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Les femmes criminelles dans le film noir américain de 1940 à  1960

( Télécharger le fichier original )
par Fanny Pira
Université Sciences Humaines et Arts de Poitiers - Master histoire contemporaine 2007
  

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1941 - 1960

Mémoire réalisé par Fanny Pira sous la direction de
Frédéric Chauveau

Université Sciences Humaines et Arts - Poitiers - 2007

1

SOMMAIRE

INTRODUCTION p. 1 a 5

PREMIERE PARTIE : LE FILM NOIR ET SA RENCONRTE

AVEC LES FEMMES CRIMINELLES. p. 6 a 33.

Chapitre I : Vers une définition du film noir. p. 7 à 18.

La naissance d'un genre ? p. 7.

Les sources du film noir. p. 11.

L'atmosphère du film noir. p. 15.

Chapitre II : Le crime est au fond de chaque individu. p. 19 à 25.

L'influence de la psychanalyse. p. 19.

Des criminels trop humains. p. 23.

Chapitre III : Un obstacle à la liberté d'expression : le code Hays. p .26 à 33.

La création du code Hays. p. 26.

Les limites du code de censure. p. 30.

DEUXIEME PARTIE : LES FEMMES, A MAGNIFICIENT OBSESSION (DOUGLAS SIRK). p. 34 a 62.

Chapitre IV : Les femmes criminelles : un fantasme pour les réalisateurs. p. 35 à 44.

Une fascination pour les femmes ? p. 35.

La place des émotions. p. 40.

Chapitre V : Typologie et portrait des femmes criminelles. p. 45 à 54.

Portraits des femmes criminelles. p.45

Les femmes criminelles victimes d'elles-mêmes ? p. 52.

Chapitre VI : Quand les femmes d'en mêlent. p. 55 à 62.

Les motivations du crime. p. 55

Le passage à l'acte. p. 59.

TROISIEME PARTIE : ENTRE FICTION ET REALITE, LE FILM NOIR MIROIR DE LA SOCIETE AMERICAINE. p. 63 a

Chapitre VII : De l'émancipation de la femme à l'écran... p. 64 à 66.

L'émancipation. p. 64.

Le paradoxe à l'écran. p.67.

Chapitre VIII : . .à la réalité sociale. p. 68 à 71.

La famille américaine, une forteresse imprenable. p. 68.

Les relations hommes-femmes. p. 70.

Chapitre IX : Le Film Noir, vecteur de valeurs et d'une certaine morale. p.72 à 75.

Une morale tragique. p.72.

L'impact du cinéma américain dans le monde. p. 74

CONCLUSION p. 76 a 79.

ANNEXES p. 80 a 82 . ANNEXES 1 p. 80. ANNEXES 2 p. 81.

ANNEXES 3 p. 82.

BIBLIOGRAPHIES.

Introduction :

Atmosphères étranges, glauques, rues désertes et sombres, personnages ténébreux, intrigues obscures et envoütantes...

Bienvenue dans l'univers du film noir.

Avant tout, le film noir est né dans un certain contexte historique, une période.

Une période qui commence avec la menace nazie au début de la décennie, se poursuit par l'entrée en guerre des Etats-Unis après le bombardement de Pearl Harbour(le 7 décembre 1941), et atteint son apogée avec les attaques à l'arme nucléaire contre le Japon (Hiroshima et Nagasaki), qui laisseront des séquelles dans les mentalités américaines.

Le retour à la paix est plus une apparence car la guerre froide est sous-jacente, accompagnée de la chasse aux sorcières, du maccarthysme, et du conflit avec la Corée (1950 - 1953).

« Le rêve américain une fois de plus se brise ; l'incertitude règne face aux dérapages du système et l'angoisse de la société s'exprime dans ces films où domine la criminalité. »1 Durant cette même période, l'histoire culturelle des Etats-Unis est en plein développement, en particulier dans le domaine du cinéma.

Depuis la fin du XIX éme siècle, l'outil cinématographique ne cesse d'évoluer.

A partir des années 1930, le cinéma devient parlant, puis sonore, on arrive maintenant à associer une image avec du son.

C'est donc la fin du cinéma muet et le début d'une ère nouvelle.

Ce développement technologique est accompagné d'un développement parallèle, celui de l'industrie du Cinéma.

C'est-à-dire l'ensemble des acteurs qui le font vivre, en passant par la naissance des grands studios de production, dont certains existent toujours aujourd'hui, c'est l'exemple de La Metro Goldwyn Mayer, la 20th Century Fox ; des producteurs, des financiers, des comédiens, des scénaristes, des techniciens, des réalisateurs, ~

Avec cette nouvelle donne le Cinéma va pouvoir élargir ses thèmes de prédilection, en créer de nouveaux.

Le film noir est un de ces nouveaux terrains d'investigation cinématographique.

En effet, avant de prendre l'appellation « film noir », celui-ci descend d'un genre plus générale, le genre policier, qui lui-même est né d'après l'influence des romans policiers des années vingt.

Le film noir, pour sa part, a fleuri durant les années 1940 et 1950.

Il donne naissance à des personnages aussi sombres, mystérieux et angoissant que ses décors et ses arrière-plans.

Son apparition est due à la réalité quotidienne que vivent les habitants des Etats-Unis à cette époque, avec entre autre la fin de la Premiere guerre Mondiale, l'effondrement du marché économique américain, le sentiment d'angoisse et de peur de la Seconde guerre Mondiale, même si elle ne se passe pas dans le pays, la proclamation de la prohibition dans les années vingt également, les changements de président, le New Deal, l'avènement de la société de consommation.

Pour résumé, tout ce qui fait le quotidien des américains à ce moment précis.

Des auteurs comme Marc Ferro, ont démontré que le cinéma, tout comme la littérature, la peinture, le théâtre, ou la photographie a tout autant de valeur historique, et peut faire un très bon agent de l'Histoire.

D'une part, le film devient témoin, ou même témoignage de l'Histoire lorsqu'il contribue à une prise de conscience.

D'autre part, l'image qu'il véhicule peut aussi être considérée comme le reflet de la pensée de celui qui l'a produite.

Le cinéma peut nous amener à nous faire connaître et à comprendre les événements du passé, les phénomènes historiques, mais il peut aussi être lui-même un événement, historique, social,... à part entière.

Parfois, les cinéastes, au lieu de nous raconter une intrigue, nous donne implicitement ou très subtilement une idée sur l'histoire.

Pour faire de l'histoire, ils peuvent emprunter des voies différentes, comme par exemple trouver une idée, un cadre, une petite ville, la famille, ils peuvent mener une enquête, un peu à la façon des journalistes.

Au final, le cinéma peut nous aider à comprendre le fonctionnement d'une société à un certain moment donné (les crises, les angoisses, les désirs, les rêves, ...), et par la même occasion il apporte aussi des méthodes pour analyser l'histoire.

Une phrase d'Arlette Farge nous dit à propos du cinéma et de l'histoire : « On est assuré
contre les accidents automobiles, on est assuré contre la maladie, on est assuré contre tout ce

que vous voulez, mais on n'est pas assuré contre l'histoire. Et quand l'histoire s'abat sur nous, au fond, il n'y a que le cinéma qui vous dit comment ça se passe. »2

Voilà pourquoi ce travail de recherche va s'appliquer à comprendre la société américaine à travers un certain nombre de films noirs,

Car en étudiant les femmes criminelles dans ces films, on peut se rendre compte que cela en « dit » long sur ce qui se passait durant ces années, mais on en apprend encore plus sur les mentalités et les principes de représentations.

L'étude des femmes criminelles dans le film noir américain est une étude sur l'histoire des représentations, que ce soit celles de la femme, de la société, de la justice, de la violence.

En ce qui concerne les bornes chronologiques, on peut considérer que « le mouvement culturel »que représente le film noir commence en 1940, avec The Letter, de William Wyler. Cependant, il faut noter que certains de ces films sont très difficiles d'accès, car on ne les réédite plus, surtout les films à petit budget (les séries B), mais aussi car ils sont détrônés par les grands « chefs d'oeuvres ». Ces films sont donc un peu laissés aux oubliettes et la plus part des ouvrages de la bibliographie en parlent très peu.

N'ayant pu visionner ce film, nous commenceront là ou tous les auteurs se mettent d'accord pour choisir l'année 1941 comme annonciatrice du film noir, avec The Maltese Falcon (Le Faucon maltais) de John Huston.

Il faut savoir aussi que les femmes criminelles dans le film noir sont toutes associées à la « femme fatale », et cela peut créer des confusions.

Deux films rentrent dans ce schéma, il s'agit de Laura d'Otto Preminger (1944), ainsi que de Gilda de Charles Vidor (1946).

On peut être tenté de les prendre pour des femmes criminelles, seulement, elles ne sont pas à l'origine (préméditée et meurtrière) des crimes qui sont commis.

Neuf autres films feront l'objet de cette étude, à savoir : Shanghai Gesture (Shanghai) de Joseph von Sternberg (1941), Double Indemnity (Assurance sur la mort) de Billy Wilder (1944), Mildred Pierce (Le roman de Mildred Pierce) de Michael Curtiz (1945), Leave Her To Heaven (Péché mortel) de John Stahl (1945), The Postman Always Rings Twice (Le facteur sonne toujours deux fois) de Tay Garnett (1946), The Lady From Shanghai (La dame de Shanghai) de Orson Wells (1947), Angel Face (Un si doux visage) d'Otto Preminger, Niagara de Henry Hathaway (1953), et enfin Kiss me Deadly (En quatrième vitesse) de Robert Aldrich (1945).

La liste pourrait être plus longue, mais les sources ne sont pas faciles à trouver, et de cette manière, il est possible de faire ressortir des points de comparaison.

D'autres films avec des femmes criminelles, comme Fallen Angel (Crime passionnel) d'Otto Preminger (1945), Dead Reckoning (( n-PIXIe-d1-l4T176-w) de John Cromwell (1947).Gun Crazy (Le démon des armes) de Joseph Lewis (1950),...

Le dernier film cité date de 1945, date à laquelle le film noir perd de son charisme et de son influence.

Le dernier film que l'on pourrait considérer comme film noir avec une femme criminelle pourrait être Portrait in Black (Meurtre sans faire part) de Michael Gordon (1960), mais là encore il n'a pas été possible d'accéder à la source.

Car à la différence des sources écrites, le support audiovisuel de cette époque n'est pas aussi solide, et le temps que ces oeuvres soient restaurés prend un temps fou.

Comme pour les sources filmiques, les sources écrites qui traitent des femmes criminelles sont rares.

En effet, ces femmes sont comme il a été vu, confondues avec les femmes fatales. Il faut donc faire le tri pour ne pas produire d'amalgame.

Car même si les femmes criminelles sont pour la plus part des femmes fatales, ces dernières ne sont pas pour autant des criminelles.

Ces femmes criminelles, qui sont attirée par le sexe, l'argent, le jeu, la vengeance, sortent tous droits soit des romans des années vingt et trente, soit de l'imaginaires des réalisateurs.

C'est pourquoi, il est intéressant de s'interroger sur l'impact social et cinématographique des femmes criminelles dans le film noir américain des années 1940 aux années 1955, ce qui implique une notion culturelle et historique.

Plus précisément ce que leur présence dans ces films noirs représente, ainsi que l'impact que cela à sur la société américaine, en particulier sur les individus.

Pour répondre à cette problématique, trois grands thèmes principaux seront abordés.

Le premier, essayera de cerner ce qu'est un film noir, pourquoi on l'appelle comme cela, en redonnant une définition du « genre », puis par là même l'influence de théories de l'époque, avec entre autre l'apport de la psychologie, et enfin, les obstacles, que ce style, qui met à nu les bas-fonds de la société et les névroses qui peuvent se trouver en chaque individu, va rencontrer. Car généralement chaque nouveau mouvement culturel, sociologique, politique qu'une société découvre s'accompagne d'une peur, voir d'un rejet systématique, surtout tant que l'on ne l'a pas étudié de trts prés et qu'on le considére comme dangereux pour la population.

Le deuxième thème, traitera de celles qui auront marqué, et qui marquent les esprits par leur beauté irréelle, mais aussi par la noirceur profonde de l'âme des personnages qu'elles incarnent à l'écran, telle une Rita Hayworth, ou encore Gene Tierney, Barbara Stanwyck. Leurs apparitions ne sont-elles que les fantasmes des réalisateurs et des spectateurs (car le cinéma répond toujours à une demande) ou bien les conséquences de la remise en question de la femme par rapport à la domination de l'homme dans presque tous les domaines de la vie ? , entre autre lorsqu'elles deviennent des criminelles, et deviennent capable d'être les coupables d'un des instincts qui n'est pas encore éradiqué, selon la théorie de Freud, le crime.

Enfin, le dernier thème abordera le concept des femmes criminelles de façon plus sociologique, en développant la continuité du second thème, à savoir la place que tient la femme dans la société américaine, et son évolution.

Entre fiction et réalité, le film noir n'est-il pas simplement le miroir de la société américaine, et celle-ci imposant son modèle au monde n'est-elle pas le vecteur d'une certaine morale aux Etats-Unis mais également dans le reste du monde.

PREMIERE PARTIE :

LE FILM NOIR

ET SA RENCONTRE

AVEC LES FEMMES CRIMINELLES.

Chapitre I : Lumière sur le film noir.

1) La naissance d'un genre ?

« Qu'est-ce qu'un film noir ? Le mot « noir " implique un certain éclairage sur le monde, une vision subjective, une façon pessimiste d'appréhender les choses. Le noir implique le réalisme ".3

Le film noir emprunte à la fois aux films criminels traditionnels, aux films psychologiques, aux films de gangsters ou aux films de détectives et d'atmosphère.

C'est un « genre " difficile à délimiter.

Par ailleurs, le film noir est-il un genre, un style ou un mouvement ?

Pour certains, comme Foster Hirsh le film noir est un genre cinématographique à part entière, « Un genre, après tout, est déterminé par des conventions de structure narrative, de représentation de caractères, de thème et de style visuel, de ce genre de choses justement que le film noir offre en abondance. (...) Le film noir raconte ses histoires d'une manière particulière, et dans un style visuel particulier. L'usage répété de structures narratives et visuelles (...) fait sans aucun doute du film noir un genre, en fait aussi fortement codé que celui du western peut l'être "4.

Le film noir est marqué par l'influence des romanciers anglais et/ou américains, et est doté d'une grande richesse esthétique.

Cet esthétisme doit beaucoup à l'expressionnisme allemand.

Il est intéressant de constater que quelques uns des plus grands films noirs américains sont dus en particulier aux réalisateurs germaniques immigrés tels que Fritz Lang, Robert Sidomak, Otto Preminger qui fuyaient la montée du nazisme.

Effectivement, ayant importé leur technique, les éclairages expressionnistes sont fortement contrastés, jouant avec les clairs-obscurs qui donnent un effet dramatique, et ils sont liés aux prises de vues subjectives qui amènent une particularité psychologique.

3 François Guérif, Le film noir américain, Paris, Edition Denoël, 1999, 413p, p. 13.

4 Foster Hirsch, The Dark Side of the Screen : Film Noir, La Jolla, A.S. Barnes and Co, 1981, in Anne-François Lesuisse, Du Film Noir au Noir, Traces figurales dans le cinéma classique hollywoodien, Bruxelles, De Boek Université, 2002.

Le décor est souvent urbain. En ville les scènes nocturnes sont très nombreuses, parsemées de docks menaçant, de cliniques, d'asiles, de bars mal famés, les trottoirs sont vides et humides, les ruelles mal éclairées.

La campagne et les petites villes servent aussi de milieu au film noir, à plus petites échelles, et elles sont souvent idéalisées et représentent l'Amérique des origines.

On utilise également la technique de la voix-off, qui consiste en ce que le héros du film raconte son histoire (généralement il est victime de son propre destin) sous forme de flash- back.

La présence du crime est également un critère en matière de classification d'un film noir. En outre pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« C'est la présence du crime qui donne au film noir sa marque la plus constante »5, alors que pour François Guérif,

« la présence d'un crime ne rend pas non plus obligatoirement un film noir »6.

Néanmoins pour d'autres, tels Raymond Borde et Etienne Chaumeton, le film noir n'est pas un genre, mais une série se définissant comme :

« un ensemble de films nationaux ayant entre eux quelques traits communs (style, atmosphere, sujet, ...) assez forts pour les marquer sans équivoque et leur donner, avec le temps, un caractère inimitable »7 .

Ou bien encore Noël Simsolo pour qui les contradictions et les définitions du film noir sont
liées au terme inventé par un critique de films français, Nino Frank (par assimilation à la Série
Noire
, une collection de romans de détectives) dans un article du numéro 61, d'aoüt 1946, de

/'EcEIX)lEIXçIfs,

« Sous le titre : « Un nouveau genre policier : l'aventure criminelle », Nino Frank définissait ainsi quelques films américains, venant de sortir en France, qui lui semblait montrer autrement la violence physique et les actes criminels. Il les désignait comme des oeuvres de psychologie criminelle et insistait sur leur manière d'exploiter brillamment un dynamisme de la mort violente ».8

5 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), Paris, Edition de Minuit, 1955, 283 p. p. 5.

6 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit, p. 25.

7Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit, p. 2.

8 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, Cahiers du Cinéma, Essai, 2005, 429 p. p. 17

Mais ce n'est pas tout :

« Elles reposent également sur le fait que le film noir n'est pas un « genre » spécifique, comme le sont le western ou la comédie musicale. Ce n'est pas non plus un mouvement artistique fédérateur, comme le furent le néoréalisme italien, la Nouvelle Vague française, le cinema nuovo ou le Free Cinema britannique. Il ne développe d'ailleurs aucune plate-forme théorique ».9

Noël Simsolo continue :

« Aujourd'hui, des critiques englobent sous ce label tous les films criminels de l'histoire du cinéma (passée, présente et à venir) - thriller, suspense, film à énigme ou d'investigation, aventures policières aux aspects documentaires, mélodrame sur la délinquance juvénile, road movie déjanté ou production gore avec serial killer - , citant comme prototypes exemplaires : Die Hard (Piège de cristal,1988) de John Mc Tiernan et Blue Velvet (1986) de David Lynch aux côtés de Laura (1944) d'Otto Preminger et Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse, 1955) de Rober Aldrich ».10

Les simples ingrédients banalisés pour faire du film noir un genre ne suffisent pas ou plus.

Il faut rajouter à cela « le choix d'une attitude d'artiste »11, c'est à dire associer le travail du réalisateur (ce qu'il conçoit et ce qu'il montre) à l'imaginaire idéologique, sociale des spectateurs, « il faut évoquer un inconscient collectif favorisant dans une période donnée, la sublimation de sujets par le flou de la vision dü à la perte d'identité ».12

Ces deux courants de pensées concernant « l'identité » du film noir devraient se nourrir l'une de l'autre, tout en restant objective pour ne pas classer trop facilement n'importe quels films dans cette catégorie :

« Depuis, la vidéo, le DVD, et la télévision par câble exploitent du film noir, sans toujours se soucier que le produit soit conforme à ce label mythique ».13

Car autant le film noir est un genre en matière de critères sélectifs, comme les effets d'éclairages, les personnages sombres, l'atmosphère psychologique ou matérielle, autant il est un concept, idéologique, psychologique, esthétique, personnel propre à chaque réalisateur, luimême évoluant dans le contexte de son époque.

9 Ibid., p.11

10 Ibid, p.11

11 Ibid. p.14

12 Ibid. p.14

13 Ibid. p.35

Que le film noir soit un genre, une série, un style, un mouvement ou bien le choix d'une attitude d'artiste, ne nous expliquent pas de quelle façon il a vu le jour, et par la suite donnée tant de mal à le classer dans une catégorie.

2) Les sources du film noir.

Pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« La source immédiate du film noir est évidemment le roman policier noir d'origine américaine ou anglaise »14.

Les études les plus récentes sur le film noir sont toutes en accord sur la corrélation entre le roman policier et le film noir.

« Si la source immédiate du film noir est le roman noir (et cela ne parait contestable), le roman noir dérivant du roman policier qui, lui-même, n'est pas sans entretenir de rapports avec le roman noir anglais, (...) »15.

Le roman policier, lui-même descendant du roman « à énigmes » dont l'innovateur est Arthur Conan Doyle avec ses Aventures de Sherlock Holmes.

Aux Etats-Unis, les premiers romans policiers datent du début des années vingt. Ils mêlent la mort, la violence, les meurtres.

Souvent un détective se voit doté d'une mission qui consiste à élucider une intrigue, « (...), nous avons affaire au roman-problème, au jeu intellectuel et au divertissement cérébral où, par les vertus du raisonnement et à partir d'un certain nombre d'indices, la vérité se fait jour. »16 Puis ces romans policiers deviennent ce que l'on appelle des romans noirs.

En cessant d'être un jeu abstrait, situé dans un monde imaginaire, peuplé de personnages eux aussi imaginaires, ils se transforment en romans noirs car :

« Le roman policier prend des allures de constat, de radiographie d'une société. »17 Effectivement une bonne partie des films noirs les plus marquants comme The Maltese Falcon (Le faucon maltais) de John Huston en 1941, Double Indemnity (Assurance sur la mort) de Billy Wilder en 1944, The Postman always rings two times (Le facteur sonne toujours deux fois) de Tay Garnett en 1946, sont l'adaptation à l'écran des romans noirs du même nom.

Selon Noël Simsolo,

14 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p.17.

15 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit p.14.

16 Michel Ciment, /HTEIPIV IPTEDC, UCHK&FleEillgIMPPEing, Découverte Gallimard Cinéma, 1992, 192 p. p. 55.

17 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit p.19

« De quelque maniere qu'on aborde l'histoire de la littérature, il apparaît que le crime a toujours été un élément majeur d'inspiration (...) Car, depuis le début des temps, le meurtre a été présent dans la réalité et dans l'imaginaire de chacun (...) Cette particularité a nourri la littérature et le théâtre »18.

Un des auteurs précurseurs de ce nouveau style de romans est Dashiell Hammett.

« Vers la fin des années vingt, après la transformation radicale du roman américain, le gangstérisme, la violence, la corruption vinrent donner une impulsion nouvelle à la littérature policiere. Le coup d'envoi fut donné par Dashiell Hammett avec La moisson rouge (1927) bientôt suivie de Le Faucon maltais (1930). »19

« Nul mieux que Raymond Chandler n'a résumé la mutation de son essai : The Simple art of Murder (Le Crime est un art simple, 1944) :

« +aPPIIFIaI4RttiIBIhtiPeI11II4RCIvD4eIYCitiiCIeiId'aIulaCqX~I11DC4IGItX1441DX I IRCICN4tISa4I REal~I111I11I1Di44etIàIIDPD4V IPDI4Il'i11~IICeISDta1444itISI4IPDX1ai4eI11eIl'éloigner autant que faire se pouvait des conceptions petites-bourgeoises sur le grignotage des ailes de poulets par les jeunes filles du grand mondes. » »20

Ses principales oeuvres sont Le Grand Braquage, La Moisson rouge, Sang maudit, Le Faucon maltais et La Clé de verre, écrites entre 1927 et 1930.

« Hammett transpose l'univers du détective des beaux quartiers aux décors sordides des grandes villes populeuses, dans un climat malsain où regne l'atmosphere brutale du monde de la criminalité (...) L'intrigue et les personnages du Faucon maltais en font l'archétype d'un genre qui révèle une société où la corruption est générale, et non plus circonscrite comme dans les histoires classiques de détective. »21

Dans leur Panorama du film noir américain, Raymond Borde et Etienne Chaumeton voient Dashiell Hammett comme :

« ...à la fois le créateur de ce nouveau courant littéraire américain et un auteur dont le talent dépasse largement le cadre du genre (comme Georges Simenon pour la langue française) et dont les premiers écrits remontent aux environs de 1930. »22

18 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 39.

19 Jean Mitry, Histoire du cinéma, Art et industrie ; IV.Les années 30, Paris, Jean-Pierre Delarge, éditeur, 1980, 736 p. p 468.

20 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 43.

21 Michel Ciment, /1Iht/PIIà Il'9htDCV I8 CfIhi4lRetlI11eIl'SPPtiqXg, op. Cit p.57.

22 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p.17.

Mais François Guérif corrige en expliquant que les premiers textes de Dashiell Hammett remontent à 1922, sous la forme de nouvelles éditées sous le nom de Peter Collinson.23 D'autres oeuvres comme celles James Cain, ont également été porté à l'écran.

Ces ouvrages sont Le Roman de Mildred Pierce et Le facteur sonne toujours deux fois.

Ou bien encore les romans de Raymond Chandler, Le Grand Sommeil, Adieu ma jolie ; de W.R. Burnett, Le Petit César ; ceux de William Irish, La rue de la chance, David Goodis, Les passagers de la nuit, James Hadley Chase, Peter Cheyney, Horace Mc Coy, Richard Stark, Carter Brown et encore beaucoup d'autres.

Ces romans ont vu le jour à une époque ou le gangstérisme devenait de plus en plus important aux Etats-Unis, et leur essor a été favorisé par la crise économique et politique de cette période.

« La corruption, la décadence morale, le vice apparaissaient d'autant mieux qu'ils se produisaient dans un monde où le chômage et la délinquance créaient un malaise propre à la définition d'un climat inquiétant, sombrement pessimiste, révélateur d'une société en désarroi. »24

« Pendant les années vingt, le crime semblait donc faire partie du quotidien et ces auteurs de nouvelles policières s'éloignèrent des rébus meurtriers conçus par des écrivains jouant sur les chambres closes, les as de la déduction et les maîtres d'hôtels assassins. »25

Du point de vue politique, la loi Volstead du 16 janvier 1919 concernant l'institution de la Prohibition, et interdisant la fabrication, la vente et le transport (exportation, importation) de boissons alcoolisées contribua à donner naissance à un marché parallèle, au commerce clandestin.

Cette loi sera abrogée en 1933 sous la présidence de Franklin Roosevelt.

Sous la présidence de Warren G. Harding de 1921 à 1923, c'est l'instauration généralisée des pouvoirs de l'argent sous prétexte de soutenir le commerce et l'industrie et d'ouvrir une ère de prospérité.

Sur le plan social et culturel, les années vingt connaissent le développement du racisme antinoir et antisémite et du Ku-Klux-Klan (4 millions de membres en 1925).

On assiste à une progressive libération des moeurs, et paradoxalement le gouvernement étatsuniens fait preuve de répression et instaure un code moral pour les films le 15 janvier 1922 (qui deviendra par la suite le Code Hays).

23 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 13.

24 Jean Mitry, Histoire du cinéma, Art et industrie ; V.Les années 40, Paris, Jean-Pierre Delarge, éditeur, 1980, 653 p. p 380.

25 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 43

Puis le 24 octobre 1929, c'est le crac boursier, « le jeudi noir », l'Amérique vit une vrai crise, son marché financier est interrompu par une chute brutale.

Cette réalité a influencé l'imaginaire des auteurs qui viennent d'être cités.

Le pas entre le roman noir et le film noir était donc presque déjà établi, il ne manquait plus que les moyens technologiques, les sociétés de productions, et tous les « acteurs » dont un film a besoin.

Le contexte établit a servi d'atmosphère quant à l'épanouissement du film noir.

Car si le roman noir date des années vingt et trente, les femmes criminelles dans le film noir n'apparaissent que dans les années quarante.

3) L'atmosphère du film noir.

Il est entendu par atmosphère, la signification au sens large, c'est-à-dire qui touche à la fois le film noir lui-même, et la période qui le porte en parallèle.

C'est pourquoi, afin de situer cette atmosphere, l'ambiance du film noir, il faut rappeler le contexte historique de cette période, qui a un effet de miroir.

En 2003, Eddie Muller a sortis un ouvrage consacré aux affiches du film noir.

Il commence en expliquant que :

« Du point de vue artistique, le film noir est un mouvement qui, pareil à un raz-de-marée, balaya Hollywood à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il réunit les sombres visions expressionnistes des réalisateurs européens expatriés et la fiction américaine, traditionnellement dure et cynique. Le résultat ? Une nouvelle mythologie culturelle, un marché noir qui offrait une solution de rechange aux sucreries résolument optimistes proposées aux spectateurs. L'art de l'affiche devait être aussi attrayant et aussi sombre que le produit qu'il vantait. Pendant l'apres-guerre, les images de gaieté, de richesse et d'amour sincere, qui décoraient les affiches se transformèrent pour dépeindre l'appétit implacable de personnages méfiants, désespérés et prêts à tout. »26

Effectivement, les années quarante et cinquante n'offrent pas beaucoup plus d'optimisme dans la vie des américains que les deux décennies précédentes, qui ont laissé des marques dans la société américaines.

L'impact de la dépression, de la Seconde Guerre Mondiale, de La Guerre de Corée, ainsi que de la Guerre froide, ont crée un climat propice à l'essor du film noir.

En effet, contrairement à l'Europe qui est en ouvertement en guerre depuis 1939, les EtatsUnis ne sont atteint qu'à partir de 1941.

« C'est à la fin de 1941 qu'elle atteint les Etats-Unis ; et rapidement l'effort militaire mobilise l'ensemble des énergies nationales. Or le film noir, est dans une large mesure, « anti-social ». Même s'il comporte une fin morale, son héros reste ambivalent devant le Mal ; c'est parfois un tueur tout simplement ; l'action se confine dans un milieu vénal et frelaté ; on ne cache ni l'existence des gangs, ni la corruption de la police, ni la toute puissance de l'argent. »27

26 Eddie Muller, L'art du film noir, Les affiches de l'âge d'or du film policier, Toledo (Espagne), Editions Calmann-Lévy, 2002, 272 p. p. 6.

27 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p.35.

Il est intéressant de remarqué que pour la plus part des auteurs d'ouvrages sur le film noir que le premier film reconnu comme tel est Le Faucon maltais de John Huston tourné en 1941.

En ce qui concerne les films étudiés pour ce travail de recherche, ils sont deux datant de 1941, Le Faucon maltais et Shanghai Gesture (Shanghai) de Joseph Von Sternberg.

Toutefois, en1940, William Wyler signe un film qui mériterait de se voir rajouter à la liste des films noirs, The Letter (La lettre).

Il met en scène une femme criminelle, rôle interprété par Bette Davis, qui tue son amant après avoir appris qu'il l'avait trompée, et réussi presque à s'en sortir.

Pour Jean Mitry, ce serait aussi un film de 1940, de Raoul Walsh, They drive by night (Une femme dangereuse), qui serait l'annonciateur du genre.

Ici, l'actrice Ida Lupino, tue son mari et le maquille le meurtre en accident afin de posséder l'entreprise de camionnage du mari et l'amour de Georges Raft, le chef du routage dont elle s'est éprise.28

Il semble également que le film noir a connu des périodes plus ou moins favorables. Après l'apparition du Faucon maltais en 1941, le film noir connaît quelques années de battement.

Comme le souligne François Guérif :

« C'est en effet à partir de 1944 que les histoires du cinéma américain placent la réapparition du film noir. La raison en paraît simple : la victoire alliée paraissant un fait acquis, la censure peut relâcher son emprise. »29

Il note également que :

« L'entrée des Etats-Unis en guerre changea l'identité des ennemis publics. Puisque le gangster semblait avoir disparu, il était plus facile, après une période d'autocritique, d'affirmer que le mal venait de l'extérieur.30»

Puis de 1946 à 1948, selon Raymond Borde et Etienne Chaumeton, le film noir connaît son apogée, une sorte d'Age d'or.

Ces deux auteurs mettent fin à l'aventure du film noir en 1953.

Pourtant, Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse) de Robert Aldrich, date de 1955, et correspond bien aux « critères » du film noir.

28 Jean Mitry, Histoire du cinéma, Art et industrie ; V.Les années 40, op. Cit. p 382.

29 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 110.

30 Ibid, p. 105.

Le contexte général (social, politique, économique,...), ainsi que les avancées technologiques en matière de cinéma, comme la naissance de la bande son, l'essor de l'industrie cinématographique, le poids des maisons de production pour la demande (la commande) des films (les plus importantes étant, la Paramount, la Metro Goldwyn Mayer, 20th Century Fox, la Warner et Universal), l'influence de l'expressionnisme allemand pour l'esthétisme du film allait donner toutes ses caractéristiques au film noir, son atmosphère.

Il paraissait donc important de resituer ce contexte de l'époque, sans vouloir tomber dans un pessimisme extrémiste, car il faut toutefois rappeler que les années quarante sont aussi nuancées par la présidence de Roosevelt, qui laisse entrevoir une issue à la dépression, l'avancé télévisuelle et radiophonique, la victoire sur l'Allemagne.

«(...) les Etats-Unis sont redevenus une nation prospère grâce à la guerre. Les commandes du gouvernement aux industriels et la mobilisation ont résorbé le chômage. Le niveau de vie a augmenté. Ce paradoxe entraîne une crise morale augmentée d'un sentiment de culpabilité causé par la neutralité du pays avant 1942, mais ce malaise persiste après 1945 avec la responsabilité d'avoir largué des bombes atomiques sur le Japon. »31

Ces quelques lueurs d'espoir ne suffisent pas à apaiser le climat que connaît la société américaine.

Car même si les Etats-Unis conservent leur puissance économique, la décision du président Truman (successeur de Roosevelt en 1945) visant à soutenir les investissements du capital contribue à provoquer l'inflation et la montée des prix.

S'en suis une nouvelle montée du chômage, et un mécontentement populaire général.

Les milles yeux du film noir de Alain Silver et James Ursini, donne une première approche sur l'atmosphère du film noir.

« La pièce est noire. Un puissant rai de lumière filtre depuis le hall sous la porte. L'ombre des pieds se découpe dans le rai de lumière. Bref silence. Suspense. Qui est-ce ? Que va-t-il se passer ? Quelqu'un va-t-il actionner la sonnette ? Ou glisser une clé dans la serrure et tenter d'entrer ? Une ombre dense obstrue alors totalement la lumière, accompagnée d'un bruit chuintant. L'ombre se retire et nous voyons dans le rai de lumière un papier glisser sur le tapis. De nouveau les pas se font entendre... Cette fois-ci, ils s'éloignent. Une lumière plus fort apparaît et illumine le papier à terre. (...) »32

Nöel Simsolo, explique l'atmosphère par :

« Rues sombres, ennemis invisibles, être désemparés aux pulsions de folie meurtrière, ombres inquiétantes et couples maudits y réveillent les peurs ataviques du spectateur. L'ambiguïté des personnages, la complexité des situations et le glauque des images infiltrent son subconscient. Un sentiment de gêne le gagne face à ces reflets masqués de la honte qui pourrit l'époque où, hors la menace d'attentas et de sabotages, le citoyen américain ne subit pas le conflit mondiale sur son territoire. »33

Mais il va plus loin en fusionnant ce qui vient d'être expliquée dans cette partie.

« Le citoyen américain est alors mal à l'aise. Son subconscient est embarrassé de nouvelles hontes : impérialisme militaire dans le monde, atteinte à la liberté de penser, impuissance à éradiquer la délinquance juvénile, la mafia, la corruption. (...) Impossible d'abstraire le contexte où sont tournés les films entre Force of Evil (L'Enfer de la corruption, 1948) et Kiss me Deadly (En quatrième vitesse, 1955). (...) ces films témoignent de l'oppression policière d'un pouvoir devenu antidémocratique et laissent filtrer le pessimisme des uns et la paranoïa des autres. Dans cette époque troublée, le calvaire individuel recoupe une culpabilité collective.

( ...) C'est un cinéma de crise et en phase avec l'Histoire.

Il s'est développé dans un climat de consciences troublées. »34

Et justement, le film noir est un moyen commode pour pénétrer dans tous les milieux et dévoiler ce qui se passe derrière la façade.

Comme il a été vu précédemment, le film noir sous entend un délit.

On distingue vulgairement trois types de personnages, celui qui commet le délit, celui qui cherche à découvrir comment celui-ci a été commis, et la victime.

Encore une particularité du film noir qui va s'attacher avec beaucoup d'importance au grand mouvement naissant qu'est la psychologie, et donner à ses personnages une identité propre à chacun.

Chapitre II : Le crime est au fond de chaque

individu.

1) L'influence de la psychanalyse.

A partir du XIX siècle, la psychanalyse, qui se situe dans le prolongement de la découverte progressive des phénomènes inconscients marque tout de même une rupture par son renouvellement sur la conception du sujet humain.

Les théories de Freud et la psychanalyse marquent le film noir avec ses héros amnésiques, hantés par leur passé, à la recherche d'indices leur permettant de retrouver leur identité.

En effet pour Freud, la personnalité se forme à partir du refoulement dans l'inconscient de situations vécues dans l'enfance comme sources d'angoisses et de culpabilité, avec par exemple l'importance du complexe d'OEdipe.

De manière générale la sexualité joue un rôle majeur.

En tant que thérapie, la psychanalyse vise à la prise de conscience du refoulé à la faveur de la cure médicale.

Son développement est allé de pair avec sa structuration institutionnelle, la création de l'International Psychanalytical Association en 1910 que Freud a présidé, et grace auquel il étend l'inspiration psychanalytique à l'étude des grands problèmes de la civilisation.

Les romanciers des années vingt qui ont été cité précédemment sont fortement influencé par ce nouveau courant de pensée.

En outre, pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« La psychanalyse, qui d'ailleurs n'a pas été sans action sur toute cette littérature, devait exercer une influence plus sensible encore sur les scénaristes, les dialoguistes, les producteurs et leur public. Il est remarquable de constater que le grand courant de vulgarisation de la « psychologie dynamique » aux U.S.A se situe dans les années qui précèdent immédiatement la naissance du film noir. Qu'on en juge. En 1929, une statistique sur les activités diverses des

893 psychologues professionnels réunis au sein de « l'American psychological association » portait à la rubrique « psychanalyse », le chiffre de 0,5. (...) En fait ce sont les psychiatres et non les psychologues qui acclimatèrent peu à peu les méthodes nouvelles aux Etats-Unis. Leur large diffusion thérapeutique, qui date environ de 1935, se prolongea bientôt, autour des années 40 et surtout après 1945, en une énorme vulgarisation dans le grand public, par la presse et la radio. »35

Effectivement, dès 1939,

« on trouvait plusieurs noms de producteurs d'Hollywood sur la liste des souscripteurs de la « Psycho-analytical Review ». Et le cinéma ne tarda pas à en faire son profit, soit sous forme explicite, soit sous la forme plus discrete d'un theme implicite. »36

C'est pourquoi,

« Les films du « cycle noir » jouent souvent sur l'instabilité qui règne dans l'esprit des personnages comme à l'intérieur des lieux où ils se déplacent. L'onirisme s'y empare de la réalité, la transgresse ou la distord, dans une esthétique favorisant le jeu des hallucinations. »37 Noël Simsolo rajoute :

« La psychanalyse est un sujet qui obsède tous les cinéastes. Ils savent que le public y trouve un plaisir d'autant plus pervers que la sexualité, le rêve et la violence y sont associés. Le spectateur se croit aussi simple voyeur des conséquences causées par des névroses présentées généralement de façon très simpliste. »38

Par exemple, pour les films de psychologie implicite,

« ils restituent simplement une atmosphère psychologique dont la couleur est empruntée à cette théorie de l'affectivité : les personnages ont visiblement « des complexes », mais l'auteur ne prétend nullement en donner la clef : c'est le cas de Gilda de Charles Vidor, de Péché mortel de John Stahl, ou de L'enfer est à lui de Raoul Walsh. »39

Quant à François Guérif, il perçoit l'influence de la psychanalyse comme :

« L'intrusion de la psychanalyse, l'exploration des personnages, la description de la folie donnent une plus large part à l'onirisme et amènent le style réaliste à céder à la tentation du baroque. Les films jouent alors plus sur l'envoütement que sur le mystère. Dans l'étude des criminels, il faut aussi faire la part du rêve. »40

35 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p.21.

36 Ibid, p. 22

37 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 187.

38 Ibid, p 193.

39 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p.22.

40 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 118.

De plus il semble intéressant de souligner que :

« En tout état de cause, la psychanalyse a livré au film policier plusieurs éléments d'une psychologie noire. D'abord elle a souligné le caractère irrationnel de la motivation criminelle : le gangster est un névrosé, dont le comportement ne peut-être pleinement compris en termes utilitaires : agressivité, sadisme, masochisme ont leur fin en eux-mêmes ; l'intérêt ou l'amour de l'argent ne sont souvent que la couverture d'une fixation libidinale ou d'un conflit infantile. »41

L'ouvrage de Raymond Borde et Etienne Chaumeton est vraiment complet quant à l'explication de l'influence de la psychanalyse.

Car plus loin, ils ajoutent :

« Ainsi l'ambiance de cette « psychologie des profondeurs », comme le disent les Allemands, avec ses significations ambiguës ou secrètes, ses arrière-plans infantiles, se transpose dans les situations énigmatiques du film noir, dans les imbroglios d'intentions et de pièges, dont le sens dernier reste lointain, et paraît indéfiniment reculer.

Mais là ne s'arrêtait pas son influence. Elle semble bien avoir préparé en même temps le public lui-même à l'insolite et à l'ambivalent de la série noire. Elle y préparait aussi, dans une certaine mesure, les organismes de censure : l'explication psychanalytique, servant de caution scientifique, pouvait faire reculer les bornes de ce qu'il est permis de montrer. »42

Comme il a été vu, le film noir est lié entre autre au contexte social, et la description du milieu criminel est puisée dans la réalité quotidienne des Etats-Unis.43

Raymond Borde et Etienne Chaumeton font aussi un bref aperçu de l'état du crime aux EtatsUnis.

« L'agence France-Presse communiquait il y a quelques mois : « Washington, 20 septembre. Dans son rapport semestriel, M.J Edgar Hoover, directeur du F.B.I., déclare que 1.047.290 crimes et délits ont été commis aux Etats-Unis du 1er janvier au 30 juin 1953. Le nombre des crimes et délits avaient atteint 2.036.000 en 1952 et constituait un record. Ce record sera battu en 1953 si la tendance actuelle se maintient.

Il résulte de la statistique qu'un crime ou un délit grave a été commis toutes les 14 secondes,
un meurtre toutes les 40 minutes, un viol toutes les 29 minutes, un cambriolage toutes les 72

41 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p.22.

42 Ibid, pp. 23-24.

43 Ibid, p .24.

secondes, un vol toutes les 25 secondes, un hold-up toutes les 8minutes et un vol d'auto toutes les 2 minutes.

On compte 6.470 tués du fait d'actes criminels et plus de 54.000 blessés ou victimes de viols ». »44

En outre,

« Pour que le meurtre et la démence atteignent cette mouvance noire, il faut confronter psychanalyse et monstruosité au fatum et à la perte d'identité. L'angoisse naît de l'opaque et de la confusion. Rien ne doit être manichéen.

Car il n'y a pas de vrais innocents. »45

La psychanalyse va alors permettre aux réalisateurs de construire des personnages étudiés, leur donner une identité propre, avec un passé, des angoisses.

Le cinéma va plus ou moins tenté de faire le lien avec la réalité de la société américaine.

2) Des criminels trop humains.

Cette influence de la psychanalyse est une aubaine pour la création des personnages. Leur créer un passé tourmenté, une histoire plus ou moins secrète, leur donner des liens affectifs qu'on ne découvre qu'au fil de l'histoire.

Dans le jargon du cinéma, on appelle « murder dramas », les crimes dus à des amateurs plutôt qu'à des professionnels.

Le plus souvent ce sont des épouses qui se débarrassent de leur mari et vice et versa.

A partir de là, les gangsters, les professionnels du crime, ne sont plus les seuls à être des criminels.

Et derriere le rideau, ce n'est plus seulement la crise, la misère ou la jalousie qui poussent au crime, la motivation première devient le sexe.

En parlant d'Assurance sur la mort de Billy Wilder, François Guérif développe le fait

que :

« Assurance sur la mort est un fil important (...)...il introduit un nouveau genre d'assassins et expose clairement une motivation jamais abordée franchement jusqu'ici. Le tueur n'est en effet plus un gangster, ni un professionnel (...) C'est un cadre moyen, qui pourrait être vous ou moi. »46

Noël Simsolo l'explique très bien dans son chapitre : Thèmes et personnages :

« A partir de 1944, en parallèle aux productions de propagande aidant l'effort de guerre, la faune des meurtriers, des femmes fatales, des psychopathes, des victimes du destin, des truands solitaires, des gangsters organisés, des policiers et détectives privés investit les écrans dans des oeuvres où règnent la violence et le vice. Tous ne se transforment pas au gré des mutations de la société ou des évolutions esthétiques liées au « cycle noir », mais beaucoup de ces prototypes changent d'envergure au contact de cette mouvance qui impose ce nouveau naturalisme formel, ces apparences de réalité documentaire ou d'onirisme inquiétant. Ils se caractérisent alors par une cruauté barbare, un cynisme désenchanté, une cupidité sans merci et des révoltes à caractère idéologique. »47

Il explique également que :

46 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 115.

47 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 275.

« Au cours de cette période, les durs sont souvent présentés de manière schématique ou caricaturale : costauds, buveurs, bagarreurs, voyageant entre la loi et la délinquance avec aisance. Plusieurs films les mettent en scene sans chercher autre chose qu'une suite de séquences d'actions spectaculaires. Ce personnage peut être un truand ou un flic, un détective privé ou un marginal. Il a peut d'états d'âme et sa violence touche à la gratuité. Tout cela en fait un excellent matériel pour le thriller ou le suspense, mais pas un véhicule de film noir.

En revanche, certains sont présentés de façon plus complexe et approfondie pour traverser des genres aussi traditionnels que le film policier en les dénaturants par leur modernité. Qu'ils soient d'un bord ou l'autre de la loi, ils entretiennent un rapport névrotique avec elle. »48

Selon François Guérif,

« Pendant ces années, les différentes catégories de criminels ne disparaissent pas non plus. La psychologie criminelle trouve en la femme son personnage favori, qu'elle soit victime ou coupable. Fragilité et perversité sont toujours les deux extrêmes qui fascinent scénaristes et réalisateurs, ce qui est assez révélateur d'une certaine tendance sadique ou misogyne du film noir. »49

Plus loin, il décrit,

« Rayon psychologie criminelle, les années cinquante et soixante produisent, elles aussi, quelques portraits noirs et vénéneux. A signaler que les portraits de femmes criminelles sont en majorité. »50

Pour Nöel Simsolo,

«De 1930 à1943, le cinéma américain intègre des éléments de psychanalyse dans le film policier. Un tueur peut y être un psychopathe (...) Cela donne des suspenses sans point commun avec le film noir qui jouera pourtant de tout cela au cours des années quarante et cinquante. »51

Par exemple, pour Shanghai Gesture, Nöel Simsolo explique :

« D'autres films de l'époque explorent les pulsions autodestructrices et névrotiques des personnages. Avec sa puissance baroque, Joseph von Sternberg en fait le miel amer d'un

48 Ibid, p 278.

49 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 178.

50 Ibid, p. 202.

51 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 92.

conte noir : Shanghai Gesture (Shanghai, 1941), kaléidoscope étourdissant où la vengeance règne sur tout autre sentiment et finit même par se retourner contre la femme qui la déclenche. C'est une oeuvre sadienne et amorale. Déviations sexuelles, perversité des comportements, mensonges foudroyants, masques réels, inutiles ou minables se mêlent en une symphonie de l'horreur ordinaire, malgré les apparences de bazar kitsch. »52

« Le crime est cette fois accompli par un Américain moyen ; le fait divers bascule dans la tragédie », selon Michel Ciment en parlant de Le Faucon Maltais.53

Dans tous les films étudiés pour ce travail de recherche, les criminels, ou plutôt les criminelles, ne sont en aucun cas des tueuses professionnelles.

Mais elles ont toutes en commun un passé refoulé, des remords ou des regrets.

Chapitre III : Un obstacle à la liberté d'expression :

le Code Hays.

1) La création du Code Hays.

« Derriere l'apparence se trouve le secret ; et c'est toujours dans l'ombre que se déroule la véritable lutte pour le pouvoir. (...) C'est la civilisation entière qui se trouve remise en cause. L'ambivalence, la cruauté et l'insécurité caractérisent cette civilisation. Pour connaître la vérité derrière les masques, certains transgressent ces lois : cette transgression entraîne aussitôt une répression. »54

Et c'est en mettant à nu les ambiguïtés du monde qui nous gouverne, que le roman noir, puis le film noir, prennent valeur de témoignage impitoyable sur le temps.55

Toute recherche de la vérité est politique.

L'avènement et le développement de l'industrie cinématographique, va de pair avec la naissance du droit de regards des autorités.

Le Code Hays est un code d'auto-censure régissant la production des films, établi en mars 1930 et appliqué à partir de 1934, et crée par le sénateur William Hays, président de l'Association of Motion Picture Producers ainsi que The Motion Picture Producers and Distributors of America (MPPDA).

Avant d'aborder l'origine de ce texte, il faut noter que le cinéma est lié à la censure quasiment depuis sa naissance, et qu'à l'époque, elle se présente sous forme de commissions (depuis les années 1915, lors du lancement de The Birth of a Nation de D.W. Griffith).

« Dans les années 10-20, la censure passe progressivement des mains de fonctionnaires de police à celles de commissions ad hoc. Ce mouvement d'institutionnalisation est validé et encadré par la Cour Suprême, qui définit les motifs et les conditions du contrôle. »56

54 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 24.

55 Ibid, p. 24

56 Olivier Caïra, Hollywood face à la censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915- 2004, Paris, CNRS Editions, Collection « Cinéma et audiovisuel », 2005, 283pp, p. 27.

Les autorités gouvernementales ont peur car :

« Le spectateur présente, individuellement ou collectivement, le risque de provoquer un désordre social, contre les lois écrites mais également contre les coutumes. »57

Donc, l'origine de ce texte n'est pas due au hasard.

Et si l'on rajoute à cela l'affaire Fatty Arbuckle, et les scandales qui ternissent la réputation d'Hollywood, la censure va pouvoir s'imposer en tant que Code, et perdurer dans le domaine du septième art.

« (...), le marketing des « stars » produit un phénomène inédit : l'arrivée de milliers de jeunes gens prêts à tenter leur chance auprès d'un producteur. (...) Le partage entre réalité et fantasme est flou, mais il est certain qu'Hollywood a crée le premier marché national de main d'oeuvre uniquement fondé sur l'apparence. »58

D'où le scandale de l'affaire Arbuckle, ou une jeune actrice est retrouvé inconsciente dans une chambre d'hôtel.

Cinq jours après, elle décède, sûrement à cause de son agresseur, reconnu comme Fatty Arbuckle.

Il finira par être acquitté, mais il ne pourra plus revenir à l'écran.

Le cinéma est donc scandaleux, tant par sa représentation à l'écran que par les personnes qui y travaillent.

Finalement c'est un texte d'auto-réglementation que l'industrie du film s'impose pour répondre aux critiques de plus en plus fortes contre la violence et la sexualité à l'écran.59

C'est en 1921 qu'éclorent « Les Treize Points ».

Les choses reconnues comme inacceptable prennent la forme d'une liste.

Puis en 1927, après avoir fait une enquête sur les principaux motifs d'intervention des commissions, William Hays crée les themes interdits (Dont's) et les sujets sensibles (Be carefuls).

En 1930, deux catholiques proposent à Hays un brouillon de ce qui deviendra le Code de Production.

« En 1931, le patron du F.B.I., Edgar Hoover, condamne « les films qui glorifient les
délinquants plutôt que les policiers », tandis que Will Hays, président de l'Association
américaine des producteurs et des distributeurs de films, déclare qu'il est « indésirable de

57 Ibid, p. 34.

58 Ibid, p. 34.

59 Michel Ciment, Le crime à l'écran, Une histoire de l'Amérique, op. Cit, p. 130.

donner trop d'importance aux gangsters dans la vie américaine ». Responsable du code de censure, il a veillé l'année précédente, après la premiere vague de films criminels, à ce que les regles formulent avec précision l'interdiction de montrer la vengeance par le meurtre, l'incendie volontaire, l'usage de la dynamite et les scenes sexuelles. Ce code n'entre en vigueur de façon rigoureuse qu'en 1934. Entre temps, la prohibition a été abolie par le Congrès, le 5décembre 1933, et les films de gangsters ont pratiquement disparu des écrans. »60

La rhétorique du Code de Production est nouvelle : elle préfigure un contrôle centré sur la réception des oeuvres et non sur le seul contenu.61

Cette démarche sera adopté à l'unanimité par le MPPDA en février 1930, et le Code ne sera utilisé en tant que liste jusqu'en 1934.

Pour Olivier Caïra, le Code innove par la portée qu'il donne à l'autorégulation.

Pour justifier cela, il cite quatre critères, qui sont : un choix de civilisation, un art sous contrainte morale, une responsabilité élargie « Le cinéma subit d'avantage la contrainte morale que le livre ou le théâtre parce que le film ne sélectionne pas son public : l'oeuvre peut atteindre tous les villages du pays, la réception ne suppose aucun apprentissage, les cinémas accueillent toutes les catégories de spectateurs, « matures, immatures, évoluées, frustes, respectueuses de la loi, criminelles ». »62, ainsi qu'un médium puissant.

Durant les premieres années, et ce des 1931, Hays demande à faire voter l'examen obligatoire des scripts.

Selon Olivier Caïra,

« L'effet le plus marquant du Code est qu'il devient la ressource critique centrale des commissions de censure et des groupes de pressions. »63

Puis en 1934, c'est l'entrée en vigueur du Code.

Il voit son statut de texte incitatif passer à « règlement intérieur » de l'industrie cinématographique.

Cette même année Hays promulgue à la tête d'un nouveau service, la Production Code Administration (PCA), Joseph I. Breen.

60 Ibid, p. 40.

61 Olivier Caïra, Hollywood face à la censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915- 2004, op. Cit, p. 39.

62 Ibid, p. 40.

63 Ibid, p. 42.

Ce dernier obtient le droit de délivrer un Sceau de conformité au Code de Production et donc ainsi d'imposer sa marque sur la production, ce qui oblige le contrôle des scripts et des films sous peine d'amende et d'exclusion des grands réseaux de salles.64

A partir de là, les films vont pouvoir être remaniés autant de fois que nécessaire pour obtenir l'approbation de PCA.65

Les thèmes principaux qui constituent le Code de Production, sont : le crime, le sexe, la brutalité, l'obscénité, le blasphème, les costumes, les danses, les religions, les emplacements, la fierté nationale, les titres, les sujets répugnants et la cruauté à l'égard des animaux.66

« Pour Breen, l'érotisme est plus dangereux que la violence, car cette dernière apparaît d'emblée comme détestable. Au contraire, la transgression sexuelle présente des attraits qu'il lui faut contrecarrer : « Une sympathie indue pour le pêcheur peut engendrer, par association d'idées ou sous l'emprise de l'émotion, une sympathie pour le pêché. De plus, une sympathie excessive pour le pêcheur suscite de l'antipathie pour les personnages bons, dont le devoir consiste à faire obstacle à son penchant. Une sympathie exagérée pour la femme adultère nous ferait détester l'époux fidèle. »

Ceci résume bien la démarche de Breen : abandon de l'approche béhavioriste au profit de motifs plus complexes (association d'idées, poids de l'émotion, etc.) ; élargissement du champ d'action de la PCA (ce ne sont plus les épisodes qu'il s'agit de contrôler mais les personnages et leurs interrelations) ; absence de coupure anthropologique entre un censeur « robuste » et des publics « fragiles ».67

Cependant, malgré sa main mise sur l'industrie cinématographique, le Code Hays va participer à créer le genre du film noir.

En effet, les réalisateurs, producteurs, scénaristes, qui par exemple veulent adopter des romans à l'écran, vont devoir s'adapter au Code, tout en faisant passer un message et ne pas dénaturer l'oeuvre originelle.

Ils vont donc user de différentes techniques, narratives, suggestives, esthétiques,....

64 Ibid, p. 67.

65 Ibid, p. 84.

66 Voir Annexe sur le Code Hays détaillé.

67 Olivier Caïra, Hollywood face à la censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915- 2004, op. Cit, p. 85.

2) Les limites du code de censure.

« Au tournant des années 1940, les adaptations de romans noirs, signés Cain, Hammett ou Chandler, laissent présager l'ouverture d'un nouveau front dans la campagne de la ligue de la Décence. C'est un nouveau genre criminel qui apparaît, et l'on peut craindre un embrasement censorial semblable à celui provoqué par les films de gangsters dans les années 1930-1932. Or, malgré les précautions dont seront entourés les premiers projets, le film noir ne suscitera que des escarmouches aux frontières de l'inacceptable. »68

Et comme le souligne également Olivier Caïra,

« A partir de 1941 apparaissent les premières failles du Code. Cette même année, John Huston signe, avec The Maltese Falcon, l'oeuvre pionnière du film noir hollywoodien. Curieusement, ce n'est pas ce retour du crime à l'écran qui va déclencher les crises les plus graves. »69

Avant d'atteindre ses limites dans les années 1948,

« Le Code Hays avait jeté l'interdit sur deux livres de Cain (Assurance sur la mort et Le facteur sonne toujours deux fois), pendant de nombreuses années. On comprend aisément pourquoi. Jamais le désir sexuel, qui trouve une espèce de sommet dans l'accomplissement du meurtre, n'avait été montré aussi crüment, loin de toute hypocrisie ou alibi sociologique quelconque.»70

Ces deux films, ainsi que Le roman de Mildred Pierce de 1945, ont été tourné de l'oeuvre d'origine.

Il semble intéressant de reprendre le travail de Olivier Caïra, sur l'influence qu'a eu le Code pour quelques uns des films étudiés dans ce travail de recherche, Assurance sur la mort, Le roman de Mildred Pierce, et Le facteur sonne toujours deux fois.

« Dès les années 1930, les romans de James M. Cain connaissent un important succès et les grands studios en acquièrent rapidement les droits. La MGM achète The Postman Always Rings Two Twice des 1934, mais Breen oppose un refus catégorique. L'année suivante, il interrompt les enchères entre cinq studios pour Double Indemnity. En 1941, Selznic rencontre une opposition ferme lorsqu'il s'intéresse à Mildred Pierce. Le veto de la PCA tient plusieurs

68 Olivier Caïra, Hollywood face à la censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915- 2004, op. Cit, p. 95.

69 Ibidem

70 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 115.

années : le mélange de crime crapuleux et d'adultère qui caractérise les triangles amoureux de Cain comporte suffisamment d'infraction au Code pour dissuader les studios. »71

Finalement les projets finissent par aboutir mais sous certaines conditions en ce qui concerne l'adaptation des scénarios.

Pour Assurance sur la mort (1944), Billy Wilder et Raymond Chandler conservent le fil de l'intrigue,

« une femme fatale (Barbara Stanwyck) séduit Walter Neff (Fred Mc Murray), agent d'assurance, pour le pousser à tuer son mari ».72

Néanmoins, ils s'écartent du roman car dans l'original Walter Neff avoue son crime pour sauver la femme qu'il aime, puis après avoir été soutenue par la compagnie, ils quittent le pays et se suicident.

« Pour Breen, l'adultère et le meurtre ne sauraient échapper à la justice. Dans le film, le couple illicite se brise quand Neff découvre que sa complice veut l'assassiner : ils se tirent mutuellement dessus. Au lieu d'être exécuté dans la chambre à gaz, comme l'indique un script intermédiaire, Neff meurt de sa blessure en confessant ses crimes. Autre exigence de Breen : l'aveu ne doit pas être un acte d'amour. Wilder remodèle donc la relation entre Neff et la fille de sa victime : il la courtise uniquement pour l'empêcher de soupçonner sa belle-mère. Breen contrôle également les costumes de Barbara Stanwyck, élimine une remarque sur l'effacement des empreintes digitales, et Double Indemnity obtient le Sceau de la PCA. »73

En ce qui concerne le roman de Mildred Pierce (1945), son adaptation à elle aussi était arrangée.

L'histoire, une femme d'origine modeste quitte son mari car elle le soupçonne d'adultère. Elle épouse un autre homme, qu'elle va découvrir dans les bras de sa propre fille.

« Breen résiste sur plusieurs points : les relations hors mariage de Mildred, l'adultère de son premier mari, et « l'inceste légal » entre Monte et Veda. Jerry Wald de la Warner collabore donc avec le PCA des l'été 1943 pour éliminer chaque obstacle : Mildred décourage toute liaison avec Wally, la sexualité entre elle et Monte avant le mariage est éliminée, et l'adultère avec Veda n'est plus prémédité, car c'est Mildred qui vient de lui proposer le mariage après une longue rupture. Sur cette base, Wald achète les droits du roman, et poursuit les retouches : le premier époux de Mildred rejette l'accusation d'adultère et adopte une conduite exemplaire ; Veda tue Monte lorsqu'il veut rompre leur liaison, et Mildred tente d'endosser la

71 Olivier Caïra, Hollywood face à la censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915- 2004, op. Cit, p. 96.

72 Ibidem

73 Ibidem.

responsabilité du crime à sa place. Ces changements permettent de réunir le couple initial pour punir les amants. Le film s'ouvre sur le meurtre, puis se déroule en flash-back : la moralisation du texte de Cain s'accompagne d'une énigme totalement absente du roman. Sous l'effet de la contrainte d'acceptabilité, Mildred Pierce devient, à l'écran, une oeuvre nouvelle : là où la censure mutile, l'autorégulation peut enrichir. »74

Pour Le facteur sonne toujours deux fois, Breen accepte l'adaptation, mais seulement sous haute surveillance.

Dans ce film, un homme, Franck Chambers (John Garfield), qui voyage seul, est embauché dans un petit restaurant.

Ses patrons sont un couple, Nick (Cecil Kellaway) et Cora (Lana Turner). Cette dernière et Franck deviennent amants, et décident de tuer Nick dans un accident masqué.

La encore, comme l'appuie Olivier Caïra,

« Ce résumé laisse entrevoir les principaux éléments de dispute avec Breen : le fait qu'un héros-narrateur commette successivement l'adultère et le meurtre, le récit détaillé de la liaison et des crimes de Franck et Cora, et enfin l'image d'une justice aveugle, tombée aux mains des sophistes. (..) Tandis que la jeune femme travaille dur et souhaite développer le petit restaurant, Nick se montre indolent, avare et borné. La décision de le tuer est prise le soir où il annonce à Cora qu'ils partent au Canada afin qu'elle s'occupe de sa belle-soeur devenue invalide. (...) En voix-off, le vagabond assume sa fascination et son désir, tandis que la sexualité de Cora, élément central du roman, est gommée : Lana Turner apparaît dans 41 costumes, tous d'un blanc virginal. »75

« En marge du genre noir authentique, Le facteur sonne toujours deux fois, de Tay Garnett, tourné en 1946 d'après le roman de James Caïn, inaugure la série de psychologie criminelle « noircie » des années 46-48. L'oeuvre de Caïn avait déjà été adaptée deux fois : en 1939, par Pierre Chenal (Le dernier des tournant), en 1942 par Luchino Visconti (Ossessione). Il fallu attendre 1946 pour que l'office Hays lève un veto maintenu depuis 1937 et autorise les producteurs de la Metro à entreprendre une version américaine. C'est un signe du temps : le style nouveau avait tourné d'anciennes contraintes, acclimaté certaines audaces. Le theme de la femme qui encourage au meurtre venait d'être traité dans Murder my sweet d'Edward Dmytryk, et dans Double Indemnity, de Billy Wilder. »76

74 Ibid, pp. 96-97.

75 Ibid, p. 97.

76 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p.85.

Le Code de Production essaye de définir plus clairement les fonctions et le rôle des personnages.

D'autres films qui concernent ce travail de recherche ont été ficelés par le Code.

On retrouve Le faucon maltais, Péché Mortel, La dame de Shanghai, Shanghai Express.

C'est à partir des années cinquante que système centralisé et personnalisé perd de sa pertinence.

« Avec la concurrence de la télévision et des cinématographies étrangères, l'activité des studios ralentit : de 1950 à 1959, la production annuelle passe de 320 à 189 films et un quart des salles disparaît. L'affluence chute de 90 millions de tickets par semaine en 1946 à 40 millions en 1960. (...) La Cour Suprême bouleverse les règles de l'industrie en 1948, puis celles de la censure en 1952. Elle ouvre le marché à des productions étrangères et indépendantes qui feront s'écrouler l'édifice hollywoodien du « cinéma familial ».77

Le Code perd donc de plus en plus d'influence, et par exemple, En quatrième vitesse de 1955, est très critiqué.

Ce film reprend le mythe de boîte de Pandore, avec pour fin, l'ouverture d'un coffret convoité qui renferme une mini bombe atomique, par une femme sans scrupule et prête à tout pour arriver à ses fins.

Dorénavant, les grands studios pourront contourner la PCA.

Le Code de Production ne peut pas jouer indéfiniment un rôle paternaliste.

Malgré cette diminution de son emprise, le Code a tout de même était parallèle au film noir. Les réalisateurs, et scénaristes, ont donc « rusé », pour faire leurs films, surtout en ce qui concerne la représentation de la femme, en particulier criminelle.

« Au cinéma, il a fallu procéder par allusion, beaucoup plus que par description directe. Il aurait été vraiment trop contraire aux bonnes moeurs de dire, dans le film, que La Dame de Shanghai était une ancienne pensionnaire des maisons closes de Shanghai. D'ailleurs, Rita Hayworth aurait peut-être refusé le rôle. Pourtant la censure a eu paradoxalement un effet positif : en matière de sensualité, le sous-entendu ne pouvait qu'ajouter à l'éclairage un effet trouble, au pouvoir de suggestion des images. »78

DEUXIEME PARTIE :

« LES FEMMES,

A MAGNIFICIENT OBSESSION »

(DOUGLAS SIRK).

Chapitre IV : Les femmes criminelles, un

fantasme pour les réalisateurs.

1) Une fascination pour les femmes.

« La femme pour le héros du cinéma américain, est comme disait Douglas Sirk, une Magnificient Obsession. »79

Et après tout, un film n'est jamais qu'une manière de représenter le monde.

« Comme le dit Bogart dans Le violent, la vérité est toujours à l'apanage de celui qui raconte la meilleure histoire. C'est la même chose pour les réalisateurs. Ces artistes ont mis tant de vigueur à rassembler les éléments essentiels du film noir que leur vision occupe désormais une place de choix dans la culture populaire.

Certains réalisateurs ont contribué de manière notoire au film noir et à différents genre cinématographique. D'autres n'ont produit des oeuvres mémorables que lorsqu'ils s'aventuraient sur ce terrain particulièrement sombre.

Mais peut importe : tous savaient accrocher le public et, surtout, le retenir. »80

La place que donne le film noir aux femmes est révélatrice de l'ensemble d'un système sociétal et en dit finalement long sur les hommes eux-mêmes.

Car les auteurs de film noir considérés ici sont tous des hommes qui en définitive projettent leurs propres fantasmes.

79 Michel Cieutat, Les grands thèmes du cinéma américain, Tome 2 : Ambivalence et croyances, Paris, Les Editions du cerf, 1991, 443 pp, pp. 58-59.

80 Eddie Muller, L'art du film noir, Les affiches de l'ge d'or du film policier, Toledo (Espagne), Editions Calmann-Lévy, 2002, 272 p. p. 224.

Finalement, il est intéressant de remarquer que les films noirs livrent une version masculine de la femme, et que cela peut sans doute expliquer le sentiment de caricature ou d'exagération.

La manière qu'ont les réalisateurs de mettre en scene et de représenter les femmes en apprend finalement beaucoup sur eux.

Car la plus part du temps, les personnages féminins reflètent un portrait moqueur et critiques de la part des hommes.

Dans Un si doux visage d'Otto Preminger, Jean Simmons, est vraiment représentée comme le « Mal » à l'état pur.

L'actrice détestait Otto Preminger :

« il harcelait sans cesse la jeune actrice de vingt-trois ans - jusqu'à ce que Robert Mitchum menace Otto Preminger de lui casser la figure ! »81

Orson Welles, quant à lui fut marié à Rita Hayworth.

« Le patron de la Columbia, Harry Cohn, était furieux de voir sa plus grande star, Rita Hayworth, épouser Orson Welles. Et il détesta le film qu'ils tournèrent ensemble, au point d'en couper près de la moitié. Welles eut le dernier mot : sa vision était trop audacieuse pour être profanée. »82

Dans ce film Orson Welles lui-même joue le rôle du héros masculin.

François Guérif à propos de La dame de Shanghai :

« (...) la créature de rêve est devenue une femme suppliante qui rampe sur le sol en murmurant : « Le mal est en moi. »

Sans doute par un réflexe purement masculin, a-t-on voulu faire porter la faute à Eve et l'humilier une fois en un dernier instant. Mais sans doute également n'a-t-on jamais avoué aussi clairement que l'amour était une sorte de malédiction et que l'envoütement par une femme mythique et irréelle menait à la folie. »83

Et pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« La dame de Shanghai est un film noir, au plein sens du terme. Mais la personnalité du metteur en scène éclate à chaque pas, déborde les cadres de la série, et fuse en maintes suites d'images merveilleuses.»84

81 Eddie Muller, L'art du film noir, Les affiches de l'ge d'or du film policier, op. Cit, p. 251.

82 Ibid, p.267.

83 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 135.

84 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 74.

Dans Le facteur sonne toujours deux fois, Tay Garnett justifie son choix d'avoir habillé tout de blanc Lana Turner.

« Habiller Lana en blanc la faisait paraître en quelque sorte moins sensuelle. C'était aussi séduisant en diable. Et tous les actes qu'elle commettait semblaient moins la souillée. "85 Selon Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« D'un noir aussi pur, le personnage de Cora était au contraire typiquement quotidien. Et Lana Turner, presque toujours habillée de blanc, le parfait de sa plastique, de ses mouvements de hanches. On cherchait, d'instinct, à deviner sous cette blancheur la rondeur d'un sein ou la ligne des fesses. Mais c'étaient le sein, les fesses d'une criminelle, et le slogan du lancement du film aurait pu être en somme : « Si vous l'aviez connue, vous auriez fait comme lui ", ou « Le crime passionnel à la portée de tous ". "86

Marilyn Monroe représente bien cet aspect sexuel et érotique dans Niagara.

Henry Hathaway la rend paradoxale, car dans ce film noir, elle semble l'illuminé par sa beauté, ses sourires, sa nonchalance (lorsqu'elle sort de la douche, cigarette à la main), l'effet qu'elle produit sur les autres personnages est assez fort, ils la subliment, alors que dans l'intimité, dans la chambre d'hôtel qu'elle occupe avec son mari, on découvre une face cachée, et l'on se rend compte qu'elle projette des desseins beaucoup plus sombres.

« Enfin, l'hystérie de Marilyn Monroe en train de chanter « Kiss me ", son agitation voluptueuse dans un lit d'hôpital, renouvellent heureusement le répertoire érotique. "87

Dans Shanghai, les personnages féminins principaux sont trois femmes « de mauvaise vie ".

Mother Gin Sling (Ona Munson) est la patronne d'une maison de jeux clandestine, Poppy est une enfant « pourrie gâtée " par son père et n'a aucune notion de la valeur de l'argent, elle est vénale, et enfin Phyllis Brooks joue le rôle d'une prostituée, une fille un peu perdue qui doit quitter la ville car elle n'est pas en regle.

Ici, Joseph von Sternberg dresse un portrait très noir des femmes, même si à l'origine il a tourné Shanghai d'après une pièce de théâtre.

« Shanghai est un film à part. Noir par bien des côtés, il reste pourtant et avant tout une oeuvre
de Sternberg. On y retrouve cet exotisme sensuel d'un univers aux moeurs barbares, ces fêtes

85 Olivier Caïra, Hollywood face à la censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915- 2004, op. Cit, pp. 97-98.

86 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 86.

87 Ibid, p. 134.

peuplées de femmes voluptueuses et chamarrées, cette magie trouble où l'auteur se complet. Et ce film est de sa part une sorte d'adieu frénétique, au seuil d'un exil de dix ans, puisqu'il ne reprendra la mise en scene qu'en 1951. »88

En ce qui concerne John Huston, avec Le faucon maltais, il est plus ou moins le premier de « la série des films noirs », et le rôle qu'il donne à Mary Astor est peut-être le moins négatif de tous les films étudiés ici.

Mary Astor y joue une femme futée et intelligente, usant de ses charmes pour se mettre Humphrey Bogart « dans la poche ».

Mais elle n'a pas l'impact sexuel des femmes criminelles d'après 1944.

Cette oeuvre est plutôt basée sur la psychologie en tant que tel des personnages Mary Astor est une menteuse pathologique), et à cette période, le détective domine encore sur les rôles des femmes criminelles.

Billy Wilder, offre le portrait d'une femme cupide, existante, avide de jouissance mais sans doute frigide dans Assurance sur la mort.89

Ici il crée le mythe de la tueuse blonde, et use de différentes esthétiques pour tourner certains plans, comme le balayage de la caméra, qui remonte des chevilles au visage de Barbara Stanwyck.

L'image qu'il donne de la femme est assez osée, car Barbara Stanwyck représente une femme nymphomane, guidée par ses pulsions.

« Cependant, Double Indemnity n'est pas seulement novateur dans son audace à montrer la contagion du mal par le désir sexuel et la cupidité de personnages cyniques. Il l'est par le regard du cinéaste. Wilder n'a rien d'un humaniste ou d'un moraliste. »90

Dans Pêché mortel, John Stahl pour sa part, nous livre également une femme plutôt instable, sur le plan de ses émotions, de ses réactions.

Elle est également manipulatrice, rongée par la jalousie et égocentrique.

Encore un portrait qui offre une vision négative des femmes.

Enfin, dans En quatrième vitesse, Robert Aldrich atteint les sommets dans la représentation de la femme ainsi que de tous les autres personnages.

88 Ibid, P. 43.

89 Ibid, p.54.

90 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 150.

En effet, il n'y a plus de bons ni méchants, mais des êtres déshumanisés qui se battent pour acquérir un pouvoir.91

En effet, tous sont à la recherche d'un fameux coffret, qui contient non pas un trésor, mais une mini bombe atomique.

Le point commun que l'on retrouve donc dans ces films, est que les réalisateurs n'hésitent pas à jouer avec la suggestion.

De part l'omniprésence du Code Hays, ils détournent les regles, et créer de par la même occasion une façon nouvelle de représenter les femmes.

« Pourtant la censure a eu paradoxalement un effet positif en matière de sensualité, le sousentendu ne pouvait qu'ajouter à l'éclairage trouble, au pouvoir de suggestion des images. »92 Elles deviennent encore plus troublantes, car plus mystérieuses et « prudes » en apparence. Finalement elles font un peu peur aux hommes et c'est cela qui les attirent, le danger qu'elle représente pour leur vie, ce qui leur procure une certaine excitation.

Les femmes sont comme des terres inconnues, dont on ne connaît pas les frontières, les dangers, les pièges dissimulés, elles sont à conquérir, mais avec prudence.

C'est pourquoi certains héros masculins du film noir doivent se dire qu'ils pourront influencer le destin de ces femmes dangereuses, qu'elles succomberont à leur charme, mais ce n'est que vanité.

Car ces femmes ne pourront jamais changer, si elles se sont déjà marier une fois, ce n'est pas le second qui y arrivera à les « amadouer ».

Ces hommes tombent donc leur filet et sous leur charme, qu'elle-même n'ont pas toujours conscience d'avoir.

Cette fascination pour les femmes est directement liée aux émotions que les images produisent sur les spectateurs.

91 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 254.

92 Ibid, p.19

2) La place des émotions.

« La femme dans le film noir est associé à la ville. Si l'ambition sociale de l'homme s'épanouit dans la cité, son désir sexuel rencontre la séductrice, fantasme misogyne où le mâle projette ses peurs ses instincts agressifs. (...) L'homme est faible et la femme peut se révéler forte, résistante et prête à tout. (...) Mais il y a surtout les prédatrices, ces mantes religieuses qui attirent irrésistiblement l'homme car, dans l'univers du film noir, l'expression de la sexualité est incompatible avec l'institution du mariage. »93

Comme il a été vu précédemment, le Code Hays impose un caractère « correct » aux

films de cette période, ce qui produit un effet non négligeable sur les personnages des films noirs :

« Ainsi, à force de vouloir effacer par tous les moyens la nécessité du sexe, Hollywood en arrive à un tel stade de refoulement que ses personnages peuvent se pervertir de manière tantôt amusante, tantôt étrange, voire parfois criminelle. »94

Michel Cieutat se pose d'ailleurs la question :

« Une telle occultation de l'amour physique soulève un double problème. D'une part, la sexualité gêne et l'amour doit demeurer pur. De l'autre, la famille est sacro-sainte et l'enfant est roi. Comment alors passer des sentiments les plus innocents à la procréation sans choquer les auto-censeurs d'Hollywood et le public américain ? En d'autres termes, comment concilier l'amour et la vie familiale sans passer par l'accouplement ? »95

Seulement, qui dit tabou et interdit, dit aussi curiosité et intérêt.

Le public américain de l'époque, et sans doute le public masculin en particulier, est attiré par cette vision, cette représentation du sexe.

« Nous voyons se manifester ici ce que nous appellerons l'effet cumulatif : la reprise d'un personnage, d'un sujet, d'une situation, loin de fatiguer les spectateurs, produit chez eux un phénomène d'accoutumance. »96

93 Michel Ciment, Le crime à l'écran, Une histoire de l'Amérique, op. Cit, pp. 89-90.

94 Michel Cieutat, Les grands thèmes du cinéma américain, Tome 2 : Ambivalence et croyances, op. Cit, p. 109.

95 Ibid, p. 104.

96 Pierre Solin, Sociologie du cinema, ouverture pour l'histoire de demain, Paris, Edition Aubier Montaigne, 1977, 317 p, p. 125.

Selon Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« La clientele américaine semble fort sensible à l'érotisme du « thriller ». En fait il s'agit le plus souvent d'un érotisme voilé - ou d'un érotisme du voile, si l'on préfère - bien assorti à l'ambiguïté « noire ». Mais ici les sous-entendus tiennent au puritanisme du Code Hays, dont la rigueur pose aux hommes d'Hollywood de véritables cases-têtes. Dans le film noir, on s'efforce de créer une atmosphere de sexualité latente, floue et polymorphe, que chacun pourra, un peu comme dans les tests projectifs, peupler de ses désirs et « structurer » à sa guise. Un amateur français - car la formule a aussi ses connaisseurs hors d'Amérique - écrivait à ce propos : « Il y a une science de la dissimulation de la chair et des retombées des plis d'une robe, plus évocatrice que les plus troublants déshabillés » ; c'est là le « suprême raffinement de l'érotisme qui ne dit pas son nom ... (car il) se désincarne totalement pour se réduire aux lignes savamment calculées de toilettes qui tirent toute leur impudicité de leur rigueur et de leur discrétion ». 97

Noël Simsolo voit l'apparition de la sexualité par :

« L'invasion du nouveau naturalisme inaugure aussi une insistance sur le charnel. Le corps féminin devient la matière essentielle des films du « cycle noir ». La sexualité y est désignée comme dynamique essentielle des comportements, mais elle ne peut pas être montrée avec sophistication ou glamour. Pour s'imposer dans la part réaliste de cette mouvance, il faut que la femme sensuelle paraisse accessible à chacun. »98

La femme est synonyme de plaisir sexuel pour l'homme.

« Pour bien des amateurs, il n'y a pas de film noir sans femme fatale. La silhouette d'une superbe créature était depuis toujours une des constantes de la publicité cinématographique, mais, avec le film policier, c'est une créature sombre et dangereuse qui se manifesta pour la première fois. La femme de mauvaise vie occupa la première place pour mieux tenter le héros en péril. Pour quelques plaisirs charnels, les hommes étaient prêts à risquer jusqu'à leur vie. Les affichistes du monde entier s'empressèrent de relever le défi et de rendre le côté provoquant de cette nouvelle image de la sexualité féminine. Les affiches montrèrent des femmes pleinement conscience de leur pouvoir envoûtant. Leurs yeux insolents regardaient

97 Pierre Duvillars, L'érotisme au cinéma, p. 67, in Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 183.

98 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 232.

droit devant, vers le spectateur, ou se baissaient sur l'individu trop crédule qu'elles avaient pris dans leur toile. »99

Cependant, pour Nöel Simsolo, certains films comme Niagara ne sont plus des films noirs, tellement ils poussent au paroxysme l'impact et la représentation sexuelle de la femme :

« Pendant les années cinquante, les studios inventent de nouveaux sex-symbols et les expérimentent dans le film noir. Ainsi, Marilyn Monroe (...) devient une star avec Niagara (1953) d'Henry Hathaway.

Ce thriller utilise des themes et des effets de style typiques du film noir. (...) Cela donne un film où la surprise ne vient ni des méandres du récit ni de la mise en scène, mais de la beauté des paysages (souvent en transparence) et du relief intéressant des corps féminins. Car deux formes d'érotisme s'y rencontrent au fil d'un scénario affligeant basé sur l'adultère, le crime passionnel, la vengeance et le parallèle entre un couple sain et un couple névrotique. La beauté et le talent de Jean Peters, comme le jeu sobre de Joseph Cotten effacent en partie les défauts d'un film manufacturé au millimetre. Quant à Marilyn Monroe, elle y est utilisée en objet érotique à la limite du kitsch et ce rôle de composition l'installe dans des postures qui feront sa gloire pour le meilleur (Hawks, Wilder, Preminger) et, souvent, pour le pire. Le problème est que la mise en scène de cette bombe sexuelle fausse l'ingrédient du film noir, puisque le couple Monroe/Cotten en est aussi improbable que l'est celui de Jean Peters et son benêt de mari.

Niagara illustre parfaitement l'incompatibilité entre le naturalisme noir et le prototype ravageur du sex-symbol. »100

Les femmes criminelles font songer aux sirènes d'Ulysse, dont l'attraction était si forte qu'elles faisaient oublier un instant leur dangerosité.

Le champ lexical pour définir les femmes criminelles est assez impressionnant : fascinantes, irrésistibles, exécrables, attirantes et repoussantes à la fois, mystérieuses, irréelles, vénales, vamps, manipulatrices, provocantes, ~

Les hommes (qu'ils soient spectateurs, réalisateurs, acteurs) sont partagés entre attraction et répulsion, désir et angoisse, admiration et jalousie.

Les femmes apparaissent comme des tentatrices toujours plus persuasives. Mais n'est-ce pas parce que les hommes se sentent faibles et incapables de résister ?

Ils ont le sentiment qu'elles se rendent irrésistibles par des artifices mystérieux, et purement féminin (des toilettes toujours parfaites, classiques ou affriolantes ; des morceaux de peau à peine visibles ou au contraire presque offerts ; des façons de regarder ou justement de détourner le regard ; l'apitoiement et la façon de se rendre désirable, la suggestion d'un besoin de protection, ou bien d'être sauvée.), alors que ce sont eux qui au final se précipitent la tête la premiere dans les pièges qu'elles leur tendent.

Par exemple, dans Un si doux visage, Robert Mitchum, même s'il aime une autre femme, est tellement subjugué par la beauté de Joan Simmons qu'il y trouvera la mort. Raymond Borde et Etienne Chaumeton en parlant de ce film :

« Petit ange têtu et pervers, aux yeux obstinément ouverts sur son secret, Jean Simmons semble échappée de quelque toile de Leonor Fini. Robert Mitchum a fort bien traduit le masochisme clairvoyant de l'homme fort et blasé. Il met beaucoup d'inconsciente bonne volonté à mourir avec son amante, à jamais attiré par « ce pouvoir de vie ou de mort dont dispose un visage ».101

Ils rajoutent également :

« Dans sa façon de jouer avec la censure officielle, cet érotisme rappelle l'élaboration du rêve selon Freud : au lieu de monter les réalités interdites, on introduit des éléments neutres en apparence, mais qui les évoqueront, par association ou symbolisme. Ainsi la danse est une transposition immémoriale de l'acte sexuel lui-même ; mais le « thriller » a su quelque fois employer avec finesse cette allégorie usée. (...) les ornements délirants dont Ona Munson (Mother Gin Sling) pare sa chevelure dans Shanghai ; le bracelet à la cheville de Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort. Les épisodes sado-masochistes, bien accordés au sujet même du film noir, se prêtaient particulièrement à cette technique d'allusion. Dans l'association plaisir-violence, l'exhibition du deuxième terme vaudra parfois comme substitut du premier, dont quelques détails sous-entendront la présence. »102

Dans La dame de Shanghai, Orson Welles explique des le début du film qu'il aurait se méfier, mais qu'il n'a pas pu résister. « L'amour rend idiot » dit-il.

Noël Simsolo explique à propos de La dame de Shanghai :

« (...) Welles construit une machine qui s'affole sans cesse autour d'une histoire compliquée
de faux meurtres et de vrais cadavres. Décolorée en blonde oxygénée, Rita Hayworth règne en

101 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 133.

102 Ibidem.

reine des abeilles dans cette ruche cacophonique où chacun transpire, ment, gesticule comme une marionnette du théâtre italien ou se déplace à la façon des reptiles, des sauriens ou des poissons prédateurs.

Virtuose, visionnaire et elliptique, Welles déconstruit la narration et ne traite en fait que la destruction de l'icône sexuelle Rita Hayworth avec laquelle il est marié dans la vie, mais en instance de divorce.

Il brise donc les miroirs qui la reflètent à l'infini dans une scene devenue mythique et mettant à bas sa légende. La réalité de cet holocauste survient dans l'autodafé d'artifices de la séquence des glaces qui écrase la panoplie du film noir pour lui redonner une existence fantasmatique. Rita Hayworth est donc sublimée, puis massacrée dans cette oeuvre à l'extravagante modernité. »103

« L'inspiration masochiste a été sans doute à l'origine du theme de la criminelle blonde (Lana Turner, Peggy Cummins, Barbara Stanwyck) et de la Femme-Vampire (Lauren Bacall). Parfois on devine des situations sexuelles anormales, ou à la limite de l'anomalie. »104

103 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 268.

104 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 183.

Chapitre V : Typologie et portraits des femmes

criminelles.

1) Portrait des femmes criminelles.

« Entraîneuse de bar, chanteuse de night-clubs, maîtresse richement entretenue ou tout simplement épouse ambitieuse et atteinte de spleen, elle vit dans l'excès et s'habille loin des normes de la modestie, en soulignant son allure garçonne ou en accentuant sa féminité. Elle représente le mythe éternel de la femme, menace pour l'homme et agent de destruction. Elle incarne la mort. Le film noir célèbre la femme dans tout l'éclat de sa beauté, images idéalisées qui expriment la haine de l'homme contre cette incarnation d'une sexualité insatiable. Le héros répond aux premières avances et sa vie devient un cauchemar. Qu'elle soit une force positive ou négative, la femme est le passé de l'homme. Les apparences sont trompeuses, le dédoublement de la personnalité (ange ou démon ?) et le jeu du mensonge sont symbolisés par les portraits et les miroirs dont le film noir fait grand usage et qui signifient un monde fragmenté, oscillant sans cesse entre l'apparence et la réalité. »105

Maintenant que les fantasmes des hommes et l'impact de leurs émotions ont été cernés, il semble nécessaire de faire le point sur les personnages des femmes criminelles étudiées dans de travail de recherche.

Dans l'ouvrage de Michel Cieutat, il est intéressant de remarquer qu'il dresse le portrait des femmes selon leur apparence physique, et en particulier la couleur de leurs cheveux.

Pour la « brune », il cite plusieurs exemples dont :

« (...) Gene Tierney dans Leave Her to Heaven... Sa chevelure évoque le noir de la nuit, la nuit des coucheries satanesques, les ténèbres de l'immortalité et de la mort. »106

Pour la « blonde », il mentionne :

« Blonde comme les blés, blonde comme le soleil, (...), la femme blonde est un paradis
terrestre, (...). La blonde n'échappe pas à l'inséparabilité des contradictoires. Dans les années

trente, elle devient platinée, trop blonde pour être vrai, au blond proche du blanc, couleur usuelle de l'innocence, mais qui, ici, renvoie plutôt à la mort (...). Avec le film noir de la décennie suivante, la blonde devint beaucoup plus pernicieuse, comme Barbara Stanwyck (Double Indemnity), Lana Turner (The Postman Always Rings Twice), Gaby Rodgers (Kiss Me Deadly), Rita Hayworth (The Lady From Shanghai) : toutes essayèrent de détruire ceux qu'elles approchaient et à plusieurs reprises y parvenaient. L'action maléfique de ces femmes à la blondeur aveuglante ne se limita à cette époque tourmentée (...) ; Marilyn Monroe dans Niagara. (...). La blondeur peut donc être traîtresse et le coup en est d'autant plus dur pour les Américains qui ont toujours été fascinés par les effets de soleil auroral et de lumière divine.»107

Le film noir prend un certain plaisir à pousser un trait de caractère à l'extrême dans chacun de ses personnages féminin.

C'est pourquoi, les femmes criminelles, sont souvent manipulatrices, violentes, cruelles, voir cupides.

D'ailleurs, il faut noter que femmes criminelles et femmes fatales sont souvent mises en corrélation.

Hors, les femmes fatales ne sont pas forcément des femmes criminelles, comme par exemple Gene Tierney dans Laura et Rita Hayworth dans Gilda.

Dans des deux films, les actrices poussent l'érotisme à son comble (surtout dans Gilda), mais elles ne sont pas criminelles, et ne sont donc pas comparables à une Marilyn Monroe dans Niagara ou à une Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort.

Alors que les femmes criminelles, quant à elles sont toujours des femmes fatales.

Il semble important de dresser un portrait de chaque femme criminelle des films étudiés dans ce travail de recherche.

Pour cela, il est intéressant de procéder par ordre chronologique.

Mary Astor, dans Le faucon maltais de John Huston, brune, les cheveux courts, est une femme très belle, et même si elle met sait mettre son corps en valeur dans des robes particulièrement collantes, elle reste tout de même assez sobre.

Elle est tres maligne et calculatrice, et fait preuve d'audace et de culot en mentant à un si haut point à l'homme qu'elle engage comme détective.

Elle sait user de son regard pour troubler et les hommes, et semer le doute. C'est une femme forte, une femme de tête qui s'avère être l'investigatrice de l'affaire.

Elle va tellement loin dans la séduction, que le détective Sam Spade va tomber amoureux d'elle, mais à la différence d'autres hommes, il saura rester terre à terre en ne suivant pas que ses émotion.

« La tenue vestimentaire et le maintien de Brigid O'Shaugnessy dans ce plan du Faucon maltais (1941) indiquent son origine sociale. Une étole de fourrure drape ses épaules cependant qu'un ravissant chapeau est posé sur ces cheveux soigneusement ondulés. Les doigts de la main gauche négligemment posée sur la table révèlent des ongles parfaitement manucurés. Plus grande que Spade (Humphrey Bogart) et que la secrétaire assise (Lee Patrick), Brigid domine le cadre. Sa domination est renforcée par le fait que les regards du détective et de sa secrétaire soient dirigés vers elle. Mais si l'on note le visage amical et le sourire de la jeune femme, reflété par celui, plus discret de la secrétaire, c'est surtout l'attitude de Bogart qui est révélatrice : la bouche entrouverte, le regard légerement dévié, il s'interroge et cherche à deviner la jeune femme. Son expression annonce la nature de leur relation marquée par le labyrinthe de mensonges dans lequel elle l'entraînera. »108

Gene Tierney, dans Shanghai de Joseph von Sternberg, est également brune, mais elle a les cheveux longs.

Elle tient son premier rôle de façon magistrale.

Elle ne sourit pas souvent, son visage est fermé, mais cela n'empêche pas qu'elle soit magnifique, c'est une beauté froide.

« Gene Tierney, dont c'est le premier grand rôle, crée une Poppy inoubliable. Il faut la voir pleurer, tempêter devant la porte d'Omar, faire mine de partir, puis revenir et s'effondrer contre la paroi. Omar, confortablement renversé sur un fauteuil, les pieds sur la table, écoute avec une indifférence attentive les supplications de Poppy, en fumant une longue cigarette. Enfin, lorsqu'il la sent brisée, il se lève lentement, ouvre la porte, et, sans mot dire, tend ses bras. »109

Elle semble forte et parfois désinvolte, effrontée (sans doute de part son origine sociale aisée, qui la rende hautaine) alors qu'en fait elle est plus que fragile.

Cela se remarque à plusieurs reprises.

108 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film Noir, op. Cit, p. 114.

109 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 44.

Par exemple à partir du moment où elle commence à jouer aux jeux, elle ne peut plus s'arrêter et devient « à fleur de peau ».

Dans le début de sa relation avec Victor Mature (Omar), elle paraît distante, mais sûre d'elle, et alors que plus le temps passe, et plus elle devient esclave de son amour pour lui, et fait preuve d'une grande jalousie, d'une possessivité exacerbée, parfois à la limite de l'hystérie.

Barbara Stanwyck, dans Assurance sur la mort de Billy Wilder, quant à elle, est blonde, et également très belle.

Elle joue le rôle d'une femme perfide, prête à tout pour tuer son mari et récupérer de l'argent. Ce n'est même plus de la méchanceté, c'est toute une psychologie criminelle, qui font d'elle une prédatrice, une manipulatrice.

Ce rôle l'a évidemment élevé au rang de femme fatale.

« L'attitude de Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck) dans Assurance sur la mort (1944) est à la fois enjouée et menaçante. Confortablement installée dans un fauteuil, elle sourit et son visage ne montre aucun signe de tension. Ses bras pendent de chaque côté du fauteuil - comme une invite à l'embrasser. L'une de ses mains tient négligemment une cigarette. Sa jambe gauche, tendue vers Walter Neff (Fred Mc Murray), est ornée à la cheville d'une fine chaînette d'or. Alors que la jeune femme, vêtue de blanc, est pleinement éclairée, Walter est recouvert par l'ombre, ce qui amoindrit sa position dans le plan. Il se trouve (littéralement) au bord du bras rembourré d'un siege mais également « au bord du désastre ». Même le mur derriere lui, bien que strié par l'ombre des stores vénitiens, est plus lumineux. La surprise se lit sur son visage tandis qu'il tient la jambe offerte par Phyllis. Cette position résume la dynamique de leur relation. Phyllis ne cesse en effet de défier le cynique Walter qui, fasciné par son érotisme exacerbé, accepte de la suivre sur la voie du meurtre et de la trahison. Leur manière identique de tenir leur cigarette, elle dans la main gauche, lui dans la main droite, exprime l'affinité qui les unit. »110

110 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film Noir, op. Cit, p. 90.

Joan Crawford, dans Le roman de Mildred Pierce de Michael Curtiz, est une femme d'origine modeste. Mais même si Joans Crawford l'actrice principale, ce n'est pas elle qui va commettre un meurtre.

Mais sa fille Veda, joué par Ann Blyth.

« Afin d'entretenir Veda (Ann Blyth), sa fille égoïste et capricieuse, elle se lie avec son meilleur ami Wally Fay (Jack Carson), puis avec Monte Beragon (Zachary Scott), dilettante et débauchée.(...) Elle épouse Monte pour donner un vrai statut social à Veda, puis découvre que l'homme et sa fille ont une liaison. »111

Gene Tierney, dans Péché mortel de John Stahl, est Ellen.

« Le personnage principal est une femme, Ellen, qui rappelle par, ses allures, les héroïnes d'Emily Brontë. (...) Ellen, visage typique de film noir, fait de cette oeuvre plus qu'un essai psychologique : sure d'elle, d'une féminité éclatante, prête à tous les excès pour conserver son amour. La caméra a su filmer en plongée son long corps souple, inanimé au bas des marches. Magnifiquement incarnée par Gene Tierney, elle est digne de figurer dans l'étincelante galerie des charmeuses fatales. »112

Lana Turner, dans Le facteur sonne toujours deux fois de Tay Garnett, comme il a été vu précédemment, sans cesse habillé de blanc.

Cela la rend pure, mais seulement en façade.

Toutefois, elle ne révèle son caractère criminelle qu'à partir du moment où elle trompe son mari.

« Or Tay Garnett n'a pas cherché à retrouver la sensualité perfide de Barbara Stanwyck dans Double Indemnity. Il a fait de son héroïne une personne fraîche et détendue, aussi peu ténébreuse que possible, et dont les aspirations semblent bien légitimes : éliminer un vieux mari, épouser un beau garçon et gagner quelque argent. »113

111 Olivier Caïra, Hollywood face à la censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915- 2004, op.cit, p. 96.

112 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 59.

113 Ibid, p. 86.

Rita Hayworth, dans La dame de Shanghai d'Orson Wells,

« Le spectateur la voit avec les mêmes yeux que le narrateur, tout au moins au début, c'est-àdire comme victime de la suspicion et de la nature corrompue de son mari infirme. Elle apparaît ici dans une chaise longue, au premier plan. Elle est vêtue de blanc (est-elle donc « blanche comme neige ». Son expression est triste et méditative, son regard fixé hors-champ. Comme Pearl, ses cheveux encadrent son visage d'une couronne de boucles blondes. Comme Lily, sa bouche est légèrement ouverte et la peau que laisse entrevoir sa chemise, ses jambes dénudées jusqu'aux genoux peaufinent l'érotisme du personnage. »114

Et pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« La jeune femme elle-même est parfaitement mystérieuse. Ses intrigues secrètes n'affectent pas la sérénité de son visage. Quel jeu joue t-elle ? (...) Un autre centre d'intérêt de ce « thriller » exemplaire est son érotisme assez particulier : La dame de Shanghai révèle une Rita Hayworth aux cheveux courts, à la matité marmoréenne, irradiante et cependant hors de portée. Telle scene où l'associé la guette, avec des jumelles, allongée presque nue sur un récif, offerte au vent du large et intouchable, est bien symbolique à cet égard. Et l'on n'oubliera pas sa fuite au sein de la nuit menaçante, emplie des pincements de mandolines, dans les bas-quartiers de Mexico : une femme en robe du soir, étincelante de blancheur, court dans les ruelles sordides peuplées d'ombres immobiles, (~). »115

Marilyn Monroe dans Niagara de Henry Hathaway, est une femme splendide et provocante, habillée en permanence de façon osée et attrayante.

C'est ce que l'on pourrait appeler vulgairement une garce.

Lorsqu'elle sort de sa chambre d'hôtel pour aller mettre un disc, elle a une façon de marcher très suggestive, et tous les hommes, accompagnés ou non, se retournent sur son passage.

Jean Simmons, dans Un si doux visage d'Otto Preminger, est une jolie jeune femme brune, à la peau extrêmement blanche.

Elle ressemble presque à une poupée, tant par sa plastique, que par sa fragilité.

Mais derrière cette apparence si parfaite, se cache un être rempli de haine et de mauvaises intentions.

114 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film Noir, op. Cit, p. 89.

115 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 75.

Gaby Rodgers, dans En quatrième vitesse de Robert Aldrich, joue le rôle de Lili

Carver.

C'est encore une femme blonde, aux cheveux courts qui lui donnent un aspect androgyne, séduisante, mais également menaçante.

C'est une femme indépendante, autoritaire et provocante.

2) Les femmes criminelles victimes d'ellemême ?

Selon Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« Contradictions enfin du côté de la femme : la femme fatale l'est aussi pour elle-même. Frustrée et criminelle, mi-dévoreuse, mi-dévorée, désinvolte et traquée, elle tombe victime de ses propres pièges. »116

Dans le film noir, les femmes ont plus ou moins deux sortes de rôles à jouer : celui de la femme fatale, et à l'inverse celui de la femme fragile.

« Sur les affiches de polars de cette période, la représentation des femmes étaient simple : soit des prédatrices, soit des proies. »117

Les réalisateurs et les scénaristes reproduisent le paternalisme et le protectionnisme que le Code de Production leur impose, directement ou implicitement, dans leurs films, un peu comme s'ils réaffirmaient leur rôle de patriarche omnipotent.

Cependant pour Eddie Muller, le destin n'est pas sexiste, car il torture hommes et femmes avec un égal dédain.118

Il faut toutefois souligner, que dans les films étudier ici, le destin que subissent les femmes criminelles est souvent plus morbide que celui des hommes.

Dans des films comme Le facteur sonne toujours deux fois, Assurance sur la mort, La dame de Shanghai, ou bien Niagara, les femmes ont toutes des maris plus 'gés qu'elles, et qui « s'occupent de tout à la maison », en particulier sur le plan financier et la manière de vivre.

Malgré la destinée différente de ces trois hommes, ils occupent la première place dans leur couple.

Les femmes doivent les soutenir, être fidèles et aimantes, et surtout ne pas remettre en cause leurs paroles.

Mais ces femmes rencontrent des hommes plus jeunes que le destin a mis sur leur route, et à partir de là commence un jeu de séduction, d'approche, de succomber à la tentation.

116 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 10.

117 Eddie Muller, L'art du film noir, Les affiches de l'ge d'or du film policier, op. Cit, p. 93.

118 Ibid, p.103.

Dans Le facteur sonne toujours deux fois, John Garfield (Franck) croise la route de Lana Turner.

Il se fait embaucher dans leur petit restaurant.

Des le début du film, lorsqu'il croise le regard troublant de Lana Turner, on voit tout de suite qu'il est sous le charme.

D'ailleurs, Lana Turner qui joue le rôle de Cora, supplie presque son mari Nick (Cecil Kellaway) de renvoyer Franck.

Seulement leurs destins les rattrapent, et dans le cas de Cora, c'est Franck qui va l'embrasser le premier.

Malgré son refus et sa froideur apparente, elle a compris que sa vie n'est pas ce qu'elle attendait.

Elle s'est mariée car son passé est plutôt trouble, en particulier dans ses relations avec les hommes.

Mais dans le film, elle reste assez flou sur le sujet, car elle troublée par la question que lui pose Franck, à savoir pourquoi elle s'est mariée avec Nick.

Cette question lui fait l'effet d'un miroir de sa propre vie, et elle prend conscience qu'elle ne supportera plus longtemps de vivre comme ça.

Dans Shanghai, les deux « héroïnes », ou plutôt personnages principaux féminins, sont également victimes d'elles-mêmes, victimes de leur passé.

Sans le savoir, ces deux femmes, aussi troubles et charismatiques l'une que l'autre, sont mere et fille.

Mother Gin Sling, est la patronne d'une maison de jeux à Shanghai, et à derrière elle un passédouloureux.

Quant à Poppy, qui est donc sa fille, c'est une jeune femme pertinente et insolente. Elle devient cliente du casino, et commence à devenir « esclave » du jeu et de l'argent.

Elle perd des sommes faramineuses, et s'éprend d'un homme qui va l'inciter à continuer de jouer.

Son amour pour lui est possessif et capricieux, et ici, il est possible de remarquer l'influence de la psychologie.

En effet, elle a toujours vécu seule avec son père, et reçu une bonne éducation.

Et justement, plus elle découvre un nouveau style de vie, baignant dans la luxure et le vice, plus elle révèle son vrai caractère de « garce ».

Une fois encore son passé la rattrape, car son père, derriere ses apparences d'homme d'affaire, a lui aussi un passé sombres qu'on ne découvre qu'à la fin du film.

C'est un peu comme si elle ne pouvait échapper à la fatalité.

« Le film s'achève sur un repas somptueux et sinistre, où les secrets des convives sont mis à nu, tandis que les ressentiments s'assouvissent. »119

Dans Le faucon maltais, Mary Astor se fais passer pour une victime, et essaye de séduire Humphrey Bogart, le détective, afin de l'amadouer et d'arriver à ses fins sans être soupçonner.

Mais une fois encore, le destin a frappé, car Sam Spade va plus ou moins découvrir le passé de la femme dont il est tombé amoureux, et découvrir le « poteau rose ».

Avec Assurance sur la mort,

« Barbara Stanwyck provoque la mort et ne pourra mourir que dans la passion et le sang. Elle est l'incarnation du destin. »120

C'est l'action de cause à effet. Toute décision a une influence sur le destin et on ne peut pas revenir en arrière.

En définitive,

« Tout se passe comme si ces femmes superbes étaient victimes de leur beauté et ne pouvaient s'en servir qu'à des fins destructrices. Elles semblent parfois conduites par des forces qui les dépassent. »121

Après avoir dressés ces portraits et vus l'influence de leur passé et de leur destin, il est temps de voir pourquoi et comment ces femmes criminelles sorte du « droit chemin ».

119 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 44.

120 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit. p. 112.

121 Michel Ciment, Le crime à l',cran, Une histoire de l'Amprique, op. Cit, p. 91.

Chapitre VI

1) Les motivations du crime.

La plus part du temps, les motivations qui poussent les femmes au crime, son soit l'app~t du gain, soit une vengeance quelconque, soit plus subtilement un désir d'émancipation, en choisissant de refaire leur vie avec un autre homme, souvent leur amant, aprés avoir décidé d'éliminer leur mari.

Eddie Muller explique en parlant de l'affiche de cinéma de Le facteur sonne toujours deux fois, illustré par Klaus Dill, en Allemagne:

0 Cette interprétation classique de Cain est remarquable par son caractère suggestif. Dill avait parfaitement compris la passion des amants, comment elle les avait poussé à tuer, comment ils finissaient par ne plus pouvoir se quitter, dévorés par le désir et la défiance. »122

Pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

0 La question des unions malheureuses inspire toujours les scénaristes : l'un des conjoints (presque toujours la femme) s'est marié par intérêt. Mais une aventure lui révile l'amour physique et il tente de rompre ses chaînes par le meurtre. »123

Dans ces scènes, le pistolet parle de violence, et l'expression des actrices parle de sexe, et ce sont les deux composantes psychologiques qui sont en jeu.

Assurance sur la mort, Le facteur sonne toujours deux fois, La dame de Shanghai, Niagara, toutes les femmes de ces films ont pour point commun un complot, celui de tuer leur mari avec l'aide de leur amant, d'une part pour refaire leur vie, et d'autre part pour l'argent qu'occasionneront les décès.

Dans Assurance sur la mort,

0 Le contraste entre objets quotidiens et situations extraordinaires est thème récurrent du film
noir. La scène du supermarché dans Assurance sur la mort (1944) en est un parfait exemple.

122 Eddie Muller, ilfart du fUtP nRUr, iles affUFhes de tfale dfRr du fUtP SRtUFUer, op.cit, p.93.

123 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 133.

Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck) complote de tuer son mari avec l'aide de Walter Neff (Fred Mc Murray). Cependant, les deux complices ne peuvent prendre le risque d'un rendezvous privé. Aussi décident-ils de se rencontrer « fortuitement » dans une allée du supermarché local. L'agencement méticuleux des produits autant que l'enseigne vantant les « quality foods » sont l'impitoyable métaphore du monde ordinaire et ordonné qui constitue le lot des mortels. Les lunettes de soleil que porte Phyllis cachent ses yeux autant que les motifs inavouables qu'elle veut dissimuler à son compagnon. Le visage de Neff au contraire est particulièrement expressif, son regard désespérément tourné vers elle qui garde les yeux fixés droit devant. Presque littéralement cernés par le cadre de l'image, les deux tueurs sont piégés non tant par leur culpabilité que par leur peur d'être découverts, chacun dépendants de la solidité nerveuse de l'autre dont ils ne peuvent pourtant être sürs. »124

Dans Le facteur sonne toujours deux fois, Cora veut supprimer Nick après avoir appris que celui-ci voulait vendre leur petit restaurant, afin qu'elle s'occupe de sa belle-soeur handicapée au Canada.

Pour La dame de Shanghai, c'est un peu pareil. Elsa Bannister rencontre sur sa route un homme qui la sauve, et qui devient son garde du corps.

Les deux amants décident de supprimer le mari, mais l'histoire finit dans un bain de sang.

« Michael O'Hara sauve par hasard d'un enlèvement une jeune dame d'une grande beauté. Le mari, un avocat infirme et plus que suspect, nommé Bannister, lui offre de devenir le garde du corps de sa femme. Il y consent et s'embarque avec eux sur le yacht, pour une croisière lourde de dangers troubles. Un jour, l'associé de Bannister, surgi au cours du voyage, propose à Michael O'Hara cinq mille dollars pour faire semblant de l'assassiner. Or Michael a besoin d'argent pour fuir avec Madame Bannister, et il accepte. Il s'apercevra trop tard qu'il est tombé dans un piège : l'associé sera réellement tué. »125

Dans Niagara, Rose (Marilyn Monroe) a déjà un amant au début du film.

Son mari d'en doute fortement, il est très jaloux, mais l'insolence de Rose le rend faible et docile.

Rose met donc au point un plan pour le tuer, et si dans les autres films hormis Assurance sur la mort, c'est elle seule qui prend cette décision.

124 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film Noir, op.cit, p. 29.

Son amant est aussi sous le charme, et elle le contrôle mentalement.

C'est dans la boutique des chutes du Niagara qu'elle lui donnera les indications.

Les motivations du crime dans La lettre, Un si doux visage, Le roman de Mildred Pierce, Péché mortel et Shanghai Gesture sont liées à la vengeance, elle-même souvent issue de la jalousie ou d'un mauvais souvenir.

Dans La lettre, Bette Davis est jalouse d'une femme que côtoie son amant.

Un si doux visage met en scène une motivation vraiment très noire.

Joans Simmons demande à Robert Mitchum de tuer sa belle-mere qu'elle ne supporte pas. Ce dernier ayant refusé et aimant une autre femme, elle va planifier deux meurtres.

Dans Péché mortel, Ellen, jalouse du frère de Richard, va être amené à le tuer. « Affligée d'un terrible complexe oedipien (Ellen), elle a rencontré Richard, dont elle s'est éprise à l'instant, avec une sorte de frénésie. On saura plus tard pourquoi : il ressemble à son père. Et Richard se laisse inviter, courtiser, séduire. Il se trouve marié sans presque s'en rendre compte. Alors la tragédie prend forme. Ellen, qui voue à son époux un amour férocement exclusif, dépense tous ses efforts à l'enchaîner à jamais, mais s'emploie inconsciemment à le perdre. Richard avait, en effet, un jeune frère à demi paralytique, égoïste et médiocre, qu'il chérissait. Cet intrus larmoyant troublait leurs moments d'intimité. »126

Dans Le roman de Mildred Pierce, c'est une histoire de trahison.

On pourrait croire que la tueuse n'est autre que Mildred, d'ailleurs c'est ce qu'elle veut faire croire, seulement, c'est sa fille Veda (Ann Blyth) qui commettra un meurtre lorsque Monte (Zachary Scott) décide de la quitter.

Enfin dans Shanghai Gesture, Mother Gin Sling décide de se venger de l'homme qu'elle a connu étant jeune.

Son plan devient encore plus diabolique quand elle apprend que sa fille est également la sienne.

« Le film s'achève sur un repas somptueux et sinistre, où les secrets des convives sont mis à
nu, tandis que les ressentiments s'assouvissent. Un géant écarte les rideaux, ouvre une

fenêtre : on aperçoit de belles filles à demi nues, enfermées dans des cages qui se balancent au-dessus d'une foule vorace, hurlante. Alors Mother Gin Sling, l'hôtesse, annonce qu'elle a été, elle aussi, suspendue autrefois dans une cage, un jour de nouvel an, et vendue aux enchères. Un homme l'avait volée et trahie, il a changé de nom, il assiste (bien entendu) au repas : c'est un riche financier, Sir Guy Charteris. Mais Mother Gin Sling a rencontré fille de Sir Guy, Poppy, et a eu sa revanche en la jetant dans les bras du docteur Omar, poète de Shanghai et de Gomorrhe, « Docteur en rien ... ». Quelques semaines de débauches et de drogues en ont fait une loque. Une porte s'ouvre et Poppy entre, la robe dégrafée, les cheveux en désordre. »127

Enfin, Le Faucon maltais et En quatrième vitesse, dressent des motivations au crime relatif à l'acquisition d'un objet précieux.

Dans Le Faucon Maltais, on se bat pour acquérir un objet précieux, une statuette, qui se révélera être en toc.

Puis enfin dans En quatrième vitesse, c'est également pour une boîte qui est censée contenir un fabuleux trésor que les personnages vont s'entretuer.

Toutes ces motivations prennent tellement d'importance, qu'elles vont pousser les femmes criminelles à commettre leur crime, que l'on pourra voire plus ou moins brièvement, et/ou plus ou moins implicitement.

2) Passage à l'acte.

Au moment où les femmes criminelles passent à l'acte, c'est tout le summum de l'érotisme qui se dégage, surtout lorsqu'elle utilise une arme à feu.

« Les armes procurent un plaisir évident à ceux qui les portent dans le cinéma américain, mais Hollywood hésite cependant entre la nécessité d'en dénoncer l'usage abusif et le besoin d'en posséder. Tuer ou être tué. Telle est la question existentielle américaine. »128

Que cela soit Mary Astor dans Le faucon maltais, Rita Hayworth dans La dame de Shanghai, Gaby Rogers dans En quatrième vitesse, dans Shanghai, ces femmes amènent la suggestion érotique à son comble.

« Avec le recul, cela paraît simpliste et sexiste, mais à l'époque il était inédit et très excitant de voir une femme prendre une pose agressive, une arme à la main. »129

Raymond Borde et Etienne Chaumeton rajoute à cela :

« Ce nouveau type de femme, côtoyant et maniant le crime, dure à l'égal du milieu qui l'entoure, aussi experte dans le chantage et le « vice » que dans les armes à feu - et probablement frigide - a donné sa marque à un érotisme « noir » qui n'est parfois qu'une érotisation de la violence. On est loin des héroïnes chastes du vieux Western ou du film historique. »130

Dans En quatrième vitesse, Gaby Rogers, tire sur des hommes qui veulent eux aussi le fameux coffret.

Elle tente également de tuer le détective Mike Hammer, mais ne fait que le blesser, cela lui laisse le temps d'ouvrir la boîte, mais aussi de mourir, car comme il a été dis, le trésor n'est autre qu'une bombe atomique ;

Une scène de En quatrième vitesse précède celle qui va marquer le passage à l'acte. Alain Silver et James Ursini l'ont traduite comme tel :

« (...) Allongée sur le lit, la main gauche sur la hanche, sa pose est une invite à l'adresse d'un
personnage hors-champ aussi bien que vers le public. Son air rêveur, sa bouche légèrement

128 Michel Cieutat, Les grands thèmes du cinéma américain, Tome 2 : Ambivalence et croyances, op. Cit, p. 47.

129 Eddie Muller, L'art du film noir, Les affiches de l'ge d'or du film policier, op.cit, p. 93.

130 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 10.

entrouverte, son regard brumeux accentuent la dimension érotique. Le peignoir enfin, suggère qu'elle ne pore rien en-dessous - ce qui fait écho à la premiere séquence du film où l'on voit le héros prendre à bord une auto-stoppeuse uniquement vêtue d'un pardessus. Le minuscule revolver qu'elle tient à la main constitue une seconde menace, nettement plus marquée celle celle-là. Ce symbole phallique dont la jeune femme s'est emparée complete l'aspect androgyne des cheveux courts. (...) Un homme ordinaire pourrait succomber à une telle situation - mais pas le cynique Mike Hammer de En quatrième vitesse, qui ne voit là qu'une dame pourvue d'un revolver. »131

Et pourtant Mike Hammer aurait dü de méfier, car Lily Carver n'hésitera pas à s'en servir pour mettre à terre ses rivaux, pour enfin posséder le fameux trésor, qui lui explosera à la figure dans la scène finale.

Dans Shanghai, c'est Mother Gin Sling qui va tuer sa propre fille.

Son acte est dénué de tous sentiments.

Exaspérée par le caractère et la réaction Poppy, Mother Gin Sling n'hésitera pas une seconde à tirer, de plus même si elle sa fille, elle ne l'a jamais connue et n'éprouve aucun attachement. « Ce repas ne pourra finir que dans le sang. Sir Guy, on le devine, apprendra à Gin Sling qu'elle est la mere de Poppy. Mais Poppy se répand en sarcasmes et Gin Sling la tue. »132

Dans La dame de Shanghai, Rita Hayworth se retrouve dans un palais des glaces, une arme à la main prête à tirer sur son amant.

Les miroirs volent en éclat, mais c'est elle qui trouve la mort.

Cependant, même si l'on ne voit pas le meurtre, on apprend que c'est elle qui a tué l'associé de son mari.

Dans Assurance sur la mort, Barbara Stanwyck tire sur son amant, Fred Mc Murray, mais elle le loupe.

« Elle a voulu abattre son amant, Fred Mc Murray, mais le projectile n'avait atteint que
l'épaule ; Murray s'approchait d'elle, prenait son revolver, l'enlaçait doucement, et lui tirait
une balle dans le coeur en murmurant : « Adieu Bébé ». Entre temps, on apprenait d'ailleurs

131 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film Noir, op.cit, p. 83.

132 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 44.

qu'elle avait fait disparaître la premiere épouse de son mari et qu'elle couchait avec le fiancé de sa belle fille. »133

Ici, le revolver peut éventuellement et dans une certaine mesure servir de substitut phallique, car finalement ces femmes ne trouveront jamais de satisfaction sexuelle avec la gente masculine.

En tout cas pas comme les sensations fortes que procurent le fait de tenir une arme à la main et de pouvoir s'en servir.

Dans les autres films, ce n'est pas le pistolet qui tue les victimes.

Par exemple, dans Péché mortel,

« Au cours d'une baignade, Ellen l'encourage (le frère de son mari) à tenter un parcours qui dépasse ses forces.

Il se noie. De sa barque, impassible, elle le regarde couler dans le lac. Richard est accablé de douleur, mais de cette douleur même elle devient jalouse. »

Get acte révèle vraiment la personnalité machiavélique d'Ellen.

Elle pousse le frère de Richard a se fatigué, comme cela, elle n'aura même pas à se salir les mains.

C'est un peu comme dans Un si doux visage.

Diane Treymayne (Jean Simmons), demande à Frank Jessup de réparer la voiture de sa bellemère.

Elle l'observe, et le lendemain son père et sa belle mere, en meurt dans un ravin.

On ne la voit pas le faire, mais c'est elle qui a trafiqué la boîte à vitesse, et lorsque son père passe la première vitesse, la voiture recule directement dans le précipice.

Frank est accusé à tort et va en prison, mais pendant ce temps, Diane est en pleur car elle est aussi à l'origine de la mort de son père qui n'était pas prévu.

Plus tard elle va chercher en Frank en prison, le ramène chez elle, lui promet une bonne situation, et celui-ci va se laisser berner.

Au final, la dernière scène du film est la même, Diane emmène Frank à la mort avec elle, de la même façon qu'elle a tué son père et sa belle mere.

Dans Le facteur sonne toujours deux fois, c'est un plan des deux amants, qui décident de faire croire à un accident.

Sauf que cela ne déroule pas comme ils l'avaient prévu, et le mari se retrouve à l'hôpital pendant quelques jours.

Durant ce temps, les deux complices décident de partir ensemble, mais Cora se rend compte qu'ils ne savent même pas où ils vont, et que ce qui l'intéresse c'est de pouvoir agrandir son restaurant.

Elle demande donc à Frank de partir.

Ils ne voient pas pendant quelques temps, mais un jour, Nick le revoie près d'entrepôts de marchandises, et lui demande de revenir.

Cette fois, ils vont tentés de le tuer, en maquillant le crime dans un accident de voiture ou Nick aurait trop bu pour conduire.

Enfin, dans Niagara, on sait que c'est Marilyn Monroe qui est à l'origine de la décision de tuer son mari.

Le plan est « simple », l'amant doit jeter son mari depuis le site des chutes du Niagara. Seulement, le plan échoue, c'est l'amant qui meurt.

Le mari se fait passer pour le mort, et lorsque Marilyn Monroe se rend à la morgue, en croyant voir son mari mort, elle tombe dans les pommes et atterrit à l'hôpital sans ne plus rien y comprendre.

Voilà donc comment ces femmes sont devenues des criminelles.

Cette liste de films n'est qu'une liste exhaustive, car il y a tout de même plusieurs films de cette période où les femmes sont des criminelles.

Il est possible d'aborder maintenant l'impact social des femmes criminelles dans le film noir américain, car après tout n'est-il pas que le miroir de la société qui les produit, c'est-à-dire la société américaine.

TROISIEME PARTIE :

ENTRE FICTION ET REALITE, LE

FILM NOIR MIROIR DE LA SOCIETE

AMERICAINE.

Chapitre VII

1) L'émancipation de la femme.

« Devant un tel déferlement de misogynie, la femme ne pouvait que se rebeller. C'est ce qu'elle s'empresse de faire en aspirant à l'émancipation. »134

L'émancipation de la femme à l'écran démontre le début d'une ouverture d'esprit quant à la place de la femme de la société américaine.

« L'émancipation féminine existe bien à l'écran, mais présente néanmoins cette certaine amertume, car elle conduit souvent soit à l'échec, soit à l'isolement, soit au statut quo. »135

« A cela une raison historique : accédant à des postes à responsabilité pendant la guerre, les femmes inquiétèrent avec leur nouveau pouvoir économique. Comme pour son style de photographie, son mode de récit et sa peinture de la société, le film criminel choisit pour peindre la femme le malaise et l'inquiétude, le point d'oblique qui dérange l'interrogation, le tremblement intérieur. Est-ce pour cela qu'au cours de ses premières quarante années d'existence, l'Academy of Motion Picture, soucieuse de respectabilité, ne donna aucun oscar à un film criminel ? »136

Même si les femmes ont le droit de vote depuis 1920 aux Etats-Unis, leur statut social est effacé par rapport à celui des hommes.

« (...) dans la mesure où leur lutte pour le droit de vote (1920) n'apparaît rétrospectivement que comme une tardive évidence des progrès constants de la démocratie. »137

Et pourtant le nombre des femmes qui travaillent passe de 2, en 1914, à 10 millions en 1930.

134 Michel Cieutat, Les grands thèmes du cinéma américain, Tome 2 : Ambivalence et croyances, op. Cit, p. 88.

135 Ibid, p. 89.

136 Michel Ciment, /ff FriPff à 11'pFEEC, 13 Cff 1114 trff dff 110PpUT)ff, op. Cit, p. 90.

137 Michel Cieutat, Les grands thèmes du cinéma américain, Tome 2 : Ambivalence et croyances, op. Cit, p. 88.

Le film noir a permis en quelque sorte aux femmes de s'émanciper.

Peut-être parce qu'on ne la représente plus comme une « potiche ".

« Autre influence : le rôle nouveau joué par les femmes. Jusqu'ici, le western les utilisait dans des rôles de fiancées attendries (en général filles de shérif ou de juge), ou dans des compositions d'entraîneuses diaboliques. C'était conforme à la mythologie sommaire du film d'aventures : d'un côté les bons sentiments et le mariage ; de l'autre, le déchaînement des « bas instincts ", la sexualité, le crime. "138

La femme à l'écran s'émancipe par son style de vie.

D'ailleurs, un symbole de cette émancipation, est la cigarette.

Presque toutes les femmes des films noirs étudiés ici, fument, comme les hommes.

Par exemple dans Le faucon maltais, Brigid est une femme qui vit seule, elle est indépendante.

Elle a de l'esprit, car c'est elle qui est l'investigatrice du dénouement de l'histoire.

Dans Shanghai, les femmes sont extrêmement émancipées.

Les trois actrices, ont des vies différentes, mais elles ne dépendent pas directement d'un homme qui l'assume.

Mother Gin Sling, a su malgré son passé se faire une place dans la société corrompue dans laquelle elle vit, c'est une femme de tête.

Elle dirige son casino, et des hommes sont sous ses ordres.

Poppy, vient seule dans ce casino, elle joue aux jeux, découche du domicile familial, et sa relation avec Omar lui donne une bonne raison pour définitivement le quitter.

Quand à Phyllis Brooks, c'est un prostitué qui vit également sa vie en solitaire.

Dans Assurance sur la mort, l'émancipation de Barbara Stanwyck se fait ressentir dans le dédain qu'elle porte envers son mari.

Dans Le roman de Mildred Pierce, le fait que Mildred demande le divorce et se sépare de son premier mari, démontre qu'elle veut tenter de ne pas rester à ses crochets, et elle préfere refaire sa vie, plutôt que de rester avec un homme qui l'a trompée.

138 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 153.

Dans Niagara, Rose est aussi quelque part émancipée. Même si elle est mariée, son mari est ensorcelé par ses charmes, et elle en fait ce qu'elle veut.

Elle sort toute seule, s'habiller de façon provocante, à la différence de Jean Peters (Polly Cutler) qui a un « look » beaucoup plus réservé, et sobre.

En quatrième vitesse, met aussi en scène une femme libre et indépendante. Ses tenues affriolantes imposent sa domination sur les hommes.

Malgré ces exemples de séquences, il y tout de même un côté paradoxale, à l'écran toujours, car certains comportements des hommes prouvent bien leur côté paternaliste.

2) Le paradoxe à l'écran.

Dans Niagara, l'exemple le plus marquant est la remarque que fait le mari de Jean Peters à celui de Marilyn Monroe.

En effet, celui-ci lui dit que sa femme est quelqu'un de bien, et que des comme ça, on n'en trouve plus.

Le mari de Jean Peters lui répond qu'il vrai qu'il ne l'a pas trop mal dressée.

Ici, ce couple est vraiment « conforme » à une certaine norme.

Elle le soutient dans ses affaires, s'occupe de son patron, est docile, et ne rechigne pas.

Quand elle dit avoir vu le mari de Rose, qui est censé être mort, son mari ne la croit pas, lui dit qu'elle délire, et lorsque le policier vient après le coup de téléphone qu'elle lui à donner, son mari ne la soutient absolument pas, au contraire, il insiste en disant que ce n'était qu'un cauchemar.

On croirait voir un père avec son enfant, qui soutiendrait que celle-ci dit des « bêtises ».

Dans Le facteur sonne toujours deux fois, Cora est plus ou moins soumise à Nick. Elle ne s'occupe pas des finances, et sa parole n'a aucunes répercussions sur lui.

Par exemple, lorsqu'elle lui dit de ne pas garder Frank pour travailler et qu'à deux ils sont déjà bien assez, ou qu'elle voudrait changer l'enseigne du restaurant pour redonner un coup de neuf, quand elle lui fait par de son opinion pour la vente du restaurant, qu'elle ne veut pas, puis également sa négation sur la décision de Nick qui veut partir au Canada s'occuper de sa soeur.

On remarque donc la place ambiguë que tient la femme dans la vie de l'homme américain.

Tantôt dominante, tantôt dominée, elle jongle entre ces positions, significatif de la place qu'elle tient dans la réalité sociale.

Chapitre VIII : ... à la réalité sociale.

3) La famille américaine, une forteresse imprenable.

Il y a dans le courant classique du film noir et des femmes criminelles, deux types d'hommes.

D'une part les «négatifs », ces protecteurs ou maris possessifs et incapable de considérer leur compagne autrement que comme leur possession.

Comme le mari de Rose, Georges (Joseph Cotten), dans Niagara, ou bien celui de Cora dans Le facteur sonne toujours deux fois, qui considèrent leur femme comme un objet, qui ne peut pas penser et vivre seule, sans eux.

C'est le même paternalisme dont l'Etat fait preuve avec la population américaine.

D'autres part, les « positifs », un peu comme Sam Spade, et qui en ayant leur propre conception du bien et du mal, reconnaissent aux femmes le droit de s'émanciper.

En devenant femme criminelle, femme fatale, vamp ou nymphomane, la femme tend à supprimer des écrans la mère de famille et la bonne épouse.

Selon Michel Cieutat,

« L'Amérique ne peut exister sans la Mere. Elle est aussi bien la source de maintes joies familiales que la cause de nombreux traumatismes psychologiques. (...) Echec cependant logique, puisque la femme US, dans son innocence, sa force dominatrice et sa vanité, ne fait que renvoyer l'Amérique face à elle-même. »139

Il rajoute à l'égard du rôle de la mere :

« Il ne pouvait mieux dire, car la mere, à l'image de la « Mother Nature », est la souche même de la société américaine. Outre le fait qu'elle donne vie, elle a aussi la responsabilité de la protéger. »140

Quand on se rend compte de cela, on comprend pourquoi l'apparition des femmes criminelles à l'écran à susciter tant de polémiques de la part de la censure, et générer une curiosité et une attitude voyeuriste du côté des spectateurs.

Puis il continue par :

« Devant un tel étouffement matriarcal, il va de soi que les déclarations misogynes abondent dans le cinéma américain. »141

La femme a donc plusieurs « fonctions » pour l'homme.

Elle peut être sa propre mère, sa femme, la mère de ses enfants, sa maîtresse, en cela elle perd de sa féminité.

C'est cela qui trouble les hommes, comment une mere peut elle avoir envie d'être féminine, alors qu'elle reste toute la journée à la maison, pour s'occuper des enfants et tenir la maison ? Ce stéréotype de la famille américaine est donc une barrière pour l'ouverture d'esprit des hommes en ce qui concerne l'émancipation de la femme.

4) Les relations hommes-femmes.

Les hommes aiment-ils ces « nouvelles » femmes libérées, ou plutôt qui se libèrent, et qui acquièrent les mêmes préoccupations qu'eux ?

En effet, les femmes deviennent-elles par là des compagnes plus « complètes », plus en adéquation avec les hommes ?

Ou bien au contraire deviennent elles des rivales, qu'ils craignent, des « êtres » qui n'ont plus envies de s'embarrasser, afin de vivre leurs aspirations sans pudeur, ni hypocrisie et qui les affolent ?

Car indéniablement, elles sont de moins en moins mises à l'écart et sont concernées par les mêmes problèmes ou désirs que les hommes, au sein de cette société américaine.

Michel Cieutat explique :

« D'autre part, nombreuses sont les femmes qui portent la culotte, cette fois au sens littéral de l'expression, mais qui, devant l'amour et devant l'amour seulement, acceptent de se féminiser (...) Ainsi représentée, la femme n'est jamais ridicule. Bien au contraire, elle confirme, à travers une forme d'humour quelque peu distanciatrice, que l'Amérique doit aussi sa force à des femmes. Mais l'homme s'arrange quand même pour dénoncer cet abus de pouvoir en mettant en scène, avec une certaine régularité, des créatures aux cheveux courts - coupe capillaire qui fut pendant longtemps un interdit biblique notoire - à qui il attribue des rôles ~ sataniques, histoire d'avoir le dernier mot : Mary Astor dans The Maltese Falcon, Rita Hayworth dans The Lady From Shanghai (...). »142

Toutefois, la séduction féminine est toujours synonyme de piège, d'artifices mensonger. Ils voient la femme comme une menace potentielle pour leur statut, leur reconnaissance sociale ou leur supériorité.

Quelque part ils ont peur et de ne plus trouver leur place dans ce monde de femmes, et cherchent donc à affirmer leur prégnance, mais également que les femmes prennent tout simplement cette place.

Ils ne faut que les femmes oublient qu'elles vivent dans un monde qui a été plus ou moins conçu et dirigé le plus souvent par des hommes, et que la place qu'elles occupent est usurpée.

Cette période est aussi le début des prémices des combats pour l'indépendance, ce qui explique peut-être ce caractère d'une féminité dévorante.

Mais accorder une place dérisoire aux femmes relève avant tout encore une fois du fantasme. Celles-ci sont en effet plus nombreuses que les hommes, leur espérance de vie est supérieure, et elles font preuves d'un acharnement particulier afin de s'immiscer dans tous les domaines de la vie publique.

A cette période, les hommes traversent donc une crise de doute fac aux femmes.

« Le male américain a donc besoin d'un dopage pour se hisser à la hauteur de sa compagne. Certains ne supportant plus le matriarcat made in USA, décident tôt ou tard d'en finir avec lui. »143

La place de la femme américaine n'est donc pas très claire, surtout pour les hommes qui sont partagés entre être protecteur, solide et responsable, ou bien à l'inverse être esclave, victime de leur pulsion et de l'aspect charnel de la femme.

Chapitre IX : Le Film Noir, vecteur de valeurs

3) Une morale tragique.

0 On touche ici à une question plus générale : celle des rapports entre le genre noir et la morale. Cette complaisance pour l'envers du décor, pour une jungle où, derriére le crime, le chantage et la corruption, tous les désirs sont à l'aff~t, ne donne t-elle pas une sorte d'accent anarchisant à toute la série ?

Ecoutons pourtant l'avis d'un H.F. Rey, écrivant à propos d'Assurance sur la mort : (Le film) 0 devient grâce au personnage incarné par Robinson, une sorte de leçon de morale se terminant par l'obligatoire confession quasi publique, dans le meilleur style de l'Armée du Salut. Ici on a illustré le fameux dogme du péché trop lourd à supporter. A aucun moment de cette bande, la morale ne perd ses droits. Bien sûr on y montre le diable sous les traits étonnamment érotiques de Barbara Stanwyck, mais ce n'est que pour obéir à la tradition chrétienne, qui n'hésite pas à montrer le mal quand il le faut. Dans ce film, il s'agit de démontrer, comme dans tous les films de gangsters, que le crime ne paie pas et ne peut pas payer. C'est une propagande intelligente qui, loin de nier certaines tares sociales, les décrit complaisamment pour mieux les stigmatiser. »144

Raymond Borde et Etienne Chaumeton rajoute :

0 Appliquées à la série tout entière, ces lignes appelleraient plusieurs réserves. Il est vrai que les moralistes chrétiens peignent le Mal quand ils le jugent utile : mais rarement sans 0 délectation morose » (pour emprunter leur langage), et toujours pour en donner une image repoussante. Or, le film noir tend à lui conférer des côtés attirants, tout en rejetant des ombres patibulaires sur les représentants de l'Ordre et de la Justice. Il est vrai que l'histoire finit mal pour les coupables (même dans Le démon des armes) : la prison, la folie ou la mort mettent un terme à leurs forfaits. Mais ce dénouement semble bien être aussi, dans pas mal de cas, l'issue

144 Ecran français, n° 157, in Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941- 1953), op. Cit p. 44.

la plus vraisemblable, du point de vue réaliste lui-même. Du reste, l'effet trouble d'un film sur le spectateur est-il complètement effacé par les cinq dernières minutes ? »145

Un film qui n'a pas été étudié ici, semble tout de même intéressant pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton :

« On terminera cette énumération sur La femme à L'echarpe pailletee (1949) qui porte la signature d'un Siodmak un peu à bout de souffle. Le sujet est noir : une femme se sert d'un procureur pour mener à bien des entreprises criminelles et le délaisse, quand elle n'a plus besoin de lui, pour un gluant maquereau. Ce requin femelle est incarné par Barbara Stanwyck qui s'est fait une spécialité de ces rôles de « tueuses dévorées de vices ». Et si la morale triomphe dans toutes les dernieres images, c'est par un coup de pouce qui ne doit pas tromper grand monde. »146

Le moral à travers le film noir s'exerce à travers tous les domaines.

Pour l'argent par exemple :

« (...), Mary Astor, Sydney Green street, Peter Lorre dans The Maltese Falcon, Rita Hayworth dans The Lady From Shanghai, Barbara Stanwyck dans Double Indemnity. sont tous des «money lovers», comme les appelle Stuart Whitman dans These Thousands Hills. Tous sont irrémédiablement punis par Hollywood pour avoir détourné de l'argent da sa fonction puritainement rédemptrice et l'avoir adoré comme le Veau d'or américain. (...) L'argent, selon Hollywood, doit titre considéré à la fois comme un outil de travail et une récompense spirituellement méritée au sein de la communauté américaine. Convoité et obtenu de manière cupide, il perd toute sa valeur sur le plan national et divin. »147

Mais également pour le sexe, la violence,.148

Cette morale de l'Amérique, qui se veut puritaine, va traverser l'Atlantique, pour débarquer en France, ou la société ne vit pas du tout les problèmes sociétaux.

145 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 187.

146 Ibid, p. 108.

147 Michel Cieutat, Les grands thèmes du cinéma américain, Tome 2 : Ambivalence et croyances, op. Cit, pp. 120-121.

148 Voir annexe 2.

4) L'impact du film noir américain dans le monde : l'exemple de la France.

On rappellera encore le caractère démoralisant, pour le spectateur, du monde corrompu où se complait la série. Il reste pourtant que la présentation à doses massives, des années durant, de films criminels a vraisemblablement, en période de tension internationale des effets dangereux sur l'agressivité collective du public, même si la production de ces bandes a eu seulement pour mobile des considérations financières.

Un film noir à la française existe également.

Selon Raymond Borde et Etienne Chaumeton,

« La saison 1954-1955, a été situé en France sous le signe du « noir ». (...) Plus tard, les sociologues devront se pencher sur ce phénomène. Pourquoi le cinéma français a-t-il repris, avec dix ans de retard des formules qui sont aux U.S.A en perte de vitesse ? Peut-être assure til la relève du cinéma américain ? Il y aurait donc une demande constante et incompressible de spectacles violents. (...) Les tueurs sont revenus d'Outre-mer couverts de médailles. Et l'on est frappé par la jeunesse du public (beaucoup de garçons et de filles de 16 à 20 ans) lorsqu'un film noir passe dans une salle. (...) Autre facteur : la détente internationale. La série noire américaine avait pris le grand départ en 1945, c'est-à-dire à la fin des hostilités. Elle s'adressait aux aventuriers passifs du temps de paix. Le tableau qu'elle donnait des Etats-Unis - une société vénale et vicieuse - n'aurait guère convenu à l'idéologie d'un pays en guerre. On peut supposer que la série française doit, elle aussi, son développement aux chances de paix qui se précisent, à l'euphorie des négociations, au reglement de l'affaire indochinoise. »149

Plus loin, en parlant des films noirs français, ils remarquent que :

« Tous ces films ont été une caricature de la série noire. Ni l'érotisme de Gilda, ni l'onirisme forcené de La dame de Shanghai, ni la rigueur de La femme à abattre n'avaient la moindre chance d'intéresser les producteurs qui font du cinéma comme on fait le trottoir.

149 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), op. Cit pp. 159-160.

Mais depuis l'an dernier, quelques hommes ont créé une école française du film noir, ou « noirci » qui a d'autres ambitions. Jusqu'ici trois formules ont été exploitées :

- la psychologie criminelle basée sur le suspense (Obssession, Bonnes à tuer, Les diaboliques),

- le documentaire policier (Razzia sur la chnouf),

- le film sur le milieu (Touchez pas au grisbi, Du rififi chez les hommes). »150

Le film noir américain a donc marqué les esprits français, et ont inspiré certains réalisateurs. Cependant, il faut noter que l'apparition des films noirs en France remonte à 1946.

« C'est au cour de l'été 1946 que le public français eut la révélation d'un nouveau type de film américain. En quelques semaines, de la mi-juillet à la fin du mois d'aoüt, cinq films se succédèrent sur les écrans parisiens, qui avaient en commun une atmosphère insolite et cruelle, teintée d'un érotisme assez particulier : Le faucon maltais de John Huston, Laura de Otto Preminger, Adieu ma belle d'Edward Dmytrick, Assurance sur la mort de Billy Wilder et La femme au portrait de Fritz Lang.

Longtemps coupée de l'Amérique, mal informée de la production d'Hollywood pendant la guerre, vivant dans le souvenir de Wyler, Ford et de Capra, ignorant jusqu'au nom des nouvelles étoiles de la mise en scene, la critique française ne vit pas toute l'ampleur de cette révélation. »151

CONCLUSION :

A la fin des années 1950, le film noir tend à disparaître des écrans américains.

A cela plusieurs éléments de réponse, dont entre autre l'apparition de la télévision, le feuilleton policier, le poids du Maccarthysme qui fait la Chasse aux sorcières contre le communisme.

« La Chasse aux sorcières n'est pas la seule cause de la raréfaction du film noir sur les écrans américains à partir de la fin des années cinquante. La progression de la télévision dans les foyers y joue aussi son rôle. Les familles y voient défiler des séries conçues sur mesure. Le feuilleton policier s'y installe et se garde bien de démarquer les subversions du « cycle noir » par crainte de la censure, qu'elle soit celle de l'administration fédérales ou des sponsors publicitaires. »152

Encore une fois, le cinéma est en adéquation avec l'histoire, car en 1955, cela maintenant dix ans que la Guerre Froide sépare le bloc américain, contre le bloc communiste de l'ex URSS. Les interrogations des années soixante évoluent vers un autre style cinématographique, comme le film d'espionnage (la série des James Bond).

Les femmes y sont toujours représentées comme des criminelles ou des femmes fragiles, mais le noyau du film est basé sur l'intrigue, et la victoire des américains contre le mal qui les entoure.

Le film noir subsiste, mais il n'est plus « le genre » dominant.

Comme le remarque Nöel Simsolo,

« Depuis le début des années soixante, le film noir subsiste donc en s'exilant dans des genres en agonie. Il inspire néanmoins des auteurs cinéphiles. Il déclenche aussi des systèmes nouveaux et devient mythologie populaire avec une esthétique en éternelle mutation. »153

Le film noir est donc rentré dans l'histoire du cinéma.

Il faut également noter l'apparition de la couleur, qui est comparable à l'apparition du cinéma parlant.

Alors que le noir et blanc exprimait parfaitement le conflit entre le mal et le bien, cette apparition correspond à une période pleine d'incertitudes.

152 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, op. Cit p. 421.

153 Ibid, p. 425.

Celle-ci va permettre une diversification des thèmes abordés au cinéma, et le film noir sera revisité en couleur qu'à la fin des années soixante, seulement il prendra le nom de films criminels.

De plus, la société américaine ne s'en sort pas de ses crises internes.

Selon Michel Ciment :

« Le conflit du Viêt-Nam, l'affaire du Watergate, l'insécurité urbaine, les émeutes des ghettos noirs, les mouvements gay et féministe nourrissent depuis un quart de siècle un flot de films où s'expriment la peur, voire la paranoïa d'une société aux abois. »154

Pourtant, pour certains réalisateurs contemporains, le film noir est un magnifique travail d'esthétisme, et c'est une grande source d'inspiration.

Justement, cette nouvelle ère permet d'avoir une approche plus directe des themes que la censure avait occultée, comme par exemple la réadaptation de Le facteur sonne toujours deux fois de Tay Garnett.

En 1981, le réalisateur Bob Rafelson reprend l'intrigue, qui souligne nettement plus le caractère sexuel originel du roman de James Cain.

« Entre Lana Turner, lisse et « propre » (short blanc, allure sportive, présentation soignée) et Jessica Lange, la sensualité à fleur de peau (mal coiffée, le mégot aux lèvres, présentation négligée, les mains dans la farine), la différence est de taille. Rafelson et son scénariste, David Mamet, peuvent aller jusqu'au bout des implications du roman de Cain - le meurtre participe du désir sexuel - qui, rappelons-le, avait effarouché Hollywood au point que le sujet était resté dans les tiroirs plus de quinze ans. »155

Les américains reconnaissent que le film noir fait intégralement parti de leur culture.

De jeunes réalisateurs, comme Quentin Tarantino, vont donner un coup de neuf à un nouveau genre de films.

Que le fil conducteur soit une histoire de Gangsters, de femmes fatales ou criminelles, ils rendent hommage au film noir.

D'ailleurs, les femmes criminelles reviennent en force à partir des années quatre-vingt.

Que cela soit Sharon Stone dans Basic Instinct de Paul Verhoeven (1991), Laura Elena Harring dans Mulholland Drive de David Lynch (2001),

154 Michel Ciment, Le crime à l',cran, Une histoire de l'Amprique, op. Cit, p. 100.

155 François Guérif, Le film noir américain, op. Cit, p. 320.

« Nouvelles femmes fatales, garces sexy, elles perpétuent la tradition de leurs aînées, mais affichent leur agressivité sexuelle et perdent en ambiguïté ce qu'elles gagnent en violence. »156

Les interrogations des hommes sur les femmes n'ont pas changé, de plus l'Histoire n'a fait que complexifié les choses, avec la libération de la femme dans les années soixante-dix, la légalisation de l'avortement (seulement dans certains Etats des Etats-Unis), l'ascension sociale de femme, qui, à moindre échelle toujours de nos jours, accède à des hauts postes à responsabilité.

Les peurs des hommes sont les mêmes, seulement elles sont plus qu'exacerbées.

Ce nouveau mouvement va devenir le néo-polar, qui lui aussi donne un reflet complexe de la société.

Mais à la différence du film noir, on remarque que le poids de la censure et de la morale ont relâché leur emprise, car dans les films du néo-polar, l'individualisme est poussé à son extrême.

Sans doute, le film qui marque le plus cette reconnaissance sociale, et fait de la femme un « homme » à sa manière, un être qui n'a plus besoin de lui pour vivre, ni pour faire des enfants, est Kill Bill de Quentin Tarantino, qui date de 2004.

L'histoire de cette femme, qui après avoir frôlée la mort en se faisant attaquée le jour de son mariage par les « employés » de son ancien amour, Bill, va au fur et à mesure, éliminer tous ceux qui lui ont fait du mal.

Sa soif de vengeance est énorme, les bains de sang et les carnages sont les caractéristiques des scènes où la violence règne en maître, mais finalement, dans sa course folle, elle arrivera à retrouver son bien le plus précieux, sa fille, que Bill a gardée avec lui.

Ce film de Quentin Tarantino n'est-il pas le miroir de ce qu'est la société de nos jours ? N'a-t-il pas voulu nous montrer que derrière les meurtres et les tueries, le fond psychologique révèle bien l'indépendance acquise de la femme, qui peut être forte et se débrouiller seule. Elle n'est plus sous le couvert de l'homme.

Et l'on peut se demander, si finalement la femme ne serait pas la représentation de la société elle-même ?

Car si la femme n'est plus dans l'ombre de l'homme, la société vivante, pas celle des institutions, lisse et formatée en apparence, n'est elle aussi parfois incontrôlable, c'est une jungle ou chacun se bat pour survivre.

Si l'on relie cinéma, histoire et représentation des événements, peut-être que la société « humaine », et non pas économique, politique, religieuse, ..., cherche de plus en plus à s'émanciper du protectionnisme et du paternalisme des Etats, des Nations et des Institutions. Et l'on peut remarquer qu'au fil de l'histoire, que cela soit avec les révolutions (comme la révolution française de 1789, la chute du mur du Berlin en 1989,...) les Hommes se tournent de plus en plus vers cette liberté, cette émancipation, avec entre autre l'avènement de la technologie et d'Internet.

Ce qui amène à se demander comment l'on interprétera ces films récents, avec plus de recul, dans le futur ? , et si l'homme et la femme ne finiront pas par créer une dualité omniprésente entre eux.

Article de Marc Ferro sur la relation entre histoire et cinéma.

Les principes du Code Hays.

Rapport du Code Hays sur le film Assurance sur la mort.






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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera