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Les exiles de l'Ocean Indien (Iles Chagos)

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par Aline Mandrilly
Université Bordeaux II - Anthropologie de la sante - Licence anthropologie monde africain 2006
  

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UNIVERSITE BORDEAUX II

Département d'anthropologie sociale et culturelle

Du malheur de soi au meilleur d'eux-mêmes

Licence d'anthropologie 2005-2006

TD UE 7 : anthropologie de la santé

Melle Desseix

Aline Mandrilly

SOMMAIRE

Sommaire

 

Introduction

p. 1-4

I. Une histoire unique

 

1. Au bon vouloir des grandes puissances

p.5-7

2. Résistances sans mesures

p.7-10

3. Refus sans limites

p.10-12

II. Entre rêve et réalité

 

1. Comme dans un rêve : voir Chagos et puis mourir

p.13-16

2. Une réalité contradictoire : de nouvelles interrogations

p.16-18

III. Déracinement, entre souffrance et résistances

 

1. Déportation et arrivée, le début du cauchemar

p.18-21

2. La misère de l'exil, désespoir et suicide

p.21-24

3. Souvenirs et présent, un douloureux mélange

p.25-28

 
 

Conclusion

p.29-30

 
 

Bibliographie

 
 
 

Annexes

 

Cette partie de l'Histoire, bien que choquante, voire même incroyable, est pourtant bien réelle.

Entre l'Inde et l'île Maurice, perdu au coeur de l'Océan Indien, l'archipel des Chagos, composé de soixante-cinq îlots, étire ses atolls et se donne des airs de paradis terrestre. Durant les années soixante, les pays colonisés se battent pour leur indépendance. A son tour, l' Ile Maurice revendique la fin de la domination britannique. Requête accordée le 12 mars 1968 par l'administration coloniale qui conserve en échange l'archipel des Chagos, désormais «  Territoire britannique de l'Océan Indien (BIOT)». Cet archipel a ainsi été détaché du territoire mauricien en 1965 par les autorités coloniales britanniques ; Cela, trois ans avant que l'île Maurice n'obtienne son indépendance. L'île la plus vaste, Diego Garcia, est l'une des plus importante base militaire de l'Océan Indien depuis quarante ans et assure la sécurité des intérêts américains dans cette partie du monde. Ces soixante-cinq îlots discrets représentent un intérêt géostratégique indéniable pour cette super-puissance.

L'Archipel des Chagos, plus connu sous le nom de son île principale, Diego Garcia, est un de ces endroits du bout du monde dont on n'entend pratiquement jamais parler, sauf quelques allusions lors de grands événements mondiaux : première guerre du Golfe [où sa base aéronavale américaine a servi pour les bombardiers], deuxième guerre du Golfe, tsunami [l'archipel a été épargné par le raz-de-marée], Guantanamo [des « prisonniers de la guerre » contre le terrorisme seraient détenus au secret à Diego Garcia]. Et pourtant, la population des Chagos - ces « Palestiniens de l'Océan Indien » -, déportée de ses îles natales, se bat pour ses droits, qu'un tribunal londonien lui a même reconnus pour un temps en 2000. L'histoire des Chagos est un chapitre sombre de l'Histoire. Elle mérite d'être connue.

A l'époque de la construction de la base militaire de Diego Garcia, les deux milles Chagossiens gênaient. On leur coupa donc les vivres, puis des rumeurs se sont répandues sur un éventuel bombardement des îles. Les habitants ont ensuite assisté au gazage de leurs animaux, avant d'être eux-mêmes déportés manu militari à l'Ile Maurice et aux Seychelles. Peros Banhos, Salomon et Diego Garcia, les trois plus grandes îles de l'Archipel des Chagos, sont devenues un trio fantôme pour ces deux mille âmes perdues, exilées de force à la fin des années soixante, et abandonnées, sans ressources, majoritairement analphabètes, et ne parlant que le créole, dans les bidonvilles de Port-Louis, capitale de l'Ile Maurice, notamment dans les quartiers de Baie du Tombeau, de Cassis, de Pointe aux Sables et Roche Bois. Les autorités mauriciennes ont toujours considéré cette excision comme une violation des résolutions des Nations unies, déclarant illégal tout démantèlement d'un territoire par un pouvoir colonial avant que l'indépendance soit accordée.

L'État mauricien leur a donné des terres pour construire des maisons, mais pas assez pour les aider à intégrer la société mauricienne et à y prospérer. Aujourd'hui, quand les Chagossiens, entendent jouer l'hymne national mauricien, lors de la fête nationale, le 12 mars, la plupart sentent «comme un couteau qui passe sur [leur] coeur. C'est à cause de cette musique, que nous avons perdu notre île natale», témoigne M1(*). Un document secret, intitulé « Maintenons la fiction », a été découvert en 1990. Il explique la position prise par le gouvernement britannique et leur intention de « faire croire qu'aucun d'entre eux ne doit être perçu comme un habitant permanent des îles »2(*). Les mensonges et la discrétion absolue entourant cette affaire commencent peu à peu à voir le jour. Le gouvernement britannique a toujours maintenu que les Chagos seront rendus à Maurice quand les pays occidentaux n'en auront plus besoin pour leur sécurité. Cet archipel, toujours sous souveraineté britannique, abrite actuellement une cinquantaine d'Anglais, occupés à la gestion administrative des civils de Diego Garcia, au contrôle des douanes et au respect de l'environnement de l'île. Devenus citoyens de seconde zone dans ces pays, la plupart des Chagossiens revendiquent aujourd'hui le droit au retour sur leurs terres.

Derrière cet épisode sombre de la décolonisation se cache la tragédie longtemps ignorée d'hommes, de femmes et d'enfants déportés du jour au lendemain, privés d'une vie en phase avec la nature, pour être jetés dans les bidonvilles de Port-Louis. Vivant dans une extrême pauvreté et dans un pays qui ne voulait pas d'eux, certains d'entre eux moururent de chagrin, d'autres se suicidèrent, et la plupart furent dépouillés de leurs maigres économies par des individus peu scrupuleux. A l'Ile Maurice, l'école est obligatoire jusqu'à seize ans, même pour les petits Chagossiens. Après la classe, les enfants jouent, comme tous les autres enfants du monde, avant de rejoindre leurs petites maisons de parpaings et de tôles. Jusqu'à leurs seize ans, ils recevront une instruction publique obligatoire comme tous les petits Mauriciens. Mais que feront-ils après ? Malgré l'insouciance de leur jeune âge, ils savent qu'ils sont d'origine chagossienne et, qu'à l'image de leurs compatriotes, ils subiront une discrimination à tous les échelons de la société. La plupart d'entre eux dissent avoir déjà été victimes de racisme, en raison de leur couleur de peau, qui serait plus foncée que celle des Mauriciens. « Pour moi, les Chagos c'est un paradis »3(*), sourit M., adolescente née à Maurice il y a treize ans. « J'irais là bas si je pouvais parce qu'ici je n'ai pas d'avenir et c'est plus dur pour moi que pour les Mauriciennes »4(*). Indigence, chômage, racisme, depuis que les Chagossiens ont vécu l'expérience tragique de la déportation, elle marque toutes les étapes de leur vie actuelle. Depuis l'arrivée, peu de natifs sont parvenus à se faire une place au coeur de cette nouvelle société. L'Ile Maurice est une nation arc-en-ciel. Elle a en effet, sur un petit territoire, une mosaïque de cultures et de religions, qui ailleurs s'affrontent violemment. Pour ces raisons de stabilité sociale que l'on peut comprendre, elle craint qu'un groupe ne veuille réclamer une spécificité et léser les autres communautés. L'Ile Maurice a connu des heurts violents inter-ethniques en février 1999. Cette notion d'autochtonie étant trop chaude pour cette île, elle veut l'exclure. Mais si les Chagossiens sont des Mauriciens comme les autres, pourquoi seul les Chagossiens ont accès à ce passeport du British Indian Ocean Territory, contrairement aux autres Mauriciens?

Partons du postulat qu'après une telle tragédie, il soit difficile de se reconstruire et de continuer à avancer vers l'avenir. La vie en exil n'est pas facile. Des études montrent que les migrants sont davantage confrontés à des problèmes de santé que la moyenne de la population. Des familles souvent éclatées, des conditions de vie difficiles, un taux de chômage élevé, les raisons de tomber malades sont nombreuses. Ces populations ont souvent un problème supplémentaire puisque la plupart d'entre eux recherche pendant longtemps du travail dans leur pays d'accueil, avec malheureusement, souvent peu d'espoir d'en trouver un stable. Quels sont donc les effets de l'exil sur la santé des Chagossiens ? Avec des conditions de vie, très précaires dans la plupart du temps, est-il possible de se reconstituer après un tel drame ? Ce mémoire s'efforcera d'évoquer les causes de l'exil des Chagossiens, à travers l'histoire si particulière qui est la leur, ainsi que des actions menées depuis pour revendiquer un droit au retour, mais aussi pour une reconnaissance du préjudice qu'ils ont pu subir. Il s'agira de comprendre pourquoi deux grandes puissances, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni continuent encore aujourd'hui à s'entendre sur le dos de cette population déracinée. Comment deux pays, qui se disent oeuvrer pour la démocratie et le bien de l'Humanité, peuvent-ils encore nier leur histoire et ainsi interdire à cette population de vivre dans des conditions décentes ? Une attention toute particulière sera portée sur leur récent voyage de visite à leurs îles - voyage qu'ils demandaient depuis plus de trente ans - un rêve qui a enfin pu se réaliser pour certains. La réalité actuelle, parfois contradictoire, sera également abordée, entre les différents souhaits des anciens et des plus jeunes quant à un possible retour. Quel regard portent les Chagossiens sur leur histoire, mais aussi sur le récent « cadeau » qui leur a été accordé, après un long combat : la visite de leurs îles ? Pour finir, la question de leurs conditions de vie quarante ans plus tard, à l'Ile Maurice, permettra de montrer quelles peuvent être les conséquences psychologiques et physiques sur des personnes en situation d'exil, en recherche permanente d'identité et d'intégration dans la société mauricienne. De quelles manières ce déracinement a entraîné une surmortalité dans la population chagossiennes, sans toutefois écraser complètement les résistances et les adaptations, vitales dans ces cas-là ? Cette misère de l'exil est d'autant plus insoutenable qu'elle est toujours présente aujourd'hui, dans beaucoup de situations où des populations entières sont forcées à l'émigration. Ce déracinement entraîne toutefois des techniques de résistance qui arrivent parfois à porter tout un peuple au sommet de l'espoir et de l'action, leur permettant ainsi de voir arriver l'avenir avec un peu moins d'appréhension. Entre passé, présent et futur, la (re)construction identitaire de tout un peuple est maintenant en jeu.

Selon le Groupe Réfugiés Chagos, près de six mille personnes d'origine chagossienne, dont huit cent soixante-dix natifs de l'archipel, vivent actuellement à l'Ile Maurice.

I.Une histoire unique :

1.Au bon vouloir des grandes puissances :

L'attrait des puissances occidentales pour l'archipel des Chagos n'est pas récent. Il a été découvert par les Portugais lorsqu'ils cherchaient une nouvelle voie pour atteindre l'Asie en contournant l'Afrique suite à la prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Et c'est quarante ans plus tard, en cette fatale année de 1492, où Christophe Colomb débarque sur le continent américain que Vasco de Gama franchit ce passage au sud de l'Afrique et arrive lui en Inde. Sur sa lancée d'autres navigateurs portugais suivent, dont en 1532 Diego Garcia, qui donne probablement son nom à la plus grande île de l'archipel des Chagos. Les colons vont instaurer là comme ailleurs le système des plantations esclavagistes et organiser la capture et la déportation des captifs africains dans ces îles. En 1776, le Vicomte de Souillac en prend possession pour la couronne française. L'aristocrate y installe des esclaves malgaches et mozambicains pour y exploiter la noix de coco. Passant sous domination britannique en 1814, ces îles servent alors de ravitaillement en charbon pour les navires.

L'Empire colonial abolit la traite négrière et l'esclavage en 1835 et fait venir des travailleurs mauriciens ou indiens ainsi que quelques européens pour assurer l'administration du territoire. De ces migrations successives, naît une culture et une langue créole. Cette identité chagossienne façonne le quotidien de ces insulaires pendant plus d'un siècle.

Au début des années soixante, les luttes de libération s'amplifient, la décolonisation est partout engagée. L'Angleterre et les États-Unis décident qu'il leur faut verrouiller la région de l'Afrique australe en y installant une base militaire. Ils passent un accord selon lequel, l'Angleterre va fournir un territoire en échange de quoi les Américains des Etats-Unis la fourniront à prix réduit en certains matériels militaires (fusées Polaris, par exemple). En 1965, le Royaume-Uni loue l'Archipel aux Etats-Unis pour une période de cinquante ans, renouvelable pour une période de vingt ans. Engagée de plein pied dans la guerre froide, la puissance américaine contrôle désormais les activités maritimes soviétiques et assure une proximité avec l'Inde et l'Est africain. L'île de Diego Garcia, une sorte de « U » long de vingt-cinq kilomètres, abritera sa base militaire.

Mais un problème subsiste : environ deux mille personnes vivent sur ces îles.

A charge pour les Britanniques de faire table rase. Pour commencer, toutes les activités économiques cessent à partir de 1966. Plus aucun employé chagossien ne travaille. Ceux qui se trouvent aux Seychelles où à Maurice pour y être soignés se voient interdits de territoire du jour au lendemain. « Une véritable campagne d'intimidation fut menée par l'administration coloniale. Un jour, les animaux domestiques furent réquisitionnés par les commissaires britanniques puis gazés dans des calorifères devant les villageois. Nous avons pensé que s'ils étaient capables de faire ça aux animaux, nous serions les prochains », se souvient Louis Olivier Bancoult, le président du Groupe Réfugiés Chagos (GRC), encore enfant au moment des faits. Entre menaces et discours apaisants, les Anglais promettent monts et merveilles aux habitants : des terres, des animaux et du travail dans les pays d'accueil.

Le «déplacement» des îlois, comme ils se nomment eux-mêmes, commencera dans le plus grand secret au début des années soixante-dix. Destination, l'Ile Maurice et les Seychelles. Selon diverses sources ces voyages avaient entre cinquante à trois cents passagers. La capacité initiale des bateaux réquisitionnés étant de dix, même avec une augmentation de cette capacité de cent pour cent, cela fait vingt passagers. On comprend la promiscuité sur le Norvdaer (dernier bateau utilisé pour les voyages des Chagossiens à l'Ile Maurice) qui est plus compatible avec un bateau négrier du temps de la traite des esclaves que d'un voyage civilisé. Des années de salaires (la majeure partie d'un salaire était en nature, riz, sel...) ont été nécessaires pour accumuler des meubles. Ainsi, tous ces biens, vu l'impossibilité de les prendre faute de place, ont dû être laissé sur place, et font encore la joie des navigateurs de passage, qui les utilisent.

A l'époque, Londres fait alors valoir aux habitants de tout l'Archipel des Chagos qu'ils n'ont aucun droit territorial sur les îles où leurs parents sont venus d'autres pays d'Afrique et de l'Océan Indien comme «travailleurs contractuels». Les quatre-cent vingt-six familles qui vivaient du maraîchage, de la pêche côtière, de l'élevage et de la culture du coprah se retrouvent, privés de leurs biens et sans aide, dans les bidonvilles de Port-Louis, à l'île Maurice et de Victoria aux Seychelles. L'alcoolisme, la drogue, la misère ravagent leur communauté tandis que les Etats-Unis, forts d'un bail de cinquante ans, renouvelable pour une période de vingt ans supplémentaires, transforment Diego Garcia en place forte.

Les troupes américaines débarquent le 9 mars 1971. Les derniers Chagossiens s'en vont contraints et forcés le 25 avril 1973 à bord du Nordvaer. Trois jours de mer plus tard, dans la rade de Port-Louis, la capitale de l'île Maurice, personne ne les attend. La même semaine, un décret britannique leur interdit tout retour vers Chagos. Alors, les autorités mauriciennes les parquent dans les bidonvilles, qu'ils garantissent provisoires, répondant aux doux noms de Cassis, Pointe au Sable, Bois-Marchand, Cité-Lacure ou Petite Rivière. Et les Chagossiens reprennent le cours de leur vie sans terres, sans animaux et sans travail.

La cause chagossienne s'oppose à de lourds intérêts d'Etat. En 2004, l'organisation non gouvernementale américaine Human Rights First accusait Washington d'emprisonner des suspects « terroristes » dans un centre de détention secret à Diego Garcia. Isolé du reste de l'Océan Indien, l'atoll, avec ses structures portuaires et aéroportuaires, accueille aujourd'hui de nombreux navires de la marine américaine et sert de base de départ aux bombardiers B 52 et B1 dans leurs missions de longue distance. Depuis Diego Garcia, les Etats-Unis peuvent intervenir dans tous les recoins de cette partie du monde : Inde, Australie, Indonésie, Moyen Orient et Afrique de l'Est. Le rôle de l'île, dans le dispositif général américain, est la lutte contre le terrorisme dans cette partie du monde qui reste instable (Irak, Afghanistan, Iran, mais aussi Cachemire, Sri Lanka,, Somalie, Afrique des Grands Lacs). En 1991, l'Opération « Tempête du Désert », visant l'Irak, est partie de ce minuscule atoll. En 2001, cette plate forme de quarante-quatre hectares établie sur un récif en forme de fer à cheval a joué un rôle essentiel dans la guerre contre le régime des Talibans, dans les missions de bombardement en Afghanistan. Aujourd'hui, elle tient une place décisive à l'appui d'autres bases américaines en

Afrique, au Proche-Orient et en Asie du Sud-Est5(*). Elle sert, aussi, comme une sorte de Guantanamo bis. Des prisonniers soupçonnés d'appartenir à al-Qaida y sont incarcérés dans la discrétion la plus absolue. Pas question, donc, de restituer le territoire aux autochtones. Ironie du sort, plus de quatre milles personnes travaillent en permanence sur l'île : militaires américains, employés philippins, vietnamiens ou indiens s'y côtoient alors que les Chagossiens demeurent interdits de territoire. Selon des interpellations parlementaires à la Chambre des Communes, il ressort que deux mille trois cent quarante-sept civils, dont quarante Mauriciens, ainsi que neuf centre quatre-vingt onze militaires américains sont actuellement en poste à Diego Garcia6(*).

2.Résistances sans mesures :

Pourtant, depuis le départ, des résistances s'organisent. En 1983, Olivier Bancoult, Claudette Besage, Lisette Talate et Claudette Pauline fédèrent des contestations jusque-là éparses. En fondant le Groupe Réfugiés Chagos (GRC) à l'Ile Maurice, ils militent pour le retour, le bien être des exilés et leurs droits fondamentaux. Mais le combat s'annonce difficile.

Quelques mois avant la naissance du GRC, le gouvernement mauricien a fait signer aux familles chagossiennes un abandon du droit au retour en échange d'un lopin de terre et de trente-six mille roupies, somme même pas assez suffisante pour payer leurs dettes contractées depuis leur arrivée. « Si j'avais su que je signais pour renoncer à mes droits, je n'aurai jamais signé. Je n'aurai jamais abandonnée mes droits », rappèle M.7(*) La majorité des Chagossiens étaient malheureusement analphabètes et ont signé à l'aveuglette ce document, rédigé en anglais juridique. Ceux qui ne savaient pas lire ont juste eu à appliquer leur empreinte au bas d'un papier, signant ainsi leur abandon de droits. « Mais jusqu'à la mort, ni moi, ni mes enfants, ne renonceront à nos droits »8(*). Vingt trois ans plus tard, Louis Olivier Bancoult, président du Groupe, ne baisse pas les bras : « Notre engagement est à la fois humanitaire et juridique. J'ai encore confiance dans la justice internationale ».

Le combat est aussi mené à l'échelle internationale. Au-delà des frontières mauriciennes, le Comité Suisse de Soutien aux Chagossiens est fondé le 30 janvier 1999 afin de venir en aide aux habitants de l'Archipel des Chagos9(*). Cette association a pour but le soutien au peuple chagossien en faisant connaître le problème chagossien, en le soutenant financièrement et en luttant pour son droit au retour dans son archipel Tous ensemble, ils décrochent quelques succès. Cela fait trente-cinq ans qu'ils luttent pour pouvoir regagner leur atoll. Cette modalité n'est toujours pas acceptée par quelque gouvernement que ce soit, mais leur combat leur a valu, au passage, d'être reconnus, en 2000, comme des sujets à part entière de la couronne.

Monsieur Bancoult, est un Chagossien né à Peros Banhos en 1964 et il est le dirigeant du Groupe Réfugiés Chagos (GRC). Comme tous les Chagossiens, il a un passeport britannique du British Indian Ocean Territory. En temps que citoyen britannique, Monsieur Bancoult a obtenu l'assistance judiciaire pour demander à la Haute Cour de Londres si un fonctionnaire britannique avait le droit de promulguer une loi (celle de 1971 bannissant les Chagossiens des Chagos) excluant des citoyens britanniques (les Chagossiens dans ce cas) d'un territoire britannique qui est en plus le leur. Ou serait-ce un abus de pouvoir de ce même fonctionnaire? Cette question constitutionnelle a été jugée recevable par la Haute Cour de Londres en février 1999. L'avocat de Monsieur Bancoult, Sidney Kentridge, est celui qui a permis à Nelson Mandela de sortir de prison. Le 3 novembre 2000, à la suite d'une plainte portée devant la Haute cour de justice de Londres, la juridiction reconnaît l'illégalité de la déportation et le droit au retour de ce peuple. Les Chagossiens, via le Comité Social des Chagossiens, sont reconnus par les Nations Unies comme peuple autochtone1(*)0. Le GRC obtient aussi la nationalité britannique pour les Chagossiens qui en font la demande à partir du mois d'avril 2002. Ils entendent poursuivre leur action devant les cours britannique et américaine. « Après cette victoire, j'avais vraiment l'impression de revivre. J'étais très contente et je me disais que finalement, les Anglais pouvaient avoir des sentiments humains. Revenir au pays natal, revoir la terre de mes ancêtres, revoir nos belles plages, une dernière fois avant de mourir »1(*)1.

Malheureusement, cette décision ne s'accompagne d'aucune mesure concrète pour permettre leur retour en tant que peuple autochtone des Chagos. Pire, le 10 juin 2004, sa Majesté la Reine d'Angleterre, se basant sur l'« Orders in Council », une prérogative royale datant de 1215, annule le jugement de la Haute cour de Londres rendu quatre ans plus tôt. Le retour est de nouveau impossible. «C'est inacceptable !», tonne Alan Vincatassin, chef de file du Mouvement des Ilois du Territoire Britannique de l'Océan Indien (BIOT) qui conteste la décision ministérielle. «C'est la loi la plus barbare que j'aie jamais vu prendre au nom de la reine», ajoute-t-il. «Sa vraie raison d'être ? L'exigence américaine de ne pas avoir de témoins sur cette île transformée en base militaire», insiste-t-il.

Soutenu par le président sud-africain Nelson Mandela, par Paul Vergès, président du Conseil Régional de La Réunion, et par des associations australiennes, anglaises et mauriciennes, le GRC réclame aussi des dédommagements financiers à l'Etat américain, via la Cour fédérale de Washington D.C. «  Nous demandons que cette histoire soit classée comme crime contre l'Humanité mais les avocats américains prétendent que leur pays peut recevoir ce genre de plainte uniquement sur leur territoire. Or, Chagos n'est qu'une location. », rappelle Maître Mardemootoo, un des avocats du GRC. En ultime recours, les juristes se sont tournés vers la Cour Européenne des Droits de l'Homme afin qu'elle statue sur l'illégalité des mesures prises par le gouvernement britannique à l'époque de la déportation. Par ailleurs, les comptes rendus des interpellations parlementaires du député britannique, Andrew George, au parlement britannique, à la fin de l'année dernière, indiquent que les autorités britanniques ont dépensé quelque £1 455 354 en frais légaux depuis novembre 2000 pour se défendre dans trois affaires logées en Cour par le GRC. M. Bancoult a déclaré, à propos de cette somme : " Le gouvernement britannique dépense une fortune parce qu'il ne veut pas reconnaître avoir commis une injustice contre les Ilois. Nous poursuivrons notre action jusqu'à ce que nos droits soient reconnus. "

Le 6 décembre 2005 le GRC réplique encore une fois et s'appuie sur l' Human Rights Act pour faire valoir ses droits fondamentaux1(*)2. Le peuple est souverain. Telle est la phrase que retienne beaucoup de constitutions. En effet démocratie signifie le gouvernement (-cratie) par le peuple (démo-). Cette souveraineté s'exprime différemment selon les pays et les cultures. Mais quand tout le peuple est expulsé de son territoire, que reste-t il de cette souveraineté ? Les îlois, effondrés «par le coup de poignard dans le dos» du gouvernement, ne comptent pas en rester là, cependant.

3.Refus sans limites :

Le gouvernement de Tony Blair ne l'entend pourtant pas ainsi. Arguant d'une étude exhaustive sur la faisabilité de la réinstallation d'une communauté de quelque huit mille cinq cents «Chagossiens», il s'est employé à faire traîner l'enquête en longueur1(*)3. Ses experts concluent, aujourd'hui, que la population serait exposée «à des événements naturels de nature à rendre leur existence difficile». A plus long terme, le réchauffement de la planète, et ses conséquences sur le niveau des océans, rendra leur vie impossible. En effet, les trois îles principales (Peros Banhos, Salomon et Diego Garcia) sont sans relief, et une augmentation du niveau des océans (provoquée en majeure partie par les pays industrialisés, dont les Etats-Unis et le Royaume-uni font partie) entraînerait inexorablement leur disparition. Par ailleurs, a souligné Bill Rammel, ministre des Affaires Etrangères des Etats-Unis, une étude de viabilité «indépendante» a conclu qu'un repeuplement de certaines îles des Chagos (Peros Banhos et Salomon) serait «précaire et [que] le gouvernement britannique ne pourrait l'accepter.». Pourtant les Chagossiens ont vécu sur ces îles pendant au moins six générations, et personne ne s'était inquiété alors des conséquences climatiques sur leurs îles. De plus, actuellement, des personnes, militaires et civils, passent de beaux jours dans ce qu'ils appèlent « Fantasy Island ». Ils se baignent, font de la voile, de la plongée, des barbecues, sans être inquiétés d' « événements naturels de nature à rendre leur existence difficile ». Comble du comble, il s'avèrerait que la présence de ces civils et militaires aient des conséquences écologiques graves1(*)4 : Sur l'île du Coin, dans l'atoll de Peros Banhos, lors de la visite de mars dernier, les Chagossiens ont surtout été frappés par l'absence inquiétante d'oiseaux dans les airs et de poissons dans les lagons. Mais la sinistre découverte ne s'arrête pas là. De retour sur la côte, ils notent que tous les coraux sont gris pâle. Or, dans le passé, des coraux de toutes sortes, «tête de mort, roses, bleus, mauves», pullulaient dans les lagons. La mer était peuplée de grandes quantités de poissons, tels les cateaux. Mais plus maintenant apparemment.

Le coût, toujours selon Bill Rammell, serait également beaucoup trop élevé, dans le cas d'un possible retour des Chagossiens dans leurs îles. En effet, il faudrait cinq millions de livres pour faire marcher l'île pendant un an. Cinq millions de livres, c'est le prix d'une Ambassade à Londres. C'est aussi le prix de l'Ambassade du Royaume-Uni à l'Ile Maurice, sans compter, la piscine, les jardins, les cours de tennis... Mais Bill Rammell préfère garder cette somme pour les « living poor in the world », c'est-à-dire les personnes qui sont réellement dans le besoin et qui n'ont pas d'autre choix que de recevoir cette aide, qui est, soit dit au passage, « l'argent du contribuable américain ».

Mais l'argent n'est pas le problème. C'est le pouvoir et le rôle de domination du monde que les Etats-Unis se sont eux-mêmes attribués. La location militaire continue de Diego Garcia en est le parfait exemple1(*)5. Cette base a deux fonctions dans la stratégie de défense américaine : compenser la perte stratégique que représente pour Washington la chute du Shah d'Iran, en 1979, grand allié américain dans la région, mais aussi garantir l'accès au pétrole de Moyen Orient. Malgré la Guerre Froide terminée depuis 1989, Diego Garcia a de plus en plus d'importance au sein du système militaire américain. «Une combinaison de raisons» empêcherait donc le retour permanent des exilés, selon Bill Rammell. «Les Orders in Council sont la façon dont nous légiférons pour nos territoires étrangers. Il n'y a aucune chance qu'ils soient renversés.»

A propos des compensations dues aux Chagossiens, Bill Rammell a expliqué que £14 millions (au prix actuel) avaient déjà été versés au gouvernement mauricien dans les années 1970 et que «cette somme était équitable». Quant aux enfants qui n'arrivent pas à obtenir la nationalité britannique, Bill Rammell a promis «de tenter de résoudre les problèmes». En effet, les Chagossiens détiennent, dans leur immense majorité, un passeport britannique des Territoires Dépendants du Royaume-Uni. Pourquoi donner un tel passeport à un groupe restreint? Pourquoi ne pas le donner à tous les Seychellois et Mauriciens? Parce que les Chagossiens, contrairement au groupe plus large, ont vécu sur ces îles depuis plusieurs générations. Les tombes de ces ancêtres peuvent encore être vues sur plusieurs îles. Les responsables britanniques des Chagos, faisant tout pour effacer le souvenir des Chagossiens, ont interdit à des soldats américains qui se proposaient de le faire, de restaurer ces tombes et les derniers bâtiments de cette époque. Il faut que les constructions tombent pour que le mythe du gouvernement britannique tienne debout. Pourquoi cette hargne? Comment le gouvernement britannique pourrait expliquer qu'en violation de presque tous les Droits de l'Homme on expulse de chez eux une population qui résidait là-bas depuis plusieurs générations, procédant ainsi à un nettoyage ethnique? Et quelle excuse trouver pour expulser les descendants des esclaves qui avaient fait, par leur travail, des Chagos un lieu habitable et habité? En cachant au monde entier leur existence tout simplement. Et en reconnaissant l'existence de ces Chagossiens, en toute discrétion, en leur donnant un passeport britannique. En toute discrétion, afin de ne pas écorner le mythe, cela va de soi. Des documents officiels de l'état britannique montre que les fonctionnaires britanniques des Chagos avaient l'obligation de mentir au sujet des Chagossiens1(*)6. Extrait d'une note envoyée en août 1966 par le Bureau Colonial de Londres à la Mission Britannique aux Nations Unies : « L'objectif de cet exercice étaient d'avoir quelques rochers qui resteront notre propriété ; il n'y aura pas de population indigène, à l'exception des mouettes, qui n'ont pas encore de Comité (le Comité de la Condition Féminine ne couvre pas le droit des oiseaux). Malheureusement, aux côtés des oiseaux, il y a quelques Tarzans et Vendredis, aux origines obscures, qui seront probablement expédiés à Maurice »1(*)7.

Alan Vintacassin (BIOT ) a de bonnes raisons de croire que l'exigence américaine prime sur le droit des îlois. L'atoll de Diego Garcia appartient, certes, au Royaume-Uni, mais par un accord secret de 1961 signé entre Harold Mc Millan et John F. Kennedy, il a été désigné comme «un point d'appui stratégique» anglo-américain dans l'Océan Indien contre l'Union Soviétique. Washington offrait d'y établir un centre de communications et de ravitaillement de sa flotte, à la double condition que l'Archipel des Chagos soit exclu du processus de décolonisation mis en oeuvre par Londres et que ses habitants soient évacués «pour raisons de sécurité». En échange, ils offraient une réduction de quatorze millions de dollars sur l'acquisition de fusées Polaris par le Royaume-Uni pour l'équipement de ses sous-marins nucléaires.

En attendant qu'ils obtiennent réparation, il convient de méditer les oraisons de Tony Blair en faveur des droits de l'homme... Malgré de tels obstacles, les Chagossiens obtiennent parfois de maigres faveurs grâce au statut de peuple autochtone accordé par les Nations Unies.

II.Entre rêve et réalité :

1.Comme dans un rêve : voir Chagos, et puis mourir

" 2006 sera une année historique pour les Chagossiens ", a déclaré. M. Bancoult " Nous avons lutté avec courage malgré que certaines personnes nous disaient : zot pa pou kapav manz ek l'Angleterre (vous ne pourrez pas rivaliser avec l'Angleterre). Et, à travers notre combat, un petit peuple a fait savoir son existence au monde entier. Grâce à la persévérance du GRC, les Chagossiens ont obtenu le passeport britannique. Mais, pour nous ce n'est pas une fin en soi. Nous avons continué nos actions pour avoir le droit de visiter nos îles et pour obtenir une compensation financière pour les souffrances subies ", a-t-il poursuivi.

Ainsi, récemment, le jeudi 30 mars 2006, après plus de trois décennies d'exil forcé, quelques natifs étaient autorisés à débarquer, sous étroite surveillance, à Diego Garcia, Salomon et Peros Banhos1(*)8. Un groupe de cent Chagossiens (quatre-vingt cinq de Maurice, et quinze des Seychelles) ont participé à ce premier voyage d'une douzaine de jours vers les Chagos. «Je suis allée embrasser ma terre dès que j'ai mis le pied sur l'île, dit M. en larmes. Mon nombril y est enterré»1(*)9. La plus vieille personne qui était du voyage, Rita Elizée, est âgée de 82 ans, et le plus jeune, William Satouche, de 33 ans. Ce dernier a quitté l'archipel en 1973, peu après sa naissance. Il faisait partie du dernier groupe à être expulsé de l'archipel. Ce grand départ coïncide, jour pour jour, avec l'anniversaire de la déportation d'Olivier Bancoult de Diego Garcia, il y a 38 ans de cela. " Je peux difficilement exprimer mon excitation à revoir Peros Banhos, île que j'ai été obligé de quitter, 38 ans de cela, alors que j'avais quatre ans ", a déclaré au Mauricien (grand quotidien de l'île) Olivier Bancoult, juste après avoir été informé de cette décision du gouvernement. « C'est le gouvernement britannique qui affrète le navire battant pavillon mauricien », précise-t-il. " Nous avons fait un travail minutieux afin d'être en mesure de toucher au moins une personne par famille ", a affirmé M. Bancoult. Parmi ceux qui ont fait le voyage, on relève la présence de trente-quatre Chagossiens de plus de soixante ans, et vint et un de plus de cinquante ans. " Le dernier enfant à être né aux Chagos avant la déportation fera aussi partie du voyage ", a précisé le président du GRC. Ce voyage se fera à bord du Trochetia. M. Bancoult a invité les Chagossiens à se rendre en foule au quai d'embarquement le jour du départ pour les Chagos. " Ce sera un moment inoubliable. Venez en grand nombre, même si vous ne faites pas partie du voyage ", a-t-il dit. " Se enn zour istorik. Apre 35 an exil nou pe resi met lipye dan landrwa kot nou ti né (c'est un jour historique. Après trente-cinq ans d'exil, nous avons réussi à reposer le pied sur le sol où nous sommes nés) ", a-t-il observé. « Cette visite revêt pour nous, membres de la communauté exilée des Chagos, une double importance : d'abord ça a été l'occasion aux aînés de revoir leur terre natale avant de mourir et, ensuite, les plus jeunes, comme moi, ont pu voir de leurs yeux cette terre dont ils ont tant entendu parler mais qu'ils ne connaissent pas vraiment », a affirmé Olivier Bancoult. « Aux Chagos, les arbres ont envahi les tombes2(*)0 ». M. se rappèle celle de son frère, à Diego Garcia. « Il repose là-bas, entre le lagon et l'Océan Indien, et voilà plus de trente ans que personne n'était venu lui apporter des fleurs »2(*)1. Plus de trente ans que les cimetières de Diego Garcia, Peros Banhos et Salomon ont été laissés à l'abandon. M. se dit heureuse à l'idée de se recueillir, après tant d'années, sur la tombe de son frère, mais elle ajoute : « J'aurai aussi du chagrin, parce que nous devrons ensuite rentrer à Maurice »2(*)2.

Souhaitant rendre hommage à ceux qui sont décédés à bord du navire qui les transportait vers Port-Louis, les Chagossiens ont demandé au Capitaine du Mauritius Trochetia, Jean-François Labat, de ralentir l'allure à mi-chemin entre Maurice et l'Archipel. Une cérémonie, pleine d'émotion, a donc été organisée sur le pont du navire en mémoire de ceux qui n'ont pu survivre à cette séparation forcée. Comme un ultime adieu, le capitaine du navire actionne la sirène. Des fleurs sont alors lancées à l'eau, avant que le navire ne reprenne sa traversée dans un silence monacal. Lors de cette visite historique, la délégation chagossienne a érigé, avec l'accord du gouvernement britannique, un monument sur chacune des trois îles, en mémoire des ancêtres. Ils ont également procédé à un nettoyage des cimetières de l'archipel. « Contrairement à ce qu'on pense, cela n'a pas été un voyage d'agrément, mais bien davantage un pèlerinage sur notre terre natale, un retour aux sources », a encore déclaré Olivier Bancoult. Sur ces îles, les Chagossiens ont rendu un hommage à leurs parents enterrés, ont prié dans leur église et se sont baladés dans les petits villages laissés à l'abandon. Mais ils n'ont pu entrer dans les cases créoles de leur enfance. Elles n'existent plus.

Déçus, ils sont nombreux à l'avoir été. La « paradise island », telle qu'ils se l'imaginaient n'existe plus. L'image d'une île de rêve, qui leur avait été transmise par leurs parents, où la faune et la flore étaient luxuriantes, s'est révélée être davantage un mythe qu'une réalité. « Il n'y avait plus rien. Même pas de cocos sur la plage 2(*)3», résume M. Attristée par ce qu'elle a vu, elle dit avoir du mal à admettre qu'il ne reste quasiment rien qui puisse témoigner du mode de vie des Chagossiens, si ce n'est quelques fondations à peine visibles, des murs effondrés et des habitations en ruine. C'est seulement sur Diego Garcia que les lieux sacrés des Chagossiens ont été plus ou moins entretenus par les ouvriers mauriciens qui y travaillent. Les voyageurs se disent par ailleurs impressionnés par l'urbanisation de l'île principale qu'ils comparent à une ville américaine. Les Chagossiens ont eu la surprise, en débarquant à Salomon de découvrir un panneau indiquant à d'éventuels pique-niqueurs qu'aucun « yacht » ne serait autorisé à s'approcher de l'île du 2 au 9 avril, soit pendant la durée de leur visite dans l'archipel. Ce panneau est d'autant plus inattendu que les Chagossiens croyaient que toutes les îles de l'archipel étaient interdites d'accès. Ils ont, au cours de leur visite, retrouvé des restes de ces pique-niqueurs : des assiettes, des boîtes de jus, mais aussi une balançoire récemment installée... pour distraire les plus jeunes ! Grand étonnement aussi de se voir interdire une baignade dans le lagon par les militaires britanniques lors de leur visite sur la plus grande île, Diego Garcia. Ces derniers le leur ont déconseillé, prétextant avoir retrouvé, les jours précédant leur arrivée, des poissons morts flottant à la surface de l'eau. Une explication qui n'a pas été du goût des Chagossiens qui avaient pu s'ébattre dans les eaux de Salomon et de Peros Banhos. Le retour, enfin, aura été vécu par beaucoup comme une seconde séparation. Un déjà-vu douloureux. Des morceaux de bois, une pioche, quelques noix de cocos ou encore une bouilloire. Tous ont ramené de ce voyage tant espéré un petit quelque chose, comme pour se convaincre qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Des souvenirs tangibles qu'ils présenteront à leurs enfants pour que ce passé ne soit plus pour eux qu'une lointaine et obscure histoire. Comme un bras d'honneur brandi à ce qui n'ont pas cru en eux, les Chagossiens exposeront bientôt les photos prises lors de leur voyage. « Les Chagos ne seront plus des îles lointaines ou des mots écrits inscrits sur des banderoles dans une manifestation. Tous pourront maintenant voir ce pourquoi nous nous battons »2(*)4.

2. Une réalité contradictoire : de nouvelles interrogations

Trois Ilois sur quatre, interrogés par M. Hervé Sylva, en 1980-81, veulent ardemment retourner vivre aux Chagos, leurs îles natales, la terre de leurs ancêtres. Tout le monde ne semble pourtant pas prêt à revenir. Les débats sur la souveraineté dépassent les Chagossiens. Ils disent s'être toujours sentis abandonnés de Port-Louis autant que de Londres. « Que les Chagos soient mauriciennes ou britanniques m'est égal, assure M., pourvu qu'on puisse y aller »2(*)5. Pour sa mère, il est déjà trop tard. A soixante-dix huit ans, elle a renoncé au voyage. Elle se dit trop vieille, mais grâce à ses enfants, elle sait que tout n'est pas perdu. Louis Olivier Bancoult préfère compter sur le dynamisme de la nouvelle génération pour avancer : « Les jeunes désirent revenir sur les terres de leurs parents. Une terre qu'ils ne connaissent pas mais dans laquelle ils placent un grand espoir, car dans les bidonvilles créoles de Maurice, l'alcool côtoie le chômage et la plus grande misère ». Mais la réalité se révèle plus contradictoire. Les rares Chagossiens qui réussissent à trouver du travail, sont pour la plupart, forgerons, maçons ou pêcheurs. Ceux-là arrivent tant bien que mal à joindre les deux bouts, faire vivre leur famille et habiter même dans une petite maison. Mais pour les autres, ceux qui vient dans des taudis, l'avenir est un peu plus sombre. La plupart des jeunes nés à Maurice se contentent de rêver de ce lointain Chagos au travers des contes des natifs. Ils ne se sentent pas préparés à retourner aux Chagos. N'ayant toujours connu que l'Ile Maurice, ils préfèrent émigrer au Royaume-Uni, où ils pensent avoir plus de chance de s'en sortir. Pour échapper à l'étau de la misère, ils choisissent donc plus volontiers l'eldorado anglais dont ils peuvent obtenir la nationalité. Arrivés en territoire britannique, il leur est plus facile de trouver du travail, puisqu'ils sont désormais citoyens de ce pays. L'éclatement familial, du fait d'un coût trop élevé du voyage, ne se révèle pas être un frein à cet engouement. Les femmes, notamment, émigrent en plus grand nombre, car elles sont sûres de trouver un petit job rapidement, dans ce pays qui se veut flexible en matière d'emploi. Avec l'argent qu'elles gagnent, elles pourront ensuite faire venir leur mari, et leurs enfants, restés à l'Ile Maurice.

Les Chagossiens émigrés en Angleterre sont sans aucun doute ceux qui vont pouvoir change le destin de toute la communauté chagossienne. Avec un niveau d'éducation plus important, et des revenus plus élevés et plus stables, ce sont eux qui vont pouvoir, lorsque le retour aux Chagos sera permis, contribuer au (re)développement de l'archipel2(*)6. Les Américains espèrent qu'une fois les natifs des Chagos partis, les jeunes, qui auront recommencé une nouvelle vie ailleurs, ne seront pas tentés de redemander le droit au retour dans leur île. Le bail devrait se renouveler en 2016. D'ici là, les jeunes ont le temps de se former pour mieux se défendre et revendiquer leurs droits.

La lutte que mènent actuellement les Chagossiens vise principalement les objectifs suivant :

- obtenir la reconnaissance du caractère autochtone du peuple Chagossien,

- obtenir la reconnaissance de leur droit au retour et à vivre aux Chagos,

- être dédommagés financièrement par la Grande Bretagne et les États-Unis pour qu'ils puissent organiser la réinstallation de leurs familles, et que leur communication avec leurs parents dispersés entre Maurice, les Seychelles et ailleurs soit facilitée,

- permettre aux Chagossiens qui ont été dispersés à travers la planète de se retrouver.

Ils ne remettent pas (pour l'instant du moins... quand on pourra mener des études sur l'impact écologique des activités militaires occidentales dans la région il se pourrait que ça change) en cause l'existence de la base militaire, ils demandent simplement à pouvoir rentrer chez eux. Au niveau international, il y a une revendication de faire de l'Océan Indien une zone de paix démilitarisée et, en décembre 2003, l'ONU a voté - par cent trente voix contre quarante-deux - une résolution prônant la démilitarisation de la zone. Trois « grandes puissances » continuent de faire blocage... Quant aux gouvernements de Maurice et des Seychelles ils ne sont pas trop enthousiastes quant à la reconnaissance du peuple chagossien en tant que peuple autochtone. A l'Ile Maurice cohabitent sur un petit territoire, une mosaïque de races et de religions, qui parfois s'affrontent violemment - il y a eu, en particulier, des heurts violents en février 1999. Pour ces raisons de stabilité politique, ils redoutent cette notion d'autochtone, d'antériorité, qui risque d'amener celle de la spoliation et des discriminations.

Aujourd'hui, quelques voiliers luxueux sillonnent au large de l'archipel Chagos tandis que sur les terres, une puissance militaire sans commune mesure vit au rythme des guerres du globe. A quelques milliers de kilomètres, à Maurice comme aux Seychelles, les enfants des exilés poursuivent leurs jeux sous la surveillance des anciens qui entretiennent à leur égard l'espoir d'un avenir meilleur, en sachant qu'eux mêmes ne reverront peut-être jamais Chagos.

III Déracinement, entre souffrance et résistances :

Déportation et Arrivée : le début du cauchemar

Nous sommes un peuple déraciné,

Nous venons de là-bas, de l'autre côté,

De l'Archipel des Chagos.

Nous sommes un peuple déraciné,

Vivant dans la plus grande pauvreté,

Nous n'avons pas d'identité,

Nous sommes un peuple déraciné.2(*)7

Selon M., avant l'arrivée des Américains, ils menaient une vie sans perturbations : « On pouvait boire et manger ce qu'on voulait. On ne manquait jamais de rien. A part les habits qu'on portait, on n'achetait jamais rien là-bas !»2(*)8. En 1961, une enquête secrète, menée par la Marine Militaire américaine, estime qu'il faut « balayé et nettoyé [Diego Garcia] ». Robin Mademootoo, avocat des Ilois, raconte que cela a commencé par la privation et l'arrêt des envois des aliments de base sur l'île : le lait, l'huile, le sucre, le sel, les médicaments... Puis la rumeur concernant un éventuel bombardement de l'île a commencé à circuler, performant lentement un travail de terreur dans tout l'Archipel. En 1973, Sir Bruce Greatbratch, alors Gouverneur des Seychelles, donne l'ordre de tuer tous les chiens. Environ mille animaux de compagnie seront ainsi gazés en quelques jours. « Les enfants criaient et pleuraient. Ils étaient détruits par les sort réservé à leur chien, et ils pensaient subir la même chose après. Tout le monde pensait que les Anglais étaient sans pitié et qu'ils allaient nous faire la même chose qu'avec les chiens »2(*)9. Lors de l'arrivée du Nordvaer, ils n'ont le droit d'emporter qu'une seule valise par personne. Sur le bateau, pendant la traversée, les conditions sont des plus déplorables : « On était des animaux sur le Nordvaer. On avait qu'un seul matelas, même si y'en a qui avait plusieurs enfants »3(*)0. Dans « Le Silence des Chagos », La mère de Désiré, enceinte de sept mois, n'a légalement pas le droit d'être embarquée sur un bateau. Qu'importe son état ! L'infirmier la déclare apte à embarquer. Le bateau attend la tombée de la nuit, pour que personne ne puisse voir ce qu'ils quittaient vraiment, ni même inscrire dans leurs yeux une dernière image de leur île, de leur vie. Pourquoi ne se sont-ils pas rebellés contre cette déportation ? Peut-être par peur des représailles, par fatalisme, par docilité ? M. m'a dit que « la colère ne ramène pas le ciel bleu »3(*)1. Un premier arrêt est fait aux Seychelles. Quelques personnes sont débarquées et menées dans une prison détruite depuis, où elles seront gardées dans une cellule, avant d'être transportées à l'Ile Maurice. Arrivés à l'Ile Maurice, certains attendent sur le quai que le prochain bateau les ramène chez eux. Mais il n'y aura jamais de bateau de retour. « Votre île a été vendue, vous ne rentrerez jamais chez vous !». « Mon mari, en entendant ça, a eu une crise cardiaque. Ca lui a paralysé le bras et la bouche. Il est mort quelques jours plus tard, à l'hôpital »3(*)2.

Les anciens habitants des Chagos sont alors conduits dans des « Housing Estate », sorte de logement social géré par l'Etat. En arrivant dedans, M. se rappèle que les maisons de Estate Beau Marchand « n'avait ni eau, ni électricité. Tout était envahi par les animaux et il y avait des poubelles partout. Il n'y avait ni porte, ni fenêtre. Il n'y avait pas de sanitaires, juste un trou dans le sol. Quand il pleuvait, y'avait de l'eau partout. C'était l'enfer ». M. se souvient de sa première case de paille, à Cassis : « On n'avait pas un sou pour manger, c'était la misère »3(*)3. La manque de nourriture saine a des conséquences rapides et dramatiques sur l'état de santé de ces nouveaux habitants dans les quartiers pauvres de l'Ile Maurice. Les gens sont obligés de s'entasser dans des cités étouffantes et bruyantes, où la promiscuité ajoute à l'enfer extérieur. Dans « Le Silence des Chagos », Charlesia tente de fuir cette vision cauchemardesque. « la même façon de donner le dos, comme une muraille hérissée de barbelés, à la ville qui grouille derrière elle », p.72. Les conditions de logement restent malheureusement très précaires, même aujourd'hui. Charlesia résume toute sa souffrance, lorsqu'elle parle de sa terre d'avant et de ce pays nouveau, qui n'a rien d'accueillant. Ce contraste montre la douleur de ces exilés, dépossédés de leur vie. « La terre, l'autre terre. La vraie... La terre d'avant. D'avant la peur, l'incompréhension. D'avant la solitude et l'angoisse folle de la mer. D'avant le bateau voleur qui avait fait douleur ce qui aurait dû être grande joie. D'avant cette nouvelle terre aux montagnes hautaines et indifférentes, aux habitants distants et méprisants. D'avant la colère. D'avant la fausse résignation pour empêcher que l'incompréhension et la rage impuissante explosent en folie », p.87-883(*)4. En faisant allusion à la récente visite sur son île, M. explique : «Je me suis rendues dans mon paradis, mais il a bien fallu retourner dans cet enfer, dans ma pauvreté ici.»3(*)5

Prenant ainsi connaissance de ces cas extrêmes de misère et de promiscuité, les dirigeants politiques ne peuvent, encore moins qu'auparavant, ignorer que les Ilois mènent une vie misérable dans l'enfer mauricien et qu'ils conservent dans leur coeur la nostalgie de leur paradis chagossien. L'auteur du Rapport Sylva sur les conditions de vie des Chagossiens à l'Ile Maurice s'évertue à les convaincre que toute compensation ne vaut rien si des efforts réels, devant permettre la réhabilitation et la réinsertion du peuple chagossien dans la vie mauricienne, ne l'accompagnent pas. L'enquête Sylva souligne que le problème du logement est prioritaire. Avant leur déracinement et leur débarquement inhumain dans l'indifférence générale, les Chagossiens étaient très fiers de leur appartenance au peuple mauricien. C'était toujours avec plaisir qu'ils profitaient du moindre déplacement à l'Ile Maurice, du moindre retour dans la « Grande Terre mauricienne », pour se retremper dans la vie locale. Ils en profitaient pour faire leurs emplettes et acquérir ce qu'ils ne pouvaient trouver dans leurs îles. Mais tout est bouleversé depuis leur déracinement. Les vacances touristiques à l'Ile Maurice sont devenues une condamnation à perpétuité, sans espoir aucun de salut ni même de sortie, dans un univers indifférent, inhumain, hostile et infernal. Voilà des Ilois, n'ayant aucune expérience de l'argent, et vivant au jour le jour dans un environnement où ils n'avaient qu'à se baisser, à cueillir les fruits de la terre et de la mer et autres ressources naturelles pour satisfaire leurs besoins essentiels, condamnés désormais à vivre dans un monde où l'on doit acheter, même quand l'argent vient à manquer, tout ce dont on a besoin, même pour survivre. Hervé Sylva signale des cas où des cuisines, des salles de bains, ont été transformées en chambres à coucher. Aux Dockers' Flats, une vingtaine de Chagossiens vivent dans les deux pièces d'un minuscule appartement insalubre. A Cité La Cure, une quinzaine d'entre eux partagent la pièce unique d'une maisonnette. A Pointe-aux-Sables, un groupe de déracinés chagossiens trouvent refuge dans une étable. D'autres dans un parc à cabris. Comment survivre et s'adapter, dans des conditions pareilles ?

La misère de l'exil : désespoir et suicide

Avec leurs descendants, ils sont plus de huit mille à Maurice. La plupart d'entre eux vivent dans les quartiers pauvres où ils avaient échoué à leur arrivée. Bien souvent analphabètes, les « Ilois » ont eu du mal à s'adapter à la vie locale. Beaucoup se sont retrouvés sans emploi. Le chômage suscite une grande inquiétude, surtout chez les jeunes. Alors que le niveau de formation des jeunes s'est amélioré depuis l'arrivée des Chagossiens à l'Ile Maurice, la possibilité de mise en pratique fait défaut. Le chômage est un des problèmes les plus importants auxquels sont confrontés ces jeunes. Au niveau individuel, l'impossibilité de trouver un emploi a des répercussions affectives graves et profondes aboutissant souvent au désespoir. La mère de M. raconte qu'elle n'entrevoit pas de futur possible pour ses enfants. « Je ne pensais pas que mes enfants grandiraient ainsi. Je n'ai pas beaucoup de moyens pour eux. Et je me fais du souci sur les problèmes qui vont arriver »3(*)6. Le comportement suicidaire est ainsi très élevé dans cette catégorie de la population. Le petit hôpital de l'archipel des Chagos n'ouvrait que lorsqu'une femme allait accoucher, car les Chagossiens tombaient alors rarement malades. «Le luxe mauricien nous rend malades», rappèle M. Les difficultés de logement, la pollution, la délinquance et le chômage ont ainsi accru la misère de cette population arrivée à l'Ile Maurice les mains pratiquement vides. Tout cela a entraîné, dans son sillage, un éventail d'autres problèmes graves tels que l'abus de drogues et de l'alcool, la prostitution, la violence et la détérioration de la santé physique et mentale. « Ici, nos enfants sont tombés dans la drogue et le vol » , poursuit M., en désignant son fils de trente-sept ans: « Il est devenu alcoolique, à force d'être chômeur »3(*)7.

De nombreux Chagossiens sont décédés peu après leur arrivée à l'Ile Maurice. Personne n'a jamais vraiment compris de quoi ils étaient réellement morts. La plupart disaient, avec fatalité, que le chagrin les avait emportés, comme on pouvait mourir de froid ou de faim3(*)8. « Mon bébé tétait quand on m'a annoncé la nouvelle. Il a tété du lait de chagrin. L'autre avait huit ans. Il a compris qu'il quittait son pays et il était très triste. Les docteurs ne peuvent pas soigner le chagrin ». En trois mois, M. a perdu ses deux enfants. Elle n'a même pas pu payer les funérailles, faute d'argent. Cette femme pleure toujours aujourd'hui, en espérant rentrer chez elle un jour. « Un jour, le coeur prend froid, et l'on n'a plus assez de forces pour le ranimer. Alors il s'éteint doucement »3(*)9. De nombreux cas de suicides, mais aussi de cas d'enfants ne recevant pas les soins médicaux nécessaires et succombant à l'hôpital, ont fait de la population chagossienne la population de l'Ile Maurice ayant le plus fort taux de mortalité infantile. En 1975 est menée une enquête sur les conditions d'exil des Chagossiens. Elle démontre que vingt-six familles entières sont mortes, à cause de la pauvreté, qu'il y a eu neuf suicides et que des jeunes filles sont forcées de se prostituer pour survivre. En 1976, Le Royaume-Uni affirme que tous sont morts de mort naturelle.

Olivier Bancoult n'avait que quatre ans lorsqu'il est arrivé, en 1968, à l'Ile Maurice avec ses parents, et une petite soeur en mauvaise santé, qui devait être hospitalisée. "Nous avions tout laissé aux Chagos, nous sommes venus avec deux matelas" , raconte M. Bancoult. « On s'est nourri de détritus, mais on a survécu ». Sa mère a perdu quatre de ses enfants et son père est mort quelque temps après avoir débarqué à Maurice. «La pauvreté a tué mon mari et mon enfant de 17 mois. Mes deux fils de 19 et 20 ans sont morts de la drogue que nous n'avions jamais connue dans nos îles», confie sa mère. Le principal représentant de la communauté chagossienne poursuit : "Ma soeur est morte deux mois après notre arrivée, et quand nous avons voulu rentrer chez nous, à Peros Banhos, on nous a dit que nous n'en avions plus le droit." Les larmes de sa mère n'y ont rien fait. Olivier Bancoult a perdu presque toute sa famille depuis son arrivée à l'Ile Maurice. Sa soeur s'est suicidé « elle s'est mise le feu parce qu'elle était découragée par sa vie ». Ses quatre garçons sont morts. « Les deux premiers à cause des drogues dures, et les deux autres, à cause de l'alcool ». Alex, dix ans, qui avait pris l'habitude d'aller arroser les tombes pour se faire des sous, reviendra un jour du cimetière, chancelant et divaguant. Il mourra quelques heures plus tard. « On n'a jamais su si quelqu'un l'avait empoisonné ou s'il avait été battu. » Quant à Eddy, il quittera ce monde à l'âge de trente-trois ans, après vingt ans d'alcoolisme, laissant femme et enfants à la charge des grands-parents. Rita Issou, la mère d'Olivier, fera une dépression qui la conduira à un séjour de deux mois à l'hôpital psychiatrique Brown-Séquard. Olivier Bancoult a été témoin de la misère des Chagossiens à Maurice. Il a vu sa mère fouiller dans des poubelles à la recherche d'une maigre pitance pour ses enfants. C'est sans doute cela qui a forgé son caractère de battant. Ses rencontres avec Nelson Mandela en 2001 et le pape Jean-Paul II en 2002 ont été déterminantes. Mandela lui a dit qu'il était fier de ce qu'il avait accompli et qu'il ne devrait jamais abandonner la lutte.

Il est difficile d'estimer l'ampleur que la drogue et l'alcool ont pu prendre chez les jeunes, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle est majoritaire pour ceux dans des conditions d'exclusion sociale et économique. La pauvreté est vue comme un facteur influençant la prise d'alcool, dans la mesure où ces jeunes, n'ayant pas accès à l'emploi, aux loisirs, restent chez eux4(*)0. La prise d'alcool est une façon de compenser le manque existant et d'oublier, pendant un temps seulement, que les ressources financière sont limitées.

En 1985, un film est réalisé sur les conditions de vie de ces exilés. Il suit notamment une famille de vingt-cinq personnes qui dorment toutes dans une seule pièce, le bébé dormant dans un tiroir du placard. Dans cette cité, « les logements sont trop exigus, le bruit trop envahissant, l'argent trop inaccessible, l'horizon trop barré ». Aujourd'hui, cette même famille en est toujours au même point. « On dort toujours par terre. On a pas de quoi manger. Rien n'a changé depuis vingt ans. On vit toujours de la même manière ». Seul bémol de plus, la femme de M. C. a eu une crise cardiaque depuis. « Elle est morte de chagrin ». Comment continuer à vivre, quand on n'a « même plus l'air qu'on respirait, l'environnement qu'on aimait, la maison dans laquelle on a grandi ? ». Cassam Uteem, ancien président de la République de l'Ile Maurice affirme « qu'aucun être humain ne peut traiter un autre être humain de la façon dont les Britanniques traitent les Chagossiens ». Pour M., ce n'est plus à la justice des Etats-Unis ou du Royaume-uni de reconnaître et d'arranger la situation. « Dieu les punira pour le mal et la souffrance qu'ils nous ont fait »4(*)1.

L'indifférence de la grande majorité des Mauriciens autour de ce dossier est, somme toute, criminelle. Ce qui explique l'isolement des Chagossiens face au reste de la population. Comble de l'incrédulité : après avoir visité deux cases vétustes où vivent des Chagossiens, Bill Rammell s'est dit «pas convaincu qu'ils vivent dans la pauvreté. Quelques Chagossiens vivent dans des conditions difficiles mais ce n'est pas en raison de leurs origines. Des Mauriciens vivent aussi dans des conditions difficiles.» Selon lui, l'exclusion d'une certaine partie de la population à l'Ile Maurice, en l'occurrence, la population chagossienne, a très certainement pour origine un manque de redistribution de la richesse nationale au sens large, du fait d'un faible reconnaissance de leur situation, voire de leur existence. Même si les choses commencent un peu à bouger depuis quelques mois, il n'en reste pas moins que les conditions de logement, par exemple, restent très précaires : tôle, bois, carton et bâches ; problèmes constants d'électricité ; pas de système d'écoulement des eaux usées, et parfois même pas de système de distribution de l'eau. On a, dans ce cas, affaire à une véritable exclusion d'un groupe de la population, qui ne reçoit, bien entendu, aucune forme d'aide sociale. Et pourtant, ceux que l'on appelle « les précaires, qui vivent déjà dans l'incertitude du lendemain, souffrent du regard des autres, de sorte que les préjugés et le mépris dont ils sont si souvent l'objet aggravent leur situation »4(*)2. Quelles sont ces idées préconçues qui leur sont tellement préjudiciables ? La plus courante voudrait que les « précaires » soient responsables de leurs propres difficultés. On les présente alors comme êtres paresseux, profitables, voire agressifs. On va jusqu'à les craindre. Plus on les aide, disent certaines personnes qui pensent que l'aide est donnée à fonds perdus, plus ils s'installent dans une situation d'assistés et deviennent passifs. On tient les parents pour responsables des actes de délinquance de leurs enfants. M. rappèle tout de même : «Ici, nous n'avons jamais de travail. Beaucoup d'entre nous ont mangé et nourri leurs enfants dans les poubelles de Cassis, Pointe-aux-Sables ou Baie-du-Tombeau, des faubourgs de la capitale, Port-Louis, où nous avons vécu pendant plus de trente an.»4(*)3. Il arrive même que la maladresse des pères embauchés comme ouvriers soit mise en avant pour expliquer les accidents de travail dont ils sont victimes. La situation d'aujourd'hui semble, par moments, désespérée, mais les tentatives de reconnaissance et de résistance permettent aux Chagossiens de continuer à survivre et lutter pour leurs droits.

Souvenirs et présent : un douloureux mélange

île nous reste les cartes, les traces

vies voilées par l'histoire violée

île nous reste à crier et écrire

la haine imbécile

et l'histoire qui s'enchaîne

Diego ton nom sur la carte rayé

Diego amour

Diego amer

Diego à mort...

Les jeunes Chagossiens des quartiers pauvres de l'Ile Maurice affrontent plusieurs difficultés, dans leur tentative de (re)construire leur identité : tout d'abord, chez le jeune de la deuxième génération (ceux nés à l'Ile Maurice), se retrouve le lourd héritage familial, le mal être parental du traumatisme de l'exil. Ce pôle traumatisant leur est transmis soit d'une manière ouverte, soit voilée sous la forme d'un silence. « des cris silencieux terrés dans des gorges humaines, des cris qui n'ont pas éclaté parce qu'ils n'ont pas franchi les bouches aux dents serrées... Ils résonnent en lui, les cris silencieux que ces hommes et ces femmes ont étouffés au fond de leur gorge, tellement qu'ils ont coulé de leurs yeux en longues traînées salées », p.137-1384(*)4. Les parents, par peur de blesser les enfants, parfois par honte, ou parce qu'ils sont déprimés, ne transmettent pas leur histoire, ou en tout cas, pas toute leur histoire de leurs origines à leurs enfants, qui risquent de rester ainsi dans le doute quant à leur histoire et origine. Dans « Le Silence des Chagos », Shenaz Patel nous fait ressentir toute cette tragédie d'apatride, dans le personnage de Désiré, surnommé Nordvaer puisqu'il est né sur ce bateau. Il cherche désespérément à connaître la vérité sur ce nom qui lui paraît si étrange, mais sa mère n'arrive pas à lui expliquer son histoire. « Et non, on n'avait plus de maison. Et plus de pays. Plus rien »4(*)5, lui révèle enfin sa mère, p.86. La transmission de cette impasse crée des conditions qui font que ces jeunes n'arrivent pas à accéder à leur nouvelle partie. Ils font l'impasse sur leur nouvelle origine, car l'ancienne n'est pas vraiment donnée. En d'autres mots, ils n'arrivent pas à se sentir Mauriciens, et ne peuvent pas non plus se sentir Chagossiens, puisqu'ils n'ont connu cette terre, que d'après les récits que leur en ont fait leurs parents. Britanniques ? Quelques uns le sont, mais juste par une carte d'identité. N'être citoyen d'aucun pays, ni protégé d'aucun gouvernement, n'avoir aucun droit, peut-être même n'avoir aucune existence « légale », est le quotidien de ces enfants nés à l'Ile Maurice. Désiré essaye tant bien que mal d'obtenir les papiers nécessaires pour travailler, mais il se rend vite compte qu'il lui manque quelque chose d'essentiel pour ouvrir un compte en banque, et toucher ainsi sa paye, une carte d'identité. « Il était ressorti de la banque quelques minutes plus tard, désemparé. Il n'avait pas de carte d'identité... Il ne pouvait pas avoir de carte d'identité nationale. Il n'était pas mauricien », p. 130-1314(*)6.

En ce sombre détroit, les exclus ne perdent pourtant pas espoir. Ce qui frappe le plus, sans doute, dans les propos recueillis, dans les visions qui s'en dégagent, est le souci de dignité qu'affichent les enquêtés. En dépit de l'échec, par delà la honte qui pousse, tout est chez eux tendu vers la préservation de l'estime de soi. Alors se manifeste, cette volonté d'être reconnu, qui engendre des stratégies d'adaptation, des reconfigurations identitaires permettant l'émergence d'un sujet autonome porteur d'énergies et de projets. Et ce sujet imagine des innovations qui pourraient bien le dépasser car il doit « concilier des aspirations individualistes et l'attachement à des normes de solidarité, il doit inventer un système de valeurs capable de résoudre les dissonances qu'il perçoit dans les rapports entre sa réalité vécue, le droit et l'idéologie »4(*)7. Peu de recherches ont montré comment des populations en situation précaires étaient aussi capables de se mobiliser collectivement pour agir, inventer des espaces sociaux où elles se reconnaissent, où un travail de réhabilitation identitaire peut s'engager. C'est à ces dernières représentations de la réalité qu'il est nécessaire de s'intéresser. Il faut y inclure les représentations de soi, dans la mesure où il est question, pour ces personnes, de souffrances et d'une identité mise à l'épreuve dans ses fondements par l'exclusion et la marginalisation.

On peut donc penser, qu'en dépit de tous les malheurs, de toutes les difficultés, des crises périodiques qui secouent ce petit monde, la vie néanmoins mérite réellement d'être vécue. Le sourire est de règle, même au milieu des décombres. Il semble, en effet, que ces Mauriciens, coincés dans des difficultés invraisemblables pour bien des Occidentaux, conservent une énergie vitale sans défaillance. Et pourtant, on sait que le découragement, l'angoisse et la folie (liée en grande partie à l'alcool) ne cessent de déferler sur cette population qui, pourtant, sait si bien composer avec le désespoir. Si les situations de précarité et d'exclusion créent chez les individus de la honte, de la captivité, de l'errance, elles fabriquent aussi du lien et de l'engagement social. On passe de l'individu au groupe, du « je » au « nous » par des dynamiques associatives, voire communautaires4(*)8. Les individus se reconnaissent mutuellement comme actifs, socialement ou culturellement, là où ils sont catégorisés comme « sans ressources ». Ils développement alors des capacités de mobilisation et d'organisation, produisent des biens collectifs que chacun s'approprie en fonction de son histoire. Cette mobilisation collective est flagrante quand on regarde que trois associations de Chagossiens se sont formées dans les mois qui ont suivi leur déportation, deux à l'Ile Maurice et une aux Seychelles. La mobilisation internationale a été un peu plus longue à se mettre en place, mais aujourd'hui, on ne peut qu'être admiratif devant ces modes de résistance de leur identité collective, qui a pu être relayée par la voix internationale. A échelles différentes, leur résistance a réussi à supporter le poids des années, les opinions divergentes, et surtout à dépasser ce frein politique qui leur parvenait de toute part. Cette naissance d'une organisation sociale et politique, aujourd'hui largement soutenue, est peut-être la solution pour aller maintenant de l'avant4(*)9.

Malgré cela, la plupart d'entre eux se souviennent encore d'un débarquement dans le dénuement et la solitude. Alors ils préfèrent évoquer leur vie d'avant, leur vie volée. « J'ai perdu ma terre natale, une existence paisible où la cloche de l'église sonnait tous les jours à onze heures pour signaler l'arrêt du travail. J'étais forgeron le matin et j'allais pêcher l'après-midi. Quant aux autres, ils travaillaient dans l'industrie du coco ou dans l'artisanat. »5(*)0 Et les villageois se réunissaient le samedi soir au « bal bobèche » pour danser le Séga au son de la ravane, boire le rhum, chanter la vie créole. Aujourd'hui, ils ne demandent rien de plus que de retrouver cet âge d'or qui passe par le droit retour. A l'évocation de ses souvenirs, M., qui ne se rappèle plus son âge, esquisse un sourire. Son visage fatigué s'illumine quand elle parle des samedis soir où la population dansait le sega jusqu'à l'aube. « Là-bas, conclut-elle, on avait tout sans rien payer, je mettais le riz sur le feu, j'allais pêcher et je rentrais avec un poisson avant que le riz ne soit cuit ».

Les souvenirs sont toujours là, bien présents derrière les paupières fatiguées, dans chaque fibre de leur peau. Ce ne sont pas des souvenirs, non. Ce sont des êtres, des lieux, des sensations, des sentiments plus vivants que ne saurait jamais l'être leur présent anesthésié, où leur coeur bat sans écho. Les jeunes se sentent trop à l'étroit sous leurs paupières bleutées qu'ils voudraient entrouvrir sur un au-delà qui leur est refusé. M. l'exprime clairement en disant : « Le souvenir, c'est un hameçon qui se fiche sous la peau. Plus tu tires dessus, plus il te cisaille les tissus et s'enfonce profondément. Impossible de le faire sortir sans inciser la chair. Et la cicatrice qui restera sera toujours là pour te rappeler la crudité de cette douleur. Mais tu n'arrêteras pas pour autant d'y revenir. Sans cesse. Car c'est là que pulse toute ta vie. Vois-tu, c'est plus vivant encore que le souvenir. On appelle ça la souvenance »5(*)1.

Étrangers au monde de la géopolitique, les Chagossiens ont bien été les premières victimes des desseins stratégiques des puissances occidentales dans l'océan Indien et, plus généralement, de la rivalité idéologique Est-Ouest dans cette partie du monde. Comment auraient-ils pu imaginer qu'un jour leur modeste et paisible archipel perdu au coeur de l'Océan Indien serait conduit à abriter la plus importante base militaire aéronavale occidentale dans cette partie du monde ? Le sort de ces insulaires a été pendant longtemps tragique. L'hospitalité mauricienne a fait défaut : aucune structure digne de ce nom n'a été mise en place pour les accueillir à Port-Louis. La totale désinvolture des autorités locales peut surprendre. Si les Mauriciens ont obtenu leur indépendance de manière pacifique et démocratique en 1968, c'est en grande partie à la suite du sacrifice imposé aux Chagossiens par les Britanniques avec la complicité des autorités mauriciennes, ces dernières ayant abandonné avec légèreté en 1965 leur souveraineté sur les Chagos. Exilés dans un pays relativement lointain, plutôt pauvre à l'époque et déjà surpeuplé - ceux qu'on a parfois appelés, dans la presse progressiste des Mascareignes, les "Palestiniens de l'océan Indien" - ont été purement et simplement "dispatchés" dans les bas-quartiers de Port-Louis et abandonnés à leur sort le jour même de leur arrivée à Maurice ! Très nombreux sont ceux qui, pendant longtemps, n'ont pas trouvé de travail, ont souffert de malnutrition et de sous-nutrition ou ont sombré dans l'alcoolisme, la délinquance, la prostitution ou la toxicomanie quand ce n'est pas dans le désespoir, la violence, la démence ou le suicide. Presque tous ont connu l'exclusion sociale ou le mépris de la population mauricienne ou ont eu des difficultés considérables à s'insérer dans une société pourtant réputée "arc-en-ciel", multiraciale et multiculturelle. En outre, le passage d'une économie de troc statique à une économie monétarisée et déjà dynamique a certainement pesé très lourd sur la vie quotidienne des Chagossiens à Maurice. Ainsi, les Chagossiens se retrouvent-ils à la case départ après avoir constaté une légère embellie à leur situation. Beaucoup parmi eux sont déjà morts en exil à Maurice ou aux Seychelles et parmi les survivants - nés aux Chagos - combien peuvent raisonnablement espérer revenir et s'installer sur les lieux de leur enfance avant de mourir ? Primo Lévi, dans « Si c'est un homme », explique : « Qu'on imagine maintenant un homme privé non seulement ... de sa maison, de ses habitudes, de ses vêtements, de tout enfin, littéralement de tout ce qu'il possède : ce sera un homme vide, réduit à la souffrance et au besoin, dénué de tout discernement, oublieux de toute dignité, car il n'est pas rare, quand on a tout perdu, de se perdre soi-même »5(*)2.

Choisis ou imposés, les déplacements laissent des séquelles. L'absence de repères, les souvenirs des exilés, les pertes de l'environnement culturel, mais aussi l'alcool, le chômage, etc... sont à l'origine de pathologies qu'il faut apprendre à traiter de manière adaptée. Il faut pouvoir être capable d'apporter une réponse experte aux personnes migrantes en souffrance. Lors des enquêtes, il est parfois difficile de continuer un entretien vers l'objectif fixé au départ. La douleur des personnes interrogées est assez déconcertante, si on n'y est pas préparé. On ne peut pas ne pas partager cette douleur qui arrive par à coups, sans prévenir, au détour d'une phrase, d'un souvenir ou d'une image. La distance permet un peu d'estomper cette souffrance. Deux des entretiens ont donc été réalisés par Webcam, en interrogeant des personnes à l'Ile Maurice. Les résultats sur place, en France, on été plus étayés, mais aussi plus difficiles à mener, du fait de cette émotion toujours latente. Tout en essayant de ne pas se prendre pour ce que l'on n'est pas, il est capital d'écouter au maximum le vécu de ces personnes qui sont encore dans la souffrance aujourd'hui, pour être à même d'apporter une aide, ne serait-ce mineure. Pour pouvoir avoir une meilleure approche de la question de la santé, chez les migrants, en général, il apparaît donc nécessaire de faire appel à l'anthropologie, pour que les intervenants chargés des soins ou de l'accueil de ce public particulier apportent des réponses efficaces à leur vécu. A l'heure actuelle, beaucoup de chemin reste à parcourir dans ce domaine, mais ce serait là, peut-être, une occasion d'ouverture pour l'anthropologie...

Conclure... C'est, traditionnellement, établir un bilan, et si possible partir en laissant une porte ouverte, car rien n'est jamais clos. C'est aussi essayer de sortir d'un texte avec plus ou moins d'élégance, plus ou moins de regrets, d'intentions restées en cale. Cela est d'autant plus difficile que le sujet mérite qu'on ne conclue pas, pour toujours se souvenir de cet épisode tragique qui marque à jamais la chair des Chagossiens. On ne doit pas oublier que le sort des Ilois, dont les droits ne sont pas encore reconnus, est encore un nouvel exemple des tragédies vécues par les populations déplacées.

BIBLIOGRAPHIE

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Delcroix Catherine, « Ombres et lumière de la famille Nour :Comment certains résistent face à la précarité », Petite Bibliothèque Payot, Paris, 2001.

Mésini B., Pelen JN., Roulleau-Berger L., « Exclusions, inventions et résistance », Anthropos, Paris, 2001

Moro P.R., « Parents en exil, psychopathologie et migration », PUF, Paris, 1994

Patel Shenaz, « Le Silence des Chagos », Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2005

« Sensitive », Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2002

Piquet Daniel, « Mal vu, Mal dit », in « Dire l'exclusion », érès, 1999

Soussan Judith, « Les SDF africains en France, représentations de soi et sentiment d'étrangeté », CEAN Karthala, Paris, 2002

Wolff Eliane, « Quartiers de vie : approche ethnologique des populations défavorisées de l'île de la Réunion », Meridiens Klincksieck, Paris, 1991

Feasibility Study for the resettlement of the Chagos Archipelago, Volumes I, II and III

Chansons :

Album « Pei natal », Charlesia

« Peros vert », Ton Vié

« Diego », Cassiya

Films :

« Stealing a Nation », John Pilger

« Diego Garcia », émission « Le Dessous des Cartes »

« Diego Garcia », émission « Thalassa »

Internet :

Quotidiens nationaux mauriciens : www.lexpress.mu et www.lemauricien.com

Site officiel de la base américaine de Diego Garcia : http://www.dg.navy.mil/

Comité Suisse de Soutien aux Chagossiens : http://www.chagos.org/

Site officiel de John Pilger : http://www.johnpilger.com/

Fonds de Conservation de l'Archipel des Chagos : http://www.chagosconservationtrust.org/

Contexte géopolitique de Diego Garcia : http://www.geocities.com/ka9hhu/Diego_Garcia.html

Populations autochtones http://www.hri.ca/fortherecordCanada/bilan/vol2/indigenouschr02.htm

Défense des minorités dans le monde : http://www.minorites.org et http://www.minorityrights.org

Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés : www.unhcr.ch

Biographie de Shenaz Patel : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/patel.html

Croix-Rouge Suisse : http://www.redcross.ch/mag/mag/index-fr.php?id=108&page=547

La santé des migrants : http://www.migrations-sante.org/

La santé des primo-arrivants : http://fondshoutman.be/cahiers/02_012006/html-n/ch02.html

Ethnopsychiatrie : http://www.lien-social.com/article.php3?id_article=234

Consultations transculturelles :

http://www.ch-sainte-anne.fr/fr/services/psy/adultes/secteur13/activites.htm

http://www.p-s-f.com/psf/mot.php?id_mot=101

Péi natal (Pays natal)

Létan mo ti viv dan Diégo (Quand je vivais à Diégo) (ter)

Mo ti kouma payanké dan lézer (J'étais comme un paille-en-queue dans le ciel)

Dépi mo apé viv dan Moris (Depuis que je vis à Maurice)

Dépi mo viv dan Moris (Depuis que je suis à Maurice)

La mo amèn la vi kotomidor (Je mène une vie de bâton de chaise)

Done la min mo kamarad (Aide-moi mon ami)

Done moi la min krié (Aide-moi à crier)

Done la min mo kamarad (Aide-moi mon ami)

Nou avoy nou mesaz dan lé mond (A envoyer notre message à travers le monde)

Avoy mesaz dan lé mond (Envoyez le message au monde)

Avoy mo mesaz dan lé mond (Envoyez mon message au monde)

Avoy mesaz dan lé mond (Envoyez le message au monde)

Baz naval li dan nou loséan (Il y a une base navale dans notre océan) (bis)

Na pa bat moi lapolis (Ne me battez pas, police)

Na pa bat moi misié gard (Ne me battez pas, monsieur le policier)

Pa bat moi lapolis (Ne me battez pas, police)

Mo rod mo larzan lil Diégo (Je cherche ma compensation pour Diégo)

Ler dimane la moné (Quand je demande de l'argent) (ter)

Mo apé gayn baté ar baton (On me tabasse à coups de bâton)

Pa bat moi mo serzan (Ne me battez pas, sergent)

Pa bizin bat moi do serzan (Nul besoin de me battre, sergent)

Pa bat moi mo serzan (Ne me battez pas, sergent)

Mo rod mo larzan lil Diégo (Je cherche ma compensation pour Diégo)

Sagrin mo éna dan léker (Mon coeur est plein de chagrin)

Get mo piti ki pé lévé (Voyez mon enfant qui grandit)

Get piti ki apé lévé (Voyez les enfants qui grandissent)

Pa kone péi natal so mama (Sans connaître le pays natal de leur mère)

Charlesia, « Péi natal »

DIEGO LAMENT

An island in the ocean,
paradise this is not,
we're doomed to spend our tour,
in the land that time forgot.

Down with smoke and liquor,
we're the gallant warriors in blue,
stuck amidst of nowhere,
a million miles from you.

Guardians of the footprint,
we earn our meager pay,
supporting naval vessels,
for two and a half a day.

Alone and bunked at nighttime,
yearning for that lovely miss,
to fondle with sweet memories,
to savor that treasured kiss.

In rain and heat we labor,
our boots are filled with sand,
although not classed as convicts,
but protectors of our land.

No one knows we're living,
no one gives a damn,
who would ever wonder,
`cause we're owned by Uncle Sam.

The time we spend on Diego,
is time we'll never miss,
let NMPC get you,
but don't ever ask for this.

When pearly gates are opened,
 and life will be anew,
our frowns will turn to laughter,
and the joke will be on you.

For high above in heaven,
you'll hear St. Peter yell,
«FALL IN YOU WARRIORS FROM DIEGO,
YOU'VE SPENT YOUR TIME IN HELL!!

Poème de Ralph Blessing, 1987

QUELQUES CHIFFRES

? Le nom Chagos vient du portugais « chinqua chagas » (les cinq plaies du Christ) qui a été réduit à Chagas, puis s'est transformé en Chagos.

? L'archipel des Chagos, 64 km2, est composé de 65 îlots. Diego Garcia est la plus grande île. Sa superficie est de 27 km2. Le territoire marin fait 13 000 km2.

? Peros Banhos est composé de 27 îlots, Salomon, de 11 îlots, Egmond, de 7 îlots.

? 332 familles, soit 1 500 à 2 000 personnes, ont été déracinées des Chagos entre 1965 et 1973.

? Actuellement, le nombre de Chagossiens de la première génération se chiffre à 850 ; ceux de la seconde génération sont 5 200.

? Sur 100 Chagossiens faisant partie du voyage, 75 sont du GRC (Groupement réfugiés Chagos), 10 du CSC (Comité social des Chagossiens) et 15 des Seychelles (Comité social des Chagossiens aux Seychelles).

REPERES HISTORIQUES :

? Les années 1780 : Le peuplement des Chagos débute.

? 1814 : La France cède les Chagos au Royaume-Uni..

? 1824 : Le gouvernement britannique nomme le premier agent chargé de la gestion des Chagos.

? 1835 : Les Britanniques abolissent l'esclavage dans les colonies. La communauté chagossienne choisit de rester dans les îles.

? 1861 : Plus de 550 personnes habitent l'archipel. La majorité travaille dans les plantations de copra.

? Vers le milieu des années 1960 : Environ 1 000 personnes nées aux Chagos habitent Diego Garcia, Peros Banhos et Salomon (aujourd'hui le nombre de natifs et de leurs descendants s'élève à environ 4 500 personnes).

? 1964 : Des négociations secrètes entre les autorités britanniques et américaines débutent. Leur objectif est de créer une base militaire dans l'Océan Indien. Elles effectuent une étude qui conclut que « l'acquisition de Diego Garcia à des fins de sécurité impliquera le déplacement de toute la population existante de l'île ».

? Septembre 1965 : Rencontre à Lancaster House, en Angleterre, entre le Secrétaire Britannique aux Colonies, Anthony Greenwood, et le Premier Ministre mauricien, Seewoosagur Ramgoolam. Un extrait du dossier de cette rencontre démontre que le Premier ministre, Sookdeo Bissoondoyal et Razack Mohamed « étaient prêts à agréer le détachement » des Chagos moyennant, entre autres, le paiement de £3 millions de compensation au gouvernement mauricien.

? 1965 : Les Etats-Unis informent le Foreign Office britannique que « les procédures de détachement devront inclure l'archipel entier ». A la demande du gouvernement américain, le gouvernement britannique détache les Chagos de l'Ile Maurice et établit le British Indian Ocean Territory (BIOT). Même si les Britanniques gèrent le BIOT, les Etats-Unis louent les îles et contrôlent Diego Garcia. Le Royaume-Uni obtient une remise de $14 millions sur le programme de développement du missile Polaris.

? Décembre 1965 : La résolution 2066 est votée par l'Assemblée Générale des Nations unies. Elle y invite le gouvernement britannique à prendre des mesures efficaces afin d'appliquer la résolution 1514, qui contient la Declaration on the Granting of Independence to Colonial Countries and Peoples.

? De 1965 à 1973 : La dépopulation des Chagos a lieu en trois phases. Il est défendu aux Chagossiens qui se déplacent à l'étranger de retourner dans l'archipel. Ils sont séparés de leurs familles. L'importation de nourriture est strictement contrôlée pour essayer de pousser les Chagossiens à partir. Finalement, les habitants de Diego Garcia sont transportés de force à Peros Banhos et à Salomon. Deux ans plus tard, des navires mal ravitaillés en eau et nourriture et surpeuplés amènent les Chagossiens à Maurice et aux Seychelles. Des officiels britanniques et américains mentent aux Nations unies et au Congrès. Ils affirment que les Chagossiens sont des travailleurs contractuels saisonniers.

? 1982 : Un comité permanent est établi par l'Assemblée Nationale pour enquêter sur « les circonstances qui ont mené à et ont suivi l'excision de l'archipel des Chagos, incluant Diego Garcia, de l'Ile Maurice en 1965 et la nature exacte des transactions qui ont eu lieu ». Présidé par le ministre des Affaires Etrangères, Jean-Claude de l'Estrac, le comité détaille, entre autres, le rôle du gouvernement mauricien dans l'excision de l'archipel et dénonce le gouvernement britannique pour avoir « bafoué » la Charte des Nations Unies. Il rejette également les déclarations de Seewoosagur Ramgoolam et Veerasamy Ringadoo qui avaient affirmé devant le comité qu'à aucun moment « ils avaient été mis en présence d'un document relatant l'excision des îles ».

? Novembre 2000 : Les journaux britanniques montrent un Olivier Bancoult triomphant à sa sortie de la Haute Cour de Londres. La cour a en effet jugé illégal le déplacement du peuple chagossien. Après des années de souffrance, les Chagossiens ont enfin gagné le droit de rentrer chez eux !

? Juin 2004 : Le gouvernement du Premier ministre de Tony Blair révèle que deux Orders in Council signés par la reine Elizabeth II renversent la décision de la cour et prohibent à jamais le retour des Chagossiens dans l'archipel.

? 30 mars 2006 : Le Trochetia, navire battant pavillon mauricien, quitte la rade de Port-Louis avec à son bord une centaine de Chagossiens. Destination : Salomon, Peros Banhos et Diego Garcia où une fête organisée par les militaires américains était prévue. La visite de mémoire durera une dizaine de jours.

* 1 Extrait d'entretien avec M. (dans un souci de grande confidentialité, je me suis engagée à ne divulguer aucun nom qui pourrait permettre de reconnaître ces personnes, pour ne pas risquer de les compromettre sur ce sujet qui reste tabou pour beaucoup)

* 2 « Maintaining the fiction », rapport secret de la CIA

* 3 Extrait d'entretien avec M.

* 4 Ibid.

* 5 http://www.dg.navy.mil/

* 6 http://www.geocities.com/ka9hhu/Diego_Garcia.html

* 7 Extrait d'entretien avec M.

* 8 Ibid

* 9 http://www.chagos.org/

* 10 http://www.hri.ca/fortherecordCanada/bilan/vol2/indigenouschr02.htm

* 11 Extrait d'entretien avec M.

* 12 http://www.minorites.org

* 13 Feasibility Study for the resettlement of the Chagos Archipelago, Volumes I, II and III

* 14 http://www.chagosconservationtrust.org/

* 15 http://www.geocities.com/ka9hhu/Diego_Garcia.html

* 16 http://www.johnpilger.com/

* 17 Patel Shenaz, « Le Silence des Chagos », Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2005

* 18 www.unhcr.ch

* 19 Extrait d'entretien avec M.

* 20 Extrait d'entretien avec M.

* 21 Ibid.

* 22 Ibid.

* 23 Extrait d'entretien avec M.

* 24 Extrait d'entretien avec M.

* 25 Ibid.

* 26 « Stealing a Nation », John Pilger

* 27 « Stealing a Nation », John Pilger

* 28 Extrait d'entretien avec M.

* 29 Extrait d'entretien avec M.

* 30 Ibid.

* 31 Ibid.

* 32 Ibid.

* 33 Ibid.

* 34 Patel Shenaz, « Le Silence des Chagos », Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2005

* 35 Extrait d'entretien avec M.

* 36 Extrait d'entretien avec M.

* 37 Ibid.

* 38 http://www.migrations-sante.org/

* 39 Extrait d'entretien avec M.

* 40 Croix-Rouge Suisse : http://www.redcross.ch/mag/mag/index-fr.php?id=108&page=547

* 41 Extrait d'entretien avec M.

* 42 Delcroix Catherine, Ombres et lumière de la famille Nour « Comment certains résistent face à la précarité », Petite Bibliothèque Payot, Paris, 2001

* 43 Extrait d'entretien avec M.

* 44 Patel Shenaz, « Le Silence des Chagos », Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2005

* 45 Ibid.

* 46 Patel Shenaz, « Le Silence des Chagos », Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2005

* 47 Soussan Judith, Les SDF africains en France, représentations de soi et sentiment d'étrangeté, CEAN Karthala, Paris, 2002.

* 48 Mésini B., Pelen JN., Roulleau-Berger L., Exclusions, inventions et résistance, Anthropos, Paris, 2001.

* 49 Wolff Eliane, Quartiers de vie : approche ethnologique des populations défavorisées de l'île de la Réunion, Meridiens Klincksieck, Paris, 1991

* 50 Extrait d'entretien avec M.

* 51 Extrait d'entretien avec M.

* 52 Piquet Daniel, Mal vu, Mal dit, in Dire l'exclusion, érès, 1999






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