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L'esthétique humaniste des films de Walter Salles

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par Sylvia POUCHERET
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Esthétique et études culturelles 2007
  

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Sylvia Poucheret Université de Paris I

Année Universitaire 2007-2008

MASTER 2 ESTHETIQUE

Sujet : L'esthétique « humaniste » des films de Walter Salles

Directeur de Recherche : Mr Jimenez

Introduction

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La critique qualifie certains films d'« humanistes », terme un peu rapide et attrape-tout pour désigner une tonalité vaguement éthique dans le propos comme dans la forme, une mise en scène et une narration ayant comme point de mire, le souci de « l'humain » et des vertus morales universelles. Depuis ces dix dernières années, le cinéma d' Amérique latine connaît un regain d'intérêt dans les festivals internationaux sans doute parce qu'il se singularise par cette mise en exergue d'une représentation poignante de la condition humaine en proie aux dysfonctionnements politiques, culturels, économiques et sociaux. Souvent ces fictions empruntent à l'esthétique documentaire pour renforcer le réalisme et le vérisme des histoires proposées (Le Violon( 2006), El Camino de San Diego (2007), la Cité de Dieu (2002).La poésie du réel, l'authenticité des situations prises sur le vif ou jouées par des acteurs non professionnels sont autant d'arguments pour remporter l'adhésion du spectateur international en mal de vérité, pourtant abreuvé d'images- catastrophe sur la misère humaine dans les journaux télévisés.Ce dernier sort des projections en ayant le vif sentiment d'avoir appris sur ses « frères »lointains, sur leurs souffrances, et d'avoir éprouvé une forme d'empathie et de communion émotionnelle rarement atteinte dans la réalité de sa propre vie. Dès lors, peut-on se risquer à considérer que la production cinématographique issue de ces pays, que certains classent sous l'étiquette de « World Cinema » ou cinéma des pays émergents, relèvent d'une esthétique particulière reconnaissable entre toutes malgré les idiosyncrasies des réalisateurs et des cultures nationales? Pourrait-on qualifier cette esthétique d' « humaniste » dans la mesure où elle rassemblerait un certain nombre de choix esthétiques dans la mise en scène, l'orientation du point de vue, les conditions de tournage, les thèmes récurrents, le mode de production, etc. qui sous-tendrait un discours positiviste et mélioriste sur la condition humaine ? Si oui, quelles en seraient les limites ou les leurres pour tout spectateur ?

On peut situer l'origine de cette esthétique cinématographique dans la tentative de certains photographes des années 50 de créer un mouvement visant l'image poétique et optimiste de la figure humaine. Dans ces années d'après guerre, les peuples rêvaient de réconciliation, de paix, d'harmonie et de fraternité. C'est pourquoi le MOMA de New York avait lancé en 1955 à l'initiative d'Edward Steichen la plus grande rétrospective mondiale de photographies intitulée « Family of Man » à laquelle avaient participé Cartier-Bresson, Willy Ronis notamment. Ces derniers, dès les années 30, partageaient une vision essentialiste et lyrique de l'homme et s'appuyaient sur l'idée d'une nature humaine universelle. Leurs photos reflétaient un nécessaire optimisme en l'homme après les désastres et les atrocités de la guerre. Mais leur esthétique respectueuse des personnes photographiées et parfois teintée de sentimentalisme fut critiquée par Roland Barthes1(*) comme étant tout bonnement simpliste dans la volonté de refaire le monde. Si cette esthétique a connu un relatif déclin par la suite, elle a été remise au goût du jour par certains photographes sud-américains comme Sebastião Salgado ( photo-journaliste brésilien), Christian Cravo, Pepe Deniz, photographes dont se réclame Walter Salles2(*),cinéaste brésilien reconnu pour le caractère humaniste de ses films.

Notre étude portera de manière plus spécifique sur l'oeuvre de ce cinéaste dans la mesure où ses partis pris esthétiques « humanistes » génèrent en réalité, nous semble-t-il, des ambivalences voire des paradoxes par rapport à l'intentionnalité de son projet cinématographique initial. Il sera intéressant d'envisager par ailleurs dans quelle mesure ces tensions ne sont pas symptomatiques d'un état et des enjeux de la production filmique actuelle à l'échelon international.

Ces ambiguïtés ressortissent avant tout aux implications éthiques et idéologiques de l'association des deux termes « esthétique » et « humaniste ».Est-ce que le projet humaniste (le salut de l'homme par l'homme) peut se traduire ou se constituer dans une forme esthétique? Peut-il souffrir son « esthétisation » à l'écran notamment?Est-ce que l'esthétique d'une oeuvre d'art peut être jauger à l'aune de sa dimension éthique ? Dans quelle mesure peut-elle induire un comportement ou un regard éthique chez le spectateur comme chez le créateur ? Notre étude abordera naturellement ses questions à travers l'analyse de l'exemple concret des oeuvres du cinéaste. La tension entre éthique et esthétique y joue à plein. Selon Salles lui-même3(*), l'art peut avoir des vertus éthiques et performatives en ce sens qu'il peut changer les mentalités et la société dans laquelle il est produit. Devant l'urgence et la nécessité de répondre au chaos de la société brésilienne, le cinéma peut changer la perception invariablement pessimiste d'un réel désarmant pour forger une nouvelle conscience nationale et dynamiser les initiatives porteuses d'espérances. Il serait la clé d'une libération des énergies individuelles, la prise de conscience d'un potentiel national. Pour ce faire, il convient selon lui de re-sensibiliser le regard du spectateur4(*), de l'ouvrir davantage aux vertus humaines de la compréhension de l'autre et de soi, de la compassion, du respect de soi et des autres, de la solidarité. Comme les mots peuvent aider à forger un destin, les images tels des miroirs lacaniens auraient des vertus structurantes sur le devenir du citoyen brésilien. Salles insiste également sur l'implication émotionnelle du spectateur comme condition incontournable de sa re-sensibilisation5(*) tant il est vrai selon lui que l'émotion au cinéma, loin des a priori négatifs traditionnels à son sujet, est inhérente à la cognition et à la compréhension de la dimension morale des oeuvres.

Il nous parait utile de réfléchir sur la viabilité et la probité intellectuelle de l'approche esthétique de Walter Salles qui semble gagner l'adhésion d'un public national de plus en plus large et trouver un franc succès dans les box offices internationaux. Il convient à ce titre, d'orienter notre analyse des films du corpus sur la mise en oeuvre des théories critiques cognitivistes concernant l'économie émotionnelle des oeuvres cinématographiques et de leur réception . Nous nous inspirerons des travaux de Bordwell, Coward sur le lien entre genres filmiques et parcours émotionnel balisé du spectateur au niveau de la diégèse, de la plastique de l'image, des effets visuels. Notre analyse prendra également appui sur les réflexions menées par Susan Sontag au sujet du rapport du spectateur à la représentation photographique de la douleur et de la condition humaine, ses implications éthiques et ses ambiguïtés. Nous nous efforcerons donc de mesurer l'écart entre la mise en oeuvre d'un dispositif esthétique visant la prise de conscience éthique du spectateur et son effectivité réelle sur le plan pragmatique et idéologique.

Dans cette optique, il importe de s'intéresser dans un premier temps à la tendance référentielle de l'oeuvre de Salles dans la mesure où cette dernière convoque de manière assez systématique les tenants idéologiques et esthétiques du Cinema Novo, du Néoréalisme Italien et de la Nouvelle Vague. A ce titre, on pourra observer un certain glissement idéologique ou une rediscussion des références au cinéma révolutionnaire de Glauber Rocha, un des fondateurs (avec Nelson Pereira Dos Santos et Guy Guerra) du Cinema Novo brésilien, dans une direction plus consensuelle, fédératrice voire conservatrice. Là où le cinéma de Glauber Rocha s'efforçait d'être révolutionnaire dans sa forme comme dans son message et avait pour objectif d'exhorter les brésiliens à la révolte et au sentiment révolutionnaire, le cinéma de Salles nous semble plus poli, plus lisse dans sa tentative d' opérer « une révolution morale optimiste » chez ses concitoyens pour construire une société plus apaisée et tolérante. Nous nous demanderons si cette réorientation humaniste de bon aloi n'est pas la caractéristique la plus frappante du cinéma brésilien actuel, qui semble , selon nous et contrairement à ce que pensent certains critiques, s'uniformiser dans ces choix idéologiques et stylistiques face au contexte du marché international du film.

Sylvie Debs et d'autres critiques6(*) évoquent en effet une tendance au pluralisme idéologique , à l'individualisme patent dans l'approche esthétique et idéologique des films. Nous émettons l'hypothèse inverse qu'un courant «  humaniste » s'affirme avec ses principaux tenants ( Walter Salles mais aussi Fernando Mereilles pour le Brésil) et leurs «disciples » c'est à dire la génération montante des cinéastes brésiliens trentenaires, courant symptomatique d'une position que nous qualifierons de politiquement correcte mais qui présente néanmoins un certain nombre d'ambiguïtés et de paradoxes idéologiques et éthiques.

1ère Partie : Dialogue avec le Cinéma Novo

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Une oeuvre référentielle

Walter Salles reconnaît volontiers sa dette intellectuelle envers les pères du Cinéma Novo7(*) (Glauber Rocha, Nelson Pereira Dos Santos, Ruy Guerra) comme la plupart de ses collaborateurs actuels ( Karim Aïnouz, Marcos Berstein, Daniela Thomas) devenus réalisateurs à leur tour. Outre le désir de rendre hommage à ceux qui se sont efforcés de donner un nouveau langage cinématographique et un nouveau visage au Brésil, se retrouve dans l'oeuvre de Salles non la tentative d'un académisme « auteurisant » mais un désir d'ancrage identitaire, la recherche d'une forme de légitimation esthétique et idéologique qui pourrait fournir la base d'un renouvellement ou d'une re-discussion des préceptes des cinémanovistes des années 60 dans le contexte actuel8(*). Tout comme le cinéma de la Nouvelle Vague qui s'est nourri des films des autres en pratiquant la référence systématique, le cinéma de Salles, dans sa recherche appuyée de la filiation, présente un véritable enjeu cinématographique dans la mesure où il s'inspire des thématiques et des choix visuels de ses prédécesseurs pour redéfinir, une orientation esthétique et idéologique presque contradictoire avec ces derniers et qui aujourd'hui semble faire des émules au Brésil et sous d'autres climats ( Robert Redford et Francis Ford Coppola9(*)).

En effet, si la citation cinématographique consiste à insérer, telle une greffe, des images d'un autre film entre deux images, la référence elle se présente davantage comme une réécriture d'un autre film ou de certaines de ses séquences ou options visuelles. Dans la référence il n`y a donc pas rupture dans le montage, les images étrangères constituent un sous-texte inspirant et éclairant mais ne sont pas présentes en tant que telles. C'est donc ce mode opératoire, typique de la démarche de Salles, que nous tenterons d'analyser dans une approche comparative des films afin d'en dégager les implications idéologiques voire les failles du discours asséné avec force et de mettre ainsi en lumière les enjeux de son esthétique « humaniste ».D'une manière générale , on observe un glissement significatif des perspectives politiques que Salles justifie en évoquant l'effondrement des idéologies et la banqueroute du système politique brésilien dans sa tentative de résoudre ou de ne pas résoudre les difficultés socio-économiques criantes du pays.

D'un cinéma révolutionnaire engagé à un cinéma identitaire et humaniste

Le cinéma de Walter Salles hérite en réalité des débats, des fluctuations et des revers de fortune du projet cinémanoviste formulé de manière plus théorique par Glauber Rocha notamment dans son manifeste prônant une « esthétique de la faim »  publié en France sous le titre « esthétique de la violence ».Dans une optique historique toujours attentive aux liens entre le culturel et le politique, Rocha pensait la création cinématographique en termes de révolution et de réaction contre un ordre social et un état du cinéma national particulièrement aliénant pour les couches populaires. Il envisageait le cinéma comme instrument de connaissance de la réalité brésilienne, de mise en question de cette réalité afin d'interférer politiquement et concrètement avec elle10(*) :

« Nous avons réalisé que nous vivions dans une société sous-développée et historiquement exclue du monde moderne et qu'il nous fallait connaître plus profondément cette réalité dans laquelle nous vivions pour trouver le chemin de l'émancipation . »

Le nouveau cinéma devait donc avoir une vocation critique, politique et réaliste afin de traduire une réalité nationale à partir d'une esthétique originale authentiquement brésilienne. Il s'agissait de toucher le public en l'éloignant de l'académisme et de la mise en scène traditionnelle, de l'esthétique hollywoodienne, pour le sortir de son aliénation culturelle. Cela ne signifiait pas seulement trouver ou réactiver des thèmes nationaux mais chercher un nouveau langage et une nouvelle façon de tourner les films. Il fallait établir une rupture avec l'esthétique simpliste d'un cinéma national populaire (les Chanchadas) tout en préservant une communication immédiate avec le public. Rocha de son côté proposa un cinéma expérimental inspiré du néoréalisme italien susceptible selon lui de fournir les bases d'une exploration authentique du réel afin de provoquer une prise de conscience collective . L'esthétique en cours d'élaboration consistait à filmer 11(*):

« une caméra à la main, une idée dans la tête, avec un objectif sans filtre, sans réflecteurs, pour une lumière ambiante , naturelle ;c'est rapide, moins cher et plus beau »

Les cinéaste du groupe ont délaissé les studios pour filmer en décors naturels, ont pris la population locale pour assurer la figuration et des acteurs non professionnels ,comme c'était le cas pour les productions néoréalistes italiennes, et tournaient sans avoir un scénario strictement défini par avance, laissant une grande part à l'improvisation.

Dans son texte « le cinéaste tricontinental 12(*)», Rocha évoque la violence de son style cinématographique qui visait à rompre avec les attentes du spectateur, notamment en ce qui concerne la représentation de la misère ; il rejetait en effet l'utilisation de la dénonciation sociale comme spectacle et qualifiait ses oeuvres de « films de l'inconfort » dont l'un des aspects, la pauvreté technique des moyens de réalisation, aurait constitué un témoignage symptomatique de la réalité sociale et économique. Il s'agissait donc avant tout de réinventer l'attitude du spectateur , de faire de celui-ci un participant à la création comme s' il était placé devant une « copie de travail » aux côtés du réalisateur. Il était ainsi soumis à une forme d'instabilité ou de déséquilibre dans le cadre et la nature du montage. La position éthique et esthétique ainsi exprimée dans le manifeste « Uma estetica da fome » de Glauber Rocha formule l'idée d'un cinéma révolutionnaire c'est à dire d'un cinéma qui prépare une conscience révolutionnaire . Elle trouve sa réalisation concrète et fidèle dans le film Le Dieu noir et le diable blond (Deus e o Diablo na terra do sol,1964).

Ce film est inspiré de l'épopée des Canudos dans le Sertaõ (c'est à dire la révolte aliénée des paysans et du du sous-prolétariat du Nordeste) et se veut une démonstration de démystification religieuse de ce peuple aliéné dans sa propre révolte. Le vacher Manuel, après avoir tué son exploiteur , se joint aux disciples hystériques d'une sorte de saint, Sebastião le beato, qui prophétise avec une violence mystique une future terre promise. Manuel, totalement possédé par sa fureur mystique, accepte du beato les pénitences les plus pénibles et les sacrifices les plus cruels. Le matador Antonio-das-mortes, symbolisant la conscience pré-révolutionnaire vient massacrer les disciples hystériques mais ne tue pas Manuel qui sortira ainsi du cycle de l'aliénation mystique. Le matador le sauvera une deuxième fois en tuant le cangaçeiro , Corisco, bandit rebelle auquel Manuel s'est associé dans une autre tentative de rébellion illusoire et aliénée. Le film se termine sur une image de mer avec en fond sonore un chant annonciateur d'une lutte et d'une vie nouvelle non cette fois sous l'égide de Dieu ou du diable mais de l'homme 13(*):

« le Sertão devient mer /La mer devient Sertão/Telle est mon histoire/Vérité, imagination/J'espère en avoir tiré une leçon/Ce monde est faux/La terre appartient à l'homme/Ni à Dieu ni au diable »

OEuvre à la fois didactique et épique , Le Dieu noir (1964)atteint également une dimension poétique, visionnaire et humaniste dans son dessein idéologique. La violence barbare et parfois insoutenable des images, le style de cadrage, l'orchestration des séquences et l'asymétrie organique du rythme augmentent la charge expressive du film où  message politique et message poétique se rejoignent dans une forme d'osmose . Cette esthétique nerveuse se retrouve dans Antonio das Mortes (1969) ( inspiré du mythe populaire issu de la littérature de colportage) où les cadrages à focale longue, plutôt resserrés ,au contenu très dynamique, orchestrés par un montage heurté, violent comme dans un rythme de transe donnent au film une qualité métaphorique voire allégorique. Le film tente une récupération du sacré, qui chez Rocha n'est pas antinomique avec la lutte des classes, en reprenant la figure du « tueur de cangaçeiros » cette fois figure positive, héros luttant pour la cause du peuple et béni par la sainte « beata » Ainsi donc, Rocha parvient à élaborer un discours révolutionnaire qui intègre la dimension culturelle de la religion au Brésil. Mais dans son esthétique de la violence14(*) Rocha exprime également la volonté d'outrepasser un nationalisme exclusivement brésilien. Pour lui le Cinéma Novo devient aussi le cinéma politique du Tiers Monde ( perspective plus large que reprendra plus tard Salles à son compte avec une tonalité identitaire pan-américaniste). Il doit être un refus radical du cinéma industriel dominant synonyme de colonialisme culturel, affirmer un style (pauvreté de moyens, style direct de la caméra et du montage) qui s'oppose aux conventions en vigueur, un langage qui soit une négation révolutionnaire aussi légitime que la violence de l'opprimé dans le mouvement dialectique historique 15(*):

« la plus noble manifestation culturelle de la faim est la violence (...)l'esthétique de la violence , avant d'être primitive, est révolutionnaire, c'est le moment où le colonisateur s `aperçoit de l'existence du colonisé »

Chez Nelson Pereira dos Santos, autre cinémanoviste, la volonté de réalisme participe d'une entreprise de démystification de l'exotisme des contrées intérieures du pays pour en révéler l'aridité et la misère. Dans Vidas Sêcas (Sécheresse, 1963) Dos Santos utilise la caméra sur l'épaule lors de la progression de la famille de paysans dans le lit asséché et caillouteux d'un cours d'eau. L'image est cahotante et l'intention expressive claire : faire éprouver au spectateur l'épuisante marche, l'âpreté de la poussière, la fatigue, la soif, la brûlure du soleil torride ; car la lumière n'est pas filtrée, elle écrase les contours et les ombres ;les plans sont lents, destinés à reproduire le rythme laborieux des paysans sertanejos. Tout est réaliste, comme la lenteur d'exécution du chien due à la nécessité de ménager les cartouches ou la rudesse des conditions de vie les plus prosaïques. Film cruel, Vidas Sêcas (1963) fait de la technique cinématographique rudimentaire un symbole stylistique dont la force expressive suggère la violence sociale à la manière d'un documentaire. Ce film devient un véritable traité sur la situation morale et sociale de l'homme brésilien sans recherche esthétisante et sans mise en spectacle grâce à une photographie qui respecte la lumière extérieure nordestine et qui est directement héritée de la photographie de reportage ou d'actualité.

Le Sertão nordestin devient pour les cinémanovistes la métaphore de la condition brésilienne et plus largement de la condition humaine. Rocha s'enthousiasmait sur le potentiel expressif et idéologique de cette région. Cette « terre lointaine et brûlante » filmée de façon primitive constituait la matière première source d'inspiration et la marque du Cinéma Novo. Mais l'exploration filmique de cette terre permettait aussi d'analyser les causes de la misère sociale en étudiant le contexte historique et géographique de l'homme brésilien. Ruy Guerra dans son film Os Fuzis (les fusils,1964) se donnait cette mission de dénonciation des problèmes endémiques du Brésil  qui se trouvent cristallisés dans cette région aride du nord16(*) :

« Mon film est un documentaire sur la faim qui veut mettre à nu les racines du mal »

Les films du Cinéma Novo pointent de manière violente l'état de sous-développement tant matériel qu'intellectuel, l'exploitation pure et simple du peuple sans terre par les propriétaires terriens sans scrupules (Dieu noir, Antonio ,Vidas Sêcas), la violence des rapports sociaux qui en découle, l'aliénation ou la servilité morale dans laquelle le peuple est entretenu, les liens qu'imposent la tradition, le fanatisme religieux, le mysticisme. Carlos Diegues, autre réalisateur du groupe des cinémanovistes s'interrogeait sur la viabilité de cette entreprise tant la tâche semble incommensurable et les moyens dérisoires : remettre en cause les fondements d'une société et amener les spectateurs à être toujours plus nombreux à prendre conscience de leur aliénation n'est pas chose aisée quand on s'adresse à une population composée pour moitié d'analphabètes ; éviter le paternalisme, le populisme,  le pittoresque tout en élaborant un langage simple et communicatif, dont la poésie exprimerait l'espérance de jours meilleurs et susciterait l'action, tels étaient les principaux enjeux selon les réalisateurs du nouveau cinéma.

A l'instar du cinéma novo, Walter Salles reprend la thématique nordestine dans Avril brisé (Abril despedaçado, 2001) et Central Do Brasil (1998). Chacun des deux films offre une perspective idéologique différente tout en reprenant quelques motifs déjà élaborés par les cinémanovistes . Une nouvelle dimension, celle de l'éthique, est mise en avant et la dénonciation frontale de l'exploitation d'une classe sociale par une autre disparaît quasiment du propos. Pour Salles , le problème est tout autre . Le brésil souffre du sous-développement car il ne s'est pas encore constitué une identité sereine, unifiée, ayant dépassé les traumatismes d'une colonisation portugaise dévastatrice17(*). D'où la persistance d'archaïsmes sociaux, économiques et culturels, d'où l'existence d'une forme d'amoralité dans les rapports humains voire de dysfonctionnement psychique chez les individus inhérent aux structures sociales déshumanisantes issues de ce passé problématique.

Ainsi Avril brisé (2001), huis clos en plein air adapté du roman éponyme de l'écrivain albanais Ismaël Kadaré, évoque une vendetta ancestrale entre deux familles où les fils aînés de chacune s'entretuent selon un code de l'honneur sacrificiel (loi du Kanum en Albanie).Salles emprunte à la tragédie et à la dimension épique pour relater les luttes fratricides d'un Nordeste archaïque du début du XXème siècle. Ce faisant, il transpose un phénomène culturel a priori exogène pour rendre compte de l'état de sous-développement socioéconomique, psychique et moral des habitants de cette région aride et hostile à la présence humaine. D' aucuns diront que cette adaptation littéraire pourrait s' apparenter à une greffe fallacieuse dans l'élaboration de la mémoire collective brésilienne. Pour justifier son approche, Salles s' appuie sur les écrits de Luiz Aguiar Costa Pinto concernant les luttes de familles au brésil dans les années 1910 mais il ne s'étend pas davantage sur la pertinence géographique de cette étude et de son analyse des spécificités d'un tel phénomène. L'ouvrage en question n'est pas consultable car épuisé et non réédité. Il est intéressant de voir malgré tout que la démarche rediscute le parti pris des cinémanovistes de dénoncer une situation sociale inique, celle des paysans sans terre (posseiros) louant leur force de travail à des propriétaires terriens(fazendeiros) sans foi ni loi , pour déplacer le curseur vers une explication du sous-développement de type mythique et culturelle voire psychanalytique. L'homme brésilien de cette région peu amène est montré comme luttant contre les archaïsmes des traditions familiales et contre une géographie hostile à sa condition dans une approche poétique et naturaliste inspirée des documentaires de Robert Flaherty (L'homme d'Aran, Man of Aran,1934). Le seul salut possible sera de briser la logique sacrificielle infernale (comme le fera le personnage principal du film) et d'atteindre un niveau de réalisation morale menant à l'émancipation des individus et de la société entière. L'espoir des jours meilleurs passe par la catharsis et la prise de conscience des réalités psychiques et culturelles entravant la réalisation de la société humaine. En ce sens , le film occulte toute forme de lutte sociale ou d' antagonismes de classe a priori contrairement à Dieu noir diable blanc, même si la famille des Breves semble moins nantie que ses voisins rivaux et souffre de la baisse du prix de la canne à sucre. Le dernier plan du film semble sur ce point significatif de cette rediscussion de la représentation politique de la société brésilienne: citation appuyée des derniers plans du film de Glauber Rocha, Dieu noir diable blanc (1964) où la vision de la mer en survol annonce de manière quasi mythique un futur révolutionnaire, celui de l'émancipation du peuple, le dernier plan d' Avril brisé (2001) ( regard énigmatique du jeune rebelle scrutant la mer) devient un horizon d'interrogations sur le devenir psychique, moral et civique (voire cinématographique) de la nation brésilienne. Car Salles préfère élaborer son propos sur des notions de construction identitaire et culturelle au brésil en revisitant la mémoire collective et cinématographique nationale. De ce fait, la tendance référentielle de son cinéma participe du même souci de garder en mémoire, l'identité cinématographique du brésil.18(*)

Le même glissement idéologique s'opère pour Central do Brasil (1998). Si les cinémanovistes, en particulier Nelson Perreira Dos Santos dans Vidas Sêcas (1963), dépeignent une humanité agraire miséreuse s' efforçant d' échapper à l'injustice de son exploitation en migrant vers les grands centres urbains du sud du brésil , Salles choisit le parcours inverse pour préparer les protagonistes urbains de son film à leur rédemption morale dans les villes nouvelles sans âmes, dispersées à l'intérieur des terres. Dans le contexte d'une image nationale dévalorisée, Salles introduit alors le Nordeste comme un espace de solidarité ayant survécu à toutes les difficultés. La société sertaneja est montrée comme solidaire honnête, travailleuse contrairement à l'image qui est donnée de Rio de Janeiro où règnent la corruption, la violence quotidienne, le cynisme. Cette inversion du chemin traditionnel migratoire sur le territoire national peut être sérieusement discuté par les économistes et sociologues dans sa véracité mais il reflète le parti pris moral du cinéaste sur la condition des pauvres habitants de Rio. Dora, protagoniste principal, représente le cynisme et l'égoïsme individualiste des cariocas moyens. Ecrivain public, elle n'envoie jamais les lettres des analphabètes qui s'en remettent à ses compétences d'ancienne institutrice pour quelques reais. Sa rencontre avec un jeune garçon orphelin à la recherche de son père l'amènera à parcourir de vastes territoires désertés où « l'innocence »des moeurs et des mentalités est encore préservée, de l'avis du cinéaste. Le dernier plan du film montre sa transformation morale sur son visage retenant ses larmes. Pour le cinéaste, la transformation de cette femme carioca cynique et individualiste en être sensible et solidaire par une forme d'ingression au coeur des terres du brésil , c'est-à-dire un retour aux racines de la psyché brésilienne symbolise le désir de changement en même temps que le mode de ce changement,c'est à une forme de prise de conscience et de choix moral individuel. L'affirmation identitaire, le retour aux sources, et la transformation morale constituent les piliers d'une reconstruction nationale possible selon Salles19(*):

« Je suis fatigué d'un cinéma des années 90 très sceptique et cynique, marqué par le fin de l'histoire, des idéologies, par un discours défaitiste et immobiliste qui ne sert pas l' Amérique latine (...)Il y a la nécessité de croire à la possibilité d'un discours commun, d'une identité qui nous soit commune; il faut être imbu de cette croyance pour espérer que notre monde change »

Or, paradoxalement, il existe en contre-point d'une telle vision utopique de ces zones peri-urbaines en friche soi-disant protégées de la déliquescence morale des grandes villes une représentation tout aussi inverse dans le film de Cláudio Assis Le marais des bêtes (Baixio das bestas,2006), où la société rurale est montrée comme dysfonction, enclavée dans le vice et la décrépitude psychologique, faute d'infrastructures économiques, de moyens d'éducation, et de dérivatifs culturels.

Sylvie Debs20(*),dans son entretien avec Walter Salles s'interroge également sur ce revirement de vision en rappelant le projet initial des cinémanovistes de dénoncer l'injustice sociale, les difficultés économiques renforcées par une rudesse implacable de la nature et des relations humaines dans ses régions. Le cinéaste se justifie par une réponse tout aussi idéologiquement orientée et ce malgré le souci constant d'une approche documentaire sur son sujet:

« Etant donné que le film est l'extension de mon propre regard et que celui est ancré dans les années 90 et non dans les années 60 (où le débat idéologique était beaucoup plus présent et virulent), le changement s'explique aisément. Il est évident que de nombreux problèmes décrits dans les films du cinéma novo subsistent encore aujourd'hui au Brésil. Nous vivons dans une culture de l'immobilisme où les problèmes de sécheresse et mauvaise distribution de la terre n'ont pas disparu. Or Central do Brasil cherche à lutter contre cet immobilisme à travers la découverte de la solidarité entre des gens qui sont très différents au début du film, comme Dora et Josué (...)A l'image du personnage de Dora , nous avons tous été amenés à vivre les effets d'une culture de l'indifférence et de l'impunité; cette inversion de direction est liée à une volonté de montrer que cette région ( le Nordeste) , qui était considérée comme archaïque,oubliée par le temps et les gouvernements, avait des qualités humanistes que l'on ne trouve plus dans les grandes villes qui représentent l'aboutissement d'une politique économique et industrielle injuste des années 70-90 »

Le cinéaste poursuit en expliquant que le film est lié à un désir de trouver une solution interne, non-dogmatique en réaction contre une tendance du cinéma indépendant des années 90 à montrer la victoire du cynisme sur l'humanisme. De manière significative, le personnage de l'enfant (Josué) et sa quête des origines familiales symbolisent selon le cinéaste, « l'action et le refus d'une condition sociale qui lui était destinée »21(*). Tout comme dans Avril brisé (2001), le protagoniste principal se soustrait au déterminisme de la structure sociale ambiante (liée à la géographie en particulier ) et change sa destinée voire celle de sa famille sous la forme du choix personnel conscient, de l'action individuelle sublimée par un certain niveau de pureté morale, d' innocence.

Salles n' hésite donc pas à affirmer l' intentionnalité de son oeuvre : il s'agit de modifier le regard du spectateur à travers le filtre de valeurs humanistes telles que la compassion, la solidarité, l' estime de soi, la tolérance, l'ouverture, l'espoir etc. Selon lui, le cinéma aurait le pouvoir ou la fonction d'améliorer la condition humaine en changeant les mentalités . Cette position mélioriste peut susciter notre scepticisme mais Salles reste confiant et affirme dans une interview : « Le jour où je commencerai à croire qu'il n'y a pas de corrélation entre art et société, j' arrêterai de faire des films »22(*). Paradoxalement, il insiste sur le refus de tout didactisme et tout dogmatisme dans l'élaboration de son oeuvre . Les films devraient être plutôt appréhendés selon lui comme des outils d' éveil, d' induction, de mise en relation pour questionner la réalité de la condition sociale, politique, identitaire des brésiliens.

Cette idée d'un cinéma -éveil des consciences se trouvait certes déjà présente chez les cinéastes du Cinéma Novo des années 60 dont le but avoué était de déclencher la révolution politique et sociale des paysans et des exploités. Mais si Salles revendique sur ce point sa filiation avec le Cinéma Novo, il refuse tout parti pris politique tranché. En effet, Le coup d'état de 1964 à l'origine de la désillusion politique de ses concitoyens ainsi que l' effondrement des idéologies occidentales l'amènent à penser que le cinéma d' aujourd'hui ne peut continuer sur la lancée révolutionnaire revendiquée par Glauber Rocha. A la «révolution des armes », il substitue la « révolution des âmes23(*) »,ambition plus modeste. Est-ce à dire que son cinéma est un cinéma de la réforme, de l'espoir mitigé dans le contexte de la mondialisation où les causes des déséquilibres sociaux seraient difficiles à cerner et à combattre ? Salles évoque, non sans un certain défaitisme, le mythe de Sisyphe24(*) pour caractériser le devenir social et politique du brésil.

Dès lors, le message des deux films Avril brisé (2001)et Central do Brasil (1998) concernant les solutions possibles au chaos social du brésil nous apparaît plus clairement si l'on dépasse le discours humaniste moralisant. Loin de décrire une situation d' antagonisme de classes, de lutte de pouvoir entre les possédants et les pauvres, les films de Salles n' envisagent pas une forme d' émancipation sociale au sens politique et collectif du terme, c'est à dire organisée. Ils ne prétendent pas renseigner le pauvre brésilien sur les rouages socio-politiques actuels de son aliénation sociale, économique et psychologique. Pour le cinéaste, ce stade de la réflexion est historiquement dépassé. Il s'agit d'indiquer aux victimes du chaos social des moyens d' émancipation individuelle, autant que faire se peut . Fait intéressant, Salles, dans une conférence récente à Berlin en février 2007 sur le cinéma politique, cite le philosophe Jacques Rancière au sujet des rapports entre cinéma et politique pour préciser le cadre politique et idéologique de sa propre démarche cinématographique. Comme ce dernier , il envisage la politique comme le lieu quotidien de points de vue conflictuels et le souci de rendre compte de ce qui n'a jamais été dit ou vu auparavant25(*). Dans cette perspective, le cinéma remplirait la fonction de témoignage d'une réalité insoupçonnée, de redistribution de la parole et des espaces, du visible et de

l'invisible. Pour autant, Rancière va plus loin en affirmant que les arts exprimant le geste démocratique auraient une force de dissensus face à l'ordre politique qui prétend mettre les éléments et les discours à leur place en gérant les différences de fait. Dans Malaise dans l'esthétique26(*), le philosophe évoque "une politique de la forme résistante" c'est à dire de la forme dissonante rompant avec les standards du sensible imposés par les médias. C'est précisément sur ce point que le projet esthétique d'un Glauber Rocha peut mettre en question celui d'un Salles. Force est de constater que nous sommes loin de la position radicale de Glauber Rocha qui allait jusqu'à affirmer27(*) que le tournage de ses films suscitait en lui une forme de dégoût tant les images étaient dépourvues de grâce, tant le scénario visait à refléter la « pourriture » morale du brésilien selon les propos du cinéaste. D'autres réalisateurs des années 70-80 ont continué à mettre l'accent sur la déliquescence morale du peuple brésilien pendant la période du « cinéma marginal ». Il s'agit au contraire chez Salles de remporter une forme d'empathie, d'adhésion voire de gratification égocentrique chez le spectateur brésilien qui a sans doute avoir avec la récupération de l'estime de soi . La journaliste critique Ivana Bentes28(*) , qualifie le cinéma de W. Salles d' « esthétiquement correct » , elle parle d'une « glamourisation de la pauvreté »ou d'une « cosmétique de la faim » à l'opposé de la recherche d'une forme révolutionnaire et inédite de Glauber Rocha . Quant au sujet traité,on peut se demander si les films de Salles, s' efforçant de donner une visibilité au peuple démuni comme dans les premiers plans de Central do Brasil (1998) montrant les visages en contre-champs des analphabètes dictant leur lettres, donnent véritablement la parole aux pauvres, c'est -à dire- rendent compte réellement des enjeux de leur quotidien, du ressenti de leur condition de laissés-pour-compte comme une irruption subversive dans le consensus immobiliste.

Sur ce point, Walter Salles est persuadé que son cinéma se conformer à la doxa des cinémanovistes, en montrant le vrai visage du Brésil et non les masques télévisuels dont TV Globo abreuve les téléspectateurs29(*):

« Central do Brasil est la quête d'une géographie humaine et physique oubliée depuis très longtemps et certainement oubliée par la télévision brésilienne. Le film est à la recherche de visages qu'on n'arrive plus à voir tous les jours. Il est à la recherche de ce reflet spécifique, de ce brésil spécifique »

La cinéaste et documentariste Katia Lund 30(*)évoque également la nécessité pour les cinéaste brésiliens contemporains de combattre les images faciles, les discours racoleurs ou stéréotypés sur les pauvres, les délinquants que déverse TV Globo lors des journaux télévisés. Selon elle , les films seraient les derniers lieux du débat démocratique, les derniers ramparts contre l' indifférence ou la démagogie sur les favelas.

L' universitaire Lúcia Nagib dans son analyse31(*) de la dimension utopique des films de Salles, remarque également, à propos des longs plans sur le peuple illettré de la gare de Central Do Brazil (1998), qu'il nous est donné de voir de manière émouvante et fascinante,le calme et la bonhomie du peuple brésilien venant de tous les horizons géographiques et ethniques,comme si au fond les questions de racisme et d' indigence matérielle n'avaient pas de prise sur le sort de ces nécessiteux. L'aspect documentaire de la photographie pourrait nous faire oublier la référence à une essence brésilienne mythique, celle d'un brésil "paisible, généreux, joyeux et sensuel, dénué de préjugés raciaux malgré les vicissitudes de l'existence et la souffrance"qui ferait obstruction à toute action politique. En effet cette représentation d'un peuple souriant, gentil, à la simplicité désarmante et parfois comique nous donne l'impression que les pauvres ont la force naturelle de transcender leur condition et d' exister dans une plénitude de l'être , l'être brésilien.

Esthétique documentaire et construction identitaire mythique

Ceci nous amène à questionner le parti pris réaliste et documentaire des films de Salles, qui, nous semble-t-il, se trouve remis en question par une tendance à l'élaboration idéologique identitaire. Le cinéaste aime explorer la fusion entre fiction et approche documentaire du sujet pour souligner le fait sans doute que le film gagne sa vérité et sa légitimité dans cette rencontre avec le réel et ses aléas. Salles insiste sur le travail du film comme expérience en soi, une expérience collective qui trouve sa vérité dans le processus même de son élaboration pour une bonne part improvisée. François Niney dans son ouvrage souligne le caractère performatif et intéressant d'une telle construction et rappelle les mots de Godard32(*) sur le caractère caduque de la distinction entre ces deux modes de représentation que sont la fiction et le documentaire:

« Mettons les points sur les «i». Tous les grands films de fiction tendent au documentaire, comme tous les grands documentaires tendent à la fiction(...)Et qui opte à fond pour l'un trouve nécessairement l'autre au bout du chemin »

Il est vrai que l'on oppose traditionnellement fiction et documentaire dans la mesure où la fiction cherche généralement à divertir le spectateur tandis que le documentaire s'efforce de lui apporter une connaissance scientifique du sujet. Dans cette perspective on s'attend à ce que la forme du documentaire observe une certaine sobriété stylistique dépourvue de tout effet ou recherche poétique qui parasiterait le contenu. John Grierson dans son essai The Documentary Idea33(*) insiste sur le reniement stylistique, le parti pris anti-esthétique du documentaire idéal:

« Dès le début, le documentaire, lorsque nous nous sommes séparés des théories de Flaherty , nous est apparu comme un mouvement anti-esthétique. Je pense que nous avons tous sacrifié notre talent artistique et notre égo dans ce but. »

Ainsi Grierson s' oppose de manière radicale à l'autre école de documentaristes pour laquelle Walter Salles avoue sa préférence, celle qui envisage une forme de poétique documentaire. Jean Epstein parlait déjà du cinéma comme permettant une nouvelle forme de connaissance du monde, une « lyrosophie » où la prise de vue n'est autre qu'une prise de vie, où la photogénie opérant une pause dans le temps , donne relief à la matière et au visage. Dans le même ordre d'idée, l'ethnologue Stéphane Breton34(*) envisage l'approche documentaire comme une révélation poétique du réel à l'opposé de l'ironie et de la dérision:

« Le documentaire est davantage à la recherche de la poésie et du lyrisme que de la distanciation ou de la dénonciation (...)Cette posture filmique devant le réel sied au public actuel, à son désir d' ubiquité, à son besoin d'ailleurs, d'aller au plus près des choses, à sa curiosité morale. »

Salles revendique sa filiation avec le travail de Flaherty qui vise à donner une expressivité dans la peinture de la condition humaine. Cette recherche esthétisante du sujet documentaire peut se voir dans l'un des documentaires de Salles sur la Bossa Nova, où les premiers plans s' ouvrent sur la danse improvisée d'un pauvre noir des favelas se reflétant dans des flaques d'eau et entraînant des sachets plastiques dans le mouvement. Le cinéaste poétise la figure du pauvre et ce faisant rajoute une forme de commentaire implicite sans vraiment le signifier ouvertement. Il nous installe dans un regard fasciné et extérieur à la condition de ce noir désespéré ou joyeux, on ne saurait le dire,mais en tout cas , l'effet d' illustration pittoresque est réussi. Grierson 35(*)met en garde contre cette recherche esthétique dans le documentaire destiné à révéler une réalité sociale car il déplace le point d'attention et diminue la vigilance critique du spectateur. Il faut de plus souligner le pouvoir supplémentaire du documentaire dans l'effet d' immédiateté et de réalisme qui ferait croire au spectateur en l'objectivité ou l'authenticité absolue de la représentation. Car il y toujours forcément un risque de falsification idéologique dans toute élaboration documentaire. Nichols36(*) note par ailleurs la propension dans toute fiction, qui donne cohérence et unité au réel par définition informe et imprévisible, à l'élaboration allégorique et mythique. Et sur ce point, la construction mythique peut servir des présupposés culturels et idéologiques stratégiques en vue de cristalliser une mémoire collective. Salles n'a jamais caché le but de sa démarche consistant à mêler approche documentaire et fiction dans l'élaboration d'une conscience nationale et d'une culture nationale. Il reste pour les spectateurs brésiliens et internationaux d'identifier les a priori idéologiques sous-jacents de ses films, l'orientation du regard ainsi élaborée dans le contrat de lecture, dans le texte filmique pour ne pas être dupe de la singularité ou de la relativité du propos tenu. Souvent le cinéaste occulte le caractère orienté de ses films en insistant sur l' authenticité des situations filmées, leur improvisation, le recours à des acteurs non professionnels mais la structure du film et le parti pris visuel ( lors de la construction du point de vue notamment) sont issus de la même origine régulatrice des paramètres et des proportions du film , la même instance présidant au découpage signifiant du réel,c'est à dire le réalisateur et ses collaborateurs. Tout l'enjeu de la démarche selon François Niney37(*) est de savoir si cette construction reposant sur la fusion entre documentaire et fiction nous permet de nous affranchir du chaos informe du monde ou nous assujettit tout au contraire à une vision et donc un pouvoir économique, moral ou politique voire métaphysique particulier et discutable. Tout consiste à se demander au fond si le cinéaste témoigne d' une réalité sociale même refoulée ou s'il impose ses images jusqu'à les faire passer pour vraies. Quelle est la valeur de vérité de son travail qui insiste sur la dimension mimétique d' avec le réel? Dans quelle mesure y a-t-il compréhension ou consolation abusive vis à vis du sujet traité, occultation de certains paramètres même si la force de réalité des images nous remplit les yeux ? Quel type de subjectivité spectatorielle est mise en avant ? Car les images assignent toujours au spectateur une série de points de vue obligés. Est-ce une subjectivité régressive ou libératrice ? Quel parcours cognitif , émotionnel, esthétique assigne t-on au spectateur et dans quel but ?Lui laisse-t-on la possibilité de se dégager de l'emprise émotionnelle des images pour lui permettre d'atteindre une distance critique? Cette interrogation fera l'objet de la deuxième partie de notre étude. Les films contiennent -ils des éléments d'auto-critique à l'intérieur même de leur facture afin de relativiser l' illusion réaliste et de mettre à jour les conflits de pouvoir et de vision dans le texte filmique. Exemple utile, le travail de João Salles (frère de Walter Salles),dans son documentaire intitulé Santiago (2006) nous semble significatif de cette volonté de mettre à nu les a priori idéologiques qui ont présidé à la construction de l'oeuvre et les relations de pouvoir internes qui se jouent entre le sujet ( Santiago, le majordome de la famille Salles) et le documentariste lui-même pendant avant et après le tournage. De sorte que l'organicité même du documentaire permet une expérience filmique au sens fort du terme puisqu'elle met à jour des enjeux jusque là insoupçonnés du documentariste lui-même. Le tournage devient le lieu d'une prise de conscience brutale( les rapports de classe entre Santiago, autrefois figure paternelle dans la mémoire attendrie de João Salles-documentariste et le documentariste lui-même relégué au statut de fils du patron) Ce choc autobiographique est révélé par un montage visant la mise à nu du dispositif et le regard auto-critique du cinéaste si bien que le documentaire prend une dimension métafilmique sur la nature même de l'exercice. Le spectateur reste sensible au souci de probité intellectuelle, rarement égalé, qui sous-tend le projet constamment. Sans doute cette dialectique de vision aussi organiquement exposée permet -elle d'atteindre une plus grande vérité de l'expérience filmique et laisse au spectateur toute latitude de jugement.

Les films de Salles reposent sur la fusion d'un réalisme de captage (immédiateté, imprévu, improvisation, documentaire) et d'un réalisme de reconstitution38(*) aux accents de fable morale. La plupart d'entre eux ont pour point d'origine un documentaire. Ainsi, le documentaire Socorro Nobre (1995) (l'histoire d'un échange épistolaire improbable entre une détenue de 36 ans et le sculpteur Franz Kracjberg) a trouvé son développement fictionnel dans Central Do Brasil (1998). Salles procède par imprégnation, s'immerge dans la réalité de son sujet avant d' élaborer une trame signifiante , empreinte de valeurs morales comme nous l'avons montré plus haut. Il s'agit de savoir dégager le meilleur de l'homme malgré les situations tragiques dépeintes et de le mettre en valeur sur les écrans comme le suggère un plan-métaphore dans Terre étrangère (Terra estrangeira,1995), celui des diamants perdus dans la terre , foulés aux pieds par inattention et indifférence. La métaphore est appuyée en ce sens que tous les films de Salles tendent vers le constat d'une humanité souffrante non seulement sur le plan matériel mais aussi et surtout sur le plan existentiel. Les films n'auront de cesse de révéler l'humble grandeur de cette humanité dans le combat existentiel comme dans les documentaires de Flaherty (qui par ailleurs furent critiqués pour leur évitement des questions sociales et politiques, en particulier pour Man of Aran,1953). Le propos est humaniste en apparence et la forme esthétique à travers la poétisation ou la stylisation de la pauvreté, l'indigence et la douleur. La métaphore des diamants foulés aux pieds dans la terre pourrait résumer à elle seule l'entreprise cinématographique de Walter Salles où la compassion, le regard attendri, le sentiment ne sont jamais très loin comme nous le verrons dans notre analyse de films.

Walter Salles39(*) par ailleurs argumente que la démarche documentaire permet de concevoir le film comme une construction ouverte, spontanée ou « work -in-progress » dénuée de tous schéma préconçu et sans cesse redéfinie par le travail et l'improvisation des acteurs parfois non-professionnels. Il fustige le travail d'un Michael Moore qui vise trop, selon lui , la défense d'un point de vue, celui du cinéaste,pour qui tout est connu d'avance,la démonstration n'a plus de mystère. La forme documentaire selon Salles doit au contraire permettre la découverte, l'inattendu, l'expérience susceptible d' amener a posteriori quelques réponses et de faciliter la co-création du spectateur si chère à Glauber Rocha.

Il nous semble toutefois que la sensibilité du cinéaste pour le traitement humaniste de la condition des humbles au brésil et en Amérique latine l'amène à privilégier également un point de vue très personnel sur fond d' authenticité, plus précisément à défendre un discours visant la construction d'une psyché nationale où les valeurs de solidarité et de générosité sont mises en exergue.

Christian Salmon dénonce dans son ouvrage Storytelling40(*), cette « grammaire de l'authenticité » qui contamine la production artistique ou qui envahit les discours politiques. Cette tendance en réalité participe d'une véritable entreprise de mystification nationale et de formatages des esprits sur une typologie d'histoires et de thème fédérateurs à l'adresse des spectateurs. Elle consiste en la création d'un moi souffrant (pendant au capitalisme émotionnel),c'est à dire à une identité organisée et définie par ses manques et ses déficiences psychiques. De ce fait toute les productions fictionnelles ou documentaires feront échos à des thèmes récurrents comme celui de la souffrance et de la rédemption (thème éminemment prégnant chez Salles), privilégieront le style lyrique,voire héroïque, n' hésitant pas à faire référence à des sources nobles ou antiques (comme la tragédie grecque dans Avril brisé) pour exalter chez le spectateur la connivence entre destins individuels et destin national. Les schémas narratifs des films de Salles empruntent invariablement la même voie/voix : toutes ses fictions évoquent un moi brésilien en souffrance mais dont la vitalité et le potentiel humain laisse espérer une forme de rédemption à la fois individuelle et nationale. Salmon41(*) note qu' aux Etats-Unis, où cette tendance scénaristique et idéologique s'est constituée depuis les années 80, bon nombre de films ou de discours politiques mystificateurs exhortent le citoyen américain au changement et à la réalisation de soi dans une culture de capitalisme émotionnel. Le propos de Christian Salmon fait écho à ce qu'écrivait Barthes sur la construction mythique comme parole dé-politisée. Barthes assimile l'élaboration mythique à la parole bourgeoise en ce sens qu'elle tend à récupérer le réel pour mieux l'évacuer , le diluer dans une forme de vision naturelle dépourvue de qualité historique42(*):

« le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d'en parler; simplement il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité, il leur donne une clarté qui n'est pas celle de l'explication mais du constat. »

Barthes poursuit en dénonçant ce parti pris de la « clarté de l'humanité mythologique » comme une vision « euphorique » essentiellement bourgeoise , « à droite ».Il s'interroge sur le discours ou le spectacle qui sous couvert de valoriser ce qui apparaît comme naturel et spontané ne fait que ménager une forme d' ambiguité voire d'hypocrisie dans le propos43(*):

« ici encore le signe est ambigu: il reste à la surface mais ne renonce pas pour autant à se faire passer pour profondeur. Il veut faire comprendre (ce qui est louable) mais se donne en même temps pour spontané (ce qui est triché) .Il se déclare à la fois intentionnel et irrépressible, artificiel et naturel, produit et trouvé(...) car s'il est heureux qu'un spectacle soit fait pour rendre le monde plus clair, il y a une duplicité propre au spectacle bourgeois: entre le signe intellectuel et le signe viscéral, cet art dispose hypocritement un signe bâtard, à la fois elliptique et prétentieux, qu'il baptise du nom pompeux de « naturel »

Nous pouvons voir dans le propos de Barthes la base d'une remise en question sérieuse des a priori esthétiques et idéologiques des films de Salles tout autant de ceux de ses contemporains toujours plus nombreux à prôner le mélange entre esthétique documentaire et fiction par souci de réalisme certes mais aussi pour l'efficacité de la fascination que peut susciter l'authentique ou le naturel d'un tel spectacle. Tout comme Lucia Nagib qui s'interrogeait sur le souci chez Salles de représenter le peuple brésilien en insistant sur son authenticité et son naturel comme essence presque mythique, le spectateur peut se demander si cette forme de représentation de la condition humaine ne tend pas à escamoter la politique comme ensemble de problèmes et de solutions au profit de la célébration d'une manière d'être, d'une position socialo-morale, voire d'un chantage aux valeurs morales patriotiques etc.

En outre, Lúcia Nagib44(*), constate l'influence chez Salles et d'autres cinéastes brésiliens (Meirelles) des techniques scénaristiques américaines (grâce aux échanges avec des festivals comme Sundance notamment) sur leurs propres choix narratifs. Elle constate que l'émergence du nouveau cinéma brésilien (appelé Retomada) correspond à l'émergence d'une sorte d'école de scénaristes brésiliens sous l'égide de Walter Salles et de sa société de production Vidéofilmes. Comme nous l'avons pressenti plus haut, cette nouvelle école pourrait donner lieu à une forme de formatage idéologique et esthétique des films brésiliens si l'on considère les enjeux du marché mondial du film et du positionnement de la production filmique brésilienne dans le contexte de la globalisation.

Cinéma national ou cinéma d'exportation :quel public ?

La question de la réception des films devient incontournable si l'on tient à mesurer l'écart idéologique entre le dispositif filmique dans ses postulats de départ (cinéma humaniste et progressiste) et sa réception nationale et internationale.

Ces fictions, bien qu ' ancrées dans des problématiques brésiliennes ou sud-américaines, s'efforcent d'atteindre une dimension universelle et c'est sans doute pour cette raison qu'elles parviennent, tout en recherchant la « brésilianité , à toucher en définitive un public étranger. Dès lors une autre ambiguïté dans la démarche du cinéaste apparaît: si Salles veut changer le regard et les mentalités de ses concitoyens, les amener à davantage d'estime d' eux- même et de solidarité à travers la construction identitaire, atteint-il le public concerné ? En réalité, comme le montre le critique Jean-Claude Bernardet45(*), spécialiste du cinéma brésilien, ce cinéma n'atteint qu'un public restreint de brésiliens lettrés et cultivés ayant quelques connaissances d'histoire du cinéma et résolument tourné vers les cinématographies étrangères comme le cinéma américain . D'autre part, comment le peuple peut-il s'approprier le message humaniste quand les conditions économiques et sociales chaotiques de son existence ne lui garantissent pas la sécurité nécessaire pour de telles préoccupations ? L'éducation des âmes ne peut se faire que si le ventre est plein, c'est ce qu' avait compris Glauber Rocha dans son manifeste pour une « esthétique de la faim ». Faut-il voir dans l'esthétique humaniste de Salles l'aveu d'une imposture cinématographique dans la mesure où les films seraient formatés selon des critères immédiatement plus fédérateurs sous toutes les latitudes? Ses films sont-ils condamnés à respecter un canon esthétique susceptible de plaire avant tout à un public étranger ? Doit-on parler ici,comme certains le soutiennent, d'un cinéma national d'exportation ? Les réalisateurs du Cinéma Novo s' étaient déjà heurtés à cette question épineuse de la réception de leurs oeuvres et avaient constaté la désaffection du peuple face à une esthétique révolutionnaire difficile d'accès, qualifiée d'« esthétique de la violence » par Glauber Rocha .

En réalité, Salles semble vouloir prioritairement toucher un public international, comme en atteste sa présence assidue dans les festivals étrangers et ses interviews récents sur l'importance de l'image donnée au brésil dans les films, principaux vecteurs de la visibilité nationale, comme la Cité de Dieu( Cidade de Deus, 2002) ou Tropa de elite (2008) qui selon lui n'informent pas sur les conditions de vie réelles de la majorité des brésiliens, pour la plupart honnêtes et travailleurs , en proie au désespoir d'un quotidien ou d'un devenir médiocre. Il s'agit donc de renseigner le monde sur l'état actuel du brésil dans des proportions plus ou moins avantageuses, mais dans quel but ? Celui sans doute de conforter ses concitoyens dans l'assurance de leur valeur et de leur devenir face à la globalisation culturelle et cinématographique ? Il est vrai que l'image de marque d'un pays peut constituer une forme de pouvoir et de positionnement culturel et économique non négligeable face aux autres nations. Glauber Rocha insistait quant à lui sur la nécessité d'un cinéma brésilien dégagé de toute influence esthétique hollywoodienne ou européenne pour assoir la présence et la force identitaire du brésil face aux anciens colonisateurs. Même si Salles reprend constamment dans ses choix stylistiques les canons du néoréalisme italien (davantage propice à l'exploration d'une peinture essentialiste de l'homme sous forme de leçon de vie ou de fable morale) pour sa linéarité classique de la forme narrative susceptible de toucher un plus large public, il s'affirme avant tout comme l'initiateur, avec quelques autres, de la renaissance du cinéma brésilien des années 90 (Retomada) et le principal instigateur d'une présence accrue du cinéma sud-américain dans les festivals internationaux actuels.

Ainsi les tensions du projet cinématographique de Salles par rapport à la réception des films se retrouvent également dans la production cinématographique de jeunes cinéastes brésiliens comme Marcos Berstein ( De l'autre côté de la rue, O Outro lado da rua,2004) ou Andrucha Waddington (La maison de sable, A casa de areia,2006) Ces derniers travaillent également sur la question identitaire avec une esthétique particulièrement soignée, empreinte de valeurs humanistes et d'interrogations éthiques comme chez Salles. Ces cinéastes, tout comme Salles, revendiquent leur attachement à une esthétique réaliste issue du documentaire permettant selon eux d'explorer avec davantage d'acuité et de vérité la condition existentielle de leur concitoyens. Ils reprennent en ce sens à leur compte le désir des cinémanovistes de « donner un visage » 46(*)au brésil sur la scène internationale et dans la conscience de chaque brésilien. Toutefois cette approche réaliste du sujet vient toujours cautionner une vision plus allégorique et métaphorique en filigrane induite par le cadrage , les choix narratifs, etc. Cette interaction entre esthétique réaliste et élaboration mythopoiétique participe en vérité d'une véritable stratégie de séduction du spectateur international pour remporter son adhésion émotionnelle et intellectuelle notamment. Cette tendance amorcée dans les années 90 semble se pérenniser, peut-être en raison de l'aura de Salles et de ce qu'il représente pour la nouvelle génération de cinéastes brésiliens trentenaires qui ont tous à moment donné travaillé sur l'un de ses films en tant qu'assistant de réalisation ou scénariste. Mais aussi, nous semble-t-il en raison de la propension des élites culturelles et intellectuelles du brésil à baser leur analyse des dysfonctionnement sociaux-économiques et politiques du pays sur des considérations morales et identitaires. Susan Hayward47(*)en ce sens pense que le cinéma national , loin d' être un simple reflet de l'histoire, nous renseigne davantage sur le positionnement idéologique de ceux qui font les films ou sur une reconstruction des idéologies nationales. En ce qui concerne le cinéma brésilien, il est intéressant de considérer les travaux de certains historiens et sociologues concernant les élites au brésil, leur perception des problèmes de pauvreté, de précarité et des solutions pour y remédier. L'étude de Daniel Pécaut sur les intellectuels au brésil et leur rapport avec la nation montre que leur sens du politique et leur implication dans ce domaine a essentiellement avoir avec l'élaboration culturelle. Depuis la fin du 19ème siècle, les élites de la société brésilienne basée sur les privilèges (concentration du pouvoir, accès exclusif à l'éducation, paternalisme éducatif envers le peuple48(*)) conçoivent leur rôle comme étant celui de guide de la nation dans la définition de son identité culturelle (histoire, littérature).D'autres études sociologiques49(*) mettent en avant le fait que si les élites brésiliennes montrent une grande sensibilité envers les questions de pauvreté et d'inégalité, elles ne se sentent pas pour autant responsables de ce problème national qui constitue, selon elles, une véritable menace contre la démocratie (menace de la violence endémique contre l'ordre et la sécurité).Ces dernières transfèrent clairement la responsabilité sur l'Etat et sa planification inefficace de l'action politique. Il existe donc un consensus dans le positionnement des élites par rapport au chaos social brésilien selon lequel l'Etat doit être le seul responsable du combat social contre la pauvreté. Les films de Salles sont tout aussi oublieux du rôle de ces élites dans la société qu'il dépeint. A l'exception de Carnets de voyage (2004)

où l'élite argentine est clairement mise à l'index en raison de sa préférence pour la culture européenne et son désir de l'imiter, les autres films évacuent totalement la figure du riche cultivé et de son interaction avec le peuple. Le problème est en réalité évoqué de manière frontale par le cinéaste en contexte étranger dans son court métrage Loin du 16ème(2006). Le film évoque l'inégalité et l'injustice sociale à Paris vécue par une jeune émigrée d' Amérique latine travaillant comme baby-sitter dans une famille aisée du 16 ème arrondissement. L'épisode évoque toute l' absurdité de sa situation d'exploitée et l' indécence morale de ses patrons. Le problème de l'exploitation des pauvres est certes abordé dans Carnet de voyage(2004) (notamment dans l'épisode de la mine au Chili) mais de manière plus anecdotique, et là encore en dehors du territoire brésilien; tout se passe comme si le cinéaste et ses collaborateurs avaient peine à adresser le problème en contexte brésilien. Linha de Passe (2007) tente toutefois de réparer cette lacune en contant l'histoire d'une famille pauvre de quatre frères sans père dans la banlieue de São Paulo. La mère des garçons ,Cleuza fait des ménages chez sa patronne une psychanalyste des beaux quartiers. Malgré tout, Salles avoue dans un interview50(*)que le projet initial consistait en deux films , l'un focalisant sur les personnages vivant dans la banlieue de São Paulo, l'autre sur des personnages issus de classes favorisées comme contrepoint du premier. Mais ce deuxième volet fera prochainement l'objet d'un autre tournage laissé à la responsabilité de la collaboratrice Daniela Thomas, en raison du tournage concomittant de l'adaptation On the Road .

Si Salles avoue sa préférence pour filmer ce qu'il connaît le moins (la vie des pauvres brésiliens)51(*) il souligne en revanche la difficulté de dépeindre les riches, leurs valeurs, comportements , idéologie face au déséquilibre social et celle de dénoncer des coupables car il constate que l'heure n'est déjà plus à la condamnation des années de dictature qui ont terrassé le peuple brésilien et empêché la production cinématographique. La Retomada ou renaissance du cinéma ne se pose plus comme dénonciation et revanche prise sur ses années de désespoir. Elle doit désormais rendre compte des problèmes sociaux en des temps de démocratie, sous un gouvernement luttant contre la pauvreté et la faim, dont l'action politique se trouve largement mise en difficulté par des puissances financières et industrielles sans scrupules.52(*)

La figure du pauvre, cet Autre: montrer la non-visibilité sociale dans les films

Peut -on et doit-on faire du cinéma sur la condition des pauvres ? Est-ce acceptable sur le plan éthique et faisable sur le plan méthodologique et épistémologique ? Si oui , quel en serait le but ?

Christian Salmon, dans son article « récit de la misère, misère du récit »souligne déjà toute la difficulté qu'ont les organisations internationales pour recueillir la parole des pauvres et pour l'analyser sans le filtre de conceptions déjà établies afin de savoir qui ils sont , de leur trouver une identité, de leur donner une visibilité, pour espérer mettre en rapport demande d'aide et offre politique caritative. Il s'agit non seulement de recueillir des données factuelles (vérité prouvée, démontrée) mais aussi des témoignages sur le ressenti psychologique de la souffrance (vérité éprouvée, vécue intérieurement, ressentie et singulière).Outre la difficulté de donner une représentation juste de la pauvreté, Salmon met en garde contre la prolifération de discours, d'analyses et de récits sur le sujet car ce dernier est a-temporel, international et apparemment permanent:53(*) 

« C'est un fructueux terrain de chasse pour les sociologues, les économistes et les moralistes doctrinaires..Nous avons faim du verbiage prolixe des docteurs en pauvreté. Ils nous intéressent. Les journaux publient leurs articles,la télévision en parle, la fiction la distord. »

Arlette Farge54(*) montre également l'importance du témoignage intime de cette souffrance sociale qui ne trouve pas d'espace d'expression politique. Il convient de mêler savoir et émotions, hors des catégories académiques traditionnelles pour mesurer avec plus de justesse les réalités de la condition du pauvre. Cette historienne montre que nos perceptions dans ce domaine évoluent selon les époques et leurs valeurs affichées (croyance en l'individualisme, le productivisme , peur du conflit de classe, etc.)qui contraignent notre regard sur la pauvreté et celui des pauvres sur eux-même.

En revanche , le cinéaste Nicolas Klotz,55(*) envisage le cinéma du réel comme étant mieux à même de véhiculer une image et une parole juste sur la pauvreté. Klotz tout comme Salmon reconnait l'importance de la visibilité des pauvres et de leurs intégration dans le champ de l'imaginaire et de la fiction:  « le comble de l'exclusion des pauvres c'est leur exclusion de l'imaginaire ».Klotz est convaincu que la fiction dévoile des vérités sociales et intérieures si elle reste dans l'interrogation permanente du réel, dans un regard en construction. En ce sens elle bousculerait la distance objective du documentaire qui maintient vis-à-vis de la pauvreté une distance physiquement correcte de non rencontre sociale, en permettant l'irruption de la subjectivité, de l'émotion et de l'imaginaire des exclus; la fiction pourrait transgresser l'ordre politique tel que le définit Jacques Rancière.

Dans la vision de Salles, le pauvre ne peut se réduire à la lutte pour la survie matérielle et sociale, il fait avant tout l'expérience d'une tragédie morale causée par l'absurdité du milieu ambiant et l'oppression de son caractère dys-fonctionnel. Dans Terre Lointaine (1995), Paco s'exile au Portugal comme des milliers de jeunes brésiliens en raison du chaos économique orchestré par le pouvoir en place. Son chemin initiatique devient une quête identitaire , un retour aux sources longuement désiré par sa défunte mère. Dans Central Do Brasil (1998), Josué devenu orphelin part à la quête de son père vers les terres du Nordeste et son périple se transforme en quête des origines géographiques, culturelles et morales vers une forme d'innocence dans les rapports humains, hors de l'ambiance viciée des villes. Dans Premier Jour (O primeiro dia/Meia -noite, 1999) tous les personnages aspirent à une forme de rédemption morale car malmenés malgré eux par la corruption du milieu policier ou carcéral, par le désespoir d'une vie ne tenant que par des faux-semblants. Dans Avril Brisé (2001), il s'agit pour le fils d'une famille de Nordestins, non de trouver un moyen économique plus viable que le traitement de la canne à sucre mais avant tout de briser la logique infernale d'une vendetta entre deux familles, avec tous les dommages collatéraux et moraux que cela implique. Plus encore, dans Carnets de Voyage( Diaros de motocycleta, 2004), le jeune Che devient le témoin de la misère sociale sous forme de rencontres fortuites et anecdotiques ("à la marge de la route") et finit par conclure à l'issue de son voyage , dans un discours pan-américaniste, combien l'Amérique latine pourrait se vivre comme une identité commune. Ainsi il nous semble que la pauvreté glisse à la périphérie du projet cinématographique pour donner lieu à des spéculations d'ordre éthique, existentiel, identitaire. Cette idée est reprise par José Avellar, critique et ami de Salles, à propos de l'adaptation du roman éponyme d'Ismael Kadaré (Avril brisé).Il cite l'auteur56(*):

"Je crois qu'avec son art Salles cherche à plonger aussi profond que moi avec la littérature. La misère décrite dans le livre est une chose extra-littéraire, une simple façon d'arriver à des thèmes métaphysiques, subjectifs, c'est ce que je recherche par mon travail . Et je crois qu'il a compris ça"

Et Avellar de poursuivre sur le caractère idiosyncratique des choix narratifs et de mise en scène chez le cinéaste, le fait que les personnages ont toujours un choix à faire, une seconde chance après une prise de conscience morale. Evoquant le travail sur Avril brisé57(*):

"Il s'agit de composer une fiction, une parabole littéraire sur les valeurs et les responsabilités individuelles, dans un monde de barbarie et de violence(...)Walter Salles compose ici une réalité autre grâce à la fusion du livre de Kadaré avec l'imaginaire du cinéma brésilien des années soixante. Les signaux documentaires qui ont alimenté les films du Cinéma Novo ou les signaux documentaires qui ont éventuellement alimenté le livre de Kadaré importent peu: il ne s'agit pas de décoller le film de la réalité mais de l'appuyer principalement sur la fiction critique qui est née de la réalité:pour composer une image fidèle non à l'apparence du réel mais à sa structure"

L'argument classique selon lequel la fiction, règne du faux, peut atteindre le vrai ne peut que nous plonger dans le cas des fictions de Salles dans un abîme de perplexité et de scepticisme. Il faut bien se demander si l'élaboration littéraire ou filmique peut être de nature à révéler la condition des humbles, leurs préoccupations essentielles,leur histoire, sans les trahir, sans être la simple projection fantasmatique d'un cinéaste de l'autre côté de la barrière sociale. Il nous semble ici que sous couvert d'élaboration culturelle et mémorielle, Salles assigne à son cinéma un statut d'art du lien social connoté, comme nous l'avons vu plus haut , d'une signification identitaire nationale fédérative, loin de la création rancièrienne de dissensus ayant pour objectif la subversion de l'ordre policé des rapports sociaux. Salles vise l'élaboration mythique dans le champ de la mémoire et de la conscience collective. Non pour dénoncer les causes d'une situation sociale inique depuis longtemps établie, mais pour signifier que le peuple doit se prendre en main et résoudre de manière individualiste (par la prise de conscience et le choix individuel)les obstacles à son épanouissement existentiel. Nous ne sommes pas loin ici d'un discours paternaliste sous couvert d'éthique humaniste, l'élaboration esthétique (poétisation de la misère) ayant l'efficacité ici d'un vernis séduisant a priori mais trompeur dans son propos (les pauvres sont des héros) et sa méthode (compassion de bon aloi). On peut douter en effet de la visée et de la nature démocratique des films du cinéaste, pourtant sans cesse revendiquée.

Poétique du dénuement, stylisation de la misère

Si Walter Salles refuse dans le choix de la photographie l'esthétique de la carte postale lorsqu'il s'agit de peindre l'environnement urbain de Rio de Janeiro, il n'en reste pas moins que ses films se caractérisent par une sophistication de l'image évidente, une esthétique soignée du cadrage où tout élément du cadre participe d'une construction symbolique, métaphorique. Ainsi, l'hyper-réalité de certains décors profilmiques a priori non esthétiques (hangars, zones urbaines désaffectées ou délabrées, intérieurs humbles) se trouvent stylisés, investis d'un sens métaphorique. Si l'on considère les premiers plans de chaque film, cette sublimation du morne, du dénuement, cette poétique de l'indigence frappe le regard comme s'ils apportaient une première caution morale, une première légitimité au discours. Dans Avril Brisé(2001) , le générique s'attarde sur l'énorme roue en mouvement d'un pressoir de canne à sucre métaphore annonciatrice d'une clôture temporelle et spatiale, de l'enferment psychologique et existentiel des personnages. Dans Central Do Brasil (1998) les flux de la population migrante s'entrecroisent dans les compartiments des trains en autant de lignes géométriques dans le cadre, soulignant par la même la vitalité d'une nation entière, le potentiel humain du pays , sa diversité géographique et sociale. Le décor de la gare centrale de Rio rappelle la condition miséreuse de ses voyageurs, mais la jouissance visuelle induite par l'intelligence du cadrage sublime l'évocation de cette humanité de laissés-pour-compte. Dans Premier Jour(1999) le décor profilmique se trouve intellectualisé jusqu'à suggérer la structure verticale de la progression diégétique. Le premier plan, référence directe à l'esthétique « trash » du Cinéma Marginal qui avait succédé au cinemanovo et à l'esthétique tropicaliste, s'ouvre sur une décharge aux abords de Rio. La caméra se focalise ensuite sur la figure obscène d'un homme nu au milieu des détritus, aboyant et se grattant l'oreille comme un chien. La métaphore appuyée de la pourriture de la condition humaine et brésilienne en incipit du film sera neutralisée par la toute dernière image empreinte de sacré où la jeune Maria sauvée de sa tentative de suicide, est montrée de profil face à la fenêtre ouverte de son appartement , baignée par la lumière du jour rédemptrice. Entre ces deux pôles l'intrigue du film aura élaboré un parcours ascensionnel au sens propre comme au figuré (annonciateur d'une forme d'utopie morale)entre les bas-fond de la prison de Rio et les hauteurs des favélas ou des immeubles bourgeois. Cette apologie visuelle de l'humble,de l'humain rendu ainsi intelligent, signifiant annonce le sérieux du propos et suscite en nous l'adhésion intellectuelle sans conditions. La figure humaine, par contraste se trouve rehaussée dans son authenticité, sa valeur fondamentale. Le pauvre apparaît comme magnifié dans sa lutte pour la survie , accédant à une densité de l'expérience humaine non pervertie par un confort matérialiste aliénant et insignifiant. Certains critiques ont dénoncé le caractère artificiel, littéraire de cette représentation sociale ayant presque pour effet pervers de rassurer les consciences sur le potentiel et la valeur morale profonde d'une classe sociale sacrifiée ici valorisée de manière démagogique et politiquement correcte.

Ceci nous amène à considérer toute la limite d'un projet cinématographique tel que celui de Walter Salles : un art qui se pare d' intentions (comme l'art engagé et sa double contrainte) ne risque-t-il pas, dans cette hybridation d'un souci esthétique et d'une cause politique ou morale, de trahir de manière bilatérale ses exigences ?

L'art doit-il être au service d'une cause politique ou morale? La confusion vient de ce que l'art peut susciter en nous une forme illusoire d'accès au bien et donc d'accès au beau, d'élévation de l'âme vers la vérité. De là à appliquer cet effet à des buts plus concrets ou impératifs, chacun saisit ici la limite de cette conception. Il nous semble que l'art ne doit rester que dans les limites d' invention formelle et n'a pas d'autres prétentions que de nous charmer intellectuellement et de susciter nos émotions. L'on pourrait toutefois comprendre la démarche de Salles comme une tentative de prise de position et non prise de parti ce qui pour Didi-Huberman58(*) représenterait la liberté artistique même. Nous avons vu toutefois que cette prise de position reflétait celle des élites brésiliennes vis à vis de la situation sociale inique dans laquelle est maintenu peuple indigent. Les films de Salles peuvent se voir comme autant de projections fantasmées d'une classe sociale sur une autre. Il ressort de cette construction cinématographique une forme de regard paternaliste compassionnel sur le pauvre alors célébré dans son humanité et son potentiel. On l'exhorte à changer sa vie par la force de ses propres ressources psychologiques (prise conscience morale et possibilité du choix existentiel) comme le suggère notamment le thème général contenu dans le sous-titre de Linha de Passe (2007) («  A vida é o que vocé faz dela », la vie c'est ce que tu en fais ).Ce ton moralisateur et prescriptif nous semble remettre en cause dans un retournement paradoxal les présupposés progressistes des films de Salles. L'on voit que la prise de position humanisme se transforme en habillage esthétique spécieux pour justifier un conservatisme de vision. Comme le souligne Paul Ricoeur59(*):

« L'artiste (...)n'exprime son peuple que s'il ne le propose pas, et si nul ne lui commande. Car si on pouvait le lui prescrire, cela voudrait dire que ce qu'il va produire a déjà été dit(...)sa création serait une fausse création (...) L' oeuvre créatrice contribue à briser l'image avantageuse qu'une société se donne d'elle-même, au prix d'une « fausse conscience » 

Leçons de vie et utopies tronquées

En outre, si l'on analyse les derniers plans de chaque film, force est de constater que ce désir de tirer l'âme humaine vers le haut ne trouve pas de réalisation concrète dans la fiction et demeure en suspens. Salles évite soigneusement d'esquisser une quelconque solution institutionnelle, sociale ou politique dans ses films. Le résultat de la logique sacrificielle à l'oeuvre dans tous ses films sans exception laisse le spectateur conjecturer sur le véritable sens de la démonstration. Les images finales sont énigmatiques voire de nature à contredire ce qui a été avancé auparavant. L'image de la mer qui vient en point d'orgue dans Avril Brisé (2001) certes fait allusion à l'image lyrique finale du film de Glauber Rocha Dieu Noir Diable Blond (1964) symbolisant l'espoir révolutionnaire mais elle apparaît ici comme ambiguë, ambivalente si l'on considère l'ensemble narratif. Comme le cinéaste le répète dans ses interviews, le réel est trop complexe, il faut donc se garder de donner à voir des résolutions dogmatiques. Si bien que ses films, comme le souligne Lucia Nagib60(*), se présentent comme des utopies humanistes tronquées ,vides, illusoires. Encore une fois, le propos de Salles n'est pas de résoudre le politique par le truchement de l'art comme l'espérait naïvement Glauber Rocha mais plutôt de transmettre une image plus positive de son pays, de donner à ce dernier un visage séduisant d'humanité pour le public du monde entier. Toutefois, son approche pourrait s' apparenter à une forme «d'ingression 61(*)» selon le néologisme du philosophe Michel Maffesoli, c'est à dire à une forme d'utopie « interstitielle » symptomatique d'une désaffection fondamentale vis à vis du politique pour réaffirmer des zones de sacré (en opposition à toute transcendance), ce que Lévi-Strauss désignait comme « bricolages interstitiels »ou petites utopies culturelles au quotidien. Cette forme d'  « ingression » ferait partie des humanismes re-émergents où la progression vers l'intérieur, c'est à dire vers l'ordre de l'émotionnel, vers la culture du sentiment d'appartenance à partir d'un lieu donné sont mis en exergue. Il semblerait que le parti pris esthétique et la ligne idéologique des films de Walter Salles soient en connivence avec cette tendance humaniste privilégiant l'ordre du « sensible » comme le soutient l'universitaire brésilien Muniz Sodré.62(*)Le philosophe explicite de manière plus théorique l'arrière-plan idéologique du cinéma de Salles . Il cite « l'ordre du coeur » de Pascal pour souligner la puissance du sensible , de l'émotionnel, du mythique et de l'affectif comme formes émergentes de socialité souvent en désaccord avec les institutions reconnues par le pouvoir de l'Etat. Pour lui , le nouvel humanisme affiche une stratégie de la sensibilité pour réinventer des institutions et des formes de citoyenneté en vue d'une « mondialisation solidaire ».Selon Munoz,c'est aux artistes et aux philosophes que revient le travail du « sensible collectif ».La logique affective, la culture de l'émotion se présente comme une nécessité pour accéder à la connaissance du bien commun, de la réalité des choses. Il plaide pour une sensibilité lucide à l'instar d'Aristote qui affirmait l'impossibilité du triomphe du logos sur le mythos (« l'âme ne connaît point sans fantaisie »). Sodré rappelle à ce stade de la réflexion, que « tout discours et toute perception prennent leur élan dans un noyau identitaire ». Encore une fois,

l' identitaire et l'émotionnel sont affirmés comme étant les clés de la connaissance chez certains philosophes et cinéastes brésiliens.

Il convient toutefois de rappeler l'importance du travail critique de Christian Salmon sur les dérives d'un tel parti pris idéologique. Salmon63(*) dénonce la séduction émotionnelle des nouveaux gourous (politiques, artistes, publicitaires..) dans leur entreprise de fabulation. C'est précisément en des temps d'incertitude ,d'insécurité mondialisée que la résurgence des mythes , du sentiment d'appartenance, ou l'exacerbation de l'affect et son pouvoir d'adhésion se confirment. A l'opposé de Muniz Sodré, Salmon démontre que les engrenages narratifs des récits artificiels ainsi constitués orientent les flux émotionnels, conduisent les individus à s'identifier à des modèles spécieux, tout en déstabilisant les réflexes critiques pour mieux asseoir « la suspension provisoire de l'incrédulité » chère à Coleridge. Comme dans un méchanisme basique de manipulation des esprits, ces récits « placebos 64(*)» produisent un effet de surprise de nature à intégrer, séduire, programmer psychiquement les gens en proie à des souffrances morales, non dépassées, des désirs contradictoires de plus en plus nombreux; cette perte de repère généralisée constitue le terrain idéal pour des discours en apparence réparateurs mais en réalité totalement destructeurs et aliénants pour la conscience et la condition humaine. Pour Salmon, plus que jamais les spectateurs gagnent à aiguiser leur sens critique, à réagir en secptique face à la recrudescence des formules faciles invitant le spectateur à l'investissement éthique, à cette multiplication des postures humanistes qui pourraient bien se transformer en impostures idéologiques commodes65(*):

« les histoires nous permettent de nous mentir à nous même, nos mensonges nous aident à satisfaire nos désirs »

Salmon dénonce dans ce mensonge organisé, dans cette désinformation tendancieuse, une forme de pouvoir aliénant au détriment du spectateur. Il convient selon lui de se méfier des élaborations fictionnelles qui se proposent de restituer la condition d'une nation tout en la structurant «  non avec des arguments rationnels mais en racontant des histoires(...)ce n'est plus la pertinence qui donne à la parole publique son efficacité, mais la plausibilité, la capacité à remporter l'adhésion, à séduire, à tromper. »

Ainsi, le traitement réaliste et l'esthétique documentaire de certains films se proposant de restituer une histoire du ressenti collectif, d'explorer les données d'une identité nationale en des termes relevant de la poésie et du mythe ( comme c'est le cas chez Salles, en particulier dans Terre lointaine et Central Do Brasil) ne saurait être une garantie de vérité contrairement à ce que prétend le cinéaste et malgré son autorité dans le microcosme du cinéma ou des intellectuels brésiliens.

2ème partie: Tensions entre éthique et esthétique: le point de vue du spectateur

Cinéma et progrès moral

Comme ses prédécesseurs les cinemanovistes, Walter Salles cherche à éduquer le regard de son spectateur tout autant que sa réaction émotionnelle et intellectuelle envers les films. Son oeuvre se voudrait humaniste dans la mesure où elle amènerait son public à sublimer les données immédiates et spontanées de son existence, à lui révéler les solutions morales, existentielles de sa condition souffrante. A l'échelon national, ses films apporteraient une pierre à l'édifice culturel permettant d'assoir l'identité et le pouvoir du pays en lui donnant les clés et les références intellectuelles nécessaires à son combat existentiel. Ses fictions, nous l'avons vu, travaillent des problématiques morales et identitaires. Or nous avons avancé dans une première partie que les prémisses idéologiques et épistémologiques du dispositif filmique chez ce cinéaste tendaient vers une forme de paradoxe en ce sens que l'humanisme ne saurait faire l'objet d'une représentation esthétisée sous peine d'être annulé ou rendu suspect dans le processus. Nous avons conclu dans un premier temps que si l'oeuvre se voulait humaniste en montrant la condition des pauvres brésiliens et en se proposant d'en analyser les souffrances et les remèdes, elle ne leur rendait pas pour autant justice et participait au contraire d'une forme d'aliénation supplémentaire dans la construction d'une vision et d'un discours paternaliste voire misérabiliste sur ses derniers, tout en servant une orientation idéologique identitaire rassurante pour les élites du pays. Nous pourrions tout aussi bien remettre en question le propos du cinéaste mettant en exergue les bienfaits d'une éducation morale et visuelle dans une perspective humaniste si l'on considère comme George Steiner que la culture, l'éducation, les arts n'ont jamais empêché la barbarie:66(*)

« Les sommets de l'hystérie collective et de la sauvagerie peuvent aller de pair avec le maintien, et même le renforcement, des institutions, de l'appareil et de l' éthique de la plus haute culture. En d'autres termes, les bibliothèques, musées, théâtres, universités et centres de recherche, qui perpétuent la vie des humanités et de la science, peuvent très bien prospérer à l'ombre des camps de concentration. »

En effet, jusqu'à présent l'humanité n'a pu établir de corrélation directe entre le développement de la culture et de l'éducation et d'autre part le progrès de l'homme dans sa dimension morale. Or c'est bien sur ce point précis, sur cette espérance que repose l'élaboration cinématographique de Salles.

Cependant, malgré le scepticisme que peut susciter a priori l'esthétique humaniste des films, on peut s'interroger néanmoins sur ses effets potentiels quant à la réception, au niveau des sa réactivité émotionnelle et de son regard spectatoriel. Comment ce dernier peut-il percevoir et articuler les tensions possibles entre appréciation esthétique et appréciation morale des oeuvres et ainsi mesurer l'écart possible entre ces deux instances voire leur mutuelle trahison?

Posons nous d'abord la question de l'apport cognitif ou psychique, émotionnel d'une oeuvre esthétique dans la perspective d'une amélioration de l'esprit humain.

G. Simmel, évoque dans La tragédie de La culture 67(*)l'importance d'une forme d'apprentissage intellectuel et émotionnel à travers les oeuvres d'art même si ces dernières peuvent être considérées comme médiocres par les critiques d' art. Selon lui , toute oeuvre contribue à la sublimation de la contingence de l'existence et par ce seul fait donne une valeur plus élevée à l'expérience humaine ainsi élaborée. L'art permettrait l « objectivation de l'esprit ». L'oeuvre garde ainsi son caractère objectif quelque soit la re-création ou la subjectivation du spectateur. Ce qui importe c'est la capacité de l'oeuvre a posé de manière formelle quelque chose d'objectif de facto ressenti comme signifiant, non sa valeur éthique positive au sens du bien. Simmel, dans son appréciation de l'oeuvre d'art, dissocie la valeur éthique de la valeur esthétique. Pour lui, une oeuvre médiocre, de par son caractère parfois plus accessible, peut enrichir spirituellement l'âme et la gratifier d'une forme de satisfaction intellectuelle et émotionnelle . Ainsi une oeuvre parfaite pourrait au contraire nous intimider et nous empêcher de nous l'approprier et de nous faire progresser sur la globalité de notre personne.

L'implication émotionnelle du spectateur

Salles explique68(*) que le cinéma doit davantage reposer sur la part émotionnelle non balisée par un discours limitant la portée des images. L'expérience filmique se nourrit davantage de l'émotion à travers laquelle le spectateur fait l'expérience singulière et unique du film . Discutons ce postulat épistémologique: dans quelle mesure l'émotion apporte-elle au spectateur des éléments de connaissance plus authentiques et plus riches qu'une explicitation documentaire reposant sur le rationnel et l'intellect? Est-ce que l'émotion participe de la cognition ou lui fait-elle obstacle? Apporte t-elle une forme de prise de conscience nécessaire à la compréhension morale des oeuvres et à la progression de l'esprit humain? Est-ce que l'esthétique humaniste en faisant appel à l'implication émotionnelle du spectateur (regard compassionnel, empathie, émotion esthétique..) participe d'une forme de prise de conscience salutaire, d'une forme de sublimation et d'émancipation de la conscience humaine? Ou au contraire induit-elle un mouvement régressif vers une opacité et une vacuité plus grande ?

Analysons d'abord les rapports entre émotion esthétique (appréciation des qualités formelles de l'oeuvre) et émotion proto-esthétique (ou émotion morale induite par les évènements de la diégèse).Y a t-il corrélation entre les deux? Autrement dit,est-ce que les qualités esthétiques d'une oeuvre cinématographique disposent davantage à l' épanouissement moral du spectateur ? A l'inverse, est-ce que les qualités morales exposées dans une oeuvre favorisent le sentiment esthétique de telle sorte que les deux instances émotion esthétique et émotion proto-esthétique s'auto-alimentent ? Dans quelle mesure, l'esthétique humaniste des films de Salles se propose d'articuler les deux phénomènes ?

Considérons d'abord les travaux des cognitivistes (N.Carroll,Bordwell, Matravers)sur la réception spectatorielle des films, en particulier au niveau de l'émotion esthétique résultant des efforts d'ajustement cognitif du spectateur69(*) vis à vis de ce qui lui est présenté. En effet le plaisir esthétique naîtrait de l'écart ménagé entre les attentes implicites du spectateur et les éléments du films susceptibles de remettre en question ces attentes. De sorte que si la tension cognitive n'est pas importante, si la résolution de cette tension paraît évidente ou trop explicite, si le spectateur n'est pas vraiment sollicité dans son effort de co-création ou de réajustement du sens , l'oeuvre paraîtra fatalement ennuyeuse. A contrario, si l'effort d'ajustement nécessité par l'oeuvre reste trop important et sans véritable cohérence, l'émotion esthétique induite par ce processus devient négative et suscite la perplexité du spectateur et son détachement ennuyé. De plus notre gratification émotionnelle viendrait de la réalisation que nous partageons avec l'artiste sa capacité à exprimer et transformer en oeuvre ce qu'il ressent. Cette « récompense de la communion émotionnelle »70(*) ou de la « puissance expressive » éprouvée à la fréquentation de l'oeuvre nous conforte dans notre sensibilité tout en nous dédouanant du souci des implications pratiques ou des réactions adaptées aux situations contre-factuelles envisagées. L'on voit ici que les cognitivistes tout comme Kierkegaard , pour qui la sensation est moralement indifférente, dissocient l'expérience esthétique de l'expérience éthique et rappellent qu'un spectacle visuellement séduisant ne garantit en rien sa valeur morale. Il est des oeuvres en effet où le beau, le plaisir intellectuel ne sont pas forcément synonymes du bien et ne peuvent induire son effectivité. C'est précisément ce que montre Platon dans La République ,livres III et X où les émotions fictionnelles peuvent conduire à l'inconsistance morale c'est à dire la possibilité d'éprouver du plaisir à l'égard de ce que nous serions tenus de réprouver.

Aussi, les scénaristes et les réalisateurs sont-ils tentés de définir voire de modéliser le parcours émotionnel du spectateur71(*) en vue de son adhésion plus ou moins immédiate ou différée sans considérer l'aspect éthique de la démarche. Dès lors, l'analyse de film consistant à évaluer la séduction émotionnelle opéré par le film doit considérer , en dehors de la trame narrative pure et simple le sous-texte émotionnel composé d'indices coordonnés entre eux pour définir le ton émotionnel du film cette approche cognitiviste des émotions au cinéma permet d'évaluer les films hautement manipulateurs ( de part la fréquence et la spécificité des émotions dégagées) et ceux beaucoup plus subtils( si les émotions sont moins orientées dans un but précis) . Noël Carroll souligne en particulier la systématicité émotionnelle qu' induisent certains genres cinématographiques72(*) comme le mélodrame ou le film d'épouvante. Dès lors on peut se demander si cette sollicitation émotionnelle amène le spectateur à une élaboration cognitive authentique, utile à son entendement et à sa perception morale des situations contre-factuelles présentées ou si elle reste tout bonnement illusoire , superficielle car détachée des implications pratiques. En d'autres termes, est-ce que le spectateur peut être durablement affecté dans sa psyché, dans ses croyances, sa réactivité face au réel en ayant regardé des films ?

Walter Salles fait ce pari en ayant recours au genre de la tragédie, notamment dans Avril brisé et Premier Jour où la représentation des maux de la société brésilienne se fait sur le mode cathartique. Ainsi la représentation d'une vendetta absurde entre deux clans du Nordeste et sa résolution morale serait susceptible de rendre au spectateur la conscience de certains événements historiques refoulés ou vécus sur le mode de la forclusion. Dans Premier Jour (1999), il dramatise l'absurdité d'une justice corrompue à travers une logique sacrificielle mettant en scène deux repris de justice corrompus par l'environnement social mais empreints de valeurs et de principes éthiques . Il reprend l'idéal aristotélicien qui voyait dans le défoulement fictif des passions la clé d'une pacification des rapports sociaux, le moyen de mener les citoyens vers une vie vertueuse et heureuse, en conformité avec la raison. Il se rapproche également de la conception de Lessing73(*) qui voyait dans la catharsis, un moyen d'éduquer et de sensibiliser le citoyen à l'expérience de la compassion, expression noble de l'humain.

Les films de Salles reposent sur un système esthétique fondé sur une réponse émotionnelle immédiate du spectateur, son empathie, grâce à une esthétique documentaire réaliste et une forme narrative classique issue du néoréalisme. Mais ses détracteurs soulignent les dangers et les leurres épistémologiques d'une telle approche. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Glauber Rocha se méfiait d'un cinéma se donnant comme mimétisme du réel, fausse évidence et préférait la distanciation brechtienne en particulier lorsqu'il s'agit de rendre compte des forces sociales conflictuelles. Chez Brecht, la catharsis ne suscite pas autre chose que le plaisir illusoire de l'identification du spectateur et elle détourne ce dernier de la réalité concrète et de ses véritables enjeux. Mieux, les fictions visant à cultiver chez le spectateur le sentiment de la compassion demeurent tout aussi illusoires quant à la valeur éthique de la démarche. En ce sens , les travaux de Susan Sontag74(*) sur l'image de la souffrance en photographie ou ceux de Myriam Revault d'Allonnes75(*) sur la compassion comme ressort illusoire de l'idéal démocratique ne peuvent que remettre en question la base idéologique et le mode opératoire des films de Salles.

Le regard compassionnel

Revault d'Allonnes cite Rousseau qui dans sa Lettre d'Alembert ironise sur les vertus morales de la représentation théâtrale censée éveiller chez le spectateur le sentiment de la compassion. Pour lui, loin de rendre les spectateurs plus sensibles aux maux d'autrui, la fiction théâtrale les dispense d'en faire l'épreuve dans le réel: 76(*)

« J'entends dire que la tragédie mène à la pitié par la terreur;soit mais qu'elle est cette pitié ? Une émotion passagère et vaine, qui ne dure pas plus que l'illusion qui l'a produite. »

Si pour Rousseau, la compassion devant la souffrance de l'autre reste un sentiment ambigu et aucunement altruiste (car le souci de l'autre est parti prenante du souci de soi )il reste qu'elle doit se transformer en défense de celui qui souffre.

Cependant ,la généralisation des bons sentiments,leur objectivation dans une oeuvre filmique tend à reléguer le spectateur démocratique dans sa sphère privée, dans la solitude de son coeur. Susan Sontag dénonce le regard compassionnel comme méconnaissance de l'autre, impuissance face à sa souffrance et comme regard moralisateur sur la condition d'assisté. Nous verrons que le film Carnets de voyage (2004)cristallise tous les écueils envisagés par Sontag. En particulier lors de la séquence filmique de la visite du Ché, jeune étudiant en médecine, dans une léproserie. Les lépreux sont montrés comme gentils,injustement souffrants et authentiques. Ils méritent la sollicitude et l'attention exceptionnelle du jeune homme. Mais ce regard philanthropique a un prix. Il assigne irrémédiablement le lépreux à une place subalterne et ne l'intègre pas dans une socialité partagée, c'est à dire dans une société de semblables différents. D'autre part il conforte le spectateur compassionnel dans un regard éloigné, distancié ,retourné contre ses propres fondements. Il devient l'alibi ou le masque d'une véritable méconnaissance d'autrui. L'épisode de la léproserie constituerait donc une démonstration militante pour le souci de l'autre mais se termine en simulacre de la reconnaissance de l'autre. Il ne fait que glorifier le regard de celui qui est doué de compassion, le sanctifie dans sa posture servant d'exemple à suivre et l'éloigne de son frère souffrant tandis que ce même frère souffrant ne peut prétendre à la distance de son autonomie responsable . Hannah Arendt77(*) fait une critique politique du sentiment dans son Essai sur la révolution en établissant que la compassion reste sans conséquence et hors de sa place en politique car elle abolit précisément ce jeu des distances de la socialité partagée .

Elle observe également que la compassion, lorsqu'elle est exposée à l'écran du domaine public subit le même sort que le bien exposé à la lumière publique: « il cesse d'être bon, il se corrompt, intérieurement et, partout où il va, il porte sa corruption. »

Specularité et fascination

Le film peut également se concevoir comme la rencontre de deux mouvements spéculaires, de deux désirs, celui de la reconnaissance (pôle du réalisateur) et celui de l'identification (pôle du spectateur).Dès lors peut s'opérer une stratégie de la fascination , c'est à dire d'une capture et d'un enchantement du spectateur lorsque le film colle au plus près des désirs ou des certitudes de ce dernier . Barthes78(*) dénonce « l'image affect »comme une manipulation émotionnelle et intellectuelle supplémentaire. L'image affect est cet  «  immédiat qui vaut le plein »,qui repose sur des affects premiers ;elle se présente comme une pseudo évidence de l'authenticité qui désarmerait tout esprit critique en proie au doute , à la complexité; elle s'affirme comme « vérité » avec autorité et remporte l'adhésion intellectuelle instantanée du spectateur ; elle renforce la tonalité édifiante du propos, même si le propos s'avère creux. En véritable rapt intellectuel, elle induit une empathie spectatorielle et un désir d'identification avec ce qui est présenté comme beau et bien. Barthes voit dans l'image fascinante, un épisode hypnotique, ordinairement précédé d'un état crépusculaire. Le sujet-spectateur est désirant en attente d'une vérité et le film installe en quelque sorte un décor mental prédisposant au ravissement. Le leurre est occasionnel mais la structure profonde79(*):

« Dans l'image fascinante , ce qui m'impressionne, ce n'est pas l'addition de ses détails ,c'est telle ou telle inflexion(...)dès lors, que m'importe l'esthétique de l'image ?Quelque chose vient s'ajouter exactement à mon désir (dont j'ignore tout)C'est la conformité d'un grand modèle culturel qui viendra m'exalter »

Ce mécanisme ainsi décrit par Barthes peut expliquer celui de l'esthétique humaniste au cinéma qui parvient à désarmer intellectuellement le spectateur , capitalise sur son désir de vérité et d'identification, le plonge dans une fascination qui le réduit.

3ème Partie: Analyse de film : La construction du regard dans Carnets de Voyage (2004)

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Carnets de voyage: spectacle de l'injustice et regard compassionnel

Leon Hirszman (1937-1987,cinemanoviste):

« Le plus important dans la vie et pour l'art c'est de bien connaître ou de bien faire connaître autrui: bourgeois, ouvrier, paysan, riche, pauvre, peu importe. Mais c'est avec cette rencontre, cette connaissance de l'autre que commencent la civilisation, la culture, l'action »

Le propos de ce cinéaste semble résumer la croyance et la démarche d'Ernesto Che Guevara dans son ouvrage Notas de Viaje, récit autobiographique relatant son périple sud-américain au cours de l'année 1952.Il semblerait qu'il existe une connivence entre les écrits du jeune homme, future figure révolutionnaire, et les espoirs idéologiques du cinéma novo. Il n'est donc pas surprenant que Walter Salles ait choisi d'adapter au cinéma ce livre culte avec pour ambition de rendre son biopic sur le jeune Che aussi fidèle que possible à la narration et la teneur idéologique de son propos. En effet, le film Carnets de voyage (2004)semble respecter le projet initial du Che de relater le processus d'une prise de conscience politique au fur et à mesure du trajet parcouru. Le texte du livre révèle les prémisses d'une conscience révolutionnaire en construction, consigne les étapes de cette prise de conscience des injustices et de la condition humaine souffrante. Le jeune Che, alors étudiant en médecine issu de la haute bourgeoisie, évoque une forme de révélation lors d'une rencontre avec un inconnu, révélation annonciatrice de son future rôle de chef révolutionnaire:80(*)

« Malgré ses paroles , je savais maintenant...je savais qu'au moment où le grand esprit directeur porterait l'énorme coup qui diviserait l'humanité en à peine deux factions antagonistes, je serais du côté du peuple »

Dans quelle mesure le film noue t-il cet engagement politique ou explicite-t-il les données qui le légitiment? Quelles inflexions idéologiques construit le film à travers sa mise en scène, ses partis pris formels ?

L'analyse du générique et séquence de début nous permet de repérer le contrat de lecture établi par le film. Ce dernier s'ouvre sur une citation du livre rappelant ainsi le lien étroit entre le film et le livre dans une adaptation qui se voudrait fidèle: « ceci n'est pas un récits d'exploits impressionnants;c'est un fragment de vie de deux êtres qui ont parcouru un bout de chemin ensemble, en partageant les mêmes aspirations et les mêmes rêves ».D'emblée, l'incipit du film insiste sur l'authenticité d'une expérience humaine qui pourrait bien se transformer en leçon de vie. La séquence qui suit montre en quelques plans et in media res le jeune Che et son acolyte Alberto Granado entrain d 'empaqueter leurs effets personnels dans la plus grande fébrilité et impréparation. La caméra circule sur les objets mis dans les sacs s'attarde sur certains, installant le spectateur dans un regard « découvreur » ou « arpenteur » selon la terminologie de Gardies81(*). Les premières images préparent donc au genre filmique du film d'aventure picaresque, du road movie tout en suggérant la caractérisation des personnages et une forme de reconstitution historique de l'époque. Le gros plan sur l'inhalateur et les fioles médicinales annonce la thématique de la souffrance et de la maladie du Che (asthmatique)faisant de lui le récepteur légitime de la douleur des autres, une figure christique en définitive. La voix off du Che rappelle la tenue du carnet de voyage mais a pour fonction de caractériser la personnalité de ce dernier. Le forme lapidaire et résolue du discours suggère l'impétuosité, l'intelligence ardente du jeune homme,voire sa verve ironique , son auto-dérision contrastant avec la bonhomie de son compagnon de voyage présenté comme bon vivant, profiteur, moins intellectuel. La référence à Don Quichotte et Sancho Pança en filigrane emporte l'adhésion du spectateur mais laisse augurer du caractère chimérique de l'entreprise si l'on considère sa pertinence contemporaine. Dans la jouissance de la reconstitution visuelle d'une époque, la photographie emprunte l'esthétique du « vintage » (filtre jaune pour ramener la couleur à l'apparence d'un sépia) mais le naturel du jeu des acteurs et l'humour gentiment paillard d'Alberto Granado actualisent la diégèse avec force et suscite la connivence et l'adhésion du spectateur. Dans un « regard picoreur », enchanté, le spectateur se laisse charmer par l'attrait d'un périple placé sous le signe de l'humour et du plaisir de la découverte. Le voyage est présenté comme celui deux étudiants privilégiés ayant une certaine forme d'ouverture d'esprit et d'assise intellectuelle, rendus éminemment sympathiques par leur authenticité et leur jeunesse.

Le paysage mental du spectateur est ainsi préparé pour la réception des « vérités » que le film se propose de révéler. La voix off du Ché ajoute les inflexions nécessaires pour conforter le spectateur dans ses ajustements cognitifs; très vite le regard du Ché s'impose également comme l'instance oculaire présidant à la découverte . Le film entier se montre comme ce regard-vecteur , une métaphore de la monstration où les rencontres fortuites à la marge de la route ne sont que prétexte à la glorification d'une posture compassionnelle sous tous ses aspects. Dans son ouvrage, Ernesto Che Guevara s'inquiétait déjà de se limiter à « un regard non panoramique,toujours fugace et parfois peu équitable » sur la route de la condition humaine tant il est vrai qu'il est difficile de sortir de ses propres préjugés .

Mais dans le film le Ché devient le signe, le symbole, marque l'exemplarité du regard dirigé vers l'autre sans pour autant le considérer pleinement dans son altérité. L'autre devient support interchangeable, support d'une démonstration assénée à coup d'exemples. Tous les thèmes de la souffrance humaine sont convoqués au travers des rencontres fortuites du voyage: tout d'abord la maladie,dans l'épisode de la vieille dame en phase terminale. Le plan du film cadre le jeune homme penché sur elle, vérifiant sa température, et rappelle volontiers un tableau de piété religieuse. Le Ché devient le Christ , sa figure est dépolitisée. Puis vient le traitement de l'injustice sociale et de la révolte. La rencontre avec des mineurs itinérants au Chili cristallise le sentiment de culpabilité,à la fois éprouvé par le Ché (et indirectement adressé au spectateur) lorsque ce dernier réalise le privilège du motif de son voyage (« voyager pour voyager »)face à la nécessité du déplacement pour survivre. Ce sentiment est contrebalancé par l'explosion de colère et la révolte du jeune face à l'exploitation infâme des mineurs. Comme le souligne Olivier Pourriol,82(*) filmer la révolte finit toujours par la transformer en spectacle, de la diluer dans ce qu'elle dénonce , de l'épuiser en la réifiant à l'écran. La révolte gagne à avancer masquée. Dès qu'elle s'annonce, elle se ridiculise.

Au fur et à mesure du périple, le film construit ainsi des postures émotionnelles et intellectuelles vis à vis des déshérités plus ou moins discutables et faciles. L'épisode des jeunes péruviennes racontant leurs souffrances installe le Ché (et par là même nous installe ) dans la position de témoin qui veut comprendre ce qui lui est étranger. Peu importe le discours des péruviennes, la spécificité de leur difficulté, ce qui compte c'est la scène finale, scène de partage des feuilles de coca à mâcher avec le jeune homme issu d'un autre monde. L'idéal du partage et de la solidarité est ainsi asséné comme épisode supplémentaire dans le théâtre des moralités. Mais toutes ces étapes de la route humaniste trouvent leur point culminant dans l'épisode de la léproserie de San Pablo aux abords de l'Amazonie. Le jeune Ché arrive par bateau et entrevoit des barques surpeuplées accrochées à ce dernier. Un plan ¾ en contre-plongée s'attarde sur le regard caméra du jeune homme dont la cible se trouve hors champ. Le plan suivant offre un plan large de l'intérieur de la modeste embarcation où s'entassent des indigents. L'un d'entre eux fixe la caméra et donc fixe le spectateur, l'interpelle directement du regard qui n'est pas relayé par un contre-champ sur le Ché. Le spectateur est ainsi substitué au Ché qui de fait se soustrait à la dialectique des pouvoirs et des mises en cause symbolisée par le champ / contrechamp. Le spectateur est ainsi englobé dans une subjectivité qui le dépasse, dans laquelle il est pris à parti sans pour autant connaître toutes les données immédiates de la situation. Ce fonctionnement du regard atteste du caractère manipulateur de l'ensemble du film .Le film occulte trop facilement la dialectique des pouvoirs (dominants/dominés)et enferme les personnages de la souffrance dans une fatalité de bon aloi. Cet évitement du politique semble d'ailleurs avoir été relevé par Woody Allen lui-même dans son film Match Point (2006) où le cinéaste,sous forme de citation ironique, montre des jeunes yuppies de la City à Londres se rendant au cinéma pour voir Carnets de voyage. En effet le film travaille davantage sur l'implication émotionnelle du spectateur par des stratégies tendancieuses et fédératrices sans le renseigner véritablement sur la souffrance humaine et ses causes. Les derniers plans de la séquence de la léproserie sont sur ce point significatifs. Le jeune Ché salue d'un dernier regard les malades se tenant alignés sur la rive qu'il est entrain de quitter. La caméra focalise son visage et embrasse l'ensemble des lépreux en contrechamp de manière indifférenciée. Ses derniers disparaissent peu à peu dans le brouillard du matin. Ce que le spectateur retient de la démonstration c'est l'affect dégagé par le regard du Ché et non l'objet de son regard (les hommes et les femmes de la léproserie), un affect qui installe le spectateur dans la réalisation tranquille par identification qu'il est doué, lui aussi, de compassion. Mais cette forme d' auto-satisfaction est bien vite contrariée par les plans en insert des gens rencontrés sur la route, plans dont l'esthétique rappelle, sous forme de citation, les photographies humanistes de Sébastião Salgado. Comme si le film rejetait sur le spectateur la responsabilité et la culpabilité d'oublier ou d'avoir aperçu de manière fugace les gens de peu et leur témoignage.

Susan Sontag 83(*)rappelle à ce titre la rhétorique moralisatrice dont se parent les expositions et les livres de Salgado. Elle note par ailleurs que le fait de ne pas mentionner sous forme de légende l'identité des portraits des impuissants entérine davantage leur condition d'impuissants. Elle souligne encore la position ambiguë dans laquelle on installe le spectateur de ces images:84(*)

« La proximité imaginaire qu'introduisent les images de la douleur des autres instaure entre les victimes lointaines et le spectateur privilégié, un lien faux ,qui n'est jamais qu'une mystification supplémentaire de ce que sont nos véritables rapports au pouvoir »

Dépolitisation et mystification de la figure du Che

Le déploiement des affects trouve sa résolution utopique dans l'épisode du match de foot improvisé entre les docteurs de la léproserie et leurs patients comme si le film atteignait une forme de communion et d' illusion démocratique dans le jeu, communion plus tard renforcée par le discours pan-américaniste du Ché et sa traversée hautement symbolique de la rivière séparant les lépreux des privilégiés.

Les derniers plans du film accentue la mystification voire la mythification de la figure du Ché . Le personnage d'Alberto Granado prend le relai du regard. Un gros plan fixe son visage pris de ¾ , ses yeux scrutent le ciel où l'avion du Ché trace sa route. Ce plan rappelle la fin apocope d'Avril Brisé où le regard anxieux d'un jeune homme semble annoncer un horizon d'interrogations sur l'avenir. Ici la posture magnifie l'évocation du Ché comme future figure emblématique mais dépolitisée et mythifiée. Barthes85(*) évoque le ¾ comme figure visuelle de l'idéalisation: 

« la pose de trois quarts suggère la tyrannie d'un idéal:le regard se perd noblement dans l'avenir ,il n'affronte pas, il domine et ensemence un ailleurs pudiquement indéfini. Presque tous les trois quarts sont ascensionnels , le visage est levé vers une lumière surnaturelle qui l'aspire , l'élève dans les régions d'une haute humanité, le candidat atteint à l'olympe des sentiments élevés, où toute contradiction politique est résolue »

Le générique de fin affiche des photos d'archive corroborant certaines scènes du film comme un déni ultime à l'élaboration mystificatrice de ce dernier et comme caution supplémentaire au travail d'adaptation du matériau littéraire d'origine.

CONCLUSION

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Notre approche critique de l'esthétique humaniste des films de Walter Salles a mis à jour les lignes de faille de l'oeuvre, notamment dans sa prétention à vouloir restituer le réel tout en élaborant un discours moral conservateur et une esthétique visuelle glorifiant la figure du pauvre de manière tendancieuse . Cette esthétique fait problème et révèle un certain nombre de questions quant à la valeur épistémologique du cinéma basé sur la fusion entre fiction et approche documentaire:

Est-ce que le cinéma peut traiter de la condition humaine et sociale d'un pays sans de facto prendre parti et construire en filigrane un discours politique progressiste ou conservateur sur ce dernier? Au fond, est-ce que les films ne seraient pas les portes-paroles ou les projections idéologiques d'une classe sociale donnée (celle des cinéastes et de leurs collaborateurs,celle des diffuseurs et des producteurs..) sur une autre (celle représentée dans les films )? Walter Salles se défend d'une vision politiquement dogmatique en insistant sur le caractère organique et ouvert de ses films. Ces derniers se voudraient l'expression la plus authentique de la réalité dans leur mode de production comme leur mode de fonctionnement. Selon lui, la fiction peut atteindre la vérité des choses, du moins dans sa ligne asymptotique, si elle creuse la matière du réel en ayant recours au mode épistémologique du documentaire. Sa conviction est que la prégnance du réel ainsi organisée l'emportera nécessairement sur toute rigidité intellectuelle présidant à l'élaboration du projet filmique initial. Cependant,il est légitime de mettre en question cette exigence d'objectivité, d'ouverture et de neutralité intellectuelle à la fois dans la fabrication et le résultat que constitue le film. Est-ce que le cinéma dans sa recherche formelle, esthétique peut ontologiquement être neutre ou engagé sans se pervertir dans ses fondements? A l'inverse, peut-il pervertir des interrogations, voire des dénonciations d'ordre éthique,politique, philosophique ? Nous avons pu observer à travers l'analyse de la construction du regard spectatoriel, des options esthétiques,comment les tenants idéologiques s'établissent parfois de manière souterraine jusqu'à contredire la thèse initialement défendue. Nous formulons le constat que ce retournement de sens(fictions dénonçant la condition moribonde des brésiliens par un regard finalement conservateur), a priori paradoxal,constitue une des caractéristiques, pour ne pas dire, l'ambiguïté majeure du cinéma de Walter Salles (trahison de l'esprit cinémanoviste dont il se réclame?) La méthode reste subtile,sans y prendre garde, le spectateur ne peut qu'adhérer à un cinéma qui choisit de représenter le pauvre dans la candeur de son humanité . Il nous ramène à notre vérité,celle de la survie d'un animal social. Il nous renvoie à nos angoisses les plus profondes, l'injustice, la culpabilité sociale, le sens de la vie dans la précarité,ou a contrario du consumérisme et conformisme bourgeois. Plus le tableau est sombre,plus la figure du pauvre sort grandie par les épreuves de sa survie.

Mais que dénonce-t-on au juste ?Donner un telle représentation, une telle visibilité, cela sert-il vraiment la cause des humbles? Ne serait-il pas plus juste de se concentrer sur l'autre branche de la balance ? Est-ce que les riches spectateurs brésiliens prendront conscience de leur responsabilité au point d'engager des actions concrètes et d' oeuvrer à une plus grande justice sociale, à l'éducation des masses (autrefois réservée à l'élite des notables brésiliens), à l'effectivité de leur représentation politique plutôt qu'à l'urgence de la construction d'un soi-disant moi culturel identitaire (concept cher aux élites brésiliennes résumant à lui seul l'engagement politique de ces dernières vis à vis de la classe moyenne ou pauvre)?Est-ce que le cinéma de Salles incite à l'action politique concrète ? En réalité, ses films participent avant tout de la construction d'un moi culturel identitaire susceptible de charpenter, de donner en somme une colonne vertébrale intellectuelle et une dignité morale au peuple brésilien. Il est intéressant d'observer comment les oeuvres travaillent à la construction de mythes fédérateurs centrés sur des fondamentaux d'ordre éthique. Le cinéma de Salles pourrait s'apparenter à un cinéma réaliste de propagande aux accents nationalistes fédérateurs, très loin de la dénonciation des rapports de force et des antagonismes de classe. Salles, en homme cultivé,érudit, pétri de références livresques et filmiques émaille,dans une perspective de construction identitaire, ses oeuvres de références à l'histoire du cinéma ,de caractéristiques culturelles d'autres pays dans une démarche d'appropriation pour « donner un visage » à ses concitoyens. Et il est intéressant de mesurer l'écart idéologique que prend le cinéaste dans sa référence au Cinéma Novo. Salles se distingue du parti pris révolutionnaire d'un Glauber Rocha dans sa représentation du peuple. Il justifie cette position par l'argument de l'effondrement des utopies. Les temps ont changé et l'art ne saurait rendre compte des réalités de notre époque à travers le regard des cinémanovistes. Nous concédons que l'art en effet reste l'expression de son temps. Pour autant, l'analyse politique de Salles quarante ans après Mai 68 semble induit dans sa représentation cinématographique une tendance à la dépolitisation de son sujet et à sa mystification . Salles se targue de vouloir reprendre à la lettre l'injonction de Rocha , « donner un visage au peuple », avec « une idée dans la tête , une caméra à la main ». Telle semble être la mission du cinéma au Brésil qui reste donc inchangée. Mais quel visage au juste ?Un visage touchant d'humanité, expression pure d'une noble stature dans le chaos immérité.

Chez Salles, l'homme humble trouve son salut en lui même par lui-même dans le creuset de sa recherche identitaire, dans son sens aigu de l'éthique positiviste. Nous sommes loin ici de la sauvagerie de la révolte du Canganceiro contre le propriétaire terrien exploiteur sans scrupules mise en scène dans les films de Glauber Rocha. Il reste que le cinéma novo a toujours oscillé entre l'idée d'un cinéma-témoin social susceptible de transposer dans la fiction la vérité d'une condition humaine et celle d' un cinéma de la prise conscience politique et de l'impulsion révolutionnaire car révélateur des relations de pouvoir. Le cinéma aurait donc les vertus documentaires de tendre vers la transposition la plus fidèle des données humaines d'une société donnée. C'est malgré tout sans compter le nécessaire filtrage du regard du cinéaste-documentariste-témoin et de ses idiosyncrasies, ses préoccupations intellectuelles ou affectives sur le sujet .

Quel est l'enjeu au fond? Faire vraisemblable , remporter ainsi l'adhésion sans condition du spectateur confondu par tant de vraisemblance ou récolter de manière organique, autant que faire se peut, le matériau du réel au risque de ne plus être cohérent ou trop complexe?Le spectateur n'est pas loin de tomber dans l'ornière intellectuelle induite par des films accrocheurs par leur esthétique documentaire (cinéma de l'urgence) mais au fond ne mettant en scène que la subjectivité même et les préoccupations narcissiques de leur auteur. Les films ne seraient donc que le pauvre reflet de ce que pense leur concepteur et non le reflet du réel. De même,si l'on tient compte du conditionnement et du formatage de la réception eu égards aux lois du marché, les films deviennent le reflet des attentes du spectateur et de son mode de déchiffrage du réel(codes socioculturels d'une époque). Nous voyons là un abîme sans fin de production et réception spéculaire bien loin de pouvoir prétendre à révéler le réel. En ce sens , l'humanisme revendiqué de certains films n'obéirait qu'au penchant démagogique actuel pour « un humanisme consensuel érigé en orthodoxie,synonyme de conformisme,fustigeant quiconque s'en écarte,autrement dit, un humanisme de la bonne conscience et du narcissisme de masse »86(*)

FILMOGRAPHIE WALTER SALLES

__Documentaires

1986 Japão-Uma Viagem no Tempo (4 épisodes)

Kurosawa-Pintor de Imagens

O Outro Lado do Mundo

Os Novos Criadores

Os Samourai da Economia

1987 Franz Krajcberg-O Poeta dos Vestigios

1988 Marisa Montes

1989 Chico Buarque ou le pays de la délicatesse perdue/ Pais da Delicadeza Perdida

1992 Caetano 50 anos

Joao e Antonio

1993 Tributo a Tom Jobim

1995 Socorro Nobre

1995 Jorge Amado ("Un siècle d'écrivain")

__ Courts métrages

1999 Noticia de uma guerra particular (co-direction avec João Moreira Salles)

1999 Adão ou Somos todos filhos da terra (co-direction avec João Salles et Katia Lund)

2002 Castanha e Caju Contra o Encouraçado Titanic / Uma Pequena Mesagem do Brasil (co-direction avec Daniela Thomas)

2003 Arma e Paz (co-direction avec Daniela Thomas)

2006 Loin du 16ème ( segment "Paris je t'aime")

2007 A 8944km de Cannes (segment "Chacun son cinéma")

__ Films

1991 A Grande Arte

1995 Terre Lointaine/Terra Estrangeira (co-direction avec Daniéla Thomas)

1998 PremierJour/O Primeiro Dia/ Meia Noite (Co-direction avec Daniela Thomas)

1998 Central Do Brasil

2001 Avril brisé/Abril Despedaçado

2004 Carnet de voyage/Diáros de Motocicleta

2005 Dark Water

2008 Linha de Passe (co-direction avec Daniéla Thomas)

2009 On the Road (pre-production)

___ Productions

1987 Kracjberg_O Poeta dos Vestigios

2002 La cité de dieu/ Cidade de Deus de Fernando Meirelles

2002 Madame Satã de Karim Ainouz

2004 Cidade Baixa de Sergio Machado

2005 Hermanas de Julia Solomonoff

2006 La maison de sable /Casa de Areia d'Andrucha Waddington

2006 Le ciel de Suely/ Céu de Suely de Karim Ainouz

2006 Nacido y Criado de Pablo Trapéro

2008 Leonora de Pablo Trapéro

2008 Cafe de Los Maestros de Miguel Kohan

2009 A morte e a morte de Quincas Berro d'Agua (pre-production)de Sérgio Machado

2009 The Eye of Storm (pre-production)d' Eduardo Valente

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(chapitre « la notion de style »)

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Boris Cyrulnick, De chair et d'âme, Edition Odile Jacob,2006, 257p

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TABLE DES MATIERES

Introduction p.2

1ère Partie:Dialogue avec le Cinéma Novo p.8

Une oeuvre référentielle p.8

D'un cinéma révolutionnaire engagé à un cinéma humaniste

identitaire p.9

Esthétique documentaire et construction mythique P.26

Cinéma national ou cinéma d'exportation:quel public ? P.36

La figure du pauvre, cet Autre:montrer la non-visibilité sociale

dans les films p.42

Poétique du dénuement,stylisation de la misère p.47

Leçons de vie et utopies tronquées p.50

2ème Partie: Tensions entre éthique et esthétique:

le point de vue du spectateur p.55

Cinéma et progrès moral p.55

L'implication émotionnelle du spectateur p.58

Le regard compassionnel p.62

Spécularité et fascination p.64

3ème Partie: Analyse de film: la construction du regard

dans Carnets de voyage (2004) p.66

Carnets de voyage :spectacle de l'injustice et regard compassionnel p.66

Dépolitisation et mystification de la figure du Ché p.72

Conclusion p.73

Filmographie p.79

Bibliographie p.81

* 1 Roland Barthes, Mythologies, Editions du Seuil, p161-164

* 2 Carlos Heli de Almeida, Walter Salles ,uma entrevista, Santa Maria de Feira Camara Municipal,p.25

* 3 Sylvie Debs, "Un entretien avec Walter Salles",Arcalt n°7, p97

* 4 Walter Salles, "Un-Pollute Your Vision", Berlinale Talent Campus ,19 mai 2005

* 5 "A Conversation with Walter Salles", Center For Latin American Studies, University of California,Berkeley, 4 mars 2005

* 6 Ismael Xavier, "Mouvements tactiques pour un temps sans stratégies", Arcalt n°7, p113

* 7 Walter Salles ,"Cinema Novo and beyond", Review Nexo, University of Minnesota, vol.6,issue4,oct1, 2004

* 8 Sylvie Debs,op.cit,p.92

* 9 Redford fut producteur de Carnet de voyage de Sundance et Ford Coppola est le producteur de la prochaine adaptation cinématographique de l'oeuvre de Jack Kérouac, On the Road par W. Salles.

Cf. Peter Muello,"Brazil movie industry dependent on U.S",Associated Press Financial Wire, 6 oct.2006

* 10 Michel Estève, Le cinéma novo brésilien, Etudes Cinématographiques n°93-96,Lettres Modernes Minard, p.43

* 11 Michel Estève, Le cinéma novo brésilien 2; Glauber Rocha, Etudes cinématographiques Lettres Moderne Minard,1976 p.

* 12 Ibid,p7

* 13 Ibid,p 14

* 14 Ibid,p51

* 15 Ibid, p.45

* 16 Franck Curot,Cinéma novo 1, Op.Cit. p94

* 17 Stephan Jungk, « An Interview with Walter Salles » dans John Boorman, Projections12:Filmmakers on Film Schools, London,Faber and Faber,2002 p233-263

* 18 Notons que la société de production de Salles, Videofilmes, conserve le patrimoine filmique de Mario Peixoto, cinéaste des années 20-30 et notamment une copie restaurée de Limite.

* 19 Interview, supplément du DVD "Carnet de Voyage"

* 20 Sylvie Debs,op.cit.p 92

* 21 Sylvie Debs,Ibid,p 94

* 22 The Observer, Juillet 2000

* 23 Sylvie Debs, La projection d'une identité nationale:littérature et cinéma au brésil (1902-1998), le cas du Nordeste,Paris, L'harmattan,2004 p 224

* 24 Michel Faure,"Walter Salles:le brésil,c'est le mythe de Sisyphe permanent", L'express, 10 fév. 2004

* 25 Walter Salles,"Cinema is about the possibility of collective exchange "Berlinale Talent Campus, 11fév.2007

* 26 Jacques Rancière, Malaise dans l'esthétique, Galilée, 2004 p,57-58

* 27 Michel Ciment, Petite planète cinématographique, Stock,2003 p. 465

* 28 Lúcia Nagib, The New Brazilian Cinema, I. Tauris, 2003

* 29 Sylvie Debs,op.cit.p93

* 30 Clarissa Beretz,  « An interview with Katia Lund » News from Brazil mars2003

* 31 Lúcia Nagib,"The Zero, the Center and the Empty Utopia_from Rossellini to Walter Salles"p.227

* 32 François Niney, L'Epreuve du Réel à l'écran ,Edition De Boeck, 2004 p.101

* 33 Susanna,Helke, «  Reality Replayed: Documentary filmmaking and documentary value »

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* 34 Stéphane Breton, Télérama, n°2958,20 sept.2006

* 35 Suzanna Helke,Ibid,

* 36 Bill Nichols, Blurred Boundaries: Questions of Meaning in Contemporary Culture ,Indiana Press University, Bloomington ,1994 p.244

* 37 François Niney, L'épreuve du réel à l'écran, Editions De Boeck, 2002 p.315

* 38 Frank Curot, Styles Filmiques:2.Les Réalismes, Etudes cinématographiques, Lettres Modernes Minard, p.151-168

* 39 Walter Salles,« A conversation with Walter Salles »,March4,2005,Center for Latin American Studies,University of Berkeley California

* 40 Christian Salmon, Storytelling, Editions La découverte, 2007 p 84

* 41 Ibid,p40

* 42 R. Barthes, Mythologies,Paris, Seuil,  « Points essais »n°10,1957,p217

* 43 Roland Barthes, ibid. p 29

* 44 Lucia Nagib, « Going global:the brazilian scripted film » in Sylvia Harvey, Trading Culture:Global traffic and Local Cultures in Film and Television, John Libbey Publishing,2006 p95-103

* 45 Dans Michel Estève, Cinéma et Condition humaine, Paris : Albatros , 1978

* 46 Walter Salles,  « Cinema Novo and beyond »,Review Nexo, University of Minnesota, vol.6, issue4,2004oct

* 47 Susan Hayward,French national cinema, London, Routlege, 1996, p14-15

* 48 Jean-Yves Mollier et alii,Les lectures du peuple en Europe et dans les Amériques du 17ème siècle au 20 ème siècle,p179-180

* 49 E.P.Reis, « Percepções da elita sobre pobreza e desigualdade »,Revista brasileira de ciências sociais,2000,vol.15 n°42,p143-152

* 50 Debora Miranda, « A recôrrência do cinema brasileiro em retratar a pobreza »

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* 51 Ibid.

* 52 Jean Ziegler, L'empire de la honte, Edition Fayard,2005,p225

* 53 Christian Salmon,  « récit de la misère, misère du récit », le Monde,22 Févr.2008

* 54 Arlette Farge et alii,Sans visages,l'impossible regard sur le pauvre,Editions Bayard,2004

* 55 Patricia Osganian,  « Entretien avec Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval »,Revue Cairn n°27-28 mars 2003

* 56 José Carlos Avellar,  «Walter Salles,cinéaste et producteur »,Cinéma d'Amérique latine,

n°13,2005,p45

* 57 Ibid, p.49

* 58 Didi Huberman, « Toute relation aux images se donne comme prise de position » Philosophie magazine, n°22,Septembre 2008,p.58-63

* 59 Paul Ricoeur,Histoire et vérité, Paris, Seuil,1955,p.297

* 60 Lúcia Nagib,The New Brazilian Cinema, I. Tauris, 2003

* 61 Michel Maffesoli, « Utopies interstitielles:du politique au domestique »,Revue Diogène n°206 Avril-Juin 2004, p 34-35

* 62 Muniz Sodré, « Pour un humanisme sensible :l'émergence politique de l'affectif » Revue Diogène

n°206, p 89-98

* 63 Christian Salmon,op.cit.,p 41

* 64 Boris Cyrulnik,De chair et d'âme, Edition Odile Jacob,oct 2006,p 186

* 65 Christian Salmon, ibid,p.30

* 66 G.Steiner, Dans le château de Barbe-Bleue,p.98-99

* 67 G.Simmel,La tragédie de la culture, Paris,Rivages poche,1988

* 68 Article internet « Director W.Salles talks about Dark Water »: « Je préfère les films où ce que vous ressentez est plus important que ce que vous entendez ou ce que vous voyez, où les choses ne sont pas sur-expliquées , où les questions sont laissées en suspens »

* 69 Jean-Pierre Cometti et alii, « Emotion, fiction, cinéma », Revue francophone d'esthétique, Juillet-Décembre 2004, p29

* 70 Ibid,p.46

* 71 Noël Carrol, Passionate Views, p.22-25

* 72 Noël Carroll,ibid, p33-34

* 73 Marc Jimenez,Qu'est-ce que l'esthétique ?, Gallimard,Folio essais,1997,p245-248.

* 74 Susan Sontag, Devant la douleur des autres, Christian Bourgeois Editeur, 2002

* 75 Myriam Revault d'Allonnes, L'homme compassionnel, Editions du Seuil,2008

* 76 Revault,Ibid.,p82

* 77 Revault,Ibid,p56-57

* 78 Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux, Editions du Seuil,p225

* 79 Barthes , Ibid;., p226

* 80 Ernesto Che Guevara,Voyage à motocyclette, Editions Mille et une Nuits, p179

* 81 André Gardies,Décrire à l'écran,Méridien Klincksieck(1999),190p

* 82 Olivier Pourriol ,  « Filmer la révolte »,Trois Couleurs, MK2 n°61 Avril 2008

* 83 Susan Sontag ,Op.Cit,p86

* 84 Ibid,p110

* 85 Roland Barthes, Mythologies,Op.cit.p.152

* 86 Pierre Magnard, « Actualité de l'humanisme »,acte du colloque de l'académie européenne interdisciplinaire des sciences Nice-Côte d'azur,PUF,Juin 2003,p.55






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