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Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à  Lyon en 1817

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par Nicolas Boisson
Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008
  

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Analyse des usages de la violence et de la Justice en 1817

« Dans de nombreux rituels, le sacrifice se présente de deux façons opposées, tantôt, comme « une chose très sainte » dont on ne saurait s'abstenir sans négligence grave, tantôt au contraire comme une espèce de crime qu'on ne saurait commettre sans s'exposer à des risques également très graves. »

René Girard, La violence et le sacré (1998)

III- La violence des conjurés et des forces de la répression

L'ambition de ce dernier thème, plus court, sera d'amorcer une réflexion sur les usages faits de la violence et de la Justice en cette année 1817. Nous développerons pour cela trois points. Un premier temps sera accordé à une réflexion sur le sens politique et pratique du secret régulant l'activité politique clandestine qu'est une conspiration, avec notamment une approche de ses rites. Le second temps sera consacré à une analyse des fondements et des formes de la répression policière et judiciaire. Enfin, le dernier temps sera constitué d'une piste de réflexion personnelle sur le complot comme forme de violence émancipatrice.

III-1 La conspiration : une entreprise secrète et « sacralisée »

Nous avons donné lors de l'introduction, des éléments de définition de l'activité politique, au sens large de réunion d'individus dans un but précis, associée aux termes : conspiration, conjuration et complot. La conspiration apparaît, surtout au XIXème siècle chez les Carbonari en Italie et les Charbonniers en France, comme une activité hautement « sacralisée », ritualisée, faisant de celle-ci un espace de contraintes fortes et durables pesant sur ses membres. Commençons par évoquer les aspects anthropologiques de la conspiration avec la question des rites s'imposant à ses initiés, de l'entrée dans son secret jusqu'à peut-être même leurs morts, puis illustrons cette mise en scène du secret par le récit de ses codes de la part de conjurés de l'affaire du 8 juin 1817.

III-1.1 Les rites de passage : le serment du couteau, la loi du silence et le sort des traîtres.

René Girard, dont j'ai choisi pour introduire ce dernier thème, un court passage de son célèbre ouvrage La violence et le sacré, insiste grandement sur la dimension « sacrificielle » de l'activité sociale parallèle. Le sacrifice, écrit-il, se présente : « de deux façons opposées, tantôt, comme « une chose très sainte » dont on ne saurait s'abstenir sans négligence grave, tantôt au contraire comme une espèce de crime qu'on ne saurait commettre sans s'exposer à des risques également très graves. »284(*). Deux aspects essentiels de toute tentative de théorisation de la conspiration ressortent de ce propos. D'une part, la conspiration requiert des sacrifices desquels ses membres ne peuvent s'exempter, sacrifices légitimés par le caractère mythique de l'entreprise politique clandestine285(*) qui s'inscrit toujours dans sa propre histoire et qui enferment donc les initiés dans un espace de contraintes. D'autre part, les conjurés en attestant de leur nouveau statut par ces sacrifices placent dés cette initiation et de manière irrémédiable, leurs existences individuelles dans un espace de risques, risques de sanction au sein de la conspiration et dans le reste du corps social.

Cette entrée dans un espace de contraintes internes au complot et cette conscience quasi-obsédante pour le conspirateur de la permanence de risques pesant sur sa vie soudent les membres de la conspiration et de facto doivent faciliter sa réussite. Le complot apparaît dés lors pour l'observateur, conséquences directes de ses mécaniques internes, « opaque, obsédant, omniprésent et introuvable » selon les mots de Bernard Gainot et Pierre Serna286(*).

Cette opacité de la structure politique clandestine, volontairement organisée selon une stricte logique du secret et de l'ombre, vise à rendre sa compréhension accessible qu'aux seuls initiés, et encore dans les limites de leurs fonctions attribuées. La garantie de cette opacité et surtout de l'absence de toute connaissance du projet secret par le corps social étranger au complot, repose sur tout un appareil de rites et de codes ordonnant la discipline au sein des conjurés, s'accompagnant fréquemment aussi de la menace en cas de non-respect des lois de l'entreprise secrète. Pierre-Arnaud Lambert, l'un des principaux spécialistes de la pratique du secret en politique et notamment de celle-ci au sein de la Charbonnerie française, nous rappelle le protocole des rites et des codes de cette dernière287(*). Son analyse porte sur la Charbonnerie française, mais on verra que les mécanismes décrits se retrouvent au sein des conspirations militaires bonapartistes comme celle de juin 1817, car la Charbonnerie qui frappera en France en 1820-1823 est héritière des pratiques secrètes du complot bonapartiste, jusque parfois même dans son personnel politique.

Pierre-Arnaud Lambert confirme dés le début de son article les deux exigences de la structure clandestine que nous venons de rappelées : « Une société secrète est une forme de sociabilité marginale, un groupe social particulier coupé de la société globale (ou « profane ») par le secret et généralement construite sur un corps de règles strictes qui mettent l'accent pour l'individu agrégé sur deux exigences particulièrement importantes, le respect du secret absolu vis-à-vis de l'extérieur d'une part et le respect de la règle intérieure d'autre part. »288(*).

La première exigence de respect absolu du secret vis-à-vis de l'extérieur s'explique naturellement par le fait que l'indiscrétion d'un seul des membres de l'entreprise, volontaire ou non, ou pire encore la trahison, délit encore plus grave plus une société secrète conspirative, suffisent à mettre en péril l'existence même du groupe tout entier.

La seconde exigence de respect de la règle intérieure correspond à la nécessité de préserver la cohésion de la structure clandestine. Pierre-Arnaud Lambert évoque ainsi l'existence au sein de la Charbonnerie française d'un véritable code juridique de peines associées à chaque délit de manquement au secret289(*).

Dans les structures politiques clandestines, l'exigence est le respect du secret absolu. Car il pèse déjà fortement le poids de la surveillance policière, très lourde et bien organisée sous la Restauration comme nous avons pu le réaliser, et dés lors la moindre indiscrétion peut compromettre toute l'entreprise. Ainsi, est prévue une procédure « judicaire » dans la Charbonnerie, visant à sanctionner le manquement à la règle du secret. Bien que le mot «procès » ne soit jamais employé dans les textes organisant la Charbonnerie française, Pierre-Arnaud Lambert nous apprend l'existence de la procédure du « jugement ». Ces jugements étaient organisés selon des échelles différentes par les Ventes de la société secrète, organes dirigeants de la structure. Pierre-Arnaud Lambert a retrouvé nombre de documents relatant de manière précise, les procédures de jugement au sein de la Charbonnerie française290(*).

Il note : « Le procès secret était donc bien imaginé par les fondateurs de la Charbonnerie, les rédacteurs des premiers documents. Ce procès, selon toute vraisemblance, a dû rester virtuel. Car l'enjeu des règlements dans leur ensemble, outre d'architecturer la société, est d'abord d'en protéger le secret »291(*). Un outil de régulation traditionnel au sein de la Charbonnerie, nous apprend toujours Pierre-Arnaud Lambert, était la délation. Ceci nous amène à la nature de la peine, prévue en cas de manquement au secret. Pierre-Arnaud Lambert précise : « En fait, dans ces premiers règlements, l'application de la peine, dont la gravité dépend de la faute elle-même, s'accompagne d'une mise hors secret progressive du fauteur par la vente. »292(*). Nous avons pu voir dans le cas de notre conspiration du 8 juin 1817 que la peine pouvait aller jusqu'à l'élimination physique du traître. Cela nous amène à évoquer le rite d'initiation au complot le plus répandu parmi les divers groupes clandestins au XIXème siècle.

L'entrée dans la conspiration et donc dans son secret passe par le serment. Pierre-Arnaud Lambert cite dans son article l'un des serments de la Charbonnerie italienne (La Carbonaria) : « Je jure d'être fidèle au serment que je prête, et de ne jamais changer d'idée, encore que l'on voulut me faire souffrir les plus grands supplices. (...) Et si jamais je deviens parjure à tous les serments que je prête, je veux être massacré et brûlé, et mes cendres jetées au vent comme tous ceux qui ont déjà subi le même sort. »293(*). L'initié au secret de la conspiration prêtait généralement serment « sur le poignard »294(*), comme c'était le cas chez les Carbonari et apparemment dans la conspiration du 8 juin 1817. Ce type de serment sur une arme implique la participation complète, corps et âme, du conjuré à l'ensemble de l'aventure secrète du complot. Pierre-Arnaud Lambert évoque ainsi à juste titre une dramatisation du rapport social au sein des sociétés secrètes et des conspirations295(*). Enfin, nous retiendrons le caractère contraignant du serment, signant l'engagement sans appel du conjuré à travailler sans relâche pour l'entreprise secrète, et à respecter l'intégralité de ses règles. Pierre-Arnaud Lambert note : « Le serment en particulier a pour fonction de dire l'appartenance irréversible de celui qui le prononce au groupe. »296(*). Venons-en au récit de certains de ces rites comme celui du serment sur le poignard, par des conjurés du complot du 8 juin 1817.

* 284 René Girard, La violence et le sacré, réédition Hachette Littératures, collection Pluriel, 1998, 486 pages, p.9.

* 285 Voir sur le mythe de la conspiration et ses représentations idéologiques, Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, op.cit, chapitre 1 : La Conspiration, p.25 à 62.

* 286 Bernard Gainot/Pierre Serna, « Présentation » de l'ouvrage Secret et République 1795-1840 sous leur direction, op.cit, p.10.

* 287 Voir Pierre-Arnaud Lambert, « Secret, faute et trahison. Le jugement dans la société secrète : l'exemple de la Charbonnerie française. », in Bernard Gainot/Pierre Serna, op.cit, p.145 à 159.

* 288 Pierre-Arnaud Lambert, « Secret, faute et trahison... », op.cit, p.145.

* 289 Voir Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.145, 146.

* 290 Voir Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.151, 152 et 153.

* 291 Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.152.

* 292 Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.154.

* 293 Un serment de la Charbonnerie italienne, cité par Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.156.

* 294 Le lecteur pourra apprécier une gravure décrivant un serment sur le poignard en présence de conjurés, document 7 en annexe. Je ne peux en préciser l'origine, l'ayant découvert lors de recherches précédentes il y a plusieurs années...

* 295 Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.157.

* 296 Pierre-Arnaud Lambert, op.cit, p.158, « dire » est en gras dans le texte.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault