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Les Comités de Défense de la Révolution(CDR) dans la politique du Conseil National de la Révolution(CNR)de 1983 à  1987: une approche historique à  partir de la ville de Ouagadougou

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par Kakiswendépoulmdé Marcel Marie Anselme LALSAGA
Université de Ouagadougou - Maîtrise 2007
  

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IV. 3. 2. Les CDR et les juridictions populaires de la revolution

Le Tribunal Populaire de la Révolution (TPR) fut la toute première juridiction populaire créée par le CNR. Il a été créé par l'Ordonnance N°83- 18/CNR/PRES du 19 octobre 1983.196 Selon l'Article 2 de ladite ordonnance, le TPR avait pour compétence le jugement des crimes et délits politiques contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, des cas de détournement de deniers publics dont il jugeait utile de se saisir et de façon globale de tous les crimes et délits commis par des fonctionnaires, agents et préposés de l'Etat dans l'exercice de leur fonction. Dans la ville de Ouagadougou, le TPR siégeait à la Maison du peuple. Notons au passage que cet édifice fut l'oeuvre de l'ancien président Maurice YAMEOGO qui sous la première République instaura le parti unique, le RDA. Ainsi, l'épigraphe qui l'arborait en sa façade principale était : « La Maison du Parti ». A la faveur des évènements du 03 janvier 1966, cette maison fut rebaptisée « Maison du Peuple ». Ce fut dans cet immeuble situé au coeur de Ouagadougou que le peuple devait juger ses oppresseurs.

Le choix de ce lieu n'était pas fortuit. L'objectif du CNR était de bénéficier d'une assistance populaire. Pour cette raison, les séances de TPR avaient été ouvertes à tous ceux qui voulaient suivre les procès. Les débats étaient retransmis sur les antennes de la radio nationale pour permettre à qui le voulait bien d'être à l'écoute. Au-delà de la volonté de cette matérialisation de la participation populaire, comprenons que cette propagande visait à offrir au TPR l'opportunité de jouer son rôle dans le projet révolutionnaire de conscientisation et de responsabilisation de la société.

Les CDR participèrent très largement aux assises de TPR en tant que juges populaires. Leur implication créa une certaine dualité juridictionnelle qu'il est intéressant ici de mentionner. D'un côté les magistrats classiques formés pour être compétents, et de l'autre, les juges dits populaires représentés par les CDR qui étaient creux en matière de judicature. Ce dualisme fut à l'origine de remous entre le CNR et le monde juridique classique qui voyait son domaine de compétence violé. Il y avait effectivement des magistrats qui contestaient cette innovation. A leur sujet, Thomas SANKARA déclara à l'assistance lors des premières assises : « Laissez les tenants de la démocratie dite pure a leurs pleurnicheries et a leurs atermoiements. Laissez s'indigner et se scandaliser les juristes et autres érudits, tous obnubilés par des procédures et des protocoles dont ils n'ont pas encore saisi les intentions mystificatrices pour le peuple, et

73 faisant du magistrat drapé dans sa toge et affublé de son épitoge, parfois en perruque, un guignol qui suscite chez nous révolutionnaires, de la compassion M.197 Selon l'entendement du CNR, les TPR constituaient avant tout une juridiction populaire. En tout état de cause, le peuple devait être absolument représenté par les CDR qui étaient son organisation authentique. A ce propos, Benoît LOMPO affirme : « Dans la conception révolutionnaire de la justice, il y a cette conviction que la perfection de l'ordre judiciaire est que la justice se trouve a la portée de chaque citoyen. Pour atteindre cet objectif, c'est-ddire l'acces a la justice, il faut associer les citoyens a la solution des litiges dans une procédure judiciaire simplifiée ».198 Ainsi, avec l'Ordonnance du 19 octobre 1983, le jury se composait de dix-sept membres dont dix membres CDR, trois magistrats de l'ordre judiciaire, trois militaires et un gendarme.

Le 30 janvier 1984, les textes régissant les TPR furent modifiés.199 A cette occasion, le présidium fut réduit à onze membres dont sept titulaires comprenant cinq militants CDR, un magistrat, un militaire ou un gendarme.

On constate dans tous les cas que la prépondérance numérique des CDR était incontestable alors que ceux-ci en matière de jurisprudence étaient pratiquement incultes. Ce fut cet état de fait qui fut à l'origine des dissensions entre le CNR et le monde judiciaire que nous avons soulignées antérieurement. Le SAMAB n'avait pas tardé à accuser les CDR de peser sur les décisions des juges lors des séances des TPR.

La reconnaissance des difficultés entre le pouvoir et le monde judiciaire dans son ensemble est donc une réalité qui s'impose. Ceux qui ne s'étaient pas abstenus de faire montre de leur désaveu vis-à-vis des procédures du CNR avaient été très vite sur la sellette. On peut donner en exemple le cas de Halidou OUEDRAOGO le magistrat qui lors des premières assises présida le jury : de la collaboration, celui-ci passa à la contestation en militant dans le SAMAV devenu SAMAB à partir du 04 août 1984. Aussi dans ce contexte révolutionnaire, l'ordre des avocats n'avait-il pas été traité avec considération. En effet, le CNR nia la nécessité des avocats dans l'exercice des tribunaux révolutionnaires. Par conséquent, les accusés assuraient eux-mêmes leur défense. Les avocats « étaient des types qui pouvaient transformer la vérité en mensonge et le mensonge en vérité »200 et « qui par des procédés dilatoires et au moyen d'un

197 Discours d'ouverture des premières assises des TPR in CARREFOUR AFRICAIN N°812 du 06 janvier 1984, page 23.

198 Myemba Benoît LOMPO, « Cent ans de la justice burkinabé » in Burkina Faso, cent ans d'histoire, 1895 - 1995, 1999, Paris - Ouagadougou, Karthala - PUO, tome 1, page 1206.

199 Ibidem.

200 Propos de Pierre OUEDRAOGO in LE MONDE /1984 cités par ENGLEBERT Pierre, 1986, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 176.

74 formalisme désuet retardent l'issue des proces ».201 Ce fut dans ces conditions, faites de contradictions, que « les bourgeois d'Etats » et « les contre révolutionnaires » furent jugés.

Les premières assises des TPR eurent lieu le 03 janvier 1984. A cette occasion, Thomas SANKARA déclarait : « Notre justice populaire se distingue de la justice d'une société oft les exploiteurs et les oppresseurs détiennent l'appareil d'Etat en ce qu'elle s'attache a mettre a jour, a dévoiler publiquement tous les dessous politiques et sociaux des crimes perpétrés contre le peuple et a amener celui-ci a saisir les portées afin d'en tirer les lecons de morale sociale et de politique pratique. Les jugements des TPR permettront de révéler aux yeux du monde les plaies du régime néocolonial en livrant les matériaux de la critique et en dégageant les éléments d'édification d'une société nouvelle ».202 Dans cette logique, furent jugés les anciens chefs d'Etat Sangoulé LAMIZANA, Saye ZERBO, Jean-Baptiste OUEDRAOGO, le Premier ministre Joseph CONOMBO, le président de l'Assemblée nationale Gérard Kango OUEDRAOGO pour ne citer que ceux-là. Jusqu'à l'essoufflement du CNR, plusieurs personnes, hommes politiques, opérateurs économiques, leaders syndicaux.... furent traduites devant les TPR qui jusqu'à leur suppression en 1990 bénéficièrent toujours du même intéressement populaire.

Le bilan qu'on peut alors faire des TPR est qu'ils ont formé des innovations juridiques révolutionnaires qui ont vraiment fonctionné et marqué l'esprit des gens. Les effets recherchés par leurs initiateurs s'étaient produits. Le CNR fit des TPR des créneaux de diffusion du message révolutionnaire. Il était question donc de légitimer la révolution et ce fut la raison de la volonté de conscientisation et de responsabilisation du peuple par ces TPR. Arriver à montrer l'aspect bienfaiteur de la révolution concourait à son acceptation, sa sauvegarde et par-delà sa légitimation. Il faut ajouter que les TPR ont été aussi des moyens de dissuasion et de coercition politique. La réforme de la justice et le maillage de son administration par les CDR visait à paralyser toute contestation et à ridiculiser juridiquement les opposants du régime : « En effet, le droit est le reflet de la conscience sociale du moment. Il est un moyen de domination et il n'a jamais eu pour fonction a travers l'histoire que de protéger et de maintenir un ordre social déterminé. Et les dirigeants du CNR l'avaient bien compris ».203 La finalité des TPR était de désarmer publiquement les contestataires de la révolution par l'usage du droit comme outil de liquidation politique. Il s'agissait de convaincre le peuple que les contre-

201 François et Nicole ROGER, « La justice populaire au Burkina Faso » in (revue) Justice du syndicat de la magistrature de janvier 1987 cités par Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso, les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 127.

202 Thomas SANKARA lors de l'ouverture des premières assises des TPR in CARREFOUR AFRICAIN N°812 du 06 janvier 1984, page 23.

203 Myemba Benoît LOMPO, Cent ans de la justice burkinabe, in Burkina Faso, cent ans d'histoire, 1895 - 1995, 1999, Paris - Ouagadougou, Karthala - PUO, tome 1, page 1200.

75 révolutionnaires avaient tort et conspiraient contre les intérêts du peuple. Au total, c'était l'ordre politique et socio-économique révolutionnaire qui était légalisé et légitimé.

Dans le souci de mieux agir sur la conscience de la population, le CNR créa en août 1985 d'autres tribunaux populaires qui devaient servir d'écoles de moralisation révolutionnaire à la base. Il s'agissait des TPC, des TPD et des TPA. Ces tribunaux ont été installés par l'Ordonnance n°85-037/CNR/PRES du 04 août 1985.204 Comme les TPR, toutes ces institutions judiciaires avaient pour caractéristique commune, la conception révolutionnaire du CNR. Toutes ces juridictions couvraient l'ensemble du territoire ; on pouvait dénombrer 7000 TPC, 300 TPD et 30 TPA.205 Elles étaient administrées par les CDR et de façon exclusive. Les séances de jugement étaient publiques et se tenaient généralement dans les permanences CDR. Les attributions de ces tribunaux avaient été précisées par le Décret N° 85-405/CNR/PRES/MED/ MN du 04 août 1985.206

Les TPC devaient résulter des tentatives de conciliation dans les situations troublant la vie sociale. Par exemple les querelles familiales, les disputes de voisinage, les spéculations sur les prix des produits de première nécessité. Les sanctions prononcées consistaient en l'exécution de travaux d'intérêt commun. Ils étaient aussi déclarés compétents pour régler des contentieux dont l'intérêt n'excédait pas cinquante mille francs.

Lorsque les TPC n'arrivaient pas à trouver une conciliation ou lorsque l'affaire était très délicate, ils s'en remettaient aux TPD qui statuaient. Les TPD pouvaient faire des jugements. Ils avaient également la capacité d'infliger des amendes n'excédant pas 200000 francs CFA. Cependant, il ne leur était pas reconnu le droit de prononcer des peines d'emprisonnement. Aussi n'étaient-ils compétents que pour les petits conflits de travail. La gestion de l'état civil leur était également dévolue : actes de naissances, pièces d'identité, certificats de résidence et autres... Les juges étaient élus au comité départemental des CDR à l'exception du président et son adjoint, nommés par le ministre de la justice. Faisons remarquer qu'un TPC dans un secteur dans la ville de Ouagadougou avait ses compétences étendues à celle d'un TPD.

Les TPA siégeaient au niveau des provinces. Chaque TPA comportait deux magistrats professionnels qu'entouraient des juges populaires composés de militants CDR. Les TPA étaient des juridictions de recours contre toute décision rendue par les

204 Ordonnance N°85-037/CNR/PRES du 04 août 1985 portant création et organisation de tribunaux populaires de secteurs, villages, départements et provinces au Burkina Faso in CARREFOUR AFRICAIN N°896 du 16 août 1985, page 15.

205 Myemba Benoît LOMPO, Cent ans de la justice burkinabe, in Burkina Faso, cent ans d'histoire, 1895 - 1995, 1999, Paris - Ouagadougou, Karthala - PUO, tome1, page 1204.

206 Décret N°85-405/CNR/PRES/MED/MIJ portant organisation et fonctionnement des tribunaux populaires de secteurs, villages, départements du Burkina Faso in CARREFOUR AFRICAIN N°897 du 23 août 1985, page 26.

76 TPD ou les TPC. Ils rendaient des décisions qui n'étaient pas susceptibles de divorce et de filiation, et statuaient sur les infractions sur lesquelles l'application du code pénal était nécessaire.

Pour terminer, revenons aux motivations qui avaient conduit le CNR à créer ces juridictions pour appuyer les TPR qui existaient déjà. Nous voudrions ajouter deux observations. D'abord, la création de ces juridictions de proximité manifestait la volonté de décentralisation et de démocratisation de la justice, l'approcher du peuple ou du justiciable, et s'en servir comme bastion contre les opposants : « La Justice sous la Révolution Démocratique et Populaire sera toujours celle des opprimés et des exploités, contre la justice néo-coloniale d'hier qui était celle des oppresseurs ».207

Enfin, il était de la démarche du CNR de faire ombrage au droit coutumier qui permettait aux chefs traditionnels de jouer le rôle de juge dans leurs quartiers. Le législateur révolutionnaire pensa que ce régime coutumier était rétrograde et injuste. Aussi consacrait-il l'impotence des chefs traditionnels qui étaient déclarés « danger numéro un » de la révolution. Finalement et logiquement, le nouveau découpage administratif et la réforme judiciaire, selon le projet révolutionnaire, devaient concourir à l'anéantissement du système traditionnel, en dotant chaque secteur d'un régulateur juridique qui devait rendre caduque la fonction de judicature que s'attribuait la coutume.

En définitive, l'institution des tribunaux populaires a été l'une des oeuvres les plus originales effectuées par le CNR en s'appuyant sur les CDR. Construite pyramidalement à l'image de l'administration révolutionnaire, la réforme judiciaire a constitué avec les CDR, des moyens d'expression et d'action pour la justification et la défense de l'ordre révolutionnaire. L'obédience marxiste-léniniste de cet ordre allait susciter un dialogue difficile avec les milieux religieux que nous analysons dans la suite de notre travail.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle