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Leibniz et la physique quantique

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par Mathieu Néhémie
Université de Clermont-Ferrand - Master 1 de Philosophie 2006
  

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2.3.3. La critique épistémologique

La victoire du positivisme

L'inéluctable présence dans la théorie quantique des notions d'observation et d'observateur, et donc la nécessité de préciser dans toute description scientifique d'un phénomène les conditions expérimentales de son apparition, peut dans une large mesure être vue comme une victoire d'un point de vue positiviste dans la physique moderne. En effet, dans sa formulation conventionnelle, la mécanique quantique, en raison notamment de la contrafactualité et de la contextualité, ne peut fournir un discours portant sur des objets existant en eux-mêmes. Seuls des dispositifs expérimentaux précisant à chaque fois les procédés d'émission et de mesure employés peuvent être décrits par des vecteurs d'état et donc être susceptibles de fournir des prédictions. De même ces prédictions ne peuvent être exprimées qu'en termes de mesures futures, jamais comme portant sur des états de fait indépendants de tout observateur.

Il est intéressant de remarquer que ce ne sont pas les modalités d'assertabilité qui n'ont pu aller plus loin que le cadre opératoire de l'expérimentation, mais, bien plutôt, est-ce la volonté théorique et réaliste qui caractérisait l'essentiel des pères fondateurs de la physique quantique qui s'est trouvée en échec face à ces nouvelles données expérimentales. Cette victoire que l'on peut attribuer à l'opérationalisme tient donc au fait que les grilles de lecture théoriques avec lesquelles les physiciens ont tenté d'extraire spontanément les phénomènes quantiques des conditions de leur apparition se sont montrées inappropriées. L'aspect bien trop original de cette nouvelle classe de phénomènes a conduit les scientifiques à contrevenir à un point de méthode essentiel dans toute construction théorique. Ainsi, en reprenant de nouveau l'analyse de Bitbol, faut-il en général isoler des invariants, pouvant être reproduits et réidentifiés, comme condition d'une objectivation suffisante pour établir la nature des objets étudiés. C'est donc parce que le concept de corps matériel est utilisé sans que les conditions nécessaires au degré d'objectivité qu'il sous-entend ne soient réunies qu'il se montre inapproprié pour décrire le monde quantique convenablement. Schrödinger avait bien constaté ce point lorsqu'il décida d'abandonner le concept de particule, quoique sa vision ondulatoire ait également montré le même genre de limites.

On est, dés lors, en droit de penser que si la totale efficacité expérimentale d'un usage purement opératoire de la mécanique quantique provoque nombre d'incohérences dans le cadre de la conception corpusculaire qui est toujours celle de la majorité des physiciens quantiques, c'est parce que cette conception est tout simplement inappropriée. Si l'on peut donc accorder une certaine victoire à l'opérationalisme dans la mesure où seule dans ce strict cadre la mécanique quantique se montre pleinement cohérente, cela n'est pas exempt de possibles conclusions d'ordre ontologique. Le fait qu'une conception corpusculaire, pourtant d'une efficacité rarement égalée avec la mécanique classique, se montre inappropriée à une échelle microscopique est une information d'une portée et d'une profondeur difficilement contestable pour quiconque s'intéresserait à la structure fondamentale du réel. La négation du modèle corpusculaire a un pendant positif en limitant d'une manière ou d'une autre le type de construction théorique envisageable pour rendre compte du monde.

Enfin, s'il est indéniable qu'une attitude positiviste est celle qui résiste le mieux aux grandes problématiques sur lesquelles butent les différents modèles théoriques construits pour rendre compte de la mécanique quantique, cela tient peut-être au fait qu'une telle démarche est tout simplement beaucoup moins exigeante quant aux objectifs de la science. Ce n'est pas en déclarant forfait sur des questions d'ordre ontologique qu'on les résout, et encore moins que l'on prouve qu'elles sont insolubles.

Réalité empirique et réalité indépendante

Malgré le nombre et la variété des tentatives de théories à visée ontologique qui ont pu être proposées, du type de celles à variables supplémentaires ou d'autres sensiblement similaires, aucune ne s'est montrée décisive et on est alors tenté d'en conclure qu'il est impossible de construire la théorie décrivant le réel tel qu'il est indépendamment de nous. Pourtant, nombreuses sont les théories de ce genre qui présentent une description cohérente de ce réel. Pour éclairer ce point nous allons reprendre une vieille distinction que l'on pourrait établir sous la forme du réel et du sensible, qui a connu ses lettres de noblesse dans la dualité kantienne des phénomènes et des noumènes, mais dont nous emploierons les formulations, empruntées à d'Espagnat, de réalité empirique et réalité indépendante. Ces deux derniers termes ont le mérite de pouvoir tout deux et sans ambiguïté être qualifiés d'objectifs car d'Espagnat distingue deux types d'objectivité, l'une faible et l'autre forte. Un énoncé est dit objectivement faible s'il reste vrai pour n'importe qui indépendamment des particularités individuelles. Il est objectivement fort s'il décrit le réel tel qu'il est indépendamment de tout paramètre humain. Le premier type d'objectivité est le critère de la réalité empirique tandis que le second est celui de la réalité indépendante. Il est à noter que l'objectivité faible se distingue de la pure est simple subjectivité dans ce sens qu'elle porte sur ce qui des phénomènes est commun à toute subjectivité et doit donc nous permettre de trouver le type d'invariants nécessaire, selon Bitbol, à une rigoureuse objectivation.

Au terme de l'analyse qu'il fournit de la physique quantique en tant que physicien mais aussi comme épistémologue, à partir notamment de plusieurs arguments que nous avons déjà évoqués, d'Espagnat refuse au discours scientifique toute prétention à accéder à l'objectivité forte et donc à porter sur la réalité indépendante. L'ultime raison qu'il invoque tient au fait qu'une théorie visant à décrire la réalité indépendante à l'échelle quantique devrait en toute rigueur se mettre en accord avec la théorie de la Relativité. Nous avons déjà vu que cela est envisageable malgré de lourdes difficultés. Cependant la Relativité telle qu'énoncée par Einstein est à objectivité faible car elle fait d'explicites et capitales références aux points de vue des observateurs. Pour proposer une théorie quantique relativiste à objectivité forte il faut donc modifier la théorie de la Relativité pour qu'elle soit elle aussi à objectivité forte. Cela est possible mais nécessite que l'interdiction faite à la transmission de signaux à une vitesse plus rapide que la lumière se transforme en l'interdiction de toute influence plus rapide que la lumière. Comme nous avons vu que les inégalités de Bell impliquent que toute tentative de description du réel tel qu'il est à l'échelle quantique, donc à objectivité forte, doit admettre une non-localité en désaccord avec l'interdiction que nous venons d'évoquer, on peut alors en conclure que toute tentative de construction d'une théorie quantique relativiste à objectivité forte est vouée à l'échec. En d'autres termes cela peut être vu simplement comme l'échec du critère de réalité tel qu'énoncé dans l'article EPR.

Dans cette optique, la physique porte uniquement sur la réalité empirique et la mécanique quantique conventionnelle peut être considérée comme une description appropriée de cette réalité à l'échelle microscopique. A cette condition la physique peut garder, pour parler du monde quantique, un langage qui ne soit pas exclusivement opératoire si le caractère empirique de la réalité décrite est précisé en avant-propos. La réalité indépendante est quand à elle jugée inaccessible, ce qui amène d'Espagnat à la qualifier de réel voilé. Cette formulation est toutefois une manière de mitiger son discours dans le sens où il admet que le contenu de la physique quantique nous donne des indications structurelles mais très parcellaires sur cette réalité indépendante. C'est pourquoi il admet qu'une théorie à visée ontologique puisse éventuellement décrire la réalité indépendante dans une certaine mesure, bien que cela reste purement spéculatif puisque nous n'avons aucun moyen de comparer les affirmations de la théorie en question avec une quelconque connaissance de la réalité indépendante. D'Espagnat a parfaitement conscience que la restriction qu'il pose n'a rien de nouveau et que nombre de philosophes l'ont maintes fois répétée, son propos est davantage de montrer que la physique quantique apporte, selon lui, la preuve tant attendue de cette impossibilité de toute théorie ontologique à objectivité forte.

Cependant, l'idéalisme le plus radical est alors en droit de demander pourquoi doit-on admettre une telle réalité indépendante étant donné que notre connaissance ne porte que sur la réalité empirique. Autrement dit pourquoi ne pas considérer ce type de réalité comme la seule réalité, les phénomènes comme les seuls éléments de réalité fondamentaux, et toute forme de réalité extérieure comme superfétatoire ? Pour répondre à cette question sans trop nous étendre sur le sujet reprenons les arguments que d'Espagnat utilise car, sans être pleinement décisifs, ils ont le mérite de se montrer quelque peu novateurs par rapport aux arguments classiques des partisans du réalisme. Dans la perspective de décrédibiliser l'existence d'une réalité indépendante, l'idéalisme en vient souvent à avancer que lorsque nous croyons analyser les structures du réel ce sont en fait les structures de notre esprit, les modes à priori de notre sensibilité ou de notre entendement dans un paradigme kantien, qui sont l'objet de notre étude. Contre cet argument on peut remarquer que, parmi les innombrables modèles mathématiques parfaitement valides construits par l'homme, seuls un très petit nombre sont appropriés pour décrire la réalité empirique. De même il est possible de construire des théories mathématiques parfaitement en accord avec les critères humains de beauté, d'ordre et de simplicité mais qui se trouvent violemment réfutées par l'expérience, donc par la réalité empirique. Il semble, dans ce cas, que ce soit bien quelque chose d'extérieur qui dise `'non'' à certains modèles mathématiques et à certaines théories et `'oui'' à d'autres. Il est difficile d'argumenter que ce serait les structures de notre esprit qui diraient `'non'' à certaines théories alors que ce sont elles qui nous font croire en leur validité. Bien au contraire cette `'résistance'' de la part de la réalité empirique ne semble pouvoir être expliquée que par une réalité indépendante de nos facultés cognitives, à la source de cette réalité empirique. Aussi l'idéalisme radical, cette fois en opposition avec Kant, critique traditionnellement le fait que ce soient des choses en-soi qui causeraient les phénomènes pour affirmer bien plutôt que ce sont bien plus les phénomènes que connaît notre sensibilité qui nous font croire en l'existence d'une réalité extérieure. On peut répondre à cela qu'affirmer ainsi qu'une connaissance sensible comme un phénomène soit antérieure à une existence est un manque caractéristique de rigueur logique. Il peut en effet être considéré comme insuffisant à la viabilité d'une telle théorie que de poser une connaissance comme cause de son objet et donc une connaissance sans objet.

Finalement on peut noter qu'un idéalisme, qui admettrait l'existence d'une réalité indépendante mais qui la jugerait complètement inaccessible, et où toute la réalité empirique est créée par notre esprit mais sous l'influence de quelque chose d'extérieur, n'entrerait pas vraiment en opposition avec la théorie du réel voilé de d'Espagnat. Il faut en effet préciser que, outre les spéculations très personnelles qu'il propose avec réserves et que nous allons évoquer ci-dessous, d'Espagnat affirme uniquement l'existence d'une réalité indépendante mais laisse la question de sa nature ouverte. Que cette réalité soit les Idées de Platon, la substance de Spinoza ou le Dieu de Berkeley, seule est affirmée l'existence d'un quelque chose qui ne dépend pas de nous.

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