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Louis Ferdinand Céline:une pensée médicale

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par David Labreure
Université Paris 1 panthéon sorbonne - DEA Histoire et philosophie des sciences 2005
  

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INTRODUCTION :

« J'avais uniquement une vocation médicale, et je regrette l'avoir un peu négligée. Je me serais livré entièrement à la médecine, je n'aurais pas eu tant d'ennuis et alors je me suis livré...je me suis livré à la littérature et il m'en a coûté très cher »

L.F.Céline, interviewé par R.Sadoul, mars 1955 pour le magazine littéraire

Louis Ferdinand Destouches est né le 27 mai 1894 à Courbevoie en région parisienne. De condition petite bourgeoise (son père travaille dans les assurances et sa mère est dentellière), ses parents le destinent au commerce et l'envoient, rareté à l'époque, faire deux longs séjours linguistiques en Angleterre et en Allemagne. Après divers apprentissages, notamment chez de grands joailliers, il s'engage comme cuirassier en 1912.Griévement blessé dés le début de la guerre, il est réformé puis affecté au consulat français de Londres. De retour à Paris, le jeune Destouches repart en 1916 pour l'Afrique où l'attend un emploi de surveillant de plantation. Atteint de paludisme, il est rapatrié et, tout en travaillant, entreprend des études de médecine, en 1919, études qu'il mènera à bien. Chargé de mission et rapporteur pour la Société des Nations, médecin, il s'engage dés 1928 dans la composition d'un vaste roman autobiographique, Voyage au bout de la nuit, paru en 1932 sous le nom de L.F Céline (Céline était le prénom de sa grand-mère) et dédicacé à sa liaison d'alors la danseuse Elisabeth Craig. Ce roman l'impose d'emblée comme l'un des écrivains majeurs de son temps autant pour le style, transposition originale de l'oralité populaire, que pour la modernité des thèmes abordés : antibellicisme, injustice coloniale, inhumanité du machinisme fordien... Il manque de peu le prix Goncourt mais est consacré par ses pairs. Par la suite, Céline déçut ses partisans en réinscrivant son oeuvre, de 1937 à 1943 dans une tradition pamphlétaire anticommuniste à dominante antisémite. Réfugié au Danemark dés 1944 ,puis mis en résidence surveillée,il entreprit après son amnistie ,de rentrer en France pour y finir son oeuvre romanesque,en n'affichant plus que des ambitions de pur styliste.

La postérité reconnaît donc Louis Destouches comme un écrivain mais celui ci resta avant tout un médecin. Son expérience de médecin nourrit d'ailleurs son oeuvre autant que celle de la guerre, dont il fut acteur en 1914-18 et en 1939-45, ou ses voyages. On a parfois évoqué le médecin en lui mais l'on n'a pas insisté sur cet aspect de l'homme, primordial et déterminant finalement tous les autres qu'il n'a lui-même jamais cessé de revendiquer .On pourrait même parler d'une véritable condition médicale chez l'écrivain Céline. Cette condition médicale apparaît parfois avec une telle évidence qu'il arrive de confondre l'écrivain et le médecin, de constater que les frontières entre sa littérature et la médecine sont difficiles à trouver. En revanche, la carrière médicale de l'homme, elle, est facile à retracer : la vocation médicale de Céline est très ancienne, sans nul doute antérieure à sa vocation littéraire. Très tôt, l'hygiène s'est trouvée associée pour lui à la médecine, ne fût ce que parce que c'est à une activité d'hygiéniste qu'il a du concrètement de pouvoir faire des études médicales et d'accéder à la médecine soignante. Il est cependant indéniable, comme le dit Jacques François dans sa thèse de médecine consacrée à Céline, que « le métier appris par Destouches à Rennes n'a jamais cessé de transparaître dans les écrits de Céline »1(*) .Les textes purement médicaux écrits durant la période 1924-1932, essentiellement pour le compte de la SDN, tout comme le parcours médical de Céline lui-même,fournissent ainsi,en quelque sorte,une matière première qui va nourrir progressivement l'imaginaire romanesque de Céline :la condition misérable,la pauvreté,les difficultés d'exercer le métier de médecin dans la société urbaine et industrielle du début du XX è siècle,l'alcoolisme et la déchéance humaine aussi...Tous ces thèmes ont inspiré l'imaginaire romanesque célinien et nous constaterons qu'il existe un véritable dialogue entre le texte médical et le texte littéraire, l'écrivain Céline étant souvent sollicité par le regard de l'hygiéniste Destouches : le Voyage au bout de la nuit, par exemple, constitue une véritable « géographie de la pauvreté » : il est question d'insalubrité et de précarité des logements, d'un environnement pollué, rance et de contraintes économiques pénibles. Toutes ces choses ont aussi fait partie du vécu du Docteur Destouches dans les dispensaires de Bezons, Clichy ou Sartrouville. Ces thèmes ont également été traités de manière abondante dans ses contributions de médecine sociale. Aucune figure médicale n'est épargnée dans ses romans :ni l'aliéniste,ni le généraliste,ni le médecin de dispensaire,ni le chercheur,ni le chirurgien (voir les personnages des docteurs Omanon,Frolichon,Baryton et Capron),professions qu'il a ,là encore,approché d'une manière ou d'une autre au cours de son parcours médical. Le discours pamphlétaire de Céline, quant à lui, mêle regard médical et convictions pacifistes au service d'un discours raciste et antisémite : les pamphlets sont ainsi truffés de vocabulaire et de pensée médicale. Cette pensée médicale qu'il considérait pourtant comme « la seule pensée vraiment humaine qu'il soit peut être au monde »2(*)...L'objet médical, nous allons le voir, est donc transversal à tous les écrits de Céline. Il n'y a pas, à l'intérieur de son oeuvre, qu'un seul aspect dans la pensée médicale mais une pluralité, celui-ci ayant touché à des aspects bien différents de la pratique. Il est donc normal de retrouver, dans les écrits de Céline, ses conceptions médico sociales personnelles. Céline a en effet tiré de son regard quelques principes, parfois très novateurs pour l'époque, qui sont en quelque sorte sa réponse scientifique aux problèmes de son temps.

Les écrits médicaux de Céline ont leur propre langage, un langage qui échappe au langage purement médical. Le docteur Destouches exprimait ses idées médicales comme un écrivain : son directeur de thèse, le docteur Brindeau, dira même qu'il  était fait pour écrire .Le succès toujours croissant de l'écrivain va ensuite permettre la publication progressive des écrits du médecin. C'est donc aussi grâce à l'écrivain Céline que nous connaissons non seulement Semmelweis, mais aussi tous les textes publiés la plupart pour le compte de la Société des Nations entre 1924 et 1933.Il n'est pas difficile de discerner tout ce par quoi un personnage comme Semmelweis pouvait fasciner Céline : une personnalité hors normes, sensible au malheur et à la souffrance des hommes, une découverte qui aurait du faire de lui un bienfaiteur de l'humanité, le calvaire qu'en réalité cette découverte imposa au savant. Les textes de médecine sociale et d'hygiène ne sont pas moins importants. Quoi qu'il en soit de leur réelle valeur scientifique, il est clair que cet ensemble de réflexion est au centre de l'univers de Céline et que ces textes n'ont pas moins de rapport avec l'oeuvre proprement dite que Semmelweis. En revanche, la progression des textes médicaux de Louis Destouches nous montre aussi un cheminement vers une impasse : dans l'écrit médical, on le sent à l'étroit, comme s'il ne pouvait pas dire tout ce qu'il voulait dans ce genre d'écrit, où la parole est insuffisante, alors que l'écriture romanesque permet de faire passer des idées concernant l'Homme, la santé, l'hygiène en dehors des contraintes de l'encadrement médical. Certes, certains écrits médicaux, comme le Mémoire pour le cours des hautes études de 1932, possèdent déjà un regard critique sur le métier, destiné à le réveiller mais pas à le scandaliser ou à le choquer .Le mérite de ces textes tient essentiellement à ce qu'on peut les situer au carrefour des pamphlets et des romans. La réalité sociale dont ils traitent est la même que celle représentée plus tard dans ces derniers, non sans d'éventuels changements de points de vue, comme en témoigne le cas exemplaire du travail aux usines Ford de Detroit. Mais ils ne sont pas moins liés aux pamphlets dont les questions d'hygiène (alcoolisme, salubrité) sont un des fils conducteurs. On pourra ainsi trouver dans l'étude de ces textes, un point de repères où les questions d'hygiène sont abordées pour elles mêmes, d'un point de vue professionnel et, en principe, rationnel et en dehors de toute profession de foi et de tout fanatisme. On peut avancer l'hypothèse que ces textes médicaux constituent une étape préparatoire à la réalisation de ses romans. Ce serait toutefois négliger le côté proprement romanesque de l'oeuvre littéraire de Céline. Si l'on compare attentivement ces deux types d'écrits,on s'aperçoit que les principes médico-sociaux sont transposés de l'un à l'autre,les idées du discours scientifique sont répétées,plus que transcendées dans ses romans. Elles le sont toutefois avec une grande précision et une certaine systématisation. La question des romans s'inscrit donc dans un prolongement immédiat : dans son imaginaire romanesque, nourri de détails autobiographiques, la médecine joue un rôle prépondérant. Dans sa visée iconoclaste du Voyage au bout de la nuit, Céline n'a épargné ni la médecine ni les médecins. Il a intégré le regard médical à son style littéraire, argotique, populaire, ce qui a pu choquer le public à l'époque de la parution de ses premiers romans. Davantage que dans la structure même de ses romans proprement dits, ce serait donc dans sa vision globale du monde qu'il faut voir l'influence de la médecine. En conséquence, la vision célinienne du monde semble être avant tout un regard, celui du médecin, celui d'un homme penché sans cesse sur la misère du monde , qui ne trahira jamais une vocation médicale toujours revendiquée et servie. A cette vision un peu idéale, il conviendra toutefois d'essayer de rétablir quelques vérités sur une pensée médicale qui ne fut pas claire du tout : ne faudrait il pas confronter cette vocation de médecin, à laquelle correspond cet idéal qu'est Semmelweis, véritable saint laïc au destin tragique, à cette médecine sociale tendant vers une efficacité souvent dangereuse, et cependant terriblement ancrée dans son époque ?

Pour appréhender les divers aspects de cette pensée médicale riche, ambïgue et finalement passionnante, nous avons dégagé trois angles d'étude à la lumière d'outils d'analyse à chaque fois différents : en premier lieu, la biographie, le parcours médical d'un homme, d'un médecin qu'il nous a semblé indispensable de rappeler et de préciser. Nous nous demanderons ici quelles furent les activités de médecin de Céline, quel médecin il était, comment il acquis la vocation médicale et hygiéniste. Ensuite, nous poursuivrons notre étude en nous penchant de plus prés sur les écrits médico-sociaux du docteur Destouches,contenus essentiellement dans des textes réunis dans les Cahiers Céline III ,soit les rapports effectués pour le compte de la SDN. Sans oublier les pamphlets, Bagatelles pour un massacre, Les Beaux draps, qui abordent un autre versant de l'hygiénisme célinien. De l'étude de ces textes nous montrerons qu'il ressort une véritable pensée hygiéniste ancrée dans son époque, celle de l'industrialisation, de la guerre, des conditions de vie difficiles en ville. Dans la continuité de ce dernier point, nous nous interrogerons dans une troisième partie sur la symbiose parfaite entre l'écrivain et le médecin qui amène Céline à proposer dans l'intégralité de son oeuvre, de la thèse de médecine sur Semmelweis à la figure du médecin des pauvres dans ses romans, une sorte de personnage médical idéal mais forcément déçu lorsqu'il se heurte à la médiocrité et à la « lourdeur » des hommes et du monde.

I : CELINE MEDECIN :

I: LES DEBUTS MEDICAUX DE LOUIS DESTOUCHES : 1917/1924

1.1 : LA VOCATION MEDICALE DE LOUIS DESTOUCHES:

La médecine est une activité que l'on embrasse par vocation ; elle est une institutionnalisation de valeurs altruistes, un service social et technique qui confère autorité et responsabilité .Céline a, depuis sa lointaine enfance, ressenti ce besoin d'aller vers la souffrance des hommes : « Ma vocation c'était la médecine...Tout petit, je rêvais d'être médecin, de soigner les gens...Vers 5 ans je crois bien ».3(*) Céline, à Meudon, à la fin de sa vie, malgré le manque de clientèle au cabinet et sa santé défaillante,met l'accent sur son activité médicale: « C'est médecin que je suis (...), rien qu'un médecin tout à fait ordinaire de banlieue. »4(*).Malgré le temps, les voyages, le succès littéraire et les épreuves, Céline demeure médecin et ne cesse de le répéter : « Non je ne suis pas écrivain, c'est médecin que je suis, c'est ce dont je suis le plus fier »5(*).L'écrivain n'a ainsi jamais manqué de souligner les différences entre l'acte d'écrire et le pouvoir de donner ou de maintenir en vie : « C'est que la vocation littéraire, je l'avais pas du tout. Je considérais le métier littéraire comme une chose tout à fait grossière, prétentieuse, imbécile (...) alors que j'ai toujours eu la vocation médicale...Oh, profonde... »6(*).C'est donc d'abord d'un profond désir intérieur que semble être né le choix de la médecine chez Céline.

On retrouve effectivement très tôt les traces de cette envie : lorsqu'il est surveillant de plantation au Cameroun, en 1916, il écrit ainsi à son amie Suzanne Saintu : « A part cela je tâche de faire bien (...), je soigne le plus de nègres possibles, quoique que je ne sois pas bien persuadé de leur être utile »7(*).A cette époque, ses préoccupations hygiénistes ultérieures sont déjà en germe. Il fait ainsi quelques petites études scientifiques,  « pour (se) convaincre de visu de la nocivité de ces alcools (...) sur les singes »8(*).Cette préoccupation, on la retrouve aussi dans ses correspondances ultérieures, Céline n'omettant jamais de prodiguer à son destinataire un conseil médical ou d'hygiène. Ainsi à Simone Saintu, en 1917 : « N'omettez point de brûler cette lettre, elle doit contenir des billions de microbes »9(*), ou à sa femme Lucette, trente ans plus tard, qu'il couvre de recommandations depuis sa geôle danoise : « (...) Mange surtout. Il le faut. Ne pas manger déprime atrocement, plus de force pour combattre (...) Il faut que tu pèses et vite 58 kilos. C'est la balance qui bat la tuberculose, pas la prière ni les mots »10(*) , ou encore à son ami A.Parraz, atteint de la tuberculose qu'il assiste de ses conseils, surveillant régulièrement ses examens et son traitement.

Une composante essentielle de la vocation médicale de Céline est l'admiration pour le geste technique, au sens véritable de techné, du médecin. La médecine, pour lui, sera avant tout un art qui vise à changer l'état indésirable et négatif qu'est la maladie. Il s'agit d'un savoir acquis, certes, mais requérant avant tout une compétence technique spécifique. Cette fascination, Céline l'avoue bien volontiers dans un entretien avec Jean Guenot, en 1960 : « J'avais une admiration énorme pour les médecins (...) c'est la médecine qui me passionnait (...) Je voyais un type, moi, qui guérissait, qui faisait des choses étonnantes avec un corps qui n'arrive pas à marcher. Je trouvais ça, absolument... un magicien... »11(*).Le médecin était un homme qui faisait des choses stupéfiantes avec les corps malades :il apparaît aux yeux du jeune Destouches comme celui qui est capable de tous les miracles, il peut réparer, ouvrir, fermer les corps, et donne l'image d'un véritable sur-homme, voire un saint. Accent particulièrement mystique de l'écrivain qui souligne la haute opinion qu'il s'est faite,très tôt , de son métier et à quel niveau il a voulu hausser l'exercice de sa profession pour revêtir ,le plus souvent possible,le rôle d'intervenant magique qui ,d'un geste ou d'un mot ,peut rendre la santé. Voilà qui aidera l'étudiant en médecine Destouches qui se souviendra de ces impressions au moment de choisir le sujet de sa thèse en 1924... Céline s'amuse à déceler une rougeole, éprouve une satisfaction dans la guérison d'une varicelle. C'est, naturellement, une question de tempérament : « Quand j'ai pratiqué la médecine, il y a trente cinq ans maintenant, ça me faisait plaisir de guérir un rhume de cerveau (...) de m'amuser avec une rougeole (...) j'étais soigneur de tempérament »12(*).Mais l'essentiel de la vocation médicale n'est pas là. Céline dépasse ce geste technique dont il n'accepte que du bout des lèvres la rémunération, comme il le rappelle dans D'un Château l'autre : « Rien à me reprocher ! Seulement un petit truc...que je demande jamais d'argent ; je peux pas tendre la main »13(*).Pour Céline il s'agit d'un appel beaucoup plus profond qui l'engage à répondre à la misère de l'homme : « La souffrance de l'homme (...) si il souffre il va être encore plus méchant qu'il n'est d'habitude (...) c'est pas la peine (...) qu'il aille bien quoi... »14(*) ; Un acte médical que l'on ferait payer serait une sorte de trahison de celui ci, gratuit par essence. Céline l'a bien montré dans le Voyage au bout de la nuit : « La médecine c'est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches on a l'air d'un larbin, par les pauvres on a tout du voleur »15(*).Céline semble avoir toujours été disponible et patient pour ceux qui l'approchaient. Il est toujours resté réceptif à la misère concrète, celle de sa clientèle médicale, mais aussi de ses amis, de ses proches. La vocation médicale n'exclut personne. La souffrance, la maladie, la blessure sont suffisantes pour intéresser le médecin : « Je trouverai un soir Madame Jacob en plein cancer envahissant du ligament large (...), je suis le charitable en personne ! Même envers le plus pire rageur haineux...le plus pustuleux, tétanique »16(*) ou encore : « Je varierai pas d'un iota...mon style, ma façon...je suis le samaritain en personne...samaritain des cloportes...je peux pas m'empêcher de les aider »17(*). Son désintéressement semble total comme le constate le chirurgien Thailhefer que Céline a côtoyé au dispensaire de Clichy : « De tous les médecins qui travaillaient au dispensaire de Clichy, il était le seul qui n'utilisait pas ses heures de liberté à faire de la clientèle. Il continuait à soigner les indigents »18(*).L'attitude de Céline en tant que médecin ne semble toutefois pas aussi clair qu'il n'y paraît et si cette vocation semble bien réelle,et bien sincère ,nous allons voir que dans la pratique,le docteur Destouches fut un bien étrange médecin...

1.2: ETUDES ET DEBUTS MEDICAUX:

L'entrée de Louis Destouches dans le monde médical s'est d'abord faite aux Urgences de l'hôpital militaire d'Hazebrouck, le 25 octobre 1914 lorsque le cuirassier Destouches est arrêté dans ses élans guerriers par un éclat d'obus fracturant son bras droit. Une blessure qu'il devait amplifier par la suite, et agrémenter l'image d'Épinal du mutilé de guerre... Si l'on met à part cette hospitalisation à la suite de sa blessure de guerre en 1914, c'est probablement en Afrique, en 1916 que Louis-Ferdinand Destouches connaît sa première expérience médicale. Il est alors surveillant de plantation au Cameroun dans une compagnie forestière prés du village de Bikobimbo, le Fort Gono du Voyage. Il doit alors s'improviser médecin et est ainsi confronté à la nécessité de soigner : « Je suis à la tête d'une pharmacie (...) je fais de grandes quantités d'injections d'Atoxyl contre la maladie du sommeil (...) ainsi que bien d'autres maladies »19(*) écrit il dans une lettre adressée à son amie Suzanne Saintu. Pour lutter contre les épidémies, il se voit contraint de demander à ses parents l'envoi de divers médicaments et instruments médicaux qui lui permettront ainsi de venir en aide aux populations qui vivent sur la plantation. Durant cette période, Destouches est lui-même confronté à la maladie et reste hospitalisé à l'hôpital de Douala. Atteint de paludisme et ne voulant pas subir le sort commun : « A Douala (...), j'ai vu bien des gens fondre, s'avachir, disparaître engloutis »20(*), il est définitivement rapatrié en France en avril 1917.Au début de cette même année, l'un des organismes de la fondation Rockefeller - qui a pour vocation d'améliorer la santé publique et favoriser la recherche médicale, le bureau international d'hygiène, envoie une commission d'enquête sur la tuberculose en France. Cette commission est restée connue sous le nom de « mission Rockefeller ».Ses conclusions sont accablantes : il recense quelques 440 000 cas avérés de tuberculose en France. L'un des bureaux de cette commission, le service propagande et publicité dirigé par le docteur S.M Gunn recrute sur petites annonces du personnel pour ses équipes ambulantes de propagande. Celles ci devaient aller de ville en ville distribuer des brochures et dispenser des conseils d'hygiène. Un des postes fut confié à Albert Milon,qui attira son ami Louis Destouches,rencontré lors de leur hospitalisation au Val de Grâce pendant la guerre, dans cette aventure. Le premier texte médical auquel participe Destouches date de février 1918, il s'agit d'un article paru dans le numéro de juin d' Eureka, revue de l'invention  dirigée par Raoul Marquis, inventeur et vulgarisateur scientifique qu'il a rencontré à l'automne 1917 et qui va lui aussi être engagé dans la mission Rockefeller. Il s'agit en fait d'une traduction d'un message du docteur Nutting21(*) à « l'Associated Engeneering society of Worcester » concernant l' « Utilisation rationnelle du progrès » dont l'idée principale était de trouver des applications pratiques aux découvertes de la science et montrer les difficultés soulevées par cette idée. Le 10 mars 1918, la Mission Rockefeller est à Rennes, ville choisie pour donner le coup d'envoi de son action de propagande, à la demande du docteur Anasthase Follet qui a grandement oeuvré pour le bon déroulement de cette mission. Celle-ci parcourt toute la Bretagne d'avril à décembre et a pour tâche d'informer les populations de l'ouest de la France sur les dangers de la tuberculose qui, encore à cette époque, fait des ravages .Conférencier, Louis se révèle être un orateur plutôt convaincant : « Il a parlé avec une grande science de la question et avec un art goûté des plus fins connaisseurs »22(*), rapporte un journaliste rennais. Sans être brillant, avec le souci majeur de se faire comprendre, Louis apprend sur le tas les ficelles d'orateur: « On faisait des conférences dans les écoles sur la tuberculose. On en faisait parfois jusqu'à cinq ou six par jour »23(*) .

img 1 : La mission Rockefeller, Rennes ,1918 (Céline est 2é en partant de la gauche)

En décembre 1918, le jeune Destouches, alors âgé de vingt quatre ans, quitte provisoirement la fondation Rockefeller. En effet, l'armistice lui offre la possibilité en tant qu'ancien combattant de passer un baccalauréat au format restreint, il est ainsi dispensé de certaines épreuves écrites. Il en passe une partie en avril 1919 puis repart pour la mission Rockefeller immédiatement après. En juillet 1919, il obtient officiellement le précieux examen après en avoir passé la seconde partie. Après s'être marié avec la fille du docteur Follet, Edith, il s'installe à Rennes et obtient le PCN, un certificat d'études en sciences physiques, chimiques et naturelles, préalable aux études médicales, en mars 1920 .Avec la bienveillance et le soutien du docteur Follet, il s'inscrit à la faculté de médecine le mois suivant. Les deux années d'études qu'il entreprend - aux lieu des quatre nécessaires en temps normal,toujours grâce aux avantages prodigués aux anciens combattants- se solderont par la réussite aux premiers examens (anatomie,physiologie et médecine opératoire).C'est l'époque des premiers stages hospitaliers où il laisse selon Jean Guenot,le souvenir d' « une qualité rare chez les étudiants :la facilité d'entrer en contact avec les malades »24(*).Durant cette même période,il se lance dans une expérience pratique de recherche dans le laboratoire de zoologie marine de M.Delage à la station biologique de Roscoff,d'où il ressort une étude sur des petits vers plats qui se fixent sur les algues,les Convoluta Roscoffensis... Au printemps 1921, une deuxième étude est déposée à l'Académie des sciences, consacrée à « la prolongation de la vie chez Galleria Mellonella ».Destouches rencontre à cette époque le professeur Lwoff prix Nobel de médecine en 1965 qui dira à son propos, probablement non sans raison et avec une condescendance indulgente pour le jeune chercheur, que « Nul ne regrettera qu'il ait sacrifié le métier de chercheur à celui d'écrivain ... »25(*). Il sera également, brièvement, chercheur en bactériologie dans le laboratoire du professeur Baudin. La plupart des biographies de l'écrivain - celles de François Gibault ou de Frédéric Vitoux notamment, s'accordent pour dire que Destouches était au final un étudiant plutôt doué et intelligent, proche des malades lorsqu'il effectuait ses stages, généreux, passionné mais parfois naïf et souvent désordonné dans son approche .Sa fréquentation de l'institut Pasteur lui vaudra quelques pages inoubliables du Voyage au bout de la nuit consacrées à la description de l'institut Bioduret-Joseph et de ses fantoches :la tombe du grand savant « parmi les ors et les marbres »,la crypte « fantaisie bourgeoiso-byzantine »26(*),les manies du savant Parapine,les lieux,les odeurs évoquent avec plus de vrai que nature la célèbre maison Pasteur. S'il y avait sans doute,à cette époque,de bons chercheurs à l'institut Pasteur,il y en avait aussi,comme dans toute communauté scientifique,des médiocres... l'oeil déjà inquisiteur de Céline s'était attaché plutôt à eux qu'aux autres :  « Les plébéiens de la Recherche ne pouvaient compter que sur leur propre peur de perdre leur place dans cette boîte à ordures chaude , illustre et compartimentée »27(*).Et c'est Louis Pasteur en personne qui porte la responsabilité de tout cela : « C'est à cause de ce Bioduret que nombre de jeunes gens optèrent depuis un demi-siècle pour la carrière scientifique. Il en advint autant de ratés qu'à la sortie du conservatoire »28(*).On peut s'interroger sur la vision délibérément pessimiste ; s'exprime sans doute ici une vive sensibilité, transformée en sarcasmes et en cynisme pour construire l'oeuvre. Cette courte période, anodine au premier abord, laissa donc plus de traces qu'il n'y parait... En décembre 1922, Destouches est autorisé à poursuivre ses études à Paris, où il continue aussi ses stages, en maternité (notamment à la maternité Tarnier à Paris) ou en chirurgie, à l'hôpital Cochin chez le professeur Delbet. Il continue son cursus universitaire durant l'année 1923, effectuant même des premiers remplacements à Rennes dans la seconde moitié de l'année : du 1er juin au 31 août,c'est celui du docteur Porée et d'août à novembre,celui du docteur Follet,son beau père. Il passe ses derniers examens, réussit les épreuves cliniques et est autorisé à soutenir sa thèse ; c'est ainsi que le début de l'année 1924 va être consacrée à ses travaux sur la vie et l'oeuvre de Ignace Philippe Semmelweis. Les cent cinq exemplaires réglementaires sont déposés à la faculté le 4 avril 1924 et Destouches soutient sa thèse le 1er mai devant un jury familier : la présidence en est assurée par le docteur Brindeau, directeur de la thèse qui fut maître d'un de ses stages. Il est entouré du professeur Marechal qui fut chef de clinique de Destouches, d'Anasthase Follet son beau père et de Selskar Gunn, son ancien patron à la fondation Rockefeller. La qualité de son travail séduit et il obtiendra même une mention très bien.Mais le docteur Destouches se cherche une nouvelle orientation, hors des voies de la routine. Il effectuera encore quelques remplacements fin mai 1924 mais des contacts sont déjà pris avec la Société des Nations. Il y est engagé à la fin du mois de juin 1924. Céline va dés lors beaucoup s'impliquer dans la promotion de l'hygiène, persuadé que les hommes sont responsables, par leur mode de vie, de la plupart de leurs maux.

II: CELINE MEDECIN HYGIENISTE 1924/27

2.1 : L'ENTREE A L' « EGLISE »

« - Mais pourquoi ce titre,  « L'Eglise » ?- parce qu'il me semble assez bien résumer la Société des Nations, une église quoi ! Avec ses dirigeants, son personnel. »29(*).

C'est donc bien dans une Eglise que le docteur Destouches a l'impression de pénétrer ce jour là. Réengagé par la fondation Rockefeller le 27 juin 1924, il est aussitôt mis à la disposition de la section d'hygiène de la Société Des Nations.Celle-ci est une grande organisation internationale née du traité de Versailles en 1920 et la section d'hygiène y représente une des organisations permanentes contrôlées par le secrétariat général ; elle est dirigée par le docteur Ludwig Rajchman, depuis 1921 que, grâce à l'appui du professeur Gunn, son supérieur à la mission Rockefeller, Destouches va rencontrer à Paris en mai 1924.Quelques lettres de recommandation et le passage du concours de médecine maritime pour appuyer sa candidature d'un titre d'hygiéniste complètent la recommandation du docteur Gunn. Séduit par la personnalité du jeune médecin, Rachjman l'engage en tant que « Technical Officer », c'est à dire membre de section au secrétariat d'hygiène à Genève. Réciproquement,Céline conservera,jusque dans Bagatelles pour un massacre,un respect pour ce médecin juif polonais :  « Faut lui rendre justice,il était beaucoup moins con que les autres ,dans le genre des grands savants,bien moins mesquin,moins abruti,moins prétentieux »30(*).Louis,installé à Genève, est enthousiaste à ses débuts :« C'est ici que se trouve ton vieux Louis. Ici, dans la ruche internationale (...) cette fois j'embrasse des problèmes d'hygiène de belle envergure et, mon dieu, j'aime cela »31(*).Mais il va vite déchanter, cantonné, la plupart du temps, aux tâches bureaucratiques à Genève. Il participe également à divers travaux ,en qualité de rédacteur,ayant en vue, notamment, l'organisation d'un système d'échange entre les services sanitaires dans les colonies en collaboration avec les Dr Brumpt et Abatucci .En novembre 1924, il accomplit une première mission aux Pays-Bas. En janvier 1925,Rajchman propose que Destouches ,revenu à Paris,fasse partie d'un voyage d'information intercontinental avec une cohorte de médecins latino-américains. C'est ainsi que Louis va découvrir, pour la première fois l'Amérique du Nord, première destination choisie pour cette mission. En février 1925 il embarque donc pour New York. Il rejoint les participants à la mission le 1er mars à La Havane ; le voyage commence donc par Cuba puis se poursuit en Louisiane, dans le Mississipi et l'Alabama, soit tout le sud des Etats-Unis, et est rythmé par divers discours, visites, conférences des intervenants et visites guidées de différentes réalisation en matière d'hygiène et de médecine du travail. Le groupe rejoint ensuite Washington puis atteint New York et surtout Detroit et ses usines Ford dont Destouches tirera un rapport pour la SDN, une communication à la Société de Médecine de Paris et bien entendu un fameux passage du Voyage au bout de la nuit. La mission en Amérique se termine au Canada et Louis gardera toujours une grande fascination pour ce continent qui apparaîtra dans beaucoup de ses oeuvres. Dans une lettre à Rachjman le Docteur Destouches se plaint d'ailleurs du programme « trop rapide et pas assez technique ». Au retour, il accompagne encore les médecins en Hollande, puis en Italie dans un véritable périple de 160 jours qui se termine en août 1925.La même année,il rédige quelques rapports et publie, à compte d'auteur, La quinine en thérapeutique, une compilation très technique plus qu'un véritable écrit personnel, une somme des connaissances de l'époque sur ce médicament de plus de quatre vingt pages dont on nous dit qu'elle est « sans objet et sans utilité médicale ».Il s'agit probablement d'un travail pour l'organisation de santé de la SDN,une sorte de « commande ». L'année suivante, le docteur Destouches repart en Afrique avec un autre groupe de médecins mais dans des conditions bien différentes de son premier séjour, dix ans auparavant. Les archives de la SDN ne conservent aucun rapport de Louis Destouches sur son périple africain, pour la simple et bonne raison qu'il n'en écrivit pas, traitant avec une certaine désinvolture les obligations que lui conférait sa mission. De ce voyage difficile, il tirera le premier acte de sa première pièce, L'Eglise, où il donne sa propre vision du colonialisme. C'est l'ennui de Céline pour le caractère trop administratif de la SDN qui alimentera les second et troisième actes de L'Eglise et le mettra de plus en plus à l'écart de l'organisation. Lui même fait, dans l'acte III, une sévère appréciation de son travail : « Docteur en médecine, français, au service de nos commissions sanitaires pendant quatre ans (...) scientifiquement médiocre, administrativement nul »32(*).

2.3 :LES PREMIERS TRAVAUX POUR LA SDN:LA MISSION AMERICAINE :

Ces premiers écrits auxquels on peut accéder dans le numéro III des Cahiers Céline (NRF Gallimard) sont en fait une série de rapports commandés par le docteur Rachjman au docteur Destouches lors de sa mission d'accompagnement de médecins latino américains à travers les Etats-Unis, mission dont nous avons déjà parlé. Ces rapports sont intéressants dans ce qu'ils montrent un souci d'analyse et un véritable intérêt pour ce que nous appellerions « politiques de santé ».Destouches, fasciné par l'Amérique, anglophile depuis longtemps, trouve là un premier terrain d'observation qui va anticiper d'une part certains des plus beaux passages du Voyage au bout de la nuit mais aussi la réflexion qui ne cessera de s'affiner sur les problèmes d'hygiène et de santé publique. Cependant, Destouches n'émet aucune idée, aucun programme médico-social quelconque. Le docteur Destouches observe, accumule les expériences sans, pour l'instant, les interpréter. Le ton reste ainsi relativement neutre. Ces textes sont donc à différencier de certains écrits ultérieurs beaucoup plus intéressants du point de vue des idées personnelles et d'une véritable « vision » hygiéniste.

La première étape du voyage est la Louisiane, du 12 au 21 mars 1925.Louis et les autres médecins sont accueillis par le président du conseil de santé et emmenés dans plusieurs villages pour s'enquérir des « conditions agricoles, industrielles et sociales ».Ils observent la population en général, la population blanche comme la population noire. Si la première semble en relative bonne santé, l'état général de la seconde est plus mystérieux. La mortalité est nettement supérieure chez les noirs. Destouches constate dans son rapport que la préoccupation de la population aux questions d'hygiène est plutôt correcte. Il vérifie cela à l'abondance des articles dans les journaux ou au recensement des activités incitatrices à l'hygiène à l'école. Destouches salue le développement de cette préoccupation sur le continent européen : « En Amérique, ces qualités n'ont fait que se développer »33(*).Un bémol, cependant : la vaccination n'est pas totalement rentrée dans les moeurs aux Etats-Unis. Elle est même déconseillée. Cela peut s'expliquer par la présence de nombreux « charlatans/ devins »34(*) parmi les médecins américains. Cet état de fait n'est « pas explicable par la raison »35(*) mais est probablement imputable à la religion selon Destouches. En ce qui concerne le paludisme, il est peu présent en ville : les habitants vivent dans une relative prospérité matérielle donc respectent plus l'hygiène que les ruraux. Un fait notable pour le docteur Destouches est que l'on se sert de l'hygiène pour attirer de nouveaux habitants dans les villes afin de contribuer à leur développement.

La seconde étape du voyage est Detroit,dans les usines Ford 5 au 8 mai 1925 :Ce premier rapport sera réutilisé ultérieurement ,avec certaines modifications ,dans une conférence à la société de médecine de Paris ,en 1928.Céline transposera ensuite cette visite dans les usines Ford dans le Voyage au bout de la nuit,ce qui montre à quel point cette visite l'a marqué...L'entreprise Ford,à l'époque,incarne la réussite,le capitalisme et la production de masse aux Etats-Unis et Céline va se montrer admiratif de l'organisation sanitaire des usines : la mécanisation très poussée des moyens de production nécessite une moindre force physique pour l'accomplissement du travail , les ouvriers agissant de façon mécanique,à raison d'un ou deux gestes répétés autour d'une machine ; l'entreprise emploie ainsi un grand nombre de vieux, d'handicapés ou de malades, dont « l'état de santé (...) destine à l'hôpital plutôt qu'à l'industrie »36(*).Céline décrit une visite médicale avant embauche où ne se présentent que des éclopés, malades aussi bien physiquement que mentalement. Sont ainsi embauchés un bon nombre de ce que Céline nomme « nerveux ».Un des médecins de l'usine lui dit d'ailleurs que des animaux feraient le travail tout aussi bien : « Le médecin chargé des admissions nous confiait d'ailleurs que ce qu'il leur fallait ,c'était des chimpanzés,que cela suffisait pour le travail auquel ils étaient destinés »37(*).Une anecdote reprise dans le Voyage au bout de la nuit, exception faite que c'est un chauffeur de taxi qui lui explique « que ce qu'il trouvait bien chez Ford c'est (...) qu'on y embauchait n'importe qui et n'importe quoi »38(*).Céline décrit ensuite le service social. Ce service a pour but principal « d'éviter les départs d'ouvriers mécontents »39(*).Il n'existe pas d'assurance maladie, puisque les malades travaillent ni d'assurance vieillesse pour la même raison. Les accidents sont pris en charge par l'Etat et non par l'entreprise. La rentabilité de la masse productive a ainsi rendu inutile que l'on s'occupe individuellement de l'ouvrier ; il n'y a, par exemple, plus de visite médicale. Le service social est réduit au minimum : il ne compte que douze employés, dans le but de « faire des économies »40(*).L'hypothèse de Céline est que l'on a supprimé les services d'hygiène, de santé pour augmenter la rentabilité de l'entreprise et « rassurer les actionnaires par des économies massives »41(*).L'augmentation du nombre de machines, la mécanisation nécessitent moins d'ouvriers spécialisés. Il devient donc inutile, en terme de rentabilité, de faire attention à leur santé. Céline ne semble étrangement pas scandalisé ou indigné par cet état de fait : « Cet état des choses,à tout prendre au point de vue sanitaire et même humain ,n'est point désastreux quant au présent  »42(*). Toutefois, l'avance de Ford se situe surtout en matière technologique, du point de vue de l'outillage. La projection sur l'avenir semble moins réjouissante et Céline imagine un « Henry Ford vaincu par ses propres ingéniosités, dirigeant seul avec quelques hommes chimpanzés cette monstrueuse usine »43(*).Son constat final montre un certain désabus : « Chez Ford, la santé de l'ouvrier est sans importance, c'est la machine qui lui fait la charité d'avoir encore besoin de lui »44(*).

Un troisième rapport d'un intérêt moindre,si ce n'est en ce qu'il diffère complètement de la vision fordiste ,nous est parvenu,il s'agit de celui concernant le service sanitaire de la compagnie Westinghouse à Pittsburgh qui représente une branche très diversifiée et hautement spécialisée de l'industrie électrique. La formation d'un nouvel ouvrier est longue et coûteuse, d'où l'intérêt de réduire le turn over, les absences pour maladies et les accidents du travail ; ici, le rendement de l'entreprise va être amélioré par l'intermédiaire, précisément, de la prise de certaines mesures sanitaires et sociales. Le service sanitaire va ici être lié à la politique de débauchage de l'entreprise. Celle ci licenciait ses employés au bout d'une seule année, les remplaçant automatiquement par d'autres. Le service sanitaire va être un moyen de garder l'ouvrier par le développement, notamment, d'un système d'assurances. Une assurance maladie a été crée, ainsi qu'une assurance vieillesse, ayant pour effet direct, semble-t-il une baisse substantielle des accidents dus à l'inattention, crée notamment par la peur de l'invalidité pour cause de maladie, de vieillesse ou de pauvreté ou par des problèmes physiques, comme la tuberculose ou certaines maladies vénériennes. On a également développé la vente d'actions aux ouvriers à un tarif préférentiel, un crédit d'habitation et un restaurant coopératif Cette organisation sanitaire est ingénieuse et intéressante en terme de rentabilité pour l'entreprise car celle-ci, moins mécanisée que les usines Ford, a besoin d'une main d'oeuvre valide et en bonne santé : « Le système est intéressant pour ces industries où la main d'oeuvre joue un grand rôle dans la production »45(*). C'est d'ailleurs essentiellement dans le contraste saisissant avec la politique pratiquée dans les usines de Detroit que réside l'intérêt principal de ce rapport. L'intérêt et la précision des constats de Céline à propos de l'organisation des usines Ford se distingue fortement de la neutralité de ton utilisée dans ce rapport,sans doute parce que le terrain de la production de masse ,de l'industrialisation qui se développe ,intéresse déjà plus le futur hygiéniste ... : « En somme, nous nous trouvons chez Westinghouse devant une institution sanitaire à la fois ingénieuse et logique peut être un peu trop rationnelle comme tout ce qui est conçu par l'élite intellectuelle américaine, mais qui doit, je crois, concourir dans une mesure assez grande à faire réaliser les économies qu'on en attend »46(*). Les thèmes contenus dans le rapport sur l'entreprise Westinghouse ne seront pas réutilisés par la suite. Celui ci est moins dramatique, moins angoissant que le rapport Ford. Il convient toutefois de préciser, à la lecture des ces rapports que Céline se place toujours du point de vue de l'employeur, jamais du point de vue du malade... Une visée « économiste », voire « rentabiliste » que l'on retrouvera plus tard.

Ces premiers textes ne contiennent qu'en germe les véritables réflexions de Céline sur l'hygiène et la médecine sociale. Les thèmes seront reprécisés ultérieurement et d'une manière complètement différente. Il ne s'agit là que de rapports, dont le contenu favorable, d'une certaine manière, aux dispositifs de santé en vigueur dans ces entreprises ne laissent augurer en aucune façon des vigoureuses dénonciations du fordisme dans le Voyage au bout de la nuit. Ils sont précieux toutefois dans le sens où ils sont un véritable socle des préoccupations futures de l'hygiéniste Destouches.

III: CELINE MEDECIN DE BANLIEUE ET D'AILLEURS :

3.1:DEPART DE LA SDN : LES PREMIERES EXPERIENCES EN CABINET

Après son divorce d'avec Edith Follet le 21 juin 1926, Destouches ne fait rien pour que son contrat à la SDN ne soit renouvelé .Il en avait assez de la SDN et de sa bureaucratie et la bienveillance de Rachjman ne pouvait le protéger éternellement de ses errements administratifs. Rentré à Paris, il fait enregistrer son diplôme de médecin en juillet 1927.Mais où et dans quelles conditions exercer son métier ? Il s'installe à Clichy en août 1927 et ouvre un premier cabinet qu'il doit rapidement fermer, faute de clientèle : « Depuis que j'ai ouvert mon cabinet, c'est la déche ! Pas de clientèle...Rien à foutre de la journée ...Faudra le temps de démarrer qu'on m'a dit (...) Faut il que je sois con de l'avoir cru »47(*). Sans fonction officielle, Destouches s'initie alors à la médecine de dispensaire dans le service du professeur Léon Bernard à l'hôpital Laennec, où il côtoie notamment Robert Debré : « Louis s'intégra immédiatement à l'équipe de Laennec.J'atteste aujourd'hui qu'il y'a beaucoup travaillé, justifiant tout le bien que Rajchman avait dit de lui et forçant littéralement l'estime de ses confrères»48(*). Le 14 novembre, il retente l'expérience privée en ouvrant un nouveau cabinet de « médecine générale, maladie des enfants » dans l'appartement qu'il partage avec sa nouvelle compagne, la danseuse américaine Elisabeth Craig, au 36 rue d'Alsace. De par ses idées, sa personnalité un peu fantasque et malgré un premier contact réussi, il se trouve bien vite isolé parmi les autres médecins de la ville : il vit en concubinage, ne se fait pas toujours payer et pratique une médecine « sociale » peu en accord avec celle -privée, pratiquée habituellement. Il est toutefois apprécié de sa clientèle car attentif à son égard et fait preuve en toute occasion d'une grande humanité : F.Balta rapporte ainsi le témoignage d'une de ses voisines, Jeanne Carayon : « Il avait une grande faculté d'attention et un don d'expression inoubliable. J'ai pu vérifier plus tard la sagesse de certains conseils médicaux qu'il m'avait donnés »49(*).La gratuité occasionnelle (mais répétée) de ses consultations ,lorsqu'il estimait que ses clients n'avait pas les moyens de le payer était cependant considérée comme suspecte : « Je ne présentais qu'un seul avantage, moi, en somme, mais alors celui qui vous est difficilement pardonnable, celui d'être presque gratuit ; ça fait tort au malade et à sa famille un médecin gratuit, si pauvre soit elle »50(*) faisait il dire à Bardamu dans le Voyage au bout de la nuit.

L'année 1928 se voit partagée pour Céline entre son activité privée à Clichy et sa fréquentation active du service du professeur Bernard à Laennec. En outre, voulant exercer une activité plus marquante, plus publique aussi, il présente sa candidature de membre adhérant à la société de médecine de Paris. Il est élu le 13 avril et ne tarde pas à exprimer ses idées à ses collègues : le 26 mai il fait une communication « à propos du service sanitaire des usines Ford », bilan de ses pérégrinations outre-atlantique où il reprend les conclusions du rapport qu'il avait fait à la SDN trois ans plus tôt. Dés lors, il fera plusieurs communications sur l'hygiène ou encore le système des assurances sociales. En ressortira un article paru dans la revue Presse Médicale du mois de novembre : « Les assurances publiques et une politique économique de la santé publique ».L'humanité quotidienne est aussi de son domaine à Clichy, même si les clients se font encore rares. Le docteur Destouches est donc à cours d'argent et dut multiplier les activités annexes pour trouver d'autres sources de revenus.

3.2 :MEDECIN EN DISPENSAIRE  VISITEUR MEDICAL ET ECRIVAIN...:

En janvier 1929 s'ouvre le dispensaire de Clichy, rue Fanny .Céline, grâce à ses nombreux appuis (le docteur Rajchman, le professeur Bernard notamment) y trouve un emploi qui l'amène a abandonner sa clientèle de la rue d'Alsace. Contrairement à ce qui a pu être affirmé, Destouches n'était pas le médecin chef de Clichy, même si il convoita un temps le poste. Dans ce dispensaire travaillait une douzaine de médecins, avec à leur tête, le docteur Grégoire Ichok qu'il décrira en ces termes : « Au dispensaire municipal sur lequel je m'étais rabattu, je vis arriver un certain Idouc (sic), lithuanien (...) imposé par les dirigeants communistes (...) La direction du dispensaire, confiée à ce médecin probablement faux, n'étant sans doute qu'un camouflage »51(*).Espion ? Véritable docteur ? Ce qui est sûr, c'est qu'il fut mal aimé de la plupart des médecins du dispensaire et ses relations avec Céline iront en se détériorant. Pendant neuf ans, toutefois, Destouches tiendra au dispensaire des vacations régulières de médecine générale, vingt deux heures de consultation par semaine payées 2000F par mois, selon F.Balta, jusqu'à sa démission en 1937.Ce dispensaire est un des premiers à offrir des consultations et quelques examens gratuits. C'est ici que le docteur Destouches fera, pour la première fois, la véritable expérience de la misère des banlieues. Il y travaillera pendant neuf ans, laissant le souvenir d'un médecin enthousiaste, généreux, « de bon diagnostic » mais utilisant peu de médicaments. François Balta ,dans sa thèse,nous confie qu'il n'hésitait pas toutefois,lorsque le problème dépassait ses compétences et demandait des investigations plus poussées, à le confier à des collègues plus compétents. Céline va, parallèlement à ses activités au dispensaire, publier des articles dans des revues spécialisées dans l'hygiène et la médecine sociale et travailler, grâce à l'aide du docteur Ichok, un passionné, comme lui, d'hygiène sociale, dans le laboratoire de la Biothérapie, fondé par le pharmacien Charles Weisbram en 1921 et dirigé par Abraham Alpérine. Il y occupa simultanément les fonctions de conseiller médical, rédacteur publicitaire (pour le dentifrice Sanogyl), visiteur médical, à domicile ou à l'hôpital, médecin d'entreprise et touchait mille francs par mois. Il multiplia aussi, durant l'année 1929,les articles médicaux sur les sujets les plus divers : « L'infection puerpérale et les antivirus » pour la revue La médecine en Avril ou « Notes sur l'emploi des antivirus de Besredka en pansements humides » pour la Société de Médecine de Paris. Ce n'est pas tout ... Décidément débordant d'activité durant cette période, Destouches travaillait également, depuis 1930, chez un autre pharmacien, Gallier, ancien de la Biothérapie qui avait depuis fondé son propre laboratoire, 38 boulevard du Montparnasse. C'est ici que Destouches mit au point deux produits pharmaceutiques : La kidoline, d'abord, une huile nasale adrénalisée contre le coryza du nourrisson qui fit son apparition sur la marché en 1927 et commercialisée jusqu'en 1971.Destouches en parle en disant « ma kidoline » et son ami Henri Mahé ajoute « un produit qu'il avait imaginé »52(*).Il est donc probable que ce médicament est bien de sa fabrication. Quant à la Basdowin, un médicament pour lutter contre les règles douloureuses, qui sera commercialisé de 1933 à 1971, il est certain qu'elle est le fruit de ses réflexions. Il ne s'arrêta pas seulement à sa création mais s'impliqua aussi dans sa publicité et dans sa promotion. Lui-même se livrait au démarchage, prenant des rendez vous avec les médecins, allant de ville en ville, montant les étages... Robert Gallier recommanda ensuite Destouches à son confrère René Arnold, directeur des laboratoires Cantin à Palaiseau, avec lequel il signe un contrat en juin 1931, pour une rémunération de 500 F par mois. Pour les laboratoires Cantin, le docteur Destouches met au point un comprimé contre la toux, le Nican, à base de serpolet et de coquelicot. Grand insomniaque depuis la guerre, il invente aussi le Somnothryl, un médicament contre l'insomnie dont il vente les bienfaits dans un article pour la Revue médicale de l'Est, « l'insomnie des intellectuels ».Durant l'été 1931, il profite de ses congés pour effectuer des tournées en province afin de placer ses deux médicaments .A ces activités déjà nombreuses s'ajoute une consultation au dispensaire Marthe Brandes, tenu par des religieuses, dans le XVIII è arrondissement de Paris. La durée et la nature de son travail ainsi que les relations qu'il y eut ici est toutefois impossible à préciser.

Ces occupations médicales diverses n'empêchent pas le docteur Destouches de publier, en 1932, le Voyage au bout de la nuit. De même, son activité littéraire naissante ne changera pas grand-chose à son activité au dispensaire, la plupart de ses patients, d'origine modeste, ne sachant pas qui les soigne. De plus, Louis voyage sans arrêt : il a ainsi découvert, début 1929, la médecine de dispensaire en Allemagne, en Angleterre ou en Scandinavie grâce à des bourses fournies par le comité d'hygiène de la SDN, au sein duquel il a conservé de bonnes relations, notamment avec le docteur Rajchman. Ses relations lui ont ainsi grandement facilité la tâche pour accomplir ces nombreux déplacements. Il en rapporte son dernier texte médical, « Pour tuer le chômage, tueront-ils les chômeurs », publié en 1933.Là finit tout contact apparent avec le comité d'hygiène de la Société des Nations. On ne sait pas exactement ce qui arriva, toujours est il que Destouches, malgré le certain respect qu'il accordait au Dr Rachjman, se fâcha avec ce dernier à la parution, en 1933, de l'Eglise, pièce qui tourne en dérision l'organisation et le fonctionnement de l'institution, où s'exprime déjà ,bien qu'encore larvé,son antisémitisme. Là se tiennent sans doute les raisons de son départ. Au sein du dispensaire de Clichy, ce sont également ses positions politiques qui détérioreront ses relations avec le personnel et prendront une part prépondérante dans son départ. Parti en URSS réclamer les droits d'auteur sur le Voyage au bout de la nuit aux éditeurs soviétiques du roman, Céline, sans prendre garde au fait que la commune de banlieue où il exerce a pour maire et pour édiles des communistes militants, se répand en propos sarcastiques, un peu provocateurs sur les nouvelles institutions russes. Cela n'a pas été sans conséquence... D'autant que son remplaçant se trouva être un médecin juif fraîchement naturalisé...Il n'en fallut certainement pas beaucoup plus à Céline pour englober dans une réprobation générale juifs, communistes ,socialistes et gouvernement Blum. Une petite série de hasards aux graves conséquences : en 1937, Destouches, devenu Céline (son pseudonyme d'écrivain) depuis le Voyage au bout de la nuit, encore écoeuré par les souvenirs de la première guerre mondiale, et sentant l'approche imminente d'un nouveau conflit écrivit ensuite ce texte pacifiste mais foncièrement antisémite qu'est Bagatelles pour un massacre.

3.3 : LE DOCTEUR DESTOUCHES :

Qui était le docteur Destouches ? Authentique pauvre n'ayant pas oublié sa condition misérable et venant en aide, en retour de sa réussite médicale, à ceux dont il est toujours resté proche ? Faux médecin ? Là encore les témoignages et les faits même sont contradictoires. Il convient pour y voir un peu plus clair d'étudier, les unes après les autres, les diverses images qui nous sont parvenues sur le comportement, le caractère et le personnage médical de Louis Destouches...

« J'ai toujours soigné avec beaucoup de douceur, si j'ose dire, tous ceux qui m'ont approché. J'ai sauvé énormément de gens, d'animaux... »53(*).Bâtie sur une vocation, l'expérience médicale, en dispensaire notamment, a conféré au docteur Destouches une lucidité qui le plonge et l'implique au coeur des choses et des êtres. Pour Céline, la pratique médicale est une expérience décisive, une sensibilisation aigue au désarroi des plus défavorisés. La grande majorité des témoignages concernant l'activité médicale du docteur Destouches convergent pour affirmer son caractère profondément humain et sociable,illustrant un désir de se rapprocher le plus prés possible de la souffrance de ses congénères. Dans L'année Céline 94,le professeur Henri Mondor témoigne : « Mon métier m'a permis de voir des malades qui m'ont dit avec quel dévouement et quel désintéressement il (le docteur Destouches) les avait soignés »54(*).Le professeur Robert Debré ,qui rencontra Céline en 1928,avait déjà remarqué cette vocation en parlant avec lui des malades tuberculeux ;il le voyait ainsi « s'enfoncer dans cette contemplation de la misère,voulant en être le témoin et désirant porter ses efforts qu'il savait peu efficaces vers l'amélioration du sort de ces malades »55(*).Idem lors de son passage au dispensaire de Sartrouville :  « Tout le monde l'aimait bien. Les malades l'aimaient bien »56(*) affirme ainsi une infirmière. Ainsi de la plupart des témoignages sur le comportement de Céline se dégage une impression forte de bonté et de dévouement rendue par la confiance qu'on lui accordait. La somme de témoignages contenue dans la thèse de François Balta nous en donne encore une parfaite illustration : « Il était très aimé de la clientèle, restant longtemps à parler avec les malades »57(*) se souvient le fils du docteur Malouvier, dont Céline fut le remplaçant au Havre. Il fit preuve, et ce tout au long de sa carrière, d'un effort de dialogue, d'écoute qu'il trouvait pourtant lui-même bien vain. On mesure bien ce désarroi face à la vanité dans cet extrait de D'un Château l'autre à propos d'une patiente de Meudon, Mme Niçois : «  La subtilité, le tact des soins du cancer des vieillardes, c'est peu ou prou impossible croyable (...) ce qu'il vous faut, vous, pour que votre patiente ne vous envoie pas foutre ! »58(*).Une infirmière ayant travaillé avec lui au dispensaire de Sartrouville appuie l'effort de dialogue que le docteur Destouches engageait avec ses patients : « Il les dépouillait, il les épluchait tous...Il avait énormément de psychologie »59(*).

Il convient toutefois de tempérer ce jugement. Il serait faux de proposer une telle vision de l'attitude du docteur Destouches sans apporter d'autres témoignages qui semblent aller dans un tout autre sens : le docteur Guy Morin note,dans les Cahiers de l'Herne : « Je passe sur les conversations médicales ,au moins étranges tenues devant les malades sans le moindre souci de leur réaction »60(*).Dans une lettre à Cillie Pam,datée de 1937,Céline écrit ceci : « Il me faut subir encore les malades et même les patrons et puis mère et fille hélas »61(*).La légende du médecin proche de ses malades parce que pauvre lui-même paraît elle aussi exagérée :son activité s'est surtout trouvée au sein des dispensaires qui le rémunérait et le problème de l'argent ne s'est donc pas réellement posé... Ses expériences de médecine libérale, à Clichy ou à Saint Germain en Laye sont beaucoup trop peu nombreuses pour que l'on en déduise immédiatement et d'après cela un désintéressement sans bornes... Un dernier témoignage, celui du docteur Gaston Ferdiére qui a travaillé au service psychiatrique du dispensaire de Clichy, s'avère déjà plus contrasté: « Mme Bleuze était aussi l'assistance sociale d'un généraliste, le docteur Louis Destouches, célèbre en littérature sous le nom de Céline, et qu'elle ne portait pas dans son coeur, le trouvant rébarbatif, très sec avec les malades et un peu rapide dans ses observations quoique parfois capable de paroles bienveillantes. Un jour, elle fut choquée profondément de le voir taper sur son ventre de femme enceinte : « Alors ça se passe bien, là dedans ? » »62(*).

De plus, Céline n'a eu de cesse d'entretenir ce mythe, encore tenace, du « pauvre médecin des pauvres ».La responsabilité de cette légende peut être attribuée à son éditeur Denoël, datant du lancement du Voyage au bout de la nuit. Cette oeuvre magistrale aurait été écrite par un médecin n'ayant pu aller au lycée, qui aurait du travailler dés l'âge de onze ans, et qui, devenu médecin, serait resté fidèle au peuple qu'il soigne gratuitement. Alors que le succès littéraire se fait grandissant, que le docteur Destouches devient Céline, les entretiens qu'il accorde se font presque toujours sur son lieu de travail, au dispensaire de Clichy :  « Céline,en tenue blanche de clinique (...) m'accueille avec cette bonhomie qu'on retrouve dans les salles de garde (...) puis il faut que Céline voir un malade ;or ,il me fait passer sans façon dans une salle voisine ,où il revient me trouver dés qu'il a écrit son ordonnance »63(*),rapporte ainsi un interviewer venu trouver l'auteur du Voyage au bout de la nuit. Il s'est inventé ce véritable rôle social, cette figure du « médecin des pauvres », attaché à son métier et revendiquant sans cesse, et avec exagération, son origine modeste : « J'ai commencé dans la misère et je finis comme tel d'ailleurs»64(*).Cette position, cette identité médicale, issue des milieux populaires, l'éloigne en tout cas, et c'est un choix volontaire de la part de Céline, du monde de la lecture, des lettres et de la littérature. Cette affirmation perpétuelle de sa condition médicale au détriment de son métier d'écrivain nous permet en tout cas de le penser : Céline renvoie l'image d'un médecin vivant loin du monde, en banlieue, au milieu des pauvres. Son oeuvre véritable ne serait pas littéraire mais consisterait plutôt à prendre en charge la misère régnante. L'écriture est plutôt de l'ordre de l'à-côté alimentaire, du besoin matériel que du véritable appel vers le souci d'autrui que constitue la médecine qui est, au contraire de la littérature, une activité se situant dans la réciprocité avec le monde.

Au final, Céline apparaît plus comme un humaniste que comme un véritable homme de science, mais il n'était pas pour autant un charlatan: les descriptions purement médicales, en particulier physiologiques, qui ponctuent l'oeuvre, attestent de la bonne connaissance de son métier par Céline. Par exemple l'évocation, dans D'un château l'autre, de sa crise de paludisme : « vous prenez le frisson solennel !... et vous saccadez votre lit ! Qu'il crie ! craque ! vous allez d'accès en accès ! »65(*). L'exemple du Voyage au bout de la nuit est lui aussi saisissant :on peut y relever tout un vocabulaire technique concernant la maladie (typhoïde, syphilis, cancer...) ainsi que des signes d'affections dues à des conditions particulières, notamment en ce qui concerne le séjour de Bardamu en Afrique (diarrhée, nausée, fièvre...).Les maladies physiques sont présentes tout au long de l'univers miséreux de Bardamu : phtisie, bronchites, méningites. Ce dont nous pouvons être certain, c'est qu'il s'est toujours efforcé de mieux connaître les hommes à travers, notamment, la pratique médicale. Et si cette expérience s'est parfois révélée décevante, il n'a jamais abandonné ni renié sa passion pour la médecine et ne s'en est jamais détourné. Il est resté jusqu'au bout au service de ses patients, fidèle à sa vocation : « Oh j'ai été bien des choses il paraît...Mais je suis sur d'avoir été un acharné médecin »66(*).

3.4 : CELINE MEDECIN PENDANT ET APRES LA GUERRE :

Entre Décembre 1937 et Novembre 1938, soit les dates de parutions successives de Bagatelles pour un massacre et L'école des cadavres, Céline perd,à cause de ses prises de positions politiques de plus en plus tapageuses,ses emplois au dispensaire de Clichy, mais aussi au laboratoire La Biothérapie. C'est paradoxalement la vente de ces deux pamphlets qui lui permettent néanmoins de survivre. Mais le docteur Destouches tient à conserver une activité médicale. En juillet 1937, il effectue le remplacement du docteur Malouvier au Havre. Il conserve aussi, mais sans être rémunéré, son emploi au laboratoire Gallier. Au moment où éclate la seconde guerre mondiale en septembre 1939, Céline monte un cabinet dans un pavillon de Saint-Germain-en-Laye. Il consulte de 13 à 15h au 15 rue de Bellevue. Il n'est pas mobilisé pour le conflit car réformé et médaillé militaire comme cela est précisé dans l'en-tête de ses ordonnances. Une commission confirmera cette réforme qui ne sera finalement effective qu'en juillet 1942.La clientèle est toutefois peu abondante à Saint Germain et Louis embarque comme médecin de bord sur un navire réquisitionné pour des transports d'armes, le Chella, sur lequel il embarque en décembre 1939 : « Militaire comme tu me connais, tu ne seras pas surpris de me voir devenu médecin de la marine de guerre et embarqué à bord d'un paquebot armé »67(*) écrit il à un de ses amis, le docteur Camus. Le 30 janvier 1940, son contrat prend fin et il retourne à Paris. De Janvier à Mars 1940, Céline est chez sa mère, sans emploi. En Mars, il est nommé médecin chef au dispensaire municipal de Sartrouville, dans lequel il avait déjà travaillé en tant que médecin scolaire. Il y assure des consultations de médecine générale et le service d'inspection médicale des écoles. Alors que les Allemands approchent de Paris, Il participe à l'exode de juin en accompagnant jusqu'à la Rochelle l'ambulance de son dispensaire. Il rentre à Sartrouville le 14 juillet mais se retrouve sans emploi au retour du front des médecins titulaires.

Img 2 : Céline sur la route de l'exode avec l'ambulance du dispensaire de Sartrouville

En octobre 1940, Destouches apprend que le poste de Bezons doit se libérer en application d'une loi de 1934 sur l'interdiction de l'accès à la fonction publique pour les étrangers. Or ,le médecin de Bezons, le docteur Hogarth, n'est pas naturalisé français et ne remplit pas les critères d'un emploi public. Le docteur Destouches se propose de prendre sa place, multiplie les démarches et est finalement nommé, en décembre 1940, au dispensaire de Bezons qui assure non seulement des consultations mais aussi des visites à domicile. Il exerce sa consultation deux heures par jour, en fin d'après-midi avec des congés de convenance. A cette époque, Destouches s'investit de moins en moins dans sa profession de médecin, même si il garde la même sensibilité et la même attention vis-à-vis de ses patients. En revanche, son activité littéraire est prolixe puisqu'en 1941, il sort un dernier pamphlet contre la guerre, Les beaux draps, passé assez inaperçu et pourtant fondamentalement anti-pétainiste, et travaille à l'écriture de Guignol's band I. En février 1942, son activité médicale se résume essentiellement à une communication à l'école libre des sciences médicales sur le thème de « la médecine standard ».L'activité de Céline médecin pendant la guerre est très mal connue, très peu d'écrits médicaux de cette période nous sont parvenus et seule est certaine son activité aux dispensaires de Sartrouville et Bezons ainsi que sa participation à plusieurs conférences sur l'hygiène. Il est toutefois évident que le médecin Destouches a été confronté aux problèmes de pénurie inhérents à tous les médecins de l'époque : les privations, le manque de médicaments et la distribution des tickets de rationnement. Les témoignages sur son dévouement durant cette période sont nombreux et ne font jamais état d'opinions politiques ou du caractère hautain que l'on pourrait prêter à l'écrivain. Destouches reste au dispensaire de Bezons jusqu'en 1944.

Cette année là, Céline est menacé, de par ses prises de positions politiques tapageuses. Il décide de se réfugier au Danemark où, avant guerre, il avait entreposé une partie de l'argent de ses droits d'auteur. En Allemagne, Céline et Lucette, sa femme depuis 1943, sont retenus à Baden-Baden et n'obtiennent pas de visa pour le Danemark. Ils sont d'abord transférés à Kränzlin, village du nord de l'Allemagne et y séjournent jusqu'en octobre 1944 avant de rejoindre la « colonie » française de Sigmaringen, dans le sud,à la suite de l'installation forcée du Maréchal Pétain et du gouvernement de l'Etat Français : « Je suis descendu à Siegmaringen par patriotisme pour entendre parler le français »68(*).Installé à l'hôtel Löwen avec sa femme ,il est immédiatement engagé par la délégation gouvernementale comme médecin de la colonie française,fonction qu'il partagera avec le docteur André Jacquot qui attestera plus tard de « son attitude parfaitement correcte (...) ne sortant de l'affreuse chambre où on l'avait relégué que pour se consacrer à ses obligations,c'est-à-dire pour essayer de soulager ,dans des conditions lamentables,ses concitoyens. »69(*).Car si les besoins sanitaires sont énormes,les moyens dont dispose Céline sont très limités : « J'ai dépensé en Allemagne plus de 500 000 francs emportés de France (...) pour acheter à mes frais tous les médicaments que je trouvais dans les pharmacies allemandes (...) dont nous étions totalement dépourvus »70(*).C'est donc apparemment sans compter que Céline reprit son activité médicale,qui fut brève,cependant : de novembre 1944 à Mars 1945.Le couple Destouches arrive finalement au Danemark le 27 mars. Le 8 mai, la guerre est finie, l'armistice signée et un représentant français au Danemark se charge de faire emprisonner Céline, pour trahison, en décembre 1945.Il ne sera libéré, sur parole et faute de preuve, qu'en juin 1947, après dix huit mois de détention dont plus de la moitié à être soigné pour cause de dénutrition ou de déshydratation. En mai 48, Céline et sa femme s'installent à Klaskovgaard chez leur avocat danois. Son procès, en 1950, le condamne à un an de prison ,50 000 francs d'amende, à la confiscation d'une partie de ses biens et à l'indignité nationale. Il est amnistié en avril 1951 et quitte le Danemark pour rentrer en France, à Meudon, où il ouvre un cabinet médical, dans une maison, au 25 ter. Route des Gardes. Affaibli, très diminué, Céline manifeste toutefois le désir de repratiquer la médecine, activité qui reste un de ses centres d'intérêt majeurs. Il se réinscrit à l'Ordre des médecins de Seine et Oise le 16 septembre 1953 et renoue ainsi, même à petite échelle (il n'aurait eu qu'une vingtaine de patients réguliers en dix ans), avec la compassion et la générosité dont il a, semble-t-il, toujours su faire preuve quand il exerçait avant la guerre. Un témoignage du docteur R.B dans Les cahiers de l'Herne le confirme : « Il devait parfois regretter, étant donné son état physique, de ne plus exercer son art que rarement .Examiner, interpréter des clichés radiographiques, conseiller certains malades (...) était pour lui une source de joie »71(*).Une lettre de Céline au président du conseil de l'ordre du 26 novembre 1956 explique qu'il ne peut plus payer de cotisations parce qu'il n'a pas eu un seul client depuis trois ans...Il consultera presque jusqu'à l'extrême fin de sa vie. Dans sa dernière interview, donnée six mois avant sa mort, il confie ainsi : «J'ai pratiqué jusqu'au mois dernier »72(*), ce qui est probablement faux. La date de mars 1959 est généralement retenue. Mais ses derniers mois d'existence ne sont que souffrance, angoisses et douleur et, le premier juillet 1961, il meurt d'une congestion cérébrale.

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE :

Voici donc exposés les éléments actuellement connus de la vie du docteur Destouches : un médecin apparemment dévoué, chaleureux, même si techniquement limité. Cela n'est certainement qu'une image trompeuse de l'homme qu'il fut en réalité, bien plus diverse et contradictoire. A sa vie de médecin correspondent toutefois des préoccupations hygiénistes que nous allons tenter d'analyser maintenant. Ni médecin chercheur- il ne le fut que trop brièvement - ni vraiment médecin des pauvres, comme il le suggéra continuellement, Céline était avant tout un médecin de santé publique.

Son souci pour ces questions fut constant et ce n'est pas là sa moindre originalité. L'étude de ces textes, ainsi que le traitement de la question de l'hygiène dans les pamphlets, est une étape décisive avant toute tentative de synthèse. Peut être existe-t il encore d'autres textes non exhumés mais la pensée du docteur Destouches semble suffisamment cohérente pour que des textes nouveaux ne puissent la bouleverser totalement.

II : LA PENSEE HYGIENISTE :

I : LE DISCOURS HYGIENISTE:

Louis Destouches croit à l'hygiène. Il est un partisan de la médecine préventive, sujet d'intérêt qui s'était éveillé en lui à la fondation Rockefeller. Ses études hâtives et son ignorance des médications spécialisées étaient peut être pour quelque chose dans cet « humanisme » médical. Il allait être une sorte de nouveau Semmelweis .Comme lui, il allait débarrasser l'humanité de ses fléaux. Car il n'y avait pas que la seule fièvre puerpérale : la tuberculose, l'alcoolisme, le tabac, la misère, le taylorisme... Autant de maux qui tuent plus lentement mais tout aussi sûrement que la fièvre des accouchées. La désillusion et la résignation l'emporteront finalement... Ce que nous entendons par discours médico-social est la prise de position de Céline le médecin, l'hygiéniste mais aussi l'écrivain, sur des questions relevant du logement,des conditions de travail,de la santé publique ,des assurances maladies, de la médecine sociale ,de l'éducation,de l'insalubrité ou encore de la pollution. L'une des originalités dans ce discours médico-social est que Céline ne s'est pas contenté d'aborder des problèmes,de critiquer des états de faits ou des solutions préconisées par les instances dirigeantes en place,mais d'en formuler lui-même,en termes généraux il est vrai. L'ensemble de ces textes façonne l'image d'un docteur Destouches spécialiste de la santé publique, d'une porte parole efficace de la diffusion des conceptions héritées de la fondation Rockefeller en matière d'hygiène. Ils témoignent aussi d'une époque et notamment des mouvements de rationalisation du travail et de la société dans les années 1920.

1.1 : AUX ORIGINES DE LA PASSION POUR L'HYGIENE :

En révélant le rôle des agents infectieux dans les années 1870, Louis Pasteur a du même coup éclairci le mystère de la contagion, indiqué les moyens de l'éviter et par là même jeté les bases de la prophylaxie des maladies et de l'hygiène personnelle et sociale. Cette découverte a donné une véritable justification scientifique à des pratiques d'hygiène prônées depuis des décennies, mais qui n'avaient que des fondements empiriques. De désordonné, parfois contradictoire, l'hygiénisme tend donc à devenir systématique et ce dés la fin du XIX è siècle. C'est dans le sillage des découvertes pasteuriennes que l'on trouve l'origine des idées hygiénistes et prophylactiques de Louis Destouches élevé dans la  hantise du microbe. En voyage en Angleterre, Louis, à 10 ans, écrit ainsi à ses parents : « Je prends régulièrement mon bain tous les jours (...) mardi soir je suis allé au bain (...) A 4 heures je suis allé prendre mon bain »73(*).Cette obsession familiale de la propreté se lit aussi dans les messages qu'il découvre dans ses lectures d'enfant. Des textes sur le fléau de l'alcool, la lutte contre l'alcoolisme ou contre la tuberculose sont présents dans des revues comme Lecture pour tous qui s'adressent aux enfants et que le jeune Destouches lit beaucoup. L'entourage du jeune homme a également joué un grand rôle : dans la maison des Destouches, on travaillait avec beaucoup de soins la dentelle (la mère de Louis, dentellière, installée passage Choiseul).Il fallait pour que tout soit impeccable, que la maison soit vierge d'odeurs pour que les ouvrages n'en soient imprégnés. L'alimentation de la famille consistait donc en grande partie en nouilles à l'eau,une habitude alimentaire qui allait marquer le futur Céline... L'antisepsie régnait déjà, dés l'enfance du jeune Destouches : « Enfant, tous les conseils de santé m'ont été prodigués, je suis hygiéniste, formé à l'hygiène stérile depuis mes couches »74(*).

Devenu adulte,il conserve un style de vie sain :Céline a avoué plus d'une fois être un « hygiéniste »,ne buvant pas,ne fumant pas,mangeant peu,vivant presque en ascète. Il a le sens de la vie saine et de son influence générale sur l'état général de l'homme. Dans Bagatelles pour un massacre, nous y reviendrons, il part en guerre contre l'alcoolisme, les mauvaises habitudes alimentaires, les mauvaises conditions d'existence dans les villes, l'absence d'activité physique : « Je suis essentiellement raffiné et essentiellement...euh... plutôt puritain. Je bois de l'eau, je mange des nouilles et je ne fume pas »75(*).Il dira encore : « Je m'intéresse pas à la bouffe (...) je ne fume pas, je ne bois pas .J'ai pas de vie sexuelle... Ca me dégoûte tout ça. C'est sale. Je n'ai pas envie de toucher à ce genre de chose. »76(*).La lutte contre l'alcoolisme sera, avec tout son cortége de règles d'hygiène et de tempérance, un leitmotiv permanent dans la vie de Céline : « L'anesthésique moral le plus complet, le plus économique qu'on connaisse, c'est le vin ! Et de première force... »77(*), écrit il. A Clichy Destouches a la réputation d'un médecin de « bon diagnostic », cernant rapidement les problèmes et se terminant souvent par les mêmes prescriptions : repos, eau, ou « pas de café, pas de vin »78(*), qu'il inscrivait en tête de presque toutes ses ordonnances. Ces conseils prennent même la forme d'un réquisitoire contre la société contemporaine. Marcel Aymé nous a rapporté ceci à ce propos :  « Ses plus grandes colères ,je les ai vues déferler contre ce qu'il jugeait propre à l'abaissement de l'homme,à l'abandon de soi même :l'alcool,les stupéfiants,les excès de mangeaille,le débridement de la sexualité,le luxe,la misère,les fausses barrières,la religion,les hypocrisies sociales ou mondaines qui ,sous une honnête couverture,favorisent le déchaînement des mauvais instincts »79(*).On retrouve ces colères dans D'un château l'autre : « Le monde sera seulement tranquille toutes les villes rasées ! Je dis ! C'est elles qui rendent le monde furieux (...) plus de music halls, plus de cinéma, plus de jalousies ! Plus d'hystéries ! ... »80(*).

Tout aussi sûrement, nous pouvons faire remonter l'expérience clinique de Céline en matière d'hygiène à des circonstances beaucoup plus proches de ses débuts de praticien: peu après l'armistice, Destouches est engagé, comme nous l'avons vu, par la fondation Rockefeller au sein d'une mission de propagande pour la prophylaxie de la tuberculose. Cette campagne fait suite à l'énorme effort sanitaire engagé pendant le conflit et où s'est engagé le docteur Follet, son futur beau père. Spécialiste de « la tuberculose des soldats », il a écrit, en 1916, un ouvrage sur le sujet intitulé Les blessés de la tuberculose. Ce que tout le monde doit savoir pour se préserver et guérir .Ici se précise la vocation du docteur Destouches, au contact d'un acteur privilégié de l'hygiène de guerre.

1.2 : FORDISME, TAYLORISME, HYGIENE DANS LES ANNEES 20 :

Dans son essai consacré à Céline, Misère de la littérature, terreur de l'histoire, Philippe Roussin rappelle que, dans les années 1920, à travers les ouvrages de l'architecte et urbaniste Le Corbusier ou de Pierre Drieu La Rochelle, se « diffusaient alors en France l'idéologie du taylorisme, du fordisme (...) qui érigeaient l'Amérique industrielle au rang de modèle des sociétés européennes »81(*). Au début des années 1920, le taylorisme et le fordisme sont les modèles dominants d'organisation des entreprises : ces deux termes désignaient un modèle qui opérait la division des tâches dans le travail et constituait un moyen d'amélioration, de rénovation de la capacité de production industrielle. Mais pas seulement. Comme le souligne Philippe Roussin , « ils semblaient promettre l'éloignement du spectre de la misère et de la rareté,la multiplication des biens matériels,une politique de hauts salaires conjuguée à une moindre pénibilité du travail »82(*),en bref une amélioration sensible du niveau de vie. Céline voit dans cette industrialisation la possibilité effective d'une socialisation et d'une standardisation de la médecine à l'échelle de l'usine. A l'usine oui, mais pas seulement... Ce mouvement devait pénétrer dans d'autres domaines, d'autres champs : celui de l'urbanisme, de la santé et de l'hygiène. Les préoccupations sanitaires sont ainsi au coeur de ce nouvel état d'esprit industriel. Créer une architecture particulière mais aussi ériger la santé comme valeur dominante de cette société industrielle. On insistait beaucoup,à l'époque ,sur le contraste entre les modes de production modernes des usines et la vétusté et l'insalubrité des villes, et particulièrement celles de la banlieue qui semblait laisser ses habitants à l'abandon. Il faut donc à la ville une « architecture salubre »83(*) et s'intéresser à cette pathologie urbaine que Céline décrira si bien, nous le verrons, dans le Voyage au bout de la nuit. Il y a ,à cette époque,l'idée d'intégrer les préoccupations des hygiénistes dans ces programmes urbains de modernisation. Au cours de la seconde moitié du XIX è siècle, une meilleure compréhension de la propagation des maladies infectieuses allait renforcer l'idée que, pour éviter les contagions, il fallait protéger les plus pauvres et les plus faibles. Des mesures ponctuelles d'hygiène publique (drainage, propreté des chaussées, ramassage des ordures) se révèlent avoir un effet immédiat sur la santé. La saleté devient une sorte d'ennemi public. Cette progression de la santé publique illustre de nouvelles interactions entre la médecine, la réflexion philosophique, les données économiques et sociales et la volonté politique dominante. On maintient que, dans le domaine sanitaire, une intervention étatique et des règlements précis devaient être indispensables à ce bon fonctionnement. Dans le dernier tiers du XIX è siècle, à la suite des travaux de Pasteur notamment, l'aspect scientifique de l'hygiène prend cependant le pas sur l'aspect social. Pourtant, l'amélioration du niveau de vie et la rigueur de l'application de certaines mesures simples comme le pavage des rues ou le tout à l'égout avaient obtenus de très bons résultats dans les villes. Mais à la fin du XIX è siècle et au début du XXé, le domaine de la santé publique est négligé. L'hygiène individuelle, cet ensemble de pratiques simples, hérités des principes pasteuriens, lui est préférée: les leçons d'hygiène instaurées par Jules Ferry, en 1883 participent de cette grande vague de « pasteurisation ». En France, une loi sur l'Hygiène publique est votée en 1902 mais la situation reste très préoccupante. Les campagnes se dépeuplent de plus en plus, s'appauvrissent et les conditions sanitaires des faubourgs surpeuplés de villes comme Paris ,par exemple, sont catastrophiques. La description du faubourg ouvrier de Rancy, en banlieue parisienne, dans le Voyage au bout de la nuit, lorsque Bardamu revient de son voyage en Amérique est imprégnée du regard médical de l'hygiéniste et de ces constatations de délabrement et de déchéance des banlieues. Aux premières pages du récit,Bardamu évoque les habitants de Rancy,leur décor et leur condition. Le nom de la banlieue, Rancy, suggère déjà un élément fondamental de cette description : la pourriture...Au niveau de la réalité, la pourriture est d'abord un phénomène biologique ,elle est aussi une dégradation : « Au bout du tramway voici le pont poisseux qui se lance au dessus de la Seine ,ce gros égout qui montre tout »84(*).A l'origine de cette dégradation,la domination du système économique sur lequel les hommes n'ont que très peu de contrôle mais qui exerce un pouvoir déterminant sur leur destinée : le travail n'est pas ,pour ces gens,une source de sécurité matérielle,bien au contraire :  « ils ont énormément peur de le perdre,les lâches(...) souvenirs de « crise » (...) de la dernière fois sans place (...) ces mémoires vous étranglent un homme »85(*).L'intégration des hommes au système économique sert de base à une autre série d'images ,celle des machines,autre avatar du système économique dominant : ces machines,comme le tramway ou le métro qui « compriment » ou « avalent » les gens,les transforment même en « ordures »,ces machines qui semblent contrôler la vie de l'ouvrier banlieusard. La zone ressemble à un immense atelier dans lequel errent, sans but précis des êtres humains hirsutes, malades qui ne font que survivre dans un climat malsain, reflétant la dépravation de leur environnement, cette « poubelle gazeuse pour tortures imbéciles »86(*).Comment ne pas voir un parallèle saisissant avec les usines Ford telles que Céline les décrit dans ses notes, avec leurs handicapés moteurs et mentaux, littéralement cloués devant leur machine ? Où se trouve la différence entre les usines, « cages à mouche sans fin dans lesquelles on discernait les hommes à remuer » et Paris où « les hommes se traînent » ? Dans ce monde, l'homme semble toujours et partout soumis à quelque chose qui le dépasse. Le système économique, représenté par le travail, les machines, écrasent l'homme et produisent la peur, la claustration : « Au matin donc le tramway emporte sa foule se faire comprimer dans le métro. On dirait à les voir tous s'enfuir de ce là, qu'il leur est arrivé une catastrophe »87(*).Comme aux Etats-Unis, le règne de l'industrialisation, du travail, écrase la condition humaine. Conséquence irrémédiable de cette compression générale, la saleté, la pourriture, la véritable obsession de Céline, qui revient sans cesse. Dans ce passage descriptif de Rancy, la saleté est directement liée aux effets de l'industrialisation : « la lumière du ciel à Rancy, c'est la même qu'à Detroit, du jus de fumée qui trempe la plaine depuis Levallois. Un rebut de bâtisses tenues par des gadoues noires au sol »88(*).La permanence de cette saleté suggère que les conditions de Rancy sont éternelles .Plusieurs autres ressemblances se dégagent d'un passage décrivant les pauvres en Amérique : « Les relents d'une continuelle friture possédaient ces quartiers (...) Tout me rappelait les environs de mon hôpital à Villejuif,même les petits enfants à gros genoux cagneux (...) Je serais bien resté là avec eux mais ils ne m'auraient pas nourri non plus les pauvres et je les aurais tous vus ,toujours et leur trop de misère me faisait peur »89(*).La plupart des thèmes qui constituent le décor de Rancy ont déjà été utilisés pour évoquer les conditions de vie des classes désavantagées dans les descriptions de l'Afrique,de l'Amérique ou même de Paris pendant la guerre : « Dans le grand abandon mou qui entoure la ville ,là où le mensonge de son luxe vient suinter et finir en pourriture,la ville montre à qui veut le voir son grand derrière en boîtes à ordures »90(*).En plus d'être persistantes et indélébiles,la misère et la pauvreté de Rancy sont universelles...L'insalubrité touche tout le monde :l'écrivain se désole face à la passivité des banlieusards qui se contentent de vivoter ,ne pensant qu'à leur pension,obsédés par les problèmes économiques mais constate que,loin d'être responsables de leur passivité,les pauvres sont victimes de leur environnement malsain .La fatalité sociale n'est toutefois pas l'apanage des seules classes défavorisées : tout le monde est concerné par une mauvaise alimentation, une mauvaise diététique :les rues de la banlieue pénétrées du « petit bruit du graillon qui crépite à midi, orage des mauvaises graisses »91(*) mais aussi les hommes d'église comme l'Abbé Protiste , « un homme qui mangeait trop vite et qui buvait du vin blanc »92(*) ou les Henrouille dont le « pavillon payé,(...) plus un sou de dettes »93(*) de Rancy n'empêche pas l'eau d'y pénétrer : «Les murs du pavillon se gardaient encore bien secs autrefois (...) mais a présent que les hautes maisons de rapport le cernaient, tout suintait chez eux, même les rideaux qui se tachaient en moisi »94(*).

La banlieue n'est pas la seule pourvoyeuse de maladies : pendant la guerre de 14-18, la tuberculose et d'autres maladies infectieuses causent des centaines de milliers de morts et mettent en évidence l'inadéquation des structures. Le rôle, nous l'avons vu, de la fondation Rockefeller aux missions de laquelle a participé le docteur Destouches fut vaine dans la prise de conscience populaire et dans la sensibilisation à ces questions de santé publique. Celle ci reste, à l'aube des années 1920, dédaignée par les cliniciens et la médecine libérale.

1.3 : LES SOLUTIONS PRECONISEES PAR L'HYGIENISTE :

Pour lutter contre cet état des choses,si admirablement décrite dans ses romans, la solution de Céline, explicitée dans son article sur l'enseignement de la médecine (le mémoire pour le cours des Hautes Etudes) est du même ordre que l'encadrement des classes populaires préconisé par le Front Populaire. Ce texte, rédigé en 1932, présente les réflexions spontanées, émotives d'une introduction pour un enseignement international d'hygiène qui devait se créer et ne verra finalement jamais le jour : « tout ceci ne constitue qu'un programme à très large trait (...) on peut envisager les choses sous un jour bien différent. Provisoirement je les vois ainsi, mais je ne demande pas mieux de les voir autrement »95(*).Il s'agit à travers ce cours de donner une véritable pensée dynamique à l'hygiène et en particulier à son enseignement, « une pensée critique et permanente, point religieuse et sporadique »96(*). Céline s'attache à décrire la réalité de l'hygiène académique de l'époque ,c'est-à-dire les raisons de son pessimisme : « C'est un fait hélas d'expérience qu'en hygiène on ne pense jamais ,on croit (...) Faire le point du « bateau hygiène » serait pourtant le premier effort,le premier acte un peu intelligent et sérieux que pourraient tenter les (...) Rien de tel qu'un grand problème pour dissimuler flatteusement une radicale inaptitude à saisir des humbles contingences de la réalité (...) c'est l'abri naturel de tous les fainéants profonds »97(*).En effet,à cette époque,les « hygiénistes » n'ont que peu d'influence sur le corps médical. Leur rôle s'amenuise dans les facultés de médecine où la clinique règne en maître. Céline est donc bien au courant du peu de portée de ses attaques :  « Il ne servirait à rien d'accabler sous la démonstration de sa presque entière niaiserie et absurdité l'hygiène actuelle ,si nous n'avions pas l'intention de mettre à sa place quelque chose de plus actif ,de plus réel ,de meilleur et de lui faire réaliser un véritable progrès »98(*).La première étape d'un véritable tournant médico social serait de faire l'étude des résistances à l'hygiène sociale ,de comprendre ce qui empêche son progrès dans les différents pays. Au cours de ses dissertations sur l'hygiène, Céline semble toujours commencer par la fin, en fondant la cohérence de son discours sur les « impossibilités fondamentales » du « progrès sanitaire ». Il s'agit là d'un principe inaugural du polémisme célinien : inscrire la faillite des réponses au sein même du questionnement et toute solution au sein d'une insolubilité première. Céline analyse ainsi les différents facteurs de non progrès, les conditions d'impossibilité de la médecine sociale pour remonter aux conditions de possibilités de la misère.

D'abord l'alcoolisme : « Non point l'étude niaise et bienveillante du fléau alcoolique .Non ! L'étude de ses véritables tenants politiques, budgétaires, commerciaux. »99(*).Destouches compte, par la statistique notamment, prouver les méfaits de l'alcool sur la population et sur le budget de l'Etat et espère, à plus ou moins long terme, rétablir une forme de prohibition ou du moins se rendre compte des « Progrès entraînés par la prohibition »100(*). Tout cela par les chiffres, la statistique, outil indispensable du médecin hygiéniste moderne. Céline ne propose dés lors plus de traiter des « cas » mais envisage plutôt une médecine où le malade disparaîtrait complètement derrière des colonnes de chiffres.

L'alimentation vient ensuite : « ce qui est nécessaire, ce qui est superflu et nocif (...) étude des possibilités d'alimentation en commun »101(*).Des statistiques précises devront être établies et comparées à celles d'autres pays afin de mettre à jour les gaspillages effectués dans le domaine de l'alimentation. Ainsi l'alimentation sera moins coûteuse et les stocks gaspillés seraient employés à nourrir les pauvres et les chômeurs. Dans Les Beaux draps, Céline précise sa pensée : agissant en nutritionniste, il décrète l'égalité devant la faim : « Pour tous les vivants la même chose, les 3000 calories standard, pour le génie, pour Beethoven, comme pour Putois Jules, terrassier »102(*).

Autres facteurs d'importance, le travail (avec une nouvelle référence à Ford),sur lequel nous reviendrons plus précisément, et le facteur financier qui impliquent d'étudier des « maladies caractéristiques des pauvres,des prolétaires et des riches »103(*) ,toujours dans un seul but :réduire les coûts. Céline dénonce ensuite l'influence des guerres et des budgets de guerre sur les dépenses sociales et sur la vie « moderne », c'est à dire la possibilité (ou plutôt l'impossibilité...) de mener de front une politique militaire très coûteuse et de véritables travaux sanitaires ; un passage très intéressant qui corrobore sa propre vision du monde et son expérience de la guerre : « Recherches de ce qu'on pourrait faire avec l'argent des budgets de guerre pour la santé publique. »104(*). Il déplore, dans un même ordre d'idée, l'impossibilité, du fait de la rigueur du système capitaliste, d'employer l'argent à un meilleur entretien des logements sociaux et à la construction de nouveaux : « Mais en même temps faire comprendre que ces ambitions sont tout à fait irréalisables en système capitaliste »105(*).Un argument mort dans l'oeuf ,en quelque sorte... Dans une toute autre optique cette fois, Céline pense aussi qu'il serait nécessaire de prendre en compte d'autres séries de facteurs, ayant plus à voir avec les habitudes de vie des populations : la religion, les sports mais aussi « La Vie sexuelle dans les villes (...) l'existence du surmenage, la monotonie »106(*), soit l'étude de l'influence de la vie moderne sur le système nerveux. De cette première vue rapide Céline conclut qu'il faut essayer de délimiter les possibilités d'améliorer cette situation, après en avoir observé les obstacles majeurs. Il en arrive cependant à se poser la question de savoir si « dans l'état actuel des choses, il n'est pas plus économique de considérer que la maladie plus ou moins chronique est l'état normal de l'individu dans la société où nous vivons et la santé un état tout à fait exceptionnel »107(*).Céline l'hygiéniste accepte le fait, indéniable, que, faisant partie de ce monde, autant essayer de l'améliorer,sans toutefois se faire d'illusion quant à la possibilité d'appliquer des méthodes radicales. C'est d'ailleurs ce qui explique son pessimisme foncier et lui permet de renvoyer dos à dos, sur le plan idéologique, le capitalisme et le marxisme, tout en cherchant des palliatifs. Plus question de chercher à préserver l'ordre établi : du début à la fin cet ordre social est dénoncé,même si Céline n'envisage pas qu'il puisse être renversé dans un avenir proche. La réflexion reste fondée sur l'hypothèse du maintien d'un régime en place et ne porte que sur des aménagements très limités mais très précis qui peuvent ,à la rigueur,être apportés. Jamais toutefois Céline n'a fait tant de place aux facteurs économiques et sociaux et jamais il n'a été aussi sur le point d'imaginer que la suppression des entraves à cette fausse médecine qu'il dénonce puisse apporter ces améliorations. Dans une verve là encore toute littéraire il parle aussi de l'homme, le voit égoïste, matérialiste, se complaisant dans une série de défauts, «leur masochisme, leur crasseux conservatisme, leur narcissisme myope, leur inépuisable je-m'en foutisme »108(*) : affirmation de la lourdeur, de la bêtise et de la vanité humaine, obstacle majeur, selon lui, de la réalisation de son dessein à l'échelle planétaire. Inutile de préciser combien il y reviendra par la suite et combien cette constante imprègne toute son oeuvre depuis Semmelweis : « « Ils étaient lourds », voilà ce que je pense. Les hommes en général, ils sont horriblement lourds »109(*). L'hygiène a isolé les symptômes qu'elle est censée traiter de leur contexte réel. La science sanitaire s'est rendue abstraite et a séparé son savoir médical du corps social. Céline pourfend « l'imbécile optimisme » d'un hygiénisme archaïque, hérité de l'idéalisme bourgeois du XIX è siècle : « l'oeuvre pastorienne est toute entière vermoulue,il serait peut être temps de faire un bilan sérieux entre ce qu'on peut demander dans la pratique pour ne point gaspiller l'argent aux méthodes pastoriennes appliquées , aux laboratoires d'hygiène,aux prophylaxies massives ».Il y a là l'idée,encore une fois, d'une opposition très nette entre cette médecine de savants en blouses blanches,cette médecine scientifique «  qui peut aller,si elle le veut,de subtilité en subtilité jusqu'à se perdre dans les nuages »110(*) et une médecine standardisée aidée par la statistique,plus proche des réalités qui s'impose donc de fait dans l'esprit du docteur Destouches.

1.4 :L'IDEE DE LA MEDECINE STANDARD:LE NIHILISME THERAPEUTIQUE DE CELINE

Il reste donc à entreprendre l'étude de la médecine et de la pharmacie. L'idée d'une « médecine standard » apparaît alors: « Importance d'enlever pareillement ces maladies à la médecine et à la pharmacie commercialo-byzantine actuelles pour les ramener économiquement à une médecine sociale économique plus ou moins standardisée,simplifiée à une thérapeutique active, expéditive, contrôlable »111(*).En 1930,Céline transmet à la Société de Médecine de Paris un essai de diagnostic et de thérapeutique méthodiques en série sur certains malades en dispensaire où il donne une approche très innovante du problème de la tuberculose. Il propose en effet de procéder à un dépistage systématique de cette maladie au moyen d'un test biologique et d'effectuer ensuite un traitement systématique avec suivi et adaptation en fonction des résultats biologiques. Son exposé traduit bien les efforts de rigueur scientifique fournis par Céline ainsi qu'une certaine précocité de ses idées. Dans le mémoire pour le cours des Hautes Etudes, deux ans plus tard, les phrases sans verbe se succèdent, pointant ainsi les préoccupations essentielles de l'hygiéniste Destouches : « Oppositions entre cette façon fausse et entièrement théorique d'enseigner la médecine et les manières dont tous les praticiens pratiquent dans la vie courante (...) l'ère pastorienne est accomplie (...) »112(*).La médecine standard de Céline s'accompagne d'une critique acerbe des habitudes thérapeutiques contemporaines. Il n'hésite pas à parler de « l'empoisonnement du malade par la médecine et la pharmacie libérale »113(*) et de « toxicomanie populaire, par tolérance quasi illimitée des licences pharmaceutiques »114(*).Il reconnaît même, dans une lettre à Albert Paraz,un écrivain de ses amis,tuberculeux, quelques bienfaits à l'homéopathie : « Je ne veux pas dire de mal de l'homéopathie. C'est une hygiène »115(*).Céline a toujours été, de toute façon, un petit prescripteur. Dans sa thèse de médecine consacrée à Céline, François Balta parle d'une « vingtaine de produits »116(*) au dispensaire de Bezons en 1941, ce qui,même en temps de guerre,reste dérisoire. Il fut aussi d'un grand scepticisme pour les nouveaux médicaments. Céline respecte en matière de prescription des règles de prudence et d'économie telles qu'il les définit dans  D'un château l'autre  : « Je prescris jamais que des remèdes absolument impeccables (...) je vous vois faire avec au bas mot ,au plus juste,trois cent milliards d'économie par an ... et les malades joliment mieux ! Moins ahuris, vaniteux, empoisonnés !...je sais ce que j'affirme »117(*).Céline reste un médecin anti-potions, un médecine hostile à une médecine omnipotente, trop invasive et sûre d'elle. D'où provient cette idée chez Céline ? Probablement de l'époque où il s'intéressait, via ses recherches sur Semmelweis, à l'école de Vienne. En effet, il y eut dans l'histoire de la médecine, des phases où le progrès consista surtout à éliminer les traitements inutiles ou nuisibles. L'apparition de la médecine statistique dans les années 1830, en lieu et place de la révolution médicale anatomo-clinique imprimée par l'Ecole de Paris auparavant a conduit, selon l'historien de la médecine Shryock, à tout un « repensement » de la maladie. Les échecs thérapeutiques de la nouvelle vision de la médecine clinique lors de l'épidémie de choléra à Paris en 1832 ont prouvé l'inefficacité des médecins parisiens et contribué à l'émergence d'une nouvelle vision de la maladie où le collectif primerait avant tout : il s'agit de prescrire moins mais de prescrire mieux. C'est ainsi que, comme nous l'avons vu, Josef Skoda, un des maîtres de Semmelweis et une des gloires de la médecine viennoise au XIX è siècle, se rendit célèbre par sa méthode du « nihilisme thérapeutique » c'est-à-dire qu'il interdisait la prescription de médicaments dangereux ou, tout du moins, dont on n'était pas sûrs, à une époque où la pharmacologie expérimentale n'existait pas encore. En fait, Skoda n'était pas vraiment un nihiliste mais plutôt un sceptique, qui ne prescrivait que des médicaments à l'efficacité prouvée. Dans un autre domaine,le célèbre psychiatre Eugen Bleuler, sans aller aussi loin que Skoda, pratiqua souvent ce qu'il appelait l'"oudénothérapie".A l'instar de ces deux praticiens de renom,Céline préférait n'administrer aucun médicament d'efficacité incertaine : « Lorsqu'on n'est pas absolument certain qu'un médicament peut avoir une action favorable (ce qui est le cas une fois sur mille) le devoir est de ne prescrire que de l'eau ... et de l'hygiène...Charlatanerie 999 fois sur 1000...les malades veulent être bafouillés...On leur en donne ! »118(*).Par quelle méthode former des praticiens aptes à l'exercice d'une telle médecine standard ? En premier lieu,en instaurant au cours des deux dernières années d'études,un cours de « pratique médicale courante »,qui aura pour vocation de faire oublier aux étudiants les 9/10é des connaissances par eux précédemment acquises mais à conserver précieusement le 1/10é restant : « Irréalité naïve ou hypocrite de la médecine ou de la thérapeutique telles qu'elles sont enseignées dans les écoles de médecine »119(*).En second lieu ,imposer,en conséquence ,au jeune médecin six mois de stage chez un praticien rural ou urbain. Enfin, en mettant à la disposition du corps médical de bonnes statistiques de morbidité, permettant d'aider à l'établissement rapide d'un diagnostic et donc d'écarter ainsi « les maladies les plus coûteuses et les plus banales, celles qui sont en réalité des véritables maladies d'hygiène par leur fréquence, leur simplicité et leur curabilité, rhumatismes, bronchites, diarrhées... »120(*).Une médecine rapide, expéditive même, dans la droite lignée de la verve diagnostique d'un Skoda dans son hôpital de Vienne au milieu du XIX è siècle...

Il s'agit, en tous les cas, de prévenir, de soigner plutôt que de guérir, de contrôler ce qui peut l'être, comme cette surconsommation médicale par exemple : « Ce que je voudrais établir, c'est une médecine efficace et standardisée (...) une médecine sociale et générale »121(*).Le but de la médecine c'est de soulager le plus rapidement possible pour permettre à l'homme de travailler et de prendre un peu de plaisir. Et Céline de préconiser des tests sérologiques, régimes alimentaires, recherches de médicaments pour les affections usuelles : « en résumé, sortir de la farce des parodies et des grimaces administratives pour entrer dans l'efficacité »122(*).Efficacité : voilà le maître mot... L'image qui ressort là du docteur Destouches est celle d'un praticien moderne, américain, soucieux du résultat, ennemi du verbiage philantropo-clinique, médecin des pauvres soucieux avant tout de rentabiliser un temps limité. Sa fonction,il l'a décrite lui-même dans une communication à la Société de médecine en 1930 sur le « dépistage de la tuberculose par les tests sérologiques du Vernes Resorcine »123(*) : Vingt heures de consultation par semaine ,deux mille deux cents nouveaux malades par an avec « consultation de cinq à dix minutes par malade »124(*).L'auteur parle d' « empirisme partiel mais avoué »125(*).Le docteur Destouches pratique sa spécialité,la médecine sociale,avec tout le sérieux scientifique possible,il s'informe,il réfléchit. Les voyages aux Etats-Unis, chez Ford, sont, de ce point de vue, loin de n'être que de simples escapades : compte tenu des conditions de travail, il cherche toujours la méthode la plus pratique, le résultat maximum. Il va donc s'agir de repenser la médecine, la ramener au sujet, à la « réalité », imposer l'hygiène, éliminer l'alcool, revoir l'alimentation,avoir pour but l'assainissement des conditions de vie des populations urbaines mais aussi et surtout, soigner les malades au travail. Il faut remettre l'hygiène sur pied, soit réinterpréter toute pathologie à partir de son terrain socio-économique, assurer la santé de la main d'oeuvre nécessaire à la production industrielle.

II : POUR UNE MEDECINE DU TRAVAIL:

2.1: LE FACTEUR TRAVAIL:

L'essentiel du propos du Céline hygiéniste est de corriger l'un par l'autre les vices de la médecine et de l'hygiène : « hygiéniser la médecine »126(*),  « ramener l'hygiène dans la médecine »127(*).Ayant fait l'expérience de l'hygiène à la SDN et de la médecine en cabinet puis en dispensaire à Clichy, et ayant conclu à l'échec de l'un et de l'autre dans leurs formes actuelles,Céline entreprend de les fondre dans la seule pratique qui pourrait avoir une efficacité,une « médecine du prolétariat »128(*),éloignée de toute théorie et de toute utopie,mais connaissant les véritables conditions de travail,l'état de santé réel des travailleurs. Ces idées ne sont pas nouvelles chez Céline : elles datent de ses premiers contacts avec la médecine sociale, en particulier lors de la mission américaine. Céline développe alors des principes d'organisation économique et sociale qui s'accordent avec sa vision des hommes. D'après la thèse de Elise Alay, le monde célinien est un monde où « le pathologique n'est plus accidentel mais constitutif de l'existence. L'homme n'existe qu'à partir du terrain physiologique et psychologique qui le constitue et qui répond au milieu (société, culture) dans lequel il se développe ».Rappelons ici l'une des phrases les plus célèbres de la pensée hygiéniste de Céline ,qui nous conforte dans cette idée : « Il faut se demander si dans l'état actuel des choses ,il n'est pas plus économique de considérer que la maladie plus ou moins chronique est l'état normal de l'individu dans la société où nous vivons et la santé un état tout à fait exceptionnel »129(*).Céline propose de parvenir,en France,à un changement des perception de l'hygiène sociale en « les envisageant sous l'angle réellement moderne »130(*),c'est-à-dire en prenant en compte l'industrialisation et la mécanisation de plus en plus importantes des nouveaux systèmes de production. Le système de santé français lui semble inadéquat, inadapté et ne prend pas assez en compte ces facteurs économiques et surtout le facteur Travail : « considérer l'état de santé et de maladie en fonction du facteur travail et presque uniquement en fonction de ce facteur,cela nous semble être la seule attitude vraiment sage et fructueuse de l'hygiéniste »131(*) ou encore ne pas oublier que « les assurés sont tous des travailleurs (...) c'est en cet état seul qu'il faut les considérer »132(*).Céline semble penser que ,dans une certaine mesure,le modèle de Ford pourrait s'appliquer en France même si,évidemment,notre pays n'a pas acquis le degré de mécanisation et d'industrialisation des Etats-Unis. Céline remarque, de ce fait, « l'existence d'une nombreuse main d'oeuvre gaspillée et parfaitement utilisable »133(*) dans les usines. Le travail industriel serait ainsi capable de nourrir des personnes que l'on trouverait plutôt à l'hôpital ou dans les hospices : « Il serait sans doute possible d'étudier sérieusement,dès à présent ,les modalités éventuelles d'emploi de certains malades chroniques dans l'industrie »134(*).Ford ayant prouvé que l'emploi de ces malades chroniques était dans le domaine du possible,leur utilisation pourrait néanmoins être « plus rationnelle chez nous,moins indifférente humainement ».Céline argue du fait que ,comme n'importe qui,les malades ont à subvenir aux besoins de leur famille et doivent donc travailler. Alors qu'un système d'assurances sociales se met en place en France à cette époque ,visant à améliorer le niveau sanitaire des ouvriers en leur donnant la possibilité de ne pas travailler en cas de maladie,Céline défend l'idée que « l'emploi des malades doit être le mot d'ordre social de demain »135(*).Cette idée n'est pas propre à Céline et des projets de loi ont déjà été présentés ,en 1915, sur l'emploi obligatoire des mutilés dans l'industrie ,le commerce et l'agriculture. La guerre s'éternisant, le problème des soldats blessés va vite devenir un enjeu socio-économique de première importance. Dès 1915, donc, le patronat commence à se préoccuper sérieusement des effets de l'intégration d'une masse ouvrière diminuée physiquement au sein de la production industrielle. Certains sont encore réticents mais d'autres jugent l'idée indispensable. Paul Virilio ,dans un ouvrage intitulé Vitesse et politique,précise que cette politique de récupérés fut,en Allemagne,poussée à son maximum dans le cadre militaire lui-même : « l'armée allemande ne connaît pas ou peu d'irrécupérables,car elle a pris le parti de fonctionnaliser les handicapés physiques en utilisant selon chacun sa diminution d'activité ».Cet ancien dispositif de rentabilisation des corps mutilés hante le tableau du fordisme célinien : « On se demande souvent ce que peuvent faire les aveugles chez Ford (...) nous en avons vu travailler une dizaine,ils sont attachés à des besognes très minuscules et généralement surveillés par un autre invalide pourvu celui là d'une claire vision »136(*).Mais Céline propose d'améliorer le système Ford en apportant des solutions thérapeutiques à ces malades chroniques,de leur fournir un suivi médical plus poussé : « Non point n'importe comment mais sous permanent conseil et surveillance médicale »137(*) .Persuadé de la nécessité de maintenir les hommes au travail pour ces raisons,il pense qu'il faut « démontrer au patron (...) que c'est le bon système,selon nous,d'assurances médicales rationnelles »138(*).Dans le fond,Céline se rend compte de l'impossibilité de faire marche arrière ,que le travail en usine est une nécessité , honnie peut être mais une nécessité tout de même. En 1932, il préconise « d'admettre une fois pour toute les conditions de fait du monde du travail 139(*)» ; en 1941, il constate que « l'usine c'est un mal comme les chiots, c'est pas plus beau, pas moins utile, c'est une triste nécessité de la condition matérielle »140(*).

2.2 : UNE POLITIQUE ECONOMIQUE DE SANTE PUBLIQUE :

L'instance qui devait conduire cette nouvelle gestion collective de la maladie et de la santé n'est ni la médecine qui soigne l'individu, ni une quelconque instance politique. C'est l'économie. L'ère nouvelle de la mécanisation signifiait que maladie et santé cessaient d'être définies par rapport à des concepts biologiques mais devenaient des notions qui prenaient sens sur le terrain socio-économique. Comme le dit très justement Philippe Roussin : « Dans le monde du taylorisme (...) le savoir médical ne faisait plus autorité en tant que tel »141(*). Pour répondre à ce besoin particulier, « il faut créer des cadres de médecin d'assurance maladie « d'entreprise » qui auront la charge médicale spéciale des assurés, sur les lieux même et pendant la durée du travail »142(*). Céline, devant la misère des hommes et leur incapacité à se prendre en charge, prône l'interventionnisme plutôt que l'assistance. Le développement des assistances sociales, à partir des années 1930, en contribuant à déresponsabiliser le malade, va d'ailleurs considérablement modifier les rapports entre ce dernier et le médecin. Depuis 1900, l'Etat a tenté d'instituer un régime d'assurance vieillesse pour les travailleurs les plus modestes. Un projet de retraites ouvrières et paysannes fondées sur le système de capitalisation voit le jour en 1910 mais sa mise en place est interrompue par la guerre. Ce bouleversement est aussi un temps de rupture dans les mentalités : les besoins de sécurité engendrés par l'industrialisation et le retour dans la communauté française des populations d'Alsace Lorraine, qui ont bénéficié du système d'assurances sociales allemand, vont converger pour inciter les pouvoirs publics à déposer, en 1921, un projet d'assurances sociales, relatif cette fois à la santé en même temps qu'à la vieillesse. L'instauration de ce système allait susciter un des plus importants débats publics de l'entre deux guerres et provoqua les réactions de tous les secteurs de l'opinion et de tous les acteurs de la vie publique. Aucun gouvernement, toutefois, ne prit le risque d'abandonner un projet qui suscitait de grands espoirs dans la population et la loi fut promulguée le 5 avril 1928.L'assurance prévue couvre les risques de maladie, d'invalidité, de vieillesse, de décès, de maternité pour un très grand nombre de salariés. Dans un texte sur les assurances sociales, écrit et publié en mai 1928, soit pendant la rédaction des décrets fixant les modalités d'application de cette loi, Céline s'en prend à ce « collectivisme » qui semble gangrener tous les rouages de la société française de ce début de XX è siècle. Il parle même d'un « monopole de la santé publique par le collectivisme/socialisme »143(*).La loi « socialiste » (pourtant votée par une assemblée de droite, avec Poincaré...) sur l'assurance sociale ne va pas assez loin dans l'esprit réformateur et est une version de cette « pseudo-philantropie » qui risque d'alimenter à son tour la misère, puisque le « malade » ne touchera plus que « 10F par jour » au lieu de « 25F»144(*). Son opinion rejoint à première vue celle des nombreuses voix discordantes, notamment chez les médecins libéraux : celle du docteur E.Lick, notamment, qui dénonçait dans un livre sur « les méfaits des assurances sociales en Allemagne et les moyens d'y remédier », les dangers encourus tant par les praticiens que les malades. Les premiers n'exerceraient plus la médecine « qu'en vrac et en vitesse ». Les seconds seraient victimes d'une « dégénérescence mentale », incités à la paresse, voués au parasitisme social. Derrière tout cela se cache surtout la peur d'une étatisation de la médecine au détriment de la médecine libérale. On pourrait donc penser à un excès de conservatisme de la part de Céline,or,au contraire,il propose -dans son esprit tout du moins,d'aller beaucoup plus loin pour éviter le gaspillage Selon lui ,trois mesures doivent être prises principalement :d'une part :« l'assuré doit travailler le plus possible avec le moins d'interruption possible pour cause de maladie »145(*).D'autre part,le fait que la plupart des malades peuvent travailler,ce qui vient corroborer les dires de la communication à la société de Médecine de Paris sur les usines Ford. Enfin, les malades doivent être soignés pendant qu'ils travaillent et les entreprises de doivent d'« utiliser toutes les possibilités que l'industrie moderne offre à l'emploi des malades »146(*). Il est alors, en cette fin des années 20, un des seuls à évoquer la nécessité d'une médecine du travail institutionnalisée qui n'apparaîtra finalement en France qu'en 1946.Celle ci serait présente à l'usine, au contact des ouvriers, sur le terrain. La politique sanitaire française, inefficace, bureaucratique, dispersée, doit donc être transformée en profondeur dans son mode de fonctionnement et se penser en réelle activité économique ,avec une forme de « rentabilité » : « Il faudra bien se décider quelque jour à intégrer la santé publique dans l'économie nationale (...) comme les chemins de fer et la force hydraulique ,au lieu de la laisser au soin (...) de bureaux disparates »147(*).La médecine et l'hygiène doivent ainsi interagir avec le milieu industriel et lui permettre une rentabilité accrue : « L'hygiène sociale nouvelle ainsi basée sur l'industrie (...) ne se présente pas comme une expérience de politique sociale bienveillante mais comme un taylorisme agrandi »148(*).Selon Céline,on doit sur ce point là s'en tenir au fait purement économique qu'il est bon ,intéressant et rentable pour un chef d'entreprise d'employer et de faire travailler un malade ainsi que d'instaurer dans son entreprise une véritable médecine du travail : « Démontrer au patron qu'il a un intérêt pécuniaire à employer des malades à tous points de vue et à les laisser sous contrôle médical. C'est le bon système, selon nous, d'assurances maladies rationnelles »149(*).Dans la suite de son article sur les assurances sociales, Céline expose sa manière d'envisager cette médecine du travail, tellement indispensable à sa vision de la médecine sociale. Les médecins seront présents directement sur le lieu de travail, au contact de l'assuré : « Ils viendront se mettre au contact permanent du populaire »150(*).Il aura une mission d'information, d'éducation médicale auprès des ouvriers, imprégnés d'un nouveau discours en connexion avec l'univers du travail. Il faut balayer toute anxiété, toute crainte non fondée vis-à-vis de la maladie chez l'ouvrier. Le médecin devra expliquer directement, informer et mener une véritable politique de santé à l'intérieur de l'entreprise, ce qui irait bien au-delà de la simple « vulgarisation médicale » comme le dit Céline. Le rôle du médecin est multiple ; non seulement scientifique, mais aussi « sociologues et philosophes pratiques »151(*).Céline parle de coup d'oeil, d'un médecin capable d'analyser rapidement et assurément une pathologie, directement sur le lieu de travail. Il propose une médecine plus directe car en prise avec l'environnement du malade, une clinique du travail : « médecine d'expectative et de pratique spéciale adaptée à une population nombreuse et toujours au travail »152(*). Cette nouvelle pratique de la médecine sociale, présentée au premier abord comme une médecine qui rendrait service aux travailleurs serait aussi une sorte de « police » sanitaire, une instance de contrôle  sur les lieux de travail :  « Il faut aller patrouiller sur les lieux même où s'utilise la santé des assurés (...) instituer en somme une vaste police médicale et sanitaire »153(*).Tout cela dans le but d'être au plus prés du travailleur,de se rapprocher des réalités économiques ,de transformer le médecin en véritable « praticien du travail »154(*).En proposant d'organiser l'hygiène sociale à partir de l'univers de l'usine,Céline propose de substituer l'usine à la ville en se donnant pour but de réhabiliter la force de travail et d'assurer la santé de la main d'oeuvre nécessaire à la production.

2.3: UNE NOUVELLE DIVISION DES TÂCHES ET DES CORPS : UTOPIE MEDICALE DE CELINE :

La rémanence de la « mobilisation générale du travail », lors de la première guerre mondiale, dans la pensée sanitaire du docteur Destouches des années 1920 paraît évidente .L'ancien pensionnaire du Val de Grâce a trop connu la cohorte des blessés de guerre pour ne pas nourrir la vision, dix ans plus tard, de l'optique sanitaire du rapporteur de la SDN. Sans vraiment nier le fordisme, Céline n'y décèle finalement qu'une copie exacte des ateliers hôpitaux de la guerre 1914-18.Les symptômes de la guerre pèsent, ici encore, de tout leur poids : parmi les ouvriers de Ford il n'y a « presque pas d'indemnes, certains complètement déchus »155(*).Les invalides de la vie civile succèdent aux invalides de guerre. La pensée célinienne maintient ainsi une certaine forme de cohérence : c'est bien dans la relation qu'ont pu entretenir à un moment donné l'effort de guerre et l'effort de production qu'est né cet « angle unique du travail »156(*) moderne. Les impératifs industriels, en se confondant pendant ces quatre années de guerre avec ceux de la mobilisation armée trouvent ici une seconde nature. Le travail est un « état de guerre » permanent, l'usine son champ de bataille, ses ouvriers les soldats du rendement et ses invalides les récupérés du front productif. On comprend alors mieux le double langage de l'armement sanitaire prôné par Céline .L'hygiéniste s'adresse à ceux qui « à l'usine effectuent par ordre un travail »157(*), dans un monde où « peu d'individus échapperont à la loi du travail »158(*), allant ainsi à l'extrême limite de son rapprochement. Comme la guerre, le fordisme est une sorte de fatalité absolue qui ne laisse plus de place à d'autres possibilités : « Il faut en prendre son partie »159(*), note Céline. En ce nouvel espace de travail, l'hygiène doit se plier à une médecine militaire parce que le corps social est devenu une « armée » de travailleurs. On ne doit pas ignorer, à ce stade, ce qui dans la vision célinienne colle à la réalité historique : les premiers essais d'industrialisation standard sont introduits en France en 1915 dans le domaine de la métallurgie. Dés 1916, une circulaire ministérielle préconise l'application massive du taylorisme dans l'industrie. Ces modèles sont aussitôt soumis à une idéologie combattante, pensés dans le cadre d'une discipline de travail militarisée. L'adoption généralisée du taylorisme en Europe a été conditionnée par le nécessaire mise en route d'une industrie au service de la défense nationale. Céline, quelques années plus tard n'a fait que tirer les ultimes conséquences de ce processus : l'apparition d'une production standard et rationalisée et l'adaptation fonctionnelle de l'inapte. L'espace-temps du travail semble n'avoir plus de limite, il abolit les effets de l'âge : « La vieillesse n'est pas un facteur d'invalidité »160(*), il étend son emprise au domicile privé de l'ouvrier : « (...) ou alors le travail viendra à la maison »161(*).L'usine ne met pas à l'écart, elle n'incarne pas une zone clinique, elle désincarne tout ce qui pourrait lui échapper.

Dans le Voyage au bout de la nuit, l'écrivain Céline revient sur le thème du fordisme : A un moment donné,Bardamu se fait embaucher à l'usine Ford. Alors se concrétise la suggestion indirecte que la société technique est néfaste. Ce monde de l'usine est dominé par les machines, totalement saturé de violence, de bruit et de vibration : « Et j'ai vu en effet les grands bâtiments trapus et vitrés, des sortes de cages à mouches sans fin (...) C'était ça Ford ? (...) Tout tremblait dans l'immense édifice (...) on en devenait machine soi même à force »162(*). La violence,le bruit,les tremblements...plusieurs éléments de l'univers guerrier sont présents dans cette description : l'image des ouvriers « répartis en files (...) en renfort vers ces endroits d'où nous arrivaient les fracas énormes »163(*) transforme ces hommes en soldats montant au front .Un parallélisme explicite le lien crée par l'image des ouvriers soldats : « on cède au bruit comme on cède à la guerre »164(*).On retrouve là un des thèmes du rapport du docteur Destouches à savoir le fordisme comme fatalité absolue où les ouvriers sont devenus une véritable armée du travail : l'usine correspond aussi à l'univers guerrier dans le roman. Cette équivalence se montre d'ailleurs indispensable pour la compréhension des effets de l'usine sur l'ouvrier : «  On discernait des hommes à remuer, mais remuer à peine comme si ils se débattaient plus que faiblement contre je ne sais quoi d'impossible ».165(*)Dans ce monde dominé par les forces mécaniques,les êtres humains sont affaiblis : ils sont un univers d'êtres dégradés par la maladie : « De leur masse [ces hommes] montait l'odeur d'entrejambes urineux comme à l'hôpital »166(*). Cette diminution rappelle indirectement l'abrutissement de l'univers guerrier et prépare un autre phénomène : l'odeur d'huile,associée au feu ,s'empare du corps de l'ouvrier et lui «brûle les tympans et les dedans des oreilles par la gorge »,lui crée « un nez nouveau ,un cerveau nouveau pour toujours »167(*).Le bruit agit de manière semblable : « on emporte le bruit dans sa tête,j'en avais encore moi pour la nuit entière de bruit »168(*).Les machines tournent vibrent et imposent aux hommes leur rythme infernal : «nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre ».Le monde de l'usine qui résume la société technique s'empare littéralement du corps de Bardamu. Les nombreuses allusions que ce dernier fait à son corps lorsqu'il évoque l'usine répondent également à un grand nombre d'évocations semblables dans les premières descriptions de l'univers guerrier au début du roman. Perdu dans la menace généralisée de la guerre,Bardamu aurait voulu faire arrêter les hostilités mais reconnaissait ne pas le pouvoir. A l'usine, il insiste : « on voudrait bien arrêter tout ça (...) mais ça ne se peut plus.Ca ne peut plus finir »169(*). Si Ford embauche des malades - près de 10 000 sur 45 000 ouvriers d'après Henry Ford, le travail lui-même ,sa nature répétitive ,son environnement malsain,ses dangers,sont également causes de maladie comme le laisse entendre Céline dans ses rapports et comme il l'écrit en clair dans le Voyage .Ceci lui fera dénoncer « l'atrocité matérielle de l'usine » et le « gâtisme industriel »170(*).Cette dernière notion a trait à l'un des aspects de l'industrialisation largement ignorée par Taylor : la fatigue. C'est Céline médecin qui s'exprime ici par la voix de Bardamu : il a compris que les méthodes de production dans une usine taylorisée pouvaient être la cause d'une usure prématurée de l'ouvrier qui n'a rien à voir avec le processus normal de vieillissement. La fatigue industrielle, en effet, n'est pas mesurable et résulte de l'accommodation au rythme de travail. Chez Ford,Bardamu finit ainsi par ressembler aux machines. Il constate qu'on « se laisse aller aux machines » et qu' « on en devenait machine aussi soi même »171(*).Ce qui frappe dans la description de la condition ouvrière chez Ford, c'est la passivité, la résignation des ouvriers. Cette passivité des démunis est l'une des caractéristiques de l'oeuvre de Céline qui désespère de les voir se révolter : « C'est pas la honte qui leur fait baisser la tête»172(*).L'homme joue donc à l'usine un rôle singulier : « les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines vous écoeurent »173(*).Une machine est censée remplacer ou faciliter le travail humain .Chez Ford,ce sont les machines qui commandent et les hommes en revanche,les servent au point de se soucier de leur « plaisir ».Il se trouve dans l'usine un renversement de valeurs frappant , que l'on retrouve à certains passages du rapport de 1925 ,lorsque le docteur Destouches évoque Ford et l'« armée de chimpanzés » à son service. A l'usine, l'homme n'est plus un homme, il est asservi, il perd sa liberté et se retrouve dénué de toute réflexion, au niveau de l'animal. Toutefois, alors que l'hygiéniste Destouches, rationnel,d'un réalisme implacable , tenant compte de l'inéluctabilité de la mécanisation semble y voir comme un moindre mal,l'écrivain Céline la rejette ,la condamne sans rémission. Création de l'homme, la société technique se retourne contre lui. Ford est ainsi une sorte de microcosme de l'univers, celui des miteux, des « mal foutus », des sans qualification, « ceux qui font marcher la machine »174(*). La solitude et la conscience de sa faiblesse, dans ce monde où tout concourt au service des machines semble provoquer chez Bardamu un sentiment qui va au-delà du simple dépaysement : il témoigne qu'il n'y a pas ici pas de place pour les hommes ni pour les considérations humaines, chose qui semble intolérable à l'écrivain comme au médecin.

Les contributions de médecine sociale de Céline partent de cet ensemble de constats pour en déduire un horizon du travail quasi apocalyptique ,matérialisé sous la forme d'une utopie hygiéniste en rapport avec la société productive de son temps. Ce sont d'abord des textes diagnostics qui repèrent, au-delà d'une « médecine bourgeoise (...) bien morte », un dispositif sanitaire apparu au cours des années 20 et issu d'une rupture dans les pratiques productives provoquée par la guerre. L'hygiénisme quitte ainsi « la sphère de la cité civique et domestique où elle avait vu le jour pour investir la société industrielle »175(*).

III : UN HYGIENISME ANTISEMITE : MISERE DE CELINE :

3.1 :CELINE TEMOIN DE LA DECADENCE SOCIALE :DE L'HYGIENISME A L'EUGENISME :

Chez Céline, le discours médical ou, plus exactement, celui de l'hygiéniste s'est souvent pris dans le délire du pamphlétaire comme nous le verrons. De même, le discours de l'hygiéniste tient dans le pamphlet une place assez importante : le pamphlétaire Céline met en garde ses concitoyens... Des textes rapportés à la Société des Nations au milieu des années 20 et jusqu'à 1933, il ne reste que de vagues souvenirs tant la radicalisation de la position hygiéniste de Céline est flagrante. Considérons un aspect de la société française qui émaille son oeuvre tant littéraire que médicale : l'alcoolisme. Les références de Céline à l'alcool, l'alcoolisme sont innombrables, en particulier le mot « vinasse » qu'il affectionne particulièrement et qui dénote le dégoût et le mépris qu'il éprouve envers l'ivrognerie. Celle ci, clinique d'abord, dans le Voyage au bout de la nuit, est inhérente à la condition misérable est déjà présente dans l'évocation de Rancy : « Cent ivrognes mâles et femelles peuplent ces briques et farcissent l'écho de leurs querelles vantardes (...) Dès le troisième verre de vin,le noir ,le plus mauvais,c'est le chien qui commence à souffrir »176(*).Comment ne pas être saisi par ce passage terrible,poignant,concernant les méfaits de la boisson sur le comportement humain : « les enfants dans l'horreur glapissent. Ils découvrent tout ce qu'il y a dans papa et maman »177(*).Le père n'est même plus un homme, il est un mâle, la mère une femelle. Lorsqu'il boit, l'homme en est réduit à l'état de bête, une bête assoiffée, excitée. L'alcool entraîne une intensification de la violence déjà inhérente à la pauvreté et à l'univers misérable. En tout cas, il ne résout rien : « On a beau faire, on a beau boire, et du rouge encore, épais comme de l'encre, le ciel reste ce qu'il est là bas, bien renfermé dessus, comme une grande mare pour les fumées de la banlieue »178(*).On remarquera à quel point cette description d'une banlieue insalubre rappelle celle qu'il nous donne dans Bagatelles pour un massacre : « Les humains se traînent dans Paris. Ils ne vivent plus c'est pas vrai ! (...) ils n'existent qu'au ralenti, en larves inquiètes (...) Ils ne s'émoustillent qu'à l'alcool »179(*). Répondant à l'écrivain Georges Duhamel qui se plaignait que les français lisaient peu et se demandaient où passait leur argent,Céline répond :«Tout leur pognon part à la vinasse !»180(*).Se basant sur un rapport établi par la CGT remis à lui par son éditeur Denoël, Céline, dans Bagatelles pour un massacre, en extrapole certaines conclusions :  « C'est pas difficile à trouver ! Ce petit pognon des clients, voyons, remettons nos lunettes, admirons d'autres chiffres ... « l'Alcoolisme en France » parfaitement éloquents, substantiels aussi. « La France est le pays le plus fort consommateur d'alcool du monde...21 litres 300 d'alcool pur (...) La consommation de vin qui était avant 1900 d'environ 35 millions d'hectolitres annuels, devenue ces dernières années d'environ 50 millions d'hectolitres. Il est donc faux de dire que l'alcoolisme diminue,au contraire,il progresse...La répartition,l'habitude de boire a gagné les milieux féminins,certaines habitudes alcooliques sont devenues particulièrement tyranniques ,par exemple celle de l'apéritif »181(*).Voici maintenant la réaction de Céline à ce rapport : « Sur la question du casse poitrine ,il est donc totalement officiel,tangible,palpable que le français ne craint personne (...) lecteur piteux,c'est possible,mais insupportable alcoolique (...) aucun sauvage,aucun civilisé non plus n'approche de très loin le français pour la rapidité,la capacité de pompage vinassier »182(*) .Dans l'entre deux guerres,tout le monde,en France,constate un phénomène accablant,la décadence de la France. Et au centre de cette décadence,la France des apéritifs : « le roi bistrot (...) qui souille,endort,assassine,putréfie »183(*)L'alcoolisme est en effet,à l'époque où Céline écrit Bagatelles pour un massacre,au centre des préoccupations de tous les partis politiques et l'on craint les conséquences néfastes des accords de Matignon de 1936 et des congés payés sur la consommation d'alcool dans le milieu ouvrier...En réalité n'est ce pas aussi pour structurer ,organiser des loisirs (à la montagne,à la mer) pour remédier à la décadence physique et morale du pays ? Eloigner le peuple des bistrots ? On peut faire un parallèle avec Céline déclarant, au sujet du chômage en Allemagne qu'il ne s'agissait «ni de capitalisme ou de communisme (...) mais d'ordre et de bonne foi »184(*).C'est la recherche de l'efficacité qui prime. Dans le même texte, datant de 1933, Céline fait jouer cette notion d'efficacité concernant les problèmes alimentaires outre-Rhin : « Sur quatre Allemands, le premier mange beaucoup trop, les deux autres mangent à leur faim et le quatrième crève lentement de sous-alimentation. Voilà un problème qu'un enfant de dix ans (...) pourrait résoudre en dix secondes (...) Hitler, tout führer qu'il est, aura bien du mal à sortir de ce marasme alimentaire imbécile »185(*). Cette attitude n'est pas sans rappeler les conceptions de Céline en hygiène sociale et en médecine du travail. Celles ci aboutissent sans aucun doute à l'établissement d'une société dirigiste et autoritaire...Mais c'est encore le médecin,le professionnel qui s'exprime ici ,et nous verrons que lorsque l'écrivain prend la parole,la société qui découle logiquement de sa vision est toute autre ,et ce dans beaucoup de domaines. Le Céline de Bagatelles pour un massacre ne pouvait donc qu'applaudir à la politique de loisirs ,du plein air et du sport du front populaire ,reprise plus tard,sous une autre forme et avec d'autres motivations,par le gouvernement de Vichy. Céline passerait presque pour un austère... Or il aime la musique, la danse, la chanson et regrette un passé relativement récent où les gens du peuple étaient gais. Il pense que l'industrialisation, surtout l'urbanisation a tué la joie : « Sozial ! sozial ! C'est vite dit... mais « sozial » d'abord, avant tout, c'est une question d'air et de globules »186(*). La banlieue parisienne de 1914 constitue déjà un cercueil pour ses habitants qui sont des ivrognes,des déséquilibrés,des malades...Pour y remédier,Céline va proposer une solution très proche de celle du Front Populaire : « Tout le monde,toute la ville à la mer ! ... sur des artères de la campagne pour se refaire du sang généreux,éparpiller dans la nature,au vent,aux embruns,toutes les hontes,les fientes de la ville »187(*).Quand Céline constate que « Paris ,à présent,manque de tout (...) l'eau claire ,le vent,les poumons,les fleurs,les espaces,les jardins,les globules rouges,le silence... »188(*),il résume en quelques lignes l'essentiel de tous les programmes urbanistes de l'époque contemporaine,c'est-à-dire des années 1970-90. Cette constatation de la décadence sociale de la France, en cette fin des années 30 est un retour à l'idée, déjà contenue dans les textes médicaux des années 1920, de l'hygiénisme comme politique de santé. Tout s'y trouve : les colonies de vacances de l'après guerre,la politique des espaces verts en ville,les lois anti-pollutions,le bruit considéré comme une nuisance... Ce discours social contient en germes la majorité des difficultés auxquelles sont confrontés ceux qui, de nos jours, se préoccupent de la qualité de vie.

3.2 : LE MEDECIN ANTISEMITE :

Relevons donc que pour Céline, c'est toujours l'insalubrité de l'environnement qui affecte le comportement, la santé, les émotions des habitants. Ce qui est intéressant, toutefois, c'est de constater que Céline l'écrivain, le pamphlétaire et le médecin se rejoignent dans l'analyse ou le diagnostic ainsi que dans les solutions proposées. La seule différence entre le médecin et l'artiste est une question de ton et surtout, au niveau des solutions, l'absence de toute solution absolue. Il serait impensable pour un médecin de dire que l'homme est « loupé », bien que cela ne le soit pas de le penser... Dans cet univers malsain, en écho aux écrits médico-sociaux du docteur Destouches, est normal celui qui est essentiellement et entièrement malade ; la santé et l'être sain sont relégués à une sorte d'idéal forcément inatteignable. C'est toutefois à l'échelle de la société française que le Céline des pamphlets de la fin des années 1930 voit cet état généralisé de dégénérescence s'affirmer. Et la cause de ce délabrement, de cette déliquescence généralisée, c'est le Juif... Les rapports entre la condition médicale de Céline et son antisémitisme existent : cette forme d'antisémitisme médical apparaît chez Céline dès la pièce écrite en 1929, prélude au Voyage au bout de la nuit : L'Eglise. En démontant les rouages administratifs de la prestigieuse Société des Nations, Céline ébauche une critique que l'on retrouvera de manière encore plus flagrante dans Bagatelles pour un massacre quelques années plus tard. Ce sont les médecins juifs qui sont en cause :Yubbenblat,le directeur du bureau d'hygiène,qui n'est autre que le personnage incarné dans la réalité par le Dr Rachjman : « Par les circonstances de la vie ,je me suis trouvé pendant quatre ans titulaire d'un petit emploi à la SDN,secrétaire technique d'un juif (...) les places notables ,les vrais nougats sont occupés,là comme ailleurs,par les juifs et les maçons »189(*).L'antisémitisme de Céline s'est ainsi incontestablement ancré au coeur des tensions qui agitaient la profession médicale dans les années 1930.On craignait notamment,et nous l'avons constaté chez Céline,une bureaucratisation de la médecine et la concurrence étrangère devenait le cheval de bataille de la profession. Les médecins étrangers étaient ainsi accusés de pratiquer une concurrence déloyale et de contribuer à transformer une activité désintéressée en un simple commerce. Une loi en 1933 fut votée, visant à interdire l'exercice de la médecine en France aux étrangers et imposait de strictes règles de naturalisation. Celle ci ne fut, au goût d'une majorité de médecins de l'époque, pas assez bien appliquée et Céline s'indigne de  la soi disante concurrence des médecins juifs et étrangers et de la poursuite des nombreuses naturalisations dans la profession médicale au cours des années 1930, craignant un grave problème, à terme, pour l'équilibre des effectifs. Dans l'esprit de beaucoup de praticiens français de cette époque, le médecin étranger, juif en particulier, avait remplacé le charlatan ou le guérisseur du XIX è siècle : il usurpait une fonction dévolue de droit à un médecin français .Cette tendance, à laquelle appartenait Céline était nommée le « prolétariat médical » : « Bernard Léon de Paris, ce gros rabbin médical (...) il a fait énormément pour l'invasion des médecins youtres, de leur triomphe en ville. Toute sa carrière a consisté à faire naturaliser 5 ou 6 médecins juifs par semaine  (...) ils lui doivent une vraie statue dans la cour de la faculté en or ! »190(*).Cette campagne odieuse visant à l'élimination de la concurrence étrangère dans la profession trouva un nouvel écho sous l'occupation lors de la promulgation des lois antijuives durant l'année 1940.Céline lui-même en profita, lors de son arrivée au dispensaire de Bezons,en novembre,où il remplaça le docteur Hogarth,frappé de l'interdiction d'exercer son métier au titre des lois xénophobes et antisémites de Vichy. L'élimination de la concurrence des médecins juifs ne constitue qu'un des aspects des préoccupations médicales de Céline dans ses pamphlets .Les métaphores de la « France malade des juifs » y sont très répandues. Le polémiste,littéralement,décrit le Juif comme un agent virulent,une maladie de la société française : « Tout est mystérieux dans le microbe comme tout est mystérieux dans le juif, (...) les vagues de virulence passent sur l'espace et puis c'est tout comme elles veulent,quand elles veulent. Saprophytes inoffensifs, juifs inoffensifs germes semi virulents, virulents seront demain virulents, foudroyants (...) Personne n'a le droit de se risquer d'introduire un seul microbe, un seul juif dit inoffensif dans le champ opératoire »191(*).Le juif contamine la race française en l'infectant et en l'affaiblissant, du plus haut niveau de richesse, jusque dans les masses laborieuses et populaires. La référence pasteurienne sert de socle scientifique idéal à la lutte contre l'invasion d'un ennemi, d'un parasite, procédé classique des antisémites durant les années 30.La société de cette époque a interprété à sens unique ces travaux : le juif y joue le même rôle à l'échelon de la personne que le microbe à l'échelle de la cellule : c'est le bouc émissaire idéal en cas de difficulté. Philippe Roussin cite même le Adolf Hitler de Mein Kampf qui parlait du juif comme d'un « ver dans un corps en putréfaction ». La mission du médecin pamphlétaire est donc de désinfecter la société, de l'aseptiser en éliminant les juifs. Dans Bagatelles pour un Massacre, la santé passe donc réellement de l'hygiénisme à une véritable propagande pour l'eugénisme. L'antisémitisme des pamphlets est partie intégrante d'une politique de santé très proche du nazisme et de sa politique raciale qui excluait juifs, faibles, pauvres, handicapés et autres races « inférieures ».Dans L'école des cadavres,Céline lui-même confirme ce point de vue : « Hitler (...) est du côté de la vie (...) soucieux de la vie des peuples ».Céline s'éloigne du nationalisme type Action Française et lui préfère un eugénisme biologique fondé sur la dégénérescence de la population,un racisme authentique en somme,au strict sens du terme : « Racisme d'abord (...).Désinfection ! Nettoyage ! Une seule race en France : l'Aryenne (...) les juifs (...) doivent foutre le camp ».Dans les Beaux draps, Céline va encore plus loin en rêvant à voix haute d'un peuple pur, en santé, délivré de cette dégénérescence constatée dans les pamphlets antérieurs : « Que le corps reprenne goût de vivre, retrouve son plaisir, son rythme, sa verve déchue (...) l'esprit suivra bien ! L'esprit c'est un corps parfait, une ligne mystique avant tout. ».Céline entendait parler en tant que médecin. Là aussi. En tant que médecin, il a cru à la doctrine pastorienne qu'il a transposé pour le pire dans le domaine sociologique et il n'est pas excusable sur ce point.

CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE :

Plus même que l'exercice quotidien de la médecine,l'hygiène ,pendant très longtemps,occupa au même titre que la littérature,non seulement le temps mais aussi la pensée de Céline. C'est pour lui tout autre qu'un second métier. Par son caractère technique mais surtout par le type de relation qu'elle entretient avec les hommes, cette réflexion est de nature à polariser l'esprit. Quoi qu'il en soit,les préoccupations de Céline avec le monde de la santé publique sont d'actualité,et si certaines solutions peuvent nous paraître aujourd'hui de nature trop autoritaire,d'autres,en revanche,ont été adoptées depuis 1945 par le gouvernement français : aménagement des centres ville,sécurité sociale,médecine du travail...Ainsi se construit donc le discours médico-social célinien moderne ,volontiers scientifique quand il faut faire prendre au sérieux ,il traduit avant tout une volonté de prendre en charge les hommes au plus près,si possible au niveau de leur vie quotidienne. Les pamphlets nous ont offert l'autre versant de son hygiénisme, un hygiénisme racial, indéniable qui n'est plus une simple prise en charge, mais bien une épuration, une stérilisation de type pasteurienne d'une partie entière de la population. Un hygiénisme « à tiroirs » donc, qu'il est au final difficile de comprendre de par la différence de ton entre ces deux formes d'écrits mais qui ont tous deux pour origine une certaine thèse de médecine où se mêlent déjà préoccupations d'hygiène et vision du monde désenchantée, plus proche de la paranoïa que de la simple résignation. Semmelweis,prochaine étape de notre étude,si elle concerne un haut personnage de l'histoire de la médecine en général et de l'hygiénisme en particulier n'est pas,de notre point de vue,un écrit proprement de médecine sociale. Elle est avant tout une image du médecin, ce saint laïc, définitivement au service des autres, image que Céline n'a cessé de donner de sa profession, comme nous allons le voir maintenant, et ce, notamment, à travers son oeuvre romanesque. Car Céline a bien compris que c'est l'expérience pratique du médecin qui aide en priorité à la compréhension des malades, de leurs habitudes et de leur condition.

III : LE MEDECIN CELINIEN:

I:L' « IDEAL » SEMMELWEIS :

« Ma vocation était médicale -mon idéal : Semmelweis ou même Axel Münthe »192(*).Point d'orgue des études du futur docteur Destouches, Semmelweis, le plus littéraire de ses écrits médicaux ,ne fut pourtant vulgarisé qu'après les débuts de l'écrivain Céline. Il fut ainsi refusé par le comité de lecture des éditions Gallimard en 1925 à qui il l'avait envoyé. Son choix du sujet ne se limite pas, comme la plupart des thèses en ces matières, à une étude technique mais montre le drame exemplaire d'une vie et d'une carrière exceptionnellement tragiques : « Dans l'histoire de l'obstétrique,il y'a une page sombre,elle s'appelle Semmelweis »193(*).D'autre part cette étude biographique dépasse le simple domaine médical :à travers l'histoire de ce chirurgien novateur,qui s'efforce vainement de sauver ses malades,d'imposer sa découverte géniale :l'asepsie,mais qui se heurte à la bêtise,au conformisme,et, réduit au silence ,meurt dans un asile,Céline promène déjà sur les hommes un regard de moraliste désenchanté et indigné qui ne dit certes rien de l'hygiénisme qui sera plus tard celui du docteur Destouches mais est plutôt une version idéalisée du personnage médical : « Toute la vie de celui-ci démontre le danger de vouloir trop de bien aux hommes. C'est une vieille leçon toujours jeune... »194(*).

img 3 :Page de présentation originale de La vie et l'oeuvre de Philippe Ignace Semmelweis

1.1 : L'ECOLE DE VIENNE:

Semmelweis...Avec cette histoire qu'il racontera en la transposant, le docteur Destouches remonte à un point tournant de la médecine. Tout au long du XIX è siècle, des progrès importants sont réalisés tant au niveau de l'investigation clinique qu'aux niveaux thérapeutiques, étiologique et prophylactique. Les historiens de la médecine195(*) s'accordent à dire que la première moitié du XIX è siècle est marquée par le triomphe de la confrontation entre l'examen clinique, amélioré par des méthodes nouvelles, l'auscultation (une méthode d'examen permettant de reconnaître si les bruits entendus à l'intérieur du corps résultent du fonctionnement normal des organes ou si ils sont dus à des lésions) et la percussion (qui consiste à écouter le bruit produit en frappant une partie du corps),inventée par le viennois Leopold Auenbrugger en 1761 (dont l'ouvrage ,L'Auscultation est jugé « capital »196(*) par Céline) , et les données de l'autopsie. En Europe, l'école de Paris, puis l'école de Vienne sont de véritables phares dans cette évolution. La médecine devient de plus en plus scientifique, les diagnostics plus précis en mettant à l'écart les considérations philosophiques et privilégiant les faits observés. La médecine s'éloigne progressivement de l'abstraction pour se consacrer à l'observation et aux sciences exactes. Paris fut le premier pôle mondial de la médecine dans la première moitié du XIX è siècle. Cette génération de médecins, de l'ancien régime au premier Empire, compte de nombreux esprits remarquables : Bichat, Laennec, Broussais...197(*) En confrontant sans cesse symptômes cliniques et lésions organiques, les médecins sont a même d'associer tel désordre tissulaire à tel signe particulier et à tel trouble fonctionnel. Et si , au milieu du XIX è siècle, Paris n'a plus l'exclusivité ni même la primauté dans la recherche pathologique de pointe, la plupart des médecins de l'école de Paris ont une influence décisive sur les médecins de Vienne. Ceux ci ne peuvent en effet rester insensibles aux innovations : Karl Rokitansky (1804-1878) et son élève, Josef Skoda (1805-1881) s'imposent comme les chefs de cette école de Vienne et enseignent aussitôt la percussion et l'auscultation. En outre, ils adhérent à la méthode anatomo-clinique en vigueur à l'école de Paris ; Rokitansky est un grand professeur d'anatomie et les étudiants viennent en nombre pour assister à l'une de ses dissections. Ignaz Philippe Semmelweis est de ceux là... Rokitansky fut le principal protagoniste d'une pathologie à la fois solidiste (la maladie est liée à une lésion d'une partie solide de l'organisme) et humorale (la maladie est causée par un déséquilibre de liquides dans l'organisme). Ses investigations sont facilitées par l'appui des cliniciens de Vienne, notamment par Josef Skoda, qui perfectionne les méthodes d'examen physique inaugurées par Auenbrugger, Corvisart ou Laennec. L'école de Vienne est marquée, en outre, par l'importance, héritée de l'école de Paris, de l'interprétation des signes de la maladie. L'exercice du diagnostic semble ainsi permettre d'atteindre un haut degré de certitudes dans ces interprétations. A Vienne, Skoda, selon Erna Lesky, porta le diagnostic médical «  à un degré de certitudes précédemment tout simplement inimaginable »198(*).Par ailleurs, à Vienne s'affirma une attitude profondément sceptique envers toute forme de traitement. Dés 1755,le médecin allemand Samuel Hahnemann exposa une nouvelle doctrine médicale,l'homéopathie, née du sentiment d'inutilité et du danger de la plupart des pratiques médicales communément admises. De cette prudence, on passa, à Vienne, à une véritable méfiance chez certains médecins à l'égard des pouvoirs qu'auraient les techniques thérapeutiques habituelles de modifier le cours des maladies. Cette attitude se répandit de plus en plus, probablement encouragée par le grand succès de la méthode anatomo-clinique. Josep Skoda se signale par ce « nihilisme thérapeutique » qui devait marquer la médecine à venir : les médecins des siècles passés avaient confiance en les drogues qu'ils prescrivaient, pourtant, le plus souvent, elles étaient inefficaces. La tâche du médecin devait donc se limiter, à cette époque, à poser un diagnostic, formuler un pronostic, sans se préoccuper du traitement. Ce moment marque une transition dans l'évolution de la médecine : les traitements traditionnels n'étaient plus réellement dignes de confiance, tandis que la médecine nouvelle n'était pas encore capable d'obtenir des résultats thérapeutiques incontestables. Comment ne pas immédiatement faire le parallèle avec le docteur Destouches, le clinicien qui abhorre la médecine et la recherche scientifiques depuis sa fréquentation de l'Institut Pasteur alors qu'il n'était encore qu'étudiant ...

1.2 : LE PERSONNAGE SEMMELWEIS:

« On me l'avait racontée...parce que j'ai fait mes études à Rennes (...) et j'avais un brave professeur d'obstétrique qui m'avait raconté l'histoire de Semmelweis, bon. Ah ben j'ai dit nom de dieu tiens voilà une affaire que je vais raconter et puis ça va me faire une thèse ,j'avais le droit. Alors j'ai fait cette thèse, et, ben mon Dieu, elle a passé, et le bonhomme c'était le professeur Brindeau, qui était musicien et qui dit : « Ah ben il est fait pour écrire cet homme là »199(*).Louis Destouches a choisi de devenir médecin en racontant une histoire comme c'est en racontant sa propre histoire qu'il deviendra Louis Ferdinand Céline. Une amie de Céline explique ainsi ce choix : « L'histoire de Semmelweis était faite pour lui. Il ne goûtait que le désastre »... Anticipation flagrante des gloires et déboires du futur écrivain, La vie de Semmelweis est transparente d'autobiographie célinienne et pose les bases du drame de toute sa vie. Il semble dresser un véritable autre lui-même : enfance petite bourgeoise commerçante près du peuple, études non conformistes mais pragmatiques... Le futur Céline élargit les expériences morales, les aspirations de son héros à l'image de sa propre vie : « Vraiment c'est chaque fois la même infirmité, le même entêtement stupide dans la routine aveugle et sourde autour de l'enfance d'un être exceptionnel...Personne ne se doute... personne ne les aide. »200(*).La thèse en médecine est d'emblée une communion avec un personnage qui fascine, envoûte et hante L.F.Destouches. Les deux hommes ont la vocation médicale. C'est un fait. Ils étaient pourtant destinés à autre chose : Semmelweis pour le droit, Céline pour le commerce comme le voulait son père. La médecine va s'imposer à eux comme une évidence : pour Semmelweis c'est à la vue d'une dissection, pour Destouches lors de son premier voyage en Afrique en 1916 puis lors de ses tournées hygiénistes en Bretagne, pour la fondation Rockefeller : « Il alla vers elle (la médecine) tout naturellement. Le droit ne le retint pas longtemps »201(*) .Nous avons vu aussi que le jeune Destouches baignait dans un environnement familial largement aseptisé. On prenait bien garde de ne rien faire qui pourrait gâter la pureté d'une dentelle, notamment du point de vue des odeurs. C'est dans ce conditionnement là qu'il faut aussi chercher l'intérêt de Céline pour Semmelweis.

Né à Buda, en Hongrie, le 18 juillet 1818, Ignace Philippe Semmelweis est le quatrième fils d'un père épicier. Il fit ses études au lycée de Pest puis quitta Budapest pour apprendre d'abord le droit, puis la médecine à Vienne. Il eut des maîtres prestigieux ; Skoda en clinique, « un homme de tout premier plan, jouissant d'un grand renom, qu'il méritait »202(*) et Rokitansky en anatomie pathologique .Ce dernier, note Destouches, fut peut être encore plus important pour le jeune étudiant en médecine : « Un autre homme (...) enrichit la pensée de Semmelweis d'une méthode scientifique indispensable, ce maître fut Rokitansky »203(*).De nature dépressive,sensible aux moqueries de certains de ses camarades étudiants qui raillent son fort accent hongrois,Semmelweis décide de rejoindre Budapest avant la fin de ses études,en 1839.Après quelques mois,il retourne à Vienne. Reçu docteur en médecine au printemps de 1844, intéressé, comme beaucoup de médecins du XIX è siècle, par la botanique, il soutint une thèse d'une douzaine de pages intitulée La Vie des Plantes. Semmelweis oriente ensuite ses études vers l'obstétrique. Nommé maître en chirurgie le 10 janvier 1846, il devint peu après l'assistant titulaire du professeur Klin qui régnait sur un des deux grands pavillons de la Maternité de la ville de Vienne. L'autre pavillon était dirigé par le professeur Bracht. Céline décrit, dans un style inimitable, la « danse macabre » de la fièvre puerpérale dans les maternités de la capitale autrichienne : « Dans les deux pavillons, la fièvre, un instant menacée, triomphe...impunément, elle tue, comme elle veut, où elle veut, quand elle veut (...) la mort conduit la danse, tout clochette autour d'elle »204(*). Cette véritable hécatombe fauchait un pourcentage effrayant de jeunes femmes atteintes par cette fièvre des accouchées. Montrant les premières impressions du chirurgien hongrois dans les pavillons de l'hôpital de Vienne, Destouches revit de l'intérieur sa tristesse et sa révolte : « L'âme d'un homme y va fleurir d'une pitié si grande, (...) que le sort de l'humanité en sera, par elle, adouci pour toujours »205(*). Il fallait un destin exceptionnel pour que la fascination s'exerce. Il fallait une opposition, un conflit, des péripéties à son héros...Cette péripétie s'appellera Klin, un des deux chefs de l'obstétrique à Vienne, que Céline décrit comme un « pauvre homme, rempli de suffisance et strictement médiocre (...) à jamais criminel et ridicule devant la postérité »206(*), débordant de haine contre Semmelweis et qui n'aura de cesse de lui nuire. Klin et la plupart des autres médecins invoquèrent plusieurs raisons pour expliquer cette spectaculaire recrudescence : surpeuplement des salles, vétusté des bâtiments et autres influences épidémiques. Mais comment, se disait Semmelweis, la fièvre puerpérale pouvait elle être si sélective, ne toucher que l'hôpital et non les autres quartiers de Vienne ? Semmelweis, avec perspicacité, mit au jour pour la première fois le rôle de la transmission du « processus pathogène » : constatant que les étudiants en médecine qui venaient examiner les femmes sur le point d'accoucher après avoir disséqué des cadavres, ne s'étaient pas lavés les mains,Semmelweis les désigna comme responsables .Il remarqua ainsi que s'exhalent des relents cadavériques des mains des professeurs, assistants, étudiants qui pratiquent des dissections sur les cadavres et que c'est ainsi qu'ils se rendent au chevet des femmes en couches. Il en conclut qu'il devait y avoir un agent invisible, causant la mort et que l'on devait éviter de transférer cet agent de la salle d'autopsie à la salle d'accouchement: « Je maintiens que la fièvre puerpérale est produite par l'infection apportée chez la femme par une matière organique animale décomposée. Ce n'est pas une maladie spécifique, c'est une pyohémie, une infection du sang, et le porteur (...) de cette matière en décomposition, c'est la main, le doigt, les draps, les éponges »207(*) disait il dans la préface de son traité d'obstétrique. Il constata que les femmes examinées par les élèves sages-femmes, qui n'avaient pas accès à la salle d'anatomie, étaient beaucoup moins souvent atteintes par la fièvre puerpérale. Il nota également que les femmes qui accouchaient dans la rue, de peur de mourir à l'hôpital, étaient épargnées par la maladie. Si on meurt moins chez Bartch, c'est que ,chez lui, le toucher est exclusivement pratiqué par des élèves sages-femmes alors que chez Klin les étudiants procèdent à la même manoeuvre chez les femmes enceintes sans aucune douceur et provoquent par leur brutalité une inflammation fatale. Semmelweis propose que les sages-femmes dont le stage s'accomplissait chez Bartch soient échangées avec les étudiants de Klin et que soit engagé le combat pour que les étudiants et les médecins accoucheurs se lavent les mains avec une solution de chlorure de chaux avant d'examiner les patientes, bien que cette mesure ne corresponde à aucune exigence scientifique à l'époque : « Les mains des médecins, des sages-femmes, des infirmières (...) doivent être lavées et désinfectées dans ma solution de chlorure de chaux pour ne pas infecter les parties génitales des femmes enceintes et surtout des femmes en travail »208(*).L'échange étudiants-sage femmes eut lieu. L'évolution de la mortalité est d'emblée spectaculaire. En mai 1847, celle-ci monte chez Bartch à 27 %, soit 18 % de plus que le mois précédent. La mort suit les étudiants, les statistiques de Bartch deviennent angoissantes et Bartch, « affolé », renvoie les étudiants d'où ils venaient. La démonstration était faite, à présent, et avec certitude, que les étudiants jouaient un rôle de première importance dans ce désastre. La prophylaxie était née, Semmelweis devenait le précurseur de l'asepsie, affinée, plus tard, par Pasteur. A partir de 1847, il interdit formellement aux étudiants en médecine de quitter les salles de dissection sans s'être lavé les mains.

Dans le mois qui suivit l'application de cette mesure, la mortalité tombe de 12 % à 3%.Semmelweis étendit alors ses formalités de désinfection à toute personne ayant été au contact d'une malade, d'instruments de chirurgie ou de pansements, il ordonne l'isolement des femmes malades : la mortalité tombe à 1%.Semmelweis fait part de son observation à son Maître Klin, auquel il demande de se soumettre également au lavage systématique des mains. Sans doute vexé, Klin révoqua son assistant sans ménagement. Semmelweis s'éloigne alors à Venise avec son ami Markusovsky. A son retour à Vienne, il peut se faire engager chez Bartch comme assistant surnuméraire par recommandation d'un de ses Maîtres. Il apprend la mort de son ami Kolletchka professeur d'anatomie, des suites d'une piqûre anatomique. La nécropsie avait montré une suppuration des méninges, de la plèvre, du péritoine, les mêmes observations qui avaient été faites sur les cadavres des femmes mortes de fièvre puerpérale, observe immédiatement Semmelweis. Puisque Kolletchka, pensa-t-il, est mort des suites d'une piqûre cadavérique, ce sont donc les exsudats prélevés sur les cadavres qui doivent être incriminées dans le phénomène de contagion. Au mois de juin, entra dans le service de Bartch une femme qu'on avait crue gravide d'après les symptômes mal vérifiés. Semmelweis à son tour l'examine et découvre chez elle un cancer du col utérin et puis, sans songer à se laver les mains, il pratique le toucher successivement sur cinq femmes à la période de dilatation. Dans les semaines qui suivent, ces cinq femmes meurent de l'infection puerpérale typique. "Les mains, par leur simple contact, peuvent être infectantes" écrit-il. Chacun désormais, ayant disséqué ou non dans les jours qui précèdent, doit se soumettre à une désinfection soigneuse des mains par la solution de chlorure de chaux. Dans le mois suivant, le résultat est spectaculaire; la mortalité s'abaisse pour la première fois au chiffre record de 0,23 %. La découverte ne connut point le succès qu'on pouvait supposer...Des communications sont faites à l'Académie des sciences par Skoda, ou à la Société de Médecine par le professeur Hebra, tous deux favorables à Semmelweis qui, jalousé et persécuté, n'arrive pas à faire reconnaître sa découverte par ses collègues qui considèrent le lavage des mains comme contraignant et inopportun. Hebra déclara même : « Quand on fera l'histoire des erreurs humaines, on trouvera difficilement des exemples de cette force et on restera étonné que des hommes aussi compétents, aussi spécialisés, puissent, dans leur propre science, demeurer aussi aveugles, aussi stupides. » 209(*).Ce à quoi Klin répondit : « Monsieur Semmelweis prétend que nous transportons sur nos mains de petites choses qui seraient la cause de la fièvre puerpérale. Quelles sont ces petites choses, ces particules qu'aucun oeil ne peut voir ? C'est ridicule ! Les petites choses de Monsieur Semmelweis n'existent que dans son imagination ! ». De cabale en cabale, Semmelweis - qui n'était pas un grand diplomate - est révoqué en mars 1849 et doit quitter Vienne pour Budapest. Dans la mélancolie et la misère, il y pratique la médecine générale puis il reprend, en 1851, un service d'obstétrique en qualité de médecin chef honoraire de la Maternité de Saint-Roch, dirigée par le professeur Birley mais il ne parviendra jamais à faire accepter sa découverte. En juillet 1858, il est nommé professeur d'obstétrique théorique et pratique à l'Université de Pesth. Après avoir prononcé quelques discours et écrit des articles, il publie, en 1861, l'exposé complet de sa doctrine : L'Etiologie de la fièvre puerpérale, son essence et sa prophylaxie. L'ouvrage reste sans écho. Méconnu, Semmelweis adresse des lettres ouvertes à différents médecins, dont une, particulièrement virulente à l'encontre de ses collègues obstétriciens : « Assassins ! Je les appelle tous ceux qui s'élèvent contre les règles que j'ai prescrites pour éviter la fièvre puerpérale »210(*). On ne peut manquer d'être frappé par la conclusion de Semmelweis : La thèse de 1924 reste d'abord l'histoire d'une persécution, d'un échec. Elle se conclut par une démission : Semmelweis, ironie du sort, périra d'une infection. Traqué par ceux qu'il comptait sauver de la mort, détesté par les étudiants, les médecins et les malades, Semmelweis perd santé et raison. Il meurt de cette même infection qu'il avait combattue toute sa vie. Céline ne connut pas le sort tragique de Semmelweis mais il vivra les mêmes conditions de « paria pourri » .Il sombrera dans un délire de persécution assez voisin. On pourrait même établir un rapprochement entre certains passages de la « trilogie allemande » (Féerie,Rigodon,D'un château l'autre) et de Semmelweis,où Céline représente Semmelweis « plongé dans une sorte de verbiage incessant,dans une réminiscence interminable au cours de laquelle sa tête brisée parut se vider en longues phrases mortes » .En effet,les attaques de la meute des adversaires de Semmelweis à la fin de sa vie rejoint le propre délire de persécution de l'écrivain Céline,trente cinq ans plus tard ,où celui-ci se voit cerné,poursuivi,attaqué par ses détracteurs. La postérité, toutefois, reconnut les mérites de Semmelweis et sa perspicacité : Carl Hempel, dans ses Eléments d'épistémologie211(*), en fait l'exemple introductif de son chapitre sur la recherche dans les sciences...

1.3 : UNE BIOGRAPHIE PARTICULIERE:

Il ne faut pas aller plus loin que la préface originale de Semmelweis pour en trouver la première originalité :« Dans ce moment où notre profession paraît subir, (...) un renouveau d'agaceries de la part d'un certain nombre de flatteurs publics, (...) au moment où chaque profane (...) prétend dévoiler nos tares (...) il nous a été agréable de consacrer notre thèse de Doctorat à la vie d'un grand médecin »212(*).Dans cette préface, Céline commence par dénoncer ceux qui critiquent un peu trop facilement la profession médicale,critique portée généralement par des non médecins ,des « profanes ».C'est bien le futur docteur Destouches qui défend ici le corps médical auquel il va bientôt appartenir,avec véhémence et acharnement,sur un ton polémique , contre ces « faciles satyres qui croient nous fustiger »213(*).Ce premier texte préfaciel présente un Destouches divisé,qui se sent tenu de se défendre .Mais quels sont ces détracteurs imaginaires ,en dehors de la sphère professionnelle qui ne parleraient pas son langage et à qui il refuserait de répondre ? Tout se passe comme si on avait déjà, à l'entrée de Semmelweis, les principales composantes d'un scénario de persécution avec un Céline répondant à d'obscurs bonimenteurs, innommables et indéfinissables. Sa thèse sera d'abord un éloge de Semmelweis : on sent dès ces premières lignes que le docteur Destouches lui voue une admiration extrême : « La pensée médicale (...) la seule véritablement humaine (...) s'est illustrée très lisiblement dans chaque page de son existence »214(*).Semmelweis sera l'exemple parfait d'un médecin entièrement dévoué à son art, qui fera don corps et âme de son existence pour pratiquer. Il va être la meilleure réponse aux innombrables détracteurs que compte la médecine à son égard : « Qu'il nous suffise de demander à d'autres sectes professionnelles de produire des exemples humains aussi sincères, aussi lumineux que celui de P.I Semmelweis »215(*).A cette époque, Céline ne couve pas encore derrière l'étudiant en médecine Destouches : le « nous » est très présent pour défendre les médecins et exprimer son attachement au corps médical. Il est l'un des leurs, à part entière.

La thèse commence par un coup d'éclat,un « morceau de bravoure »216(*) comme le dit Emile Brami dans la biographie qu'il consacre à Céline :au début ,un tableau d'histoire, l'horreur de la révolution, l'Europe accouchant douloureusement d'une nouvelle ère .Le vocabulaire, le ton et le lyrisme peuvent faire penser à Victor Hugo : « Mirabeau criait si fort que Versailles eut peur .Depuis la chute de l'empire romain, jamais semblable tempête ne s'était abattue sur les hommes, les passions en vagues effrayantes s'élevaient jusqu'au ciel (...)L'humanité s`ennuyait, elle brûla quelques dieux, changea de costumes et paya l'histoire de quelques gloires nouvelles »217(*).Ce qui semble intéresser Céline ,ici, c'est la fièvre qui s'empare des peuples tourmentés, ce qu'il nomme « cet immense royaume de frénésie »218(*) .La principale fonction de ce prologue pourrait être de montrer les interactions entre le destin collectif (de l'Europe) et le destin de Semmelweis. Le narrateur affirme d'abord que le médecin hongrois naît dans cette époque de « convalescence » qui succède à la furie des peuples, mais il démontrera finalement que le délire regagne la collectivité dans les dernières années de Semmelweis pour accomplir le destin de celui-ci. La façon dont l'Histoire réfléchit ou infléchit le cours de l'histoire de Semmelweis annonce la projection du délire du sujet célinien sur la scène historique. Il apparaît ainsi que la place de l'Histoire dans Semmelweis n'est pas loin d'annoncer l'intrication de l'histoire de Céline et de l'histoire européenne avant et pendant la seconde guerre mondiale.

Dans la préface de 1936, Céline avertit son lecteur qu'il ne devra pas « se laisser rebuter par les chiffres, les détails ou les explications minutieuses ».Est ce parce que c'est sur ces informations que le biographe semble le moins rigoureux ? A lire La vie et l'oeuvre de Philippe Ignace Semmelweis 1818-1865, on est frappé par certains écarts existant entre les affirmations de l'auteur et les faits historiques. On serait même tentés de croire à des affabulations de la part de Céline ou tout du moins une vision très romancée et exagérée de son existence réelle. Cette hypothèse est, en effet, assez séduisante...Elle est néanmoins erronée : Céline s'est bien renseigné sur la vie de Semmelweis. Non pas pour en faire une présentation fidèle mais pour créer une variante personnelle qui exprimerait ses propres aspirations et conceptions de l'humanité.

La thèse prend ses sources dans des ouvrages de langue allemande et de langue anglaise, ainsi que dans le discours commémoratif d'un professeur français, Adolphe Pinard (1906) et,très certainement ,dans l'article de L.Hahn dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales de Dechambre. Ces ouvrages auraient pu servir de base suffisante pour réaliser une thèse correcte et fidèle sur la vie de Semmelweis, mais le fait est que la « version Céline » fait peu de cas de cette riche bibliographie. Le titre même comporte une erreur initiale : L'inversion des prénoms de Semmelweis (Ignace Philippe et non Philippe Ignace).Peu importent les raisons de ce tour de passe-passe, le fait même de l'inversion témoigne d'une nonchalance à l'égard des faits, en tout cas d'une grande autonomie de l'écrivain avec le sujet de sa thèse. Dans un article de L'année Céline 91 sur « Médecine et littérature », Judith Karafiah a relevé nombre d'écarts de types divers : manipulation des dates (notamment la date de naissance de Semmelweis que Céline situe le 18 juillet, ce qu'aucune biographie antérieure ne confirme...), Omission de certains événements importants et ajout de scènes de pure fiction : la volonté de persécution, l'auto inoculation, le suicide. Il a même bâti un épilogue truqué, une version mythifiante. On peut également douter de la véracité scientifique de certains chiffres comme ceux, notamment, de la mortalité : Céline avance des « séries mortuaires de 96 pour 100 chez Klin »219(*).Il s'agissait d'une exagération : la biographie de Pinard avance un chiffre compris entre 16 et 31 pour 100, ce qui est déjà énorme. Ce genre d'exagérations, d'inexactitudes sera tout à fait courant chez l'écrivain Céline. Loin de respecter l'être réel de son modèle, il l'a chargé de projections réellement subjectivistes. Céline ne fut pas le seul écrivain à être inspiré par la vie de l'obstétricien hongrois : F.G Slaughter, lui aussi médecin et écrivain, décrit en ces termes, dans Semmelweis cet inconnu, les derniers jours de Semmelweis : « Sa femme et ses amis s'inquiétaient pour sa raison et commençaient à le surveiller de près, craignant que dans un moment d'excitation il mit ses jours en danger. Son humeur s'assombrit encore (...) Enfin, le médecin de l'asile découvrit une plaie infectée de la main droite, très vraisemblablement consécutive à une intervention obstétricale. La blessure se gangrena... La mort s'en suivit le 13 août 1865 ».Le futur docteur Louis Destouches, lui, dramatise largement l'évènement : « Vers deux heures on le vit dévaler à travers les rues, poursuivi par la meute de ses ennemis fictifs. C'est en hurlant, débraillé, qu'il parvint de la sorte jusqu'aux amphithéâtres de la faculté. Un cadavre était là sur le marbre (...) Semmelweis, s'emparant d'un scalpel (...) incise la peau du cadavre (...) Il accompagne ses manoeuvres d'exclamations et de phrases sans suite...Les étudiants l'ont reconnu, mais son attitude est si menaçante que personne n'ose l'interrompre (...) Par un geste plus saccadé que les autres, il se coupe profondément. Sa blessure saigne. Il crie...Il menace (...) Comme Kolletchka naguère, il vient de s'infecter mortellement »220(*). En réponse à la thèse de Louis Destouches, le professeur Tibérius de Györy, dans un ensemble de rectifications à la version abrégée, Les Derniers jours de Semmelweis, rétablit quelques vérités de chiffres, de faits et de dates. Outre la fameuse exagération concernant les chiffres exacts de la mortalité due à la fièvre puerpérale, il souligne que les collègues de Semmelweis ne se sont jamais tournés a priori contre lui. Il nie, en outre l'existence d'affiches, de « manifestes » que Semmelweis aurait affichés sur tous les murs de Vienne. Enfin, la scène finale est, selon de Györy, une pure et simple invention. Guido Ceronetti dégage, à juste titre, deux moments importants dans la « tragédie Semmelweis » : La découverte de Semmelweis d'une part et sa fin misérable d'autre part. Car c'est bien d'une tragédie dont il s'agit. Une tragédie non seulement humaine mais aussi biologique, subordonnant les hommes à des puissances qui les dépassent de loin .Ce sont bien ces deux moments qui font passer Semmelweis d'une vie normale à un statut de mythe. Les falsifications, exagérations et autres erreurs de chiffre ne sont là que pour accentuer le côté déjà dramatique de la vie de Semmelweis, lui donner plus de relief. Il faut aussi voir comment les erreurs statistiques viennent à l'appui de la thèse de la persécution : pour montrer que c'est volontairement que les prescriptions de Semmelweis ne sont pas respectées et que l'accoucheur se trouve seul contre les « mesquineries » et les « bassesses ».Certains évènements,nous l'avons vu ,ont été passés sous silence par Céline et cette manoeuvre entre dans le même esprit :il ne dit pas que Semmelweis a refusé,en 1857,une chaire d'obstétrique à l'université de Zurich. De même il ne fait aucune allusion au fait qu'il ait été nommé, en juillet 1858, professeur d'obstétrique théorique et pratique à l'université de Pesth. Pourtant,à la fin du récit,Céline fait comme si il avait été question de cette nomination :il parle des cours de Semmelweis,transformés en « longs développements injurieux »221(*) et mentionne que la Faculté ,ayant constaté que Semmelweis était atteint de troubles de la personnalité, « décida de lui trouver un remplaçant »222(*).Comme pour la lecture des romans,il faut donc se garder de donner une interprétation trop restrictive de ses transpositions mais ne pas oublier de mettre l'accent sur le fait que dans chaque récit célinien,on trouve cette continuité fantasmatique et affabulatrice : Semmelweis s'accorde bien aux autres oeuvres de Céline dans cet ordre de la persécution.

1.4:UNE PREMIERE VISION DU MONDE,UNE PREMIERE DECEPTION :

Présenter une thèse de médecine sur Semmelweis, c'est déclarer que l'on n'a aucun goût pour le travail minutieux des cliniques, pour la collaboration avec une équipe spécialisée : c'est se placer en marge du travail médical. En effet,en 1924,si certains étudiants ont pu aspirer au titre de médecin en présentant une thèse sur la vie d'une figure importante de l'histoire de la médecine,cela demeure plutôt exceptionnel,et,pour la plupart,les thèses de médecine sont techniques. Dans le domaine particulier de l'obstétrique,notons que cette thèse se retrouve,cette année là ,parmi d'autres portant sur la fièvre puerpérale mais qui étudient la maladie elle-même ou ses complications voire révèlent de nouveaux traitements. Il apparaît clairement alors que, d'un strict point de vue médical, voire même d'un point de vue historique, Semmelweis n'apporte à proprement parler rien de nouveau. Ce fut pourtant l'occasion pour Louis Destouches de montrer que sans être un clinicien, il avait une véritable vocation médicale et, sur un autre plan, d'affirmer que, sans être sentimental, il avait un sentiment profond de la souffrance des plus pauvres et une vision, pour ainsi dire « héroïque » de son métier de médecin. Semmelweis était l'image même de l'apôtre, de tous ceux qui se dévouent passionnément pour les hommes, en vain, et ne récoltent que la haine. Pour continuer dans le même ordre d'idée, Guido Ceronetti dans L'année Céline 1991 parle ,à propos de Semmelweis, d'une « figure quasi christique », d'un « saint » précipité « dans le martyre final. »223(*).Au fil de La vie de Semmelweis, la sensibilité coule, apparente et suscite même certains morceaux de pur lyrisme. Le choix de Semmelweis, une victime, et la dramatisation théâtrale des véritables péripéties de la biographie du médecin viennois montrent déjà que se fait jour chez Céline, l'obsession fondamentale de la persécution du juste. Semmelweis est le seul qui, dans son hôpital, soit désintéressé, comme plus tard Bardamu qui, dans son cabinet de banlieue, rechigne à faire payer ses patients : « En ce qui le concerne, il n'avait aucune ambition, il ne cherchait pas non plus ce souci de la vérité pure qui anime les chercheurs scientifiques »224(*). Dés la préface de sa thèse, Céline met en place le postulat de malheur sur lequel va désormais se fonder toute son oeuvre. Il démontre avec l'élection de ce personnage singulier qu'est Semmelweis,  « le danger de vouloir trop de bien aux hommes. »225(*). Le caractère désespérément borné, buté de l'Ecole de Vienne rejoint là le pessimisme que l'on retrouvera plus tard chez l'écrivain Céline. Il entre dans un schéma que nous retrouverons dans les romans successifs, d'un côté une sorte d'absolu de pureté, de transcendance ,qui serait Semmelweis et de l'autre un monde qui se désagrége, se dégrade au point de devenir un « anti-absolu ».Cette recherche de pureté quasi religieuse est présente dés 1924... La vie de Semmelweis est ,en ce sens ,un texte précurseur de ce pessimisme foncier et de cette dichotomie entre un monde idéal, pur, beau et ce monde qui s'enfonce dans la déchéance, se complaît dans la crasse et la médiocrité. Et même au niveau des personnages, entre ce héros quasi christique qu'est Semmelweis et que pourrait être Bardamu et cette horde de médiocres, ces personnages ridicules, grotesques mais gagnants au bout du compte comme peut l'être Klin. En rappelant le combat de Semmelweis, on a ainsi l'impression que c'est bien Céline lui-même qui est en révolte : le « pillage atroce de cette vie lumineuse par la meute de toutes les haines sociales »226(*) est une parabole de la lutte entre la lucidité, incarnée par Semmelweis et l'inertie, celle des médecins viennois. La lucidité est une forme d'aventure, solitaire et douloureuse, incomprise, en même temps que l'inertie est un confort, un moyen de se rassurer. L'étude de la version abrégée de la thèse, les Derniers jours de Semmelweis est, dans ce sens, significative : Céline relate rapidement les principaux événements de la carrière du médecin et reprend intégralement le passage sur son agonie et sa déchéance finale. Alors que le médecin aurait du s'intéresser au combat de l'accoucheur hongrois et à la résistance des milieux médicaux à l'importante découverte, Céline lui, en reste à la fin tragique de Semmelweis. Non seulement il noircit le trait, mais il présente cette fin comme l'aboutissement d'une obscure persécution, dépassant la mesure humaine, relevant de puissances biologiques incontrôlables. Ce qui l'intéresse dans l'histoire de Semmelweis, c'est moins sa « découverte magnifique » que la scène finale où il apparaît comme la victime d'une méchanceté qui aura « la grandeur et la fatalité d'une guerre »227(*). La médecine que propose ici Destouches est une médecine concrète, qui sauve plus efficacement au moment où des pauvres, des faibles ont besoin d'être sauvés : « La médecine, dans l'univers ce n'est qu'un sentiment, un regret, une pitié plus agissante que les autres »228(*).C'est en cela que l'hygiéniste Destouches, qui n'est pas encore médecin, réagit et se sent comme un vrai médecin. Cette thèse signifie que son auteur refuse le seul combat du médecin contre la maladie, et en même temps qu'il méprise les garanties que ce combat exige : dans l'exemple que lui donne Semmelweis, Céline constate qu'un médecin qui n'était rien, un rejeté de l'« establishment », a été le plus savant, le plus efficace des médecins de son époque. Il y a là à la fois un hommage à un authentique héros (considéré comme tel par lui en tout cas) et une critique adressée au corps médical tout entier. En outre, si l'étude biographique de ce personnage hors normes est loin d'atteindre l'objectivité d'un véritable historien de la médecine, elle n'est pas non plus la « petite thèse sans prétention » que son auteur dira avoir écrite « en vitesse ».Plus qu'une biographie a posteriori de Semmelweis, c'est une biographie a priori de Céline qui se dessine : ce qui importe, c'est que la persécution du médecin hongrois soit racontée par le sujet célinien lui-même, avant sa propre histoire. Céline est donc loin de l'enthousiasme rationaliste d'un jeune médecin en début de carrière : il est déçu par la médecine. De plus, faire sa thèse sur un accoucheur, Semmelweis, lui a fait prendre conscience d'emblée que la vie est très tôt mise à mal : si sa vision des hommes, par son réalisme cru, peut apparaître empreinte de pessimisme voire de cynisme, une seconde dimension vient de temps à autre, tempérer cette impression : pour Céline, si l'homme semble irrésistiblement tiré vers la déchéance par sa lourdeur physique et morale, il lui arrive d'échapper à son destin. L'homme trouve une forme de rédemption lorsqu'il refuse son état et cherche à se dépasser et Céline ne cesse d'exalter tous ceux qui, selon lui, se trouvent du côté de la vie. La vie de médecin prend ainsi son sens dans ce combat singulier qu'il livre à la maladie. Dans sa mission guérisseuse, sauveteur plus que soigneur, le personnage du médecin semble entretenir l'espoir...

II : DESILLUSION ET MISERE DE LA MEDECINE

2.1 : DEVOUEMENT, PROTECTION ET CULPABILITE :

Le trait caractéristique de tous les personnages médecins, de Semmelweis à Bardamu, hérité de ce qui semblent être les pratiques mêmes du Docteur Destouches, comme certains témoignages nous l'ont confirmé, est cette disponibilité exemplaire, absolue, pour ceux qui souffrent et qui recherchent des remèdes à leur souffrance. Le médecin est toujours en quête de l'attitude bienveillante qui sera la plus profitable au patient. Le personnage médical est toutefois empreint à de nombreux doutes : sa conscience est tourmentée, écrasée par l'idée qu'elle se fait de son devoir. Cette conscience professionnelle participe au refus de la mort, de la résignation du personnage médical : « Je suis seul avec ma conscience ! (...) moi elle transige pas ma conscience, elle me fait un mouron de tout (...) jamais en quelque circonstance je n'ai pu me résoudre à la mort »229(*).Ce sens des responsabilités correspond à un sentiment de culpabilité manifesté par l'envie de répondre à tous les malheurs ,à toutes les souffrances : « J'effectuais une fois de plus les 2 ou 3 menus simulacres professionnels qu'on attendait et puis j'allais reprendre la nuit ,pas fier ,parce que (...) je n'avais jamais à me sentir entièrement innocent des malheurs qui arrivaient »230(*) ;la médecine est donc avant tout un moyen de soulager la douleur.La guérison,l'apport d'un remède,elle seule peut et doit l'offrir : « Tout douceur ! (...) Morphine 2 c.c ! »231(*).C'est surtout l'idée d'une corruption inéluctable des corps qui est présente,la peur d'une certaine forme de pourrissement qui renvoie directement à une crainte de la mort qui parcourt toute l'oeuvre de Céline :  «J'ai (...) un énorme tas d'horreurs en souffrance que je voudrais rafistoler avant d'en finir »232(*).Cette inéluctabilité de la mort,si elle ne peut être complètement vaincue,peut être repoussée par la médecine et sa pratique :le Céline médecin ,pendant la guerre,redouble son activité médicale et propose même la mise en place d'une armée de volontaires qui ,au lieu de se battre,irait soigner les blessés : « Assez de bras qui frappent ! quelques mains qui réparent ...un peu de charité ,de bonté,de secours actif dans cet énorme charnier »233(*).La médecine telle que Céline la conçoit se doit de secourir,de protéger tous les « faibles »,femmes,enfants , vieillards,pauvres,malades... Céline souligne bien cette faiblesse des personnes à secourir dès Semmelweis : « Chez Klin ne vont en définitive que celles qui parviennent à ces derniers instants, sans argent, sans soutien, pas même celui d'un bras pour les chasser de ce lieu maudit »234(*).Ce genre de situation désespérée permet ainsi au médecin d'éprouver des sentiments « positifs » à l'égard des patients. Ce rapport d'infériorité est indispensable pour que le narrateur célinien oublie sa crainte des hommes et retrouve enfin des sentiments d'amour et de confiance : « Quand ils sont debout, ils pensent à vous tuer... tandis que quand ils sont malades, y'a pas à dire, ils sont moins à craindre »235(*). La maladie est le moteur des romans de Céline mais un moteur fort singulier. Céline s'est, dès le début de sa carrière littéraire, engagé sous la bannière du naturalisme et du réalisme. Le tableau qu'il dresse de l'humanité est fait de chair et de sang, de souffrance de misère, mais il s'y trouve toujours un havre de paix ou de rédemption. La « mystique » célinienne est toujours imprimée d'une certaine forme de christianisme, à laquelle il manque une foi en Dieu que Céline a toujours écarté : « La misère humaine me bouleverse, qu'elle soit physique ou morale, elle a toujours existé, d'accord ; mais dans le temps on l'offrait à un Dieu, n'importe lequel (...). Notre époque d'ailleurs est une époque de misère sans art, c'est pitoyable »236(*).Il y a donc aussi, chez Céline, cet implacable réalisme qui provoque parfois chez le lecteur des réactions de rejet ou d'incompréhension. Pierre Drieu La Rochelle disait d'ailleurs de Céline : « Céline lui est bien équilibré. Céline a le sens de la santé. Ce n'est pas sa faute si le sens de la santé l'oblige à voir et à mettre en lumière toute la sanie de l'homme de notre temps. C'est le sort du médecin qu'il est, du psychologue foudroyant et du moine visionnaire et prophétisant qu'il est aussi »237(*).On retrouve dans D'un Château l'Autre cet hyperréalisme où se côtoient misère et maladie, dans cette description, par exemple, de l'ambiance microbienne à la gare de Sigmaringen : « J'avais des autres calamités ! ...gale, morpions, puces, gonos, poux... et que ça repassait ! Joyeusement !vous auriez dit la gare faite pour !...je voyais aboutir pour finir, une saloperie, un nouveau microbe, un fléau, une rigolade de tréponème, qui pousserait sur désinfectants ! »238(*) .Ou encore dans cette insouciance aveugle devant la vie et la mort : « Et le cas Caron ?... zut ! ...ils voient rien !...ils nient, ils fument, ils rotent, ils sont tout goguenards satisfaits, à peu près certains de vivre cent ans grâce à de ces petites pilules ! »239(*).Un réalisme, un fatalisme même, qui touche d'abord le médecin lui même

2.2 : LE MEDECIN MALADE 

« Pour parler franc, là entre nous, je finis plus mal que j'ai commencé...Oh j'ai pas très bien commencé... Je suis né à Courbevoie, Seine (...) Je suis médecin... »240(*). D'un Château l'autre commence comme c'est le cas de la plupart des romans de Céline, par une entrée en matière qui nous amène sans détour à l'essentiel pour ce qui est de la présentation de la médecine. L'écrivain reprend la plume et il se proclame médecin. Et le médecin est forcément « au plus mal », « fini »...comme l'écrivain d'ailleurs...On peut donc difficilement ne pas confondre l'écrivain et le médecin, les clients et les lecteurs. Même situation, même posture dérisoire et revendicative, même ton comique, agressif, cynique...La médecine permet de faire interférer la misère, l'absurde, la cruauté. Céline en parle d'un point de vue à la fois psychologique, moral, concret,insistant sur la nécessité de plaire et de compter,comme il le fait à propos de ses rapports avec les éditeurs : « La clientèle médicale,de vous à moi,confidentiellement,est pas seulement une affaire de science ou de conscience... mais avant tout,par-dessus tout,de charme personnel »241(*).La médecine apprend bien des choses sur la superficialité des gens,elle confronte à la misère ,ce qui n'a rien de surprenant mais en fait du médecin le premier qui être à en souffrir. C'est donc la misère sociale autant que physique qui frappe en premier lieu. Dés le Voyage au bout de la nuit, Céline avait choisi de se décrire en pauvre médecin des pauvres, description assez peu fidèle, comme nous l'avons vu,à sa situation d'hygiéniste de la SDN ... Le personnage de Bardamu,en effet,ne bénéficie pas vraiment d'une promotion sociale lorsqu'il va « s'accrocher en banlieue » et poser sa plaque de médecin généraliste sur sa porte ,sans autre ambition que de « souffler un peu et bouffer mieux un peu ».Même à ses débuts,le médecin est déjà vieux pour ainsi dire,déjà accablé par l'expérience de la guerre. Dès le début,Bardamu mange peu,dort mal ,est toujours à la limite de l'épuisement : « Le malade pour l'instant ,c'était surtout moi »242(*) constate-t il... Il souffre lui-même constamment de ce fameux vacarme de l'oreille interne qui l'empêche de dormir et le fait souffrir ,ce qui menace son équilibre. Il est lui-même un bien étrange médecin ,qui se présente avec cette vocation de malade perpétuel : « Moi,j'avais la vocation d'être malade (...) je me promenais autour des bâtiments hospitaliers (...) et ne les quittais qu'avec regret ,eux et leur emprise antiseptique »243(*) .Comme pendant la guerre où il attendait la blessure salvatrice ou en Afrique les fièvres qui justifieraient un rapatriement,Bardamu en vient,à chaque fois,à souhaiter une bonne maladie qui le fixerait sur son sort : « J'avais perdu comme l'habitude de cette confiance (...) il m'aurait fallu au moins une maladie,une fièvre ,une catastrophe précise pour que je puisse retrouver un peu de cette indifférence »244(*).On se souvient notamment d'une scène de Mort à Crédit où le narrateur médecin est montré au plus mal, pris de délire. Le médecin est précocement vieux car avant les études de médecine, il y a eu celle de la vie, ou plutôt celle de la mort, le « dépucelage » de la guerre qui initie à l'horreur et à la folie : « Fièvre ou pas, je bourdonne toujours et tellement des deux oreilles que ça peut plus m'apprendre grand-chose. Depuis la guerre ça m'a sonné. Elle a couru derrière moi la folie... »245(*). Le thème de la folie est aussi prépondérant dans le Voyage au bout de la nuit, toujours lié, cependant, au physiologique, à l'organique : la folie est explicitement décrite comme une maladie. C'est à la fin du roman que la maladie mentale trouve son terrain privilégié d'expression, dans l'asile de Baryton : elle est la manifestation des mensonges de l'homme : « la vie n'est qu'un délire tout bouffi de mensonges »246(*).Ce délire, forme physique et visible de la maladie mentale, est omniprésent : « Une marmelade de symptômes de délire » constate même le docteur Baryton. En outre la guerre a provoqué de nombreuses commotions cérébrales parmi les soldats traités au Val de Grâce ou à Issy : « Beaucoup de malades,(...) plus émotifs que les autres (...) se levaient la nuit au lieu de dormir,protestaient tout haut contre leur propre angoisse ,crispés entre l'espérance et le désespoir »247(*).En temps de guerre,la psychiatrie consiste surtout à distinguer les véritables malades mentaux,victimes de commotions cérébrales,des simples simulateurs immédiatement renvoyés sur le front. Bardamu lui-même a été victime d'un accès de folie dont il se demande s'il n'est pas lié à la rencontre de son alter ego, Robinson : « De le rencontrer à nouveau, Robinson, ça m'avait donc donné un coup et comme une espèce de maladie qui me reprenait »248(*).Le paradoxe est, qu'après avoir eu sa propre expérience de la folie,Bardamu doive s'occuper de malades mentaux dans l'asile dirigé par le docteur Baryton ,la fameuse « maison de santé » ,où elle atteint son apogée. Bref, le médecin est à la fois malade et presque fou, plongé dans la même misère que ses patients : « a force de me faire du mauvais sang et de passer entre les averses glacées de la saison, je prenais plutôt l'air d'un espèce de tuberculeux à mon tour »249(*) constate Bardamu. Et Céline y reviendra sans cesse, que ce soit dans D'un Château l'autre, Féerie pour une autre fois, Nord ou encore Rigodon. Mais il n'y a pas que son propre cas de médecin écrivain .Le motif du docteur malade est,d'une certaine manière, emblématique :on trouve,dans Guignol's band,un médecin bien mal en point,l'interne du London Hospital,Clodovitz, jeune, mais pourtant « perclus,souffreteux,traviole et des arthrites plein les jointures »250(*).Rigodon n'est pas en reste,avec cette scène entre le médecin narrateur délirant à l'extrême et le médecin revenant, Vaudremer,lui-même souffrant mais qui rend tout de même visite à son collègue... Dans son souci de mettre en relief cette misère de la médecine,Céline développe également le motif du médecin se faisant ausculter,sachant que l'auscultation est aussi une humiliation ,une mise à nu,sachant que le nu n'a rien de très glorieux (sauf quand il s'agit de certaines femmes) chez Céline...Ainsi le docteur Destouches se fait lui-même ausculter dans Féerie pour une autre fois...Dans D'un château l'autre, le médecin ausculté et rabaissé se trouve être cette fois un officier nazi,médecin chef de Siegmaringen ayant donc le pouvoir de vie et de mort sur le narrateur et sur ses proches : « A ce moment là Traub change de figure,de mine...(...) il me parle autrement (...) « est ce que je suis un peu spécialiste ?... » Oh non ! ... mais je connais un peu... (....) « Voulez vous m'examiner ? » - Certainement ! Otez votre pantalon, je vous prie !... » (...) il se décontracte, il se met on dirait en confiance... à table ! Il m'avoue (...) que son hostau est un enfer !... une lutte, un pancrace entre les services ! Médecins ! Chirurgiens !bonnes soeurs ! »251(*).Pourquoi faut il que le médecin soit malade, au moins autant, sinon plus que ses clients ? Est-ce un choix quasi masochiste de l'échec ? Un besoin de se précipiter au coeur de la misère et de la souffrance ? On pourrait expliquer cela comme une transcription du voyage de l'hygiéniste Destouches dans les usines Ford en 1925 : Dans le Voyage au bout de la nuit, Destouches n'a plus ce regard extérieur du médecin : il est l'un des leurs, il est, lui aussi, un ouvrier comme les autres, écrasé par les machines. Le médecin ne doit pas être au dessus du lot, comme un observateur au dessus de la fange, mais au contraire impliqué de toute son âme et de tout son corps, et jusqu'à l'écoeurement, dans les conditions les plus misérables.Le médecin, dans les romans de Céline, ne peut être lui-même en bonne santé. Mais on ne s'étonnera pas non plus du fait qu'il n'est pas capable de soigner et encore moins de guérir ses malades.

2.3: LA MEDECINE IMPUISSANTE :

Le plus souvent, le médecin, dans les romans de Céline, ne guérit pas. Il soulage même a peine... Il se contente plutôt d'être un témoin abattu, défait du règne de la souffrance. Ainsi le docteur Bardamu ne sait que s'asseoir et attendre tête basse pendant qu'une jeune avortée perd inexorablement son sang, goutte à goutte. Cette scène est peut être une des plus choquantes du Voyage au bout de la nuit. Peu d'autres passages, en tout cas, signifient avec plus de force l'impuissance de la médecine : «Je voulus l'examiner, mais elle perdait tellement de sang, c'était une telle bouillie qu'on ne pouvait rien voir de son vagin (...) Trop d'humiliation, trop de gêne portent à l'inertie définitive. Le monde est trop lourd pour vous »252(*).Dans le même roman,Bardamu s'agite davantage pour Bebert,le fils de la concierge,fait même tout son possible ,mais il n'obtient pas plus de résultat,échoue ,lui et toute la médecine ,présentée à cette occasion sous un jour bien dérisoire.

Il est vrai que l'exercice de la médecine se pratique le plus souvent dans les pires conditions, celles de la guerre ou des débâcles qui s'ensuivent. Par ailleurs il resterait à voir si les consultations du médecin dans les romans évoquent également la pratique de l'illustre obstétricien Semmelweis. Dans le Voyage,Bardamu est appelé au chevet de femmes en couches. Les deux fois il s'agit de grossesses qui sont tragiquement interrompues. Femmes « à la dérive »253(*) qui avortent ou perdent tout leur sang par des vagins où  suintent des caillots. C'est par exemple  aussi, dans D'un Château l'autre, l'humiliation de « toucher » sans gants, et les mains sales qui plus est, une femme sur le point d'accoucher dans un train : « Je touche... mais sans gants ! ...où me laverais je les mains ?... jamais j'ai été si humilié, misérable, « toucher » sans gants ! »254(*).Un comble pour un docteur qui a fait sa thèse sur I.P Semmelweis, l' « accoucheur aux mains propres »... Idem dans Bagatelles pour un massacre où l'on trouve une scène qui paraît tirée de Semmelweis. Le pamphlétaire-narrateur y relate les examens gynécologiques d'un médecin russe (le docteur Toutvabienovitch...)ne respectant pas les précautions d'hygiène élémentaires,examinant les femmes à toute vitesse ,les unes à la suite des autre avec un « jet de permanganate » pour tout antiseptique  : «Il manipulait fort crânement avec une rude dextérité tous ces attirails en déroute (...) un petit jet de permanganate et floutt !... je te plonge dans une autre motte ,la moitié du bras (...) pas une seconde de perdue !... comme ça ! Mains nues !... velues... dégoulinantes de pus jaune... sans doigtier absolument »255(*).  Dans le même registre, c'est également le manque de soufre ou de mercure pour soigner les femmes de Sigmaringen, dans D'un château l'autre, ou encore l'obligation de faire des piqûres sans avoir désinfecté l'aiguille dans Nord : « Alors morphine !... J'injecte...le Revizor d'abord... et puis les deux dames... la même seringue les trois...et la même aiguille ... »256(*)Ce manque de moyens atteint de telles proportions qu'il finit, comme souvent chez Céline, par déboucher sur un cynisme à la limite du supportable... Dans Nord, par exemple, lors d'un dialogue entre le narrateur et l'un de ses collègues : « Je lui raconte que moi-même médecin du Chella j'ai du faire une nuit plus de 200 piqûres... la même façon ! ...Aucun abcès ! (...) horreur pour horreur, il me raconte que, prisonnier à Krasnodar il avait dû amputer, à vif, absolument sans chloroforme, toute une salle de prisonniers russes... Harras ! ... comme Ambroise Paré ! - Oh les russes, remarquables, confrère ! ... les bêtes se plaignent, eux presque jamais !...et encore en plus, vous savez ce qu'ils me demandaient ? Puisque j'y étais ?... Que je leur arrache une dent !... deux dents !... en plus de leurs jambe... très rares les dentistes chez eux... » »257(*).

Les conditions sont donc effroyables, mais l'impuissance de la médecine n'en est pas pour autant seulement conjoncturelle... Céline est très clair là-dessus. Car, tout d'abord, et c'est le premier point, il n'y a pas de progrès de la médecine du point de vue du narrateur: « Progrès ! ... ils sont comme les ministères, ils se montent, on les gonfle, ils se défont... le temps de les voir, ils existent plus... »258(*).Et tant pis si le même homme a défendu avec vigueur, enthousiasme et lyrisme, dans sa thèse de doctorat, un certain Semmelweis, qui a fait faire à la médecine le progrès décisif de la prévention des infections de l'accouchement en insistant sur l'hygiène. Il est vrai que dans l'univers chaotique que nous décrit Céline, ce progrès, on l'a vu, ne peut guère être efficacement mis en pratique. Les médecins en sont donc réduits, dans cet univers, à distribuer des remèdes de fortune : les deux fameux CC de morphine dans D'un Château l'autre ; à faire en outre de dérisoires prescriptions : les nouilles, toujours dans D'un Château l'autre, réminiscences de l'enfance, au cours de laquelle la morale a été inculquée « à coups de torgnoles »...Des nouilles, de l'abstinence, pas d'alcool, pas de sexe... Voilà ce que préconise le docteur Destouches en cas de douleur à la prostate : « Vous Traub, vous ferez attention c'est tout ! vous vous surveillerez...pas d'alcool...pas de bière... pas d'épices... pas de cöit »259(*).Des prescriptions dérisoires,essentiellement hygiéniques, des soins minimes, pas d'opérations chirurgicales mais surtout, surtout : attendre que cela passe...Car de toute façon,les malades ne tiennent pas tant que ça à guérir,c'est à leur maladie qu'ils tiennent...L'univers misérable de Rancy modifie les conditions de la pratique médicale de Bardamu : les malades sont dominés par d'autres impératifs que leur guérison :étant donné la situation économique des habitants de Rancy,la santé ne leur vaut plus rien ;la seule chose nécessaire,c'est la sécurité financière : « Ils comptaient sur leur tuberculose pour se faire passer de l'état de misère absolue où ils étouffaient depuis toujours à l'état de misère relative que confèrent les pensions gouvernementales minuscules (...) la guérison ne venait que bien après leur pension dans leurs espérances »260(*). Ses malades sont dominés par les soucis économiques qui, en partie, définissent leur univers. Puisque le médecin épouse leur « cause » et essaie de leur être utile,il travaille non pas pour une guérison mais pour une continuation,au moins apparente,de leur maladie,ce qui justifierait l'allocation de la pension tellement souhaitée. Bardamu pratique, en quelque sorte, une fausse médecine. Plus étrange encore, ces maladies sont également un divertissement contre le néant et l'ennui absolu, comme le fait remarquer avec justesse Gustin à Ferdinand, dans Mort à Crédit: « Aux malheureux, retiens mon avis, c'est l'occupation qui manque, c'est pas la santé... Ce qu'ils veulent c'est que tu les distrayes, les émoustilles, les intrigues avec leurs renvois...leurs gaz...leurs craquements... que tu découvres des rapports, des fièvres... (...) que tu t'étendes.... Que tu te passionnes... C'est pour ça que t'as tes diplômes... »261(*).On peut retrouver les échos d'un tel discours dans Guignol's band où les malades et les blessés, au nombre desquels le narrateur lui-même, exhibent fièrement leurs diverses plaies et blessures et en font même d'authentiques sujets de conversation... Le médecin soulage parfois, et c'est déjà beaucoup, quand il réussit à divertir les malades, mais surtout, il a pour véritable pouvoir d'abréger pour de bon leur souffrance en leur donnant la mort. La mort est en quelque sorte tout ce dont le médecin dispose comme arme pour se guérir de la maladie de la vie. Ainsi, dans D'un château l'autre, ces conseils hallucinants pour un suicide réussi : « Les gens qui peuvent plus se passent au gaz... la belle affaire ! Pensez que j'en connais un petit bout, en trente cinq ans de pratique (...) ils réussissent pas à tous les coups, de loin ! (...) Non ! Le gaz est pas une bonne affaire !... le plus sûr moyen croyez-moi, j'ai été consulté cent fois : le fusil de chasse dans la bouche ! Enfoncé, profond !... et pfang !... vous vous éclatez le cinéma !... un inconvénient : ces éclaboussures ! »262(*) .Tout comme l'insistance, dans le même roman et dans Féerie pour une autre fois, sur le seul véritable pouvoir du médecin, si démuni de tout par ailleurs : il posséde en effet du cyanure : « Jamais j'ai trahi les confiances, jamais j'ai rien abandonné ! ... ni un malade ni un soldat, ni un animal !... du cyanure tout de suite, et en joie... »263(*).Les médecins sont fondamentalement impuissants car c'est la vie elle-même qui est malade... Une citation de Montaigne, dans les Essais, illustre cette maxime : « Mais tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant ».Si Montaigne propose des solutions à cet état de fait, en s'engageant dans la voie de la sagesse, Céline en reste à ce constat désespéré de cette imperfection de la vie et ne cesse de se confronter à la mort la plus concrète en tant qu'écrivain et médecin.

2.4 : VERS UNE MEDECINE PLUS PROCHE DES HOMMES :

Le monde pour Céline est sans illusion et sans maquillage. Il nous présente les hommes tels qu'il les voit vivre, souffrir et mourir. Céline lui-même le dit, ses romans « payent » avant tout parce qu'ils se situent du côté de la vérité et ne s'accommodent pas de faux semblants. C'est exactement le cas des médecins qui, parce qu'ils sont du côté du corps, ne s'en laissent pas compter : « L'esprit est content avec des phrases, le corps c'est pas pareil, il lui faut des muscles .C'est quelque chose de toujours vrai un corps, c'est pour ça que c'est presque toujours triste et dégoûtant à regarder »264(*). Cette vérité, comme on pouvait s'y attendre, n'est donc pas très belle à voir. Ce que le médecin et l'écrivain rencontrent c'est la peur, la cruauté, la souffrance, bref toute la misère de la condition humaine : « La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde, c'est la mort »265(*), affirme avec force Bardamu dans le Voyage. Difficile de tromper un médecin ayant pris l'habitude d'aller directement au coeur des choses. Une scène du Voyage est particulièrement saisissante à ce propos : alors que sa fille se vide de son sang, la mère jouit littéralement d'avoir enfin une occasion de jouer la comédie .Mais rien n'échappe à l'oeil du médecin-ecrivain des rapports entre les individus et de la « comédie sociale » :« La mère ne regardait rien, n'entendait qu'elle-même « j'en mourrais docteur ! Qu'elle clamait. J'en mourrais de honte ! »Je n'essayais point de la dissuader. Je ne savais que faire (...) elle tenait le rôle capital, entre la fille et moi. Le théâtre pouvait crouler, elle s'en foutait elle, s'y trouvait bien et bonne et belle. Je ne pouvais compter que sur moi-même pour rompre ce merdeux charme »266(*).

Certes, nous avons vu que le médecin s'avérait impuissant dans cette circonstance. Mais le narrateur et le médecin ont encore cette petite supériorité qui est celle du regard qui ne se laisse pas envoûter par les illusions de la comédie humaine. Au début du Voyage, Bardamu, blessé au front, se voit conduit dans un hôpital de fortune à Issy les Moulineaux : « Nous étions hébergés ,nous les blessés troubles ,dans un lycée d'Issy les Moulineaux (...)on ne nous traitait absolument pas mal,mais on se sentait tout le temps,tout de même ,guetté par un personnel d'infirmiers silencieux (...) après quelques temps de soumission à cette surveillance,on sortait discrètement »267(*).L'organisation de l'hôpital prend ici une allure spécifique de lieu d'inquisition et de jugement permanent ,avec un développement de ce champ lexical ,« guetté »,  « soumission », « surveillance », en même temps qu'il est un endroit de menace et de mort : « les médecins s'promènent dans des mines toujours affables,la condamnation à mort ».Tout ,ici ,va a l'encontre du fonctionnement normal de ce type d'institution. Et cela dans un but bien précis :remettre dans les droit chemin des soldats dont l'idéal patriotique s'effrite ou paraît même complètement absent : nouvelle preuve que la vocation de ce lieu faisant office d'hôpital n'est pas la guérison mais plutôt un certain traitement moral .Bardamu est ensuite amené au Val de Grâce ,décrit assez sommairement : « citadelle ventrue si noble et toute barbue d'arbres (...) nous ne fîmes pas long feu au Val »,puis à l'hôpital Bicêtre où les angoisses ,les peurs,restent les mêmes : « Ici,à l'hôpital,comme dans la nuit des Flandres,la mort nous tracassait. »268(*).Bicêtre se situe dans le même univers que l'hôpital d'Issy : l'univers guerrier est mêlé à l'univers hospitalier. Preuve en est l'entrée en scène du médecin chef Bestombes : « Tout content de nous voir, qu'il semblait, toute cordialité dehors »269(*).S'ensuit un vif discours patriotique, visant à encourager le retour des hommes au front, un discours sonnant de manière très discordante aux oreilles de Bardamu, impression corroborée par les termes « mimiques »270(*) ou « entonne »271(*), qui transforment l'hôpital Bicêtre en un immense théâtre de la fausseté. Le regard du narrateur est, on peut le dire, un regard « clinique ».Pas seulement sur le plan scientifique...Le regard du médecin va au plus profond des choses,voit ce que les autres ne voient pas. De même, dans D'un Château l'autre le narrateur a le privilège de voir « l'envers » des anciens puissants du régime de Vichy, jusqu'à la description et la connaissance précise de la prostate de chacun d'entre eux. C'est un procédé cher à Céline : imaginer ou montrer les hommes, surtout les plus respectables, surtout les plus puissants dans un état de complète nudité, afin qu'ils en perdent leur « sale prestige »272(*).Nus, c'est-à-dire réduits à l'état de corps matériels, à leur vérité la plus crue d' « asticots mous et roses ».Dans D'un Château l'autre,le commandant Raumnitz devient « là,allongé sur ce lit,à poil,il est comme il est,ancien athlète épuisé... les chevilles enflées... (...) les muscles fondus, flasques...le squelette encore présentable... »273(*).Mais comme l'abbé Protiste dans le Voyage au bout de la nuit ,l'homme nu « ne reste plus devant vous en somme qu'une pauvre besace prétentieuse et vantarde qui s'évertue a bafouiller futilement dans un genre ou un autre »274(*). Médecin voyeur certes, mais aussi médecin à l'écoute : le personnage médical célinien préfère une médecine plus humaine, plus proche des hommes, à l'écoute de leurs souffrances. Dans D'un château l'autre, il se définit comme médecin tel qu'il le conçoit : « Moi c'est vu... je suis le Docteur « tant mieux »... (...) préposé : « remonteur de moral... »275(*).La pratique médicale chez Céline s'affirme aussi comme un point de rencontre, un espace de relation que le médecin entretient avec les autres hommes. Cette possibilité de contact et d'échange oral avec le patient va bien au-delà des problèmes de santé...Elle va s'étendre à l'environnement social et familial du patient. Cette psychologie médicale doit permettre de mieux comprendre en se rapprochant de la vraie souffrance. La pratique du docteur Destouches dans les dispensaires lui a vite appris à tenir compte des conditions de vie du malade, loin des abstraites considérations médicales. Il s'agit là de proposer une solution à chaque cas. Cette pratique médicale ne s'apprend pas seulement dans les livres ou par l'intermédiaire de grandes idées sur la profession : « On agite bien pour la galerie ,les grands problèmes comme on dit (...) rien de tel qu'un grand problème pour dissimuler flatteusement une radicale inaptitude à saisir les humbles contingences de la réalité,les exigences de la vie même »276(*).La sensibilité et l'intuition prédominent sur une connaissance froide et déshumanisée .Céline apparaît plus comme un humaniste que comme un véritable homme de science. S'il ne fut peut être pas un grand médecin, il fut toujours à l'écoute de ses patients. L'intégration de la médecine à l'univers misérable bouleverse la relation entre Bardamu, le narrateur du Voyage, et cet univers. Son attitude personnelle et sa profession semblaient aller de pair pour l'opposer à l'univers misérable et pour lui imposer la tâche de vaincre cet univers. Bien qu'il soit à l'intérieur de l'univers misérable à Rancy et quoique la médecine qu'il pratique soit partie prenante de cet univers, Bardamu fait en sorte, pendant quelque temps, de ne pas se laisser dominer par celui-ci. A plusieurs reprises, il refuse ou n'exige pas ses honoraires. Il justifie ainsi ce désintéressement au sujet de l'argent : « Les malades ne manquaient pas, mais il n'y en avait pas beaucoup qui voulaient payer. (...)Ils n'en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au cinéma les malades, faut il encore en prendre du pognon pour faire des honoraires avec ? ». L'apport thérapeutique de la science semble donc bien mince :Céline, tout au long de son oeuvre va ainsi nous montrer son mépris de la recherche scientifique et des chercheurs, réduits à l'état de simples fonctionnaires. Ainsi dans le Voyage au bout de la nuit avec la description de l'institut Bioduret-Joseph et les préoccupations toutes matérielles du docteur Parapine : Bardamu se dit ,un jour,qu'il ferait bien d'aller consulter ,à propos d'un cas de typhoïde,ce savant reconnu qu'est Parapine. Mais ce dernier « avait appris lui, en vingt années,tellement de choses et des si diverses et de si souvent contradictoires sur le compte de la typhoïde,qu'il lui était devenu bien pénible à présent et comme qui dirait impensable,de formuler au sujet de cette affection si banale (...) le moindre avis net ou catégorique ».En réalité,Parapine n'attend rien de la recherche mais se préoccupe d'obtenir un prix d'académie pour pouvoir s'offrir un voyage à Venise... Céline exprime là un profond dégoût pour la médecine dont le principal souci est le profit personnel et l'avancement de la carrière, préférant les spéculations abstraites à la recherche d'un véritable remède. A cet opportunisme s'ajoute une pratique de la médecine dénuée de la moindre once d'humanité, voir même empreinte de violence, en témoigne cette violente diatribe contre les chirurgiens dans D'un Château l'autre : « Vous avez un fils qui se destine ? Se sent il réel assassin ?... inné ?décerveleur ? (...) qu'il le proclame, il a le don !... La chirurgie est son affaire ! Il a l'étoffe du grand patron ! »277(*)..La pratique médicale de Céline est aux antipodes : elle est avant tout une affaire de relation et d'échange, de compréhension de l'autre : « Avec la médecine (...), je m'étais bien rapproché des hommes »278(*).La recherche d'une profonde relation humaine à autrui est recherchée à travers la médecine ainsi qu'une prédominance de la sensibilité et de l'intuition sur une connaissance scientifique froide et déshumanisée.

CONCLUSION :

Si Louis Destouches est toujours resté fidèle à ce but premier de la médecine qu'est le soulagement des peines et de la douleur, il a aussi toujours insisté sur la nécessité d'une médecine rentable axée sur l'efficacité. Il n'y a aucun domaine touchant à la médecine où il n'ait été présent : jamais titulaire des pleins pouvoirs, toujours un peu en marge ce qui lui permet d'y être mais surtout d'observer. La recherche, la médecine internationale, l'industrie pharmaceutique, la médecine en dispensaire, la médecine coloniale... il n'y a pas de branche dans laquelle puisse s'exercer l'art médical dans laquelle il ne se soit investi, avec une compétence parfois limitée certes, mais toujours avec dévouement. Mais à cette image de la vie médicale du docteur Destouches correspond aussi la vision qu'il avait de la médecine. Vision complexe car s'y superposant finalement plusieurs images.

D'abord celle d'une médecine toute puissante, auréolée de prestige : un médecin « c'était un seigneur » lorsqu'il venait soigner dans le quartier du jeune Destouches à Paris. Mais à cette forme de puissance correspond une impuissance totale face à la mort. Alors la médecine devient « cette merde »279(*)incapable et dévalorisée. Céline demeura également toute sa vie hantée par cette vision complexe : adapter les moyens d'une médecine populaire aux conditions de vie moderne du prolétaire, médicaliser le malade travailleur. Sa position épouse deux lieux communs contradictoires :d'un côté un certain conservatisme défendant une médecine privée confinée à son exercice,en cabinet,et de l'autre un certain progressisme défendant un système de soins socialisés pour le prolétaire. A une médecine proche du malade,à son écoute,à son chevet s'oppose donc ,de prime abord,une médecine statistique,standard,oeuvrant pour le plus grand nombre et négligeant les cas. Une ambiguïté qui, sur le plan purement scientifique semble totalement inconciliable. Il n'en reste pas moins que la pensée sanitaire du Docteur Destouches nous est également d'autant plus précieuse qu'elle permet de revenir aux sources paradoxales du devenir-écrivain de Céline.

Mais l'amélioration de l'hygiène, de la médecine du travail ou des habitudes alimentaires ne changerait que superficiellement les choses car, pour Céline, l'homme est vicié au départ, « loupé » en quelque sorte. C'est une des nombreuses contradictions du personnage mais en même temps elle se comprend de par sa fonction de médecin. Il nous faut donc faire la part des choses : lorsque l'écrivain travaille dans l'absolu, il est en plein pessimisme et même l'exercice de l'écriture ne saurait masquer la faillite de l'homme, son irrémédiable échec. En revanche, lorsque le médecin s'exprime, par la force des choses, il oeuvre à un niveau relatif où l'action est souhaitable et réalisable. Changer la nature profonde de l'homme, l'anoblir n'est pas réalisable. L'améliorer quelque peu par l'hygiène et la médecine du travail, en revanche, l'est. C'est cette soif d'absolu en tant qu'écrivain qui rend Céline parfois amer et son goût pour la perfection des corps, des émotions et du style qui le rend exigeant. Mais c'est bien son sens des réalités qui en fait un homme d'action. Son engagement se fait sur le « terrain »,dans le sens où il essaie de surmonter l'absurdité de la vie,l'imperfection de l'Homme par une activité à son service,qui aille dans le sens de son amélioration,mais surtout dans une atténuation du malheur et de la misère comme il l'écrit dans Bagatelles pour un Massacre : « Permettre à l'homme une vie à peu près supportable »280(*).Nous ne sommes donc pas ,en ce qui concerne Céline ,en présence d'une contradiction entre l'écrivain et le médecin :la fiction romanesque permet une approche plus rigoureuse de la vérité de ce monde et de la condition humaine ;l'écrivain approfondit,en quelque sorte,le point de vue du médecin hygiéniste. En effet, en ce qui concerne les idées sociales, surtout médicales, exprimées tant dans ses écrits professionnels que littéraires, nous constatons une remarquable continuité. Le médecin et l'écrivain travaillent simplement dans des sphères différentes : le médecin toujours dans le relatif et l'écrivain toujours dans l'absolu. On ne peut isoler l'un de l'autre. Dans la plupart des entretiens accordés par Céline, leur association se fait sur le mode d'un reniement de toute vocation littéraire et l'affirmation d'une vocation médicale. Celle ci serait un rêve d'enfant, l'autre un accident purement alimentaire. Il insistera d'ailleurs d'autant plus sur cette idée qu'il sera de moins en moins médecin et de plus en plus écrivain... Les publications romanesques prenant largement le dessus dès après la publication du Voyage au bout de la nuit (rappelons que le dernier texte purement médical, « Pour tuer le chômage, tueront ils tous les chômeurs » date de 1933).Et les reproches qu'adresse Céline à la littérature sont nombreux, notamment en raison de l'illusion qu'elle crée. Encore moins que la médecine elle aura été un refuge pourtant tant recherché.

Tous les aspects, et de l'écrivain et du médecin forment donc la vie de cet homme. La dualité Céline/Destouches et Ecrits médicaux/Romans est finalement unifiée, elles sont les deux versants d'une même vocation, vouée à l'échec, confrontée inéluctablement à la mort, thématique par excellence du tragique célinien, ennemi tôt ou tard vainqueur de la médecine et des médecins. Céline se démarque en effet des autres romanciers médecins,Franck G Slaughter ou encore le français André Soubiran ,qui tous deux n'ont cherché qu'à décrire une activité médicale en la rendant accessible à la compréhension du public ,tout en essayant d'y mettre un peu de l'esprit qui anime cette profession. Les préoccupations de Céline ont été tout autres : comme on l'a vu, il a cherché d'abord à transmettre sa vision poétique du monde, à montrer les hommes sous un jour particulier à travers un message d'abord émotionnel et mystique. Fidèle à sa vocation, Céline a projeté son regard de médecin sur le monde avec toute la puissance du langage de l'écrivain.

BIBLIOGRAPHIE

OEuvres de Céline :

Romans 1.Voyage au bout de la nuit, Mort à Crédit, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1981

Romans 2.D'un Château l'autre, Nord, Rigodon, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1979

Romans 3.Casse Pipe, Guignol's Band I et II, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1988

Romans 4.Féérie pour une autre fois I et II, Entretiens avec le professeurY, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1981

Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1924 (1999)

L'Eglise, Paris, Denoël, 1929 (1937)

Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932 (1997)

Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937

L'Ecole des Cadavres, Paris, Denoël, 1938

Les Beaux Draps, Paris, Nouvelles Editions Françaises, 1941

D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957(2002)

Autres écrits de Céline :

Cahiers Céline II : Céline et l'actualité littéraire 1957-1961, Paris, Gallimard, 1976

Cahiers Céline III : Semmelweis et autres écrits médicaux, Paris, Gallimard ,1977

Cahiers Céline IV : Lettres et premiers écrits d'Afrique 1916-1917, Paris, Gallimard, 1978

Cahiers Céline V : Lettres à des amies, Paris, Gallimard, 1979

Cahiers Céline VI : Lettres à Albert Paraz, Paris, Gallimard, 1980

Documents sur Céline :

Année Céline 1990, Du Lérot/IMEC Editions, Tusson-Paris, 1991

Année Céline 1991, Du Lérot/IMEC Editions, Tusson-Paris, 1992

Année Céline 1993, Du Lérot/IMEC Editions, Tusson-Paris, 1994

Année Céline 1996, Du Lérot/IMEC Editions, Tusson-Paris, 1997

Année Céline 1998, Du Lérot/IMEC Editions, Tusson-Paris, 1999

Les Cahiers de l'Herne : Céline, Editions de l'Herne, Paris, 1972

Etudes sur Céline :

ALMERAS Philippe, Céline entre haines et passion, Paris, Robert Laffont ,1994

ALMERAS Philippe, Dictionnaire Céline, Paris, Plon, 2004

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BARDECHE Maurice, Louis Ferdinand Céline, Paris, La Table ronde, 1986

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GIBAULT François, Céline 1, Le temps des espérances 1894-1932, Paris, Mercure de France, 1977

GIBAULT François, Céline 2, Délires et persécutions 1932-1944, Paris, Mercure de France, 1985

GIBAULT François, Céline 3, Cavalier de l'apocalypse 1944-1961, Paris, Mercure de France, 1981

GODARD Henri, Poétique de Céline, Paris, « Bibliothèque des idées », Gallimard, 1985

GUENOT Jean,L.F Céline,Damné par l'écriture,Paris,Diffusion M.P,1973

HENRY Anne, Céline Ecrivain, Paris, L'Harmattan, 1994

HINDUS Milton, L.F Céline tel que je l'ai vu, Paris, Editions de l'Herne, 1969

HUON de KERMADEC Philippe, Thèse médicale, Contribution à la biographie de L.F Céline : les années Destouches, Paris, 1976

MORAND Jacques, Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline, Paris, LGDJ, 1972

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PAGES Yves, Les Fictions du Politique chez Céline, Paris, Le Seuil, 1994

RICHARD Jean Pierre, Nausée de Céline, Montpellier, Fata Morgana, 1973

ROSSEL-KIRSCHEN André, Céline et le Grand mensonge, Paris, Mille et une nuits, 2004

ROUSSIN Philippe, Misère de la Littérature, terreur de l'Histoire, Paris, NRF Essais,Gallimard, 2005

VITOUX Frédéric, La vie de Céline, Paris, Grasset, 1988

Autres Ouvrages :

ACKERKNECHT Erwin.H, La médecine hospitalière à Paris (1794/1848) trad.F.Blateau, Payot, Paris, 1986

BOURDELAIS Patrice (sous la direction de), Les Hygiénistes : enjeux modèles et pratiques, Paris, Belin,  2001

DACHEZ, Histoire de la médecine, de l'Antiquité au XX è siècle, Paris, Tallandier, 2004

FOUCAULT Michel, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1966

GUILLAUME Pierre, Le rôle social du médecin depuis deux siècles (1800-1945), Paris, Association pour l'étude de l'histoire de la sécurité sociale, 1996

HEMPEL Carl, Eléments d'épistémologie, Paris, Armand Colin, 1996

LECOURT Dominique (Sous la direction de), Dictionnaire de la pensée médicale, Paris, PUF Quadrige, 2003

SLAUGHTER F.G, Cet Inconnu Semmelweis, Paris, Presses de la cité, 1958

SOURNIA Jean Charles, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte Poches, 1997

THUILLIER Jean, La vie passionnée de Semmelweis, Paris, Editions Josette Lyon, 1996

TUBIANA Maurice, Histoire de la pensée médicale- les chemins d'Esculape, Paris, Champs Flammarion, 1995

Revues et publications :

Le Bulletin Célinien, périodique mensuel, n°161(février 1996) « Drieu, Céline et la fin du monde... » Par Frédéric Saenen, n°177 (juin 1997) « Entretien avec le docteur Destouches » par Michel Pacaud, n°208 (avril 2000) « Semmelweis et Céline » par François Klotz,n°210 (juin 2000), «Le Docteur Destouches à Sartrouville », Bruxelles

Le Point ,21 octobre 2004,

Le Nouvel Observateur, 25 avril-5 mai 1999, « Voyage au bout de la haine »,P.A Taguieff interviewé par Laurent Lemire.

Le Magazine Littéraire, Hors série n°4 consacré à Louis Ferdinand Céline, 4é trimestre 2002

INDEX DES NOMS DE PERSONNES :

Abatucci (docteur): 14

Auenbrugger,Leopold: 63

Aymé,Marcel: 33

Barcht (professeur):66,67,68

Bernard,Léon:19, 20, 59

Bichat (Xavier) 63

Birley (professeur) 69

Bleuler (Eugene): 43

Blum,Léon: 23

Brindeau (professeur): 3, 12, 65

Broussais ,François: 63

Brumpt (Professeur): 14

Ceronetti (Guido): 73, 75

Corvisart ,Jean-Nicolas 64

Debré,Robert: 19, 24

Delbet (professeur): 12

Drieu La Rochelle,Pierre: 34, 79

Duhamel, Georges:55

Follet, Anasthase:10, 11, 19, 33

Gallier, 21, 27

Gunn, Selskar:9, 12, 13

Györy,Tibérius de: 73

Hahnemann Samuel: 64

Hebra (docteur)69

Hempel, Carl:70

Hitler,Adolf: 56, 59

Hogarth (docteur): 28, 59

Ichok,Grégor:20

Karafiah,Judith 72

Klin (professeur) 66, 68, 73, 76, 78

Kolletchka (professeur) 68, 73

Laennec,René: 19, 20, 63

Le Corbusier,François: 33

Lesky,Erna: 64

Lick, 48

Lwoff,André:11

Malouvier (docteur) 24, 27

Marechal (professeur) 12

Münthe,Axel: 62

Pasteur,Louis: 11, 31, 35, 64, 68

Pinard,Adolphe: 72

Porée (Docteur)12

Rachjman,Ludwig13, 15, 19, 22, 58

Rockefeller (fondation), 9, 10, 11, 13, 31, 33, 37, 65

Rokitansky,Karl 63, 66

Semmelweis,Ignace-Philippe: 3, 5, 12, 31, 40, 42, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 83, 84, 94, 96, 100

Shryock, Richard H:42

Skoda,Joseph 42, 63, 66, 69

Slaughter,Franck.G: 73, 93

Soubiran,André:93

Thailhefer (professeur) 8

TABLE DES MATIERES :

INTRODUCTION : p.1

I :CELINE MEDECIN p.6

1. LES DEBUTS MEDICAUX DE LOUIS DESTOUCHES 1917-1924 p.6

· 1.1 : La vocation médicale de Louis Destouches

· 1.2 : Etudes et débuts médicaux

2. CELINE MEDECIN HYGIENISTE 1924-1927 p.13

· 2.1 :L'entrée à « L'Eglise »

· 2.2 : Les premiers travaux pour la SDN : la mission américaine

3. CELINE MEDECIN DE BANLIEUE ET D'AILLEURS 1927-1961 p.19

· 3.1 : Départ de la SDN : premières expériences en cabinet

· 3.2 : Médecin en dispensaire,visiteur médical...et écrivain

· 3.3 : Le docteur Destouches

· 3.4 : Céline médecin pendant et après la guerre

II :LA PENSEE HYGIENISTE : p.31

1. LE DISCOURS HYGIENISTE p.31

· 1.1 : Aux origines de la passion pour l'hygiène

· 1.2 : Fordisme, taylorisme et hygiène dans les années 1920

· 1.3 : Les solutions préconisées par l'hygiéniste

· 1.4 :L'idée de la médecine standard : nihilisme thérapeutique de Céline

2. POUR UNE MEDECINE DU TRAVAIL  p.44

· 2.1 : Le facteur Travail

· 2.2 : Une politique économique de santé publique

· 2.3 : Une nouvelle division des tâches et des corps

3. UN HYGIENISME ANTISEMITE : MISERE DE CELINE : p.54

· 3.1 : Céline témoin de la décadence sociale :de l'hygiénisme à l'eugénisme

· 3.2 : Le médecin antisémite

III :LE MEDECIN CELINIEN : p.62

1. L' « IDEAL » SEMMELWEIS : p.62

· 1.1 :L'école de Vienne

· 1.2 : Le personnage Semmelweis

· 1.3 : Une biographie particulière

· 1.4 : Première vision du monde et première déception...

2. DESILLUSION ET MISERE DE LA MEDECINE : p.77

· 2.1 : Protection,dévouement et culpabilité

· 2.2 : Le médecin malade

· 2.3 : La médecine impuissante

· 2.4 : Vers une médecine plus proche des hommes

CONCLUSION GENERALE : p.91

BIBLIOGRAPHIE : p.94

INDEX DES NOMS DE PERSONNES : p.98

* 1 J.Francois, Contribution à l'étude des années rennaises du docteur Destouches, Thèse médicale1967, p.56

* 2 L.F Céline, Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1924 p.23

* 3 L.F Céline, entretien avec Claude Bonnefoy (1961) Cahiers Céline II, Paris, Gallimard, p .207

* 4 L.F Céline,propos tenus au Sundby Hospital (1946) rapportés par le Dr Knud Lundbaeck in L'année Céline 95 Du Lérot, IMEC éditions, p.59

* 5 Ibid. p.59

* 6 L.F Céline, Entretien avec J.Guénot et J.Darribehaude in Cahiers Céline II, Paris, Gallimard, p.177

* 7 L.F Céline, Lettre à Simone Saintu (1916) in Cahiers Céline II, Paris, Gallimard, p.207

* 8 L.F Céline, Lettre à Simone Saintu (12/10/1916) in Cahiers Céline IV, Paris, Gallimard p.117

* 9 L.F Céline, Lettre à Simone Saintu (1/1/1917) in Cahiers Céline IV, Paris, Gallimard p.170

* 10 L.F Céline, Lettre à sa femme (août 1946), in François Gibault, Cavalier de l'apocalypse, Paris, éditions du cherche midi, p.107

* 11 L.F Céline, entretien avec Jean Guénot (1960) in Cahiers Céline II, Paris, Gallimard, p.159

* 12 L.F Céline, Entretien radiophonique avec L.Pauwels, in Cahiers Céline II, Paris, Gallimard p.135

* 13 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.17

* 14 L.F Céline, Entretien radiophonique avec L.Pauwels (1960) in Anthologie Céline sous la direction de Paul Chambrillon

* 15 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932 p.264

* 16 L.F.Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957 p.99

* 17 Ibid.p.63

* 18 Pr Tailhefer, cité par P.Monnier dans Les Cahiers de l'Herne, Paris, Editions de l'Herne, 1972, p.265

* 19 F.Balta, La vie médicale de Louis Destouches, Paris, Thèse médicale, 1977 p.4

* 20 Céline cité dans P.Ory, l'anarchisme de droite, Paris, Grasset, 1985 op. Cit.

* 21 « De l'utilisation rationnelle du progrès », traduction de Louis Destouches pour la revue Eurêka, février 1918 in F.Balta,La vie médicale de Louis Destouches

* 22 L.F Céline Cité par P.Huon de Kermadec in Les années Destouches, Paris, Thèse Médicale, 1976 p.35

* 23 L.F.Céline, interview avec C.Bonnefoy in Cahiers Céline II p.214

* 24 J.Guenot, L.F. Céline damné par l'écriture, Paris, diffusion MP, 1973 p.37

* 25 Pr A.Lwoff (1921), in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.242

* 26 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.279

* 27 Ibid, p.280

* 28 Ibid, p.279

* 29 L.F Céline, Lettre à Max Descaves, (1933) in Cahiers Céline 1, Paris, Gallimard p.48

* 30 L.F.Céline Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937 p.64

* 31 L.F.Céline à Albert Milon, cité par F.Gibault in Le temps des Espérances, Paris, Mercure de France, 1977, p.249

* 32 L.F.Céline L'Eglise, acte III, Paris, NRF Gallimard, 1929, p.173

* 33 L.F Céline, «Louisiane » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.114

* 34 Ibid p.115

* 35 Ibid p.115

* 36 L.F Céline, « Note sur l'organisation des usines Ford à Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.123

* 37 Ibid p.123

* 38 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.224

* 39 L.F Céline,  « Notes sur l'organisation sanitaire des usines Ford à Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.128

* 40 Ibid p 128

* 41 Ibid p 128

* 42 Ibid p 129

* 43 Ibid p 130

* 44 Ibid p 130

* 45 L.F Céline, « Notes sur le service sanitaire de la compagnie Westinghouse à Pittsburgh » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.135

* 46 Ibid, p135

* 47 Lettre de L.F Céline à un ami non identifié, cité dans A.Rossel-Kirschen Céline et le grand mensonge, Paris, Mille et une nuit, p.188

* 48 R.Debré, Témoignage oral 5/12/1968 in Philippe Alméras, Dictionnaire Céline, Paris, Plon, 2004, p.246

* 49 F .Balta La vie médicale de Louis Destouches, Paris, 1970, p.29

* 50 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.272

* 51 L.F Céline in J.P Richard, Nausée de Céline, Montpellier,Fata Morgana,1973, p.51

* 52 H.Mahé in J.Morand, Les idées politiques de Louis Ferdinand Céline, Paris, LGDJ, 1972, p.67

* 53 L.F Céline, entretien avec M.Pacaud in Bulletin Célinien n°177, Juin 1997 p.21

* 54 Pr H.Mondor, cité dans L'année Céline 1994, Du Lérot, IMEC éditions, 1995 p.226

* 55 F.Balta La vie médicale de Louis Destouches, Paris, Thèse médicale, 1977, p.29

* 56 Témoignage anonyme, in Bulletin célinien n°210, juin 2000, p.7

* 57 F.Balta La vie médicale de Louis Destouches, Paris, Thèse médicale, 1977, p.54

* 58 L.F.Céline, D'un château l'autre, Paris, Gallimard, 1957, pp.60-61

* 59 Entretien avec des infirmières du dispensaire de Sartrouville, Bulletin célinien n°210, juin 2000, p.7

* 60 Dr Guy Morin in Cahiers de l'Herne : Céline, p.208

* 61 L.F Céline « Lettre à Cillie Pam» (1937), in Cahiers Céline 5, Paris, Gallimard, p.143

* 62 Gaston Ferdiéres, La mauvaise fréquentation rapporté dans L'Année Céline 1991, Du Lérot Editions, 1992, pp 148-150

* 63 Interview datant de 1933 rapporté dans P.Roussin,Misère de la littérature,terreur de l'histoire, Paris,NRF Gallimard,2005 p.30

* 64 L.F Céline, rapporté par Jean Guénot in Cahiers de l'Herne, éditions de l'Herne, op.cit

* 65 L.F Céline, D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957 p.90

* 66 L.F.Céline,  Lettre à un correspondant non identifié  in L'année Céline 90, Du Lérot, IMEC éditions, p.82

* 67 L.F.Céline, « Lettre au docteur Camus »  in Cahiers de l'Herne,1972, p.104

* 68 L.F Céline in Albert Paraz, Valsez saucisses, Paris, 1950 p.329

* 69 A.Jacquot, Lettre au président de la Cour de Justice du 3/2/1950 in F.Gibault, Cavalier de l'apocalypse, Paris, Editions du Cherche Midi, 1981, p.49

* 70 L.F Céline in F.Gibault, Cavalier de l'apocalypse, Paris, éditions du Cherche Midi, 1981, p.50

* 71 Docteur RB, « Le médecin de Meudon » in Cahiers de l'Herne, p.272

* 72 L.F Céline « la dernière interview de L.F Céline » in Cahiers Céline II Paris, Gallimard, p.227

* 73 L.F Céline in F.Gibault, Le temps des espérances, Paris, éditions du cherche midi, p.64

* 74 L.F Céline, Lettre à J.Garcin (1935) in Cahiers Céline II, Paris, Gallimard, p.125

* 75 L.F.Céline in l'année Céline 90, p .82

* 76 L.F Céline entretien radiophonique avec Louis Pauwels (1960), in Anthologie Céline sous la direction de Paul Chambrillon

* 77 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.238

* 78 Témoignage recueilli par M.Baudillet, retranscrit in F.Balta, La vie médicale de Louis Destouches, Paris, thèse médicale, 1977

* 79 M.Aymé, « Sur une légende », Cahiers de l'Herne, 1972, p.279

* 80 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.286

* 81 P.Roussin, Misère de la littérature terreur de l'histoire, Paris, NRF Gallimard, 2005, p.86

* 82 Ibid p.88

* 83 Ibid p.92

* 84 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.238

* 85 Ibid p.238

* 86 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.239

* 87 Ibid p.238

* 88 Ibid p.238

* 89 Ibid p.204

* 90 Ibid p.94

* 91 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.95

* 92 Ibid p.339

* 93 Ibid p.249

* 94 Ibid p.250

* 95 L.F Céline, « Mémoire pour le cours des hautes études » (1932) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.209

* 96 Ibid p.204

* 97 Ibid p.183

* 98 Ibid p.185-186

* 99 Ibid p.189

* 100 L.F Céline, « Mémoire pour le cours des Hautes Etudes » (1932) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,p.189

* 101 Ibid p.190

* 102 L.F Céline, Les Beaux draps, Paris, Denöel, 1941, p.187

* 103 L.F Céline, « Mémoire pour le cours des Hautes Etudes » (1932) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,p.191

* 104 Ibid p.192

* 105 Ibid p.192

* 106 L.F Céline, « Mémoire pour le cours des Hautes Etudes » (1932), in Cahiers Céline III,Paris,Gallimard, p.193

* 107 Ibid p.194

* 108 Ibid p.186

* 109 L.F Céline, Interview avec A.Zbinden le 25/7/1957 in Cahiers Céline II, Paris, Gallimard, p.79

* 110 L.F Céline, « Mémoire pour le cours des hautes études » (1932), in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.212

* 111 Ibid p.195

* 112 Ibid p.196

* 113 L.F Céline, « Mémoire pour le cours des hautes études » (1932), in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.196

* 114 Ibid p.195

* 115 L.F Céline, « Lettre à Albert Paraz » (27/8/1956) in Cahiers Céline VI, Paris, Gallimard, p.412

* 116 F.Balta La vie médicale de Louis Destouches, Paris, Thèse médicale, 1977, p.59

* 117 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.136

* 118 L.F Céline, « Lettre à Albert Paraz » (27/8/1956), in Cahiers Céline VI, Paris, Gallimard, p.413

* 119 L.F Céline, « Mémoire pour le cours des Hautes Etudes » in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.196

* 120 Ibid p.195

* 121 L.F Céline,  « Lettre au docteur Boudreau » (1929) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.236

* 122 L.F Céline,  « Lettre au docteur Boudreau » (1929) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.237

* 123 L.F Céline, « Essai de diagnostic et de thérapeutique méthodiques en série sur certains malades en dispensaire » (1930) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.172

* 124 Ibid p.171-172

* 125 Ibid p.173

* 126 L.F Céline, « Mémoire pour le cours des hautes études » in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.207

* 127 Ibid.p.210

* 128L.F Céline, « Mémoire pour le cours des hautes études » (1932) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, pp 210-211

* 129 Ibid p.194

* 130 L.F Céline, «A propos du service sanitaire des usines Ford à Detroit» (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.146

* 131 Ibid p.147

* 132 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.160

* 133 L.F Céline, « A propos du service sanitaire des usines Ford » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard p.147

* 134L.F Céline, « A propos du service sanitaire des usines Ford » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, pp.147-148

* 135 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.165

* 136 L.F Céline, « A propos du service sanitaire des usines Ford à Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.144

* 137 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.165

* 138 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.160

* 139 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.164

* 140L.F Céline, Les beaux draps, Paris, Denoël, 1941, p.146

* 141 P.Roussin, Misère de la littérature, terreur de l'histoire, Paris, NRF Gallimard, 2005, p.98

* 142L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, pp 160-161

* 143 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.157

* 144 Ibid p.148

* 145 Ibid p.159

* 146 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.159

* 147L.F Céline, « A propos du service sanitaire des usines Ford » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, NRF Gallimard, p.151

* 148Ibid, p.152

* 149L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.160

* 150 Ibid p.161

* 151 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard,p.162

* 152 Ibid p.163

* 153 L.F Céline, « Les assurances sociales et une politique de santé publique » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.165

* 154 Ibid p.165

* 155 L.F Céline, « A propos du service sanitaire des usines Ford à Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.143

* 156 Ibid p.152

* 157 Ibid p.150

* 158 Ibid p.147

* 159 L.F Céline, « A propos du service sanitaire des usines Ford à Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.151

* 160 Ibid,p.146

* 161 L.F Céline, « A propos du service sanitaire des usines Ford à Detroit » (1925) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.146

* 162 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.223

* 163 Ibid p.224

* 164 Ibid p.224

* 165 Ibid p.223

* 166 Ibid p.223

* 167 Ibid p.224

* 168 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.224

* 169 Ibid p.225

* 170 Ibid p.291

* 171 Ibid p.224

* 172 Ibid p.288

* 173 Ibid p.224

* 174 L.F Céline,  « A propos du service sanitaire chez Ford » (1928) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard p.138

* 175 P.Roussin, Misère de la littérature, terreur de l'histoire, Paris, NRF Gallimard, 2005, p.102

* 176 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.264

* 177 Ibid, p.264

* 178 Ibid p.94

* 179 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937,p.147

* 180 Ibid p.97

* 181 L.F Céline, citant P.Rieman dans Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p 92

* 182 Ibid, p.93

* 183 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.93

* 184 L.F Céline, « Pour tuer le chômage tueront ils tous les chômeurs », in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.218

* 185 Ibid, p.218

* 186 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.148

* 187 Ibid p.147

* 188 Ibid p.148

* 189 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.66

* 190L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.67

* 191 L.F Céline, L'école des cadavres, Paris, Denoël, 1941, p.121-122

* 192 L.F Céline, Lettre à A.Paraz,7/3/1949 in Cahiers Céline VI, Paris, Gallimard, p.136

* 193 L.F Céline Semmelweis, préface de 1936 in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.96

* 194 L.F Céline, Entretien avec Michel Pacaud in Bulletin Célinien n°177(juin 1997)

* 195 Ouvrages principaux consultés : Maurice Tubiana,Histoire de la pensée médicale-les chemins d'Esculape , Paris,Champs Flammarion,1995 et J.C Sournia ,Histoire de la médecine,Paris,La Découverte Poche,1992 (1997)

* 196 L.F Céline, Semmelweis, Paris, L'Imaginaire Gallimard, 1999, p.32

* 197 Sur la question de l'école de Paris ,se reporter au livre d'E.H.Aeckerknecht, La médecine hospitalière à Paris,Paris,Payot,1967 et à celui de Michel Foucault,Naissance de la Clinique,Paris,PUF,Quadrige,1966

* 198 E.Lesky,Ignaz Philipp Semmelweis und die Wiener Medizinische Schule,Vienne,1964

* 199 L.F Céline, Interview avec Francine Bloch, 1959, in Cahiers Céline VII, Paris, Gallimard pp.427-428

* 200 L.F Céline, Semmelweis, Paris, Imaginaire Gallimard, 1999, p.33

* 201 Ibid. p.38

* 202L.F Céline, Semmelweis, Paris, Imaginaire Gallimard, 1999, p.39

* 203Ibid p.39

* 204Ibid p.62

* 205Ibid p.33

* 206L.F Céline, Semmelweis, Paris, Imaginaire Gallimard, 1999, p.49

* 207I.P Semmelweis, Die Aetiologie, der Begriff und der Prophylaxis der Kindbettfiebers, cité par J.Thuiller dans La Vie passionnée de Semmelweis,Paris, éditions Josette Lyon,1996,p.240

* 208I.P Semmelweis, Die Aetiologie, der Begriff und der Prophylaxis der Kindbettfiebers, cité par J.Thuiller dans La Vie passionnée de Semmelweis,Lyon,1996,éditions Josette p.240

* 209 Dr Hebra, Cité par L.F Céline in Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.76

* 210 I.P Semmelweis, cité par L.F Céline in Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999 p.87

* 211 Voir à ce propos les pages 5 à 13 de l'ouvrage, Editions Armand Colin, Paris, 1966 (1996)

* 212 L.F.Céline, Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard 1999, p.23

* 213 Ibid.p.23

* 214 L.F.Céline, Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard 1999, p.23

* 215 Ibid, p.24

* 216 E.Brami, Céline, Paris, Ecriture, 2002, p.278

* 217 L.F.Céline, Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999 , p.27

* 218 Ibid.p.27

* 219L.F.Céline, Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.55

* 220 Ibid pp 96-97

* 221 L.F Céline, Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999 ,p.93

* 222 Ibid p.96

* 223 Guido Ceronetti in L'année Céline 1991, Du Lérot, IMEC éditions, 1992, p.164

* 224 L.F Céline Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.67.

* 225 L.F Céline,Deuxième Préface de Semmelweis, 1936, in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.96

* 226 L.F Céline, Les derniers jours de Semmelweis in Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.108

* 227 Ibid p.111

* 228 L.F.Céline Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1999, p.38

* 229 L.F Céline, Féerie pour une autre fois, Paris, La Pléiade Gallimard, tome IV, 1952,p.136

* 230 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.279

* 231 L.F Céline, D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1956, p.151

* 232 L.F Céline, Lettre à Lucienne Delfaye 26 août 1935 in Cahiers Céline V, Paris, Gallimard, p.121

* 233 L.F Céline, Lettre à A.de Chateaubriant 14/9/41 in Cahiers Céline II, Paris, Gallimard, pp 288-289

* 234 L.F Céline, Semmelweis, Paris, L'imaginaire Gallimard, 1924, p.52

* 235 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.306

* 236 L.F Céline, Interview avec P.J Launay, novembre 1932

* 237 P.Drieu LaRochelle, NRF, mai 1941, le Bulletin célinien n°161 (février 1996), p.6

* 238 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.243

* 239 Ibid pp.26-27

* 240 Ibid, p.9

* 241 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.9

* 242 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.240

* 243 Ibid p.186

* 244 Ibid.p.540

* 245 L.F Céline, Mort à crédit, La pléiade vol II, Paris, Gallimard, 1936, p.536

* 246 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932 p.365

* 247 Ibid, p.85

* 248 Ibid p.343

* 249 Ibid p.265

* 250 L.F Céline, Guignol's band, La pléiade vol III, Paris, Gallimard,1964, p.158-159

* 251 L.F Céline D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, pp 387-388

* 252 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Folio Gallimard, 1932, pp.260-261

* 253 Ibid p.260

* 254 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.422

* 255 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, pp.121-122

* 256 L.F Céline, Nord, Paris, La pléiade Vol II, Gallimard, 1960, pp 694-695

* 257 Ibid, p 695

* 258 Ibid p.270

* 259 L.F Céline, D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.387

* 260 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, pp.333-334

* 261 L.F Céline, Mort à Crédit, Paris, La Pléiade vol II, Gallimard, 1936, p.521

* 262 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.29

* 263 L.F Céline, Féerie pour une autre fois, Paris, La Pléiade Gallimard, tome IV, 1952, p.230.

* 264 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.277

* 265 Ibid, p.200

* 266L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.260

* 267 Ibid p.62

* 268 Ibid p.87

* 269 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.85

* 270 Ibid p.85

* 271 Ibid p.86

* 272 Ibid p.336

* 273 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.295

* 274 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.336

* 275 L.F Céline, D'un Château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.63

* 276 L.F Céline, « Mémoire pour les hautes études » (1932) in Cahiers Céline III, Paris, Gallimard, p.184

* 277 L.F Céline, D'un château l'autre, Paris, Folio Gallimard, 1957, p.317

* 278 L.F Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Folio Gallimard, 1932, p.240

* 279 L.F Céline, Mort à crédit, Paris, La Pléiade Gallimard, 1936, p.501

* 280 L.F Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, p.239






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