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Analyse pragmatique du témoignage des anciens malades alcooliques sur les forums Internet : Influence et représentations

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par Michel Naudet
Université Paris 8 - Maîtrise de psychologie clinique 2004
  

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Analyse pragmatique du témoignage des anciens malades alcooliques sur les forums Internet : Influence et représentations

Table des matières

Introduction 3

Problématique 5

L'alcool 5

Les représentations sociales de l'alcoolisme et de l'alcoolique 7

Les effets de l'alcool sur le système nerveux 9

Le concept d'addiction 10

La dépendance 10

Le parcours de l'alcoolique : de la non consommation primaire à la guérison - Courbe de Jellinek 18

Le témoignage 24

Développement : Vérification des hypothèses 27

Méthode 27

Critères de sélection 28

Hypothèse 1 28

Hypothèse 2 35

Hypothèse 3 40

Conclusion 52

Bibliographie 53

Annexes 54

Je remercie tous les enseignants de Paris 8 pour m'avoir notamment permis de découvrir le monde fascinant des addictions.

De nombreux malades alcooliques « guéris » éprouvent le besoin de témoigner de leur lutte contre la dépendance. Au lieu d'essayer d'oublier ce produit qui leur a empoisonné la vie durant des années, ils ne tournent pas la page. Au contraire, l'alcool occupe toujours une place centrale dans leur univers. Certains adhèrent à une association d'anciens buveurs, d'autres créent des liens par Internet, mais quel que soit le type d'action adopté, un grand nombre d'entre eux souhaitent apporter leur témoignage pour aider à leur tour les personnes ayant un problème avec l'alcool.

Mais que nous disent vraiment les anciens alcooliques lorsqu'ils témoignent, notamment sur Internet ? A qui s'adressent-ils en fait ? De quelle nature est la relation qui s'instaure entre alcooliques en détresse et anciens alcooliques ? Comment ces témoignages peuvent-ils avoir de l'influence ? Nous allons essayer dans le présent mémoire de répondre à quelques unes de ces questions.

Introduction

J'ai choisi la problématique de l'alcool pour mon mémoire de Maîtrise car je poursuis en parallèle un DESU d'Addictologie (« Toxicomanies ») à Paris 8 et souhaite orienter mon projet professionnel vers la prise en charge des conduites addictives.

J'ai effectué mon stage au CCAA (Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie) de St Denis, où avait lieu chaque lundi à un groupe de parole ayant pour thème les problèmes d'alcool.

Animé par la psychologue de l'unité et un médecin alcoologue, ce groupe est ouvert à toute personne désireuse de s'informer ou s'exprimer sur la problématique de l'alcool. Il réunit des participants venant d'horizons très différents. En schématisant, il s'agit de patients en difficulté avec l'alcool, conscients ou non de leur problème, de membres militants d'associations d'anciens buveurs, de conjoints d'alcooliques et de membres du personnel soignant de l'hôpital.

Toutes ces personnes sont invitées à échanger pour tenter de répondre à leurs questionnements et comparer leurs expériences. L'objectif principal de cette réunion est quand même de montrer aux patients hospitalisés ou fraîchement sevrés qu'il existe un avenir après l'alcool et que d'autres personnes s'en sont sorties après avoir vécu la même expérience.

Il existe de nombreux types de patients : malades hospitalisés pour une alcoolopathie ou un sevrage, personnes conscientes de leurs difficultés avec l'alcool et souhaitant y remédier, personnes adressées par la justice (retrait de permis, violences conjugales ou délit sexuel en état d'ivresse), personnes conseillées par leur médecin ou leur entourage mais déniant toute consommation nocive, etc.

Si nous ajoutons à ces catégories déjà nombreuses les sous-catégories âge, milieu socioculturel, sexe et ethnie, nous obtenons un éventail de participants très large, dont le seul vrai lien est, à titre divers, l'alcool.

Dès les premières réunions, plusieurs constats s'imposent :

1) Certains malades alcooliques guéris (depuis plus de 20 ans parfois) ont rechuté 3, 5, voire même 10 fois avant d'arriver à cette abstinence durable.

2) Les anciens malades alcooliques qui témoignent ne donnent jamais ou très rarement de conseils pratiques pour cesser de boire ou éviter de rechuter. Il s'agit toujours d'un discours narratif à la première personne, souvent dramatisé ou théâtralisé, où l'ivrogne, l'alcoolo, le pauvre type qu'ils étaient auparavant est stigmatisé et rejeté. Lorsqu'ils sont sollicités pour répondre à une question ou donner un conseil, ils citent le plus souvent une anecdote personnelle illustrant la situation évoquée puis en induisant un principe premier ayant valeur de vérité. Ex : Un patient hospitalisé fraîchement sevré, évoque le fait qu'il y a de nombreux bistrots dans son quartier et s'interroge sur l'opportunité de déménager pour ne pas céder à la tentation. Un ancien malade alcoolique prend la parole « Moi j'habite dans un immeuble où il y a un café au rez-de-chaussée, c'est là que j'allais picoler, maintenant je continue à y aller mais je bois un café ; ça ne sert à rien d'éviter les café, des troquets il y en a partout quand on veut les trouver, même dans le désert ».

3) Malgré leurs différences, ces patients alcooliques que tout oppose possèdent un référentiel lexical et sémantique commun, souvent étranger aux soignants (non concernés par l'alcool). Ils réagissent aux mêmes propos, semblent comprendre des phrases plutôt obscures (« au début que je buvais, j'avais une limite, je savais qu'il fallait pas que ça tourne, sinon c'était cuit, mais après quelques mois; tourne-tourne petit manège ça m'arrêtait plus ») : les patients rigolent, la psychologue et le médecin sourient poliment mais sans vraiment comprendre, ils sont disqualifiés, ils ne font pas vraiment partie du groupe.

4) J'ai constaté également que les anciens alcooliques militant dans un mouvement d'entraide ne tenaient pas toujours le même langage que les anciens malades n'ayant jamais fréquenté d'association et que ces deux groupes avaient parfois tendance à s'affronter verbalement.

Ces constats amènent plusieurs interrogations :

1) Il est impossible de nier la diversité des expériences, des personnalités, des situations, des âges, des degrés de dépendance exprimés par les sujets alcooliques. Chaque patient possède sa propre histoire, unique et singulière. Ceux qui ont réussi à s'en sortir ont déployé leurs propres stratégies, ont rencontré des difficultés qui leur sont personnelles et éprouvé des souffrances bien spécifiques.

Mais derrière cette apparente hétérogénéité, on a l'impression qu'en fait les personnes qui décident d'arrêter de boire après une dépendance sévère décrivent un « parcours » dont les étapes présentent bien des similitudes. Peut-on définir un parcours généralisable à l'ensemble des alcooliques ?

2) Lorsque nous avons évoqué le groupe de parole, nous avons vu que les alcooliques « en souffrance » ne posent que très rarement des questions directes aux alcooliques « guéris », et reçoivent aussi peu souvent en retour des réponses directes ou des conseils.

En général, la question est posée par le biais d'un « témoignage », c'est-à-dire un récit à la première personne décrivant une situation personnelle face à l'alcool (« Dimanche j'ai été manger chez mon beau-frère, il picole bien lui aussi, mais je ne me suis pas fait avoir, j'ai bu que de l'eau ; il a pas trop compris je crois, il faisait un peu la gueule »).

D'eux-mêmes, les participants en déduisent la question que veut poser ce patient : Que doit-on dire aux gens étonnés par notre refus inhabituel de boissons alcoolisées ?

La réponse ne sera pas plus explicite que la question. En général, c'est un ancien alcoolique membre d'association qui intervient. Il ne va pas s'exprimer sur le mode procédural et donner une recette, mais à son tour évoquer un cas personnel : « moi au début je disais que je prenais des médicaments et qu'il fallait pas d'alcool avec, les gens ils te fichent la paix, ça ils comprennent ».

S'il est facile d'admettre qu'un conseil délivré par un ancien alcoolique parvenu à l'abstinence puisse influencer un malade, il est moins évident de comprendre la raison pour laquelle le récit d'une expérience personnelle très spécifique et à priori non partageable aura le même effet.

Questions de départ :

Ces interrogations nous amènent à poser les questions suivantes :

1) Les malades qui guérissent seuls de l'alcool, sans fréquenter assidûment une association d'anciens buveurs auront-ils le même « parcours psychique » que les personnes aidées par ce type d'associations ?

2) Indépendamment de tous les facteurs existentiels et psychiques qui rendent l'expérience de chacun unique, le malade alcoolique parvenu à l'abstinence parcourt-il un chemin tracé à l'avance dont bien des étapes sont communes à tous ?

3) Comment le témoignage personnel d'un ancien alcoolique parvenu à l'abstinence peut-il influencer ceux qui le lisent ?

Problématique

L'alcool

Histoire de l'alcool et évolution de ses représentations sociales

La fermentation est un phénomène naturel et très courant qui transforme tout liquide sucré en alcool par l'action de levures, micro-organismes présents dans l'air et sur la peau des fruits. Nous pouvons donc imaginer que la rencontre de l'homme avec l'alcool remonte au Néolithique, c'est-à-dire au moment de la sédentarisation, avec l'apparition de l'agriculture. La découverte de ce produit est vraisemblablement due au hasard, par exemple à un mauvais stockage de produits alimentaires laissés à la pluie.

Cette boisson a été rapidement contrôlée et son usage réservé aux pratiques religieuses, divinatoires et médicamenteuses. Les contemporains de cette découverte vont rapidement organiser la production, la consommation et ses bonnes règles, la diffusion, la limitation et la sacralisation du produit.

Dans l'histoire moderne, le début de la révolution industrielle s'accompagne de changements démographiques et de nouveaux comportements sociaux en Europe. On commence à étudier systématiquement et à décrire les méfaits de l'alcool (à l'instar de Charles Dickens).

Un médecin suédois Magnus Hus propose en 1852 le terme d'alcoolisme en décrivant les multiples alcoolopathies somatiques ou mentales. Avec les progrès de la science, les chimistes peuvent attribuer à la même molécule, l'alcool, les effets néfastes de nombreuses boissons alcooliques. Toutefois, seules les boissons distillées étaient mises en cause.

Parallèlement à la publication de romanciers tels que Dickens et Zola sur l'alcoolisme, les premières sociétés de tempérance se constituent en mouvements d'aide tels que La Croix Bleue en 1877 à Genève d'obédience protestante et La Croix d'Or 1910 d'inspiration catholique. Ces associations seront à l'origine des premiers sevrages.

La guerre de 14/18 verra la consommation de vin par habitant en France exploser ; cette alcoolisation est essentiellement masculine, des tas de jeunes conscrits ayant découvert dans ces circonstances dramatiques les propriétés psychotropes de ce produit qui leur donnait du courage et éloignait leurs peurs.

La fin de la première guerre mondiale va marquer le début des lois répressives qui s'intéressent essentiellement à l'ivresse publique, toujours considérée comme un désordre social, et à la protection des mineurs de moins de 18 ans. En 1920 les Etats-Unis instituent la prohibition pendant qu'en France les association anti-alcooliques ne seront plus soutenues par l'état, ni moralement, ni financièrement.

La médecine demeurera jusqu'aux années 1950 assez impuissante devant le phénomène de la dépendance alcoolique et des alcoolopathies. L'apport des vitamines, la découverte de médicaments psychotropes, aidera les médecins. Les méthodes comportementales de dégoût ou de dissuasion apparaissent, la méthode Champeau des piqûres chauffantes est proposée en 1965.

Les années 1970 voient la création des Consultations d'Hygiène Alimentaire devenant Centre d'Hygiène Alimentaire en 1975 pour s'appeler Centre d'Hygiène Alimentaire et d'Alcoologie (CHAA) en 1983 qui se transformeront enfin en Centre de Cure d'Alcoologie Ambulatoire (CCAA) en 1999.

La Ligue Nationale contre l'Alcoolisme, devenue Association de Prévention contre l'Alcoolisme (ANPA) se fixera comme objectif essentiel la prévention et l'application de la législation et non l'aide aux soins. Le monde associatif avec la Croix Bleue et la Croix d'Or crée des Centres de cure et de postcure. Il se laïcise avec la création de Vie Libre en 1953, proche du milieu du travail et des mouvements d'Education Populaire. L'aide à la réinsertion professionnelle devient un de leurs principaux objectifs.

Les Alcooliques Anonymes est une association issue de la rencontre en 1935 de deux buveurs américains qui sont ainsi devenus abstinents. Ceux-ci éditent un livre en 1939 " les Alcooliques Anonymes " dans lequel ils développent l'idée de maladie comportementale caractérisée par une perte de contrôle des consommations et dont le seul traitement est l'abstinence absolue (sobriété), renouvelée de 24h en 24h . Ce traitement n'est selon eux possible qu'avec le partage de l'expérience de chacun mise en commun. Le centre d'intérêt sera une réflexion commune et comportementale sur le " comment " on boit, " comment " on s'arrête et non sur le " pourquoi " je bois.

Ce mouvement sera introduit en France en 1960. Il existe également des mouvements associatifs professionnels issus des grandes entreprises publiques ou privées (La poste, SNCF, RATP, Renault, etc.)

Après avoir retracé brièvement l'histoire de l'alcool et des réactions de la société face à sa consommation abusive, voyons comment le sujet alcoolique a été socialement considéré au cours des siècles.

Les représentations sociales de l'alcoolisme et de l'alcoolique

En étudiant les modes de compréhension de la consommation abusive et de la dépendance, Louise Nadeau1(*)2(*) (1988) a dégagé chronologiquement quatre modèles qui ont marqué l'évolution du jugement porté par la société sur les malades alcooliques :

Modèle moral ou religieux

Dès les origines, les drogues et notamment l'alcool, étaient considérés comme un moyen pour l'homme de s'élever au-dessus de sa condition, d'accéder au sacré. Les prêtres et les médecins (exerçant un art sacré) avaient le droit de prescrire et de proscrire ces drogues, de façon rituelle, dans le cadre de la religion.

L'intempérance sous toutes ses formes était un abus, un sacrilège et relevait de la justice.

Platon ainsi que les stoïciens et les épicuriens prônaient la tempérance et le contrôle de soi.

Dans le monde moderne, les tabous religieux furent remplacés par une morale de l'effort, du travail et du mérite personnel qui proscrit les voies « courtes » de plaisir comme l'usage de produits psycho-actifs.

Modèle de la maladie

Les travaux de benjamin Rush conduisirent vers 1785 à la création du premier modèle des « pathologies de la dépendance » : dépassant les méfaits de « l'ivrognerie », c'est-à-dire la simple étude des effets nocifs de l'alcool sur le corps et l'âme, Rush émit l'idée d'un processus inexorable lié à l'action de l'alcool, transformant ainsi l'alcoolique vicieux en malade.


Le mal est dans la substance ; c'est cette dernière qui déclenche le processus morbide.
Ainsi va commencer une lente séparation de la médecine et de la religion, accompagnée de l'appropriation par la médecine de problèmes auparavant considérés comme d'ordre moral et religieux.

Modèle bivarié : l'alcoolisme résulte d'un produit et d'un sujet

La persistance de considérations morales dans le discours médical va amener la société à considérer que si l'alcoolisme est une maladie, il concerne néanmoins un sujet.

La théorie de la dégénérescence de Morel stipule que l'alcoolisme résulte d'une faiblesse constitutionnelle chez certains individus, aggravée par l'intoxication alcoolique.

Les progrès de la science ne permettent pas encore au discours médical de s'opposer formellement. Le modèle bivarié fait une place à l'usager et à la substance.

Ce discours est confirmé par les Alcooliques Anonymes (USA) : la maladie se développe comme une intoxication, mais ne concerne que des individus prédisposés.

Dans les années 50, Jellinek développe le concept spécifique de « maladie alcoolique » qu'il définit comme un processus. En France Fouquet distingue plusieurs formes d'alcoolismes : les alcoolites (alcoolisme né de l'habitude), les alcooloses (« névroses arrosées ») et les somalcooloses (alcoolisations massives et périodiques).

Le fait que l'alcoolisme soit considéré comme une maladie permet de déculpabiliser le buveur et surtout de lui donner espoir en une possible « guérison » après « traitement ».

Modèle trivarié : la rencontre d'un produit, d'une personnalité et d'un moment socioculturel

En réaction aux modèles médicaux et bivariés qu'il trouvait réducteurs et inexact, C.Olivenstein désignera le phénomène complexe de toxicomanie comme « la rencontre d'une personnalité, d'un produit et d'un moment socioculturel ».

Il estimait en effet que la dyade Produit-Sujet ne pouvait pas exprimer toute la complexité du phénomène de dépendance et qu'en plus la simple observation en montrait l'inexactitude. Les exemples suivants montrent que le produit n'est pas diabolique, que ses effets ne sont pas les mêmes pour tous les consommateurs et qu'ils peuvent varier dans le temps.

Abandon du dogme de l'abstinence totale (prêchée par Alc. Anonymes), certains alcooliques parvenant à être des consommateurs tempérants. Tout le monde n'est donc pas égal devant le produit.

Arrêt de la drogue par la majorité des soldats du Vietnam à leur retour au pays : le produit n'est donc pas tout puissant ni diabolique

Des expériences sur les effets placebo de l'alcool ont montré que les effets d'une drogue sont aussi liés à la culture, à l'apprentissage, aux croyances et aux attentes de l'utilisateur.

Les modes modernes de consommation sont de véritables phénomènes de société et amènent à penser que l'alcoolisme ne peut pas être simplement une maladie.

C'est à ce modèle incluant les trois acteurs (alcool, sujet, temps/environnement) que nous nous référerons dans le présent mémoire.

Il permet de remplacer la notion de maladie, trop réductrice et inexacte, à celle de conduite pathologique. Jean Adès2(*) définit ainsi l'alcoolisme : « ce n'est ni une maladie autonome et homogène, ni un symptôme, mais une conduite pathologique complexe dont le noyau est la consommation excessive, répétée et prolongée de boissons alcoolisées. Il s'agit d'un trouble bio-psycho-social dont le déterminisme est toujours multifactoriel ».

Aujourd'hui, la maladie alcoolique doit être considérée comme la résultante d'interactions dans un continuum, l'histoire de l'individu, individu pour qui l'alcool peut devenir, à un moment donné, la moins mauvaise des solutions pour affronter les événements de la vie3(*) .

Les effets de l'alcool sur le système nerveux

L'alcool va investir la quasi totalité des cellules du corps humain car il s'agit d'une molécule très simple et très petite possédant deux propriétés qui la rendent hautement diffusable dans l'organisme : elle est hydrosoluble et liposoluble.

La molécule d'alcool ingérée passe par l'oesophage pour se déverser dans l'estomac via le cardia. Elle atteint ensuite le duodénum, traverse la paroi duodénale et est transportée jusqu'au foie où elle devrait être métabolisée et éliminée. Mais dans le cas d'une grande quantité absorbée, le foie ne peut pas traiter en une seule fois toutes les molécules. Impossible à stocker, elles sont alors déversées, via le pylore, dans la grande circulation.

Le flux sanguin les transporte vers le coeur droit, les poumons, le coeur gauche... puis dans tous les membres jusqu'aux extrémités, dans les yeux et dans le cerveau.

Les effets nocifs de l'alcool sur l'organisme sont relativement bien connus, dans la mesure où l'alcool est utilisé depuis très longtemps par les populations occidentales. L'inventaire impressionnant des effets ne veut pas dire que ce produit est plus dangereux que les autres produits à usage limité ou interdit, il veut simplement dire que ses effets sont mieux répertoriés.

Les effets psychotropes


Se glissant dans le moindre recoin d'eau ou de graisse, la molécule va toucher les fentes synaptiques, carrefours d'échanges d'informations nerveuses, et modifier ainsi les sensations, sentiments et cognitions du buveur qui devient en quelque sorte quelqu'un d'autre.

Lors de sa consommation, l'alcool commence par stimuler l'individu pour ensuite le calmer ou l'endormir. Il est également désinhibiteur, c'est à dire favorisant l'échange avec les autres mais aussi les passages à l'acte de toutes sortes (violences, agressions, décisions irréfléchies, achats déraisonnables, etc.). Il peut également générer des états anxieux ou dépressifs et/ou, paradoxalement, les combattre.

Les effets psychotropes réels induits par l'alcool dépendent bien sûr de nombreux facteurs.

Les autres effets sur le cerveau et les nerfs


L'alcool a comme autre particularité de détruire les neurones soit directement lors de l'absorption de doses massives, soit en empêchant l'absorption digestive des vitamines B. Les neurones ayant absolument besoin de ces vitamines pour vivre, il y a mort neuronale.
Cette mort neuronale se traduit par trois grands types de symptômes:

Des troubles définitifs de l'équilibre, la personne reste "ébrieuse " à vie du fait de lésions situées au niveau du cervelet (ataxie) et des nerfs périphériques (polynévrite).

Des troubles de la mémoire antérograde, la personne devenant définitivement incapable de mémoriser les faits récents, tout en gardant intact les faits anciens. Cela est dû à des lésions de la région hippocampique du cerveau (syndrome de Wernike)

Des troubles démentiels plus généraux, liés à des atteintes moins localisées du cortex.



Le concept d'addiction

En 1990 une définition de l'Addiction est proposée par Goodman : «  Processus par lequel un comportement pouvant permettre à la fois une production de plaisir et d'écarter ou d'atténuer une sensation de malaise interne est employé de façon caractérisée par l'impossibilité répétée de contrôler ce comportement et sa poursuite en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives ».

Ce concept d'addiction amène au terme de pratiques addictives, comprenant de multiples facettes dont celle de la dépendance alcoolique. C'est cette dernière que nous allons étudier maintenant.

La dépendance

De la non consommation primaire à la dépendance

Si l'alcoolisme passe obligatoirement par l'alcoolisation, il n'en est pas synonyme.

En France métropolitaine, une enquête de la CFES menée en 1999 auprès des 15-75 ans4(*) révélait que sur 44 millions de personnes concernées 43 millions avaient déjà consommé de l'alcool au moins 1 fois dans leur vie, 14 millions (31%) en consommaient au moins 1 fois par semaine et 8,9 millions (20%) tous les jours.

Dans ses Recommandations pour la pratique clinique, la Société française d'Alcoologie (SFA) propose de catégoriser toutes les conduites d'alcoolisation autour des termes non consommation, usage et mésusage. Ces catégories forment un continuum allant de l'abstinence totale à l'alcoolodépendance.

Le non usage (non consommation)

Conduite caractérisée par une abstinence totale de boissons alcoolisées. On distingue deux formes :

- le non usage primaire caractérise la conduite des enfants ou adolescents qui n'ont pas encore consommé ou un choix durable ou définitif de l'adulte qui s'abstient de toute boisson alcoolisée pour des raisons personnelles, médicales, culturelles ou religieuses.

- Le non usage secondaire qui apparaît après une période de mésusage, généralement désigné sous le terme d'abstinence.

Nous reviendrons plus longuement sur les différences entre ces deux types de non consommation dans la suite du mémoire.

Usage (consommation modérée)

Nous désignerons par ce terme toute conduite d'alcoolisation qui, par son caractère modéré, ne pose pas de problème au consommateur ni à son entourage. Une consommation modérée ne sera pas supérieure aux critères fixés par l'OMS et pourra être très inférieure suivant la situation personnelle de chacun (santé, tolérance, conduite de véhicules, etc.). Le consommateur modéré sera donc celui qui n'augmentera jamais son risque personnel ni le risque des autres à cause de l'alcool.

L'usage de l'alcool peut être une conduite durable voire définitive, mais peut aussi constituer une étape temporaire vers le mésusage.

Mésusage

Cette catégorie générique regroupe toutes les conduites d'alcoolisation induisant un ou plusieurs risques potentiels pour le consommateur ou les autres personnes. La dépendance fait partie de ces risques. Nous distinguons trois sous-catégories :

Usage à risque (consommateur à risque)

Conduite d'alcoolisation où la consommation excessive, supérieure aux normes de l'OMS ou induisant un risque circonstanciel (par exemple pour les conducteurs d'engins) n'a pas encore provoqué de dommages (médical, psychique, social) mais est susceptible d'en induire à court, moyen ou long terme (y compris la dépendance).

Usage nocif (consommateur à problèmes)

Cet usage correspond à toute conduite d'alcoolisation caractérisée par :

- l'existence d'au moins 1 dommage d'ordre médical, psychique ou social dû à l'alcool quels que soient la fréquence et les quantités consommées.

- l'absence de dépendance à l'alcool.

Usage avec dépendance (consommateur alcoolodépendant)

La dépendance alcoolique se caractérise par la perte de la maîtrise de la consommation. Elle ne définit donc pas par rapport à un seuil ou une fréquence de consommation, ni par l'existence de dommages induits (qui néanmoins sont souvent associés).

Il existe donc en théorie une différence fondamentale entre l'usage nocif et la dépendance : l'alcoolodépendant n'est plus maître de la situation alors que le buveur excessif, à condition d'être conscient, peut encore agir par sa seule volonté.

Ivresse

L'ivresse est une conduite d'alcoolisation aiguë pouvant se rattacher à n'importe laquelle des catégories d'usage ou de mésusage.

Nous avons défini l'alcoolodépendance comme la perte de la maîtrise de consommation. Pour tenter de comprendre l'alcoolisme et par suite le fonctionnement des alcooliques, Il convient de préciser un peu cette notion.

Poursuivant l'approche de Jellinek5(*) (1960) qui catégorisait les différentes sortes d'alcoolisme en fonction de l'existence ou non de dépendance, Edwards et Gross (1976) considérèrent le comportement de dépendance comme un syndrome et en firent une description complète6(*).

Cette dernière a déterminé le modèle bidimensionnel de l'alcoolisme qui différencie complètement le comportement d'abus (usage nocif) de l'alcoolodépendance. Bénéficiant d'un large consensus, elle a servi de référence pour établir les critères du syndrome de dépendance alcoolique dans les classifications internationales (CIM 10 et DSM IV) et renforcé ainsi la notion de « maladie alcoolique », noyau syndromique homogène quasi universel, ce qui n'était pas le cas des « dommages et incapacités liées à l'alcool » qui varient selon les pays et les cultures.

Quelques années plus tard, l'OMS a repris en les affinant les sept critères d'Edwards classés en trois catégories :

- Altération du comportement vis-à-vis de l'alcool

o Manière de boire non-conforme aux habitudes du milieu culturel

o Moindre variabilité des habitudes de boisson du sujet

o Acquisition d'une résistance aux renforcements négatifs de l'alcoolisation

- Altération de l'état subjectif

o Impossibilité de maîtriser sa consommation

o Désir obsédant de boire (crawing)

- Altération de l'état psychobiologique

o Signes et symptômes de sevrage

o Ingestion (matinale) d'alcool pour soulager le malaise provoqué par le sevrage.

o Tolérance (adaptation de l'organisme qui demande une dose sans cesse plus importante pour produire les mêmes effets)

Les quatre premiers facteurs sont généralement désignés par le terme de dépendance psychologique. Ils ont trait au comportement et au psychisme du sujet.

Les derniers, symptômes de sevrage et tolérance, caractérisent la dépendance physique (physiologique).

Le diagnostic de « dépendance alcoolique » a de plus en plus tendance à remplacer celui d'alcoolisme, avec les avantages suivants :

- Neutralité morale du concept qui devient purement médical, facilitant ainsi la reconnaissance de la maladie et l'accès aux soins.

- Le concept de dépendance aide le patient à trouver un sens à sa conduite ailleurs que dans sa faiblesse. L'alcoolodépendant n'est plus coupable (il est malade) mais reste responsable (c'est lui et personne d'autre qui porte le verre à sa bouche) ; et de fait la décision d'arrêter de boire et le travail d'abstinence restent à sa charge.

- La sévérité de la dépendance permet d'orienter les choix thérapeutiques.

- Le diagnostic de dépendance rend improbable le retour à une consommation modérée, et c'est l'abstinence totale que doit atteindre le sujet.

Remarque : Ce fait est assez contesté sur le plan théorique par plusieurs études qui montrent que certains alcooliques peuvent redevenir tempérants après une dépendance sévère, mais il est suffisamment significatif statistiquement pour que le retour à une consommation modérée fasse rarement partie des objectifs thérapeutiques.

Conduite d'alcoolisation : de la non consommation primaire à la dépendance

Est-il possible de modéliser les conduites d'alcoolisation et leur cheminement vers la dépendance ? La réponse à cette question est bien sûr négative, tant les interactions en jeu sont nombreuses et complexes.

Nous allons pourtant essayer ici, en nous référant aux travaux de Lewis et de Wise (1996)7(*), de synthétiser les connaissances actuelles concernant les facteurs neurobiologiques de l'alcoolodépendance. Nous garderons à l'esprit que cette approche est forcément réductrice dans la mesure où nous prendrons très peu en compte des dimensions essentielle du comportement de boisson, à savoir les aspects environnemental, culturel et social.

Premières alcoolisations et effets subjectifs

Si c'est sans doute le hasard qui a amené l'homme des temps anciens à consommer pour la première fois une boisson fortuitement fermentée, c'est précisément l'aspect culturel de l'alcool, festif, cérémonial ou conventionnel qui provoquera aujourd'hui la première prise de boisson alcoolisée par un enfant ou adolescent.  : vider le fond d'un verre en cachette après un repas de famille, boire un peu de champagne le jour de sa Communion, tremper un petit beurre dans le verre de vin de Papi et bien d'autres circonstances encore. En lisant les témoignages des anciens alcooliques, il est surprenant de voir à quel point beaucoup de ces malades se souviennent exactement de leur première rencontre avec l'alcool, peut être mieux que de leur première rencontre amoureuse... mais nous y reviendrons.

Donc, l'individu consomme de l'alcool pour la première fois. La qualité subjective de cette expérience sera très variable d'après les sujets et dépendra notamment du système neurobiologique inné et acquis. Trois cas peuvent se présenter :

1) A cause d'un problème biologique, par exemple un déficit en ALDH8(*), l'alcool a un effet aversif qui amènera le sujet à ne pas renouveler l'expérience (le déficit de cet enzyme est endémique chez certains peuples asiatiques et arabes).

2) Au contraire, l'alcool produit un effet psychotrope bénéfique que l'individu cherchera par la suite à reproduire. Cet effet peut être de deux ordres :

- Un renforcement positif, par exemple suite à l'activation du « système de la récompense9(*) » dopaminergique. Le rôle appétitif, motivationnel et décisionnel de ce système facilite, via le noyau accumbens, la transformation de la motivation en action et la mémorisation de l'expérience (Mogenson et coll., 1980)10(*). Sur le plan comportemental, cela se traduira par une désinhibition.

- Un renforcement négatif (soulagement d'une anxiété ou d'une tension intérieure). Il a été montré que :

o L'alcool, à l'instar des benzodiazépines, facilite la transmission GABAergique et induit des effets anti-stress et anxiolytique.

o Il a des effets anti-dépresseurs potentiels ou, au minimum, des effets positifs sur l'humeur.


3) L'alcool n'a aucun effet subjectif particulier sur le sujet qui ne recherchera pas particulièrement à renouveler l'expérience. Pourtant, il y sera probablement amené pour des raisons autres que neurobiologique, sous l'influence de facteurs environnementaux ou psychologiques (troubles de la personnalité, événements de vie, profession, etc.)

Consommation occasionnelle puis régulière

Sauf s'il est allergique à l'alcool ou déterminé, pour des raisons éthiques, religieuses ou personnelles, à ne jamais en consommer, son comportement social amènera l'individu à boire occasionnellement de l'alcool à des fins récréatives. Cette consommation pourra également être induite par des problèmes psychiques ou psychosociaux (dépression, états anxieux, phobie sociale, troubles de la personnalité, etc.).

La consommation régulière d'alcool, qu'elle soit festive ou qu'elle corresponde à une automédication, déclenche une série de processus physiologiques ayant pour conséquence le renforcement de la conduite d'alcoolisation :

- Sensibilisation du « système de récompense » dopaminergique qui va inciter l'individu à reproduire l'expérience de boisson.

- Constitution de processus associatifs puissants (conditionnement opérant, mémoire des expériences agréables, association de l'alcool et du plaisir, savoir-vivre, fête, convivialité, etc.), automatisation des comportements.

- Développement d'une tolérance biologique due à l'épuisement des effets pharmacologiques de l'alcool et à la nécessité d'augmenter les doses pour obtenir les mêmes sensations.

- Développement d'une dépendance psychique, à la fois comportementale (effectuer des activités liées à l'alcool), émotive (retrouver une humeur ou des sensations agréables ou éloigner des sentiments désagréables) et cognitive (raisonner différemment).

Dépendance

Le phénomène de tolérance aboutit à une dépendance physique pour l'alcool.

L'intoxication chronique développe un ensemble de processus adaptatifs qui caractérisent l'état de dépendance. De nature homéostatique, ces processus tentent de contrebalancer les effets pharmacologiques de l'alcool sur les systèmes neuronaux concernés. En cas de sevrage, l'équilibre sera rompu et les effets physiologiques des processus adaptatifs provoqueront des symptômes (dits « de sevrage »). Ces derniers se produiront non seulement lors d'une abstinence, mais également lorsque l'alcoolémie deviendra insuffisante (fins de nuit par exemple), et de plus en plus fréquemment à mesure que la dépendance deviendra sévère.

Pour atténuer et faire disparaître ces symptômes, le malade dépendant devra recourir à l'alcool, augmentant ainsi sa tolérance et la sévérité de sa dépendance.

La principale responsabilité des symptômes de sevrage est attribuée à un hypofonctionnement de la transmission GABAergique, comme l'expliquent à la fois les signes neurologiques (hyperexcitabilité du SNC), les signes végétatifs (tremblements, sudation) et l'efficacité des benzodiazépines (notamment Valium) dans le traitement de ces symptômes.

Facteurs psychiatriques de prédisposition

Les principaux troubles psychiques rencontrés en comorbidité avec l'alcoolodépendance sont :

- La dépression

- L'anxiété

- La schizophrénie

- Les troubles du comportement alimentaire

- Les troubles de la personnalité

Nous insisterons ici sur les facteurs primaires susceptibles d'avoir favorisé une alcoolodépendance secondaire.

Dépression et alcoolisme

L'association entre dépression et alcoolisme est une donnée clinique incontestable : 98% des alcooliques11(*) présentent à un moment de leur existence des symptômes dépressifs.

La rencontre simultanée de dépendance et de dépression intervient dans les situations suivantes :

- L'intoxication et le sevrage alcoolique provoquent très fréquemment des tableaux dépressifs qui disparaissent en cas de retour à l'abstinence.

- Un syndrome dépressif et une dépendance à l'alcool surviennent simultanément ou successivement sans que l'on puisse établir une relation entre les 2 pathologies.

- Un état dépressif latent ou sévère peut amener l'individu à consommer régulièrement de l'alcool pour échapper à ces sensations pénibles. On parle d'alcoolodépendance secondaire et de comportement d'automédication. C'est bien sûr la situation la plus intéressante lorsqu'on parle de prédisposition acquise à la dépendance.

Des travaux réalisés dans ce domaine ont montré que la prévalence de ces dépendances secondaires à un trouble dépressif est très inférieure à l'idée reçue. En effet, le cafard, la tristesse, l'ennui, le découragement sont des prétextes souvent évoqués par les patients pour expliquer et justifier leur alcoolisation (alors que bien souvent leur état dépressif est apparu après le début de l'usage abusif, mais ils le dénient). Cette image de l'automédication de la dépression par l'alcool est aussi très bien acceptée par le public, car présente dans bien des oeuvres de fiction. Pour Schuckit (1994)12(*), 90% des dépressions rencontrées chez le patient dépendant sont secondaires, c'est-à-dire provoquées ou aggravées par l'alcool, et subissent une rémission après arrêt de l'intoxication.

Pour réellement pouvoir apprécier la dépression comme indice de prédisposition à l'alcoolisme, il faudrait distinguer :

- les états dépressifs associés à d'autres pathologies mentales (troubles maniaco-dépressives de l'humeur, troubles de la personnalité, troubles psychotiques)

- les dépressions réactionnelles survenant après certains événements de vie (deuils, perte d'emploi, maladie grave, opérations invalidantes).

- Les états dépressifs « purs », liés uniquement à un trouble de l'humeur isolé.

De plus, les travaux de Feinman et Dunner (1996) sur le trouble bipolaire13(*) ont montré que sur 188 sujets atteints de cette pathologie, 55% des hommes et 35% des femmes avaient un problème d'alcoolodépendance. Dans la majorité des cas (27% contre 19%), l'alcoolisme était secondaire à l'apparition des symptômes maniaco-dépressifs. Mais ils ont montré que c'est surtout la phase maniaque (66% des cas) qui favorisait l'alcoolisation, la période dépressive amenant une réduction de la consommation.

En résumé, les états dépressifs sont très majoritairement secondaires à la dépendance alcoolique, rarement le contraire.

Anxiété et dépendance alcoolique

Comme la dépression, l'anxiété est fortement corrélée à la dépendance alcoolique. 99% des alcoolodépendants rapportent la survenue de troubles anxieux transitoires ou plus prolongés14(*) (25% des sujets souffrant d'une névrose d'angoisse sont alcooliques.

La rencontre simultanée de dépendance et d'anxiété survient dans les situations suivantes :

- L'intoxication et le sevrage alcoolique provoquent très fréquemment des tableaux anxieux qui disparaissent en cas de retour à l'abstinence prolongée

- Un syndrome anxieux et une dépendance à l'alcool surviennent simultanément ou successivement sans que l'on puisse établir une relation entre les 2 pathologies.

- Un état anxieux peut amener l'individu à consommer régulièrement de l'alcool pour échapper à ces sensations pénibles grâce à aux propriétés anxiolytiques, désinhibitrices et psychostimulantes du produit. On parle d'alcoolodépendance secondaire et de comportement d'automédication.

Les études épidémiologiques déjà menées ont donné des résultats incertains, en parti dus à la complexité méthodologique (les deux types d'anxiété, primaire et secondaire peuvent cohabiter. On peut néanmoins avancer avec prudence que :

- L'anxiété aiguë (jusqu'au trouble panique) semble dans la plupart des cas secondaire à l'intoxication alcoolique elle-même et notamment à la répétition des sevrages.

- Le comportement d'automédication consistant pour l'individu à ingérer de l'alcool pour calmer une anxiété primaire (notamment agoraphobie et phobie sociale) a été établi. Mais l'effet anxiogène à terme de l'alcool aboutit rapidement à un cercle vicieux, à savoir l'aggravation et la pérennisation des troubles anxieux qui entraîneront à leur tour une augmentation de la consommation. Comme pour la dépression, les sujets auront tendance à considérer l'état anxieux primaire comme le responsable de leur alcoolisation, mais sans vraiment s'interroger en profondeur sur la chronologie réelle des troubles.

Alcoolisme et troubles de la personnalité

Les études épidémiologiques montrent une prévalence de troubles de la personnalité en cas de dépendance à l'alcool qui oscille entre 30 et 80%, chiffre beaucoup plus élevé que dans la population générale. Ces études ont infirmé les concepts de personnalité addictive et celui de personnalité pré-alcoolique des psychanalystes. Il n'existe pas un type particulier propre aux alcoolo-dépendants, par contre on peut retrouver dans cette population tous les types de troubles de la personnalité. La prévalence des troubles de la personnalité est souvent surévaluée du fait de la présence surajoutée de troubles provoqués par l'alcool.

La personnalité antisociale

La personnalité antisociale est un trouble de la personnalité rare dans la population générale mais fortement représentée chez les alcoolodépendants. La prévalence à vie de la personnalité antisociale chez les alcoolodépendants est d'environ 15% chez les hommes et de 5% chez les femmes; elle est 10 fois supérieure à celle de la population générale. Schuckit recommande une définition restrictive de ce trouble qu'il applique à des individus présentant des problèmes antisociaux, débutant avant l'âge de 15 ans, qui consistent en un mépris et une transgression des droits d'autrui, dans tous les 4 domaines de vie suivants: la famille, l'école,la justice et les camarades. Ces problèmes doivent être apparus avant l'installation d'une dépendance à l'alcool ou aux drogues. Ces personnes ont un risque plus élevé de poly-toxicomanie et présentent en général un grave parcours de délinquance et de violence.

Pourquoi boit-on ?

Toute la partie qui précède montre que, malgré l'importance de cette question et la passion qu'elle suscite chez les chercheurs de nombreuses disciplines, il est peu probable que l'on puisse y répondre dans un avenir proche.

On sait que le modèle tridimensionnel (bio-psycho-social) englobe forcément la réponse à cette question, mais on ne sait pas dans quelle proportion, dans quel ordre et suivant quel déterminisme chacune des dimensions intervient chez chaque individu.

Nous allons surtout nous intéresser au sujet alcoolique devenu dépendant et à son parcours jusqu'à sa « guérison ».

Le parcours de l'alcoolique : de la non consommation primaire à la guérison - Courbe de Jellinek

Il convient d'abord de définir ce qu'on peut appeler « guérison » pour un patient alcoolique.

Définition de la guérison dans le cadre de l'alcoolisme

Dans Le Petit Robert, la guérison est définie comme « Suppression, disparition d'un mal physique ou moral ». Une maladie infectieuse banale est dite guérie lorsque tous les agents pathogènes, microbes ou virus ont disparu. En supposant que la pathologie ne laisse pas de séquelles et ne donne lieu à aucune complication majeure, le malade une fois guéri retrouve son état de santé initial. La maladie pourra récidiver si le même agent pathogène réinvestit ultérieurement l'organisme.

Dans le cas qui nous intéresse, l'agent pathogène est bien sûr l'alcool. Il peut « facilement » être supprimé par un comportement d'abstinence totale à son égard. Si l'intoxication n'a pas provoqué de syndrome neurobiologique majeur (ex syndrome de Korsakoff) ou d'hépatopathie irréversible (cirrhose ou fibrose), le « mal physique » pourra être réparé, le plus souvent sans médicaments. En cas de récidive, c'est-à-dire de réalcoolisation, le mal physique se réinstallera.

De nos jours, il existe un large consensus pour affirmer que l'alcoolodépendance est une maladie et que le patient qui en souffre n'est pas coupable de son comportement compulsif de boisson, pas plus qu'il ne le serait d'attraper la grippe. Mais ici se situe la différence fondamentale entre une pathologie somatique courante et la maladie alcoolique : la personne victime d'une épidémie de grippe n'est pas responsable de sa maladie, le microbe a investi son organisme à son insu. L'alcoolique, par contre, est toujours responsable car c'est lui, et personne d'autre, qui ingère l'agent pathogène, à savoir l'alcool.

La guérison d'un malade alcoolique ne pourra donc pas être déduite du simple fait qu'il est devenu abstinent. L'abstinence n'est qu'un moyen de guérir, comparable aux antibiotiques dans une maladie bactérienne. Si la comparaison avec une maladie infectieuse était valide, un alcoolodépendant guéri devrait retrouver l'état de santé (physique et moral) qu'il avait avant le début de son alcoolisation et, en cas de récidive (réalcoolisation), son parcours vers la dépendance devrait être le même qu'initialement. Or, tous les témoignages montrent qu'une rechute après une période abstinence même très longue est foudroyante et que le niveau de dépendance précédent est vite atteint et très souvent dépassé.

C'est pour cette raison logique que, sans pour autant entrer dans les nombreux débats autour de ce sujet, nous n'utiliserons pas dans le cas de l'alcoolique dépendant le mot « guérison » dans son sens médical courant. Ici, le terme « guérir » aura une connotation avant tout comportementale et cognitive : le patient alcoolodépendant guéri est celui qui maintient de façon durable et qu'il pense définitive un comportement d'abstinence totale envers toute boisson alcoolisée. Cela implique aussi de maintenir cette abstinence sans souffrance et sans lutte de tous les instants, d'avoir admis sans réserve que la vie sans alcool était possible.

Dans notre corpus de témoignages, nous verrons que certains alcooliques parviennent après abstinence à reconsommer de l'alcool avec modération15(*) sans rechuter, même après une longue période. On parlera également dans ce cas de guérison, mais ce n'est pas ce critère que nous retiendrons ici pour qualifier cette dernière, le nombre de cas observés étant statistiquement non significatif. D'autre part, la majorité des malades parvenus à maintenir une abstinence durable connaissent les risques encourus en cas de réalcoolisation même ponctuelle et ne souhaitent pas vérifier leur capacité à redevenir tempérants.

Présentation de la courbe de Jellinek

Dans les années 60, Jellinek, sociologue américain ayant contribué avec Fouquet à établir des classifications des différentes formes d'alcoolisme, a conçu une courbe schématisant le parcours du patient alcoolodépendant depuis les débuts de son usage abusif de l'alcool jusqu'à sa « guérison » complète.

Malgré l'absence de prise en compte des rechutes pourtant presque inévitables dans ce parcours, il s'agit d'un document intéressant, très utilisé dans les associations d'anciens buveurs et les centres de post-cure comme base de discussion avec les patients.

Ici, nous l'utiliserons pour déterminer les principales étapes de ce parcours vers l'abstinence telles qu'elles sont vues encore aujourd'hui par les associations d'anciens alcooliques.

Cette courbe se présente sous la forme d'une parabole d'abord décroissante puis croissante.

La partie décroissante schématise la « descente aux enfers » de l'usager régulier d'alcool, c'est-à-dire son chemin vers l'alcoolodépendance.

Le point minimal schématise à la fois le « fond du trou » (consommation obsessive continue en cercle vicieux) et la décision de s'en sortir.

La partie croissante illustre les phases de rétablissement. Il est à noter que la courbe remonte plus haut que son point de départ. Nous verrons dans la discussion si cela a une signification réelle.

Dans ce mémoire, nous nous intéresserons surtout à la partie croissante de la courbe, c'est-à-dire au chemin parcouru par le patient dépendant qui parvient à adopter et maintenir un comportement d'abstinence durable et potentiellement définitif (que nous appellerons aussi « guérison »).

Pour mieux comprendre la pensée de Jellinek, nous allons néanmoins exposer la première partie de la courbe, le chemin vers la dépendance.

De l'usage abusif à la dépendance

Jellinek divise la « descente aux enfers » en 4 phases :

1) La phase pré-alcoolique marque le début d'une consommation « de soulagement » : l'individu ne boit déjà plus occasionnellement, par convention sociale ou culturelle. Il consomme de plus en plus régulièrement pour bénéficier des effets psychotropes de l'alcool (renforcement positif ou négatif) et compenser ses manques (inhibition, timidité, indifférence, ennui, ...) ou atténuer ses souffrances (anxiété, humeur dépressive, peurs, ...).

C'est au cours de cette phase que le phénomène de tolérance va se développer : pour obtenir les mêmes effets, l'individu devra consommer une plus grande quantité d'alcool (ou la même quantité mais plus souvent).

Une véritable relation d'attachement commence à se tisser entre le buveur et le produit, car ce dernier aide le premier à « aller mieux ». A ce stade, les dommages potentiels provoqués par l'alcool sont en général silencieux (apparition des premières amnésies alcooliques, prises de risque) et ne sont pas pris en compte par le buveur qui n'y voit que des avantages.

Nous avons vu qu'il existe une catégorie de buveurs qui ne perçoit aucun effet psychotrope de l'alcool mais qui vont tout de même augmenter leur consommation sous la seule influence de la tolérance (métiers exposés notamment).

2) La phase prochronique débute lorsque la tolérance, qui augmente régulièrement, fait de plus en plus souvent éprouver à l'individu un besoin pressant de boire, même en dehors des circonstances où il aimait le faire. Le buveur commence à se poser des questions sur sa consommation ; son entourage peut également faire des observations. Il se sent culpabilisé et aura tendance à dissimuler son comportement aux yeux de ceux qui risquent de ne pas le comprendre (famille, employeur, amis, etc.). Il sera en général profondément attaché au déni, justifiant sa consommation à ses propres yeux (les prétextes pour boire) et incapable de discuter du problème avec quiconque.

Les premiers symptômes physiques apparaissent (stéatose, crampes dans les membres inférieurs, signes de sevrage au réveil) ; les amnésies s'accentuent.

3) La phase critique commence lorsque la maîtrise du comportement de boisson diminue. Alors que les autres stoppent la prise de boissons alcoolisées lorsqu'ils sentent que la limite est atteinte, l'individu est incapable de s'arrêter de boire. Souvent, il ne se souviendra de rien le lendemain, victime d'amnésies alcooliques sévères (« trous noirs »)

A ce stade, il devient difficile au buveur de cacher ce comportement qui lui échappe et le fait souffrir. Promesses d'arrêt et échecs se succèdent. L'alcool prend de plus en plus de place dans sa vie matérielle, affective et psychique, au détriment des activités professionnelles, sociales et familiales.

Aux périodes d'alcoolisation succèdent des périodes de remords et de culpabilité persistants. Les échecs et les regards négatifs portés par l'entourage renforcent le manque d'estime de soi.

La tolérance diminue alors que la consommation continue d'augmenter ; la dépendance s'installe, avec apparition des consommations très matinales, des symptômes de sevrage, de la dégradation physique.

4) La phase chronique est caractérisée par la dégradation morale, l'isolement familial et social, la déchéance à tous points de vue. A ce stade, l'angoisse et la dépression dominent le tableau ; la consommation d'alcool devient « obsessive et continue, en cercles vicieux » (Jellinek). De graves problèmes de santé peuvent apparaître.

L'alcoolique est « au fond du trou ». Il ne peut pas continuer ainsi. Aussitôt réveillé, il boit pour calmer ses angoisses et les symptômes de sevrage ; sa tolérance étant considérablement amoindrie, cette alcoolisation provoque un état d'ivresse prolongé qui le rendra incapable d'une quelconque activité ; et sa léthargie durera... jusqu'aux symptômes de sevrage suivants qui réveilleront ses souffrances et l'obligeront de nouveau à boire !

Ces 4 phases forment bien sûr un continuum. Leur durée respective est fonction de chacun. Comme le souligne Jellinek, toutes les personnes qui rencontrent un problème de dépendance alcoolique ne vont pas nécessairement connaître toutes ces phases. Certaines cesseront leur consommation plus tôt et entameront plus vite le début du rétablissement, sans atteindre le fond.

Cette descente aux enfers décrite par Jellinek est sans doute un peu stéréotypée et ne tient pas assez compte des différences interpersonnelles, mais chaque alcoolique peut y retrouver une partie de son histoire.

Vers le rétablissement et l'abstinence totale et potentiellement définitive

Après avoir atteint le fond de la dépendance alcoolique, « quelque chose » va permettre à un certain pourcentage de patients de réagir et de combattre leur comportement de boisson.

Il peut s'agir d'un « déclic » (nous reviendrons sur cette notion importante) ou d'un événement qui favorise la prise de conscience et la réaction de l'individu (malaise, maladie, accident, mise en garde du médecin ou de l'entourage, ennuis avec la justice, menaces professionnelles ou familiales, problèmes neurobiologiques, etc.).

La partie croissante de la courbe de Jellinek décrit le rétablissement de l'alcoolique en 4 phases, sensiblement symétriques aux phases d'entrée en dépendance.

1. La phase chronique ne s'arrête bien sûr pas avec la prise de conscience de son état et la décision (ou l'obligation) de réagir.

La première étape va être pour l'alcoolique de comprendre qu'il a besoin d'aide, qu'il ne peut pas s'en sortir seul. La seconde étape d'admettre qu'il n'est pas coupable de son comportement, qu'il s'agit d'une maladie, et que cette maladie peut se soigner.

L'étape suivante est de stopper toute consommation d'alcool. L'abstinence va provoquer très vite des bénéfices sur le plan de la santé, du jugement et de la confiance en soi16(*).

L'individu doit ensuite se soumettre à une visite médicale pour « évaluer les dégâts somatiques », entrer en contact avec des alcooliques abstinents et stabilisés qui lui redonneront l'espoir et lui apprendront à faire un examen de conscience personnel ainsi qu'un examen de ses besoins spirituels.

2. Phase critique
L'alcoolique maintenant abstinent va entamer une thérapie de groupe et/ou fréquenter assidûment une association d'anciens malades.

C'est le début d'un nouvel espoir et une prise de conscience des possibilités d'un nouveau mode de vie.

Le patient va retrouver un sommeil normal, rééquilibrer son alimentation, s'occuper de sa santé.

Ces succès vont lui donner un regain d'estime de soi et diminuer les angoisses envers l'avenir. Il va commencer à s'apprécier pour lui-même, et son désir d'évasion va disparaître.

Son entourage va commencer à reprendre confiance. Le malade va pouvoir effectuer avec eux un examen courageux des faits passés et s'adapter aux nécessités familiales. Il va faire la part des choses et apprécier les valeurs réelles de la vie.

Il va reformer un nouveau cercle d'amis et de relations.

Mais son abstinence est encore fragile.

3. Phase postchronique

Cette phase débute avec l'amélioration du contrôle des émotions qui éloigne le danger de rechute.

Le malade va regagner la confiance de ses employeurs et tenter de restaurer sa stabilité financière.

L'estime de soi va se transformer en souci de prestige personnel. S'accepter lui-même ne lui suffit plus, il veut être apprécié par les autres.

Et surtout, il commence à éprouver de la satisfaction dans l'abstinence.

4. Phase post-alcoolique

Sans toutefois renoncer à la fréquentation des associations d'anciens buveurs, c'est pour le malade guéri le début d'un mode de vie éclairé et intéressant, avec l'ouverture de voies vers des horizons plus hauts que jamais.

Jellinek pense en effet que le malade alcoolique guéri acquiert un potentiel supérieur à celui qu'il avait avant de s'alcooliser. Il a donc acquis des compétences qu'il ne possédait pas ou qu'il n'avait pas exprimées auparavant. Cela revient à dire que le cycle Dépendance alcoolique - Réhabilitation est pédagogique ou thérapeutique. Dans ce cas, nous pouvons nous poser la question de savoir qui enseigne quoi, et à qui, ou qui soigne qui et comment.

Dans la partie pratique du mémoire, nous allons précisément voir si les témoignages d'anciens alcooliques permettent de répondre à cette question ; si c'est le cas, nous tenterons de déterminer la nature de ces compétences acquises et de savoir si elles sont les mêmes pour tous.

La courbe de Jellinek n'est-elle que le reflet d'un enseignement, celui des associations d'anciens buveurs, ou correspond-elle à une réalité pour tous les alcooliques qui s'arrêtent de boire ?

Les témoignages : Pourquoi Internet

Il y a deux façons d'obtenir des témoignages : la première est de demander aux anciens alcooliques fréquentant le groupe de parole de raconter leur propre histoire, oralement ou par écrit ; la seconde est de recueillir ces témoignages dans les groupes de discussion qui se multiplient sur Internet depuis quelques années.

Après réflexion et étude comparative, il est apparu que les témoignages recueillis sur Internet étaient beaucoup plus spontanés, moins construits sur le plan référentiel et beaucoup plus riche sur le mode illocutoire et modal.

De nombreux écrits se sont intéressés aux particularités du discours alcoolique. Mais la plupart des études ont analysé des corpus produits dans un environnement où le sujet n'est plus lui-même, c'est-à-dire les cabinets médicaux ou les associations d'anciens buveurs, lieux où les différences interpersonnelles tendent à disparaître ou à s'atténuer sous l'influence des conventions, des biais de désirabilité et de conformité.

Les forums Internet sont par définition des lieux où les gens viennent spontanément, souvent par hasard au début. La fréquentation en est éphémère et très labile ; mais des liens se créent, parfois très forts. L'anonymat est une caractéristique essentielle de ces forums. Prendre un « pseudo » pour raconter son histoire revient un peu à parler de quelqu'un d'autre, on échappe au jugement direct des gens, on n'existe pas vraiment ; ce qui permet d'éviter la honte et d'atténuer l'autocensure. Celui qui écrit sur ces forums va souvent à l'essentiel et ne fait pas de littérature. Il expose des faits certes, mais modalise son discours de façon importante car il veut communiquer aux autres ce qu'il ressent, son angoisse, ses souffrances, ses attentes, ce dont il est conscient. Il espère en retour des réponses, être rassuré ou soutenu, ou s'entendre dire que son comportement n'est pas celui d'un coupable, qu'il est plus banal qu'il n'y paraît, que d'autres sont déjà passés par là et s'en sont sortis bien que dans une situation encore plus grave.

La communauté d'un forum Internet se forme donc spontanément, sans aucune règle sociale autre que de parler la même langue et de partager un centre d'intérêt, une souffrance ou une passion, ici l'alcoolisme.

Au cours du stage, j'ai demandé à plusieurs membres de chaque association d'anciens buveurs de rédiger un témoignage de quelques pages sur leur histoire. Trois ont accepté, mais la lecture en fut décevante. Ecrits de longue date, ces témoignages ne racontaient pas vraiment un parcours personnel, mais surtout un parcours réinterprété à la lumière des réunions de l'association.

Ces recherches préliminaires nous ont décidé à analyser en priorité les témoignages d'alcooliques déposés sur Internet.

Nous avons vu dans l'introduction que le témoignage était la forme privilégiée par les anciens alcoolodépendant pour « parler » de l'alcool.

En effet, j'ai pu observer dans le groupe de parole auquel j'ai participé pendant mon stage, réunissant entre autres des patients fraîchement sevrés et des anciens alcooliques abstinents de longue date, les questions directes sont plutôt rares. En général, les questions sont posées par le biais d'un « témoignage », c'est-à-dire un récit à la première personne décrivant une situation personnelle face à l'alcool (« Dimanche j'ai été manger chez mon beau-frère, il picole bien lui aussi, mais je ne me suis pas fait avoir, j'ai bu que de l'eau ; il a pas trop compris je crois il faisait un peu la gueule »).

D'eux-mêmes, les participants en déduisent la question posée par ce patient : Que doit-on dire aux gens étonnés par notre refus inhabituel de boissons alcoolisées ?

La réponse ne sera pas plus explicite que la question. En général, c'est un ancien alcoolique membre d'association qui intervient. Il ne va pas s'exprimer sur le mode procédural et donner une recette, mais à son tour évoquer un cas personnel : « moi au début je disais que je prenais des médicaments et qu'il fallait pas d'alcool avec, les gens ils te fichent la paix, ça ils comprennent ». Les participants d'accord avec cette stratégie vont s'exprimer sur le mode paraverbal ou non verbal, en acquiesçant d'un geste ou d'une mimique. Une autre personne va proposer une solution alternative, toujours sous la forme d'une expérience vécue : « moi je trouve qu'il faut pas avoir honte, je leur dis que j'étais alcoolique et que j'ai tout arrêté, ils trouvent ça courageux et ils n'insistent pas ».

C'est la différence fondamentale entre les participants « malades » et ceux qui n'ont pas de rapports pathologiques (proclamés) avec l'alcool (soignants de l'hôpital, animateurs de la réunion) : les « malades » ont presque exclusivement recours à des cas personnels (puisés dans leur propre expérience ou chez des proches) alors que les « non alcooliques » n'abordent jamais de sujets personnels. S'ils font allusion à une situation vécue qu'on pourrait éventuellement leur attribuer, ils se distancient aussitôt de leur propos en le modalisant : « Je suppose que lorsqu'on boit du vin tous les jours, il y a le réflexe de l'habitude qui s'installe et que boire de la limonade en mangeant du fromage ce n'est pas évident au début ».

Nous allons essayer de préciser un peu le concept de témoignage lorsqu'il s'applique à un texte écrit dans les forums Internet.

Qu'est-ce qu'un témoignage ?

Le témoignage est un récit de vie à la première personne qui relate des faits et pensées antérieurs à la rédaction.

Dans le cas des anciens alcooliques, ces faits et pensées se rapportent presque exclusivement à la relation qu'a entretenu l'auteur avec l'alcool.

Les témoignages laissés sur Internet se présentent sous forme de textes. Le style est en général proche du langage parlé, mais, contrairement à ce dernier, seul l'aspect verbal est restitué, à l'exclusion des mimiques, hésitations, intonations, gestes, postures, etc.

Tout texte est par nature informatif17(*). Il renseigne sur des faits, des personnes ou sur l'auteur lui-même. Le témoignage n'échappe pas à cette règle, mais il ne se limite pas à communiquer des informations.

L'auteur d'un témoignage en est aussi l'acteur principal. Il va exposer au lecteur une partie de sa vie, celle en relation avec son épisode de boisson. Comme nous l'avons déjà évoqué, il pourrait donner des indices pour permettre aux gens en difficulté avec l'alcool de reconnaître leur problème ainsi que des « recettes » pour arrêter de boire et pour maintenir une abstinence durable. Mais il ne le fait sans doute jamais car aucun texte explicatif de ce genre ne figure sur les forums de discussion Internet.

Le témoignage prend toujours la forme d'un récit narratif à la première personne.

A l'instar de tous les auteurs de récits, l'ancien alcoolique qui témoigne ne peut pas raconter l'ensemble de sa vie ni décrire exhaustivement les composantes de sa relation avec l'alcool. De plus, il n'y a pas que les choses dites qui sont importante, il y a aussi la façon de les dire. L'auteur va devoir faire un choix d'énoncés et aussi de mots. Et c'est ce choix qui va fournir au destinataire présumé ou à l'analyste des indices langagiers sur les intentions de l'auteur et sur son fonctionnement psychique.

Pour son auteur, le témoignage est un ensemble de propositions formant un tout. Quand le récit est terminé, l'auteur a l'impression d'avoir dit l'essentiel, d'avoir délivré un message traduisant son état d'esprit et constitutif de son expérience.

Il est donc logique de penser que le discours ainsi produit ne contient pas que des informations volontairement fournies par l'ancien alcoolique, mais également des informations dont l'auteur n'est pas conscient.

Dans un entretien clinique, le thérapeute a une interaction forte avec les dires du patient. Il reçoit les énoncés séquentiellement et peut intervenir après chacun d'eux pour obtenir des éclaircissements ou recentrer la thématique. Il peut également collecter de nombreux indices paraverbaux ou non verbaux témoignant du rapport que le locuteur entretient avec son discours,

Au contraire, dans un témoignage écrit, tout est dit, définitivement. Les indices éventuels sont déjà dans le récit.

L'expérience de l'ancien alcoolique est unique et faisant partie du passé. Elle ne dépend donc pas de la façon dont il va la raconter : seul devant son clavier d'ordinateur, le témoin aura les mêmes choses à dire que s'il se trouvait dans une réunion d'anciens alcooliques, un cabinet de thérapeute ou un groupe de parole.

Mais il existe des différences essentielles :

- L'anonymat de l'auteur

- La non présence physique des destinataires

- L'absence d'interactions entre le lieu de témoignage et l'auteur

- L'auteur a le choix du moment où il témoigne.

Les trois premières caractéristiques doivent permettre à l'auteur de s'exprimer avec plus de spontanéité (mécanismes de défense moins affûtés), car il n'est pas influencé directement par les facteurs habituels d'influence sociale (notamment biais de désirabilité et de conformité).

La quatrième caractéristique, le fait de s'exprimer lorsqu'on le désire et non pas en un lieu et à un moment connu d'avance paraît essentiel pour l'inscription éventuelle d'indices langagiers dans le discours, car l'auteur est « en communion » avec ses propos, il a envie de les exprimer, il en a fait le choix. Peut-être qu'un témoignage effectué sur commande le lendemain devant un public ne porterait pas le même message.

Développement : Vérification des hypothèses

Méthode

Nous avons sélectionné sur différents sites Internet les témoignages de neuf anciens alcooliques devenus abstinents.

Certains sont membres d'associations d'anciens buveurs et témoignent dans ce cadre.

D'autres ne font partie d'aucun mouvement et témoignent spontanément : « J'ai pris la décision à mon tour d'apporter mon soutien et mon témoignage aux personnes qui ont des problèmes de relation avec l'alcool18(*) ».

Critères de sélection

Les critères de sélection ont été les suivants :

- La personne qui témoigne doit être parvenue à un comportement d'abstinence total et durable19(*).

- Maintenir son abstinence ne doit plus être pour elle une souffrance de tous les instants.

- Son témoignage doit être complet et comporter un contexte suffisant (Souvent, sur les forums de discussion Internet, les habitués délivrent des témoignages très partiels et hors contexte, en complément de messages antérieurs et en réponse à des questions particulières).

Découpage des périodes

Nous avons découpé les témoignages en trois périodes :

Alcoolisation : Cette partie couvre la période allant du début du récit jusqu'au stade le plus grave de la dépendance. Elle s'arrête avec l'évocation de la circonstance (déclic, obligation) ayant décidé le patient à réagir. Les abstinences temporaires non décidées par le malade lui-même sont incluses dans cette période.

Soins : Cette période commence avec la première démarche volontaire pour se soigner ; elle peut englober des rechutes dans la mesure où nous avons accepté ces dernières comme faisant partie du processus normal de rétablissement. Elle se termine lorsque l'auteur évoque la période d'actualité.

Actualité : La 3ème partie commence souvent par le déictique « aujourd'hui ». Elle conclut en général les deux étapes précédentes en dressant un bilan de la période d'alcoolisation et du parcours vers l'abstinence.

Hypothèse 1

Hypothèse générale

Les malades qui guérissent seuls de l'alcool, sans fréquenter assidûment une association d'anciens buveurs auront un « parcours psychique » différent de celui des personnes aidées par ce type d'association.

Hypothèse opérationnalisée

Globalement et pour chacune des phases constituant leur parcours, les malades associatifs et les malades « indépendants » n'aborderont pas les mêmes thèmes.

Critères d'analyse

Nous comparerons les témoignages sur les critères suivants :

Style discursif

Argumentatif : le sujet argumente, explique ou critique pour essayer de persuader l'interlocuteur.

Narratif : Le narrateur expose une succession d'événements qui se déroulent à un moment donné, en un certain lieu.

Enonciatif : Le narrateur établit un rapport d'influence sur le destinataire et expose son point de vue.

Descriptif : L'auteur décrit, identifie ou classifie des objets du monde.

Thèmes abordés

Nous retiendrons pour chaque groupe étudié les dix thèmes les plus fréquemment abordés.

Mode opératoire

Chaque témoignage a été enregistré dans une base de données Tropes ZOOM® sous forme de fichier texte. Nous avons créé dans Tropes un scénario à partir de l'ensemble de ces témoignages afin de constituer un univers adapté à notre domaine.

Les témoignages comportent un nombre variable de mots.

A l'intérieur de chaque témoignage, la taille des énoncés varie en fonction des périodes.

Les deux groupes (Indépendants et Militants) comportant sensiblement le même nombre de mots, nous pouvons considérer que les fréquences constatées seront comparables.

L'analyse va se faire en deux temps :

- Analyse thématique de tous les témoignages en fonction de la période

- Comparaison des thèmes abordés par les deux groupes (associatifs et « indépendants »)

Analyse thématique globale des témoignages en fonction de la période

Nous allons comparer globalement les 9 témoignages sélectionnés en fonction des périodes auxquels ils font référence (Alcoolisation, soins, actualité).

Observations

Style discursif

Le style global est plutôt argumentatif ; le sujet s'engage, argumente, explique et critique pour essayer de persuader le destinataire. Pendant la période de soin, le discours est jugé plus énonciatif qu'argumentatif : au-delà du factuel, le narrateur essaie d'établir un rapport d'influence avec le destinataire et exprime son opinion sur les faits qu'il évoque.

Thèmes abordés

 
 
 
 
 
 
 
 

Période

 

 

 

Alcoolisation

Soins

Actualité

Sur total

Style discursif

 

Argument

Enonciatif

Argument

Argument

 

 

 

 

 

 

Thèmes

1

Temps (94)

Temps (54)

Temps (32)

Temps (180)

 

2

Famille (52)

Sentiment (44)

Boisson (27)

Sentiment (94)

 

3

Boisson (39)

Santé (24)

Santé (22)

Boisson (86)

 

4

Sentiment (31)

Famille (20)

Sentiment (19)

Famille (82)

 

5

Santé (27)

Boisson (20)

Vie (13)

Santé (73)

 

6

Emploi (24)

Vie (15)

Famille (10)

Vie (34)

 

7

Commerce (15)

Communication (10)

Comportement (10)

Emploi (33)

 

8

Comportement (14)

Comportement (9)

Gens (10)

Cognition (30)

 

9

Corps (13)

Cognition (9)

Cognition (8)

Gens (26)

 

10

Femme (9)

Gens (7)

Religion (7)

Education (15)

 

 

 

 

 

 

Le thème du temps arrive largement en tête dans les trois parties. Cela confirme que l'ancien alcoolique raconte avant tout une histoire, plus fortement ancrée dans le temps que dans l'espace. Les lieux, tout comme l'environnement sont très peu évoqués. Cela confirme le fait évoqué dans plusieurs témoignages que l'alcool est un processus.

Le thème de la famille est fortement représenté dans la phase d'alcoolisation. Son importance diminue pendant la période de soins pour ne plus occuper que la 6éme place dans la phase d'actualité. Dans les témoignages, la famille est ressentie à la fois comme victime et comme bourreau.

Dans la phase de dépendance, elle apparaît comme source de culpabilisation, révélatrice du comportement péjoratif du malade alcoolique. Elle est souvent le facteur externe principal évoqué pour arrêter de boire : « De 27 à 29 ans, j'ai été à nouveau abstinent car je ne voulais pas que ma fille subisse ce que j'avais souffert dans ma jeunesse : les cris, la colère et la déchéance humaine du père20(*) ».

Dans la phase de soins, la famille est parfois une aide, une motivation à continuer, voire le révélateur du changement opéré par l'abstinence : « Ma première sortie (après la cure) a été une grande journée car j'ai vu les sourires de ma fille et de ma belle-fille, des sourires que j'avais perdus depuis longtemps. Je me suis dit `il doit y avoir quelque chose de changer en toi, il faut continuer dans ce sens là'21(*) ». C'est ça peut être aussi une source de persécution ou de méfiance, ressentie comme un frein à la guérison : « A la maison, mon mari lui-même buveur excessif, devint fou de rage en apprenant mon intention de ne plus boire et me provoquait sans répit, un verre à la main22(*) ».

Dans la phase d'actualité, la famille est moins évoquée car le malade y reprend une place normale. Dans de nombreux cas, retrouver la confiance de l'entourage est l'un des premiers bénéfices de l'abstinence : « Doucement, les conséquences désastreuse de cette période d'alcoolisation abusive s'atténuent et surtout la confiance de ma chère famille revient ».

Le thème de la boisson reste central tout au long du parcours.

Dans la phase d'alcoolisation, la boisson est souvent évoquée en termes affectifs, proche de l'animisme : « amie fidèle », « illusionniste », « serpent », ou associée à des adjectifs modalisateurs : « Pendant trois ans, c'est le petit blanc limonade en sortant du boulot midi et soir » chargés de diminuer les effets nocifs de l'alcool ou au contraire de les dramatiser. Le patient n'a aucun recul devant l'objet qui a pris une place centrale dans sa vie.

En période de soins, la fréquence de son évocation diminue au profit des thèmes de la famille et de la santé ; cela peut s'expliquer par le fait qu'au cours de cette phase critique de rétablissement (Jellinek), l'alcool abandonne la place centrale qu'il occupait dans la conscience du malade pour faire place à une volonté de réparation envers sa santé et les préjudices causés à son entourage.

Pendant la phase d'actualité (phases post-chronique et post-alcoolique de Jellinek), l'alcool reprend la seconde place dans le classement des thèmes abordés, mais le malade n'en parle plus du tout de la même façon, il a pris du recul : « la solitude entraîne la solitude qui renvoie à l'alcool23(*) ».

Le thème de la santé reste également présent tout au long du parcours.

Dans la phase d'alcoolisation, la santé n'occupe que la 5ème position dans les préoccupations du malade alcoolique, loin derrière la famille, la boisson et les sentiments. Aucun témoignage ne fait allusion à une pathologie ou à des symptômes somatiques précis ; la santé n'est évoquée qu'à travers les recommandations ou avertissements du médecin : « las d'entendre mon médecin me dire que si je ne fais pas quelque chose maintenant ce sera irréversible,...24(*) ».

A partir de la période de soins, le thème est évoqué plus fréquemment pour occuper la troisième place, juste derrière les sentiments. Conformément aux étapes évoquées par Jellinek et aux observations cliniques, cette période correspond à un mieux-être général du malade et à une volonté nouvelle de réparer les dégâts somatiques provoqués par l'alcoolisation.

Nous pouvons observer qu'au cours des tris étapes, Santé et Sentiments sont des thèmes liés qui correspondent à une volonté de réparer les préjudices somatiques et sociaux.

Le thème des sentiments est également très présent tout au long du parcours. Les sentiments les plus souvent évoqués sont :

Dans la phase d'alcoolisation : Les sentiments négatifs prédominent, mais aucun n'est évoqué avec une fréquence plus importante, l'éventail est très large : Ennui, Amour, Tristesse, Honte, Amitié, Remords, Angoisse, Dégoût, etc.

En période de soins : les sentiments positifs et négatifs s'équilibrent. Les deux sentiments les plus souvent évoqués sont Confiance et Espérance.

Pendant la phase d'actualité : Les sentiments positifs dominent de manière significative (fréquence double). Les sentiments les plus cités sont Confiance, Plaisir et Amitié.

Le thème de l'emploi, très fréquemment évoqué (6ème position) pendant la phase d'alcoolisation, est pratiquement passé sous silence au cours des deux autres phases. Le travail est évoqué comme source de difficultés et comme révélateur de l'état de dépendance alcoolique. Le malade n'évoque plus ce thème dans son témoignage au cours des phases de rétablissement et d'actualité, peut-être pense-t-il que l'emploi n'est pas un facteur déterminant dans la guérison, ou du moins pas une priorité.

Le thème de la cognition (conscience, connaissance) n'est évoqué au contraire que dans les deux dernières périodes. Au cours de la phase d'alcoolisation, il n'occupe que la 25ème place. Cela confirme ce que nous observerons dans la partie suivante, à savoir que les narrateurs évoquent la période d'alcoolisation en termes factuels et non cognitifs. Le discours en apparence très référentiel revêt en fait une forme très modale car, sans le dire explicitement, l'alcoolique exprime ainsi son manque de recul et de réflexion par rapport à sa passion.

Comparaison groupes « Malades indépendants » et « Malades associatifs »

Nous allons comparer les 9 témoignages sélectionnés en fonction du statut du patient (membre d'une association ou indépendant) et des périodes (Alcoolisation, soins, actualité).

Observations

Style discursif

Nous constatons que le style global diffère selon que l'ancien alcoolique fasse partie ou non d'une association.

Tout au long du témoignage, le malade indépendant conserve un style argumentatif : il s'engage, argumente, explique et critique afin de persuader les destinataires.

Le style argumentatif n'est utilisé par les militants associatifs qu'au cours de la période de soins. Pendant les phases d'alcoolisation et d'actualité, ils utilisent le style narratif, exposant une succession d'événements ancrés dans le temps (nous rappelons que le thème du temps domine largement les autres thèmes).

Nous pouvons rapprocher ce résultat des observations faites en groupe de parole : les anciens malades alcooliques ne donnent jamais de « recettes » pour guérir de l'alcool. Quand on leur pose une question, ils ne répondent pas sur le mode procédural mais racontent une anecdote les mettant en scène dans une situation équivalente ; à charge pour l'interlocuteur d'interpréter cette narration et de la transposer à son cas personnel. Les malades qui n'ont jamais fréquenté assidûment d'association ne semblent pas avoir cette stratégie et effectuent le travail d'interprétation à la place du destinataire en fournissant des arguments servant leurs intentions.

Thèmes abordés

 

En global

Par période

 

 

Alcoolisation

Soins

Actualité

 

Indép

Militants

Indep

Milit

Indep

Milit

Indep

Milit

Style discursif

Argument

Enonciatif

Argument

Narrat

Argument

Argument

Argument

Narratif

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thèmes 1

Temps (93)

Temps (89)

Temps (52)

Temps (42)

Temps (24)

Temps (30)

Boisson (20)

Temps (15)

2

Boisson (49)

Sentiment (50)

Famille (37)

Boisson (23)

Sentiment (16)

Sentiment (29)

Temps (17)

Sentiment (12)

3

Sentiment (46)

Famille (39)

Sentiment (22)

Santé (17)

Santé (14)

Famille (16)

Santé (12)

Santé (10)

4

Famille (44)

Boisson (39)

Boisson (18)

Famille (15)

Boisson (11)

Santé (10)

Vie (10)

Religion (7)

5

Santé (38)

Santé (36)

Santé (12)

Emploi (14)

Vie (7)

Boisson (9)

Sentiment (7)

Famille (7)

6

Vie (20)

Emploi (19)

Commerce (11)

Sentiment (10)

Cognition (6)

Vie (8)

Gens (6)

Boisson (7)

7

Comportement (19)

Cognition (15)

Comportement (10)

Fiance (6)

Comportement (5)

Groupe social (7)

Cognition (4)

Comportement (6)

8

Corps (16)

Groupe social (15)

Corps (10)

Gens (4)

Famille (4)

Communication (7)

Comportement (4)

Education (5)

9

Gens (16)

Comportement (14)

Emploi (10)

Lieu (4)

Corps (4)

Emploi (4)

Liberté (3)

Cognition (4)

10

Emploi (15)

Vie (14)

Femme (9)

Groupe social (4)

Communication (3)

Comportement (4)

Famille (3)

Groupe social (4)

Répartition des thèmes abordés dans les témoignages en fonction du type de malade (associatif ou indépendant) et de la périodeLe thème du temps arrive très largement en tête pour les deux groupes (seulement détrôné par le thème de la boisson pour les indépendants en phase d'actualité). Les alcooliques, qu'ils soient militants en association ou indépendants, racontent avant tout une histoire dont les événements sont le plus souvent présentés de façon chronologique.

Le thème de la famille est globalement abordé plus souvent par les militants associatifs que par les malades indépendants.

Dans la phase de dépendance, la famille est pourtant évoquée beaucoup plus souvent par les indépendants que par les associatifs. En étudiant les témoignages, nous constatons que tous les malades indépendants parlent de leurs parents alors qu'un seul militant y fait allusion. Nous n'en tirerons bien sûr aucune conclusion, le corpus n'étant pas assez important pour cela.

Dans la phase de soins, la tendance s'inverse et la famille est citée quatre fois plus souvent par les militants associatifs que par les indépendants. Les militants parlent beaucoup de leur conjoint, mais en lui attribuant le plus souvent un rôle de spectateur ; mais, surtout, ils assimilent les membres de l'association à leur famille : « Et puis bien sûr il y a eu mes frères de la Croix Bleue, frères d'expérience et frères d'espérance, ...25(*)).

Dans la phase d'actualité, la famille n'est pratiquement plus évoquée par les malades indépendants mais reste très présente pour les militants. Ici encore, ils étendent la notion de famille à l'association : « un couple de militants m'a accueilli comme leur propre enfant si je peux dire (...) tout au long de mon parcours de militant de secrétaire adjoint de section...).

Je pense que cette constatation est importante : les militants n'évoquent que très rarement leurs parents, expriment souvent leur déception envers le conjoint et assimilent l'association à leur famille.

Le thème de la boisson est beaucoup plus présent dans le discours de l'ancien alcoolique indépendant que dans celui du militant.

Dans la phase d'alcoolisation pourtant, le militant aborde plus souvent le sujet que l'indépendant. Je pense que cela s'explique par les principes même qui sous-tendent les associations d'anciens buveurs : le produit est le principal responsable de l'alcoolo-dépendance, il est donc normal que le sujet en parle beaucoup quand il raconte le début de son histoire.

En période de soins et pendant la phase d'actualité (phases post-chronique et post-alcoolique de Jellinek), la boisson est beaucoup moins évoquée par le militant que par le malade indépendant qui en fait son premier thème. Contrairement aux militants, il ne subit pas l'influence du groupe, et l'alcool reste le seul ennemi à combattre avec ses propres stratégies. Au contraire, le militant bénéficie de l'expérience et du discours de l'association et privilégie les thèmes du sentiment, de la famille et de la santé, autres armes pour lutter.

Le thème de la santé est abordé avec la même fréquence par les deux groupes.

Le thème des sentiments est abordé globalement avec une fréquence similaire par les deux groupes, mais il existe des différences en fonction de la période :

Dans la phase d'alcoolisation : Les sentiments sont évoqués deux fois plus souvent par le groupe des indépendants que par celui des militants, ces derniers privilégiant le thème de la boisson. En l'absence de tout repère extérieur, les alcooliques n'ayant jamais fréquenté d'association se réfèrent aux sentiments (pour la plupart négatifs) qui les animaient au cours de cette période. Les militants quant à eux, influencés par les principes de l'association préfèrent concentrer leur témoignage sur le produit.

En période de soins : Les sentiments sont évoqués avec la même fréquence importante (2ème place) par les deux groupes.

Pendant la phase d'actualité : La tendance s'inverse et les sentiments sont évoqués beaucoup plus souvent par les militants (2ème place) que par les indépendants (5ème place), ces derniers continuant à évoquer la boisson en thème principal. Pour les malades non associatifs, cette baisse d'évocation correspond à l'apaisement des sentiments négatifs. Pour les militants, ce sont des sentiments positifs qui sont évoqués en terme de bilan ; les plus cités sont Confiance, Plaisir et Amitié.

Autres thèmes : Deux thèmes principaux sont abordés uniquement par les militants associatifs : le groupe social et la religion. Cela tient également aux caractéristiques des associations, pour la plupart laïques, mais toutes privilégiant la croyance en certaines valeurs (« en Dieu tel que nous le concevons » par exemple pour les Alcooliques Anonymes).

Résultat

L'hypothèse stipulant que les témoignages des malades associatifs et des malades indépendants sont différents au niveau de la thématique est partiellement vérifiée. Si globalement les thèmes abordés par les deux groupes sont les mêmes, la motivation amenant les témoins à aborder ces thèmes diffèrent selon les groupes et selon l'étape dans le parcours vers l'abstinence.

Hypothèse 2

Hypothèse générale

Indépendamment de tous les facteurs existentiels et psychiques qui rendent l'expérience de chacun unique, le malade alcoolique parvenu à l'abstinence parcourt un chemin tracé à l'avance dont bien des étapes sont communes à tous.

Hypothèse opérationnalisée

Les étapes citées dans les témoignages peuvent s'intégrer dans le parcours décrit par Jellinek

Méthode

Nous allons analyser chaque témoignage sélectionné en relevant tous les propos décrivant les étapes (habitudes de consommation, états physique, psychiques, etc.) que nous resituerons dans le parcours décrit par la Courbe de Jellinek (Figure 3).

Correspondance entre phases de Jellinek et témoignages

Vers la dépendance (période d'alcoolisation)

Mélanie

Serge

Christian

Albert

Armand

Joseph

Camille

François

Statut

 

Militant

Indép

Indép

Indép

Indép

Militant

Militant

Militant

Phase pré-alcoolique

Conditionnement positif

X

 

X

 
 
 
 

X

Conditionnement négatif

X

X

 

X

 
 
 
 

Ivresses, symptômes transitoires

X

 
 
 
 
 
 

X

Phase prochronique

Apparition tolérance

 
 
 
 

X

X

X

 

Consommation régulière

X

 

X

X

X

X

X

X

Besoin pressant de consommer

 
 

X

X

 
 

X

 

Le buveur se pose des questions

 
 
 
 
 

X

 
 

L'entourage réagit

X

 
 
 
 

X

 
 

Le buveur dissimule son comportement

X

 

X

 

X

 
 
 

Déni et auto-justification du problème

X

 
 
 
 
 
 
 

Apparition de symptômes physiques

 
 

X

X

X

 

X

 

Apparition de symptômes psychique (dépression, angoisse, agressivité, ...)

X

X

X

X

 
 
 
 

Apparition de problèmes sociaux

X

X

X

X

X

X

X

X

Vers la dépendance (période d'alcoolisation)

Mélanie

Serge

Christian

Albert

Armand

Joseph

Camille

François

Phase critique

Diminution de la maîtrise du comportement de boisson

 
 
 
 
 

X

 
 

Apparition des amnésies

 
 
 

X

 
 
 
 

Impossibilité de cacher le comportement

 
 
 
 
 
 
 
 

Promesses d'arrêt non suivies d'effet

 
 

X

 
 

X

 
 

Tentatives d'arrêt infructueuses

 

X

X

 

X

X

 

X

Remords et culpabilité post alcoolisation

 
 

X

 
 
 
 
 

L'alcool prend de plus en plus de place dans la vie affective

 
 

X

 
 
 
 
 

L'alcool prend de plus en plus de place dans la vie psychique

 

X

 
 
 
 
 
 

Effondrement de l'estime de soi

 
 

X

 
 
 
 
 

Diminution de la tolérance

 

X

X

X

X

X

X

X

Apparition de consommations très matinales

 
 
 

X

X

 
 

X

 

Phase chronique

Dégradation morale

 
 
 
 
 
 

X

 

Dégradation matérielle

 
 
 
 
 
 
 

X

Isolation familiale et sociale

 

X

 
 
 
 
 

X

Consommation obsessive et continue

 

X

 

X

X

 
 
 

Prise de conscience de son état

 
 

X

 

X

X

X

 

Décision de réagir - déclic

X

D

 

D

D

 
 

D

Vers le rétablissement (période de soins)

Mélanie

Serge

Christian

Albert

Armand

Joseph

Camille

François

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Phase chronique

Le buveur comprend qu'il a besoin d'aide

X

X

 

X

 

X

X

X

Il comprend qu'il s'agit d'une maladie

 
 
 

X

 
 

X

 

Il comprend que cette maladie peut se soigner

 
 
 
 
 
 

X

 

Abstinence totale

 
 

X

X

X

X

 

X

Prise de contacts avec une association d'anciens malades

X

 

X

 

X

X

 
 

Examen de conscience personnel

 
 
 
 

X

 
 
 

Examen des besoins spirituels

 
 
 
 
 
 
 

X

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Phase critique

Thérapie de groupe et/ou association anciens alcooliques

X

X

 
 
 

X

 
 

Regain de l'estime de soi

 

X

 
 
 

X

X

 

Retour de la confiance de l'entourage

 
 
 
 
 
 

X

X

Formation d'un nouveau cercle d'amis

 
 
 
 
 
 
 
 

Vigilance envers la rechute possible

X

 

X

 
 

X

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Phase post chronique

Amélioration du contrôle des émotions

 
 
 
 
 
 
 
 

Restauration d'une santé financière saine

 
 
 
 
 
 
 

X

L'estime de soi se transforme en souci de prestige personnel

 

X

 
 
 

X

X

X

Eprouve de la satisfaction dans l'abstinence

 

X

X

 

X

X

 

X

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Phase post-alcoolique

Maintien des contacts avec l'association d'anciens buveurs

 
 
 
 

X

X

X

 

Période d'actualité

Mélanie

Serge

Christian

Albert

Armand

Joseph

Camille

François

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Période d'actualité

Ouverture de voies vers des horizons plus hauts que jamais

 
 
 
 
 
 
 

X

Aider les autres

X

 
 

X

 

X

X

X

Devenir militante d'une association

X

 
 
 
 

X

X

X

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Phases non prévues par Jellinek

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Rechutes

 
 
 

X

 
 
 

X

 

Reboire avec modération

 
 
 
 

X

 
 
 
 

Résultat

A part les rechutes et la possibilité éventuelle de retrouver un comportement tempérant envers la consommation de boissons alcoolisées, la courbe de Jellinek permet d'inscrire tous les témoignages sélectionnés.

L'hypothèse stipulant que, malgré toutes les différences interpersonnelles, le chemin de l'alcoolique sur la voie de l'abstinence passe par des étapes connues à l'avance, est donc vérifiée.

Bien sûr, nous n'en déduirons pas que le chemin est unique, le tableau montrant que chaque patient ne passe pas par les mêmes étapes, mais que toutes les étapes possibles sont connues.

Hypothèse 3

Hypothèse générale

Les facteurs d'influence véhiculés par le témoignage personnel d'un malade alcoolique guéri ne sont pas directement contenus dans les récits, mais inférés par les destinataires à partir d'un référentiel commun à toutes les personnes alcoolo-dépendantes.

.

Hypothèse opérationnalisée

Les témoignages contiennent des indices langagiers permettant aux destinataires de « décoder » le récit et d'en extraire des informations partageables.

Méthode

Nous allons essayer ici d'analyser éléments langagiers qui permettent de donner un sens au témoignage. Comme nous l'avons vu précédemment, l'ancien alcoolique raconte une histoire, la sienne, dans le but souvent annoncé d'aider ceux qui ont une relation problématique avec l'alcool.

Dans la mesure où le narrateur ne donne pratiquement jamais de « recettes » ni de conseils pour devenir et rester abstinent, nous pouvons nous demander comment le fait de raconter une histoire personnelle peut influencer le destinataire, dans la mesure où chaque cas est unique et peut rarement avoir valeur d'exemple.

Mais le témoin semble sûr de son fait, il veut témoigner pour aider les autres : « J'ai pris la décision à mon tour d'apporter mon soutien et mon témoignage aux personnes qui ont des problèmes de relation avec l'alcool26(*) ».

On peut donc penser qu'au-delà du récit, le texte contient des éléments appartenant au référentiel commun des malades alcooliques et partageables par tous. En d'autres termes, comment les événements de vie narrés par le témoin peuvent-ils devenir des facteurs d'influence pour les destinataires qui n'ont ni la même histoire, ni la même personnalité.

C'est ce que nous allons essayer de voir en analysant deux témoignages.

Observation n° 1 : Témoignage de Mélanie (militante à la Croix Bleue)

Mélanie (avril 2003, Croix d'Or Poissy)

Après une adolescence difficile où se bousculaient des tas de problèmes existentiels, j'ai commencé à sombrer progressivement dans le processus alcool.

Je buvais car j'avais besoin du produit pour m'intégrer à mon groupe d'amis.

J'avais le sentiment d'un profond décalage de mentalités ou plutôt de centres d'intérêt.

En plus de me donner un peu d'assurance, l'alcool m'aidait à oublier le manque d'affection et d'attention de mon petit ami. Cela ne durait jamais très longtemps car il ne me fallait pas une grosse quantité d'alcool pour que les effets que je recherchais ne se transforment en délire hystérique.

Par la suite, j'ai quitté ma maison, mes parents, mes repères, pour me retrouver en appartement, seule avec mes problèmes. Là j'ai vite pris le pli de boire le soir après ma journée de travail. Cela a duré 2 ans, période pendant laquelle une grosse dépression s'est installée.

Pour enrayer cette dépression (seule maladie dont j'avais parfaitement conscience à l'époque), j'ai décidé à 24 ans de quitter ma région natale pour changer de vie, de repères.

J'ai été alors recueillie par mes oncles, tantes et cousins qui se sont vite rendu compte de mon problème d'alcool. Je suis aujourd'hui persuadée que, si mes parents, parfaitement conscients de mon problème, les avaient mis dans la confidence, ils ne m'auraient pas pris en" charge" moi et mon amie fidèle de l'époque : la bouteille.

Mensonges, tromperies, "conneries" se sont succédés, et, petit à petit, l'alcool, associé aux antidépresseurs (je tiens à mentionner ce cocktail aux ingrédients incompatibles), m'a fait perdre la confiance de toutes les personnes que j'aimais. Je buvais le soir et le week-end, mais jamais durant la journée, ainsi j'arrivais tant bien que mal à camoufler le problème au travail.

Un jour, ma tante m'a découpé dans un journal un petit article sur l'association la Croix-Bleue, mais j'ai considéré que ce n'était pas pour moi,"je ne suis pas ALCOOLIQUE !" (ce mot me fait encore mal aujourd'hui quand je l'utilise).

C'est en fait la lassitude de mon entourage à me faire comprendre qu'il fallait que je me soigne qui m'a fait réagir. Ils avaient toutes et tous déployé tant d'énergie pour me faire prendre conscience de ce que je devenais, que j'ai fini par admettre qu'il fallait que je fasse une démarche. J'ai appelé Alain, membre actif de la Croix-Bleue, avec qui j'ai eu un premier entretien. Il m'a ensuite fait découvrir l'association dont j'ai eu l'impression au départ qu'il s'agissait d'une secte mais j'ai très vite compris que ce n'était pas du tout ce que je croyais.

J'y ai rencontré des gens comme moi, dépendants à l'alcool ou en ayant subi les méfaits par personne interposée. Je suis allée régulièrement aux réunions, c'est-à-dire toutes les semaines, car j'avais besoin de ce groupe qui me rassurait.

C'est comme ça que je m'en suis sortie. Sans sevrage ni cure, la Croix Bleue seule a été ma solution pour guérir.

Ça n'a pas été simple car les obsessions de la bouteille ont été longtemps présentes mais, sur le chemin de l'abstinence, on apprend à devenir patient.

Toute notre vie se reconstruit progressivement, c'est la politique des petits pas. Le plus dur pour moi a été de faire mon deuil de l'alcool en découvrant à 25 ans que je ne pourrais plus jamais reboire une seule goutte d'alcool (car, au delà de ses méfaits, un verre de bon vin ne réveille pas que les papilles gustatives).

Aujourd'hui j'ai 27 ans et je suis abstinente depuis plus de deux ans. J'ai pris la décision à mon tour d'apporter mon soutien et mon témoignage aux personnes qui ont des problèmes de relation avec l'alcool et je suis devenue membre actif de la Croix-Bleue de Poissy.

Voilà mon parcours, qui avec du recul s'est passé sur une courte période mais a néanmoins fait de nombreux dégâts. Doucement les conséquences désastreuses de cette période d'alcoolisation abusive s'atténuent et surtout la confiance de ma chère famille revient.

Je serai, et je tiens à le clamer, éternellement reconnaissante envers ces personnes de la Croix-Bleue si dévouées.

Ce que nous dit Marie : discours référentiel

Pour résumer, Mélanie avait un problème d'alcool, sa famille s'est efforcée de le lui faire admettre. Pour leur faire plaisir elle a contacté une association d'anciens buveurs qui lui a enseigné l'abstinence définitive. Ca a été un peu difficile car elle avait une dépendance psychologique au produit, mais elle a tenu le coup grâce au groupe et maintenant elle aide les autres.

Nous pouvons résumer encore plus : Mélanie avait un problème d'alcool et elle s'en est sortie grâce à la Croix Bleue, maintenant elle adhère à cette association et aide les autres en leur disant : « si vous avez un problème d'alcool, allez voir une association, ça a marché pour moi, je n'ai pas eu besoin d'autre traitement, ça peut marcher pour vous ».

Tous les témoignages de militants peuvent se réduire à cet acte illocutoire. Les événements de vie qu'ils racontent ne sont pas transposables et nul ne peut les interpréter pour les adapter à son cas personnel.

Cette affirmation est-elle vraie ?

Si nous analysons le discours de Mélanie, nous constatons qu'il recèle beaucoup plus d'informations qu'il n'y paraît. Sans rien dévoiler explicitement, Mélanie laisse dans son énoncé des indices qui nous renseignent sur sa personnalité et son fonctionnement psychique.

Dès son adolescence et peut-être même avant, Mélanie souffre de nombreux manques qu'elle énumère elle-même :

- Manque d'assurance

- Manque d'affection et d'attention de la part de son petit ami.

- Manque d'intégration dans son groupe d'amis.

En analysant les indices langagiers, notamment les déictiques, on constate que Mélanie souffre de manques plus profonds encore.

- Manque d'identification et d'image. Lorsque Mélanie s'attribue un état psychique, elle n'emploie pratiquement jamais de déictique ; elle n'est pas actrice de ses états mentaux : « Après une adolescence difficile où se bousculaient des tas de problèmes existentiels », « Cela a duré 2 ans, période au cours de laquelle une grosse dépression s'est installée », « car les obsessions de la bouteille ont été longtemps présentes ». Ce sont les états mentaux qui sont actants, pas Mélanie qui les subit sans se les approprier.

- Manque de prise en charge du discours lorsqu'elle décrit son parcours vers l'abstinence. A aucun moment, elle ne mentionne le fait qu'elle arrête de boire et ne parle pas directement de ses difficultés : « ça n'a pas été simple, les obsessions de la bouteille ont été longtemps présentes mais, sur le chemin de l'abstinence, on apprend à devenir patient », « toute notre vie se reconstruit progressivement, c'est la politique des petits pas »

Les seules propositions où elle se présente comme sujet actant (dans la période d'alcoolisation) conduisent à une aggravation de ces manques « J'ai quitté ma maison, mes parents, mes repère pour me retrouver en appartement, seule avec mes problèmes », « Pour enrayer cette dépression, j'ai décidé à 24 ans de quitter ma région natale pour changer de vie, de repères ».

Dans toutes les autres propositions, Mélanie utilise la forme passive ou subit l'action : « J'ai été recueillie », « ils ne m'auraient pas prise en charge », « il m'a fait découvrir l'association ».

Lorsqu'elle parle des dommages qu'elle a causé aux autres à cause de l'alcool, elle utilise la même forme passive qui la distancie de ses actes, comme si c'était quelqu'un d'autre qui les avait commis : « Mensonges, tromperies, conneries se sont succédés », « Doucement, les conséquences désastreuses de cette période d'alcoolisation s'atténuent ».

A aucun moment, elle ne semble prendre conscience de son problème d'alcool, elle ne se préoccupe que de sa dépression. Elle réagit par obligation, devant l'insistance de sa famille qui la montre du doigt et s'évertue à lui faire admettre qu'elle est sur la mauvaise pente et qu'elle doit faire quelque chose.

Adolescente, elle avait du mal à s'intégrer à ses amis car ils n'étaient pas comme elle. Mais elle avait besoin d'eux. Elle avait aussi besoin de l'alcool pour leur ressembler ou pour les supporter. A la Croix Bleue, elle a rencontré des gens « comme elle » qui ont fini par remplacer le produit. Dépendante à l'alcool, Mélanie est devenue dépendante à l'association. « Je buvais car j'avais besoin du produit pour m'intégrer à mon groupe d'amis », « Je suis allée régulièrement aux réunions car j'avais besoin de ce groupe qui me rassurait ».

Je pense que la guérison de Mélanie a deux origines :

- Une rencontre, celle avec les membres du groupe Croix Bleue, qui a comblé son vide intérieur. Dans tout son témoignage, Mélanie ne met en scène pratiquement aucun acteur. Elle cite ses parents mais n'en parle pas « j'ai quitté ma maison, mes parents, mes repères », elle les place même derrière sa maison. Elle ne cite sa famille qu'en rapport avec son problème d'alcool. Le seul personnage nommé est Alain, responsable de sa première rencontre avec le groupe.

- C'est sans doute le groupe qui lui fait prendre conscience du lien entre la dépression qu'elle a toujours identifiée et l'alcool qu'elle déniait.

Tous ces éléments laissent à penser que Mélanie souffrait d'un trouble (personnalité dépendante ? Etat-limite ? Alexithymie ?) qui la faisait se sentir très seule, vide et différente des autres. Elle a utilisé l'alcool comme médicament pour combler son amotivation. Elle a trouvé dans l'association une autre solution pour combler ce vide : « apporter son soutien et son témoignage aux personnes qui ont des problèmes de relation avec l'alcool ».

Aurait-elle pu guérir sans fréquenter d'association ? Le témoignage de Mélanie laisse à penser que la jeune femme n'était pas vraiment dépendante physiquement de l'alcool. La médecine dans son cas n'aurait sans doute pas été d'un grand secours. L'association a constitué dans son cas le médicament idéal, le déplacement vers une dépendance moins dangereuse.

Observation n° 2 : Témoignage de Serge (ne faisant pas partie d'une association)

Témoignage de Serge

Adolescence, copains et ... alcool

Tout a commencé à mon adolescence.

Mes parents ont divorcé et j'ai préféré rester avec mon père. De par son travail mon père s'absentait du lundi matin au vendredi soir. Je restais seul toute la semaine, libre comme l'air. Mon père me laissait de l'argent pour que je puisse manger. Mais à 15 ans, on préfère sortir, s'amuser, que passer son temps à faire la popote et encore moins à bûcher.

J'ai vite pris le mauvais pli. J'étais dehors tous les soirs. Oh ! je ne faisais rien de mal, je retrouvais les copains au café pour jouer au tarot. Il est vrai que durant ces cinq ans, j'aurais pu mal tourner.

Non, je me contentais d'aller rejoindre les copains au bistrot. Bref, j'avais comme repère dans ma vie ou plutôt mon adolescence, les copains. Tout était construit autour d'eux.

A 18 ans, j'ai connu une jeune fille qui est devenue la maman de mes deux superbes filles. Quand je la fréquentais, j'imaginais je ne sais quoi pour la ramener chez elle et filer avec les copains. Bien entendu, elle s'en rendait compte, mais attendait patiemment et en silence que je change. Un beau jour elle m'a annoncé qu'elle était enceinte.

Nous nous sommes donc mariés, je n'avais pas encore 22 ans.

Dans le même temps, j'ai trouvé du travail. Le hic, c'est que c'était à Bordeaux. Je ne pouvais me permettre de refuser et nous avions convenu, mon épouse et moi, qu'elle resterait chez ses parents jusqu'à la naissance de notre enfant. Nous avions prévu que je rentre dès que le temps me le permettrait ou au minimum pour chaque repos.

Je suis donc parti à Bordeaux, je me suis trouvé une garçonnière. J'ai été pris à l'essai, un an, avant d'être titularisé (non sans mal). Comme il en avait été décidé, après l'accouchement, ma femme et ma fille m'ont rejoint. Les quelques mois passés seul (avec les copains) entre les repos n'ont rien arrangé. Mon travail non plus d'ailleurs, car je ne rentrais qu'un soir sur deux.

Ma femme ne connaissait personne et s'ennuyait énormément. Elle me fit part de sa décision de travailler. Lorsqu'elle a trouvé un emploi, c'est devenu de pire en pire. Ses horaires et les miens ne correspondaient pas ; elle était de repos les week-ends, moi en semaine ; on ne se voyait plus ou presque.

Un jour, bêtement, j'ai appris qu'elle avait une liaison avec un type de son travail. Tout d'abord, je ne l'ai pas cru et malheureusement ça c'est confirmé. Que faire ? Ben, j'en ai profité pour aller de plus belle avec les copains. J'ai eu une discussion avec elle ; elle m'a dit que c'était dans un moment d'égarement, de faiblesse, qu'elle allait tout arrêter mais que je n'étais pas pour rien dans cette affaire car je n'étais jamais à la maison.

J'ai pardonné, enfin j'ai cru pardonner ; au fond de moi il n'y avait plus cet amour, cette confiance. J'ai eu énormément de mal à la toucher à nouveau et le comble c'est que je n'arrivais plus à la désirer. Je ne pouvais pas le cacher ; il y en a un qui me trahissait (ce n'est pas marrant !). Longtemps, j'ai continué à fréquenter les bars à la recherche de copains " (et j'en trouvais toujours). Alors que notre ménage battait de plus en plus de l'aile, ma femme est de nouveau tombée enceinte.

Dès qu'elle l'a appris, elle a voulu regagner sa famille. Je me suis donc remis à faire la navette les jours de repos. Du moins au début, car je ne sais ce qu'elle a pu raconter à ses parents et à mon père, mais j'ai très vite senti que je n'étais pas trop accepté quand je rentrais. Ma femme m'a annoncé qu'il était hors de question qu'elle retourne vivre à Bordeaux après l'accouchement.

J'ai fait des pieds et des mains pour être muté. J'ai même joué gros car je suis allé voir les psys afin qu'ils appuient ma demande. Le jour de ma mutation, mon épouse m'a annoncé que nous divorcions, qu'elle avait engagé la procédure de divorce et qu'elle ne reviendrait pas sur sa décision.

J'ai très mal accepté ce divorce, je sentais autour de moi qu'il se passait des choses, qu'on m'en voulait. Je n'ai pas tardé à reprendre mes mauvaises habitudes, à rechercher une meilleure ambiance : c'était reparti. Dix années ont passé et sans m'en rendre compte, je devenais alcoolique. Entre temps, mon père est décédé (ça n'a pas arrangé, bien au contraire) d'un accident de vélo, un accident bête. A partir de là, ça été l'hécatombe, la chute libre. Je ne maîtrisais plus, je n'étais bien que sous l'emprise de l'alcool.

Du moins au début car à la fin je déprimais de plus en plus et avec l'alcool, c'était encore pire. Mais je ne pouvais pas arrêter ; je maudissais l'alcool mais ne pouvait m'en passer. Personne à qui parler, à qui se confier, toute ma famille m'a fermé la porte au nez. Quant à mon ex, elle, elle en profitait pour me salir aux yeux de tout le monde. J'ai essayé d'arrêter tout seul (sans savoir si je le désirais vraiment). Sans résultat. Je refusais l'idée d'être alcoolique et je ne voulais aucune aide. Le travail s'en ressentait, je prenais sanctions sur sanctions.

Un beau jour (je crois que c'est le plus beau de ma vie), un ennui au travail m'a fait avoir le déclic. J'en avais assez de me lever le matin, fatigué ; d'avoir ce sentiment de culpabilité ; de ne plus pouvoir regarder les gens en face, de baisser les yeux sans arrêt ; de laisser les autres salir mon image en racontant je ne sais quels mensonges. Il fallait que je réagisse ! ! !

Après une semaine d'hôpital, je suis allé voir mon médecin ; il s'était occupé de tout (nous nous étions appelés dans la semaine). Je rentrais en clinique le lendemain.

Le lendemain, donc, je me suis retrouvé dans cette clinique (en me demandant ce qu'il m'arrivait). En fait, la clinique, c'était un Château entouré d'un grand parc. J'ai été très bien accueilli ; on m'a mis à l'aise et tout c'est très bien passé. Cela a duré quatre semaines. J'ai suivi une thérapie de groupe. Nous apprenions à nous redécouvrir, à prendre conscience que nous étions des êtres humains et surtout que nous n'étions pas inférieurs aux autres.

Durant mon séjour dans ce château, j'ai fait la connaissance d'une personne qui est devenue la maman de ma troisième fille. Elle y était rentrée le même jour que moi et nous en sommes sortis à deux jours d'intervalle. Elle, c'était pour les nerfs qu'elle y était. Cette maladie se soigne de manière identique à l'alcoolisme. Je crois que nous nous raccrochions l'un à l'autre ; nous étions paumés et le fait de bien s'entendre nous aidait à avancer. Je n'ai pas repris le travail immédiatement, je suis resté quelques jours, en fait 3 semaines chez elle. C'était le Paradis !

Et puis, il fallait bien que ça arrive, j'ai repris le travail. Nous avons fini par vivre ensemble. Je peux dire que j'ai vécu avec elle, trois années de véritable bonheur. Et puis voilà. Elle est tombée enceinte de ma troisième fille et six mois après l'accouchement elle m'a quitté alors que rien ne laissait entrevoir une telle décision.

Aujourd'hui, et depuis maintenant plus de trois ans, je vis seul. Malgré tous ces aléas, je n'ai pas repris la boisson. Je suis trop bien dans ma tête. Je ne culpabilise plus du tout, je regarde les gens en face et je suis trop heureux d'être devenu l'homme que je suis (peut-être un peu prétentieux mais c'est la pure vérité). La solitude me pèse quelque fois, mais ne vaut-il mieux pas vivre seul que mal accompagné ? C'est ce qu'on dit toujours !

Ce que nous dit Serge : discours référentiel

Tout a commencé à l'adolescence. Ses parents ont divorcé et il a préféré rester avec son père. Ce dernier était absent toute la semaine et Serge organisait sa vie autour de ses copains au café, à jouer aux cartes. Il s'est marié à 22 ans et sa femme est tout de suite tombée enceinte. Lui a trouvé un travail sur Bordeaux et ne rentrait que le week-end.

A Bordeaux il a fait de nombreux copains de café. Sa femme l'a rejoint après l'accouchement et, s'ennuyant beaucoup, elle a trouvé un travail.

Sur son lieu de travail, elle a eu une liaison, Serge l'a appris, ça lui a fait un choc, il a amplifié ses sorties avec les copains. Enceinte une seconde fois, sa femme est repartie dans sa famille et Serge a repris les navettes. Finalement le couple divorce. De plus le père de Serge décède dans un accident. Il est très affecté par ces deux événements et boit de plus en plus pour échapper à la dépression et aux sentiments négatifs.

Un jour, suite à un ennui dans son travail, il a un véritable déclic et décide de se soigner : cure de sevrage à l'hôpital puis post-cure. En postcure, il rencontre une femme qui lui donnera plus tard un enfant et le quittera au bout de 3 ans sans explication.

Malgré ses problèmes, Serge n'a pas retouché à l'alcool, il est fier de ce qu'il est devenu

Pour résumer :

Serge a fréquenté très jeune les cafés. Les copains ont toujours été très importants pour lui. Après l'échec de sa vie conjugale, il devient dépendant à l'alcool et en souffre. Un jour, au travail, il a le déclic et fait une cure de sevrage. Il retrouve l'estime de soi et, malgré de nouveaux échecs dans le domaine affectif, maintient son comportement d'abstinence.

Le message délivré par serge est beaucoup moins clair que celui de Mélanie. A aucun moment il ne semble s'adresser à un destinataire. Il raconte son histoire, débordant largement du cadre de l'alcool. Son témoignage donne l'impression que ses problèmes éthyliques ont été secondaires et consécutifs aux événements de vie, notamment à ses déboires conjugaux et au décès de son père. Pourtant ils se sont étalés sur de longues années et ont provoqué chez lui un mal-être et une dépression centrale. Mais à cause de la progression lente du processus et son chevauchement avec des événements de vie dramatiques, Serge ne semble pas avoir pris réellement conscience avant de guérir que l'alcool avait joué un rôle important dans ses ennuis.

Le discours de Serge est beaucoup plus riche que celui de Mélanie. Il met en scène également très peu d'acteurs : son père, sa femme et son amie, mais ces acteurs ont un rôle. Il exprime très peu ses sentiments, privilégiant les faits, mais laisse beaucoup d'indices sur son fonctionnement psychique.

Comme Mélanie, son adolescence est placée sous le signe du manque et de la perte : divorce des parents, absence du père, déni de la mère.

Il comble sa solitude en fréquentant des amis : « J'avais comme repère dans ma vie ou plutôt dans mon adolescence les copains. Tout était construit autour d'eux. ». Il prend donc très jeune l'habitude de fréquenter les cafés et sans doute de boire de l'alcool, mais il n'en parle absolument pas. Il n'aborde le sujet de l'alcool que dans le derniers tiers de son témoignage, pour dire qu'il devenait alcoolique sans s'en rendre compte. Et c'est l'alcool qui va le renfermer à nouveau dans la solitude : «  Personne à qui parler, à qui se confier, toute ma famille m'a fermé la porte au nez ».

La problématique centrale de Serge semble être la Femme. Au début du récit, il n'écrit même pas le mot « mère » : « Mes parents ont divorcé et j'ai préféré rester avec mon père ». Lorsque sa femme le trompe, c'est un véritable traumatisme, il est abandonné une seconde fois : « J'ai cru pardonner, mais au fond de moi il n'y avait plus cet amour, cette confiance (...), je n'arrivais plus à la désirer ». Il pense être victime des femmes, abandonné sans raison : « J'ai fait des pieds et des mains pour être muté. Le jour de ma mutation (pour la rejoindre), mon épouse m'a annoncé que nous divorcions », « 6 mois après l'accouchement, elle (ma nouvelle amie) m'a quitté alors que rien ne laissait entrevoir une telle décision ».

Au niveau de la personnalité, Serge présente une grande culpabilité associée à une idéation persécutoire. Il l'affirme explicitement dans plusieurs passages : « j'en avais assez d'avoir ce sentiment de culpabilité, de ne plus pouvoir regarder les gens en face » ; « Je ne culpabilise plus, je regarde les gens en face », mais laisse ressortir ce trait implicitement tout au long du témoignage : « j'ai vite senti que je n'étais pas trop accepté quand je rentrais », « elle (mon ex) en profitait pour me salir aux yeux de tout le monde », « J'en avais assez (...) de laisser les autres salir mon image en racontant je ne sais quels mensonges » ; « je sentais autour de moi qu'il se passait des choses, qu'on m'en voulait ».

C'est cette culpabilité qui a provoqué en lui le déclic d'arrêter de boire : « Un beau jour, je crois que c'est le plus beau jour de ma vie, un ennui au travail m'a fait avoir le déclic. J'en avais assez de me lever le matin fatigué, d'avoir ce sentiment de culpabilité, (...), de baisser les yeux sans arrêt ».

Je pense que nous pourrions fonder l'hypothèse suivante sur le parcours éthylique de Serge :

Livré à lui-même très jeune, il lutte contre la solitude en développant le culte des copains, associé à la fréquentation des bars et à la boisson. Il ne recherche pas les effets du produit, mais il devient sans doute dépendant à l'alcool beaucoup plus tôt qu'il ne le dit, avec des effets secondaires sur son comportement et sa vie de famille dont il n'est pas conscient. Il se considère comme victime, mais est sans doute également bourreau. L'alcoolisation provoque une baisse de son estime de soi ainsi qu'un sentiment de culpabilité et d'infériorité grandissant. Il vit ses ennuis conjugaux à travers le filtre de ces troubles et se sent persécuté, sali, victime d'un complot familial ; l'abandon de sa femme, tant redouté car il reproduit celui de sa mère, accélère son chemin vers l'alcoolo-dépendance. C'est seulement à ce moment qu'il prend conscience de son alcoolisation et réagit. L'abstinence apporte la solution à ses problèmes en réduisant ses troubles de personnalité que les longues années d'alcoolisation avaient exacerbés. Il pense être devenu un homme nouveau, alors qu'en fait il est simplement la personne qu'il aurait été s'il ne s'était pas alcoolisé depuis son adolescence.

Serge a été pleinement conscient de sa guérison, mais est resté très longtemps (et encore maintenant semble-t-il) dans le déni de son alcoolisation précoce et des problèmes psychiques qui en ont découlé.

Discussion sur l'analyse des témoignages

Nous avons vu dans ces deux témoignages que :

Le récit référentiel (ce que dit l'auteur) était pauvre, peu partageable et qu'il était difficile à un destinataire de s'en approprier le contenu à des fins d'exemple.

Le récit sous-jacent modal (ce que pense l'auteur de ce qu'il nous dit) était au contraire très riche grâce aux indices langagiers laissés par le narrateur (notamment concernant la prise en charge du discours et les mondes possibles occultés).

L'hypothèse 3, stipulant que le message délivré par le biais des témoignages va au-delà de l'énoncé est vérifiée.

Si les témoignages laissés sur les forums Internet sont aussi nombreux et qu'autant de gens les lisent, c'est que les destinataires peuvent se reconnaître dans ces récits pourtant bien peu informatifs à première vue.

Faut-il en conclure que les personnes en difficulté avec l'alcool font une autre lecture de ces récits, à un niveau plus symbolique ?

En analysant les discours, nous avons réussi à retracer de façon logique et cohérente, sans interprétations trop floues, le parcours éthylique des personnes, parfois même au-delà de leur propre compréhension des choses (par exemple, le déni prolongé de Serge envers son alcoolisation).

Est-il possible aux destinataires de parvenir aux mêmes conclusions en procédant à une simple lecture de ces témoignages ? L'objectif du témoignage serait atteint si par exemple, en lisant le récit de Serge, une personne alcoolique se disait : « En fait je suis dans le même cas : si ça se trouve, tous les ennuis que j'ai au travail ne sont pas de la faute de mon chef qui ne comprend rien et qui m'en veut ; je me demande si moi aussi je ne bois pas trop sans m'en rendre compte et que cela influe sur mon comportement et sur mes compétences. »

Dans ce cas-là, la portée du témoignage irait même au-delà des intentions de son auteur, car le destinataire aurait mieux compris que lui la cause des problèmes qu'il relate.

Le témoignage consisterait donc à sélectionner intuitivement (et inconsciemment) parmi une multitude de faits et de pensées ceux qui pourraient avoir du sens et les livrer au lecteur dans l'ordre chronologique, en pensant que ce dernier sera capable d'inférer à partir du factuel des informations qu'il pourra s'approprier. Ces informations pourront même être ignorées de l'auteur lui-même.

Si je tiens compte des observations que j'ai pu faire pendant mon stage au sein du groupe de parole, cela est très possible : malgré toutes les différences (d'âge, de sexe, de niveau social, d'ethnie, d'état de santé et d'ancienneté dans l'alcool ou dans l'abstinence) qui opposaient les patients alcooliques, ces derniers semblaient partager un référentiel commun (traduit par une réelle complicité lexicale et sémantique) qui n'était pas celui des soignants et des personnes non dépendantes de l'alcool en général.

Cela est également vrai pour toutes les passions : les collectionneurs passionnés de timbre, indépendamment de toute autre caractéristique, partagent également un vocabulaire et des représentations non partageables spontanément par un profane.

Nous allons donc franchir le pas et dire que le témoignage, au-delà des mots compréhensibles par tous, véhicule des représentations qui, elles, ne sont pas partageables directement par les personnes non alcooliques. Pour les comprendre, le lecteur non alcoolique devra se livrer à un travail de décodage et d'analyse tel que nous l'avons fait ici.

La personne « passionnée » par l'alcool, au contraire, y aura accès intuitivement et directement. L'auteur des témoignages construira spontanément des représentations partageables à partir de mots et de phrases plutôt pauvres sur le plan informatif. La portée sémantique de ces textes une fois interprétés par le destinataire dépassera même souvent l'intention de leur auteur.

Questionnement sur le parcours de l'alcoolique : Le « déclic » existe-t-il ? Est-il unique ou marque-t-il chaque étape de la « guérison » ?

Tous les témoignages écrits font référence, explicitement ou implicitement, à la notion de déclic.

Pourtant, dans nos recherches, nous n'avons trouvé aucune théorisation autour de ce concept.

Que signifie « avoir le déclic » pour un alcoolique ?

Dans Le petit Robert, le mot « déclic » a deux sens :

Au sens propre, mécanisme destiné à déclencher un mécanisme.

Au sens figuré, compréhension soudaine et intuitive. Saisie immédiate de la vérité sans l'aide du raisonnement.

Le déclic ne serait donc pas l'aboutissement d'un processus cognitif, mais au contraire la prise de conscience soudaine d'un état de fait.

En étudiant les témoignages d'anciens alcooliques parvenus à l'abstinence, on s'aperçoit que le parcours de ces derniers comprend en général plusieurs déclics :

Le déclic de boire

Ce déclic se produit en général dans la phase de pré-alcoolisation chez les patients pour qui les effets psychotropes de l'alcool sont une véritable révélation : « Maladivement timide, je découvris que l'alcool permet de délier les langues (...) avec un petit verre dans le nez, la timidité disparaissait comme par enchantement »27(*). « En plus de me donner un peu d'assurance, l'alcool m'aidait à oublier le manque d'attention et d'affection de mon petit ami28(*) ».

La personne comprend soudain que l'alcool a la propriété de combattre avec succès ce qui les gêne en eux.

Ce déclencheur est essentiellement sensitif et affectif ; la personne prend conscience qu'elle va mieux si elle s'alcoolise et que cette amélioration est reproductible à volonté.

C'est effectivement un mécanisme qui va déclencher un autre mécanisme (le renforcement positif et/ou négatif), lui-même susceptible de générer ultérieurement d'autres mécanismes (tolérance, dépendance).

Tous les malades alcooliques ne ressentent pas ce déclic et en retour tous ceux qui le ressentent ne deviennent pas alcooliques.

Le déclic d'un comportement pathologique envers l'alcool

Ce déclic se produit dans la phase prochronique. Tous les alcooliques ne le vivent pas car de nombreux usagers abusifs et même dépendants restent dans le déni de boisson. Mais d'après les témoignages des patients qui décident de réagir, tous prennent un jour conscience que leur comportement est nocif et qu'ils ne le maîtrisent plus vraiment.

Ce déclic peut se produire longtemps après que la personne ait été mise en garde par son entourage : « Des observations par mon épouse, mon employeur me faisaient réagir quelques jours et je remettais ça (...). Le feu rouge s'est allumé lorsque je me suis rendu compte que je m'arrêtais seul au bar, que je n'avais plus besoin de copains pour m'entraîner29(*) ».

Le déclic de l'arrêt

Il ne faut pas confondre ce déclic avec la décision de l'abstinence. Le déclic est individuel et n'appartient qu'à la personne. Un alcoolique peut décider d'arrêter de boire pour de multiples raisons, la plupart d'entre elles étant exogènes (pression de l'employeur ou du médecin, ennuis avec la justice, ultimatum du conjoint, etc.).

Très souvent, ce déclic se produit après l'abstinence, voire même après plusieurs rechutes : « A ma sortie de cure, j'ai vu les sourires de ma fille (...) que j'avais perdus depuis longtemps, je me suis dit il doit y avoir quelque chose de changé en toi, il faut continuer dans ce sens-là30(*) »

Il génère une intention forte et durable « Un jour, je me suis regardé dans une glace et celui que j'ai vu ce n'était plus moi (...) cette envie de vivre libre et ce désir de ne plus toucher à l'alcool sont toujours aussi forts que ce jour où j'ai pris cette décision de redevenir moi-même31(*) ».

Mais dans bien des cas ce déclic n'est pas suivi immédiatement d'un comportement d'abstinence : « Le feu rouge s'est allumé (...) c'était décidé j'arrête demain. J'ai essayé plusieurs fois seul, avec un traitement médical (ESPERAL), je tenais trois mois maxi et la vie infernale redémarrait32(*) ».

Le déclic de reboire

Il touche presque tous les alcooliques ayant vécu une alcoolo-dépendance sévère.

Nous avons vu dans la partie théorique que le comportement de boisson n'obéissait pas complètement aux principes du conditionnement classique, notamment en ce qui concerne l'extinction. Divers facteurs (besoins physiologiques, associations, rappels mnésiques) peuvent provoquer chez l'alcoolique abstinent, même de longue date, l'envie brutale de reboire (connue sous le nom de « flash ») :

Le déclic de reboire, ça te prend comme un coup de téléphone, c'est brutal, t'as une image qui te traverse la tête, tu peux pas résister (...) Mais ce qu'il faut que tu saches quand ça va t'arriver, c'est que ça dure pas longtemps cette envie, ça passe vite. Et si t'as pas d'alcool à la maison et que tu dois aller à l'épicerie ou au café tu auras le temps de changer d'avis et de résister33(*) ».

Le déclic de l'arrêt définitif

En général, les anciens alcooliques qui témoignent sur les forums restent prudents et ne se déclarent jamais à l'abri d'une rechute. Mais certains malades citent toutefois un dernier type de déclic, la certitude de ne plus jamais reboire. Des patients ayant rechuté plusieurs fois « savent » un beau jour que cette fois-ci ils parviendront à maintenir leur comportement d'abstinence : « J'ai toujours été persuadé que l'alcool était une sorte de baguette magique qui transformait Jean-Pierre le triste, le timide, le complexé en Jean-Pierre l'ambitieux, le boute-en-train, le meneur. C'est sans doute pour ça que, malgré les innombrables cures de sevrage, chaque période d'abstinence se traduisait par un terrible vide qui me ramenait invariablement à l'alcool. Mais un jour, j'ai brutalement compris que ce n'était pas l'alcool qui me rendait gai et courageux, que cette gaîté et cet humour je les avais en moi ; l'alcool ne crée rien, il révèle c'est tout ; et ce que je faisais grâce à l'alcool, je devais pouvoir le faire sans alcool ».

Certains alcooliques devenus abstinents connaîtront tous ces déclics, d'autres n'en connaîtront pratiquement aucun, ou plutôt n'en prendront pas conscience.

Le « déclic » tant cité par les patients alcoolique n'est donc pas unique, il recouvre un ensemble de ruptures qui jalonne les étapes de la guérison.

Conclusion

L'alcoolique guéri est-il un non consommateur normal ?

Pourquoi l'alcoolique guéri va parfois « plus haut » qu'avant son alcoolisation ? Un argument envers ce « dépassement de soi » au sens propre pourrait être le suivant : lorsque le sujet a commencé à vivre par et pour l'alcool, il n'avait pas encore été au bout de ses expériences phénoménologiques, celles qui permettent à l'individu normal de progresser dans sa pensée.

Très vite l'alcoolique se contente des rêves que lui procure l'alcool, et ces rêves sont toujours les mêmes. En effet, les expériences psychiques qu'ils font vivre n'intègrent pas les expériences précédentes et ne sont dirigées vers aucun futur, contrairement aux expériences phénoménologiques. L'alcoolique est comme figé dans le temps, il ne peut pas se projeter dans l'avenir. Cela pourrait expliquer pourquoi le thème du temps est si présent dans les témoignages.

Lorsqu'il arrête son alcoolisation, on pourrait penser qu'il va reprendre son « chemin » là où il l'avait interrompu et vivre de nouvelles expériences qui vont le faire progresser. Quand l'alcoolique devenu abstinent désinvestit l'alcool, c'est en fait lui-même qu'il désinvestit, sa personne sous alcoolisation, son monde intérieur onirique.

Par contre, les problèmes rencontrés et non résolus par le patient n'auront pas disparu du simple fait de son abstinence. Alors aussi qu'en période d'alcoolisation, il niait ces problèmes ou les considéraient comme peu importants ou peu gênants, il devra maintenant y faire face sans l'aide de l'alcool.

Le piège à éviter dans l'analyse des témoignages est de penser que les alcooliques disent tout. On a tendance à le croire car ces écrits donnent l'impression d'une grande sincérité : les anciens malades se fustigent, dramatisent souvent leurs déboires et le mal qu'ils ont causé aux autres.

Mais ils laissent aussi de grandes zones d'ombre. Rares sont ceux qui expriment par exemple ce qu'ils pensaient vraiment des choses quand ils étaient alcoolisés ; ils ne décrivent pas non plus leurs rêves éthyliques, c'est trop honteux car très secret.

Le film « Un singe en hiver » illustre bien cette double vie de l'alcoolique. Les mondes oniriques de Gabin (la guerre d'Indochine) et de Belmondo (toréador vedette) se nourrissent de souvenirs lointains, toujours les mêmes, qui ne revivent que le temps d'une ivresse. Et c'est pourtant ces moments de rêve éphémères qui donnent de l'épaisseur et un sens à leur vie faites de manques et de regrets. L'histoire se termine par cette phrase : « En arrêtant de boire, il a renoncé à rêver ; et ce fut le début d'un long hiver ».

Bibliographie

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Wide RA. Neurobiology of Addiction, 1996, Curr Opin Neurobiol

Annexes

* 1 Nadeau, L. (1999). Article « Alcoologie ». In Grand dictionnaire de la psychologie (42-43 ) . Paris: Larousse/Bordas

* 2 Alcoolisme, états névrotiques et troubles de la personnalité, 1985 ; Riom Laboratoires, CERM

* 3 J.Y. Gaignard et P. Kiritze-Topor, L'alcoologie en pratique quotidienne, p. 38, 1995 ; publication Merck Lipha Santé, Lyon

* 4 Source : Baromètre Santé 2000, CFES, exploitation OFDT, in Benoît Fleury, Dialogue Ville-Hôpital, Les conduites d'alcoolisation, du repérage précoce au réseau de prise en charge, John Libbey Eurotext, 2003, Paris

* 5

* 6 Edwards G., Gross MM, Alcohol Dependence : provisional description of a clinical syndrome, 1976, Br Med J. ; 1:1058-1061, cité dans Adès et lejoyeux, Alcoolisme et psychiatrie, p 68, 1997, Masson, Paris

* 7 Lewis MJ, Alcohol reinforcement and neuropharmacologic therapeutics, Alc Alcohol, 1996. Wise RA. Neurobiology of Addiction, 1996, Curr Opin Neurobiol

* 8 ADLH = Aldéhyde Déshydrogénase, enzyme essentielle pour la dégradation de l'alcool dans le métabolisme hépatique.

* 9 Le concept de « système de récompense » a été proposé par Olds et Minner (1950) suite à des expériences sur des rats qui pratiquaient compulsivement une autostimulation électrique intracrânienne sans aucune utilité physiologique, bien au contraire, car cette activité les accaparaient tellement qu'ils en oubliaient de boire et de manger et en mouraient. D'où l'hypothèse qu'il existe dans le SNC un système dont la stimulation produit du plaisir, en dehors de toute utilité physiologique. Le recensement des structures cérébrales concernées montre qu'elles appartiennent toutes au système DA-MLC (dopaminergique méso-limbo-cortical) et qu'elles jouent un grand rôle dans les processus appétitifs, , motivationnels et décisionnels.

* 10 Mogenson GJ, Jones DL, Yim CY. From motivation to action : fonctional interface between the limbic system and the motor system; Prog Neurobiol, 1980; p 69-97.

* 11 Miller, 1995, cité par Adès et lejoyeux, Alcoolisme et Psychiatrie, Données actuelles et perspectives, p 81, 1997, Masson, Paris

* 12 Schuckit MA, The relationship between alcohol problems, substance abuse, and psychiatric syndromes. DSM IV Sourcebook, Vol. 1, 1994, Am Psych Assoc

* 13 Feinman JA, Dunner DL. The effect of alcohol and substance abuse on the course of bipolar affective disorder, 1996, J Affect Disord

* 14 Miller NS, Addiction psychiatry, Current diagnosis and treatment, 1995. John Wiley, NY

* 15 Témoignage d'Albert

* 16 On sait aujourd'hui qu'un sevrage sans assistance médicale peut avoir des conséquences dramatiques (notamment Delirium Tremens). La décision d'arrêter de boire est propre au patient, mais sa mise à exécution doit se faire sous surveillance médicale.

* 17 J.F. Jeandillou, L'Analyse textuelle, p. 136, Armand Colin, Paris, 1997

* 18 Témoignage de Mélanie

* 19 Un patient (Albert) évoque la reprise d'une consommation occasionnelle et modérée de boissons alcoolisées. Nous avons néanmoins sélectionné son témoignage car ce comportement est volontaire dans la mesure où Albert milite contre l'abstinence totale et définitive imposée à tous ; d'autre part, sa réalcoolisation date de 1996 et ne l'a pas ramené vers un état de dépendance. On pourrait dans son cas particulier parler de « vraie guérison ».

* 20 Témoignage d'Armand

* 21 Témoignage de Camille

* 22 Témoignage de Marilou

* 23 Témoignage de Christian

* 24 Témoignage de Camille

* 25 Témoignage de François

* 26 Témoignage de Mélanie

* 27 Témoignage de Yann

* 28 Témoignage de Mélanie

* 29 Témoignage de Joseph

* 30 Témoignage de Camille

* 31 Témoignage de Gilbert

* 32 Témoignage de Joseph

* 33 Propos exprimés par un membre des Alcooliques Anonymes au sein du groupe de parole de l'hôpital Delafontaine.






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