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Débat autour du concept de journalisme de paix

( Télécharger le fichier original )
par Charline Burton
Université Libre de Bruxelles - Licence en information et communication 2006
  

Disponible en mode multipage

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Débat autour du concept de journalisme

de paix

Approche critique de l'opérationnalité concrète des

médias dits pour la paix

Mémoire présenté sous la direction de Marie-Soleil FRÈRE en vue de l'obtention du titre de licenciée en

BURTON, Charline information et communication.

Charline Burton

Deuxième licence en Information et communication (option journalisme) Année 2005-2006

Débat autour du concept de journalisme de paix
Analyse critique de l'opérationnalité concrète des médias dits pour la paix

Résumé :

Structuré autour de trois sections - théorie du journalisme de paix, cas pratique du Burundi, réflexions sur l'opérationnalité du journalisme de paix -, ce mémoire tente de tirer des conclusions, à partir de l'exemple burundais, des forces et faiblesses de la mise en oeuvre d'un << journalisme de paix >>. Le travail montrera qu'au-delà de leur idéal de paix, les organismes qui basent leurs activités sur les théories du journalisme de paix peuvent également avoir des effets pervers à long terme. En effet, s'ils ne gardent pas à l'esprit toute une série de facteurs - financier, capacitaire, idéologique - qui les différencient des médias locaux au travers desquels ils implémentent leurs programmations journalistiques << pour la paix >>, ils risquent de déstabiliser le paysage médiatique dans lequel ils se sont établis.

Le mémoire essayera également d'analyser le degré d'implication des médias locaux dans cette notion de journalisme de paix, et soulignera l'appropriation, par des médias ou des journalistes << classiques >>, des théories du journalisme de paix.

Mots-clés : Journalisme de paix, indépendance de la presse, Burundi, financement des médias, ONG, résolution des conflits, pérennisation des projets, médiation, sortie de crise, bailleurs de fond, formations aux journalistes, conscience professionnelle, déontologie.

MERCI...

Merci de tout coeur à Bonaventure, Caritas et leurs enfants, qui m 'ont ouvert leur porte et m 'ont offert la chaleur d'un foyer. De tout coeur, merci !

à Anne et Gaspard pour leurs aimables contributions quand la frontière de la langue m 'empêchait d'avancer dans mon travail. Merci de m 'avoir recommandée à votre famille.

Au Conseil interuniversitaire de la Communauté française de Belgique - Commission
universitaire pour le Développement - Rue de Namur, 72-74, 1000 Bruxelles -
http://cud.ciuf.be pour son intervention financière, sans laquelle le voyage réalisé dans le
cadre du présent mémoire n 'aurait pas été possible

à Marie-Soleil Frère pour ses nombreux conseils et éclaircissements en période de doute

à Danièle Fayer-Stern, à Eva Palmans, à Cyprien Ndikumana, à Jean-Jacques Ntamagara, à Stéphane Thill et à Arnaud Monville

Enfin, merci à ma mère, Dominique, à mes soeurs, Sarah, Morgane, Lola, Maëlle, à Serge et

à mes grands-parents, Marthe, Liliane et Léon.

Table des matières

Table des matières 1

Introduction 3

1. Approche théorique du journalisme de paix 6

1.1. Journalisme proactif : définition 7

1.1.1. Le concept 7

1.2. Les règles du journalisme proactif 10

1.2.1. Traitement médiatique 10

1.2.2. Petite leçon de vocabulaire... 12

1.2.3. Exemple 13

1.3. Les critiques 15

1.3.1. Critique de l'instrumentalisation du journalisme 15

1.3.2. Critique du journalisme de paix 16

1.3.3. La question de la pérennité des projets mettant en oeuvre le journalisme

proactif 19

1.4. Applications sur le terrain de ces notions 20

1.4.1. Présentation de quelques ONG significatives 20

1.4.2. Présentation de deux projets significatifs 22

1.5. Conclusion 28

2. Le cas du Burundi 29

2.1. Situation des médias au Burundi 32

2.1.1. Historique 32

2.1.2. Paysage radiophonique burundais 36

2.1.3. Présentation des radios privées du Burundi 40

2.1.4. Les studios de production radiophoniques 47

2.2. Le journalisme de paix au Burundi 56

2.2.1. Les types de production 57

2.2.2. Une autre forme de proactivisme 86

3. Réflexions sur l'opérationnalité concrète du journalisme de paix 88

Conclusion 98

Bibliographie 102

Annexes 107

Chronologie politique du Burundi 108

Les entretiens 111

Les grilles de programmation des radios étudiées 149

Enquête 158

Loi N° 1/025 du 27 novembre 2003 régissant la presse au Burundi 168
Rapport de la commission chargée d'étudier les avantages fiscaux à accorder à la

presse au Burundi 179

Introduction

« Les médias ne peuvent pas rester neutres face aux enjeux de la paix ». Cette affirmation est le principe de base d'une théorie du journalisme relativement nouvelle : le journalisme de paix. Tout comme d'autres ont utilisé le journalisme dans un but de développement des nations du tiers-monde (journalisme de développement), certaines ONG's utilisent aujourd'hui les concepts du journalisme de paix pour essayer d'atténuer les haines dans les pays qui sont ou ont été le théâtre de violences et de conflits.

Le journaliste peut-il, doit-il mettre sa plume au service d'une paix durable ? Doit-il diriger sciemment ses productions pour oeuvrer à une cohabitation pacifique ? Certains le revendiquent haut et fort et des initiatives allant dans ce sens ont foisonné dans divers endroits du globe, en réponse à des situations tout aussi diverses. D'autres brandissent les principes d'objectivité et de neutralité en étendard pour rejeter l'idée en bloc. Les débats entre partisans et détracteurs du journalisme de paix - ou journalisme proactif - sont souvent passionnés, parfois constructifs. C'est cette faculté qu'a la théorie du journalisme de paix d'engendrer des controverses chez les professionnels des médias qui nous a poussé à choisir celle-ci comme objet d'étude de ce mémoire.

Le présent travail aspire à aller au-delà du débat d'idée sur le rôle que doit jouer le journaliste dans les processus de sortie de crise, et se propose de se pencher sur l'opérationnalité concrète du journalisme de paix. L'objectif de ce mémoire n'est donc de chercher à savoir si oui ou non le rôle du journaliste est de touj ours chercher à favoriser la paix au travers de ses productions médiatiques. Le but recherché est l'analyse critique de la faisabilité du journalisme de paix : une structure médiatique qui suit ce modèle peut-elle être fonctionnelle ? Si oui, peut-elle l'être à long terme ? Quelle sera son influence sur les autres acteurs du paysage médiatique environnant lors de son implantation et de son retrait ?

La méthodologie choisie pour réaliser l'étude est mixte puisqu'elle mêle recherche de sources pour la partie théorique et recherche de terrain pour la partie pratique. Il semblait primordial pour cette étude de mêler les deux approches, afin de dégager un maximum

d'informations et donc de conclusions. La recherche de sources s'est avérée délicate : quelques auteurs sont assez prolifiques sur le sujet, mais leur nombre reste restreint, et après avoir lu plusieurs ouvrages sur le sujet, nous nous sommes rendu compte que ces auteurs évoluaient dans un cercle restreints de théoriciens du journalisme de paix. Malgré cela, l'information sur les principes du journalisme de paix était abondante. La première section, intitulée << approche théorique du journalisme de paix >> appartient donc plus au domaine de la synthèse d'information. Ce chapitre se veut une introduction aux théories du journalisme de paix. Nous y développons les différentes règles qui le régissent, les critiques qu'il inspire ainsi que quelques exemples de projets significatifs mis sur pied au nom de cette théorie. Cette section d'une vingtaine de pages permettra au lecteur de saisir à la fois la simplicité du concept et la complexité des questions qu'il soulève.

La deuxième section s'articule autour de l'étude d'un cas pratique. Nous avons choisi d'étudier l'exemple du Burundi en raison de la diversité médiatique qu'offre le pays. Le Burundi, faux jumeau du Rwanda, a connu de nombreux affrontements interethniques au cours des trente dernières années. Bien qu'ayant été quelque peu oublié des médias internationaux, le conflit burundais a été d'une grande ampleur, caractérisé par des violences entre Hutu et Tutsi, les représentants des deux principales ethnies du pays. C'est en raison de ce passé troublé que des partisans d'un << journalisme de paix >> ont développé de nombreux projets dans ce petit pays. Les initiatives en la matière y sont tout aussi nombreuses que variées de par leurs formes, leurs durées ou leurs instigateurs et une grande partie des acteurs médiatiques sont dès lors imprégnés de cette notion. C'est donc avant tout en raison de ce pluralisme que nous avons décidé de nous pencher sur le cas de ce petit pays d'Afrique centrale.

Cette partie pratique passe en revue les différentes mobilisations faites au Burundi au nom du principe de journalisme de paix et analyse leur adéquation, leur intégration et leur pérennisation dans le paysage médiatique locale. Afin de comprendre au mieux la place du journalisme proactif au Burundi, nous avons brossé un tableau rapide de l'évolution politique et médiatique burundaise. Les radios étant largement surreprésentées par rapport à la presse écrite ou la télévision, c'est tout naturellement sur celles-ci que nous nous sommes penchés au cours de cette étude.

5Les informations contenues dans la deuxième partie du mémoire sont toutes le fruit des entretiens, visites et expériences acquis au cours de notre séjour au Burundi, au cours du mois de janvier 2006. Il faut avouer que les premiers jours passés à Bujumbura, la capitale du Burundi, ont été la source d'une grande confusion : chaque média visité, chaque journaliste abordé assurait oeuvrer au nom de la paix, en suivant les principes du journalisme proactif. Néanmoins, après avoir passé plus de temps dans les rédactions et après de longues conversations avec des journalistes locaux, des responsables de programmation et des représentants d'associations professionnelles, nous avons pu nous faire une image plus précise des liens intimes et complexes qui lient producteurs d'information << de paix >> et médias locaux. Afin d'approfondir nos connaissances sur ces relations, nous avons sélectionné trois radios privées affirmant oeuvrer en faveur de la paix (radio Isanganiro, radio Bonesha et radio publique africaine), la radio publique ainsi qu'un studio de production << proactif >> (Studio Ijambo), sur lesquels nous allions porter notre attention.

C'est au travers d'interviews que nous avons tenté de déceler les forces et faiblesses du journalisme de paix tel qu'appliqué au Burundi. Il s'agissait surtout d'étudier les contenus des émissions, les philosophies qui guidaient ces producteurs ainsi que les différentes attitudes des professionnels face aux problèmes rencontrés par la société burundaise. Après de multiples entretiens, après avoir assisté aux réunions de rédaction et analysé en profondeur les grilles de programmations, nous avons pu distinguer trois acteurs du journalisme de paix (les ONG de journalisme de paix, les organismes non médiatiques et les médias locaux), ainsi que trois principaux types de productions (programmes de fiction, programmes à vocation réconciliatrice et informations d'actualité). L'attitude des journalistes a été évaluée au travers de deux outils : premièrement, un enquête à questions fermées réalisée auprès de 72 journalistes issus de 9 médias a permis de voir comment ces professionnels concevaient, en théorie, leur degré de responsabilité par rapport à leur public. Deuxièmement, l'étude de la façon dont ces journalistes faisaient la couverture médiatique d'une actualité sensible nous a permis de confronter les affirmations théoriques à la pratique.

Le mémoire se termine par un ensemble de réflexions sur l'opérationnalité concrète du journalisme de paix. A partir des faits spécifiques au Burundi, nous avons tiré des conclusions générales sur la faisabilité, à long terme, du journalisme de paix. Nous verrons que le principe est difficilement durable si sa mise en oeuvre n'est pas accompagnée d'une batterie de précautions.

1. Approche théorique du journalisme de paix

« Faut-il dire la vérité ? Oui, assurément, mais pas n'importe comment, n'importe où, n'importe quand. Rien que la vérité ? Sans aucun doute. Toute la vérité ? Eh bien non ! Qui peut se vanter de ne l'avoir jamais fait ? Je défie qui que ce soit de me prouver qu'il n'a jamais tenu compte des intérêts de sa famille, de son entreprise, de son avenir. Alors, pourquoi ne tiendrait-on pas compte de sa société, de sa nation, des intérêts de la République, des idéaux de l'humanité, un peu comme dans la profession de foi célèbre de Montesquieu ? (...) »1

1 DANIEL J. dans : Le Nouvel Observateur, Paris, 21 septembre 1995, p. 3 (Télé Obs), cité dans : NOBRE J.-M., Introduction à l 'information et à la communication, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 2001, 1 5ème édition, p.151.

Le leitmotiv de Search for Common Ground, organisation non gouvernementale (ONG) belgo américaine spécialisée dans le domaine de la construction de la paix au travers des médias2 est qu'aucun média ne peut pas rester neutres face aux enjeux de la paix. Cette déclaration, banale aux yeux du lecteur profane, représente en réalité un véritable sacrilège pour bon nombre de journalistes, qui érigent leur << neutralité professionnelle >> au-dessus de tout autre principe déontologique. Dans cette première section à vocation théorique, nous allons tout d'abord définir le << journalisme proactif >> : ses objectifs, ses fondateurs, ses règles. L'explication sera détaillée afin de permettre au lecteur une compréhension approfondie de ce nouveau type d'utilisation des médias. Ensuite, nous laisserons libre place aux critiques.

1.1. Journalisme proactif : définition

1.1.1. Le concept

Johan Galtung, sociologue norvégien, est une figure emblématique de la recherche sur la résolution des conflits. Fondateur de l'International Peace Research, c'est lui l'inventeur du terme `journalisme de paix', et le précurseur de la théorie du même nom. Il illustre le journaliste traditionnel en le comparant à un médecin qui observerait l'évolution d'une maladie sans tenter de soigner son patient3:

La maladie est conçue comme un phénomène naturel, comme une lutte entre le corps humain et le facteur pathogénique - un micro-organisme, un trauma ou un stress. Parfois c'est un côté qui gagne, parfois c'est l'autre. Comme dans un jeu. Etre fair play signifie donner sa chance à chacune des parties, sans interférer avec les voies de la nature. La tâche du journalisme [traditionnel] est de couvrir cette lutte de manière objective, en gardant l'espoir que notre côté - le corps - sorte vainqueur.

Ce type de journalisme, focalisé sur la lutte entre le corps humain et la maladie (un compte-rendu objectif de la situation) et sur son issue (qui gagne ?), Galtung l'appelle journalisme de guerre, par opposition à un journalisme de paix qui porterait son attention non seulement sur le conflit mais également sur les solutions pacifiques à y apporter.

2 Search for Common Ground (SFCG), littéralement << recherche d'un terrain commun >>, est une ONG fondée en 1982 par John Marks. Elle a pour but de transformer la façon dont sont gérés les conflits via l'utilisation des médias, de la médiation, de la formation, du sport et même de la musique. SFCG est actif dans 17 pays d'Europe, d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient.

3 GALTUNG J., High Road, Low Road. Charting the course for peace journalism, «Track Two», vol. 7 n°4.

<< Journalisme de paix >>, << journalisme sensible aux conflits >>, << journalisme de médiation >>, << journalisme proactif >>, les dénominations sont variées mais toutes se rapportent à un seul et même concept : celui d'une utilisation des techniques de communication de masse dans un but avoué de prévention et de résolution des conflits. Nous utiliserons dans cet ouvrage le terme journalisme de paix ou journalisme proactif, puisque ce sont ceux qui nous ont semblés les plus révélateurs. En effet, il s'agit d' << agir pour >> la paix, mettant en évidence le but recherché.

Le journalisme proactif se veut le contre-pied d'une pratique journalistique qui réduit les faits d'actualité, même les plus sensibles, à une espèce de lutte de force entre bons et méchants, entre gagnants et perdants, que les médias se limitent à commenter en comptant le nombre de morts, de processus de paix avortés et qu'ils ne considèrent comme achevés que lorsqu'une des parties a eu raison de(s) l'autre(s) - par négociation, élimination, ou encore en lui (leur) imposant sa volonté1. << La vérité, c 'est que la plupart des journalistes préfèrent porter leur attention sur

l 'effet « bang-bang », représentant le conflit comme la lutte du blanc contre le noir, sans la moindre nuance de gris >>, explique Loretta Hieber2, chercheur auprès de Média Action International et spécialisée dans l'appui, via l'intermédiaire des médias, aux peuples touchés par la guerre.

Et pourtant, c'est bien cette manière de couvrir l'actualité qui semble être la norme dans nos pays occidentaux, avec une influence certaine sur les médias du sud. Les journalistes << traditionnels >> s'appliquent à << rendre compte des faits >> : 18 morts en Irak aujourd'hui, 9 hier et 22 demain, telle est la ritournelle à laquelle a fini par s'habituer l'auditeur, le lecteur ou le téléspectateur. Cette manière de << rendre compte des faits de manière objective >>, dans ce contexte, s'apparente quelque peu à un compte-rendu d'une partie de football...

Le journaliste proactif met son travail au service de la prévention et de la gestion des crises, au service de l'émergence de la paix. D'aucuns argumenteraient qu'il ne s'agit de guère plus que d'un << bon journalisme >>, c'est-à-dire d'un journalisme responsable, pratiqué dans le respect des règles de la déontologie professionnelle. << Le journaliste professionnel, avec ses principes

d 'impartialité, de responsabilité et de pertinence3, dispose automatiquement d 'un potentiel énorme et souvent inconscient pour contribuer à la résolution des conflits >>, explique Ross Howard,

1 Voir GALTUNG J., loc. cit.

2 HIEBER L., Lifeline media, reaching populations in crisis. 2001, Media Action International, p. 130.

3 Voir à ce sujet la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, adoptée le 24 et 25 novembre 1971 à Munich par les représentants des syndicats et fédérations de journalistes des six pays de la Communauté économique européenne.

auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le rôle des médias en zone de conflit1. Mais comme Galtung l'a démontré plus haut, même traité de manière impartiale, responsable et pertinente, une guerre peut finir par être couverte comme s'il s'agissait d'un match de football.

Pourtant, pour de nombreux journalistes, s'aventurer plus loin qu'un simple compte-rendu des positions des parties revient à effectuer une tâche non journalistique, à les sortir de leur rôle de spectateur de l'état du monde pour en devenir acteur. Cependant, le journaliste est touj ours inconsciemment acteur de la réalité et l'image du journaliste comme spectateur extérieur à l'actualité est une illusion. Deux fondements à cela :

Premièrement, la simple présence du journaliste suffit à modifier la réalité, ne fût-ce que par le comportement des acteurs de l'actualité : il est naturel d'adopter un comportement différent face à une caméra et quand on se sait à l'abri du regard des journalistes. Dans leur article intitulé << Using the media for conflict transformation », Melone, Terzis et Beleli affirment qu' << alors que nous ne voulons pas dépasser l 'idée que les médias d 'information puissent être contrôlés et utilisés à des fins spécifiques, pas même pour la paix, la perception d'un journaliste « neutre » doit être dépassée. Par leur simple présence lors de la couverture d 'un évènement, les médias altèrent

l 'environnement de communication et sont donc impliqués dans le conflit. Intrinsèquement, les médias sont donc non neutres. »2.

Le deuxième argument, de Jake Lynch et Annabel Mc Goldrick3, soutient l'existence d'une relation circulaire d'influence entre acteurs et rapporteurs de la réalité : chaque ministre, chaque chef d'Etat a son mentor en matière de média. Derrière chaque geste que réalise un ministre, se cache un conseiller qui a étudié la façon dont celui-ci serait reflété par les médias. Et si le conseiller sait prévoir l'image que l'une ou l'autre action du ministre aura au travers des médias et donc les répercussions que cette image aura sur les consommateurs de médias, c'est tout simplement grâce à ses expériences personnelles antérieures. Il analyse tout simplement l'influence qu'ont eu les moyens de communication de masse sur ses propres représentations de la réalité puis il projète ce schéma sur les gestes du ministre. Ce sont donc ses expériences passées qui lui permettent d'anticiper l'attitude des médias. Les journalistes, leurs sources et leur audience font donc partie d'un cercle d'influences réciproques. Ainsi, les attitudes des chefs de gouvernements sont partiellement créées par les journalistes, expliquent Lynch et Mc Goldrick, qui

1 ROSS H., Journalistes et conflits : débats théoriques et actions concrètes in : FRERE M.-S. (dir.), Afrique centrale. Médias et conflits : vecteurs de guerre ou acteurs de paix, Bruxelles, Editions GRIP, 2005, p. 15.

2 MELONE S., TERZIS G. et BELELI O., Using the media for conflict transformation, the Common Ground Experience, «Berghof Handbook for conflict transformation», Berlin, avril 2002, pp. 2-3.

Sandra Melone est directrice du bureau européen du European Centre For Common Ground (ECCG) ; Georgios Terzis est un ancien journaliste. Il est aujourd'hui responsable du programme Médias du ECCG ; Oszel Belei est chargé de programme au sein de Search For Common Ground

3 LYNCH J. et Mc GOLDRICK A., What is peace journalism? «Activate», winter 2001. p. 6.

Jake Lynch, ancien reporter de guerre, donne des cours en résolution des conflits à l'université de Sydney. Annabel Mc Goldrick, également ancien reporter de guerre, est la co-fondatrice du Forum sur les Conflits et la Paix.

réfutent par ce raisonnement l'idée d'un journaliste comme simple observateur puis rapporteur de la réalité. Dans les conflits, chaque partie s'exprime donc sur les faits qui renforcent sa position, puisque chacun sait l'effet que produira sa déclaration. Dans cette optique, le journaliste qui reproduit fidèlement les faits serait donc un simple porte-parole, facilement manipulable par les hommes politiques.

Et puisque, quoiqu'il en soit, le journaliste est toujours un acteur de l'actualité, le journalisme proactif s'accompagne d'une série de règles pour réguler ce rôle du journaliste. L'objectif étant la résolution des conflits, l'apaisement des crises, les reportages ne doivent pas se limiter à une simple description de la réalité - du combat entre le corps et la maladie - mais, parallèlement, offrir des voies de solutions pour combattre la maladie.

1.2. Les règles du journalisme proactif

1.2.1. Traitement médiatique

En temps de guerre ou de paix, les journalistes sont les premiers à propager les informations. Or, les médias, mêmes publics, répondent tous à un besoin économique qui les pousse parfois à brûler les étapes. La collecte, le traitement et la diffusion de l'information doivent être rapides pour que le média reste compétitif. Ce qui engendre parfois des manquements : l'information n'est pas toujours recoupée, vérifiée, le discours officiel est trop souvent repris tel quel dans les colonnes des journaux et les conflits sont présentés de manière simplifiés par manque de connaissance de leurs causes profondes.

Robert Karl Manoff, directeur du Center for War, Peace, and News Media à l'Université de New York, énonce une série de rôles que peuvent jouer les journalistes dans la résolution et la prévention des conflits. Parfois ils remplissent ces fonctions dans le cadre de leurs devoirs journalistiques, pour des raisons purement professionnelles et devraient dès lors prendre conscience de l'impact de leur travail dans la prévention de conflits meurtriers et l'orienter sciemment dans ce but. Parmi ces rôles traditionnels, Manoff cite l'éducation ou la mise en contact et en confiance des différents protagonistes du conflit. Ces rôles dérivent en réalité d'une seule attitude : l'analyse en profondeur du conflit, en expliquant les intérêts sous-jacents de chaque acteur du conflit, l'historique (éventuellement en remontant à des dizaines de générations en arrière), une explication des moeurs et traditions de chaque partie en cause, permettant dès lors d'humaniser les ennemis et de permettre une compréhension plus grande des motivations des

protagonistes1. Afin d'y arriver, Lynch et Mc Goldrick ont élaboré une liste des << choses à ne pas faire >>, destinée à tout journaliste adepte du << proactivisme >>2 :

· Eviter de réduire le conflit à deux côtés qui s'opposent, avec comme conclusion logique, un futur gagnant et futur perdant. Alternative : éclater les deux acteurs en leurs différentes composantes, en expliquant leurs revendications, leurs nécessités, ce qui permettra de créer une plus grande dynamique dans la recherche de solutions.

· Eviter de réduire le conflit à l'espace-temps des violences. Ne pas confondre conflit et violences. Alternative : mettre en évidence les liens et conséquences avec d'autres personnes dans d'autres endroits ainsi que les répercussions dans le futur (quelles conclusions vont tirer les récepteurs de médias ? Ces conclusions vont-elles influencer les attitudes des protagonistes, en cas de conflit futur ?)

· Eviter d'évaluer les mérites d'une action/politique de violence uniquement par rapports à ses effets visibles. Alternative : montrer la face invisible de cette violence : les risques, à long terme, de dommages psychologiques ; éventuellement la possibilité accrue de voir les victimes d'aujourd'hui reproduire demain des actes violents.

· Eviter de laisser les protagonistes se définir par les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs réclamations. Alternative : faire une enquête plus profonde sur la manière dont les personnes de terrain sont affectées dans leur vie quotidienne. Que veulent-ils voir changer ? La position clamée par leur leader est-elle l'unique manière d'accomplir cet objectif ?

· Eviter de mettre en évidence continuellement ce qui divise les parties, les différences entre ce qu'elles déclarent vouloir. Alternative : poser les questions susceptibles de dévoiler des zones communes entre les parties, faire ressortir les réponses suggérant que certains objectifs sont compatibles, voire partagés.

· Eviter de couvrir uniquement les actes de violence, décrivant dès lors l' << horreur >>. Si l'on exclu tout le reste, on suggère que l'unique explication de la violence réside dans des violences antérieures (revanche) ; et le seul remède semble être plus de violence (punition). Alternative : expliquer cette violence en montrant combien les protagonistes ont été bloqués/frustrés/privés dans leur vie de tous les jours.

· Eviter de blâmer quelqu'un d'<< avoir commencé >>. Alternative : essayer de discerner de quelle manière les problèmes partagés conduisent à des conséquences qu'aucune des parties n'avait désirées.

1 MANOFF R. K., Potential Media Roles in the prevention and management of conflict, 2000, disponible sur http://www.cyc-net.org/today2000/today001127.html

2 Cette liste est tirée des << 17 conseils pour réaliser un journalisme de paix >> de LYNCH et Mc GOLDRICK, loc. cit. Remarque : les propos ont été traduits de l'anglais par l'auteur.

· Eviter de saluer la signature d'accords par des dirigeants, qui semblent montrer la victoire militaire ou le cessez-le-feu, comme seule solution vers la paix. Alternative : continuer à parler des autres obstacles à la sortie de crise, susceptibles de conduire à de nouvelles violences dans le futur. Se poser la question de savoir ce qui est fait sur le terrain pour renforcer les moyens de résoudre le conflit de manière pacifique, de répondre aux besoins structurels de la société et de créer une culture de paix.

· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et les peurs du même côté. Alternative :
considérer comme digne d'intérêt les peurs et les souffrances de tous les protagonistes.

· Eviter de présenter des opinions comme s'il s'agissait de faits (ex : Eurico Guterres, tenu responsable d'un massacre au Timor Oriental...). Si quelqu'un fait une déclaration, préciser son nom, de sorte que ces propos soient perçus comme un avis externe et non comme le fait du journaliste (Eurico Guterres, accusé par un officiel de l'ONU d'avoir ordonné un massacre au Timor Oriental...).

1.2.2. Petite leçon de vocabulaire...

Lorsque le journaliste a choisi d'utiliser ses armes - sa plume, micro ou caméra - pour promouvoir la paix, il doit adopter une attitude particulièrement vigilante dans le choix de ses mots. Ainsi, certains termes d'usage courant sont souvent utilisés de manière erronée et l'utilisation de certains mots de façon inappropriée peut générer des conséquences parfois malencontreuses.

Génocide : (de génos, race) extermination (anéantissement) d'un groupe ethnique, social ou religieux. Le terme est souvent utilisé de manière abusive et il s'agit de s'interroger : les faits consistent-ils réellement en une action visant à exterminer toutes les composantes d'un groupe ? Décimer : (de decim, dix) réduire à un dixième de sa taille originelle.

Assassinat : meurtre prémédité. Ce mot est trop souvent employé sans que la notion de préméditation ne soit prouvée.

Massacre : (de macecre, abattoir, fin XVIème s.) action de tuer délibérément des victimes sans défenses ou désarmées. Les victimes étaient-elles réellement sans défense, ou s'agit-il de morts au combat ?

Systématique : (ex. viols systématiques) Qui est intégré dans un système, qui procède avec méthode, dans un ordre défini, pour un but déterminé. S'agit-il vraiment d'actions délibérément

organisées selon un modèle ou était-ce plutôt un nombre d'incidents similaires, certes regrettables, mais indépendants les uns des autres?1

Et en ce qui concerne la question du vocabulaire utilisé, Lynch et Mc Goldrick, les deux théoriciens de référence, vont plus loin. Ils préconisent de prêter une attention toute particulière à l'utilisation des adjectifs comme << vicieux >>, << cruel >>, << brutal >>, << barbare >>. Il s'agit souvent du point de vue d'une des parties sur les actes commis par l'autre. Les utiliser situe le journaliste de ce côté et justifie une escalade de la violence. Idem avec << terroriste >>, << extrémiste >>, << fanatique >>, << fondamentaliste >>, qui donnent implicitement l'idée d'une personne irraisonnable et donc impropre à la négociation. Il vaut mieux appeler chaque groupe par le nom qu'il se donne, ou être plus précis dans les descriptions2.

1.2.3. Exemple

Reportage traditionnel3 :

Yoho City, YNS - De nouveaux affrontements dans la guerre de gang ethnique de la ville ont fait sept jeunes tués et un entrepôt détruit dans la nuit de jeudi. Des coups de feu et des cocktails Molotov ont été lancés entre les gangs rivaux de Yoho et Atu durant presque 20 minutes, au cours de ce qu'un policier a qualifié de << fusillade ethnique >>.

Un des résidents a déclaré avoir entendu un jeune homme Atu crier << Nous vous tuerons tous >> tout en lançant une bombe au pétrole à l'intérieur d'une voiture remplie de jeunes Yoho qui était garée à l'extérieur de l'entrepôt. Le jeune homme a été tué par balle par un Yoho qui a tiré depuis une fenêtre de l'entrepôt, a ajouté un autre résident. D'autres membres du gang Atu ont été vus tirant des bombes de pétrole à travers les fenêtres de l'entrepôt, qui a fini brûlé par les flammes. Les autorités policières affirment que les deux gangs poursuivent une guerre ethnique dans la zone depuis plusieurs semaines...

Reportage << proactif >> :

Le trafic illégal de narcotiques qui tourmente la ville a déclenché dans la nuit de jeudi une fusillade entre deux groupes trafiquant dans une zone de la banlieue. Selon les explications des résidents, la fusillade, qui a causé la mort de sept personnes, impliquait de jeunes hommes recrutés par les dealers rivaux qui essaient de prendre le contrôle du quartier. Quatre des victimes sont des jeunes

1 Le CD-Rom du Petit Robert, version électronique du Nouveau Petit Robert, version 2.1, Dictionnaires Le Robert, VUEF, 2001.

2 LYNCH J. Reporting the World: The findings. A practical checklist for the ethical reporting of conflicts in the 21st century, produced by journalists, for journalists, 2002, pp. 72-73. Disponible sur http://www.reportingtheworld.org.uk/files/rtw_booklet.pdf

3 Ces exemple et contre-exemple sont issus de HOWARD R. Conflict sensitive journalism, 2004, p. 17, disponible sur http://www.impacs.org/actions/files/MediaPrograms cliquez sur le lien << handbook pdf final french version >>.

Yoho engagés pour surveiller un entrepôt, soupçonné par les résidents d'être un centre de distribution de drogues, a déclaré Jane Brown, représentante de l'association des citoyens de l'est. Tandis qu'un autre dealer, qui tente également de prendre le contrôle dans la banlieue Est, a recruté des sans-emploi Atu puis les a armés, a expliqué Mme Brown. << La police a refusé de négocier avec les trafiquants qui ont transformé notre rue en un champs de bataille. Nous avons besoin d'un poste de police, d'argent pour les centres de désintoxication... >>

Reportage traditionnel

Reportage « proactif »

L'article écrit de manière traditionnelle met

Dans l'autre article, au contraire, l'on cite les

en exergue la violence, la mettant à charge de

appartenances ethniques, mais sans les mettre

l'ethnicité. Il répète de nombreuses fois les

autant en évidence, puisque ici il ne s'agit

noms des ethnies et fonde toute la violence

pas de conflit purement ethnique, mais bien

sur cette distinction entre Yoho et Atu.

d'une guerre de gangs de narcotrafiquants.

 

Et si l'article << proactif >> parle des identités ethniques, il décrits les jeunes Atu et Yoho comme victimes des dealers et d'une mauvaise condition sociale.

Si elle est décrite avec moult détails, aucune

L'article insiste sur ce point, ne se contentant

explication n'est donnée pour toute cette

pas de décrire la violence, mais lui donnant

violence.

des causes, la recontextualisant dans le contexte plus général de rixes entre deux gangs de trafiquants de drogue.

Le reportage traditionnel fait l'erreur de

L'on donne la parole au porte-parole d'une

rendre compte de l'opinion du policier

association de quartier, en le nommant. La

comme s'il s'agissait d'un fait, sans

distinction est nette entre l'opinion de Mme

communiquer le nom de ce témoin.

Brown et le compte-rendu objectif des faits.

 

De plus, ce témoignage permet de mettre en évidence des solutions à cette situation. Ici, le journaliste a fait l'effort de rechercher un témoin proposant des solutions constructives

 

(poste de police...)

Cette illustration démontre que le journalisme de paix ne se veut pas manipulateur : il ne s'agit pas de cacher des informations qui pourraient avoir des conséquences négatives aux yeux du journaliste, mais bien de présenter différemment la réalité. Dans l'exemple ci-dessus, le journaliste proactif n'a pas caché l'identité ethnique des dealers, ni leurs crimes. À bien des égards, il ne s'agit que d'un journalisme << scolaire >> qui prête attention à la distinction des faits et des opinions et à la recontextualisation. Rien d'hors normes, à première vue. Pourtant, l'impression générale diffère à la lecture des deux articles et la réaction du lecteur sera différente selon qu'il ait lu l'une ou l'autre version.

À la lecture du premier compte-rendu des événements, un lecteur non averti pourrait se croire en présence d'un embryon de guerre ethnique, au risque d'attiser des tensions ethniques à plus grande échelle, qui pourraient se répercuter dans la ville entière. Alors qu'en lisant l'article

<< proactif >>, même s'il est lui-même Yoho ou Atu, le lecteur comprendra que cette << guerre des gangs >> n'est pas la sienne, puisqu'il s'agit en fait de narco-traficants luttant pour le contrôle d'un quartier. Il faut également noter l'effort du journaliste proactif pour trouver, dans la mesure du possible, des voies de sorties de crise, qu'elles viennent de son propre chef ou de celui d'un des acteurs du conflit.

1.3. Les critiques

1.3.1. Critique de l'instrumentalisation du journalisme

Albert Londres, grand reporter français du siècle passé, soulignait par ces propos le rôle de contre-pouvoir du journaliste, parfois dérangeant, touj ours utile : << Un journaliste n 'est pas un enfant de choeur et son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n 'est pas de faire plaisir, non plus de faire tort, il est de porter la plume dans la plaie >>1. Ce rôle joué par les médias est cependant contradictoire: constituant indéniablement une institution politique à part entière, le quatrième pouvoir a deux grandes faiblesses : d'une part, il est détenu par des personnes qui n'ont été ni élues, ni nommées pour leur compétence. D'autre part, il est sujet aux exigences commerciales comme toute autre entreprise.

Pour résoudre cette équation, la solution la mieux adaptée, mélange de droit et de responsabilité socioprofessionnelle, c'est la déontologie. Cet instrument, ensemble de principes et de règles établis par la profession, a une vocation : permettre aux médias de servir au mieux les individus qui composent son public.

Parmi les principes de base de la déontologie journalistique, l'un deux nous intéresse particulièrement dans cette étude : il s'agit de l'indépendance des médias. Ce principe, largement accepté dans nos contrées dites démocratiques, consiste en l'affirmation selon laquelle le journaliste n'a de compte à rendre à personne, si ce n'est à son public, puisque c'est son intérêt qu'il tend à servir. Pourtant, cette indépendance se révèle, somme toute, fort relative : un directeur d'une maison de presse peut-il réellement s'offrir le luxe de faire un pied de nez à un actionnaire en publiant une enquête négative sur la qualité de ses produits ? Est-il réellement indépendant de l'État lorsque celui-ci lui alloue des subsides conséquents ? La presse se meurt sans revenus publicitaires. Peut-on dès lors la qualifier de libre ? Commercialement, non. D'où l'exigence d'une totale transparence en matière de propriété et de gestion des médias2.

1 Cette phrase devenue célèbre est tirée de Terre d 'ébène, qu'il écrit au retour d'un séjour de quatre mois en Afrique française, en 1927. L'ouvrage est un violent réquisitoire contre la politique coloniale française.

2 Résolution 1003 du Conseil de l'Europe sur l'éthique du journalisme, article 12.

Politiquement, un média est rarement neutre. Pourtant, une orientation idéologique des éditeurs doit être légitimement respectée pour autant qu'elle soit limitée par les exigences incontournables de la véracité des nouvelles et de rectitude morale des opinions, exigées par le droit fondamental des citoyens à l'information1. Qu'un organe de presse adopte une orientation idéologique reste donc possible, s'il respecte certaines conditions. Le danger ici n'est donc pas de présenter une orientation politique, puisque celle-ci est déontologiquement acceptable, mais d'arriver à rester indépendant de toute pression, intérieure ou extérieure, consciente ou inconsciente, affirmée ou insinuée. La presse ne doit servir aucun intérêt particulier, si ce n'est celui de ses publics, dans toute leur diversité. Elle doit aspirer à offrir les qualités d'un service public - au sens de << responsabilité sociale >> et non de lien avec l'État -, offrant une tribune à toutes les orientations politiques et sociales, assurant au mieux les différentes tâches dont elle a la fonction : observer et fournir une image représentative du milieu environnant, assurer la communication sociale, transmettre la culture ainsi que contribuer au bonheur via le divertissement.

Dès lors qu'un journal, une radio ou une station de télévision dédie ses pages ou ses ondes à la gloire de l'État, d'un modèle politique, d'une religion, ou d'une race, on se doit de rejeter ce type de production de la catégorie << journalisme >>, pour la classer dans la rubrique << propagande >>. C'est en cela que l'on se doit de rejeter le journalisme dès lors qu'il se met au service de... de quoi au juste ? De quoi que ce soit qui diffère de l'intérêt du public, de ses besoins et de ses désirs.

1.3.2. Critique du journalisme de paix

La critique la plus fondée à l'encontre du journalisme de paix, n'est pas forcément celle-la même qui est le plus souvent énoncée. Au premier abord, un journaliste quidam dira que son rôle se limite à décrire la réalité, sans essayer d'interférer dans celle-ci. Nombreux sont les professionnels des médias qui estiment avoir rempli leur << responsabilité sociale >> en offrant un tableau fidèle de la réalité, laissant dès lors le récepteur tirer ses propres conclusions. Comme nous l'avons vu auparavant, le journalisme de paix ne s'éloigne pas forcément de cette vision du rôle du journaliste. Il prête tout simplement une attention plus poussée à la formulation des faits, au vocabulaire employé, à la recontextualisation, laisse s'exprimer tous les protagonistes dans la mesure du possible et laisse une place considérable à la recherche de solutions en cas de conflit. Il s'agit simplement d'une prise de conscience plus considérable de son propre impact sur son public, en essayant dès lors d'offrir au récepteur les clés pour une compréhension en profondeur des faits sociaux. Le journaliste quidam reprochera dès lors au << journaliste proactif >> de vouloir influencer

1 op. cit. art 13.

le cours des évènements. Mais peut-on réellement reprocher au journaliste de désirer une issue pacifique à un conflit ? Certainement pas ! D'ailleurs, les textes déontologiques créés dans le but précis de prévenir les excès de la presse abondent en ce sens, préconisant une vigilance particulière en cas de tension intercommunautaires, dans le traitement de l'information relative aux minorités ou encore lorsque les valeurs démocratiques sont en péril. L'association générale des journalistes professionnels de Belgique (AGJPB) a notamment adopté un ensemble de << recommandations pour l'information relative aux allochtones >>1. On y préconise un traitement de l'info particulier pour les étrangers : << éviter le plus possible les polarisations du type `nous-eux' >>, << ne mentionner la nationalité, le pays d 'origine, l 'appartenance ethnique, la couleur de la peau, la religion ou la culture que si ces informations sont pertinentes >>, << éviter de créer inutilement des problèmes et de dramatiser. Recommandation : les médias pourraient parler des immigrés d'une façon plus positive >>, << assurer le suivi maximal de chaque sujet (...) >>. Ces principes ressemblent à s'y méprendre aux recommandations énoncées par Lynch et Mc Goldrick en matière de traitement `proactif' de l'information.

De même, le Conseil de l'Europe, dans sa résolution 1003 sur l'éthique des journalistes, déclare que <<lorsqu 'il s 'agit de défendre des valeurs démocratiques, personne ne doit rester neutre. Dans ce sens, les médias doivent contribuer dans une mesure importante à prévenir les moments de tension et favoriser la compréhension mutuelle, la tolérance et la confiance entre les différentes communautés dans les régions en conflit (...) >> (article 34). Cette critique souvent énoncée à l'encontre du journalisme proactif ne tient dès lors pas la route, puisque ses principes se retrouvent dans des chartes déontologiques dont l'autorité n'est pas à remettre en question.

Une question peut toutefois être soulevée, à savoir qui se cache derrière les organes de journalisme de paix. On l'a dit précédemment, le journaliste proactif vise à promouvoir les valeurs démocratiques, ainsi que la confiance entre des communautés divisées. Cependant, tout comme le journaliste classique exerce un pouvoir sans avoir été mandaté ou élu pour remplir cette fonction, l'instigateur d'une radio ou un journal `proactif' travaille généralement à partir de ses propres intuitions quant à l'importance de certaines valeurs et quant aux solutions à apporter à un conflit. La critique peut dès lors se faire à deux niveaux : d'une part, les valeurs qu'il juge démocratique peuvent être différentes de celles reconnues comme telles par la majorité ; d'autre part, sa vision de la réalité du pays dans lequel il va implanter son média peut être tronquée, faute d'une connaissance suffisante du terrain, des moeurs et de la population locale.

1 NOBRE-CORREIA J.-M., Introduction à l 'information et à la communication, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 2001, 15ème édition, p. 136.

Inadéquation des valeurs de l'instigateur de l'initiative avec celles de la majorité

Les valeurs démocratiques sont-elles des valeurs immuables, identiques d'une époque à l'autre ? Le droit à la vie a été déclaré comme valeur universelle. Pourtant, aux Etats-Unis, ce même droit à la vie est bafoué de par la condamnation à mort, alors que la nation se déclare pionnière en matière de droits humains. De même, peut-on invoquer le droit à la vie pour juger une mère somalienne qui aurait tué un nouveau-né, incapable qu'elle était de nourrir une bouche de trop et préférant assurer la survie de ses précédents enfants plutôt que d'hypothéquer la vie de toute sa famille ? Ces valeurs dites universelles sont donc variables et il faut prendre garde à ne pas tomber dans le piège de l'ethnocentrisme. Dès lors, un individu ou une ONG, désireux de créer une radio proactive pour « aider des communautés en difficultés », agira peut-être sur base d'un principe en lequel il croit, mais qui ne correspond pas à la norme universelle et/ou locale. En cela, l'absence d'une quelconque instance supérieure de surveillance en ce qui concerne le journalisme de paix constitue en lui-même une dérive potentielle.

Inadéquation de la perception de l'instigateur de l'initiative avec la réalité locale

La plupart du temps, le journalisme de paix s'inscrit dans une démarche prise par des acteurs du Nord à l'égard des populations du Sud. Dans ce cas, même si des études de terrain approfondies ont été réalisées avant l'implantation du média proactif dans le pays en crise, il n'empêche qu'un acteur extérieur au pays, même mu par les meilleures intentions et animé par une volonté de fer, aura énormément de difficultés dans les premiers mois à capter toutes les nuances de la réalité locale. Il devra s'entourer de collaborateurs natifs du pays visé et leur offrir une totale confiance, notamment en raison de la barrière du langage.

Ces initiatives sont généralement bien intentionnées. Pourtant, dans la pratique, il faut relever un paradoxe important : alors que le journaliste proactif estime que la recontextualisation, l'explication des tenants et des aboutissants du problème, la prise de parole par toutes les parties, améliorera sensiblement la situation et amènera à une résorption des tensions, lui-même n'est généralement pas conscient de toutes les nuances du conflit et ne parle pas la langue locale qui lui permettrait de juger des propos tenus par les différents acteurs. L'on parlait précédemment de l'éventualité d'une mauvaise interprétation des valeurs démocratiques. Dans ce cas, cette dispersion des jugements de valeurs par l'intermédiaire des personnes dont le journaliste étranger est dépendant, ne fait qu'aggraver la situation.

1.3.3. La question de la pérennité des projets mettant en oeuvre le journalisme proactif

Si l'appui de coopérations étrangères est souvent profondément utile à la création d'un média de la paix, une question se pose alors : que se passe-t-il une fois que le financement extérieur disparaît ? Ces médias, dont le niveau de fonctionnement est généralement en totale discordance avec l'économie locale, se retrouvent dès lors dans l'incapacité d'assurer leur pérennité.

C'est là qu'apparaît dans toute sa lumière la différence entre les projets d'action humanitaire et les projets de coopération au développement : d'une part, il s'agit d'offrir une solution rapide à un problème ponctuel; d'autre part, de jeter les bases qui permettront aux locaux de fonctionner de manière indépendante dans l'avenir. Dans le domaine du journalisme de paix, les deux perspectives existent : certaines ONG utilisent les médias comme moyens d'intervention d'urgence, afin d'éviter ou de résorber des conflits (ex : Fondation Hirondelle1). Puis, une fois la menace passée, elles s'en vont, emportant avec elles leurs antennes et leurs budgets. D'autres associations visent la promotion à long terme de certains principes journalistiques, via la création d'écoles de journalisme, des formations en déontologie du journalisme, des séminaires permettant à des journalistes de communautés différentes de travailler ensemble etc. (ex : Institut Panos Paris). Si les deux approches sont louables, il est indéniable que celle visant la formation et la prise de conscience par les journalistes de leur pouvoir en matière de résolution des conflits, est l'exemple même d'une pérennité assurée.

Pourtant, il existe des cas où une intervention d'urgence est indispensable, nécessitant de sérieux investissements à court terme. Toute la question est alors d'arriver à transformer cet apport extérieur en un développement durable : en engageant des journalistes et des techniciens inexpérimentés, qui sortiront compétents de quelques années passées au service du média proactif, en dispensant des formations régulières à ces journalistes, en leur apprenant des réflexes simples, peu coûteux, mais efficaces, qu'ils pourront reproduire une fois le bailleur disparu. Car le journalisme de paix peut se créer localement, sans nécessiter de lourds investissements, puisqu'il s'agit avant tout de respecter une certaine rigueur professionnelle. Le bailleur extérieur doit donc réfléchir à deux fois avant de lancer un nouveau média dans le paysage médiatique d'un pays : ne peut-il pas plutôt travailler à partir de structures déjà existantes en renforçant ses capacités, en s'y implantant, plutôt que de créer un nouveau journal, une nouvelle station de radio, qui laissera un vide après son retrait du pays ?

1 Pour plus de détails sur ces ONG, se référer au chapitre 1.4.1.

1.4. Applications sur le terrain de ces notions

1.4.1. Présentation de quelques ONG significatives

Search For Common Ground1

Littéralement « recherche d'un terrain d'entente », SFCG est une ONG qui vise à transformer la manière dont le monde traite les conflits, passant d'une approche adversative à une approche collaborative. En collaboration avec le European Centre for Common Ground, elle se veut une organisation de paix et de résolution des conflits. Selon SFCG, ce n'est pas le conflit qu'il faut changer - puisque celui-ci naît de la différence et que chaque être humain est différent - mais bien la manière de l'approcher, afin qu'il génère une dynamique de progrès. La section médias de SFCG a pour but de susciter un nouveau rôle pour la radio et la télévision, un rôle de réduction de la violence. SFCG est actif en Angola, au Burundi, RDC, Liberia, Macédoine, Moyen-Orient, Sierra Leone, Indonésie, Ukraine et aux Etats-Unis. L'ONG utilise des médium très variés pour atteindre son but : radio, télévision, formations journalistiques, magazines, arts ou encore le sport. L'un des exemples d'intervention au travers de la radio est le projet de communauté radiophonique de Kailahun, en Sierra Léone, dont le but est de servir de plateforme pour l'échange d'information, suscitant ainsi une interaction entre les différentes communautés afin de promouvoir une cohésion sociale. Dans son programme visant à rapprocher les communautés iraniennes et nord-américaines, SFCG a cherché un terrain d'entente sur lequel les deux populations pourraient échanger des idées : elle a choisi la question de l'environnement. Elle organise des échanges entre environnementalistes et étudiants des deux pays. Le sport aussi, peut servir à la réconciliation. En 1999, alors que la guerre fait rage, SFCG organise au Burundi un tournoi de football entre jeunes de différentes ethnies.

Avant le lancement de chaque nouveau projet, SFCG adopte la même méthodologie: analyse de réceptivité, étude de terrain, recherche de collaborateurs. Après la mise en route d'un projet, SFCG travaille activement avec des évaluateurs selon une méthodologie qui allie des savoirs en matière de médias et de résolution des conflits, afin de mesurer son impact sur le terrain et, au besoin, de rectifier les techniques utilisées.

1 SFCG http://www.sfcg.org tel : +1 202 265 4300 contact : John Marks (président).

Fondation Hirondelle1

La Fondation Hirondelle est une ONG suisse. Elle rassemble des journalistes qui créent des médias en temps de crise : lors de conflits ouverts ou dans des situations post-conflictuelles. Elle est également présente pour les acteurs travaillant dans le secteur du développement lorsque la situation s'avère difficile d'un point de vue économique, politique ou social. Créée en 1995, elle a gardé le nom de la première radio qu'elle a fondée, la radio Agatashya (hirondelle) dans la région du Kivu (RDC). La Fondation a mis sur pied des stations de radio et des agences de presse, utilisant les langues locales afin de se rapprocher de la population. L'organisation aspire à collaborer à l'émergence de sociétés démocratiques et tolérantes. Elle cherche à contribuer à la formation d'une opinion publique responsable, citoyenne, ouverte au dialogue. Elle est particulièrement attachée à la justice, qu'elle considère comme condition de la réconciliation. La Fondation Hirondelle travaille avec des collaborateurs locaux, excepté le chef de projet qui est généralement un expatrié. Son but est en effet d'apporter son savoir-faire et son expérience, afin que ses employés puissent par la suite gérer de manière indépendante des médias indépendants dont ils assurent eux-mêmes le contrôle.

Le plus grand projet de la fondation Hirondelle est sans conteste la radio Okapi implantée en RDC en 2002 et gérée en partenariat avec la Monuc (Mission d'observation des Nations Unies au Congo). Un autre projet, de taille plus modeste, est l'agence de presse Hirondelle à Arusha (Tanzanie), qui couvre toutes les informations judiciaires en rapport avec le TPIR mis en place suite au génocide des Tutsi au Rwanda. L'agence s'adresse principalement aux Rwandais, ainsi qu'à toute la région des Grands Lacs.

Centre médiatique de Belgrade2

Le Centre médiatique est actif dans la région de l'ex-Yougoslavie principalement. Il s'attache à plusieurs objectifs : la facilitation des processus de transition médiatique, l'ébauche de lois relatives aux médias et la formation de journalistes dans des domaines relatifs à la démocratie. L'offre de cours destinés aux professionnels des médias est très large : grâce à ces formations, le Centre médiatique de Belgrade encourage l'amélioration des standards professionnels, de même que la démocratisation des médias. Il offre également toute une série de productions radiophoniques ou télévisées avec des programmes tels que Moi aussi j 'ai des droits, visant à sensibiliser les enfants et leurs parents sur le thème des droits des enfants ; En direct depuis La

1 Fondation Hirondelle, http://www.hirondelle.org tel : +41 21 654 20 20 contact : Peter Aeberhard (président).

2 Centre Médiatique de Belgrade http://www.mediacenter.org.yu tel : +381 11 3343 225.

Haye , dont le but est d'expliquer le fonctionnement du tribunal international de La Haye ; ou encore une série de cinq émissions radiophoniques destinées au grand public sur << l'éthique et les médias >>.

L'institut Panos International1

L'Institut Panos est une ONG internationale fondée en 1986 en tant qu'organisation à but non lucratif. L'association << mère >>, basée à Londres a des << soeurs >> indépendantes à Paris, Washington, Dakar (Sénégal), Port-au-Prince (Haïti) et St Michaël (Barbados). Depuis 1996, sa structure est décentralisée, avec un réseau de bureaux régionaux en Afrique du Sud (Lusaka, Zambie) ; Afrique de l'est (Kampala, Ouganda et Addis Ababa, Ethiopie) ; Asie du sud (Katmandou, Népal et New Dehli, Inde). Chaque centre régional travaille de manière plus ou moins autonome, avec son propre comité consultatif. Le réseau Panos est lié par un même nom, une même mission et est chapeauté par un Conseil commun, composé d'un directeur et d'un membre de chaque bureau Panos. La mission de Panos est de s'assurer que l'information soit utilisée de manière effective et qu'elle soit au service d'un débat public, du pluralisme et de la démocratie. Spécialisée dans l'appui au pluralisme médiatique, Panos travaille au renforcement des médias du Sud et de leurs capacités à produire et diffuser ; il appuie la production d'informations sur certains thèmes prioritaires comme la paix, les droits de la personne, les migrations ; enfin, il s'efforce de susciter et d'alimenter une réflexion critique sur les enjeux de l'information et de la communication. L'Institut Panos a pour but d'effacer les inégalités entre les << pauvres >> et << riches >> en informations.

1.4.2. Présentation de deux projets significatifs

Radio Okapi (RDC)

La radio est le médium le plus adapté pour des applications en temps de guerre ou post-guerre dans presque tout le continent africain. C'est en effet un moyen de diffusion relativement bon marché pour les auditeurs, flexible et celui qui parvient à toucher le plus grand pourcentage de la population dans des zones où peu de gens sont lettrés et où la tradition orale prédomine2. Dans un pays rongé par la corruption et la guerre depuis des décennies, à peine sorti de ce qui fût nommé la << première guerre mondiale africaine >>, ils étaient 45 millions d'auditeurs potentiels.

1 Institut Panos http://www.panos.org.uk tel : +44 207 278 1111 contact : James Dean (directeur).

2 Au sujet du choix du médium le plus approprié dans la mise sur pied de programmes proactif, voir HIEBER L., Lifeline media, reaching populations in crisis, loc. cit., pp. 49-72 (chapter IV : choosing the right medium).

Avec de larges parties du pays échappant au contrôle du pouvoir central, 900.000 réfugiés, 2.400.000 citoyens déplacés et 300.000 personnes souffrant de malnutrition, la République Démocratique du Congo avait besoin d'aide. Alors, le 25 février 2002, date du lancement du dialogue inter-congolais, l'ONG suisse Fondation Hirondelle et la Monuc (mission d'observation des Nations Unies au Congo) lançaient la Radio Okapi. Depuis le début, celle-ci a été claire sur sa position : << Okapi . la fréquence de la paix, Okapi . la voix du dialogue, Okapi . une radio congolaise pour les Congolais »

Promouvoir le dialogue et la paix en RDC, c'est le mandat spécial que s'est donné la Radio Okapi. Sa vocation est de fournir une information fiable et rigoureuse aux auditeurs, les accompagnant dans le processus de paix. Cette structure est de loin le projet radiophonique le plus important qu'aient eu à gérer ses deux fondateurs et, en moins d'un an, elle est devenue le réseau le plus large et le plus important dans tout le pays. Pourtant, une question se pose : alors que l'on compte 200 stations de radio communautaires, commerciales et associatives sur le territoire, que vient apporter la radio Okapi que les autres ne puissent offrir au peuple congolais?

Premièrement, la qualité de ses programmes. En se centrant sur des thématiques telles celles de la santé, l'éducation, les droits de l'homme et la culture, elle a permis d'offrir une information pluraliste et équilibrée sur l'évolution de la situation nationale. Radio Okapi, que l'Institut Panos Paris qualifie d'ailleurs du << plus grand succès de la MONUC>>1, a par exemple pris en charge la publicité des débats lors du dialogue inter-congolais, avec une équipe de reporters envoyés sur place, à Sun City (Afrique du Sud). Dans ses bulletins d'information, Radio Okapi prête une attention particulière aux activités des Nations Unies, à ses agences spécialisées et à la mission de la Monuc. Il s'agit donc d'offrir des informations fiables et de qualité ; mais également une visibilité aux activités des Nations Unies au Congo-Kinshasa. Il s'agit d'ailleurs d'un point qui récolte bon nombre de critiques des observateurs, qui voient dans la radio Okapi d'avantage un outil de << propagande >> Onusien qu'un service d'utilité publique. Pourtant, la MONUC représente la plus grande mission de maintien de la paix actuelle et sa présence, assez visible dans les centres urbains, se doit d'être expliquée aux habitants. Dès lors, détailler aux Congolais le rôle de cette mission de maintien de la paix, ses opérations militaires passées et futures, n'apparaît pas tant comme un geste de propagande, mais plutôt comme un soucis de transparence, en adéquation avec la ligne éditoriale de la radio, laquelle vise à << accompagner le peuple Congolais dans le processus de transition et de paix >>.

1 Actes de l'Atelier Interrégional de Bagamoyo, p. 92.

Disponible sur http://www.panosparis.org/fr/doc/Actes_Bagamoyo_pour_site.doc

Deuxième avantage de la Radio Okapi sur les autres médias locaux, c'est sa rigueur : En effet, celle-ci n'est pas sujette à l'improbabilité de nombreuses radios locales, lesquelles sont souvent l'objet d'une gestion improvisée, manquent de moyens de production et disparaissent du jour au lendemain ; ou, pire encore, sont prises d'assaut par des mouvements rebelles. L'origine de cette stabilité provient en grande partie dans ses ressources financières : financée par la coopération suisse, britannique et néerlandaise d'une part (via la fondation Hirondelle) et par le géant Onusien d'autre part, la radio fonctionne sur un budget annuel de 8 millions de dollars1. De quoi s'assurer un minimum de garanties... De même, il faut souligner que l'indépendance de cette radio par rapport aux acteurs locaux (milices, militaires, opposition, ...) lui confère une liberté de mouvement que bien d'autres stations ne peuvent se permettre. La << radio de la MONUC >>, comme bon nombre de Congolais l'appellent, est un << mammouth >> radiophonique, bien difficile à ébranler au niveau local.

Enfin, radio Okapi pallie les défaillances des médias publics nationaux : diffusant dans les cinq langues nationales, la radio est la seule qui dispose d'une couverture suffisante pour toucher l'ensemble des nationaux, remplissant dès lors une mission de service public. Avec des décrochages locaux d'une heure par jour en ondes courtes, il s'agit là d'une valeur sûre sur laquelle même les habitants de villages les plus reculés de la RDC peuvent compter. Elle dispose, outre le studio principal à Kinshasa, de 8 stations régionales, d'une vingtaine d'émetteurs FM et de 3 émetteurs ondes courtes. Dans ces stations une petite centaine de journalistes, animateurs et techniciens travaillent 7 jours sur 7 pour offrir à la RDC une information sûre et crédible en français, lingala, swahili, tshiluba et kikongo, ce qui permet de toucher une majorité de la population.

La tâche de cette radio mi-Hirondelle mi-Monuc est assez délicate. En effet, à la Fondation Hirondelle, l'on vise sans détour un objectif de résolution des conflits et de construction de la paix. Pourtant, au même moment, il lui faut s'attacher à respecter une stricte politique d'impartialité, symbolisée par le Code d'Ethique de la Monuc2. Jean-Marie Etter, président de la fondation, explique que l'essentiel dans cette mission est de demeurer impartial. << Lorsque les auditeurs savent que la station est précise et crédible, alors ils savent qu 'ils peuvent croire [ce qu 'ils entendent], alors ils vont vers cette radio. On ne leur dit pas « fais ceci » ou « fais cela ». Nous

1 http://www.radiookapi.net, rubrique << A propos de nous >> La contribution annuelle de la Fondation Hirondelle s'élève à presque 3.5 millions de dollars US par an, financés principalement par le gouvernement suisse, le RoyaumeUni et les Pays-Bas. La contribution de la MONUC a été estimée à 4.5 millions de dollars annuels. (Source : Yves Laplume, directeur adjoint de la radio Okapi).

2 HOWARD R., et al. The Power of the media, a handbook for peacebuilders, Untrecht, European Centre for Conflict Prevention, 2003, pp. 111-117.

leur disons : d'après ce que nous savons, ceci est exactement la manière dont les choses se sont déroulées >>1.

Si la semaine est consacrée principalement aux bulletins d'informations, aux débats et aux sujets de société, les week-ends sont principalement consacrés à la programmation musicale. Le studio diffuse quantité d'informations sur des thèmes dits sérieux, mais la partie plaisir n'a pas été oubliée. David Wimhurst, porte-parole du département des Nations Unies pour la sauvegarde de la paix, expliquait peu de temps avant le lancement de Radio Okapi que << en Afrique, tout le monde écoute la radio. Le Congolais aime la bonne musique. Ils sont d'excellents musiciens. Nous allons créer notre radio de sorte que ce soit une radio écoutable, attractive à l 'oreille. Pas une radio de propagande. Nous diffuserons des informations extrêmement utile, mais nous le ferons dans un contexte général qui rendra la station attractive >>2.

La radio, qui vient de fêter ses quatre années d'existence, cherche à représenter et à servir l'intérêt public, ce qu'elle fait en basant toutes ses activités dans la communauté, en recrutant la majorité de son personnel parmi les Congolais. Tout le travail de terrain est réalisé par les locaux et c'est uniquement aux tâches de gestion et de direction que l'on retrouve des Occidentaux. << Seuls les locaux passent à l 'antenne. Notre but est de puiser dans la population locale, pour y former des journalistes professionnels >> explique Christian Schmidt, chargé de programmes Okapi à la Fondation Hirondelle3.

Pourtant, le grand défi de radio Okapi, aujourd'hui, c'est la question de la pérennité : avec la tenue d'élections démocratiques prévues en juin 2006, le mandat de la Monuc devrait s'achever en septembre 2006 et avec lui, les fonds pour le fonctionnement de la radio Okapi. Aujourd'hui, la direction de la radio Okapi s'emploie à mettre en place le mécanisme pour passer d'une <<radio de crise en une radio nationale d'un Etat démocratique>>, fonctionnant sur des revenus propres, issus notamment de l'ouverture des ondes aux annonceurs. Mais il faut bien se rendre à l'évidence : l'économie locale n'est pas en mesure de faire tourner cette `super-radio' congolaise. Il ne fait aucun doute que, sans financement extérieur, radio Okapi devra diminuer soit son temps d'antenne, soit sa couverture, si elle ne veut pas sacrifier la qualité de sa programmation. L'avenir de radio Okapi ? Un grand point d'interrogation.

1 http://real.sri.ch/ramgem/fh/okapi/swissmix.rm, reportage radiophonique de la Radio Suisse Internationale.

2 HOWARD R. et al., loc. cit. p. 115.

3 Entretien téléphonique du 07 septembre 05.

Feuilleton radiophonique New Home, New Life (Afghanistan)

New Home, New Life est un feuilleton radio créé en 1994 pour l'Afghanistan par le Afghan Education Project de la BBC World Service. Produit sur place, il est diffusé par la BBC en pashto et en perse, les deux langues principales du pays. A vocation éducative, l'émission est construite sous forme de fiction mettant en scène les habitants de trois villages imaginaires. New Home, New Life est diffusé trois fois par semaine et aborde des thèmes tels que la santé, les soins des enfants, la résolution des conflits, les mines anti-personnel, l'illettrisme, la situation de la femme ou encore la culture d'opium. Ces questions sont, en Afghanistan, tout aussi importantes que quotidiennes. Shirazuddin Siddiqui, directeur d'AEP, explique qu' << au départ, en 1994, il s'agissait de fournir des informations qui leur permettraient de gérer les difficultés de la vie de tous les jours. Désormais, la mission a clairement changé : il s 'agit à présent d'aider les Afghans à reconstruire leur pays et leur vie >>1.

Résumé des épisodes 13-242

Jandad a été sérieusement blessé au pied par une mine. Alors qu'il est à la clinique, il a un besoin urgent d'une transfusion sanguine. Le groupe sanguin de Zaynab, sa mère, n'est pas compatible avec celui de Jandad et personne d'autre n'est prêt à offrir son sang pour le sauver, inventant des excuses pour ne pas le faire. Finalement, Karim se décide et grâce à son don de sang, il sauve la vie de Jandad. Plus tard, le docteur se voit forcé d'amputer le pied de Jandad.

Peu après que Gulalai ait été désignée comme soignant à la clinique, apparaît une épidémie de malaria dans le Village d'en Haut. Palwasha, la plus jeune fille d'Akbar et Zarmina, est la première affectée par la maladie après avoir été piquée par un moustique dans la maison de Zaynab. Nek Mohammed en tire une leçon et décide de fixer des moustiquaires aux fenêtres de sa maison pour les empêcher de leur transmettre la maladie.

Intervention de Lakhdar Brahimi3, représentant spécial des Nations Unies pour l'Afghanistan :

Mr. Brahimi, qui joue son propre rôle, répond à une fillette : << Mon voeu est qu 'il y ait des écoles pour filles et garçons dans chaque village de ce pays. Car il est clair que la pauvreté et la maladie peuvent être éliminées grâce à l 'éducation des filles et des femmes. Il est essentiel que chacun se sente responsable de l 'éducation des filles. Les menaces sécuritaires envers les écoles de filles perturbent énormément et je continuerai de parler de cela au monde >>.

Pourquoi avoir choisi un médium tel que le feuilleton radio ? Ancré dans des situations similaires à celles de la vie réelle, il résonne comme authentique à l'oreille des communautés rurales et urbaines. L'approche des problèmes humains, des dilemmes et surtout la recherche de solutions par le dialogue, tout cela fait partie de ce genre de médium. Dès lors, le feuilleton radio s'adapte parfaitement aux messages éducatifs, puisant dans l'expérience présente et passée de la population et proposant des solutions pour l'avenir. De plus, c'est une source de divertissement

1 Vidéo : http://www.bbc.co.uk/worldservice/trust/projectsindepth/story/2003/09/030904_aep.shtml Interview vidéo de Shirazuddin Siddiqui, directeur de Afghan Education Programm. Remarque : propos traduits par l'auteur.

2 http://www.unesco.org/education/educprog/lwf/doc/portfolio/case3.htm

3 http://www.bbc.co.uk/pressoffice/pressreleases/stories/2003/08 august/03/soap un.shtml Lakhdar Brahimi a fait des apparitions dans trois épisodes de `New Home, New Life >>, en juillet- août 2003.

dans un pays où tout amusement avait été banni jusqu'il y a peu. Enfin, c'est d'une importance primordiale, le feuilleton radio permet aux auditeurs de s'identifier aux acteurs et de s'approprier leurs comportements positifs face aux problèmes rencontrés.

Très vite, le projet s'est étendu : puisqu'il s'avérait parfois difficile d'équilibrer la fiction et les conseils pratiques, le programme a dès lors été divisé. D'une part le feuilleton, d'autre part, une section de << renforcement >> comprenant des conseils, des interviews servant de complément à la fiction. Plus innovantes, des chansons portant sur les thèmes du feuilleton ont commencé à être diffusées régulièrement par les services pashto et perse de la BBC. Enfin, des études d'impact sur le terrain sont réalisées régulièrement par l'équipe de renforcement et les résultats de ces enquêtes sont publiés dans un magazine et une bande dessinée mensuelle. L'équipe << renforcement >> crée de temps en temps une édition spéciale, consacrant entièrement une B.D. à un thème abordé dans New Home, New Life.

Le programme connaît un impact et un succès énormes après de la population afghane. Kofi Annan, dans une lettre écrite à l'occasion des 10 ans du lancement du programme, déclarait : << Au cours de la guerre, alors que les possibilités de communication étaient rares, New Home, New Life a aidé les Afghans à rester en contact avec leurs frères et soeurs à travers le pays. Depuis la signature des accords de Bonn, l'émission a joué un rôle important en encourageant les Afghans non seulement à s 'informer, mais également à s 'engager dans les aspects clés des efforts de rétablissement et de réconciliation dans le pays >>1.

Et si le show a résisté au régime des Talibans, c'est parce qu'à leur arrivée au pouvoir, en 1996, son succès était déjà très large. Pourtant, le régime autoritaire avait tenté de censurer les voix féminines de la série. La réponse de Mr. Siddiqui avait été simple : << J'ai dit : pour que nos histoires soient réalistes, il nous faut des hommes, des femmes et des enfants. S'il n'y a pas de femme dans un village, ce n 'est pas un village, c 'est aussi simple que cela >>. Gordon Adam, directeur du service en pashto, croit savoir pourquoi cet argument a été accepté : << Bien sûr, ils l 'écoutaient tous [le programme]. C 'est facile de prendre les Talibans pour un tas de fous, un groupe monolithique, mais en réalité la plupart sont des gens ordinaires, qui essaient juste de réussir leur vie. Eux aussi veulent du divertissement. Et bien que notre agenda était pro-femmes, ils étaient heureux de pouvoir nous écouter >>2.

1ANNAN, K., Kabul, 30 avril 2004 http://www.bbc.co.uk/worldservice/trust/docs/bbcafghan2004.pdf

2 Auteur Inconnu, A long way from Ambridge, in : << The Guardian >>, jeudi 23 octobre 2001, disponible sur: http://www.guardian.co.uk/waronterror/story/0,1361,579231,00.html

1.5. Conclusion

Au risque de tomber dans le cliché, il semble bon de rappeler que les médias sont des armes à double tranchant qui peuvent se transformer en de véritables outils de guerre lorsqu'ils disséminent des appels à l'intolérance, à la violence ou qu'ils déforment l'information pour manipuler leur audience. Les médias peuvent fausser les représentations qu'une communauté, un peuple ou une simple personne a d'un Autre et l'influencer à commettre des actes destructifs envers cet Autre.

Mais le tranchant est double, et il existe une autre face aux médias. En offrant à ses récepteurs une information fiable, poussée, équilibrée, empathique et propice à la naissance d'un dialogue, le journaliste peut transformer les médias en un formidable outil de prévention, voire de résolution des conflits.

Les adeptes du journalisme de paix sont ceux qui se sont rendu compte de l'impact positif qu'ils pouvaient avoir au travers des médias. Gardant cette idée toujours présente à l'esprit, ils recommandent aux journalistes d'abandonner leur sacro-sainte neutralité pour oser se positionner clairement en faveur d'une société pacifique pour le bien de tous ses membres. Le journalisme de paix peut être soit un but en soi (on peut faire du journalisme dans l'unique but d'aplanir des situations conflictuelles) ou une méthodologie utilisée par des journalistes `normaux' (on peut rapporter des informations pour le seul plaisir d'être journaliste - sans prétendre pacifier la société, donc - tout en utilisant les méthodes du journalisme de paix).

Comme nous avons pu le voir, la théorie est critiquable sur certains points, notamment en ce qui concerne les valeurs véhiculées ou la question de la pérennité. Néanmoins, elle a été adoptée et pratiquée par de nombreux organismes, dont nous avons pu voir quelques exemples1, ce qui prouve que les critiques ne sont pas acceptées par tous.

1 Pour de plus amples informations sur les associations qui utilisent le journalisme de paix, veuillez consulter HOWARD R. et alii (ed.), The Power of the media, a handbook for peacebuilders, Utrecht, European Centre for Conflict Prevention, 2003. La dernière partie de l'ouvrage compte un répertoire détaillé des 67 organisations principales dans ce domaine.

2. Le cas du Burundi

« La radio pourrait être le plus formidable appareil de communication qu'on puisse imaginer pour la vie publique (...) si elle savait non seulement émettre, mais recevoir, non seulement faire écouter l'auditeur, mais le faire parler, ne pas l'isoler, mais le mettre en relation avec les autres »

Bertolt Brecht, 1930

Ce travail sur le journalisme de paix n'aurait pas été complet s'il n'avait été illustré par un cas concret. Si nous avons choisi d'étudier le cas du Burundi, ce petit pays enclavé au coeur de l'Afrique centrale, c'est parce dans le domaine des médias et précisément des médias proactifs, les initiatives y ont foisonné depuis dix ans et le Burundi apparaît comme un exemple étonnement riche en la matière. Qui plus est, l'étude du cas du Burundi permet de répondre à la question qui nous occupe puisque plus de dix ans ont passé déjà depuis l'implantation du premier organe de presse proactif : dans quelle mesure le journalisme de paix est-il réalisable à long terme ?

La présente partie du mémoire a été rédigée à partir de l'expérience que nous avons pu acquérir lors de notre séjour au Burundi. Les données exposées dans l'étude de ce cas pratique ont principalement été le fruit d'entretiens avec les professionnels burundais. Afin que le lecteur puisse néanmoins avoir accès à une partie des sources, certains de ces entretiens ont été retranscrits dans les annexes, de même que les résultats d'une enquête réalisées auprès de 72 journalistes.

Les journalistes burundais sont extrêmement conscients du rôle qu'ils ont joué et qu'ils pourraient encore jouer dans le processus de réconciliation nationale. Le pays sort à peine d'un conflit qui a éclaté en 1993 et causé la mort d'environ 300.000 personnes. A vrai dire, il n'en est pas encore tout à fait sorti, puisqu'un mouvement rebelle continue à semer le trouble autour de la capitale. Au Burundi plus qu'ailleurs dans la sous-région, les professionnels des médias ont compris le poids des mots, le poids de leurs mots. Le journalisme de paix, on l'a vu, peut se décliner sous d'innombrables formes. Le Burundi ressemble à un laboratoire en matière d'initiative médiatique : tout y a été tenté. Afin que le lecteur se rende compte de l'ampleur du travail abattu en matière de médias au Burundi, nous nous devions de brosser un tableau rapide de l'évolution du paysage médiatique au cours de ces quinze dernières années et pour que cette évolution prenne tout son sens, un rappel de la chronologie politique récente semble nécessaire.

En 1993, le Burundi va vivre des évènements tragiques qui marqueront le début d'une guerre civile longue de plus de dix ans et qui causera la mort de 300.000 personnes, indistinctement de leur appartenance ethnique. Pour une bonne compréhension, le lecteur doit savoir que le peuple du Burundi est composé de trois ethnies : les Hutu représentent près de 85% de la population, les Tutsi 14% et les Batwa 1%. Depuis la crise de 1972 et les massacres qui s'en étaient suivi, les Hutu pourtant majoritaires avaient été exclus de toute participation significative au pouvoir, et l'armée était marquée par une hégémonie tutsie.

En 1993, désireux d'instaurer un processus d'unité nationale et de démocratisation, le major Buyoya, Tutsi arrivé au pouvoir en 1987 par un coup d'Etat et considéré comme le grand artisan

de la démocratisation du pays depuis 1988, avait organisé des élections présidentielles. A l'époque, le principal concurrent de l'Uprona (Union pour le progrès national), parti du président Buyoya et ancien parti unique, est le parti Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi), parti majoritairement hutu récemment sorti de la clandestinité. A la grande surprise de tous, l'élection marque la victoire du parti Frodebu. Son candidat, Melchior Ndadaye, est le premier Hutu à accéder au poste de président.

Le major Buyoya reconnaît sa défaite et félicite le gagnant. Melchior Ndadaye remercie le pouvoir en place. Ces échanges de politesse laissent présager un apaisement de la forte tension qui régnait au Burundi dans la perspective des élections.

Pourtant, quatre mois et demi plus tard, le président Ndadaye est assassiné par une faction rebelle de l'armée. Sonne alors le début de la guerre civile : des Hutu de l'Uprona ainsi que des Tutsi sont tués par des Hutu qui désirent venger la mort de leur Président. Les représailles de l'armée - principalement tutsie - sont très sévères et durant plusieurs semaines ont lieu des massacres, organisés tantôt par l'armée, tantôt par les extrémistes hutus. Après d'âpres négociations, Cyprien Ntaryamira, Hutu du Frodebu, est nommé président en février 1994. Deux mois plus tard, il décède dans les airs de Kigali, dans l'attentat qui coûtera également la vie à Juvénal Habyarimana, son homologue rwandais. Son décès relance la lutte pour le pouvoir, et la violence se généralise dans tout le pays. La ville est balkanisée : certains quartiers sont ethniquement épurés.

Ce n'est qu'en 1998 qu'ont lieu les premières négociations de paix sous les auspices de Julien Nyerere, ancien président Tanzanien puis de Nelson Mandela, président sud-africain. Elles aboutissent en août 2000 à la signature d'accords de paix (dits Accords d'Arusha) entre le gouvernement, l'Assemblée nationale, le G7 (représentants des partis politiques hutus) et le G10 (représentant des partis politiques). Ces accords permettent la mise en place des institutions de transition pour trois ans, dans lequel la majorité hutue est représentée à hauteur de 60%. Les mouvements rebelles CNDD-FDD (Conseil nationale de défense de la démocratie - Front de défense de la démocratie) et FNL-Palipehutu (Front national de libération - Palilehutu) refusent de signer les accords. Le CNDD-FDD entrera finalement au gouvernement en 2003, après signature d'un accord de paix.

Aujourd'hui, la transition est terminée depuis le 26 août 2005, au terme d'un scrutin qui a consacré la victoire du CNDD-FDD et placé Pierre Nkurunziza à la présidence. Malgré cela, la

guerre n'est pas entièrement terminée, puisque le mouvement rebelle FNL-Palipehutu est toujours actif dans la région de Bujumbura-rural. Mais l'on chuchote que des négociations sont en cours...1

2.1. Situation des médias au Burundi

2.1.1. Historique

Trois dates clé, couplées de trois textes clé, structurent l'histoire récente du paysage médiatique burundais. Il s'agit d'une part de la Constitution de mars 1992, proclamant en son article 26 que « toute personne a droit à la liberté d'opinion et d'expression dans le respect de l 'ordre public et de la loi >>. D'autre part, l'arrivée du major Buyoya au pouvoir par un putsch en 1996 aura une grande influence sur les médias burundais, puisqu'il suspend les partis politiques, principaux parrains des journaux et qu'il fait adopter le 21 mars 1997 un décret-loi sur la presse très contraignant. Et enfin, en 2003 une nouvelle loi du 27 novembre 2003 régissant la presse au Burundi, remplace le décret de 1997, au grand plaisir des professionnels burundais.

1992 : Libéralisation et dérive des médias

Avant la Constitution de 1992, c'est une loi de 1976 qui régissait le paysage médiatique burundais, déclarant que « les journalistes burundais doivent toujours oeuvrer en patriotes convaincus et conscients des idéaux du parti, seul organe responsable de la vie nationale >>. Autant dire que la liberté de presse est nulle et par conséquence, la presse privée est presque inexistante : Ndongozi (le guide), bimensuel de l'église catholique, est la seule publication privée de l'avant1992. Le paysage médiatique est caractérisé par un monopole étatique sur les médias, assuré au travers d' Ubumwé (l'unité), hebdomadaire officiel en kirundi, Le Renouveau, quotidien francophone, ainsi que la Radio Télévision Nationale Burundaise (RTNB). A cette époque du parti unique, cette presse publique est placée sous la surveillance étroite du gouvernement et les seuls journaux privés à avoir vu sporadiquement le jour évitaient de traiter des sujets politiques, afin d'éviter les répressions gouvernementales.

La presse privée apparaît dès 1992, dans la ferveur du processus de démocratisation qui voit l'avènement d'un système pluraliste et de la libéralisation de l'information. Parmi les

1 Pour une chronologie plus complète voir en Annexe page 108. Pour plus d'informations sur le rôle de l'ethnisme dans la crise burundaise, la lecture de l'ouvrage de Jean-Pierre Chrétien est incontournable : CHRETIEN J-P, Le défi de l'ethnisme. Rwanda et Burundi : 1990-1996, Paris, éditions Karthala, 1997.

nombreux partis politiques qui naissent à l'époque, apparaît notamment le Frodebu, (Front pour la démocratie au Burundi, à majorité hutu), parti à majorité hutu qui naît en réponse à l'Uprona (Union pour le progrès national, ancien parti unique). A l'époque, l'Uprona tient les rênes du pouvoir depuis 1966. Le passé du pays est troublé et la cohésion sociale fragile lorsqu'en 1992, s'instaure un processus de démocratisation. Sous la pression internationale, la liberté d'expression est inscrite dans la Constitution. Surgit alors une presse indépendante du pouvoir en place et, en quelques mois, apparaissent une demi-douzaine de titres, généralement rattachés aux partis politiques nouvellement créés1. Et cette première expérience d'une presse `libre' laissera de tristes souvenirs dans les mémoires burundaises, puisqu'elle servira à attiser la fibre ethnique et penchera souvent dans les affres de la presse extrémiste, à l'image de ce qui se déroule au même moment au Rwanda.

Avec, à l'esprit, les élections de juin 1993 à venir, les partis politiques utilisent ce qu'ils ont en leur pouvoir pour faire pencher le sort en leur faveur. Ainsi, le Frodebu utilise ses publications comme tribune, incriminant l'Uprona pour les décennies de discriminations subies par les Hutus, L'Uprona mobilise les médias publics et les deux journaux qu'il a sous son contrôle pour diaboliser le Frodebu. Cet extrait du Défi de l 'ethnisme de Jean-Pierre Chrétien est révélateur de la situation2 :

<< La campagne présidentielle a en effet été marquée par la remontée d'oppositions virulentes entre Hutu et Tutsi, au moins sur le plan verbal. (...). La stratégie du Frodebu a manifestement joué de cette corde : dénonciation des crimes passés de `l'armée tutsi', attaques contre les réfugiés rwandais, railleries sur le fait `qu'on ne pouvait pas forcer les gens à s'aimer', multiplication des provocations notamment contre les Hutu militant à l'Uprona décrits comme des `traîtres'. Tombant dans le piège, l'Uprona s'est employée à << diaboliser >> le Frodebu en fixant tout le débat sur cette question >>.

Avec l'arrivée au pouvoir de Melchior Ndadaye, du Frodebu, puis son assassinat, la presse écrite vire rapidement dans l'extrémisme total, la peur de l'autre en devient le premier levier. Hutu comme Tutsi rivalisent d'imagination dans leurs appels à la haine. Le Carrefour des Idées, proche de l'Uprona, s'interroge sur la personnalité de Ndayaye : << Héros national ou chef de la tribu des coupeurs de tête ? >>3. Côté Hutu, on ne lésine pas sur les mots non plus : << Tuer ou être tué, tuer ou être asservi encore une fois pour toujours >>, voila comment l'Aube de la Démocratie4 résume la situation.

1 L 'indépendant et Le Carrefour des idées sont créés par les dirigeants de l'Uprona en février et mars 1992. En août, deux journaux du Frodebu sortent de la clandestinité : L 'Aube de la démocratie-Kanura Burakeye. Le Citoyen (créé en décembre 1992), La Semaine (mars 1993) et Panafrika (mai 1993) sont des journaux qui se veulent neutres.

2 CHRETIEN J-P (op. cit.), pp. 52-52.

3 Le Carrefour des idées, 15 décembre 1993, cité par Reporter sans frontières (éd.) in : CHRETIEN J-P, Burundi : le venin de l'intolérance. Etude sur les médias extrémistes, Paris, Juillet 1995.

4 L 'Aube de la Démocratie, cité par Reporter sans frontières, op. cit., p. 61.

En avril 1994, lorsque le Burundi perd son président Cyprien Ntariyamira dans l'attentat qui frappe l'avion de Juvénal Habyarimana, président rwandais, le pays s'enfonce encore plus dans la guerre civile, ponctuée par des violences intercommunautaires et les répressions de l'armée - à majorité tutsi. Les journaux deviennent alors armes de guerre. Heureusement, le public qu'ils touchent est relativement étroit, puisque lettré et limité aux espaces urbains et ces armes n'auront pas une large portée.

Retour du major Buyoya et réorientation du paysage médiatique burundais

Le retour du major Pierre Buyoya au pouvoir par un coup d'Etat en juillet 1996 met fin à cette expansion médiatique. Il porte un coup de grâce à la presse burundaise le 21 mars 1997, lorsqu'il fait adopter un décret-loi très contraignant, la plaçant dès lors sous la très haute surveillance du ministre de la communication, lequel peut suspendre ou interdire des médias « en cas d'urgence »1. Celui-ci reçoit un accueil glacial de la part des professionnels, qui le qualifient de liberticide. Presque tous les journaux qui étaient nés de cette liberté de la presse antérieure vont disparaître. Cependant, Buyoya ne pose aucun frein à l'initiative privée, ce qui permet le développement du pluralisme radiophonique, véritable révolution dans l'univers médiatique burundais. Dès 1995, apparaissent les premières radios privées, avec CCIB-FM (radio de la chambre du commerce et d'industrie burundaise) et Radio Bonesha. Tout comme en presse écrite, deux partis politiques projètent de monter leurs propres radios (Radio Tanganyika pour l'Uprona et Radio Démocratie-Nutoromangingo pour le CNDD). Le spectre des radios de la haine se profile donc, à l'image de la presse burundaise de l'époque, mais les projets n'aboutiront jamais, ce qui coupe court aux prétentions radiophoniques des leaders politiques de l'époque.

La même année, l'ONG belgo américaine Search For Common Ground (SFCG) s'installe au Burundi et met sur pied le Studio Ijambo, un studio de production qui diffuse alors ses programmes sur les ondes de la RTNB (Radio télévision nationale burundaise). Son but : promouvoir la paix, la réconciliation et le dialogue. Réalisant le potentiel énorme de la radio, différents acteurs burundais et étrangers lanceront par la suite de nouvelles stations, avec la détermination de se distinguer des partis politiques et animés par un désir d'équilibre. Naissent alors plusieurs radios aux programmes diversifiés, avec, elles aussi, le but affirmé d'oeuvrer pour la paix. Le Studio Tubane (cohabitation) est créé à Bruxelles en 1996 et s'installera à Bujumbura en

1 Le décret-loi de 1997 impose un triple dépôt préalable de 24h pour les hebdomadaires, et de 4 h pour les quotidiens, il abolit la garantie du secret des sources et prévoit de lourdes sanctions pour les délits de presse. Il autorise cependant les initiatives privées, laissant dès lors sa chance au développement radio.

juin 2001. Radio Culture apparaît en 1999. Puis, en 2001, Radio Publique Africaine (RPA) voit le jour. En 2002, c'est au tour de la radio Isanganiro (lieux de rencontres), suivie en 2004 de Radio Renaissance et Radio Mariya. Influencée par ce contexte d'ouverture et cette concurrence nouvelle, la RTNB, longtemps utilisée comme instrument de propagande du gouvernement au pouvoir, finit par se repositionner et s'ouvre à son tour aux points de vue divergents afin de ne pas perdre ses auditeurs.

La période de transition

Aujourd'hui, dix ans après le coup d'Etat de Buyoya, une nouvelle Constitution régit les médias du pays. En novembre 2003, une nouvelle loi sur la presse est adoptée, qui intègre les droits fondamentaux du journaliste. Cette loi, qui représente une avancée significative pour les médias burundais, procure une large liberté aux journalistes et aux responsables des médias. Elle garantit la protection des sources, met fin à l'autorisation préalable, supprime le triple dépôt et garantit la clause de conscience. Plus libérale, elle prévoit cependant des peines de prisons lourdes en cas de délit de presse1.

Malgré ce bond en avant dans le domaine de la liberté de la presse, la loi restera insuffisante tant que les textes d'applications concernant tous les volets du projet de réforme ne seront pas d'application. Sur trois volets, deux ne sont pas encore appliqués : il s'agit, d'une part, d'une loi visant à rendre le Conseil national de communication (CNC) indépendant de la Présidence de la République ; d'autre part, d'un texte de loi portant création d'un fonds de promotion des médias2.

En ce qui concerne la presse écrite, la période de transition suivie de la prolifération des radios privées lui porte un coup important : la culture d'oralité, l'analphabétisme du peuple jouait déjà contre elle ; mais avec la diversification des médias radiophoniques, même l'élite fidèle aux journaux se détourne petit à petit de la presse écrite. Le choix s'amplifie et les Burundais accordent rapidement leur confiance aux nouvelles radios. Aujourd'hui, la pauvreté de la presse écrite est éclatante : les trois journaux d'avant-1992 (les deux journaux publics Le Renouveau et Ubumwe et le catholique Ndongozi) ont survécu au Major Buyoya et seul un hebdomadaire privé, L'Arc-enciel a réussi à se faire une place en presse écrite. Ndongozi, la plus régulière des publications privées, tire aujourd'hui entre 3500 et 5000 exemplaires chaque semaine, qui sont vendus dans les

1 FRERE M.-S. (dir.), Afrique centrale. Médias et conflits : vecteurs de guerre ou acteurs de paix, Bruxelles, Editions GRIP, 2005, p. 79.

2 Les lois sur la presse au Burundi, 2004, disponible sur : http://www.panosparis.org/fichierProdFR/fichierProd1352.pdf

paroisses au prix symbolique de 50 Fbu. Les autres publications privées tentent de survivre, mais vivent dans une triste précarité : elles ne paraissent que très irrégulièrement et leur tirage, limité aux centres urbains, est dérisoire (300 à 500 exemplaires). La plupart des titres enregistrés par le Conseil National de Communication n'existent que dans la théorie, puisque leur apparition dans les kiosques est extrêmement sporadique.

C'est cette démission de la presse écrite qui a entraîné l'apparition de nombreuses agences de presse. A côté de l'Agence de Presse Burundaise (APB), un organe public fondé en 1976 et subventionné par l'Etat, il existe aussi des agences de presse privées : Net Press, Aginfo et Zoom.net. Leurs abonnés sont généralement des fonctionnaires, des ONG, ainsi que des membres de la diaspora. Aginfo et Zoom.net comptent moins de 100 abonnés. Avec 350 clients, Net Press est l'agence qui a le plus de succès.1 C'est aussi celle qui joue le plus souvent avec la fibre extrémiste, et qui reçoit le plus d'avis négatifs et de mises en garde de la part des instances de surveillance des médias2.

Ces agences doivent beaucoup à l'apparition d'Internet, au travers lequel elles diffusent leurs informations. Avec seulement 8000 internautes au Burundi3, l'accès à cette information est dès lors fort limité. En contrepartie, l'investissement pour créer une agence de presse n'est pas très gros et il est même possible de créer une agence sans posséder d'ordinateur. C'est ce que fait l'agence Zoom.net, qui diffuse son bulletin à partir de cybercafés...

2.1.2. Paysage radiophonique burundais

Les médias publics

Aujourd'hui, le paysage radiophonique burundais est composé de neuf radios privées, deux radios publiques et trois studios de production privés.

La radio nationale (Radio Burundi) est créée en 1961, la télévision en 1984. Sous le régime de parti unique, les médias privés servent exclusivement à faire la publicité du gouvernement et de ses activités. Caractérisée par une approche hyper verticale, les médias publics servent alors de moyen de communication de l'élite gouvernante vers le peuple gouverné. Chaque jour, le journal parlé et télévisé s'ouvre sur un éditorial à la gloire du Président. C'est une information partisane,

1 L'ABP compte 100 abonnés, dont sept médias burundais. Par contre, aucun média ne souscrit aux dépêches d'Aginfo (80 abonnés, 26$/mois), de Zoom.net (50 abonnés, 45$/mois) ou de Net Press (350 abonnés, 30$/mois).

2 Voir rapports d'activités de 2004 du CNC (centre national de la communication).

3 Chiffre de Reporter sans frontière, 2002. Voir : http://www.rsf.org/

subjective et incomplète qui est diffusée au travers les organes de la RTNB (Radio Télévision Nationale du Burundi, qui regroupe les médias publics). Lors des différents massacres que connaît le Burundi à l'époque, radio comme télévision nationales couvrent abondamment les méfaits commis par les auteurs des rebellions, mais passent sous silence la violence disproportionnée des ripostes de l'armée. Les journalistes ont alors extrêmement peu de liberté d'expression, en dehors de celle autorisée par les objectifs gouvernementaux.

Dès son arrivée au pouvoir en 1993, le Frodebu adopte la même attitude de propagande que l'Uprona. Du jour au lendemain, les journalises qui avaient été nommés par l'ex parti unique se voient contraints de travailler pour son ennemi politique, sous peine d'être limogés. Pourtant, cette machine journalistique louant autrefois la gloire de l'Uprona ne se plie pas du jour au lendemain au nouveau gouvernement. Journalistes comme auditeurs ne savent plus trop sur quel pied danser. Les éditoriaux sont vacillants : tantôt en faveur du Président, tantôt critiques, en fonction des affinités du journaliste avec le pouvoir en place. Les journalistes tutsis se plaignent de la censure du ministre hutu, et lors de la prise du pouvoir par Buyoya en 1996, c'est au tour des journalistes hutus de décrier les pressions subies. L'information diffusée est aléatoire, mais certainement toujours partisane. Pour exemple, jusqu'aux pourparlers de paix d'Arusha, les rebelles du CNDDFDD sont qualifiés par les journalistes de tribalo terroristes génocidaires. Aujourd'hui, ces mêmes journalistes interviewent régulièrement les membres du CNDD-FDD en commençant leurs questions par Monsieur le Président, ou Madame la Ministre... 1

Des accords de paix et une transition politique de trois ans influencent cependant le comportement des médias publics. Progressivement, la censure s'allège, et des voix divergentes peuvent être entendues. Avec timidité au début, les journalistes tendent le micro à d'autres tendances politiques, laissant passer des critiques. Avec l'apparition des radios privées, il devient en effet inutile de tenter de leurrer la population. Innocent Muhozi, ancien directeur général de la RTNB, explique qu' <<avec ces nouvelles radios, la liberté d'expression s 'est davantage élargie et

c 'est grâce à ces radios privées que la marge de la RTNB s 'est aussi élargie. Car à partir du moment où il n 'y avait plus de mystère pour ces radios, le pouvoir n 'avait plus grand chose à interdire à la RTNB>>2. L'apparition de nouvelles radios privées influence positivement les médias publics, puisqu'elles tirent littéralement la radio privée vers le haut en matière de qualité des programmes, et de diversité des points de vue.

1 Ce paragraphe s'inspire de l'entretien de Jean-François Bastin, le 24 janvier 2006.

2 MUHOZI I., << La radio au Burundi et la liberté d'expression >> dans : « Rapport de la table-ronde du 28 mars 2005 sur les radios burundaises, vecteurs de sortie de crise et de démocratisation >>, ABR, p.4.

Cependant, vu le faible nombre de production originales, l'abondance d'émissions concédées1 à des organismes extérieurs, et marquées par leur passé de médias officiels, les radios et télévisions publiques n'avaient pas réussi à s'imposer comme médias nationaux dans le coeur des Burundais. En 2002, la coopération belge au développement décide d'intervenir en faveur de la RTNB, espérant la transformer en un outil de démocratisation et de réconciliation, ce qui permettrait dès lors aux Burundais de se réapproprier les médias publics. Ce projet, implémenté au travers de l'asbl Kabondo2, travaille aussi bien sur le plan technique (passage numérique, réhabilitation des locaux, ...) que qualitatif (sensibilisation au traitement médiatique de certains sujets sensibles, augmentation du professionnalisme des journalistes...). Et les résultats s'entendent. Certes elles ne sont pas encore parfaites, mais les radios et télévision publiques avancent à grands pas et les Burundais commencent à se les réapproprier, à en avoir confiance, et à les apprécier.

Aujourd'hui, l'information diffusée sur la RTNB a gagné en qualité, les éditoriaux ont disparu et les médias publics ont su récupérer la confiance de leurs auditeurs. Subsiste malgré tout une certaine autocensure : << Tout est en place à la RTNB pour faire de l 'information impartiale et fouillée », explique Jean-François Bastin, responsable de l'ASBL Kabondo. « Mais il faut avouer que parfois les journalistes se laissent faire et n 'osent pas lutter contre les pressions, bien qu 'ils aient tous les outils en main pour le faire (associations professionnelles, textes légaux, ...) Ils se cachent un peu derrière cette soi-disant impuissance du petit journaliste face à l 'homme politique tout-puissant »3.

La radiotélévision nationale du Burundi (RTNB) constitue, avec 400 journalistes, techniciens et administratifs, le principal établissement audiovisuel au Burundi. La RTNB est régie par un décret datant du 11 avril 1989, lequel la définit comme un << établissement public à caractère administratif, doté de la personnalité juridique et de l 'autonomie de gestion >> (art. 1). Situées sur un même site, télévision et radios publiques sont dirigées par un directeur général et un conseil d'administration. À la tête de cette structure, Léonidas Hakizimana, l'actuel directeur général, a été nommé par décret présidentiel sur proposition du Ministre de l'information pour une durée de quatre ans (art. 14). Il est assisté dans sa tâche par quatre directeurs des départements (radio, télévision, technique, administratif et financier). Les cinq postes de la direction sont répartis

1 Une émission concédée est une émission :

- soit produite à l'extérieur et diffusées sur les ondes de la radio (exemple : les émissions de RFI livrées prêtes à être diffusées dans les stations partenaires)

- soit produite par la radio elle-même, mais en collaboration avec un organisme extérieur (exemple : émission sur le SIDA subventionnée par une ONG de lutte contre le SIDA)

2 L'asbl Kabondo, même si elle est financée par une enveloppe de la coopération belge au développement, représente un partenariat << masqué >> entre la RTBF (médias publics belges) et la RTNB. La plupart des employés de cette asbl sont des anciens de la RTBF. Jean-François Bastin est notamment un journaliste qui a construit sa renommée au sein du média public belge.

3 Entretien du 24 janvier 2006.

selon la proportion suivante : 40% Tutsi, 60% Hutu. Cette répartition, appliquée dans toutes les directions des services publics, s'inspire des accords d'Arusha. La RTNB est placée sous la tutelle du ministre de la communication, lui-même contrôlé par le cabinet présidentiel, c'est-à-dire que le ministre peut annuler les décisions du Conseil et du Directeur général << qu 'il estime contraires à l 'intérêt général >> (art. 30).

Les deux stations publiques couvrent l'entièreté du pays, grâce à l'émetteur central de Bujumbura ainsi que 6 antennes relais, installées sur les plus hautes collines de l'intérieur du pays. Radio Burundi émet uniquement en kirundi, alors que la deuxième chaîne, dite << internationale >>, diffuse ses programmes en français (70%), en swahili (20%) et en anglais (10%).

En ce qui concerne la télévision, l'état burundais règne en maître incontesté sur ce domaine : en effet, c'est lui qui contrôle la télévision nationale, l'unique chaîne locale. Cependant, elle ne couvre que 60% du territoire, et ne dessert que les rares personnes disposant d'un poste de télévision et d'électricité (surtout à l'intérieur du pays, où il s'agit d'un luxe auquel la majorité n'a pas accès). La télévision burundaise a été créée en 1984. Elle émet sur un unique canal en kirundi, swahili, français et depuis janvier 2006, également en anglais. Mis à part ces quelques productions propres, la plupart des émissions diffusées sur la chaîne nationale viennent d'ailleurs, et sont fournies telles quelles par CFI, le PNUD, l'Union Européenne, TV5, etc. De même, ces magazines externes fournissent régulièrement de la matière pour les productions de la télévision : les journalistes du JT puisent dans les images de CFI pour illustrer de larges séquences internationales, alors que les animateurs des émissions musicales se servent de clips fournis par MCM.

Les radios privées

Les radios privées offrent de nombreuses alternatives à l'institutionnelle RTNB. Le premier avantage de ces radios est qu'elles offrent la possibilité à de simples citoyens de s'exprimer sur des faits d'actualité. Marie-Louise Sibazuri, auteur d'un feuilleton radiophonique produit par le Studio Ijambo, explique que << dans les pays en guerre, la majorité des gens veulent la paix et y oeuvrent individuellement. Mais il n 'existe pas d 'espace public pour exprimer cette envie de paix : c 'est une majorité silencieuse».1 Cette nouvelle vague de radios au Burundi canalise cette majorité, la rassemble pour lui offrir un espace d'expression.

1 Interview du 10 décembre 2004.

Dès ses débuts, la RPA s'affiche comme << la voix des sans voix », qui lui vaudra plus tard le surnom de << radio du peuple »1. Radio Isanganiro lance un programme basé sur des correspondants locaux, qui, avec leurs téléphones portables, animent des débats dans les régions les plus reculées du Burundi. Marie-Louise Sibazuri estime que le feuilleton Nos voisins, notre famille représente un moyen pour les gens qui écoutent de faire entendre leur voix, puisque certains auditeurs envoient à l'auteur leur histoire personnelle, lui demandant de s'en inspirer dans ses scénarios. Les radios privées servent également à accompagner le processus de paix, en expliquant les tenants et les aboutissants. Pour exemple, Bonesha consacre de longues heures d'antenne à populariser et à expliquer l'accord d'Arusha lors de sa signature en 2001. La politique d'emploi au Studio Ijambo, mélangeant indistinctement Hutus et Tutsis dans une même équipe journalistique, permet de resserrer les liens interethniques, brisés après des décennies d'exacerbation de la fibre ethnique. Dans cette liste non exhaustive de rôles joués par les radios privées burundaises, citons enfin les débats et interviews mettant en scènes des groupes de l'opposition, et, parfois, des chefs rebelles. Ces interventions sur les ondes d'acteurs habituellement exclus des médias permet dès lors la création d'un forum de discussions constructives, et prépare la population aux évolutions politiques, jadis inimaginables, comme l'insertion des rebelles au gouvernement en 2003.

« Les radios ont donc oeuvré à développer l 'esprit critique et les réflexes citoyens en confrontant la population à des positions diversifiées et parfois contradictoires sur les ondes. Dénon çant les abus, posant des questions audacieuses aux responsables politiques, rompant le silence autour de certains sujets tabous, elles ont remporté la confiance des auditeurs et changé la face de ce pays en renforçant le processus démocratique », explique Eva Palmans2.

2.1.3. Présentation des radios privées du Burundi

CCIB-FM

La radio CCIB-FM, radio de la chambre du commerce, de l'industrie, de l'agriculture et de l'artisanat, est la toute première radio privée du Burundi. Apparue le 16 juin 1995, elle est lancée avec l'appui de la Chambre du Commerce de Paris et de l'assistance technique de la coopération française. À vocation purement économique, CCIB-FM est située dans un bâtiment caché derrière les locaux de la Chambre du Commerce. La radio emploie 15 journalistes, 14 animateurs et 3

1 Alexis Sinduhije, fondateur et directeur de la RPA, a été honoré du Prix international pour la liberté de la presse en novembre 2003.

2 Palmans Eva, op. cit. p. 74

techniciens. La plupart d'entre eux sont jeunes, car recrutés dans une même promotion de la faculté de communication à l'Université Lumière1.

Avec des émissions musicales et des animations libres, les thèmes des émissions varient, mais restent axés sur l'économie : << femme et développement >>, portraits de décideurs économiques, << Burundi économie >>, ... Et si, depuis juin 2005, la chaîne diffuse 15 heures de programmes par jour, elle a pourtant de sérieux problèmes pour renflouer ses caisses, puisque sa seule rentrée économique provient de la Chambre du Commerce, elle-même en difficulté financière. Celle-ci lui cède un tiers de ses subventions quand l'Etat les lui verse, ce qui représente 49.000$. Mais l'état s'avère plutôt capricieux en ce qui concerne le sort de la chambre du commerce : il lui a coupé les vivres pendant quatre ans, puis en 2005 elle est réapparue dans le budget national, mais pour 2006 la Chambre du Commerce ne sait touj ours pas si elle sera ou non financée par l'état. Pour le moment, la radio CCIB-FM vit principalement de fonds provenant de l'ONG Promotion Abstinence.

En ce qui concerne la publicité, les recettes sont maigres : bien qu'elle se veuille destinée aux décideurs économiques, l'aînée des chaînes privées ne peut guère compter sur l'investissement de ces acteurs pour assurer sa survie. En effet, dans un pays où le tissu commercial est délabré, très peu d'entreprises financent la publicité. En 2004, ses revenus publicitaires se chiffraient à € 5.000 alors qu'elle estimait ses besoins annuels à € 190.0002. Vu ses maigres recettes, CCIB-FM diffuse uniquement dans Bujumbura, puisqu'elle n'est pas en mesure de louer des émetteurs à l'intérieur du pays.

Radio Sans Frontière Bonesha FM

En 1995, après le génocide rwandais, Bernard Kouchner3 désire intervenir afin d'éviter une tragédie similaire au Burundi, étant donné la proximité culturelle et historique des deux populations. Ayant décelé le pouvoir de la radio dans les pays africains, il décide d'agir au travers ce médium. À son initiative, l'Association pour l'Action Humanitaire (AAH) entreprend la création d'une station de radio diffusant sur le territoire burundais. Le 19 février 1996, la radio Umwizero (<< espoir >>) voit le jour. Il s'agit de la première radio privée associative, indépendante et généraliste. Financée par ECHO, le programme d'aide humanitaire de l'union européenne, la radio Umwizero vise à promouvoir la réconciliation nationale et le développement, notamment au

1 Entretien téléphonique avec Jean-Jacques Ntamagara, directeur de CCIB-FM.

2 NKURUNZIZA J.-C. et NDIKUMANA D., Étude faite sur les avantages fiscaux à accorder à la presse au Burundi, publié par l'association burundaise des radiodiffuseurs (A.B.R.), pp. 7-8.

3 Bernard Kouchner, médecin co-fondateur de Médecins sans frontière ainsi que politicien, est à l'époque député européen socialiste.

travers ses émissions musicales : radio Umwizero se veut une radio de jeunes et pense pouvoir apaiser les esprits burundais au travers de la musique.

Aujourd'hui, Umwizero est devenu Radio Sans Frontière Bonesha FM après avoir changé de nom et de statuts1. Les jingles et les titres de certaines émissions sont restés, mais si la ligne éditoriale est restée identique à celle d'origine, elle s'est néanmoins adaptée aux besoins actuels. Aujourd'hui, les priorités de la radio sont les suivantes : bonne gouvernance, développement économique, négociations avec le FNL, environnement et lutte contre la corruption. De plus, les moyens utilisés ont changé : les programmes se sont enrichis, même si une large place est toujours laissée aux émissions musicales.

Situés au coeur de la ville, coincés entre un cabinet d'avocats et un restaurant, les locaux de Bonesha sont limités au strict nécessaire, comme toutes les structures médiatiques burundaises: une salle de rédaction de quatre mètres sur quatre, deux studios (un studio d'enregistrement et un autre de diffusion) et un hall d'entrée transformé en secrétariat. Les journalistes ne disposent que d'une seule ligne téléphonique, servant aussi bien à la prise de rendez-vous qu'aux interviews et seuls cinq ordinateurs sont accessibles aux 13 journalistes et 11 animateurs. C'est sur ce matériel de base que fonctionne la radio, qui diffuse tout de même 17 heures de programmes quotidiens.

Que le lecteur non averti ne s'étonne pas de la situation matérielle de cette radio : toutes les radios privées burundaises vivent en réalité dans une grande précarité, dans la mesure où elles sont dépendantes du bon vouloir des bailleurs, qui louent leurs ondes ou qui « parrainent » les émissions liées à leur secteur d'action au travers d'émissions concédées. C'est le lot de toutes les stations privées et parmi celles-ci, Bonesha, qui fonctionne sur un budget prévisionnel de 250.000 dollars pour l'année 2006, est loin d'être la plus mal lotie... La précarité caractérise les médias burundais : Développement et Paix Canada, le principal bailleur de radio Bonesha et le seul à lui fournir un financement en argent liquide, a annoncé en avril qu'il devrait diminuer ses aides à la radio. Depuis, Corneille Nibaruta, le directeur, fait des pieds et des mains pour s'attirer les faveurs des autres bailleurs. Sous peine de quoi, dit-il, Radio Bonesha devra fermer ses portes.2

Les émissions sont diffusées en kirundi (60%), en français (30%) et en swahili (10%). Radio Bonesha couvre tout le territoire burundais depuis l'installation, en avril, d'un nouvel

1 En 1995, l'association française AAH se joint à une équipe de Burundais rassemblés sous l'Association pour la Radio Umwizero (ARU) afin de satisfaire aux exigences burundaises et obtenir l'autorisation du CNC pour lancer la station. Lorsque l'AAH se retire du projet en 1999, elle cède ses biens et le patrimoine de la radio à une autre association locale, l'association radio sans frontière (ARSF). Un conflit de gestion ne tarde pas à éclater entre l'ARSF et l'ARU. L'Union européenne tranche en faveur de l'ARSF, lorsqu'elle décide d'attribuer les équipements de la radio (qui lui appartiennent) à l'ARSF. La radio change de nom et de statut en avril 1999, afin de ne pas continuer à fonctionner sous le nom d'une association désormais extérieure au projet.

2 Entretien téléphonique d'avril 2006.

émetteur à Inazerwe (Sud). Les ondes peuvent également être captées au Sud du Rwanda et à l'Est de la RDC. Radio Bonesha emploie 34 personnes ainsi que 6 correspondants.

Radio Culture

Troisième radio privée en ordre chronologique, la radio a le statut d'une entreprise commerciale. Spécialisée, comme son nom l'indique, dans la promotion de la culture, elle est fondée en 1997 par Frédéric NGENZEBUHORO, ex vice-président de l'Assemblée nationale, à qui le CNC demande à l'époque d'abandonner son poste de directeur de la radio en raison de l'incompatibilité avec la fonction de parlementaire.

Radio Culture, en raison de sa spécificité, ne diffuse ni bulletin d'information ni magazine d'actualité. C'est une station de spots, de musique, de magazines culturels, diffusés principalement en kirundi (50%), mais également en français et en swahili. Comme CCIB-FM, elle connaît des problèmes financiers et toutes deux, ainsi que Bonesha FM, ont vu leurs émissions brouillées en janvier 2003 par l'ARCT (Agence de régulation et de contrôle des télécommunications). Celle-ci leur réclamait des arriérés de redevance (3.5 00$ par an) qu'elles étaient bien incapables de payer.

Selon Déo Nkunzimana, son directeur, la radio couvrirait 85% du territoire burundais grâce à ses deux émetteurs (un à Bujumbura et l'autre à Manga)1. Elle occupe une quarantaine de personnes à temps plein, parmi lesquels 12 journalistes et 8 correspondants2.

Radio IVyizigiro

La première radio confessionnelle de l'après 1992 naît le 15 mai 2000, à l'initiative de l'Église pentecôtiste. Sa vocation : répandre la bonne parole. Très peu connue, elle diffuse pourtant jusqu'à l'intérieur du pays (70% du territoire) et ce 5 heures par jour. La radio Ivyizigiro émet sous la houlette de l'association religieuse protestante World Outreach Initiatives.

Radio Publique Africaine

Avec le lancement de la RPA en mars 2001, c'est le début d'une nouvelle ère radiophonique qui s'annonce au Burundi. La ligne éditoriale basée principalement sur les communautés de base et l'expression des plus démunies, vient révolutionner les habitudes des auditeurs, rompus à des médias beaucoup plus institutionnels. Désireux de rompre avec la méthodologie verticale, Alexis Sinduhije, son fondateur et actuel directeur, adopte une attitude

1 Entretien du 11 janvier 2006.

2 NDIKUMANA C., L 'état des médias au Burundi, 2006, document interne à l'Institut Panos Paris, p. 5.

révolutionnaire pour l'époque et les traditions : désormais, ce ne sont plus les administrateurs qui auront en premier le droit de parole sur antenne, mais bien les administrés. Partisane d'une méthodologie horizontale, la RPA ouvre de nouvelles perspectives dans l'univers alors trop rigide des médias burundais. << Nous sommes venu combler un vide >>, explique Mr. Sinduhije.

Trouvant les autres radios trop timides, les instigateurs du projet RPA viennent renforcer la position de Bonesha sur la scène médiatique (réconciliation nationale et développement), mais ils vont plus loin, osant briser les tabous en faisant parler le peuple. « Nous voulions aborder les problèmes réels des citoyens et pour cela il fallait faire parler les gens qui vivaient en premier ces problèmes : le peuple, pour aller demander des comptes aux décideurs par la suite »1. Dans un premier temps, les auditeurs ont du mal à s'habituer : la RPA se veut la voix des sans voix et nombreux sont ceux qui la qualifient de << radio des domestiques >> ou << radio des va-nu-pieds >>. Aujourd'hui, la RPA s'est fait connaître pour ses reportages de proximité et se qualifie pour ses prises de risques, notamment au travers de plusieurs grands reportages d'investigation2, qui ont valu l'admiration des auditeurs. En toute logique puisque la RPA s'affirme comme radio de proximité, 80% des programmes sont diffusés en kirundi, pour seulement un dixième en français ou en swahili.

L'apparition de la RPA a provoqué une secousse dans le paysage médiatique burundais et son apport y est indéniable. Cependant, la radio, qui se veut populaire, présente les mêmes défauts que la plupart des médias people : trop souvent, ses journalistes `oublient' de recouper l'information et à plusieurs reprises elle a fait l'objet de rapport négatifs de la part du Conseil National de la Communication, qui lui reprochait des calomnies et diffamations, exagération des faits ou déséquilibre de l'information.

A sa décharge, il faut préciser qu'une bonne moitié des 23 journalistes et 13 animateurs sortaient à peine de l'université ou n'avaient pas suivi de formation du tout lorsqu'ils ont été recrutés. Initiés sur le tas au métier de journaliste, ils sont peu encadrés dans leur travail quotidien. De plus, inspirés par le succès des quelques grands reportages d'investigation réalisés par leurs aînés, ils ont parfois tendance à confondre le métier de journaliste et celui de justicier, se voulant dénonciateur des crimes et malversations en tout genre. D'où une tendance à parfois verser dans le sensationnalisme. Esdras Ndikumana, ex-journaliste de la RPA aujourd'hui correspondant pour RFI, explique que malgré ces erreurs déontologiques, << la RPA réalise de temps à autres des

1 Entretien du 16 janvier 2006.

2 Deux enquêtes en particulier ont fait parler de la RPA : la première menée sur l'assassinat du roi Charles Ndizeye en 1972 à Gitega, mettant en cause des anciens dignitaires civils et militaires. La deuxième investigation portait sur l'assassinat du représentant de l'OMS, l'Ivoirien Kassi Manlan, tué au Burundi en 2001, et a mis en cause des anciens responsables de la police.

enquêtes tellement poussées, des histoires tellement fortes que d'un coup on en oublie toutes les bourdes passées, pour ne plus voir que les aspects positifs >>.1

Enfin, soulignons que la radio a été jusqu'à rompre les tabous en ce qui concerne le recrutement des journalistes : lors de sa création, anciens combattants et militaires avaient une place de choix pour intégrer l'équipe. Le but ? Selon des documents internes à la station, il s'agissait que ces << partisans de la guerre instrumentalisés pour tuer se transforment en apôtres de la paix et en défenseurs de la vie »2. Des jeunes issus de l'armée ou des rebellions, même opposées (FNL, FDD, << sans échec >>), ont donc intégré l'équipe de la RPA, pour être formés au métier de journaliste.

Lors de son lancement, la radio était financée par la Fondation américaine Ford pour les frais de fonctionnement, le PNUD pour la formation et l'Unesco pour les équipements. Aujourd'hui, la RPA, qui se veut communautaire et non commerciale, vit presque en totalité des subventions allouées par les bailleurs de fond, qui s'élèvent à un budget prévisionnel de 800.000 euros pour 2006. Ses principaux bailleurs sont Cordaid, Open Society, le PNUD (programme des nations unies pour le développement) via le Programme Cadre d'Appui aux Communautés (PCAC), l'Union européenne et la coopération belge3.

Radio Isanganiro

Autorisée à émettre le 13 novembre 2002, Isanganiro est en quelques sortes le fruit de Search For Common Ground - Burundi. En effet, à l'époque, les journalistes du Studio Ijambo se sentent à l'étroit dans leur rôle de producteurs : les partenariats avec Bonesha, la RTNB ou la RPA ne se révèlent pas amplement satisfaisants. Ils décident alors de créer la radio Isanganiro, une radio associative communautaire qui travaillerait en collaboration étroite avec le Studio Ijambo, tout en étant statutairement indépendant de SFCG. C'est pourtant l'ONG américaine qui couvre l'entièreté des dépenses d'Isanganiro à sa création4, prévoyant un plan de réduction progressive de son appui financier jusqu'au retrait total de SFCG en 2007. Isanganiro, qui ne bénéficie plus aujourd'hui de la part de SFCG << que >> d'un budget couvrant 20 % de ses dépenses5, essaie tant bien que mal de se trouver d'autres bailleurs et d'attirer les annonceurs afin d'équilibrer ses comptes. Pas toujours avec succès : cela fait trois ans qu'elle néglige de payer les redevances dues à l'ARTC, avec une

1 Entretien du 24 janvier 2006.

2 Dossier de présentation de la RPA, fourni par la radio elle-même, p. 1.

3 NDIKUMANA C. (op. cit.) p. 6.

4 +- 250.000 $ pour 2002.

5 75.000$ sur un budget de fonctionnement de 400.000$ pour l'année 2006

dette qui s'élève désormais à 64. 800 US$ (€54.000) 1. Les trente et un membres du personnel sont cependant payés régulièrement.

Émanation de SFCG, la radio a choisi une devise qui lui ressemble : << Le dialogue vaut mieux que la force >>. << La radio Isanganiro est née en 2002, dans un contexte de conflit armé vieux d 'une dizaine d 'années >>, explique Mathias Manirakiza, le directeur2. << Il s 'agissait dès lors de rapprocher deux communautés divisées par un contentieux de sang. Pour y parvenir, il fallait briser les tabous, oser dire. Le maître mot chez Isanganiro, c 'est le dialogue >>. Et la devise attire l'audience : la radio jouit en effet d'une grande popularité, notamment à l'intérieur du pays, puisqu'elle couvre l'entièreté du territoire national grâce à ses 6 émetteurs3. De même, elle a su séduire la diaspora en assurant la diffusion de 16 heures de programmes quotidiens via Internet.

Né au départ comme un projet alternatif de SFCG, Isanganiro a désormais quelques difficultés à s'en démarquer. Les locaux de la radio sont situés dans le même bâtiment que ceux de l'ONG américaine et le visiteur non averti aura du mal à distinguer le personnel de la radio Isanganiro de ceux du studio Ijambo. En effet, ce dernier dispose de plus de matériel, de locaux et de personnel que la radio et les journalistes d'Isanganiro descendent fréquemment la volée d'escalier qui les sépare de leurs voisins d'en bas, afin d'utiliser leurs infrastructures. De même, les auditeurs - mais également les journalistes d'autres stations ! - tendent à confondre les deux structures, attribuant à tort les productions du studio Ijambo à la radio Isanganiro.

Il faut en effet savoir que tous les magazines produits par le studio ijambo, c'est-à-dire 7 émissions et deux feuilletons radiophoniques, sont diffusés sur les ondes d'Isanganiro, d'où la confusion. Cette forte dépendance laisse planer un doute quant à l'attitude qu'adoptera Isanganiro à l'heure du retrait de SFCG. Outre les problèmes financiers évoqués précédemment, persiste la question des trous dans la grille de diffusion : si déjà aujourd'hui, la radio Isanganiro a du mal à rentrer dans ses frais, qu'en sera-t-il lorsqu'il lui faudra produire neuf nouvelles émissions pour combler ce vide ? Le grand risque est de voir ces trous comblés par des animations libres ou des animations musicales, provoquant dès lors une forte diminution de la qualité de radio Isanganiro.

Radio Renaissance

Créée grâce au soutien du Français Bernard Henri Lévy après sa visite au Burundi en 2001, Radio Renaissance est lancée en 2004 et dirigée par Innocent Muhozi, ancien directeur général de la RTNB. C'est une radio d'actualité à caractère généraliste. La station, subventionnée par le

1 Entretien avec Mathias Manirakiza, le 10 janvier 2006

2 Entretien du 10 janvier 2006.

3 à Bujumbura, Manga, Mutumba, Birime, Inanzerwe et Kaberenge.

centre Martin Luther King, émet en kirundi, swahili, français et anglais. Elle ne possède qu'un seul émetteur de 500 Watt, qui ne lui permet pas de couvrir les terres en dehors de la capitale. Elle est en effet basée à Bujumbura, dont les habitants peuvent écouter les programmes à raison de 12 heures par jour. Elle emploie une quinzaine de journalistes et animateurs.

Radio Mariya-Burundi

Radio Mariya-Burundi (RMB) fait partie du réseau de la famille mondiale des Radios Maria (WFMR- World Family for Maria Radio) d'obédience catholique. Le réseau a signé une convention de collaboration avec l'archevêque de Gitega, Mgr Simon Ntamwana afin d'y implanter une antenne burundaise. La station a une couverture réduite, puisqu'elle ne diffuse que dans les environs de Gitega (deuxième ville du pays, au centre), où elle a installé ses bureaux. Pour l'instant elle ne dispose qu'un d'un émetteur à Gitega, mais un autre devrait être installé d'ici peu à Gihosha afin de pouvoir élargir son audience à la capitale. Seuls trois journalistes y travaillent, mais radio Mariya peut compter sur un large réseau de bénévoles et de correspondants dans les paroisses du pays.

Radio Ijwi ry-Amahoro

Autorisée à émettre en 2005, la radio Ijwi ry-Amahoro (La voix de la paix) est une radio confessionnelle gérée par le Diocèse de Bujumbura. Elle a commencé ses essais en avril 2006.

2.1.4. Les studios de production radiophoniques

Studio Ijambo

Le lancement

Le Studio Ijambo, fondé en mars 1995 par Search For Common Ground (SFCG), naît en réponse à deux problèmes majeurs qui se posent à l'époque dans le paysage médiatique burundais : l'éclosion de médias de la haine d'une part et l'absence de source crédible d'information pour les contrer d'autre part. Le studio n'est en réalité qu'un des éléments du projet de SFCG au Burundi, dont la mission est de promouvoir le dialogue afin de renforcer les capacités des différentes composantes de la population burundaise à gérer leurs conflits de façon collaborative.

SFCG envoie sa première délégation au Burundi à la fin de l'année 1994, en réponse à l'appel lancé par le rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l'homme, Paulo Sergio Pinheiro, qui craint une répétition du génocide rwandais chez son faux jumeau, le Burundi : « Sur

la question d'un génocide éventuel au Burundi, il ne sied guère de se demander quand il aura lieu, en gardant les yeux rivés sur le Rwanda >>1. Et d'appeler à l'action. Ainsi, au printemps 1995, SFCG ouvre un bureau à Bujumbura.

Les défis initiaux

Décrivant le climat sociopolitique du Burundi à l'époque où SFCG mettait sur pied le Studio Ijambo, le rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l'homme, Paulo Sergio Pinheiro utilisait ces mots : « Le Burundi est un beau pays dont la population ne demande qu 'à vivre et à prospérer au milieu de ses troupeaux et de ses champs de coton, de café ou de thé, à pêcher ou à développer son commerce et son industrie et, peut-être, à redécouvrir entre Burundais ces quelques vertus et valeurs partagées qui ont permis à leurs ancêtres de vivre ensemble, Hutu et Tutsi mêlés, des siècles durant. >> Pourtant, ajoute-t-il, << les Burundais vivent actuellement dans une atmosphère de haine, de méfiance et d'exclusion. Ils se recroquevillent au fond de leur coquille>>.2 Attitude compréhensible quand on sait que la crise de 1972 avait fait entre

100.000 et 200.000 morts et que celle de 1993 causerait 300.000 décès et pousserait des milliers de familles à l'exil.

Le but de SFCG est de contrer la culture de haine et de suspicion, de promouvoir les comportements et d'exacerber chez chacun des Burundais la part d'eux qui aspire à la paix sans oser l'avouer, alors que le pays est alors en proie à un génocide au compte-goutte. C'est dans cette atmosphère que le studio Ijambo va être confronté à l'un de ses plus grands défis: la loyauté ethnique. Il fallait aider les journalistes locaux à réconcilier des attitudes opposées : d'une part les comportements prônés par la culture journalistique moderne, qui font loi dans les locaux du Studio Ijambo ; d'autre part le rattachement à son identité ethnique vu le climat de guerre et qui fait loi dans tout le reste du pays... Ce challenge culturel est certainement l'un des plus importants puisqu'à elle seule la loyauté ethnique nie les principes journalistiques modernes d'indépendance et d'objectivité. Bryan Rich, fondateur et premier directeur du SI, explique qu'à l'époque, << le principe rigide de loyauté familiale et d'identification ethnique et régionale signifie que les journalistes burundais doivent affronter une pression énorme pour arriver ne fût-ce qu 'au degré le plus basique d 'objectivité >> 3.

1 Nations Unies, Premier rapport sur la situation des droits de l'homme au Burundi présenté par le Rapporteur spécial, M. Paulo Sérgio Pinheiro, le 27 février 1996. E/CN.4/1 996/16.

2 Nations Unies, op.cit.

3 RICH B., One David, two Goliaths: the struggle for independent media in Burundi, Nieman Report, Winter 1997, p. 63, cité dans: USAID, Greater horn of Africa peacebuilding project: media intervention in peacebuilding in Burundi - The Studio Ijambo experience, September 2000, p. 9.

Il faut toutefois noter que pour s'engager dans un projet comme le SI, les journalistes burundais devaient avoir une vision moins restrictive de l'ethnicité. Ceux qui travaillent pour cette `radio pour la paix' sont justement ceux-là même qui osent dire non à la dualisation de la société sur des critères ethniques. << Les gens ne peuvent pas s 'entretuer parce qu 'ils sont clairs ou foncés, parce qu 'ils sont grands ou petits. On ne peut pas décimer un peuple pour des choses avec lesquelles il est né »1, explique Marie-Louise Sibazuri. Mais si chacun est convaincu au sein du SI de l'absurdité de cette guerre, le problème des pressions extérieures - familiales, politiques - n'en reste pas moins présent. Lena Slachmuijlder, ancienne directrice du studio, cite notamment la vulnérabilité des journalistes aux pressions comme l'un des risques encouru par le studio2 . La solution généralement adoptée était unique à l'époque : pour chaque sujet couvert, le Studio Ijambo envoyait sur le terrain une équipe mixte - un Hutu et un Tutsi.

Cette pratique sert également à affronter l'autre grand défi du SI : éviter à tout prix d'être perçu comme partisan de l'une ou l'autre ethnie. Ci-dessous, un extrait d'un guide pratique3 pour tous ceux qui désireraient se lancer dans le journalisme de paix :

Gagner la confiance de la population affectée est un pas essentiel dans la programmation humanitaire et post conflictuelle. Afin d'y parvenir, l'information présentée doit être crédible. La crédibilité signifie plus que la simple justesse des faits. Cela signifie que la source d'information soit crue et que la représentation de l'information soit faite de manière à inspirer la confiance des auditeurs.

En août 1995 le studio de production signe un contrat de partenariat avec Radio Burundi et la collaboration débute. La règle à accepter pour travailler en collaboration avec le Studio Ijambo : n'effectuer aucune coupure ni montage. Il faut accepter l'émission telle quelle ou la refuser entièrement. << Il fallait donner chaque émission 24 heures avant la diffusion. 24 heures c 'est énorme pour de la radio. Alors, quand on n 'envoyait pas la cassette avant la deadline, ils en profitaient parfois pour rompre leur part du contrat : ils faisaient des coupures », explique Francis Rolt, directeur du studio entre 1998 et 2000. << D 'autres fois, ils refusaient l 'entièreté d'une émission, sans raison apparente. Puis, la semaine d'après ils changeaient d'avis et diffusaient finalement l'émission mise en cause » 4. Malgré ces quelques désagréments du début, la collaboration avec la radio nationale est perçue par les fondateurs du Studio Ijambo comme un pas primordial : non seulement elle représente l'unique voie pour faire entendre ses productions, mais cette relation permet de procurer au studio la légitimité nécessaire aux yeux des décideurs burundais. La dépendance du Studio Ijambo par rapport à la RTNB prend fin quand le studio signe

1 Interview du 10 décembre 2004.

2 SLACHMUIJLDER L., Media as a tool for dialogue and reconciliation, 2003, p. 4.

3 HIEBER, L., op. cit., p. 77.

4 Interview du 22 octobre 2004.

un partenariat avec la Radio Agatashya, basée en RDC. Deux avantages à cette nouvelle collaboration : le Studio Ijambo atteint une portée régionale qu'elle n'a pas avec la RTNB ; ensuite lorsque la radio nationale refuse de censurer certaines émissions, celles-ci trouvent néanmoins échos sur une autre fréquence1. A la fin des années nonante, les perspectives du studio s'élargiront d'autant plus grâce à l'apparition puis la prolifération des radios privées.

Un semblant de `charte déontologique'

En mettant sur pied le Studio Ijambo, Bryan Rich avait conscience de l'opportunité historique que représentait cette expérience. C'était l'occasion pour lui de montrer l'influence positive de réconciliation que peuvent exercer les médias. Ainsi, avec son équipe embryonnaire de cinq journalistes hutus et tutsis, il a défini la mission du Studio Ijambo ainsi que certains objectifs de bases. Parmi ceux-ci :

- << Positionner le studio comme une voix indépendante et neutre, qui couvre chaque côté du conflit >>. En plus de créer une source crédible d'informations, l'équipe a essayé dès les premiers instants de faire du centre de production un forum où chacune des parties puisse discuter des questions qui les divisent.

- << Créer une audience large, de personnes ordinaires, aussi bien bourreaux que victimes des violences >>. Rich explique : << Dès le début, l 'équipe a décidé de laisser les personnes raconter leur propre histoire, plutôt que de nous-mêmes interpréter l 'information. Ainsi,

c 'est via les comptes-rendus du peuple que nous définissions le conflit et ses conséquences sur la vie de tous les jours et ce sont de ces expériences vécues qu 'émergeraient des solutions >>.

- << Créer, renforcer et encourager la confiance et la crédibilité des journalistes locaux >>. Pour cela, il était nécessaire de mettre sur pied une équipe composée de Hutus et de Tutsis travaillant ensemble, respectant les règles de base du journalisme et partageant une expérience commune.

Le studio Ijambo aujourd'hui

Au début de l'année 2006, une trentaine de journalistes travaillent au Studio Ijambo2. Dix ans d'existence lui ont permis de se forger une solide réputation et de consolider ses partenariats.

1 La guerre civile en RDC força la station à fermer ses portes. Radio Agatashya avait été créée en 1994 par l'ONG suisse Fondation Hirondelle dans les camps de réfugiés rwandais en RDC.

2 En janvier 2006, SFCG avait développé trois autres départements opérationnels ou projets, regroupés dans les mêmes bâtiments que le studio Ijambo et la radio Isanganiro. Le Centre de Paix pour les Femmes (CPPF), fondé en 1996, cible les associations féminines ainsi que les femmes leaders et travaille directement à la base des communautés. Parmi ses activités, l'on retrouve également une partie médiatique, puisqu'il produit un magazine radio (Mukenyezi

Les productions du studio sont diffusées à travers sept radios : la RTNB, Bonesha FM, Renaissance, Insanganiro, RPA, Maendeleo (RDC) et Kwizera (Tanzanie). En retour, SFCG apporte à ces structures un appui en formation, en matériel et/ou financier1.

Comme nous le verrons ultérieurement, les magazines produits ont évolué en même temps que les besoins de la population burundaise. Début 2006, une réorientation stratégique a eu lieu, qui a permis de définir de nouvelles priorités et de nouvelles productions soient en adéquation avec l'actualité. Les trois axes selon lesquels sont orientées les nouvelles émissions sont le dialogue, la réconciliation et la bonne gouvernance.

- dialogue : promotion du dialogue entre les belligérants, afin d'aboutir à une compréhension mutuelle et construire des solutions à partir de cet échange. Les émissions produites dans cet axe sont financées par USAID, DFID et SIDA.

Programmes : les magazines d'actualité Express et Amasanganziro.

- Réconciliation : Il s'agit avant tout de traiter des problèmes des déplacés, des réfugiés et des démobilisés, afin de préparer les esprits à la cohabitation pacifique avec les anciens combattants ou ceux qui avaient fui. Dans cet axe entre aussi le traitement de la problématique de la terre. Tout comme pour l'axe << dialogue >>, les productions axées sur la réconciliation sont financées par USAID, DFID et SIDA.

Programmes : Dusangire ikivi n 'ikiyago (intégration des démobilisés), Ramutswa iwanyu (aborde le retour des rapatriés) et Icibare cacu (traite des conflits fonciers).

- Bonne gouvernance : aborde les sujets tels la gestion de la chose publique, l'état de droit, les questions de genre, la corruption et les malversations économiques. Le gouvernement belge finance le projet << femme et gouvernance >>.

Programmes : Kumugaragaro sur la bonne gouvernance et Buri irya n 'ino (femme et gouvernance).

Sept émissions donc, voilà la production actuelle du studio Ijambo. Chacune d'elle est réalisée par une équipe de deux ou trois journalistes, ce qui constitue un luxe en comparaison avec les autres médias. Pour exemple, les magazines produit par la RPA sont à charge d'un seul journaliste, qui doit généralement, en plus de son émission hebdomadaire, assurer des reportages

Nturambirwe, << Femme, ne te décourage pas >>) sur les initiatives que prennent les femmes en faveur de la paix. Un projet jeunesse, appelé le Carrefour des Jeunes pour la Paix, mène des activités similaires à celles organisées par le CPPF, adaptées à la jeunesse et accompagnées entres autres par des rencontres sportives et des concerts musicaux. Enfin, le dernier projet a été lancé en 2003. Il s'agit de << Victims of torture >>, pour lequel SFCG a principalement un rôle de coordination, puisqu'il est implémenté au travers trois organisations partenaires.

1 À titre d'exemple, la radio Bonesha recevait 7.500$ par mois pour diffuser les émissions du studio Ijambo. Aujourd'hui, les financements de SFCG ont diminué, et l'ONG ne paie << plus >> que 1 .500$ mensuellement pour la location des ondes de Bonesha mensuellement. Source : Entretien avec Corneille Nibaruta, directeur de RSF Bonesha FM, 13 janvier 2006.

d'actualité pour les journaux quotidiens. Mais il n'y a pas lieu non plus de comparer les budgets d'une radio burundo-burundaise avec ceux du Studio Ijambo, structure extra territoriale.

Studio Tubane

Le Studio Tubane naît en en 1996 à Bruxelles à l'initiative de la diaspora burundaise. Le nom de l'association (tubane signifie << cohabitation >>) illustre la ligne directrice : Il s'agit de produire des émissions promouvant la cohabitation pacifique des Burundais. A l'époque, celles-ci sont diffusées sur les ondes de la radio Umwizero. En 2000, le studio est transféré à Bujumbura : l'asbl belge devient une association de droit burundais, tout en gardant des collaborateurs à Bruxelles, chargés de réaliser des programmes avec la diaspora.

Aujourd'hui, le Studio Tubane s'intéresse spécifiquement au sort des réfugiés, essayant de créer des conditions favorables à leur rapatriement, ainsi qu'à la sensibilisation à la lutte contre le VIH/SIDA. Il s'agit d'une toute petite structure, employant seulement 3 journalistes, mais ceux-ci sont dynamiques : ils croient à leur lutte pour la promotion de la paix, de la justice, de la démocratie et sont persuadés de l'impact positif qu'ont leurs six émissions hebdomadaires sur les auditeurs. Parmi celles-ci, l'on compte un programme de théâtre radiophonique, une émission d'éducation des femmes pour leur auto développement, une production de sensibilisation à la lutte contre le VIH/SIDA, deux émissions d'actualités ainsi que l'émission Sangwaiwanyu (Bienvenue chez vous) qui traite de tous les thèmes touchant de près ou de loin au rapatriement. Créées au format de 30 minutes, ces productions - toutes en kirundi - sont diffusées sur les ondes de la RTNB et de la RPA, moyennant une rémunération de la part du Studio Tubane

Le Studio Tubane se situe à la frontière entre le journalisme de paix et le journalisme de développement : en effet, les émissions de développement de la femme ou de lutte contre le SIDA entrent dans la catégorie << développement >>, alors que Sanwaiwanyu représente l'exemple type d'une production << proactive >>, oeuvrant dans le but de la réconciliation, en visant une réintégration pacifique des rapatriés dans leurs communautés d'origine. Le Studio Tubane est financé principalement par l'ONG hollandaise ICCO.

Public information office de l'Onub

L'Onub, la mission des Nations Unies au Burundi, se composait jusqu'il y a peu, d'un studio de production radio, d'un studio TV et d'une unité de presse écrite. Aujourd'hui, les unités radio et TV ont fusionné, formant désormais une seule unité radio-TV.

La mission de l'Onub débute en juin 2004. Isabelle Abric, la directrice du service d'information parle alors de créer une radio de l'Onub, à l'image de la radio Okapi en RDC. Elle

désire, dans une première phase, monter un studio de production radio, pour ensuite diffuser ses émissions sur les ondes d'une << radio Onub >>. L'Onub se met en quête de journalistes et de techniciens compétents : nombreux sont ceux qui postulent, n'hésitant pas à quitter leur emploi dans une radio locale. Il faut savoir en effet que les journalistes à l'Onub sont payés entre 600 et 800 $ par mois, salaire impressionnant quand l'on sait qu'un professeur burundais du secondaire touche généralement dix fois moins. L'Onub trouve donc aisément du personnel ; le CNC lui attribue des fréquences, ainsi que des autorisations d'émettre. En octobre de la même année, l'unité radio produit sa première émission, qu'elle diffuse sur les ondes de radios locales partenaires. Il s'agit d'une heure1 d'information généraliste, sur l'actualité du Burundi, mais aussi sur l'actualité onusienne. En décembre, l'émission hebdomadaire devient quotidienne. Mais l'expansion s'arrête là. Il n'y aura pas de << radio Onub >>, vu les avis négatifs recueillis au sein de la société civile et du monde des médias à l'idée de la création d'une nouvelle radio.

Jusqu'à peu après les élections de 2005, le studio traite surtout d'information politique, puisque la politique est l'actualité de l'année. La ligne éditoriale change cependant avec la nomination de Wilton Fonsesca au poste de chef du Public Information Office. Désormais, le studio essaie de prendre des couleurs plus onusiennes, refusant de se frotter aux sujets politiques : les bulletins quotidiens traitent de l'actualité de l'ONU, des ONG et de la société civile. L'information locale est traitée dans la mesure où il s'agit de grande actualité non politique.

En avril 2005, la section vidéo voit le jour. Elle travaille en partenariat avec la RTNB, la télévision publique sur laquelle elle diffuse gratuitement un magazine hebdomadaire de 13 minutes. Mélange d'information d'actualité et de sujets intemporels, le magazine est réfléchi afin de ne pas entrer en concurrence avec la RTNB. << Ici, on essaie de couvrir l'information que la télévision publique ne peut pas ou n 'a pas l 'occasion de couvrir. Il s 'agit de ne pas faire double emploi », explique Gilles Sereni, directeur de la section vidéo. Depuis le 16 janvier, les unités de télévision et de radio ne forment plus qu'une seule section. Une façon de renforcer les capacités du personnel, puisque désormais les employés auront l'occasion d'apprendre de nouvelles techniques. Enfin, une dernière unité de presse écrite travaille à la production d'Onub-info, un bulletin d'information hebdomadaire et Onub-magazine, un bimestriel.

Studio Transworld Radio (TWR)

TWR, ONG américaine confessionnelle, lance son premier studio de production radio en 1954 au Maroc. Le but de l'organisation chrétienne ? Répandre la parole divine à travers le monde. Studio de production confessionnel, il diffuse ses émissions principalement sur les ondes des deux radios publiques, avec des émissions appliquant les textes religieux au contexte politique et social

1 Il s'agit en réalité d'une Y2 heure d'actualité en kirundi et Y2 heure de la même matière traitée en français.

du moment. Les partenaires de TWR sont les radios Ivyizigiro, et la radio nationale. Elle leur fournit, en plus des émissions religieuses, des magazines sur la santé, le développement et sur la lutte contre le SIDA, touj ours en rapport avec la religion. TWR est présent au Burundi depuis le 31 décembre 1992.

Integrated Regional Information Network (IRIN)

IRIN radio Burundi existe depuis la fin 1999. Travaillant d'abord depuis Nairobi avec l'aide de correspondants au Burundi, IRIN a récemment ouvert un petit bureau à Bujumbura, à partir duquel le responsable du projet officie désormais. Il s'agit d'un studio de production travaillant en collaboration avec les radios locales. IRIN radio Burundi n'est en réalité qu'une des sections d'un réseau plus large, implanté dans de nombreux pays en crise. Le projet IRIN, qui émane du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA), avait été lancé en 1995 en réaction au génocide rwandais. Il s'agissait au départ de bulletins d'informations sur papier destinées aux agences humanitaires, afin de leur faciliter la tâche dans leurs actions pour secourir les victimes. Aujourd'hui, on retrouve des sections filles d'IRIN dans diverses régions, comme l'Afghanistan ou les pays de l'ex-Yougoslavie, avec un projet qui a grandi, passant de la presse écrite à une section radio et élargissant son public aux populations locales.

IRIN Radio Burundi n'est pas très prolifique en matière de productions radiophoniques : elle ne produit qu'une émission de 15 minutes deux fois par mois sur des thèmes touchant aux problèmes humanitaires ainsi qu'un feuilleton sur les réfugiés burundais en Tanzanie (Tuyage Twongere). Les acteurs de ce feuilleton très populaire sont de véritables réfugiés burundais vivant dans des camps de l'ouest de la Tanzanie. L'émission est diffusé par la Radio Kwizera, une station tanzanienne qui dessert ces mêmes camps, ainsi que par les radios partenaires burundaises : la RPA, Radio Burundi, Radio Culture et Radio Renaissance. IRIN travaille également avec Bonesha, mais celle-ci ne diffuse que le magazine d'actualité. Le partenariat entre IRIN et les radios locales est non chiffré : la contrepartie que doit apporter IRIN au prêt des ondes des radios se fait par le renforcement des capacités de ces stations partenaires, via du don de matériel ou des formations. Ces formations ont débuté en juin 2005 à l'initiative de Laurent Martin Harimenshi, le responsable national d'IRIN radio. Il explique que l'idée lui est venue d'un constat : la médiocrité du niveau technique des journalistes burundais. « Je me suis rendu compte que la formation était une priorité absolue. Excepté chez Isanganiro, aucun journaliste burundais n 'est capable de faire du montage numérique à piste multiple ». Et la formation entre pleinement dans les conventions de

partenariats, qui parlent de renforcement des capacités des radios. « D 'oil la mise sur pied des formations techniques »1.

Emanation de l'ONU, la section radio travaille pourtant indépendamment du système des Nations Unies et les articles qu'elle produit ne reflètent pas nécessairement leurs positions. Cependant, les salaires des deux producteurs correspondent aux barèmes de l'organisation internationale. Les cinq correspondants, eux, sont payés à la pige.

1 Entretien du 07 février 2006.

2.2. Le journalisme de paix au Burundi

En jetant un coup d'oeil aux grilles de diffusion des différentes chaînes analysées, on est frappé par la diversité des programmes, mais aussi par l'apparente qualité de la programmation : émissions sur la réconciliation nationale, pour la promotion de la femme, sur l'intégration des sidéens, sur l'acceptation des réfugiés, sur la problématique foncière ; les grilles regorgent de programmes proactifs. On croirait d'ailleurs que le Burundi est le pays d'origine de la théorie du journalisme proactif. Comme nous le verrons, il en représente non l'origine, mais bien un terrain privilégié d'expérimentation.

Avant toute chose, il importe de souligner la nette distinction entre d'une part les médias d'information et d'autre part ceux qui utilisent ces producteurs afin de s'offrir une tribune pour promouvoir les idées qu'ils jugent nécessaires à la population burundaise. Dans la première catégorie entrent les stations de radios << naturellement >> créées par des journalistes ou par des passionnés des médias et qui auraient certainement agi de même quelle qu'eût été la situation politique à l'époque. Être un organe producteur d'information n'empêche nullement de faire du journalisme de paix, que ce soit dans le traitement de l'information ou dans le choix des sujets d'émissions.

Dans la seconde catégorie, on peut classer les organismes (ONG, société civile, organisations internationales) qui, à un moment ou un autre, ont compris l'influence des médias sur la population burundaise et ont décidé de les utiliser comme médium pour faire passer un message. Ces organismes concluent alors des partenariats avec les médias locaux (première catégorie). Ils leur proposent de << louer >> l'antenne pour y diffuser une production qu'ils ont réalisée eux-mêmes ; ou encore de créer une émission qui sera réalisée par les journalistes des radios partenaires qui devront suivre une ligne éditoriale imposée par l'organisme. En échange, celui-ci financera le programme. Ces productions sont appelées émissions concédées. Leur but est de faire une promotion directe de la paix ou de leurs activités, qu'ils considèrent d'une façon ou d'une autre comme promotrices de paix. Il s'agit notamment des studios de productions Ijambo, Onub, IRIN, ou encore d'association de la société civile comme l'Observatoire de l'action gouvernementale (OAG). Cette distinction entre les médias d'informations et ceux qui les utilisent pour diffuser un message précis est importante lorsqu'on analyse la programmation des différentes radios.

Dans cette étude de cas pratique, seuls les programmes produits ou diffusés sur la radio nationale (Radio Burundi) ainsi que sur une sélection de stations de radios privées (Bonesha, RPA, Isanganiro) ont été analysés. Ce sont les radios les plus écoutées au Burundi. Il ne nous a donc pas semblé opportun de nous attarder sur les productions des autres radios, ce qui aurait alourdi cette étude sans pour autant lui donner une valeur supplémentaire.

2.2.1. Les types de production

Puisque l'application d'un journalisme de paix peut se faire de trois façons différentes, elle a aussi été étudiée selon trois axes différents : les programmes de fiction d'une part, les programmes à vocation réconciliatrice d'autre part et enfin les informations d'actualité.

Les programmes de fiction

Même si la fiction ne fait pas à proprement parler partie du domaine de la production journalistique, nous en parlerons brièvement ici. En effet, la radio étant le médium africain au taux de pénétration le plus élevé, il s'agit d'un des moyens les plus efficaces pour faire passer un message à la population. Sans télévision, les populations locales se fidélisent facilement aux programmes radiophoniques et d'autant plus aux fictions, plus divertissantes, puisqu'il s'agit d'un des seuls loisirs disponibles dans les zones rurales. On distingue trois types de productions fictives : les spots, les feuilletons et le théâtre radiophonique.

Le spot consiste en une scène d'environ une minute jouée par des acteurs. Introduisant généralement une émission, il sert à donner une représentation plus concrète du problème qui va être abordé.

Exemple : Une femme en pleurs entre chez sa voisine. Celle-ci lui demande la cause de sa tristesse. J'ai été battue par mon mari, répond-elle. La voisine et ses amis retournent alors chez le mari violent et le chahutent, lui expliquant qu'un bon mari ne doit pas frapper sa femme.

Basé sur un principe identique, le feuilleton radiophonique diffère du spot par sa longueur (une vingtaine de minutes) et par les personnages et le << décor >>, qui restent immuables d'un épisode à l'autre. A l'instar des séries américaines du type Seven Heaven qui diffusait voici quelques années les valeurs chrétiennes, la fiction et le divertissement créés par les feuilletons radiophoniques ont pour but de propager des messages de paix et de réconciliation nationale. Parmi les différents feuilletons diffusés sur les ondes burundaises, deux ont connu un succès remarquable : il s'agit de Ababanyi Ni Tebwe (<< Notre voisin, notre famille >>), produit par le Studio Ijambo, et de Tuyage Twongere (<< Parlons encore et encore >>), production d'IRIN radio.

Notre voisin, notre famille, écrit par l'auteur Marie-Louise Sibazuri, a cessé d'être diffusé car il ne correspondait plus à la réalité nationale. Lancé en 1997, le feuilleton relatait l'histoire de deux familles et mettait en scène des situations de la vie de tous les jours. Le thème du feuilleton peut être résumé de la sorte : << Nous avons tous quelque chose en commun quoique l 'on en dise. Même le jour et la nuit se rejoignent à l 'aurore et à la tombée de la nuit >>. L'histoire se déroule dans les collines rurales burundaises et des thèmes nouveaux étaient abordés à chaque nouvel épisode : SIDA, exactions, corruptions, viols, retour des réfugiés, etc. Les problèmes mis en scène par Notre voisin, notre famille sont ceux du quotidien, avec en toile de fond un thème récurrent : la réconciliation. Le titre reflète une des valeurs fondamentales pour le Burundais : la famille. << Si j'ai choisi ce titre, c'est pour rappeler qu 'un voisin au Burundi, c'est comme un frère à qui tu peux confier tes enfants malades quand tu vas au champs, c 'est lui qui va venir inspecter ta maison s 'il sent une odeur suspecte >>, explique Marie-Louise Sibazuri. << Or avec la guerre, les gens commençaient à perdre cette notion au profit de l'ethnicité : on ne voyait plus en lui le voisin, mais bien le Hutu ou le Tutsi >>1. Au coeur du feuilleton deux familles évoluent, l'une hutue l'autre tutsie, sans que l'auditeur ne sache laquelle appartient à quelle ethnie. Jamais cela n'a été mentionné, afin que << les Burundais comprennent que les comportements ne sont pas forcément liés à l 'ethnicité >>.

Tuyage Twongere, lancé en 2004, a été créé afin d'apporter une solution à une thématique très sensible au Burundi : le retour de ceux qui, durant la guerre, s'étaient exilés dans les camps de réfugiés, notamment en Tanzanie. En effet, avec le retour de la paix au Burundi, de nombreuses personnes ont repris le chemin de leur pays d'origine. Parmi ceux-ci, beaucoup ont éprouvé des difficultés au retour, car les Burundais restés au pays les étiquetaient communément de criminels ayant fui de peur des représailles. De l'autre côté, dans les camps, les exilés hésitaient à retourner au pays de peur de retrouver leurs bourreaux. << Il existait dès lors un énorme `gap' entre ceux qui avaient fui et ceux qui étaient restés >>, explique Laurent Martin Harimenshi, responsable du programme IRIN radio au Burundi. << À travers les feuilletons, nous développons deux optiques : d'une part, il s 'agit de montrer la vie menée dans les camps, pour faire savoir que les gens qui s'y sont réfugiés l'ont fait non pas parce qu 'ils avaient tué, mais bien parce qu 'ils avaient peur d'être tués. D 'autre part, nous développons des thèmes de la vie burundaise (SIDA, système éducationnel, agriculture, ...) afin que les réfugiés de Tanzanie ne soient pas coupés de l'information de leur pays d'origine >>. Également écrit par Marie-Louise Sibazuri, le feuilleton est joué par des acteurs recrutés dans les camps de réfugiés en Tanzanie.

1 Interview du 10 décembre 2004.

L'avantage principal de ce format est qu'il permet aux auditeurs de s'identifier aux acteurs et d'imaginer des moyens non violents pour résoudre leurs conflits, à l'image de se qui se fait dans la série.

Enfin, le théâtre radiophonique est similaire au feuilleton, si ce n'est que les épisodes n'ont pas de lien entre elles. Au Burundi, c'est la célèbre troupe de théâtre «N'inde ?», très appréciée de la population, qui fait le bonheur des auditeurs de la Radio Burundi. L'émission, baptisée Nkinankebura, est produite par le Studio Tubane. Financée au départ par Avocats sans frontières, l'émission traitait du code pénal radiophonique sous forme de théâtre, dans le but d'informer les paysans de leurs droits et d'influencer les juristes et les avocats. Aujourd'hui, ce financement a disparu, mais le Studio Tubane continue à produire ces émissions théâtrales, sur des matières qui lui tiennent à coeur : droits de l'homme, bonne gouvernance, cohabitation ; chaque sujet est abordé durant deux mois.

Parmi ces trois styles fictifs, le plus apte à faire passer des messages est sans aucun doute le feuilleton. En effet, celui-ci a l'avantage de fidéliser l'auditeur, qui voit les vies des acteurs évoluer au gré de leurs choix. Il tire de la sorte des leçons de ces expériences fictives, ce qui le pousse à adopter lui-même une attitude positive, à faire des choix responsables. Sans nul doute, les deux séries précitées ont eu un impact très important sur la perception qu'ont les Burundais des membres de l'autre ethnie, des autres communautés. Le genre est apprécié par les Burundais et par conséquent les radios les diffusent facilement.

Ainsi, les quatre radios étudiées ont intégré Tuyage twongere dans leur programme (feuilleton d'IRIN sur les réfugiés). De plus, Radio Burundi diffuse Nkinankebura (produit par le studio Tubane) et elle produit également sur fonds propres un autre théâtre radiophonique avec la troupe N'inde. De même, trois fois par jour des spots résonnent dans les oreilles de ses auditeurs. Quant à Bonesha, elle a inclus dans ses programmations deux feuilletons du Studio Ijambo : Semerera Sida sur la problématique du SIDA et Tubiri tuvurana ubupfu sur le rapatriement. Enfin, Isanganiro diffuse Semerera, Tubiri tuvuruna ubupfu, six minutes de spots quotidiens ainsi que Museke Weya, feuilleton sur la réconciliation produit par l'association Benevolencia (ONG hollandaise active au Rwanda).

Les programmes à vocation réconciiatrice1

Par << programme à vocation réconciliatrice >>, il faut entendre des émissions d'information générale sur des thèmes controversés ou sur des problèmes de société, traités dans une optique d'intégration, de réconciliation nationale et/ou de cohabitation pacifique. C'est avant tout dans cette catégorie de productions que prolifèrent les partenariats en tous genres avec les radios locales, ainsi que les émissions concédées :

Bonesha2 travaille en partenariat avec le Studio Ijambo, l'Union européenne, PADCO, le Centre d'alertes et de prévention des conflits (CENAP), l'OAG, ainsi qu'avec IRIN. La RPA, quant à elle, collabore avec le Studio Tubane, Médecins Sans Frontières, IRIN, le Projet Cadre d'Appui aux Communautés (PCAC) et le gouvernement belge. Isanganiro travaille presque en exclusivité avec le Studio Ijambo. Cependant, il tente de diversifier ses partenaires et travaille avec l'OAG ainsi qu'avec le Réseau Citoyen Network (RCN). Enfin, Radio Burundi travaille avec un nombre impressionnant de partenaires, que nous détaillerons plus loin dans l'étude.

Bien entendu, les thèmes choisis pour ces émissions à vocation réconciliatrice varient en fonction de l'actualité, mais aussi du climat social. Aujourd'hui, avec la fin du processus de transition, la tenue d'élections libres et la mise sur pied du nouveau gouvernement démocratique, les priorités ont changé par rapport à 2000, les peurs aussi. Par conséquent, les thèmes abordés par les radios et les studios de productions ont également évolué, dans la mesure où il s'avère fondamental de lier les productions médiatiques aux besoins de la population.

Pour illustrer cette évolution de ligne éditoriale, nous allons emprunter l'exemple du Studio Ijambo et de ses différentes productions au cours des ans :


· En 1998, la guerre a commencé depuis cinq ans déjà. La capitale est balkanisée : les Hutu ne s'aventurent pas dans les quartiers tutsis, de peur d'y perdre la vie. Et vice versa. C'est dans ce climat qu'est lancée l'émission Ikingi y 'ubuntu (Héros), qui retrace l'expérience de justes anonymes. Le magazine met en avant l'expérience de personnes qui, pendant la période des massacres de 1993 à 1996, ont risqué leur vie pour sauver celle d'une personne de l'autre ethnie. Ce programme << n 'a pas une audience exceptionnelle, mais rassemble des auditeurs passionnés >>3. On y raconte notamment l'histoire de Rebecca Hatungimana, une femme tutsie mariée, qui, au lendemain de l'assassinat de Melchior Ndadaye, le président burundais, a agi

1 Remarque : dans cette rubrique, les informations présentées ne concernent que les émissions à vocation réconciliatrice. Par exemple, la Radio Burundi travaille en partenariat avec de nombreux organismes ou associations, mais n'ont été mentionnés ici que les partenariats pertinents dans le cadre de cette rubrique.

2 A la date du 1 er février 2006.

3 << Independent program evaluation: Search For Common Ground in Burundi 1999-2001>>, avril 2002, p. 73. Voir aussi sur www.sfcg.org/sfcg/evaluations/burundiev.pdf

directement en cachant 41 voisins hutus dans sa maison. Avec son mari, un officier militaire, ils ont défendu leur propriété toute la nuit contre les att aquants armés de lances et de machettes. La semaine d'après c'est de Nimbona Natanaye, un habitant hutu de Kamenge, que l'on parlera. Lui a sauvé un jeune vendeur de rue tutsi alors qu'un groupe de jeunes Hutu le rouait de coup1. Chaque semaine, ce sont de nouveaux témoignages qui mettent en lumière les actes héroïques de simples citoyens.

Lors du lancement de l'émission, des journalistes sont attaqués dans la rue par des gens qui les accusent d'avoir monté de toute pièce des scénarios joués par des acteurs, parce qu'ils n'arrivaient pas à imaginer qu'un Hutu ait risqué sa vie pour un Tutsi ou vice versa. Mais comme semaine après semaine les témoignages continuent d'affluer, plus personne ne peut contester la véracité des propos. De plus, entendre ces actes de justes permet à certains de rassembler le courage nécessaire pour raconter, eux aussi, leurs propres actions héroïques, sans plus (trop) craindre les représailles de leurs proches. D'après une enquête indépendante de SFCG2, 46% des Burundais estiment que ce programme leur a fait changer leur perception de l'autre ethnie et 65% affirment qu'écouter << Héros >> leur donnait de l'espoir pour une coexistence pacifique.


· En 2000, les pôles politiques hutu (G7) et tutsi (G10), le FDD, le CNDD et le Palipehutu-FNL sont à Arusha (Tanzanie). Ils y discutent un éventuel accord de paix, et de ces négociations dépend l'avenir du pays. Bien qu'il y ait eu plusieurs émissions dédiées uniquement aux négociations et au processus de paix, c'est au travers de son émission d'actualité hebdomadaire Amasanganzira (et Express, la version française) que le Studio Ijambo va tenter de faire comprendre à la population tous les enjeux de ces négociations. Donnant la parole à toutes les parties en négociation (gouvernement, mais aussi opposition et forces rebelles), l'émission permet dès lors non seulement d'humaniser les différents acteurs politiques en faisant connaître leurs revendications et leurs motivations, mais elle sert également de médiatrice entre des groupes aux idéologies opposées. En effet, de par la recherche de solutions pacifiques, les journalistes du Studio Ijambo proposent des alternatives, canalisent les idées3 afin de faire émerger un terrain d'entente. De plus, la présence de membres de la société civile, d'analystes, de facilitateurs des négociations, d'hommes d'église, et de la population permet de transformer cette mosaïque de points de vue en une réalité cohérente.

1 Pour plus de témoignages, voir http://www.sfcg.org/programmes/burundi/burundi_hero_fr.html

2

<< Independent program evaluation: Search For Common Ground in Burundi 1999-2001>>, loc. cit.

3 Les différents acteurs ne se retrouvaient pas toujours assis autour de la même table : il arrivait régulièrement qu'une émission et son invité répondent à des propos recueillis au cours d'une interview, ou diffusés dans une émission précédente, car il était par exemple impossible de rassembler chefs rebelles et membres du gouvernement autour d'une même table.


· Durant toute l'année 2005, l'activité politique est frénétique : les premières élections législatives depuis 1993 se préparent. La tension monte, car nombreux sont ceux qui craignent que les élections ravivent les haines. Une couverture responsable des informations politiques est dès lors primordiale. Le Studio Ijambo initie alors une série d'émissions intitulée Ntorere Kazoza (Votons pour demain), qui accompagnera les élections depuis la création de la Commission électorale indépendante (CENI), jusqu'à la mise en place des nouvelles institutions. La structure de l'émission permet de mêler les interrogations de la population aux réponses des acteurs de la société civile : un reportage de terrain donne la parole aux gens de la rue, qui expriment leurs doutes, leurs attentes ou leurs peurs face aux élections, tandis que grâce à la table ronde menée dans les studios, des personnalités éclairées tentent de répondre aux questions de la population. Parmi ces invités, un membre de la CENI ou du ministère de l'intérieur est incontournable, ainsi qu'un témoin d'une expérience d'ailleurs détaillant la situation d'autres pays ayant connu des élections démocratiques après un long conflit. Enfin, une dernière partie aborde uniquement le thème des femmes leaders, afin d'encourager une participation massive des femmes dans le processus électoral.

A chaque époque, sa priorité. Aujourd'hui, celles-ci sont d'un tout autre ordre qu'au cours de la guerre : relance économique, problématique foncière, valorisation de la femme, intégration des démobilisés, retour des rapatriés, etc. Les radios approchées au cours de cette étude comptent toutes, ont compté ou compteront, dans leur grille de programmation, au moins une émission consacrée à chacun de ces thèmes. Car l'enjeu est de taille : il s'agit de redresser un pays, le leur.

Dans la partie théorique, il avait été expliqué que le journalisme proactif consiste, entre autres, à expliquer en profondeur les thèmes conflictuels, à donner la parole aux différents acteurs, les amener à exprimer leur propre perception du problème, afin que chaque partie puisse se mettre dans la peau de l'autre, aboutissant dès lors à une solution apte à satisfaire tous les protagonistes. Au Burundi, rares sont ceux qui connaissent les théories du journalisme de paix, si ce n'est le personnel du Studio Ijambo. Pourtant, sans le savoir, toutes les stations étudiées le pratiquent à un degré ou à un autre. En effet, en ce qui concerne les émissions portant sur les thèmes sensibles, toutes suivent cette méthodologie. D'ailleurs, lorsqu'il s'agit de différencier journalisme

classique du journalisme proactif, les réponses des professionnels burundais des médias sont claires : dans un pays en guerre, il n'existe pas de journalisme classique, on ne peut que faire du journalisme de paix. Dieudonné Jujute, responsable de la programmation du Studio Tubane, s'exprime très clairement dans ce sens : « Après douze ans de crise et de guerre, il est difficile de démarquer toute activité du programme humanitaire. Car tout est humanitaire après tout : il faut reconstruire les infrastructures, les pays et les esprits. Dans ces conditions, même le journaliste ne

peut pas faire un simple compte-rendu de la réalité. Personne ne peut, après douze ans de conflit dans son pays, se démarquer du cadre humanitaire. Pas même le journaliste »1.

Il serait inutile de passer en revue toutes les émissions à vocation réconciliatrice pour le démontrer. Nous nous contenterons dès lors d'analyser une émission pour chacune des quatre radios étudiées, en commençant par un exemple de production type du Studio Ijambo. Le lecteur pourra dès lors comparer ce qui se fait chez les adeptes du journalisme de paix d'une part, chez ceux qui n'ont pas connaissance de ces théories d'autre part.

Studio Ijambo : Dusangire Ikivi N'Ikiyago (Battons-nous ensemble pour la paix)

Dusangire Ikivi N'Ikiyago

Cette émission, produite en collaboration avec la Commission nationale chargée de la démobilisation, réinsertion et la réintégration des ex-combattants (CNDRR), a été lancée en novembre 2005.

Groupe cible : Les démobilisés, quelle que soit leur orientation (ex-rebelles, mais aussi démobilisés des ex-Forces armées régulières), ainsi que leurs proches.

But : permettre aux démobilisés de se sentir intégrés dans la société d'un point de vue social et économique.

- Intégration économique : la CNDRR offre à tous les démobilisés l'équivalent en nature de 600.000 Fbu (€500). Au travers de l'émission, le journaliste essaie de montrer aux démobilisés les options qui existent afin de monter efficacement leurs propres projets. De même, on y parle de démobilisés qui ont investi intelligemment cet argent et qui arrivent aujourd'hui à faire vivre leur famille grâce à ce placement.

- Intégration sociale : Il s'agit de faire sentir aux démobilisés qu'ils sont désormais des citoyens ordinaires, et non plus des soldats, rebelles ou mercenaires. L'émission vise à leur faire comprendre qu'ils doivent se sentir à l'aise dans la communauté, en acceptant de vivre comme les autres. Dès lors, ils connaîtront des mêmes difficultés que tous les Burundais et ils devront apprendre à les résoudre par eux-mêmes sans toujours tendre la main dans l'espoir d'une aide extérieure.

Format : Le programme de trente minutes correspond toujours à un même format (d'ailleurs similaire à toutes les émissions du studio Ijambo) : tout d'abord, un reportage auprès des ex-combattants à propos du thème choisi. Dans cette rubrique, la parole est laissée aux protagonistes, qui s'expriment sur leur expérience, leurs problèmes et les solutions qu'ils envisagent. Ensuite, vient la table ronde avec un représentant de la CNDRR ainsi que d'autres intervenants selon l'émission (ONG, ex-combattant, membre du gouvernement, ...). Par la suite, un démobilisé a l'opportunité de poser une question directe (en duplex) au représentant de la CNDRR qui se doit d'y répondre. Dusangire Ikivi N'ikiyago se termine enfin par un sketch joué par des acteurs visant à dépeindre la vie des excombattants en fonction du thème choisi.

 

Cette structure, touj ours identique, est une formule trouvée par le studio afin de rassembler au sein d'une même émission les différents genres journalistiques : enquête et reportage de terrain,

1 Entretien du 11 janvier 2006.

table ronde, sketch, analyse, expérience d'ailleurs, chaque émission du Studio Ijambo correspond à ce format. Si l'idée est bonne, on déplore cependant cette redondance dans la mesure où certaines radios, comme la radio Isanganiro, qui diffusent de nombreux magazines produits par le Studio Ijambo, ont également adopté ce format pour leurs propres magazines.

À force de réorientations stratégiques régulières, le Studio entend traiter de sujets qu'il juge pertinents. Pour 2006, il s'agira désormais d'axer les émissions sur trois thèmes prioritaires : dialogue, réconciliation des communautés divisées et bonne gouvernance. Ces trois axes ont été jugés comme les plus en pertinents vu le contexte politique actuel, et seules sept émissions continuent à être produites, afin de ne pas faire double emploi avec ce qui se fait dans les autres radios partenaires. Le studio vise donc, dans la mesure du possible, à calquer ses productions sur la réalité, et ses émissions sont axées sur les thèmes jugés pertinents c'est-à-dire les problèmes considérés comme les plus actuels. << Aujourd'hui par exemple, la priorité n 'est plus aux conflits interethniques, d'où la disparition du magazine Héros >>, explique Annick Nsabimana, sousdirectrice du Studio. << Désormais, on s 'occupe beaucoup plus de conflits d'intérêts, même entre des membres de la même ethnie, car ce sont ceux qui prévalent >>.1

Au menu du Studio Ijambo : Dusangire ikivi n 'ikiyago (voir supra) ; Icibare cacu qui traite des conflits fonciers, Kumugaragaro sur la bonne gouvernance ; Ramutswa iwanyu qui aborde le retour des rapatriés ; le magazine d'actualité Amasanganziro et son équivalent francophone Express ; Buri irya n 'ino (femme et gouvernance).

1 Entretien du 11 janvier 2006.

Radio sans frontière Bonesha FM : Yaga Dushirehamwe turwanyintambara (Réconciliation)

Yaga Dushirehamwe turwanyintambara

Cette émission, produite en partenariat avec USAID/OTI via le projet PADCO1, existe depuis 2003. Groupe cible :

- Déplacés qui ont trouvé refuge dans d'autres parties du Burundi (principalement des Tutsi).

- Réfugiés qui se sont exilés dans les pays limitrophes (principalement des Hutu).

- Les non déplacés.

But : Il s'agissait au départ de préparer les esprits au retour des rapatriés et des réfugiés, afin d'anticiper les étincelles que ces mouvements de population pourraient produire. Le but ? Que les non déplacés parviennent à accepter de se réconcilier avec ceux qui reviennent et de vivre ainsi pacifiquement sur les collines. Il y a énormément de conflits avec les réfugiés de retour au pays (intolérance, refus de pardonner, problèmes fonciers, ...), et le message global de l'émission vient remédier à cette situation.

Méthodologie : L'émission utilise une méthodologie participative. C'est-à-dire que l'idéal de réconciliation est exposé par les journalistes, mais que les idées proposées proviennent directement de la population, qui montre les limites de l'application et de la faisabilité d'une cohabitation pacifique, et recherche alors des solutions.

Format : Il s'agit d'un magazine de 30 minutes, composé principalement de reportages de terrain et d'interviews de la population rurale. Le journaliste s'applique à illustrer la thématique exposée par différents exemples, positifs et négatifs, afin d'en tirer des conclusions.

Exemple : Sur certaines collines, la guerre a tout détruit : les maisons, les écoles, les champs et les routes. Sur d'autres collines, par contre, les habitants ne se sont pas battus, et ces collines ont accédé aujourd'hui à un bon niveau de développement (école, dispensaire, routes en bon état,...). Le journaliste essaie alors d'amener les auditeurs à tirer les conclusions de cet exemple, afin qu'ils se rendent compte par eux-mêmes du bien-fondé d'une réconciliation pacifique avec les réfugiés.

 

Alice Hakizimana, secrétaire de rédaction de Radio Bonesha, divise l'histoire récente du Burundi en trois phases, sur lesquelles la radio s'est appuyée pour déterminer les thèmes prioritaires à aborder2. La première période est celle de l'avant-Arusha, c'est-à-dire précédant les accords d'Arusha. La priorité est alors la recherche de la paix, optique dans laquelle avait été fondée la radio. À l'époque où le gouvernement commence à négocier avec les rebelles, la situation est difficile et tendue dans le monde des médias, car la RTNB fait alors une couverture strictement gouvernementale des négociations, ne parlant pratiquement pas des rebelles et de leurs revendications. Chez Bonesha, on prend le parti de tendre le micro aux rebelles, même au risque de voir les journalistes encourir des peines de prison. Au début, le gouvernement prend des sanctions et des journalistes sont inquiétés et retenus en prison (trois journalistes de Bonesha sont

1 USAID (United States Agency for International Development) est la principale agence de coopération au développement états-unienne. OTI est l'Office of Transition Initiative, l'agence de développement du gouvernement américain active lors des périodes de transition. PADCO (Planning and Development Collaborative International), firme internationale de consultance en développement, est l'une des agences d'exécution de USAID/OTI au Burundi.

2 Entretien du 3 février 2006.

emprisonnés à cette époque pour avoir fait parler les rebelles). Mais une fois les négociations officiellement commencées, il devient dès lors possible de donner la parole aux leaders rebelles, puisqu'il s'agit de partenaires de négociations. C'est un point de gagné, ce qui représente une avancée primordiale pour les médias burundais. Les journalistes burundais ont alors une avance spectaculaire par rapport aux autres médias de la sous-région. Offrir son antenne à un rebelle qui a déclaré la guerre au pouvoir - même s'il accepte alors de négocier la paix - est inimaginable sous d'autres cieux. Malgré cette éclaircie, le gouvernement ne relâchera pas toute la pression sur les radios, puisque par la suite, il enverra à nouveau des journalistes en prison pour avoir diffusé des interviews des rebelles non signataires des accords de paix.

La deuxième époque est celle qui suit directement les négociations, c'est la période de transition. Bonesha décide d'approfondir le thème de la cohabitation pacifique. << A ce moment, il fallait prêter une attention particulière au vocabulaire employé, par exemple, ne pas appeler les ex-rebelles des assaillants ou des génocidaires, puisque désormais il allait falloir vivre pacifiquement avec eux >>. A l'époque, les Burundais ont peur : peur des ex-rebelles, peur des réfugiés, peur des rapatriés,... Bonesha organise alors des débats, où sont invités différents protagonistes aux points de vue divergents, afin de les amener à trouver une solution pacifique de manière conjointe. << Au début du débat, tout était touj ours très tendu, mais c 'est le journaliste qui devait arriver à déceler les aspects positifs des deux parties, afin d 'arriver à concilier les points de vue>>, explique Alice Hakizimana. Trouver chez chaque intervenant la part de lui-même qui est prête à négocier, puis l'exacerber afin d'arriver à un consensus entre les invités, voilà la difficile tâche du journaliste dans ce type de débat.

Aujourd'hui, c'est une troisième phase qui commence, et le rôle de Bonesha est dès lors d'oeuvrer à la réconciliation nationale, de manière à ce que les gens arrivent à vivre ensemble en pardonnant à un tel d'avoir tué ses parents, d'avoir brûlé son champs ou volé ses vaches. Chez Bonesha, c'était surtout au travers des débats politiques que s'exerçait le proactivisme. Aujourd'hui, c'est via trois émissions, financées par PADCO1, que la radio travaille sur le thème de la réconciliation nationale, en fonction de l'actualité, << car on ne peut pas parler tous les jours de réconciliation, comme ça, dans le vague, il faut en parler, mais en rattachant ce thème à des sujets d'actualité >>. Parmi ces émissions, on retrouve Yaga Dushire et son homologue swahiliophone Mawasiliyano, ainsi que l'émission Rwaniramahoro qui met en avant les initiatives citoyennes en faveur de la paix. PADCO finance également un magazine sur la femme (Ikiyago c 'abakenyezi) ainsi qu'un débat où les citoyens discutent de la politique du pays (Mubivuze kwiki). Le principe de départ de PADCO était de rapprocher les communautés à la base pour une

1 Planning and Development Collaborative International.

résolution pacifique des conflits, dans tous les thèmes connexes. Avec Bonesha, PADCO a trouvé un partenaire privilégié pour un moyen d'action efficace. << Et nous, ça nous arrange bien >>, explique Innocent Manirakiza1, responsable de la programmation, << car nous sommes désireux de promouvoir la réconciliation nationale, mais sans toujours avoir les moyens de produire ce type d'émissions >>. Un partenariat qui fait donc deux heureux : PADCO qui trouve une tribune pour faire valoir ses idées, et Bonesha qui trouve l'opportunité de couvrir des thèmes qui lui tiennent à coeur, et ce à moindre frais.

Et après analyse de la grille des programmes de Bonesha, on se rend compte que ce type de partenariat rentre dans la norme, aux dépens des productions apparues sur la base d'une initiative propre. En effet, l'émission de débats d'actualité politique et sociale (Tribune Bonesha en français, son jumeau Inkuru Y'imvaho en kirundi et Jambo na Jambo en swahili) et celle sur la promotion de la femme (Maerndele ya wanawoke) sont les seules émissions financées sur fonds propres pouvant prétendre au titre d'émissions à vocation réconciliatrice. Ce vide est comblé par l'apport du Studio Ijambo, qui diffusait sept de ses magazines et feuilletons sur les ondes de Bonesha en janvier 2006. Ou encore par les trois émissions sur la justice que finance l'Union européenne. À l'instar de la collaboration mise en place avec PADCO, l'organisme extérieur partenaire offre les moyens (essence, minidisque, nuits d'hôtel) aux journalistes de faire des descentes sur le terrain dans le cadre de l'émission concédée.

Ces étroites et multiples collaborations n'entraînent-t-elles pas un amenuisement de l'identité de Bonesha ? Pas du tout, se défend Innocent Manirakiza, pour qui être partenaire d'un organisme extérieur n'implique pas une perte de souveraineté en faveur de ce bailleur. << Quand PADCO s 'en ira, Bonesha continuera à diffuser des messages de paix et de réconciliation, puisque ceci entre dans notre mission : nous garderons les messages, même si nous n 'aurons plus les mêmes moyens pour les produire >>. Certes, ces émissions représentent un moyen considérable pour diffuser ces messages de réconciliation nationales, mais il n'empêche que toute la ligne éditoriale est axée sur la même thématique, financement extérieur ou pas. Le message reste donc sous-jacent, notamment dans animations libres qui, elles, ne coûtent rien en production. Mais de toute façon, ajoute le responsable de programmation, la situation du Burundi évolue. Bientôt, c'est sur des thèmes tels la bonne gouvernance, l'environnement ou le développement économique que les radios burundaises devront axer leurs émissions. << Et là, ce ne sera pas trop dur de trouver des financements dans ce sens... >>.

1 Entretien du 25 février 2006

RPA : Ubuzima Ni Akatimabwa (La vie est sacrée)

Ubuzima fii akatimabwa

Créé au départ en partenariat avec l'Office du Haut Commissariat pour les droits de l'homme, le magazine a débuté en janvier 2005.

But : sensibiliser les auditeurs aux droits de l'homme, dénoncer et condamner les éventuels manquements à ces droits et enseigner aux Burundais les différents recours possibles pour les victimes de violations.

Public-cible : toute la population burundaise

Méthodologie : Se base souvent sur des témoignages des victimes d'enfreintes aux droits de l'homme, avec si possible des interviews des coupables (pourquoi ont-ils fait cela ?), des représentants des ligues des droits de l'homme et de la police (il y a-t-il des sanctions prévues ?)

Format : magazine de 30 minutes. Les interviews des différents acteurs sont entrecoupées de plages musicales. De temps à autres, l'émission se déroule sous forme de débat avec une table ronde.

Exemple : programme du 05-02-2006. Thème abordé : la peine de mort.

Alors que la condamnation à mort n'est pas reconnue par tous les juristes, qu'une relaxation de prisonniers politiques se déroule depuis janvier, et qu'une commission vérité et réconciliation chargée d'enquêter sur les crimes commis durant la guerre doit être mise en place, l'émission cherche à faire le point : est-il nécessaire de poursuivre les exécutions capitales alors que de telles évolutions vont avoir lieu sous peu ? Ce numéro utilise les interviews d'un condamné à mort (propos : ne devrait pas être exécuté, car il a commis ces crimes sous des pressions politiques), d'un professeur d'université (redonne une explication de la justice et de son rôle : justice n 'a rien à voir avec vengeance), ainsi qu'un débat entre un partisan (Alexis Sinduhije, directeur de la RPA) et un adversaire (avocat du TPIR) de la peine de mort.

 

La grille de la RPA regorge de magazines aux thèmes variés (Voir grille des programmes : annexe p. 158) : bonne gouvernance (2 émissions), promotion de la femme (2), intégration des personnes marginalisées, conflits fonciers, témoignages de personnes au comportement exemplaire, intégration et respect des Batwa (2), droits de l'homme (2). Et étonnamment, cette diversité dans la programmation n'est pas issue de partenariats particuliers, contrairement à la majorité des autres radios. Ainsi, seules les deux émissions sur les Batwa sont directement financées par le gouvernement belge.

Il arrive cependant que quelques magazines nais sent grâce à un << coup de pouce » externe : Ubuzima ni akatimabwa, par exemple, naît à l'initiative de l'Office du Haut Commissariat pour les droits de l'homme. Puis, début 2006, le financement se tarit. La RPA décide néanmoins de continuer à produire le magazine sur fonds propres. Nul besoin de posséder des connaissances poussées en arithmétique pour se douter que d'un jour à l'autre, les moyens d'actions du journaliste en charge de l'émission sont fortement réduits. Emery Madirisha explique les difficultés qu'il connaît depuis le retrait du bailleur1 : << Pour créer une émission de qualité, il faut sortir de Bujumbura car les violations des droits de l 'homme ont principalement lieu à l 'intérieur

1 Entretien du 7 février 2006.

du pays. Avant [quand l 'émission était financée], c 'était facile de se déplacer : je louais une voiture et un chauffeur, et on partait. Aujourd'hui, je dois attendre qu 'un groupe de journalistes se rende là où je veux aller, pour pouvoir partir avec eux. Alors j 'en profite pour ramener du matériel pour trois ou quatre émissions ». Difficile d'être journaliste ? Il s'agit pourtant du sort de tous les professionnels des médias de la région. C'est d'ailleurs une pratique commune au Burundi de demander à un collègue en déplacement de ramener des sons utiles à ses propres émissions, et cela afin de s'éviter un voyage. Ce type d'interviews perd dès lors toute la finesse que peut avoir l'entretien tenu par deux personnes maîtrisant leur sujet. Il arrive régulièrement que les résultats soient médiocres et que les productions finales ressemblent malheureusement plus à du copiercoller de ce que le journaliste aura trouvé d'utilisable, de diffusable, qu'à une émission réellement réfléchie et construite en conséquence.

Dès lors, si la grille de programmation de la RPA est très riche, il faut néanmoins relativiser cette première impression. L'effort est certes remarquable, mais la RPA emploie des jeunes journalistes, peu formés et manquant parfois de professionnalisme : une émission peut être entrecoupée de morceaux de musique qui diminueront de moitié la durée de contenu pertinent. Ou, faute de pouvoir interviewer la personne adéquate au bon moment, certains débats ont lieu sur deux, voire trois semaines : Mme X donne ses arguments cette semaine, Mr Z y répondra dans le numéro suivant. D'accord donc pour équilibrer l'information, mais pas nécessairement dans une seule et même émission : les journalistes de la RPA considèrent que cet équilibre peut tout aussi bien être atteint en plusieurs émissions. Enfin, la grille de programme n'est pas toujours respectée. Il arrive que des émissions soient remplacées à l'improviste par des plages musicales, tandis que d'autres programmes accusent des retards considérables ou ne respectent pas le minutage prévu1. Un bel effort, donc, mais les résultats obtenus ne cadrent pas toujours avec la volonté de départ.

1 CNC, Rapport sur les contenus du média radio publique africaine, p.1, document non publié.

Radio Isanganiro : Gira Ahuba wubahwe (Sois respecté chez toi et dans tes biens)

Gira Ahuba wubahwe

L'émission, financée par l'ambassade des États-Unis à hauteur de 10.000$, a débuté en janvier 2006 et s'est achevée fin février 2006.

But : Il s'agissait d'une émission divisée en deux phases : la première portant sur la bonne gouvernance chez les élus locaux pour dresser un bilan après trois mois d'entrée en fonction ; le deuxième axe visait la question du rapatriement. Public-cible : toute la population burundaise.

Format : 25 minutes. Le magazine mêle le reportage (une vingtaine de minutes) avec une table ronde. Au cours du reportage de terrain, interviennent les élus locaux, des représentants de la société civile, mais avant tout des citoyens ordinaires qui expriment leur avis sur le thème de l'émission, partagent leur expérience personnelle et mettent les élus face à leurs responsabilités. Les journalistes tentent toujours de trouver un témoignage positif, afin que les auditeurs puis sent en prendre exemple pour gérer leur propre situation.

Thèmes abordés : Le projet s'étalait sur huit semaines et donc sur huit thèmes liés aux deux angles d'approche (bonne gouvernance et rapatriement) : cohabitation des élus locaux et des notables traditionnels, rôle des conseils communaux et bilan de ces conseils, rapatriement des réfugiés, les structures mises en place pour les accueillir, leur réinsertion qu'ils soient écoliers ou citoyens actifs, les problèmes de terres rencontrés par ces réfugiés, etc. Pour chaque émission, les journalistes se rendaient dans une province représentative du thème abordé

La dernière émission, qui clôturait le projet, a pris la forme d'un débat en direct. Les correspondants de l'intérieur du pays se trouvaient avec les conseillers communaux et la population. En communication téléphonique avec le studio, ceux-ci avaient dès lors la latitude d'intervenir dans le débat et de poser des questions en direct au ministre de l'Intérieur présent à la table ronde.

 

Après découpage de la grille de programme d'Isanganiro, la proportion de magazines ; de programmes informatifs ; et autres1 se répartit comme tel :

magazines
36%

autres 43%

informations
21%

Par magazine, on entend toutes les émissions à contenu (émissions environnementale, sportive, sociale, d'actualité, de débat, ...). Dans la catégorie autres, entrent les émissions musicales, les publicités, les communiqués, les ouvertures et fermetures d'antenne, etc. Une étude plus approfondie de la catégorie « magazine » s'avère pertinente. Dans le graphique suivant,

1 Source : grille des programmes disponible sur le site de la radio : www.isanganiro.org, en date du 15 février 2006. Voir annexe p. 157.

l'auteur a mis en évidence, parmi les magazines jugés proactifs, l'origine de leur financement (production propre, partenariat, ou produit par le Studio Ijambo) :

partenariats
extérieurs
14%

production sur
fonds propres

25%

Studio Ijambo
61%

Parmi les productions autofinancées par la station, ont été jugés comme proactifs les magazines suivants : Nyibuka (Rappelle-toi de moi) ; un magazine sur les conflits fonciers ; un dialogue avec la diaspora, une émission où les auditeurs ont l'opportunité de faire entendre leurs avis sur des questions d'actualité (Giricushikirije), un forum jeune, l'émission de débat politique Mosaïque et son équivalent kirundophone Ku nama, et enfin un magazine sur la démobilisation. C'est-à-dire huit émissions représentant en moyenne 50 minutes de programme quotidien. Au premier abord, cette grille a donc l'air raisonnablement bien fournie.

Pourtant, en comparant ce temps d'antenne avec celui accordé aux productions du Studio Ijambo, cette même grille prend automatiquement un autre relief : les magazines produits par le Studio Ijambo passent sur les ondes d'Isanganiro en moyenne 2 heures et 6 minutes par jour. Tous ces magazines étant considérés comme proactifs, les émissions du Studio Ijambo représentent dès lors 61% de la grille proactive d'Isanganiro. Le fait que ce type d'émissions soit majoritairement à l'origine d'un organisme extérieur à la station de radio n'est pas exceptionnel. On l'a vu, les autres médias n'ont généralement de programmes proactifs que dans la mesure où ceux-ci sont spécifiquement financés par un bailleur. Il y a pourtant un fait frappant chez Isanganiro, c'est la grande dépendance de ce média vis-à-vis de son voisin le Studio Ijambo, dont les productions représentent 36% de la catégorie << magazine >>.

Est-ce dû à cette prolifération de programmes qui viennent combler la grille de programmation, ou à un manque d'habileté pour trouver des bailleurs extérieurs ? Toujours est-il qu'Isanganiro conclut très peu de partenariats avec des organismes autres que le Studio Ijambo. Les émissions financées par des bailleurs externes n'occupent que 3% du temps de diffusion total d'Isanganiro (16 heures par jour), contre 13% pour le Studio Ijambo. Ce lien étroit entre le Studio Ijambo et sa << fille >> la radio Isanganiro ne peut en réalité que rendre cette dernière plus faible :

habituée à recevoir des émissions de qualité, elle n'a aucun autre bailleur solide qui pourrait la soutenir si SFCG pliait bagage du jour au lendemain. Si tel était le cas, ces plages horaires seraient très certainement remplacées par de la programmation musicale, du moins dans un premier temps. Ce qui diminuerait inévitablement la qualité de programmation d'Isanganiro. Or la grande qualité et la rigueur des émissions diffusées sur la radio sont les éléments de son succès. Elle tire d'ailleurs profit de cette popularité pour essayer d'attirer les annonceurs.

Radio Burundi : Rondera Amahoro (Chercher la paix)

Rondera Amahoro

Le magazine, produit sur fonds propre, a été lancé lors des négociations d'Arusha (2000)

But : aider les Burundais à trouver, ensemble, une façon de se réconcilier. L'émission, lancée alors que le pays était toujours en guerre, visait à apprendre aux populations rurales à vivre ensemble pacifiquement. Aujourd'hui, en situation post-conflit, le programme s'est orienté vers la consolidation de la paix, afin de reconstruire un Burundi viable pour tous. C'est un magazine qui vise à aider les Burundais à trouver, ensemble, la réconciliation.

Public cible : toute la population burundaise.

Format : 25 minutes, sur la base d'interviews et de reportages, entrecoupés de commentaires du journaliste.

Sujet : tous les thèmes connexes à la consolidation de la paix, c'est-à-dire tous les thèmes qui pourraient éventuellement créer des conflits, et auxquels un journaliste peut apporter sa contribution par le biais de la médiation, l'explication et la remise en contexte.

Exemples : rôle de la femme dans la recherche de la paix : le journaliste interroge des femmes leaders et des paysannes, pour montrer comment elles vivent pacifiquement avec des femmes d'autres communautés et/ou ethnies. Chacun donne sa vision de la situation, apporte ses propres solutions, et le journaliste se sert de leur expérience pour en tirer des généralités sur des comportements adoptables par toutes les Burundaises.

Libération des prisonniers politiques : donne la parole à la population. Certains expriment leurs peurs face au retour de personnes accusées de crimes de sang ; d'autres sont d'avis qu'il s'agit d'un geste positif pour promouvoir la réconciliation nationale. Puis le journaliste tend le micro à des gouverneurs de provinces où beaucoup de génocides ont eu lieu, à des représentants de la ligue des droits de l'homme. Dans cette émission, le journaliste a surtout tendu le micro aux divers intervenants et n'est pas beaucoup intervenu, préférant qu'une interview vienne en réponse à la précédente.

 

En 2003, les productions propres de Radio Burundi (créées et financées par la radio) n'occupaient qu'un temps d'antenne très limité (une moyenne de 1h30 par jour, sauf le week-end). Pour le reste, l'antenne était essentiellement occupée d'une part par de très longues plages musicales, d'autre part par une multiplicité d'émissions concédées (40 émissions concédées par semaine !).

Trois ans plus tard, la situation a évolué sensiblement : les productions propres occupent désormais 2h25 d'antenne en semaine (13% du temps total), et 4h30 le week-end (25%). Parmi

celles-ci, 12 émissions (moyenne : 53 minutes quotidiennes) peuvent être considérées comme des programmes proactifs1:

- Rondera Amahoro (voir supra) ;

- Rema Ntiwihebure (<< sois solide, ne te décourage pas >> : émission qui vient soutenir les sinistrés de la guerre) ;

- 1 programme sur l'environnement (Dukingire Ibidukikije) ;

- 3 magazines sur le développement (Terimbere, Dusanure Igihugu et Turwanye Ubukene) ;

- 1 << éloge des braves >> (Intore Irayagwa) où l'on parle des exploits des gens en faveur de la résolution du conflit ;

- 2 programmes sur l'intégration des minorités (Ntunkumire, << Ne m'exclus pas >> et Ni abacu, << Ils sont nôtres >>), Ubugirigiri (<< L'Entraide >>) ;

- 1 émission sur les femmes (Ikiyago c 'abakenyezi) ;

- et enfin 1 émission de théâtre radiophonique avec la troupe N'Inde.

Les magazines programmés sont bien le reflet de la réalité politique et sociale du Burundi, tout au moins, les journalistes s'évertuent à ce qu'ils représentent le plus fidèlement possible la situation du pays. On y trouve un mélange de magazines réconciliateurs, qui visent à favoriser la vie commune et à réparer les esprits après la guerre ; et de magazines réparateurs. Ces derniers ont pour but de reconstruire le pays d'un point de vue social, économique et logistique. En cela, les émissions reflètent la réalité burundaise : d'une part, la guerre n'est pas encore entièrement finie ni sur le terrain ni dans les esprits, d'autre part après la période de transition les préoccupations sont toutes au développement et à la reconstruction. Et tout comme dans la réalité, les magazines réconciliateurs tendent à disparaître au profit des émissions réparatrices

En ce qui concerne les émissions concédées, la situation ne s'est pas améliorée depuis 2003 puisqu'on dénombre aujourd'hui... une cinquantaine d'émissions concédées par semaine. La radio nationale était auparavant un passage obligé pour se faire entendre dans tout le pays, avant l'arrivée des radios privées. Certains organismes ont donc gardé le réflexe de s'associer à la RTNB. Pour d'autres, il s'agit tout simplement de privilégier les partenariats avec la radio publique.

Parmi les organismes partenaires de Radio Burundi et qui diffusent des émissions proactives, l'on retrouve bien entendu le Studio Ijambo et le Studio Tubane, mais aussi d'autres acteurs non présents sur les ondes des radios privées :

1 Au 15 février 2006.

- Les associations religieuses : Fallait-il introduire les magazines qui promeuvent l'amour du prochain sur des bases religieuses dans la catégorie << émissions proactives >> ? Nous avons décidé de les y classer puisqu'il s'agit bien d'utilisation des médias dans le but de favoriser la paix. Et même si c'est au nom de dieu et sur base des livres sacrés que les présentateurs cherchent à pacifier les âmes, il s'agit tout de même de médias pour la paix. Attention cependant à ne pas assimiler émission religieuse et émission proactive : l'une n'entraîne pas nécessairement l'autre et de nombreux magazines religieux n'ont d'autre but que de dire la messe, où de diffuser des chants religieux. Il faut cependant citer le Studio Transworld Radio, d'obédience anglicane, qui a une place prépondérante parmi les émissions proactives (émissions de lutte contre le SIDA, de cohabitation, de santé, touj ours en référence à Dieu).

- Les associations locales : trois d'entre elles ont créé un partenariat avec Radio Burundi. L'association Ubuntu a monté un magazine de l'humanisme et l'association Burundi Buhire (<< Burundi bienheureux >>) tend le micro à des interlocuteurs qui expliquent comment se déroulait la cohabitation dans le temps. Enfin, une association locale de défense des droits de l'homme loue les ondes de la radio pour y sensibiliser les auditeurs au thème des droits humains.

Avec une trentaine de partenaires, dont une dizaine qui réalisent des émissions proactives, cette politique de concession devrait rapporter gros à la Radio Burundi, notamment lorsque les partenariats se font avec des grandes associations internationales ou ONG, qui sont parmi les rares à payer leur dû en temps et en heure. Pourtant, ce ne sont pas les concessions qui remplissent les caisses de la Radio Burundi, et malgré ces nombreux partenariats, la radio publique est certainement celle qui est le moins dépendante des bailleurs extérieurs pour sa survie financière, grâce au financement étatique.

Les informations d'actualité : étude d'un cas concret

Un journalisme proactif peut se réaliser au travers de chaque phrase prononcée à l'antenne. Il serait dès lors réducteur de n'envisager l'influence positive des médias qu'à travers des magazines ou du théâtre radiophonique. Le journalisme de paix peut s'appliquer à tout moment : dans le choix d'un interlocuteur, dans les propos tenus au cours d'animations libres, dans la façon de présenter les informations chaudes. Les radios privées abordées plus haut (Bonesha, Isanganiro, RPA), disent toutes vouloir promouvoir la paix et la réconciliation de la population burundaise, volonté d'ailleurs inscrite dans leurs statuts. Nous avons vu qu'elles diffusaient toutes des émissions proactives, en quantité et en qualité variables selon leurs revenus. Peut-on pour autant les qualifier de << radios promotrices de paix et de la réconciliation >> ? Pas si cette volonté ne

transparait pas dans l'ensemble des productions radiophoniques. C'est pour cela que nous allons tenter, dans ce point, d'analyser chez chacune de ces radios, le traitement de l'information d'actualité qui elle, n'est pas financée directement par des bailleurs externes.

Une enquête réalisée par l'auteur auprès d'un échantillon représentatif des professionnels des médias burundais met en évidence la conception qu'ont les journalistes burundais de leur rôle dans la société1. La plupart des personnes interrogées s 'accordent à dire que leur rôle est de diffuser des informations exactes qui ont été recoupées (76% tout à fait d'accord), d'éduquer ses auditeurs (55% tout à fait d'accord, 32% d'accord), de les protéger (37% tout à fait d'accord, 39% d'accord) et enfin, 87% des journalistes considèrent qu'ils possèdent un rôle de contre-pouvoir, de << chien de garde de la démocratie >>. Dès lors que les journalistes se définissent en tant qu'acteur à part entière de la société civile, jouant un rôle essentiel dans la vie des récepteurs des médias, cette conception influence leur traitement de l'information : 77% des répondants se déclarent en désaccord avec le postulat selon lequel << Ce que fait la population de l 'information que j 'ai diffusée ne me concerne plus. Mon rôle est de fournir de l 'information exacte, et libre à ceux qui la reçoivent de l 'utiliser comme ils l 'entendent >>. A contrario, avant de diffuser une information, 97% disent réfléchir aux conséquences que celle-ci aura sur la population réceptrice.

De même, lorsqu'ils sont mis devant la possibilité de diffuser un scoop, qui aurait la fâcheuse conséquence de raviver les tensions entre les différentes communautés et/ou ethnies, 71% préféreraient ne pas informer la population plutôt que de le faire sans précaution particulière. 86% des journalistes accompagneraient cette nouvelle délicate d'émissions spéciales consacrées au sujet, dans lesquelles ils feraient intervenir des personnes modérées de façon à éviter les tensions entre communautés et/ou ethnies. Tous les journalistes burundais seraient-ils, sans le savoir, des journalistes proactifs ?

Les attitudes révélées par ce questionnaire appartiennent au domaine de la théorie : les journalistes n'ont pas toujours la latitude de travailler comme bon leur semble. Ils doivent respecter les grilles de programmations, les instructions du rédacteur en chef et les exigences des bailleurs. Afin de mesurer le degré d'application, par les journalistes, des techniques de construction de la paix et des principes journalistiques de base dans les bulletins d'information, le présent document se propose d'étudier la couverture des informations d'actualités par les radios Bone sha, Isanganiro, RPA et radio Burundi.

1 Enquête réalisée sur un échantillon de 72 journalistes issus de la RPA, la RTNB, Isanganiro, Studio Ijambo, Studio Tubane, Bonesha, CCIB et le studio de production de l'Onub. Voir les résultats complets en annexe p. 160.

Dans la mesure où il était impossible de traiter l'ensemble des bulletins d'information diffusés par les médias précités, une sélection était nécessaire. Il nous a semblé intéressant de faire l'analyse du traitement médiatique d'une actualité spécifique, la libération des prisonniers politiques annoncée de 10 janvier 2006 par la ministre de la Justice. Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Il s'agissait d'un sujet sensible, susceptible de réveiller de vieux démons parmi la population touj ours pas entièrement guérie de la crise dont elle sort petit à petit. Cette libération au cours de notre séjour au Burundi présentait une opportunité exceptionnelle d'analyser la façon dont les radios allaient présenter cette libération, choisiraient les intervenants et leurs consacreraient des temps d'antenne différents.

La libération des prisonniers politiques

Le 10 janvier 2006, Clotilde Niragira, ministre burundaise de la Justice, annonce la libération provisoire de 673 prisonniers politiques, qu'elle motive par un désir de réconciliation de la population burundaise, conformément aux accords pris à Arusha. Cet élargissement provoque des remous dans tout le pays et ce pour deux raisons. D'une part parce que parmi les bénéficiaires de cette mesure figurent des personnes accusées d'avoir participé aux massacres qui ont suivi l'assassinat du président Ndadaye en 1993, alors que le président Nkurunziza avait affirmé lors de ses voeux à la nation (3 1/12/05) qu'aucune personne soupçonnée d'avoir commis des crimes de sang ne bénéficierait de cette mesure. Une grande confusion règne donc sur la définition du prisonnier politique. D'autre part, nombreux sont ceux qui prennent peur à l'idée de voir revenir au village des personnes ayant peut-être pris part au massacre de leur famille douze ans plus tôt.

Afin d'étudier le traitement médiatique de cette actualité controversée, nous utiliserons une grille d'analyse mêlant les recommandations énoncées par Lynch et Mc Goldrick pour réaliser un journalisme proactif (voir supra, p.6)

· Eviter de réduire le conflit à l'espace-temps des violences.

· Prêter une attention particulière au vocabulaire employé.

· Eviter de mettre en évidence continuellement ce qui divise les parties, les différences entre ce qu'elles déclarent vouloir : mettre en évidence les intérêts et buts partagés.

· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et les peurs du même côté.

· Eviter de laisser les protagonistes se définir par les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs réclamations : donner l'occasion aux gens ordinaires d'exprimer leurs opinions... Aux principes journalistiques de base :

· Non-séparation des faits et des commentaires

· Déséquilibre dans le traitement de l'information

· Incitation à la haine, à la révolte ou à la violence, apologie du crime

· Exagération des faits, sensationnalisme à outrance...

Puisque les bulletins d'information ne se prêtent guère à la médiation, nous nous pencherons principalement sur le choix des intervenants au cours des jours qui ont suivi l'annonce de l'ordonnance ministérielle. Ensuite, nous verrons les efforts fournis par les radios pour éclairer et peut-être calmer les esprits, et ce dans les magazines d'actualité dédiés à ce sujet.

Les bulletins d'informations de la radio Bonesha, RPA, Isanganiro et Radio Nationale (2e chaîne publique)

Le 10 janvier, jour de la libération des prisonniers politiques, toutes les radios font preuve d'un sérieux déséquilibre de l'information, dans la mesure où seuls les propos de la ministre de la Justice passent sur antenne :

La Ministre s'exprime sur les motivations de cette libération (réconciliation du peuple burundais) ; déclare qu'il ne s'agit pas d'une mesure favorisant l'impunité (puisqu 'elle n 'est que provisoire en attendant les jugements de la future CVR - Commission vérité et réconciliation, prévue par les accords d 'Arusha) ; rassure la population sur le fait que ces ex-prisonniers ne pourront pas échapper à la justice (dans la mesure où ils n 'ont pas le droit de franchir les frontières). Elle explique également l'origine du choix des prisonniers à libérer (liste établie par une Commission chargée d 'identifier les prisonniers politiques). Temps d'antenne (T.A.) de la Ministre : Bonesha 2'46, RPA 3'14, Isanganiro 2'00, Ndegarakura 3'48.

Des réactions auraient du être récoltées à chaud, et diffusées sur antenne le jour même, si ce n'est dans l'édition de la mi-journée, tout au moins dans les bulletins de la soirée. De plus, aucune des radios n'a mis cette information en perspective, en expliquant l'origine de cette relaxation. Ce n'est que le lendemain que les échos se font entendre, du moins pour les radios privées. La radio nationale n'approfondira pas le sujet les jours suivants, alors que les autres radios diffuseront des informations jusqu'au 14 janvier.

Le mercredi, les réactions fusent de toutes parts :

Bonesha :

- Monde politique : satisfaction du parti Frodebu, le parti du président Ndadaye mort en 1993, qui salue la mesure. T.A. 1'00

- Société civile : AC Génocide qualifie cet acte de consécration de l'impunité et d'un << coup de poignard dans le dos des victimes des massacres de 1993 >>. T.A. 1'50

Maître Sinarinzi parle de << culture d'impunité >> et de danger imminent pour les rescapés des génocides, témoins gênants qui risqueraient d'être éliminés par les prisonniers libérés. T.A.1 '06

RPA : le journaliste parle désormais de prisonniers dits politiques.

- Monde politique : re-diffusion d'un extrait d'interview de la ministre de la Justice. T.A. 0'52

 

P.A. Masekanya : parle d'inamnestiabilité du crime de génocide, et qualifie les libérés de terroristes génocidaires. Déclare que les victimes des massacres croupissent dans des camps de réfugiés alors que leurs bourreaux, les terroristes génocidaires, << sont traités comme des généraux et doivent recevoir des millions >>. T.A. 1 '30 Parti Uprona : Demande la suppression de la mesure et met en garde contre les conséquences néfastes de cette libération (suppression des témoins et rescapés). T.A. 0'20

Isanganiro :

- Monde politique : Frodebu : affirme son soutien à la mesure, et sa confiance dans le choix des prisonniers par la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques. T.A. 2'00

CNDD-Nyangoma : la libération sans avoir déterminé les responsables des massacres de 1993 et de la mort de Ndadaye est une gifle à la population burundaise qui attend impatiemment la vérité. Mais qualifie la mesure de << salutaire >> pour ceux qui étaient détenus sans dossier. T.A. 1'00

- Société civile : A.C. Génocide fait part de sa déception, parle du sentiment de désespoir des rescapés << qui vont voir défiler leurs bourreaux >>. T.A. 0'51

Les trois stations réalisent un billet d'information relativement équilibré, où des intervenants du pour et du contre expriment leurs positions. Cependant, ces interviews auraient dû être réalisées et diffusées à chaud la veille.

Notons que le journaliste de la RPA parle désormais non plus de prisonniers politiques mais de prisonniers dits politiques, ce qui peut faire l'objet d'une double interprétation. D'une part ce changement peut être considéré comme l'expression d'une stricte neutralité, puisque les intervenants ne sont pas tous d'accord pour qualifier les personnes libérées de << prisonniers politiques >>. D'autre part, ceci peut être interprété comme une prise de position du journaliste qui nierait par là le fait que ces prisonniers soient réellement politiques. Si tel était le cas, il s'agirait d'un cas de non-séparation des faits et commentaires. Notons enfin que lorsque le porte-parole du mouvement P.A. Masekanya s'exprime sur les ondes de la RPA en faisant allusion aux << terroristes génocidaires >>, il rappelle tristement les propos qu'utilisait la radio nationale avant les accords d'Arusha, lorsqu'elle qualifiait les rebelles de << tribalo terroristes génocidaires >>. Aujourd'hui, plus aucun journaliste n'utilise ce terme représentatif d'une époque révolue. Bien que ce qualificatif n'ait pas été employé par le journaliste lui-même, celui-ci aurait pu utiliser l'interview en choisissant d'autres extraits significatifs, où l'intervenant ne parlait pas de terroristes génocidaires.

Le jeudi, le sujet fait à nouveau la Une des journaux parlés des trois stations.

Bonesha : un seul intervenant, le président de l'AproDH (ligue des droits de l'homme) : déclare que plus de 90% des libérés sont des Hutu accusés des massacres de 1993. S'étonne que cette mesure ne s'applique qu'à un groupe si peu diversifié. T.A. 2'28.

RPA :

Vice-président de la Commission chargée d'identifier les prisonniers politiques : répond aux reproches d'exclusivité de la mesure aux auteurs des massacres de 1993. Explique qu'il n'y a pas de traitement préférentiel, que les listes sont établies selon des critères objectifs inspirés des accords d'Arusha et des codes de droit burundais. T.A.2'00 Isanganiro :

Uprona : se dit théoriquement d'accord avec une libération des prisonniers politiques, mais en désaccord avec cette ordonnance, puisqu'en libérant des auteurs de crime de sang, elle va à l'encontre des propos du président Nkurunziza. « Mesure qui pêche par excès ». T.A. 1 '35

Ligue des droits de l'homme Iteka : mesure caractérisée par la précipitation. Illustre par l'exemple du Rwanda où des témoins furent tués lors de précédentes libérations de prisonniers. T.A. 1'18

La RPA sort du lot puisqu'elle confronte les propos diffusés la veille avec une intervention du vice-président de la Commission chargée d'identifier les prisonniers politiques. Les autres radios, quant à elles, diffusent toujours des réactions critiques vis-à-vis de cette ordonnance, sans apporter ni opinion constructive, ni réponse de la part des responsables politiques (ministère de la Justice ou commission susmentionnée). Laisser la parole à un côté sans permettre à la partie critiquée de se justifier ne répond pas aux critères énoncés par Lynch et Mc Goldrick, qui préconisent le dialogue comme source de solutions. Les journalistes auraient pu dès lors poser des questions donnant lieu à un débat constructif, notamment en demandant aux intervenants d'exposer des solutions aux diverses conséquences négatives de cette libération (intégrer les prisonniers dans leur communauté d'origine, favoriser le pardon des victimes qui allaient bientôt se retrouver face à face avec ceux qui avaient attenté à leur vie ou à celle de leurs proches, ...).

Le 13 janvier, une fois encore, les billets portant sur le suivi de cette affaire laissent la parole à de nombreuses critiques :

Bonesha : Le Collectif des associations burundaises des droits de l'homme s'insurge. Il rappelle que crimes de sang et de guerre sont inamnestiables. En appelle à la justice pour qu'elle réclame son indépendance au nom du principe de séparation des pouvoirs. T.A. 1 '38

L 'Eglise anglicane approuve la mesure mais déplore un manque de préparation des esprits des libérés comme de la population qui devra les accueillir, car le pardon du gouvernement n'est pas suffisant pour une réintégration efficiente des ex-détenus. T.A.1'53

RPA :

Les prisonniers récemment libérés demandent à la population de les accueillir comme des citoyens en quête de respectabilité et non comme des tueurs. Demandent aux politiciens de cesser le discours incitant la population à la peur mais plutôt de tenir des propos réconciliateurs. T.A. 0'40

AproDH salue la mesure, mais exprime des inquiétudes quant aux critères utilisés pour définir le prisonnier politique. T.A. 1'45

Isanganiro :

AproDH exprime ses doutes quant au choix des critères utilisés pour qualifier les détenus de prisonniers politiques, puisque de nombreux auteurs de crimes de sang figurent parmi eux. T.A. 1'15

Action des chrétiens pour l'abolition de la torture : parle << d'impunité criante >>. T.A. 1 '23

Le journaliste rappelle la déclaration qu'avait faite Nkurunziza lors de ses voeux à la nation. Extrait du discours.

L'objet de cette étude n'est pas de juger du bien-fondé de cette libération des prisonniers, ou du choix des prisonniers, mais bien de vérifier la diversité des sources et des avis. Or, une fois de plus, les radios donnent l'antenne libre aux protestations de la société civile, sans pour autant demander des comptes à la partie gouvernementale. De même, les journalistes ne mettent pas le Président devant ses responsabilités en lui demandant de s'exprimer sur son soudain revirement d'opinion quant à la relaxation des auteurs de crimes de sang. De plus, la société civile polémique beaucoup sur le choix des détenus libérés. Les médias auraient dès lors dû exposer aux auditeurs une définition communément acceptée d'un << prisonnier politique >>.

Enfin, elles auraient pu tendre le micro aux premiers intéressés de cette mesure : les détenus libérés d'une part, les rescapés de massacres de 1993 d'autre part, ce qui aurait permis de mettre cette libération en relief, en donnant aux auditeurs une idée de l'état d'esprit régnant au sein de ces groupes. Or seule la RPA prend l'initiative de donner la parole à un ex-prisonnier dans le dernier billet de la semaine consacré à ce sujet.

Le 14 janvier, seules les radios Bonesha et Isanganiro couvriront encore la nouvelle, à la suite d'un communiqué de presse du parti MRC-Rurenzangemero, qui propose une solution pour contrer la précipitation dans laquelle le gouvernement a pris l'initiative de libérer provisoirement les 673 prisonniers :

Bonesha : Le parti MRC-Rurenzangemero s'affiche contre la relaxation des prisonniers politiques. Il propose au gouvernement d'organiser un grand débat autour de cette question, afin de ne pas agir dans la précipitation. T.A.0'44 Isanganiro : MRC-Rurenzangemero (mêmes propos que sur Bonesha). T.A. 0'50

Rappelle les idées principales des intervenants de la veille : Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, AproDH, Collectif des associations burundaises des Droits de l'Homme, discours de Nkurunziza.

En conclusion, on remarque que le traitement de cette nouvelle pourtant délicate n'est pas entièrement conforme aux principes journalistiques de base ni à ceux du journalisme proactif. La Radio nationale ne couvre l'évènement que d'un point de vue strictement gouvernemental, sans chercher à recueillir des opinions en faveur ou en défaveur de la mesure. Il s'agit d'un déséquilibre de l'information. De même, la rédaction ne travaille absolument pas en profondeur puisque malgré les remous causés par cette libération, le lendemain, le sujet est déjà oublié pour ses journalistes.

Bone sha et Isanganiro adoptent un comportement plus ou moins similaire : Interview de la Ministre le premier jour, réactions positives (du Frodebu) et négatives le deuxième jour, puis, les

deux jours suivants, une suite d'intervenants contestant la me sure. Elles manquent dès lors aux recommandations suivantes :

· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et les peurs du même côté.

· Équilibrer l'information.

· Eviter de laisser les protagonistes se définir par les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs réclamations. Ici, en laissant les associations de la société civile s 'exprimer sur les peurs de la population - notamment les rescapés des massacres de 1993 - sans récolter directement les avis de la population.

· Donner aux gens ordinaires l'occasion d'exprimer leurs opinions au même titre que les personnalités officielles.

Pour généraliser, ces trois médias ont attendu que l'information « leur tombe dessus », se contentant de diffuser ce que les officiels et la société civile leur fournissaient. Elles auraient dû aller de l'avant, et aller chercher l'information chez d'autres acteurs.

La RPA se démarque puisqu'elle demande des comptes au vice-président de la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques (12/0 1) et qu'elle offre la voix au chapitre à un exdétenu ayant bénéficié de la mesure (13/01). Cependant, pas plus que les trois autres stations, elle n'offre de définition du prisonnier politique, n'explique les modalités du caractère provisoire de cette libération, ni ne la contextualise dans le cadre des accords d'Arusha.

C'est donc une information pluraliste que nous offrent les radios privées, dans la mesure où partisans et opposants de la mesure ont eu voix au chapitre sur antenne. Mais ce pluralisme n'est pas assez poussé pour répondre aux exigences du journalisme de paix, tels qu'énoncés plus haut. Les informations sont un peu superficielles, même si les radios privées ont continué à traiter de l'information durant cinq jours. Voyons maintenant ce qui a été fait du côté des émissions d'actualité/d'analyse, qui sont par nature moins superficielles.

Les émissions d'actualité/d'analyse

Tous les dimanches à 7 heures 30, la deuxième chaîne radio de la RTNB (la chaîne dite internationale), diffuse l'émission Infos+, qui traite d'un sujet à la Une de la semaine achevée. Constituée d'une part d'une revue de presse tant nationale qu'internationale, l'émission consacre d'autre part une vingtaine de minutes à un dossier d'actualité au choix. Le programme du dimanche 15 janvier se penche sur cette libération des prisonniers politiques, peut-être pour compenser la légèreté avec laquelle le service d'information de la RTNB avait suivi le sujet.

L'émission est constituée sous la forme d'un reportage en profondeur sur les positions et les réactions des différentes composantes de la société : elle mêle des extraits d'entretiens avec la ministre de la Justice - qui défend le bien-fondé de l'ordonnance qu'elle a prise, sa légalité, et son rôle positif pour la réconciliation - avec des interviews de différents acteurs de la société civile. Les représentants de la Ligue des droits de l'homme Iteka et de l'Association pour la restructuration d'un état de droit au Burundi expliquent leurs peurs, parlent d'impunité flagrante et donnent leur définition du prisonnier politique, qui exclut les auteurs de massacres. Il s'agit d'un montage d'interviews, et les extraits sont montés de façon à se répondre les uns aux autres. Dès lors l'interview de la Ministre semble répondre à celle du président de la Ligue Iteka, sans pour autant qu'il n'y ait de réel débat. Lorsque le journaliste demande à ce dernier ce qui devrait être fait, << puisque après tout, il faut bien avancer >>, celui-là conseille de << passer pas la justice d'abord, le pardon après >>, tandis que son collègue affirme que la solution réside dans la suppression de la mesure, afin de réhabiliter la justice.

Enfin, le présentateur clôture l'émission en regrettant que le parti Frodebu ait manqué l'interview promise, et s'attriste de l'attitude des responsables de la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques, qui selon lui fuient les médias.

Tribune Bonesha, l'émission de débat sur l'actualité burundaise, est diffusée en direct chaque dimanche à 10 heures sur les ondes de Bonesha. Le 15 janvier, Alice Hakizimana, la journaliste en charge du programme, avait invité un représentant du CENAP (Centre d'alerte et de prévention des conflits), de l'AproDH (Association de promotion des droits de l'homme), ainsi que du Frodebu. Finalement, seuls deux des invités débattront, puisque le porte-parole du Frodebu n'arrivera jamais dans les studios de Bonesha. L'émission est judicieusement construite : un rappel des faits, puis les réactions par rapport à la mesure elle-même et à la définition du prisonnier politique, un débat sur les conséquences de cette libération et enfin les recommandations des invités pour éviter une montée de la violence.

Les débats sont calmes, à vrai dire il n'y a pas vraiment de controverse puisque les deux parties présentes sont à peu près d'accord sur les mêmes points et que l'invité supposé être en discorde avec eux n'arrivera jamais (porte-parole du Frodebu). Dès lors, il s'agit d'une exposition d'idées, de concepts de la justice, de l'Etat de droit, et de la réconciliation, tenant davantage de la discussion philosophique que du débat politique.

L'émission a le mérite de mettre en avant des points de vue non abordés à l'époque dans les journaux parlés, brefs par nature. Les points de vue des invités, les questions précises de la journaliste permettent d'affiner les propos tenus par la société civile tout au long de la semaine écoulée. Désormais, l'auditeur sait que ces deux parties ne sont pas contre une libération des prisonniers politiques dans l'absolu, mais qu'ils préconisent une batterie de mesures menées

conjointement, afin de rendre crédible une réconciliation sans passer par l'impunité. Les adversités sont aplanies, et la médiatrice conclut en disant que « les pouvoirs publics ont désormais compris que la société civile est présente pour l 'aider dans cette lourde tâche ».

À visage découvert, l'émission du dimanche matin de la RPA, comptait comme invités le vice-président de la commission chargée d'identifier les prisonniers politiques, le directeur du CENAP ainsi que le secrétaire général de l'AproDH. Un débat somme toute assez similaire à celui de Tribune Bonesha (mêmes associations invitées). Le thème du débat : la libération des prisonniers dits politiques va-t-elle réellement renforcer le processus de paix ? Le journaliste met le représentant de la commission devant ses responsabilités, dans la mesure où les questions posées sont axées sur le futur et les éventuelles répercussions de cette mesure sur la réconciliation nationale.

Même principe pour Mosaïque, l'émission de débat politique d'Isanganiro. Le samedi 14 janvier, ils sont quatre invités à avoir répondu présent à l'appel de Franck Kaze, le journaliste en charge du magazine d'actualité : Clotilde Niragira, ministre de la Justice, le porte-parole de l'association AC Génocide, le président de la ligue Iteka, ainsi que le porte-parole du parti Frodebu. Le débat durera 60 minutes, mené par le journaliste qui répartit équitablement les tours de parole. Les invités s'emportent de temps à autres, mais sans faire preuve d'une réelle confrontation. Tout d'abord, il est demandé à la Ministre de préciser les critères établis afin de définir les prisonniers politiques. Les trois autres parties réagiront par la suite à cette définition, mettant en évidence les lacunes et donnant leur point de vue sur la question. Cela permet à Mme Niragira de répondre à ces critiques, mais ses réponses sont soit peu convaincantes, soit les représentants de la société civile se montrent trop pointilleux. En effet, le débat semble s'éterniser sans aboutir à un accord de principe. Le journaliste engage alors un nouveau thème, celui du caractère provisoire de la libération. Ensuite, il engage le débat sur la pertinence d'avoir libéré des auteurs de crimes de sang. Toutes ces questions découlent en réalité du manque de transparence de la commission chargée de définir les prisonniers politiques. Le porte-parole du Frodebu n'est guère loquace, et la Ministre elle se retranche sans cesse derrière les deux mêmes principes : l'idée de libérer les prisonniers n'est pas la sienne, mais celle issue des accords d'Arusha ; le choix des prisonniers n'est pas le sien mais celui de la commission. En deuxième partie, l'émission aborde les conséquences futures et concrètes de cette libération : premièrement, savoir si les combattants du FNL pourraient être considérés comme des prisonniers politiques et donc relaxés ; deuxièmement, voir les mesures qui sont faites pour protéger les libérés et leurs anciennes victimes. Enfin, le débat se termine sur un tour de table afin que chacun fasse part de ses recommandations pour éviter frictions et frustrations.

Analyse de contenu

A vrai dire, aucune des émissions proposées par les différentes radios n'obéit entièrement aux principes du journalisme de paix : les animateurs de débats se contentent de poser les questions - certes judicieuses - sans toutefois donner aux gens ordinaires l'occasion de s'exprimer sur la question, sans proposer eux-mêmes de solutions alternatives au problème rencontré. Toutefois, dans un cas comme celui de la libération des prisonniers politiques, la seule solution à apporter consiste à faire connaître les peurs et les revendications de chacun à la Ministre en charge du dossier, en espérant qu'elle les prendra en considération pour ses futures décisions. En cela, les journalistes de Bonesha et d'Isanganiro ont le mérite d'avoir creusé le sujet, permettant dès lors aux auditeurs de relativiser les divers sentiments qui avaient pu surgir lors de l'annonce de la libération des prisonniers politiques.

Les quatre stations ont le mérite de montrer la face invisible de cette mesure : elles analysent et mettent en perspective les risques, à long terme, de dommages psychologiques sur la population, et intègrent cette libération dans le processus plus complexe de réconciliation nationale. De plus, les deux rédactions n'oublient pas de clôturer l'émission par une note positive, demandant à chacun des invités de donner leurs recommandations pour une issue positive. L'émission de la RTNB, elle, reste assez superficielle, se contentant de coller des morceaux d'interviews, et n'atteint pas le degré de finesse d'un débat où les intervenants auraient l'occasion de rebondir sur les propos les uns des autres. Pour les intervenants choisis dans l'émission, le format de la table ronde se serait révélé beaucoup plus riche. Il en aurait été autrement s'il s'était agi d'interviews de personnes difficilement disponibles pour se rendre en studio (paysan, réfugié, détenu bénéficiaire de la mesure,...). Malheureusement, aucune des radios n'a tendu le micro à cette frange de la population dans ces émissions.

Enfin, dernière constatation, aucune des trois radios n'explique clairement l'historique de cette mesure, se contentant dès lors de limiter l'actualité à l'espace-temps des polémiques, alors que la source même du problème remonte à 1993, puisque les prisonniers libérés ont pour la plupart été mêlés aux tueries de cette époque. Il aurait dès lors fallu brosser un rapide tableau, en deux minutes, du pourquoi de cette idée née à Arusha de libérer les prisonniers politiques, afin de permettre à toute la population de comprendre l'objet du débat.

Nous sommes dès lors assez éloignés d'un exemple scolaire du traitement proactif de l'actualité. Pourtant, une enquête menée par Research Solutions Ltd pour le compte de Search For Common Ground (février 2005) sur l'attitude des professionnels de la radio en Afrique

subsaharienne révélait une forte conscience des principes de construction de la paix dans des émissions d'information et d'actualité1 :

87%

90%

80%

69%

71% 70%

73%

74%

77% 78%

83%

73%

69%

75%

63%

65%

donner aux "gens ordinaires" l'occasion d'exprimer leurs opinions
au même titre que les hommes politiques et les personnalités
off icielles

mettre en évidence les intérêts et les buts partagés qui peuvent
révéler un terrain d'entente entre factions opposées

trouver des personnes affectées qui sont opposées à la violence
et inclure leurs opinions

distinguer vos propres opinions des faits

citer le nom de celui qui donne son opinion af in de souligner que
c'est une opinion et non un fait

appeler les gens par le nom qu'ils s'attribuent au lieu d'utiliser des
mots comme "terroriste", "extrémiste", ou "fanatique"

confronter les leaders à des solutions alternatives et faire écho de
leurs réactions

Utilisation précise et prudente d'un vocabulaire fort, de mots
comme "assassinat", "massacre" ou "génocide"

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100

%

Programmes d'information

Programmes d'actualités / analyse

Etre d'accord avec des affirmations lues sur un questionnaire est une chose. Penser intuitivement à les appliquer en est une autre. Les journalistes burundais, dans l'absolu, ne connaissent pas les règles du journalisme proactif. Ou du moins, pas en théorie. La plupart d'entre eux n'ont jamais entendu parler de John Galtung ou de Jake Lynch. Pourtant en pratique, ils

1 Source : Research Solutions Ltd, Rapport d'enquête : synthèse, Enquête de base sur l'attitude des professionnels de la radio en Afrique subsaharienne, conçu pour SFCG, Nairobi, févier 2005, version révisée.

appliquent déjà ces principes, bien que de façon non systématique. Tous ont compris l'impact positif qu'ils peuvent avoir sur le processus de réconciliation nationale : la totalité des journalistes burundais interrogés s'accordent pour dire qu 'en tant que journalistes, ils ont la sensation d'avoir joué un rôle important dans le processus de retour à la paix et à la réconciliation. Pour ce faire, ils s'évertuent à poser les bonnes questions aux bonnes personnes et au bon moment, afin de toujours rendre les décideurs responsables de leurs actes face à la population, de faire connaître les desideratas du peuple, de servir de forum à la société civile,...

Cependant, ils ne réalisent pas toutes ces tâches simultanément. En témoigne l'exemple du traitement médiatique de la libération des prisonniers politiques : les journalistes laissent le champ libre aux critiques et organisent des émissions visant à approfondir le sujet, puisque les journaux parlés sont par nature assez superficiels. Les journalistes burundais sont proactifs à leur façon, sans pour autant répondre à toutes les exigences des théoriciens du journalisme de paix. En effet, l'analyse faite démontre qu'il manque certains éléments pour correspondre à l'attitude proactive recommandée par Lynch et Mc Goldrick, par exemple. Cependant, si tous les impératifs du journalisme de paix ne sont pas pris en compte dans chaque émission séparément, il faut savoir que d'autres magazines sont venus compléter les manquements des émissions analysées ci-dessus, notamment en laissant davantage la parole aux petites gens.

C'est en cela que les radios locales divergent des studios de productions rompus aux méthodes du proactivisme : elles ne visent pas toujours l'équilibre au sein de chaque émission. Si ce sont des officiels qui expriment leur avis dans un magazine, alors les gens ordinaires auront la parole la semaine suivante, au travers d'appels téléphonique par exemple.

2.2.2. Une autre forme de proactivisme

Enfin, les initiatives médiatiques pour promouvoir la paix et la réconciliation peuvent prendre des formes variées. Citons notamment le projet remarqué de la synergie des médias, qui a valu aux radios burundaises les félicitations de tout un chacun1. Il s'agit d'une initiative originale, dans laquelle les médias ont travaillé main dans la main afin de jouer un rôle de contrôle de la qualité de leur production.

Le projet est lancé en février 2005. A l'époque, les premières élections démocratiques depuis celles de 1993 vont se dérouler. Aura d'abord lieu un scrutin référendaire sur la constitution le 28 février, qui sera suivi de cinq différents votes étalés entre le mois de mai et le mois d'août. Les risques sont grands que les esprits ne se réchauffent, à l'image de ce qui s'était déroulé 12 ans

1 La synergie a notamment reçu un Certificat de Mérite ainsi qu'une dotation en argent de la part du président Nkurunziza lors de la Fête du travail du 1 er mai 2006.

plus tôt. Les journalistes sont conscients qu'une couverture optimale des élections s'avère nécessaire pour que la population reste sereine. Pourtant, ils savent qu'ils seront réduits à une couverture des élections limitée à la capitale et ses proches alentours, car les radios burundaises sont pauvres, et disposent de peu de personnel et de véhicules pour se déplacer à l'intérieur du pays. A l'initiative de Lena Slachmuijlder, alors directrice du Studio Ijambo, toutes les radios s'unissent dans ce qu'elles appelleront la « synergie des médias », afin d'offrir une couverture maximale des élections communales, sénatoriales, législatives, présidentielles et enfin collinaires.

Le concept, simple, gagne la confiance des auditeurs, tout en permettant une couverture optimale des informations électorales. Aucune des radios ne compte suffisamment de journalistes ? Qu'à cela ne tienne : elles joignent leur personnel et leur matériel et, grâce à cette nouvelle équipe de 140 journalistes, elles créent un bulletin d'information commun à toutes les stations, n'hésitant pas à dénoncer les abus, les fraudes électorales ou les difficultés rencontrées par les électeurs. Un exemple : ils étaient 3000 ex-combattants à vouloir voter dans le camp de cantonnement de Buramata, mais il n'y avait pas de centre de vote. Un mot de la situation lors du bulletin d'information, et le président de la CENI ordonnait que deux bureaux de vote y soient immédiatement installés.

L'initiative, saluée unanimement par les observateurs locaux ou internationaux, a permis de faire rapport du déroulement du scrutin jusque dans les villages les plus reculés du Burundi, offrant alors au peuple burundais la certitude d'élections libres et régulières.

3. Réflexions sur l'opérationnalité concrète du journalisme de paix

Au fil de cette étude, nous avons abordé les différents types de productions qui composaient, au Burundi, le journalisme de paix : les programmes de fiction, les programmes à vocation réconciliatrice et enfin le traitement des informations d'actualité au travers des journaux parlés et des émissions d'analyse de l'actualité. Tirer des conclusions quant à l'opérationnalité concrète de ces différents concepts n'est pas chose aisée : les styles se mélangent, les situations, les acteurs et les époques également. Les niveaux de conscience ou d'application des théories du journalisme de paix varient aussi : tandis que pour certains ces principes sont une véritable ligne directrice de travail, d'autres n'ont conscience que de leur responsabilité sociale en tant que journaliste.

Nous tenterons dans ce chapitre de dresser un bilan de la situation pour chaque acteur du journalisme de paix, en soulignant les différents impacts, les éventuelles questions déontologiques ou problèmes de pertinence qu'ils soulèvent.

Rappelons les différentes catégories d'acteurs du journalisme de paix ou proactif :

- Les organismes non médiatiques, tels des ONG, des gouvernements, des organisations de la société civile ou des organisations internationales, qui n'utilisent les médias que de façon sporadique.

- Les studios de productions nés dans le but de promouvoir la résolution des conflits au travers de l'utilisation des médias.

- Les radios locales.

Un objectif commun

Quel était l'objectif poursuivi par ces acteurs au Burundi? Tout comme le disait Alice Hakizimana (voir p. 65), secrétaire de rédaction de Radio Bonesha, les objectifs ont évolué en fonction de l'actualité : recherche de la paix avant les accords d'Arusha ; cohabitation pacifique après la signature des accords de paix et, aujourd'hui, réconciliation nationale. Ces trois buts en cachent en réalité un seul : améliorer la représentation qu'a l'auditeur de l'Autre. Entendons par l'Autre, toute personne n'appartenant pas à un même groupe social, politique, ethnique, géographique ou communautaire. Dans une situation de tension ou de conflit, une étape incontournable est celle qui consiste à améliorer la représentation que les parties ont l'une de l'autre, afin que puisse naître le dialogue et que s'aplanissent les différends.

Des approches différentes

Après l'analyse du cas du Burundi, un constat s'impose que nous pouvons transposer à l'extérieur du cas d'étude pour en tirer une règle générale : il s'agit de la différence de philosophie et donc de méthode de travail entre les studios de production, les organismes non médiatiques et les radios.

Au Burundi, les studios de production sont nés de l'idée que le dialogue était un outil idéal pour humaniser l'Autre, et permettre dès lors l'émergence de compromis entre deux parties en conflit, ou de solutions à un problème. La méthodologie se fonde sur le dialogue qui permettra par la suite de s'attaquer aux conflits ou problèmes, quels qu 'ils soient, que rencontre la société.

Les organismes non médiatiques fonctionnent à l'inverse. Il s'agit de professionnels d'un secteur déterminé (Avocats sans frontières, Observatoire de l'action gouvernementale, Association d'accueil des réfugiés, ...) qui ont comme point de départ de leur méthodologie un problème précis (le non-respect des droits de l'homme, les exactions, l'intégration des réfugiés...) et donc un besoin qu'ils vont tenter de combler au moyen du dialogue.

Les radios se basent non sur une philosophie (studios de production) ou sur les besoins supposés de la population (organismes non médiatiques) mais bien sur les attentes de leurs publics, auxquelles elles essaient de répondre. Les possibilités offertes par le direct sont dès lors une particularité précieuse pour ces médias. Grâce au direct, elles arrivent à entretenir un lien étroit avec les auditeurs et à mieux connaître leurs attentes. Celui-ci offre la possibilité d'interagir avec les producteurs d'information, mais aussi avec les autres auditeurs via des appels téléphoniques par exemple. Le dialogue ne naît pas uniquement au sein de la population après réception des informations contenues dans une émission. Il se noue également entre producteurs et récepteurs de l'information, permettant dès lors aux journalistes de prendre en compte les attentes du public et de tenter d'y répondre.

Il serait hasardeux de tenter de mesurer l'impact des différentes émissions proactives que l'on trouve sur les ondes burundaises. Cependant, les réactions des auditeurs et les appels aux rédactions pour que les émissions soient rediffusées tendent à répondre, si non à la question de l'impact, tout au moins à la question de l'audience. Dans l'ensemble, les émissions proactives sont appréciées par la population burundaise, qui les suit avec un grand enthousiasme. On peut dès lors en conclure qu'elles arrivent dans une certaine mesure à leur fin : lancer un coup de projecteur sur un thème spécifique qu'elles considèrent comme un obstacle à l'épanouissement des citoyens ou la cohabitation paisible.

Le Studio Ijambo a joué un rôle central dans la pratique du journalisme de paix au Burundi. Son arrivée en 1995 dans le paysage médiatique burundais, alors totalement dominé par les médias

publics, a fait l'effet d'une bouffée d'air frais. Peut-on néanmoins affirmer que ce sont ses productions, toujours équilibrées et axées vers la résolution pacifique des conflits, qui ont inspiré les radios privées nées par la suite ? Ou qu'elles ont contribué à l'amélioration des programmes des radios publiques ? Les responsables du Studio Ijambo se plaisent à le croire et à le dire, mais rien n'est moins facile à prouver. Certes, le Studio Ijambo a montré qu'un autre type de journalisme était possible, loin des productions formelles et partisanes de la RTNB de l'époque. S'il n'était certainement pas le seul à s'en être rendu compte, c'est bien le seul, à l'époque, à avoir bénéficié des financements nécessaires pour s'implanter au Burundi.

Une enquête datant de 2001 indique que 57% des Burundais estimaient que le studio contribuait très fort au retour à la paix ; 55,6% pensaient qu'il promouvait fortement le dialogue ; et 5 1,9% trouvaient que les émissions du Studio Ijambo aidaient très souvent à promouvoir la réconciliation. Dès lors, si l'on ne pourra jamais prouver ou nier qu'il ait été la source d'inspiration des autres radios, l'on peut tout de même affirmer avec beaucoup de certitude qu'à cette époque, le Studio Ijambo répondait aux objectifs qu'il s'était fixés : promouvoir le dialogue grâce à une représentation humanisée de l'Autre.

Les studios de productions ont su s'imposer dans les médias locaux en raison de leur professionnalisme. Ils prennent le temps de réaliser des enquêtes sur des sujets d'une grande complexité, ne font pas de « direct » et ne doivent donc pas traiter d'actualité chaude. Pour un même magazine, les équipes de journalistes sont plus nombreuses et ont plus de temps à consacrer que les journalistes des radios locales. C'est pourquoi leurs productions sont bien souvent meilleures et qu'elles n'ont aucune difficulté à trouver des stations partenaires pour être diffusées. Cette qualité technique qui caractérise les studios de production est également l'un des arguments qui justifie leur présence sur le terrain. Contrairement aux médias locaux qui par essence ne peuvent être parfaits, les studios de productions proactifs aspirent à s'imposer comme modèle pour les médias locaux. Faire des émissions techniquement irréprochables est également un but en soi.

Des relations financières déterminantes

Dans les relations entre les trois acteurs présents on pourrait croire que l'intérêt fondamental est le partage d'une vision commune sur les contenus. Mais les flux financiers jouent un rôle essentiel dans ces relations en cela que faire du journalisme de paix est parfois l'unique moyen d'obtenir des fonds pour que survive la radio.

Lors de l'émergence des nouvelles radios, les sommes astronomiques données par le Studio Ijambo contre diffusion de ses programmes ont joué un rôle essentiel pour la survie financière de ces nouvelles stations. Cependant, au fil des ans, ces dernières ont fini par développer une

dépendance aux émissions fournies par les studios de production. Dans le cas d'une collaboration entre un studio de production et un média, la dépendance est à double sens. Par contre, lorsqu'un organisme parraine une émission, seule la radio est dépendante de ce partenariat.

Il ne s'agit pas ici de critiquer le bien-fondé des émissions initiées par des organismes tiers - leurs buts sont généralement louables et leurs émissions utiles - mais de mettre en exergue la relation financière qui lie les bailleurs et les radios locales au-delà de la philosophie.

Les radios burundaises et les médias locaux dans leur ensemble sont pauvres, très pauvres même : ils s'adonnent à une gymnastique financière et jonglent entre les bailleurs pour arriver à payer leurs factures et leurs employés. Quant à leurs taxes, certains médias ne les paient plus depuis des années déjà. Pour un grand nombre d'entre eux, l'unique façon d'obtenir des rentrées financières est de conclure des partenariats avec des associations locales ou internationales. Et très peu de ces bailleurs offrent des subsides sans contrepartie plus ou moins contraignante. L'échange se fonde généralement sur le suivi d'une certaine ligne éditoriale ou de certains thèmes d'actualité ou de société. Sans ces partenariats et/ou mécénats, les radios burundaises seraient contraintes de mettre la clé sous la porte plus ou moins rapidement.

La recherche de la paix, la réconciliation nationale, la cohabitation pacifique, ... peu importe le nom que l'on met sur l'idée, le thème attire immanquablement les bailleurs de fond. Et lorsque l'un d'eux finance une émission, il fournit généralement assez d'argent ou de moyens pour que d'autres journalistes en profitent également1. C'est en cela qu'ils sont indispensables aux radios locales. Dès lors, il importe de s'interroger sur le degré d'implication de la radio dans la définition des contenus des émissions qu'elle diffuse. L'émission ou la ligne éditoriale a-t-elle été imposée par un bailleur, ou au contraire le bailleur a-t-il été attiré par une émission ou une ligne éditoriale déjà existante ?

Le journalisme de paix rencontre un grand succès auprès des organismes étrangers, nationaux ou internationaux. Ces derniers ont en effet compris l'influence de la radio sur toutes les couches de la population. L'exemple de Radio Burundi et de sa trentaine de partenaires est le plus frappant, preuve du succès de la pratique de concession d'antenne2.

1 Si le partenariat se fait sur base d'un échange financier, la somme est généralement telle qu'elle permet non seulement de payer l'essence pour les descentes, mais aussi de payer le salaire de cinq ou six employés. Si le bailleur ne paie que les frais de réalisation, d'autres journalistes peuvent aussi en profiter (d'autres journalistes peuvent par exemple accompagner une descente sur le terrain pour laquelle la voiture et l'essence sont payées par le bailleur).

2 Tous ces partenaires ne travaillent pas pour la promotion de la paix. Ils visent parfois des thèmes connexes comme le SIDA ou l'environnement. Mais c'est parmi ces partenaires que l'on retrouve ceux qui mettent en oeuvre les « programmes à vocation réconciliatrice ».

Un rapport différent au public et à ses attentes

Les radios qui font l'objet de cette étude se sont positionnées en faveur de la réconciliation dès leur apparition et réalisent en règle générale un assez bon travail journalistique. Pour qu'une radio ait un sens, elle doit pouvoir imposer sa propre ligne éditoriale, choisir l'information qui réponde aux attentes de son public. Or, la dépendance financière des radios amenuise leurs possibilités de choisir librement leurs orientations. Certes, les bailleurs ont tous des objectifs louables, mais répondent-ils réellement aux besoins prioritaires de la population ou plutôt à l'image qu'ils se font des besoins prioritaires des publics? Si elles avaient les moyens de refuser l'aide des bailleurs, les radios auraient-elles choisi d'approfondir les mêmes thèmes ?

Augustin Kabayaya, président de l'association burundaise des journalistes (ABJ), aspire à une prise de conscience des producteurs médiatiques burundais : << Les médias doivent s 'interroger sur les questions qui constituent la vraie réalité et priorité de leurs publics. D 'accord pour le dialogue et la réconciliation, mais les médias doivent rester libres de choisir les domaines qu 'ils considèrent utiles pour leurs publics >>. Et d'aj outer qu'aujourd'hui, << les médias semblent suivre les financements, au lieu de les attirer >>.1

Tel est-il réellement le cas ? C'est possible, mais alors bien malgré eux. Bonesha est apparue au début de la crise dans une optique de réconciliation, de retour à la paix. La RPA est née de l'esprit rebelle de quelques personnes qui voulaient révolutionner la façon de faire du journalisme au Burundi. Isanganiro a tout d'abord servi de tribune aux émissions du Studio Ijambo qui se sentait à l'étroit avec les autres radios partenaires. Sa devise (le dialogue vaut mieux que la force) correspond aux idées des journalistes qui y travaillent. Quant à la radio nationale, elle n'a d'autres aspirations que de devenir un jour ou l'autre un véritable service public d'information, et elle s'y efforce.

Dans la relation bailleur-radio, les deux parties y trouvent leur compte : d'une part, l'organisme payeur trouve la tribune à laquelle il aspirait. D'autre part, la radio reçoit des fonds qui lui permettent de financer deux ou trois émissions supplémentaires. C'est donc un échange gagnant-gagnant, mais dans lequel le média local est le plus susceptible de se transformer en perdant... si le bailleur se retire ou si la radio se retrouve dans une situation financière telle qu'elle ne peut refuser un partenariat qu'elle juge pourtant inutile ou inadapté par rapport à son public ou à sa ligne éditoriale.

1 Entretien du 07 février 2006.

ONG, organisations internationales et de la société civile ont peu à peu envahi l'espace journalistique burundais. Elles sont devenues actrices de l'information parce que cette méthode s'avérait la plus efficace pour remplir leurs objectifs : mettre en lumière un certain aspect de l'actualité ou résoudre les problèmes de société au travers du dialogue.

La place de la conscience professionnelle

Nous avons vu au cours de l'étude que la plupart des journalistes des radios privées, bien que ne connaissant pas les règles du journalisme de paix, les appliquent dans l'ensemble. Tous ont conscience du rôle qu'ils pouvaient jouer dans le processus de résolution du conflit, de cohabitation pacifique puis de réconciliation nationale. D'emblée, ils ont voulu s'imposer comme les piliers d'un mouvement démocratique et réconciliateur. Je dis piliers car en faisant preuve de rigueur et de discipline, ils ont permis aux radios dans lesquelles ils travaillaient de s'imposer dans le coeur des Burundais. Ils ont su se positionner en acteurs clé de la société civile, jouant avec celle-ci le rôle de contre-pouvoir. Ils ont pris le parti de donner la parole à tous, du chef de parti au paysan, et ont offert la possibilité au peuple non seulement de faire connaître ses besoins ou ses opinions, mais aussi d'avoir une place de choix pour diffuser ses idées constructives, créant ainsi une tribune pour que surgisse une conscience citoyenne burundaise. Les radios ont réussi à se transformer en un outil à double sens : du haut vers le bas mais aussi du bas vers le haut, ce qui marque leur spécificité par rapport aux studios et aux organismes non médiatiques. Elles ont retrouvé là le sens initial de leur fonction : médiatrice.

Certes, ce ne sont pas les radios qui ont mis fin au conflit burundais. Certes, elles commettent de temps à autres des dérapages - aussitôt relevés par le CNC -. Certes, les radios attendent parfois un peu trop que l'information leur tombe dessus au lieu d'aller à sa recherche. Cependant, leur rôle a été primordial dans l'éveil de la nation, dans sa prise de conscience de l'absurdité du conflit. Etre journaliste au Burundi est une fierté. À raison.

Dans ce petit pays enclavé au coeur de l'Afrique centrale, tous les médias privés disent appartenir à la veine du journalisme de paix. A première vue, le principe même du journalisme de paix semble dilué dans la masse médiatique burundaise : à partir du moment où tout le monde le pratique, existe-t-il encore ? se demande-t-on. Mais après approfondissement, on se rend compte qu'il s'agit de la réalité, tout au moins pour les trois stations privées étudiées dans le présent travail (RPA, Isanganiro et Bonesha). Comme le disait Dieudonné Jujute (voir p. 62), après douze ans de crise, tout est humanitaire, et tout tend à oeuvrer pour la paix, puisque sans paix, aucun développement ou épanouissement personnel n'est possible.

84% des journalistes burundais affirmaient être tout à fait en désaccord avec l'affirmation suivante : << J'estime que les médias dont la ligne éditoriale est uniquement la promotion de la paix et de la réconciliation nationale n 'ont plus de raison d'être : soit ils doivent changer de ligne éditoriale, soit ils doivent disparaître >>1. Cependant, convient-il toujours de parler de journalisme de paix aujourd'hui ? En quelques sortes, cette question reste d'actualité. D'une part parce que cette pratique ne s'applique pas qu'en temps de crise - le conflit a touj ours existé et continuera toujours à exister de par le simple fait d'être des humains mus par des envies et des besoins différents, apparais sent des divergences d'intérêts -, d'autre part parce que la guerre au Burundi n'est pas terminée. Il est fort dangereux en effet de conclure que la signature d'accords de paix signifie un retour effectif à la paix. Celui-ci se prépare dans les coeurs, puis se cultive. Et pour cela, les médias burundais ont encore un grand rôle à jouer. Et ils s'y appliquent.

Mais est-ce réellement le journalisme de paix que les professionnels des médias se doivent d'appliquer ? Pour répondre aux besoins de la population burundaise, se pose peut-être davantage la question de la responsabilité sociale du journalisme, qui doit être exacerbée. Avec un défi : tendre vers l'idéal d'un journalisme professionnel conjugué à un haut sens de responsabilité.

Le souci de la pérennité

Les bailleurs de fonds semblent vouloir changer petit à petit de priorité. La promotion de la paix leur semble dépassée, et c'est désormais les questions du développement économique, de l'environnement, de la bonne gouvernance ou de la promotion de la femme qui priment à leurs yeux. Dès lors, alors que ce sont les organismes extérieurs aux médias qui ont lancé les pratiques du journalisme de paix, celui-ci ne sera bientôt plus pratiqué au Burundi que par les médias locaux et dans une moindre mesure étant donné leur précarité. Les projets des ONG comme les studios sont forcément des projets temporaires et n'ont donc pas les soucis qu'ont les radios de s'inscrire dans la durée et de devenir des projets pérennes.

Au moment d'écrire ces lignes, le Studio Ijambo a fortement réduit son personnel ainsi que ses productions, faute de financement. En février 2006, 86 % des journalistes du studio étaient d'accord avec l'affirmation selon laquelle << avec la fin de la guerre et de la période de transition, les bailleurs de fond qui financent mon média risquent de se retirer progressivement >>. L'avenir leur a donné raison... De même que le Studio Ijambo, les autres associations ou ONG qui oeuvraient pour mettre le journalisme au service de la paix vont commencer à se retirer. En viendront d'autres, avec leurs propres objectifs. Peut-être financeront-elles les radios, peut-être

1Enquête réalisée par l'auteur en janvier - février 2006 auprès de 72 journalistes burundais. Voir annexe page 160.

pas. S'il est clair qu'il existera toujours des émissions concédées, les ONG dont le but est de financer et promouvoir une certaine démarche professionnelle journalistique finiront elles par disparaître de l'espace médiatique burundais.

Adrien Sindayigaya, directeur du Studio Ijambo, expliquait que les moyens ne sont pas tellement importants pour parvenir à faire du journalisme de paix car c'est avant tout l'approche du sujet d'actualité qui prime : une radio qui en a les moyens peut envoyer un reporter à l'autre bout du pays, et peut-être que celui-ci ne tendra son micro qu'à la même personne pendant une heure avant de rentrer. Au contraire, un autre journaliste issu d'un média plus pauvre pourra adopter une démarche pluraliste même s'il n'a pas les moyens d'effectuer une descente sur le terrain. << Il ne faut pas se cacher derrière la question du financement >>, disait-il. << On peut faire peu d 'émissions, mais de bonne qualité >>.1

Pourtant, d'autres voix s'élèvent contre ces arguments. Selon celles-ci, un média désargenté n'a pas la capacité d'appliquer des principes déontologiques inventés par des théoriciens du premier monde dans la même mesure qu'un média << riche >>. Même si elle n'est pas la seule, l'une des clés principales pour assurer la souveraineté et la pérennité des radios qui pratiquent le journalisme de paix au Burundi réside bel et bien dans le financement. Et aussi dans les compétences.

Prenons l'exemple du studio de l'Onub pour illustrer le problème des razzias de journalistes. Lorsque le studio a été mis sur pied, les meilleurs employés des radios locales ont quitté leur travail pour endosser la casquette onusienne. Cette attitude, tout à fait compréhensible lorsque l'on sait la différence entre un salaire << Onu >> et << local >>, a cependant eu pour conséquence de vider les radios locales de leurs meilleurs journalistes, ce qui a produit une baisse générale du niveau des productions. De même, se pose la question de la réintégration de ces journalistes et techniciens une fois que la mission de l'Onub terminée. Leurs anciens employeurs les réengageront-ils ? Les meilleurs d'entre eux ou les ex-animateurs vedettes n'auront certainement pas de mal à retrouver du travail. Mais sera-t-il prêt à réintégrer une radio locale et un salaire jusqu'à dix fois moins gros ? Les journalistes engagés à l'Onub ont été sélectionnés en fonction de leur compétence. On y retrouve donc les meilleurs plumes ou voix du Burundi. Ces éléments brillants risquent d'abandonner la filière journalistique au profit d'autres postes mieux rémunérés lorsque l'Onub s'en sera allée, dévalorisant dès lors le secteur médiatique en matière de compétences.

1 Entretien du 06 février 2006.

Aujourd'hui, pour arriver à une survie financière, les journalistes s'accordent sur deux points prioritaires1 : tout d'abord, ils réclament la mise sur pieds du fonds de promotion des médias prévu par la loi du 27 novembre 2004. Celui-ci permettrait aux médias radiophoniques, télévisuels et écrits de se partager une enveloppe budgétaire de l'Etat. Par ailleurs, les médias devraient - davantage encore - mettre en commun leurs efforts afin de dégager une politique commune de financement. Les radios ont d'ailleurs déjà emprunté cette voie pour attirer les bailleurs : en effet, depuis quelques mois, les synergies entre radios se multiplient et plusieurs organismes ont choisi de mettre leur financement entre les mains de l'Association burundaise des radiodiffuseurs plutôt que de financer l'une ou l'autre radio, afin que les projets soient menés en commun.

Quelle qu'elle soit, la solution ne pourra émerger que des radios unies, comme le disait Alexis Sinduhije, directeur de la RPA, lors d'une table ronde sur les radios burundaises : << Les radios privées aujourd'hui sont encore dans une situation très difficile. Elles dépendent exclusivement des bailleurs de fonds extérieurs, et le comportement des bailleurs évolue avec la mode. Si hier la mode ou le slogan était la réconciliation, aujourd'hui les élections, demain ce sera autre chose. Nous avons 2 choix : si la mode change, il faut nous adapter et suivre la courbe de l 'argent ou disparaître. L 'autre choix, c 'est de nous mettre ensemble et discuter d 'un véritable plan de financement de la presse avant la fermeture des radios faute de moyens >>2.

1 Pour plus d'informations concernant les points perçus comme prioritaires par les journalistes pour une meilleure survie financière des médias burundais, voir la réponse à la question n° 26 de l'enquête, p. 163.

2 SINDUHIJE A. dans << Financement des médias pour la couverture médiatique des élections >> in : << Rapport de la table ronde du 28 mars 2005 sur les radios burundaises, vecteurs de sortie de crise et de démocratisation >>, ABR, p. 6 et 21.

Conclusion

Choisir l'exemple prolifique du Burundi comme cas pratique pour analyser l'opérationnalité concrète du journalisme de paix a permis de mettre en lumière toute la complexité de son application sur le terrain. Les différents types d'acteurs peuvent être nombreux, les types de productions également, les motivations pour mobiliser le concept du journalisme de paix aussi. De même, les attitudes varient selon l'époque et le degré de tension du pays.

L'utilisation des médias dans le but de promouvoir la paix est, somme toute, louable. Ne nous voilons pas la face : aucun journaliste ne peut réaliser cet exploit qui consiste, lorsqu'il entre dans la salle de rédaction, à mettre entièrement de côté toutes ses expériences passées, ses déceptions ou ses espoirs, ses idéaux religieux ou politiques. Le processus de sélection de l'information lui-même résulte en quelque sorte d'une prise de parti. Alors, quitte à prendre parti, autant le faire en faveur d'une paix durable, en promouvant le dialogue ou en offrant aux récepteurs de l'information toutes les clés pour qu'ils comprennent réellement les tenants et aboutissants d'un fait de société.

Quoiqu'il en soit, si le principe est beau, reste à l'utiliser en toute conscience des problèmes qu'il peut engendrer. Lorsqu'un organisme s'implante dans un pays en conflit et utilise les médias comme vecteur de sortie de crise, il est légitime de mettre sur pied des projets à court terme, tels des studios de production ou une politique de concession d'émission. Mais une fois l'urgence passée, il est primordial de penser le plus rapidement possible à convertir la structure mise en place afin qu'elle s'inscrive dans la durée. Au vu de l'exemple du Burundi, une évidence semble s'imposer : c'est avant tout le problème de la pérennisation de la pratique du journalisme de paix qu'il faut garder à l'esprit lorsque l'on implante un média « pour la paix » ou que l'on crée des partenariats dans ce sens avec des médias déjà existants.

Nous conclurons ce travail en suggérant quelques recommandations qui s'imposent une fois passé le plus fort de la crise.

L'exemple de la RDC et de la radio Okapi est frappant : une énorme structure radiophonique est mise sur pied, adoptant d'emblée l'ampleur d'un média national. Pourtant, cette radio risque de disparaître certainement avec le retrait de la Monuc, se faisant l'exemple extrême d'un projet non pérennisé. Qui aura les moyens dans le contexte congolais de financer une radio dont les coûts de fonctionnement annuels s'élèvent à 8 millions de dollars ?

Une première recommandation s'adresse alors à tout adepte du journalisme de paix : que les moyens mis en oeuvre pour répondre à un besoin (nouvelle représentation de l'Autre), n'en créent pas de nouveaux qui seront impossibles à satisfaire une fois le programme abandonné ou terminé. Pour cela, il importe de s'attacher davantage au renforcement des capacités locales qu'à la création de nouvelles structures éphémères. Plutôt que de créer une nouvelle radio, un nouveau studio de production, mieux vaut travailler de pair avec les médias présents et leur offrir les bases nécessaires, au travers d'une formation en journalisme regroupant plusieurs aspects : formation technique (si les productions sont inaudibles, l'audience sera moindre et l'impact également), formation en déontologie et enfin, formation en journalisme de paix. L'une ne va pas sans l'autre car être un bon journaliste est la condition première pour être journaliste de paix. Il est donc nécessaire de renforcer ces trois axes (technique, déontologie et journalisme de paix) de front, plutôt que de privilégier l'unique sensibilisation aux pratiques du journalisme de paix. Car c'est avant tout par la formation que la pérennité sera assurée. Les journalistes, alors mieux à même de travailler indépendamment, n'auront pas à touj ours tendre la main pour obtenir des productions de bonne qualité et sensibles à l'impact sur les récepteurs. Ils seront capables de les créer eux-mêmes. En parlant du Studio Ijambo, Charles Ndayiziga disait : << S'il ferme, je pense que ça pourrait être salutaire pour ses partenaires. Car à force de toujours recevoir des bonnes émissions toutes prêtes à être diffusées, sans rien avoir dépensé pour les produire, on finit par penser que c 'est une ressource permanente. Sa fermeture pousserait les autres rédactions à travailler davantage, à avoir leur propre identité >>1.

De plus, à défaut de s'intégrer dans des structures médiatiques déjà existantes, il est préférable que l'échange entre studios << pour la paix >> et médias locaux ne soit pas uniquement basé sur l'argent, mais également sur un renforcement des capacités des radios elles-mêmes : formations, invitations à des forums sur le journalisme de paix, don d'un local pour les réunions des journalistes spécialisés, ... De même, une attention particulière doit être portée à ne pas déstabiliser le secteur médiatique du pays dans lequel on s'implante en se posant les questions suivantes : la nouvelle structure fait-elle double emploi ? Le fait d'avoir recruté ces journalistes laisse-t-il leurs anciens médias d'origine dans une situation précaire ? La politique salariale de la structure est-elle en adéquation avec celle des autres médias ? Mieux vaut en effet engager des journalistes inexpérimentés et leur apprendre le métier, construisant ce faisant des nouveaux professionnels de demain, plutôt que de dépouiller les médias locaux de leurs meilleurs éléments grâce à une politique salariale inabordable pour ces médias.

1Charles Ndayiziga est directeur du CENAP au Burundi, Centre d'alerte et de prévention des conflits. Entretien du 11 janvier 2006.

Enfin, la dernière recommandation porte sur l'attitude que les médias locaux doivent adopter face aux organes qui leur propo sent des partenariats au nom du journalisme de paix. Bien entendu, leur attitude à l'égard des offres de partenariats différera selon leur situation financière : il est plus difficile de refuser l'aide d'un bailleur lorsque l'on n'a pas payé les salaires de ses employés depuis deux mois. Il n'empêche que, dans la mesure du possible, les médias doivent tendre vers l'idéal d'indépendance. Comme le disait Jean-Paul Marthoz, ex-directeur d'un grand quotidien bruxellois, les journalistes se doivent de créer une autonomie par rapport à tous les organes qui leur sont extérieurs... même les plus sympathiques d'entre eux ! 1 Il ne s'agit pas de rejeter purement et simplement les partenariats avec d'éventuels bailleurs, mais bien de toujours garder une attitude critique envers toute structure qui leur propose spontanément de l'aide ou des productions. Le journaliste a un devoir de remise en question : le thème couvert par ce financement correspond-il réellement aux attentes et aux besoins du public ? Correspond-il à la ligne éditoriale du média ?

Si la représentation erronée ou la non-représentation d'un Autre peut être corrigée au travers des médias, reste aux adeptes du journalisme de paix à le faire sans déstabiliser le paysage médiatique du pays dans lequel ils s'implantent. Quant aux médias locaux, libre à eux d'adopter ou non ces pratiques dans leur propre traitement de l'actualité. En ce qui concerne les partenariats, les structures médiatiques locales se doivent cependant de toujours s'assurer que les objectifs qui les sous-tendent sont conformes à leurs propres idéaux.

1 MARTHOZ J-P, Les ONG à la conquête du territoire journalistique, Conférence du 3 mai 2006 à l'ULB.

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Entretiens

BASTIN Jean-François, responsable de l'asbl Kabondo (partenaire de la RTNB), le 24/01/2006. BIZIMANA Emmanuel, secrétaire permanent du Conseil national de communication, le 23/01/2006. HAKIZIMANA Alice, secrétaire de rédaction chez Bonesha, le 03/02/2006.

KABAYABAYA Augustin, président de l'Association burundaise des journalistes, le 10/01/2006 et le 07/02/2006.

LUSTIG Danièle, directrice de SFCG Burundi, le 11/01/2006.

MANIRAKIZA Innocent, responsable de la programmation chez Bonesha, le 03/02/2006. MANIRAKIZA Mathias, directeur de la radio Isanganiro, le 10/01/2006.

MFURANZIMA Gérard, directeur radio à la RTNB, le 03/02/2006.

NAHIGOMBEYE Jeannine, responsable de la programmation au Studio Ijambo, le 30/01/2006. NDAYIZIGA Charles, directeurs du CENAP, le 12/01/2006.

NDIKUMANA Cyprien, représentant de l'Institut Panos Paris pour le Burundi et le Rwanda, le 09/01/2006.

NDIKUMANA Esdras, correspondant RFI et AFP au Burundi, le 24/01/2006.

NDIKUMASABU Annonciata, secrétaire exécutive de l'Observatoire de l'Action Gouvernementale, le 16/01/2006.

NIBARUTA Corneille, directeur de la Radio Sans Frontière Bonesha, le 13/01/2006. NIYOYITA Aloys, journaliste au Studio Ijambo, le 13/01/2006.

NKESHIMANA Vincent, directeur de la maison de la presse, le 16/01/2006. NKUNZIMANA Déo, directeur de Radio Culture, le 11/01/2006.

NTAMAGARA Jean-Jacques, directeur de CCIB-FM+ et président de l'association burundaise des radio diffuseurs, le 12/01/2006.

NYOZIGIYE Agnès et JUJUTE Dieudonné, respectivement directrice et responsable de programmation du Studio Tubane, le 11/01/2006.

ROLT Francis, ex-directeur du Studio Ijambo, le 22/10/2004. SAGAHUNGU Jacqueline, correspondante VOA, le 30/01/2006.

SIBAZURI Marie-louise, écrivaine burundaise auteur de plusieurs feuilletons radiophoniques, le 10/12/2004.

SIMON Jean-Jacques, directeur de l'ex-unité radio du Public Information Office de l'ONUB, le 17/01/2006.

SINDAYIGAYA Adrien, directeur du Studio Ijambo, le 07/02/2006. SINDUHIJE Alexis, directeur de la RPA, le 16/01/2006.

SLACHMUILDER Lena, directrice du Centre Lokole (SFCG Bukavu) et ex-directrice du Studio Ijambo, le 19/01/2006.

SUR Nicolas, chef d'antenne de Radio Okapi Bukavu, le 20/01/2006.

Eléments audio visuels

· Journaux parlés des radios RPA, Isanganiro, Bonesha et Radio Burundi datés du 10 au 14 janvier 2006, gracieusement fournis par l'OMAC, l'Observatoire des médias d'Afrique centrale.

· Tribune Bonesha du 15 janvier 2006 à 10h00 Journaliste responsable : Alice Hakizimana, pour Radio Bonesha.

· A visage découvert du 15 janvier 2006 à 10h00. Journaliste responsable :Eric Manirakiza, pour la RPA.

· Mosaïque du 14 janvier 2006 à 8h00. Journaliste responsable : Frank Kaze, pour Isanganiro.

· Info + du 15 janvier 2006 à 7h30. Journaliste responsable : Jérémie Manirakiza, pour Radio Burundi.

· Interview vidéo de Shirazuddin Siddiqui, directeur de Afghan Education Programm.
http://www.bbc.co.uk/worldservice/trust/projectsindepth/story/2003/09/030904 aep.shtml

· Emissions du service radio d'IRIN-radio Burundi (sans titre). Sujets : Femmes leaders de Rutana, Jeunes exilés au Kenya, Polygamie à Kayogoro, Les réfugiés en Tanzanie s'expriment sur les élections législatives au Burundi. Journaliste responsable : Laurent-Martin Harimenshi.

· http://real.sri.ch/ramgem/fh/okapi/swissmix.rm, reportage radiophonique de la Radio Suisse Internationale.

· http://www.bbc.co.uk/pressoffice/pressreleases/stories/2003/08 august/03/soap un.shtml Lakhdar Brahimi a fait des apparitions dans trois épisodes de « New Home, New Life », en juillet- août 2003.

· http://www.unesco.org/education/educprog/lwf/doc/portfolio/case3.htm

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984