1)- Les obstacles
endogènes allant à l'encontre de l'intégration
régionale en
Afrique
L'observation de la situation générale de l'Afrique
nous fait remarquer trois causes principales qui sont de nature à
freiner l'intégration régionale en Afrique :
- l'instabilité politique chronique.
- la multiplicité des organisations
internationales parfois concurrentes.
- la faiblesse du niveau de développement
économique.
Depuis les années 1960, les Etats du tiers-monde,
notamment africains, sont des foyers de tension et de déplacement de
population. Par exemple en 1993 on relevait dans le monde quatre zones
principales de tension (Europe, Asie, Amérique, Afrique) avec 28 Etats
dont la majorité se situait en Afrique. Ces tensions rendent
évidemment particulièrement instable les régions
concernées qui deviennent de ce fait des zones
déséquilibrées. Depuis 1948, selon un rapport de la banque
mondiale, il y a au moins, par pays en développement une tentative de
coup d'Etat tous les cinq ans; le record dans ce domaine est détenu par
l'Afrique. Il en résulte une crise politique sur fond de dictature de
violence et de rivalité régionales.
L'instabilité politique a ainsi tendance à devenir
un fait constant, bloquant le processus d'intégration. La prise de
conscience de cet état de fait a conduit les Etats de la
Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO),
pour ce qui concerne les tensions politiques, à conclure en 1977 des
traités multilatéraux de non agression et d'assistance mutuelle
en matière de défense et de sécurité.
En dépit de ces accords, on a relevé deux conflits
qui ont pu survenir entre le Mali et le Burkina en 1985, la Mauritanie et le
Sénégal en 1989. Par ailleurs la région des grands Lacs
connaît depuis les années 1990 une crise majeure qui implique sept
pays de la régions: la République démocratique du Congo,
le Zimbabwe, la Namibie, le Rwanda, le Burundi, l'Ouganda, l'Angola.
Dans un deuxième point, il existe en Afrique une
pléthore d'organisations internationales, ce qui ne favorise pas
l'efficacité de ces dernières. En effet l'Afrique, dans son
ensemble, comptabilise plus d'une cinquantaine d'organisations internationales.
La multiplication de ces structures apparaît plutôt comme le fait
de la volonté des seuls chefs d'Etat, plutôt que celle des cadres
et des chercheurs africains. Ils ont semble- t- il obéi à leurs
principaux désirs qu'à une démarche d'efficacité
pour trouver une formule viable de regroupement des Etats vers leur
unité politique dans la diversité de leurs traditions. De ce fait
l'analyse des organisations internationales en Afrique montre une
prépondérance de la souveraineté nationale dans les
instances décisionnelles, qui se traduit par la supranationalité
de la Conférence des chefs d'Etat dans la prise de décision.
Comme la plupart des chefs d'Etat africains sont à la tête de
régime autoritaire, on se demande comment ils accepteraient d'être
soumis à une instance supranationale. Et pourtant dans leurs discours,
pendant les conférences officielles et dans les traités, ces
dirigeants politiques adhèrent à l'idée d'une plus grande
intégration tout en sapant le processus par leurs actions.
L'intégration étant d'abord un engagement politique, on ne peut
s'empêcher de nous interroger sur légitimité des
traités signés par des régimes autoritaires.
Le troisième facteur de blocage concerne le faible niveau
de développement économique. En effet la majorité des pays
africains sont classés parmi les pays les moins avancés (PMA).
Malgré cette relative homogénéité, les pays
africains engagés ensemble dans les processus d'intégration,
n'ont pas toujours le même niveau de développement
économique. Pour des raisons historiques et selon les
opportunités de la nature, ces Etats ne son pas dotés de la
même manière et ne possèdent pas les mêmes atouts et
les mêmes ressources naturelles et industrielles: apparaît ainsi un
clivage évident. Certains Etats sont pauvres et pratiquement
bloqués dans leur croissance tandis que d'autres sont relativement bien
pourvus (ZaÏre, Cote d'Ivoire, Afrique du Sud) et connaissent un
développement soutenu.
Cette disparité, qui a été en partie
à l'origine de la désintégration de l'Afrique occidentale
française (AOF) en 1957 au profit de pays bien dotés en
ressources naturelles et qui continuent de freiner le processus
d'intégration, est exacerbée par le passé colonial
spécifique de l'Afrique.
2) - Les obstacles liés
à l'histoire spécifique de l'Afrique
L'Afrique est le continent le plus fragmenté sur le plan
géopolitique et aussi le plus cosmopolite sur le plan de la
diversité de la population. Dans ce contexte la question
l'intégration est plus que jamais au coeur du « mal
africain » selon Joseph Ki Zerbo (historien camerounais). Le
rêve inassouvi de l'unité africaine se heurte malheureusement
à la pesanteur d'un espace éclaté dont l'histoire remonte,
pour l'essentiel, au XIXe, lors du partage colonial qui a façonné
la configuration des frontières des Etats actuels de l'Afrique. En effet
c'est durant la période mercantiliste que l'Afrique, pour la
première fois perdit totalement son autonomie, sa fonction essentiel
étant de fournir des esclaves aux plantations d'Amérique et des
matières premières à l'Europe occidentale (commerce
triangulaire). Les processus d'intégration interne, des peuples et de
construction de vastes ensembles, qui se développaient à
l'époque précoloniale, sont arrêtés au profit d'un
émiettement et d'un isolement des peuples. La conquête coloniale a
soumis par la force l'ensemble du continent africain, à l'exception de
l'Ethiopie et du Libéria à la domination européenne.
Ainsi les empires européennes s'efforcèrent de cloisonner les
territoires qu'elles conquièrent pour éviter la mainmise des
autres puissances concurrentes. Il en est ainsi, par exemple, dans chaque
espace conquis où l'objectif fut de réduire au maximum les
communications et les échanges entres les colonies françaises et
les deux ensembles anglais et portugais par une politique systématique
de réorientation des voies commerciales des capitales respectives de
chaque colonies vers la côte en direction des Amériques ou de
l'Europe. Du Nord au Sud de l'Afrique, Praia, Nouakchot, Dakar, Banjul, Bissau,
Conakry, Freetown, Monrovia, Abidjan, Accra, Lomé, Cotonou et Lagos,
soit 13 Etats sur 16 ont leur capitale sur la côte et leur
économie tournées vers l'Europe laissant l'arrière pays
dans l'abandon total .
Ce phénomène a abouti, par exemple, à la
réorientation du centre de gravité de l'Afrique de l'Ouest, de la
bouche du Niger vers l'Atlantique, créant ainsi un
déséquilibre durables entre pays côtiers comme la
Côte d'Ivoire ou le Ghana et les pays du centre enclavés comme le
Burkina - Faso. A cela s'ajoute les déséquilibres entre la
côte mise en valeur et l'intérieur abandonnés à
lui-même comme pourvoyeur de main d'oeuvre. On assiste par ailleurs
à une séparation des peuples qui appartenaient dans le
passé au même ensemble politique. Par exemple le peuple Ewe est
partagé entre le Togo français et le Ghana anglais, les Yoruba
entre le Nigéria et le Burkina tandis que les Haoussa sont de part et
d'autre de la frontière du Nigéria et du Niger. Cette situation
est encore plus poussée en Sénégambie, en particulier au
Sud où les Joola, les Manding et les Peuls appartenant dans le
passé à l'empire du Mali, sont partagés entre les deux
Guinées, la Gambie et le Sénégal. Pire encore, la Gambie
coupe le Sénégal en deux créant ainsi un
déséquilibre majeur entre le Sud et le Nord, ce qui est à
l'origine de la rébellion des Joola dans la région
sénégalaise de Casamance. En outre ces remparts expliquent les
difficultés de rapprochement entre la Guinée-Bissau et le
Cap-Vert. L'échec de leur tentative d'intégration est lié
à la distance socio-culturelle séparant les deux peuples en
raison de leur histoire coloniale particulière. En dépit des
liens historiques séculaires entre les deux pays, la politique
d'assimilation appliquée au Cap-Vert par le Portugal et l'utilisation de
fonctionnaires cap -verdiens en Guinée-Bissau ont créé
entre les deux populations une distance sociale qui a voué à
l'échec tout effort d'intégration .Il existe un parallèle
entre cet exemple et celui de la Gambie et du Sénégal. La crainte
de la domination d'un pays par un autre a constitué l'entrave principale
à l'intégration dans les deux cas (crainte de la domination de la
Guinée-Bissau par le Cap-vert dans le premier cas ; de la Gambie
par le Sénégal dans le deuxième cas).
Il faut préciser que les modifications de
frontières sont très rares durant la période coloniale,
les puissances européennes ayant dans l'ensemble consolidé les
conventions signées à la fin du XXe siècle pour
matérialiser les limites plus précises de chaque colonie. Avec le
mouvement des indépendances, les Etats actuels, héritiers des
frontières administratives, entrent dans un processus de construction de
l'Etat -Nation, qui entre aujourd'hui en crise. Au fur à mesure que les
colonisateurs européens détruisaient rapidement et
progressivement les anciens « Etats » africains et les
pouvoirs provinciaux et locaux, ils avaient mis en place des Etats très
centralisés qui recevaient des ordres de l'extérieur. Par
conséquent les Etats africains indépendants qui ont
été constitués à partir des années 1960, ont
maintenu les valeurs et traditions centralisatrices, notamment jacobinistes.
Ainsi les Etats post coloniaux se sont évertués à fonder
des Etats- Nations à travers un processus de destruction des
solidarités ethniques, régionales, locales, villageoise,
culturelles et autres au profit d'une Nation supposée être unique,
en utilisant officiellement la seule langue léguée par les
colonisateurs. Pour réaliser un tel projet, les Etats étaient
devenus tellement centralisés, qu'ils avaient supprimé toutes
velléité d'intégration en Afrique. Dans la pratique, la
constitution de l'Etat-Nation fut un échec, le centralisme a
plutôt constitué un frein redoutable à l'intégration
régionale, même si elle n'a pu empêcher les populations de
faire fi des frontières qui leurs sont léguées puis
entérinées par l'Organisation de l'unité africaine. Par
conséquent le blocage essentiel de l'intégration régionale
ne se réduit pas seulement à l'économie, il est d'abord
d'ordre politique et culturel. Partout en Afrique éclatent aujourd'hui,
les questions sociales et culturelles à travers la remise en cause des
pouvoirs politiques centralisateurs et autocratiques qui ont occupé la
scène politique depuis les indépendances et qui continuent
d'entretenir des relations fusionnelles avec les anciennes puissances
coloniales. Les crises actuelles montrent aussi avec évidence que les
populations vivent mal à l'intérieure des Etats -Nations et
posent avec acuité la gestion de cet héritage qui a fixé
des frontières aussi artificielles qu'arbitraires. Les crises touchent
aussi bien les grands Etats comme le Nigéria, le Congo, l'Angola, que
les petits Etats comme le Rwanda, le Burundi, la Sierra Léone, le
Sénégal ou la Guinée-Bissau. Ces crises ont des
répercutions sur le plan externe et reposent indirectement le
problème de la redéfinition des frontières sinon d'un
nouvel espace territorial, économique et culturel susceptible de
consolider la paix et la sécurité des populations.
Face à ces barrières multiples, les
communautés économiques régionales représentent un
palliatif pour réaliser une intégration régionale
fiable.
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