Débat autour du concept de journalisme
de paix
Approche critique de l'opérationnalité
concrète des
médias dits pour la paix
Mémoire présenté sous la direction de
Marie-Soleil FRÈRE en vue de l'obtention du titre de licenciée
en
BURTON, Charline information et communication.
Charline Burton
Deuxième licence en Information et communication (option
journalisme) Année 2005-2006
Débat autour du concept de journalisme de
paix Analyse critique de l'opérationnalité
concrète des médias dits pour la paix
Résumé :
Structuré autour de trois sections - théorie du
journalisme de paix, cas pratique du Burundi, réflexions sur
l'opérationnalité du journalisme de paix -, ce mémoire
tente de tirer des conclusions, à partir de l'exemple burundais, des
forces et faiblesses de la mise en oeuvre d'un << journalisme de paix
>>. Le travail montrera qu'au-delà de leur idéal de paix,
les organismes qui basent leurs activités sur les théories du
journalisme de paix peuvent également avoir des effets pervers à
long terme. En effet, s'ils ne gardent pas à l'esprit toute une
série de facteurs - financier, capacitaire, idéologique - qui les
différencient des médias locaux au travers desquels ils
implémentent leurs programmations journalistiques << pour la paix
>>, ils risquent de déstabiliser le paysage médiatique dans
lequel ils se sont établis.
Le mémoire essayera également d'analyser le
degré d'implication des médias locaux dans cette notion de
journalisme de paix, et soulignera l'appropriation, par des médias ou
des journalistes << classiques >>, des théories du
journalisme de paix.
Mots-clés : Journalisme de paix,
indépendance de la presse, Burundi, financement des médias, ONG,
résolution des conflits, pérennisation des projets,
médiation, sortie de crise, bailleurs de fond, formations aux
journalistes, conscience professionnelle, déontologie.
MERCI...
Merci de tout coeur à Bonaventure, Caritas et leurs
enfants, qui m 'ont ouvert leur porte et m 'ont offert la chaleur d'un foyer.
De tout coeur, merci !
à Anne et Gaspard pour leurs aimables contributions
quand la frontière de la langue m 'empêchait d'avancer dans mon
travail. Merci de m 'avoir recommandée à votre famille.
Au Conseil interuniversitaire de la Communauté
française de Belgique - Commission universitaire pour le
Développement - Rue de Namur, 72-74, 1000 Bruxelles -
http://cud.ciuf.be
pour son intervention financière, sans laquelle le voyage
réalisé dans le cadre du présent mémoire n
'aurait pas été possible
à Marie-Soleil Frère pour ses nombreux conseils
et éclaircissements en période de doute
à Danièle Fayer-Stern, à Eva Palmans,
à Cyprien Ndikumana, à Jean-Jacques Ntamagara, à
Stéphane Thill et à Arnaud Monville
Enfin, merci à ma mère, Dominique, à mes
soeurs, Sarah, Morgane, Lola, Maëlle, à Serge et
à mes grands-parents, Marthe, Liliane et
Léon.
Table des matières
Table des matières 1
Introduction 3
1. Approche théorique du journalisme de paix 6
1.1. Journalisme proactif : définition 7
1.1.1. Le concept 7
1.2. Les règles du journalisme proactif 10
1.2.1. Traitement médiatique 10
1.2.2. Petite leçon de vocabulaire... 12
1.2.3. Exemple 13
1.3. Les critiques 15
1.3.1. Critique de l'instrumentalisation du journalisme 15
1.3.2. Critique du journalisme de paix 16
1.3.3. La question de la pérennité des projets
mettant en oeuvre le journalisme
proactif 19
1.4. Applications sur le terrain de ces notions 20
1.4.1. Présentation de quelques ONG significatives 20
1.4.2. Présentation de deux projets significatifs 22
1.5. Conclusion 28
2. Le cas du Burundi 29
2.1. Situation des médias au Burundi 32
2.1.1. Historique 32
2.1.2. Paysage radiophonique burundais 36
2.1.3. Présentation des radios privées du Burundi
40
2.1.4. Les studios de production radiophoniques 47
2.2. Le journalisme de paix au Burundi 56
2.2.1. Les types de production 57
2.2.2. Une autre forme de proactivisme 86
3. Réflexions sur l'opérationnalité
concrète du journalisme de paix 88
Conclusion 98
Bibliographie 102
Annexes 107
Chronologie politique du Burundi 108
Les entretiens 111
Les grilles de programmation des radios étudiées
149
Enquête 158
Loi N° 1/025 du 27 novembre 2003 régissant la presse
au Burundi 168 Rapport de la commission chargée d'étudier les
avantages fiscaux à accorder à la
presse au Burundi 179
Introduction
« Les médias ne peuvent pas rester neutres
face aux enjeux de la paix ». Cette affirmation est le principe de
base d'une théorie du journalisme relativement nouvelle : le
journalisme de paix. Tout comme d'autres ont utilisé le journalisme
dans un but de développement des nations du tiers-monde (journalisme de
développement), certaines ONG's utilisent aujourd'hui les concepts du
journalisme de paix pour essayer d'atténuer les haines dans les pays qui
sont ou ont été le théâtre de violences et de
conflits.
Le journaliste peut-il, doit-il mettre sa plume au service
d'une paix durable ? Doit-il diriger sciemment ses productions pour oeuvrer
à une cohabitation pacifique ? Certains le revendiquent haut et fort et
des initiatives allant dans ce sens ont foisonné dans divers endroits du
globe, en réponse à des situations tout aussi diverses. D'autres
brandissent les principes d'objectivité et de neutralité en
étendard pour rejeter l'idée en bloc. Les débats entre
partisans et détracteurs du journalisme de paix - ou journalisme
proactif - sont souvent passionnés, parfois constructifs. C'est cette
faculté qu'a la théorie du journalisme de paix d'engendrer des
controverses chez les professionnels des médias qui nous a poussé
à choisir celle-ci comme objet d'étude de ce mémoire.
Le présent travail aspire à aller au-delà
du débat d'idée sur le rôle que doit jouer le journaliste
dans les processus de sortie de crise, et se propose de se pencher sur
l'opérationnalité concrète du journalisme de paix.
L'objectif de ce mémoire n'est donc de chercher à savoir si oui
ou non le rôle du journaliste est de touj ours chercher à
favoriser la paix au travers de ses productions médiatiques. Le but
recherché est l'analyse critique de la faisabilité du journalisme
de paix : une structure médiatique qui suit ce modèle peut-elle
être fonctionnelle ? Si oui, peut-elle l'être à long terme ?
Quelle sera son influence sur les autres acteurs du paysage médiatique
environnant lors de son implantation et de son retrait ?
La méthodologie choisie pour réaliser
l'étude est mixte puisqu'elle mêle recherche de sources pour la
partie théorique et recherche de terrain pour la partie pratique. Il
semblait primordial pour cette étude de mêler les deux approches,
afin de dégager un maximum
d'informations et donc de conclusions. La recherche de sources
s'est avérée délicate : quelques auteurs sont assez
prolifiques sur le sujet, mais leur nombre reste restreint, et après
avoir lu plusieurs ouvrages sur le sujet, nous nous sommes rendu compte que ces
auteurs évoluaient dans un cercle restreints de théoriciens du
journalisme de paix. Malgré cela, l'information sur les principes du
journalisme de paix était abondante. La première section,
intitulée << approche théorique du journalisme de paix
>> appartient donc plus au domaine de la synthèse d'information.
Ce chapitre se veut une introduction aux théories du journalisme de
paix. Nous y développons les différentes règles qui le
régissent, les critiques qu'il inspire ainsi que quelques exemples de
projets significatifs mis sur pied au nom de cette théorie. Cette
section d'une vingtaine de pages permettra au lecteur de saisir à la
fois la simplicité du concept et la complexité des questions
qu'il soulève.
La deuxième section s'articule autour de l'étude
d'un cas pratique. Nous avons choisi d'étudier l'exemple du Burundi en
raison de la diversité médiatique qu'offre le pays. Le Burundi,
faux jumeau du Rwanda, a connu de nombreux affrontements interethniques au
cours des trente dernières années. Bien qu'ayant
été quelque peu oublié des médias internationaux,
le conflit burundais a été d'une grande ampleur,
caractérisé par des violences entre Hutu et Tutsi, les
représentants des deux principales ethnies du pays. C'est en raison de
ce passé troublé que des partisans d'un << journalisme de
paix >> ont développé de nombreux projets dans ce petit
pays. Les initiatives en la matière y sont tout aussi nombreuses que
variées de par leurs formes, leurs durées ou leurs instigateurs
et une grande partie des acteurs médiatiques sont dès lors
imprégnés de cette notion. C'est donc avant tout en raison de ce
pluralisme que nous avons décidé de nous pencher sur le cas de ce
petit pays d'Afrique centrale.
Cette partie pratique passe en revue les différentes
mobilisations faites au Burundi au nom du principe de journalisme de paix et
analyse leur adéquation, leur intégration et leur
pérennisation dans le paysage médiatique locale. Afin de
comprendre au mieux la place du journalisme proactif au Burundi, nous avons
brossé un tableau rapide de l'évolution politique et
médiatique burundaise. Les radios étant largement
surreprésentées par rapport à la presse écrite ou
la télévision, c'est tout naturellement sur celles-ci que nous
nous sommes penchés au cours de cette étude.
5Les informations contenues dans la deuxième partie du
mémoire sont toutes le fruit des entretiens, visites et
expériences acquis au cours de notre séjour au Burundi, au cours
du mois de janvier 2006. Il faut avouer que les premiers jours passés
à Bujumbura, la capitale du Burundi, ont été la source
d'une grande confusion : chaque média visité, chaque journaliste
abordé assurait oeuvrer au nom de la paix, en suivant les principes du
journalisme proactif. Néanmoins, après avoir passé plus de
temps dans les rédactions et après de longues conversations avec
des journalistes locaux, des responsables de programmation et des
représentants d'associations professionnelles, nous avons pu nous faire
une image plus précise des liens intimes et complexes qui lient
producteurs d'information << de paix >> et médias locaux.
Afin d'approfondir nos connaissances sur ces relations, nous avons
sélectionné trois radios privées affirmant oeuvrer en
faveur de la paix (radio Isanganiro, radio Bonesha et radio publique
africaine), la radio publique ainsi qu'un studio de production <<
proactif >> (Studio Ijambo), sur lesquels nous allions porter notre
attention.
C'est au travers d'interviews que nous avons tenté de
déceler les forces et faiblesses du journalisme de paix tel
qu'appliqué au Burundi. Il s'agissait surtout d'étudier les
contenus des émissions, les philosophies qui guidaient ces producteurs
ainsi que les différentes attitudes des professionnels face aux
problèmes rencontrés par la société burundaise.
Après de multiples entretiens, après avoir assisté aux
réunions de rédaction et analysé en profondeur les grilles
de programmations, nous avons pu distinguer trois acteurs du journalisme de
paix (les ONG de journalisme de paix, les organismes non médiatiques et
les médias locaux), ainsi que trois principaux types de productions
(programmes de fiction, programmes à vocation réconciliatrice et
informations d'actualité). L'attitude des journalistes a
été évaluée au travers de deux outils :
premièrement, un enquête à questions fermées
réalisée auprès de 72 journalistes issus de 9
médias a permis de voir comment ces professionnels concevaient, en
théorie, leur degré de responsabilité par rapport
à leur public. Deuxièmement, l'étude de la façon
dont ces journalistes faisaient la couverture médiatique d'une
actualité sensible nous a permis de confronter les affirmations
théoriques à la pratique.
Le mémoire se termine par un ensemble de
réflexions sur l'opérationnalité concrète du
journalisme de paix. A partir des faits spécifiques au Burundi, nous
avons tiré des conclusions générales sur la
faisabilité, à long terme, du journalisme de paix. Nous verrons
que le principe est difficilement durable si sa mise en oeuvre n'est pas
accompagnée d'une batterie de précautions.
1. Approche théorique du journalisme de paix
« Faut-il dire la vérité ? Oui,
assurément, mais pas n'importe comment, n'importe où, n'importe
quand. Rien que la vérité ? Sans aucun doute. Toute la
vérité ? Eh bien non ! Qui peut se vanter de ne l'avoir jamais
fait ? Je défie qui que ce soit de me prouver qu'il n'a jamais tenu
compte des intérêts de sa famille, de son entreprise, de son
avenir. Alors, pourquoi ne tiendrait-on pas compte de sa société,
de sa nation, des intérêts de la République, des
idéaux de l'humanité, un peu comme dans la profession de foi
célèbre de Montesquieu ? (...) »1
1 DANIEL J. dans : Le Nouvel Observateur, Paris, 21
septembre 1995, p. 3 (Télé Obs), cité dans : NOBRE J.-M.,
Introduction à l 'information et à la communication,
Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 2001, 1
5ème édition, p.151.
Le leitmotiv de Search for Common Ground, organisation non
gouvernementale (ONG) belgo américaine spécialisée dans le
domaine de la construction de la paix au travers des médias2
est qu'aucun média ne peut pas rester neutres face aux enjeux de la
paix. Cette déclaration, banale aux yeux du lecteur profane,
représente en réalité un véritable sacrilège
pour bon nombre de journalistes, qui érigent leur <<
neutralité professionnelle >> au-dessus de tout autre principe
déontologique. Dans cette première section à vocation
théorique, nous allons tout d'abord définir le <<
journalisme proactif >> : ses objectifs, ses fondateurs, ses
règles. L'explication sera détaillée afin de permettre au
lecteur une compréhension approfondie de ce nouveau type d'utilisation
des médias. Ensuite, nous laisserons libre place aux critiques.
1.1. Journalisme proactif : définition
1.1.1. Le concept
Johan Galtung, sociologue norvégien, est une figure
emblématique de la recherche sur la résolution des conflits.
Fondateur de l'International Peace Research, c'est lui l'inventeur du terme
`journalisme de paix', et le précurseur de la théorie du
même nom. Il illustre le journaliste traditionnel en le comparant
à un médecin qui observerait l'évolution d'une maladie
sans tenter de soigner son patient3:
La maladie est conçue comme un phénomène
naturel, comme une lutte entre le corps humain et le facteur
pathogénique - un micro-organisme, un trauma ou un stress. Parfois c'est
un côté qui gagne, parfois c'est l'autre. Comme dans un jeu. Etre
fair play signifie donner sa chance à chacune des parties, sans
interférer avec les voies de la nature. La tâche du journalisme
[traditionnel] est de couvrir cette lutte de manière objective,
en gardant l'espoir que notre côté - le corps - sorte
vainqueur.
Ce type de journalisme, focalisé sur la lutte entre le
corps humain et la maladie (un compte-rendu objectif de la situation) et sur
son issue (qui gagne ?), Galtung l'appelle journalisme de guerre, par
opposition à un journalisme de paix qui porterait son attention
non seulement sur le conflit mais également sur les solutions pacifiques
à y apporter.
2 Search for Common Ground (SFCG), littéralement
<< recherche d'un terrain commun >>, est une ONG fondée en
1982 par John Marks. Elle a pour but de transformer la façon dont sont
gérés les conflits via l'utilisation des médias, de la
médiation, de la formation, du sport et même de la musique. SFCG
est actif dans 17 pays d'Europe, d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient.
3 GALTUNG J., High Road, Low Road. Charting the course for
peace journalism, «Track Two», vol. 7 n°4.
<< Journalisme de paix >>, << journalisme
sensible aux conflits >>, << journalisme de médiation
>>, << journalisme proactif >>, les dénominations sont
variées mais toutes se rapportent à un seul et même concept
: celui d'une utilisation des techniques de communication de masse dans un but
avoué de prévention et de résolution des conflits. Nous
utiliserons dans cet ouvrage le terme journalisme de paix ou journalisme
proactif, puisque ce sont ceux qui nous ont semblés les plus
révélateurs. En effet, il s'agit d' << agir pour
>> la paix, mettant en évidence le but recherché.
Le journalisme proactif se veut le contre-pied d'une pratique
journalistique qui réduit les faits d'actualité, même les
plus sensibles, à une espèce de lutte de force entre bons et
méchants, entre gagnants et perdants, que les médias se limitent
à commenter en comptant le nombre de morts, de processus de paix
avortés et qu'ils ne considèrent comme achevés que
lorsqu'une des parties a eu raison de(s) l'autre(s) - par négociation,
élimination, ou encore en lui (leur) imposant sa
volonté1. << La vérité, c 'est que la
plupart des journalistes préfèrent porter leur attention
sur
l 'effet « bang-bang », représentant le
conflit comme la lutte du blanc contre le noir, sans la moindre nuance de gris
>>, explique Loretta Hieber2,
chercheur auprès de Média Action International et
spécialisée dans l'appui, via l'intermédiaire des
médias, aux peuples touchés par la guerre.
Et pourtant, c'est bien cette manière de couvrir
l'actualité qui semble être la norme dans nos pays occidentaux,
avec une influence certaine sur les médias du sud. Les journalistes
<< traditionnels >> s'appliquent à << rendre compte
des faits >> : 18 morts en Irak aujourd'hui, 9 hier et 22 demain, telle
est la ritournelle à laquelle a fini par s'habituer l'auditeur, le
lecteur ou le téléspectateur. Cette manière de <<
rendre compte des faits de manière objective >>, dans ce contexte,
s'apparente quelque peu à un compte-rendu d'une partie de football...
Le journaliste proactif met son travail au service de la
prévention et de la gestion des crises, au service de l'émergence
de la paix. D'aucuns argumenteraient qu'il ne s'agit de guère plus que
d'un << bon journalisme >>, c'est-à-dire d'un
journalisme responsable, pratiqué dans le respect des règles de
la déontologie professionnelle. << Le journaliste
professionnel, avec ses principes
d 'impartialité, de responsabilité et de
pertinence3, dispose automatiquement d 'un potentiel énorme
et souvent inconscient pour contribuer à la résolution des
conflits >>, explique Ross Howard,
1 Voir GALTUNG J., loc. cit.
2 HIEBER L., Lifeline media, reaching populations in crisis.
2001, Media Action International, p. 130.
3 Voir à ce sujet la Déclaration des devoirs
et des droits des journalistes, adoptée le 24 et 25 novembre 1971
à Munich par les représentants des syndicats et
fédérations de journalistes des six pays de la Communauté
économique européenne.
auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le
rôle des médias en zone de conflit1. Mais comme
Galtung l'a démontré plus haut, même
traité de manière impartiale, responsable et pertinente, une
guerre peut finir par être couverte comme s'il s'agissait d'un match de
football.
Pourtant, pour de nombreux journalistes, s'aventurer plus loin
qu'un simple compte-rendu des positions des parties revient à effectuer
une tâche non journalistique, à les sortir de leur rôle de
spectateur de l'état du monde pour en devenir acteur. Cependant, le
journaliste est touj ours inconsciemment acteur de la réalité et
l'image du journaliste comme spectateur extérieur à
l'actualité est une illusion. Deux fondements à cela :
Premièrement, la simple présence du journaliste
suffit à modifier la réalité, ne fût-ce que par le
comportement des acteurs de l'actualité : il est naturel d'adopter un
comportement différent face à une caméra et quand on se
sait à l'abri du regard des journalistes. Dans leur article
intitulé << Using the media for conflict transformation »,
Melone, Terzis et Beleli affirment qu' << alors que
nous ne voulons pas dépasser l 'idée que les médias d
'information puissent être contrôlés et utilisés
à des fins spécifiques, pas même pour la paix, la
perception d'un journaliste « neutre » doit être
dépassée. Par leur simple présence lors de la couverture d
'un évènement, les médias altèrent
l 'environnement de communication et sont donc
impliqués dans le conflit. Intrinsèquement, les médias
sont donc non neutres. »2.
Le deuxième argument, de Jake Lynch et
Annabel Mc Goldrick3, soutient
l'existence d'une relation circulaire d'influence entre acteurs et rapporteurs
de la réalité : chaque ministre, chaque chef d'Etat a son mentor
en matière de média. Derrière chaque geste que
réalise un ministre, se cache un conseiller qui a étudié
la façon dont celui-ci serait reflété par les
médias. Et si le conseiller sait prévoir l'image que l'une ou
l'autre action du ministre aura au travers des médias et donc les
répercussions que cette image aura sur les consommateurs de
médias, c'est tout simplement grâce à ses
expériences personnelles antérieures. Il analyse tout simplement
l'influence qu'ont eu les moyens de communication de masse sur ses propres
représentations de la réalité puis il projète ce
schéma sur les gestes du ministre. Ce sont donc ses expériences
passées qui lui permettent d'anticiper l'attitude des médias. Les
journalistes, leurs sources et leur audience font donc partie d'un cercle
d'influences réciproques. Ainsi, les attitudes des chefs de
gouvernements sont partiellement créées par les journalistes,
expliquent Lynch et Mc Goldrick, qui
1 ROSS H., Journalistes et conflits : débats
théoriques et actions concrètes in : FRERE M.-S. (dir.),
Afrique centrale. Médias et conflits : vecteurs de guerre ou acteurs
de paix, Bruxelles, Editions GRIP, 2005, p. 15.
2 MELONE S., TERZIS G. et BELELI O., Using the media for
conflict transformation, the Common Ground Experience, «Berghof
Handbook for conflict transformation», Berlin, avril 2002, pp. 2-3.
Sandra Melone est directrice du bureau
européen du European Centre For Common Ground (ECCG) ; Georgios
Terzis est un ancien journaliste. Il est aujourd'hui
responsable du programme Médias du ECCG ; Oszel Belei
est chargé de programme au sein de Search For Common Ground
3 LYNCH J. et Mc GOLDRICK A., What is peace journalism?
«Activate», winter 2001. p. 6.
Jake Lynch, ancien reporter de guerre, donne des
cours en résolution des conflits à l'université de Sydney.
Annabel Mc Goldrick, également ancien reporter de
guerre, est la co-fondatrice du Forum sur les Conflits et la Paix.
réfutent par ce raisonnement l'idée d'un
journaliste comme simple observateur puis rapporteur de la
réalité. Dans les conflits, chaque partie s'exprime donc sur les
faits qui renforcent sa position, puisque chacun sait l'effet que produira sa
déclaration. Dans cette optique, le journaliste qui reproduit
fidèlement les faits serait donc un simple porte-parole, facilement
manipulable par les hommes politiques.
Et puisque, quoiqu'il en soit, le journaliste est toujours un
acteur de l'actualité, le journalisme proactif s'accompagne d'une
série de règles pour réguler ce rôle du journaliste.
L'objectif étant la résolution des conflits, l'apaisement des
crises, les reportages ne doivent pas se limiter à une simple
description de la réalité - du combat entre le corps et la
maladie - mais, parallèlement, offrir des voies de solutions pour
combattre la maladie.
1.2. Les règles du journalisme proactif
1.2.1. Traitement médiatique
En temps de guerre ou de paix, les journalistes sont les
premiers à propager les informations. Or, les médias, mêmes
publics, répondent tous à un besoin économique qui les
pousse parfois à brûler les étapes. La collecte, le
traitement et la diffusion de l'information doivent être rapides pour que
le média reste compétitif. Ce qui engendre parfois des
manquements : l'information n'est pas toujours recoupée,
vérifiée, le discours officiel est trop souvent repris tel quel
dans les colonnes des journaux et les conflits sont présentés de
manière simplifiés par manque de connaissance de leurs causes
profondes.
Robert Karl Manoff, directeur du Center for
War, Peace, and News Media à l'Université de New York,
énonce une série de rôles que peuvent jouer les
journalistes dans la résolution et la prévention des conflits.
Parfois ils remplissent ces fonctions dans le cadre de leurs devoirs
journalistiques, pour des raisons purement professionnelles et devraient
dès lors prendre conscience de l'impact de leur travail dans la
prévention de conflits meurtriers et l'orienter sciemment dans ce but.
Parmi ces rôles traditionnels, Manoff cite l'éducation ou la mise
en contact et en confiance des différents protagonistes du conflit. Ces
rôles dérivent en réalité d'une seule attitude :
l'analyse en profondeur du conflit, en expliquant les
intérêts sous-jacents de chaque acteur du conflit, l'historique
(éventuellement en remontant à des dizaines de
générations en arrière), une explication des moeurs et
traditions de chaque partie en cause, permettant dès lors d'humaniser
les ennemis et de permettre une compréhension plus grande des
motivations des
protagonistes1. Afin d'y arriver, Lynch
et Mc Goldrick ont élaboré une liste
des << choses à ne pas faire >>, destinée
à tout journaliste adepte du << proactivisme >>2
:
· Eviter de réduire le conflit à deux
côtés qui s'opposent, avec comme conclusion logique, un futur
gagnant et futur perdant. Alternative : éclater les deux
acteurs en leurs différentes composantes, en expliquant leurs
revendications, leurs nécessités, ce qui permettra de
créer une plus grande dynamique dans la recherche de solutions.
· Eviter de réduire le conflit à
l'espace-temps des violences. Ne pas confondre conflit et violences.
Alternative : mettre en évidence les liens et
conséquences avec d'autres personnes dans d'autres endroits ainsi que
les répercussions dans le futur (quelles conclusions vont tirer les
récepteurs de médias ? Ces conclusions vont-elles influencer les
attitudes des protagonistes, en cas de conflit futur ?)
· Eviter d'évaluer les mérites d'une
action/politique de violence uniquement par rapports à ses effets
visibles. Alternative : montrer la face invisible de cette violence :
les risques, à long terme, de dommages psychologiques ;
éventuellement la possibilité accrue de voir les victimes
d'aujourd'hui reproduire demain des actes violents.
· Eviter de laisser les protagonistes se définir
par les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs
réclamations. Alternative : faire une enquête plus
profonde sur la manière dont les personnes de terrain sont
affectées dans leur vie quotidienne. Que veulent-ils voir changer ? La
position clamée par leur leader est-elle l'unique manière
d'accomplir cet objectif ?
· Eviter de mettre en évidence continuellement ce
qui divise les parties, les différences entre ce qu'elles
déclarent vouloir. Alternative : poser les questions
susceptibles de dévoiler des zones communes entre les parties, faire
ressortir les réponses suggérant que certains objectifs sont
compatibles, voire partagés.
· Eviter de couvrir uniquement les actes de violence,
décrivant dès lors l' << horreur >>. Si l'on exclu
tout le reste, on suggère que l'unique explication de la violence
réside dans des violences antérieures (revanche) ; et le seul
remède semble être plus de violence (punition). Alternative
: expliquer cette violence en montrant combien les protagonistes ont
été bloqués/frustrés/privés dans leur vie de
tous les jours.
· Eviter de blâmer quelqu'un d'<< avoir
commencé >>. Alternative : essayer de discerner de quelle
manière les problèmes partagés conduisent à des
conséquences qu'aucune des parties n'avait désirées.
1 MANOFF R. K., Potential Media Roles in the prevention and
management of conflict, 2000, disponible sur
http://www.cyc-net.org/today2000/today001127.html
2 Cette liste est tirée des << 17 conseils pour
réaliser un journalisme de paix >> de LYNCH et Mc GOLDRICK, loc.
cit. Remarque : les propos ont été traduits de l'anglais par
l'auteur.
· Eviter de saluer la signature d'accords par des
dirigeants, qui semblent montrer la victoire militaire ou le cessez-le-feu,
comme seule solution vers la paix. Alternative : continuer à
parler des autres obstacles à la sortie de crise, susceptibles de
conduire à de nouvelles violences dans le futur. Se poser la question de
savoir ce qui est fait sur le terrain pour renforcer les moyens de
résoudre le conflit de manière pacifique, de répondre aux
besoins structurels de la société et de créer une culture
de paix.
· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et
les peurs du même côté. Alternative
: considérer comme digne d'intérêt les peurs et les
souffrances de tous les protagonistes.
· Eviter de présenter des opinions comme s'il
s'agissait de faits (ex : Eurico Guterres, tenu responsable d'un massacre au
Timor Oriental...). Si quelqu'un fait une déclaration, préciser
son nom, de sorte que ces propos soient perçus comme un avis externe et
non comme le fait du journaliste (Eurico Guterres, accusé par un
officiel de l'ONU d'avoir ordonné un massacre au Timor Oriental...).
1.2.2. Petite leçon de vocabulaire...
Lorsque le journaliste a choisi d'utiliser ses armes - sa
plume, micro ou caméra - pour promouvoir la paix, il doit adopter une
attitude particulièrement vigilante dans le choix de ses mots. Ainsi,
certains termes d'usage courant sont souvent utilisés de manière
erronée et l'utilisation de certains mots de façon
inappropriée peut générer des conséquences parfois
malencontreuses.
Génocide : (de génos, race)
extermination (anéantissement) d'un groupe ethnique, social ou
religieux. Le terme est souvent utilisé de manière abusive et il
s'agit de s'interroger : les faits consistent-ils réellement en une
action visant à exterminer toutes les composantes d'un groupe ?
Décimer : (de decim, dix) réduire à un
dixième de sa taille originelle.
Assassinat : meurtre prémédité. Ce
mot est trop souvent employé sans que la notion de
préméditation ne soit prouvée.
Massacre : (de macecre, abattoir, fin
XVIème s.) action de tuer délibérément des victimes
sans défenses ou désarmées. Les victimes
étaient-elles réellement sans défense, ou s'agit-il de
morts au combat ?
Systématique : (ex. viols systématiques)
Qui est intégré dans un système, qui procède avec
méthode, dans un ordre défini, pour un but
déterminé. S'agit-il vraiment d'actions
délibérément
organisées selon un modèle ou était-ce
plutôt un nombre d'incidents similaires, certes regrettables, mais
indépendants les uns des autres?1
Et en ce qui concerne la question du vocabulaire
utilisé, Lynch et Mc Goldrick, les deux théoriciens de
référence, vont plus loin. Ils préconisent de prêter
une attention toute particulière à l'utilisation des adjectifs
comme << vicieux >>, << cruel >>, << brutal
>>, << barbare >>. Il s'agit souvent du point de vue d'une
des parties sur les actes commis par l'autre. Les utiliser situe le journaliste
de ce côté et justifie une escalade de la violence. Idem avec
<< terroriste >>, << extrémiste >>, <<
fanatique >>, << fondamentaliste >>, qui donnent
implicitement l'idée d'une personne irraisonnable et donc impropre
à la négociation. Il vaut mieux appeler chaque groupe par le nom
qu'il se donne, ou être plus précis dans les
descriptions2.
1.2.3. Exemple
Reportage traditionnel3 :
Yoho City, YNS - De nouveaux affrontements dans la guerre de
gang ethnique de la ville ont fait sept jeunes tués et un entrepôt
détruit dans la nuit de jeudi. Des coups de feu et des cocktails Molotov
ont été lancés entre les gangs rivaux de Yoho et Atu
durant presque 20 minutes, au cours de ce qu'un policier a qualifié de
<< fusillade ethnique >>.
Un des résidents a déclaré avoir entendu
un jeune homme Atu crier << Nous vous tuerons tous >> tout
en lançant une bombe au pétrole à l'intérieur d'une
voiture remplie de jeunes Yoho qui était garée à
l'extérieur de l'entrepôt. Le jeune homme a été
tué par balle par un Yoho qui a tiré depuis une fenêtre de
l'entrepôt, a ajouté un autre résident. D'autres membres du
gang Atu ont été vus tirant des bombes de pétrole à
travers les fenêtres de l'entrepôt, qui a fini brûlé
par les flammes. Les autorités policières affirment que les deux
gangs poursuivent une guerre ethnique dans la zone depuis plusieurs
semaines...
Reportage << proactif >> :
Le trafic illégal de narcotiques qui tourmente la ville
a déclenché dans la nuit de jeudi une fusillade entre deux
groupes trafiquant dans une zone de la banlieue. Selon les explications des
résidents, la fusillade, qui a causé la mort de sept personnes,
impliquait de jeunes hommes recrutés par les dealers rivaux qui essaient
de prendre le contrôle du quartier. Quatre des victimes sont des
jeunes
1 Le CD-Rom du Petit Robert, version électronique du
Nouveau Petit Robert, version 2.1, Dictionnaires Le Robert, VUEF, 2001.
2 LYNCH J. Reporting the World: The findings. A practical
checklist for the ethical reporting of conflicts in the 21st century, produced
by journalists, for journalists, 2002, pp. 72-73. Disponible sur
http://www.reportingtheworld.org.uk/files/rtw_booklet.pdf
3 Ces exemple et contre-exemple sont issus de HOWARD R.
Conflict sensitive journalism, 2004, p. 17, disponible sur
http://www.impacs.org/actions/files/MediaPrograms
cliquez sur le lien << handbook pdf final french version >>.
Yoho engagés pour surveiller un entrepôt,
soupçonné par les résidents d'être un centre de
distribution de drogues, a déclaré Jane Brown,
représentante de l'association des citoyens de l'est. Tandis qu'un autre
dealer, qui tente également de prendre le contrôle dans la
banlieue Est, a recruté des sans-emploi Atu puis les a armés, a
expliqué Mme Brown. << La police a refusé de
négocier avec les trafiquants qui ont transformé notre rue en un
champs de bataille. Nous avons besoin d'un poste de police, d'argent pour les
centres de désintoxication... >>
Reportage traditionnel
|
Reportage « proactif »
|
L'article écrit de manière traditionnelle met
|
Dans l'autre article, au contraire, l'on cite les
|
en exergue la violence, la mettant à charge de
|
appartenances ethniques, mais sans les mettre
|
l'ethnicité. Il répète de nombreuses fois
les
|
autant en évidence, puisque ici il ne s'agit
|
noms des ethnies et fonde toute la violence
|
pas de conflit purement ethnique, mais bien
|
sur cette distinction entre Yoho et Atu.
|
d'une guerre de gangs de narcotrafiquants.
|
|
Et si l'article << proactif >> parle des
identités ethniques, il décrits les jeunes Atu et Yoho comme
victimes des dealers et d'une mauvaise condition sociale.
|
Si elle est décrite avec moult détails, aucune
|
L'article insiste sur ce point, ne se contentant
|
explication n'est donnée pour toute cette
|
pas de décrire la violence, mais lui donnant
|
violence.
|
des causes, la recontextualisant dans le contexte plus
général de rixes entre deux gangs de trafiquants de drogue.
|
Le reportage traditionnel fait l'erreur de
|
L'on donne la parole au porte-parole d'une
|
rendre compte de l'opinion du policier
|
association de quartier, en le nommant. La
|
comme s'il s'agissait d'un fait, sans
|
distinction est nette entre l'opinion de Mme
|
communiquer le nom de ce témoin.
|
Brown et le compte-rendu objectif des faits.
|
|
De plus, ce témoignage permet de mettre en
évidence des solutions à cette situation. Ici, le journaliste a
fait l'effort de rechercher un témoin proposant des solutions
constructives
|
|
(poste de police...)
|
Cette illustration démontre que le journalisme de paix
ne se veut pas manipulateur : il ne s'agit pas de cacher des informations qui
pourraient avoir des conséquences négatives aux yeux du
journaliste, mais bien de présenter différemment la
réalité. Dans l'exemple ci-dessus, le journaliste proactif n'a
pas caché l'identité ethnique des dealers, ni leurs crimes.
À bien des égards, il ne s'agit que d'un journalisme <<
scolaire >> qui prête attention à la distinction des faits
et des opinions et à la recontextualisation. Rien d'hors normes,
à première vue. Pourtant, l'impression générale
diffère à la lecture des deux articles et la réaction du
lecteur sera différente selon qu'il ait lu l'une ou l'autre version.
À la lecture du premier compte-rendu des
événements, un lecteur non averti pourrait se croire en
présence d'un embryon de guerre ethnique, au risque d'attiser des
tensions ethniques à plus grande échelle, qui pourraient se
répercuter dans la ville entière. Alors qu'en lisant l'article
<< proactif >>, même s'il est lui-même
Yoho ou Atu, le lecteur comprendra que cette << guerre des gangs >>
n'est pas la sienne, puisqu'il s'agit en fait de narco-traficants luttant pour
le contrôle d'un quartier. Il faut également noter l'effort du
journaliste proactif pour trouver, dans la mesure du possible, des voies de
sorties de crise, qu'elles viennent de son propre chef ou de celui d'un des
acteurs du conflit.
1.3. Les critiques
1.3.1. Critique de l'instrumentalisation du journalisme
Albert Londres, grand reporter français du
siècle passé, soulignait par ces propos le rôle de
contre-pouvoir du journaliste, parfois dérangeant, touj ours utile :
<< Un journaliste n 'est pas un enfant de choeur et son rôle ne
consiste pas à précéder les processions, la main dans une
corbeille de pétales de roses. Notre métier n 'est pas de faire
plaisir, non plus de faire tort, il est de porter la plume dans la plaie
>>1. Ce rôle joué par les médias est
cependant contradictoire: constituant indéniablement une institution
politique à part entière, le quatrième pouvoir a deux
grandes faiblesses : d'une part, il est détenu par des personnes qui
n'ont été ni élues, ni nommées pour leur
compétence. D'autre part, il est sujet aux exigences commerciales comme
toute autre entreprise.
Pour résoudre cette équation, la solution la
mieux adaptée, mélange de droit et de responsabilité
socioprofessionnelle, c'est la déontologie. Cet instrument, ensemble de
principes et de règles établis par la profession, a une vocation
: permettre aux médias de servir au mieux les individus qui composent
son public.
Parmi les principes de base de la déontologie
journalistique, l'un deux nous intéresse particulièrement dans
cette étude : il s'agit de l'indépendance des
médias. Ce principe, largement accepté dans nos contrées
dites démocratiques, consiste en l'affirmation selon laquelle le
journaliste n'a de compte à rendre à personne, si ce n'est
à son public, puisque c'est son intérêt qu'il tend à
servir. Pourtant, cette indépendance se révèle, somme
toute, fort relative : un directeur d'une maison de presse peut-il
réellement s'offrir le luxe de faire un pied de nez à un
actionnaire en publiant une enquête négative sur la qualité
de ses produits ? Est-il réellement indépendant de l'État
lorsque celui-ci lui alloue des subsides conséquents ? La presse se
meurt sans revenus publicitaires. Peut-on dès lors la qualifier de libre
? Commercialement, non. D'où l'exigence d'une totale transparence en
matière de propriété et de gestion des
médias2.
1 Cette phrase devenue célèbre est tirée de
Terre d 'ébène, qu'il écrit au retour d'un
séjour de quatre mois en Afrique française, en 1927. L'ouvrage
est un violent réquisitoire contre la politique coloniale
française.
2 Résolution 1003 du Conseil de l'Europe sur
l'éthique du journalisme, article 12.
Politiquement, un média est rarement neutre. Pourtant,
une orientation idéologique des éditeurs doit être
légitimement respectée pour autant qu'elle soit limitée
par les exigences incontournables de la véracité des nouvelles et
de rectitude morale des opinions, exigées par le droit fondamental des
citoyens à l'information1. Qu'un organe de presse adopte une
orientation idéologique reste donc possible, s'il respecte certaines
conditions. Le danger ici n'est donc pas de présenter une orientation
politique, puisque celle-ci est déontologiquement acceptable, mais
d'arriver à rester indépendant de toute pression,
intérieure ou extérieure, consciente ou inconsciente,
affirmée ou insinuée. La presse ne doit servir aucun
intérêt particulier, si ce n'est celui de ses publics, dans toute
leur diversité. Elle doit aspirer à offrir les qualités
d'un service public - au sens de << responsabilité sociale
>> et non de lien avec l'État -, offrant une tribune à
toutes les orientations politiques et sociales, assurant au mieux les
différentes tâches dont elle a la fonction : observer et fournir
une image représentative du milieu environnant, assurer la communication
sociale, transmettre la culture ainsi que contribuer au bonheur via le
divertissement.
Dès lors qu'un journal, une radio ou une station de
télévision dédie ses pages ou ses ondes à la gloire
de l'État, d'un modèle politique, d'une religion, ou d'une race,
on se doit de rejeter ce type de production de la catégorie <<
journalisme >>, pour la classer dans la rubrique << propagande
>>. C'est en cela que l'on se doit de rejeter le journalisme dès
lors qu'il se met au service de... de quoi au juste ? De quoi que ce soit qui
diffère de l'intérêt du public, de ses besoins et de ses
désirs.
1.3.2. Critique du journalisme de paix
La critique la plus fondée à l'encontre du
journalisme de paix, n'est pas forcément celle-la même qui est le
plus souvent énoncée. Au premier abord, un journaliste quidam
dira que son rôle se limite à décrire la
réalité, sans essayer d'interférer dans celle-ci. Nombreux
sont les professionnels des médias qui estiment avoir rempli leur
<< responsabilité sociale >> en offrant un tableau
fidèle de la réalité, laissant dès lors le
récepteur tirer ses propres conclusions. Comme nous l'avons vu
auparavant, le journalisme de paix ne s'éloigne pas forcément de
cette vision du rôle du journaliste. Il prête tout simplement une
attention plus poussée à la formulation des faits, au vocabulaire
employé, à la recontextualisation, laisse s'exprimer tous les
protagonistes dans la mesure du possible et laisse une place
considérable à la recherche de solutions en cas de conflit. Il
s'agit simplement d'une prise de conscience plus considérable de son
propre impact sur son public, en essayant dès lors d'offrir au
récepteur les clés pour une compréhension en profondeur
des faits sociaux. Le journaliste quidam reprochera dès lors au <<
journaliste proactif >> de vouloir influencer
1 op. cit. art 13.
le cours des évènements. Mais peut-on
réellement reprocher au journaliste de désirer une issue
pacifique à un conflit ? Certainement pas ! D'ailleurs, les textes
déontologiques créés dans le but précis de
prévenir les excès de la presse abondent en ce sens,
préconisant une vigilance particulière en cas de tension
intercommunautaires, dans le traitement de l'information relative aux
minorités ou encore lorsque les valeurs démocratiques sont en
péril. L'association générale des journalistes
professionnels de Belgique (AGJPB) a notamment adopté un ensemble de
<< recommandations pour l'information relative aux allochtones
>>1. On y préconise un traitement de l'info particulier
pour les étrangers : << éviter le plus possible les
polarisations du type `nous-eux' >>, << ne mentionner la
nationalité, le pays d 'origine, l 'appartenance ethnique, la couleur de
la peau, la religion ou la culture que si ces informations sont pertinentes
>>, << éviter de créer inutilement des
problèmes et de dramatiser. Recommandation : les médias
pourraient parler des immigrés d'une façon plus positive
>>, << assurer le suivi maximal de chaque sujet (...)
>>. Ces principes ressemblent à s'y méprendre aux
recommandations énoncées par Lynch et Mc Goldrick en
matière de traitement `proactif' de l'information.
De même, le Conseil de l'Europe, dans sa
résolution 1003 sur l'éthique des journalistes, déclare
que <<lorsqu 'il s 'agit de défendre des valeurs
démocratiques, personne ne doit rester neutre. Dans ce sens, les
médias doivent contribuer dans une mesure importante à
prévenir les moments de tension et favoriser la compréhension
mutuelle, la tolérance et la confiance entre les différentes
communautés dans les régions en conflit (...) >>
(article 34). Cette critique souvent énoncée à l'encontre
du journalisme proactif ne tient dès lors pas la route, puisque ses
principes se retrouvent dans des chartes déontologiques dont
l'autorité n'est pas à remettre en question.
Une question peut toutefois être soulevée, à
savoir qui se cache derrière les organes de journalisme de
paix. On l'a dit précédemment, le journaliste proactif vise
à promouvoir les valeurs démocratiques, ainsi que la confiance
entre des communautés divisées. Cependant, tout comme le
journaliste classique exerce un pouvoir sans avoir été
mandaté ou élu pour remplir cette fonction, l'instigateur d'une
radio ou un journal `proactif' travaille généralement à
partir de ses propres intuitions quant à l'importance de certaines
valeurs et quant aux solutions à apporter à un conflit. La
critique peut dès lors se faire à deux niveaux : d'une part, les
valeurs qu'il juge démocratique peuvent être différentes de
celles reconnues comme telles par la majorité ; d'autre part, sa vision
de la réalité du pays dans lequel il va implanter son
média peut être tronquée, faute d'une connaissance
suffisante du terrain, des moeurs et de la population locale.
1 NOBRE-CORREIA J.-M., Introduction à l 'information
et à la communication, Bruxelles, Presses Universitaires de
Bruxelles, 2001, 15ème édition, p. 136.
Inadéquation des valeurs de l'instigateur de
l'initiative avec celles de la majorité
Les valeurs démocratiques sont-elles des valeurs
immuables, identiques d'une époque à l'autre ? Le droit à
la vie a été déclaré comme valeur universelle.
Pourtant, aux Etats-Unis, ce même droit à la vie est bafoué
de par la condamnation à mort, alors que la nation se déclare
pionnière en matière de droits humains. De même, peut-on
invoquer le droit à la vie pour juger une mère somalienne qui
aurait tué un nouveau-né, incapable qu'elle était de
nourrir une bouche de trop et préférant assurer la survie de ses
précédents enfants plutôt que d'hypothéquer la vie
de toute sa famille ? Ces valeurs dites universelles sont donc variables et il
faut prendre garde à ne pas tomber dans le piège de
l'ethnocentrisme. Dès lors, un individu ou une ONG, désireux de
créer une radio proactive pour « aider des communautés en
difficultés », agira peut-être sur base d'un principe en
lequel il croit, mais qui ne correspond pas à la norme universelle et/ou
locale. En cela, l'absence d'une quelconque instance supérieure de
surveillance en ce qui concerne le journalisme de paix constitue en
lui-même une dérive potentielle.
Inadéquation de la perception de l'instigateur
de l'initiative avec la réalité locale
La plupart du temps, le journalisme de paix s'inscrit dans une
démarche prise par des acteurs du Nord à l'égard des
populations du Sud. Dans ce cas, même si des études de terrain
approfondies ont été réalisées avant l'implantation
du média proactif dans le pays en crise, il n'empêche qu'un acteur
extérieur au pays, même mu par les meilleures intentions et
animé par une volonté de fer, aura énormément de
difficultés dans les premiers mois à capter toutes les nuances de
la réalité locale. Il devra s'entourer de collaborateurs natifs
du pays visé et leur offrir une totale confiance, notamment en raison de
la barrière du langage.
Ces initiatives sont généralement bien
intentionnées. Pourtant, dans la pratique, il faut relever un paradoxe
important : alors que le journaliste proactif estime que la
recontextualisation, l'explication des tenants et des aboutissants du
problème, la prise de parole par toutes les parties, améliorera
sensiblement la situation et amènera à une résorption des
tensions, lui-même n'est généralement pas conscient de
toutes les nuances du conflit et ne parle pas la langue locale qui lui
permettrait de juger des propos tenus par les différents acteurs. L'on
parlait précédemment de l'éventualité d'une
mauvaise interprétation des valeurs démocratiques. Dans ce cas,
cette dispersion des jugements de valeurs par l'intermédiaire des
personnes dont le journaliste étranger est dépendant, ne fait
qu'aggraver la situation.
1.3.3. La question de la pérennité des
projets mettant en oeuvre le journalisme proactif
Si l'appui de coopérations étrangères est
souvent profondément utile à la création d'un média
de la paix, une question se pose alors : que se passe-t-il une fois que le
financement extérieur disparaît ? Ces médias, dont le
niveau de fonctionnement est généralement en totale discordance
avec l'économie locale, se retrouvent dès lors dans
l'incapacité d'assurer leur pérennité.
C'est là qu'apparaît dans toute sa lumière
la différence entre les projets d'action humanitaire et les projets de
coopération au développement : d'une part, il s'agit d'offrir une
solution rapide à un problème ponctuel; d'autre part, de jeter
les bases qui permettront aux locaux de fonctionner de manière
indépendante dans l'avenir. Dans le domaine du journalisme de paix, les
deux perspectives existent : certaines ONG utilisent les médias comme
moyens d'intervention d'urgence, afin d'éviter ou de résorber des
conflits (ex : Fondation Hirondelle1). Puis, une fois la menace
passée, elles s'en vont, emportant avec elles leurs antennes et leurs
budgets. D'autres associations visent la promotion à long terme de
certains principes journalistiques, via la création d'écoles de
journalisme, des formations en déontologie du journalisme, des
séminaires permettant à des journalistes de communautés
différentes de travailler ensemble etc. (ex : Institut Panos Paris). Si
les deux approches sont louables, il est indéniable que celle visant la
formation et la prise de conscience par les journalistes de leur pouvoir en
matière de résolution des conflits, est l'exemple même
d'une pérennité assurée.
Pourtant, il existe des cas où une intervention
d'urgence est indispensable, nécessitant de sérieux
investissements à court terme. Toute la question est alors d'arriver
à transformer cet apport extérieur en un développement
durable : en engageant des journalistes et des techniciens
inexpérimentés, qui sortiront compétents de quelques
années passées au service du média proactif, en dispensant
des formations régulières à ces journalistes, en leur
apprenant des réflexes simples, peu coûteux, mais efficaces,
qu'ils pourront reproduire une fois le bailleur disparu. Car le journalisme de
paix peut se créer localement, sans nécessiter de lourds
investissements, puisqu'il s'agit avant tout de respecter une certaine rigueur
professionnelle. Le bailleur extérieur doit donc réfléchir
à deux fois avant de lancer un nouveau média dans le paysage
médiatique d'un pays : ne peut-il pas plutôt travailler à
partir de structures déjà existantes en renforçant ses
capacités, en s'y implantant, plutôt que de créer un
nouveau journal, une nouvelle station de radio, qui laissera un vide
après son retrait du pays ?
1 Pour plus de détails sur ces ONG, se
référer au chapitre 1.4.1.
1.4. Applications sur le terrain de ces notions
1.4.1. Présentation de quelques ONG
significatives
Search For Common
Ground1
Littéralement « recherche d'un terrain d'entente
», SFCG est une ONG qui vise à transformer la manière dont
le monde traite les conflits, passant d'une approche adversative à une
approche collaborative. En collaboration avec le European Centre for Common
Ground, elle se veut une organisation de paix et de résolution des
conflits. Selon SFCG, ce n'est pas le conflit qu'il faut changer - puisque
celui-ci naît de la différence et que chaque être humain est
différent - mais bien la manière de l'approcher, afin qu'il
génère une dynamique de progrès. La section médias
de SFCG a pour but de susciter un nouveau rôle pour la radio et la
télévision, un rôle de réduction de la violence.
SFCG est actif en Angola, au Burundi, RDC, Liberia, Macédoine,
Moyen-Orient, Sierra Leone, Indonésie, Ukraine et aux Etats-Unis. L'ONG
utilise des médium très variés pour atteindre son but :
radio, télévision, formations journalistiques, magazines, arts ou
encore le sport. L'un des exemples d'intervention au travers de la radio est le
projet de communauté radiophonique de Kailahun, en Sierra Léone,
dont le but est de servir de plateforme pour l'échange d'information,
suscitant ainsi une interaction entre les différentes communautés
afin de promouvoir une cohésion sociale. Dans son programme visant
à rapprocher les communautés iraniennes et
nord-américaines, SFCG a cherché un terrain d'entente sur lequel
les deux populations pourraient échanger des idées : elle a
choisi la question de l'environnement. Elle organise des échanges entre
environnementalistes et étudiants des deux pays. Le sport aussi, peut
servir à la réconciliation. En 1999, alors que la guerre fait
rage, SFCG organise au Burundi un tournoi de football entre jeunes de
différentes ethnies.
Avant le lancement de chaque nouveau projet, SFCG adopte la
même méthodologie: analyse de réceptivité,
étude de terrain, recherche de collaborateurs. Après la mise en
route d'un projet, SFCG travaille activement avec des évaluateurs selon
une méthodologie qui allie des savoirs en matière de
médias et de résolution des conflits, afin de mesurer son impact
sur le terrain et, au besoin, de rectifier les techniques utilisées.
1 SFCG
http://www.sfcg.org tel : +1
202 265 4300 contact : John Marks (président).
Fondation Hirondelle1
La Fondation Hirondelle est une ONG suisse. Elle rassemble des
journalistes qui créent des médias en temps de crise : lors de
conflits ouverts ou dans des situations post-conflictuelles. Elle est
également présente pour les acteurs travaillant dans le secteur
du développement lorsque la situation s'avère difficile d'un
point de vue économique, politique ou social. Créée en
1995, elle a gardé le nom de la première radio qu'elle a
fondée, la radio Agatashya (hirondelle) dans la région du Kivu
(RDC). La Fondation a mis sur pied des stations de radio et des agences de
presse, utilisant les langues locales afin de se rapprocher de la population.
L'organisation aspire à collaborer à l'émergence de
sociétés démocratiques et tolérantes. Elle cherche
à contribuer à la formation d'une opinion publique responsable,
citoyenne, ouverte au dialogue. Elle est particulièrement
attachée à la justice, qu'elle considère comme condition
de la réconciliation. La Fondation Hirondelle travaille avec des
collaborateurs locaux, excepté le chef de projet qui est
généralement un expatrié. Son but est en effet d'apporter
son savoir-faire et son expérience, afin que ses employés
puissent par la suite gérer de manière indépendante des
médias indépendants dont ils assurent eux-mêmes le
contrôle.
Le plus grand projet de la fondation Hirondelle est sans
conteste la radio Okapi implantée en RDC en 2002 et gérée
en partenariat avec la Monuc (Mission d'observation des Nations Unies au
Congo). Un autre projet, de taille plus modeste, est l'agence de presse
Hirondelle à Arusha (Tanzanie), qui couvre toutes les informations
judiciaires en rapport avec le TPIR mis en place suite au génocide des
Tutsi au Rwanda. L'agence s'adresse principalement aux Rwandais, ainsi
qu'à toute la région des Grands Lacs.
Centre médiatique de
Belgrade2
Le Centre médiatique est actif dans la région de
l'ex-Yougoslavie principalement. Il s'attache à plusieurs objectifs : la
facilitation des processus de transition médiatique, l'ébauche de
lois relatives aux médias et la formation de journalistes dans des
domaines relatifs à la démocratie. L'offre de cours
destinés aux professionnels des médias est très large :
grâce à ces formations, le Centre médiatique de Belgrade
encourage l'amélioration des standards professionnels, de même que
la démocratisation des médias. Il offre également toute
une série de productions radiophoniques ou
télévisées avec des programmes tels que Moi aussi j
'ai des droits, visant à sensibiliser les enfants et leurs parents
sur le thème des droits des enfants ; En direct depuis La
1 Fondation Hirondelle,
http://www.hirondelle.org
tel : +41 21 654 20 20 contact : Peter Aeberhard (président).
2 Centre Médiatique de Belgrade
http://www.mediacenter.org.yu
tel : +381 11 3343 225.
Haye , dont le but est d'expliquer le fonctionnement
du tribunal international de La Haye ; ou encore une série de cinq
émissions radiophoniques destinées au grand public sur <<
l'éthique et les médias >>.
L'institut Panos
International1
L'Institut Panos est une ONG internationale fondée en
1986 en tant qu'organisation à but non lucratif. L'association <<
mère >>, basée à Londres a des << soeurs
>> indépendantes à Paris, Washington, Dakar
(Sénégal), Port-au-Prince (Haïti) et St Michaël
(Barbados). Depuis 1996, sa structure est décentralisée, avec un
réseau de bureaux régionaux en Afrique du Sud (Lusaka, Zambie) ;
Afrique de l'est (Kampala, Ouganda et Addis Ababa, Ethiopie) ; Asie du sud
(Katmandou, Népal et New Dehli, Inde). Chaque centre régional
travaille de manière plus ou moins autonome, avec son propre
comité consultatif. Le réseau Panos est lié par un
même nom, une même mission et est chapeauté par un Conseil
commun, composé d'un directeur et d'un membre de chaque bureau Panos. La
mission de Panos est de s'assurer que l'information soit utilisée de
manière effective et qu'elle soit au service d'un débat public,
du pluralisme et de la démocratie. Spécialisée dans
l'appui au pluralisme médiatique, Panos travaille au renforcement des
médias du Sud et de leurs capacités à produire et diffuser
; il appuie la production d'informations sur certains thèmes
prioritaires comme la paix, les droits de la personne, les migrations ; enfin,
il s'efforce de susciter et d'alimenter une réflexion critique sur les
enjeux de l'information et de la communication. L'Institut Panos a pour but
d'effacer les inégalités entre les << pauvres >> et
<< riches >> en informations.
1.4.2. Présentation de deux projets
significatifs
Radio Okapi (RDC)
La radio est le médium le plus adapté pour des
applications en temps de guerre ou post-guerre dans presque tout le continent
africain. C'est en effet un moyen de diffusion relativement bon marché
pour les auditeurs, flexible et celui qui parvient à toucher le plus
grand pourcentage de la population dans des zones où peu de gens sont
lettrés et où la tradition orale prédomine2.
Dans un pays rongé par la corruption et la guerre depuis des
décennies, à peine sorti de ce qui fût nommé la
<< première guerre mondiale africaine >>, ils étaient
45 millions d'auditeurs potentiels.
1 Institut Panos
http://www.panos.org.uk tel
: +44 207 278 1111 contact : James Dean (directeur).
2 Au sujet du choix du médium le plus approprié
dans la mise sur pied de programmes proactif, voir HIEBER L., Lifeline
media, reaching populations in crisis, loc. cit., pp. 49-72 (chapter IV :
choosing the right medium).
Avec de larges parties du pays échappant au
contrôle du pouvoir central, 900.000 réfugiés, 2.400.000
citoyens déplacés et 300.000 personnes souffrant de malnutrition,
la République Démocratique du Congo avait besoin d'aide. Alors,
le 25 février 2002, date du lancement du dialogue inter-congolais, l'ONG
suisse Fondation Hirondelle et la Monuc (mission d'observation des Nations
Unies au Congo) lançaient la Radio Okapi. Depuis le début,
celle-ci a été claire sur sa position : << Okapi . la
fréquence de la paix, Okapi . la voix du dialogue, Okapi . une radio
congolaise pour les Congolais »
Promouvoir le dialogue et la paix en RDC, c'est le mandat
spécial que s'est donné la Radio Okapi. Sa vocation est de
fournir une information fiable et rigoureuse aux auditeurs, les accompagnant
dans le processus de paix. Cette structure est de loin le projet radiophonique
le plus important qu'aient eu à gérer ses deux fondateurs et, en
moins d'un an, elle est devenue le réseau le plus large et le plus
important dans tout le pays. Pourtant, une question se pose : alors que l'on
compte 200 stations de radio communautaires, commerciales et associatives sur
le territoire, que vient apporter la radio Okapi que les autres ne puissent
offrir au peuple congolais?
Premièrement, la qualité de ses programmes. En
se centrant sur des thématiques telles celles de la santé,
l'éducation, les droits de l'homme et la culture, elle a permis d'offrir
une information pluraliste et équilibrée sur l'évolution
de la situation nationale. Radio Okapi, que l'Institut Panos Paris qualifie
d'ailleurs du << plus grand succès de la
MONUC>>1, a par exemple pris en charge la publicité des
débats lors du dialogue inter-congolais, avec une équipe de
reporters envoyés sur place, à Sun City (Afrique du Sud). Dans
ses bulletins d'information, Radio Okapi prête une attention
particulière aux activités des Nations Unies, à ses
agences spécialisées et à la mission de la Monuc. Il
s'agit donc d'offrir des informations fiables et de qualité ; mais
également une visibilité aux activités des Nations Unies
au Congo-Kinshasa. Il s'agit d'ailleurs d'un point qui récolte bon
nombre de critiques des observateurs, qui voient dans la radio Okapi d'avantage
un outil de << propagande >> Onusien qu'un service d'utilité
publique. Pourtant, la MONUC représente la plus grande mission de
maintien de la paix actuelle et sa présence, assez visible dans les
centres urbains, se doit d'être expliquée aux habitants.
Dès lors, détailler aux Congolais le rôle de cette mission
de maintien de la paix, ses opérations militaires passées et
futures, n'apparaît pas tant comme un geste de propagande, mais
plutôt comme un soucis de transparence, en adéquation avec la
ligne éditoriale de la radio, laquelle vise à <<
accompagner le peuple Congolais dans le processus de transition et de paix
>>.
1 Actes de l'Atelier Interrégional de Bagamoyo, p. 92.
Disponible sur
http://www.panosparis.org/fr/doc/Actes_Bagamoyo_pour_site.doc
Deuxième avantage de la Radio Okapi sur les autres
médias locaux, c'est sa rigueur : En effet, celle-ci n'est pas sujette
à l'improbabilité de nombreuses radios locales, lesquelles sont
souvent l'objet d'une gestion improvisée, manquent de moyens de
production et disparaissent du jour au lendemain ; ou, pire encore, sont prises
d'assaut par des mouvements rebelles. L'origine de cette stabilité
provient en grande partie dans ses ressources financières :
financée par la coopération suisse, britannique et
néerlandaise d'une part (via la fondation Hirondelle) et par le
géant Onusien d'autre part, la radio fonctionne sur un budget annuel de
8 millions de dollars1. De quoi s'assurer un minimum de garanties...
De même, il faut souligner que l'indépendance de cette radio par
rapport aux acteurs locaux (milices, militaires, opposition, ...) lui
confère une liberté de mouvement que bien d'autres stations ne
peuvent se permettre. La << radio de la MONUC >>, comme bon nombre
de Congolais l'appellent, est un << mammouth >> radiophonique, bien
difficile à ébranler au niveau local.
Enfin, radio Okapi pallie les défaillances des
médias publics nationaux : diffusant dans les cinq langues nationales,
la radio est la seule qui dispose d'une couverture suffisante pour toucher
l'ensemble des nationaux, remplissant dès lors une mission de service
public. Avec des décrochages locaux d'une heure par jour en ondes
courtes, il s'agit là d'une valeur sûre sur laquelle même
les habitants de villages les plus reculés de la RDC peuvent compter.
Elle dispose, outre le studio principal à Kinshasa, de 8 stations
régionales, d'une vingtaine d'émetteurs FM et de 3
émetteurs ondes courtes. Dans ces stations une petite centaine de
journalistes, animateurs et techniciens travaillent 7 jours sur 7 pour offrir
à la RDC une information sûre et crédible en
français, lingala, swahili, tshiluba et kikongo, ce qui permet de
toucher une majorité de la population.
La tâche de cette radio mi-Hirondelle mi-Monuc est assez
délicate. En effet, à la Fondation Hirondelle, l'on vise sans
détour un objectif de résolution des conflits et de construction
de la paix. Pourtant, au même moment, il lui faut s'attacher à
respecter une stricte politique d'impartialité, symbolisée par le
Code d'Ethique de la Monuc2. Jean-Marie Etter, président de
la fondation, explique que l'essentiel dans cette mission est de demeurer
impartial. << Lorsque les auditeurs savent que la station est
précise et crédible, alors ils savent qu 'ils peuvent croire [ce
qu 'ils entendent], alors ils vont vers cette radio. On ne leur dit pas «
fais ceci » ou « fais cela ». Nous
1
http://www.radiookapi.net,
rubrique << A propos de nous >> La contribution
annuelle de la Fondation Hirondelle s'élève à presque 3.5
millions de dollars US par an, financés principalement par le
gouvernement suisse, le RoyaumeUni et les Pays-Bas. La contribution de la MONUC
a été estimée à 4.5 millions de dollars annuels.
(Source : Yves Laplume, directeur adjoint de la radio Okapi).
2 HOWARD R., et al. The Power of the media, a handbook for
peacebuilders, Untrecht, European Centre for Conflict Prevention, 2003,
pp. 111-117.
leur disons : d'après ce que nous savons, ceci est
exactement la manière dont les choses se sont déroulées
>>1.
Si la semaine est consacrée principalement aux
bulletins d'informations, aux débats et aux sujets de
société, les week-ends sont principalement consacrés
à la programmation musicale. Le studio diffuse quantité
d'informations sur des thèmes dits sérieux, mais la partie
plaisir n'a pas été oubliée. David Wimhurst, porte-parole
du département des Nations Unies pour la sauvegarde de la paix,
expliquait peu de temps avant le lancement de Radio Okapi que << en
Afrique, tout le monde écoute la radio. Le Congolais aime la bonne
musique. Ils sont d'excellents musiciens. Nous allons créer notre radio
de sorte que ce soit une radio écoutable, attractive à l
'oreille. Pas une radio de propagande. Nous diffuserons des informations
extrêmement utile, mais nous le ferons dans un contexte
général qui rendra la station attractive
>>2.
La radio, qui vient de fêter ses quatre années
d'existence, cherche à représenter et à servir
l'intérêt public, ce qu'elle fait en basant toutes ses
activités dans la communauté, en recrutant la majorité de
son personnel parmi les Congolais. Tout le travail de terrain est
réalisé par les locaux et c'est uniquement aux tâches de
gestion et de direction que l'on retrouve des Occidentaux. << Seuls
les locaux passent à l 'antenne. Notre but est de puiser dans la
population locale, pour y former des journalistes professionnels >>
explique Christian Schmidt, chargé de programmes Okapi à la
Fondation Hirondelle3.
Pourtant, le grand défi de radio Okapi, aujourd'hui,
c'est la question de la pérennité : avec la tenue
d'élections démocratiques prévues en juin 2006, le mandat
de la Monuc devrait s'achever en septembre 2006 et avec lui, les fonds pour le
fonctionnement de la radio Okapi. Aujourd'hui, la direction de la radio Okapi
s'emploie à mettre en place le mécanisme pour passer d'une
<<radio de crise en une radio nationale d'un Etat
démocratique>>, fonctionnant sur des revenus
propres, issus notamment de l'ouverture des ondes aux annonceurs. Mais il faut
bien se rendre à l'évidence : l'économie locale n'est pas
en mesure de faire tourner cette `super-radio' congolaise. Il ne fait aucun
doute que, sans financement extérieur, radio Okapi devra diminuer soit
son temps d'antenne, soit sa couverture, si elle ne veut pas sacrifier la
qualité de sa programmation. L'avenir de radio Okapi ? Un grand point
d'interrogation.
1
http://real.sri.ch/ramgem/fh/okapi/swissmix.rm,
reportage radiophonique de la Radio Suisse Internationale.
2 HOWARD R. et al., loc. cit. p. 115.
3 Entretien téléphonique du 07 septembre 05.
Feuilleton radiophonique New Home, New Life
(Afghanistan)
New Home, New Life est un feuilleton radio
créé en 1994 pour l'Afghanistan par le Afghan Education Project
de la BBC World Service. Produit sur place, il est diffusé par la BBC en
pashto et en perse, les deux langues principales du pays. A vocation
éducative, l'émission est construite sous forme de fiction
mettant en scène les habitants de trois villages imaginaires. New
Home, New Life est diffusé trois fois par semaine et aborde des
thèmes tels que la santé, les soins des enfants, la
résolution des conflits, les mines anti-personnel, l'illettrisme, la
situation de la femme ou encore la culture d'opium. Ces questions sont, en
Afghanistan, tout aussi importantes que quotidiennes. Shirazuddin Siddiqui,
directeur d'AEP, explique qu' << au départ, en 1994, il
s'agissait de fournir des informations qui leur permettraient de gérer
les difficultés de la vie de tous les jours. Désormais, la
mission a clairement changé : il s 'agit à présent d'aider
les Afghans à reconstruire leur pays et leur vie
>>1.
Résumé des épisodes
13-242
Jandad a été sérieusement blessé
au pied par une mine. Alors qu'il est à la clinique, il a un besoin
urgent d'une transfusion sanguine. Le groupe sanguin de Zaynab, sa mère,
n'est pas compatible avec celui de Jandad et personne d'autre n'est prêt
à offrir son sang pour le sauver, inventant des excuses pour ne pas le
faire. Finalement, Karim se décide et grâce à son don de
sang, il sauve la vie de Jandad. Plus tard, le docteur se voit forcé
d'amputer le pied de Jandad.
Peu après que Gulalai ait été
désignée comme soignant à la clinique, apparaît une
épidémie de malaria dans le Village d'en Haut. Palwasha, la plus
jeune fille d'Akbar et Zarmina, est la première affectée par la
maladie après avoir été piquée par un moustique
dans la maison de Zaynab. Nek Mohammed en tire une leçon et
décide de fixer des moustiquaires aux fenêtres de sa maison pour
les empêcher de leur transmettre la maladie.
Intervention de Lakhdar Brahimi3,
représentant spécial des Nations Unies pour
l'Afghanistan :
Mr. Brahimi, qui joue son propre rôle, répond
à une fillette : << Mon voeu est qu 'il y ait des
écoles pour filles et garçons dans chaque village de ce pays. Car
il est clair que la pauvreté et la maladie peuvent être
éliminées grâce à l 'éducation des filles et
des femmes. Il est essentiel que chacun se sente responsable de l
'éducation des filles. Les menaces sécuritaires envers les
écoles de filles perturbent énormément et je continuerai
de parler de cela au monde >>.
Pourquoi avoir choisi un médium tel que le feuilleton
radio ? Ancré dans des situations similaires à celles de la vie
réelle, il résonne comme authentique à l'oreille des
communautés rurales et urbaines. L'approche des problèmes
humains, des dilemmes et surtout la recherche de solutions par le dialogue,
tout cela fait partie de ce genre de médium. Dès lors, le
feuilleton radio s'adapte parfaitement aux messages éducatifs, puisant
dans l'expérience présente et passée de la population et
proposant des solutions pour l'avenir. De plus, c'est une source de
divertissement
1 Vidéo :
http://www.bbc.co.uk/worldservice/trust/projectsindepth/story/2003/09/030904_aep.shtml
Interview vidéo de Shirazuddin Siddiqui, directeur de Afghan
Education Programm. Remarque : propos traduits par l'auteur.
2
http://www.unesco.org/education/educprog/lwf/doc/portfolio/case3.htm
3
http://www.bbc.co.uk/pressoffice/pressreleases/stories/2003/08
august/03/soap un.shtml Lakhdar Brahimi a fait des apparitions dans trois
épisodes de `New Home, New Life >>, en juillet- août
2003.
dans un pays où tout amusement avait été
banni jusqu'il y a peu. Enfin, c'est d'une importance primordiale, le
feuilleton radio permet aux auditeurs de s'identifier aux acteurs et de
s'approprier leurs comportements positifs face aux problèmes
rencontrés.
Très vite, le projet s'est étendu : puisqu'il
s'avérait parfois difficile d'équilibrer la fiction et les
conseils pratiques, le programme a dès lors été
divisé. D'une part le feuilleton, d'autre part, une section de <<
renforcement >> comprenant des conseils, des interviews servant de
complément à la fiction. Plus innovantes, des chansons portant
sur les thèmes du feuilleton ont commencé à être
diffusées régulièrement par les services pashto et perse
de la BBC. Enfin, des études d'impact sur le terrain sont
réalisées régulièrement par l'équipe de
renforcement et les résultats de ces enquêtes sont publiés
dans un magazine et une bande dessinée mensuelle. L'équipe
<< renforcement >> crée de temps en temps une édition
spéciale, consacrant entièrement une B.D. à un
thème abordé dans New Home, New Life.
Le programme connaît un impact et un succès
énormes après de la population afghane. Kofi Annan, dans une
lettre écrite à l'occasion des 10 ans du lancement du programme,
déclarait : << Au cours de la guerre, alors que les
possibilités de communication étaient rares, New Home, New
Life a aidé les Afghans à rester en contact avec leurs
frères et soeurs à travers le pays. Depuis la signature des
accords de Bonn, l'émission a joué un rôle important en
encourageant les Afghans non seulement à s 'informer, mais
également à s 'engager dans les aspects clés des efforts
de rétablissement et de réconciliation dans le pays
>>1.
Et si le show a résisté au régime des
Talibans, c'est parce qu'à leur arrivée au pouvoir, en 1996, son
succès était déjà très large. Pourtant, le
régime autoritaire avait tenté de censurer les voix
féminines de la série. La réponse de Mr. Siddiqui avait
été simple : << J'ai dit : pour que nos histoires
soient réalistes, il nous faut des hommes, des femmes et des enfants.
S'il n'y a pas de femme dans un village, ce n 'est pas un village, c 'est aussi
simple que cela >>. Gordon Adam, directeur du service en pashto,
croit savoir pourquoi cet argument a été accepté :
<< Bien sûr, ils l 'écoutaient tous [le programme]. C
'est facile de prendre les Talibans pour un tas de fous, un groupe
monolithique, mais en réalité la plupart sont des gens
ordinaires, qui essaient juste de réussir leur vie. Eux aussi veulent du
divertissement. Et bien que notre agenda était pro-femmes, ils
étaient heureux de pouvoir nous écouter
>>2.
1ANNAN, K., Kabul, 30 avril 2004
http://www.bbc.co.uk/worldservice/trust/docs/bbcafghan2004.pdf
2 Auteur Inconnu, A long way from Ambridge, in :
<< The Guardian >>, jeudi 23 octobre 2001, disponible sur:
http://www.guardian.co.uk/waronterror/story/0,1361,579231,00.html
1.5. Conclusion
Au risque de tomber dans le cliché, il semble bon de
rappeler que les médias sont des armes à double tranchant qui
peuvent se transformer en de véritables outils de guerre lorsqu'ils
disséminent des appels à l'intolérance, à la
violence ou qu'ils déforment l'information pour manipuler leur audience.
Les médias peuvent fausser les représentations qu'une
communauté, un peuple ou une simple personne a d'un Autre et
l'influencer à commettre des actes destructifs envers cet Autre.
Mais le tranchant est double, et il existe une autre face aux
médias. En offrant à ses récepteurs une information
fiable, poussée, équilibrée, empathique et propice
à la naissance d'un dialogue, le journaliste peut transformer les
médias en un formidable outil de prévention, voire de
résolution des conflits.
Les adeptes du journalisme de paix sont ceux qui se sont rendu
compte de l'impact positif qu'ils pouvaient avoir au travers des médias.
Gardant cette idée toujours présente à l'esprit, ils
recommandent aux journalistes d'abandonner leur sacro-sainte neutralité
pour oser se positionner clairement en faveur d'une société
pacifique pour le bien de tous ses membres. Le journalisme de paix peut
être soit un but en soi (on peut faire du journalisme dans l'unique but
d'aplanir des situations conflictuelles) ou une méthodologie
utilisée par des journalistes `normaux' (on peut rapporter des
informations pour le seul plaisir d'être journaliste - sans
prétendre pacifier la société, donc - tout en utilisant
les méthodes du journalisme de paix).
Comme nous avons pu le voir, la théorie est critiquable
sur certains points, notamment en ce qui concerne les valeurs
véhiculées ou la question de la pérennité.
Néanmoins, elle a été adoptée et pratiquée
par de nombreux organismes, dont nous avons pu voir quelques
exemples1, ce qui prouve que les critiques ne sont pas
acceptées par tous.
1 Pour de plus amples informations sur les associations qui
utilisent le journalisme de paix, veuillez consulter HOWARD R. et alii
(ed.), The Power of the media, a handbook for peacebuilders, Utrecht,
European Centre for Conflict Prevention, 2003. La dernière partie de
l'ouvrage compte un répertoire détaillé des 67
organisations principales dans ce domaine.
2. Le cas du Burundi
« La radio pourrait être le plus formidable
appareil de communication qu'on puisse imaginer pour la vie publique (...) si
elle savait non seulement émettre, mais recevoir, non seulement faire
écouter l'auditeur, mais le faire parler, ne pas l'isoler, mais le
mettre en relation avec les autres »
Bertolt Brecht, 1930
Ce travail sur le journalisme de paix n'aurait pas
été complet s'il n'avait été illustré par un
cas concret. Si nous avons choisi d'étudier le cas du Burundi, ce petit
pays enclavé au coeur de l'Afrique centrale, c'est parce dans le domaine
des médias et précisément des médias proactifs, les
initiatives y ont foisonné depuis dix ans et le Burundi apparaît
comme un exemple étonnement riche en la matière. Qui plus est,
l'étude du cas du Burundi permet de répondre à la question
qui nous occupe puisque plus de dix ans ont passé déjà
depuis l'implantation du premier organe de presse proactif : dans quelle mesure
le journalisme de paix est-il réalisable à long terme ?
La présente partie du mémoire a
été rédigée à partir de l'expérience
que nous avons pu acquérir lors de notre séjour au Burundi. Les
données exposées dans l'étude de ce cas pratique ont
principalement été le fruit d'entretiens avec les professionnels
burundais. Afin que le lecteur puisse néanmoins avoir accès
à une partie des sources, certains de ces entretiens ont
été retranscrits dans les annexes, de même que les
résultats d'une enquête réalisées auprès de
72 journalistes.
Les journalistes burundais sont extrêmement conscients
du rôle qu'ils ont joué et qu'ils pourraient encore jouer dans le
processus de réconciliation nationale. Le pays sort à peine d'un
conflit qui a éclaté en 1993 et causé la mort d'environ
300.000 personnes. A vrai dire, il n'en est pas encore tout à fait
sorti, puisqu'un mouvement rebelle continue à semer le trouble autour de
la capitale. Au Burundi plus qu'ailleurs dans la sous-région, les
professionnels des médias ont compris le poids des mots, le poids de
leurs mots. Le journalisme de paix, on l'a vu, peut se décliner sous
d'innombrables formes. Le Burundi ressemble à un laboratoire en
matière d'initiative médiatique : tout y a été
tenté. Afin que le lecteur se rende compte de l'ampleur du travail
abattu en matière de médias au Burundi, nous nous devions de
brosser un tableau rapide de l'évolution du paysage médiatique au
cours de ces quinze dernières années et pour que cette
évolution prenne tout son sens, un rappel de la chronologie politique
récente semble nécessaire.
En 1993, le Burundi va vivre des évènements
tragiques qui marqueront le début d'une guerre civile longue de plus de
dix ans et qui causera la mort de 300.000 personnes, indistinctement de leur
appartenance ethnique. Pour une bonne compréhension, le lecteur doit
savoir que le peuple du Burundi est composé de trois ethnies : les Hutu
représentent près de 85% de la population, les Tutsi 14% et les
Batwa 1%. Depuis la crise de 1972 et les massacres qui s'en étaient
suivi, les Hutu pourtant majoritaires avaient été exclus de toute
participation significative au pouvoir, et l'armée était
marquée par une hégémonie tutsie.
En 1993, désireux d'instaurer un processus
d'unité nationale et de démocratisation, le major Buyoya, Tutsi
arrivé au pouvoir en 1987 par un coup d'Etat et considéré
comme le grand artisan
de la démocratisation du pays depuis 1988, avait
organisé des élections présidentielles. A l'époque,
le principal concurrent de l'Uprona (Union pour le progrès national),
parti du président Buyoya et ancien parti unique, est le parti Frodebu
(Front pour la démocratie au Burundi), parti majoritairement hutu
récemment sorti de la clandestinité. A la grande surprise de
tous, l'élection marque la victoire du parti Frodebu. Son candidat,
Melchior Ndadaye, est le premier Hutu à accéder au poste de
président.
Le major Buyoya reconnaît sa défaite et
félicite le gagnant. Melchior Ndadaye remercie le pouvoir en place. Ces
échanges de politesse laissent présager un apaisement de la forte
tension qui régnait au Burundi dans la perspective des
élections.
Pourtant, quatre mois et demi plus tard, le président
Ndadaye est assassiné par une faction rebelle de l'armée. Sonne
alors le début de la guerre civile : des Hutu de l'Uprona ainsi que des
Tutsi sont tués par des Hutu qui désirent venger la mort de leur
Président. Les représailles de l'armée - principalement
tutsie - sont très sévères et durant plusieurs semaines
ont lieu des massacres, organisés tantôt par l'armée,
tantôt par les extrémistes hutus. Après d'âpres
négociations, Cyprien Ntaryamira, Hutu du Frodebu, est nommé
président en février 1994. Deux mois plus tard, il
décède dans les airs de Kigali, dans l'attentat qui coûtera
également la vie à Juvénal Habyarimana, son homologue
rwandais. Son décès relance la lutte pour le pouvoir, et la
violence se généralise dans tout le pays. La ville est
balkanisée : certains quartiers sont ethniquement
épurés.
Ce n'est qu'en 1998 qu'ont lieu les premières
négociations de paix sous les auspices de Julien Nyerere, ancien
président Tanzanien puis de Nelson Mandela, président
sud-africain. Elles aboutissent en août 2000 à la signature
d'accords de paix (dits Accords d'Arusha) entre le gouvernement,
l'Assemblée nationale, le G7 (représentants des partis politiques
hutus) et le G10 (représentant des partis politiques). Ces accords
permettent la mise en place des institutions de transition pour trois ans, dans
lequel la majorité hutue est représentée à hauteur
de 60%. Les mouvements rebelles CNDD-FDD (Conseil nationale de défense
de la démocratie - Front de défense de la démocratie) et
FNL-Palipehutu (Front national de libération - Palilehutu) refusent de
signer les accords. Le CNDD-FDD entrera finalement au gouvernement en 2003,
après signature d'un accord de paix.
Aujourd'hui, la transition est terminée depuis le 26
août 2005, au terme d'un scrutin qui a consacré la victoire du
CNDD-FDD et placé Pierre Nkurunziza à la présidence.
Malgré cela, la
guerre n'est pas entièrement terminée, puisque le
mouvement rebelle FNL-Palipehutu est toujours actif dans la région de
Bujumbura-rural. Mais l'on chuchote que des négociations sont en
cours...1
2.1. Situation des médias au Burundi
2.1.1. Historique
Trois dates clé, couplées de trois textes
clé, structurent l'histoire récente du paysage médiatique
burundais. Il s'agit d'une part de la Constitution de mars 1992, proclamant en
son article 26 que « toute personne a droit à la liberté
d'opinion et d'expression dans le respect de l 'ordre public et de la loi
>>. D'autre part, l'arrivée du major Buyoya au pouvoir par un
putsch en 1996 aura une grande influence sur les médias burundais,
puisqu'il suspend les partis politiques, principaux parrains des journaux et
qu'il fait adopter le 21 mars 1997 un décret-loi sur la presse
très contraignant. Et enfin, en 2003 une nouvelle loi du 27 novembre
2003 régissant la presse au Burundi, remplace le décret de 1997,
au grand plaisir des professionnels burundais.
1992 : Libéralisation et dérive des
médias
Avant la Constitution de 1992, c'est une loi de 1976 qui
régissait le paysage médiatique burundais, déclarant que
« les journalistes burundais doivent toujours oeuvrer en patriotes
convaincus et conscients des idéaux du parti, seul organe responsable de
la vie nationale >>. Autant dire que la liberté de presse est
nulle et par conséquence, la presse privée est presque
inexistante : Ndongozi (le guide), bimensuel de l'église
catholique, est la seule publication privée de l'avant1992. Le paysage
médiatique est caractérisé par un monopole étatique
sur les médias, assuré au travers d' Ubumwé
(l'unité), hebdomadaire officiel en kirundi, Le Renouveau,
quotidien francophone, ainsi que la Radio Télévision
Nationale Burundaise (RTNB). A cette époque du parti unique, cette
presse publique est placée sous la surveillance étroite du
gouvernement et les seuls journaux privés à avoir vu
sporadiquement le jour évitaient de traiter des sujets politiques, afin
d'éviter les répressions gouvernementales.
La presse privée apparaît dès 1992, dans la
ferveur du processus de démocratisation qui voit l'avènement d'un
système pluraliste et de la libéralisation de l'information.
Parmi les
1 Pour une chronologie plus complète voir en Annexe
page 108. Pour plus d'informations sur le rôle de l'ethnisme dans la
crise burundaise, la lecture de l'ouvrage de Jean-Pierre Chrétien est
incontournable : CHRETIEN J-P, Le défi de l'ethnisme. Rwanda et
Burundi : 1990-1996, Paris, éditions Karthala, 1997.
nombreux partis politiques qui naissent à
l'époque, apparaît notamment le Frodebu, (Front pour la
démocratie au Burundi, à majorité hutu), parti à
majorité hutu qui naît en réponse à l'Uprona (Union
pour le progrès national, ancien parti unique). A l'époque,
l'Uprona tient les rênes du pouvoir depuis 1966. Le passé du pays
est troublé et la cohésion sociale fragile lorsqu'en 1992,
s'instaure un processus de démocratisation. Sous la pression
internationale, la liberté d'expression est inscrite dans la
Constitution. Surgit alors une presse indépendante du pouvoir en place
et, en quelques mois, apparaissent une demi-douzaine de titres,
généralement rattachés aux partis politiques nouvellement
créés1. Et cette première expérience
d'une presse `libre' laissera de tristes souvenirs dans les mémoires
burundaises, puisqu'elle servira à attiser la fibre ethnique et penchera
souvent dans les affres de la presse extrémiste, à l'image de ce
qui se déroule au même moment au Rwanda.
Avec, à l'esprit, les élections de juin 1993
à venir, les partis politiques utilisent ce qu'ils ont en leur pouvoir
pour faire pencher le sort en leur faveur. Ainsi, le Frodebu utilise ses
publications comme tribune, incriminant l'Uprona pour les décennies de
discriminations subies par les Hutus, L'Uprona mobilise les médias
publics et les deux journaux qu'il a sous son contrôle pour diaboliser le
Frodebu. Cet extrait du Défi de l 'ethnisme de Jean-Pierre
Chrétien est révélateur de la situation2 :
<< La campagne présidentielle a en effet
été marquée par la remontée d'oppositions
virulentes entre Hutu et Tutsi, au moins sur le plan verbal. (...). La
stratégie du Frodebu a manifestement joué de cette corde :
dénonciation des crimes passés de `l'armée tutsi',
attaques contre les réfugiés rwandais, railleries sur le fait
`qu'on ne pouvait pas forcer les gens à s'aimer', multiplication des
provocations notamment contre les Hutu militant à l'Uprona
décrits comme des `traîtres'. Tombant dans le piège,
l'Uprona s'est employée à << diaboliser >> le Frodebu
en fixant tout le débat sur cette question >>.
Avec l'arrivée au pouvoir de Melchior Ndadaye, du
Frodebu, puis son assassinat, la presse écrite vire rapidement dans
l'extrémisme total, la peur de l'autre en devient le premier levier.
Hutu comme Tutsi rivalisent d'imagination dans leurs appels à la haine.
Le Carrefour des Idées, proche de l'Uprona, s'interroge sur la
personnalité de Ndayaye : << Héros national ou chef de
la tribu des coupeurs de tête ? >>3.
Côté Hutu, on ne lésine pas sur les mots non plus :
<< Tuer ou être tué, tuer ou être asservi encore
une fois pour toujours >>, voila comment l'Aube de la
Démocratie4 résume la situation.
1 L 'indépendant et Le Carrefour des
idées sont créés par les dirigeants de l'Uprona en
février et mars 1992. En août, deux journaux du Frodebu sortent de
la clandestinité : L 'Aube de la démocratie-Kanura Burakeye.
Le Citoyen (créé en décembre 1992), La Semaine
(mars 1993) et Panafrika (mai 1993) sont des journaux qui se
veulent neutres.
2 CHRETIEN J-P (op. cit.), pp. 52-52.
3 Le Carrefour des idées, 15 décembre
1993, cité par Reporter sans frontières (éd.) in :
CHRETIEN J-P, Burundi : le venin de l'intolérance. Etude sur les
médias extrémistes, Paris, Juillet 1995.
4 L 'Aube de la Démocratie, cité par
Reporter sans frontières, op. cit., p. 61.
En avril 1994, lorsque le Burundi perd son président
Cyprien Ntariyamira dans l'attentat qui frappe l'avion de Juvénal
Habyarimana, président rwandais, le pays s'enfonce encore plus dans la
guerre civile, ponctuée par des violences intercommunautaires et les
répressions de l'armée - à majorité tutsi. Les
journaux deviennent alors armes de guerre. Heureusement, le public qu'ils
touchent est relativement étroit, puisque lettré et limité
aux espaces urbains et ces armes n'auront pas une large portée.
Retour du major Buyoya et réorientation du
paysage médiatique burundais
Le retour du major Pierre Buyoya au pouvoir par un coup d'Etat
en juillet 1996 met fin à cette expansion médiatique. Il porte un
coup de grâce à la presse burundaise le 21 mars 1997, lorsqu'il
fait adopter un décret-loi très contraignant, la plaçant
dès lors sous la très haute surveillance du ministre de la
communication, lequel peut suspendre ou interdire des médias «
en cas d'urgence »1. Celui-ci reçoit un accueil
glacial de la part des professionnels, qui le qualifient de liberticide.
Presque tous les journaux qui étaient nés de cette liberté
de la presse antérieure vont disparaître. Cependant, Buyoya ne
pose aucun frein à l'initiative privée, ce qui permet le
développement du pluralisme radiophonique, véritable
révolution dans l'univers médiatique burundais. Dès 1995,
apparaissent les premières radios privées, avec CCIB-FM (radio de
la chambre du commerce et d'industrie burundaise) et Radio Bonesha. Tout comme
en presse écrite, deux partis politiques projètent de monter
leurs propres radios (Radio Tanganyika pour l'Uprona et Radio
Démocratie-Nutoromangingo pour le CNDD). Le spectre des radios de la
haine se profile donc, à l'image de la presse burundaise de
l'époque, mais les projets n'aboutiront jamais, ce qui coupe court aux
prétentions radiophoniques des leaders politiques de l'époque.
La même année, l'ONG belgo américaine
Search For Common Ground (SFCG) s'installe au Burundi et met sur pied le Studio
Ijambo, un studio de production qui diffuse alors ses programmes sur les ondes
de la RTNB (Radio télévision nationale burundaise). Son but :
promouvoir la paix, la réconciliation et le dialogue. Réalisant
le potentiel énorme de la radio, différents acteurs burundais et
étrangers lanceront par la suite de nouvelles stations, avec la
détermination de se distinguer des partis politiques et animés
par un désir d'équilibre. Naissent alors plusieurs radios aux
programmes diversifiés, avec, elles aussi, le but affirmé
d'oeuvrer pour la paix. Le Studio Tubane (cohabitation) est créé
à Bruxelles en 1996 et s'installera à Bujumbura en
1 Le décret-loi de 1997 impose un triple
dépôt préalable de 24h pour les hebdomadaires, et de 4 h
pour les quotidiens, il abolit la garantie du secret des sources et
prévoit de lourdes sanctions pour les délits de presse. Il
autorise cependant les initiatives privées, laissant dès lors sa
chance au développement radio.
juin 2001. Radio Culture apparaît en 1999. Puis, en
2001, Radio Publique Africaine (RPA) voit le jour. En 2002, c'est au tour de la
radio Isanganiro (lieux de rencontres), suivie en 2004 de Radio Renaissance et
Radio Mariya. Influencée par ce contexte d'ouverture et cette
concurrence nouvelle, la RTNB, longtemps utilisée comme instrument de
propagande du gouvernement au pouvoir, finit par se repositionner et s'ouvre
à son tour aux points de vue divergents afin de ne pas perdre ses
auditeurs.
La période de transition
Aujourd'hui, dix ans après le coup d'Etat de Buyoya,
une nouvelle Constitution régit les médias du pays. En novembre
2003, une nouvelle loi sur la presse est adoptée, qui intègre les
droits fondamentaux du journaliste. Cette loi, qui représente une
avancée significative pour les médias burundais, procure une
large liberté aux journalistes et aux responsables des médias.
Elle garantit la protection des sources, met fin à l'autorisation
préalable, supprime le triple dépôt et garantit la clause
de conscience. Plus libérale, elle prévoit cependant des peines
de prisons lourdes en cas de délit de presse1.
Malgré ce bond en avant dans le domaine de la
liberté de la presse, la loi restera insuffisante tant que les textes
d'applications concernant tous les volets du projet de réforme ne seront
pas d'application. Sur trois volets, deux ne sont pas encore appliqués :
il s'agit, d'une part, d'une loi visant à rendre le Conseil national de
communication (CNC) indépendant de la Présidence de la
République ; d'autre part, d'un texte de loi portant création
d'un fonds de promotion des médias2.
En ce qui concerne la presse écrite, la période
de transition suivie de la prolifération des radios privées lui
porte un coup important : la culture d'oralité, l'analphabétisme
du peuple jouait déjà contre elle ; mais avec la diversification
des médias radiophoniques, même l'élite fidèle aux
journaux se détourne petit à petit de la presse écrite. Le
choix s'amplifie et les Burundais accordent rapidement leur confiance aux
nouvelles radios. Aujourd'hui, la pauvreté de la presse écrite
est éclatante : les trois journaux d'avant-1992 (les deux journaux
publics Le Renouveau et Ubumwe et le catholique Ndongozi)
ont survécu au Major Buyoya et seul un hebdomadaire privé,
L'Arc-enciel a réussi à se faire une place en presse
écrite. Ndongozi, la plus régulière des
publications privées, tire aujourd'hui entre 3500 et 5000 exemplaires
chaque semaine, qui sont vendus dans les
1 FRERE M.-S. (dir.), Afrique centrale. Médias et
conflits : vecteurs de guerre ou acteurs de paix, Bruxelles, Editions
GRIP, 2005, p. 79.
2 Les lois sur la presse au Burundi, 2004, disponible
sur :
http://www.panosparis.org/fichierProdFR/fichierProd1352.pdf
paroisses au prix symbolique de 50 Fbu. Les autres
publications privées tentent de survivre, mais vivent dans une triste
précarité : elles ne paraissent que très
irrégulièrement et leur tirage, limité aux centres
urbains, est dérisoire (300 à 500 exemplaires). La plupart des
titres enregistrés par le Conseil National de Communication n'existent
que dans la théorie, puisque leur apparition dans les kiosques est
extrêmement sporadique.
C'est cette démission de la presse écrite qui a
entraîné l'apparition de nombreuses agences de presse. A
côté de l'Agence de Presse Burundaise (APB), un organe public
fondé en 1976 et subventionné par l'Etat, il existe aussi des
agences de presse privées : Net Press, Aginfo et
Zoom.net. Leurs abonnés sont
généralement des fonctionnaires, des ONG, ainsi que des membres
de la diaspora. Aginfo et
Zoom.net comptent moins de 100
abonnés. Avec 350 clients, Net Press est l'agence qui a le plus de
succès.1 C'est aussi celle qui joue le plus souvent avec la
fibre extrémiste, et qui reçoit le plus d'avis négatifs et
de mises en garde de la part des instances de surveillance des
médias2.
Ces agences doivent beaucoup à l'apparition d'Internet,
au travers lequel elles diffusent leurs informations. Avec seulement 8000
internautes au Burundi3, l'accès à cette information
est dès lors fort limité. En contrepartie, l'investissement pour
créer une agence de presse n'est pas très gros et il est
même possible de créer une agence sans posséder
d'ordinateur. C'est ce que fait l'agence
Zoom.net, qui diffuse son bulletin
à partir de cybercafés...
2.1.2. Paysage radiophonique burundais
Les médias publics
Aujourd'hui, le paysage radiophonique burundais est
composé de neuf radios privées, deux radios publiques et trois
studios de production privés.
La radio nationale (Radio Burundi) est créée en
1961, la télévision en 1984. Sous le régime de parti
unique, les médias privés servent exclusivement à faire la
publicité du gouvernement et de ses activités.
Caractérisée par une approche hyper verticale, les médias
publics servent alors de moyen de communication de l'élite gouvernante
vers le peuple gouverné. Chaque jour, le journal parlé et
télévisé s'ouvre sur un éditorial à la
gloire du Président. C'est une information partisane,
1 L'ABP compte 100 abonnés, dont sept médias
burundais. Par contre, aucun média ne souscrit aux dépêches
d'Aginfo (80 abonnés, 26$/mois), de
Zoom.net (50 abonnés, 45$/mois) ou
de Net Press (350 abonnés, 30$/mois).
2 Voir rapports d'activités de 2004 du CNC (centre
national de la communication).
3 Chiffre de Reporter sans frontière, 2002. Voir :
http://www.rsf.org/
subjective et incomplète qui est diffusée au
travers les organes de la RTNB (Radio Télévision Nationale du
Burundi, qui regroupe les médias publics). Lors des différents
massacres que connaît le Burundi à l'époque, radio comme
télévision nationales couvrent abondamment les méfaits
commis par les auteurs des rebellions, mais passent sous silence la violence
disproportionnée des ripostes de l'armée. Les journalistes ont
alors extrêmement peu de liberté d'expression, en dehors de celle
autorisée par les objectifs gouvernementaux.
Dès son arrivée au pouvoir en 1993, le Frodebu
adopte la même attitude de propagande que l'Uprona. Du jour au lendemain,
les journalises qui avaient été nommés par l'ex parti
unique se voient contraints de travailler pour son ennemi politique, sous peine
d'être limogés. Pourtant, cette machine journalistique louant
autrefois la gloire de l'Uprona ne se plie pas du jour au lendemain au nouveau
gouvernement. Journalistes comme auditeurs ne savent plus trop sur quel pied
danser. Les éditoriaux sont vacillants : tantôt en faveur du
Président, tantôt critiques, en fonction des affinités du
journaliste avec le pouvoir en place. Les journalistes tutsis se plaignent de
la censure du ministre hutu, et lors de la prise du pouvoir par Buyoya en 1996,
c'est au tour des journalistes hutus de décrier les pressions subies.
L'information diffusée est aléatoire, mais certainement toujours
partisane. Pour exemple, jusqu'aux pourparlers de paix d'Arusha, les rebelles
du CNDDFDD sont qualifiés par les journalistes de tribalo
terroristes génocidaires. Aujourd'hui, ces mêmes journalistes
interviewent régulièrement les membres du CNDD-FDD en
commençant leurs questions par Monsieur le Président, ou
Madame la Ministre... 1
Des accords de paix et une transition politique de trois ans
influencent cependant le comportement des médias publics.
Progressivement, la censure s'allège, et des voix divergentes peuvent
être entendues. Avec timidité au début, les journalistes
tendent le micro à d'autres tendances politiques, laissant passer des
critiques. Avec l'apparition des radios privées, il devient en effet
inutile de tenter de leurrer la population. Innocent Muhozi, ancien directeur
général de la RTNB, explique qu' <<avec ces
nouvelles radios, la liberté d'expression s 'est davantage
élargie et
c 'est grâce à ces radios privées que
la marge de la RTNB s 'est aussi élargie. Car à partir du moment
où il n 'y avait plus de mystère pour ces radios, le pouvoir n
'avait plus grand chose à interdire à la
RTNB>>2. L'apparition de nouvelles radios
privées influence positivement les médias publics, puisqu'elles
tirent littéralement la radio privée vers le haut en
matière de qualité des programmes, et de diversité des
points de vue.
1 Ce paragraphe s'inspire de l'entretien de Jean-François
Bastin, le 24 janvier 2006.
2 MUHOZI I., << La radio au Burundi et la
liberté d'expression >> dans : « Rapport de la
table-ronde du 28 mars 2005 sur les radios burundaises, vecteurs de sortie de
crise et de démocratisation >>, ABR, p.4.
Cependant, vu le faible nombre de production originales,
l'abondance d'émissions concédées1 à des
organismes extérieurs, et marquées par leur passé de
médias officiels, les radios et télévisions publiques
n'avaient pas réussi à s'imposer comme médias nationaux
dans le coeur des Burundais. En 2002, la coopération belge au
développement décide d'intervenir en faveur de la RTNB,
espérant la transformer en un outil de démocratisation et de
réconciliation, ce qui permettrait dès lors aux Burundais de se
réapproprier les médias publics. Ce projet,
implémenté au travers de l'asbl Kabondo2, travaille
aussi bien sur le plan technique (passage numérique,
réhabilitation des locaux, ...) que qualitatif (sensibilisation au
traitement médiatique de certains sujets sensibles, augmentation du
professionnalisme des journalistes...). Et les résultats s'entendent.
Certes elles ne sont pas encore parfaites, mais les radios et
télévision publiques avancent à grands pas et les
Burundais commencent à se les réapproprier, à en avoir
confiance, et à les apprécier.
Aujourd'hui, l'information diffusée sur la RTNB a
gagné en qualité, les éditoriaux ont disparu et les
médias publics ont su récupérer la confiance de leurs
auditeurs. Subsiste malgré tout une certaine autocensure : <<
Tout est en place à la RTNB pour faire de l 'information impartiale
et fouillée », explique Jean-François Bastin,
responsable de l'ASBL Kabondo. « Mais il faut avouer que parfois les
journalistes se laissent faire et n 'osent pas lutter contre les pressions,
bien qu 'ils aient tous les outils en main pour le faire (associations
professionnelles, textes légaux, ...) Ils se cachent un peu
derrière cette soi-disant impuissance du petit journaliste face à
l 'homme politique tout-puissant »3.
La radiotélévision nationale du Burundi (RTNB)
constitue, avec 400 journalistes, techniciens et administratifs, le principal
établissement audiovisuel au Burundi. La RTNB est régie par un
décret datant du 11 avril 1989, lequel la définit comme un
<< établissement public à caractère
administratif, doté de la personnalité juridique et de l
'autonomie de gestion >> (art. 1). Situées sur un même
site, télévision et radios publiques sont dirigées par un
directeur général et un conseil d'administration. À la
tête de cette structure, Léonidas Hakizimana, l'actuel directeur
général, a été nommé par décret
présidentiel sur proposition du Ministre de l'information pour une
durée de quatre ans (art. 14). Il est assisté dans sa tâche
par quatre directeurs des départements (radio, télévision,
technique, administratif et financier). Les cinq postes de la direction sont
répartis
1 Une émission concédée est une
émission :
- soit produite à l'extérieur et diffusées
sur les ondes de la radio (exemple : les émissions de RFI livrées
prêtes à être diffusées dans les stations
partenaires)
- soit produite par la radio elle-même, mais en
collaboration avec un organisme extérieur (exemple : émission sur
le SIDA subventionnée par une ONG de lutte contre le SIDA)
2 L'asbl Kabondo, même si elle est financée par
une enveloppe de la coopération belge au développement,
représente un partenariat << masqué >> entre la RTBF
(médias publics belges) et la RTNB. La plupart des employés de
cette asbl sont des anciens de la RTBF. Jean-François Bastin est
notamment un journaliste qui a construit sa renommée au sein du
média public belge.
3 Entretien du 24 janvier 2006.
selon la proportion suivante : 40% Tutsi, 60% Hutu. Cette
répartition, appliquée dans toutes les directions des services
publics, s'inspire des accords d'Arusha. La RTNB est placée sous la
tutelle du ministre de la communication, lui-même contrôlé
par le cabinet présidentiel, c'est-à-dire que le ministre peut
annuler les décisions du Conseil et du Directeur général
<< qu 'il estime contraires à l 'intérêt
général >> (art. 30).
Les deux stations publiques couvrent
l'entièreté du pays, grâce à l'émetteur
central de Bujumbura ainsi que 6 antennes relais, installées sur les
plus hautes collines de l'intérieur du pays. Radio Burundi émet
uniquement en kirundi, alors que la deuxième chaîne, dite <<
internationale >>, diffuse ses programmes en français (70%), en
swahili (20%) et en anglais (10%).
En ce qui concerne la télévision, l'état
burundais règne en maître incontesté sur ce domaine : en
effet, c'est lui qui contrôle la télévision nationale,
l'unique chaîne locale. Cependant, elle ne couvre que 60% du territoire,
et ne dessert que les rares personnes disposant d'un poste de
télévision et d'électricité (surtout à
l'intérieur du pays, où il s'agit d'un luxe auquel la
majorité n'a pas accès). La télévision burundaise a
été créée en 1984. Elle émet sur un unique
canal en kirundi, swahili, français et depuis janvier 2006,
également en anglais. Mis à part ces quelques productions
propres, la plupart des émissions diffusées sur la chaîne
nationale viennent d'ailleurs, et sont fournies telles quelles par CFI, le
PNUD, l'Union Européenne, TV5, etc. De même, ces magazines
externes fournissent régulièrement de la matière pour les
productions de la télévision : les journalistes du JT puisent
dans les images de CFI pour illustrer de larges séquences
internationales, alors que les animateurs des émissions musicales se
servent de clips fournis par MCM.
Les radios privées
Les radios privées offrent de nombreuses alternatives
à l'institutionnelle RTNB. Le premier avantage de ces radios est
qu'elles offrent la possibilité à de simples citoyens de
s'exprimer sur des faits d'actualité. Marie-Louise Sibazuri, auteur d'un
feuilleton radiophonique produit par le Studio Ijambo, explique que <<
dans les pays en guerre, la majorité des gens veulent la paix et y
oeuvrent individuellement. Mais il n 'existe pas d 'espace public pour exprimer
cette envie de paix : c 'est une majorité silencieuse».1
Cette nouvelle vague de radios au Burundi canalise cette majorité,
la rassemble pour lui offrir un espace d'expression.
1 Interview du 10 décembre 2004.
Dès ses débuts, la RPA s'affiche comme <<
la voix des sans voix », qui lui vaudra plus tard le surnom de
<< radio du peuple »1. Radio Isanganiro lance un
programme basé sur des correspondants locaux, qui, avec leurs
téléphones portables, animent des débats dans les
régions les plus reculées du Burundi. Marie-Louise Sibazuri
estime que le feuilleton Nos voisins, notre famille représente
un moyen pour les gens qui écoutent de faire entendre leur voix, puisque
certains auditeurs envoient à l'auteur leur histoire personnelle, lui
demandant de s'en inspirer dans ses scénarios. Les radios privées
servent également à accompagner le processus de paix, en
expliquant les tenants et les aboutissants. Pour exemple, Bonesha consacre de
longues heures d'antenne à populariser et à expliquer l'accord
d'Arusha lors de sa signature en 2001. La politique d'emploi au Studio Ijambo,
mélangeant indistinctement Hutus et Tutsis dans une même
équipe journalistique, permet de resserrer les liens interethniques,
brisés après des décennies d'exacerbation de la fibre
ethnique. Dans cette liste non exhaustive de rôles joués par les
radios privées burundaises, citons enfin les débats et interviews
mettant en scènes des groupes de l'opposition, et, parfois, des chefs
rebelles. Ces interventions sur les ondes d'acteurs habituellement exclus des
médias permet dès lors la création d'un forum de
discussions constructives, et prépare la population aux
évolutions politiques, jadis inimaginables, comme l'insertion des
rebelles au gouvernement en 2003.
« Les radios ont donc oeuvré à
développer l 'esprit critique et les réflexes citoyens en
confrontant la population à des positions diversifiées et parfois
contradictoires sur les ondes. Dénon çant les abus, posant des
questions audacieuses aux responsables politiques, rompant le silence autour de
certains sujets tabous, elles ont remporté la confiance des auditeurs et
changé la face de ce pays en renforçant le processus
démocratique », explique Eva Palmans2.
2.1.3. Présentation des radios privées du
Burundi
CCIB-FM
La radio CCIB-FM, radio de la chambre du commerce, de
l'industrie, de l'agriculture et de l'artisanat, est la toute première
radio privée du Burundi. Apparue le 16 juin 1995, elle est lancée
avec l'appui de la Chambre du Commerce de Paris et de l'assistance technique de
la coopération française. À vocation purement
économique, CCIB-FM est située dans un bâtiment
caché derrière les locaux de la Chambre du Commerce. La radio
emploie 15 journalistes, 14 animateurs et 3
1 Alexis Sinduhije, fondateur et directeur de la RPA, a
été honoré du Prix international pour la liberté de
la presse en novembre 2003.
2 Palmans Eva, op. cit. p. 74
techniciens. La plupart d'entre eux sont jeunes, car
recrutés dans une même promotion de la faculté de
communication à l'Université Lumière1.
Avec des émissions musicales et des animations libres,
les thèmes des émissions varient, mais restent axés sur
l'économie : << femme et développement >>,
portraits de décideurs économiques, << Burundi
économie >>, ... Et si, depuis juin 2005, la chaîne
diffuse 15 heures de programmes par jour, elle a pourtant de sérieux
problèmes pour renflouer ses caisses, puisque sa seule rentrée
économique provient de la Chambre du Commerce, elle-même en
difficulté financière. Celle-ci lui cède un tiers de ses
subventions quand l'Etat les lui verse, ce qui représente 49.000$. Mais
l'état s'avère plutôt capricieux en ce qui concerne le sort
de la chambre du commerce : il lui a coupé les vivres pendant quatre
ans, puis en 2005 elle est réapparue dans le budget national, mais pour
2006 la Chambre du Commerce ne sait touj ours pas si elle sera ou non
financée par l'état. Pour le moment, la radio CCIB-FM vit
principalement de fonds provenant de l'ONG Promotion Abstinence.
En ce qui concerne la publicité, les recettes sont
maigres : bien qu'elle se veuille destinée aux décideurs
économiques, l'aînée des chaînes privées ne
peut guère compter sur l'investissement de ces acteurs pour assurer sa
survie. En effet, dans un pays où le tissu commercial est
délabré, très peu d'entreprises financent la
publicité. En 2004, ses revenus publicitaires se chiffraient à
€ 5.000 alors qu'elle estimait ses besoins annuels à €
190.0002. Vu ses maigres recettes, CCIB-FM diffuse uniquement dans
Bujumbura, puisqu'elle n'est pas en mesure de louer des émetteurs
à l'intérieur du pays.
Radio Sans Frontière Bonesha FM
En 1995, après le génocide rwandais, Bernard
Kouchner3 désire intervenir afin d'éviter une
tragédie similaire au Burundi, étant donné la
proximité culturelle et historique des deux populations. Ayant
décelé le pouvoir de la radio dans les pays africains, il
décide d'agir au travers ce médium. À son initiative,
l'Association pour l'Action Humanitaire (AAH) entreprend la création
d'une station de radio diffusant sur le territoire burundais. Le 19
février 1996, la radio Umwizero (<< espoir >>) voit
le jour. Il s'agit de la première radio privée associative,
indépendante et généraliste. Financée par ECHO, le
programme d'aide humanitaire de l'union européenne, la radio Umwizero
vise à promouvoir la réconciliation nationale et le
développement, notamment au
1 Entretien téléphonique avec Jean-Jacques
Ntamagara, directeur de CCIB-FM.
2 NKURUNZIZA J.-C. et NDIKUMANA D., Étude faite sur
les avantages fiscaux à accorder à la presse au Burundi,
publié par l'association burundaise des radiodiffuseurs (A.B.R.),
pp. 7-8.
3 Bernard Kouchner, médecin co-fondateur de
Médecins sans frontière ainsi que politicien, est à
l'époque député européen socialiste.
travers ses émissions musicales : radio Umwizero se veut
une radio de jeunes et pense pouvoir apaiser les esprits burundais au travers
de la musique.
Aujourd'hui, Umwizero est devenu Radio Sans Frontière
Bonesha FM après avoir changé de nom et de statuts1.
Les jingles et les titres de certaines émissions sont restés,
mais si la ligne éditoriale est restée identique à celle
d'origine, elle s'est néanmoins adaptée aux besoins actuels.
Aujourd'hui, les priorités de la radio sont les suivantes : bonne
gouvernance, développement économique, négociations avec
le FNL, environnement et lutte contre la corruption. De plus, les moyens
utilisés ont changé : les programmes se sont enrichis, même
si une large place est toujours laissée aux émissions
musicales.
Situés au coeur de la ville, coincés entre un
cabinet d'avocats et un restaurant, les locaux de Bonesha sont limités
au strict nécessaire, comme toutes les structures médiatiques
burundaises: une salle de rédaction de quatre mètres sur quatre,
deux studios (un studio d'enregistrement et un autre de diffusion) et un hall
d'entrée transformé en secrétariat. Les journalistes ne
disposent que d'une seule ligne téléphonique, servant aussi bien
à la prise de rendez-vous qu'aux interviews et seuls cinq ordinateurs
sont accessibles aux 13 journalistes et 11 animateurs. C'est sur ce
matériel de base que fonctionne la radio, qui diffuse tout de même
17 heures de programmes quotidiens.
Que le lecteur non averti ne s'étonne pas de la
situation matérielle de cette radio : toutes les radios privées
burundaises vivent en réalité dans une grande
précarité, dans la mesure où elles sont dépendantes
du bon vouloir des bailleurs, qui louent leurs ondes ou qui « parrainent
» les émissions liées à leur secteur d'action au
travers d'émissions concédées. C'est le lot de toutes les
stations privées et parmi celles-ci, Bonesha, qui fonctionne sur un
budget prévisionnel de 250.000 dollars pour l'année 2006, est
loin d'être la plus mal lotie... La précarité
caractérise les médias burundais : Développement et Paix
Canada, le principal bailleur de radio Bonesha et le seul à lui fournir
un financement en argent liquide, a annoncé en avril qu'il devrait
diminuer ses aides à la radio. Depuis, Corneille Nibaruta, le directeur,
fait des pieds et des mains pour s'attirer les faveurs des autres bailleurs.
Sous peine de quoi, dit-il, Radio Bonesha devra fermer ses
portes.2
Les émissions sont diffusées en kirundi (60%),
en français (30%) et en swahili (10%). Radio Bonesha couvre tout le
territoire burundais depuis l'installation, en avril, d'un nouvel
1 En 1995, l'association française AAH se
joint à une équipe de Burundais rassemblés sous
l'Association pour la Radio Umwizero (ARU) afin de satisfaire aux
exigences burundaises et obtenir l'autorisation du CNC pour lancer la station.
Lorsque l'AAH se retire du projet en 1999, elle cède ses biens et le
patrimoine de la radio à une autre association locale, l'association
radio sans frontière (ARSF). Un conflit de gestion ne tarde pas à
éclater entre l'ARSF et l'ARU. L'Union européenne tranche en
faveur de l'ARSF, lorsqu'elle décide d'attribuer les équipements
de la radio (qui lui appartiennent) à l'ARSF. La radio change de nom et
de statut en avril 1999, afin de ne pas continuer à fonctionner sous le
nom d'une association désormais extérieure au projet.
2 Entretien téléphonique d'avril 2006.
émetteur à Inazerwe (Sud). Les ondes peuvent
également être captées au Sud du Rwanda et à l'Est
de la RDC. Radio Bonesha emploie 34 personnes ainsi que 6 correspondants.
Radio Culture
Troisième radio privée en ordre chronologique,
la radio a le statut d'une entreprise commerciale. Spécialisée,
comme son nom l'indique, dans la promotion de la culture, elle est
fondée en 1997 par Frédéric NGENZEBUHORO, ex
vice-président de l'Assemblée nationale, à qui le CNC
demande à l'époque d'abandonner son poste de directeur de la
radio en raison de l'incompatibilité avec la fonction de
parlementaire.
Radio Culture, en raison de sa spécificité, ne
diffuse ni bulletin d'information ni magazine d'actualité. C'est une
station de spots, de musique, de magazines culturels, diffusés
principalement en kirundi (50%), mais également en français et en
swahili. Comme CCIB-FM, elle connaît des problèmes financiers et
toutes deux, ainsi que Bonesha FM, ont vu leurs émissions
brouillées en janvier 2003 par l'ARCT (Agence de régulation et de
contrôle des télécommunications). Celle-ci leur
réclamait des arriérés de redevance (3.5 00$ par an)
qu'elles étaient bien incapables de payer.
Selon Déo Nkunzimana, son directeur, la radio
couvrirait 85% du territoire burundais grâce à ses deux
émetteurs (un à Bujumbura et l'autre à Manga)1.
Elle occupe une quarantaine de personnes à temps plein, parmi lesquels
12 journalistes et 8 correspondants2.
Radio IVyizigiro
La première radio confessionnelle de l'après
1992 naît le 15 mai 2000, à l'initiative de l'Église
pentecôtiste. Sa vocation : répandre la bonne parole. Très
peu connue, elle diffuse pourtant jusqu'à l'intérieur du pays
(70% du territoire) et ce 5 heures par jour. La radio Ivyizigiro émet
sous la houlette de l'association religieuse protestante World Outreach
Initiatives.
Radio Publique Africaine
Avec le lancement de la RPA en mars 2001, c'est le
début d'une nouvelle ère radiophonique qui s'annonce au Burundi.
La ligne éditoriale basée principalement sur les
communautés de base et l'expression des plus démunies, vient
révolutionner les habitudes des auditeurs, rompus à des
médias beaucoup plus institutionnels. Désireux de rompre avec la
méthodologie verticale, Alexis Sinduhije, son fondateur et
actuel directeur, adopte une attitude
1 Entretien du 11 janvier 2006.
2 NDIKUMANA C., L 'état des médias au Burundi,
2006, document interne à l'Institut Panos Paris, p. 5.
révolutionnaire pour l'époque et les traditions
: désormais, ce ne sont plus les administrateurs qui auront en premier
le droit de parole sur antenne, mais bien les administrés. Partisane
d'une méthodologie horizontale, la RPA ouvre de nouvelles
perspectives dans l'univers alors trop rigide des médias burundais.
<< Nous sommes venu combler un vide >>, explique Mr.
Sinduhije.
Trouvant les autres radios trop timides, les instigateurs du
projet RPA viennent renforcer la position de Bonesha sur la scène
médiatique (réconciliation nationale et développement),
mais ils vont plus loin, osant briser les tabous en faisant parler le peuple.
« Nous voulions aborder les problèmes réels des citoyens
et pour cela il fallait faire parler les gens qui vivaient en premier ces
problèmes : le peuple, pour aller demander des comptes aux
décideurs par la suite »1. Dans un premier temps,
les auditeurs ont du mal à s'habituer : la RPA se veut la voix des
sans voix et nombreux sont ceux qui la qualifient de << radio
des domestiques >> ou << radio des va-nu-pieds
>>. Aujourd'hui, la RPA s'est fait connaître pour ses
reportages de proximité et se qualifie pour ses prises de risques,
notamment au travers de plusieurs grands reportages
d'investigation2, qui ont valu l'admiration des auditeurs. En toute
logique puisque la RPA s'affirme comme radio de proximité, 80% des
programmes sont diffusés en kirundi, pour seulement un dixième en
français ou en swahili.
L'apparition de la RPA a provoqué une secousse dans le
paysage médiatique burundais et son apport y est indéniable.
Cependant, la radio, qui se veut populaire, présente les mêmes
défauts que la plupart des médias people : trop souvent,
ses journalistes `oublient' de recouper l'information et à plusieurs
reprises elle a fait l'objet de rapport négatifs de la part du Conseil
National de la Communication, qui lui reprochait des calomnies et diffamations,
exagération des faits ou déséquilibre de l'information.
A sa décharge, il faut préciser qu'une bonne
moitié des 23 journalistes et 13 animateurs sortaient à peine de
l'université ou n'avaient pas suivi de formation du tout lorsqu'ils ont
été recrutés. Initiés sur le tas au
métier de journaliste, ils sont peu encadrés dans leur travail
quotidien. De plus, inspirés par le succès des quelques grands
reportages d'investigation réalisés par leurs aînés,
ils ont parfois tendance à confondre le métier de journaliste et
celui de justicier, se voulant dénonciateur des crimes et malversations
en tout genre. D'où une tendance à parfois verser dans le
sensationnalisme. Esdras Ndikumana, ex-journaliste de la RPA aujourd'hui
correspondant pour RFI, explique que malgré ces erreurs
déontologiques, << la RPA réalise de temps à
autres des
1 Entretien du 16 janvier 2006.
2 Deux enquêtes en particulier ont fait parler de la
RPA : la première menée sur l'assassinat du roi Charles Ndizeye
en 1972 à Gitega, mettant en cause des anciens dignitaires civils et
militaires. La deuxième investigation portait sur l'assassinat du
représentant de l'OMS, l'Ivoirien Kassi Manlan, tué au Burundi en
2001, et a mis en cause des anciens responsables de la police.
enquêtes tellement poussées, des histoires
tellement fortes que d'un coup on en oublie toutes les bourdes passées,
pour ne plus voir que les aspects positifs >>.1
Enfin, soulignons que la radio a été
jusqu'à rompre les tabous en ce qui concerne le recrutement des
journalistes : lors de sa création, anciens combattants et militaires
avaient une place de choix pour intégrer l'équipe. Le but ? Selon
des documents internes à la station, il s'agissait que ces <<
partisans de la guerre instrumentalisés pour tuer se transforment en
apôtres de la paix et en défenseurs de la vie »2.
Des jeunes issus de l'armée ou des rebellions, même
opposées (FNL, FDD, << sans échec >>), ont
donc intégré l'équipe de la RPA, pour être
formés au métier de journaliste.
Lors de son lancement, la radio était financée
par la Fondation américaine Ford pour les frais de fonctionnement, le
PNUD pour la formation et l'Unesco pour les équipements. Aujourd'hui, la
RPA, qui se veut communautaire et non commerciale, vit presque en
totalité des subventions allouées par les bailleurs de fond, qui
s'élèvent à un budget prévisionnel de 800.000 euros
pour 2006. Ses principaux bailleurs sont Cordaid, Open Society, le PNUD
(programme des nations unies pour le développement) via le Programme
Cadre d'Appui aux Communautés (PCAC), l'Union européenne et la
coopération belge3.
Radio Isanganiro
Autorisée à émettre le 13 novembre 2002,
Isanganiro est en quelques sortes le fruit de Search For Common Ground -
Burundi. En effet, à l'époque, les journalistes du Studio Ijambo
se sentent à l'étroit dans leur rôle de producteurs : les
partenariats avec Bonesha, la RTNB ou la RPA ne se révèlent pas
amplement satisfaisants. Ils décident alors de créer la radio
Isanganiro, une radio associative communautaire qui travaillerait en
collaboration étroite avec le Studio Ijambo, tout en étant
statutairement indépendant de SFCG. C'est pourtant l'ONG
américaine qui couvre l'entièreté des dépenses
d'Isanganiro à sa création4, prévoyant un plan
de réduction progressive de son appui financier jusqu'au retrait total
de SFCG en 2007. Isanganiro, qui ne bénéficie plus aujourd'hui de
la part de SFCG << que >> d'un budget couvrant 20 % de ses
dépenses5, essaie tant bien que mal de se trouver d'autres
bailleurs et d'attirer les annonceurs afin d'équilibrer ses comptes. Pas
toujours avec succès : cela fait trois ans qu'elle néglige de
payer les redevances dues à l'ARTC, avec une
1 Entretien du 24 janvier 2006.
2 Dossier de présentation de la RPA, fourni par la radio
elle-même, p. 1.
3 NDIKUMANA C. (op. cit.) p. 6.
4 +- 250.000 $ pour 2002.
5 75.000$ sur un budget de fonctionnement de 400.000$ pour
l'année 2006
dette qui s'élève désormais à 64.
800 US$ (€54.000) 1. Les trente et un membres du
personnel sont cependant payés régulièrement.
Émanation de SFCG, la radio a choisi une devise qui
lui ressemble : << Le dialogue vaut mieux que la force >>.
<< La radio Isanganiro est née en 2002, dans un contexte de
conflit armé vieux d 'une dizaine d 'années >>,
explique Mathias Manirakiza, le directeur2. << Il s
'agissait dès lors de rapprocher deux communautés divisées
par un contentieux de sang. Pour y parvenir, il fallait briser les tabous, oser
dire. Le maître mot chez Isanganiro, c 'est le dialogue >>. Et
la devise attire l'audience : la radio jouit en effet d'une grande
popularité, notamment à l'intérieur du pays, puisqu'elle
couvre l'entièreté du territoire national grâce à
ses 6 émetteurs3. De même, elle a su séduire la
diaspora en assurant la diffusion de 16 heures de programmes quotidiens via
Internet.
Né au départ comme un projet alternatif de
SFCG, Isanganiro a désormais quelques difficultés à s'en
démarquer. Les locaux de la radio sont situés dans le même
bâtiment que ceux de l'ONG américaine et le visiteur non averti
aura du mal à distinguer le personnel de la radio Isanganiro de ceux du
studio Ijambo. En effet, ce dernier dispose de plus de matériel, de
locaux et de personnel que la radio et les journalistes d'Isanganiro descendent
fréquemment la volée d'escalier qui les sépare de leurs
voisins d'en bas, afin d'utiliser leurs infrastructures. De même, les
auditeurs - mais également les journalistes d'autres stations ! -
tendent à confondre les deux structures, attribuant à tort les
productions du studio Ijambo à la radio Isanganiro.
Il faut en effet savoir que tous les magazines
produits par le studio ijambo, c'est-à-dire 7 émissions et deux
feuilletons radiophoniques, sont diffusés sur les ondes d'Isanganiro,
d'où la confusion. Cette forte dépendance laisse planer un doute
quant à l'attitude qu'adoptera Isanganiro à l'heure du retrait de
SFCG. Outre les problèmes financiers évoqués
précédemment, persiste la question des trous dans la grille de
diffusion : si déjà aujourd'hui, la radio Isanganiro a du mal
à rentrer dans ses frais, qu'en sera-t-il lorsqu'il lui faudra produire
neuf nouvelles émissions pour combler ce vide ? Le grand risque est de
voir ces trous comblés par des animations libres ou des animations
musicales, provoquant dès lors une forte diminution de la qualité
de radio Isanganiro.
Radio Renaissance
Créée grâce au soutien du Français
Bernard Henri Lévy après sa visite au Burundi en 2001, Radio
Renaissance est lancée en 2004 et dirigée par Innocent Muhozi,
ancien directeur général de la RTNB. C'est une radio
d'actualité à caractère généraliste. La
station, subventionnée par le
1 Entretien avec Mathias Manirakiza, le 10 janvier 2006
2 Entretien du 10 janvier 2006.
3 à Bujumbura, Manga, Mutumba, Birime, Inanzerwe et
Kaberenge.
centre Martin Luther King, émet en kirundi, swahili,
français et anglais. Elle ne possède qu'un seul émetteur
de 500 Watt, qui ne lui permet pas de couvrir les terres en dehors de la
capitale. Elle est en effet basée à Bujumbura, dont les habitants
peuvent écouter les programmes à raison de 12 heures par jour.
Elle emploie une quinzaine de journalistes et animateurs.
Radio Mariya-Burundi
Radio Mariya-Burundi (RMB) fait partie du réseau de la
famille mondiale des Radios Maria (WFMR- World Family for Maria Radio)
d'obédience catholique. Le réseau a signé une convention
de collaboration avec l'archevêque de Gitega, Mgr Simon Ntamwana afin d'y
implanter une antenne burundaise. La station a une couverture réduite,
puisqu'elle ne diffuse que dans les environs de Gitega (deuxième ville
du pays, au centre), où elle a installé ses bureaux. Pour
l'instant elle ne dispose qu'un d'un émetteur à Gitega, mais un
autre devrait être installé d'ici peu à Gihosha afin de
pouvoir élargir son audience à la capitale. Seuls trois
journalistes y travaillent, mais radio Mariya peut compter sur un large
réseau de bénévoles et de correspondants dans les
paroisses du pays.
Radio Ijwi ry-Amahoro
Autorisée à émettre en 2005, la radio
Ijwi ry-Amahoro (La voix de la paix) est une radio confessionnelle
gérée par le Diocèse de Bujumbura. Elle a commencé
ses essais en avril 2006.
2.1.4. Les studios de production radiophoniques
Studio Ijambo
Le lancement
Le Studio Ijambo, fondé en mars 1995 par Search For
Common Ground (SFCG), naît en réponse à deux
problèmes majeurs qui se posent à l'époque dans le paysage
médiatique burundais : l'éclosion de médias de la haine
d'une part et l'absence de source crédible d'information pour les
contrer d'autre part. Le studio n'est en réalité qu'un des
éléments du projet de SFCG au Burundi, dont la mission est de
promouvoir le dialogue afin de renforcer les capacités des
différentes composantes de la population burundaise à
gérer leurs conflits de façon collaborative.
SFCG envoie sa première délégation au
Burundi à la fin de l'année 1994, en réponse à
l'appel lancé par le rapporteur spécial des Nations Unies pour
les droits de l'homme, Paulo Sergio Pinheiro, qui craint une
répétition du génocide rwandais chez son faux jumeau, le
Burundi : « Sur
la question d'un génocide éventuel au
Burundi, il ne sied guère de se demander quand il aura lieu, en gardant
les yeux rivés sur le Rwanda >>1. Et d'appeler
à l'action. Ainsi, au printemps 1995, SFCG ouvre un bureau à
Bujumbura.
Les défis initiaux
Décrivant le climat sociopolitique du Burundi à
l'époque où SFCG mettait sur pied le Studio Ijambo, le rapporteur
spécial des Nations Unies pour les droits de l'homme, Paulo Sergio
Pinheiro utilisait ces mots : « Le Burundi est un beau pays dont la
population ne demande qu 'à vivre et à prospérer au milieu
de ses troupeaux et de ses champs de coton, de café ou de thé,
à pêcher ou à développer son commerce et son
industrie et, peut-être, à redécouvrir entre Burundais ces
quelques vertus et valeurs partagées qui ont permis à leurs
ancêtres de vivre ensemble, Hutu et Tutsi mêlés, des
siècles durant. >> Pourtant, ajoute-t-il, << les
Burundais vivent actuellement dans une atmosphère de haine, de
méfiance et d'exclusion. Ils se recroquevillent au fond de leur
coquille>>.2 Attitude compréhensible
quand on sait que la crise de 1972 avait fait entre
100.000 et 200.000 morts et que celle de 1993 causerait
300.000 décès et pousserait des milliers de familles à
l'exil.
Le but de SFCG est de contrer la culture de haine et de
suspicion, de promouvoir les comportements et d'exacerber chez chacun des
Burundais la part d'eux qui aspire à la paix sans oser l'avouer, alors
que le pays est alors en proie à un génocide au
compte-goutte. C'est dans cette atmosphère que le studio Ijambo va
être confronté à l'un de ses plus grands défis: la
loyauté ethnique. Il fallait aider les journalistes locaux à
réconcilier des attitudes opposées : d'une part les comportements
prônés par la culture journalistique moderne, qui font loi dans
les locaux du Studio Ijambo ; d'autre part le rattachement à son
identité ethnique vu le climat de guerre et qui fait loi dans tout le
reste du pays... Ce challenge culturel est certainement l'un des plus
importants puisqu'à elle seule la loyauté ethnique nie les
principes journalistiques modernes d'indépendance et
d'objectivité. Bryan Rich, fondateur et premier directeur du SI,
explique qu'à l'époque, << le principe rigide de
loyauté familiale et d'identification ethnique et régionale
signifie que les journalistes burundais doivent affronter une pression
énorme pour arriver ne fût-ce qu 'au degré le plus basique
d 'objectivité >> 3.
1 Nations Unies, Premier rapport sur la situation des droits
de l'homme au Burundi présenté par le Rapporteur spécial,
M. Paulo Sérgio Pinheiro, le 27 février 1996. E/CN.4/1
996/16.
2 Nations Unies, op.cit.
3 RICH B., One David, two Goliaths: the struggle for
independent media in Burundi, Nieman Report, Winter 1997, p. 63,
cité dans: USAID, Greater horn of Africa peacebuilding project:
media intervention in peacebuilding in Burundi - The Studio Ijambo experience,
September 2000, p. 9.
Il faut toutefois noter que pour s'engager dans un projet
comme le SI, les journalistes burundais devaient avoir une vision moins
restrictive de l'ethnicité. Ceux qui travaillent pour cette `radio pour
la paix' sont justement ceux-là même qui osent dire non à
la dualisation de la société sur des critères ethniques.
<< Les gens ne peuvent pas s 'entretuer parce qu 'ils sont clairs ou
foncés, parce qu 'ils sont grands ou petits. On ne peut pas
décimer un peuple pour des choses avec lesquelles il est né
»1, explique Marie-Louise Sibazuri. Mais si chacun est
convaincu au sein du SI de l'absurdité de cette guerre, le
problème des pressions extérieures - familiales, politiques -
n'en reste pas moins présent. Lena Slachmuijlder, ancienne directrice du
studio, cite notamment la vulnérabilité des journalistes aux
pressions comme l'un des risques encouru par le studio2 . La
solution généralement adoptée était unique à
l'époque : pour chaque sujet couvert, le Studio Ijambo envoyait sur le
terrain une équipe mixte - un Hutu et un Tutsi.
Cette pratique sert également à affronter
l'autre grand défi du SI : éviter à tout prix d'être
perçu comme partisan de l'une ou l'autre ethnie. Ci-dessous, un extrait
d'un guide pratique3 pour tous ceux qui désireraient se
lancer dans le journalisme de paix :
Gagner la confiance de la population affectée est un
pas essentiel dans la programmation humanitaire et post conflictuelle. Afin d'y
parvenir, l'information présentée doit être
crédible. La crédibilité signifie plus que la simple
justesse des faits. Cela signifie que la source d'information soit crue et que
la représentation de l'information soit faite de manière à
inspirer la confiance des auditeurs.
En août 1995 le studio de production signe un contrat
de partenariat avec Radio Burundi et la collaboration débute. La
règle à accepter pour travailler en collaboration avec le Studio
Ijambo : n'effectuer aucune coupure ni montage. Il faut accepter
l'émission telle quelle ou la refuser entièrement. <<
Il fallait donner chaque émission 24 heures avant la diffusion. 24
heures c 'est énorme pour de la radio. Alors, quand on n 'envoyait pas
la cassette avant la deadline, ils en profitaient parfois pour rompre leur part
du contrat : ils faisaient des coupures », explique Francis Rolt,
directeur du studio entre 1998 et 2000. << D 'autres fois, ils
refusaient l 'entièreté d'une émission, sans raison
apparente. Puis, la semaine d'après ils changeaient d'avis et
diffusaient finalement l'émission mise en cause »
4. Malgré ces quelques
désagréments du début, la collaboration avec la radio
nationale est perçue par les fondateurs du Studio Ijambo comme un pas
primordial : non seulement elle représente l'unique voie pour faire
entendre ses productions, mais cette relation permet de procurer au studio la
légitimité nécessaire aux yeux des décideurs
burundais. La dépendance du Studio Ijambo par rapport à la RTNB
prend fin quand le studio signe
1 Interview du 10 décembre 2004.
2 SLACHMUIJLDER L., Media as a tool for dialogue and
reconciliation, 2003, p. 4.
3 HIEBER, L., op. cit., p. 77.
4 Interview du 22 octobre 2004.
un partenariat avec la Radio Agatashya, basée en RDC.
Deux avantages à cette nouvelle collaboration : le Studio Ijambo atteint
une portée régionale qu'elle n'a pas avec la RTNB ; ensuite
lorsque la radio nationale refuse de censurer certaines émissions,
celles-ci trouvent néanmoins échos sur une autre
fréquence1. A la fin des années nonante, les
perspectives du studio s'élargiront d'autant plus grâce à
l'apparition puis la prolifération des radios privées.
Un semblant de `charte
déontologique'
En mettant sur pied le Studio Ijambo, Bryan Rich avait
conscience de l'opportunité historique que représentait cette
expérience. C'était l'occasion pour lui de montrer l'influence
positive de réconciliation que peuvent exercer les médias. Ainsi,
avec son équipe embryonnaire de cinq journalistes hutus et tutsis, il a
défini la mission du Studio Ijambo ainsi que certains objectifs de
bases. Parmi ceux-ci :
- << Positionner le studio comme une voix
indépendante et neutre, qui couvre chaque côté du conflit
>>. En plus de créer une source crédible d'informations,
l'équipe a essayé dès les premiers instants de faire du
centre de production un forum où chacune des parties puisse discuter des
questions qui les divisent.
- << Créer une audience large, de personnes
ordinaires, aussi bien bourreaux que victimes des violences >>. Rich
explique : << Dès le début, l 'équipe a
décidé de laisser les personnes raconter leur propre histoire,
plutôt que de nous-mêmes interpréter l 'information.
Ainsi,
c 'est via les comptes-rendus du peuple que nous
définissions le conflit et ses conséquences sur la vie de tous
les jours et ce sont de ces expériences vécues qu
'émergeraient des solutions >>.
- << Créer, renforcer et encourager la confiance
et la crédibilité des journalistes locaux >>. Pour cela, il
était nécessaire de mettre sur pied une équipe
composée de Hutus et de Tutsis travaillant ensemble, respectant les
règles de base du journalisme et partageant une expérience
commune.
Le studio Ijambo aujourd'hui
Au début de l'année 2006, une trentaine de
journalistes travaillent au Studio Ijambo2. Dix ans d'existence lui
ont permis de se forger une solide réputation et de consolider ses
partenariats.
1 La guerre civile en RDC força la station à
fermer ses portes. Radio Agatashya avait été créée
en 1994 par l'ONG suisse Fondation Hirondelle dans les camps de
réfugiés rwandais en RDC.
2 En janvier 2006, SFCG avait développé trois
autres départements opérationnels ou projets, regroupés
dans les mêmes bâtiments que le studio Ijambo et la radio
Isanganiro. Le Centre de Paix pour les Femmes (CPPF), fondé en
1996, cible les associations féminines ainsi que les femmes leaders et
travaille directement à la base des communautés. Parmi ses
activités, l'on retrouve également une partie médiatique,
puisqu'il produit un magazine radio (Mukenyezi
Les productions du studio sont diffusées à
travers sept radios : la RTNB, Bonesha FM, Renaissance, Insanganiro, RPA,
Maendeleo (RDC) et Kwizera (Tanzanie). En retour, SFCG apporte à ces
structures un appui en formation, en matériel et/ou
financier1.
Comme nous le verrons ultérieurement, les magazines
produits ont évolué en même temps que les besoins de la
population burundaise. Début 2006, une réorientation
stratégique a eu lieu, qui a permis de définir de nouvelles
priorités et de nouvelles productions soient en adéquation avec
l'actualité. Les trois axes selon lesquels sont orientées les
nouvelles émissions sont le dialogue, la réconciliation et la
bonne gouvernance.
- dialogue : promotion du dialogue entre les
belligérants, afin d'aboutir à une compréhension mutuelle
et construire des solutions à partir de cet échange. Les
émissions produites dans cet axe sont financées par USAID, DFID
et SIDA.
Programmes : les magazines d'actualité
Express et Amasanganziro.
- Réconciliation : Il s'agit
avant tout de traiter des problèmes des déplacés, des
réfugiés et des démobilisés, afin de
préparer les esprits à la cohabitation pacifique avec les anciens
combattants ou ceux qui avaient fui. Dans cet axe entre aussi le traitement de
la problématique de la terre. Tout comme pour l'axe << dialogue
>>, les productions axées sur la réconciliation sont
financées par USAID, DFID et SIDA.
Programmes : Dusangire ikivi n 'ikiyago
(intégration des démobilisés), Ramutswa iwanyu
(aborde le retour des rapatriés) et Icibare cacu (traite
des conflits fonciers).
- Bonne gouvernance : aborde les sujets tels
la gestion de la chose publique, l'état de droit, les questions de
genre, la corruption et les malversations économiques. Le gouvernement
belge finance le projet << femme et gouvernance >>.
Programmes : Kumugaragaro sur la bonne
gouvernance et Buri irya n 'ino (femme et gouvernance).
Sept émissions donc, voilà la production
actuelle du studio Ijambo. Chacune d'elle est réalisée par une
équipe de deux ou trois journalistes, ce qui constitue un luxe en
comparaison avec les autres médias. Pour exemple, les magazines produit
par la RPA sont à charge d'un seul journaliste, qui doit
généralement, en plus de son émission hebdomadaire,
assurer des reportages
Nturambirwe, << Femme, ne te décourage
pas >>) sur les initiatives que prennent les femmes en faveur de la paix.
Un projet jeunesse, appelé le Carrefour des Jeunes pour la Paix,
mène des activités similaires à celles
organisées par le CPPF, adaptées à la jeunesse et
accompagnées entres autres par des rencontres sportives et des concerts
musicaux. Enfin, le dernier projet a été lancé en 2003. Il
s'agit de << Victims of torture >>, pour lequel SFCG a
principalement un rôle de coordination, puisqu'il est
implémenté au travers trois organisations partenaires.
1 À titre d'exemple, la radio Bonesha recevait 7.500$
par mois pour diffuser les émissions du studio Ijambo. Aujourd'hui, les
financements de SFCG ont diminué, et l'ONG ne paie << plus
>> que 1 .500$ mensuellement pour la location des ondes de Bonesha
mensuellement. Source : Entretien avec Corneille Nibaruta, directeur de RSF
Bonesha FM, 13 janvier 2006.
d'actualité pour les journaux quotidiens. Mais il n'y a
pas lieu non plus de comparer les budgets d'une radio burundo-burundaise avec
ceux du Studio Ijambo, structure extra territoriale.
Studio Tubane
Le Studio Tubane naît en en 1996 à Bruxelles
à l'initiative de la diaspora burundaise. Le nom de l'association
(tubane signifie << cohabitation >>) illustre la ligne directrice :
Il s'agit de produire des émissions promouvant la cohabitation pacifique
des Burundais. A l'époque, celles-ci sont diffusées sur les ondes
de la radio Umwizero. En 2000, le studio est transféré à
Bujumbura : l'asbl belge devient une association de droit burundais, tout en
gardant des collaborateurs à Bruxelles, chargés de
réaliser des programmes avec la diaspora.
Aujourd'hui, le Studio Tubane s'intéresse
spécifiquement au sort des réfugiés, essayant de
créer des conditions favorables à leur rapatriement, ainsi
qu'à la sensibilisation à la lutte contre le VIH/SIDA. Il s'agit
d'une toute petite structure, employant seulement 3 journalistes, mais ceux-ci
sont dynamiques : ils croient à leur lutte pour la promotion de la paix,
de la justice, de la démocratie et sont persuadés de l'impact
positif qu'ont leurs six émissions hebdomadaires sur les auditeurs.
Parmi celles-ci, l'on compte un programme de théâtre
radiophonique, une émission d'éducation des femmes pour leur auto
développement, une production de sensibilisation à la lutte
contre le VIH/SIDA, deux émissions d'actualités ainsi que
l'émission Sangwaiwanyu (Bienvenue chez vous) qui traite de
tous les thèmes touchant de près ou de loin au rapatriement.
Créées au format de 30 minutes, ces productions - toutes en
kirundi - sont diffusées sur les ondes de la RTNB et de la RPA,
moyennant une rémunération de la part du Studio Tubane
Le Studio Tubane se situe à la frontière entre
le journalisme de paix et le journalisme de développement : en effet,
les émissions de développement de la femme ou de lutte contre le
SIDA entrent dans la catégorie << développement >>,
alors que Sanwaiwanyu représente l'exemple type d'une
production << proactive >>, oeuvrant dans le but de la
réconciliation, en visant une réintégration pacifique des
rapatriés dans leurs communautés d'origine. Le Studio Tubane est
financé principalement par l'ONG hollandaise ICCO.
Public information office de l'Onub
L'Onub, la mission des Nations Unies au Burundi, se composait
jusqu'il y a peu, d'un studio de production radio, d'un studio TV et d'une
unité de presse écrite. Aujourd'hui, les unités radio et
TV ont fusionné, formant désormais une seule unité
radio-TV.
La mission de l'Onub débute en juin 2004. Isabelle Abric,
la directrice du service d'information parle alors de créer une radio de
l'Onub, à l'image de la radio Okapi en RDC. Elle
désire, dans une première phase, monter un
studio de production radio, pour ensuite diffuser ses émissions sur les
ondes d'une << radio Onub >>. L'Onub se met en quête de
journalistes et de techniciens compétents : nombreux sont ceux qui
postulent, n'hésitant pas à quitter leur emploi dans une radio
locale. Il faut savoir en effet que les journalistes à l'Onub sont
payés entre 600 et 800 $ par mois, salaire impressionnant quand l'on
sait qu'un professeur burundais du secondaire touche généralement
dix fois moins. L'Onub trouve donc aisément du personnel ; le CNC lui
attribue des fréquences, ainsi que des autorisations d'émettre.
En octobre de la même année, l'unité radio produit sa
première émission, qu'elle diffuse sur les ondes de radios
locales partenaires. Il s'agit d'une heure1 d'information
généraliste, sur l'actualité du Burundi, mais aussi sur
l'actualité onusienne. En décembre, l'émission
hebdomadaire devient quotidienne. Mais l'expansion s'arrête là. Il
n'y aura pas de << radio Onub >>, vu les avis négatifs
recueillis au sein de la société civile et du monde des
médias à l'idée de la création d'une nouvelle
radio.
Jusqu'à peu après les élections de 2005,
le studio traite surtout d'information politique, puisque la politique est
l'actualité de l'année. La ligne éditoriale change
cependant avec la nomination de Wilton Fonsesca au poste de chef du Public
Information Office. Désormais, le studio essaie de prendre des couleurs
plus onusiennes, refusant de se frotter aux sujets politiques : les
bulletins quotidiens traitent de l'actualité de l'ONU, des ONG et de la
société civile. L'information locale est traitée dans la
mesure où il s'agit de grande actualité non politique.
En avril 2005, la section vidéo voit le jour. Elle
travaille en partenariat avec la RTNB, la télévision publique sur
laquelle elle diffuse gratuitement un magazine hebdomadaire de 13 minutes.
Mélange d'information d'actualité et de sujets intemporels, le
magazine est réfléchi afin de ne pas entrer en concurrence avec
la RTNB. << Ici, on essaie de couvrir l'information que la
télévision publique ne peut pas ou n 'a pas l 'occasion de
couvrir. Il s 'agit de ne pas faire double emploi », explique Gilles
Sereni, directeur de la section vidéo. Depuis le 16 janvier, les
unités de télévision et de radio ne forment plus qu'une
seule section. Une façon de renforcer les capacités du personnel,
puisque désormais les employés auront l'occasion d'apprendre de
nouvelles techniques. Enfin, une dernière unité de presse
écrite travaille à la production d'Onub-info, un
bulletin d'information hebdomadaire et Onub-magazine, un
bimestriel.
Studio Transworld Radio (TWR)
TWR, ONG américaine confessionnelle, lance son premier
studio de production radio en 1954 au Maroc. Le but de l'organisation
chrétienne ? Répandre la parole divine à travers le monde.
Studio de production confessionnel, il diffuse ses émissions
principalement sur les ondes des deux radios publiques, avec des
émissions appliquant les textes religieux au contexte politique et
social
1 Il s'agit en réalité d'une Y2 heure
d'actualité en kirundi et Y2 heure de la même matière
traitée en français.
du moment. Les partenaires de TWR sont les radios Ivyizigiro,
et la radio nationale. Elle leur fournit, en plus des émissions
religieuses, des magazines sur la santé, le développement et sur
la lutte contre le SIDA, touj ours en rapport avec la religion. TWR est
présent au Burundi depuis le 31 décembre 1992.
Integrated Regional Information Network (IRIN)
IRIN radio Burundi existe depuis la fin 1999. Travaillant
d'abord depuis Nairobi avec l'aide de correspondants au Burundi, IRIN a
récemment ouvert un petit bureau à Bujumbura, à partir
duquel le responsable du projet officie désormais. Il s'agit d'un studio
de production travaillant en collaboration avec les radios locales. IRIN radio
Burundi n'est en réalité qu'une des sections d'un réseau
plus large, implanté dans de nombreux pays en crise. Le projet IRIN, qui
émane du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations
Unies (OCHA), avait été lancé en 1995 en réaction
au génocide rwandais. Il s'agissait au départ de bulletins
d'informations sur papier destinées aux agences humanitaires, afin de
leur faciliter la tâche dans leurs actions pour secourir les victimes.
Aujourd'hui, on retrouve des sections filles d'IRIN dans diverses
régions, comme l'Afghanistan ou les pays de l'ex-Yougoslavie, avec un
projet qui a grandi, passant de la presse écrite à une section
radio et élargissant son public aux populations locales.
IRIN Radio Burundi n'est pas très prolifique en
matière de productions radiophoniques : elle ne produit qu'une
émission de 15 minutes deux fois par mois sur des thèmes touchant
aux problèmes humanitaires ainsi qu'un feuilleton sur les
réfugiés burundais en Tanzanie (Tuyage Twongere). Les
acteurs de ce feuilleton très populaire sont de véritables
réfugiés burundais vivant dans des camps de l'ouest de la
Tanzanie. L'émission est diffusé par la Radio Kwizera, une
station tanzanienne qui dessert ces mêmes camps, ainsi que par les radios
partenaires burundaises : la RPA, Radio Burundi, Radio Culture et Radio
Renaissance. IRIN travaille également avec Bonesha, mais celle-ci ne
diffuse que le magazine d'actualité. Le partenariat entre IRIN et les
radios locales est non chiffré : la contrepartie que doit apporter IRIN
au prêt des ondes des radios se fait par le renforcement des
capacités de ces stations partenaires, via du don de matériel ou
des formations. Ces formations ont débuté en juin 2005 à
l'initiative de Laurent Martin Harimenshi, le responsable national d'IRIN
radio. Il explique que l'idée lui est venue d'un constat : la
médiocrité du niveau technique des journalistes burundais. «
Je me suis rendu compte que la formation était une priorité
absolue. Excepté chez Isanganiro, aucun journaliste burundais n 'est
capable de faire du montage numérique à piste multiple
». Et la formation entre pleinement dans les conventions de
partenariats, qui parlent de renforcement des
capacités des radios. « D 'oil la mise sur pied des formations
techniques »1.
Emanation de l'ONU, la section radio travaille pourtant
indépendamment du système des Nations Unies et les articles
qu'elle produit ne reflètent pas nécessairement leurs positions.
Cependant, les salaires des deux producteurs correspondent aux barèmes
de l'organisation internationale. Les cinq correspondants, eux, sont
payés à la pige.
1 Entretien du 07 février 2006.
2.2. Le journalisme de paix au Burundi
En jetant un coup d'oeil aux grilles de diffusion des
différentes chaînes analysées, on est frappé par la
diversité des programmes, mais aussi par l'apparente qualité de
la programmation : émissions sur la réconciliation nationale,
pour la promotion de la femme, sur l'intégration des sidéens, sur
l'acceptation des réfugiés, sur la problématique
foncière ; les grilles regorgent de programmes proactifs. On croirait
d'ailleurs que le Burundi est le pays d'origine de la théorie
du journalisme proactif. Comme nous le verrons, il en représente non
l'origine, mais bien un terrain privilégié
d'expérimentation.
Avant toute chose, il importe de souligner la nette
distinction entre d'une part les médias d'information et d'autre part
ceux qui utilisent ces producteurs afin de s'offrir une tribune pour
promouvoir les idées qu'ils jugent nécessaires à la
population burundaise. Dans la première catégorie entrent les
stations de radios << naturellement >> créées par des
journalistes ou par des passionnés des médias et qui auraient
certainement agi de même quelle qu'eût été la
situation politique à l'époque. Être un organe producteur
d'information n'empêche nullement de faire du journalisme de paix, que ce
soit dans le traitement de l'information ou dans le choix des sujets
d'émissions.
Dans la seconde catégorie, on peut classer les
organismes (ONG, société civile, organisations internationales)
qui, à un moment ou un autre, ont compris l'influence des médias
sur la population burundaise et ont décidé de les utiliser comme
médium pour faire passer un message. Ces organismes concluent alors des
partenariats avec les médias locaux (première catégorie).
Ils leur proposent de << louer >> l'antenne pour y diffuser une
production qu'ils ont réalisée eux-mêmes ; ou encore de
créer une émission qui sera réalisée par les
journalistes des radios partenaires qui devront suivre une ligne
éditoriale imposée par l'organisme. En échange, celui-ci
financera le programme. Ces productions sont appelées
émissions concédées. Leur but est de faire une
promotion directe de la paix ou de leurs activités, qu'ils
considèrent d'une façon ou d'une autre comme promotrices de paix.
Il s'agit notamment des studios de productions Ijambo, Onub, IRIN, ou encore
d'association de la société civile comme l'Observatoire de
l'action gouvernementale (OAG). Cette distinction entre les médias
d'informations et ceux qui les utilisent pour diffuser un message précis
est importante lorsqu'on analyse la programmation des différentes
radios.
Dans cette étude de cas pratique, seuls les programmes
produits ou diffusés sur la radio nationale (Radio Burundi) ainsi que
sur une sélection de stations de radios privées (Bonesha, RPA,
Isanganiro) ont été analysés. Ce sont les radios les plus
écoutées au Burundi. Il ne nous a donc pas semblé opportun
de nous attarder sur les productions des autres radios, ce qui aurait alourdi
cette étude sans pour autant lui donner une valeur
supplémentaire.
2.2.1. Les types de production
Puisque l'application d'un journalisme de paix peut se faire
de trois façons différentes, elle a aussi été
étudiée selon trois axes différents : les programmes de
fiction d'une part, les programmes à vocation réconciliatrice
d'autre part et enfin les informations d'actualité.
Les programmes de fiction
Même si la fiction ne fait pas à proprement
parler partie du domaine de la production journalistique, nous en parlerons
brièvement ici. En effet, la radio étant le médium
africain au taux de pénétration le plus élevé, il
s'agit d'un des moyens les plus efficaces pour faire passer un message à
la population. Sans télévision, les populations locales se
fidélisent facilement aux programmes radiophoniques et d'autant plus aux
fictions, plus divertissantes, puisqu'il s'agit d'un des seuls loisirs
disponibles dans les zones rurales. On distingue trois types de productions
fictives : les spots, les feuilletons et le théâtre
radiophonique.
Le spot consiste en une scène
d'environ une minute jouée par des acteurs. Introduisant
généralement une émission, il sert à donner une
représentation plus concrète du problème qui va être
abordé.
Exemple : Une femme en pleurs entre chez sa voisine. Celle-ci
lui demande la cause de sa tristesse. J'ai été battue par mon
mari, répond-elle. La voisine et ses amis retournent alors chez le mari
violent et le chahutent, lui expliquant qu'un bon mari ne doit pas frapper sa
femme.
Basé sur un principe identique, le feuilleton
radiophonique diffère du spot par sa longueur (une vingtaine de
minutes) et par les personnages et le << décor >>, qui
restent immuables d'un épisode à l'autre. A l'instar des
séries américaines du type Seven Heaven qui diffusait
voici quelques années les valeurs chrétiennes, la fiction et le
divertissement créés par les feuilletons radiophoniques ont pour
but de propager des messages de paix et de réconciliation nationale.
Parmi les différents feuilletons diffusés sur les ondes
burundaises, deux ont connu un succès remarquable : il s'agit de
Ababanyi Ni Tebwe (<< Notre voisin, notre famille >>),
produit par le Studio Ijambo, et de Tuyage Twongere (<< Parlons
encore et encore >>), production d'IRIN radio.
Notre voisin, notre famille, écrit par
l'auteur Marie-Louise Sibazuri, a cessé d'être diffusé car
il ne correspondait plus à la réalité nationale.
Lancé en 1997, le feuilleton relatait l'histoire de deux familles et
mettait en scène des situations de la vie de tous les jours. Le
thème du feuilleton peut être résumé de la sorte :
<< Nous avons tous quelque chose en commun quoique l 'on en dise.
Même le jour et la nuit se rejoignent à l 'aurore et à la
tombée de la nuit >>. L'histoire se déroule dans les
collines rurales burundaises et des thèmes nouveaux étaient
abordés à chaque nouvel épisode : SIDA, exactions,
corruptions, viols, retour des réfugiés, etc. Les
problèmes mis en scène par Notre voisin, notre famille
sont ceux du quotidien, avec en toile de fond un thème
récurrent : la réconciliation. Le titre reflète une des
valeurs fondamentales pour le Burundais : la famille. << Si j'ai
choisi ce titre, c'est pour rappeler qu 'un voisin au Burundi, c'est comme un
frère à qui tu peux confier tes enfants malades quand tu vas au
champs, c 'est lui qui va venir inspecter ta maison s 'il sent une odeur
suspecte >>, explique Marie-Louise Sibazuri. << Or avec la
guerre, les gens commençaient à perdre cette notion au profit de
l'ethnicité : on ne voyait plus en lui le voisin, mais bien le Hutu ou
le Tutsi >>1. Au coeur du feuilleton deux familles
évoluent, l'une hutue l'autre tutsie, sans que l'auditeur ne sache
laquelle appartient à quelle ethnie. Jamais cela n'a été
mentionné, afin que << les Burundais comprennent que les
comportements ne sont pas forcément liés à l
'ethnicité >>.
Tuyage Twongere, lancé en 2004, a
été créé afin d'apporter une solution à une
thématique très sensible au Burundi : le retour de ceux qui,
durant la guerre, s'étaient exilés dans les camps de
réfugiés, notamment en Tanzanie. En effet, avec le retour de la
paix au Burundi, de nombreuses personnes ont repris le chemin de leur pays
d'origine. Parmi ceux-ci, beaucoup ont éprouvé des
difficultés au retour, car les Burundais restés au pays les
étiquetaient communément de criminels ayant fui de peur des
représailles. De l'autre côté, dans les camps, les
exilés hésitaient à retourner au pays de peur de retrouver
leurs bourreaux. << Il existait dès lors un énorme
`gap' entre ceux qui avaient fui et ceux qui étaient restés
>>, explique Laurent Martin Harimenshi, responsable du programme
IRIN radio au Burundi. << À travers les feuilletons, nous
développons deux optiques : d'une part, il s 'agit de montrer la vie
menée dans les camps, pour faire savoir que les gens qui s'y sont
réfugiés l'ont fait non pas parce qu 'ils avaient tué,
mais bien parce qu 'ils avaient peur d'être tués. D 'autre part,
nous développons des thèmes de la vie burundaise (SIDA,
système éducationnel, agriculture, ...) afin que les
réfugiés de Tanzanie ne soient pas coupés de l'information
de leur pays d'origine >>. Également écrit par
Marie-Louise Sibazuri, le feuilleton est joué par des acteurs
recrutés dans les camps de réfugiés en Tanzanie.
1 Interview du 10 décembre 2004.
L'avantage principal de ce format est qu'il permet aux
auditeurs de s'identifier aux acteurs et d'imaginer des moyens non violents
pour résoudre leurs conflits, à l'image de se qui se fait dans la
série.
Enfin, le théâtre radiophonique
est similaire au feuilleton, si ce n'est que les épisodes n'ont
pas de lien entre elles. Au Burundi, c'est la célèbre troupe de
théâtre «N'inde ?», très appréciée
de la population, qui fait le bonheur des auditeurs de la Radio Burundi.
L'émission, baptisée Nkinankebura, est produite par le
Studio Tubane. Financée au départ par Avocats sans
frontières, l'émission traitait du code pénal
radiophonique sous forme de théâtre, dans le but d'informer les
paysans de leurs droits et d'influencer les juristes et les avocats.
Aujourd'hui, ce financement a disparu, mais le Studio Tubane continue à
produire ces émissions théâtrales, sur des matières
qui lui tiennent à coeur : droits de l'homme, bonne gouvernance,
cohabitation ; chaque sujet est abordé durant deux mois.
Parmi ces trois styles fictifs, le plus apte à faire
passer des messages est sans aucun doute le feuilleton. En effet, celui-ci a
l'avantage de fidéliser l'auditeur, qui voit les vies des acteurs
évoluer au gré de leurs choix. Il tire de la sorte des
leçons de ces expériences fictives, ce qui le pousse à
adopter lui-même une attitude positive, à faire des choix
responsables. Sans nul doute, les deux séries précitées
ont eu un impact très important sur la perception qu'ont les Burundais
des membres de l'autre ethnie, des autres communautés. Le genre est
apprécié par les Burundais et par conséquent les radios
les diffusent facilement.
Ainsi, les quatre radios étudiées ont
intégré Tuyage twongere dans leur programme (feuilleton
d'IRIN sur les réfugiés). De plus, Radio Burundi diffuse
Nkinankebura (produit par le studio Tubane) et elle produit
également sur fonds propres un autre théâtre radiophonique
avec la troupe N'inde. De même, trois fois par jour des spots
résonnent dans les oreilles de ses auditeurs. Quant à Bonesha,
elle a inclus dans ses programmations deux feuilletons du Studio Ijambo :
Semerera Sida sur la problématique du SIDA et Tubiri
tuvurana ubupfu sur le rapatriement. Enfin, Isanganiro diffuse
Semerera, Tubiri tuvuruna ubupfu, six minutes de spots quotidiens
ainsi que Museke Weya, feuilleton sur la réconciliation produit
par l'association Benevolencia (ONG hollandaise active au Rwanda).
Les programmes à vocation
réconciiatrice1
Par << programme à vocation
réconciliatrice >>, il faut entendre des émissions
d'information générale sur des thèmes controversés
ou sur des problèmes de société, traités dans une
optique d'intégration, de réconciliation nationale et/ou de
cohabitation pacifique. C'est avant tout dans cette catégorie de
productions que prolifèrent les partenariats en tous genres avec les
radios locales, ainsi que les émissions concédées :
Bonesha2 travaille en partenariat
avec le Studio Ijambo, l'Union européenne, PADCO, le Centre d'alertes et
de prévention des conflits (CENAP), l'OAG, ainsi qu'avec IRIN. La
RPA, quant à elle, collabore avec le Studio Tubane,
Médecins Sans Frontières, IRIN, le Projet Cadre d'Appui aux
Communautés (PCAC) et le gouvernement belge. Isanganiro
travaille presque en exclusivité avec le Studio Ijambo.
Cependant, il tente de diversifier ses partenaires et travaille avec l'OAG
ainsi qu'avec le Réseau Citoyen Network (RCN). Enfin, Radio
Burundi travaille avec un nombre impressionnant de partenaires, que
nous détaillerons plus loin dans l'étude.
Bien entendu, les thèmes choisis pour ces
émissions à vocation réconciliatrice varient en fonction
de l'actualité, mais aussi du climat social. Aujourd'hui, avec la fin du
processus de transition, la tenue d'élections libres et la mise sur pied
du nouveau gouvernement démocratique, les priorités ont
changé par rapport à 2000, les peurs aussi. Par
conséquent, les thèmes abordés par les radios et les
studios de productions ont également évolué, dans la
mesure où il s'avère fondamental de lier les productions
médiatiques aux besoins de la population.
Pour illustrer cette évolution de ligne
éditoriale, nous allons emprunter l'exemple du Studio Ijambo et de ses
différentes productions au cours des ans :
· En 1998, la guerre a commencé depuis
cinq ans déjà. La capitale est balkanisée : les Hutu ne
s'aventurent pas dans les quartiers tutsis, de peur d'y perdre la vie. Et
vice versa. C'est dans ce climat qu'est lancée
l'émission Ikingi y 'ubuntu (Héros), qui retrace
l'expérience de justes anonymes. Le magazine met en avant
l'expérience de personnes qui, pendant la période des massacres
de 1993 à 1996, ont risqué leur vie pour sauver celle d'une
personne de l'autre ethnie. Ce programme << n 'a pas une audience
exceptionnelle, mais rassemble des auditeurs passionnés
>>3. On y raconte notamment l'histoire de Rebecca
Hatungimana, une femme tutsie mariée, qui, au lendemain de l'assassinat
de Melchior Ndadaye, le président burundais, a agi
1 Remarque : dans cette rubrique, les informations
présentées ne concernent que les émissions à
vocation réconciliatrice. Par exemple, la Radio Burundi travaille en
partenariat avec de nombreux organismes ou associations, mais n'ont
été mentionnés ici que les partenariats pertinents dans le
cadre de cette rubrique.
2 A la date du 1 er février 2006.
3 << Independent program evaluation: Search For Common
Ground in Burundi 1999-2001>>, avril 2002, p. 73. Voir
aussi sur
www.sfcg.org/sfcg/evaluations/burundiev.pdf
directement en cachant 41 voisins hutus dans sa maison. Avec
son mari, un officier militaire, ils ont défendu leur
propriété toute la nuit contre les att aquants armés de
lances et de machettes. La semaine d'après c'est de Nimbona Natanaye, un
habitant hutu de Kamenge, que l'on parlera. Lui a sauvé un jeune vendeur
de rue tutsi alors qu'un groupe de jeunes Hutu le rouait de coup1.
Chaque semaine, ce sont de nouveaux témoignages qui mettent en
lumière les actes héroïques de simples citoyens.
Lors du lancement de l'émission, des journalistes sont
attaqués dans la rue par des gens qui les accusent d'avoir monté
de toute pièce des scénarios joués par des acteurs, parce
qu'ils n'arrivaient pas à imaginer qu'un Hutu ait risqué sa vie
pour un Tutsi ou vice versa. Mais comme semaine après semaine
les témoignages continuent d'affluer, plus personne ne peut contester la
véracité des propos. De plus, entendre ces actes de justes
permet à certains de rassembler le courage nécessaire pour
raconter, eux aussi, leurs propres actions héroïques, sans plus
(trop) craindre les représailles de leurs proches. D'après une
enquête indépendante de SFCG2, 46% des Burundais
estiment que ce programme leur a fait changer leur perception de l'autre ethnie
et 65% affirment qu'écouter << Héros >> leur donnait
de l'espoir pour une coexistence pacifique.
· En 2000, les pôles politiques hutu
(G7) et tutsi (G10), le FDD, le CNDD et le Palipehutu-FNL sont à Arusha
(Tanzanie). Ils y discutent un éventuel accord de paix, et de ces
négociations dépend l'avenir du pays. Bien qu'il y ait eu
plusieurs émissions dédiées uniquement aux
négociations et au processus de paix, c'est au travers de son
émission d'actualité hebdomadaire Amasanganzira (et
Express, la version française) que le Studio Ijambo va tenter
de faire comprendre à la population tous les enjeux de ces
négociations. Donnant la parole à toutes les parties en
négociation (gouvernement, mais aussi opposition et forces rebelles),
l'émission permet dès lors non seulement d'humaniser les
différents acteurs politiques en faisant connaître leurs
revendications et leurs motivations, mais elle sert également de
médiatrice entre des groupes aux idéologies opposées. En
effet, de par la recherche de solutions pacifiques, les journalistes du Studio
Ijambo proposent des alternatives, canalisent les idées3 afin
de faire émerger un terrain d'entente. De plus, la présence de
membres de la société civile, d'analystes, de facilitateurs des
négociations, d'hommes d'église, et de la population permet de
transformer cette mosaïque de points de vue en une réalité
cohérente.
1 Pour plus de témoignages, voir
http://www.sfcg.org/programmes/burundi/burundi_hero_fr.html
2
<< Independent program evaluation: Search For Common
Ground in Burundi 1999-2001>>, loc. cit.
3 Les différents acteurs ne se retrouvaient pas
toujours assis autour de la même table : il arrivait
régulièrement qu'une émission et son invité
répondent à des propos recueillis au cours d'une interview, ou
diffusés dans une émission précédente, car il
était par exemple impossible de rassembler chefs rebelles et membres du
gouvernement autour d'une même table.
· Durant toute l'année 2005,
l'activité politique est frénétique : les
premières élections législatives depuis 1993 se
préparent. La tension monte, car nombreux sont ceux qui craignent que
les élections ravivent les haines. Une couverture responsable des
informations politiques est dès lors primordiale. Le Studio Ijambo
initie alors une série d'émissions intitulée Ntorere
Kazoza (Votons pour demain), qui accompagnera les élections depuis
la création de la Commission électorale indépendante
(CENI), jusqu'à la mise en place des nouvelles institutions. La
structure de l'émission permet de mêler les interrogations de la
population aux réponses des acteurs de la société civile :
un reportage de terrain donne la parole aux gens de la rue, qui expriment leurs
doutes, leurs attentes ou leurs peurs face aux élections, tandis que
grâce à la table ronde menée dans les studios, des
personnalités éclairées tentent de répondre aux
questions de la population. Parmi ces invités, un membre de la CENI ou
du ministère de l'intérieur est incontournable, ainsi qu'un
témoin d'une expérience d'ailleurs détaillant la
situation d'autres pays ayant connu des élections démocratiques
après un long conflit. Enfin, une dernière partie aborde
uniquement le thème des femmes leaders, afin d'encourager une
participation massive des femmes dans le processus électoral.
A chaque époque, sa priorité. Aujourd'hui,
celles-ci sont d'un tout autre ordre qu'au cours de la guerre : relance
économique, problématique foncière, valorisation de la
femme, intégration des démobilisés, retour des
rapatriés, etc. Les radios approchées au cours de cette
étude comptent toutes, ont compté ou compteront, dans leur grille
de programmation, au moins une émission consacrée à chacun
de ces thèmes. Car l'enjeu est de taille : il s'agit de redresser un
pays, le leur.
Dans la partie théorique, il avait été
expliqué que le journalisme proactif consiste, entre autres, à
expliquer en profondeur les thèmes conflictuels, à donner la
parole aux différents acteurs, les amener à exprimer leur propre
perception du problème, afin que chaque partie puisse se mettre dans la
peau de l'autre, aboutissant dès lors à une solution apte
à satisfaire tous les protagonistes. Au Burundi, rares sont ceux qui
connaissent les théories du journalisme de paix, si ce n'est le
personnel du Studio Ijambo. Pourtant, sans le savoir, toutes les stations
étudiées le pratiquent à un degré ou à un
autre. En effet, en ce qui concerne les émissions portant sur les
thèmes sensibles, toutes suivent cette méthodologie. D'ailleurs,
lorsqu'il s'agit de différencier journalisme
classique du journalisme proactif, les réponses des
professionnels burundais des médias sont claires : dans un pays en
guerre, il n'existe pas de journalisme classique, on ne peut que faire
du journalisme de paix. Dieudonné Jujute, responsable de la
programmation du Studio Tubane, s'exprime très clairement dans ce sens :
« Après douze ans de crise et de guerre, il est difficile de
démarquer toute activité du programme humanitaire. Car tout est
humanitaire après tout : il faut reconstruire les infrastructures, les
pays et les esprits. Dans ces conditions, même le journaliste ne
peut pas faire un simple compte-rendu de la
réalité. Personne ne peut, après douze ans de conflit dans
son pays, se démarquer du cadre humanitaire. Pas même le
journaliste »1.
Il serait inutile de passer en revue toutes les
émissions à vocation réconciliatrice pour le
démontrer. Nous nous contenterons dès lors d'analyser une
émission pour chacune des quatre radios étudiées, en
commençant par un exemple de production type du Studio Ijambo. Le
lecteur pourra dès lors comparer ce qui se fait chez les adeptes du
journalisme de paix d'une part, chez ceux qui n'ont pas connaissance de ces
théories d'autre part.
Studio Ijambo : Dusangire Ikivi N'Ikiyago
(Battons-nous ensemble pour la paix)
Dusangire Ikivi N'Ikiyago
Cette émission, produite en collaboration avec la
Commission nationale chargée de la démobilisation,
réinsertion et la réintégration des ex-combattants
(CNDRR), a été lancée en novembre 2005.
Groupe cible : Les démobilisés, quelle que
soit leur orientation (ex-rebelles, mais aussi démobilisés des
ex-Forces armées régulières), ainsi que leurs proches.
But : permettre aux démobilisés de se sentir
intégrés dans la société d'un point de vue social
et économique.
- Intégration économique : la CNDRR
offre à tous les démobilisés l'équivalent en nature
de 600.000 Fbu (€500). Au travers de l'émission, le journaliste
essaie de montrer aux démobilisés les options qui existent afin
de monter efficacement leurs propres projets. De même, on y parle de
démobilisés qui ont investi intelligemment cet argent et qui
arrivent aujourd'hui à faire vivre leur famille grâce à ce
placement.
- Intégration sociale : Il s'agit de faire
sentir aux démobilisés qu'ils sont désormais des citoyens
ordinaires, et non plus des soldats, rebelles ou mercenaires. L'émission
vise à leur faire comprendre qu'ils doivent se sentir à l'aise
dans la communauté, en acceptant de vivre comme les autres. Dès
lors, ils connaîtront des mêmes difficultés que tous les
Burundais et ils devront apprendre à les résoudre par
eux-mêmes sans toujours tendre la main dans l'espoir d'une aide
extérieure.
Format : Le programme de trente minutes
correspond toujours à un même format (d'ailleurs similaire
à toutes les émissions du studio Ijambo) : tout d'abord, un
reportage auprès des ex-combattants à propos du thème
choisi. Dans cette rubrique, la parole est laissée aux protagonistes,
qui s'expriment sur leur expérience, leurs problèmes et les
solutions qu'ils envisagent. Ensuite, vient la table ronde avec un
représentant de la CNDRR ainsi que d'autres intervenants selon
l'émission (ONG, ex-combattant, membre du gouvernement, ...). Par la
suite, un démobilisé a l'opportunité de poser une question
directe (en duplex) au représentant de la CNDRR qui se doit d'y
répondre. Dusangire Ikivi N'ikiyago se termine enfin par un
sketch joué par des acteurs visant à dépeindre la vie des
excombattants en fonction du thème choisi.
|
|
Cette structure, touj ours identique, est une formule
trouvée par le studio afin de rassembler au sein d'une même
émission les différents genres journalistiques : enquête et
reportage de terrain,
1 Entretien du 11 janvier 2006.
table ronde, sketch, analyse, expérience d'ailleurs,
chaque émission du Studio Ijambo correspond à ce format. Si
l'idée est bonne, on déplore cependant cette redondance dans la
mesure où certaines radios, comme la radio Isanganiro, qui diffusent de
nombreux magazines produits par le Studio Ijambo, ont également
adopté ce format pour leurs propres magazines.
À force de réorientations stratégiques
régulières, le Studio entend traiter de sujets qu'il juge
pertinents. Pour 2006, il s'agira désormais d'axer les émissions
sur trois thèmes prioritaires : dialogue, réconciliation des
communautés divisées et bonne gouvernance. Ces
trois axes ont été jugés comme les plus en pertinents vu
le contexte politique actuel, et seules sept émissions continuent
à être produites, afin de ne pas faire double emploi avec ce qui
se fait dans les autres radios partenaires. Le studio vise donc, dans la mesure
du possible, à calquer ses productions sur la réalité, et
ses émissions sont axées sur les thèmes jugés
pertinents c'est-à-dire les problèmes considérés
comme les plus actuels. << Aujourd'hui par exemple, la
priorité n 'est plus aux conflits interethniques, d'où la
disparition du magazine Héros >>, explique Annick Nsabimana,
sousdirectrice du Studio. << Désormais, on s 'occupe beaucoup
plus de conflits d'intérêts, même entre des membres de la
même ethnie, car ce sont ceux qui prévalent
>>.1
Au menu du Studio Ijambo : Dusangire ikivi n 'ikiyago
(voir supra) ; Icibare cacu qui traite des conflits fonciers,
Kumugaragaro sur la bonne gouvernance ; Ramutswa iwanyu qui
aborde le retour des rapatriés ; le magazine d'actualité
Amasanganziro et son équivalent francophone Express ; Buri
irya n 'ino (femme et gouvernance).
1 Entretien du 11 janvier 2006.
Radio sans frontière Bonesha FM : Yaga
Dushirehamwe turwanyintambara (Réconciliation)
Yaga Dushirehamwe turwanyintambara
Cette émission, produite en partenariat avec USAID/OTI
via le projet PADCO1, existe depuis 2003. Groupe cible :
- Déplacés qui ont trouvé refuge
dans d'autres parties du Burundi (principalement des Tutsi).
- Réfugiés qui se sont exilés dans
les pays limitrophes (principalement des Hutu).
- Les non déplacés.
But : Il s'agissait au départ de préparer les
esprits au retour des rapatriés et des réfugiés, afin
d'anticiper les étincelles que ces mouvements de population pourraient
produire. Le but ? Que les non déplacés parviennent à
accepter de se réconcilier avec ceux qui reviennent et de vivre ainsi
pacifiquement sur les collines. Il y a énormément de conflits
avec les réfugiés de retour au pays (intolérance, refus de
pardonner, problèmes fonciers, ...), et le message global de
l'émission vient remédier à cette situation.
Méthodologie : L'émission utilise une
méthodologie participative. C'est-à-dire que l'idéal de
réconciliation est exposé par les journalistes, mais que les
idées proposées proviennent directement de la population, qui
montre les limites de l'application et de la faisabilité d'une
cohabitation pacifique, et recherche alors des solutions.
Format : Il s'agit d'un magazine de 30 minutes,
composé principalement de reportages de terrain et d'interviews de la
population rurale. Le journaliste s'applique à illustrer la
thématique exposée par différents exemples, positifs et
négatifs, afin d'en tirer des conclusions.
Exemple : Sur certaines collines, la guerre a tout
détruit : les maisons, les écoles, les champs et les routes. Sur
d'autres collines, par contre, les habitants ne se sont pas battus, et ces
collines ont accédé aujourd'hui à un bon niveau de
développement (école, dispensaire, routes en bon
état,...). Le journaliste essaie alors d'amener les auditeurs à
tirer les conclusions de cet exemple, afin qu'ils se rendent compte par
eux-mêmes du bien-fondé d'une réconciliation pacifique avec
les réfugiés.
|
|
Alice Hakizimana, secrétaire de rédaction de
Radio Bonesha, divise l'histoire récente du Burundi en trois phases, sur
lesquelles la radio s'est appuyée pour déterminer les
thèmes prioritaires à aborder2. La première
période est celle de l'avant-Arusha, c'est-à-dire
précédant les accords d'Arusha. La priorité est alors
la recherche de la paix, optique dans laquelle avait
été fondée la radio. À l'époque où le
gouvernement commence à négocier avec les rebelles, la situation
est difficile et tendue dans le monde des médias, car la RTNB fait alors
une couverture strictement gouvernementale des négociations, ne parlant
pratiquement pas des rebelles et de leurs revendications. Chez Bonesha, on
prend le parti de tendre le micro aux rebelles, même au risque de voir
les journalistes encourir des peines de prison. Au début, le
gouvernement prend des sanctions et des journalistes sont
inquiétés et retenus en prison (trois journalistes de Bonesha
sont
1 USAID (United States Agency for International Development)
est la principale agence de coopération au développement
états-unienne. OTI est l'Office of Transition Initiative, l'agence de
développement du gouvernement américain active lors des
périodes de transition. PADCO (Planning and Development Collaborative
International), firme internationale de consultance en développement,
est l'une des agences d'exécution de USAID/OTI au Burundi.
2 Entretien du 3 février 2006.
emprisonnés à cette époque pour avoir
fait parler les rebelles). Mais une fois les négociations officiellement
commencées, il devient dès lors possible de donner la parole aux
leaders rebelles, puisqu'il s'agit de partenaires de négociations. C'est
un point de gagné, ce qui représente une avancée
primordiale pour les médias burundais. Les journalistes burundais ont
alors une avance spectaculaire par rapport aux autres médias de la
sous-région. Offrir son antenne à un rebelle qui a
déclaré la guerre au pouvoir - même s'il accepte alors de
négocier la paix - est inimaginable sous d'autres cieux. Malgré
cette éclaircie, le gouvernement ne relâchera pas toute la
pression sur les radios, puisque par la suite, il enverra à nouveau des
journalistes en prison pour avoir diffusé des interviews des rebelles
non signataires des accords de paix.
La deuxième époque est celle qui suit
directement les négociations, c'est la période de transition.
Bonesha décide d'approfondir le thème de la cohabitation
pacifique. << A ce moment, il fallait prêter une
attention particulière au vocabulaire employé, par exemple, ne
pas appeler les ex-rebelles des assaillants ou des génocidaires, puisque
désormais il allait falloir vivre pacifiquement avec eux >>.
A l'époque, les Burundais ont peur : peur des ex-rebelles, peur des
réfugiés, peur des rapatriés,... Bonesha organise alors
des débats, où sont invités différents
protagonistes aux points de vue divergents, afin de les amener à trouver
une solution pacifique de manière conjointe. << Au
début du débat, tout était touj ours très tendu,
mais c 'est le journaliste qui devait arriver à déceler les
aspects positifs des deux parties, afin d 'arriver à concilier les
points de vue>>, explique Alice Hakizimana. Trouver chez chaque
intervenant la part de lui-même qui est prête à
négocier, puis l'exacerber afin d'arriver à un consensus entre
les invités, voilà la difficile tâche du journaliste dans
ce type de débat.
Aujourd'hui, c'est une troisième phase qui commence,
et le rôle de Bonesha est dès lors d'oeuvrer à la
réconciliation nationale, de manière à ce
que les gens arrivent à vivre ensemble en pardonnant à un tel
d'avoir tué ses parents, d'avoir brûlé son champs ou
volé ses vaches. Chez Bonesha, c'était surtout au travers des
débats politiques que s'exerçait le proactivisme.
Aujourd'hui, c'est via trois émissions, financées par
PADCO1, que la radio travaille sur le thème de la
réconciliation nationale, en fonction de l'actualité, <<
car on ne peut pas parler tous les jours de réconciliation, comme
ça, dans le vague, il faut en parler, mais en rattachant ce thème
à des sujets d'actualité >>. Parmi ces
émissions, on retrouve Yaga Dushire et son homologue
swahiliophone Mawasiliyano, ainsi que l'émission
Rwaniramahoro qui met en avant les initiatives citoyennes en faveur de
la paix. PADCO finance également un magazine sur la femme (Ikiyago c
'abakenyezi) ainsi qu'un débat où les citoyens discutent de
la politique du pays (Mubivuze kwiki). Le principe de départ de
PADCO était de rapprocher les communautés à la base pour
une
1 Planning and Development Collaborative International.
résolution pacifique des conflits, dans tous les
thèmes connexes. Avec Bonesha, PADCO a trouvé un partenaire
privilégié pour un moyen d'action efficace. << Et nous,
ça nous arrange bien >>, explique Innocent
Manirakiza1, responsable de la programmation, << car nous
sommes désireux de promouvoir la réconciliation nationale, mais
sans toujours avoir les moyens de produire ce type d'émissions
>>. Un partenariat qui fait donc deux heureux : PADCO qui trouve une
tribune pour faire valoir ses idées, et Bonesha qui trouve
l'opportunité de couvrir des thèmes qui lui tiennent à
coeur, et ce à moindre frais.
Et après analyse de la grille des programmes de
Bonesha, on se rend compte que ce type de partenariat rentre dans la norme, aux
dépens des productions apparues sur la base d'une initiative propre. En
effet, l'émission de débats d'actualité politique et
sociale (Tribune Bonesha en français, son jumeau Inkuru
Y'imvaho en kirundi et Jambo na Jambo en swahili) et celle sur la
promotion de la femme (Maerndele ya wanawoke) sont les seules
émissions financées sur fonds propres pouvant prétendre au
titre d'émissions à vocation réconciliatrice. Ce
vide est comblé par l'apport du Studio Ijambo, qui diffusait sept de ses
magazines et feuilletons sur les ondes de Bonesha en janvier 2006. Ou encore
par les trois émissions sur la justice que finance l'Union
européenne. À l'instar de la collaboration mise en place avec
PADCO, l'organisme extérieur partenaire offre les moyens (essence,
minidisque, nuits d'hôtel) aux journalistes de faire des descentes sur le
terrain dans le cadre de l'émission concédée.
Ces étroites et multiples collaborations
n'entraînent-t-elles pas un amenuisement de l'identité de Bonesha
? Pas du tout, se défend Innocent Manirakiza, pour qui être
partenaire d'un organisme extérieur n'implique pas une perte de
souveraineté en faveur de ce bailleur. << Quand PADCO s 'en
ira, Bonesha continuera à diffuser des messages de paix et de
réconciliation, puisque ceci entre dans notre mission : nous garderons
les messages, même si nous n 'aurons plus les mêmes moyens pour les
produire >>. Certes, ces émissions représentent un
moyen considérable pour diffuser ces messages de réconciliation
nationales, mais il n'empêche que toute la ligne éditoriale est
axée sur la même thématique, financement extérieur
ou pas. Le message reste donc sous-jacent, notamment dans animations libres
qui, elles, ne coûtent rien en production. Mais de toute façon,
ajoute le responsable de programmation, la situation du Burundi évolue.
Bientôt, c'est sur des thèmes tels la bonne gouvernance,
l'environnement ou le développement économique que les radios
burundaises devront axer leurs émissions. << Et là, ce
ne sera pas trop dur de trouver des financements dans ce sens...
>>.
1 Entretien du 25 février 2006
RPA : Ubuzima Ni Akatimabwa (La vie est
sacrée)
Ubuzima fii akatimabwa
Créé au départ en partenariat avec l'Office
du Haut Commissariat pour les droits de l'homme, le magazine a
débuté en janvier 2005.
But : sensibiliser les auditeurs aux droits de l'homme,
dénoncer et condamner les éventuels manquements à ces
droits et enseigner aux Burundais les différents recours possibles pour
les victimes de violations.
Public-cible : toute la population burundaise
Méthodologie : Se base souvent sur des
témoignages des victimes d'enfreintes aux droits de l'homme, avec si
possible des interviews des coupables (pourquoi ont-ils fait cela ?),
des représentants des ligues des droits de l'homme et de la police
(il y a-t-il des sanctions prévues ?)
Format : magazine de 30 minutes. Les interviews des
différents acteurs sont entrecoupées de plages musicales. De
temps à autres, l'émission se déroule sous forme de
débat avec une table ronde.
Exemple : programme du 05-02-2006. Thème
abordé : la peine de mort.
Alors que la condamnation à mort n'est pas reconnue
par tous les juristes, qu'une relaxation de prisonniers politiques se
déroule depuis janvier, et qu'une commission vérité et
réconciliation chargée d'enquêter sur les crimes commis
durant la guerre doit être mise en place, l'émission cherche
à faire le point : est-il nécessaire de poursuivre les
exécutions capitales alors que de telles évolutions vont avoir
lieu sous peu ? Ce numéro utilise les interviews d'un condamné
à mort (propos : ne devrait pas être exécuté,
car il a commis ces crimes sous des pressions politiques), d'un professeur
d'université (redonne une explication de la justice et de son
rôle : justice n 'a rien à voir avec vengeance), ainsi qu'un
débat entre un partisan (Alexis Sinduhije, directeur de la RPA) et un
adversaire (avocat du TPIR) de la peine de mort.
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La grille de la RPA regorge de magazines aux thèmes
variés (Voir grille des programmes : annexe p. 158) : bonne gouvernance
(2 émissions), promotion de la femme (2), intégration des
personnes marginalisées, conflits fonciers, témoignages de
personnes au comportement exemplaire, intégration et respect des Batwa
(2), droits de l'homme (2). Et étonnamment, cette diversité dans
la programmation n'est pas issue de partenariats particuliers, contrairement
à la majorité des autres radios. Ainsi, seules les deux
émissions sur les Batwa sont directement financées par le
gouvernement belge.
Il arrive cependant que quelques magazines nais sent
grâce à un << coup de pouce » externe : Ubuzima ni
akatimabwa, par exemple, naît à l'initiative de l'Office du
Haut Commissariat pour les droits de l'homme. Puis, début 2006, le
financement se tarit. La RPA décide néanmoins de continuer
à produire le magazine sur fonds propres. Nul besoin de posséder
des connaissances poussées en arithmétique pour se douter que
d'un jour à l'autre, les moyens d'actions du journaliste en charge de
l'émission sont fortement réduits. Emery Madirisha explique les
difficultés qu'il connaît depuis le retrait du
bailleur1 : << Pour créer une émission de
qualité, il faut sortir de Bujumbura car les violations des droits de l
'homme ont principalement lieu à l 'intérieur
1 Entretien du 7 février 2006.
du pays. Avant [quand l 'émission était
financée], c 'était facile de se déplacer : je louais une
voiture et un chauffeur, et on partait. Aujourd'hui, je dois attendre qu 'un
groupe de journalistes se rende là où je veux aller, pour pouvoir
partir avec eux. Alors j 'en profite pour ramener du matériel pour trois
ou quatre émissions ». Difficile d'être journaliste ? Il
s'agit pourtant du sort de tous les professionnels des médias de la
région. C'est d'ailleurs une pratique commune au Burundi de demander
à un collègue en déplacement de ramener des sons utiles
à ses propres émissions, et cela afin de s'éviter un
voyage. Ce type d'interviews perd dès lors toute la finesse que peut
avoir l'entretien tenu par deux personnes maîtrisant leur sujet. Il
arrive régulièrement que les résultats soient
médiocres et que les productions finales ressemblent malheureusement
plus à du copiercoller de ce que le journaliste aura trouvé
d'utilisable, de diffusable, qu'à une émission réellement
réfléchie et construite en conséquence.
Dès lors, si la grille de programmation de la RPA est
très riche, il faut néanmoins relativiser cette première
impression. L'effort est certes remarquable, mais la RPA emploie des jeunes
journalistes, peu formés et manquant parfois de professionnalisme : une
émission peut être entrecoupée de morceaux de musique qui
diminueront de moitié la durée de contenu pertinent. Ou, faute de
pouvoir interviewer la personne adéquate au bon moment, certains
débats ont lieu sur deux, voire trois semaines : Mme X donne ses
arguments cette semaine, Mr Z y répondra dans le numéro suivant.
D'accord donc pour équilibrer l'information, mais pas
nécessairement dans une seule et même émission : les
journalistes de la RPA considèrent que cet équilibre peut tout
aussi bien être atteint en plusieurs émissions. Enfin, la grille
de programme n'est pas toujours respectée. Il arrive que des
émissions soient remplacées à l'improviste par des plages
musicales, tandis que d'autres programmes accusent des retards
considérables ou ne respectent pas le minutage prévu1.
Un bel effort, donc, mais les résultats obtenus ne cadrent pas toujours
avec la volonté de départ.
1 CNC, Rapport sur les contenus du média radio
publique africaine, p.1, document non publié.
Radio Isanganiro : Gira Ahuba wubahwe (Sois
respecté chez toi et dans tes biens)
Gira Ahuba wubahwe
L'émission, financée par l'ambassade des
États-Unis à hauteur de 10.000$, a débuté en
janvier 2006 et s'est achevée fin février 2006.
But : Il s'agissait d'une émission divisée en
deux phases : la première portant sur la bonne gouvernance chez les
élus locaux pour dresser un bilan après trois mois
d'entrée en fonction ; le deuxième axe visait la question du
rapatriement. Public-cible : toute la population burundaise.
Format : 25 minutes. Le magazine mêle le
reportage (une vingtaine de minutes) avec une table ronde. Au cours du
reportage de terrain, interviennent les élus locaux, des
représentants de la société civile, mais avant tout des
citoyens ordinaires qui expriment leur avis sur le thème de
l'émission, partagent leur expérience personnelle et mettent les
élus face à leurs responsabilités. Les journalistes
tentent toujours de trouver un témoignage positif, afin que les
auditeurs puis sent en prendre exemple pour gérer leur propre
situation.
Thèmes abordés : Le projet
s'étalait sur huit semaines et donc sur huit thèmes liés
aux deux angles d'approche (bonne gouvernance et rapatriement) : cohabitation
des élus locaux et des notables traditionnels, rôle des conseils
communaux et bilan de ces conseils, rapatriement des réfugiés,
les structures mises en place pour les accueillir, leur réinsertion
qu'ils soient écoliers ou citoyens actifs, les problèmes de
terres rencontrés par ces réfugiés, etc. Pour chaque
émission, les journalistes se rendaient dans une province
représentative du thème abordé
La dernière émission, qui clôturait le
projet, a pris la forme d'un débat en direct. Les correspondants de
l'intérieur du pays se trouvaient avec les conseillers communaux et la
population. En communication téléphonique avec le studio, ceux-ci
avaient dès lors la latitude d'intervenir dans le débat et de
poser des questions en direct au ministre de l'Intérieur présent
à la table ronde.
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Après découpage de la grille de programme
d'Isanganiro, la proportion de magazines ; de programmes informatifs ;
et autres1 se répartit comme tel :
magazines 36%
autres 43%
informations 21%
Par magazine, on entend toutes les
émissions à contenu (émissions environnementale,
sportive, sociale, d'actualité, de débat, ...). Dans la
catégorie autres, entrent les émissions musicales, les
publicités, les communiqués, les ouvertures et fermetures
d'antenne, etc. Une étude plus approfondie de la catégorie «
magazine » s'avère pertinente. Dans le graphique suivant,
1 Source : grille des programmes disponible sur le site de la
radio :
www.isanganiro.org, en
date du 15 février 2006. Voir annexe p. 157.
l'auteur a mis en évidence, parmi les magazines
jugés proactifs, l'origine de leur financement (production propre,
partenariat, ou produit par le Studio Ijambo) :
partenariats extérieurs 14%
production sur fonds propres
25%
Studio Ijambo 61%
Parmi les productions autofinancées par la station,
ont été jugés comme proactifs les magazines suivants :
Nyibuka (Rappelle-toi de moi) ; un magazine sur les conflits fonciers
; un dialogue avec la diaspora, une émission où les
auditeurs ont l'opportunité de faire entendre leurs avis sur des
questions d'actualité (Giricushikirije), un forum jeune,
l'émission de débat politique Mosaïque et son
équivalent kirundophone Ku nama, et enfin un magazine sur la
démobilisation. C'est-à-dire huit émissions
représentant en moyenne 50 minutes de programme quotidien. Au premier
abord, cette grille a donc l'air raisonnablement bien fournie.
Pourtant, en comparant ce temps d'antenne avec celui
accordé aux productions du Studio Ijambo, cette même grille prend
automatiquement un autre relief : les magazines produits par le Studio Ijambo
passent sur les ondes d'Isanganiro en moyenne 2 heures et 6 minutes par jour.
Tous ces magazines étant considérés comme proactifs, les
émissions du Studio Ijambo représentent dès lors 61% de la
grille proactive d'Isanganiro. Le fait que ce type d'émissions soit
majoritairement à l'origine d'un organisme extérieur à la
station de radio n'est pas exceptionnel. On l'a vu, les autres médias
n'ont généralement de programmes proactifs que dans la mesure
où ceux-ci sont spécifiquement financés par un bailleur.
Il y a pourtant un fait frappant chez Isanganiro, c'est la grande
dépendance de ce média vis-à-vis de son voisin le Studio
Ijambo, dont les productions représentent 36% de la catégorie
<< magazine >>.
Est-ce dû à cette prolifération de
programmes qui viennent combler la grille de programmation, ou à un
manque d'habileté pour trouver des bailleurs extérieurs ?
Toujours est-il qu'Isanganiro conclut très peu de partenariats avec des
organismes autres que le Studio Ijambo. Les émissions financées
par des bailleurs externes n'occupent que 3% du temps de diffusion total
d'Isanganiro (16 heures par jour), contre 13% pour le Studio Ijambo. Ce lien
étroit entre le Studio Ijambo et sa << fille >> la radio
Isanganiro ne peut en réalité que rendre cette dernière
plus faible :
habituée à recevoir des émissions de
qualité, elle n'a aucun autre bailleur solide qui pourrait la soutenir
si SFCG pliait bagage du jour au lendemain. Si tel était le cas, ces
plages horaires seraient très certainement remplacées par de la
programmation musicale, du moins dans un premier temps. Ce qui diminuerait
inévitablement la qualité de programmation d'Isanganiro. Or la
grande qualité et la rigueur des émissions diffusées sur
la radio sont les éléments de son succès. Elle tire
d'ailleurs profit de cette popularité pour essayer d'attirer les
annonceurs.
Radio Burundi : Rondera Amahoro (Chercher la
paix)
Rondera Amahoro
Le magazine, produit sur fonds propre, a été
lancé lors des négociations d'Arusha (2000)
But : aider les Burundais à trouver, ensemble, une
façon de se réconcilier. L'émission, lancée alors
que le pays était toujours en guerre, visait à apprendre aux
populations rurales à vivre ensemble pacifiquement. Aujourd'hui, en
situation post-conflit, le programme s'est orienté vers la consolidation
de la paix, afin de reconstruire un Burundi viable pour tous. C'est un magazine
qui vise à aider les Burundais à trouver, ensemble, la
réconciliation.
Public cible : toute la population burundaise.
Format : 25 minutes, sur la base d'interviews et de
reportages, entrecoupés de commentaires du journaliste.
Sujet : tous les thèmes connexes à la
consolidation de la paix, c'est-à-dire tous les thèmes qui
pourraient éventuellement créer des conflits, et auxquels un
journaliste peut apporter sa contribution par le biais de la médiation,
l'explication et la remise en contexte.
Exemples : rôle de la femme dans la
recherche de la paix : le journaliste interroge des femmes leaders et des
paysannes, pour montrer comment elles vivent pacifiquement avec des femmes
d'autres communautés et/ou ethnies. Chacun donne sa vision de la
situation, apporte ses propres solutions, et le journaliste se sert de leur
expérience pour en tirer des généralités sur des
comportements adoptables par toutes les Burundaises.
Libération des prisonniers politiques : donne
la parole à la population. Certains expriment leurs peurs face au retour
de personnes accusées de crimes de sang ; d'autres sont d'avis qu'il
s'agit d'un geste positif pour promouvoir la réconciliation nationale.
Puis le journaliste tend le micro à des gouverneurs de provinces
où beaucoup de génocides ont eu lieu, à des
représentants de la ligue des droits de l'homme. Dans cette
émission, le journaliste a surtout tendu le micro aux divers
intervenants et n'est pas beaucoup intervenu, préférant qu'une
interview vienne en réponse à la précédente.
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En 2003, les productions propres de Radio Burundi
(créées et financées par la radio) n'occupaient qu'un
temps d'antenne très limité (une moyenne de 1h30 par jour, sauf
le week-end). Pour le reste, l'antenne était essentiellement
occupée d'une part par de très longues plages musicales, d'autre
part par une multiplicité d'émissions concédées (40
émissions concédées par semaine !).
Trois ans plus tard, la situation a évolué
sensiblement : les productions propres occupent désormais 2h25 d'antenne
en semaine (13% du temps total), et 4h30 le week-end (25%). Parmi
celles-ci, 12 émissions (moyenne : 53 minutes
quotidiennes) peuvent être considérées comme des programmes
proactifs1:
- Rondera Amahoro (voir supra) ;
- Rema Ntiwihebure (<< sois solide, ne te
décourage pas >> : émission qui vient soutenir les
sinistrés de la guerre) ;
- 1 programme sur l'environnement (Dukingire Ibidukikije)
;
- 3 magazines sur le développement (Terimbere,
Dusanure Igihugu et Turwanye Ubukene) ;
- 1 << éloge des braves >> (Intore
Irayagwa) où l'on parle des exploits des gens en faveur de la
résolution du conflit ;
- 2 programmes sur l'intégration des minorités
(Ntunkumire, << Ne m'exclus pas >> et Ni abacu,
<< Ils sont nôtres >>), Ubugirigiri (<<
L'Entraide >>) ;
- 1 émission sur les femmes (Ikiyago c 'abakenyezi)
;
- et enfin 1 émission de théâtre
radiophonique avec la troupe N'Inde.
Les magazines programmés sont bien le reflet de la
réalité politique et sociale du Burundi, tout au moins, les
journalistes s'évertuent à ce qu'ils représentent le plus
fidèlement possible la situation du pays. On y trouve un mélange
de magazines réconciliateurs, qui visent à favoriser la
vie commune et à réparer les esprits après la guerre ; et
de magazines réparateurs. Ces derniers ont pour but de
reconstruire le pays d'un point de vue social, économique et logistique.
En cela, les émissions reflètent la réalité
burundaise : d'une part, la guerre n'est pas encore entièrement finie ni
sur le terrain ni dans les esprits, d'autre part après la période
de transition les préoccupations sont toutes au développement et
à la reconstruction. Et tout comme dans la réalité, les
magazines réconciliateurs tendent à disparaître au
profit des émissions réparatrices
En ce qui concerne les émissions
concédées, la situation ne s'est pas améliorée
depuis 2003 puisqu'on dénombre aujourd'hui... une cinquantaine
d'émissions concédées par semaine. La radio nationale
était auparavant un passage obligé pour se faire entendre dans
tout le pays, avant l'arrivée des radios privées. Certains
organismes ont donc gardé le réflexe de s'associer à la
RTNB. Pour d'autres, il s'agit tout simplement de privilégier les
partenariats avec la radio publique.
Parmi les organismes partenaires de Radio Burundi et qui
diffusent des émissions proactives, l'on retrouve bien entendu le Studio
Ijambo et le Studio Tubane, mais aussi d'autres acteurs non présents sur
les ondes des radios privées :
1 Au 15 février 2006.
- Les associations religieuses : Fallait-il introduire
les magazines qui promeuvent l'amour du prochain sur des bases religieuses dans
la catégorie << émissions proactives >> ? Nous avons
décidé de les y classer puisqu'il s'agit bien d'utilisation des
médias dans le but de favoriser la paix. Et même si c'est
au nom de dieu et sur base des livres sacrés que les
présentateurs cherchent à pacifier les âmes, il s'agit tout
de même de médias pour la paix. Attention cependant à ne
pas assimiler émission religieuse et émission proactive : l'une
n'entraîne pas nécessairement l'autre et de nombreux magazines
religieux n'ont d'autre but que de dire la messe, où de diffuser des
chants religieux. Il faut cependant citer le Studio Transworld Radio,
d'obédience anglicane, qui a une place prépondérante parmi
les émissions proactives (émissions de lutte contre le SIDA, de
cohabitation, de santé, touj ours en référence à
Dieu).
- Les associations locales : trois d'entre elles ont
créé un partenariat avec Radio Burundi. L'association Ubuntu a
monté un magazine de l'humanisme et l'association Burundi Buhire
(<< Burundi bienheureux >>) tend le micro à des
interlocuteurs qui expliquent comment se déroulait la cohabitation dans
le temps. Enfin, une association locale de défense des droits de l'homme
loue les ondes de la radio pour y sensibiliser les auditeurs au thème
des droits humains.
Avec une trentaine de partenaires, dont une dizaine qui
réalisent des émissions proactives, cette politique de concession
devrait rapporter gros à la Radio Burundi, notamment lorsque les
partenariats se font avec des grandes associations internationales ou ONG, qui
sont parmi les rares à payer leur dû en temps et en heure.
Pourtant, ce ne sont pas les concessions qui remplissent les caisses de la
Radio Burundi, et malgré ces nombreux partenariats, la radio publique
est certainement celle qui est le moins dépendante des bailleurs
extérieurs pour sa survie financière, grâce au financement
étatique.
Les informations d'actualité : étude
d'un cas concret
Un journalisme proactif peut se réaliser au travers de
chaque phrase prononcée à l'antenne. Il serait dès lors
réducteur de n'envisager l'influence positive des médias
qu'à travers des magazines ou du théâtre radiophonique. Le
journalisme de paix peut s'appliquer à tout moment : dans le choix d'un
interlocuteur, dans les propos tenus au cours d'animations libres, dans la
façon de présenter les informations chaudes. Les radios
privées abordées plus haut (Bonesha, Isanganiro, RPA), disent
toutes vouloir promouvoir la paix et la réconciliation de la population
burundaise, volonté d'ailleurs inscrite dans leurs statuts. Nous avons
vu qu'elles diffusaient toutes des émissions proactives, en
quantité et en qualité variables selon leurs revenus. Peut-on
pour autant les qualifier de << radios promotrices de paix et de la
réconciliation >> ? Pas si cette volonté ne
transparait pas dans l'ensemble des productions radiophoniques.
C'est pour cela que nous allons tenter, dans ce point, d'analyser chez chacune
de ces radios, le traitement de l'information d'actualité qui elle,
n'est pas financée directement par des bailleurs externes.
Une enquête réalisée par l'auteur
auprès d'un échantillon représentatif des professionnels
des médias burundais met en évidence la conception qu'ont les
journalistes burundais de leur rôle dans la
société1. La plupart des personnes interrogées
s 'accordent à dire que leur rôle est de diffuser des informations
exactes qui ont été recoupées (76% tout à fait
d'accord), d'éduquer ses auditeurs (55% tout à fait d'accord, 32%
d'accord), de les protéger (37% tout à fait d'accord, 39%
d'accord) et enfin, 87% des journalistes considèrent qu'ils
possèdent un rôle de contre-pouvoir, de << chien de garde de
la démocratie >>. Dès lors que les journalistes se
définissent en tant qu'acteur à part entière de la
société civile, jouant un rôle essentiel dans la vie des
récepteurs des médias, cette conception influence leur traitement
de l'information : 77% des répondants se déclarent en
désaccord avec le postulat selon lequel << Ce que fait la
population de l 'information que j 'ai diffusée ne me concerne plus. Mon
rôle est de fournir de l 'information exacte, et libre à ceux qui
la reçoivent de l 'utiliser comme ils l 'entendent >>. A
contrario, avant de diffuser une information, 97% disent
réfléchir aux conséquences que celle-ci aura sur la
population réceptrice.
De même, lorsqu'ils sont mis devant la
possibilité de diffuser un scoop, qui aurait la fâcheuse
conséquence de raviver les tensions entre les différentes
communautés et/ou ethnies, 71% préféreraient ne pas
informer la population plutôt que de le faire sans précaution
particulière. 86% des journalistes accompagneraient cette nouvelle
délicate d'émissions spéciales consacrées au sujet,
dans lesquelles ils feraient intervenir des personnes modérées de
façon à éviter les tensions entre communautés et/ou
ethnies. Tous les journalistes burundais seraient-ils, sans le savoir, des
journalistes proactifs ?
Les attitudes révélées par ce
questionnaire appartiennent au domaine de la théorie : les
journalistes n'ont pas toujours la latitude de travailler comme bon leur
semble. Ils doivent respecter les grilles de programmations, les instructions
du rédacteur en chef et les exigences des bailleurs. Afin de mesurer le
degré d'application, par les journalistes, des techniques de
construction de la paix et des principes journalistiques de base dans les
bulletins d'information, le présent document se propose d'étudier
la couverture des informations d'actualités par les radios Bone sha,
Isanganiro, RPA et radio Burundi.
1 Enquête réalisée sur un échantillon
de 72 journalistes issus de la RPA, la RTNB, Isanganiro, Studio Ijambo, Studio
Tubane, Bonesha, CCIB et le studio de production de l'Onub. Voir les
résultats complets en annexe p. 160.
Dans la mesure où il était impossible de traiter
l'ensemble des bulletins d'information diffusés par les médias
précités, une sélection était nécessaire. Il
nous a semblé intéressant de faire l'analyse du traitement
médiatique d'une actualité spécifique, la
libération des prisonniers politiques annoncée de 10 janvier 2006
par la ministre de la Justice. Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Il s'agissait
d'un sujet sensible, susceptible de réveiller de vieux démons
parmi la population touj ours pas entièrement guérie de la crise
dont elle sort petit à petit. Cette libération au cours de notre
séjour au Burundi présentait une opportunité
exceptionnelle d'analyser la façon dont les radios allaient
présenter cette libération, choisiraient les intervenants et
leurs consacreraient des temps d'antenne différents.
La libération des prisonniers
politiques
Le 10 janvier 2006, Clotilde Niragira, ministre burundaise de
la Justice, annonce la libération provisoire de 673 prisonniers
politiques, qu'elle motive par un désir de réconciliation de la
population burundaise, conformément aux accords pris à Arusha.
Cet élargissement provoque des remous dans tout le pays et ce pour deux
raisons. D'une part parce que parmi les bénéficiaires de cette
mesure figurent des personnes accusées d'avoir participé aux
massacres qui ont suivi l'assassinat du président Ndadaye en 1993, alors
que le président Nkurunziza avait affirmé lors de ses voeux
à la nation (3 1/12/05) qu'aucune personne soupçonnée
d'avoir commis des crimes de sang ne bénéficierait de cette
mesure. Une grande confusion règne donc sur la définition du
prisonnier politique. D'autre part, nombreux sont ceux qui prennent peur
à l'idée de voir revenir au village des personnes ayant
peut-être pris part au massacre de leur famille douze ans plus
tôt.
Afin d'étudier le traitement médiatique de cette
actualité controversée, nous utiliserons une grille d'analyse
mêlant les recommandations énoncées par Lynch et Mc
Goldrick pour réaliser un journalisme proactif (voir supra,
p.6)
· Eviter de réduire le conflit à
l'espace-temps des violences.
· Prêter une attention particulière au
vocabulaire employé.
· Eviter de mettre en évidence continuellement ce
qui divise les parties, les différences entre ce qu'elles
déclarent vouloir : mettre en évidence les intérêts
et buts partagés.
· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et
les peurs du même côté.
· Eviter de laisser les protagonistes se définir par
les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs
réclamations : donner l'occasion aux gens ordinaires d'exprimer leurs
opinions... Aux principes journalistiques de base :
· Non-séparation des faits et des commentaires
· Déséquilibre dans le traitement de
l'information
· Incitation à la haine, à la révolte
ou à la violence, apologie du crime
· Exagération des faits, sensationnalisme à
outrance...
Puisque les bulletins d'information ne se prêtent
guère à la médiation, nous nous pencherons principalement
sur le choix des intervenants au cours des jours qui ont suivi l'annonce de
l'ordonnance ministérielle. Ensuite, nous verrons les efforts fournis
par les radios pour éclairer et peut-être calmer les esprits, et
ce dans les magazines d'actualité dédiés à ce
sujet.
Les bulletins d'informations de la radio Bonesha,
RPA, Isanganiro et Radio Nationale (2e chaîne
publique)
Le 10 janvier, jour de la libération des prisonniers
politiques, toutes les radios font preuve d'un sérieux
déséquilibre de l'information, dans la mesure où
seuls les propos de la ministre de la Justice passent sur antenne :
La Ministre s'exprime sur les motivations de cette
libération (réconciliation du peuple burundais) ;
déclare qu'il ne s'agit pas d'une mesure favorisant
l'impunité (puisqu 'elle n 'est que provisoire en attendant les
jugements de la future CVR - Commission vérité et
réconciliation, prévue par les accords d 'Arusha) ; rassure
la population sur le fait que ces ex-prisonniers ne pourront pas
échapper à la justice (dans la mesure où ils n 'ont
pas le droit de franchir les frontières). Elle explique
également l'origine du choix des prisonniers à libérer
(liste établie par une Commission chargée d 'identifier les
prisonniers politiques). Temps d'antenne (T.A.) de la Ministre : Bonesha
2'46, RPA 3'14, Isanganiro 2'00, Ndegarakura 3'48.
Des réactions auraient du être
récoltées à chaud, et diffusées sur antenne le jour
même, si ce n'est dans l'édition de la mi-journée, tout au
moins dans les bulletins de la soirée. De plus, aucune des radios n'a
mis cette information en perspective, en expliquant l'origine de cette
relaxation. Ce n'est que le lendemain que les échos se font entendre, du
moins pour les radios privées. La radio nationale n'approfondira pas le
sujet les jours suivants, alors que les autres radios diffuseront des
informations jusqu'au 14 janvier.
Le mercredi, les réactions fusent de toutes parts :
Bonesha :
- Monde politique : satisfaction du parti Frodebu,
le parti du président Ndadaye mort en 1993, qui salue la mesure.
T.A. 1'00
- Société civile : AC Génocide
qualifie cet acte de consécration de l'impunité et d'un
<< coup de poignard dans le dos des victimes des massacres de 1993
>>. T.A. 1'50
Maître Sinarinzi parle de << culture
d'impunité >> et de danger imminent pour les rescapés des
génocides, témoins gênants qui risqueraient d'être
éliminés par les prisonniers libérés. T.A.1 '06
RPA : le journaliste parle désormais de
prisonniers dits politiques.
- Monde politique : re-diffusion d'un extrait d'interview
de la ministre de la Justice. T.A. 0'52
|
|
P.A. Masekanya : parle d'inamnestiabilité du
crime de génocide, et qualifie les libérés de
terroristes génocidaires. Déclare que les victimes des
massacres croupissent dans des camps de réfugiés alors que leurs
bourreaux, les terroristes génocidaires, << sont
traités comme des généraux et doivent recevoir des
millions >>. T.A. 1 '30 Parti Uprona : Demande la suppression de
la mesure et met en garde contre les conséquences néfastes de
cette libération (suppression des témoins et rescapés).
T.A. 0'20
Isanganiro :
- Monde politique : Frodebu : affirme son
soutien à la mesure, et sa confiance dans le choix des prisonniers par
la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques. T.A.
2'00
CNDD-Nyangoma : la libération sans
avoir déterminé les responsables des massacres de 1993 et de la
mort de Ndadaye est une gifle à la population burundaise qui attend
impatiemment la vérité. Mais qualifie la mesure de <<
salutaire >> pour ceux qui étaient détenus sans dossier.
T.A. 1'00
- Société civile : A.C.
Génocide fait part de sa déception, parle du sentiment de
désespoir des rescapés << qui vont voir défiler
leurs bourreaux >>. T.A. 0'51
Les trois stations réalisent un billet d'information
relativement équilibré, où des intervenants du pour
et du contre expriment leurs positions. Cependant, ces interviews auraient
dû être réalisées et diffusées à chaud
la veille.
Notons que le journaliste de la RPA parle désormais non
plus de prisonniers politiques mais de prisonniers dits
politiques, ce qui peut faire l'objet d'une double interprétation.
D'une part ce changement peut être considéré comme
l'expression d'une stricte neutralité, puisque les intervenants ne sont
pas tous d'accord pour qualifier les personnes libérées de
<< prisonniers politiques >>. D'autre part, ceci peut être
interprété comme une prise de position du journaliste qui nierait
par là le fait que ces prisonniers soient réellement
politiques. Si tel était le cas, il s'agirait d'un cas de
non-séparation des faits et commentaires. Notons enfin que
lorsque le porte-parole du mouvement P.A. Masekanya s'exprime sur les ondes de
la RPA en faisant allusion aux << terroristes génocidaires
>>, il rappelle tristement les propos qu'utilisait la radio nationale
avant les accords d'Arusha, lorsqu'elle qualifiait les rebelles de <<
tribalo terroristes génocidaires >>. Aujourd'hui, plus aucun
journaliste n'utilise ce terme représentatif d'une époque
révolue. Bien que ce qualificatif n'ait pas été
employé par le journaliste lui-même, celui-ci aurait pu utiliser
l'interview en choisissant d'autres extraits significatifs, où
l'intervenant ne parlait pas de terroristes génocidaires.
Le jeudi, le sujet fait à nouveau la Une des journaux
parlés des trois stations.
Bonesha : un seul intervenant, le
président de l'AproDH (ligue des droits de l'homme) :
déclare que plus de 90% des libérés sont des Hutu
accusés des massacres de 1993. S'étonne que cette mesure ne
s'applique qu'à un groupe si peu diversifié. T.A. 2'28.
RPA :
|
Vice-président de la Commission chargée
d'identifier les prisonniers politiques : répond aux reproches
d'exclusivité de la mesure aux auteurs des massacres de 1993. Explique
qu'il n'y a pas de traitement préférentiel, que les listes sont
établies selon des critères objectifs inspirés des accords
d'Arusha et des codes de droit burundais. T.A.2'00 Isanganiro
:
Uprona : se dit théoriquement d'accord avec
une libération des prisonniers politiques, mais en désaccord avec
cette ordonnance, puisqu'en libérant des auteurs de crime de sang, elle
va à l'encontre des propos du président Nkurunziza. « Mesure
qui pêche par excès ». T.A. 1 '35
Ligue des droits de l'homme Iteka : mesure
caractérisée par la précipitation. Illustre par l'exemple
du Rwanda où des témoins furent tués lors de
précédentes libérations de prisonniers. T.A. 1'18
La RPA sort du lot puisqu'elle confronte les propos
diffusés la veille avec une intervention du vice-président de la
Commission chargée d'identifier les prisonniers politiques. Les autres
radios, quant à elles, diffusent toujours des réactions critiques
vis-à-vis de cette ordonnance, sans apporter ni opinion constructive, ni
réponse de la part des responsables politiques (ministère de la
Justice ou commission susmentionnée). Laisser la parole à un
côté sans permettre à la partie critiquée de se
justifier ne répond pas aux critères énoncés par
Lynch et Mc Goldrick, qui préconisent le dialogue comme source de
solutions. Les journalistes auraient pu dès lors poser des questions
donnant lieu à un débat constructif, notamment en demandant aux
intervenants d'exposer des solutions aux diverses conséquences
négatives de cette libération (intégrer les prisonniers
dans leur communauté d'origine, favoriser le pardon des victimes qui
allaient bientôt se retrouver face à face avec ceux qui avaient
attenté à leur vie ou à celle de leurs proches, ...).
Le 13 janvier, une fois encore, les billets portant sur le suivi
de cette affaire laissent la parole à de nombreuses critiques :
Bonesha : Le Collectif des associations
burundaises des droits de l'homme s'insurge. Il rappelle que crimes de
sang et de guerre sont inamnestiables. En appelle à la justice pour
qu'elle réclame son indépendance au nom du principe de
séparation des pouvoirs. T.A. 1 '38
L 'Eglise anglicane approuve la mesure mais
déplore un manque de préparation des esprits des
libérés comme de la population qui devra les accueillir, car le
pardon du gouvernement n'est pas suffisant pour une réintégration
efficiente des ex-détenus. T.A.1'53
RPA :
Les prisonniers récemment libérés
demandent à la population de les accueillir comme des citoyens en
quête de respectabilité et non comme des tueurs. Demandent aux
politiciens de cesser le discours incitant la population à la peur mais
plutôt de tenir des propos réconciliateurs. T.A. 0'40
AproDH salue la mesure, mais exprime des
inquiétudes quant aux critères utilisés pour
définir le prisonnier politique. T.A. 1'45
Isanganiro :
AproDH exprime ses doutes quant au choix des
critères utilisés pour qualifier les détenus de
prisonniers politiques, puisque de nombreux auteurs de crimes de sang figurent
parmi eux. T.A. 1'15
Action des chrétiens pour l'abolition de la torture
: parle << d'impunité criante >>. T.A. 1 '23
Le journaliste rappelle la déclaration qu'avait faite
Nkurunziza lors de ses voeux à la nation. Extrait du
discours.
L'objet de cette étude n'est pas de juger du
bien-fondé de cette libération des prisonniers, ou du choix des
prisonniers, mais bien de vérifier la diversité des sources et
des avis. Or, une fois de plus, les radios donnent l'antenne libre aux
protestations de la société civile, sans pour autant demander des
comptes à la partie gouvernementale. De même, les journalistes ne
mettent pas le Président devant ses responsabilités en lui
demandant de s'exprimer sur son soudain revirement d'opinion quant à la
relaxation des auteurs de crimes de sang. De plus, la société
civile polémique beaucoup sur le choix des détenus
libérés. Les médias auraient dès lors dû
exposer aux auditeurs une définition communément acceptée
d'un << prisonnier politique >>.
Enfin, elles auraient pu tendre le micro aux premiers
intéressés de cette mesure : les détenus
libérés d'une part, les rescapés de massacres de 1993
d'autre part, ce qui aurait permis de mettre cette libération en relief,
en donnant aux auditeurs une idée de l'état d'esprit
régnant au sein de ces groupes. Or seule la RPA prend l'initiative de
donner la parole à un ex-prisonnier dans le dernier billet de la semaine
consacré à ce sujet.
Le 14 janvier, seules les radios Bonesha et Isanganiro
couvriront encore la nouvelle, à la suite d'un communiqué de
presse du parti MRC-Rurenzangemero, qui propose une solution pour contrer la
précipitation dans laquelle le gouvernement a pris l'initiative de
libérer provisoirement les 673 prisonniers :
Bonesha : Le parti
MRC-Rurenzangemero s'affiche contre la relaxation des
prisonniers politiques. Il propose au gouvernement d'organiser un grand
débat autour de cette question, afin de ne pas agir dans la
précipitation. T.A.0'44 Isanganiro :
MRC-Rurenzangemero (mêmes propos que sur
Bonesha). T.A. 0'50
Rappelle les idées principales des intervenants de la
veille : Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, AproDH,
Collectif des associations burundaises des Droits de l'Homme, discours de
Nkurunziza.
En conclusion, on remarque que le traitement de cette nouvelle
pourtant délicate n'est pas entièrement conforme aux principes
journalistiques de base ni à ceux du journalisme proactif. La Radio
nationale ne couvre l'évènement que d'un point de vue strictement
gouvernemental, sans chercher à recueillir des opinions en faveur ou en
défaveur de la mesure. Il s'agit d'un déséquilibre de
l'information. De même, la rédaction ne travaille absolument pas
en profondeur puisque malgré les remous causés par cette
libération, le lendemain, le sujet est déjà oublié
pour ses journalistes.
Bone sha et Isanganiro adoptent un comportement plus ou moins
similaire : Interview de la Ministre le premier jour, réactions
positives (du Frodebu) et négatives le deuxième jour, puis,
les
deux jours suivants, une suite d'intervenants contestant la me
sure. Elles manquent dès lors aux recommandations suivantes :
· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et
les peurs du même côté.
· Équilibrer l'information.
· Eviter de laisser les protagonistes se définir
par les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs
réclamations. Ici, en laissant les associations de la
société civile s 'exprimer sur les peurs de la population -
notamment les rescapés des massacres de 1993 - sans récolter
directement les avis de la population.
· Donner aux gens ordinaires l'occasion d'exprimer leurs
opinions au même titre que les personnalités officielles.
Pour généraliser, ces trois médias ont
attendu que l'information « leur tombe dessus », se contentant de
diffuser ce que les officiels et la société civile leur
fournissaient. Elles auraient dû aller de l'avant, et aller chercher
l'information chez d'autres acteurs.
La RPA se démarque puisqu'elle demande des comptes au
vice-président de la commission chargée d'identifier les
prisonniers politiques (12/0 1) et qu'elle offre la voix au chapitre à
un exdétenu ayant bénéficié de la mesure (13/01).
Cependant, pas plus que les trois autres stations, elle n'offre de
définition du prisonnier politique, n'explique les modalités du
caractère provisoire de cette libération, ni ne la contextualise
dans le cadre des accords d'Arusha.
C'est donc une information pluraliste que nous offrent les
radios privées, dans la mesure où partisans et opposants de la
mesure ont eu voix au chapitre sur antenne. Mais ce pluralisme n'est pas assez
poussé pour répondre aux exigences du journalisme de paix, tels
qu'énoncés plus haut. Les informations sont un peu
superficielles, même si les radios privées ont continué
à traiter de l'information durant cinq jours. Voyons maintenant ce qui a
été fait du côté des émissions
d'actualité/d'analyse, qui sont par nature moins superficielles.
Les émissions
d'actualité/d'analyse
Tous les dimanches à 7 heures 30, la deuxième
chaîne radio de la RTNB (la chaîne dite internationale), diffuse
l'émission Infos+, qui traite d'un sujet à la Une de la
semaine achevée. Constituée d'une part d'une revue de presse tant
nationale qu'internationale, l'émission consacre d'autre part une
vingtaine de minutes à un dossier d'actualité au choix. Le
programme du dimanche 15 janvier se penche sur cette libération des
prisonniers politiques, peut-être pour compenser la
légèreté avec laquelle le service d'information de la RTNB
avait suivi le sujet.
L'émission est constituée sous la forme d'un
reportage en profondeur sur les positions et les réactions des
différentes composantes de la société : elle mêle
des extraits d'entretiens avec la ministre de la Justice - qui défend le
bien-fondé de l'ordonnance qu'elle a prise, sa légalité,
et son rôle positif pour la réconciliation - avec des interviews
de différents acteurs de la société civile. Les
représentants de la Ligue des droits de l'homme Iteka et de
l'Association pour la restructuration d'un état de droit au Burundi
expliquent leurs peurs, parlent d'impunité flagrante et donnent leur
définition du prisonnier politique, qui exclut les auteurs de massacres.
Il s'agit d'un montage d'interviews, et les extraits sont montés de
façon à se répondre les uns aux autres. Dès lors
l'interview de la Ministre semble répondre à celle du
président de la Ligue Iteka, sans pour autant qu'il n'y ait de
réel débat. Lorsque le journaliste demande à ce dernier ce
qui devrait être fait, << puisque après tout, il faut
bien avancer >>, celui-là conseille de << passer
pas la justice d'abord, le pardon après >>, tandis que son
collègue affirme que la solution réside dans la suppression de la
mesure, afin de réhabiliter la justice.
Enfin, le présentateur clôture l'émission
en regrettant que le parti Frodebu ait manqué l'interview promise, et
s'attriste de l'attitude des responsables de la commission chargée
d'identifier les prisonniers politiques, qui selon lui fuient les
médias.
Tribune Bonesha, l'émission de débat
sur l'actualité burundaise, est diffusée en direct chaque
dimanche à 10 heures sur les ondes de Bonesha. Le 15 janvier, Alice
Hakizimana, la journaliste en charge du programme, avait invité un
représentant du CENAP (Centre d'alerte et de prévention des
conflits), de l'AproDH (Association de promotion des droits de l'homme), ainsi
que du Frodebu. Finalement, seuls deux des invités débattront,
puisque le porte-parole du Frodebu n'arrivera jamais dans les studios de
Bonesha. L'émission est judicieusement construite : un rappel des faits,
puis les réactions par rapport à la mesure elle-même et
à la définition du prisonnier politique, un débat sur les
conséquences de cette libération et enfin les recommandations des
invités pour éviter une montée de la violence.
Les débats sont calmes, à vrai dire il n'y a
pas vraiment de controverse puisque les deux parties présentes sont
à peu près d'accord sur les mêmes points et que
l'invité supposé être en discorde avec eux n'arrivera
jamais (porte-parole du Frodebu). Dès lors, il s'agit d'une exposition
d'idées, de concepts de la justice, de l'Etat de droit, et de la
réconciliation, tenant davantage de la discussion philosophique que du
débat politique.
L'émission a le mérite de mettre en avant des
points de vue non abordés à l'époque dans les journaux
parlés, brefs par nature. Les points de vue des invités, les
questions précises de la journaliste permettent d'affiner les propos
tenus par la société civile tout au long de la semaine
écoulée. Désormais, l'auditeur sait que ces deux parties
ne sont pas contre une libération des prisonniers politiques dans
l'absolu, mais qu'ils préconisent une batterie de mesures
menées
conjointement, afin de rendre crédible une
réconciliation sans passer par l'impunité. Les adversités
sont aplanies, et la médiatrice conclut en disant que « les
pouvoirs publics ont désormais compris que la société
civile est présente pour l 'aider dans cette lourde tâche
».
À visage découvert, l'émission
du dimanche matin de la RPA, comptait comme invités le
vice-président de la commission chargée d'identifier les
prisonniers politiques, le directeur du CENAP ainsi que le secrétaire
général de l'AproDH. Un débat somme toute assez similaire
à celui de Tribune Bonesha (mêmes associations
invitées). Le thème du débat : la libération des
prisonniers dits politiques va-t-elle réellement renforcer le
processus de paix ? Le journaliste met le représentant de la commission
devant ses responsabilités, dans la mesure où les questions
posées sont axées sur le futur et les éventuelles
répercussions de cette mesure sur la réconciliation nationale.
Même principe pour Mosaïque,
l'émission de débat politique d'Isanganiro. Le samedi 14
janvier, ils sont quatre invités à avoir répondu
présent à l'appel de Franck Kaze, le journaliste en charge du
magazine d'actualité : Clotilde Niragira, ministre de la Justice, le
porte-parole de l'association AC Génocide, le président de la
ligue Iteka, ainsi que le porte-parole du parti Frodebu. Le débat durera
60 minutes, mené par le journaliste qui répartit
équitablement les tours de parole. Les invités s'emportent de
temps à autres, mais sans faire preuve d'une réelle
confrontation. Tout d'abord, il est demandé à la Ministre de
préciser les critères établis afin de définir les
prisonniers politiques. Les trois autres parties réagiront par la suite
à cette définition, mettant en évidence les lacunes et
donnant leur point de vue sur la question. Cela permet à Mme Niragira de
répondre à ces critiques, mais ses réponses sont soit peu
convaincantes, soit les représentants de la société civile
se montrent trop pointilleux. En effet, le débat semble
s'éterniser sans aboutir à un accord de principe. Le journaliste
engage alors un nouveau thème, celui du caractère provisoire de
la libération. Ensuite, il engage le débat sur la pertinence
d'avoir libéré des auteurs de crimes de sang. Toutes ces
questions découlent en réalité du manque de transparence
de la commission chargée de définir les prisonniers politiques.
Le porte-parole du Frodebu n'est guère loquace, et la Ministre elle se
retranche sans cesse derrière les deux mêmes principes :
l'idée de libérer les prisonniers n'est pas la sienne, mais celle
issue des accords d'Arusha ; le choix des prisonniers n'est pas le sien mais
celui de la commission. En deuxième partie, l'émission aborde les
conséquences futures et concrètes de cette libération :
premièrement, savoir si les combattants du FNL pourraient être
considérés comme des prisonniers politiques et donc
relaxés ; deuxièmement, voir les mesures qui sont faites pour
protéger les libérés et leurs anciennes victimes. Enfin,
le débat se termine sur un tour de table afin que chacun fasse part de
ses recommandations pour éviter frictions et frustrations.
Analyse de contenu
A vrai dire, aucune des émissions proposées par
les différentes radios n'obéit entièrement aux principes
du journalisme de paix : les animateurs de débats se contentent de poser
les questions - certes judicieuses - sans toutefois donner aux gens
ordinaires l'occasion de s'exprimer sur la question, sans proposer
eux-mêmes de solutions alternatives au problème rencontré.
Toutefois, dans un cas comme celui de la libération des prisonniers
politiques, la seule solution à apporter consiste à faire
connaître les peurs et les revendications de chacun à la Ministre
en charge du dossier, en espérant qu'elle les prendra en
considération pour ses futures décisions. En cela, les
journalistes de Bonesha et d'Isanganiro ont le mérite d'avoir
creusé le sujet, permettant dès lors aux auditeurs de
relativiser les divers sentiments qui avaient pu surgir lors de l'annonce de la
libération des prisonniers politiques.
Les quatre stations ont le mérite de montrer la
face invisible de cette mesure : elles analysent et mettent en perspective
les risques, à long terme, de dommages psychologiques sur la population,
et intègrent cette libération dans le processus plus complexe de
réconciliation nationale. De plus, les deux rédactions n'oublient
pas de clôturer l'émission par une note positive, demandant
à chacun des invités de donner leurs recommandations pour une
issue positive. L'émission de la RTNB, elle, reste assez
superficielle, se contentant de coller des morceaux d'interviews, et n'atteint
pas le degré de finesse d'un débat où les intervenants
auraient l'occasion de rebondir sur les propos les uns des autres. Pour les
intervenants choisis dans l'émission, le format de la table ronde se
serait révélé beaucoup plus riche. Il en aurait
été autrement s'il s'était agi d'interviews de personnes
difficilement disponibles pour se rendre en studio (paysan,
réfugié, détenu bénéficiaire de la
mesure,...). Malheureusement, aucune des radios n'a tendu le micro à
cette frange de la population dans ces émissions.
Enfin, dernière constatation, aucune des trois radios
n'explique clairement l'historique de cette mesure, se contentant dès
lors de limiter l'actualité à l'espace-temps des
polémiques, alors que la source même du problème
remonte à 1993, puisque les prisonniers libérés ont pour
la plupart été mêlés aux tueries de cette
époque. Il aurait dès lors fallu brosser un rapide tableau, en
deux minutes, du pourquoi de cette idée née à Arusha de
libérer les prisonniers politiques, afin de permettre à toute la
population de comprendre l'objet du débat.
Nous sommes dès lors assez éloignés d'un
exemple scolaire du traitement proactif de l'actualité. Pourtant, une
enquête menée par Research Solutions Ltd pour le compte de Search
For Common Ground (février 2005) sur l'attitude des professionnels de la
radio en Afrique
subsaharienne révélait une forte conscience des
principes de construction de la paix dans des émissions d'information et
d'actualité1 :
87%
90%
80%
69%
71% 70%
73%
74%
77% 78%
83%
73%
69%
75%
63%
65%
donner aux "gens ordinaires" l'occasion d'exprimer leurs
opinions au même titre que les hommes politiques et les
personnalités off icielles
mettre en évidence les intérêts et les
buts partagés qui peuvent révéler un terrain d'entente
entre factions opposées
trouver des personnes affectées qui sont
opposées à la violence et inclure leurs opinions
distinguer vos propres opinions des faits
citer le nom de celui qui donne son opinion af in de souligner
que c'est une opinion et non un fait
appeler les gens par le nom qu'ils s'attribuent au lieu
d'utiliser des mots comme "terroriste", "extrémiste", ou
"fanatique"
confronter les leaders à des solutions alternatives et
faire écho de leurs réactions
Utilisation précise et prudente d'un vocabulaire fort,
de mots comme "assassinat", "massacre" ou "génocide"
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100
%
Programmes d'information
Programmes d'actualités / analyse
Etre d'accord avec des affirmations lues sur un questionnaire
est une chose. Penser intuitivement à les appliquer en est une autre.
Les journalistes burundais, dans l'absolu, ne connaissent pas les règles
du journalisme proactif. Ou du moins, pas en théorie. La plupart d'entre
eux n'ont jamais entendu parler de John Galtung ou de Jake Lynch. Pourtant en
pratique, ils
1 Source : Research Solutions Ltd, Rapport d'enquête :
synthèse, Enquête de base sur l'attitude des professionnels de
la radio en Afrique subsaharienne, conçu pour SFCG, Nairobi,
févier 2005, version révisée.
appliquent déjà ces principes, bien que de
façon non systématique. Tous ont compris l'impact positif qu'ils
peuvent avoir sur le processus de réconciliation nationale : la
totalité des journalistes burundais interrogés s'accordent pour
dire qu 'en tant que journalistes, ils ont la sensation d'avoir joué
un rôle important dans le processus de retour à la paix et
à la réconciliation. Pour ce faire, ils s'évertuent
à poser les bonnes questions aux bonnes personnes et au bon moment, afin
de toujours rendre les décideurs responsables de leurs actes face
à la population, de faire connaître les desideratas du peuple, de
servir de forum à la société civile,...
Cependant, ils ne réalisent pas toutes ces
tâches simultanément. En témoigne l'exemple du traitement
médiatique de la libération des prisonniers politiques : les
journalistes laissent le champ libre aux critiques et organisent des
émissions visant à approfondir le sujet, puisque les journaux
parlés sont par nature assez superficiels. Les journalistes burundais
sont proactifs à leur façon, sans pour autant répondre
à toutes les exigences des théoriciens du journalisme de paix. En
effet, l'analyse faite démontre qu'il manque certains
éléments pour correspondre à l'attitude proactive
recommandée par Lynch et Mc Goldrick, par exemple. Cependant, si tous
les impératifs du journalisme de paix ne sont pas pris en compte dans
chaque émission séparément, il faut savoir que d'autres
magazines sont venus compléter les manquements des émissions
analysées ci-dessus, notamment en laissant davantage la parole aux
petites gens.
C'est en cela que les radios locales divergent des studios de
productions rompus aux méthodes du proactivisme : elles ne visent pas
toujours l'équilibre au sein de chaque émission. Si ce sont des
officiels qui expriment leur avis dans un magazine, alors les gens ordinaires
auront la parole la semaine suivante, au travers d'appels
téléphonique par exemple.
2.2.2. Une autre forme de proactivisme
Enfin, les initiatives médiatiques pour promouvoir la
paix et la réconciliation peuvent prendre des formes variées.
Citons notamment le projet remarqué de la synergie des
médias, qui a valu aux radios burundaises les félicitations
de tout un chacun1. Il s'agit d'une initiative originale, dans
laquelle les médias ont travaillé main dans la main afin de jouer
un rôle de contrôle de la qualité de leur production.
Le projet est lancé en février 2005. A
l'époque, les premières élections démocratiques
depuis celles de 1993 vont se dérouler. Aura d'abord lieu un scrutin
référendaire sur la constitution le 28 février, qui sera
suivi de cinq différents votes étalés entre le mois de mai
et le mois d'août. Les risques sont grands que les esprits ne se
réchauffent, à l'image de ce qui s'était
déroulé 12 ans
1 La synergie a notamment reçu un Certificat de
Mérite ainsi qu'une dotation en argent de la part du président
Nkurunziza lors de la Fête du travail du 1 er mai 2006.
plus tôt. Les journalistes sont conscients qu'une
couverture optimale des élections s'avère nécessaire pour
que la population reste sereine. Pourtant, ils savent qu'ils seront
réduits à une couverture des élections limitée
à la capitale et ses proches alentours, car les radios burundaises sont
pauvres, et disposent de peu de personnel et de véhicules pour se
déplacer à l'intérieur du pays. A l'initiative de Lena
Slachmuijlder, alors directrice du Studio Ijambo, toutes les radios s'unissent
dans ce qu'elles appelleront la « synergie des médias
», afin d'offrir une couverture maximale des élections
communales, sénatoriales, législatives, présidentielles et
enfin collinaires.
Le concept, simple, gagne la confiance des auditeurs, tout en
permettant une couverture optimale des informations électorales. Aucune
des radios ne compte suffisamment de journalistes ? Qu'à cela ne tienne
: elles joignent leur personnel et leur matériel et, grâce
à cette nouvelle équipe de 140 journalistes, elles créent
un bulletin d'information commun à toutes les stations,
n'hésitant pas à dénoncer les abus, les fraudes
électorales ou les difficultés rencontrées par les
électeurs. Un exemple : ils étaient 3000 ex-combattants à
vouloir voter dans le camp de cantonnement de Buramata, mais il n'y avait pas
de centre de vote. Un mot de la situation lors du bulletin d'information, et le
président de la CENI ordonnait que deux bureaux de vote y soient
immédiatement installés.
L'initiative, saluée unanimement par les observateurs
locaux ou internationaux, a permis de faire rapport du déroulement du
scrutin jusque dans les villages les plus reculés du Burundi, offrant
alors au peuple burundais la certitude d'élections libres et
régulières.
3. Réflexions sur
l'opérationnalité concrète du journalisme de paix
Au fil de cette étude, nous avons abordé les
différents types de productions qui composaient, au Burundi, le
journalisme de paix : les programmes de fiction, les programmes à
vocation réconciliatrice et enfin le traitement des informations
d'actualité au travers des journaux parlés et des
émissions d'analyse de l'actualité. Tirer des conclusions quant
à l'opérationnalité concrète de ces
différents concepts n'est pas chose aisée : les styles se
mélangent, les situations, les acteurs et les époques
également. Les niveaux de conscience ou d'application des
théories du journalisme de paix varient aussi : tandis que pour certains
ces principes sont une véritable ligne directrice de travail, d'autres
n'ont conscience que de leur responsabilité sociale en tant que
journaliste.
Nous tenterons dans ce chapitre de dresser un bilan de la
situation pour chaque acteur du journalisme de paix, en soulignant les
différents impacts, les éventuelles questions
déontologiques ou problèmes de pertinence qu'ils
soulèvent.
Rappelons les différentes catégories d'acteurs
du journalisme de paix ou proactif :
- Les organismes non médiatiques, tels des ONG, des
gouvernements, des organisations de la société civile ou des
organisations internationales, qui n'utilisent les médias que de
façon sporadique.
- Les studios de productions nés dans le but de
promouvoir la résolution des conflits au travers de l'utilisation des
médias.
- Les radios locales.
Un objectif commun
Quel était l'objectif poursuivi par ces acteurs au
Burundi? Tout comme le disait Alice Hakizimana (voir p. 65), secrétaire
de rédaction de Radio Bonesha, les objectifs ont évolué en
fonction de l'actualité : recherche de la paix avant les accords
d'Arusha ; cohabitation pacifique après la signature des accords de paix
et, aujourd'hui, réconciliation nationale. Ces trois buts en cachent en
réalité un seul : améliorer la représentation qu'a
l'auditeur de l'Autre. Entendons par l'Autre, toute personne n'appartenant pas
à un même groupe social, politique, ethnique, géographique
ou communautaire. Dans une situation de tension ou de conflit, une étape
incontournable est celle qui consiste à améliorer la
représentation que les parties ont l'une de l'autre, afin que puisse
naître le dialogue et que s'aplanissent les différends.
Des approches différentes
Après l'analyse du cas du Burundi, un constat s'impose
que nous pouvons transposer à l'extérieur du cas d'étude
pour en tirer une règle générale : il s'agit de la
différence de philosophie et donc de méthode de travail entre les
studios de production, les organismes non médiatiques et les radios.
Au Burundi, les studios de production sont nés de
l'idée que le dialogue était un outil idéal pour humaniser
l'Autre, et permettre dès lors l'émergence de compromis entre
deux parties en conflit, ou de solutions à un problème. La
méthodologie se fonde sur le dialogue qui permettra par la
suite de s'attaquer aux conflits ou problèmes, quels qu 'ils soient,
que rencontre la société.
Les organismes non médiatiques fonctionnent à
l'inverse. Il s'agit de professionnels d'un secteur déterminé
(Avocats sans frontières, Observatoire de l'action gouvernementale,
Association d'accueil des réfugiés, ...) qui ont comme point de
départ de leur méthodologie un problème précis
(le non-respect des droits de l'homme, les exactions, l'intégration
des réfugiés...) et donc un besoin qu'ils vont tenter de combler
au moyen du dialogue.
Les radios se basent non sur une philosophie (studios de
production) ou sur les besoins supposés de la population (organismes non
médiatiques) mais bien sur les attentes de leurs publics,
auxquelles elles essaient de répondre. Les possibilités offertes
par le direct sont dès lors une particularité précieuse
pour ces médias. Grâce au direct, elles arrivent à
entretenir un lien étroit avec les auditeurs et à mieux
connaître leurs attentes. Celui-ci offre la possibilité
d'interagir avec les producteurs d'information, mais aussi avec les autres
auditeurs via des appels téléphoniques par exemple. Le dialogue
ne naît pas uniquement au sein de la population après
réception des informations contenues dans une émission. Il se
noue également entre producteurs et récepteurs de l'information,
permettant dès lors aux journalistes de prendre en compte les attentes
du public et de tenter d'y répondre.
Il serait hasardeux de tenter de mesurer l'impact des
différentes émissions proactives que l'on trouve sur les ondes
burundaises. Cependant, les réactions des auditeurs et les appels aux
rédactions pour que les émissions soient rediffusées
tendent à répondre, si non à la question de l'impact, tout
au moins à la question de l'audience. Dans l'ensemble, les
émissions proactives sont appréciées par la population
burundaise, qui les suit avec un grand enthousiasme. On peut dès lors en
conclure qu'elles arrivent dans une certaine mesure à leur fin : lancer
un coup de projecteur sur un thème spécifique qu'elles
considèrent comme un obstacle à l'épanouissement des
citoyens ou la cohabitation paisible.
Le Studio Ijambo a joué un rôle central dans la
pratique du journalisme de paix au Burundi. Son arrivée en 1995 dans le
paysage médiatique burundais, alors totalement dominé par les
médias
publics, a fait l'effet d'une bouffée d'air frais.
Peut-on néanmoins affirmer que ce sont ses productions, toujours
équilibrées et axées vers la résolution pacifique
des conflits, qui ont inspiré les radios privées nées par
la suite ? Ou qu'elles ont contribué à l'amélioration des
programmes des radios publiques ? Les responsables du Studio Ijambo se plaisent
à le croire et à le dire, mais rien n'est moins facile à
prouver. Certes, le Studio Ijambo a montré qu'un autre type de
journalisme était possible, loin des productions formelles et partisanes
de la RTNB de l'époque. S'il n'était certainement pas le seul
à s'en être rendu compte, c'est bien le seul, à
l'époque, à avoir bénéficié des financements
nécessaires pour s'implanter au Burundi.
Une enquête datant de 2001 indique que 57% des
Burundais estimaient que le studio contribuait très fort au
retour à la paix ; 55,6% pensaient qu'il promouvait fortement
le dialogue ; et 5 1,9% trouvaient que les émissions du Studio
Ijambo aidaient très souvent à promouvoir la
réconciliation. Dès lors, si l'on ne pourra jamais prouver ou
nier qu'il ait été la source d'inspiration des autres radios,
l'on peut tout de même affirmer avec beaucoup de certitude qu'à
cette époque, le Studio Ijambo répondait aux objectifs qu'il
s'était fixés : promouvoir le dialogue grâce à une
représentation humanisée de l'Autre.
Les studios de productions ont su s'imposer dans les
médias locaux en raison de leur professionnalisme. Ils prennent le temps
de réaliser des enquêtes sur des sujets d'une grande
complexité, ne font pas de « direct » et ne doivent donc pas
traiter d'actualité chaude. Pour un même magazine, les
équipes de journalistes sont plus nombreuses et ont plus de temps
à consacrer que les journalistes des radios locales. C'est pourquoi
leurs productions sont bien souvent meilleures et qu'elles n'ont aucune
difficulté à trouver des stations partenaires pour être
diffusées. Cette qualité technique qui caractérise les
studios de production est également l'un des arguments qui justifie leur
présence sur le terrain. Contrairement aux médias locaux qui par
essence ne peuvent être parfaits, les studios de productions proactifs
aspirent à s'imposer comme modèle pour les médias locaux.
Faire des émissions techniquement irréprochables est
également un but en soi.
Des relations financières
déterminantes
Dans les relations entre les trois acteurs présents on
pourrait croire que l'intérêt fondamental est le partage d'une
vision commune sur les contenus. Mais les flux financiers jouent un rôle
essentiel dans ces relations en cela que faire du journalisme de paix est
parfois l'unique moyen d'obtenir des fonds pour que survive la radio.
Lors de l'émergence des nouvelles radios, les sommes
astronomiques données par le Studio Ijambo contre diffusion de ses
programmes ont joué un rôle essentiel pour la survie
financière de ces nouvelles stations. Cependant, au fil des ans, ces
dernières ont fini par développer une
dépendance aux émissions fournies par les
studios de production. Dans le cas d'une collaboration entre un studio de
production et un média, la dépendance est à double sens.
Par contre, lorsqu'un organisme parraine une émission, seule la radio
est dépendante de ce partenariat.
Il ne s'agit pas ici de critiquer le bien-fondé des
émissions initiées par des organismes tiers - leurs buts sont
généralement louables et leurs émissions utiles - mais de
mettre en exergue la relation financière qui lie les bailleurs et les
radios locales au-delà de la philosophie.
Les radios burundaises et les médias locaux dans leur
ensemble sont pauvres, très pauvres même : ils s'adonnent à
une gymnastique financière et jonglent entre les bailleurs pour arriver
à payer leurs factures et leurs employés. Quant à leurs
taxes, certains médias ne les paient plus depuis des années
déjà. Pour un grand nombre d'entre eux, l'unique façon
d'obtenir des rentrées financières est de conclure des
partenariats avec des associations locales ou internationales. Et très
peu de ces bailleurs offrent des subsides sans contrepartie plus ou moins
contraignante. L'échange se fonde généralement sur le
suivi d'une certaine ligne éditoriale ou de certains thèmes
d'actualité ou de société. Sans ces partenariats et/ou
mécénats, les radios burundaises seraient contraintes de mettre
la clé sous la porte plus ou moins rapidement.
La recherche de la paix, la réconciliation nationale,
la cohabitation pacifique, ... peu importe le nom que l'on met sur
l'idée, le thème attire immanquablement les bailleurs de fond. Et
lorsque l'un d'eux finance une émission, il fournit
généralement assez d'argent ou de moyens pour que d'autres
journalistes en profitent également1. C'est en cela qu'ils
sont indispensables aux radios locales. Dès lors, il importe de
s'interroger sur le degré d'implication de la radio dans la
définition des contenus des émissions qu'elle diffuse.
L'émission ou la ligne éditoriale a-t-elle été
imposée par un bailleur, ou au contraire le bailleur a-t-il
été attiré par une émission ou une ligne
éditoriale déjà existante ?
Le journalisme de paix rencontre un grand succès
auprès des organismes étrangers, nationaux ou internationaux. Ces
derniers ont en effet compris l'influence de la radio sur toutes les couches de
la population. L'exemple de Radio Burundi et de sa trentaine de partenaires est
le plus frappant, preuve du succès de la pratique de concession
d'antenne2.
1 Si le partenariat se fait sur base d'un échange
financier, la somme est généralement telle qu'elle permet non
seulement de payer l'essence pour les descentes, mais aussi de payer le salaire
de cinq ou six employés. Si le bailleur ne paie que les frais de
réalisation, d'autres journalistes peuvent aussi en profiter (d'autres
journalistes peuvent par exemple accompagner une descente sur le terrain pour
laquelle la voiture et l'essence sont payées par le bailleur).
2 Tous ces partenaires ne travaillent pas pour la promotion
de la paix. Ils visent parfois des thèmes connexes comme le SIDA ou
l'environnement. Mais c'est parmi ces partenaires que l'on retrouve ceux qui
mettent en oeuvre les « programmes à vocation
réconciliatrice ».
Un rapport différent au public et à ses
attentes
Les radios qui font l'objet de cette étude se sont
positionnées en faveur de la réconciliation dès leur
apparition et réalisent en règle générale un assez
bon travail journalistique. Pour qu'une radio ait un sens, elle doit pouvoir
imposer sa propre ligne éditoriale, choisir l'information qui
réponde aux attentes de son public. Or, la dépendance
financière des radios amenuise leurs possibilités de choisir
librement leurs orientations. Certes, les bailleurs ont tous des objectifs
louables, mais répondent-ils réellement aux besoins prioritaires
de la population ou plutôt à l'image qu'ils se font des besoins
prioritaires des publics? Si elles avaient les moyens de refuser l'aide des
bailleurs, les radios auraient-elles choisi d'approfondir les mêmes
thèmes ?
Augustin Kabayaya, président de l'association
burundaise des journalistes (ABJ), aspire à une prise de conscience des
producteurs médiatiques burundais : << Les médias
doivent s 'interroger sur les questions qui constituent la vraie
réalité et priorité de leurs publics. D 'accord pour le
dialogue et la réconciliation, mais les médias doivent rester
libres de choisir les domaines qu 'ils considèrent utiles pour leurs
publics >>. Et d'aj outer qu'aujourd'hui, << les
médias semblent suivre les financements, au lieu de les attirer
>>.1
Tel est-il réellement le cas ? C'est possible, mais
alors bien malgré eux. Bonesha est apparue au début de la crise
dans une optique de réconciliation, de retour à la paix. La RPA
est née de l'esprit rebelle de quelques personnes qui voulaient
révolutionner la façon de faire du journalisme au Burundi.
Isanganiro a tout d'abord servi de tribune aux émissions du Studio
Ijambo qui se sentait à l'étroit avec les autres radios
partenaires. Sa devise (le dialogue vaut mieux que la force)
correspond aux idées des journalistes qui y travaillent. Quant
à la radio nationale, elle n'a d'autres aspirations que de devenir un
jour ou l'autre un véritable service public d'information, et elle s'y
efforce.
Dans la relation bailleur-radio, les deux parties y trouvent
leur compte : d'une part, l'organisme payeur trouve la tribune à
laquelle il aspirait. D'autre part, la radio reçoit des fonds qui lui
permettent de financer deux ou trois émissions supplémentaires.
C'est donc un échange gagnant-gagnant, mais dans lequel le média
local est le plus susceptible de se transformer en perdant... si le bailleur se
retire ou si la radio se retrouve dans une situation financière telle
qu'elle ne peut refuser un partenariat qu'elle juge pourtant inutile ou
inadapté par rapport à son public ou à sa ligne
éditoriale.
1 Entretien du 07 février 2006.
ONG, organisations internationales et de la
société civile ont peu à peu envahi l'espace
journalistique burundais. Elles sont devenues actrices de l'information parce
que cette méthode s'avérait la plus efficace pour remplir leurs
objectifs : mettre en lumière un certain aspect de l'actualité ou
résoudre les problèmes de société au travers du
dialogue.
La place de la conscience professionnelle
Nous avons vu au cours de l'étude que la plupart des
journalistes des radios privées, bien que ne connaissant pas les
règles du journalisme de paix, les appliquent dans l'ensemble. Tous ont
conscience du rôle qu'ils pouvaient jouer dans le processus de
résolution du conflit, de cohabitation pacifique puis de
réconciliation nationale. D'emblée, ils ont voulu s'imposer comme
les piliers d'un mouvement démocratique et réconciliateur. Je dis
piliers car en faisant preuve de rigueur et de discipline, ils ont
permis aux radios dans lesquelles ils travaillaient de s'imposer dans le coeur
des Burundais. Ils ont su se positionner en acteurs clé de la
société civile, jouant avec celle-ci le rôle de
contre-pouvoir. Ils ont pris le parti de donner la parole à tous, du
chef de parti au paysan, et ont offert la possibilité au peuple non
seulement de faire connaître ses besoins ou ses opinions, mais aussi
d'avoir une place de choix pour diffuser ses idées constructives,
créant ainsi une tribune pour que surgisse une conscience citoyenne
burundaise. Les radios ont réussi à se transformer en un outil
à double sens : du haut vers le bas mais aussi du bas vers le haut, ce
qui marque leur spécificité par rapport aux studios et aux
organismes non médiatiques. Elles ont retrouvé là le sens
initial de leur fonction : médiatrice.
Certes, ce ne sont pas les radios qui ont mis fin au conflit
burundais. Certes, elles commettent de temps à autres des
dérapages - aussitôt relevés par le CNC -. Certes, les
radios attendent parfois un peu trop que l'information leur tombe dessus
au lieu d'aller à sa recherche. Cependant, leur rôle a
été primordial dans l'éveil de la nation, dans sa prise de
conscience de l'absurdité du conflit. Etre journaliste au Burundi est
une fierté. À raison.
Dans ce petit pays enclavé au coeur de l'Afrique
centrale, tous les médias privés disent appartenir à la
veine du journalisme de paix. A première vue, le principe même du
journalisme de paix semble dilué dans la masse médiatique
burundaise : à partir du moment où tout le monde le pratique,
existe-t-il encore ? se demande-t-on. Mais après approfondissement, on
se rend compte qu'il s'agit de la réalité, tout au moins pour les
trois stations privées étudiées dans le présent
travail (RPA, Isanganiro et Bonesha). Comme le disait Dieudonné Jujute
(voir p. 62), après douze ans de crise, tout est humanitaire, et tout
tend à oeuvrer pour la paix, puisque sans paix, aucun
développement ou épanouissement personnel n'est possible.
84% des journalistes burundais affirmaient être tout
à fait en désaccord avec l'affirmation suivante :
<< J'estime que les médias dont la ligne éditoriale est
uniquement la promotion de la paix et de la réconciliation nationale n
'ont plus de raison d'être : soit ils doivent changer de ligne
éditoriale, soit ils doivent disparaître
>>1. Cependant, convient-il toujours de parler de
journalisme de paix aujourd'hui ? En quelques sortes, cette question reste
d'actualité. D'une part parce que cette pratique ne s'applique pas qu'en
temps de crise - le conflit a touj ours existé et continuera toujours
à exister de par le simple fait d'être des humains mus par des
envies et des besoins différents, apparais sent des divergences
d'intérêts -, d'autre part parce que la guerre au Burundi n'est
pas terminée. Il est fort dangereux en effet de conclure que la
signature d'accords de paix signifie un retour effectif à la paix.
Celui-ci se prépare dans les coeurs, puis se cultive. Et pour cela, les
médias burundais ont encore un grand rôle à jouer. Et ils
s'y appliquent.
Mais est-ce réellement le journalisme de paix que les
professionnels des médias se doivent d'appliquer ? Pour répondre
aux besoins de la population burundaise, se pose peut-être davantage la
question de la responsabilité sociale du journalisme, qui doit
être exacerbée. Avec un défi : tendre vers l'idéal
d'un journalisme professionnel conjugué à un haut sens de
responsabilité.
Le souci de la pérennité
Les bailleurs de fonds semblent vouloir changer petit
à petit de priorité. La promotion de la paix leur semble
dépassée, et c'est désormais les questions du
développement économique, de l'environnement, de la bonne
gouvernance ou de la promotion de la femme qui priment à leurs yeux.
Dès lors, alors que ce sont les organismes extérieurs aux
médias qui ont lancé les pratiques du journalisme de paix,
celui-ci ne sera bientôt plus pratiqué au Burundi que par les
médias locaux et dans une moindre mesure étant donné leur
précarité. Les projets des ONG comme les studios sont
forcément des projets temporaires et n'ont donc pas les soucis qu'ont
les radios de s'inscrire dans la durée et de devenir des projets
pérennes.
Au moment d'écrire ces lignes, le Studio Ijambo a
fortement réduit son personnel ainsi que ses productions, faute de
financement. En février 2006, 86 % des journalistes du studio
étaient d'accord avec l'affirmation selon laquelle << avec la
fin de la guerre et de la période de transition, les bailleurs de fond
qui financent mon média risquent de se retirer progressivement
>>. L'avenir leur a donné raison... De même que le
Studio Ijambo, les autres associations ou ONG qui oeuvraient pour mettre le
journalisme au service de la paix vont commencer à se retirer. En
viendront d'autres, avec leurs propres objectifs. Peut-être
financeront-elles les radios, peut-être
1Enquête réalisée par l'auteur en
janvier - février 2006 auprès de 72 journalistes burundais. Voir
annexe page 160.
pas. S'il est clair qu'il existera toujours des
émissions concédées, les ONG dont le but est de financer
et promouvoir une certaine démarche professionnelle journalistique
finiront elles par disparaître de l'espace médiatique
burundais.
Adrien Sindayigaya, directeur du Studio Ijambo, expliquait
que les moyens ne sont pas tellement importants pour parvenir à faire du
journalisme de paix car c'est avant tout l'approche du sujet d'actualité
qui prime : une radio qui en a les moyens peut envoyer un reporter à
l'autre bout du pays, et peut-être que celui-ci ne tendra son micro
qu'à la même personne pendant une heure avant de rentrer. Au
contraire, un autre journaliste issu d'un média plus pauvre pourra
adopter une démarche pluraliste même s'il n'a pas les moyens
d'effectuer une descente sur le terrain. << Il ne faut pas se cacher
derrière la question du financement >>, disait-il. <<
On peut faire peu d 'émissions, mais de bonne qualité
>>.1
Pourtant, d'autres voix s'élèvent contre ces
arguments. Selon celles-ci, un média désargenté n'a pas la
capacité d'appliquer des principes déontologiques inventés
par des théoriciens du premier monde dans la même mesure
qu'un média << riche >>. Même si elle n'est pas la
seule, l'une des clés principales pour assurer la souveraineté et
la pérennité des radios qui pratiquent le journalisme de paix au
Burundi réside bel et bien dans le financement. Et aussi dans les
compétences.
Prenons l'exemple du studio de l'Onub pour illustrer le
problème des razzias de journalistes. Lorsque le studio a
été mis sur pied, les meilleurs employés des radios
locales ont quitté leur travail pour endosser la casquette onusienne.
Cette attitude, tout à fait compréhensible lorsque l'on sait la
différence entre un salaire << Onu >> et << local
>>, a cependant eu pour conséquence de vider les radios locales de
leurs meilleurs journalistes, ce qui a produit une baisse
générale du niveau des productions. De même, se pose la
question de la réintégration de ces journalistes et techniciens
une fois que la mission de l'Onub terminée. Leurs anciens employeurs les
réengageront-ils ? Les meilleurs d'entre eux ou les ex-animateurs
vedettes n'auront certainement pas de mal à retrouver du travail. Mais
sera-t-il prêt à réintégrer une radio locale et un
salaire jusqu'à dix fois moins gros ? Les journalistes engagés
à l'Onub ont été sélectionnés en fonction de
leur compétence. On y retrouve donc les meilleurs plumes ou voix du
Burundi. Ces éléments brillants risquent d'abandonner la
filière journalistique au profit d'autres postes mieux
rémunérés lorsque l'Onub s'en sera allée,
dévalorisant dès lors le secteur médiatique en
matière de compétences.
1 Entretien du 06 février 2006.
Aujourd'hui, pour arriver à une survie
financière, les journalistes s'accordent sur deux points
prioritaires1 : tout d'abord, ils réclament la mise sur pieds
du fonds de promotion des médias prévu par la loi du 27
novembre 2004. Celui-ci permettrait aux médias radiophoniques,
télévisuels et écrits de se partager une enveloppe
budgétaire de l'Etat. Par ailleurs, les médias devraient -
davantage encore - mettre en commun leurs efforts afin de dégager une
politique commune de financement. Les radios ont d'ailleurs déjà
emprunté cette voie pour attirer les bailleurs : en effet, depuis
quelques mois, les synergies entre radios se multiplient et plusieurs
organismes ont choisi de mettre leur financement entre les mains de
l'Association burundaise des radiodiffuseurs plutôt que de financer l'une
ou l'autre radio, afin que les projets soient menés en commun.
Quelle qu'elle soit, la solution ne pourra émerger que
des radios unies, comme le disait Alexis Sinduhije, directeur de la RPA, lors
d'une table ronde sur les radios burundaises : << Les radios
privées aujourd'hui sont encore dans une situation très
difficile. Elles dépendent exclusivement des bailleurs de fonds
extérieurs, et le comportement des bailleurs évolue avec la mode.
Si hier la mode ou le slogan était la réconciliation, aujourd'hui
les élections, demain ce sera autre chose. Nous avons 2 choix : si la
mode change, il faut nous adapter et suivre la courbe de l 'argent ou
disparaître. L 'autre choix, c 'est de nous mettre ensemble et discuter d
'un véritable plan de financement de la presse avant la fermeture des
radios faute de moyens >>2.
1 Pour plus d'informations concernant les points
perçus comme prioritaires par les journalistes pour une meilleure survie
financière des médias burundais, voir la réponse à
la question n° 26 de l'enquête, p. 163.
2 SINDUHIJE A. dans << Financement des
médias pour la couverture médiatique des élections
>> in : << Rapport de la table ronde du 28 mars 2005 sur les
radios burundaises, vecteurs de sortie de crise et de démocratisation
>>, ABR, p. 6 et 21.
Conclusion
Choisir l'exemple prolifique du Burundi comme cas pratique
pour analyser l'opérationnalité concrète du journalisme de
paix a permis de mettre en lumière toute la complexité de son
application sur le terrain. Les différents types d'acteurs peuvent
être nombreux, les types de productions également, les motivations
pour mobiliser le concept du journalisme de paix aussi. De même, les
attitudes varient selon l'époque et le degré de tension du
pays.
L'utilisation des médias dans le but de promouvoir la
paix est, somme toute, louable. Ne nous voilons pas la face : aucun journaliste
ne peut réaliser cet exploit qui consiste, lorsqu'il entre dans la salle
de rédaction, à mettre entièrement de côté
toutes ses expériences passées, ses déceptions ou ses
espoirs, ses idéaux religieux ou politiques. Le processus de
sélection de l'information lui-même résulte en quelque
sorte d'une prise de parti. Alors, quitte à prendre parti, autant le
faire en faveur d'une paix durable, en promouvant le dialogue ou en offrant aux
récepteurs de l'information toutes les clés pour qu'ils
comprennent réellement les tenants et aboutissants d'un fait de
société.
Quoiqu'il en soit, si le principe est beau, reste à
l'utiliser en toute conscience des problèmes qu'il peut engendrer.
Lorsqu'un organisme s'implante dans un pays en conflit et utilise les
médias comme vecteur de sortie de crise, il est légitime de
mettre sur pied des projets à court terme, tels des studios de
production ou une politique de concession d'émission. Mais une fois
l'urgence passée, il est primordial de penser le plus rapidement
possible à convertir la structure mise en place afin qu'elle s'inscrive
dans la durée. Au vu de l'exemple du Burundi, une évidence semble
s'imposer : c'est avant tout le problème de la pérennisation de
la pratique du journalisme de paix qu'il faut garder à l'esprit lorsque
l'on implante un média « pour la paix » ou que l'on
crée des partenariats dans ce sens avec des médias
déjà existants.
Nous conclurons ce travail en suggérant quelques
recommandations qui s'imposent une fois passé le plus fort de la
crise.
L'exemple de la RDC et de la radio Okapi est frappant : une
énorme structure radiophonique est mise sur pied, adoptant
d'emblée l'ampleur d'un média national. Pourtant, cette radio
risque de disparaître certainement avec le retrait de la Monuc, se
faisant l'exemple extrême d'un projet non pérennisé. Qui
aura les moyens dans le contexte congolais de financer une radio dont les
coûts de fonctionnement annuels s'élèvent à 8
millions de dollars ?
Une première recommandation s'adresse alors à
tout adepte du journalisme de paix : que les moyens mis en oeuvre pour
répondre à un besoin (nouvelle représentation de l'Autre),
n'en créent pas de nouveaux qui seront impossibles à satisfaire
une fois le programme abandonné ou terminé. Pour cela, il importe
de s'attacher davantage au renforcement des capacités locales
qu'à la création de nouvelles structures
éphémères. Plutôt que de créer une nouvelle
radio, un nouveau studio de production, mieux vaut travailler de pair avec les
médias présents et leur offrir les bases nécessaires, au
travers d'une formation en journalisme regroupant plusieurs aspects : formation
technique (si les productions sont inaudibles, l'audience sera moindre et
l'impact également), formation en déontologie et enfin, formation
en journalisme de paix. L'une ne va pas sans l'autre car être un bon
journaliste est la condition première pour être journaliste de
paix. Il est donc nécessaire de renforcer ces trois axes (technique,
déontologie et journalisme de paix) de front, plutôt que de
privilégier l'unique sensibilisation aux pratiques du journalisme de
paix. Car c'est avant tout par la formation que la
pérennité sera assurée. Les journalistes, alors mieux
à même de travailler indépendamment, n'auront pas à
touj ours tendre la main pour obtenir des productions de bonne qualité
et sensibles à l'impact sur les récepteurs. Ils seront capables
de les créer eux-mêmes. En parlant du Studio Ijambo, Charles
Ndayiziga disait : << S'il ferme, je pense que ça pourrait
être salutaire pour ses partenaires. Car à force de toujours
recevoir des bonnes émissions toutes prêtes à être
diffusées, sans rien avoir dépensé pour les produire, on
finit par penser que c 'est une ressource permanente. Sa fermeture pousserait
les autres rédactions à travailler davantage, à avoir leur
propre identité >>1.
De plus, à défaut de s'intégrer dans des
structures médiatiques déjà existantes, il est
préférable que l'échange entre studios << pour la
paix >> et médias locaux ne soit pas uniquement basé sur
l'argent, mais également sur un renforcement des capacités des
radios elles-mêmes : formations, invitations à des forums sur le
journalisme de paix, don d'un local pour les réunions des journalistes
spécialisés, ... De même, une attention particulière
doit être portée à ne pas déstabiliser le secteur
médiatique du pays dans lequel on s'implante en se posant les questions
suivantes : la nouvelle structure fait-elle double emploi ? Le fait d'avoir
recruté ces journalistes laisse-t-il leurs anciens médias
d'origine dans une situation précaire ? La politique salariale de la
structure est-elle en adéquation avec celle des autres médias ?
Mieux vaut en effet engager des journalistes inexpérimentés et
leur apprendre le métier, construisant ce faisant des nouveaux
professionnels de demain, plutôt que de dépouiller les
médias locaux de leurs meilleurs éléments grâce
à une politique salariale inabordable pour ces médias.
1Charles Ndayiziga est directeur du CENAP au Burundi,
Centre d'alerte et de prévention des conflits. Entretien du 11 janvier
2006.
Enfin, la dernière recommandation porte sur l'attitude
que les médias locaux doivent adopter face aux organes qui leur propo
sent des partenariats au nom du journalisme de paix. Bien entendu, leur
attitude à l'égard des offres de partenariats différera
selon leur situation financière : il est plus difficile de refuser
l'aide d'un bailleur lorsque l'on n'a pas payé les salaires de ses
employés depuis deux mois. Il n'empêche que, dans la mesure du
possible, les médias doivent tendre vers l'idéal
d'indépendance. Comme le disait Jean-Paul Marthoz, ex-directeur d'un
grand quotidien bruxellois, les journalistes se doivent de créer une
autonomie par rapport à tous les organes qui leur sont
extérieurs... même les plus sympathiques d'entre eux ! 1 Il ne
s'agit pas de rejeter purement et simplement les partenariats avec
d'éventuels bailleurs, mais bien de toujours garder une attitude
critique envers toute structure qui leur propose spontanément de l'aide
ou des productions. Le journaliste a un devoir de remise en question : le
thème couvert par ce financement correspond-il réellement aux
attentes et aux besoins du public ? Correspond-il à la ligne
éditoriale du média ?
Si la représentation erronée ou la
non-représentation d'un Autre peut être corrigée au travers
des médias, reste aux adeptes du journalisme de paix à le faire
sans déstabiliser le paysage médiatique du pays dans lequel ils
s'implantent. Quant aux médias locaux, libre à eux d'adopter ou
non ces pratiques dans leur propre traitement de l'actualité. En ce qui
concerne les partenariats, les structures médiatiques locales se doivent
cependant de toujours s'assurer que les objectifs qui les sous-tendent sont
conformes à leurs propres idéaux.
1 MARTHOZ J-P, Les ONG à la conquête du
territoire journalistique, Conférence du 3 mai 2006 à
l'ULB.
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Entretiens
BASTIN Jean-François, responsable de l'asbl Kabondo
(partenaire de la RTNB), le 24/01/2006. BIZIMANA Emmanuel, secrétaire
permanent du Conseil national de communication, le 23/01/2006. HAKIZIMANA
Alice, secrétaire de rédaction chez Bonesha, le 03/02/2006.
KABAYABAYA Augustin, président de l'Association
burundaise des journalistes, le 10/01/2006 et le 07/02/2006.
LUSTIG Danièle, directrice de SFCG Burundi, le
11/01/2006.
MANIRAKIZA Innocent, responsable de la programmation chez
Bonesha, le 03/02/2006. MANIRAKIZA Mathias, directeur de la radio Isanganiro,
le 10/01/2006.
MFURANZIMA Gérard, directeur radio à la RTNB, le
03/02/2006.
NAHIGOMBEYE Jeannine, responsable de la programmation au Studio
Ijambo, le 30/01/2006. NDAYIZIGA Charles, directeurs du CENAP, le
12/01/2006.
NDIKUMANA Cyprien, représentant de l'Institut Panos Paris
pour le Burundi et le Rwanda, le 09/01/2006.
NDIKUMANA Esdras, correspondant RFI et AFP au Burundi, le
24/01/2006.
NDIKUMASABU Annonciata, secrétaire exécutive de
l'Observatoire de l'Action Gouvernementale, le 16/01/2006.
NIBARUTA Corneille, directeur de la Radio Sans Frontière
Bonesha, le 13/01/2006. NIYOYITA Aloys, journaliste au Studio Ijambo, le
13/01/2006.
NKESHIMANA Vincent, directeur de la maison de la presse, le
16/01/2006. NKUNZIMANA Déo, directeur de Radio Culture, le
11/01/2006.
NTAMAGARA Jean-Jacques, directeur de CCIB-FM+ et
président de l'association burundaise des radio diffuseurs, le
12/01/2006.
NYOZIGIYE Agnès et JUJUTE Dieudonné,
respectivement directrice et responsable de programmation du Studio Tubane, le
11/01/2006.
ROLT Francis, ex-directeur du Studio Ijambo, le 22/10/2004.
SAGAHUNGU Jacqueline, correspondante VOA, le 30/01/2006.
SIBAZURI Marie-louise, écrivaine burundaise auteur de
plusieurs feuilletons radiophoniques, le 10/12/2004.
SIMON Jean-Jacques, directeur de l'ex-unité radio du
Public Information Office de l'ONUB, le 17/01/2006.
SINDAYIGAYA Adrien, directeur du Studio Ijambo, le 07/02/2006.
SINDUHIJE Alexis, directeur de la RPA, le 16/01/2006.
SLACHMUILDER Lena, directrice du Centre Lokole (SFCG Bukavu) et
ex-directrice du Studio Ijambo, le 19/01/2006.
SUR Nicolas, chef d'antenne de Radio Okapi Bukavu, le
20/01/2006.
Eléments audio visuels
· Journaux parlés des radios RPA, Isanganiro,
Bonesha et Radio Burundi datés du 10 au 14 janvier 2006, gracieusement
fournis par l'OMAC, l'Observatoire des médias d'Afrique centrale.
· Tribune Bonesha du 15 janvier 2006 à 10h00
Journaliste responsable : Alice Hakizimana, pour Radio Bonesha.
· A visage découvert du 15 janvier 2006 à
10h00. Journaliste responsable :Eric Manirakiza, pour la RPA.
· Mosaïque du 14 janvier 2006 à 8h00.
Journaliste responsable : Frank Kaze, pour Isanganiro.
· Info + du 15 janvier 2006 à 7h30. Journaliste
responsable : Jérémie Manirakiza, pour Radio Burundi.
· Interview vidéo de Shirazuddin Siddiqui, directeur
de Afghan Education Programm.
http://www.bbc.co.uk/worldservice/trust/projectsindepth/story/2003/09/030904
aep.shtml
· Emissions du service radio d'IRIN-radio Burundi (sans
titre). Sujets : Femmes leaders de Rutana, Jeunes exilés au Kenya,
Polygamie à Kayogoro, Les réfugiés en Tanzanie s'expriment
sur les élections législatives au Burundi. Journaliste
responsable : Laurent-Martin Harimenshi.
·
http://real.sri.ch/ramgem/fh/okapi/swissmix.rm,
reportage radiophonique de la Radio Suisse Internationale.
·
http://www.bbc.co.uk/pressoffice/pressreleases/stories/2003/08
august/03/soap un.shtml Lakhdar Brahimi a fait des apparitions dans trois
épisodes de « New Home, New Life », en juillet- août
2003.
·
http://www.unesco.org/education/educprog/lwf/doc/portfolio/case3.htm
Sites internet
http://www.radiookapi.net
http://www.impacs.org
http://www.nyu.edu/cwpnm/media
conflict.html
http://www.hirondelle.org
http://www.sfcg.org
http://www.isanganiro.org
http://www.mediaaction.org
http://www.berghof-handbook.net
http://www.rsf.org
http://www.isanganiro.org
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