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L'esthétique humaniste des films de Walter Salles

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par Sylvia POUCHERET
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Esthétique et études culturelles 2007
  

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Cinéma national ou cinéma d'exportation :quel public ?

La question de la réception des films devient incontournable si l'on tient à mesurer l'écart idéologique entre le dispositif filmique dans ses postulats de départ (cinéma humaniste et progressiste) et sa réception nationale et internationale.

Ces fictions, bien qu ' ancrées dans des problématiques brésiliennes ou sud-américaines, s'efforcent d'atteindre une dimension universelle et c'est sans doute pour cette raison qu'elles parviennent, tout en recherchant la « brésilianité , à toucher en définitive un public étranger. Dès lors une autre ambiguïté dans la démarche du cinéaste apparaît: si Salles veut changer le regard et les mentalités de ses concitoyens, les amener à davantage d'estime d' eux- même et de solidarité à travers la construction identitaire, atteint-il le public concerné ? En réalité, comme le montre le critique Jean-Claude Bernardet45(*), spécialiste du cinéma brésilien, ce cinéma n'atteint qu'un public restreint de brésiliens lettrés et cultivés ayant quelques connaissances d'histoire du cinéma et résolument tourné vers les cinématographies étrangères comme le cinéma américain . D'autre part, comment le peuple peut-il s'approprier le message humaniste quand les conditions économiques et sociales chaotiques de son existence ne lui garantissent pas la sécurité nécessaire pour de telles préoccupations ? L'éducation des âmes ne peut se faire que si le ventre est plein, c'est ce qu' avait compris Glauber Rocha dans son manifeste pour une « esthétique de la faim ». Faut-il voir dans l'esthétique humaniste de Salles l'aveu d'une imposture cinématographique dans la mesure où les films seraient formatés selon des critères immédiatement plus fédérateurs sous toutes les latitudes? Ses films sont-ils condamnés à respecter un canon esthétique susceptible de plaire avant tout à un public étranger ? Doit-on parler ici,comme certains le soutiennent, d'un cinéma national d'exportation ? Les réalisateurs du Cinéma Novo s' étaient déjà heurtés à cette question épineuse de la réception de leurs oeuvres et avaient constaté la désaffection du peuple face à une esthétique révolutionnaire difficile d'accès, qualifiée d'« esthétique de la violence » par Glauber Rocha .

En réalité, Salles semble vouloir prioritairement toucher un public international, comme en atteste sa présence assidue dans les festivals étrangers et ses interviews récents sur l'importance de l'image donnée au brésil dans les films, principaux vecteurs de la visibilité nationale, comme la Cité de Dieu( Cidade de Deus, 2002) ou Tropa de elite (2008) qui selon lui n'informent pas sur les conditions de vie réelles de la majorité des brésiliens, pour la plupart honnêtes et travailleurs , en proie au désespoir d'un quotidien ou d'un devenir médiocre. Il s'agit donc de renseigner le monde sur l'état actuel du brésil dans des proportions plus ou moins avantageuses, mais dans quel but ? Celui sans doute de conforter ses concitoyens dans l'assurance de leur valeur et de leur devenir face à la globalisation culturelle et cinématographique ? Il est vrai que l'image de marque d'un pays peut constituer une forme de pouvoir et de positionnement culturel et économique non négligeable face aux autres nations. Glauber Rocha insistait quant à lui sur la nécessité d'un cinéma brésilien dégagé de toute influence esthétique hollywoodienne ou européenne pour assoir la présence et la force identitaire du brésil face aux anciens colonisateurs. Même si Salles reprend constamment dans ses choix stylistiques les canons du néoréalisme italien (davantage propice à l'exploration d'une peinture essentialiste de l'homme sous forme de leçon de vie ou de fable morale) pour sa linéarité classique de la forme narrative susceptible de toucher un plus large public, il s'affirme avant tout comme l'initiateur, avec quelques autres, de la renaissance du cinéma brésilien des années 90 (Retomada) et le principal instigateur d'une présence accrue du cinéma sud-américain dans les festivals internationaux actuels.

Ainsi les tensions du projet cinématographique de Salles par rapport à la réception des films se retrouvent également dans la production cinématographique de jeunes cinéastes brésiliens comme Marcos Berstein ( De l'autre côté de la rue, O Outro lado da rua,2004) ou Andrucha Waddington (La maison de sable, A casa de areia,2006) Ces derniers travaillent également sur la question identitaire avec une esthétique particulièrement soignée, empreinte de valeurs humanistes et d'interrogations éthiques comme chez Salles. Ces cinéastes, tout comme Salles, revendiquent leur attachement à une esthétique réaliste issue du documentaire permettant selon eux d'explorer avec davantage d'acuité et de vérité la condition existentielle de leur concitoyens. Ils reprennent en ce sens à leur compte le désir des cinémanovistes de « donner un visage » 46(*)au brésil sur la scène internationale et dans la conscience de chaque brésilien. Toutefois cette approche réaliste du sujet vient toujours cautionner une vision plus allégorique et métaphorique en filigrane induite par le cadrage , les choix narratifs, etc. Cette interaction entre esthétique réaliste et élaboration mythopoiétique participe en vérité d'une véritable stratégie de séduction du spectateur international pour remporter son adhésion émotionnelle et intellectuelle notamment. Cette tendance amorcée dans les années 90 semble se pérenniser, peut-être en raison de l'aura de Salles et de ce qu'il représente pour la nouvelle génération de cinéastes brésiliens trentenaires qui ont tous à moment donné travaillé sur l'un de ses films en tant qu'assistant de réalisation ou scénariste. Mais aussi, nous semble-t-il en raison de la propension des élites culturelles et intellectuelles du brésil à baser leur analyse des dysfonctionnement sociaux-économiques et politiques du pays sur des considérations morales et identitaires. Susan Hayward47(*)en ce sens pense que le cinéma national , loin d' être un simple reflet de l'histoire, nous renseigne davantage sur le positionnement idéologique de ceux qui font les films ou sur une reconstruction des idéologies nationales. En ce qui concerne le cinéma brésilien, il est intéressant de considérer les travaux de certains historiens et sociologues concernant les élites au brésil, leur perception des problèmes de pauvreté, de précarité et des solutions pour y remédier. L'étude de Daniel Pécaut sur les intellectuels au brésil et leur rapport avec la nation montre que leur sens du politique et leur implication dans ce domaine a essentiellement avoir avec l'élaboration culturelle. Depuis la fin du 19ème siècle, les élites de la société brésilienne basée sur les privilèges (concentration du pouvoir, accès exclusif à l'éducation, paternalisme éducatif envers le peuple48(*)) conçoivent leur rôle comme étant celui de guide de la nation dans la définition de son identité culturelle (histoire, littérature).D'autres études sociologiques49(*) mettent en avant le fait que si les élites brésiliennes montrent une grande sensibilité envers les questions de pauvreté et d'inégalité, elles ne se sentent pas pour autant responsables de ce problème national qui constitue, selon elles, une véritable menace contre la démocratie (menace de la violence endémique contre l'ordre et la sécurité).Ces dernières transfèrent clairement la responsabilité sur l'Etat et sa planification inefficace de l'action politique. Il existe donc un consensus dans le positionnement des élites par rapport au chaos social brésilien selon lequel l'Etat doit être le seul responsable du combat social contre la pauvreté. Les films de Salles sont tout aussi oublieux du rôle de ces élites dans la société qu'il dépeint. A l'exception de Carnets de voyage (2004)

où l'élite argentine est clairement mise à l'index en raison de sa préférence pour la culture européenne et son désir de l'imiter, les autres films évacuent totalement la figure du riche cultivé et de son interaction avec le peuple. Le problème est en réalité évoqué de manière frontale par le cinéaste en contexte étranger dans son court métrage Loin du 16ème(2006). Le film évoque l'inégalité et l'injustice sociale à Paris vécue par une jeune émigrée d' Amérique latine travaillant comme baby-sitter dans une famille aisée du 16 ème arrondissement. L'épisode évoque toute l' absurdité de sa situation d'exploitée et l' indécence morale de ses patrons. Le problème de l'exploitation des pauvres est certes abordé dans Carnet de voyage(2004) (notamment dans l'épisode de la mine au Chili) mais de manière plus anecdotique, et là encore en dehors du territoire brésilien; tout se passe comme si le cinéaste et ses collaborateurs avaient peine à adresser le problème en contexte brésilien. Linha de Passe (2007) tente toutefois de réparer cette lacune en contant l'histoire d'une famille pauvre de quatre frères sans père dans la banlieue de São Paulo. La mère des garçons ,Cleuza fait des ménages chez sa patronne une psychanalyste des beaux quartiers. Malgré tout, Salles avoue dans un interview50(*)que le projet initial consistait en deux films , l'un focalisant sur les personnages vivant dans la banlieue de São Paulo, l'autre sur des personnages issus de classes favorisées comme contrepoint du premier. Mais ce deuxième volet fera prochainement l'objet d'un autre tournage laissé à la responsabilité de la collaboratrice Daniela Thomas, en raison du tournage concomittant de l'adaptation On the Road .

Si Salles avoue sa préférence pour filmer ce qu'il connaît le moins (la vie des pauvres brésiliens)51(*) il souligne en revanche la difficulté de dépeindre les riches, leurs valeurs, comportements , idéologie face au déséquilibre social et celle de dénoncer des coupables car il constate que l'heure n'est déjà plus à la condamnation des années de dictature qui ont terrassé le peuple brésilien et empêché la production cinématographique. La Retomada ou renaissance du cinéma ne se pose plus comme dénonciation et revanche prise sur ses années de désespoir. Elle doit désormais rendre compte des problèmes sociaux en des temps de démocratie, sous un gouvernement luttant contre la pauvreté et la faim, dont l'action politique se trouve largement mise en difficulté par des puissances financières et industrielles sans scrupules.52(*)

* 45 Dans Michel Estève, Cinéma et Condition humaine, Paris : Albatros , 1978

* 46 Walter Salles,  « Cinema Novo and beyond »,Review Nexo, University of Minnesota, vol.6, issue4,2004oct

* 47 Susan Hayward,French national cinema, London, Routlege, 1996, p14-15

* 48 Jean-Yves Mollier et alii,Les lectures du peuple en Europe et dans les Amériques du 17ème siècle au 20 ème siècle,p179-180

* 49 E.P.Reis, « Percepções da elita sobre pobreza e desigualdade »,Revista brasileira de ciências sociais,2000,vol.15 n°42,p143-152

* 50 Debora Miranda, « A recôrrência do cinema brasileiro em retratar a pobreza »

http.//g1.globo.com/Noticias/Cinema, 29 mars 08

* 51 Ibid.

* 52 Jean Ziegler, L'empire de la honte, Edition Fayard,2005,p225

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon