haine ethnique ?

Ce texte est plus que qu'un simple récit des massacres. Du point de vue littéraire, il est une révolution narratologique et thématique dans le paysage littéraire négro-africain francophone. Boris Diop, à l'instar des auteurs ayant participé au projet d'écriture : Rwanda, écrire par devoir de mémoire en 1998, a ouvert la voie à la littérature africaine de génocide, de crise et des crimes organisés.

Murumbi, le livre des ossements est aussi, enfin, un écho aux textes de littérature de génocide des écrivains non africains qui ont, de bonne volonté, apporté leur pierre à l'édifice du génocide rwandais de 1994, planifié par les intellectuels hutu extrémistes, et mis en application par les miliciens Interahamw les Forces armées rwandaises [FAR].

* 70 -François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, Paris, la Découverte, 1994, p 98

* 71 -Verschave, Ibid, p 99

* 72 - Ibid, p 30

* 73 -Ibid, p 100

* 74 -C. Ayade « Les responsabilités internationales dans la tragédie rwandais » in Libération du 6/4/2004

* 75 -Paris, Les Arènes, 2004

* 76 -F.X. Verschave, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, Paris, La Découverte, 1994

* 77 - Pour en savoir plus sur l'implication des puissances étrangères dans les conflits africains, nous conseillons les oeuvres de François-Xavier Verschave.

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