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Le pouvoir de Standard and Poor's, illustration de la raison néolibérale

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par Elise Fraysse
Université Lumière Lyon 2 -  2012
  

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B) L'immunité politique et juridique de Standard and Poor's

Dans la mesure où ceux qui composent Standard and Poor's ne sont « que » des experts indépendants, ils jouissent de la protection du premier amendement de la Constitution étasunienne, qui protège la liberté d'expression. S'il semble que cette protection s'amoindrisse171(*), elle reste toujours largement de mise. Standard and Poor's étant devenue une firme transnationale, les répercussions de son activité ont pu se faire sentir dans chaque Etat du monde. Pour autant, pendant longtemps, il s'agissait d'un « angle mort de la réglementation »172(*). Si ce n'est plus tout à fait le cas aujourd'hui, les réglementations en la matière sont encore parcellaires. Rien n'est institué au niveau de l'Union européenne, ni aux Etats-Unis, même si cela a été évoqué173(*). En France, par exemple, un mécanisme de responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle n'a été instauré qu'en 2010174(*).

Les Etats ont donc été tardifs pour adopter des règles contraignant un tant soit peu l'activité des agences de notation, ou du moins pour évoquer cette possibilité. En évinçant tout système de responsabilité, il y a là le signe - encore une fois - que les agences de notation ne sont pas perçues comme des entreprises comme les autres. Leurs avis ont pu, par là même, acquérir une autorité supplémentaire, un statut de « fait » et non d'opinion175(*). Plus la contestation se fait difficile, et plus les avis de Standard and Poor's ont acquis une prééminence, éloignant un peu plus la possibilité d'engager sa responsabilité. C'est donc un cercle vicieux qui s'est mis en place.

L'immunité de Standard and Poor's n'est bien sûr pas totale, de sorte qu'il est possible de l'accuser d'abus de position dominante par exemple mais la consistance de la notation elle-même ne peut jamais être invoquée devant les tribunaux176(*). Pourtant, ses erreurs ne manquent pas.En effet, Standard and Poor's, entre autres, n'a pas su anticiper, par exemple, la faillite de la société Enron en 2001 ; elle a joué un rôle relativement important dans la crise des subprimes en 2008 ou encore dans la crise grecque en 2010. Plus récemment, fin 2011, Standard and Poor's a abaissé la note de la France « par erreur », alors même que cela a une incidence sur les marchés financiers177(*).

Ce n'est pourtant que lors de ces dernières années que les Etats ont osé s'attaquer timidement à elle. Il y a bien là le signe que la politique, portée par les Etats, est impuissante, ou du moins, se croit impuissante, face aux agences de notation. Standard and Poor's, produit et vecteur du néolibéralisme, a bien réussi à inculquer à l'Etat que celui-ci ne devait pas intervenir. Les mots de Foucault permettent d'éclairer cela : « Tu ne dois pas, pourquoi ? Tu ne dois pas parce que tu ne peux pas. [...] Pourquoi tu ne peux pas ? Tu ne peux pas parce que tu ne sais pas et tu ne sais pas parce que tu ne peux pas savoir »178(*) dirait l'homo oeconomicus au souverain. Puisque l'Etat ne sait pas, il est par conséquent difficile pour lui d'engager la responsabilité de ceux qui, par définition, savent.

L'absence de toute législation pendant tant d'années a permis à Standard and Poor's de grandir sans entrave sur les marchés financiers et dans le monde entier. Le type de législation mise en oeuvre aujourd'hui est également révélateur de la nature des rapports que les Etats veulent entretenir avec les agences de notation. L'article L.544-5 du Code monétaire et financier permet aux « clients et aux tiers » d'engager la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle des agences de notation financière. L'Etat, lui-même client de celles-ci, n'a donc pas utilisé ses moyens de puissance publique pour prévenir ou anéantir les imprudences de celles-ci, mais a usé d'un mécanisme de droit privé, hors du droit public (thesis), « tributaire d'une volonté politique »179(*).La politique n'a donc aucun ascendant sur elles.

De par sa nature et de par sa composition, Standard and Poor's est dont profondément apolitique et incite ainsi les Etats eux-mêmes à s'en émanciper. Mais cette fuite du politique est d'autant plus présente dans la façon qu'a Standard and Poor's de réguler le marché obligataire.

* 171 Le 2 septembre 2009, un juge de New York a décidé que la protection sous le premier amendement ne valait que pour les avis rendus publics : Ordonneau (Pascal), Les agences de notation sont-elles enfin condamnables ?, Les échos, 8 mai 2012

* 172Rapport Philippe Houillon, Commission des lois, Assemblée nationale, n° 772, avr. 2003, p. 14, cité dans Couret (Alain),Les agences de notation : observations sur un angle mort de la réglementation, Revue des sociétés 2004, p. 765

* 173 « Le Wall Street Reform and Consumer Protection Act, adopté le 29 juin 2010, a expressément admis la possibilité d'introduire des actions en responsabilité contre les agences » écrit Audit (Mathias),Aspects internationaux de la responsabilité des agences de notation, op. cit., p. 581

* 174 Article 1011 de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, codifié aux articles L.544-1 et suivants du Code monétaire et financier

* 175Montagne (Sabine), Des évaluateurs financiers indépendants ?, op. cit., p. 143

* 176Idem.

* 177 Le Monde et AFP, Standard and Poor's annonce par erreur la dégradation de la note de la France, Le Monde, 11 novembre 2011

* 178 Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit.,p. 286

* 179Garapon (A.), La raison du moindre Etat, op. cit., p. 29

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld