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Michel Foucault ,Psychiatrie et médecine

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par David Labreure
Université Paris 1 panthéon sorbonne - Ma??trise 2004
  

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Université PARIS I (Panthéon Sorbonne) LABREURE David

MICHEL FOUCAULT

PSYCHIATRIE ET MEDECINE

Sous la direction de Mr Jean-François Braunstein

Année 2003/2004

INTRODUCTION :

«Ce qui m'intéresse,c'est la manière dont la connaissance est liée aux formes institutionnelles ,aux formes sociales et politiques- en somme :l'analyse des relations entre le savoir et le pouvoir»

M.Foucault, Folie une question de pouvoir Dits et Ecrits Volume II

L'oeuvre de Michel Foucault, si on ne l'envisageait que de manière superficielle, pourrait apparaître comme celle d'un véritable historien, terminologie qu'il a pourtant toujours refusée .Si l'Histoire, au sens classique du terme, suppose à la fois continuité et intelligibilité, l'Histoire telle que la pratique Foucault est, elle, au contraire, faite de ruptures, de discontinuités. A l'Histoire, Foucault a d'abord préféré la notion d' « archéologie », qu'il définit lui-même comme l'analyse de la somme des discours effectivement prononcés. L'enquête archéologique, telle que la mènera Foucault au début de sa carrière, ne sera donc pas l'histoire de telle ou telle discipline, l'articulation de tel événement avec tel autre. Elle sera d'abord l'analyse des conditions de possibilités d'un discours particulier: Foucault veut, en quelque sorte, saisir le moment où une culture s'affranchit de ce qui la constituait jusque-là et se met à penser autrement. Michel Foucault a posé, en outre, des questions sur le présent, notre présent. Foucault a ainsi mis au point une méthode « généalogique » qu'il applique en écrivant ce qu'il nomme lui-même une « histoire du présent » ,au sens finalement assez proche de celui que lui donne Friedrich Nietzsche,en rupture avec la philosophie traditionnelle plutôt tournée vers l'éternité:  « Je me considère comme un journaliste dans la mesure où ce qui m'intéresse c'est l'actualité ,ce qui se passe autour de nous,ce que nous sommes,ce qui arrive dans le monde »1(*).A d'autres occasions, d'ailleurs, Foucault prendra le contre-pied de la plupart des objets communs de la philosophie (par exemple il étudiera la folie quand la philosophie s'attache à définir la raison).A la différence de l'archéologue, le généalogiste admet les intérêts polémiques qui motivent et constituent l'étude de l'émergence du pouvoir dans la société moderne. La généalogie retrace donc le mouvement d'apparition et le développement des institutions sociales et repère les techniques et les disciplines des sciences humaines qui permettront d'asseoir certaines pratiques sociales. Depuis la publication de Maladie Mentale et personnalité, en 1954, jusqu'à sa mort, trente ans après, Foucault a écrit sur des sujets tels que la folie, la maladie, le crime, les discours, la sexualité. Toute cette diversité de thèmes et d'objets présente une nouvelle façon de mettre en question la modernité dont nous sommes héritiers. En jouant à la fois le rôle d'historien, de sociologue et de philosophe, il nous a légué une pensée qui demeure une référence essentielle pour toute la réflexion sur l'actualité. À côté de ses principales oeuvres, L'Histoire de la folie (1961), Naissance de la clinique (1963), Les Mots et les choses (1966), Surveiller et punir (1975), des trois volumes de L'Histoire de la sexualité (1976 et 1984) et de ses cours au Collège de France (1970-1984), un vaste ensemble de conférences, entretiens et articles nous offre de véritables « instruments à penser » et continue à susciter de nombreuses questions sur les thèmes des relations de pouvoir, de la formation des savoirs et des formes de la subjectivité au présent. Son inventivité conceptuelle, qui nous a donné les notions de dispositifs, de tactique de pouvoir, de la gouvernementalité, permet encore aujourd'hui d'entretenir une problématisation permanente de notre vie et de notre société.

Foucault est né d'un père anatomiste et d'une mère elle-même fille de chirurgien. Etait-ce déjà un signe prémonitoire de l'intérêt quasi permanent qu'il allait porter à la médecine ? Foucault s'est en tout cas très tôt intéressé au domaine médical. Il raconte même qu'il était « très tenté, fasciné même par les études médicales »2(*).Devant toutes les analyses et discussions réalisées autour de ce thème, il apparaît que l'existence de plusieurs images de la médecine se dessine chez Foucault. Ces images ne peuvent pas être rapportées à une considération générale sur la valeur ou la vérité de la médecine en tant que savoir unifié. Au contraire, elles sont le résultat de différentes manières de repérer quelques aspects de cet ensemble mêlant savoirs, pratiques et institutions .La considération de ces analyses de Foucault sur les savoirs et les pratiques médicales s'accompagne d'un effort de déchiffrement des implications entre les formations de savoir, les exercices de pouvoir et les différentes formes de production de la subjectivité. Dans Naissance de la clinique (1963), par exemple, Foucault essaie d'écrire une histoire de la médecine différente de son histoire traditionnelle, dans laquelle la naissance de la science serait le résultat de la clinique moderne et cette clinique, à son tour, serait le produit des progrès successifs de la science médicale. Pour les historiens de la médecine, il s'agit, selon ce modèle progressiste de l'histoire, de revenir aux moments fondamentaux du progrès du savoir médical en montrant son évolution. Pour Foucault, en contrepartie, il s'agit de montrer que le regard clinique, qui est au fondement de la médecine moderne, n'est pas le résultat du progrès ou de l'évolution du savoir médical, mais qu'il a le sens même d'une invention historique. Les réflexions de Foucault sur les conditions d'apparition de la médecine clinique à la fin du XVIII éme siècle montrent comment cette médecine a été possible, étant donné la conjonction de plusieurs éléments extérieurs (comme les épidémies à la fin du XVIII éme siècle en Europe) et de situations politico institutionnelles précises (comme l'absence d'un modèle d'assistance qui puisse répondre à cette nouvelle réalité). On voit s'organiser un nouvel espace, la clinique moderne, qui réunit l'observation, la pratique et l'apprentissage, chaque domaine médical spécifique répondant à cette situation spécifique. Dans l'approche propre à Foucault se trouve une réflexion sur le statut épistémologique de la médecine et une critique de son histoire traditionnelle. Les caractéristiques de la pensée de Foucault intègrent une analyse de la formation d'un savoir et d'un pouvoir de normalisation. Une fois fondée sur un partage essentiel entre le normal et l'anormal, l'étude de Foucault échappe à une explication classique, traditionnelle d'une théorie de la souveraineté. Ainsi, chez Foucault, il ne s'agira pas de poser des questions sur le pouvoir en partant d'un modèle juridique qui partage le légitime et l'illégitime, mais plutôt de poser ce thème à partir des notions de stratégies, de mécanismes et de relations de pouvoirs. Le pouvoir de normalisation n'oblige ni n'interdit qui ou quoi que ce soit, il ne définit pas les termes de l'ordre et du désordre, mais il incite à la production des actes, des gestes et des discours selon un critère de normalité. C'est justement pour bien comprendre cette idée d'un modèle de normalité que le partage entre le normal et l'anormal (par laquelle s'est structurée la pensée médicale) est une référence fondamentale. Ces recherches, autour d'un pouvoir de normalisation, trouvent une nouvelle résonance à l'idée développée par Foucault d'une technologie de pouvoir centrée sur la vie : le bio-pouvoir. Et dans ce passage d'une analyse de la normalisation disciplinaire au biopouvoir, la référence à la pensée médicale a aussi une place importante. Dans les conférences prononcées à Rio de Janeiro, au mois d'octobre 1974, Foucault va aborder les stratégies et les politiques autour des systèmes contemporains de santé, en étudiant l'apparition de la médecine sociale au XVIII ème et au XIX ème siècle. À partir de cette discussion sur l'apparition de la médecine sociale, les conférences de Rio annoncent déjà une série de nouvelles analyses (en continuité avec celles des disciplines des corps) sur le sexe, l'espèce et la race. Dans les cours au Collège de France de 1975 (Les Anormaux) et de 1976 (Il faut défendre la société) ainsi que dans La Volonté de savoir, et les Dits et écrits, les approches sur la pensée et les pratiques médicales permettent à Foucault de déplacer l'idée de normalisation des limites précises des corps et des espaces individuels au champ amplifié des populations et de leurs processus vitaux. La bio-politique met en relation les mécanismes de pouvoir/savoir et les phénomènes liés à la vie. La gestion de ces phénomènes est la marque de ce bio-pouvoir où s'intègrent les mécanismes de la normalisation et les systèmes plus généraux de la souveraineté. Dans ce sens, les processus de médicalisation des comportements, des conduites et des désirs, étayés par la supposition de la neutralité d'un discours tenu comme scientifique par excellence, sont au croisement de la normalisation et la gestion de la vie. C'est à travers ces différentes approches que l'on mesure la façon dont Foucault conserve, mais surtout infléchit et replace dans une nouvelle perspective ses analyses sur la médecine. Enfin, une autre image de la médecine est proposée par Foucault dans ses derniers ouvrages où l'étude des thèmes des pratiques et du gouvernement de soi présente une nouvelle perspective pour penser aux implications entre pouvoir, savoir et subjectivité. Dans L'Usage des plaisirs, Le Souci de soi et les cours au Collège de France du 1981 à 1984, les références à la médecine ancienne renvoient aux arts de vivre et aux pratiques du souci. Dans l'Antiquité, des arts de l'existence impliquent un régime et la médecine a été un lieu de réflexion sur les régimes qui intègrent les pratiques de soi. Il semble, enfin, que ce repérage des différentes images de la médecine chez Foucault exemplifie quelques-unes des questions fondamentales dont sa philosophie est porteuse. A travers ces divers questionnements, il apparaît que sa pensée ne cesse jamais de s'élaborer. On le voit, l'objet médical est transversal à tous les écrits de Foucault. D'une part, il n'y a pas, à l'intérieur de son oeuvre, une seule pensée médicale mais une pluralité, le philosophe s'étant intéressé à des aspects bien différents de la médecine. D'autre part, la pratique de la médecine n'est pas intéressante pour elle-même, elle se situe plutôt à l'intérieur d'un immense champ discursif. Nous constaterons également que l'étude de la médecine par Foucault permet de nous interroger sur la méthode employée par le philosophe pour sa recherche de sources, d'archives et de documents : elle révèle avant tout leur nombre (conséquent), leur diversité et leur étendue. Foucault s'est aventuré ,et c'est ce qui fait aussi son originalité, dans un domaine qui n'était que très peu étudié par des non médecins ,des non praticiens .L'ensemble des écrits étudiés montre ainsi la démarche historienne de Foucault ,une démarche qui aura marqué la profession :ses concepts de médicalisation ou de bio-politique ayant participé à un vaste ensemble de ré-interrogations sur cet « objet médecine ».Michel Foucault est le philosophe français qui a le plus influencé ce domaine très particulier de la médecine qu'est la psychiatrie, bien qu'il n'y eut que très peu de débats réels entre lui et la profession psychiatrique. On ne sait même pas vraiment si des rencontres ont eu lieu entre Foucault et les psychiatres. Alors qu'il est encore étudiant, il évite toute rencontre médicale et fuit la psychanalyse. Son livre , Histoire de la folie à l'âge classique, qui paraît en 1961, est le premier contact « réflexif » avec l'institution psychiatrique, contact qui ensuite est brisé de manière très nette durant un long moment, jusqu'à ses réflexions du milieu des années 1970. Un regard différent, nouveau sur le sujet, permet de mieux formaliser les notions de pouvoir, de discipline, de tactique, soit tout un ensemble de termes nouveaux qui constitue un champ d'investigations et de réflexions inédit. Ce dernier va dépasser toute théorisation sur le discours : C'est plutôt aux pratiques qu'il va désormais s'attacher, aussi bien discursives que non discursives.

Le terme « psychiatrie »a été inventé par le médecin allemand Reil en 1803 et n'est apparu en France qu'en 1809,mais ce n'est qu'en 1860 qu'il remplace ,dans le langage médical français, le terme d'aliénisme ,dont on peut faire remonter l'origine à Pinel. Il est clair, néanmoins que l'objet de la psychiatrie, c'est à dire ce que nous appellerons la folie, les troubles psychiques, a fait l'objet de nombreuses spéculations dès le début de l'histoire humaine. Comme le souligne Jackie.Pigeaud dans le Dictionnaire de la pensée médicale de Dominique Lecourt, « la folie est de tout temps » : il y a toujours eu des traitements de la folie. C'est d'ailleurs ce que Foucault a voulu montrer à travers Histoire de la folie à l'âge classique. Il constate toutefois que la médicalisation de la folie est assez récente et que cette expérience a apporté un regard sur le fou totalement différent de celui que l'on portait à des époques plus éloignées. On considère à partir de la fin du XVIII éme siècle, la folie comme une maladie mentale. Cette démarche médicale consiste en un traitement moral de la folie qui repose d'une part sur un repérage et à un classement nosologique de symptômes ,d'autre part sur un traitement ,le placement du malade dans des établissements spécialisés, les asiles. La psychiatrie fut la discipline médicale la plus sujette à la réflexion de Foucault, et ce dès Histoire de la folie à l'âge classique .Il semblerait, en tout cas, au regard de l'oeuvre a posteriori, que ce livre laissait la porte ouverte à un autre genre d'étude, à une réévaluation de la psychiatrie sous un aspect différent avec d'autres moyens et d'autres outils. Les cours donnés au Collège de France sur le pouvoir psychiatrique entre 1973 et 1974 vont ainsi permettre à Foucault d'appréhender la médecine mentale par un biais totalement nouveau. Il déplace l'enjeu d'Histoire de la folie à l'âge classique en adaptant la question psychiatrique au contexte de l'époque, les années 1970, où les questions portant sur le pouvoir -questions ancrées dans la modernité- ont remplacé le questionnement de la possibilité ou non pour la discipline d'atteindre une forme de « scientificité ».

Il nous a semblé que Foucault a envisagé la médecine et la psychiatrie sous plusieurs angles, à la lumière de termes, de concepts et d'outils d'analyses à chaque fois différents : Nous en avons dégagé trois : En premier lieu le savoir médical et le savoir psychiatrique par rapport aux discours. Nous nous demanderons ici comment Foucault a su dégager les processus d'émergence de disciplines comme la clinique ou encore la psychologie grâce notamment à la méthode archéologique. Ensuite, nous poursuivrons notre étude avec l'analyse de l'institution médicale et psychiatrique chez Foucault, en nous interrogeant notamment sur sa vision de la médecine sociale, de la médicalisation d'une part et sur son histoire de l'asile dans Histoire de la folie d'autre part. Enfin, dans la continuité de ce dernier point, nous nous interrogerons, dans un troisième temps, sur la manière dont Foucault réinterroge « l'objet psychiatrie » quelques années après son ouvrage de 1961 ainsi que les nombreuses remises en questions dont ce dernier a fait l'objet.

C'est ce cheminement, somme toute assez particulier, entre savoirs et pouvoirs, qu'il nous est paru intéressant d'étudier, à travers ses contradictions, mais aussi une certaine forme de cohérence.

I : UNE ANALYSE DES DISCOURS :

1 : Foucault et la psychologie :

I : LES PREMIERS PAS DE FOUCAULT EN PSYCHOLOGIE :

Pourquoi Michel Foucault s'est-il intéressé à la psychologie ? D'abord grâce à l'influence du contexte intellectuel de son époque :Merleau-Ponty et sa Phénoménologie de la perception occupent le devant de la scène intellectuelle française et beaucoup de jeunes se détournent de la philosophie telle qu'elle est enseignée à l'université pour s'orienter différemment,notamment vers la psychanalyse. Cet intérêt vient aussi sans nul doute des propres problèmes de Foucault : il tente de se suicider en 1948, est d'une santé psychologique plutôt fragile .Son père l'amène consulter le professeur Jean Delay à l'hôpital St Anne, le grand psychiatre français de l'époque. Les premiers textes publiés de Foucault concernent la psychologie. Dès ses premières années à l'école normale supérieure, Michel Foucault commence à s'intéresser à celle-ci de très près. Après une licence de philosophie qu'il obtient à la Sorbonne, il entreprend de passer une licence de psychologie, toujours à la Sorbonne, en 1949 à la faculté des lettres. Il suit ainsi assidûment les cours de Daniel Lagache qui y assure l'enseignement de la discipline et qui est, à cette époque, la grande figure de la psychologie française. Il est, en outre, à partir de 1951 répétiteur de psychologie à l'Ecole normale, puis psychologue lui même à l'hôpital St Anne, notamment dans le service du professeur Delay, celui là même qui l'avait suivi quelques années auparavant: « Dans les années 50, je travaillais dans un hôpital psychiatrique .Après avoir étudié la philosophie, j'ai voulu savoir ce qu'était la folie : J'avais été assez fou pour étudier la raison, j'ai été assez raisonnable pour étudier la folie »3(*). A cette époque, le statut professionnel des psychologues dans les hôpitaux n'était pas clairement défini .Foucault y trouve une totale liberté d'action ce qui lui permet d'occuper une position intermédiaire entre le personnel et les patients. Il est surtout impliqué dans l'unité d'électro-encéphalographie à St Anne pour travailler sur la neurophysiologie et l'émotivité et c'est ainsi qu'il participa à des travaux sur les détecteurs de mensonges. Egalement passionné par les techniques d'expérimentation en psychologie, il y apprend aussi la pratique de tests comme celui de Rorschach, c'est-à-dire réagir le plus librement possible à des tâches d'encre agencées de différentes manières. Au même moment, il travaille pour le compte du centre national d'orientation, chargé de l'examen médico-psychologique des détenus à la prison de Fresnes. C'est ainsi qu'il approche pour la première fois l'expérience de la folie d'une part et celle de l'enfermement d'autre part. En juin 1952, il passe son diplôme de psychopathologie à l'institut de psychologie de Paris .Foucault entame par ailleurs une psychanalyse qu'il interrompt au bout de quelques mois, se déclarant « totalement ennuyé » par la démarche... L'intérêt de Foucault pour la psychologie dépasse donc à cette époque (1950-1954) son activité philosophique. D'ailleurs le livre de H.Dreyfus et P.Rabinow intitulé Michel.Foucault, un parcours philosophique, ne mentionne aucunement les écrits antérieurs à Histoire de la folie. Son premier ouvrage, Maladie mentale et personnalité, remanié en 1962 sous le titre de Maladie mentale et psychologie, ainsi que les premiers textes compilés dans Dits et écrits (l'introduction au livre de Binswanger, le Rêve et l'existence, les divers articles sur la psychologie de 1957) montrent eux aussi cet intérêt premier et fondamental de Foucault pour la psychologie, à tel point qu'il envisagea même une carrière médicale dans cette branche. Nous interroger sur ces premiers textes nous paraît essentiel : d'une part ils permettront de mieux comprendre certains écrits ultérieurs comme Histoire de la folie et d'autre part pour cerner une pensée très riche, notamment sur la notion de maladie mentale.

David Macey rappelle très justement que l'introduction au livre de Ludwig Binswanger,Le rêve et l'existence,a longtemps été et demeure, du reste, assez méconnue. Elle est toutefois un témoignage de plus des centres d'intérêts de Foucault en ce milieu des années 50.Psychiatre d'origine suisse, il est intéressant de noter que Binswanger fit des études simultanées en médecine et en philosophie à Zurich. Fasciné par les écrits de S.Freud, auquel il restera fidèle toute son existence, Binswanger est cependant connu pour avoir développé une méthode thérapeutique propre, la Daseinanalyse (ou analyse existentielle).Cette méthode se proposait de faire une sorte de synthèse entre la psychanalyse freudienne et les idées philosophiques de son époque, notamment la phénoménologie de Husserl. Foucault, tout comme Sartre par ailleurs, fut séduit voire enthousiasmé par ces thèses et lorsqu'on lui proposa d'écrire la préface à l'édition française du Traum und existenz, il accepta sans hésiter. Didier Eribon souligne d'ailleurs la place prise par la fréquentation et l'étude de Binswanger en citant Foucault lui-même :  « La lecture de ce qu'on a défini comme '' l'analyse existentielle'' ou ``psychiatrie phénoménologique'' a eu indéniablement une importance pour moi (...) je crois que l'analyse existentielle m'a servi à délimiter et à mieux cerner ce qu'il y'avait de lourd et d'oppressant dans le savoir psychiatrique académique »4(*).Ce texte est complètement différent (par le style et l'objet) de Maladie mentale et personnalité qui lui est pourtant strictement contemporain. Selon Macey, et de notre point de vue, cette introduction va servir de point d'appui pour l'expression non seulement des propres thèses de Foucault mais aussi et surtout de ses premières critiques vis-à-vis de l'institution psychiatrique. L'introduction à Rêve et Existence de Binswanger va ainsi donner le coup d'envoi des relations tumultueuses de Foucault avec la psychanalyse et lui donner l'occasion d'en montrer les insuffisances.

Autre intérêt pour Foucault, la place donnée au rêve : A travers une critique de Freud, Foucault va poser le rêve comme moyen de connaissance et non plus seulement comme objet. L'interprétation des rêves de Freud marque « l'entrée du rêve dans le champ des significations humaines » : Auparavant, on considérait plutôt le rêve comme une absence, un vide de sens. Certes, Freud a permis au monde onirique de prendre sens mais, en même temps, son analyse n'explique que la dimension symbolique du rêve. Si Freud a su dégager la fonction sémantique du rêve, il n'a pas atteint sa structure syntactique et morphologique : « La psychanalyse n'a donné du rêve d'autre statut que celui de la parole ; elle n'a pas su le reconnaître dans sa réalité de langage ».Foucault pressent la nécessité d'une analyse anthropologique du rêve qui irait plus loin, qui serait plus complexe que la vision univoque donnée par la psychanalyse. Les images ne seraient pas seulement la trame du rêve, mais ce que la conscience en retient ou en reconstruit: au cours du rêve lui-même, le mouvement de l'imagination se dirige vers le moment premier de l'existence où s'accomplit la constitution originaire de l'individu.  « Avant tout partage, le rêve est ce moment qu'on retrouve dans l'âme romantique, où le sujet et l'objet, la personne et l'univers naissent ensemble encore indivises. » dira J.Lacroix à propos de la vision foucaldienne du rêve. Le plus intéressant toutefois, indépendamment des critiques adressées à la psychanalyse ou -ce qui nous intéresse moins ici- à la phénoménologie, c'est que Foucault introduit en quelque sorte le travail qu'il va effectuer sur la folie quelques années plus tard en donnant au rêve une certaine valeur de vérité, cachée, souterraine, voire inquiétante. Comme il le dit lui même: "Ce que la folie dit d'elle même c'est, pour la pensée et la poésie du début du XIXe , ce que dit également le rêve dans le désordre de ses images : une vérité de l'homme, très archaïque et très proche, très silencieuse et très menaçante; une vérité en dessous de toute vérité, la plus voisine de la naissance de la subjectivité, et la plus répandue au ras des choses; une vérité qui est la profonde retraite de l'individualité de l'homme et la forme inchoative du cosmos. "5(*)

Parallèlement à son introduction au livre de Binswanger, Foucault travaille à l'écriture d'un petit livre pour la collection « Initiation philosophique » des PUF : Maladie mentale et personnalité.

II : CONTRE UNE METAPATHOLOGIE EN PSYCHOLOGIE :

Les tous premiers textes peuvent être considérés comme d'influence canguilhemienne, en ce que leur contenu se rapporte beaucoup à la notion de normalité et en ce que cette normalité ne va pas être selon Foucault liée à une quelconque norme organique. Le normal est social, politique, institué : la normalité doit être ramenée à un ensemble de règles sociales d'après lesquelles vont être évaluées les pathologies.

Dans le premier chapitre de Maladie mentale et personnalité, Foucault conteste l'idée d'une pathologie générale fondée sur une analogie entre pathologie mentale et pathologie organique, soit l'idée d'une « méta-pathologie ».Il va s'agir de montrer qu'une assimilation du terme même de maladie au domaine psychologique ne va pas de soi .Foucault va s'interroger une nouvelle fois sur le langage :doit-on employer le même vocabulaire (symptômes, maladies...) en médecine mentale et en médecine organique ? Foucault veut montrer qu'il y a un champ spécifique dans le domaine psychologique .Sur le plan nosographique, en tout cas, Foucault constate que les analyses sont basées sur les mêmes concepts pour une pathologie mentale que pour une pathologie organique : la maladie mentale est une entité réelle « repérable par les symptômes qui la manifestent »  comme n'importe quelle autre pathologie. Selon Foucault, cette unité entre les diverses formes de maladies est purement factice, artificielle. Elle ne ferait que décrire un état global de l'individu, sans tenir compte de la spécificité de la maladie et du malade lui même .La notion de totalité supprime les problèmes, donne un climat d' « euphorie conceptuelle »6(*) à la pathologie  sans véritable souci de rigueur. Elle serait une forme d'utopie. Foucault veut montrer ,quant à lui, que l'on doit analyser différemment une pathologie mentale et que cette notion de totalité est plus fondée sur une commodité du langage que sur des faits . Trois choses, selon Foucault vont permettre la distinction :

-La notion d'abstraction des phénomènes pathologiques, possible en médecine organique ne l'est pas en médecine mentale : en pathologie organique, on peut aisément isoler le trouble d'un organe alors qu'en pathologie mentale, il est beaucoup plus difficile de faire ce genre d'abstraction (ex : les rêves).

-La distinction normal/pathologique : cette distinction est pertinente en médecine organique, pas en psychiatrie, car la notion de personnalité, primordiale en pathologie mentale, est totalement différente de celle d'organisme qui prévaut ailleurs. Foucault condamne plus précisément l'assimilation du terme anormal au terme pathologique : selon lui, la pathologie est déjà, en quelque sorte, contenue dans le normal en ce qu'elle est une possibilité dans la vie de l'organisme. Elle serait un « normal privatif »7(*). Foucault va même jusqu'à dire, à l'instar de Canguilhem - pour qui la maladie est déjà une lutte pour retrouver la santé (voir Le normal et le pathologique) que « la possibilité de la guérison est décrite à l'intérieur des processus de la maladie »8(*).

-Le rôle du milieu : en médecine organique, le patient est individualisé. Le sujet malade est isolé dans sa pathologie alors qu'en médecine mentale, le malade est pensé selon son milieu et les pratiques en vigueur dans ce milieu (l'internement).

Après avoir affirmé et démontré l'impossibilité d'appliquer les mêmes concepts, de déduire les mêmes choses d'une maladie mentale et d'une maladie organique, Foucault va, dans la suite du texte, analyser plus spécifiquement la maladie mentale.

La première partie de Maladie mentale et personnalité va s'attacher à définir la maladie mentale dans ses dimensions psychologiques. Foucault constate en premier lieu que la maladie mentale est plus sujette à la description qu'à l'explication : il critique ainsi la psychologie « évolutionniste » incarnée par Jackson, Freud ou Jaspers, qui fait de la régression - c'est à dire la résurgence d'attitudes simples et élémentaires au détriment des fonctions dites « complexes »- un principe d'explication de la maladie et non une description. Faux, rétorque Foucault qui dénonce deux mythes de cet « évolutionnisme » psychologique, celui de la notion de « substance psychologique », qui considère le psychisme comme susceptible d'involution et de l'assimilation du malade à la figure du primitif et de l'enfant. La personnalité du malade n'est pas,d'après Foucault, un retour à une personnalité antérieure mais abolition de la personnalité :il est donc impossible de la comparer à d'autres personnalités .Cette assimilation n'a de valeur que descriptive et non explicative .Mais alors est-il possible d'établir une science de la pathologie mentale ? « La science de la pathologie mentale ne peut être que la science de la personnalité malade »9(*) :il faut selon Foucault renoncer à l'abstrait de la maladie pour le concret du malade, l'individualiser en quelque sorte : « A tel moment, cette personne ci »10(*).Pour remonter aux « causes » de la maladie mentale, Foucault propose de connaître l'histoire personnelle du malade en s'en référant notamment à Freud et à la psychanalyse. Freud à qui il rend ici justice d'avoir introduit l'histoire dans le psychisme humain. C'est en effet à travers la psychanalyse que Foucault veut essayer de découvrir cette dimension historique individuelle de la maladie mentale. A travers divers exemples, Foucault développe la notion qu'il trouve centrale en psychanalyse, celle de défense psychologique. La psychanalyse analyse le phénomène de régression comme un refus de la terreur du présent en se réfugiant dans d'anciennes situations qui éveillent d'anciennes angoisses. Le malade se protégerait ainsi contre ses propres contradictions internes par la conjonction de deux comportements opposés qui formeraient une seule et même conduite. La maladie exacerbe la contradiction intérieure au lieu de l'apaiser. L'angoisse est selon Foucault la principale manifestation visible de nos contradictions intérieures, elle est « l'expression majeure de l'ambivalence », « la dimension affective de cette contradiction interne »11(*).Il faut trouver à travers l'angoisse, un « noeud de significations psychologiques », non plus seulement un fait de l'existence individuelle mais une expérience fondamentale d'existence : l'angoisse est « le principe, le fondement (...) de l'histoire d'un individu »12(*).Cette expérience fondamentale, Foucault veut en percer les mystères, comprendre l'essence de la maladie. Toute la démarche de Foucault tend vers la phénoménologie, ce que lui même ne dément pas bien au contraire : « Compréhension de la conscience malade, et reconstitution de son univers pathologique, telles sont les deux tâches d'un phénoménologue de la maladie mentale »13(*).Phénoménologie dans le sens où il va s'agir d'étudier un ensemble de phénomènes dans le temps et dans l'espace, faire l'inventaire de la conscience malade. Il s'agit par exemple de comprendre l'auto-appréhension de sa maladie par le malade lui-même. Trois possibilités existent : soit le patient met une certaine distance entre lui et sa maladie, soit il accepte sa maladie comme appartenant à un autre monde, différent du monde réel, soit, enfin, le malade est tout entier absorbé par sa maladie : « La conscience de la maladie n'est plus alors qu'une immense souffrance morale devant un monde reconnu comme tel par référence implicite à une réalité devenue inacceptable »14(*).

Autre niveau de l'inventaire de la conscience malade, l'analyse des structures du « monde » pathologique ,c'est-à-dire entre autres dans l'espace et le temps propres à la pathologie :il y a un temps différent pour le malade, un autre espace qui constituent ce que Foucault nomme « monde morbide » :Cette notion ,socle de la maladie mentale , permet de nouer toutes les significations autour d'elle .Le monde morbide ,c'est l'univers particulier au malade, son monde intérieur qui coïncide à un éloignement par rapport au monde extérieur. Un monde très riche, très divers ,c'est en tout cas ce que veut montrer Foucault avec l'inventaire de ces structures propres au malade .Il manifeste là comme une certaine tendresse, ou tout du moins un respect pour ces autres mondes en ce qu'ils renferment du mystère, de l'obscurité,du non élucidé : « Si cette subjectivité de l'insensé est, en même temps, vacation et abandon au monde, n'est ce pas au monde lui même qu'il faut demander le secret de son énigmatique statut »15(*): Foucault se demande si ce n'est pas le monde extérieur, garant de l'objectivité, qui serait le plus apte à expliquer la maladie mentale.

III : MALADIE MENTALE ET PERSONNALITE OU MALADIE MENTALE ET PSYCHOLOGIE ?

Pour saisir tout l'intérêt de la seconde moitié de l'ouvrage,il faut bien comprendre qu'entre la première édition datant de 1954 et celle de 1962,de nombreux ajustements ont été faits, Histoire de la folie étant notamment passé par là... En effet, ce qui change, de Maladie mentale et personnalité à Maladie mentale et psychologie, c'est le contenu de la deuxième partie. Alors qu'en 1954, Foucault complétait l'analyse des dimensions psychologiques de la maladie mentale par une étude des «conditions réelles de la maladie », en 1962, il la remplace par une réflexion  sur « la psychopathologie comme fait de civilisation ». Il y a ici l'idée d'une culture occidentale qui produirait tel ou tel type de maladie mentale à telle ou telle époque. Cette seconde partie aurait donc plus à voir, à la limite, avec Histoire de la folie qu'avec la première partie de Maladie mentale et personnalité, écrite déjà huit ans auparavant. Le chapitre V ne s'interroge plus sur « le sens historique de l'aliénation » mais sur « la constitution historique de la maladie mentale » et le chapitre VI abandonne « la psychologie du conflit » pour traiter de « la folie, structure globale ». « Conditions réelles », « sens historique », « aliénation ». D'après la nature de ces termes, c'est bien en effet à une interprétation historique et matérialiste des pratiques entourant la maladie mentale que se livre Foucault en 1954. Il rappelle que, de l'Antiquité jusqu'au XVII ème siècle, le fou a toujours eu sa place dans l'histoire de nos sociétés : En suivant les transformations des formes primitives du fou, (l'energoumenos des Grecs ou le mente captus des Latins) il devient dès lors possible de montrer le sens historique de l'aliénation, en partant de l'irruption de l'inhumain dans l'existence humaine, puis progressivement incluse dans l'univers des hommes. Foucault souligne que « l'oeuvre des XVIII ème et XIX ème siècles est inverse: elle restitue à la maladie mentale son sens humain, mais elle chasse le malade mental de l'univers des hommes »16(*).

En favorisant une politique d'internement des malades mentaux, la Révolution bourgeoise de 1789 aurait consacré le caractère formel des libertés reconnues par la Déclaration des Droits de l'homme. Pinel, en libérant les insensés de leurs chaînes, ne fait que les soumettre à de nouvelles contraintes, celles de la décision médicale, de l'intérêt familial ou de la tranquillité publique: le fou est aliéné moins parce qu'il est privé de ses facultés que parce que le traitement qu'il subit le rend étranger à lui-même. Si pendant des années, on a cru reconnaître des signes schizophréniques chez nombre de psychotiques ou de névrotiques, c'est tout simplement qu' «  en le mettant entre parenthèses, la société marque le malade de stigmates, où le psychiatre lira les signes de la schizophrénie »17(*). Non seulement la société capitaliste enferme les improductifs mais elle génère, de par les contradictions de classe qui la traversent, des « styles » pathologiques. Par exemple, si Freud développe, en réfléchissant sur les névroses de guerre, l'opposition entre un instinct de vie, survivance du vieil optimisme bourgeois du XIX éme siècle, et un instinct de mort, il identifie là moins une scène psychologique originaire que les contradictions propres à la société européenne du début du siècle: le freudisme, ce pourrait être quelque chose comme le stade suprême de théorisation inconsciente du capitalisme. « Freud voulait expliquer la guerre, nous dit-on; mais c'est la guerre qui  explique ce tournant de la pensée freudienne »18(*).La maladie mentale ,pour le Foucault de 1954,doit être ramenée aux conditions réelles du développement de l'individu,c'est-à-dire à ses propres contradictions internes aussi bien qu'à celles de son environnement. La maladie mentale serait le résultat d'un déséquilibre cérébral entre fonctions excitatoires et inhibitoires : « Le matérialisme, en psychopathologie doit donc éviter deux erreurs : celle qui consisterait à identifier le conflit psychologique et morbide avec les contradictions historiques du milieu, et à confondre aussi aliénation sociale et aliénation mentale et celle, d'autre part, à vouloir réduire toute maladie à une perturbation du fonctionnement nerveux. »19(*) Dans un dernier chapitre, où il expose la théorie psychologique pavlovienne et les courants qui en ont découlé en Union Soviétique (courants influencés par la réflexologie essentiellement), Foucault soutient que, lorsque les contradictions entre milieu et individu deviennent insupportables, c'est à ce moment qu'apparaissent les troubles psychologiques. Cette idée, Foucault l'avait déjà exposée  en 1953 dans une conférence à la Maison des Lettres, rue Férou. Devant un auditoire composé en majorité d'étudiants très sensibles aux relations entre science et politique, du fait, notamment, de l'affaire Lyssenko, il conclut sa communication par un emprunt à Staline et à l'histoire du cordonnier alcoolique qui bat femme et enfants, pour expliquer que les pathologies mentales sont fruits de la misère et de l'exploitation et que seule une transformation radicale des conditions d'existence pourrait y mettre un terme. Le cordonnier, travaillant à la pièce pour un revenu qui subvient à peine aux besoins des siens, trouve dans la boisson un refuge lui permettant de diminuer les tensions psychologiques suscitées par une situation contradictoire. En subissant la contrainte réelle, il s'échappe dans un monde morbide où il retrouve, mais sans la reconnaître, cette même contrainte réelle. « Il y a maladie [...], selon Foucault, lorsque l'individu ne peut maîtriser, au niveau de ses réactions, les contradictions de son milieu, lorsque la dialectique psychologique de l'individu ne peut se retrouver dans la dialectique de ses conditions d'existence »20(*). Désormais, l'anthropologie médicale ne s'articulera plus sur l'opposition homme sain-homme malade, mais sur la dialectique de l'ouvrier exploité se soignant en devenant un révolutionnaire prolétarien: la société communiste n'est pas seulement une société sans classe, c'est aussi une société sans malade.  C'est à l'accomplissement de cette tâche que doit se consacrer la psychologie, « s'il est vrai que, comme toute science de l'homme, elle doit avoir pour but de le désaliéner »21(*). Pour comprendre la genèse de ce passage, il faut aussi tenir compte du facteur politique : Foucault a été membre du parti communiste français de 1950 à 1953 ; cet engagement se retrouve dans ce chapitre sur Pavlov, ce qui, à l'époque, en France était un marqueur politique : La plupart des intellectuels communistes de l'époque voulaient ainsi opposer la « psychologie matérialiste » pavlovienne à la psychanalyse.
    1962, changement complet de point de vue: c'en est fini du matérialisme pavlovien, au moins pour Foucault. Le livre passe de cent dix à cent quatre pages et, pressé par son éditeur de rééditer Maladie mentale et personnalité, Foucault va modifier toute la seconde partie de l'ouvrage (qui s'appellera désormais Maladie mentale et psychologie) et rompre avec les idées de 1954. C'est qu'entre temps, il a réalisé son grand oeuvre, Folie et déraison. Histoire de la folie à l'âge classique (1961) dont « Folie et culture » est, en quelque sorte, le résumé. En s'appuyant sur les nombreux manuscrits médicaux de la Bibliothèque d'Uppsala, Foucault expose le processus historique de constitution  de la maladie mentale dans une perspective totalement détachée du marxisme. La folie n'est plus l'expression, au niveau psychologique individuel, des contradictions de classes dans la société capitaliste mais, bien plus profondément, le produit d'une culture, d'une histoire qu'il faut retracer dans son détail. La maladie va dépendre de conditions historiques, plus encore, d'un contexte culturel particulier. Cette histoire, c'est d'abord celle d'un partage, d'une exclusion. Si le Moyen-Âge et la Renaissance voient encore dans la folie une expression de la puissance divine et une forme supérieure de raison (dont témoignerait l'Eloge de la folie d'Erasme), l'âge classique la confond avec toutes les autres sortes de déviances (crime, vagabondage, libéralité, libertinage), lui faisant ainsi perdre sa signification propre. Elle n'est qu'une forme, parmi d'autres, d'oisiveté, et l'Hôpital général se charge de la corriger: c'est la fameuse époque du « grand renfermement ». Avec la naissance de l'asile, au tout début du XIX éme siècle, la perception de la folie s'affine en même temps que le partage s'accentue. Désormais, les aliénés sont traités différemment des criminels ou des pauvres. Mais l'humanisme supposé d'un Pinel ou d'un Tuke ne doit pas tromper. Libérés de leurs chaînes, les malades n'en subissent pas moins un gigantesque emprisonnement moral. Parole devenue totalement inintelligible dans ce contexte, la folie trouve ses anciens pouvoirs de révélation cloisonnés entre les murs du savoir médical. De cette folie maîtrisée naît la psychologie, monologue qui refuse d'entendre la voix de la déraison et qui croit pourtant pouvoir en énoncer la vérité. Ambition vaine d'un discours qui refuse d'affronter son Autre « présent et visible dans les oeuvres de Hölderlin, de Nerval, de Roussel et d'Artaud, et qui promet à l'homme qu'un jour peut-être, il pourra se retrouver libre de toute psychologie pour le grand affrontement tragique avec la folie »22(*).L'originalité de Maladie mentale et psychologie tient ainsi dans la double idée qu'il sous-tend,à savoir une approche historique de la maladie mentale et une approche ontologique ,c'est-à-dire l'idée que la folie échappe à la psychologie et soit une sorte de rapport primitif à l'homme.

IV : UNE SCIENCE DE LA MALADIE MENTALE EST ELLE POSSIBLE ?

Dans l'article « Philosophie et psychologie » (1965), Foucault répondait ainsi à la question « Qu'est ce que la psychologie ? » : « Je ne pense pas qu'il faille essayer de définir la psychologie comme une science »23(*).Dans un autre article ,  « La recherche scientifique et la psychologie » daté de 1957,Foucault constate déjà que l'« un des a priori historiques de la psychologie,dans sa forme actuelle,c'est cette possibilité d'être ,sur le mode de l'exclusion ,scientifique ou non »24(*).Le fait même de se poser cette question implique elle-même un nouveau champ d'interrogations :y a-t-il deux formes de psychologie,une qui serait scientifique et l'autre « philosophique » ou phénoménologique ,qui ressaisirait l'essence de l'homme c'est-à-dire dans son existence et dans son histoire ? C'est le travail de la recherche en psychologie qui va permettre selon Foucault de déterminer la scientificité ou non de la psychologie. Ce travail se fait dans un sens tout à fait différent de la manière traditionnelle d'un travail scientifique. Le travail réel de la recherche en psychologie n'est pas le produit d'une quelconque objectivité, ni le fondement ou le progrès d'une technique, ni la constitution d'une science : « Son mouvement, au contraire, est celui d'une vérité qui se défait, d'un objet qui se détruit. »25(*).Elle est une sorte de pendant d'une psychologie « officielle », celle des cours, des enseignements en université : « Elle forme l'envers nocturne d'une science psychologique qu'elle a pour vocation de compromettre »26(*).La recherche serait paradoxalement la condition principale de la suppression de la psychologie dans le sens où elle renverse le savoir, et prétend démystifier la pratique psychologique. En conclusion de son article, Foucault constate que « la psychologie ne se sauvera que par un retour aux enfers »27(*) : La psychologie doit ainsi retourner à l'expérience de la négativité et des contradictions humaines, notamment à travers l'étude des pathologies, et ne doit plus se reposer sur une positivité et une objectivité qu'elle a voulu elle-même s'imposer : il convient donc de retrouver le sens originaire de la psychologie. En conséquence, la recherche psychologique ne saurait être véritablement une recherche scientifique. Foucault revient sur l'histoire de la psychologie et le moment où elle s'est elle-même constituée comme science positive .L'article de 1957 intitulé « La psychologie de 1850 à 1950 » fut l'occasion de traiter de la scientificité de la psychologie. Il y aurait deux formes de psychologie : l'une scientifique et l'autre « philosophique » et phénoménologique. A la différence des autres domaines de savoir, les psychologues eux mêmes reconnaissent qu'il y'a une psychologie scientifique et une psychologie non scientifique, objective et non objective. Foucault pose ainsi la possibilité originaire d'un choix quant à la manière de pratiquer la psychologie entre « une psychologie qui mesure, compte et calcule, et une psychologie qui pense, réfléchit »28(*).Ce choix, on ne l'envisage pas de la même manière pour d'autres sciences comme la biologie ou la physique dont le domaine scientifique est déjà bien délimité et dont « l'objectivité est déjà scientifique »29(*). La recherche en psychologie n'est pas a priori scientifique comme elle peut l'être en physique .Si la psychologie phénoménologique arrivait à contourner la distinction normal-pathologique en s'intéressant prioritairement à la conscience malade elle même ,la psychologie scientifique,elle, se heurte à cette barrière .Le projet de la psychologie scientifique est en effet d'être une science naturelle, ce qui suppose deux postulats essentiels :d'une part que la vérité de l'homme soit puisée dans son être naturel et d'autre part avoir recours à une précision objective et mathématique, soit une science à caractère expérimental ,rationnel et quantitatif. Selon Foucault, la psychologie scientifique va découvrir elle même ses propres contradictions et devoir renoncer à ces postulats : les psychologies du développement et du milieu, par exemple, réfléchissent en particulier sur les échecs, les arrêts du développement, sur les divers phénomènes d'inadaptation. La psychologie est donc avant tout une analyse des contradictions internes de l'homme, du conflictuel, du pathologique donc de « l'anormal » (par exemple les psychologies de la mémoire sont d'abord des psychologies de l'oubli, du caché, de l'inconscient, avant d'être celles du souvenir).Foucault s'est ensuite proposé d'analyser la manière dont la psychologie allait faire face à ces contradictions en étudiant son histoire. Il constate d'emblée que la psychologie  emprunte « aux sciences de la nature leur style d'objectivité (...) leur méthode et leur schéma d'analyse » : Ainsi, la psychologie va se penser tour à tour sur les modèles physico-chimiques, organiques ou évolutionnistes.

Selon Foucault, toutes ces tentatives ont échoué avec la découverte du sens. Le premier postulat ne pouvait être tenu : l'homme n'est pas purement un être de nature. Cette découverte du sens s'est faite « par des chemins bien divers »30(*) , notamment grâce à la psychanalyse, décidément très présente au début de son oeuvre : avec Freud on passe de l'analyse explicative à la genèse des significations, à l'histoire ; au recours à la nature s'est substituée l'analyse du concept culturel : Dans « philosophie et psychologie », Foucault analysait la psychologie comme une formule culturelle qui s'inscrirait dans des phénomènes déjà connus du monde occidental. Freud a ainsi ouvert la voie à une étude objective des significations, en allant le plus loin possible dans l'analyse du sens et en donnant une histoire réelle au comportement humain dans la société à laquelle il appartient. Par cette quête du sens, Freud a ainsi « donné son orientation à la psychologie moderne »31(*), notamment au béhaviourisme: Ce courant de la psychologie scientifique, né au début du XX éme siècle aux Etats-Unis, a pour objet l'étude des comportements comme unique champ observable de l'activité psychologique, sans référence à une quelconque subjectivité, ni à la conscience. Foucault se demande, à partir de cette théorie quelle peut être la part d'objectivité dans une étude des comportements. Est il possible de généraliser ce type d'étude ? N'y a-t-il pas forcément une contradiction à prétendre à une telle objectivité dans un domaine où finalement aucun individu ne semble pareil à un autre ? Foucault a ainsi envisagé tous les différents types d'analyse des significations objectives (gestalt théorie,psychologie des tests...) et constaté qu'en définitive ces analyses se font toujours en termes d'oppositions : « totalité ou élément ;genèse intelligible ou évolution biologique (...) manifestations expressives momentanées ou constance d'un caractère latent (...) :termes contradictoires dont la distance constitue le propre de la psychologie »32(*).Foucault remarque ainsi l'existence permanente de deux pôles en psychologie mais s'interroge aussi sur la capacité qu'a celle-ci à dépasser ses propres contradictions. De toute manière, on ne peut, dans le cas d'une discipline comme la physique ou la biologie, soutenir des positions aussi contradictoires ; la psychologie doit faire face à beaucoup trop d'incohérences pour véritablement prétendre à un statut scientifique comparable aux mathématiques ou aux sciences naturelles. Le reproche essentiel fait ici à la psychologie par Foucault est que celle-ci trouve sa légitimation dans le repérage de l'anormal par rapport au normal : ce qui est mauvais dans la psychologie, c'est qu'elle demeure un discours normatif sur l'être humain. Quel est donc l'avenir de la discipline ? Foucault propose de dépasser la psychologie telle qu'elle se pratique et de la remplacer par un autre modèle, une histoire de la condition humaine, une analyse de l'existence humaine dans ses structures fondamentales. Cette histoire individuelle, analysée par une nouvelle forme d' « anthropologie existentielle » ne reste-t-elle pas « ce qu'il y a de plus humain en l'homme » ?

V : CANGUILHEM ET POLITZER : D'AUTRES FORMES DE REFLEXION SUR LA PSYCHOLOGIE:

Depuis ses débuts, la psychologie cherche donc sa place, entre science humaine et science de la vie. Dans un article très célèbre de 1956 ,« Qu'est ce que la psychologie »,Georges Canguilhem soutient que la psychologie en tant que discipline n'a jamais réussi a véritablement fixer son objet,particulièrement depuis la fin du XIX ème siècle, moment où la psychologie devient « scientifique » : « Pour la psychologie,la question de son essence (...) met en question aussi l'existence même du psychologue,dans la mesure où ,faute de pouvoir répondre exactement sur ce qu'il est ,il lui est bien difficile de répondre de ce qu'il fait »33(*). D'après Canguilhem et contrairement à ce qu'affirme Lagache dans son Unité de la psychologie (1947), le statut de la psychologie n'est pas clair, et la discipline n'a pas de véritable unité : « De bien des travaux de psychologie, on retire l'impression qu'ils mélangent à une philosophie sans rigueur une éthique sans exigence et une médecine sans contrôle » 34(*): Le grand défaut de la psychologie est que l'on ne peut pas directement vérifier son efficacité thérapeutique. Le psychologue est plus un confesseur, un juge qu'un véritable médecin. En outre, faute de pouvoir prétendre véritablement au statut de science, la psychologie se voit en quelque sorte contrainte, d'après l'interprétation de Pascal Engel dans son essai Philosophie et psychologie, à une oscillation perpétuelle entre deux solutions : La possibilité d'être une science à part entière et une « technologie pratique et sociale »35(*).La principale source de l'incohérence de la discipline est la multiplicité des objectifs qu'elle poursuit : Canguilhem en relève trois :

- La psychologie s'est d'abord voulue science naturelle. (Voir Aristote et la critique des prédécesseurs dans le livre I du De Anima, Gall ou encore Broca)

- Elle se veut aussi science de la subjectivité, de Descartes à Freud. Elle poursuit un objectif d'étude du « sujet homme ».

- Enfin la psychologie s'intéresse également aux réactions et aux comportements humains. (notamment avec le béhaviourisme et Watson).

La critique formulée par Georges Politzer est d'une autre nature. L'auteur de La critique des fondements de la psychologie ,fondateur de la Revue de psychologie concrète,va plus loin en ce qu'il propose, lui, un nouveau modèle de psychologie .La critique reprend les grandes lignes de la position canguilhemienne ; la psychologie scientifique est « un vernis de science », une fausse science et les psychologues qui la pratiquent ne sont pas des scientifiques : « Les psychologues,incapables de découvrir la vérité ,l'attendent chaque jour, de n'importe qui et de n'importe où mais comme ils n'ont aucune idée de la vérité,ils (...) deviennent victimes de toutes les illusions »36(*).Il va notamment reprocher aux trois grands courants modernes de la psychologie (Gestalt théorie,psychanalyse et béhaviourisme) de manquer le véritable but de la psychologie,à savoir la vie « dramatique » de l'homme et d'appliquer de façon systématique la méthode scientifique à la psychologie. Le résultat n'aboutit qu'à une description des processus psychologiques, faite le plus souvent en termes mécanistes mettant de côté les particularités individuelles. Mais la véritable innovation de Politzer réside surtout dans l'orientation concrète qu'il veut donner à la psychologie. Il va proposer ainsi trois conditions d'existence préalables à cette psychologie concrète, conditions qui selon lui n'ont encore jamais été réunies ensemble dans l'histoire de la psychologie, cette « mare aux grenouilles »37(*) :

- La psychologie devra être l'étude d'un ensemble de faits a posteriori

- La psychologie doit être une science originale, c'est-à-dire portant sur un domaine d'étude qui n'ait pas été abordé par les autres sciences

- La psychologie doit être objective c'est-à-dire vérifiable du point de vue méthodologique et du point de vue des faits.

Politzer va d'après ces conditions définir la psychologie concrète comme l'étude des faits psychologiques,qui sont « l'ensemble des comportements ayant un sens humain »38(*) .Ces faits ne vont prendre sens que par le récit qui en sera fait par le sujet humain .Le rêve par exemple, fait figure de fait psychologique au sens le plus plein du terme car il ne prend véritablement son sens que dans un milieu et pour un sujet particulier .Politzer veut redonner un importance au « Moi » de la vie individuelle, au « sujet » de la vie quotidienne. Ce qui lui permet de déboucher ainsi sur une psychologie concrète, inspirée de la psychanalyse, fondée sur l'homme en tant que sujet engagé dans une action. Politzer condamne, prés de vingt cinq ans avant Foucault, les affres d'une métapsychologie : « La métapsychologie a vécu, l'histoire de la psychologie commence »39(*) .

Cette analyse des discours entreprise par Foucault, dès le début de son oeuvre, s'est poursuivie avec l'Histoire de la folie à l'âge classique qui a pour sujet d'étude l'évolution du discours sur cet objet mouvant et difficile à cerner qu'est la folie. Comme le note Frédéric Gros, c'est dans Naissance de la clinique que, pour la première fois, Foucault désigne son travail comme une étude des « règles de formation » des discours, et définit ceux-ci comme pratiques. On pourrait objecter qu'Histoire de la folie poursuivait le même objectif mais il ne s'agit plus de rechercher une expérience originaire mais d'expliquer comment, à une époque donnée, un discours a pu se modifier, se transformer. Cette analyse des discours s'est donc poursuivie avec Naissance de la clinique, son troisième ouvrage de 1963 qui se propose de faire l'archéologie du discours médical. Naissance de la clinique est en outre le premier et le seul ouvrage de Foucault consacré entièrement à la médecine. Le champ d'étude délimité par Foucault concerne une période relativement courte mais importante de l'histoire de la médecine, le moment où l'expérience clinique est devenue anatomo-clinique lors de la révolution de l'Ecole de Paris au début du XIX éme siècle.

2 L'archéologie du discours médical dans Naissance de la clinique

I : GENESE ET ELABORATION DE NAISSANCE DE LA CLINIQUE:

On ne sait pas très précisément où, ni quand, Foucault fit ses recherches concernant Naissance de la clinique ; il se peut toutefois qu'il les ait faites en même temps que celles pour Histoire de la folie, Foucault ayant eu accès pour son premier livre à nombre d'archives et de documents médicaux. Telle est la supposition de David Macey dans son Foucault. La parution des deux livres étant séparée d'à peine deux ans, l'hypothèse est plausible. Foucault lui même parle de « chutes d'Histoire de la folie » concernant Naissance de la clinique. En tous les cas, l'ouvrage, fourmillant de références, fait montre de recherches très assidues, comme en témoigne sa bibliographie très exhaustive et il en est de même pour Histoire de la folie. D'ouvrages médicaux en archives, décrets et autres documents, Foucault a rassemblé un matériau de très grande diversité et d'une très grande richesse. Tout cela en fait un essai très technique, le plus technique que Foucault ait écrit jusque là, de par l'emploi fréquent du vocabulaire médical. C'est le moins apte en tout cas à toucher un grand public. Le livre n'en est pas moins réussi de part la richesse et la précision du matériau sur lequel il a travaillé. Toutefois,Naissance de la Clinique, au contraire d'Histoire de la folie est paru dans une indifférence quasi générale, à l'exception d'un petit nombre de commentateurs spécialisés, en histoire de la médecine notamment . L'horizon théorique abordé par Foucault semble lui, en revanche, totalement nouveau par rapport à ses écrits antérieurs ; c'est le premier et d'ailleurs unique ouvrage entièrement consacré à la médecine, un sujet pourtant transversal dans l'oeuvre de Foucault. Naissance de la clinique s'inscrit en outre dans la tradition de Canguilhem : il sert en quelque sorte de pendant historique au grand ouvrage de ce dernier, Le Normal et le Pathologique qui explique la signification des concepts de base de la médecine moderne. Certaines thèses de Canguilhem sont d'ailleurs reprises voire précisées dans Naissance de la clinique .D'une part, le fait qu'un concept ou qu'une notion n'a de sens que dans un contexte donné et d'autre part que l'histoire de la médecine ne doit pas être une histoire de « saints » de la médecine, une sorte de chronologie consensuelle qui mettrait en avant certains personnages au détriment d'autres. La continuité entre ces deux ouvrages est donc d'abord de nature thématique, puisqu'il s'agit de pratiquer autrement l'histoire de la médecine .Les deux ouvrages proposent en commun une forme d'analyse originale, différente en tout cas des analyses classiques des historiens de la médecine. Foucault, d'ailleurs, ne manquera pas de reconnaître sa dette envers Canguilhem : « (...) C'est à lui que je dois d'avoir compris que l'histoire de la science n'est pas prise forcément dans l'alternative :chronique des découvertes ou descriptions des idées (...) mais qu'on pouvait, qu'on devait faire l'histoire de la science comme d'un ensemble à la fois cohérent et transformable de modèles théoriques et d'instruments conceptuels »40(*).Dans Naissance de la clinique , il s'agit de donner au regard clinique (c'est à dire l'observation directe et savante d'un cas) du XIX éme siècle un regain d'intérêt, la vertu d'une pure attention au malade et à sa souffrance ; un « rapport immédiat à la souffrance et qui la soulage »41(*).Il y a là l'idée que la médecine clinique ne peut redevenir vraiment une science qu'en retrouvant son aspiration d'origine, c'est à dire soigner et être attentif à la souffrance et à la douleur ,ce que le court épisode de la médecine clinique a su faire selon Foucault. Le projet se veut « à la fois historique et critique »42(*): Il s'agit de déterminer les conditions de possibilité de cette expérience médicale radicalement nouvelle et inédite, de décrire ce qui peut être perçu et dit par le médecin à un moment donné. Foucault s'interroge sur le comment un tel regard a pu émerger, et énonce l'idée selon laquelle ce discours médical précis ne peut être perçu qu'à l'intérieur d'un certain champ de discours. Le regard clinique suppose ainsi un certain nombre de conditions à la fois scientifiques, politiques, philosophiques et linguistiques ; c'est à l'intérieur de ces savoirs que la médecine clinique va prendre naissance véritablement. C'est également dans Naissance de la clinique que, pour la première fois (si l'on excepte la première préface d'Histoire de la folie), Foucault emploie le mot « archéologie » : faire cette Archéologie, c'est à dire comprendre les structures, le langage qui, à un moment donné, vont permettre ce nouveau regard. Naissance de la clinique va donc faire l'histoire de cette médecine moderne à travers le concept de clinique qu'il voit émerger vers 1800 -1830.Il va en outre s'agir d'étudier la genèse historique du savoir médical de la formation du discours sur la maladie et son rapport avec des éléments extérieurs. Foucault réfute la conception d'une histoire évolutionniste des idées sur la clinique. C'est un événement radical au XVIII éme siècle qui a permis une mutation dans le savoir médical, et un nouveau rapport de l'expérience du médecin. En effet, à un moment donné, il y a eu mutation du savoir médical rendant ainsi possible de nouvelles articulations (notamment grâce à la médecine de Bichat).C'est un ensemble de réorganisations qui va produire un nouveau type de regard et de discours et qui va complètement modifier la représentation de la maladie.On peut parler de réorganisation du discours possible sur la maladie. L'archéologie « veut montrer non pas comment la pratique politique a déterminé le sens et la forme du discours médical mais comment et à quel titre elle fait partie de ses conditions d'émergence, d'insertion et de fonctionnement »43(*) . Grâce à la méthode archéologique, Foucault veut aller au-delà d'une analyse des causes : il veut décrire le changement, mettre en avant les discontinuités et analyser les différences, les difficultés.

Naissance de la clinique peut se lire comme une suite directe à Histoire de la folie : en effet, il étend à la médecine en général les analyses qu'il a pu pratiquer sur la maladie et la médecine mentales, c'est à dire observer leurs conditions d'émergence et d'apparition, et de possibilité. L'idée de saisir une cassure qui s'instaure au moment de son institution rappelle quelque peu Histoire de la folie dans le sens où celle ci cherchait à saisir le moment de la césure entre raison et déraison .Naissance de la clinique cherche à  « saisir la mutation du discours quand elle s'est produite » (préface) quand Histoire de la folie avait pour ambition de « parler de ce geste de coupure, de cette distance prise (...) entre la raison et ce qui n'est pas elle »44(*).L'idée commune est celle d'une archéologie ,terme que Foucault emploie dès 1961 dans la première préface de Histoire de la folie :Foucault parle d' « archéologie de ce silence » à propos de la relation entre raison et folie .L'analyse repose en outre sur la même étude exhaustive d'un très vaste ensemble de documents ,dans un cas comme dans l'autre ;il n'est pas étonnant que l'on fasse remonter la genèse  de Naissance de la clinique à la même époque que celle d'Histoire de la folie :Les deux bibliographies ont beaucoup de similitudes, de nombreux ouvrages leur étant communs (celui de Pinel Nosographie philosophique par exemple, ou encore la Médecine pratique de Sydenham).Le champ de recherche est identique et la même méthode est appliquée: saisir ce qui va rendre possible tel ou tel type de discours sur un objet précis à un moment précis. Toutefois, les ressemblances entre les deux ouvrages, si elles existent indéniablement, ne sauraient masquer de nombreuses divergences, faisant tout aussi bien de Naissance de la clinique une transition entre Histoire de la folie et les livres suivants .D'une part Histoire de la folie couvrait plusieurs siècles, du Moyen Age à nos jours, au cours de 600 pages. Naissance de la clinique est d'un format beaucoup plus réduit (200 pages seulement) qui ne couvre qu'un petit nombre d'années (environ 30) au début du XIX ème siècle car, selon Foucault, « la médecine clinique s'est défaite aussitôt qu'elle est apparue ».D'autre part le sujet du livre diffère également : Dans Histoire de la folie, le sujet - la folie - est intemporel, il traverse les époques et ne trouve sa forme médicale que très tardivement. Naissance de la clinique est, quant à lui, l'histoire précise d'une discipline de connaissances, la médecine clinique. Il s'agit d'étudier la conception d'une discipline de connaissance à un moment de l'Histoire ; l'histoire de la clinique du XIX ème siècle n'a rien à voir avec une relation intemporelle entre le médecin et le patient comme pourrait être comprise la relation entre le monde occidental et la folie, ou de la raison avec la folie.

La première phrase de la préface résume à elle seule de quoi il va s'agir ici : « il est question dans ce livre de l'espace, du langage et de la mort ;il est question du regard ».Puis, suit abruptement la description de deux pathologies par deux médecins (Pomme et Bayle) à deux périodes différentes (1769 pour le premier et 1825 pour le second).On est saisi, à cette lecture, par la différence très marquée entre les deux récits seulement séparés d'une cinquantaine d'années :Pomme semble encore englué dans les principes de l'ancienne médecine, des vieilles expressions utilisées encore en son temps, peu précises, et pas d'une rigoureuse véracité scientifique .Bayle ,en revanche , fait montre d'une grande précision quant à la description de la lésion qu'il observe, qui n'est pas sans rappeler les diagnostics actuels : « chaque mot de Bayle guide notre regard dans un monde de constante visibilité alors que le texte précédant nous parle le langage (...) des fantasmes »45(*).Que signifie cette entrée en matière plutôt surprenante ? La stratégie de Foucault consiste à nous faire prendre conscience que le premier récit de Pomme qui a pu passer à son époque pour un modèle de scientificité et d'objectivité nous semble à présent, à nous, dénué de sens, et finalement à nous montrer que nous avons tort de croire que même à notre époque nous touchons à cette objectivité. C'est là un des points fondamentaux de l'archéologie foucaldienne : l'archéologue doit opérer une distanciation, une relativité vis à vis de chaque discours ou de chaque savoir sur le sujet dont il fait l'archéologie, qu'il vienne de l'âge classique, de l'âge moderne ou de notre propre époque. Toutefois l'archéologie n'est pas seulement basée sur cette distanciation :elle nous permet aussi de comprendre que chaque discipline ,à quelque époque que ce soit ,a son ordre systématique propre, même si elle nous semble incompréhensible avec notre regard à nous, forcément façonné par notre époque. En bref, il faut donc garder à l'esprit que la médecine selon Pomme vaut bien celle qui se pratique actuellement et qui apparaît comme régie par les différents contextes socio culturels. Pourquoi serait elle donc moins vraie ? Moins scientifique ? : « Qui peut nous assurer qu'un médecin du XVIII ème  siècle ne voyait pas ce qu'il voyait »46(*) interroge Foucault : Pourquoi donner moins de crédibilité à Pomme qu'à Bayle ? La vérité se trouve à l'intérieur même du discours ; Foucault réfute la notion de commentaire qui vient se greffer sur le discours, ce qui reviendrait à admettre quelque chose de non formulé par le langage : « Commenter c'est admettre (...) un reste nécessairement non formulé de la pensée que le langage a jeté dans l'ombre »47(*). Foucault rejette ce qui serait un double fond de l'argumentation : le sens se trouve dans le discours et pas ailleurs. L'archéologie s'arrête au discours et à ce qui l'a rendu possible et ne traite en aucun cas du commentaire qui « double » ce discours.

II : LES CONDITIONS D'EMERGENCE DE L'EXPERIENCE CLINIQUE

Le corps humain est l'espace d'origine et de répartition de la maladie, et c'est sur le corps et seulement lui que pourra s'effectuer l'expérience clinique. Ce qui nous paraît évident aujourd'hui ne l'était pas avant le début du XIX ème siècle : la médecine traditionnelle, celle que pratiquait, selon Foucault, un médecin comme Pinel (qui, paradoxalement sera une des premières personnalités de l'Ecole de Paris), était d'abord une classification hiérarchique des maladies en formules, genres et espèces à l'intérieur d'un tableau nosologique prévu à cet effet avec pour modèle les systèmes classificatoires de Linné ou Dagognet .Mise en oeuvre par Sydenham,c'est en effet dans la Nosographie philosophique de Pinel que cette médecine classificatrice trouvera sa forme la plus aboutie. La maladie n'était pas localisée sur le corps du malade mais dans les colonnes de ce tableau. Le problème de la localisation était selon Foucault un « problème subalterne » 48(*) à l'époque ;ici on va plutôt parler de ressemblances ,de différences et d'imbrications à l'intérieur du système de classification .Lorsque le regard est défini par un grand nombre d'analogies de formes, la maladie devient ce qu'on appelle à l'époque une essence ;c'est le règne de la « médecine des espèces » pour laquelle chaque maladie constitue une entité idéale placée dans un grand tableau ordonné ;la transmission des maladies se produisait quand ,par « sympathie »,certaines de leurs qualités se mélangeaient avec le type de tempérament du patient.On est ici très proche de la théorie de Galien sur les humeurs.On pensait que les environnements non naturels favorisaient le développement des maladies et qu'ainsi ,les populations paysannes étaient moins atteintes que les classes urbaines. Le malade était perçu comme un lieu de croissance et d'expansion d'une maladie « pure ». Celle ci serait altérée dans sa pureté par les particularités individuelles du malade : « à la pure essence nosologique (...) le malade ajoute comme autant de perturbations son âge, son mode de vie (...) qui font figure d'accidents »49(*).La médecine des espèces maintient ainsi le maximum de distance entre le médecin et le malade pour observer la maladie dans toute sa pureté et son essence. Pour identifier une maladie, il n'était donc pas obligatoire qu'un organe particulier soit affecté puisque celle-ci pouvait se déplacer d'un point à un autre à la surface du corps. L'intervention médicale elle-même représentait une impureté, un geste contre-naturel. L'hôpital est quant à lui considéré comme un lieu trouble, une entrave où la maladie risque de perdre sa pureté (par exemple au contact d'autres malades).Foucault va ensuite analyser la manière d'appréhender les épidémies de la fin du XVIII ème siècle : contrairement aux maladies, les épidémies n'étaient pas considérées comme des entités déterminées mais comme le produit du climat, de la famille et d'autres facteurs extérieurs. La perception de la maladie se fait de manière quantitative .Au lieu de classer les maladies, on multiplie les observations pour parvenir à une meilleure perception des remèdes et des causes à apporter. Foucault constate là l'éclosion d'un champ nouveau .En même temps, a lieu un contrôle social très strict avec une étroite collaboration entre la médecine et la police. Un acte illustre particulièrement cette mise en place aux yeux de Foucault, la création de la Société royale de médecine en 1776 : tout cela montre que ce qui est important maintenant, c'est la maladie elle même et non plus le malade. Par ailleurs,la médecine tend à se lier de plus en plus à l'Etat ; elle ne se limite plus seulement à des techniques, voire un art de guérison : la médecine s'attelle avant tout à une définition modèle d'un homme « en santé »50(*): les normes de santé deviennent collectives. La médecine intervient directement dans l'espace social. Ici s'esquisse une idée sur laquelle Foucault, comme nous le verrons , reviendra ultérieurement dans son oeuvre, même si l'on ne peut pas encore parler, comme ce sera le cas plus tard, de machine à guérir. En outre, ce nouveau regard passe par l'abandon des vieux codes du savoir de la médecine classique : Pour qu'émerge une nouvelle forme de savoir, il fallait que ces codes volent en éclats et qu'apparaissent de nouvelles modalités de savoir et de discours. Tout cela fut rendu possible aussi par un ensemble d'évènements. On assiste à une réorganisation du domaine hospitalier, au bouleversement de l'enseignement médical, à de nouvelles théories et pratiques scientifiques et à la montée des préoccupations sociales et économiques,à la redéfinition du statut social du patient ,soit à de nouveaux rapports entre la santé et le savoir : Tout concourt donc à une révolution, une rupture qui se prépare : «  D'un seul mouvement,médecins et hommes d'Etat réclament en un vocabulaire différent (...) la suppression de tout ce qui peut faire obstacle à la constitution de ce nouvel espace »51(*) .

M.Jay note dans l'ouvrage Foucault : Lectures critiques de Luce Giard, qu'il y a, chez Foucault, une fascination pour le regard dès le début de sa carrière qui coïncide avec son intérêt primitif pour Merleau Ponty (et notamment son ouvrage Phénoménologie de la perception), pour la psychologie existentielle de Binswanger et l'oeuvre de Heidegger. La maladie n'est plus une essence, elle devient visible ; l'hôpital va devenir le lieu privilégié d'observation et d'élaboration du savoir qui va permettre d'isoler les spécificités de la maladie. En outre, c'est à l'hôpital, seulement, qu'est possible la comparaison de plusieurs organismes malades entre eux,  voire entre un organisme malade et un organisme sain. Ainsi, se dessine la possibilité véritable d'une lecture exhaustive de la maladie et s'affirme l'importance de l'oeil, diseur de vérité : L'expérience clinique est d'abord un regard : Foucault parle de la « souveraineté du regard »52(*).Le médecin va pouvoir, grâce à son « coup d'oeil » appréhender et maîtriser le réel. La refonte se fait donc au niveau du savoir lui même : l'oeil pénètre à l'intérieur du corps, le parcourt et isole ensuite les points communs ou les différences, se fixe sur les événements particuliers et anormaux. Ce changement « n'est pas à inscrire à l'ordre des purifications psychologiques et épistémologiques ;ce n'est pas autre chose qu'une réorganisation syntactique de la maladie où les limites du visible et de l'invisible suivent un nouveau dessin »53(*) . Ce regard n'est pas au coeur d'une évolution progressive mais d'une véritable révolution où tout change au même moment:les objets, théories, expériences, méthodes mais aussi le langage, c'est précisément ce que Foucault identifie dans le chapitre 5 de Naissance de la clinique intitulé « Des signes et des cas ».Dans sa première phase,la médecine clinique est une médecine des symptômes,qui considère les maladies comme un ensemble de phénomènes dynamiques,des mélanges de symptômes :Tout part du symptôme, qui est la forme visible de la maladie : il est sa « transcription première »54(*) , la toux, la fièvre etc... Le signe quant à lui va être quelque chose de purement linguistique : Signes et symptômes veulent dire la même chose mais le signe transforme le symptôme, qui est pure expression de la maladie, en élément signifiant par l'intermédiaire de la conscience ; c'est ce langage du signe qui va aider le médecin à développer une vision complète de la maladie. Cette perception rejoint celle de Condillac dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines où il admet deux niveaux de connaissance, la sensation et la réflexion. Mais comme la connaissance n'est qu'une imparfaite correspondance entre les signes et les idées, elle doit être complétée par l'analyse, qui nous fait ainsi remonter au fond des choses. « La science est une langue bien faite » dira même Condillac. Dans l'expérience médicale, cette analyse nous renvoie au symptôme, premier signe de la maladie. En outre, cette dernière va se donner d'une part dans sa description précise (au niveau du langage) mais aussi directement et sans obstacle sur le corps du malade : « Il n'y a de maladie que dans l'élément du visible, et par conséquent de l'énonçable »55(*)  :la clinique est une articulation entre le langage et la perception d'une part mais elle est aussi une ouverture à une lisibilité et une visibilité grâce à l'entrée d'autres champs comme le langage ou les probabilités que l'on fait lorsque l'on perçoit des « cas » (analogies ,fréquences, diversité des combinaisons) : « Connaître sera donc restituer le mouvement par lequel la nature associe » 56(*).En outre,l'importation d'une certaine forme de pensée probabilitaire en médecine permet à l'incertitude caractéristique de la médecine des espèces de devenir une valeur positive :chaque difficulté,chaque nouveau symptôme est ainsi enregistré et placé dans une nouvelle « série aléatoire indéfiniment ouverte »57(*) .Les tableaux taxinomiques de la médecine classique sont ainsi remplacés par des « continua temporels » qui tiennent de plus en plus compte de l'étude des cas. La clinique se trouve donc « devant la tâche de percevoir, et à l'infini, les événements d'un domaine ouvert. »58(*).Foucault va toutefois montrer les limites de ce nouveau mode de perception. Ayant ainsi défini la clinique, il en analyse aussitôt la défaillance voire l'échec : « C'est dans l'effort pour penser un calcul des probabilités médicales que l'échec va se dessiner et les raisons de l'échec apparaître »59(*) . En effet, si l'apparition de la science probabilitaire en médecine a bien constitué un progrès, le strict transfert d'un modèle purement mathématique et objectif à quelque chose d'aussi incertain que la science pathologique provoque nécessairement des confusions et pose problème. C'est là une des caractéristiques de l'analyse foucaldienne comme le note Christiane Sinding dans l'ouvrage de Luce Giard, Michel Foucault, lire l'oeuvre :  « Foucault ne se contente pas d'analyser les conditions d'un progrès,mais toujours traque les illusions,les erreurs,les échecs dissimulés sous d'apparents succès » 60(*).

III : LA REVOLUTION MEDICALE : ACTEURS ET CONSEQUENCES

La médecine clinique va donc prendre naissance à l'intersection de tous ces savoirs et selon toutes ces conditions. Au seuil du XIX éme siècle va donc se constituer un nouveau paradigme médical : La médecine des symptômes est remplacée par la médecine des tissus, c'est-à-dire la théorie anatomo-clinique. Il reste pour Foucault à déterminer le lieu et les acteurs de cette révolution médicale. Le lieu c'est l'Ecole de Paris dont la première réunion eut lieu en décembre 1794 : On y discute de l'importance et de l'urgence d'un enseignement qui se fasse aussi cliniquement et non plus théoriquement. Cette révolution va être influencée par une certaine philosophie, celle des idéologues de Cabanis, qui considérait l'observation comme l'essence de la médecine et rejetait la physique et la chimie pour ne retenir que « le cercle des faits propres à la médecine ».Cette Ecole de Paris va connaître plusieurs périodes marquées par des personnages aux méthodes et aux vues totalement différentes. Tout d'abord, celle marquée par Philippe Pinel, qui prônait la classification comme l'objectif majeur de toute science. La seconde période débute ce qu'est réellement cette révolution médicale .Elle est incarnée par Xavier Bichat ,né en 1771 , auteur de deux ouvrages fondamentaux : le Traité des membranes et surtout les Recherches physiologiques sur la vie et la mort .Dans le chapitre 8 « Ouvrez quelques cadavres » ,Foucault décrit ce qui à travers ces deux ouvrages va accompagner la révolution médicale accomplie par l'Ecole de Paris .C'est avec Bichat que vont coïncider pour la première fois le regard clinique et l'anatomie pathologique. Ces deux méthodes, préexistantes à l'Ecole de Paris sont pour la première fois réunies en une seule, permettant ainsi de regarder différemment les pathologies. Le regard de Bichat va aller vers un au-delà jusqu'alors inexploré et inexploité notamment lorsque sera décidé de procéder à des dissections de cadavres. Bichat va partir des autopsies pour essayer de découvrir la vérité du vivant. Pour que le regard du médecin puisse déchiffrer les symptômes en profondeur, il faut qu'il aille en rechercher la source au plus près du corps : « Ouvrez quelques cadavres » est une formule de Bichat, illustrant parfaitement ce nouveau besoin clinique : « Vous auriez pendant vingt ans pris du matin au soir des notes au lit des malades sur les affections du coeur ,du poumon (...) que tout ne sera pour vous que confusion dans les symptômes (...) Ouvrez quelques cadavres :vous verrez aussitôt disparaître l'obscurité que la seule observation n'avait pu dissiper »61(*). Avec Pinel, à la première époque de l'Ecole de Paris, on ne touchait pas à la maladie, on pratiquait une médecine que l'on qualifierait d'attentiste. Bichat, dans sa vision locale de la maladie, insiste sur l'importance des tissus corporels. Le discours est fondamentalement celui de la connaissance, du savoir. La médecine doit avant tout être un lieu d'exercice du savoir, de la compétence du médecin pour une vision nosologique de la maladie : Décrire d'abord, pour mieux pratiquer ensuite. L'ouverture des cadavres est plus qu'une simple observation : « Le cadavre ouvert (...) C'est la vérité intérieure de la maladie »62(*).

Une des premières innovations de Bichat porte sur la notion de tissu, qui sera un concept déterminant de l'analyse clinique : Ainsi dans l'autopsie pratiquée par Bichat, les tissus sont les premiers composants anatomiques, devant les organes, organisant ces derniers en de vastes systèmes complexes. Leur organisation et leur agencement permettent la vie mais leur séparation vont de pair avec les processus morbides. Cette analyse permet à Bichat de retrouver « l'analyse dans le corps lui même »63(*).Foucault précisera que « l'oeil de Bichat est un oeil de clinicien parce qu'il donne un privilège épistémologique absolu au regard de surface »64(*).Regard de surface où la maladie n'est plus analysée passivement comme au temps de Pinel mais de façon dynamique et mouvante.

Avec Bichat, la pensée du vivant va se tourner vers la mort .Ce même Bichat définit d'ailleurs la vie comme « l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».Cette mise en place de la mort dans la pensée médicale, Foucault la constate également : « C'est du haut de la mort qu'on peut voir et analyser les dépendances organiques et les séquences pathologiques »65(*). Non seulement la pratique médicale se transforme, mais c'est aussi notre perception de la vie et de la mort qui change. L'anatomie clinique a besoin de la dissection des cadavres morts de maladie afin d'en déterminer le siège. La médecine clinique permet d'autopsier immédiatement après la mort, et par conséquent de faire la distinction entre les processus morbides et les processus d'acheminement à la mort : La mort ne serait plus une rupture brusque mais une disparition successive de fonctions La connaissance s'appuie paradoxalement sur la mort pour faire apparaître la vérité du vivant .Elle possède dans l'expérience clinique la vertu d'un révélateur. Elle rend possible un savoir, une connaissance médicale : si la médecine est bien la science de l'individu, la mort en est devenue sa condition première : « la nuit vivante se dissipe à la clarté de la mort »66(*). La médecine fonde un savoir de l'homme comme objet médical qui part de la finitude humaine, au sens de la mort. Réflexion sur des pratiques, la médecine clinique est donc à un autre niveau, celui des sciences humaines (ou plutôt des sciences de l'homme), une réflexion sur l'homme et sa limite : La mort. C'est cette nouvelle dimension, absente dans Histoire de la folie, qui apparaît là : Dans Histoire de la folie, ne figure aucune réflexion méthodologique sur l'histoire des sciences. Naissance de la clinique débroussaille un champ radicalement nouveau qui, dans les ouvrages futurs de Foucault, apparaîtra peut être plus nettement encore (surtout dans  Les mots et les choses) : « L'homme occidental n'a pu se constituer comme objet de science (...) qu'en référence à sa propre destruction (...). De la mise en place de la mort dans la pensée médicale est née une médecine qui se donne comme science de l'individu »67(*) nous dit Foucault. D'après cette citation, Naissance de la clinique ouvre sur les Mots et les Choses, en ce sens qu'on aperçoit dans ce bref moment de la médecine clinique la possibilité pour l'homme de se constituer à la fois comme sujet et comme objet de connaissance.

Conclusion de la première partie :

Des premiers articles sur la psychologie à Naissance de la clinique, il semble que Foucault ait d'abord mis en oeuvre une véritable étude épistémologique. Cependant le politique n'est jamais très loin : Dans Maladie mentale et personnalité, on la perçoit sous la forme idéologique. Mais pas seulement :Foucault s'est toujours étonné que l'on n'ait quasiment pas remarqué la dimension politique de Naissance de la clinique,malgré les analyses historico-politico économiques qui y sont faites,concernant la perception de la médecine de la fin du XVIII è siècle : « Quand j'ai écris un texte sur la formation de la médecine clinique ,un livre politique selon moi,personne n'en a parlé »68(*) .C'est toutefois dans des ouvrages comme Histoire de la folie (et notamment sa reprise tardive par le mouvement anti-psychiatrique à la fin des années 60) ou des travaux comme ceux que Foucault effectuera au début des années 70 sur la médecine sociale que ces considérations seront affirmées de manière plus systématiques :il va s'agir non plus d'interroger une science,ou la manière dont elle se constitue mais bien d'analyser certains gestes,certaines attitudes :Enfermer pour guérir ou discipliner pour intégrer ,dans le cas de la folie par exemple. C'est de cela dont il va s'agir maintenant.

II : L'INSTITUTION MEDICALE ET LA MEDICALISATION :

1 : Vers une médecine sociale ?

Foucault revient sur la question de la médecine d'une manière totalement différente de celle de Naissance de la clinique : Si les questions de politique de santé étaient effectivement présentes dans cet ouvrage, ce n'était qu'en tant que conditions d'émergence du regard médical. Mais elles n'étaient pas vraiment étudiées pour elles même. Dans les années 1970, la problématisation tourne autour de ce thème. C'est maintenant l'institution médicale et son rôle social normalisateur qui va constituer son champ d'observation : Foucault va désormais parler de « médecine sociale » avant de déboucher sur une réflexion sur le bio-pouvoir, comme dimension politique fondamentale.

I : QU'EST-CE QUE LA MEDECINE SOCIALE?

« La médecine moderne est une médecine sociale » affirme Foucault dans une des conférences de Rio en 1974.D'après lui, seule une petite partie de la médecine favorise des relations individuelles et la relation entre le médecin et le patient. Foucault s'est attaqué plus précisément au problème de l'hôpital dans ses recherches de 1974/1975 avec son groupe de séminaire, recherches dont le résultat figure en grande partie dans l'ouvrage collectif Les Machines à guérir .Le point essentiel réside dans le fait que la médecine soit une médecine sociale .Dans le premier article ,au début du livre, Foucault parle d'une véritable politique de santé en France à partir du XVIII ème siècle:c'est seulement dans le courant du XVII ème siècle que l'institutionnalisation de préoccupations permanentes pour la santé d'une population devient une affaire d'Etat,en Allemagne ,d'abord, comme Foucault le montrera lors de ses conférences de 1974 ,puis en France,avec la création de la Société royale de médecine (1772). A cette nouvelle préoccupation,on peut trouver plusieurs causes :d'une part,l'attention croissante portée à la santé au corps et à la médecine dans les cours monarchiques,sans doute sous l'influence des Lumières,d'autre part le développement d'une administration publique ayant pour charge la collecte des impôts :en effet,la mise en place de ce dispositif mettait en lumière la difficulté à compter exactement les richesses du royaume et par là même favorisait ainsi l'émergence de la notion de population :la population définit ainsi le rapport d'un corps social particulier,doté d'une certaine forme de vie organique, à un espace géographique. On assiste là ,selon Foucault ,à l'ébauche d'un processus qui voit l'Etat chercher à étendre son autorité à la santé de la population ; la Société royale de médecine étant le meilleur exemple de ces soucis, à grande échelle, pour la santé. La médecine s'appuie sur un appareil législatif, elle devient de plus en plus sociale « quantitativement » - il y a de plus en plus de médecins et de structures d'accueil - mais aussi qualitativement. Cette notion de « politique de santé » va servir de toile de fond à la professionnalisation du corps médical et suppose plusieurs choses :d'une part la notion de prévention ,il ne s'agit plus seulement de guérir mais aussi de « prévenir la maladie quelle qu'elle soit »69(*) .Autre point important , la prise en compte de la maladie comme phénomène statistique, comme étant l'observation d'un certain nombre de données (le milieu par exemple), de variables (comme le taux de mortalité) :la médecine devient « un élément pour le maintien et le développement de la société »70(*),elle va prendre place dans un système administratif ayant pour but le bien être et la santé d'une population. Il s'agit de prendre en compte non plus la somme des individus mais aussi la manière dont ils co-existent .A la fin du XVIII ème siècle, les médecins étaient pour une part des spécialistes de l'espace. Ils posaient les problèmes fondamentaux : celui des emplacements (climats régionaux, nature des sols, humidité et sécheresse...), celui de la co-existence (soit des hommes entre eux, soit des hommes et des choses), celui de l'habitat et celui des déplacements des hommes et de la propagation des virus. Selon Foucault, ils ont été « avec les militaires, les premiers gestionnaires de l'espace collectif » ;  « En fait, poursuit il, si l'intervention des médecins a été si capitale à l'époque, c'est qu'elle était appelée par tout un ensemble de problèmes politiques et économiques nouveaux »71(*) .

II : UNE HISTOIRE DE LA MEDECINE SOCIALE:

Foucault a retenu trois étapes historiques du passage d'une médecine individuelle à une médecine collective et sociale, coïncidant dans nos sociétés avec l'avènement du capitalisme et de la socialisation du corps : La médecine d'Etat en Allemagne, la médecine urbaine en France et la médecine de la force de travail ou « Health Service » en Angleterre.

- La médecine d'Etat : Foucault note que « le concept de Staatwissenschaft (science d'Etat) est un produit de l'Allemagne »72(*).En Allemagne, au début du XVIII ème siècle, s'est développée une pratique médicale consacrée à l'amélioration de la santé publique. Une série de programmes de police médicale aux tâches diverses a été ainsi instaurée, touchant aussi bien l'organisation du corps médical, que l'enseignement ou l'hygiène au niveau de l'Etat. Selon Foucault, le médecin dépasse son rôle de soigneur, de guérisseur pour endosser la tenue d'« administrateur de santé ».L'Allemagne est le véritable premier modèle de médecine sociale, jamais égalé du point de vue de l'organisation selon Foucault : « Depuis l'implantation de la médecine étatique en Allemagne, aucun Etat n'a osé proposer une médecine aussi clairement bureaucratisée, collectivisée et étatisée »73(*).

- La médecine urbaine : mise en place en France à la fin du XVIII ème siècle,elle se différencie de la médecine d'Etat allemande dans le sens où ,d'après Foucault,elle n'agit pas sur les mêmes endroits : « Cette médecine restait très éloignée de la médecine d'Etat telle qu'on pouvait la rencontrer en Allemagne,mais elle était beaucoup plus proche des petites communautés comme les villes ou les quartiers »74(*).A partir de 1750, la médecine se développe parallèlement aux structures urbaines .De nombreuses mesures de quarantaine sont mises en place, par peur des épidémies, notamment à Paris. Cette mesure drastique représentait toutefois l'idéal politico- médical d'une bonne organisation sanitaire des villes au XVIII éme siècle. La médecine urbaine va se baser sur le même état d'esprit que ces mesures de quarantaine, avec quelques améliorations cependant : On ne parlera plus de quarantaine mais d'hygiène publique. Les objectifs principaux de cette médecine urbaine sont d'une part l'étude de zones sensibles pouvant générer des épidémies, d'autre part le contrôle de circulation de l'air et de l'eau. A cette époque, la médecine entre ainsi en contact avec d'autres sciences comme la chimie par exemple (notamment pour les analyses de l'eau et de l'air) : Selon Foucault, la médecine s'inscrit alors dans un champ scientifique de discours et de savoir dans une optique collective, sociale et urbaine. L'hygiène publique va être surtout basée sur l'étude et le contrôle du milieu et va contribuer au développement au XIX ème siècle de la médecine scientifique : « Une grande partie de la médecine scientifique du XIX ème siècle trouve son origine dans l'expérience de cette médecine urbaine qui s'est développée à la fin du XVIII ème siècle. »75(*).

- Le « Health Service » en Angleterre : L'objectif diffère ici de celui la France et de l'Allemagne. Il prend un tournant radicalement social .Il va s'agir de ne plus considérer le pauvre comme un élément menaçant pour la santé publique. Le contrôle médical pour les plus nécessiteux va en même temps permettre de préserver les populations les plus aisées : « Ainsi les riches se libéraient du risque d'être victimes de phénomènes épidémiques issus de la classe défavorisée »76(*).Fut alors mis en place le système de « Health service » qui avait des missions de localisation des lieux insalubres, la détection des épidémies et le contrôle de la vaccination. Il s'agissait d'une forme de protection de la santé de la population sans distinction : Les soins n'étaient pas individualisés mais concernaient la population toute entière.

Seule la « version anglaise » de la médecine sociale a eu un impact important sur la médecine à venir, contrairement aux deux autres modèles européens. Elle a permis d'établir trois choses : l'assistance médicale du pauvre, le contrôle de la santé de la force de travail et les enquêtes générales sur la salubrité sociale. Le système anglais rendit possible selon Foucault l'organisation d'une médecine aux aspects et aux formes de pouvoirs différents.

III : LE FONCTIONNEMENT MODERNE DU POUVOIR ET DU SAVOIR MEDICAL:

Foucault a poursuivi son étude de la médecine sociale en s'interrogeant sur le problème du fonctionnement moderne du savoir et du pouvoir médical. Celà fit l'objet d'une autre conférence, toujours à Rio, sur le même thème de la médecine sociale. Foucault prend l'exemple du plan Beveridge en Angleterre, mis en place pendant la seconde guerre mondiale, comme étant l'archétype de la prise en charge de la santé par une société. Ce plan comporte plusieurs caractéristiques intéressantes : d'abord, la prise en charge de la santé par l'Etat (ce qui n'est pas nouveau comme nous venons de le voir). Ensuite le fait que la santé entre dans le champ macro-économique et devienne une source de dépense importante. Avec ce plan, c'est donc bien l'idée, nouvelle celle-ci, d'un droit à la santé qui apparaît : « Le concept de l'état au service de l'individu en bonne santé se substitue au concept de l'individu en bonne santé au service de l'Etat »77(*). Foucault constate ainsi l'émergence d'une nouvelle « politique du corps » dans les années 1940/1950 : le corps devient un des principaux objectifs de l'intervention de l'Etat. Foucault parle de « somatocratie »78(*) : « Nous vivons sous un régime pour lequel l'une des finalités de l'intervention étatique est le soin du corps, la santé corporelle, la relation entre médecine et santé »79(*).Autres aspects de cette nouvelle prise en charge de l'individu,le droit,tout à fait nouveau,d'être malade et d'interrompre son travail pour raisons de santé.Foucault veut montrer que « la médecine a toujours été sociale » que « ce qui n'existe pas c'est la médecine non sociale, individualiste, clinique »80(*).La montée de cette préoccupation coïncide notamment avec ce que Jean-Claude Monod nomme une « lente métamorphose des valeurs » 81(*): le fait que le souci du corps a , d'une certaine manière, remplacé le souci de l'âme dont se chargeait la religion. Trois points importants ont été développés au cours de cette conférence au Brésil:

- La bio-histoire : selon Foucault, elle est « la trace que peut laisser dans l'histoire de l'espèce humaine la plus forte intervention médicale qui débute au XVIII éme siècle. »82(*).Foucault constate que la médecine tue et a toujours tué. Avant, la médecine tuait à cause de l'ignorance du médecin, du fait que les connaissances n'étaient pas encore ce qu'elles sont aujourd'hui. Au XX éme siècle, les progrès sont considérables et la médecine tue parce qu'elle est une science. Foucault parle de « risque médical » ; c'est à dire le lien entre les effets positifs et négatifs de la médecine. Par exemple, si la découverte des anesthésiques dans les années 1845/1847 représente indubitablement une avancée médicale de qualité, elle a pourtant été accompagnée d'une hausse de la mortalité et il s'est avéré que, sans asepsie, que l'on anesthésie ou non, toute opération peut se révéler dangereuse. Selon Foucault, ces avancées qualitatives de l'individu furent d'emblée vérifiables pour l'espèce humaine en général.

- Le second phénomène caractéristique de la médecine moderne est celui d'une médicalisation indéfinie, c'est-à-dire « le fait que l'existence, la conduite, le comportement, le corps humain s'intègrent à partir du XVIII éme siècle dans un réseau de médicalisation de plus en plus dense et important »83(*) .La médecine a traditionnellement un domaine qui lui est propre, celui de répondre à la douleur du malade et de circonscrire son champ d'activité aux maladies. Au XX éme siècle, constate Foucault, la médecine est allée bien au delà de son champ d'action : la médecine s'impose à nous d'autorité : « On n'embauche plus quelqu'un sans l'avis du médecin qui examine autoritairement l'individu ».En outre, les objets du domaine médical s'étend bien au delà des maladies : elle s'occupe de sexualité ou d'hygiène par exemple. La santé en général est devenue objet d'intervention du médecin .Le rôle de l'Hôpital a également évolué : celui ci est devenu un « appareil de médicalisation collective »84(*).La médecine est ainsi passée d'une pratique essentiellement individuelle à une pratique presque exclusivement sociale. Selon Foucault, la médecine moderne est caractérisée par le fait que très peu de domaines lui sont maintenant étrangers : « On ne parvient pas à sortir de la médicalisation (...) la prépondérance conférée à la pathologie devient une forme générale de régulation de la société»85(*).Comme le note B.Cabestan dans l'ouvrage de P.Artières et E.Da Silva Foucault et la médecine,  « Toute pratique est comme colonisée par le savoir médical ».

- La question économique : c'est-à-dire « l'intégration de l'amélioration de la santé, des services de santé et de la consommation de santé dans le développement économique des sociétés privilégiées »86(*). Foucault constate que « la santé est devenue comme un objet de consommation ».En effet, les hommes produisent, à très grande échelle, des médicaments que d'autres hommes consomment ensuite .Les sociétés occidentales ont intégré dans la notion de développement économique l'amélioration des services, et de la consommation de produits de santé. On parle actuellement de « marché de la santé » .Toutefois, Foucault constate que si au niveau économique une hausse de la consommation induit une hausse du niveau de vie, il n'en va pas de même pour la médecine : une hausse de la consommation de produits de santé n'entraîne pas un meilleur niveau de santé.

IV : UNE CRITIQUE DE LA MEDECINE TRADITIONELLE :

Par le constat de cet ensemble de phénomènes, Foucault a notamment voulu se démarquer des mouvements anti-médecine, notamment celui d'Ivan Illich (voir pour cela le titre de l'une des deux conférences de Rio : Une crise de la médecine ou de l'anti-médecine).Pour Illich, la médecine actuelle crée des nuisances au lieu de soigner : les indicateurs de santé sont faux et privilégient l'individu malade au lieu de mettre en lumière l'environnement pathogène autour de cet individu. Selon Foucault, il n'y a selon lui pas de crise actuelle de la médecine mais l'aboutissement d'un fonctionnement historique débuté dés le XVIII ème siècle. On ne doit ni rejeter en bloc la médecine et ses institutions (comme le fait Illich), ni les accepter non plus : Celles-ci sont tellement ancrées dans la société qu'il est impossible d'envisager autre chose que leurs modifications, leurs évolutions. Cette médicalisation progressive n'est pas dangereuse en elle-même, Foucault n'ayant jamais considéré comme nuisible les progrès de la médecine et l'amélioration des soins... En revanche,on peut accréditer la thèse de Jean Claude Monod selon laquelle Foucault trouverait anormal que des pays sous-médicalisés ou sujets à de graves maladies guérissables pourtant dans notre monde occidental,ne profiteraient pas de ce « boum » de la médecine. Il nous faut toutefois admettre que la médecine appartient à un ensemble de systèmes, historiques, économiques ou encore un système de pouvoir qui s'il n'est pas mieux maîtrisé à l'avenir peuvent constituer un réel danger. Les grandes difficultés rencontrées actuellement dans certaines branches de la thérapeutique (clonage, bio-éthique...) peuvent en tout cas donner crédit aux inquiétudes de Foucault. Dans « Les grandes fonctions de la médecine dans notre société », cité dans Dits et écrits et datant de 1972, Foucault réagit violemment sur le reproche fait à des élèves d'avoir flirté dans un lycée de Corbeil et, surtout, sur un rapport du docteur J.Carpentier, radié de l'ordre des médecins à cause d'un tract intitulé « Apprenons à faire l'amour ».Foucault s'interroge sur les raisons pour lesquelles le corps médical a pu se sentir attaqué. Il nous donne de précieux indices sur sa vision du corps médical, en dépit du contexte houleux de cette affaire qui a peut être exacerbé son sens critique. Foucault se démarque de ces « quatre ou cinq grandes fonctions de la médecine traditionnelle »87(*) et déplore les faits suivants :

- Que la médecine soit une pratique essentiellement individuelle, un dialogue médecin-malade.

- Que la médecine soit devenue un facteur de discrimination sociale et morale : il n'y a pas une mais plusieurs sortes de médecines adaptées aux différentes classes de la société.

- Que la médecine (essentiellement la médecine psychiatrique) ait pour fonction principale de remplacer la religion en tant que gardienne d'un certain ordre moral.

- Que la médecine juge de la normalité ou de l'anormalité de tel ou tel acte : La médecine outrepasse sa vocation originaire en se faisant aussi une instance judiciaire.

Outre ce constat d'une médecine en crise, Foucault s'est intéressé à la manière dont la médecine s'organisait à l'échelle de la société, comment elle s' « épanouissait » à l'hôpital et comment celui ci était le véritable instrument de la médecine sociale.

2 :L'hôpital, instrument de la médecine sociale

I:LE PROBLEME DE L'HOPITAL

L'idée de l'hôpital naît au XVIII ème siècle, autour de 1760 et suit de près une volonté de contrôle social qui prend la forme d'une médicalisation. Il s'agit dès le départ de contrôler la propagation des maladies imputées à la pauvreté.  « Jusqu'au XVIII ème siècle, le personnage idéal de l'hôpital n'était donc pas le malade, celui qu'il fallait soigner, mais le pauvre, qui était déjà moribond. Il s'agit d'une personne qui nécessite une assistance matérielle et spirituelle, qui a besoin de recevoir les ultimes secours et les derniers sacrements. C'était la fonction essentielle de l'hôpital. »88(*) .L'hôpital affirme donc la volonté des pouvoirs politiques et biomédicaux de juguler le « désordre ».Ainsi, il s'inscrit dans un processus de médicalisation, entendue ici comme une volonté disciplinaire. La « discipline » et l'hôpital sont ainsi liés par une relation essentielle. Cette "discipline" hospitalière représente « le pouvoir de l'individualisation dont l'instrument fondamental réside dans l'examen. L'examen, c'est la surveillance permanente, classificatrice, qui permet de répartir les individus, de les juger de les évaluer, de les localiser et, ainsi, de les utiliser au maximum. »89(*) .L'hôpital va apparaître comme le maillon essentiel de la médecine sociale comme l'a décrite Foucault. Dans Naissance de la clinique, l'hôpital apparaît clairement comme un lieu de savoir. Dans les Machines à guérir, il en va tout autrement:l'émergence de la médecine moderne doit avant tout passer par la remise en cause, en profondeur, des structures hospitalières. L'hôpital du XVIII éme siècle apparaît comme dépassé, obsolète, à la limite de l'inutilité .Il est considéré non comme une structure qui enrayerait le mal, mais comme continuant à le propager à l'intérieur comme à l'extérieur de lui, un « foyer de mort » peu en adéquation avec la médicalisation de la population à cette époque. On songe à le remplacer par la médecine à domicile, qui coûterait moins cher, les dispensaires ou la famille elle même, qui serait capable d'offrir des soins de nature plus personnalisée. De nombreux projets visant à étendre la distribution de la médecine de cette manière furent élaborés, dans un mouvement généralisé de « déshospitalisation ».Ces tentatives échouèrent : c'est l'hôpital lui même qui va entamer sa mutation et s'impliquer dans l'espace urbain. Ainsi, on proposa à la fin du XVIII ème siècle de nombreux projets architecturaux, qui devaient faire de l'hôpital un « élément fondamental », une machine à guérir, c'est à dire allant vers la rentabilité de l'opération thérapeutique au détriment de l'assistance. Le traitement de la maladie devient un choix politique, l'hôpital un instrument de guérison, au profit d'une technique générale de santé. On va parler, à propos de l'hôpital, d'un équipement de santé. Ces réformes des hôpitaux à la fin du XVIII ème siècle viennent en grande partie de cette nouvelle vision de l'aide thérapeutique ,la prise en compte de nouveaux facteurs comme la quantification des besoins médicaux ou l'apparition de la population comme nouveau lieu de savoir médical. Cette réforme va d'abord être architecturale, « physique » nous dit Foucault 90(*).L'incendie de l'Hôtel Dieu en 1772 n'aurait pu être qu'un accident parmi d'autres, les incendies et autres accidents de ce type étant légion à cette époque,mais il fut à la base d'une totale redéfinition de l'architecture hospitalière traditionnelle. De 1772 à 1788 on proposa plus de deux cents plans de réforme : Fallait il reconstruire l'Hôtel Dieu tel qu'il était ou innover totalement ? En 1788, on proposa la construction de quatre hôpitaux à sa place. Le projet échoua finalement. Plusieurs traits communs de spatialisation caractérisent ces projets : d'une part la création d'entités médicales spécialisées par type de maladie (les hôpitaux spécialisés) et par individu malade (lits individuels, ce qui ne va pas de soi à cette époque) : On adapte les espaces aux malades. D'autre part, l'émergence des structures dites pavillonnaires, c'est à dire la séparation à l'intérieur même du bâtiment hospitalier en unités indépendantes. Deux typologies architecturales dominent l'ensemble de ces propositions :le modèle pavillonnaire (c'est à dire l'idée d'un morcellement de la structure hospitalière ) et le modèle panoptique (« donner la facilité de tout voir d'un seul point et d'arriver à tout dans le moindre espace de temps possible »91(*)).Le modèle panoptique semblait ainsi offrir le meilleur moyen de contrôle possible par l'unité et la liaison entres les structures intra-hospitalières ,ce que le modèle pavillonnaire semblait moins apte à offrir. C'est finalement le projet du médecin Jacques Tenon qui sera retenu, un modèle inspiré de l'infirmerie royale Stone house à Plymouth, une architecture dite « ventilée » où  semble absente toute volonté de contrôle direct, tant il semble morcelé (voir illustration).A partir de 1788, l'affaire est entendue : La distribution architecturale qu'adoptera le XIX ème siècle sera celle de longs pavillons parallèles agencés symétriquement. Ce type d'architecture, d'apparence assez austère et disgracieux répondait à des exigences autres qu'esthétiques .Ce que Foucault montre à travers cette question c'est la dimension prise par les conséquences de cet incendie somme toute banal : L'incendie qui embrasa les bâtiments de l'Hôtel-Dieu la nuit du 29 décembre 1772 déclenche une prise de conscience, dans les milieux politiques et médicaux, de l'état déplorable de l'hygiène hospitalière .L'hôpital devient l'affaire de l'Etat, son espace une préoccupation nationale et la « nouvelle distribution des chances de guérison » :l'hôpital devient un équipement, un instrument de guérison de service public, puisque nous passons à cette même époque, d'une médecine individualisée et essentiellement privée à une médecine collective et publique .

fig. 1:Le modèle Tenon (1788)

II : L'ARCHEOLOGIE DES MACHINES A GUERIR:

A l'occasion d'une autre conférence prononcée en octobre 1974,toujours à Rio et toujours sur le thème de la médecine sociale,Foucault s'est interrogé sur ce moment crucial où l'on considère désormais l'hôpital comme un instrument capable de dispenser des soins à des malades. Il propose, en quelque sorte, une « archéologie » des machines à guérir. Tout débute aux alentours de 1760, au moment où s'instaure une nouvelle pratique, la visite des hôpitaux, qui a principalement pour tâche principalement d'aboutir à un programme de réformes de l'institution médicale. Des médecins comme Howard, entre autres, vont ainsi rendre compte de l'hygiène, du nombre de lits, et, par l'intermédiaire de la statistique, du taux de mortalité et de natalité et constater que l'hôpital agit sur les maladies. On se propose alors de déterminer précisément les relations entre les maladies et l'hygiène à l'hôpital : « C'est ainsi qu'apparut une nouvelle façon de voir l'hôpital, considéré comme un mécanisme devant soigner et pour cela devant d'abord corriger les effets pathologiques qu'il pouvait produire »92(*) . Foucault soutient donc l'idée que la fonction de l'hôpital en tant que structure de soins est assez nouvelle : à la base, il n'était pas du tout fait pour celà. Au Moyen Age, la médecine était loin d'être une profession hospitalière, c'était plutôt une initiative d'assistance à la misère et à la pauvreté. Le pauvre est, rappelons le, « une personne qui nécessite une assistance matérielle et spirituelle, qui a besoin de recevoir les ultimes secours et les derniers sacrements. C'était là la fonction essentielle de l'hôpital »93(*) .Le personnel hospitalier était en grande majorité constitué par des religieux et non par des médecins. La pratique médicale de cette époque ne se rencontre donc pas du tout à l'hôpital : La médecine est essentiellement individualisante : l'expérience hospitalière ne rentrait pas dans l'expérience du médecin : « En conséquence, jusqu'au milieu du XVIII éme siècle, l'hôpital et la médecine restent deux domaines séparés. »94(*) .Restait, pour Foucault, à comprendre les conditions d'émergence de la réforme hospitalière qui s'opère à cette époque. On a d'abord cherché à gommer les défauts de l'hôpital, c'est-à-dire les pathologies qu'il pouvait lui-même engendrer. Le point de départ se trouve dans le cadre de l'hôpital militaire et dans celui de l'hôpital maritime, soit dans un cadre autre que celui du civil, grâce à l'apparition de la notion de discipline. La réorganisation de l'hôpital va donc se faire non pas d'après une base médico-scientifique mais bien politique : « La discipline est une technique d'exercice du pouvoir qui n'a pas été, à proprement parler, inventée, mais plutôt élaborée au XVIII ème siècle  »95(*).En effet, si les mécanismes disciplinaires datent de la nuit des temps, l'utilisation de ces mécanismes à des fins de contrôle et de gestion du comportement humain est en revanche tout à fait nouvelle. L'introduction de la discipline à l'hôpital implique plusieurs choses :

- Une nouvelle répartition spatiale des individus : on place les individus dans un soucis d'optimisation de leur efficacité (comme c'est notamment le cas à l'école et à l'armée) : « La discipline est avant tout une analyse de l'espace : C'est l'individualisation par l'espace »96(*) .

- Le développement d'un art du corps humain : c'est-à-dire déterminer les mouvements les plus efficaces à allouer à telle ou telle tâche

- Une surveillance continuelle des individus (comme nous l'avons vu à propos des problèmes architecturaux lors de la réforme hospitalière d'après l'incendie de l'Hôtel Dieu et comme nous le verrons aussi à propos du pouvoir psychiatrique)

- Un rapport constant sur l'individu, par divers moyens (annotations, écriture...) : « Aucun détail n'échappe au sommet de la hiérarchie ».97(*)

Foucault définit ainsi la discipline : Elle est « l'ensemble des techniques en vertu desquelles les systèmes de pouvoir ont pour objectif et résultat la singularisation des individus »98(*).Introduite dans le domaine hospitalier, la discipline va ainsi permettre la médicalisation de ce dernier. Toutefois, la discipline s'accompagne d'un autre facteur, à savoir la transformation du savoir médical qui va de plus en plus s'orienter vers une étude sur le milieu et de son interaction avec l'individu. C'est ainsi l'action conjuguée de ces deux phénomènes qui va donner naissance à « l'hôpital médical »99(*) .

III:QUELLES CARACTERISTIQUES POUR L'HOPITAL MEDICAL ?

La première caractéristique importante de cet hôpital qui a enfin pris sa valeur médicale est l'importance accordée à la question de l'espace, et ce à deux niveaux :

- Savoir, dans un premier temps, où situer l'hôpital ; décision qui sera prise au final en fonction de la manière dont va s'organiser l'espace urbain

- Construire un milieu adéquat autour du malade, un « petit espace individuel, spécifique, modifiable selon le patient, la maladie et son évolution »100(*), ajouté à la possibilité de modifier le milieu ambiant (actions sur la température, le taux d'humidité par exemple).

Seconde caractéristique, le changement dans la gestion et l'organisation administrative de l'hôpital : avant, le pouvoir était détenu, principalement, par le pouvoir religieux. Le médecin n'était réellement appelé qu'en cas d'urgence et dépendait administrativement du personnel religieux, véritable gestionnaire de l'hôpital. Au moment où l'on réorganise l'espace hospitalier, c'est le médecin qui en devient le principal responsable. Sa présence à l'hôpital devient de plus en plus importante : « La présence du médecin dans l'hôpital se réaffirme et s'intensifie » note Foucault.101(*)

Dernière caractéristique et non des moindres car c'est elle que l'on va retrouver ultérieurement, plus spécifiquement lorsque Foucault s'interrogera sur cette discipline particulière qu'est la psychiatrie et la manière dont elle s'exerce, le système de contrôle et de surveillance permanent, à tous les niveaux de l'organisation hospitalière, notamment par la constitution d'archives documentaires qui aboutiront à la formation d'une toute nouvelle forme de savoir médical. L'hôpital apparaît ainsi comme « un lieu de transmission du savoir »102(*) et l'individu comme « un objet du savoir et de la pratique médicale »103(*) .

3 : La folie devient objet médical : La naissance de l'asile :

I : UNE HISTOIRE DE L'INSTITUTION PSYCHIATRIQUE ?

Foucault a commencé la rédaction d'Histoire de la folie en 1955 pour l'achever quasiment en 1958, durant son séjour à Uppsala en Suède en tant que détaché de l'éducation nationale pour les affaires étrangères et lecteur de français à l'université d'Uppsala. Ce séjour sera donc marqué, sur le plan professionnel, par ses nombreuses activités officielles, mais aussi consacré à la rédaction de sa thèse. Avec Maladie mentale et personnalité, Foucault avait voulu cerner ce qu'était l'aliénation d'un point de vue psychiatrique et sa critique était fortement marquée par le marxisme. Lorsqu'il travaillait à l'hôpital psychiatrique, de nombreux médecins lui avaient proposé d'écrire une histoire de leur profession ; Foucault, lui, était plus intéressé par les fous que par les médecins, par l'objet de cette discipline plus que par la discipline elle-même, la folie, ou plutôt par le rapport entre la raison et la folie qui se traduira à l'époque moderne par le rapport médecin - patient. C'est en grande partie dans la très fournie bibliothèque de l'université d'Uppsala que Foucault va collecter la grande partie du fonds documentaire de son ouvrage. Il y trouvera un grand nombre de lettres de manuscrits et d'archives médicaux .Il envisagea même un temps de soutenir sa thèse en Suède, mais elle sera refusée par le titulaire de la chaire d'histoire des sciences de l'université qui trouva l'ouvrage trop « alambiqué ». Toutefois il n'est pas exclu non plus que son travail n'ait pas été entièrement réalisé en « exil » mais aussi à Paris, à la bibliothèque de l'hôpital St-Anne ou à la bibliothèque nationale. Foucault devra ainsi attendre plusieurs années avant de soutenir son travail qui, s'il est terminé du point de vue de la recherche, reste néanmoins perfectible sur le plan de la rédaction. Il retourne en France en 1960.A cette époque son livre est terminé et le titre définitif en sera Folie et déraison. Histoire de la folie à l'âge classique ,un titre qui ne fut pas la première idée de Foucault (l'ouvrage aurait pu se nommer l'autre tour de la folie).Cet ouvrage est donc d'abord le travail d'un universitaire:la somme de documents et d'archives y est impressionnante comme le constate le rapporteur de sa thèse ,Georges Canguilhem : « Quant à la documentation, M.Foucault a lu et revu (...) une quantité considérable d'archives ».L'importance de l'auteur du Normal et du pathologique n'est pas négligeable dans la publication et l'impact futur de l'ouvrage. La présence de ce grand personnage de la philosophie des sciences tout au long de la genèse de l'ouvrage, si elle fut plus souterraine que directe aida Foucault dans la diffusion de sa thèse et à obtenir un impact certain, comme nous le verrons, dans divers cercles médicaux et philosophiques.

La première préface d'Histoire de la folie exprime l'ambition philosophique et critique de l'ouvrage mais sera supprimée définitivement en 1972, dans la seconde édition. C'est cette préface qui donne le meilleur aperçu du projet de Foucault. Elle commence par une citation de Pascal : « les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n'être pas fou »104(*) : Il faut faire l'histoire de cet « autre tour de folie », ce moment dans la pensée occidentale où les hommes vont se retrouver dans le langage de la « raison souveraine »105(*), c'est à dire le moment précis où va changer la perception de la folie à l'intérieur de nos sociétés. La démarche de Foucault a donc ceci d'intéressant qu'étant lui-même censé être du côté de la rationalité, de la philosophie, il décide d'écrire ce livre sur la folie...Il faut « retrouver le moment de cette conjuration, avant qu'elle n'ait été définitivement établie dans le règne de la vérité »106(*).Foucault nous invite ici à revenir à une sorte d'expérience primordiale de la folie, en en réduisant les vérités délivrées par le savoir positif. Il faut « renoncer aux confort des vérités terminales »107(*) : Il faut se défendre d'utiliser l'arsenal de concepts qui régit la psychopathologie de son époque afin de mieux entrevoir une expérience primaire. Celle-ci ne serait pas une expérience de la folie elle même mais l'histoire d'un moment trouble et saisissant, celui de la césure qui va établir le partage entre raison et non raison. C'est à partir de ce point seulement qu'ont pu se constituer des vérités positives sur la folie et se constituer la folie comme maladie mentale. Foucault va tenter de ressaisir un « noeud » historique sur lequel ensuite vont pouvoir s'organiser les discours positifs de la psychiatrie .Le ton est ici emprunté à la phénoménologie de Merleau-Ponty qui parlait, en deçà des discours positifs, d'une expérience « primaire de la peinture ». Pour ressaisir le sens primordial de cette expérience, il convient de se débarrasser de toutes les catégories médicales dans lesquelles la folie a été enfermée. Le fou emmuré dans des définitions positives ne peut plus parler avec l'homme de raison : « De langage commun il n'y en a pas ; ou plutôt il n'y en a plus : la constatation de la folie comme maladie mentale (...) dresse le constat d'un dialogue rompu »108(*).Le langage est ici du seul côté de la raison et non plus, sous une forme différente, aussi du côté de la folie. La folie n'a pas toujours été muette mais elle a été réduite au silence, forcée de se taire par la raison : « Le langage de la psychiatrie, qui est monologue de la raison sur la folie n'a pu s'établir que sur un tel silence »109(*). Une phrase, plus particulièrement, définit le projet de Foucault : « je n'ai pas voulu faire l'histoire de ce langage mais plutôt l'archéologie de ce silence » 110(*): faire l'archéologie de ce silence c'est réunir un certain nombre d'indices, de fouiller les archives de toute la culture occidentale pour trouver le point précis de ce tournant dans nos civilisations : « l'homme européen depuis le fond du Moyen Age a rapport à quelque chose qu'il nomme confusément Folie démence, déraison... »111(*). C'est sur ce nouveau contexte culturel original qui va esquisser la radicale altérité entre raison et folie et va se développer progressivement, que Foucault développe son analyse. Il semble penser qu'il existe quelque chose comme un pur état de la folie, un quelque chose que ces diverses formes culturelles chercheraient à cacher, à enfouir. L'histoire de la folie va être, en outre, l'histoire de limites, une « histoire de limites, de ces gestes obscurs (...) par lesquels une culture rejette ce qui n'est pas elle. »112(*).Foucault aurait pu faire une histoire de la psychiatrie qui soit comme la plupart des histoires de la médecine, une galerie de portraits de nombreux personnages centraux de la discipline (Pinel, Tuke ...).Au contraire, cette histoire est celle d'un objet intemporel, difficile à manier, vaste et dont la perception est très changeante au cours du temps. Ce qui intéresse Foucault ce n'est pas de décrire une série d'événements fondateurs de la psychiatrie mais bien ses conditions d'apparition à un moment donné, ce qui fait que ,à un moment donné ,on ait, dans nos sociétés, cette perception et pas une autre. Il va s'agir d'étudier l'agencement des différentes formes d'indices, de reconstituer les bases d'un changement de mentalité. La démarche reste historique en ce qu'elle se base sur un ensemble de faits et qu'elle suit une évolution horizontale, linéaire mais elle est, à un autre niveau, la reconstitution de la mise en ouvre du partage raison/déraison, reconstitution sur le mode vertical dans le sens où Foucault repère les choix constitutifs d'une société face à ce qui n'est pas elle.

Histoire de la folie est donc une histoire positive du passage de la « folie » à la maladie mentale, tout en étant cependant un effort pour redonner la parole à la folie, réduite au silence par les structures aliénantes de l'internement.

II : DE L'AGE CLASSIQUE A LA GRANDE PEUR:

L'Histoire de la folie à l'âge classique permet de nous renseigner de manière précise sur ce que Foucault considère comme un tournant de la prise en compte de la folie à l'intérieur des sociétés. L'âge classique avait consacré la folie comme déraison, comme le contraire absolu de la raison. La Renaissance avait donné la parole à la folie et aux fous (littérairement avec Erasme, picturalement avec Bosch notamment), ceux-ci étant devenus des personnages majeurs de la littérature et de l'art du XV ème au XVII ème siècle car symbolisant un autre « nous » qui fait peur, la source de tous les défauts humains. Cette vision se fane à l'âge classique qui la réduit au silence et ne la perçoit plus que comme un écart par rapport à une norme sociale comme la pauvreté et la misère. La folie est exclue de la vie intellectuelle ou bien ne survit qu'à travers quelques chefs d'oeuvre de Goya ou Sade. La voilà reléguée au statut purement négatif de déraison. Le renversement est donc total .Jean Claude Monod dans son petit ouvrage consacré à l'étude des institutions et du juridique dans l'oeuvre de Foucault (La police des conduites) parle d'un « basculement qui s'opère,de l'altérité à l'aliénation »113(*) .Altérité dans le sens où la folie était mise sur un pied d'égalité avec la raison,et se présentait comme autre vérité ;aliénation car la déraison devient une nature amputée de la raison,enfermée dans une détermination normative,sociale au même titre que les homosexuels et autres dépravés. Ce nouveau statut de la folie au milieu du XVII ème siècle accompagne un changement décisif des institutions dans son traitement. La création de l'Hôpital Général à Paris, en 1656, marque pour Foucault le début de l'ère du grand renfermement qui est « la structure la plus visible dans l'expérience classique de la folie »114(*).Jean-Claude Monod note que l'Hôpital Général est d'abord,au même titre que d'autres structures du même acabit qui apparaissent en Europe à la même époque,une institution répondant à de nouveaux besoins matériels comme le manque de main d'oeuvre et la nécessité de remettre au travail une certaine catégorie de population,mais qu'elle est aussi pour Foucault une « transformation de la pensée même de la folie »115(*). Le XVIII ème siècle invente pour Foucault l'espace de l'internement. Désormais, on enferme les fous aux côtés des délinquants, mendiants et autres marginaux dans des espaces visant le plus souvent à corriger, à redresser ,en vue de remettre au travail , ceux qui apparaissent comme une charge pour la société. La folie est réduite à la déraison dans le sens où elle devient une inadaptation à certaines valeurs, à certains comportements sociaux conformes à la pensée classique. Toutefois cette forme d'internement, loin d'avoir encore une quelconque portée médicale ou thérapeutique, poursuit un but moralisateur et normatif. Le fou n'est plus pensé que sous un angle moral .La folie n'est plus ce qui fascine ou intrigue mais bien ce qui fait scandale et trouble l'ordre public. C'est le sentiment objectif, à la fois moral et économique, qui prévaut. L'enfermement du fou au XVII ème siècle n'est en aucun cas le pressentiment de son internement thérapeutique : le fou fait honte à toute sa famille et à la société toute entière. La folie n'est plus cet objet cauchemardesque de nos imaginations, mais est devenue ce qui scandalise notre conscience morale et ce qui nous choque comme dégénérescence de la raison.

C'est au milieu du XVIII ème siècle que Foucault constate le surgissement du médecin dans les structures d'internement propres à l'âge classique. Les raisons de cette brusque apparition ne sont cependant pas à chercher dans le besoin d'une intervention thérapeutique. Ce n'est pas pour soigner le fou brusquement identifié comme malade que ce besoin se fit sentir. C'est dans le chapitre « La grande peur » que Foucault nous enseigne que c'est dans la crainte des épidémies que s'installe à cette époque « un mal assez mystérieux qui se répandrait (...) à partir des maisons d'internement. (...) on parle de fièvres des prisons. »116(*). Cette fièvre des prisons sonne comme une sorte de retour au Moyen Age, au temps de la lèpre. Ressurgissent ainsi les vieux démons de l'imaginaire collectif, une sorte de nouvelle lèpre qui revêtirait des aspects non seulement physiques mais aussi moraux, selon Foucault « aussi bien la corruption des moeurs que la décomposition de la chair »117(*), comme un phénomène de pourriture ambiante. Ainsi, le premier contact de la folie avec le monde médical ne s'est pas fait sous la pression d'une quelconque sollicitude, mais dans l'urgence de cette « grande peur » collective : « C'est donc dans le fantastique, non dans la rigueur de la pensée médicale, que la déraison affronte la maladie et s'en rapproche » constate Foucault. Ce rapprochement ne se fait pas à l'occasion d'un progrès ou d'une découverte conceptuels mais dans la réactivation d'un imaginaire ancestral, celui de la contagion. Cette résurgence de figures terrifiantes s'inscrit en parallèle avec une crainte spécifique de la folie ;on parle d'une « multiplication des maladies de nerfs ».On ne critique plus explicitement l'internement du fou mais le fait que les gens de raison soient mêlés et enfermés avec les fous : « la folie apparaît finalement comme la seule raison d'un internement dont elle symbolise la profonde déraison ».D'un autre côté, toute une réflexion économique et sociale, inspirée des idéaux révolutionnaires ,conclut à l'obsolescence d'un encadrement de la pauvreté, de la misère par l'internement (mais cela ne vaut pas, bien entendu , pour les fous).Ainsi privé de ses relations avec le monde de la misère (les mendiants, les chômeurs) et de la morale (les libertins),le fou se retrouve dans une position nouvelle. Ces mesures d'internement sont balayées comme symboles de l'Ancien Régime et d'une certaine forme de despotisme en contradiction avec ses idéaux. Les fous se retrouvent désormais seuls internés, la médicalisation de la folie devient alors possible : «...on voit comment a fonctionné au XVIII ème siècle la critique politique de l'internement. Pas du tout dans le sens d'une libération (...) au contraire, elle a lié plus solidement que jamais la folie à l'internement »118(*).

III : LE TOURNANT DU XIX è SIECLE :

La généralisation de l'enfermement va donc disparaître à la Révolution. C'est d'abord une certaine indécision qui se fait jour : où donc placer le fou ? : « La disparition de l'internement laisse la folie sans point d'insertion précis dans l'espace social »119(*).De plus, en cette période de troubles, aucun lieu ne semble se prêter à leur regroupement : « les hôpitaux pour aliénés n'existent toujours pas ».Dans le chapitre « du bon usage de la liberté »120(*), Foucault note l'apparition d'un nouvel espace spécifique d'internement, avec de nouvelles structures plus spécialement adaptées. Il serait donc vain d'après Foucault de chercher une date précise de l'avènement de la folie comme savoir positif. C'est parce que le fou nécessite une assistance publique d'une part et la présence de structures le maintenant loin de la société d'autre part, que cette nouvelle forme d'internement émerge à cet instant précis. C'est pourquoi l'on va conserver la pratique de l'internement tout en lui assignant cette fois une dimension médicale et thérapeutique. C'est toute cette synthèse de l'âge classique qui va progressivement constituer la possibilité historique de ce traitement particulier de la folie : « Enfermer les fous c'est essentiellement prémunir la société contre le péril qu'ils représentent »121(*).On présente cet internement comme technique de désaliénation : on va guérir le fou, lui redonner une vérité perdue, sa vraie nature. En tout cas c'est comme tel qu'est présenté l'asile... Ainsi va se réaliser une progressive médicalisation de l'espace d'internement, qui va devenir le véritable lieu d'affrontement entre la folie et l'objectivité positive du regard médical : « Voilà la folie offerte aux regards »122(*) constate Foucault. Cette médicalisation va ainsi permettre d'interpréter la folie comme maladie mentale. La folie va se retrouver à nouveau enfermée dans une définition univoque établie depuis le seul regard objectif du médecin : « l'internement a pris ses lettres de noblesse médicale, il est devenu lieu de la guérison »123(*) .Il n'y a toutefois pas eu non plus de découverte subite, immédiate de la folie en tant que maladie ; elle n'a pas non plus conquis sa liberté en quittant les prisons pour être soignée dans un endroit spécialement aménagé pour elle. Pour Foucault, on a d'emblée imposé cette image médicale à la folie ; seul le sens de l'internement a apparemment changé : on n'enferme plus pour corriger une erreur, mais pour soigner une maladie, établir une thérapeutique : « le statut d'objet sera imposé d'entrée de jeu à tout individu reconnu aliéné ; l'aliénation sera déposée comme une vérité secrète au coeur de toute connaissance objective de l'homme »124(*).

Foucault a noté dans sa préface à l'Histoire de la folie que les histoires de la médecine sont souvent l'occasion de mythifier voir de déifier certains personnages importants, dont on faisait le plus souvent de flatteuses biographies. La psychiatrie ne fait pas exception à la règle et deux mythes subsistent particulièrement parmi les spécialistes : celui de Philippe Pinel d'une part et celui des réformateurs anglais, des « quakers » emmenés par Tuke. Tous deux illustrent une seule et même perception du nouveau traitement de la folie comme maladie mentale : « cet âge heureux où la folie est enfin reconnue et traitée selon une vérité à laquelle on est trop longtemps restée aveugle »125(*).Pinel est l'exemple le plus parlant pour nous Français .En 1793, décision est prise d'ôter leurs chaînes aux aliénés de l'hôpital Bicêtre à Paris par Pinel, considéré comme l'illustre ancêtre de la psychiatrie. Cet événement coïncidant avec les mouvements révolutionnaires en France à cette époque, on eut tôt fait d'assimiler ce mouvement de « libération » des fous à une libération de la folie. Selon Foucault, tout cela relève d'une relecture un peu rapide de la réalité : « C'est bien de ce mythe qu'il faut parler lorsqu'on fait passer (...) pour libération d'une vérité ce qui n'est que reconstitution d'une morale »126(*).Ce geste ,apparemment plein de grandeur d'âme et d'altruisme, ne correspond en rien, comme la plupart des historiens de la médecine l'avancent , à une continuité des idéaux révolutionnaires ou à un retour à la folie « bavarde » de la Renaissance. Sans doute, Pinel a-t-il délivré les fous de leurs chaînes mais dans la mouvance d'un processus prolongé, à la suite d'une pratique dont on usait déjà en Angleterre, à la suite également de son surveillant, Pussin, qui avait entamé ce processus bien avant l'arrivée de Pinel à Bicêtre (voir sur le sujet « Pinel, père fondateur, mythes et réalité » ; Gourevitch, Evolution psychiatrique 56 - 3, 1991, P 595 à 602). Ainsi, l'image de ce père fondateur se dégrade-t-elle quelque peu. Elle se dégrade plus encore avec H. Ey pour lequel le héros livre les fous à la loi mais également conforte le traitement moral de la folie (traitement moral qui n'est pas tout à fait, nous le verrons, le simple maniement du transfert individuel ou institutionnel).Avec Foucault, le grand homme est comme précipité aux enfers car, selon lui, commence avec Pinel l'apothéose du personnage médical dont la figure reste thaumaturgique et magique. « Le savoir de ce médecin n'est pas objectif : c'est une chosification d'ombres magiques »127(*).D'autre part, Foucault a relevé, lui aussi, que Pinel supprime peut-être la persécution des fous, mais au prix de les murer dans le silence et de les verrouiller dans la morale. Le geste pinelien signifie donc tout autre chose : si le fou semble libéré de ses chaînes, il est maintenant asservi au regard du médecin. « Oter leurs chaînes aux aliénés, c'est leur ouvrir le domaine d'une liberté qui sera en même temps celui d'une vérification (...) c'est constituer un champ asilaire pur »128(*) ,c'est à dire, libérer en apparence les fous pour mieux les surveiller, les enfermer dans une autre image, une autre détermination ,celle d'une positivité, d'une objectivité médicale dans le cadre de l'asile .Dans son cours sur le pouvoir psychiatrique, Foucault dénonce une nouvelle fois le mythe Pinel comme scène fondatrice de la psychiatrie en lui préférant la scène de folie du roi d'Angleterre Georges III :avec Pinel il s'agissait d'établir un rapport entre le libérateur et les libérés sous la forme d'une dette de reconnaissance envers les libérateurs, par l'obéissance et l'assujettissement d'une part, mais aussi par la guérison qui devra découler de cette obéissance :  « Nous voyons que (...) cette scène de la délivrance ,bien sûr ,on le sait, ce n'est pas exactement une scène d'humanisme. »129(*). Cette objectivité médicale qui légitime en apparence le mythe Pinel ne sera pas un pur espace de diagnostic et de thérapeutique, mais aussi le lieu d'un traitement moral : « l'asile de l'âge positiviste, tel qu'on a fait gloire à Pinel de l'avoir fondé, n'est pas un libre domaine d'observation et de thérapeutique, c'est un espace judiciaire (...) dont on ne se libère (...) que par le repentir. La folie est (...) pour longtemps emprisonnée dans un monde moral »130(*).Pour Tuke, il en va un peu différemment dans la forme, même si le sens de l'internement est quasiment le même : à la « Retraite », le malade était traité selon une structure hiérarchique basée sur l'idée d'une grande famille. Ainsi c'est en recréant, en quelque sorte, un milieu naturel, à l'écart de cette société, que l'on comptait rendre son équilibre au fou, tout cela sous le joug d'un contrôle religieux très strict. A première vue, d'ailleurs, la grande différence entre Pinel et Tuke se situe dans cet emploi par le second de la religion. En réalité, chez Pinel, c'est le contenu moral de la religion et non sa forme imaginaire qui a été utilisé, accompagné des valeurs dominantes du travail et de la famille. En tout cas,que ce soit chez Pinel ou chez Tuke,Foucault constate que l'aliénation est devenue nature inverse de l'homme et véritable nature de la folie :  « L'internement avait crée un état d'aliénation,qui n'existait que du dehors,pour ceux qui internaient ,et ne reconnaissaient l'aliéné que comme Etranger ou Animal ;Pinel et Tuke (...) ont intériorisé l'aliénation,(...) l'ont délimitée comme distance du fou à lui-même,et par là l'ont constituée comme mythe »131(*). Foucault ajoute « Tuke et Pinel (...) n'ont pas introduit une science, mais un personnage dont les pouvoirs n'empruntaient à ce savoir que les déguisements »132(*).Pinel et Tuke n'étaient ni psychiatres, ni médecins et ne fondaient leur légitimité sur aucun diagnostic médical, ni sur une définition objective de la maladie mentale, mais bien sur des mécanismes d'inspiration religieuse : famille, autorité, châtiment, amour, pardon... Le paradoxe réside dans le fait qu'au moment où l'on arrivait à cette appréhension là de la folie, la médecine mettait en place, doucement, sa positivité. L'âge moderne va ainsi se révéler être l'apogée du personnage médical et de la structure asilaire.

C'est à la lecture du chapitre IV de la troisième partie d'Histoire de la folie que s'est constitué l'essentiel des polémiques à venir autour de l'ouvrage, tout en servant de base, de terreau aux travaux ultérieurs sur le pouvoir psychiatrique.  « Libérée » de son horizon de délinquance, la folie est susceptible d'être guérie dans ce lieu de « liberté en cage » où on lui applique le savoir psychiatrique : l'asile. Comme nous l'avons vu, la semi-liberté des fous dans les asiles est justifiée par la valeur thérapeutique de ce type d'internement La transformation de la maison d'internement en asile, la valorisation de celui-ci comme un lieu de guérison constituent en fait une manière de renforcer l'internement, de substituer l'autorité et le jugement moral à la simple répression. Foucault a vu dans l'étude des archives qu'il a eues à sa disposition, chez Tuke comme chez Pinel un développement analogue des traitements de la folie, finalement très proche du traitement des criminels. Une forme de « traitement moral » : ce traitement repose sur une démarche médicale qui décrit, classe les symptômes et propose ensuite l'internement dans des lieux spécifiques, les asiles. L'opinion généralement admise veut que ces asiles préservent le patient des évènements extérieurs, notamment de leur famille et de leurs relations sociales qui pourraient constituer un élément perturbateur. L'ensemble des règles de vie y serait pensé de manière à offrir des repères aux patients et à réduire leurs symptômes. Toute l'opération thérapeutique dans les premiers asiles va au contraire consister, d'après Foucault, en un processus de « culpabilisation » au caractère normalisateur. Le fou doit prendre conscience de son état, voir sa propre vérité se révéler à lui. Le fou doit ressentir sa folie, son délire comme une faute voire une anomalie : « Tuke a crée un asile où il a substitué à la terreur libre de la folie l'angoisse close de la responsabilité. »133(*).Foucault met l'accent sur la nécessité pour le fou d'accepter sa culpabilité et sa responsabilité quant à son état. Vont alors, en conséquence, se dessiner à l'intérieur de l'asile, de nouveaux dispositifs institutionnels basés sur une hiérarchie au bas de laquelle on trouve le fou, bien entendu. Puisque le malade est tenu pour responsable de son état, l'intervention thérapeutique sous forme de châtiment devient alors le mode de traitement classique : « Le fou devient objet de châtiment toujours offert à lui même et à l'autre »134(*).Tout cela dans le but de susciter chez le fou un état de souffrance qui lui permettrait, à terme, d'abandonner les manifestations délirantes de sa folie. Ainsi le patient, d'abord observé et soumis au jugement perpétuel du personnel asilaire qui l'entoure et puni par le gardien, devra être amené lui même à prendre conscience de sa souffrance pour le mener à terme à se juger et à se punir lui même. Foucault examine, chez Tuke notamment, les formes de ce traitement. Il en dégage un certain nombre d'aspects :

- la peur d'abord, qui selon Foucault « apparaît comme personnage essentiel de l'asile »135(*): Il s'agit de menacer par des châtiments, corporels pour la plupart, toute manifestation de la folie afin que le fou puisse se sentir responsable et ne s'en prendre qu'à lui même en tant qu'il trouble l'ordre moral et social. On l'oblige, comme nous l'avons vu, à un contrôle permanent de lui même.

- le regard de l'autre ensuite : il s'agit d'entourer le fou de regards inquisiteurs, traqueurs de la moindre trace de folie en lui afin qu'il puisse mesurer la distance qui le sépare encore de la norme morale et sociale.

Ces deux pratiques, surveillance et jugement, fondent, selon Foucault, le personnage de l'asile au XIX éme siècle : la liberté n'est selon lui qu'une illusion136(*) ; au lieu d'être libérée, la folie est en fait contrôlée, maîtrisée par la raison à l'intérieur de l'asile. Le regard du médecin aliéniste n'a rien fait d'autre que de prendre l'exemple de l'Hôpital Général deux siècles auparavant. Il s'agirait même d'une régression selon Foucault car, dans le système d'internement de Pinel, le silence prend une part prépondérante : « Il n'y a plus entre la folie et la raison de langue commune »137(*).Le dialogue qui s'était instauré au Moyen Age est maintenant rompu. L'absence de langage devient un point fondamental du système asilaire. L'asile ne va plus seulement être une simple mise à l'écart de la société comme au XVII ème siècle, il est le lieu d'un jugement perpétuel, lieu de regard ,il est une instance essentiellement judiciaire et morale : « L'asile de l'âge positiviste, tel qu'on fait gloire à Pinel de l'avoir fondé, n'est pas un libre domaine d'observation et de thérapeutique ;c'est un espace judiciaire (...) dont on ne se libère (...) que par le repentir »138(*).L'asile ne serait, dans cette approche, qu'une nouvelle prison, « une autre scène, c'est à dire un espace différent qui est aussi le même »139(*) :L'asile n'a pas retiré leurs chaînes aux aliénés, il leur en a donné d'autres.

Nouvelle particularité dans l'avènement de l'asile, ce que Foucault nomme «  l'apothéose du personnage médical »140(*).C'est lui qui va rendre possible notre vision actuelle de la folie comme maladie mentale : « La maladie mentale, dans les significations que nous lui connaissons actuellement, est alors rendue possible »141(*).Jusqu'à la naissance de l'asile, Foucault a en effet montré que le médecin intervenait peu, voire pas du tout, dans le processus d'internement. C'est à cette date que son importance devient prépondérante. C'est d'abord lui qui fait rentrer ou non les malades, qui délivre les certificats médicaux. Sa tâche est autant juridique et morale que médicale ; il n'a pas de tâche réellement scientifique mais s'inscrit dans l'immense champ asilaire comme une garantie de sagesse : « Un homme d'une haute conscience, d'une vertu intègre »142(*).Nouvelle illusion dénoncée par Foucault : Pinel et Tuke n'ont pas introduit la science médicale à l'asile mais un nouveau personnage de pouvoir, une nouvelle autorité. Le médecin de l'asile ne va pas être chargé d'une quelconque mission thérapeutique, sa vocation première, mais d'une mission moralisatrice, se servant de sa science comme d'une justification, « ... un personnage dont les pouvoirs n'empruntaient à ce savoir que leur déguisement »143(*).Le fou doit d'abord être surveillé, maîtrisé, contrôlé avant d'éventuellement être soigné. Le médecin emprunte différents visages de l'autorité : il est tour à tour le « père », le « justicier »144(*) mais se sert peu de ses connaissances médicales ; le médecin est une autorité avant d'être un savant. Foucault remarque cependant, qu'étrangement, cette vision du médecin en tant qu'autorité coïncide avec l'éclosion d'une véritable science de la maladie mentale, sans pour autant que s'effectue un rapprochement entre les deux. A l'asile, c'est le « couple » médecin- patient qui prédomine ;ce couple garde comme bases les valeurs ,les structures de la société bourgeoise axée sur l'autorité familiale, l'ordre moral... Dans le cours du XIX ème siècle, le médecin devient progressivement une sorte de divinité détenant le pouvoir de libérer la folie du malade. Foucault pense à un pouvoir d'ordre « magique »145(*) dans le sens où aucune connaissance rationnelle, aucun savoir positif ne fonde cette autorité, seulement une croyance. Tout cela sur les bases des pratiques morales initiées par Pinel et Tuke à la fin du XVIII ème siècle, jusqu'à ce que la médecine puisse se justifier autrement, c'est à dire dans l'objectivité scientifique : « Ce qu'on appelle la pratique psychiatrique, c'est une certaine tactique morale, contemporaine de la fin du XVIII ème siècle, conservée dans les rites de la vie asilaire, et recouverte par les mythes du positivisme »146(*).

IV : D'UNE PSYCHIATRIE A L'AUTRE: 1830/1850 :

Dans le cours sur les anormaux, prononcé entre janvier et mars 1975, Foucault reprend en quelque sorte d'une manière historique ce qu'il avait laissé dans Histoire de la folie à l'âge classique. Il voit une rupture à l'intérieur même de la discipline psychiatrique qui se serait opérée entre une certaine médecine mentale (celle de Pinel, d'Esquirol au début du XIX ème siècle) et une « nouvelle psychiatrie » qui serait apparue au milieu du XIX ème siècle .Cette transformation se fait d'abord à travers la notion d'instinct : celui-ci n'est pas plus, selon les médecins aliénistes, qu'un signe visuel de la démence et du délire. Pour cette nouvelle psychiatrie émergeante vers 1850, il va plutôt s'agir de restituer derrière l'apparence délirante et démentielle les erreurs de l'instinct, les failles du comportement instinctif. Trois éléments fondent selon Foucault cette nouvelle organisation de la psychiatrie :

- la loi de 1838 : elle signifie le placement systématique de l'aliéné dans un hôpital psychiatrique ;la psychiatrie se constitue ainsi définitivement comme discipline médicale (c'est à dire comme la guérison d'un certain type de maladie) :  « A partir du moment où la loi de 1838 entre en vigueur,(...) nous avons devant nous un individu qui est capable de perturber l'ordre social ou de menacer la sûreté publique »147(*) :A partir de là ,selon Foucault ,la maladie mentale est donc considérée comme un danger menaçant l'ordre social tout entier, et non plus un problème seulement individuel.

- Un changement de la demande familiale : Dans la loi de 1838, la famille peut demander l'internement dans le seul cas où est avérée la potentialité du danger que le fou peut faire courir à ses proches.

- Une demande politique : la psychiatrie, à partir de cette date et à l'échelle de la société doit dire qui sont les normaux et qui sont les anormaux. On assiste alors à un partage de la société entre le sain et le malsain, entre le normal et l'anormal, le dangereux et le non-dangereux.

La nouvelle psychiatrie joue ainsi un rôle social majeur : pour devenir un pouvoir, elle a dû transformer et réformer son savoir .Désormais, la notion de discipline s'allie avec la prise en charge médicale originelle. L'ordre social se sert maintenant de la psychiatrie comme d'une machine à neutraliser les dangers qui le menace. Foucault va parler de « société de normalisation » à propos de nos sociétés modernes : « Les disciplines vont donc porter un discours qui sera celui (...) de la norme. Elles définiront un code qui sera celui, non pas de la loi, mais de la normalisation »148(*).Dans cette notion de normalisation, la médecine joue un rôle certain : cette nouvelle forme de psychiatrie sera un des aspects de la médicalisation des comportements et de la normalisation de la société, au même titre que les prisons, par exemple. La psychiatrie détient ainsi beaucoup plus de pouvoirs qu'elle n'en avait au début du XIX ème siècle .Selon Foucault, « toute conduite doit pouvoir être située également par rapport à et en fonction d'une norme qui est (...) perçue comme telle par la psychiatrie »149(*).Foucault définit même la psychiatrie comme « la science et la technique des anormaux, des individus anormaux et des conduites anormales »150(*).Toute référence médicale semble être abandonnée par la « nouvelle psychiatrie » .Il s'agit maintenant de repérer ,de distinguer, de classer les individus susceptibles d'être dangereux pour la société. La psychiatrie étend son champ de vision, sort du carcan strict de la guérison de la maladie. Elle doit valoir comme médecine du corps social plus que comme médecine du corps humain : « La psychiatrie a lâché à la fois le délire, l'aliénation mentale, la référence à la vérité puis à la maladie. Ce qu'elle prend en compte maintenant, c'est le comportement, ce sont ses déviations, ses anomalies »151(*).En outre, alors que la médecine aliéniste excluait l'enfance du processus de la pathologie mentale, celle-ci tient dans la nouvelle psychiatrie un rôle essentiel. Il s'agit de trouver dans l'enfance les prémisses d'un comportement adulte dégénéré et déviant. L'enfance devient une raison qui va faire qu'un individu bascule d'un côté ou de l'autre de la normalité. C'est donc la vie entière de la personne qui est désormais contrôlée, ou tout du moins surveillée par la psychiatrie, de l'enfance à l'âge adulte. La psychiatrie devient une discipline générale de l'existence humaine, discipline dont la puissance vient essentiellement et paradoxalement du fait qu'elle se démédicalise de plus en plus pour rejoindre un plus vaste champ social : « La psychiatrie ne cherche plus seulement à guérir. Elle peut (...) fonctionner comme protection de la société contre les dangers (...) dont elle peut être la victime de la part des gens qui sont dans un état anormal »152(*).

Selon Foucault, la psychiatrie est devenue une instance scientifique de contrôle et de protection du social contre des individus qu'elle a, elle-même, déclarés dangereux.

V : CONCLUSION : QUELLE HISTOIRE POUR LA PSYCHIATRIE ?

« Les sciences n'existent vraiment que le jour où leur passé ne les scandalise plus (...) Méfions nous donc de celles qui font avec trop de soins le ménage de leur histoire (...) La psychiatrie,elle ,a poussé loin le zèle :longtemps elle n'a toléré que l'amnésie » .Foucault ,dans un article de 1977 ,  « L'asile illimité »,rapporté dans Dits et Ecrits,s'élève contre une fausse histoire de la psychiatrie ,qui serait née « au fond de quelque cage à fou ».Selon Foucault,la psychiatrie n'est pas née à l'asile mais est dès le départ au coeur d'un projet social global. La psychiatrie s'est ainsi intégrée à toute une stratégie de normalisation, d'assistance et de surveillance des délinquants, des pauvres et des ouvriers, comme Foucault le montre dans son Histoire de la Folie. La psychiatrie s'affirme ainsi comme la figure de proue d'une médecine qui allait de plus en plus clairement s'affirmer comme une technologie générale du corps social. On peut lire Histoire de la folie comme un récit des différents modes de placement et de déplacements (voir la Nef des fous) des fous au cours des derniers siècles. Rapporté dans Dits et Ecrits, le petit entretien accordé à J.P Weber pour le journal Le Monde, « La folie n'existe que dans une société », revient sur Histoire de la folie à l'âge classique .Foucault y résume en quelques phrases le propos essentiel de son ouvrage : « La folie ne peut se trouver à l'état sauvage. La folie n'existe que dans une société,elle n'existe pas en dehors des formes de la sensibilité qui l'isolent et des formes de répulsion qui l'excluent ou la capturent »153(*)  .La folie est historiquement,culturellement et socialement constituée,tel est l'enseignement principal de l'ouvrage. Entre 1954 et 1961,c'est à dire entre son premier ouvrage, « Maladie mentale et personnalité » et Histoire de la folie à l'âge classique, la position de Michel Foucault sur la détermination de la folie comme maladie mentale a changé :dans Maladie mentale et personnalité, il montrait que la genèse des formes modernes de l'aliénation devait être saisie à partir de ses formes anciennes (l'énergumène grec, le captivé des latins et le démoniaque des chrétiens),attitude évolutionniste que ses détracteurs lui reprocheront plus tard d'avoir abandonnée. La maladie mentale apparaît comme le point ultime d'un regard sur la folie commencé depuis l'Antiquité. En 1954, Foucault présupposait donc une permanence de l'aliénation à travers l'histoire. En 1961, dans son histoire de la folie, il renonce à son évolutionnisme pour privilégier la notion de partage raison/folie fondée sur l'exclusion de cette dernière. Ce partage a eu lieu « à un moment donné », il est une rupture due à la concordance de faits historiques, politiques et sociaux qui « à un moment donné » ont rendu ce partage possible. Foucault rappelle donc par l'intermédiaire de cet ouvrage que la genèse de la psychiatrie n'a pas été si simple que cela. Elle dépend d'une série de décisions, d'opérations et de choix culturels qui ont tous concourus à préparer une relation médicale et objective avec la folie. Il y a en outre dans Histoire de la folie, un véritable jeu dialectique du rapport entre le fou et son médecin auquel va se substituer dans les années 1970 l'ordre disciplinaire et la machine asilaire. Dès 1972,les bases d'une réflexion sur le pouvoir sont posées :c'est en constatant les transformations de l'organisation hospitalière à la fin du XVIII éme siècle et l'émergence d'une médecine qui sera à la fois sociale (car collective) et individualisante (chaque individu est annoté dans les registres hospitaliers) que Foucault semble progressivement se détourner de l'analyse des discours pour passer à ce qu'il nommera lui-même « microphysique du pouvoir »,soit l'étude de l'ensemble des petits pouvoirs qui nous gouvernent quotidiennement. La psychiatrie en est l'archétype.

III) LE POUVOIR PSYCHIATRIQUE :

1 :Une relecture tardive d'Histoire de la folie :

I : DES PROBLEMES HISTORIQUES:

Histoire de la folie à l'âge classique a suscité de nombreuses réactions. Cette histoire de la folie ne ressemble à aucune autre, Foucault jouant sur des angles différents des histoires classiques de la psychiatrie. La critique des psychiatres, psychologues et historiens de la médecine fut d'une part violente mais également équivoque. La première réaction ,peut être la moins percutante, fut faite par une série d'auteurs, notamment des historiens de la psychiatrie, qui estimaient que les descriptions dans Histoire de la folie n'étaient pas conformes à la réalité, en particulier dans le domaine chronologique. Ainsi, P.Morel et C.Quétel, dans Les médecines de la folie, soutiennent le fait que le grand renfermement dont parle Foucault au chapitre II de Histoire de la folie a plutôt eu lieu au XIX ème siècle et non au XVII ème (1656 précisément).Les historiens de la psychiatrie ont ainsi opposé une certaine résistance à l'ouvrage, en dressant toute une série d'erreurs de dates et en remettant en cause la solidité et la fiabilité des archives utilisées par Foucault. On reprocha notamment à Foucault d'avoir sélectionné sciemment des documents, d'avoir privilégié certains faits et d'en avoir occulté d'autres et qu'à cet égard il ne pouvait s'agir d'une « vraie » histoire de l'institution psychiatrique ; comme si, dans sa volonté de séparer de façon tranchée les époques et les épistémè, Foucault avait été obligé de déformer les faits historiques, de commettre des anachronismes. A cette levée de boucliers plusieurs raisons : les historiens de la psychiatrie supportaient difficilement qu'un non médecin (et non historien) ,et c'est le cas de Foucault , se permette d'écrire une histoire critique de leur objet, une histoire qui ne serait pas qu'un simple enchaînement de faits glorieux accomplis par des médecins libérateurs - comme la libération des fous par Pinel à Bicêtre ; on parle même de « mythe » Pinel - transmettant leurs exploits de génération en génération de psychiatres. Or, Foucault dénonçait tous ces mythes fondateurs du savoir psychiatrique, notamment l'humanisme pinélien. Foucault fut ainsi accusé d'avoir inventé une histoire de la folie considérée comme non conforme à la vérité des faits car ne correspondant à aucune archive employée en histoire de la psychiatrie. L'illustre psychiatre Henri Ey réfléchit longtemps sur l'ouvrage qu'il dénonça d'abord comme un « psychiatricide »154(*).Il consacra même un colloque entier autour d'Histoire de la folie à Toulouse, sans que Foucault pourtant invité, ne daigne y participer .Ey remarquait notamment le fait que Foucault réduisait la maladie mentale à un simple phénomène culturel : « Quant à ceux qui professent que la folie n'est tombée sous le regard enfin sereinement scientifique du psychiatre qu'une fois libérée des vieilles participations religieuses ou éthiques dans lesquelles le Moyen Age l'avait prise, il ne faut pas cesser de les ramener à ce mouvement décisif où la déraison a pris ses mesures d'objet, en partant pour cet exil où pendant des siècles elle est demeurée muette »155(*).Ey souligne que Foucault est animé d'une « évidente mauvaise humeur à l'endroit de la psychiatrie » . Cette histoire , dit Henry Ey, « ... fait suite à un long travail de sape qui prépare la psychiatrie à se faire le Hara-kiri auquel devrait nous contraindre l'idée que le savoir psychiatrique et son action portent à faux, n'ayant pour objet qu'une illusion. »156(*).Il renouvelle ensuite son opposition à Foucault en répétant que la psychiatrie est née de l'élan révolutionnaire français. Dans les discussions suivant ce colloque, les anecdotes dénonçant l'emprise malveillante de la philosophie de Foucault sur les étudiants se multiplient. On le traite de « luciférien »,on dénonce sa « pensée désincarnée ».Le professeur Georges Daumézon reproche à l'ancien élève de l'Ecole normale supérieure de confondre constamment le mot « folie »,comme on l'entend dans le langage quotidien et les « troubles mentaux » - qui justifient un traitement. Il conteste, d'autre part, la séquence « Léproserie - Nef des fous - Hôpital Général - Asile », et trace une frontière entre la folie romanesque de Foucault et la pathologie mentale "Irréductible" aux appréhensions plus ou moins romantiques. Enfin, Daumézon avance trois arguments:

1) Les catégories pathologiques auraient été très tôt perçues et la conscience collective en aurait tenu compte ne serait-ce que dans l'extinction de la pratique de la sorcellerie.

2) Foucault aurait méconnu Pinel qui aurait eu un rôle non de délivreur de fous, mais celui ayant consisté à séparer le trouble global et les troubles partiels chez les individus « fous ».

3) Absolument rien ne permet d'affirmer comme l'écrit Foucault, que Pinel avait pour but de "...rendre moins visible l'espace asilaire..."

Ce congrès qui réunissait les forces vives de la psychiatrie de l'époque n'atteignit toutefois pas vraiment Foucault lui-même. Lui, de part sa non appartenance au « milieu » psychiatrique, avait un autre point de vue sur la folie dans lequel se mêlaient archives hospitalières et références littéraires, artistiques et philosophiques. Mais si le travail d'exhumation de ces références fut salué, au moins comme déclencheur d'un débat et d'une réflexion, il ne fut pas tout de suite considéré comme sérieux par la profession. Toutefois, les problèmes « historiques » soulevés par les historiens de la psychiatrie sont plus une critique de la forme que du fond de l'ouvrage et d'autres critiques, sans doute plus intéressantes de ce point de vue, se sont formées. De plus, ces réactions unanimes, justifiées en tant qu'elles viennent de professionnels de la psychiatries contiennent en elle une approbation sous-jacente : Henry Ey dans sa conclusion du colloque sur l'évolution psychiatrique dira que l'Histoire de la folie à l'âge classique « nous montre clairement le lieu de la mauvaise conscience de nos devanciers. Elle valide dans une certaine part la dénonciation d'un pêché originel de l'Aliéniste ».De plus, Foucault a toujours bien précisé qu'il ne s'agissait pas véritablement d'une histoire de la psychiatrie mais d'une archéologie mettant en lumière les conditions d'apparition de cette discipline.

II : LA CRITIQUE DE GAUCHET ET SWAIN: LA PRATIQUE DE L'ESPRIT HUMAIN

La critique formulée par ces deux auteurs est toute autre : en 1980, Gladys Swain et Marcel Gauchet rédigent La pratique de l'esprit humain sous-titré L'institution asilaire et la révolution démocratique, ouvrage qui portait sur le traitement moral et la genèse de l'institution asilaire. Ils vont montrer que la « révolution » qui a lieu dans Histoire de la folie à propos de l'asile va être démocratique .Gladys Swain avait déjà écrit trois ans auparavant Le sujet de la folie dans lequel elle montrait que Foucault simplifie les choses quant au « mythe » Pinel, qu'il se laisse d'une certaine manière prendre par le mythe lui même. Swain veut réhabiliter Pinel non en le mythifiant mais en lui accordant un véritable impact historique. Dans La pratique de l'esprit humain, Swain et Gauchet vont être ainsi amenés à relire les textes fondateurs de Pinel, d'Esquirol. Leur thèse positive s'appuie sur le fait qu'il y a un lien entre l'histoire de l'asile et la révolution démocratique. L'asile devient un laboratoire politique, une manière de tester cette révolution scientifique, où l'égalité de droits entre les hommes rencontre la différence radicale des fous par rapport aux autres hommes. On constate bien la différence et l'impossibilité de transformer le fou en homme normal mais on constate aussi sa proximité avec lui : il ne va donc pas s'agir d'exclure les fous mais au contraire de les intégrer dans un milieu favorable. L'asile serait une « machine à socialiser le fou », « un retranchement provisoire à des fins d'inclusion dans la socialité », une tentative de rétablir une communication avec le fou qui en était purement et simplement exclu, au même titre que les aveugles, les sourds et muets ou les idiots... Il faudrait ainsi reconnaître dans tous ces infirmes des hommes qu'il convient de réinsérer dans la société. L'asile n'est pas synonyme d'exclusion comme le pense Foucault mais bien un lieu pour traiter différemment dans le but d'intégrer. L'asile serait un espace où l'on essaierait de renouer des liens sociaux rompus. Gauchet et Swain parlent d'une volonté démocratique et égalitariste de considérer les malades mentaux comme des hommes à part entière. Cette volonté passe par la réhabilitation de l'oeuvre et du travail de Pinel:dans le traitement moral, il faut à la fois ne pas écouter le fou tout en le contrariant le moins possible. Il faut lui proposer une écoute bienveillante tout en évitant d'entrer dans son délire (voir le chapitre « comment parler aux aliénés »).Toute une série d'activités serait en outre proposée au fou ,une vie active, du travail mais également des liens poussés avec le personnel de l'asile. La vraie découverte de Pinel aurait été d'avoir vu en ces fous un autre nous même et décelé chez eux une trace de raison contenant en elle-même le principe de leur guérison. Loin d'exclure le fou, le geste pinelien est en fait une reconnaissance de la part raisonnable présente en chaque homme. La folie n'est pas la perte absolue de la raison, elle n'est qu'une forme de contradiction de la raison qui ne cesse cependant d'exister en l'individu malade. Jean Claude Monod, dans Foucault, la police des conduites, note très justement que selon ces deux auteurs   « l'idée même d'aliénation montre que le fou est désormais considéré comme raison potentielle, raison à restaurer et que « celle de maladie mentale fait de la folie un accident qui arrive du dehors à l'individu sans l'altérer définitivement »157(*). Si pour Foucault, le traitement moral de Pinel mettait les fous sous le regard d'un jugement perpétuel, pour Gauchet et Swain, l'asile est plutôt considéré comme une société utopique où l'on va renouer des liens sociaux et tenter de restituer aux fous la raison qui sommeille en eux.

III : UNE AUTRE HISTOIRE DE L'INSTITUTION PSYCHIATRIQUE:J.GOLDSTEIN :

Dans L'essor de la psychiatrie française, Jan Goldstein va traiter de l'histoire de l'évolution psychiatrique du XIX éme siècle, soit au moment même où Foucault termine son Histoire de la folie. Ce travail, résolument historique, s'applique à reconstituer l'évolution de la psychiatrie aux travers d'archives, de différentes sources imprimées et également d'écrits et de propos d'acteurs historiques : psychiatres mais aussi bureaucrates et législateurs. A la démarche politique prônée par Foucault, mais aussi dans une certaine mesure par Gauchet et Swain, Goldstein préfère une approche historique et sociologique : « Une dernière différence entre mon approche et celle de mes prédécesseurs français concerne les aspects de la psychiatrie que nous avons décidé de mettre en valeur. Pour Foucault (...), Gauchet et Swain, cet aspect est la pratique carcérale de la psychiatrie telle qu'elle se manifeste dans l'institution asilaire (...). Je m'intéresse davantage à la psychiatrie comme ensemble de catégories, une façon de regarder et de faire sens du comportement humain qui peut s'appliquer dans l'asile comme hors de lui »158(*).Ainsi deux aspects importants se dégagent de cet ouvrage :

- d'une part le fait que la profession psychiatrique a un contenu scientifique particulier et qu'elle est pratiquée par de véritables spécialistes : il existe des courants, des écoles de psychiatrie différents. Le contenu de la profession psychiatrique a ses propres particularités ; les psychiatres existent en tant que tels et se différencient des autres médecins. La psychiatrie serait donc un corps de doctrine relativement organisé avec la classification pour activité principale.

- Le second aspect important de l'ouvrage concerne la sécularisation de la profession : les psychiatres du XIX éme siècle reprennent d'une part et laïcisent d'autre part des pratiques de consolation héritées de la religion (voir le chapitre 6 : « la concurrence ironique de la religion »). La psychiatrie se serait ainsi constituée en concurrence avec la religion.

Par rapport à l'ouvrage de Foucault, la démarche de Goldstein se situe ailleurs bien qu'abordant le même sujet. Si Foucault se montre volontiers polémique et politique, Goldstein privilégie une approche plus en rapport avec l'émergence d'une profession que d'un véritable regard de la raison sur ce qui n'est pas elle.

Les nombreux remous que va susciter, longtemps encore après sa parution, Histoire de la folie et la concordance de nombreux mouvements de « contre pouvoir » ,à la fin des années 1960, vont donner l'occasion à Foucault de se positionner différemment par rapport à la psychiatrie. C'est dans les cours qu'il donnera au Collège de France entre 1973 et 1974 que cette évolution se manifestera de la manière la plus évidente.

2 : le pouvoir psychiatrique :

Le cours de Michel Foucault sur le pouvoir psychiatrique a été donné entre le 7 novembre 1973 et le 6 février 1974 au Collège de France. Foucault indiquera lui même qu'il s'agit du «  point d'arrivée ou en tous cas d'interruption du travail qu' [il] avait fait autrefois dans Histoire de la folie »159(*), d'une reprise d'un travail jusque-là abandonné, ou tout du moins laissé de côté. Car ce cours, selon la remarque de Robert Castel, inaugure la « seconde lecture » de L'Histoire de la folie : non plus une lecture romantique, centrée sur l'histoire des représentations et la crise des limites du représentable que la folie incarne, comme « déraison », mais une lecture militante, exhumant les racines de « l'ordre disciplinaire » que fut l'aliénisme, ordre dont la forme n'attend plus que d'être exportée partout dans la vie sociale comme type original du pouvoir, et de survivre ,au-delà du modèle psychiatrique, dans la généralisation de la « fonction-psy » à l'école, dans la justice, etc... En effet, entre 1961 et 1973,Foucault a très peu (ou pas du tout) écrit sur la psychiatrie et tout ce qui a fait le début de son oeuvre ,pour se consacrer entièrement à son entreprise d' archéologie des sciences humaines dans des ouvrages comme Les mots et les choses (1965),L'archéologie du savoir (1969) et L'ordre du discours (1971).Toutefois il serait évidemment trop rapide de conclure à la lecture de ces travaux à une simple suite à Histoire de la folie .Le sujet est abordé plus sur l'angle de la médecine mentale que sur celui de la maladie mentale, différence énorme qui affirme l'intérêt croissant de Foucault pour le cadre institutionnel par rapport à l'objet, au savoir. Il s'agit donc de voir à travers un nouveau spectre, celui de la psychiatrie en tant qu'institution et pouvoir, un sujet déjà abordé à travers les premiers ouvrages mais sous l'angle différent d'une archéologie des savoirs. Foucault précisait bien dans la préface d'Histoire de la folie qu'il ne s'agissait pas d'une histoire de la psychiatrie mais d'une histoire de l'objet folie : Il ne faisait pas l'histoire d'une discipline mais d'un objet intemporel. Ces cours sont donc aussi en rupture par rapport à ce qui a été fait précédemment ,il va s'agir « d'apercevoir ce que l'on a fait sous un angle différent et sous une lumière plus nette »160(*).En tout cas les cours de cette époque marquent un déplacement conceptuel de Foucault par rapport à la psychiatrie :les travaux convoquant de façon plus ou moins directe la psychiatrie contestaient sa possibilité d'accéder à la vérité de la maladie mentale, comme l'ont montré des ouvrages comme Maladie mentale et psychologie et Histoire de la folie .Foucault a posé dans ces travaux le problème de l'analyse des rapports de pouvoirs en tant que producteurs d'un certain nombre de vérités.

I : UN DEPLACEMENT D'INTERET DANS L'OEUVRE DE FOUCAULT:

Dans Maladie mentale et personnalité, la psychiatrie est bien appréhendée sous la forme du savoir et non comme étant à l'intersection d'un jeu de pouvoirs : dès son premier ouvrage, Foucault se veut toutefois déjà critique vis à vis de la discipline : il se propose de démontrer que les fondements de la psychiatrie ne doivent pas reposer sur l'exemple d'une méta-pathologie qui appliquerait à la médecine organique et à la médecine mentale les mêmes méthodes et les mêmes concepts. Foucault propose un déplacement vers une réflexion de l'homme sur lui-même axée sur l'analyse existentielle de sa maladie ainsi que sur une approche historique et culturelle. Ainsi, un malade n'est il pas aliéné de par sa maladie mentale mais plutôt par un contexte historico-culturel qui l'aura aliéné auparavant. Selon Foucault, la psychiatrie s'est ainsi interdite de voir qu'elle est avant toute chose « une projection de thèmes culturels »161(*). L'objectif de Foucault, au début de son oeuvre, est d'abord de mettre en cause la prétention de la psychiatrie à être une science comme une autre ou en tout cas se baser sur les mêmes méthodes qu'une science pour développer sa pratique. La psychiatrie doit se libérer de certains postulats pour prétendre à la rigueur scientifique. Il en va un peu différemment dans l'ouvrage remanié Maladie mentale et psychologie. Si Foucault considérait la maladie mentale d'après son environnement social concret dans son ouvrage de 1954, il s'agit d'analyser, dans celui de 1962, un contexte, des pratiques historiques dans lesquelles une psychiatrie est pensable (voir le chapitre « la constitution historique de la maladie mentale »).La dimension historique a pris le pas, en 1962, sur une étude de la folie comme structure globale.

L'Histoire de la folie à l'âge classique ne traite pas à proprement parler de psychiatrie comme l'a souvent rappelé Foucault, mais cherche à comprendre l'émergence d'une constitution possible de la folie comme maladie mentale. C'est une histoire culturelle, ou plutôt une histoire de choix culturel. Il ne s'agissait donc pas de faire une histoire de la psychiatrie comme discipline mais de ce qui a permis qu'elle s'installe comme savoir positif sur la folie, soit essentiellement comme la résurgence d'anciennes structures autoritaires, aliénantes et punitives, ce qui en a fait un savoir scientifique peu sûr, voire douteux. Toutefois si la psychiatrie est convoquée, elle ne l'est pas encore sur le terrain qui sera celui du cours de 1973/1974.Il ne s'agit pas encore d'interroger la psychiatrie dans ce qu'elle peut avoir comme effet de pouvoir, voir constituer elle même une forme de pouvoir.D'après Jacques Lagrange (voir l'annexe « enjeux du cours »,à la fin du Pouvoir psychiatrique), le déplacement conceptuel constaté dans les cours sur le pouvoir psychiatrique de 1973 s'est opéré selon deux modalités ayant à voir avec Foucault lui même, c'est à dire dans une continuité logique qui l'a progressivement amené à s'interroger sur ces questions de pouvoir ainsi que son intérêt croissant pour les expertises médico-légales, qui sont déjà un lien entre médecine et pouvoir, et le contexte intellectuel de l'époque (la charnière 1968/1970).Ce contexte, c'est celui d'une remise en cause profonde de la discipline psychiatrique à la fin des années 1960 et au début des années 1970,simultanément à ce revirement conceptuel propre à Foucault. Pourquoi ces problèmes n'ont ils pu être posés avant et surtout pourquoi ne le sont ils pas spécialement par les médecins de cette discipline eux mêmes ? Il y a eu certes des tentatives, à partir des années 1930/1940 notamment par un psychiatre tel que Lucien Bonnafé et par le mouvement désaliéniste mais ces interrogations, voire ces remises en cause, ne dépassaient pas le cadre de la profession et ne remettaient pas en cause le fond véritable de la discipline et ses rapports avec le pouvoir. Il a ainsi fallu que, du dehors, un certain nombre de mouvements et d'évènements ait pu poser des questions relatives à la psychiatrie et à son pouvoir supposé. Ce sont des mouvements, principalement extérieurs, très politisés qui vont prendre en charge au début des années 1970,soit en même temps que Foucault, la contestation de la psychiatrie en tant que pouvoir :les mouvements dits « antipsychiatriques ».Michel Foucault reconnaîtra d'ailleurs le rôle important que ces courants ont pu jouer sur ses propres travaux : « L'importance de l'anti-psychiatrie réside en ce qu'elle met en question le pouvoir que le médecin détient de décider de l'état de santé mental d'un individu » .

II: DE NOUVELLES METHODES:

Entreprendre une analyse encore inédite sous entend également un changement de méthodes. L'archéologie, au sens où Foucault l'a entendu et appliqué dans des ouvrages comme Naissance de la clinique ou Les Mots et les choses n'a ici plus cours :il ne va pas s'agir d'analyser les conditions de possibilité de tel ou tel savoir ,de révéler ce qui serait resté muet ,de mettre à jour les « plis » de discours .Finies également les références littéraires ,artistiques ou philosophiques très riches, citées dans Histoire de la folie ; Foucault ne s'intéresse plus aux représentations de la folie, c'est à dire à l'image qu'on s'en faisait mais à des « dispositifs de pouvoirs ». Le cours sur le pouvoir psychiatrique entreprend une analyse d'une autre nature : elle va se faire en surface, au moment précis où les discours psychiatriques se forment, au moment où ils s'inscrivent délibérément dans ces « dispositifs de pouvoirs » où sont également mêlées des mesures disciplinaires, des lois, des institutions, l'architecture de certains bâtiments etc... Le discours n'est plus le fond de l'analyse, il est mêlé à tout un jeu de pouvoirs, constitué par un ensemble très disparate de domaines et de structures .On ne peut rendre compte de tout celà qu'à partir des dispositifs et des structures qui permettent la psychiatrie telle qu'elle se pratique. En aucun cas, il ne sera question de « vérité positive », de « savoir ». Ici, la psychiatrie ne naît pas d'une meilleure connaissance de la folie mais des dispositifs disciplinaires dans lesquels elle s'organise directement par rapport au malade. Il ne sera pas non plus question de l'institutionnalisation de la maladie mentale comme dans les derniers chapitres d'Histoire de la folie qui se voulait, selon Foucault, une « histoire de l'institution psychiatrique »162(*) mais de replacer cette institution dans un champ de pouvoir beaucoup plus vaste, à plus grande échelle, celle de la société toute entière. Des notions nouvelles s'avèrent les instruments épistémologiques utiles dans cette optique : Foucault parlera de « microphysique du pouvoir »,qu'il définira dans l'article « Folie , une question de pouvoir » rapporté dans Dits et écrits , comme « l'ensemble des petits pouvoirs qui s'imposent à nous ,qui domestiquent notre corps,notre langage et nos habitudes »163(*) .Ce qui apparaît désormais nécessaire dans le mouvement propre à la méthode archéologique, c'est de faire surgir des rapports de pouvoir avant même les institutions. Cette redéfinition conceptuelle est clairement énoncée dès le premier cours du 7 novembre 1973 : Foucault se rend compte qu'il a surtout étudié la folie sous l'angle de la représentation et de la perception .Or, ici, Foucault veut « essayer de voir (...) S'il était possible de faire une analyse radicalement différente »164(*) , c'est à dire en l'occurrence d'analyser les dispositifs de pouvoir comme eux-mêmes producteurs de discours et énonciateurs de vérité. Toujours par rapport à Histoire de la folie, Foucault procède lui-même à ce changement dans la démarche, dans le vocabulaire et les outils d'analyse. Jacques Lagrange, dans les annexes du cours sur le pouvoir psychiatrique, note que Foucault abandonne en premier lieu la notion de « violence » connotée trop péjorativement selon lui et qui suggérait un pouvoir physique contraignant, un « mauvais pouvoir »165(*) . Au contraire, le pouvoir asilaire va plutôt être tactique, méticuleux, calculé... A la notion même d'institution en tant que processus d'individualisation, Foucault va préférer les notions de relais, de réseaux de pouvoir. Enfin, Foucault tient à rectifier son explication du fonctionnement de l'asile calqué sur le modèle familial dans Histoire de la Folie : en fait le modèle du « médecin/père » n'est pas en vigueur dés la naissance de l'asile, comme il l'affirmait à l'époque, mais apparaît beaucoup plus tard, dans le courant du XX éme siècle. Foucault manifeste ainsi, dés son premier cours, sa volonté de faire table rase des méthodes et des outils qu'il a lui même employés au cours de ses premiers travaux, outils qui lui semblent inadaptés pour décrire et analyser ce nouveau champ. On pourrait donc croire que Foucault se répète, le fonctionnement de l'institution psychiatrique ayant déjà été étudié dans Histoire de la folie. En effet, Foucault va à nouveau enlever au médecin de l'asile son masque de grand humaniste à la sollicitude bienveillante, afin de dénoncer la guérison mise en oeuvre à l'asile comme une véritable « tactique de pouvoir ».Histoire de la folie mettait en avant la relation médecin - patient comme un jeu dialectique mettant en scène ces deux personnages. Dans Le pouvoir psychiatrique va s'y substituer l'étude de scènes fondatrices de la psychiatrie, l'étude, également, de l'ordre disciplinaire .Foucault va aussi se montrer attentif aux dispositifs concrets,aux effets architecturaux de l'institution asilaire par exemple .

III: CARACTERISTIQUES DU POUVOIR PSYCHIATRIQUE : LE POUVOIR DISCIPLINAIRE

Dés le premier cours, daté du 7 novembre 1973, Foucault énonce que le savoir médical a pour condition un certain rapport à l'ordre.Et Foucault de commencer son cours en citant Pinel et l'anecdote concernant le roi Georges III 166(*)... La notion de pouvoir disciplinaire n'est toutefois pas tout à fait nouvelle chez Foucault, étant déjà apparue, nous l'avons vu, à propos de la réorganisation de l'hôpital à la fin du XVIII éme siècle. C'est dés le début du XIX éme siècle que le savoir psychiatrique s'insère dans le champ médical et se définit comme spécialité. Foucault insiste sur l'importance du premier regard et la présence physique voire corporelle du médecin ,qui est « le noeud du rapport psychiatrique »167(*) .Le médecin n'est pas tout seul et dispose de toute une série de relais ,les surveillants et les servants :l'organisation à l'intérieur de l'asile se caractérise par sa hiérarchisation .Le système de pouvoir fonctionne par l'intermédiaire d'une multiplicité de réseaux à l'intérieur même de l'asile, cadre du pouvoir : « Le pouvoir n'appartient ni à quelqu'un, ni à un groupe (...) il n'y a pouvoir que parce qu'il y a dispersion, réseau, relais »168(*) .Le discours psychiatrique ne pourra être objectif que grâce à ce dispositif. Foucault parle même de « tactique de pouvoir »169(*) , or pour qu'il y ait tactique, il faut qu'il y ait quelque chose à vaincre ou à maîtriser, quelque chose qui menace en somme. Ce quelque chose c'est le fou : l'objectif de l'asile, grâce à l'ensemble de ce dispositif, va être de situer le point où la folie se déchaîne et ainsi modifier le comportement de l'individu. Deux types d'interventions sont possible : médicamenteuse et proprement médicale d'une part , par l'intermédiaire d'un traitement moral d'autre part. Ce traitement moral prend sa source dans ce que Foucault nomme le pouvoir disciplinaire. La psychiatrie ne pourra ainsi être comprise que grâce au fonctionnement du pouvoir disciplinaire et non à partir de l'institution asilaire, comme c'était le cas dans Histoire de la folie Foucault va ainsi distinguer deux formes différentes de pouvoir : d'abord le pouvoir de souveraineté, qui est un rapport liant le souverain à ses sujets fondé sur une antériorité fondatrice (le droit divin par exemple) et le prélèvement de sommes d'argent en échange de la protection par le souverain ,l'autorité politique. Le pouvoir disciplinaire, lui, est une prise totale sur le corps et le comportement de l'individu. Il implique un contrôle et une surveillance continus. Dans le pouvoir disciplinaire ,on est toujours soumis au regard ,au jugement perpétuel de quelqu'un :la discipline est « la prise en charge permanente et globale du corps de l'individu »170(*) .Elle se différencie du pouvoir souverain dans le sens aussi où il ne fonde pas sa légitimité sur l'antériorité .Au contraire, le pouvoir disciplinaire « regarde vers l'avenir »171(*) c'est à dire va transformer ce jugement perpétuel en habitude ,grâce à de nombreux outils comme l'écriture, gage de complète visibilité ,instrument qui consigne tous les faits ,transmet l'information à la hiérarchie .Tout système disciplinaire implique des déviances, des inclassables, des « résidus » qui échappent à toute surveillance (comme le déserteur à l'armée par exemple). En psychiatrie, c'est le malade mental. C'est la présence de ces « résidus » qui va favoriser la création d'instances disciplinaires supplémentaires. A ce point de l'argumentation, on imagine très bien les effets du pouvoir disciplinaire : la remise en cause, principalement, du rapport entre le sujet et l'individu, mais aussi entre le sujet et le corps .Le pouvoir disciplinaire, d'une certaine manière, normalise les corps, « fabrique des corps assujettis »172(*) , par l'intermédiaire de cette surveillance « panoptique » dans le sens le plus strict. Foucault utilise le terme d'  «  individu disciplinaire » qui ajuste le pouvoir politique sur le corps de l'individu. Ainsi, conclut Foucault, l'homme se voit défini juridiquement comme sujet de droit, mais aussi disciplinairement, comme corps assujetti soumis à la surveillance perpétuelle. C'est en faisant un historique des processus disciplinaires que Foucault constate l'émergence d'une « société disciplinaire » s'appliquant à tous les niveaux de l'existence humaine.

IV : LE PANOPTICON :

Le modèle panoptique inventé par Jeremy Bentham en 1787 est l'aboutissement le mieux formalisé de cette société disciplinaire. Considéré la plupart du temps comme un projet de prison modèle pour la réformation des détenus ,réintégrés dans le circuit de la production ou dans les rangs de l'armée, c'est aussi un plan type qui s'applique à d'autres institutions parmi lesquelles l'école, mais aussi et surtout l'hôpital - comme nous l'avons vu - et l'asile ; en outre,il est une solution économique aux problèmes de l'encadrement ,  « l'esquisse géométrique d'une société rationnelle » , comme le dira Foucault dans son introduction au Panopticon. Bentham parle lui-même d'un schéma qui donne force à toute institution .Le but est d'optimiser, de maximiser le pouvoir et ses effets. La surveillance se fera sur chaque individu, sur chaque corps. Chacun doit se sentir observé, jugé, par un regard qui sera le plus discret possible, voir même invisible et anonyme : « Le vrai effet du Panopticon c'est d'être tel que, même lorsqu'il n'y a personne, l'individu dans sa cellule non seulement se croie mais se sache observé, qu'il ait l'expérience constante d'être dans un état de visibilité pour le regard »173(*) . Il est « appareil de savoir et de pouvoir à la fois »174(*) . Dans l'introduction au Panopticon de Bentham, L'oeil du pouvoir, Foucault résume très bien le principe général du panopticon : « A la périphérie, un bâtiment en anneau ; au centre une tour ; celle-ci percée de larges fenêtres, qui ouvrent sur la face intérieure de l'anneau. Le bâtiment périphérique est divisé en cellules, dont chacune traverse toute l'épaisseur du bâtiment. Ces cellules ont deux fenêtres : L'une ouverte vers l'intérieur, (...) l'autre donnant sur l'extérieur permet à la lumière de traverser la cellule de part en part. Il suffit de placer un surveillant dans la tour centrale, et dans chaque cellule d'enfermer un fou, un malade ou un condamné »175(*).

Fig 2:The Panopticon of Jeremy Bentham

De plus, associé à une notation, une transcription perpétuelle du comportement par l'intermédiaire de l'écriture, le panopticon permet ainsi la « constitution d'un savoir permanent de l'individu »176(*) : L'individu doit être soumis à un regard, une surveillance et une observation continus. Il est « appareil de savoir et de pouvoir à la fois »177(*) . Le panoptique tel quel ne fut jamais réalisé. Le panoptisme, en revanche, en tant que principe de surveillance centrale va peu à peu modifier le système carcéral, l'architecture pénitentiaire et asilaire. Foucault pense ainsi que la société moderne est dominée par des schémas de pouvoir disciplinaire (dont le panoptique est l'illustration la plus visible et la plus parlante), tout comme le Moyen Age était dominé par le modèle de pouvoir souverain. Il subsiste toutefois des modèles de pouvoir souverain à l'intérieur des sociétés modernes, comme la famille. On pourrait croire que la famille est un type de pouvoir disciplinaire. Ce n'est pas le cas :la famille est avant tout selon Foucault l'individualisation maximale du pouvoir souverain dans les mains du père. La famille sert plutôt de point de liaison ,de « charnière » entre l'individu et le pouvoir disciplinaire :c'est la famille qui « oblige » l'enfant à entrer dans le système scolaire, ou l'envoie au service militaire qui sont deux instances que l'on peut qualifier de disciplinaires : « Ce n'est pas échapper au mécanisme de la discipline que de se référer à la souveraineté du pouvoir familial, c'est , au contraire , renforcer ce jeu entre souveraineté familiale et fonctionnement disciplinaire »178(*). Lorsqu'un individu, par contre, échappe au pouvoir de souveraineté familial, on le place en hôpital psychiatrique où on lui inculque la discipline dans le but de le « re-familiariser ».C'est ce que Foucault nomme la « fonction psy ». C'est dans le fonctionnement de l'asile que Foucault va repérer la mise en oeuvre de ce pouvoir disciplinaire gagnant une toute nouvelle prééminence sur le pouvoir de souveraineté.

V: LE FONCTIONNEMENT DE L'ASILE:

L'émergence de l'ordre disciplinaire est retracée jusqu'aux années 1840. La loi de 1838, ni aucun grand événement ponctuel, n'ont plus d'intérêt l'un que l'autre aux yeux de Foucault: c'est au mouvement général qui a pu, pour d'obscures raisons, faire de l'asile la solution à un problème majeur (anthropologique), que Foucault s'attache. Il prend ainsi l'exemple du traitement moral de Leuret, médecin psychiatre du XIX éme siècle, qui considérait les fous comme étant des êtres dans l'erreur et qui leur infligeait des traitements pour le moins sévères (douches froides, douleurs, intimidations...). Mais loin de voir chez Leuret la dégénérescence autoritaire de l' humanisme et du rationalisme d'un Pinel, Foucault fait de lui un des chantres du « traitement moral » comme discipline : le savoir, réputé si faible des aliénistes, s'y révèle comme pouvoir, mais comme pouvoir « capillaire », objet d'une « microphysique », qui façonne et assujettit chaque individu à sa propre mesure (mesure censée, circulairement, conférer au savoir aliéniste sa teneur d'objectivité quasi-scientifique).Avant 1838,date de la fameuse loi qui régit encore de nos jours notre système d'internement ,le fou était encore pris en charge ,d'une manière ou d'une autre par la structure familiale. La procédure d'interdiction, notamment, permettait à la famille d'intervenir encore dans le traitement du fou. Il s'agissait de lui accorder un statut, et cela seule la famille y était habilitée. La loi de 1838 va quant à elle systématiser la procédure d'internement, qui va, en quelque sorte, remplacer l'interdiction purement juridique. Cette systématisation de l'internement est un acte essentiel dans la prise de possession du fou .On prend le corps du fou et non plus seulement ses droits et si cette « prise du corps » était encore en grande partie demandée par la famille, d'autres institutions administratives pouvaient le faire. Le fou sort ainsi de la structure familiale pour se retrouver dans un nouvel espace où se mêlent le médical et l'administratif. Le rôle de la famille devient de plus en plus limité et le fou apparaît non plus comme un danger pour son seul entourage mais pour la société toute entière. Il apparaît comme un « ennemi de l'état » : « Le milieu familial apparaît désormais comme absolument incompatible avec la gestion de toute action thérapeutique »179(*) : tout contact avec la famille serait donc à la limite perçu comme une menace, une erreur : Il faut pour que le pouvoir du médecin s'exerce, que le pouvoir familial soit en retrait. Foucault distingue deux « âges » de l'asile : L'hôpital psychiatrique, au moins jusque dans les années 1860, est une « machine à guérir » à l'échelle de la psychiatrie, d'inspiration panoptique:La surveillance y'est ici non pas centralisée mais hiérarchisée, pyramidale, des surveillants au médecin chef, situé au sommet de cette hiérarchie. Le fou est isolé dans l'asile, individualisé à l'extrême, puni, châtié de façon permanente par le personnel de l'hôpital au moyen de toute une série d'instruments les plus divers qui constituent selon Foucault une « véritable technologie du corps »180(*) allant de la ceinture de chasteté avant le XIX ème siècle aux instruments orthopédiques et autres appareils de supplice. C'est vers 1850/1860 que l'asile change :On a maintenant l'idée que le fou est identifiable à l'enfant et qu'il doit être par conséquent placé dans un entourage calqué sur le modèle familial, réactivé comme élément essentiel de la guérison. Le schéma devient simple :On demande à la famille de faire interner ses anormaux, ses déviants, pour pouvoir les re-discipliner dans un établissement spécialisé conçu sur le même modèle que la famille, puis les rendre ainsi « guéris » à leur famille ,et au pouvoir de souveraineté qu'elle sous entend. Ce deuxième âge semble faire prévaloir le sentiment d'humanité, comme lors de la colonisation où il s'agissait de conquérir d'abord puis de s'installer ensuite. Ce modèle peut, selon Foucault, être transposé dans l'évolution historique à l'intérieur de l'asile.

VI: GENERALISATION DU PARADIGME ALIENISTE:

Foucault suit alors, dans la deuxième partie de son cours, l'extension du modèle aliéniste, puis cherche à identifier le lieu de sa crise, et les formes originales de sa généralisation sociale. Un des passages historiquement les plus convaincants du cours est l'analyse consacrée, bien avant la naissance du thème de l'enfant fou, à la psychiatrisation des idiots. La sur-normalisation des enfants produits comme hors normes par le système pédagogique lui-même aboutirait alors à ce qu'on invoque « l'instinct » comme foyer d'irréductibilité -- et de l'instinct à la perversion,le pas serait alors aisément franchissable... Mais trois autres dimensions intellectuelles et pratiques du post-aliénisme entretiennent entre elles des rapports étroits : l'apparition du savoir neurologique, la « crise » de l'hystérie, et l'horizon de la psychanalyse, entendue comme première dépsychiatrisation, parce qu'elle prélève justement dans la crise hystérique, non l'hystérie, mais la crise elle-même, comme régime autonome, oublié et faisant là retour, de la vérité elle-même. Foucault conçoit la naissance de la neurologie comme la conjugaison paradoxale de la médecine anatomo-clinque telle que pouvait la pratiquer un Bichat ou un Laennec (quand la médecine évoluait vers l'étiologie physiologique profonde des symptômes) et d'une technologie de l'examen par ordre et réponse motrice, qui les normalisent radicalement sous l'oeil médical. Mais si le scandale de l'hystérie a éclaté chez les neurologues, c'est précisément, d'après Foucault, parce que le contrôle disciplinaire y était devenu absolu, poussé jusqu'aux « fibres du cerveau ». Car que le savoir aliéniste craint une chose en particulier : la simulation : non pas la normalité simulant la folie, mais la folie simulant la folie et se repliant par là tellement en soi-même qu'elle ferait avorter son objectivation, minant la caution ultime du savoir-pouvoir. Et voilà les hystériques, du coup, promus par Foucault « vrais militants de l'antipsychiatrie »181(*) .Le fou, pour échapper au pouvoir psychiatrique va simuler...Ainsi, le ressort de l'hystérie est, en tant que simulation, d'après Foucault, l' « envers militant » de ce pouvoir. Ce danger étendu à tout le champ couvert par l'aliénisme explique le recours aux trois procédés qui ont marqué la psychiatrie de la seconde moitié du XIX ème siècle : la drogue (surtout le haschich), l'hypnose et la présentation de malades, formalisée comme une démonstration de la clinique. Pour Foucault, il ne s'agit de redémontrer qu'une seule chose, un seul partage, celui de la folie et de la non folie, de la raison et de la non-raison, partage dont tout le reste découle.

3:VERS UNE DEPSYCHIATRISATION ?

Dans l'article « Le pouvoir psychiatrique » transcrit dans les Dits et Ecrits, Foucault constate la « crise de ces disciplines »182(*) que sont la médecine et la psychiatrie, entrées toutes deux comme nous venons de le voir dans un système de pouvoir. Foucault ne préconise pas de solution en particulier mais tente de trouver des ouvertures,des pistes .Il trouve même surprenant que ce soit lui le philosophe, l'archéologue des sciences humaines qui réfléchisse sur la psychiatrie, qui ose la remettre en cause et non la profession elle même. Il semble ainsi très attentif à certaines orientations prises par des mouvements de dépsychiatrisation et d'anti psychiatrie apparus dans les années 1960/1970 :

I : UN CONSTAT:LE MONDE EST UN GRAND ASILE :

D'après Foucault, « Le monde est en train d'évoluer vers un modèle hospitalier et le gouvernement acquiert une force thérapeutique »183(*) .Il s'agit là d'un des effets pervers de la médicalisation à l'extrême : le pouvoir ne peut désormais exercer sa compétence que parce que la médecine psychiatrique possède en même temps un savoir.  « La thérapie médicale est une forme de répression » note Foucault : le thérapeute a un pouvoir sur le patient dans le sens où il va décider de l'état mental de tel ou tel individu, de dire si il est normal ou fou. Selon Foucault, la pratique actuelle de la psychiatrie, qui s'effectue à l'intérieur des cabinets spécialisés, voire même à l'hôpital, n'est pas bonne car on isole d'abord le malade du lieu duquel on le retire dans le but, ensuite, de le réadapter à ce milieu...Il y a donc là comme une contradiction : c'est plutôt le psychiatre lui-même qui devrait aller vers le malade, vers le lieu où il habite. Le psychologue lui aussi exerce une certaine forme de pouvoir car il influe sur les choix de vie d'un individu, ou sur plusieurs - dans le cas des thérapies de groupe .Plus encore que contre une médicalisation, Foucault nous met donc en garde contre une « psychiatrisation », ce qui lui fait dire que « Le monde est un grand asile » : Aux yeux des gouvernants, l'état mental des individus prend de plus en plus d'importance. Dans un article de 1977, écrit pour Le Nouvel Observateur , concernant le livre de Robert Castel ,l'Ordre psychiatrique,Foucault constate,à l'instar de Castel que la psychiatrie s'est intégrée à toute une stratégie de normalisation,d'assistance et de surveillance. Les deux hommes sont d'accord pour faire de la psychiatrie la figure de proue d'une médecine s'affirmant de plus en plus comme une technologie générale du corps social et pour dénoncer les risques de manipulation et de contrôle social que la psychiatrie recèle. La grande phrase de Castel sera d'ailleurs de dire que « nous sommes tous des psychiatrisables en puissance ».C'est d'après cet ensemble de constats que se pose le problème de la dépsychiatrisation : Ne serait il pas plus raisonnable d'enrayer ce processus d'emprise totale sur les corps et trouver des solutions pour en sortir ?

II : LE PROBLEME ANTIPSYCHIATRIQUE :

A sa sortie, Histoire de la folie ne fut pas considéré autrement que comme un travail universitaire intéressant relevant de la tradition épistémologique française initiée notamment par Bachelard et Canguilhem : « Quand Histoire de la folie a été publiée en France en 1961/62, il n'y a pas eu une seule revue (...) possédant des intérêts politiques qui en ait parlé. »184(*).Il aura fallu attendre les bouleversements de la fin des années 1960 pour qu'elle devienne un manifeste anti-répressif. Lors des événements de 1968 ,Foucault n'était pas à Paris et il fut tout surpris à son retour de voir que son ouvrage était maintenant devenu l'un des livres-phares de la contestation de tout enfermement. Il devint ainsi l'un des textes clés d'un mouvement baptisé Antipsychiatrie , surtout après le succès que connut un résumé publié en anglais préfacé par David Cooper, Madness and civilization :A History of Insanity in the Age of Reason. Le courant anti-psychiatrique anglais, issu des travaux du même David Cooper et de Ronald Laing est celui qui, en France, trouvera le plus d'écho. Ce mouvement développe dans les années 1960/1970 une contestation radicale de la psychiatrie et de sa violence institutionnelle : en janvier 1962, Cooper, psychiatre de son état, réorganise tout un service à l'intérieur d'un grand hôpital psychiatrique londonien afin d'accueillir les schizophrènes, service dans lequel il expérimente de nouvelles méthodes de l'expérience psychiatrique mêlant l'abolition des frontières entre raison et folie, une permissivité sans limite et une absence de hiérarchie. Cette expérience dura quatre ans, se heurtant au scepticisme de l'administration hospitalière. En 1965, ce même Cooper, avec l'aide de Laing et Esterson, va ouvrir des centres d'accueil spéciaux pour les schizophrènes, dont le plus connu d'entre eux est celui de Kingsley Hall à Londres. L'anti-psychiatrie se décrit d'abord comme un ensemble de refus. Refus d'abord de faire de la folie une pathologie dont la vérité scientifique serait détenue par la seule psychiatrie, refus ensuite des traitements médicamenteux d'une part, de nature répressive d'autre part. La folie est ainsi pensée non comme une maladie mais comme une difficulté, une réaction, un mal-être existentiel, une histoire dont les racines sont à chercher dans l'entourage proche du malade, la famille notamment. Si l'anti-psychiatrie anglaise se présente d'abord comme une défense de la folie comme choix existentiel, le mouvement développé en Italie par Basaglia se place lui d'un point de vue plus politique. Il s'agit de détruire une institution, l'asile, d'abord en en transformant les mécanismes internes, puis en le supprimant tout à fait. Foucault qui ne connaissait pratiquement rien du mouvement anti-psychiatrique anglais fut étonné d'être ainsi récupéré, surtout que ce mouvement était fortement inspiré de la phénoménologie sartrienne qu'il avait pris le parti de rejeter : « Lorsque j'écrivis Histoire de la folie, j'étais à ce point ignorant que je ne savais même pas que l'antipsychiatrie existait déjà en Angleterre ,et je me suis ainsi trouvé rétrospectivement à l'intérieur d'un courant» s'étonnait-il dans un entretien accordé en 1974 à M.D'Eramo. En France, le lien entre ce courant anglais et Foucault fut soutenu par un ouvrage de la psychanalyste Maud Mannoni, Le psychiatre, son fou et la psychanalyse paru en 1970 ,qui reprenait les grandes lignes de la position foucaldienne sur la psychiatrie. Foucault partageait donc avec les antipsychiatres l'idée que la folie était une histoire dont la psychiatrie, cachée derrière le masque de la raison, avait caché les archives. Les dénonciations étaient les mêmes : dénonciation des réseaux de pouvoir à l'intérieur de l'asile, mais aussi le droit absolu de la raison sur la non raison. Dans son résumé de cours de 1974, Le pouvoir psychiatrique, Foucault définit l'antipsychiatrie comme une lutte « dans et contre l'institution »185(*).Mais la différence principale réside dans le fait que Foucault n'est pas lui même praticien à la différence de Cooper par exemple. Il ne propose pas de thérapie, de remède et en reste au stade de la théorie. Foucault combattait pour la reconnaissance d'une histoire de la folie mais n'était pas lui même dans le milieu psychiatrique, ce qui lui fut d'ailleurs reproché comme nous l'avons vu. En outre ce courant s'est fixé comme point de contestation ultime, l'institution elle- même ;l'analyse que Michel Foucault n'a eu de cesse de développer dans son cours sur le pouvoir psychiatrique est allée ,comme nous l'avons vu au delà de la notion d'institution qui va révéler un certain nombre d'insuffisances. L'anti-psychiatrie a cependant ce mérite de poser différemment la relation à l'institution médicale et va conférer à la folie le droit de s'exprimer jusqu'au bout, la détacher enfin d'un statut médical dans le but de s'affranchir de ce pouvoir institutionnel qui l'emprisonne : « La démédicalisation de la folie est corrélative de cette mise en question primordiale du pouvoir dans la pratique antipsychiatrique »186(*).

III: LA SOLUTION PSYCHANALYTIQUE?

Les rapports de Michel Foucault avec la psychanalyse n'ont pas toujours été très explicites ni toujours bien compris. La psychanalyse peut être considérée comme une forme de dépsychiatrisation dans la mesure où le pouvoir est transféré hors de l'espace asilaire. Il est déplacé et reconstitué dans un espace (le cabinet du psychanalyste) spécialement aménagé. Avec Foucault on parlera donc de « dépsychiatrisation » pour évoquer la manière dont la psychanalyse a permis d'envisager une sortie du monde thérapeutique, ou plutôt un nouveau type de relation thérapeutique, pure, dégagée de toute contrainte autoritaire et rendant possible un nouveau champ de soins :une relation dans laquelle le malade ne serait plus un objet sous le regard objectif du médecin qui serait le seul détenteur de la vérité scientifique ,mais qui serait plutôt quelque chose de dynamique,d'enrichissant. La position foucaldienne à l'égard de la psychanalyse n'a jamais été très claire : « Profondément ennuyé » par son expérience personnelle de psychanalysé, critique à son égard sur la question des rêves dans son Introduction à Rêve et Existence de Binswanger, il semble en reconnaître les mérites face à un certain type de psychiatries et de tenter de rétablir par ce biais un certain dialogue avec la déraison. Dans Histoire de la folie à l'âge classique, Foucault reconnaît même qu'il faut « être juste avec Freud »187(*).Jacques Derrida dans Penser la folie, Essai sur Michel Foucault interprète cette formule comme étant une forme de résistance à la tentation d'assimiler Freud à la psychopathologie : Foucault reconnaît au grand psychanalyste autrichien la vertu d'avoir essayé de refaire parler la folie à une époque où elle semblait définitivement réduite au silence par la psychiatrie. Tout l'effort de Foucault, au cours de ces quelques lignes, semble aller dans le sens d'une sorte de réhabilitation de la psychanalyse, à tempérer toutefois...C'est néanmoins tout le mérite de la psychanalyse d'avoir essayé de rétablir quelque chose, comme une sorte d'expérience interactive avec la folie, déjà présente à l'âge classique sous la forme du délire .Freud a cerné une autre forme de sens de signification et non un sens perdu qu'il s'agirait de retrouver. La folie apparaît désormais comme une « prodigieuse réserve de sens »188(*) .L' expérience psychanalytique est fondamentalement celle du langage : « Le langage est la structure première et dernière de la folie » ; c'est l'articulation de la folie au langage qui l'exprime, qui la « dit » qui permet d'établir ce jeu de ressemblances avec l'époque classique. Freud, affirme-t-il, nous a libérés de la stratégie des quakers (Tuke) consistant à faire accepter à chaque malade la responsabilité (et la punition qui en est la conséquence logique) de sa maladie, ou encore des approches françaises, parallèles, avec lesquelles l'asile d'Esquirol ou de Pinel « devint un instrument d'uniformisation morale, où l'on fait comprendre aux fous qu'ils ont transgressé les critères éthiques universels ».Freud, d'après Foucault, a démystifié toutes les structures asilaires, en isolant l'importance de cette composante essentielle : la relation qui s'instaure entre patient et médecin : « Elle [la psychanalyse] a permis de voir que l'internement n'était pas la meilleure forme thérapeutique »189(*). Sans Freud, tout ce qui faisait le sens de l'expérience classique de la folie, c'est-à-dire celle-ci prise comme langage aurait pu disparaître. Toutefois, l'expérience psychanalytique a ses limites : « Mais il (Freud) a exploité en revanche la structure qui enveloppe le personnage médical ; il a amplifié ses vertus de thaumaturge.»190(*) .La psychiatrie du XIX ème siècle semblait ainsi contenir en germe des éléments de psychanalyse et ,au final, « la psychanalyse n'est pas une coupure totale et radicale par rapport à la psychiatrie ».Beaucoup d'éléments de la psychanalyse proviennent ainsi des techniques élaborées en psychiatrie.Si Freud avait donc très bien compris que le noeud essentiel de la maladie mentale se situait dans la relation du médecin avec son patient, il n'a en revanche pas su fournir une thérapeutique dans laquelle la relation de pouvoir serait totalement absente. Foucault ira même jusqu'à dire que la psychanalyse ne pourra donc réellement comprendre l'essence de la maladie mentale : « La psychanalyse peut dénouer quelques unes des formes de la folie ; elle demeure étrangère au travail souverain de la déraison »191(*) .De plus, la psychanalyse n'a pas véritablement remplacé la psychiatrie : Beaucoup de gens sont ou restent internés ; il y a plutôt cohabitation entre les deux. En outre, ces deux pratiques ne sont pas seules au monde : Foucault note qu'il existe d'autres formes d'  « orthopédie médicale » telles que la psychothérapie ou la psychiatrie communautaire. Au final, deux idées semblent se détacher à propos de la psychanalyse :

- d'une part la psychanalyse a permis, effectivement, d'adresser des critiques à la pratique psychiatrique en proposant une autre forme de traitement que l'internement

- d'autre part, la psychanalyse n'est toutefois pas une rupture radicale avec la psychiatrie et a entre autres amplifié le rôle du médecin thaumaturge défini au XIX ème siècle.

V : ANALYSER LA FOLIE COMME STRUCTURE GLOBALE :

Dans le chapitre VI de Maladie mentale et psychologie, Foucault constate l'impuissance de la psychologie à véritablement cerner ce qu'est la folie. La notion de maladie mentale ne couvrirait ainsi qu'un des nombreux visages de la folie, celui de « la folie aliénée »192(*) , c'est-à-dire enfermée dans une définition médicale qui lui est propre. Foucault soutient ainsi que la psychologie ne parle pas le langage de la folie, qu'il y a là comme un décalage entre elle et son objet. Il prône un retour à une étude de la folie comme d'une « structure globale », c'est-à-dire détachée de son carcan médical et interrogée dans ses formes et son langage d'origine qui prenait chez Bosch en peinture ou chez Erasme en littérature ses formes visibles. Il y a ici comme une sorte de « romantisme » de la folie prise comme moyen de combattre les formes contemporaines de la pensée, une expérience mystérieuse, autre, qui serait engagée dans la contestation des modes actuels de pensée au travers le génie de l'oeuvre d'un Artaud, d'un Nietzsche ou d'un Van Gogh. Macey parle, dans sa biographie consacrée à Foucault, d'un « bruit assourdi, rebelle à la tentative de l'enfermement pour le réduire au silence »193(*) . Ce que la folie met en cause, c'est l'essence même de la réalité, l'idée même que l'on se fait du réel. Dans les dernières pages d'Histoire de la folie, Foucault nous dit que la folie est absence d'oeuvre. En effet, Foucault a constamment rappelé au cours de ses nombreux textes sur les asiles et la psychiatrie que la folie était avant tout souffrance et que l'on n'a jamais vu de fous composer d'oeuvre. Pourtant, quand Foucault parle de ces fous, il y a bien une « présence »d'oeuvre, qu'elle soit philosophique, littéraire ou bien encore artistique: « Le monde de la folie,qui avait été mis à l'écart à partir du XVII ème siècle a soudain fait irruption dans la littérature. C'est ainsi que mon intérêt pour la littérature rejoint mon intérêt pour la folie »194(*) . Ces « fous » là ont bien une oeuvre... La folie philosophique de Nietzsche par exemple, c'est l'abandon de la métaphysique, la découverte de la véritable Histoire : la folie en philosophie c'est nier le continuisme historique. Dés le XIX ème siècle, bon nombre de poètes, d'écrivains et de philosophes ont été taxés de folie : Hölderlin, Nietzsche, Nerval, Artaud qui connurent plus souvent qu'à leur tour des épisodes délirants que les psychiatres de leur époque n'arrivèrent pas à traiter. La folie de ces artistes échappe encore au psychiatre. Dans le chapitre « Le cercle anthropologique » qui clôt Histoire de la folie, Foucault parle de la folie comme d'une « absence d'oeuvre »195(*)dans le sens où elle participe au risque qu'il n'y ait pas d'oeuvre comme le fait remarquer Yves Roussel dans Foucault, lire l'oeuvre. Mais la folie n'est pas absence mais bien plutôt condition de l'oeuvre : non seulement les fous ont une oeuvre mais peut-être même faut il payer le prix de la folie pour aboutir à une oeuvre : en cela, l'écriture moderne aboutit en somme à une conception dépsychiatrisée et démédicalisée de la folie, ainsi rendue à son origine. Dans la folie de ces artistes et de ces penseurs dont la portée échappe au psychiatre, Foucault décèle un nouveau langage poétique de la folie qui échappe à toute médicalisation et la présence des ces quelques éclairs de génie montrent la permanence (même si elle n'est plus aussi omniprésente qu'à la Renaissance) de la folie « originelle » maintenant réduite au silence. A partir du XIX ème siècle, les médecins ne s'intéressent plus à la parole du fou mais à son cerveau (notamment avec la phrénologie et Gall).La folie vient s'aligner sur les figures déjà nombreuses du savoir scientifique et médical. Les vrais « héros de la folie »,ceux qui vont subsister au XIX ème siècle,ne sont donc pas les savants médecins en blouse blanche qui tentent de nous révéler la véritable nature de la folie, mais ces « écrivains fous » qui explorèrent le terrain encore peu défriché de la déraison.

CONCLUSION GENERALE :

On ne peut pas parler de « système » foucaldien, à propos de la médecine et de la psychiatrie, dans le sens d'une véritable cohérence interne de l'oeuvre.Foucault a sans cesse réévalué, enrichi ou même parfois totalement repris ses analyses sur le sujet. Chaque ouvrage, voire chaque article, semble, en effet, avoir sa propre méthodologie, ses nouveaux concepts, son angle d'analyse. Une chose, toutefois, semble assurer une certaine forme d'unité, sinon de ressemblance entre tous ces écrits : les analyses de la modernité  chez Foucault découlent d'une histoire des sciences humaines ; c'est l'étude du langage qui prime et, en son sein, les régimes de signes qui, à chaque époque, commandent ce qui est visible et ce qui est dit. Il semble ainsi possible de trouver dans les textes de Foucault sur le pouvoir, écrits dans les années 1970, la question, déjà en germe dans les premiers écrits et notamment Maladie mentale et personnalité, portant sur la manière dont les normes définissent, à une époque donnée, les individus et leurs discours. Ainsi, de l'étude sur le passage de la folie à la maladie mentale (dans Histoire de la folie à l'âge classique),jusqu'à la notion de bio-politique en tant que mode de régulation de la vie (exposée lors des conférences de Rio en 1974),en passant par l'archéologie du regard médical (dans Naissance de la clinique) et par l'imposition des techniques de disciplines corporelles (dans les cours sur le pouvoir psychiatrique),on assiste bien avec Foucault à la mise en place d'une pensée politique de la médicalisation,même si,bien entendu,elle ne s'y résume pas. Comme le notent assez justement Daniel Delanöe et Pierre Aïach dans leur ouvrage L'ère de la médicalisation,ce qui domine dans la pensée de Foucault,c'est aussi « la question du contrôle social,et,spécifiquement,de la surveillance autour,par exemple,de la figure du panoptique ».Ce contrôle s'effectue à deux niveaux :d'une part au niveau de l'individu,avec un contrôle sur le corps (contrôle mettant en jeu la notion de microphysique du pouvoir) ,mais aussi au niveau de la population par le biais de l'Etat. Un dénominateur commun à toute la pensée de Foucault sur la médecine est donc la question de l'individu par rapport à la totalité : Naissance de la clinique nous montrait comment la médecine des singularités,des particularités individuelles s'insérait dans des « séries » pathologiques,les cours de 1974 comment s'exercent sur nous ces micro-pouvoirs quotidiens,comme la psychiatrie. Dés la fin des années 50 on peut dire,sans trop se tromper, que Foucault entend mettre en oeuvre une nouvelle pratique de l'Histoire des sciences, discontinuiste,qui ne serait pas basée sur de quelconques normes mais qui s'interrogerait plutôt sur la manière dont les sciences interfèrent ou s'insèrent dans des structures sociales et politiques.

Les progrès des techniques médicales au cours de ces trente dernières années tendent vers une certaine maîtrise du vivant, repoussant toujours plus loin ce que l'homme peut connaître : cette « biologisation » de la médecine actuelle aurait mérité un prolongement dans l'oeuvre de Foucault comme le note Christiane Sinding dans l'ouvrage de Luce Giard, Michel Foucault, lire l'oeuvre. La médecine n'est plus seulement une science de la guérison, mais elle est une science qui prédit, qui pronostique. Elle est devenue « une science du devenir de l'individu »196(*).Qu'aurait donc pensé Foucault de la médecine actuelle ? Sa présence n'aurait-elle pas été intéressante pour apporter un éclairage sur les bouleversements que l'apparition et le développement du SIDA, notamment, ont fait naître ? Dans un article du Magazine littéraire datant de 1994, le célèbre médecin Jean-Paul Escande souligne que « la médecine, depuis 10 ans (...) a vécu par axe de référence au SIDA »197(*) . Escande rajoute, fort justement : « Lui (Foucault), extérieur au système et cherchant à le comprendre, aurait pu, pour l'opinion, éclairer et aider à comprendre comment on était passé de la médecine de l'espoir à la médecine de l'attente »198(*).Les années 80/90 ont totalement bouleversé la perception, les pratiques et les discours médicaux pour les médecins comme pour les patients. Quels axes de réflexion Foucault aurait il dégagés ? En tous les cas, le fait que l'on puisse s'interroger sur l'impact qu'auraient eu les idées d'un homme qui n'était pas médecin lui même, sur une discipline aussi difficile à cerner pour les profanes, montre à quel point sa pensée a marqué la profession. Même chose pour la psychiatrie : la crise actuelle du domaine psychothérapeutique, la difficulté qu'a cette branche ô combien particulière de la médecine à clarifier son statut, symbolisée notamment par les remous autour de la loi Accoyer/Mattei d'octobre 2003, tendrait à donner raison à Foucault ... La « folie » est ,à l'heure actuelle, plus médicalisée encore qu'à l'époque où Foucault écrivait Histoire de la folie : multiplication des psychotropes, des anti-dépresseurs (la dépression est même parfois surnommée le « mal du siècle »...), sectorisation de la psychiatrie... Tant que le psychiatre ne saura pas s'il doit soigner la maladie mentale ou prendre en charge la santé mentale de la société, la psychiatrie oscillera entre thérapeutique et instance de pouvoir. Autant de mesures et d'évolutions allant dans le sens d'une médicalisation et d'une psychiatrisation accrue dans nos sociétés , la constante de la notion de médicalisation étant que le pouvoir disciplinaire ou politique s'exerce sur des objets qui n'étaient pas,jusqu'alors , considérés comme relevant de cette forme de pouvoir ,comme le corps, omniprésent dans la pensée de Foucault,ou encore la vie elle-même : « Le pouvoir politique ,avant même d'agir sur l'idéologie,la conscience des personnes , s'exerce de façon beaucoup plus physique sur leurs corps ;la manière dont on leur impose des gestes,des attitudes ,des usages,des répartitions dans l'espace (...) Cette distribution physique,spatiale des gens appartient me semble t-il à une technologie politique du corps »199(*).

Comment sortir de cette médicalisation et de cette psychiatrisation, de cette emprise du pouvoir sur nos corps ? Il serait pourtant vain d'attendre de Foucault une quelconque réponse à cette question... Nous pensons d'ailleurs que ce serait faire un contresens que de demander à l'auteur de l'Histoire de la folie et de Naissance de la clinique des prescriptions sur une juste politique de la santé. Etudier les conditions de l'histoire d'un discours psychiatrique, s'interroger sur ce qui a rendu possible l'hôpital, dépister les stratégies de pouvoir masquées sous de prétendus progrès moraux de l'humanité, n'a pas pour fin de porter des jugements de valeurs : Foucault nous invite plutôt à un engagement à de petites luttes quotidiennes et à l'interpellation de nos évidences, de nos postulats, de nos opinions admises, de nos habitudes, de nos manières de penser ou façons de faire.

BIBLIOGRAPHIE :

1. TRAVAUX DE MICHEL FOUCAULT 

A : Livres :

Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, seconde édition revisitée parue sous le titre Maladie mentale et psychologie, 1962

Histoire de la folie à l'âge classique, TEL Gallimard, Paris, 1961 pour la première édition, réed.1972.

Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963

Archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969

L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1971

Les Machines à guérir (aux origines de l'hôpital moderne), Mardaga, Bruxelles, 1976 (ouvrage collectif)

Dits et Ecrits volume 1 et volume 2 1954/1975, Gallimard, Paris, 1994 collection Quatro

Dits et Ecrits volume 3 1976/1979, Gallimard, Paris, 1994, collection Bibliothèque des sciences humaines

B : Préfaces et introductions :

Ludwig BINSWANGER, le rêve et l'existence, Gallimard 1954, Paris, rapporté dans Dits et Ecrits volume 1 et 2. 1994, Quatro Gallimard (introduction par Michel Foucault)

Folie et déraison, préface ,1961 rapporté dans Dits et Ecrits volume 1 et 2, Quatro Gallimard, Paris, 1994

C : Articles  (dans Dits et Ecrits):

« Histoire de la psychologie de 1850 à 1950 » 1957, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« La recherche scientifique en psychologie » 1957, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« La folie absence d'oeuvre » 1964, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« Le monde est un grand asile » 1973, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« Le pouvoir psychiatrique » 1974, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« Crise de la médecine ou crise de l'anti-médecine » 1976, Dits et Ecrits volume 3

« Bio histoire et bio politique » 1976, Dits et Ecrits volume 3

« La naissance de la médecine sociale » 1977, Dits et Ecrits volume 3

« L'asile illimité » 1977, Dits et Ecrits volume 3

« L'incorporation de l'hôpital dans la technologie moderne » 1978 Dits et Ecrits volume 3

D : entretiens (dans Dits et Ecrits) :

« La folie n'existe que dans une société » 1961, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« Philosophie et psychologie » 1965, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« Interview avec Michel Foucault » 1968, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« La folie et la société » 1970, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« Folie, une question de pouvoir » 1974, Dits et Ecrits volume 1 et 2

« L'oeil du pouvoir » 1977, Dits et Ecrits volume 3

« Enfermement, psychiatrie, prison » 1977, Dits et Ecrits volume 3

« La folie et la société » 1978, Dits et Ecrits volume 3

« Le pouvoir, une bête magnifique » 1977, Dits et Ecrits volume 3

E : cours au Collège de France :

Le Pouvoir psychiatrique, Gallimard-le seuil, Paris, 2002 Hautes études

Les anormaux, Gallimard-le seuil 1999, Paris, Hautes études

Il faut défendre la société, Gallimard le seuil, Paris, 2001 Hautes études

2. TRAVAUX CONCERNANT FOUCAULT (par ordre alphabétique)

A : Livres :

ARTIERES Philippe/DA SILVA Emmanuel : Foucault et la médecine, éditions Kimé, Paris 2001

AUZIAS Jean-Marie : Qui suis-je ? Michel Foucault, éditions La manufacture, Lyon, 1986

DREYFUS Hubert/RABINOW Paul : Michel Foucault un parcours philosophique, trad.F.Durand-Bogaert, Folio, Paris 1984, collection essais.

ERIBON Didier, Michel Foucault, Flammarion, Paris, 1991, collection champs

ERIBON Didier Foucault et ses contemporains, Fayard, Paris, 1994

EVRARD F. Michel Foucault et l'histoire du sujet en occident ,Bertrand Lacoste,Paris,1995

FIMIANI Mariapaola Foucault et Kant critique, clinique éthique, trad. N.Le Lirzin, l'Harmattan, Paris, 1998, Ouverture philosophique

GIARD Luce, Michel Foucault lire l'oeuvre, Jérôme Million, Grenoble, 1992

GROS Frédéric, Michel Foucault, PUF, Paris, 1996, collection Que sais je

GROS Frédéric, Foucault et la folie, PUF, Paris, 1997, collection philosophies

KREMER-MARIETTI Angéle Michel Foucault, Seghers, Paris, 1974

LEBLANC Guillaume/TERREL Jean (sous la direction de), Foucault au Collège de France, un itinéraire, PUB, Bordeaux, 2003, collection Histoire des pensées

MACEY David Foucault,trad.P.E.Dauzat, Gallimard, Paris, 1993,collection NRF

MERQUIOS José-Guilherme Foucault ou le nihilisme de la chaire, PUF, Paris, 1986

MONOD Jean-Claude La police des conduites, Michalon, Paris, 1997 collection Le bien commun

REVEL Judith Le vocabulaire de Foucault, Ellipses, Paris, 2002 collection vocabulaire de...

SHERIDAN Allan Discours, sexualité et pouvoir initiation à Michel Foucault, Mardaga, Bruxelles, 1980

(Collectif) Penser la folie, Essais sur Michel Foucault, Galilée, Paris, 1992, collection Débats

B : Revues :

CITES : Michel Foucault : De la guerre des races au biopouvoir, PUF, Paris, 2001

CRITIQUE : Michel Foucault : Du monde entier, Editions de minuit, Paris, Août/Septembre 1986

MAGAZINE LITTERAIRE : Foucault aujourd'hui Octobre 1994 n°325

SCIENCES HUMAINES : n° 147 dossier : « Ou en est la psychiatrie ? » Mars 2004

C : Actes de colloques :

(Collectif) Michel Foucault philosophe, rencontre internationale Paris 9, 10,11 janvier 1988, Seuil, 1989

3. AUTRES OUVRAGES :

ACKERKNECHT Erwin.H : La médecine hospitalière à Paris (1794/1848) trad.F.Blateau, Payot, Paris, 1986

AIACH Pierre, DELANOE Daniel (sous la direction de) : L'ére de la médicalisation, Ecce homo sanitas , Anthropos, Paris, 1998

ARTIERES Philippe/LASCOUMES Pierre : Gouverner, enfermer La prison, un modèle indépassable, Presses de sciences po, Paris, 2004

BENTHAM Jeremy : Le Panoptique, Belfond, Paris, 1977

CANGUILHEM Georges : Le normal et le pathologique, PUF, Paris, 1966 collections Quadrige

CANGUILHEM Georges : Ecrits sur la médecine, Seuil, Paris, 1989 collection Champ Freudien

CANGUILHEM Georges : Etudes d'Histoire et de Philosophie des sciences, Vrin, Paris, 1975 Polémiques et controverses

CRIGNON-DE OLIVEIRA Claire/GAILLE-NIKODIMOV Marie A qui appartient le corps humain ?médecine politique et droit, Les belles lettres, Paris, 2004 collection Médecine et sciences humaines

ENGEL Pascal Philosophie et psychologie, Gallimard, Paris, 1996 collection Folio essais

GAUCHET Marcel/SWAIN Gladys : La pratique de l'esprit humain, Gallimard, Paris, 1980 NRF

GOLDSTEIN Jan Consoler et classifier, l'essor de la psychiatrie française, trad.F.Bouillot, Institut Synthélabo, Plessis Robinson, 1997 collection Les empêcheurs de penser en rond

LECOURT Dominique (sous la direction de) : Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, Paris, 2003 Quadrige dicos poche

POLITZER Georges Critique des fondements de la psychologie, PUF, Paris, 1968 collection Quadrige

POSTEL Jacques/QUETEL Claude (sous la direction de) : Nouvelle histoire de la psychiatrie, Dunod, Paris, 1994

SWAIN Gladys : Le sujet de la folie, Gallimard, Paris, 1978 NRF

Dr THUILLER Jean: La folie ; Histoire et dictionnaire, Robert Laffont, Paris, 1996 Bouquins

ZARIFIAN Edouard : Les jardiniers de la folie, Odile Jacob, Paris 1994 Poches

INDEX DES NOTIONS:

Aliénation, 14, 15, 50, 53, 56, 58, 64, 65, 70

Aliéné, 15, 56, 58, 63, 74

Aliénisme, 5, 73, 83

Anormal, 3, 11, 19, 21, 42, 63, 64

Anti-psychiatrie, 75, 87

Archéologie, 1, 23, 24, 25, 26, 28, 47, 52, 69, 73, 76, 93, 104

Architecture, 45, 76, 81

Asile, 1, 6, 17, 50, 56, 58, 59, 60, 61, 65,66 69, 71, 77, 78, 79, 81, 85, 87,88, 89, 97, 105

Béhaviourisme, 20, 22

Clinique, 2, 6, 23, 24-35, 36, 40, 44, 76, 84, 93, 94, 95, 96, 98, 103

Corps, 4, 28, 31, 33, 34, 36, 38, 40, 41, 43, 48, 64, 65, 71, 76, 78, 80, 82, 86, 93, 95, 99

Dépsychiatrisation, 83, 85, 86, 88

Déraison, 16, 26, 50, 52, 53, 55, 68, 73, 88, 92, 96

Discipline, 1,3,5, 6, 7, 20, 21, 27, 28, 44, 47, 48, 49, 50, 52, 62, 63, 66, 69, 73, 74, 75,77,78, 79, 81, 82,84, 94,95,105

Discours, 1, 3, 6, 17, 21, 23, 24, 25, 26, 28, 30, 33, 39, 51, 63, 66, 73, 76, 78, 93, 94, 95, 96

Dispositifs, 2, 60, 76

Enfermement, 8, 54, 55, 86, 91

Etat, 30, 36, 38, 40, 46, 93

Famille, 29, 44, 54, 58, 59, 63, 81, 82, 87

Folie, 1, 5, 6, 7, 10, 14, 16, 23, 24, 26, 35, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 65, 67, 69, 71, 72, 73, 74, 76, 78, 84, 86, 88, 89, 90, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 100, 104, 105

Fou, 5, 7, 14, 15, 51, 54, 55, 57, 59, 60, 62, 63, 65, 70, 78, 80, 82, 83, 85, 87, 92

Histoire, 1, 2, 5, 6, 8, 10, 12,14, 16,18, 20, 21, 22, 23, 24, 26,27, 35, 41,50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 64, 65, 67, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 76, 78, 86, 87,88, 89, 90, 91, 93, 94, 95, 96,97, 98, 99, 100,104

Hôpital, 7, 29, 30, 36, 42,44-49, 50, 57, 63, 78, 79, 81, 82, 85, 86, 95, 96, 97, 104

Individu, 9, 11, 13, 15, 20, 34, 40, 41, 42, 45, 48, 49, 56, 63, 64, 66, 70, 75, 78, 80, 81, 82, 85, 93, 94

Institution, 1,2,5, 6, 9, 26, 36,42, 47,53, 54, 67, 69, 71, 73, 76, 78,79, 80,82, 87, 104

Internement, 11, 15, 53, 54, 55, 58, 59, 61, 63, 82, 89, 90

Langage, 5, 9, 10, 25, 27, 31, 51, 61, 68, 76, 89, 90, 93

Maladie, 2, 5, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 25, 26, 28, 30, 33, 34, 37, 45, 49, 51, 53, 55, 56, 57, 61, 63, 64, 65, 68, 70, 73, 74, 76, 87, 89, 90, 93, 95, 103

- maladie mentale, 11, 12, 14, 15, 52, 59, 61, 63, 65, 74, 89

Médecin, 5, 21, 25, 27, 28, 31, 33, 36, 38, 41, 43, 45, 47, 49, 50, 54, 56, 57, 60, 61, 66, 67, 75, 77, 78, 82, 88, 90, 94

Médecine sociale, 4, 6, 35, 36-49

Médicalisation, 4, 5, 6, 41, 42, 44, 48, 55, 56, 63, 85, 91, 93, 95, 99

Mort, 2, 15, 27, 33, 34, 44

Normalisation, 3, 63, 65, 83, 86

Norme, 10, 30,53, 60, 63,83,93

Panopticon/panoptique,45,79,80, 81,82,93

Pathologie, 10, 11, 12, 13, 41, 64, 68, 74, 87, 103

Personnalité, 2, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 35, 50, 65, 74, 93, 96, 103

Politique, 4, 10, 15, 26, 35, 36, 40, 45, 47, 55, 63, 70, 71, 72, 78, 87, 93, 95, 97, 99

Population, 36, 39, 44, 54, 93

Pouvoir, 1, 2, 3, 6, 17, 21, 31, 35, 36, 37,39, 40, 43, 44, 47, 48, 49, 51, 58, 59, 61, 63, 66, 72, 73,74, 75, 76, 77, 78, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 93, 95, 97, 98, 104, 105

Pratiques, 2, 11, 14, 23, 30, 34, 60, 62, 71, 74, 83, 90, 94

Présent, 1, 12, 17, 27

Psychanalyse, 5, 7, 8, 9, 12, 16, 20, 22, 23, 83, 87, 88, 90

Psychiatrisation, 83, 85, 95

Psychologie, 6, 7-23,29, 30, 35, 74, 90, 96, 97, 99, 100, 103

Santé, 4, 7, 11, 30, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 45, 75, 95

Savoir, 1, 2, 6, 7, 9, 17, 18, 22, 25, 26, 28, 30,32, 33, 34, 39, 40, 42, 44, 48, 49, 51, 56, 57, 59, 61, 63, 67, 73, 74, 75, 76, 78, 80, 81, 82, 83, 85, 92, 96, 104

Science,1, 3, 12, 16, 18,19,20, 21, 22, 25, 31, 33, 34, 35, 38, 39,41, 50, 59, 61, 64, 73 ,74, 85, 93, 94, 96, 99, 103

Signe, 2, 31, 62

Société, 1, 4, 15, 20, 37, 40, 42, 43, 53, 54, 56, 58, 61, 62, 63, 64, 65, 70, 76, 79, 81, 82, 91, 95, 97

Souveraineté, 3, 31, 78, 81, 83

Traitement moral, 5, 57, 59, 69, 78, 82

INDEX DES NOMS DE PERSONNES:

Artaud (Antonin), 17, 91

Bachelard (Gaston), 86

Basaglia (Franco), 87

Bayle (G.L), 27

Bentham (Jeremy), 79, 80

Bichat (Xavier), 26, 33, 34, 83

Binswanger (Ludwig), 8, 10, 30, 88

Bosch (Jérôme), 53, 90

Cabanis (P.J.G), 33

Canguilhem ( Georges), 11, 21, 24, 50, 86, 105

Castel (Robert), 73, 86

Condillac (Etienne B. de), 31

Cooper (David), 86

D'Eramo (M.), 87, 95

Daumézon (Georges), 68

Delay (jean), 7

Derrida (Jacques), 57, 88

Engel (Pascal), 21, 22

Erasme, 17, 53, 90

Eribon (Didier), 7, 9

Escande (Jean-Paul), 94

Esquirol (J.E.D), 62, 70, 89

Esterson (Aaron), 87

Ey (Henri), 57, 68, 69

Freud (Sigmund), 8, 9, 12, 15, 20, 22, 88

Galien (Claudius Galenus), 29

Gauchet (Marcel), 69, 71, 106

Giard (Luce), 30, 32, 94

Goldstein (Jan), 71, 72, 106

Goya (Francisco), 53

Gros (Frédéric), 23

Hölderlin (Friedrich), 17, 91

Howard (Richard), 47

Husserl (Edmund), 8

Jackson (C.), 12

Lagache (Daniel), 7, 21

Lagrange (Jacques), 73, 75, 77

Laing (Ronald), 86

Lecourt (Dominique), 5

Leuret (Francois), 82

Macey (David), 8, 24, 91

Mannoni (Maud), 87

Merleau-Ponty (Maurice), 7, 51

Monod (Jean-Claude), 40, 42, 53, 54, 70, 71

Nietzsche (Friedrich), 1, 91

Pinel (Philippe), 5, 15, 26, 28, 33, 34, 52, 57, 59, 61, 62, 67, 69, 78, 82, 89

Politzer (Georges), 22, 23, 105

Pomme (P.), 27

Pussin (Jean-Baptiste), 57

Roussel (Raymond), 17

Sade (Marquis de), 53

Sinding (Christiane), 32, 94

Swain (Gladys), 69, 71, 106

Sydenham (Thomas), 26, 28

Tuke (Samuel), 17, 52, 57, 59, 61, 89

TABLE DES MATIERES :

INTRODUCTION  p.1

I UNE ANALYSE DES DISCOURS MEDICAUX p.7

1. FOUCAULT ET LA PSYCHOLOGIE p.7

· 1. 1 : Les premiers pas de Foucault en psychologie.

· 1. 2 : Contre une méta-pathologie en psychologie.

· 1. 3 : Maladie mentale et personnalité ou Maladie mentale et psychologie ?

· 1. 4 : Une science de la maladie mentale est elle possible ?

· 1. 5 : Canguilhem et Politzer, un autre regard sur la psychologie.

2. LE REGARD MEDICAL DANS NAISSANCE DE LA CLINIQUE p.24

· 1. 1 : Genèse et élaboration de Naissance de la clinique.

· 1. 2 : Les conditions d'émergence de l'expérience clinique.

· 1. 3 : La révolution médicale : acteurs et conséquences.

3. CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE p.35

II L'INSTITUTION MEDICALE ET LA MEDICALISATION p.36

1. VERS UNE MEDECINE SOCIALE p.36

· 1. 1 : Qu'est-ce que la médecine sociale ?

· 1. 2 : Une histoire de la médecine sociale.

· 1. 3 : Le fonctionnement actuel du savoir et du pouvoir médical.

· 1. 4 : Une critique de la médecine traditionnelle.

2. L'HOPITAL INSTRUMENT DE LA MEDECINE SOCIALE p.44

· 1. 1 : Le problème de l'hôpital.

· 1. 2 : L'archéologie des machines à guérir.

· 1. 3 : Quelles caractéristiques pour l'hôpital médical ?

3. LA FOLIE DEVIENT OBJET MEDICAL : NAISSANCE DE L'ASILE p.50

· 1. 1 : Une histoire de l'institution psychiatrique ?

· 1. 2 : Différents âges de la folie.

· 1. 3 : Le tournant du XIX ème siècle.

· 1. 4 : D'une psychiatrie à l'autre.

· 1. 5 : Conclusion : quelle histoire pour la psychiatrie ?

III : LE POUVOIR PSYCHIATRIQUE  p.67

1. UNE RELECTURE TARDIVE D'HISTOIRE DE LA FOLIE p.67

· 1. 1 : Des problèmes historiques.

· 1. 2 : La critique de Gauchet et Swain.

· 1. 3 : Une autre vision de l'institution psychiatrique : J.Goldstein.

2. LE POUVOIR PSYCHIATRIQUE p.73

· 1. 1 : Un déplacement d'intérêt dans l'oeuvre de Foucault.

· 1. 2 : De nouvelles méthodes.

· 1. 3 : Le pouvoir disciplinaire.

· 1. 4 : Le Panopticon.

· 1. 5 : Le fonctionnement de l'asile.

· 1. 6 : La généralisation du paradigme aliéniste.

3. VERS UNE DEPSYCHIATRISATION ? p.85

· 1. 1 : Un constat : le monde est un grand asile.

· 1. 2 : Le problème antipsychiatrique.

· 1. 3 : La solution psychanalytique ?

· 1. 4 : La folie comme structure globale.

CONCLUSION GENERALE p.92

BIBLIOGRAPHIE p.96

INDEX DES NOTIONS p.101

INDEX DES NOMS DE PERSONNES p.103

* 1 Michel Foucault, « Le monde est un grand asile » in Dits et Ecrits vol I et II, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1302.

* 2 Michel Foucault  « Le pouvoir une bête magnifique », entretien avec M.Osirio in Dits et écrits vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.369.

* 3 «Truth,power,self :An interview»in Technologies of the self,a seminar with Michel Foucault cité par Didier Eribon, Michel Foucault, Flammarion,Paris, 1989, p.104.

* 4 Ducio Trombadori, Colloqui con Foucault, in Didier Eribon, Michel Foucault, Champs-Flammarion, 1989, p.66.

* 5 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p. 638.

* 6 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.11.

* 7 Ibid.p.14.

* 8 Ibid.p.14.

* 9 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.14.

* 10 Ibid. p.34.

* 11Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF Paris, 1954, p.34.

* 12 Ibid p.48.

* 13 Ibid.p.52.

* 14 Ibid.p.60.

* 15 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p 69.

* 16 Ibid. p.79.

* 17 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.83.

* 18 Ibid p.87.

* 19 Ibid p.106.

* 20 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, Paris, PUF, 1954, p.90.

* 21 Ibid. p.110.

* 22 Michel Foucault, Maladie mentale et psychologie, PUF, Paris, 1962, p.89.

* 23 Michel Foucault, « Philosophie et psychologie » in Dits et Ecrits, vol I Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.466.

* 24 Michel Foucault,  «La recherche scientifique en psychologie » in Dits et Ecrits, vol I Quatro Gallimard, Paris, p.166.

* 25 Ibid p.166.

* 26 Ibid p.173.

* 27 Ibid p.186.

* 28 Michel Foucault,  « La recherche scientifique en psychologie » in Dits et Ecrits, Vol I et II, Quatro-Gallimard, Paris, 1994, p.166.

* 29 Ibid.p.166.

* 30 Michel Foucault,  « La recherche scientifique en psychologie » in Dits et Ecrits Vol 1 Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.150.

* 31 Michel Foucault, « Histoire de la psychologie de 1850 à 1950 » in Dits et Ecrits, Vol 1 Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.155.

* 32 Ibid. p.163.

* 33 Georges Canguilhem, « Qu'est ce que la psychologie » in Etudes d'Histoire et de philosophie des sciences, Vrin, Paris, 1968, p.365

* 34 Ibid p 366

* 35 Pascal Engel, Philosophie et psychologie, Folio Gallimard, Paris, 1995, p.11.

* 36 Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie, PUF, Paris, 1968, pp 2 et 3.

* 37 Ibid p.2.

* 38 Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie, PUF, Paris, 1968, p.249.

* 39 Ibid.p.262.

* 40 Michel Foucault, L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1969, pp.73 et 74 .

* 41 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, pp.53 et 54.

* 42 Ibid. Préface p.XIV.

* 43 Michel Foucault, Archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969, p.213.

* 44 Michel Foucault, préface 1961 d'Histoire de la folie in Dits et Ecrits, Vol I et II, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.188.

* 45 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, préface p I.

* 46 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, Préface p.VI.

* 47 Ibid.p.XII.

* 48 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.3.

* 49 Ibid. p.6.

* 50 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.35.

* 51 Ibid.pp.37 et 38.

* 52Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.88.

* 53 Ibid.p.197.

* 54 Ibid. p.89.

* 55 Ibid. p.95.

* 56 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris ,1963 p.99.

* 57 Ibid p.97.

* 58 Ibid p.97.

* 59 Ibid p.102.

* 60 Luce Giard, Michel Foucault, lire l'oeuvre, Jérôme Million, Paris, 1992, p.68.

* 61 Xavier Bichat ,Anatomie générale ,avant-propos p.XCIX cité par Michel Foucault dans Naissance de la Clinique,PUF ,Paris,1963, p.149.

* 62 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.138.

* 63 Ibid.p.131.

* 64 Ibid.p.130.

* 65 Ibid.p.146.

* 66 Ibid.p.149.

* 67 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, pp.200/201.

* 68 Michel Foucault,  « Prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir », in Dits et Ecrits vol I et II,Quatro- Gallimard, Paris ,1994,p.1392.

* 69 Michel Foucault, Les machines à guérir, Mardaga, Bruxelles, 1979, p.7.

* 70 Ibid. p.8.

* 71 Michel Foucault,  « L'oeil du pouvoir » in Dits et Ecrits Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.194.

* 72 Michel Foucault, « La Naissance de la médecine sociale » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.210.

* 73 Ibid p.214.

* 74 Ibid p.223.

* 75 Michel Foucault, « La Naissance de la médecine sociale » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p. 223.

* 76 Ibid p.225.

* 77 Michel Foucault,  « Crise de la médecine ou crise de l'anti-médecine »,in Dits et Ecrits,Vol III,Gallimard,Paris,1994,p.41.

* 78 Ibid.p.43.

* 79 Ibid.p.43.

* 80 Ibid.p.44.

* 81 Jean-Claude Monod,La police des conduites,Le bien commun,Paris,1997,p.52.

* 82 Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.207.

* 83 Ibid.p.208.

* 84 Michel Foucault,  « Crise de la médecine ou crise de l'anti-médecine ? » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, 1994, Paris, p.50.

* 85 Michel Foucault,  « Crise de la médecine ou crise de l'anti-médecine ? » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, 1994, Paris, p.53.

* 86 Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale » in Dits et Ecrits, Vol III Gallimard, Paris, 1994, p.208.

* 87 Michel Foucault, «  Les grandes fonctions de la médecine dans notre société » in Dits et Ecrits, Vol I et II, Quatro Gallimard, Paris, pp.1249 et 1250.

* 88 Michel Foucault, « L'incorporation de l'hôpital dans la technologie moderne » in Dits et Ecrits, Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.511.

* 89 Ibid p.517.

* 90 Michel Foucault, Les Machines à guérir, Mardaga, Bruxelles, 1979, p.17.

* 91 Ibid. p.48.

* 92 Michel Foucault, « L'incorporation de l'hôpital dans la technologie moderne » in Dits et Ecrits Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.510.

* 93 Ibid p.511.

* 94 Ibid p.512.

* 95 Michel Foucault, « L'incorporation de l'hôpital dans la technologie moderne » in Dits et Ecrits Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.514.

* 96 Ibid p.516.

* 97 Ibid p.516.

* 98 Ibid p.517.

* 99 Ibid p.517.

* 100 Michel Foucault, « L'incorporation de l'hôpital dans la technologie moderne » in Dits et Ecrits vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.518.

* 101 Ibid p.519.

* 102 Ibid p.521.

* 103 Ibid p.521.

* 104 Michel Foucault, Préface d'Histoire de la folie in Dits et écrits, vol I et II Quatro-Gallimard, Paris, 1994, p.187.

* 105 Ibid p.187.

* 106 Ibid p.187

* 107 Ibid p.187

* 108 Michel Foucault, Préface d'Histoire de la folie in Dits et Ecrits, Vol I et II Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.188.

* 109 Ibid p.188.

* 110 Ibid p.188.

* 111 Ibid p.189.

* 112 Ibid p.189.

* 113 Jean Claude Monod, La police des conduites, Le bien commun, Paris, 1997, p.22.

* 114 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.59.

* 115 Jean Claude Monod, La police des conduites, Le bien commun, Paris, 1997, p.23.

* 116 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.445.

* 117 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972),.p.446.

* 118 Ibid.p.501.

* 119 Ibid.p.530.

* 120 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.532.

* 121 Ibid.p.541.

* 122 Ibid p.552.

* 123 Ibid.p.545.

* 124 Ibid.p.575.

* 125 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.576.

* 126 Ibid.p.596.

* 127 Jacques Derrida, in Penser la folie, essais sur Michel Foucault, Galilée, Paris, 1992, p.165

* 128 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972) p.585.

* 129 Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique, TEL Gallimard seuil, Paris, 2003, p.30.

* 130 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris ,1961 (-1972), p.623.

* 131 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris ,1961 (-1972), p.501.

* 132 Ibid. p.501.

* 133 Michel Foucault, Histoire de la Folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.602.

* 134 Ibid p.602 .

* 135 Ibid p.600.

* 136 Ibid p.601.

* 137 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.616.

* 138 Ibid p.623.

* 139 Ibid p.530.

* 140 Ibid p.623.

* 141 Ibid p.623.

* 142 Ibid p.624.

* 143 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.626.

* 144 Ibid.p.627.

* 145 Ibid p.629.

* 146 Ibid.p.630.

* 147 Leblanc/Terrel, Foucault au collège de France, un itinéraire, PUB, Bordeaux, 2003, p.31.

* 148 Michel Foucault, Il faut défendre la société, Gallimard-le seuil, Paris, 1999, p.34.

* 149 Michel Foucault, Il faut défendre la société, Gallimard-le seuil, Paris, 1999, p.35.

* 150 Michel Foucault, Les anormaux, Gallimard -le seuil, Paris, 2001, p .151.

* 151 Ibid p.251.

* 152 Ibid p.298.

* 153 Michel Foucault, « La folie n'existe que dans une société » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Vol I et II, Paris, 1994, p.197.

* 154 Henri Ey, Evolution psychiatrique, tome 36 fasc. II, Actes du colloque, Privat, Toulouse 1971, p.226.

* 155 Ibid.

* 156 Ibid.

* 157 Jean Claude Monod, La police des conduites, Michalon, Paris, 1997, p.37.

* 158 Jan Goldstein, Consoler et classifier, l'essor de la psychiatrie française, Institut Synthélabo, Plessis Robinson, 1997, p.23 .

* 159 Michel Foucault, le pouvoir psychiatrique, Gallimard seuil, Paris, 2003, p.35.

* 160 Michel Foucault , « Usage des plaisirs et techniques de soi » in Dits et Ecrits, Vol IV,Gallimard,Paris,p.545 cité par Jacques Lagrange in Le pouvoir psychiatrique,Gallimard-Seuil,Paris,p.355.

* 161 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.75.

* 162 Michel Foucault, « Pouvoir et savoir »in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.400.

* 163 Michel Foucault, « Folie, une question de pouvoir » in Dits et Ecrits, Quatre Gallimard, Paris, 1994, p.1530.

* 164 Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique, Gallimard seuil, Paris, 2003, p.13.

* 165 Ibid.p.14.

* 166 Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.22.

* 167 Ibid.p.6.

* 168 Ibid.p.6.

* 169 Ibid.p.8.

* 170 Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.50.

* 171 Ibid.p.49.

* 172 Ibid.p.57.

* 173 Michel Foucault, Le Pouvoir Psychiatrique, Gallimard seuil, Paris, 2003, p.78.

* 174 Ibid.p.80.

* 175 Michel Foucault, « L'oeil du pouvoir » in Dits et Ecrits Vol III, Gallimard, Paris, 1994, p.190 et p.191.

* 176 Michel Foucault, Le Pouvoir Psychiatrique, Gallimard seuil, Paris, 2003, p.79.

* 177 Ibid.p.80.

* 178 Ibid.p.88.

* 179 Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.99.

* 180 Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.106.

* 181 Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, Gallimard Seuil, Paris, 2003, p.253.

* 182 Michel Foucault, « le pouvoir psychiatrique » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris vol I et II, 1994, p.1543.

* 183 Michel Foucault, « Le monde est un grand asile » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris vol I et II, 1994, p.1301.

* 184 Michel Foucault, « prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p. 1392.

* 185 Michel Foucault, « Le pouvoir psychiatrique » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1552.

* 186 Michel Foucault, « Le pouvoir psychiatrique » in Dits et Ecrits, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1554.

* 187 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.428.

* 188 Michel Foucault, « La folie absence d'oeuvre » in Dits et Ecrits volume 1 et 2, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p. 441.

* 189 Michel Foucault, « Folie, une question de pouvoir » in Dits et Ecrits volume 1 et 2, Quatro Gallimard, Paris, 1994, p.1529.

* 190 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.529.

* 191 Michel Foucault, Histoire de la folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.632.

* 192 Michel Foucault, Maladie mentale et psychologie, PUF, Paris, 1962, p.90.

* 193 David Macey ,Foucault,Gallimard, Paris ,1981,pp 121-122.

* 194 Michel Foucault, « Folie littérature société », entretien avec T.Shimizu et M.Watanabe in Dits et Ecrits Vol I et II, Quatro-Gallimard, Paris, 1994, p.972.

* 195 Michel Foucault, Histoire de la Folie, TEL Gallimard, Paris, 1961 (-1972), p.580.

* 196 Christiane Sinding, article « La méthode de la clinique » in Luce Giard, Foucault Lire l'oeuvre, Jérôme Million, Grenoble, 1992 p.80.

* 197 Jean-Paul Escande, article « Appel à Foucault » in Le Magazine Littéraire,n°325,Octobre 1994,p.49

* 198 Ibid.p.49.

* 199 Michel Foucault, « Prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir », entretien avec M .D'Eramo in Dits et Ecrits, Quatro-Gallimard, Paris, 1994, p.1391.






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