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Enjeux politiques et sociaux d'un changement spatial

( Télécharger le fichier original )
par Audrey LELONG
Université de Rouen - Master 2001
  

Disponible en mode multipage

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    Université de Rouen

    UFR Psychologie, Sociologie, Sciences de l'éducation

    Département de Sociologie

    Mémoire de Master 1ère année

    La reconquête du centre-ville :

    Enjeux politiques et sociaux d'un changement spatial

    Par Audrey Lelong

    Sous la direction de Nassima Dris

    Septembre 2007

    A mes parents,

    A mes frères...

    REMERCIEMENTS

    Je remercie toutes les personnes sans qui l'élaboration de ce mémoire n'aurait pas été possible.

    Tour d'abord, un grand merci à Nassima Dris pour son soutien, ses conseils précieux et sa disponibilité tout au long de l'année.

    Merci à Jean-Christophe Blondel de m'avoir accueillie pour un stage au service du droit des sols de la mairie de Rouen et de m'avoir fait découvrir un univers exceptionnel.

    Merci à celles et ceux qui m'ont avancé dans mon travail, en particulier pour la relecture finale.

    Ce mémoire traite du rapport à l'espace et des enjeux politiques qui lui sont liés à travers la question de la requalification du centre-ville de Rouen. Je prends pour illustration la construction de l'Espace Monet Cathédrale, qui remplacera le Palais des Congrès fermé depuis 1996. Cet espace se trouve place de la Cathédrale située en plein centre-ville de la rive droite de Rouen.

    Le Palais des Congrès de Rouen se situe à l'ouest de la place de la Cathédrale, au croisement de la rue du Gros Horloge et de la rue des Carmes. Sa particularité est d'être érigé à côté de monuments classés comme la Cathédrale et le Gros Horloge quelques mètres plus loin.

    Ce sujet soulève des questions liées à l'inscription d'un ensemble moderne dans un centre historique. De ce fait, la question du patrimoine est essentielle. Nous nous interrogeons sur la place du centre historique dans l'histoire urbaine et dans les représentations.

    Selon un responsable de l'urbanisme, le plan local d'urbanisme, qui est le document de planification de l' urbanisme communal ou intercommunal et qui a été adopté en septembre 2004 à Rouen a pour objectif de reconquérir le centre-ville en construisant les nouveaux grands projets urbains:

    « Depuis plus de 3 ans, nous essayons de faire disparaître l'actuel bâtiment abandonné de l'ex-Palais des Congrès pour le remplacer par un nouveau projet, l'Espace Claude Monet Cathédrale, susceptible de redonner vie et qualité à cet endroit majeur de la ville »1(*). Le nouveau projet apparaît donc comme un atout pour la ville.

    Le projet Monet Cathédrale est composé de trois corps de bâtiments, articulés autour d'une cour ouverte, donnant sur la façade Romé restaurée et en correspondance avec les rues adjacentes (rues des Carmes et St Romain). Le rez-de-chaussée sera en retrait pour prolonger les arcades existantes avec des piliers revêtus de pierre. Le parvis sud aura une structure en béton devant laquelle sera posée une façade en plaques de verre clair et transparent.

    Au-dessus du bâtiment, il y aura un plan incliné formant la toiture qui fera 14,70 mètres de hauteur au minimum et 22 mètres au maximum, qui est la hauteur maximale autorisée par le PLU, contrairement à la toiture du Palais des Congrès qui fait 19,10 mètres.

    Le bâtiment comprendra des locaux commerciaux (dont un espace bar et restauration) au rez-de-chaussée et à l'étage, une salle de conventions pour congressistes (jauge de 250 à 300), et enfin des logements de hauts standing dans les étages supérieurs.

    Même s'il y a eu au préalable une réunion organisée par la municipalité sur le projet, il apparaît surtout comme une volonté politique de marquage de l'espace.

    Quelle est la place des habitants dans ce processus ? Ont-ils été consultés ? Dans quels objectifs? Les habitants peuvent-ils s'approprier le nouveau projet ? Une des formes de l'appropriation de ce projet par les habitants pourrait éventuellement correspondre aux débats entre les professionnels depuis mars 2005, période à laquelle le Ministère de la culture a décidé que ce « dossier sensible » sera traité par la commission supérieure des monuments historiques. La sensibilité du dossier est due à la nature du projet, c'est-à-dire une forme architecturale moderne dans le centre historique, qui a suscité de nombreuses réactions de la part des habitants.

    La commission supérieure des monuments historiques a étudié la proposition du maître d'oeuvre dessinée par Jean-Paul Viguier en juin 2005 et a rendu un avis négatif, qui est consultatif car seul le ministre décide.

    Après cet avis négatif sur le projet, l'architecte propose un nouveau projet en tenant compte des remarques de la commission.

    De décembre 2005 à avril 2006, des avis complémentaires sont demandés par le Ministre à partir du projet modifié afin d'éclairer sa décision. Les avis portent tantôt sur la démolition du Palais des Congrès, tantôt sur la construction du projet Monet Cathédrale, ce qui a créé de l'incompréhension chez la plupart des Rouennais au moment de la publication de ces avis. La municipalité a recensé parmi les personnes favorables au projet, seulement ceux qui s'étaient prononcés favorablement pour la destruction du Palais des Congrès.

    L'avis des experts n'a alors pas été pris totalement en compte et en avril 2006, le Ministre rend un avis favorable au projet amendé en reprenant certaines recommandations des experts.

    Ce projet suscite des avis soit positifs soit négatifs selon les personnalités politiques. À cette échéance des élections municipales, on peut émettre l'hypothèse d'une éventuelle stratégie politique.

    La stratégie politique n'est-elle pas l'enjeu majeur de cette querelle car chaque camp politique a une position différente? Y a-il vraiment une volonté de protection des abords de la cathédrale, et donc du patrimoine de la part des politiques ? Si les personnalités politiques voient, au travers de ce projet un moyen de conquête spatiale pour affirmer un rapport de pouvoir, la question de la protection des sites historiques n'est peut-être pas aussi essentielle qu'on voudrait le faire croire.

    Ce qui pose problème est, selon les experts, d'une part la localisation du projet, c'est-à-dire proche de la Cathédrale et d'autre part, une hauteur maximale que le bâtiment atteindra pour que cet espace soit le plus rentable possible pour les promoteurs.

    Il est essentiel de prendre en compte que ce bâtiment n'est pas une propriété de la municipalité, seul l'Architecte des Bâtiments de France est en mesure de refuser le projet.

    C'est le CDR (consortium de réalisation) du Crédit Lyonnais qui en est propriétaire et qui souhaite le démolir. Ce CDR avait proposé à la municipalité, il y a quelques années de vendre le Palais des Congrès pour un euro symbolique, or, le coût de la démolition ainsi que de la reconstruction était trop cher pour la commune. Les moyens de la ville et les dispositions actuelles ne permettent pas d'investir suffisamment. Le CDR en reste donc propriétaire et est responsable de la nature du nouvel espace. La mairie peut seulement orienter les débats sur ce projet. La reconquête voulue du coeur de la ville est donc difficile et très lourde.

    Cette situation complexe de reconquête du centre-ville au travers de ce projet Monet Cathédrale nous conduit à nous poser des questions sur l'identité de la ville et sur la participation des habitants.

    Pour effectuer mon étude, je partirai, du « cadre bâti » de la ville, c'est-à-dire celui qui se matérialise sous forme de plans, de lois, de règlements et de réalisations normalisées2(*). La matérialisation est indissociable des contextes de leur production et de leur interprétation, qu'il s'agit d'incorporer à ma démarche. Donc, au-delà de l'observation et de la description de l'espace, je prendrai en compte le contexte de destruction et de reconstruction, l'avis des habitants : leurs perceptions et leurs représentations ainsi que la façon d'agir des politiques.

    Ce qui est intéressant à étudier est l'impact d'un tel projet au niveau social et politique. Quel est l'impact d'une transformation de l'espace qui modifie l'ensemble existant par de nouvelles constructions ?

    Nous construisons notre raisonnement au travers du centre-ville et sa signification pour les habitants. Nous cherchons ainsi à définir cette notion de centre-ville, thème de notre recherche.

    Nos interrogations quant au rôle du centre-ville comportent deux aspects : la participation des habitants aux Grands Projets de Ville, d'une part et le rapport au patrimoine des habitants des politiques, d'autre part.

    Si les débats se font vifs, il est important de s'interroger sur le fort attachement des Rouennais à leur patrimoine. Nous tentons de comprendre dans quelle mesure la reconquête du centre-ville pourrait-elle conduire à une crise d'identité et/ou une crise politique.

    Plus précisément, la politique menée pour la construction moderne de l'espace Monet Cathédrale au sein du centre historique va-t-elle dans le sens des attentes des Rouennais ?

    L'introduction d'une architecture moderne au sein du patrimoine historique de Rouen nuit-elle à l'identité de la ville ?

    Les processus de consultations concernant l'aménagement sont-elles démocratiques ou apparaissent-elles comme une mesure technocratique ?

    De nombreux travaux de morphologie urbaine lancés au cours des années 1970, ont été peu poursuivis. L'approche morphologique pratiquée jusqu'à aujourd'hui, à quelques exceptions près, était basée sur l'étude des formes urbaines anciennes avec une préoccupation patrimoniale. Je voudrais ainsi partir de ces études tout en intégrant la modernité urbaine, c'est-à-dire me préoccuper du patrimoine ancien qui est confronté à la modernisation urbaine.

    Contrairement aux études sur le patrimoine de la ville passée, je me propose d'étudier dans le cadre de ce mémoire, les formes urbaines dans leur vécu actuel et à venir.

    Pour cela, la problématique soulevée ici, nécessite une réflexion à partir de la notion de centre-ville, de patrimoine et de participation des habitants dans la mise en oeuvre des projets urbains.

    1- Centre-ville et centralité

    L'expression centre ville recouvre une réalité complexe, composite et variable. Prenons tout d'abord la définition proposée par Reynaud3(*) pour qui le centre, c'est essentiellement « là où les choses se passent, le noeud de toutes les relations », ceci indépendamment de l'échelon considéré ; ainsi, il est possible de parler de centre de quartier, de centre-ville, de centre de pays, pour autant qu'une « concentration » d'éléments caractérisée par la densité de population, d'activité et de trafic, de facteurs ou de valeurs soit présente. En outre, le centre peut varier considérablement selon les individus (ou groupes) : limites, caractéristiques, éléments de référence, se modifient en fonction des points de vue et des représentations. La place de la Cathédrale de Rouen qui est dans le coeur de la ville est en effet le lieu où tout se passe (spectacle, manifestations de toutes sortes, lieu de rencontre, de rendez-vous...) et elle peut être vue différemment selon ce que les personnes viennent y faire.

    En général, le coeur de la ville est la partie fondamentale de l'organisation urbaine : celle qui en assure la vie et l'activité. Contrairement aux petites villes qui ont un centre-ville multifonctionnel, les grandes villes ont dans leur centre-ville des quartiers spécialisés.

    À Rouen, la répartition des types d'habitats permet d'individualiser des quartiers en les spécifiant, selon la prédominance des maisons sur les immeubles collectifs, l'importance des espaces verts, l'orientation, l'ancienneté du bâti, les modes (quartiers anciens recherchés aujourd'hui, délaissés il y a 40 ans), les activités économiques. Le centre ville est le plus densément peuplé et présente deux aspects : des immeubles très serrés autour de la Cathédrale, Saint Maclou et Saint Ouen et la place du Vieux Marché (se référer au plan de la page suivante répertoriant les quartiers de Rouen).

    Plan 1 : Les quartiers au coeur de la ville

     

    Population

    Évolution 1990/99

    Nombre de logements

    Évolution 1990/99

    Habitant par logement

    Densité

    Vieux marché Cathédrale

    14054

    10

    10773

    17,2

    1,5

    14082

    Saint Marc Croix de pierre

    14800

    11,6

    10114

    26,3

    1,6

    14082

    Centre rive-gauche

    13191

    12,7

    7893

    15,3

    1,8

    8370

    Pasteur

    4259

    23,2

    2845

    25,2

    1,7

    4840

    Gare Saint Gervais

    6606

    6,3

    3906

    11,1

    1,8

    7811

    Jouvenet

    5151

    1,8

    2523

    5,1

    2,2

    5630

    Jardin des plantes

    5819

    5,3

    3107

    6,8

    2

    7667

    St Clément Pépinières

    6569

    2,4

    2952

    2,6

    2,1

    7482

    Grieu Vallon Suisse

    6601

    2,6

    3493

    6,5

    2,1

    4270

    Mont Gargan

    2588

    0,5

    1115

    4

    2,4

    2432

    Quartiers Ouest

    7763

    5,1

    4462

    21,5

    2

    6286

    Sablière Grammont

    2995

    -7,7

    1399

    2

    2,3

    8437

    Sapins

    4170

    -8,3

    2122

    -1,2

    2,1

    5030

    Chatelet Lombardie

    5976

    -20,6

    2327

    -14,4

    3

    5077

    Grand Mare

    5795

    -8,2

    2588

    -0,73

    2,6

    7938

    STATISTIQUES DES QUARTIERS DE ROUEN, 1999
    Source : site Internet de la ville de Rouen.

    Bien que certains quartiers en reconversion (quartier Saint Marc/Croix de Pierre, quartier Pasteur et quartier Ouest) attirent de plus en plus d'habitants, le quartier Monet Cathédrale reste le plus peuplé en logement et en habitants. Loin de se déserter, ce quartier a vu augmenter sa population de 10% en 9 ans (entre 1990 et 1999) et ses constructions de logement de 17,2% entre ces mêmes dates.

    En centre-ville de Rouen, on note un important centre historique. Dans le seul quartier Vieux marché/Cathédrale on peut trouver une multitude de monuments classés (La Cathédrale, l'Office du tourisme, l'Hôtel de Ville, le Gros Horloge, l'Eglise Sainte Jeanne d'Arc, le palais de Justice, la place du vieux marché...)

    La ville de Rouen s'est étendue à partir de son quartier historique. D'après R. Ledrut, le quartier historique constitue ce qu'il appelle une centralité « morte », opposé à la centralité vivante qui est celle qui s'est étendue autour du centre historique de Rouen. La centralité vivante est caractérisée par le centre des affaires, le centre commercial et administratif :

    « Les propriétés géométriques de l'espace, l'antériorité historique du noyau initial à partir duquel la ville s'est étendue, les représentations symboliques qui lui sont associées sont autant d'éléments qui tendent à faire du coeur géographique de l'agglomération le principal point d'appui et le lieu emblématique d'un grand nombre de fonctions centrales »4(*). Ainsi, pour Henri Lefebvre5(*), l'histoire de la ville est souvent celle de son centre historique construit, il y a longtemps. La centralité est donc l'essence de la ville.

    Nous verrons si à Rouen le centre historique ne constitue pas une centralité morte.

    Rouen n'a pas la seule spécificité d'être une ville historique. Le coeur de la ville a également une fonction commerciale. L'objectif du développement des rues piétonnes est d'ailleurs de faire fonctionner ce commerce foisonnant qui tend à prendre de plus en plus d'importance. La fonction symbolique qui s'exerçait par l'intermédiaire d'édifices et d'objets qu'il n'était pas question de s'approprier a connu une grande mutation. Les monuments de la ville moderne sont plus encore les boutiques et les grands magasins que la cathédrale et l'hôtel de ville6(*). On arrive donc à l'extension des agglomérations qui tendent à créer de nouveaux centres spécialisés, autour d'équipement regroupant les loisirs, les services et les commerces, autrement dit, des centres secondaires. Les centres commerciaux, les regroupements de commerces et de services dans un espace clos tendent à remplacer les centres-villes. Cette évolution des centres-villes tend à mettre à mal la thèse de Raymond Ledrut qui propose le couple de centre/non centre et intériorité/extériorité puisque les centralités peuvent se construire en dehors du coeur de la ville.

    On peut prendre l'exemple de la constitution du centre Saint-Sever dans les années 1970.

    À l'origine, le centre-ville de Rouen occupait la rive droite de la Seine. Aujourd'hui, il déborde largement. Avec le centre Saint-Sever et son centre commercial, le centre rive gauche apparaît comme un véritable prolongement du centre-ville de Rouen. Mais au fil du temps, les deux centres-villes se distinguent spatialement et socialement. En effet, le centre ancien peut apparaître réservé aux couches sociales les plus privilégiées alors que le centre récent rive gauche n'est pas fréquenté par toutes les couches sociales de la population de l'agglomération7(*). Il concentre et attire principalement les classes sociales les plus défavorisées. Les habitants de la rive droite et de la rive gauche sont perçus au travers des différenciations sociales, car ceux de la rive droite sont représentés comme ayant un niveau social et d'études élevées et n'ayant pas d'accent et habitant un centre d'activité intellectuel8(*).

    Avec la reconquête du centre-ville, ces assimilations vont-elles perdurer ?

    La ville va être modifiée, le coeur historique va être retouché et cela va nous conduire à parler du rapport au patrimoine des habitants et de leur participation aux projets de ville.

    2- Le centre historique : Patrimoine, sens et représentations

    Je partirai notamment des travaux de Raymond Ledrut pour évoquer cette dialectique entre habitants et patrimoine. Il se demande : « la forme reçoit-elle ou donne-t-elle un sens ? »9(*). D'après lui, on ne peut comprendre la forme sans saisir le lien entre la forme sociale et la forme spatiale.

    Il montre à quel point le centre est qualifié socialement ; « les grandes artères, les places comme les monuments sont à la fois d'ordre quantitatif (éléments d'un réseau spatial) et d'ordre qualitatif (point de concrétisation de la ville pour chacun de nous) »10(*). À travers ses analyses empiriques, Ledrut souligne l'importance des dimensions matérielles (usages du centre) et symboliques du centre ; ainsi, le centre évoque pour les citadins à la fois un lieu, une forme, un monument, mais aussi des activités et des qualités particulières.

    La dimension subjective du sens que l'on donne au monument est essentielle pour notre étude. Elle nous permettra de comprendre l'affection portée par les habitants à leur ville.

    L'image possède toujours une résonance affective, elle déclenche une émotion et « elle exprime un rapport global de l'homme à la ville »11(*), laquelle se trouve sous cet angle personnifié. Plus il y a de monuments, plus l'identité de la ville est forte. On peut comprendre cette corrélation car le monument est un repère privilégié, c'est-à-dire un moyen de se repérer mais également de repérer la ville. Il apparaît comme un « symbole ». Qui n'a jamais fait visiter la Cathédrale de Rouen à leurs amis étrangers venus leur rendre visite ? Qui n'a jamais donné rendez-vous Place de la Cathédrale ?

    L'espace n'est pas seulement un ensemble de points, lignes et surfaces, il est chargé de sens. Certains éléments, en renvoyant à des moments historiques, des normes éthiques, politiques ou religieuses et en suscitant des émotions, participent à la construction de l'identité collective et à l'élaboration du lien social.

    Halbwachs est le premier chercheur en sciences sociales à analyser de façon détaillée la mémoire collective. Il montre dans son ouvrage La mémoire collective dans quelle mesure l'espace joue un rôle fondamental dans les processus de mémorisation : « Il n'est point de mémoire collective qui ne se déroule dans un cadre spatial (...) ainsi, le lieu a reçu l'empreinte du groupe et réciproquement »12(*).

    La mémoire peut se définir comme « la faculté de conserver les idées antérieurement acquises »13(*), ceci à un niveau individuel ou collectif.

    La symbolique d'une ville, au travers de ces monuments, est éternelle car l'identité de la ville c'est le patrimoine en héritage. La Cathédrale existe depuis le XIIème siècle et le sera jusqu'à la fin des temps. L'héritage des nombreux monuments a permis à Rouen de présenter sa candidature des villes au patrimoine mondial à l'UNESCO en septembre 1993.

    Pour A. Riegl, « le monument est une oeuvre créée de la main de l'homme et édifiée dans le but précis de conserver toujours présent et vivant dans la conscience des générations futures le souvenir de telle action ou telle destinée »14(*).

    La définition de A. Riegl est cependant insuffisante et demande à être étoffée. Pour cela, je vais prendre la définition du monument de H. Lefebvre. Pour cet auteur, le monument a une multitude de sens15(*). Le monument véritable a un caractère significatif et symbolique inépuisable pour l'habitant. Les lieux restent des lieux investis de sens, des « lieux identitaires, relationnels et historiques »16(*) selon Marc Augé.

    Malinowski17(*) et l'école d'anthropologie sociale ont souligné dans quelle mesure certains espaces ou objets ont, au-delà de leur fonction instrumentale, une fonction symbolique : ils sont en mesure de nous mettre en relation avec des systèmes de connaissance et de croyance et constituent, en d'autres termes, des supports à notre identité.

    Françoise Choay18(*) a ainsi montré que tout est désormais mémoire, certes, mais mémoire vide car les nouvelles constructions ne peuvent procurer d'émotions aux habitants. Le projet moderne Monet Cathédrale ne peut être vu comme porteur d'identité comme le serait un monument ancien qui a une histoire que chacun s'approprie.

    Dans une volonté de modernisation des centres-villes, on voit apparaître des compromis entre conservation du patrimoine et inscription de formes nouvelles et modernes dans ces lieux. André Malraux fait passer la loi du 4 Août 1962 pour justement associer revalorisation des patrimoines et modernisation des centres-villes19(*).

    Le contexte de requalification n'implique pas que nous vivions dans un monde de non-lieux20(*), c'est-à-dire des espaces mono-fonctionnels et cloisonnés caractérisés par une circulation ininterrompue et ainsi peu propice aux relations sociales mais plutôt dans un monde aux repères changeants. L'arrivée du moderne dans la ville peut apparaître choquante et dangereuse pour l'identité de la ville, or pour Lynch21(*), il ne faut en aucun cas arriver à la constitution d'une image trop évidente de la ville, car elle deviendrait trop ennuyeuse. La ville doit présenter de la stimulation, du rythme et une certaine ambiguïté. J'en retiens que le projet moderne serait nécessaire à la ville pour garder un certain dynamisme.

    3- Projets urbains et participation des habitants

    Par participation, nous entendons la participation des habitants dans les décisions politiques concernant leur ville, leur quartier, leur environnement.

    La démocratie participative est l'un des objectifs de la politique de la ville. Cette participation est née à la fois de la mobilisation d'habitants et de certains représentants de services publics autour de projets de développement social et urbain. La ville devient de plus en plus un lieu d'exercice de la citoyenneté, notamment depuis l'adoption de « La loi JOXE » du 06.06.2002, article L-125-1 qui stipule que « Les électeurs peuvent êtres consultés sur les décisions que les autorités municipales sont appelées à  prendre ... » et de la loi Vaillant adoptée le 13.02.2002, qui, selon les investigateurs, devait devenir un instrument de reconquête citoyenne et il présentait deux idées fortes allant dans le sens d'une démocratie de citoyens et d'une révision du pouvoir municipal22(*).

    Aujourd'hui, dans un idéal démocratique, chaque individu veut pouvoir prendre la parole et être considéré comme citoyen à part entière. Cette volonté est un retour aux sources de la démocratie qui se définit avant tout comme « espace de dialogue, d'information et de délibération pour créer les conditions d'un consensus, de la formation de la « volonté générale » »23(*). Par les prises de parole, la société civile construit l'espace public qui peut se construire par un volontariat basé sur la participation active d'un grand nombre.

    Nous essayerons de voir si la démocratie participative a été de mise lors des discussions autour du projet et s'il y a en effet, création d'espace public.

    À travers les projets urbains, on peut observer l'imposition de politiques spécifiques. Le Palais des Congrès construit en 1970 était le fruit d'une politique d'aménagement qui se voulait moderne. Philippe Genestier24(*) a décrit les matériaux qui permettent de produire l'effet voulu, c'est-à-dire moderne. Selon lui, le verre joue un rôle important pour provoquer la fascination immédiate recherchée.

    Il est intéressant de se demander comment ce bâtiment va être accueilli et perçu par les Rouennais. Le projet Monet Cathédrale étant de nouveau très moderne, dans quelle mesure ce choix est-il judicieux ? Quels sont les soubassements politiques d'un tel projet?

    L'architecture devient un moyen d'accroître la visibilité des administrations, d'afficher leur modernité, de présenter une image positive d'elle-même. La compétition des grandes villes pour le statut de « capitale régionale » a entraîné une surenchère des programmes de prestige dont la valeur ajoutée est parfois plus symbolique que fonctionnelle25(*). Selon Alain Genestier26(*) qui s'est intéressé aux formes, aux styles, aux ambitions et aux significations associées à ces réalisations, en a déduit que les modifications sont la recherche de prestige pour le pays, les retombées qui peuvent en être attendues pour l'industrie culturelle et l'aspiration du pouvoir à la reconnaissance. Comme l'aspect fonctionnel peut être mis au second plan, on a construit des mètres carrés d'un coût exorbitant sans savoir à quoi ils étaient destinés, comme l'illustre la Grande Arche de la défense.

    Les habitants sont-ils victimes de la politique? Les habitants ont-ils un rôle à jouer dans les décisions concernant les Grands Projets de Ville ? La ville de Rouen souhaite-t-elle plutôt améliorer les valeurs symboliques ou améliorer le cadre de vie des habitants ?

    Si nous considérons que les citadins sont autre chose que des spectateurs passifs : qu'ils sont des acteurs à part entière, tissant un ensemble de relations, s'appropriant la ville à travers une multitude d'usage et de représentations, quelle serait leur place dans la gestion de leur environnement ? Quels moyens ont-ils pour agir ?

    La théorie de la démocratie délibérative d'Habermas est importante pour penser les conditions de possibilité d'un changement fondé sur l'action positive déterminée des agents de la société civile. Habermas propose que la dissémination de la logique de la communication et sa place centrale dans l'évaluation du monde vécu pourrait contribuer à la fortification de la démocratie27(*).

    Si les habitants ont la possibilité de participer aux projets urbains, de donner leur avis et qu'ils sont pris en compte pour les décisions, la ville leur ressemblera.

    Maîtriser son logement, être bien chez soi est insuffisant si, au seuil du logement commence un univers hostile ou dévalorisant. La difficulté de l'appropriation des espaces tient au fait qu'ils ne sont pas le résultat de pratiques sociales des habitants28(*). Ils doivent s'approprier les lieux que les experts ont conçus pour eux, or il s'avère beaucoup plus difficile de s'approprier les lieux quand ils sont imposés.

    Y a t-il une incapacité à faire face à la prolifération des demandes contradictoires ou incompatibles ? Face à ces difficultés, les experts ont tenté de se substituer aux futurs usagers du bâtiment en décidant de l'organisation spatiale à retenir29(*). Dans ce cas, les habitants sont alors de simples sujets qui ne sont pas écoutés car ils sont vus comme incapables de s'unir pour trouver un compromis entre eux. Ils se voient alors obligés de s'adapter à un environnement qu'on leur impose.

    Or, l'insistance d'Habermas sur la participation des habitants à la communication souligne les qualités potentielles des intervenants, à savoir, l'auto-réfléxion, le sens critique, la capacité à s'engager dans des actions et à participer à des débats rationnels, enfin la capacité au jugement et à l'action morale30(*).

    La rénovation urbaine produit des changements trop importants sur la population pour que les acteurs politiques puissent la mener à bien sans son accord. Pour manifester son intérêt pour sa ville, le citadin a plusieurs solutions pour faire entendre son opinion: Il peut participer aux réunions publiques en assistant aux conseils municipaux ouverts à tous ou bien assister aux conseils de quartiers. Ces deux recours permettent une relation entre citoyen et pouvoir politique, ce qui correspond à la sphère publique selon Habermas. Il la définit comme étant une suite d'institutions et d'activités qui a pour fonction de favoriser les relations entre l'Etat et la société. Elle permet de lutter contre l'absolutisme étatique, dans le sens où toute formation sociale devait pouvoir accéder aux structures de pouvoir par ce moyen31(*).

    Les conseils de quartiers ont été mis en place à Rouen de façon expérimentale dans quelques quartiers du centre ville, dès 1996, sous l'ancienne majorité PS. En 1999, ils sont généralisés à l'ensemble de la ville puis rendus obligatoires par la loi de février 2002.

    Les conseils de quartiers vont êtres présentés au public comme des « espaces de concertation et d'interpellation, un nouveau lieu de démocratie, capable de rompre avec le dialogue codé entre les professionnels de la politique et les professionnels du mouvement associatif »32(*).

    Les conseils de quartiers doivent avoir trois fonctions33(*) :

    - Celle d'écoute sur les problèmes ressentis par les habitants, de concertation sur les actions de la mairie.

    - Celle de consultation sur les projets concernant le quartier ou ayant une incidence sur son devenir dans tous les domaines.

    - Celle d'information mutuelle et d'interpellation entre les habitants du quartier et le conseil d'arrondissement.

    Le conseil de quartier Vieux Marché - Cathédrale bénéficie d'une population et d'un cadre d'intervention privilégiée : le centre historique de la ville, mais aussi du dynamisme d'un noyau dur de militants déterminés, dotés d'un savoir-faire acquis au fur et à mesure des expériences.

    Malgré une demande forte de la part des habitants pour une démocratie locale active, il y a un déficit de la connaissance de la démocratie locale à Rouen. En effet, selon une enquête34(*) menée par la mairie en mai 2005 auprès de 1000 personnes montre que, 10% des personnes interrogées affirment savoir ce qu'est la démocratie locale ; 25% indiquent connaître ce qu'est un conseil de quartier (même si seulement 7% font la différence entre comité et conseil de quartier) ; 21% se déclarent prêts à s'impliquer dans un conseil de quartier et 75% des habitants souhaitent être mieux informés sur l'action des conseils de quartier.

    Comment expliquer un tel décalage entre l'omniprésence du thème de la démocratie participative dans le discours politique et l'apparente pauvreté des résultats constatés ?

    Qu'est-ce qui motive les politiques de Rouen à vouloir favoriser la participation des habitants et pourquoi ne la mettent-ils pas en oeuvre ?

    Notre questionnement initial s'est basé sur des interrogations majeures qui auront pour but de mettre en lien une relation entre l'espace et la société ainsi que de mettre en perspective le rôle des citoyens dans la sphère politique. Nous abordons ces questions par l'analyse de la place du projet moderne dans le centre historique, ses effets sur l'identité de la ville et l'attachement des habitants aux valeurs portées par le centre historique. Enfin, notre dernier questionnement portera sur le projet urbain et la mise en oeuvre d'un processus démocratique pour la participation des habitants au devenir de la ville.

    Deux axes ont fondé notre réflexion soit, centre-ville/patrimoine et centre-ville/enjeux de pouvoir. Grâce à ses axes, nous pouvons formuler deux hypothèses structurant notre analyse.

    1/ La reconquête du centre-ville caractérisée par la multiplication des nouvelles formes urbaines modernes peut enlever à la ville toute son histoire et par conséquent lui fait perdre son identité de ville d'histoire. Les habitants peuvent alors avoir des difficultés à construire ou à conserver une mémoire historique.

    2/ Les habitants sont consultés avant que des décisions soient prises. Ils sont donc des acteurs de la vie politique et participent donc à l'évolution de leur ville. Avec la création des conseils de quartiers, chaque citoyen a le droit d'apporter son avis lorsqu'il est consulté par la municipalité. Mais il est aussi possible que les habitants n'aient qu'une place secondaire si les politiques n'appliquent pas la démocratie participative.

    Pour étudier la ville, il est indispensable de choisir plusieurs méthodes d'enquête car les images d'une ville sont diverses et variées. Dans ce travail j'ai privilégié les méthodes qualitatives (l'entretien, l'observation, et le questionnaire comme méthode complémentaire).

    Dans un premier temps, pour faire le point sur les différentes approches et les concepts utilisés, j'ai lu de nombreux ouvrages et articles.

    Dans un second temps, je suis allée à là rencontre d'acteurs institutionnels (architecte des bâtiments de France, chef de service du droit des sols, le responsable du service « monuments historiques ») qui m'ont montré des documents officiels comme le permis de construire du projet Monet Cathédrale, des photos de maquette.

    Pour récolter tous ces documents, je suis allée au service départemental de l'architecture de la Seine-Maritime, à la Direction de l'aménagement et de l'habitat urbain et à la Direction Régionale des Affaires culturelles.

    Les lectures et l'exploitation des documents m'ont permis de mieux centrer mon sujet et de mieux comprendre les enjeux d'un tel projet au niveau social et politique.

    De plus, j'ai effectué un stage à la direction de l'Aménagement urbain et de l'Habitat (voir annexe n°1) qui m'a permis de rencontrer des personnes majeures pour mon enquête (adjoint à l'urbanisme, chef du service urbanisme...). J'ai également pu prendre ou consulter des documents officiels ou « officieux ». Grâce à ces matériaux, j'ai pu donner plus de contenu à ce mémoire qui manquait de références documentaires.

    1- Les entretiens

    Le choix de la méthode qualitative qu'est l'entretien s'est avéré incontestable. Cette méthode permet d'extraire des informations et des éléments de réflexions riches et nuancées. J'ai cherché principalement à entrevoir un éventuel lien entre patrimoine et habitants, à savoir si les habitants s'y intéresse ou pas. Pour cela, j'ai eu besoin de paroles qui sont la manière concrète de l'entretien. Pour que les personnes s'expriment librement, j'ai choisi d'effectuer des entretiens semi directifs qui m'ont apporté des informations parlantes quant à ce que je cherchais à découvrir.

    1-1 L'entretien exploratoire

    L'entretien exploratoire a permis un échange autour de mes hypothèses de travail. De ce fait, le contenu de l'entretien a fait l'objet d'une analyse, destinée à tester mes hypothèses de travail.

    Lorsque j'ai su précisément sur quel sujet j'allais travailler, j'ai voulu prendre des contacts rapidement avec des architectes et politiques concernés par le projet car il est souvent difficile et long d'obtenir des contacts. Or, il en a été tout autrement car les réponses des architectes ont été rapides et positives. Bien que mon sujet était encore très flou, j'ai effectué le lundi 16 Octobre, mon premier entretien avec Monsieur Lablaude, architecte en chef des monuments historiques, dans son bureau qui se situe dans l'aile gauche du Château de Versailles. Il m'a expliqué pourquoi il avait émis un avis défavorable au projet Monet Cathédrale. Ne sachant pas comment m'y prendre vu que mon sujet était très peu avancé, j'ai décidé de lui exposer mon intention de travailler sur la reconquête du centre ville, tout en étudiant le patrimoine Rouennais ainsi que la mémoire individuelle ou collective qui peut se construire à travers lui et la participation des habitants dans la politique urbaine.

    Cet entretien qui s'est déroulé de manière ouverte et souple m'a beaucoup appris. Il a eu pour fonction de mettre en lumière les différents aspects de l'objet de la recherche. Il m'a ouvert de nouvelles pistes que je n'avais pas encore relevées lors de mes lectures. En effet, j'ai pu me rendre compte que la dimension politique avait une place centrale dans le projet ainsi que dans la vision des habitants. J'ai pu en faire les deux axes majeurs de mon étude.

    L'entretien exploratoire était pour moi une façon de trouver des pistes de réflexions, des idées, et des hypothèses de travail et non pas de vérifier des hypothèses préétablies.

    1-2 Les entretiens semi directifs

    Pour ces entretiens, j'ai choisi d'interroger des acteurs du monde politique concerné par le projet, notamment l'adjoint au maire et des professionnels de l'urbain. Ils ont pu me donner leur raison de leur éventuelle motivation pour le projet, leur vision de Rouen dans quelques années...

    J'ai aussi voulu interroger des habitants pour avoir leur impression sur leur rapport au patrimoine, leur sentiment de participation aux décisions politiques concernant les grands projets urbains de leur ville.

    Enfin, les dernières personnes enquêtées ont été les représentants des associations de quartiers, ce qui m'a permis de savoir quels sont leurs interlocuteurs, à qui ils transmettent leurs propositions et leur poids dans les décisions politiques.

    2- L'observation

    Les méthodes d'observations permettent aux recherches en sociologie de capter les comportements au moment où ils se produisent sans l'intermédiaire d'un document ou d'un témoignage.

    2-1 L'observation de la Place de la Cathédrale

    Les observations ont été de courtes durées et ont été réalisées avec une grille d'observation détaillée (voir annexe n°2). Cinq thèmes ont été retenus : l'approche sensible, l'analyse spatiale, les fonctions de la place, une lecture sociale et le contexte historique et spatiale de la place. La grille reprend donc de manière sélective les différentes catégories de ce qu'il y a à observer.

    2-2 L'observation des réunions de quartiers

    J'ai fait des observations dans des réunions de quartiers, et plus précisément celles qui rassemblent les habitants du quartier Cathédrale. Habitant moi-même dans ce quartier, je pouvais facilement intégrer les réunions et ouvrir des débats avec les personnes présentes autour de mes thèmes de recherches. Le fait qu'ils ne sachent pas que je travaille sur ces thèmes, m'a permis d'obtenir des propos objectifs de leur part.

    Il s'agit ici de l'observation participante car j'étudie le groupe en participant à ses activités. Pour mener mon observation, je me suis appuyée sur cinq catégories, à savoir : le cadre, le moment, les individus (caractéristiques, tenue vestimentaire, pratique langagière, corporalité, expression...), les comportements et les relations entre les personnes.

    3- Le questionnaire

    Pour recueillir des informations, tant sur le patrimoine Rouennais que sur la participation des habitants aux décisions politiques, la méthode de l'entretien ne me paraissait pas suffisante. Pour avoir une diversité plus grande de l'opinion des habitants, il m'a semblé nécessaire de construire un questionnaire.

    3-1 L'échantillon

    Ce questionnaire a été distribué à une centaine d'habitants actuellement Rouennais où l'ayant été. La passation de questionnaire a donc été assez simple du fait que tout le monde pouvait y répondre, mais il a bien sûr fallu équilibrer les enquêtés, notamment en fonction du sexe, de l'âge et de leur ville ou quartiers de résidences afin d'avoir un échantillon hétérogène.

    Pour avoir une vision plus juste des opinions, il aurait évidemment fallu multiplier les distributions, mais je me suis fixée une limite de cent à cause des contraintes de temps.

    En effet, lorsque j'ai commencé mon enquête, je m'étais arrêtée à la méthode de l'entretien. C'est seulement en février que j'ai trouvé la méthode du questionnaire utile.

    3-2 La confection du questionnaire

    Lorsque j'ai construit mon questionnaire, j'ai choisi de le diviser en 4 parties. La première est la partie d'identification (âge, sexe, profession, ville de résidence, quartier) pour pouvoir corréler ces variables avec les réponses et ainsi voir s'il peut avoir un lien. Par exemple, un homme âgé, responsable d'une association défendant le patrimoine et habitant le centre-ville de Rouen a un profil qui pourrait expliquer ses réponses.

    Ensuite, j'ai partagé mon questionnaire selon trois thèmes :

    Le premier traite de la perception du patrimoine rouennais par les habitants, le second est la perception de la modernisation du centre-ville et enfin le troisième est porté sur le sentiment de participation aux projets politiques.

    Mes questions demandent la plupart du temps des réponses ouvertes. Selon François De Singly35(*), elles représentent des avantages parce qu'elles privilégient les catégories dans lesquelles les individus perçoivent le monde social, plutôt que de les imposer par les modalités des réponses fermées. Aussi, les questions ouvertes ouvrent des perspectives de codage de l'information beaucoup plus grande.

    4- Les conditions de l'enquête

    Je vais dans cette partie, évoquer la façon dont se sont déroulés les entretiens et les questionnaires.

    4-1 Les entretiens

    Au premier semestre, j'avais prévu de faire mes entretiens du mois de janvier au mois de février inclus afin de faire mes analyses au mois de mars. Mais le temps de prendre tous les rendez-vous avec mes contacts a été plus long que prévu. J'ai pu terminer mes entretiens dans la deuxième quinzaine du mois de mars et chaque entretien a été retranscrit et analysé au fur et à mesure (préparation de résumés pertinents de l'information à retirer de chaque entretien). Vu que j'ai effectué un stage à la mairie de Rouen, que j'ai fait passer des questionnaires et que j'ai travaillé sur les réactions des Rouennais36(*) concernant le projet, j'ai réduit mes entretiens au nombre de 11 (8 habitants, 2 personnes d'associations et 1 architecte).

    Les habitants qui ont accepté de répondre à mes questions habitent tous à Rouen (depuis 5 à 60 ans). Les critères de sexe et d'âge ont été très diversifiés. J'ai pu interroger presque autant d'étudiants et d'actifs, que de retraités.

    La facilité pour trouver des contacts s'est aussi manifestée par le fait que les premières personnes qui ont accepté de faire l'entretien m'ont donné d'autres contacts, ce qui m'a permis d'éviter des échecs.

    Avec les habitants, les entretiens se sont tous passés à leur domicile contrairement aux personnes d'associations qui m'ont donné rendez-vous dans des lieux publics (Musée des beaux arts et La Halle aux toiles) et à l'architecte qui m'a donné rendez-vous à son bureau.

    Les entretiens ont duré environ une heure durant laquelle les personnes parlaient spontanément et donnaient leurs avis personnels car ils ont bien compris que c'est ce que je recherchais. En effet, je ne voulais pas qu'ils me fassent plaisir par leurs réponses mais qu'ils disent leur ressenti face au patrimoine, à la reconquête du centre ville, à la modernité, à la politique urbaine...

    Les avis des associatifs sont d'autant plus forts sur la question de la participation citoyenne que leur objectif est de dénoncer la politique mise en oeuvre. Au travers leurs réponses, j'ai pu comprendre qu'ils pensaient que je pouvais avoir un rôle de « médiateurs » entre la mairie et eux. Peut-être n'ont-ils pas cru à mon statut d'étudiante en sociologie.

    4-2 Les questionnaires

    Au mois de janvier, il été question de faire passer 100 questionnaires aux habitants actuels ou passés de Rouen. Mais par soucis de temps, je n'ai pu en récolter que 50. Ils sont, comme pour les entretiens diversifiés selon l'âge et le sexe.

    J'ai pu faire passer facilement les questionnaires aux 20-30 ans et aux 30-40 ans. Mais certains amis à qui j'ai expliqué ce que j'attendais ont pu faire circuler des questionnaires ce qui m'a permis d'avoir un échantillon plus diversifié en âge (jusqu'à 76 ans). Il était important pour moi d'avoir des réponses de personnes âgées car elles vivent à Rouen depuis de nombreuses années et ont un regard précis sur la ville et ses évolutions.

    Pour les questionnaires que j'ai moi-même distribués, je les faisais remplir directement et je repartais avec. Les autres personnes qui les ont fait passer à ma place ont fait autrement : ils les ont donnés à leur entourage et leur disaient de leur rendre plus tard. Cette technique est peu certaine car beaucoup ont égaré le questionnaire ou n'ont pas pris le temps de le remplir. Quand le questionnaire n'est pas à redonner directement, il reste bien souvent oublié sur un coin de table.

    Comme le moment de la rédaction est vite arrivé, je n'ai pas pu en faire remplir d'autres. J'ai donc effectué mon analyse avec les 50 que j'avais récupéré.

    4-3 Les limites de la recherche 

    Au mois d'octobre, j'avais exposé une vague idée sur laquelle je voulais travailler, soit le mélange des styles architecturaux en ville. Je suis partie sur cette idée mais ma directrice de mémoire m'a très vite mise en garde car mon sujet n'avait pas d'aspect sociologique.

    Tout en gardant un lien avec l'architecture, il fallait que je change mon axe d'étude mais cela m'a pris quelques semaines.

    Je me suis perdue dans des lectures trop vagues et je n'arrivais pas à trouver un sujet précis. C'est en lisant les journaux régionaux et l'actualité locale concernant la polémique autour du projet Monet cathédrale que j'ai voulu travailler sur la perception des habitants concernant la modernité du centre-ville ainsi que sur leur rôle dans cette reconquête.

    Mon objet d'étude étant devenu très clair début novembre, j'ai pu commencer les lectures appropriées et la collecte de documents.

    Une autre limite s'est posée à moi, pour étudier la participation des citoyens aux projets urbains il était nécessaire que j'interroge des politiques (maire, adjoints). Or, pendant tout le premier semestre j'ai envoyé des lettres, des mails, téléphoné aux personnes concernées mais en vain.

    Je devais alors me contenter d'interroger des habitants mais mon enquête était alors partielle. Tout s'est arrangé au mois de février lorsque j'ai obtenu mon stage à la mairie de Rouen. J'ai alors pu effectuer des entretiens informels avec l'adjoint au maire chargé de l'urbanisme ainsi qu'avec des professionnels de l'urbain.

    4-4 Présentation de l'analyse des données

    Afin de pouvoir comprendre comment peut être vécu et perçu un changement spatial par les habitants et savoir quels enjeux politiques en découlent, j'ai bâti une analyse en trois parties :

    Tout d'abord, je me suis penchée sur l'importance de la labellisation pour la ville de Rouen. Il s'agit d'un point de départ essentiel pour comprendre la motivation de la municipalité pour la reconquête du centre ville et pour la suite de l'analyse. Dans cette partie, j'ai également pris en compte la représentation du patrimoine par les habitants pour savoir comment ils percevaient l'importance de celui-ci pour l'identité de la ville.

    Dans une deuxième partie, j'ai travaillé sur les avis des habitants concernant la reconquête du centre ville et par conséquent, sa modernisation. Les notions de mémoire et de modernisation bâtiront cette partie. J'ai poursuivi la recherche en interrogeant les positions des politiques pour comprendre leurs motivations et les enjeux d'une modification spatiale.

    J'ai terminé par une troisième partie qui traite de la légitimité des habitants dans les décisions relatives à leur environnement urbain. J'ai pris de nouveau deux points de vue différents (habitants/politiques) sur ces questions : « Comment les habitants sont intégrés dans les processus de décisions ? » et « Les politiques ont-ils la volonté de travailler avec les habitants ? ».

    1- Histoire urbaine

    Pour éviter de nous perdre dans les repères historiques, je décrirai le centre-ville de Rouen à partir des années 1945, ce qui me permettra de retracer toutes les évolutions et constructions qui ont pu avoir lieu depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui.

    Les années d'après guerre sont celles de la reconstruction. Un quart des logements est à reconstruire. Le choix est fait de conserver le plan ancien de la ville et la même largeur de rues. La largeur importante des rues et notamment de la rue Jeanne d'Arc est due à l'action d'élargissement ou de percement des rues voulus par le maire Charles Verdrel (1858-1868).

    Comme dans le reste du pays, la croissance démographique et la crise du logement entraînent la construction de nouveaux quartiers, sur la rive gauche (à Saint-Étienne-du-Rouvray et Grand-Quevilly en particulier) et sur la rive droite (les Sapins et la Grand'Mare, Canteleu). On édifie sur la rive gauche la préfecture, puis la cité administrative.

    Les transformations de la ville dans les années 70-80 sont liées à l'action de Jean Lecanuet, maire de 1968 à 1993. Dans les années 70, a commencé la restructuration du centre ville, éliminant des îlots considérés comme insalubres, ce qui a permis de faire place nette pour la construction d'ensembles immobiliers tels ceux qui sont bâtis autour de l'Hôtel de ville à la place d'un quartier aux maisons à pans de bois. Cependant, on prend vite conscience de la valeur architecturale des quartiers anciens et on lance des opérations de sauvegarde, par exemple dans les quartiers Est de la ville. C'est l'époque de la restauration des façades, de la création des rues piétonnes (la rue du Gros Horloge est en 1970 la première rue piétonne de France). En 1979 est inaugurée l'Eglise Sainte Jeanne d'Arc, sur la place du Vieux Marché. De la même époque datent les tours de 18 étages du Front de Seine, ou le Palais des Congrès, sur la place de la Cathédrale. Plus récemment fut construit l'Espace du Palais et l'ensemble immobilier de la Place de la Pucelle.

    Rouen est classée Ville d'art et d'histoire depuis le 12 février 2002. Il s'agit d'une convention passée entre la commune et la Caisse des Monuments Historiques permettant à la ville de profiter d'un label de qualité, d'une aide financière et du raccordement à un réseau national de promotion. En contrepartie, la ville s'engage à employer un animateur du patrimoine et des guides agréés par la Caisse.

    La notion de Ville d'art née au tournant du siècle est caractérisée par la qualité et le nombre de trésors d'art, notamment historique avec leur décor peint et sculpté, musées et collections qu'elle renferme, à la manière d'un immense musée à ciel ouvert37(*). Il n'est pas possible d'aborder le centre-ville de Rouen sans en saisir la richesse de son patrimoine, notamment au sein de son coeur historique (se référer au plan de la page suivante répertoriant les sites patrimoniaux du coeur de Rouen).

    Plan 2 : Les sites patrimoniaux au sein du coeur de Rouen

    Cet espace délimité géographiquement par les boulevards extérieurs et les quais (et donc facilement identifiable) recèlent 80% du potentiel historique de Rouen. L'inventaire des sites classés donne 76 sites patrimoniaux répertoriés. Un patrimoine donc dense dans le centre historique et plus diffus hors de celui-ci. L'avantage mais aussi l'inconvénient de cette répartition est que les visiteurs ne font que très rarement l'effort de s'aventurer hors des « sentiers battus » de l'offre patrimoniale mondialement connue à Rouen.

    Notons également le nombre important d'édifices classés dans la région et dans le département :

     

    Haute-Normandie

    Eure

    Seine-Maritime

    Monuments classés

    320

    132

    188

    Monuments inscrits

    577

    230

    347

    Objets mobiliers classés

    4066

    1867

    2199

    Objets mobiliers inscrits

    3694

    1170

    2524

    Orgues

    56

    15

    41

    LES MONUMENTS CLASSES HISTORIQUES EN 1991 (unité : nombre)

    Source : Direction Régionale des Affaires Culturelles.

    Comme on peut le voir dans ce tableau, la loi instaure deux niveaux de protection complémentaires : l'inscription et le classement.

    Le classement est une protection forte qui correspond à la volonté de maintenir les caractères du site ayant justifié sa protection. Les sites classés ne peuvent êtres ni détruits, ni modifiés dans leur état ou leur aspect sans autorisation spéciale.

    L'inscription sur la liste des sites est une mesure plus souple. Elle constitue une garantie minimale de protection. Elle impose d'informer l'administrateur de tout projet de travaux de nature à modifier l'aspect du site.

    Notons qu'il y a environ deux fois plus de monuments inscrits que classés en Seine-Maritime. La différence est moins significative pour les objets mobiliers mais il y a tout de même plus d'objets mobiliers inscrits que classés.

    Le patrimoine culturel qui comprend les monuments et objets immobiliers inscrits et classés implique quelque chose qui nous a été transmis par ceux qui nous ont précédés. Ce patrimoine culturel ne peut plus aujourd'hui être ni vendu, ni donné à des particuliers, ni détruit. Telle est la différence essentielle entre le patrimoine familial et culturel38(*).

    L'inscription d'un monument sur la liste des sites à protéger demande de suivre une procédure :

    DEMANDE D'INSCRIPTION

    ÉTUDE PREALABLE

    CONCERTATION LOCALE ET CONSULTATION DES CONSEILS MUNICIPAUX DES COMMUNES CONCERNEES

    CONSULTATION DE LA COMMISSION DEPARTEMENTALE DES SITES, PERSPECTIVES ET PAYSAGES

    TRANSMISSION DU DOSSIER PAR LE PREFET AU MINISTRE CHARGE DES SITES

    PUBLICATION ET NOTIFICATION DE L'INSCRIPTION

    Qu'ils soient inscrits ou classés les monuments demeurent des symboles qu'il faut respecter.

    Salué par de nombreux auteurs, on voit le symbolique historique prégnant de Rouen.

    Victor Hugo l'avait surnommée « la ville aux cent clochers » et Stendhal « l'Athènes du gothique »39(*). Enfin, Maupassant écrivait « c'est là un des horizons les plus magnifiques qu'ils soient au monde. Derrière nous, Rouen, la ville aux églises, aux clochers gothiques, travaillés comme des bibelots d'ivoire, en face, Saint Sever, le faubourg aux manufactures, qui dresse ses mille cheminées fumantes sur le grand ciel vis-à-vis des mille clochers de la vieille cité. Ici, la flèche de la cathédrale, le plus haut sommet des monuments humains ; et là-bas, la « Pompe à feu » de la « Foudre », sa rivale presque aussi démesurée et qui dépasse d'un mètre la plus géante des pyramides d'Egypte »40(*).

    De nombreux édifices ont été endommagés par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, mais il reste heureusement quelques bâtiments remarquables, religieux ou non.

    La Cathédrale Notre-Dame, d' architecture gothique, inspira particulièrement Claude Monet. Elle possède, à la croisée du transept, une «  tour-lanterne » surmontée d'une flèche en fonte qui culmine à 151 mètres de hauteur (la plus haute de France). La façade occidentale est encadrée de deux tours, la tour Saint-Romain et la Tour de Beurre.

    La valeur de la ville est dans son coeur historique, à travers ses monuments rares et non reproductibles41(*), c'est pour cela que je me pencherai longuement sur le terme patrimoine, pour comprendre l'attachement plus ou moins fort des habitants aux valeurs de leur ville.

    La ville de Rouen a-t-elle une identité de ville historique ? Les habitants l'identifient-elle comme cela ?

    Il ne faut pas voir une séparation entre les habitants d'une part et les monuments de l'autre mais il faut toujours prendre en compte la dialectique entre le bâti et les rapports sociaux qui se fondent à travers eux car une ville historique constitue en soi un monument mais elle est également un tissu vivant42(*).

    Les habitants portent-ils un intérêt aux monuments ? Ont-ils des repères qui leur sont propres, qu'ils ont construits ? Selon les actes du colloque intitulé « Des bâtiments au public »,

    - Il y a une relation de sens entre les habitants et leur patrimoine car ils aiment reconnaître un bâtiment et même le dater.

    - Les personnes ont des choix esthétiques, elles aiment donner leur avis, discuter l'image43(*).

    2- La labellisation, un atout majeur

    La labellisation est un atout majeur pour la reconnaissance des villes. Si des villes obtiennent un label, tel que « Ville d'art, Ville d'histoire », elles sont perçues et reconnues comme ayant un intérêt certain tant au niveau culturel qu'historique. Ce label permet la sensibilisation de la population au patrimoine, tout comme sa préservation qui concourt à renforcer l'identité locale.

    Dès lors que le label est attribué à une ville, il en résulte plusieurs enjeux :

    Tout d'abord, un enjeu social, c'est-à-dire que la population va s'approprier le patrimoine et va voir la nécessité de le conserver.

    Ensuite il y a un enjeu territorial car la valorisation du patrimoine d'une ville participe au rayonnement de toute une région. Les actions de valorisation de la ville par l'intermédiaire de la labellisation ont permis de développer une image très positive de la ville.

    Par ce constat on voit qu'il y a un enjeu identitaire de la labellisation. 

    Pour finir, je dois citer un dernier enjeu non négligeable qui est l'enjeu économique. La reconnaissance que l'on accorde à une ville n'est jamais sans conséquence pour son économie car le tourisme va permettre à la ville de fonctionner.

    L'atout majeur de Rouen est lié à son centre-ville et notamment à son coeur historique qui le légitimise. La partie de la ville la plus dotée en monuments historiques est protégée par la loi pour que soit préservée la valeur patrimoniale de cet espace. C'est ce qu'on appelle le secteur sauvegardé. Sa protection et sa délimitation sont stipulées par la loi Malraux et notamment par le premier article : « Des secteurs dits « secteurs sauvegardés », lorsque ceux-ci présentent un caractère historique, esthétique, ou de nature à justifier la conservation, la restauration ou la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles, peuvent être créés et délimités... ».

    Il est important d'expliquer les spécificités du secteur sauvegardé pour comprendre la façon d'agir des politiques et des professionnels dans celui-ci et aussi pour comprendre les réactions des Rouennais lors d'une modification spatiale dans le centre historique.

    3- Délimitation et contraintes du secteur à embellir

    Le secteur historique à Rouen est délimité par la rue de la République, la rue de l'hôpital, la rue de la Marne, la rue Moulinet, le boulevard de la Marne, la rue de l'Europe, la rue Fontenelle, la rue du Change et la rue des Bonnetiers. Tout ce qui est à l'intérieur de cet espace représente le secteur A et le patrimoine qui s'y trouve est souvent classé, aussi les transformations urbaines qui ont lieu dans cette zone sont soumises à des règles très strictes.

    En effet, comme il y a dans ce secteur des monuments, des immeubles ou des parties d'immeubles classés « Monuments Historiques », il n'y a pas de grande marge de manoeuvre pour modifier le paysage urbain. Ces monuments ou bâtiments classés sont régis, ainsi que leurs abords, par la loi du 31/12/1913, qui impose une protection dans un rayon d'au moins 500 m aux alentours de monuments classés. Et comme dans le secteur sauvegardé, il y a toujours au moins un monument classé tous les 500 m, tout le secteur est régi par cette loi.

    Toutes ces mesures draconiennes prises pour conserver le patrimoine sont bien appliquées. J'ai pu constater l'importance de ce secteur lors de mon stage au service du droit des sols de la Mairie de Rouen. Chaque semaine, le chef de service du droit des sols et l'Architecte des bâtiments de France consacrent une journée pour passer en revue les travaux qui sont prévus dans le secteur sauvegardé. Ils se rejoignent sur le terrain pour constater ce que les propriétaires des lieux veulent modifier et pour donner un avis favorable ou défavorable aux travaux. L'Architecte des Bâtiments de France est aussi là pour donner des conseils pour la couleur de la façade à refaire, les matériaux à privilégier par exemple parce qu'il a l'autorité sur le secteur sauvegardé ; ainsi son avis ne peut pas être remis en cause.

    Les habitants résidant dans le secteur sauvegardé ne peuvent donc pas faire ce qui leur plaît pour leurs travaux extérieurs.

    4 L'épreuve du classement de l'UNESCO

    Cette harmonie est notamment recherchée depuis que Rouen s'est présentée deux fois au concours de l'UNESCO et qu'elle n'a pas été retenue, entre autre, « pour cause d'une trop grande hétérogénéité architecturale », (P.A Lablaude, Chef des monuments historiques, entretien n°1) :

    « Tout d'abord, notre dossier manquait un peu de sens au dire des experts. Il ne suffit pas de disposer d'un patrimoine historique exceptionnel, encore faut-il avoir une véritable démarche d'interprétation et d'animation du patrimoine car les concurrents sont désormais très nombreux et la lutte est sévère. Ensuite, les abords du centre historique de notre ville ont été jugés trop peu soignés c'est-à-dire les quais, les boulevards et les entrées de la ville. (...). Enfin, les experts ont trouvé une ville très hétérogène architecturalement. Avoir un patrimoine historique c'est le conserver en ne le dénaturant pas par d'autres architecture », (Propos de P. Albertini, Maire de Rouen, sur le site : www.capidees.net).

    Les membres de la municipalité acceptent ces remarques qui sont à l'origine de cet échec mais se battent maintenant pour que la ville ait une harmonie architecturale. Cette persévérance pour la reconnaissance voudrait que chaque habitant fasse un effort, il n'est pas libre de choisir ce qu'il aime pour son habitation mais ce qui est bien pour sa ville.

    Par exemple, les commerçants doivent avoir des enseignes très réglementées et encore plus dans le secteur sauvegardé :

    En secteur A, l'enseigne perpendiculaire peut dépasser de 0,6 m ou 0,8 m selon la largeur de la rue.

    En secteur B, elle peut dépasser de 0,8 m, 1 m ou 1,2 m selon la largeur de la rue.

    L'objectif de ces mesures est de parvenir à une harmonisation de la présentation des enseignes, afin qu'elles participent à l'embellissement de la ville.

    Un autre exemple tiré de mon stage : un commerçant de la rue du Gros Horloge qui avait fait un soubassement en placoplâtre a été obligé de refaire des travaux pour y mettre de la pierre, qui est plus fidèle à l'environnement.

    Si ces contraintes existent, c'est pour garder une certaine harmonie, explique l'Architecte des Bâtiments de France. Il ne s'agit pas de contraindre les habitants sur ce qu'ils doivent faire chez eux mais c'est un devoir de conserver l'historicité du lieu, ce qui est le cas pour le projet Monet-Cathédrale. Il s'agit de supprimer la friche du Palais des Congrès, de réaliser un projet architectural contemporain et de qualité tout en respectant les obligations du plan de sauvegarde du centre-historique. L'Architecte des Bâtiments de France et la municipalité se réjouissent donc d'avoir enfin une solution pour redonner vie à ce bâtiment oublié et pour découvrir les vestiges de la façade Romé. Il s'agit d'un des objectifs de la reconquête du centre-ville.

    Cependant, le projet Monet Cathédrale est très mal compris pour ces raisons de contraintes qui ont pour but de réussir à constituer une ville avec une architecture homogène :

    « On ne peut rien faire dans cette ville, tout est toujours beaucoup trop réglementé. Et là, on me dit quoi ? Un bâtiment en verre !!! A non mais laissez-moi rire, là on court à la catastrophe. On se fout vraiment de nous ! », (Eric, Commerçant de la rue du Gros Horloge, entretien n°3).

    En effet, comment les commerçants et habitants du secteur peuvent comprendre une telle différence entre ce qu'on leur impose et ce que la municipalité laisse faire juste à côté de la cathédrale ?

    C'est d'autant plus incompréhensible que la ville a une architecture trop hétérogène. Rouen a en effet des styles architecturaux très diversifiés et ce phénomène se renforce malgré les critiques de l'Unesco.

    Des villes comme Reims ou Dresde, classées au patrimoine mondial il y a plusieurs années ont également voulu se moderniser. Mais aujourd'hui, leur suppression des villes classées est effective. L'Unesco, qui s'attache à inscrire les villes au patrimoine mondial, se met aussi un point d'honneur à vérifier si les villes inscrites respectent les critères qu'elle a proposés. Les villes classées qui ne respecteraient pas les critères seront radiées.

    5 Remettre en valeur un quartier ancien

    La reconquête du centre-ville et notamment du quartier historique, a pour but de le rendre plus dynamique, plus attrayant et de valoriser son image. La ville de Rouen a choisi de reconquérir le centre-ville par la réalisation de projets urbains qui devront être des lieux qui attire une population qui délaisse le centre de Rouen au profit de la périphérie.

    Remettre en valeur un quartier ancien et lui redonner sa valeur centrale, c'est agir sur tout le centre et toute la ville44(*).

    Les projets urbains destinés au centre-ville se manifestent par la préservation et la restauration du patrimoine. Il s'agit également de veiller à ce que les nouveaux édifices qui seront construits respectent l'environnement historique, ce qui constitue le débat de la construction de l'espace Monet Cathédrale car il est difficile de concilier protection et renouvellement du patrimoine urbain. Il faut en effet construire dans ce qui est déjà existant et par conséquent respecter l'histoire du lieu.

    Cet espace Monet Cathédrale est plus moderne et a plus de fonctionnalité que les bâtiments du centre-ville ; il apparaît comme un atout majeur pour rendre plus dynamique le centre-ville. Ce dynamisme recherché n'est pas nouveau dans les objectifs des municipalités. Déjà en 1972, il y eut l'opération de piétonisation de la rue du Gros Horloge qui fut la première opération de piétonisation de France. Elle avait bien évidemment pour but de rejeter les automobiles hors du centre-ville mais aussi de lutter contre l'émergence des nouveaux centres commerciaux qui sont dans des villes proches (Barentin et Tourville). Il fallait revitaliser l'espace central en le valorisant le plus possible. Notons que l'espace commerciale Saint-Sever avait la même portée, c'est-à-dire, conserver la population Rouennaise et attirer les habitants des villes extérieures.

    Le rôle de la piétonisation du centre-ville de Rouen qui se poursuit encore à ce jour est faite dans le but d'attirer les habitants qui préfèrent aller faire leurs achats en centre-ville. Le commerce est une attraction principale pour les secteurs piétonniers. D'ailleurs, plus le secteur piétonnier est grand, plus son attractivité est importante45(*). Pour le commerce, la piétonisation est un point positif car il y a 50% de fréquentation de la clientèle de plus lors de la création d'une rue piétonne46(*).

    Aujourd'hui, bien que le projet de piétonisation soit toujours d'actualité, d'autres projets voient le jour pour favoriser l'attractivité vers le centre, et notamment l'hyper centre de Rouen.

    En ce qui concerne l'espace Monet Cathédrale, il s'agit de mêler la tradition au moderne : tradition parce que les monuments historiques classés sont conservés et modernité parce que se greffe à ce patrimoine historique un contenu moderne, orienté notamment vers des activités de commerces et de loisirs.

    Seulement, le changement n'est pas simple à mettre en place car les professionnels de l'urbain, les politiques et les habitants qui ont eu à donner leurs avis ne sont pas tous d'accord sur le principe de concilier architecture moderne et patrimoine historique.

    Par exemple, M. Goutal, Inspecteur Général des Monuments historiques a émis un « avis favorable au troisième permis de construire qui ne comprend plus la dépose-repose de la façade Rômé mais sa conservation en place ». Mais Mme Leprince, conservatrice des monuments historiques n'est pas du même avis. Pour elle, « le dossier présenté pour l'Hôtel Romé reprend l'étude préliminaire d'octobre 2005, en la précisant par quelques documents graphiques complémentaires. Mes réserves sont donc les mêmes que celles déjà exprimées dans mon avis du 8 décembre 2005 ».

    A travers les avis divergents, nous sentons bien qu'il y a une envie de conserver l'âme de la ville.

    L'architecte retenu pour monter le projet Monet Cathédrale a une devise qui est celle de « vivre avec son temps ». Loin de la nostalgie, il y a du plaisir à construire du moderne, même si l'architecture moderne contraste avec les alentours ce qui est le cas pour l'architecte de l'espace Monet Cathédrale :

    « Certains exigent du pastiche, c'est-à-dire la reproduction de formes anciennes avec des éléments contemporains. Même si cela appartient à l'architecture, je ne l'ai jamais fait : c'est inconcevable pour moi. Le pastiche est un contresens, une énormité. Selon moi, la modernité est supérieure », (J.P Viguier, architecte du projet, extrait du Paris-Normandie du 02/10/2006).

    Pourtant cela a déjà été fait sur la place de la Cathédrale pour le bâtiment où se trouve actuellement l'enseigne Etam.

    Bâtiment qui accueillera l'enseigne Etam après des travaux de rénovation (1998)

    Le bâtiment de l'enseigne Etam rénové (1999)

    La ville de Rouen recherche à valoriser son centre-ville. Il s'agit désormais de faire évoluer l'espace urbain tout en conciliant les formes anciennes avec la modernisation du centre-ville. Dans cette partie, nous verrons que cette tâche est difficile à effectuer et nous allons comprendre pourquoi.

    1- Patrimoine et représentation

    Nous avons divisé les habitants en deux catégories : soit ceux qui ont un fort attachement aux monuments anciens et ceux qui veulent que leur ville se modernise.

    1-1 Représentation du patrimoine par les habitants

    Les habitants accordent beaucoup d'importance au patrimoine Rouennais et ont conscience du caractère unique de leur ville, seulement il demeure très mal connu.

    Certains habitants se distinguent par leur détachement, voir leur désintérêt face aux questions patrimoniales.

    Mes entretiens étant effectués avec des personnes intéressées par le sujet, je n'ai pas pu m'en rendre compte rapidement. Ce n'est qu'avec les questionnaires, qui ont été distribués à un échantillon large de la population Rouennaise que j'ai pu relever qu'il y avait une méconnaissance du patrimoine.

    En effet, à la question Quels sont vos monuments préférés ? la plupart des interrogés ont répondu la Cathédrale et le Gros Horloge. Leurs réponses ne m'ont pas interpellé car donner les symboles de la ville comme favoris va de soi. Habiter la ville aux cent clochers est très valorisant du fait du patrimoine très important et connu.

    Les Rouennais s'identifient aux symboles de la ville (Cathédrale, Gros Horloge) qui les valorisent. La quasi-totalité ont répondu positivement à la question : « Le patrimoine Rouennais est-il connu mondialement ? ».

    Les Rouennais ont une image très positive de leur ville grâce aux monuments qu'elle abrite. Le rayonnement de Rouen leur paraît être très important et l'image de Rouen comme étant une ville historique leur semble être connu partout dans le monde.

    En revanche, j'ai pu voir que les monuments symboliques étaient cités car les autres monuments étaient peu connus.

    A la question Etes-vous d'accord avec la destruction du Palais des Congrès ? presque la moitié des interrogés disent ne pas savoir où il se trouve et quelle est sa nature. Par conséquent ces mêmes personnes ne sont pas non plus au courant des débats autour de ce projet. La méconnaissance du débat se ressent pour presque tous les sondés.

    Parmi ceux qui connaissent le bâtiment, ils en ont une opinion négative et veulent le voir disparaître. Ils citent en premier le Palais des Congrès pour la question « quel monument voudriez-vous voir disparaître ? », car il n'a plus aucune fonction et il nuit à la place de la Cathédrale. Il y a une volonté de la part des Rouennais d'embellir le centre-ville et donc de faire disparaître ce qui nuit à son esthétisme, ce qui permettrait de mettre en valeur les monuments historiques.

    L'espace du Palais est cependant bien apprécié et sa conservation est tout à fait admise. Du fait de sa fonction commerciale, il a une importance particulière et son architecture s'insère bien dans le paysage.

    Ensuite, on trouve l'Eglise Jeanne d'Arc, qui a une fonction symbolique et emblématique; par conséquent, elle a une importance particulière aux yeux des Rouennais.

    Enfin, l'Aître St Maclou, symbole de l'époque Romaine est un vestige que les Rouennais veulent absolument conserver.

    Le Palais des Congrès apparaît comme un espace ignoré des Rouennais car il est vu comme un bâtiment mort depuis de nombreuses années qui gâche la place de la cathédrale. Seules de rares personnes me disent avoir le souvenir d'avoir vu le Palais des Congrès « vivant ». Cet abandon l'a cruellement marqué de tags, de palissades accablant les fonctions commerciales, animatrices des rez-de-chaussée, et produisant, de l'avis général comme de celui des experts, un aspect désastreux pour la place de la Cathédrale.

    Même s'il est fermé depuis 1996, il fait partie de la ville et lorsque les guides touristiques font visiter la place de la cathédrale, le Palais des Congrès est aussi présenté mais le seul sentiment que les touristes gardent est la laideur du bâtiment.

    La destruction de l'édifice participera alors à la production de l'espace : le Palais des Congrès n'étant plus valorisé, ne mérite pas d'être conservé ou réorganisé et sera donc remplacé par une construction jugée plus utile et plus adaptée aux nécessités du moment.

    La méconnaissance du patrimoine et des débats urbanistiques s'accentuent lorsque les personnes sont éloignées du centre ville et qu'elles sont jeunes. Les personnes âgées du centre-ville sont les plus au courant des évolutions et des débats du projet, notamment parce qu'elles lisent davantage les journaux locaux et bien sûr parce qu'elles vivent à Rouen depuis de nombreuses années et qu'elles sont intéressées par « leur » environnement.

    Mais au niveau de la population globale, il y a une forte valorisation du patrimoine symbolique de la ville mais une méconnaissance du patrimoine de façon plus précise.

    Les monuments sont connus et acceptés à partir du moment où on les a toujours connu, et qu'ils sont des emblèmes de la ville.

    La modernisation du patrimoine n'est pas ce qui dérange les habitants mais c'est la nouveauté qui dérange : « J'exagère en disant que l'espace Monet Cathédrale est vraiment hideux à cause de sa modernité. L'Eglise Jeanne d'Arc l'est aussi, et pourtant, comme je l'ai toujours connue, je ne trouve pas qu'elle dénature la paysage.» (François, ingénieur dans le bâtiment, entretien n°5).

    Tout tend donc à devenir patrimoine. En 1963, André Malraux a décidé de protéger au titre des monuments historiques quelques édifices représentatifs de l'architecture moderne. Si la tour Eiffel est reconnue digne d'être protégée, c'est parce qu'elle met en oeuvre des matériaux de l'ère industrielle et qu'elle représente l'emblème de la France. Cependant, une part importante de la production architecturale du XIXème siècle reste à l'écart du classement et de l'inscription.

    Il faut aussi prendre en compte que les lieux dont la construction relève d'une architecture contemporaine ont des fonctions tout à fait différentes des lieux avec une architecture ancienne qui humanise le cadre bâti contrairement aux constructions modernes qui sont froides, rectilignes en verre ou en béton.

    L'ancienneté des espaces est perçue comme une valorisation symbolique. Ces espaces sont connus, les personnes s'y attachent car ils font partie de leur quotidien. S'ils sont valorisés symboliquement, c'est qu'ils sont appréciés et que leur disparition déposséderait les habitants de leurs repères au détriment d'espaces nouveaux dans lesquels personne ne se reconnaîtrait.

    1-2 Les associations de sauvegarde du patrimoine et les attentes des habitants

    Ceux qui sont attachés au patrimoine militent pour la sauvegarde du patrimoine Rouennais et sont pour la plupart inscrits dans des associations qui défendent le patrimoine.

    Ces associations sont fréquentées la plupart du temps par des acteurs ayant des caractéristiques communes. Je me suis basée sur l'association « P'tit Pat Rouennais » pour mes observations. Il s'agit d'une association de personnes enthousiasmées par le patrimoine Rouennais, dont l'objectif est de veiller à la sauvegarde et à la mise en valeur de tous les éléments du petit patrimoine situé sur le domaine privé ou public de la ville.

    Beaucoup de membres de cette association sont retraités, soit plus de 60% de l'ensemble des adhérents. Que ce soit les retraités ou les actifs, qui représentent 30% de l'association, leurs métiers expliquent leur implication pour le patrimoine (professeur d'histoire, gardien de musée, photographe, journaliste...). Tous sont passionnés par l'histoire de la ville et de la Normandie ; et Rouen étant chef-lieu de la région Haute-Normandie et du département de la Seine-Maritime, ils militent pour conserver la mémoire normande.

    Enfin, dans l'association on trouve 10% d'étudiants qui sont tous en Master d'histoire ou de géographie. Ils sont les plus actifs des membres car ils ont créé le site de l'association, un blog photo sur les monuments Rouennais. Même s'ils sont une minorité, on voit chez eux un attachement au patrimoine :

    «  Ca me révolte qu'on puisse de nos jours détruire le passé sans remord et qu'on fasse pousser des bâtiments « fashions », loin de procurer les émotions que nous pouvons avoir devant un monument ancien, gigantesque, rempli de symboles.

    Oui, le Palais des Congrès est moche. Et alors ! C'était l'architecture des années 70, pourquoi tout oublier ? » (Laura, 25 ans, Master d'histoire, membre de l'association « P'tit Pat Rouennais », entretien n°7).

    « Le nettoyage des monuments c'est pareil, c'est pour faire neuf, moderne. Avant, on mettait de l'huile d'olive sur les monuments pour qu'ils se salissent plus vite, comme c'était le cas ici à la Halle aux Toiles » (Nicolas, 28 ans, Négociateur immobilier, membre de l'association « P'tit Pat Rouennais », entretien n°2).

    La mémoire du lieu et des idéologies passées est essentielle pour les conservateurs du patrimoine. Les réticents à la modernité se disent nostalgiques, ou simplement conscients des époques antérieures : il s'agit pour eux de respecter les valeurs, la mémoire et l'esthétique du lieu. Une ville musée telle que Rouen doit garder une valeur patrimoniale. « Dans la capitale de la Haute-Normandie, si fière de son patrimoine historique, on se souvient encore des tollés provoqués par l'édification du Palais des Congrès en 1976, puis de l'Eglise Sainte-Jeanne d'Arc trois ans plus tard ». (Paris-Normandie, Édition du 10.03.2006).

    Bien que les habitants se sentent attachés au patrimoine, ils avouent tout de même qu'il faut améliorer cet espace à c™té de la cathédrale.

    Pour ce faire, trois solutions auraient pu les satisfaire.

    Une première solution consistait à réhabiliter le Palais des Congrès actuel. Cela aurait évité toutes les polémiques sur la façade de l'hôtel Romé à conserver. Le Palais des Congrès étant fermé pour des mesures de sécurité, il aurait été plus simple de faire les travaux nécessaires pour qu'il soit de nouveau fréquentable.

    Alain Bourdin47(*) montre la différence qu'il y a entre la rénovation et la restauration : Pour lui, la rénovation est négative car elle coûte cher ; il faut démolir et donc commencer par perdre beaucoup de temps. Lorsqu'on commence à construire, on a déjà dépensé beaucoup d'argent : on doit donc faire haut et dense, ce qui entraîne de nouvelles charges.

    Il considère la restauration comme étant le contraire car elle coûte moins cher, elle permet d'échelonner les investissements dans le temps et rend la spéculation difficile.

    Une deuxième solution était de faire un jardin à cet endroit. Cette solution n'est pas possible pour des raisons juridiques. Il faut aller voir du côté du droit de la construction pour apprendre que les bâtiments construits à côté d'un monument historique doivent respecter le même cubage, ce qui est le cas pour le projet Monet Cathédrale. Un jardin n'est donc pas possible.

    Une troisième solution a été de faire circuler une pétition pour demander un référendum qui stipule que « Le Maire de Rouen soutient et impose un projet contre l'avis des Rouennais. Sans concertation, le Maire de Rouen veut démolir le Palais des Congrès et le reconstruire dans un volume identique. La méthode est inacceptable ! Le moment est venu pour tous les habitants de Rouen de se mobiliser ensemble, pour choisir le devenir de ce lieu tant symbolique qu'emblématique de notre ville. Nous demandons à Monsieur le Maire d'organiser cette démarche collective et de solliciter, par un référendum local, l'avis des Rouennais. NON à une reconstruction à l'identique sur la place de la cathédrale, OUI à l'organisation par la ville d'une consultation des habitants ».

    Cette catégorie de Rouennais qui se dit attachée au patrimoine et qui est très soucieuse de l'avenir des formes urbaines me fait affirmer ma première hypothèse car ces habitants ont tendance à penser que l'évolution de ces formes urbaines va dénaturer l'identité de la ville et qu'il sera très difficile d'avoir un attachement particulier au "nouveau patrimoine".

    Le glorification du patrimoine ancien est une certaine forme de production de continuité avec le passé dans une société qui privilégie davantage rupture et innovation que production et tradition. A partir du présent, elle construit un lien avec le passé en décidant de garder des objets qui nous ont été « transmis », pour les transmettre à d'autres à venir. Le patrimoine sert donc à construire du lien social dans le temps.

    Comme le rappelait l'anthropologue Maurice Godelier : «  Il ne peut y avoir de société, il ne peut y avoir d'identité qui traverse le temps et serve de socle aux individus comme aux groupes qui composent une société, s'il n'existe des points fixes, des réalités soustraites (provisoirement mais durablement) aux échanges de dons et aux échanges marchands »48(*).

    1-3 Les habitants et la volonté de modernisation

    Les habitants qui sont favorables aux transformations urbaines ne souhaitent pas une ville totalement nouvelle au niveau de son architecture mais veulent au contraire qu'apparaissent les différents styles architecturaux des époques antérieures. La reconquête du centre-ville ne doit pas être conçu comme une rupture avec le passé ni comme un rejet de la tradition mais comme une cohabitation entre l'ancien et le moderne :

    « Je ne comprends pas vraiment ceux qui sont contre le projet Monet Cathédrale car il est certes moderne mais cela ne fait qu'un style de plus sur la place. Cette place est tellement faite de styles différents que rien ne peut choquer. Le Palais des Congrès représente l'architecture des années 70. C'était de toute façon en inadéquation avec la cathédrale », (Nicolas, dentiste, entretien n°1).

    J'avais d'ailleurs noté lors de mes observations et de mes recherches la pluralité architecturale des bâtiments de la place de la Cathédrale.

    La cathédrale est une architecture du style roman, essentiellement du gothique, et approchant la Renaissance. Les trois premiers étages de la tour St Romain date du XIe et XIIe siècle ; sur la gauche de la façade, est d'un style gothique et contraste avec la tour de Beurre, située à droite. D'un côté, une froide simplicité des lignes ; de l'autre, une richesse décorative tout à fait caractéristique du gothique flamboyant. Par ailleurs, la Cathédrale dans son ensemble, est un bâtiment que la critique pourrait légitimement qualifier d' « arrogant » pour la ville, dans la mesure où l'édifice prétend dominer la ville.

    Les magasins du Printemps datent de 1928. Ils ont été deux fois transformés, en perdant leurs caractéristiques d'origine. En 1981, ont été supprimées des menuiseries qui donnaient une échelle au bâtiment, et évidemment des ouvertures qui se sont révélées désastreuses, dans la mesure où elles ont fait perdre au bâtiment son caractère originel. Le rehaussement d'un étage neuf a révélé un toit sans détails, qui est hors de proportions avec le bâtiment.

    Le bâtiment de la « pharmacie du centre » est de style art décoratif, mais d'une expression et d'un style assez rigide et il ne montre pas une qualité esthétique.

    Face au site du projet Monet Cathédrale, dans la rue Saint-Romain, il existe encore une des rares maisons du XVe siècle de la ville de Rouen.

    Cette rue, qui donne sur le projet, montre que la structure de ses maisons à pans de bois, ne serait-ce que par la présence de ses encorbellements, est formellement très différente de ses vis-à-vis. L'unité architecturale de cet espace et de cette rue, si elle existe, repose sur le simple fait que les matériaux utilisés sont les mêmes et non sur une unité architecturale.

    Le sud de la Place de la Cathédrale est ourlé de bâtiments de la Reconstruction (années 1950), dont la facture et la modénature n'est pas différente sur cette place que dans le reste de la ville, témoignant ainsi de leur indifférence à l'espace majeur de la ville au bord duquel ils sont bâtis.

    Le Bureau des finances, siège des trésoriers généraux de France, construit à l'angle de la rue du Petit-Salut, aligne des arcs surbaissés surmontés d'un entresol à l'italienne, décoré de feuillages soutenus par des angelots. Le premier étage, en revanche, est percé de grandes fenêtres sans meneau central. Cette superposition témoigne d'un mélange entre le style gothique et l'art de la Renaissance.

    Par son implantation privilégiée, le projet de construction en cause doit également amorcer une transition entre le fond de la place formée notamment par les bâtiments du Printemps, de la Pharmacie et de l'Office du Tourisme et la Cathédrale située en vis-à-vis.

    La réponse apportée par l'architecte du XXIème siècle, pour assurer cette transition, est de créer une double peau vitrée en façade principale Sud soutenue par une trame métallique verticale. La densité de cette trame s'estompe dans les niveaux supérieurs, participe et prépare ainsi à l'important effet d'élancement de la cathédrale située à proximité immédiate.

    Maquette de l'Espace Monet Cathédrale vue de la rue du Gros Horloge

    Les vitres permettront d'apercevoir la cathédrale en reflet, comme pour le projet que J.P Viguier a fait à Reims.

    La Cathédrale de REIMS

    L'architecte avait rencontré des habitants inquiets qui avaient l'impression que le dossier de la médiathèque n'était pas réfléchi. Mais avec le recul, les habitants sont très heureux du rendu. L'incorporation d'une architecture moderne sur le site du parvis de la Cathédrale n'a pas entraîné un éclatement de l'architecture mais au contraire une transformation douce. Le reflet de la Cathédrale gothique dans la médiathèque en verre juste en face est un mélange qui plait beaucoup aux habitants et aux touristes.

    En conclusion, les styles de la place de la Cathédrale ne peuvent en aucun cas être dit unitaires, ni même cohérents. Il s'agit, pour l'architecte de produire la meilleure expression de l'architecture de son époque.

    Vu la diversité architecturale, faire un immeuble en colombage pour l'espace Monet Cathédrale n'aurait pas de sens. Pour les adeptes de la modernité, ce serait reculer d'un pas. Ils conçoivent le patrimoine dans son aspect dynamique et dans son intégration au projet urbain.

    Envisager sa démolition n'est contesté par personne. Son remplacement par un édifice neuf, contemporain, ne peut être considéré que comme un progrès, voire un embellissement du site.

    Les personnes qui se situent dans cette perspective me font infirmer ma première hypothèse car elles voient à travers les modifications spatiales une formidable avancée. Pour elles, l'identité de « ville d'histoire » de Rouen n'est en rien remise en cause car tous les monuments historiques restent inchangés et constituent la mémoire historique. Les nouveaux bâtiments construits révèlent une nouvelle période architecturale et les oeuvres récentes doivent cohabiter avec les monuments historiques.

    A travers les deux types de réactions face à l'évolution du patrimoine Rouennais, nous ne pouvons répondre catégoriquement à ma première hypothèse. L'analyse ne permet pas en effet de dire si les habitants s'identifieront ou pas au nouveau lieu car ils disent ce qu'ils pensent ressentir mais seul le temps permet d'assurer que l'oeuvre contemporaine pourra rétrospectivement être admiré comme un succès, une banalité ou un échec.

    La moitié des personnes réticentes à un projet moderne ne savent pas comment ils vont réagir face au bâtiment lorsqu'il sera construit. Mais ceux qui disent qu'ils ne se l'approprieront jamais ne seront finalement peut-être pas si mécontents du résultat. Les surprises de pérennité face aux critiques destructives sont nombreuses dans ce domaine. Par exemple, la Tour Eiffel est parmi les édifices exceptionnels qui ont été décriés, alimentés par des pétitions négatives alors qu'elle est devenue un des emblèmes de France et que le temps nous présente aujourd'hui comme exceptionnellement réussi. Mais à quelques exceptions près, l'architecture moderne n'a pas réussi à acquérir une valeur patrimoniale.

    2- Le poids des médias dans l'avis des habitants

    Les habitants se font une idée du projet par rapport à ce qu'ils lisent et voient dans les journaux locaux mais la façon de présenter le projet est très différente selon que le journal soit codirigé par le maire (Le Rouen Magazine) ou par un journaliste d'un journal quotidien.

    En effet, dans « Rouen magazine » consacré au projet Monet Cathédrale49(*) tout paraît réfléchi car il est dit que « le projet retravaillé s'est enrichi des remarques des Rouennais et d'expertises avisées ». Or, les remarques faites par les Rouennais sont loin d'avoir été prises en compte. La hauteur est toujours la même que le bâtiment actuel, les matériaux ont évolué mais pas en faveur des habitants : le bois et le cuivre qui devait structurer le bâtiment en verre ont été enlevés du projet.

    Dans un second numéro du « Rouen Magazine » consacré à l'évaluation de la ville par ses habitants, on trouve de très bons résultats en faveur des actions que la municipalité a menées. En effet, 86% des habitants, en 2006, se disent satisfaits des actions en faveur de la restauration du patrimoine50(*). C'est une hausse de 4% par rapport à 2004. Or, pour le projet, il s'agit non pas d'une restauration du patrimoine mais d'une construction nouvelle au sein d'un patrimoine existant.

    Dans ce même magazine, on apprend que 31% de la population Rouennaise trouve que l'argent des impôts n'est pas bien utilisé par la municipalité. La partie de la population qui pense que le projet Monet Cathédrale est payé par la commune me dit que cette construction est un gâchis d'argent public: « Actuellement le Palais est une verrue repoussante, donc je suis impatiente qu'il soit détruit. Mais je ne me réjouis pas car c'est un gâchis d'argent public » (Anne-Cécile, professeur d'histoire, entretien n°4).

    Dans le « Paris-Normandie », on devine un certain cafouillage dans le projet, aussi bien au niveau politique que social. Les remises en cause de ce projet sont nombreuses et le recours au tribunal administratif par l'ancien maire de Rouen, Yvon Robert, qui est aujourd'hui vice-président du Conseil Général est souvent abordé.

    Contrairement à « Rouen Magazine » qui donne des informations toujours positives, le « Paris Normandie » dénonce et rappelle les projets modernes antérieurs qui ont échoué.

    Cette différence est encore plus flagrante si l'on compare deux enquêtes similaires, l'une publiée dans « Rouen Magazine », l'autre dans le magazine « Stratégies »50(*) datant de novembre 2005. Cette enquête classe 23 villes de la mieux notée à la moins bien notée par ses habitants.

    Ces deux enquêtes ont été réalisées pour interroger les habitants et savoir l'opinion qu'ils ont de leur ville.

    Si l'on en croit « Rouen Magazine » qui rend compte de l'avis des habitants sur leur ville, on peut attendre que Rouen soit bien placé par rapport aux autres villes. Or, dans le magazine « Stratégie », Rouen obtient la plus mauvaise moyenne avec 53/100. Des thèmes très variés ont été abordés et, mis à part le commerce et le transport, Rouen a une mauvaise réputation selon cette enquête.

    En effet, Rouen a la plus mauvaise position en ce qui concerne la ville où on se sent le plus heureux, les actions pertinentes de la municipalité, la vie en générale, l'image de la ville, le développement économique et le rôle des élus. Elle obtient l'avant dernière place en ce qui concerne la famille et l'éducation, les acquis et les loisirs.

    On peut noter que les items choisis pour l'enquête ne sont pas tout à fait les mêmes pour les deux magazines et qu'il faut donc le prendre en compte pour la comparaison entre les deux enquêtes. Nous trouvons cependant des items communs, comme le transport qui a une évaluation positive de 83% dans « Rouen magazine » et obtient une note de 70/100 dans le magazine « Stratégie », ce qui lui donne la 7ème place sur 23 villes notées.

    Pour les loisirs, « Rouen magazine » donne une évaluation positive de 70%, dans « Stratégie », il obtient une note de 70/100 et il se retrouve 22ème sur 23.

    Pour la sécurité des habitants, « Rouen magazine » attribue une évaluation positive de 60% et « Stratégie » publie un résultat de 58/100.

    Enfin, pour ce qui est de l'aide sociale, 53% des Rouennais selon « Rouen magazine » l'évaluent positivement, le magazine « stratégie » l'évalue positivement à 60%.

     

    Rouen magazine

    Magazine Stratégie

    Transports en commun

    83%

    70%

    Loisirs

    70%

    65%

    Sécurité des habitants

    60%

    58%

    Aide sociale

    53%

    60%

    Evaluations positives des Rouennais sur différents thèmes selon deux magazines en 2005.

    Les résultats publiés dans « Rouen magazine » et dans « Stratégie » comportent une assez grande différence (13 points) pour le thème transports en commun. Or, pour les thèmes loisirs, sécurité des habitants et aide sociale on note une différence beaucoup plus faible entre les résultats des deux enquêtes.

    Dans « Rouen magazine », le Maire se félicite pour les résultats qu'il qualifie d'encourageants. Mais si on se penche sur le classement établi par « Stratégie » on se rend compte que les résultats sont loin d'être encourageants. Même si l'aide sociale est évaluée positivement à 60%, elle est classée 21ème sur un classement de 23 villes. Ce magazine, insiste bien sur le fait que Rouen n'a que deux atouts, à savoir, le commerce et le transport en commun. Ce dernier thème avec 70% d'évaluation positive se trouve en effet à la 7ème place du classement.

    Il faut donc se méfier des chiffres qui « paraissent » bons et que l'analyse glorifie. Les thèmes supplémentaires notés par le magazine « Stratégie » montre que Rouen a encore beaucoup de travail et d'effort à faire pour que la ville ait une bonne réputation.

    3- Les enjeux de la reconquête du centre-ville

    3-1Une fonctionnalité de la place plus grande mais un processus de

    gentrification en marche.

    Aujourd'hui la place de la Cathédrale est surtout un lieu touristique. On la visite, on se rencontre, on y passe. Quand l'espace Monet Cathédrale sera construit, la place aura des fonctions supplémentaires vu que le nouveau bâtiment accueillera 1514m2 de commerce (boutiques de luxe et bar), 775m2 de salles de réunion, 50 logements, dont 11 F1, 13 F2, 8 F3, 6 F4, 12 F6 ainsi que 88 places de parking en sous-sol. L'espace Monet Cathédrale aura de nombreuses fonctions : la fonction d'habiter, de travailler, de se divertir et celle de circulation. Ces fonctions sont issues de la Charte d'Athènes et sont les clés de l'urbanisme moderne. La reconquête du centre-ville favorisée par la pluralité des fonctions sur un même lieu est une stratégie qui est aussi utilisée pour le réaménagement des docks de Rouen. Selon le Maire, « cet urbanisme, qui est l'occasion de renforcer l'attractivité de Rouen, obéit à trois principes. La mixité des fonctions : habiter, travailler, se détendre, sur un même territoire. Une diversité des formes architecturales et des types d'habitat »51(*). La place de la Cathédrale rassemblera toutes les fonctions nécessaires de la vie. Cette « machine à habiter » ne cesse de se développer depuis l'époque de Le Corbusier.

    Désormais l'espace est pensé pour satisfaire les habitants par rapport à leur mode de vie. Il est en effet de plus en plus courant de voir se centraliser des activités diverses comme il en est question pour le projet.

    Ce bâtiment censé reconquérir un espace peu investi par les habitants ne va peut-être pas être pour autant un atout majeur pour le commerce de la ville au détriment des centres commerciaux.

    En centre-ville, les personnes s'y promènent mais achètent en fait très peu contrairement aux centres commerciaux où elles s'y rendent dans un but précis.

    Mais nous pouvons distinguer que les personnes qui se rendent en centre-ville pour faire leur courses ne sont pas les mêmes que celles qui préfèrent aller dans des grands centres-commerciaux. A Rouen, on remarque que le commerce de proximité construit en vu d'attirer les personnes vers le centre-ville ne satisfait que la partie de la population âgée ou issue de milieux aisés car ces personnes peuvent se permettre de faire leurs achats dans des boutiques luxueuses et qui pratiquent des prix élevés.

    Le luxe qui sera encore plus présent dans l'espace Monet Cathédrale tend en fait à reconquérir le centre-ville grâce aux plus aisés et mettre en marge ceux qui ne peuvent accéder à des boutiques de luxe. Le processus de gentrification procède par une sélection de la population :

    Une partie de la population se sentira alors obligée de fuir en périphérie pour différentes activités, contrairement à Brest52(*) où une étude a montré que les habitants de quartiers à fort taux de logements sociaux étaient des captifs du commerce de proximité alors que les habitants de quartiers plus favorisés faisant au contraire leurs achats en périphérie.

    3-2 Une mixité renversée

    Depuis le début de sa dégradation, l'extérieur du Palais des Congrès est occupé par des S.D.F. Du côté de la rue St Nicolas, un banc est très souvent couvert d'une couverture et non loin de lui se balade son « propriétaire ».

    Du côté de la rue des Carmes, un S.D.F a installé son lit. Il a élu domicile là et parle de « sa maison ». Lors d'une conversation avec lui, il a pu me confier que le Palais des Congrès était le refuge des pauvres : « Ici on est protégé du vent, de la pluie, et puis quand on veut pisser, on va derrière, alors je suis là tout le temps, tout le monde me connaît, ici c'est chez moi », (Michel, SDF, entretien n°8).

    Mais depuis début Avril, sa « maison » n'est plus accessible. Des plaques de tôle ont été posées tout autour du Palais, sur lesquelles est affiché le permis de démolir.

    Aussi, l'image de ce bâtiment est doublement négative du fait de l'esthétique du bâtiment et de sa fréquentation.

    Les Rouennais passent très vite devant le bâtiment, il est réservé à une population bien ciblée. Seuls les bancs qui se trouvent devant le palais, face au parvis de la Cathédrale sont fréquentés par des Rouennais et les touristes.

    Lorsque l'espace Monet Cathédrale aura vu le jour, la fréquentation de ce lieu sera peut-être

    bien différente. Les logements et les boutiques seront réservés à une population particulière mais très différente de ceux qui fréquentent les extérieurs du Palais actuellement.

    De par le prix des logements, les types de boutiques qui vont être à l'intérieur, on s'attend à

    passer d'une fréquentation des lieux par des personnes pauvres à une fréquentation par la population la plus bourgeoise.

    L'embourgeoisement du centre-ville connu sous le nom de gentrification le rendrait selon certains plus dynamique et plus valorisé.

    Que ce soit du côté des habitants ou du côté des élus, tout le monde partage l'avis selon lequel l'espace urbain doit être investi par ses habitants. La consultation des habitants est une pratique démocratique, qui leur permet de participer activement à la vie de cité.

    Depuis la décentralisation des décisions, la consultation des habitants est de plus en plus sollicitée. Par exemple, la seule participation des citoyens aux élections municipales paraît insuffisante aux habitants et par conséquent, la loi de Démocratie de proximité donne plus de poids à la Démocratie locale dans les communes de plus de 3 500 habitants.

    Le Maire devient en effet un acteur plus important et plus responsable, par conséquent il peut consulter ses habitants pour le guider, ce que pouvait difficilement se faire quand toutes les décisions étaient prises par l'Etat.

    1- Le fonctionnement de la démocratie participative « en théorie »

    La démarche de programmation concertée et participative (PCP) suppose l'existence d'une volonté forte de s'engager dans un tel processus qui doit se traduire par la présence du Maire à la tête du comité de pilotage.

    La concertation et la participation concernent chacune des phases de programmation depuis le début jusqu'à la réalisation du projet (projet/diagnostic/programme/conception/ réalisation). En théorie, la démarche est linéaire, mais la plupart du temps, les phases s'entremêlent car il faut toujours avoir en tête les phases qui vont suivre. Par exemple, en pensant au projet Monet Cathédrale, il aurait fallu anticiper sur les réactions des habitants.

    Tout au long du processus, trois instances vont être conduites à intervenir. Tout d'abord, l'instance décisionnelle, c'est-à-dire le groupe de pilotage comprenant les représentants de la maîtrise d'ouvrage et des différents partenaires publics et privés, propriétaires et gestionnaires.

    Ensuite, on trouve l'instance opérationnelle, qui comprend l'équipe de programmation et celle de conduite d'opération.

    Et enfin, l'instance de citoyenneté et d'usagers qui intervient sous trois modalités, à savoir des individus et des collectifs comme le conseil de quartier, des groupes de travail animés par des assistants extérieurs à la maîtrise d'ouvrage et des débats publics organisés à la fin de chaque étape.

    2- Vision de la démocratie participative par les élus et les enjeux de pouvoir

    La municipalité de Rouen prône une plus grande participation des habitants :

    « La démocratie implique une participation active à la vie de la cité car le destin d'une communauté dépend de chacun de ses membres. Face aux grands enjeux de notre temps, le citoyen est celui qui s'informe, participe et non celui qui subit passivement le cours des choses », (P. Albertini, Maire de Rouen, extrait du « passeport citoyen »).

    Dans ce même livret « passeport citoyen », il est inscrit que « chaque citoyen peut manifester son intérêt pour la gestion de sa ville en participant aux réunions publiques, en s'associant aux séances du conseil municipal qui sont ouvertes à tous. Enfin, les conseils de quartiers sont des espaces de réflexion et de propositions qui sont largement ouverts : ils ne demandent qu'à accueillir les habitants ». 14 conseils de quartiers sont prévus à cet effet.

    La municipalité semble ouverte à des dialogues avec les habitants qui paraissent être des acteurs de la ville, essentiels pour la faire évoluer. 

    Le regard porté par les habitants sur leur ville semble être pris en compte mais pour l'adjoint au Maire à l'urbanisme, « la co-production est loin d'être en place à Rouen, à mon grand regret. Je voudrais que tout fonctionne comme à Nancy qui avait créé des commissions municipales de quartiers, surnommées depuis des Ateliers de vie de quartiers ». (Edgar Menguy, adjoint à l'urbanisme à la Mairie de Rouen, Entretien n°10).

    On pointe le doigt sur une faille de la ville de Rouen. Il n'y a pas assez de prise en compte de tous les avis, et notamment ceux des habitants. Une bonne décision n'est pas le résultat d'une concertation entre les politiques et les experts. Il manque cette prise en compte des habitants qui est valorisée pas les politiques et voulue par les habitants mais qui est pourtant peu réelle.

    Les réunions publiques qui ont eu lieu les 5 mai et 9 juin 2004 avaient pour but de parler avec les habitants et de prendre en compte leurs attentes. Or, lorsque ces réunions ont eu lieu, les habitants ont exprimé ce qu'ils souhaitaient et ce qu'ils ne souhaitaient pas pour le remplacement du Palais des Congrès. Ils avaient notamment dit ce qui ne leur plaisait pas dans le projet proposé par J.P Viguier. Même si leur avis a été noté, cela va-t-il influencer le projet ?

    Pour illustrer cette pratique de décider sans les habitants, on peut prendre pour explication celle de Schumpeter lorsqu'il parle de la participation des habitants : « Le citoyen typique, dès qu'il se mêle de politique régresse à une niveau inférieur de rendement mental (...) la masse électorale est incapable d'agir autrement que les moutons de Panurge »53(*).

    C'est tout à fait se qui se passe pour Rouen, car en théorie, c'est aux habitants de composer ou de recomposer leur ville, or, ils n'ont le choix que lors des élections. Une fois les élections terminées, ils n'ont plus à décider de rien.

    La participation demeure donc un idéal de la démocratie qui est légitimée par les politiques mais qui est en pratique très peu utilisée à en croire les Rouennais.

    Néanmoins, il est très difficile de concilier toutes les volontés tant elles sont divergentes. En effet, comment satisfaire ceux qui souhaitent un bâtiment en pans de bois, ceux qui sont pour l'aménagement d'un jardin, ceux qui sont pour la construction d'un bâtiment futuriste...

    C'est pour cette raison que le Parti Socialiste a demandé un référendum pour satisfaire le plus d'habitants. Il a été distribué sur la place de la Cathédrale en mars 2005 des tracts ayant pour but de sensibiliser les personnes sur l'environnement des habitants et sur leur pouvoir de faire changer ce qu'on leur impose au niveau urbain si chacun se mobilise. Pour le Parti Socialiste, si un référendum est créé pour consulter les Rouennais au sujet du devenir de l'espace où se trouve le Palais des Congrès, les déçus du résultat se feront au moins une raison car la décision sera démocratique.

    Le problème du non-respect de la démocratie participative profite aux partis politiques qui ne sont pas élus car ils peuvent prendre position et aller dans le sens de la majorité de la population si elle est contre la municipalité en place. Donc, le Palais des Congrès est un alibi pour les enjeux politiques qui se situent ailleurs.

    Les avis favorables ou défavorables des politiques concernant le projet sont ainsi une stratégie politique. Vu que la municipalité est pour le projet et que la plupart des habitants sont contre, le Parti Socialiste n'a pas hésité à être partisan du non.

    Lors de mon stage au service du droit des sols, j'ai pu me rendre compte à quel point les projets urbains sont un moyen de gagner des élections, mais aussi de les perdre :

    « Si Menguy signe ça, c'est fini pour lui, on est trop proche des élections pour accepter des projets merdiques comme ça », (Extrait d'une réunion entre le chef du service urbanisme, celui du droit des sols et l'Architecte des Bâtiments de France).

    C'est ce qui c'était passé pour Yvon Robert lors des élections municipales de 1995. Au lendemain des élections, le Paris Normandie avait écrit que « l'attitude du PS pendant 7 années d'opposition soit la cause principale de l'échec de Yvon Robert. Sa désinvolture qui frôle l'irresponsabilité notamment dans le dossier du projet Monet-cathédrale a pesé lourd dans les urnes », (Hélène, éducatrice spécialisée, entretien n°6).

    J'ai notamment appris dans une réunion lors de mon stage que les Verts s'étaient désolidarisés du PS pour l'histoire du Castorama de Darnetal car Yvon Robert voulait absolument faire passer le projet, contrairement aux Verts. Bien qu'il y était peu favorable lui-même, il a accordé le projet. Malheureusement ce fut une tactique qui n'a pas marché car il a perdu les élections.

    Le rôle du politique est donc prépondérant au moment de la mise sur agenda car il affirme une stratégie politique et électorale :

    « L'architecte, qui a appris à défendre ses projets tant devant les habitants et les élus qu'en justice, estime qu'Yvon Robert, bien seul, est motivé par des ambitions politiques. Il se base sur les avis défavorables mais il oublie de joindre des avis favorables ! » (extrait de J.P Viguier, architecte du projet, Paris-Normandie du 2/10/2006).

    Les projets proposés sont sources de conflits entre partis politiques : « Yvon Robert a une position : c'est fait par Albertini et son équipe, donc nous sommes contre ! » (Nicolas, négociateur immobilier, membre de l'association "P'tit Pat Rouennais", entretien n2).

    Quel que soit le projet, les différents partis politiques se rejoignent très rarement, pour toujours avoir une partie de la population qui les suit. Il y a les pour et les contre, et les habitants voteront pour le candidat qui a la même idée qu'eux. « Je souhaite que ce projet ne voit jamais le jour et je suis prêt à voter pour quelqu'un qui me proposerait une autre solution, dommage que Mr Albertini ne comprenne pas ça ! » (Nicolas, négociateur immobilier, membre de l'association "P'tit Pat Rouennais", entretien n2).

    Les habitants, qu'ils soient de gauche ou de droite peuvent avoir des avis qui se recoupent. Par exemple, 54% des personnes ayant répondu aux questionnaires sont de gauche et 40% sont de droite mais ces 40% ne sont pas tous pour le projet, et par conséquent pas en accord avec Mr Albertini.

    Il n'y a donc pas de lien entre l'appartenance politique des habitants et leur avis sur le projet : sur les 40 % des personnes qui sont de droite, il y a plus de personnes contre que pour le projet.

    On pourrait croire que la municipalité de droite se lance sans hésiter dans la rénovation de quartiers anciens pour permettre à la bourgeoisie locale d'avoir encore plus sa place dans le centre-ville. En revanche, le Parti Socialiste tend plus à trouver des alternatives pour le devenir de l'espace quand le Palais des Congrès sera détruit. Il se montre en effet plus réticent et on peut émettre l'hypothèse qu'il est hostile à une ségrégation qui reposerait sur la classe sociale au sein du centre-ville.

    Conseils de quartiers et participation

    Les habitants voulant participer à la vie locale peuvent s'inscrire dans les conseils de quartiers. Ces conseils de quartiers sont divisés en différents groupes de travail. Par exemple, un groupe de travail sur le patrimoine. Les personnes qui y participent peuvent donner leur avis ou être consultés.

    Seulement, les conseils de quartiers sont souvent un lieu où chacun se plaint de ces problèmes quotidiens (voirie, propreté...).

    Durant mes observations dans les réunions du conseil de quartier « Vieux-marché/ Cathédrale », j'ai remarqué une forte homogénéité des membres qui y étaient présents et je me suis interrogée sur la légitimité des conseils de quartiers si tous les habitants n'y sont pas représentés.

    D'après les caractéristiques des participants, l'âge, la profession ainsi que le diplôme paraissent offrir le meilleur moyen pour intégrer un conseil et exposer les problèmes de sa ville et de proposer des solutions.

    Quoiqu'il y ait la parité homme/femme dans les conseils de quartiers, on observe des membres « stéréotypés ». En effet, sur 412 conseillers inscrits lors du renouvellement de février 200454(*), on comptait 38% de retraités. Les actifs qui étaient 58% au 31 décembre 2005 ont des caractéristiques communes, c'est-à-dire un niveau d'études élevé et ils ont pour la plupart des professions libérales.

    Les jeunes sont en revanche faiblement représentés : 1% des membres ont entre 18-25 ans et 13% ont entre 25-39 ans.

    Fréquentation des conseils de quartiers 2004-2007

    Retraités

    38%

    Actifs

    58%

    Inactifs

    4%

    18-25 ans

    1%

    25-39 ans

    13%

    39-50 ans

    38%

    50-75 ans

    48%

    Données recueillies sur le site www.rouen.fr

    Pour être membre d'un conseil de quartier, il n'y a pourtant aucune contrainte et le droit d'expression est ouvert au plus grand nombre. Cela voudrait alors dire qu'il y a une « sélection  naturelle » des habitants, chacun sachant quel est son rôle. Pour y remédier, il me semble qu'il serait bien d'effectuer des tirages aux sorts pour désigner les personnes qui seront dans le conseil de quartier. Ainsi, chaque habitant est susceptible d'être choisi et le conseil assurerait une représentation plurielle de la population. Mais cette solution du tirage au sort suppose que tous les habitants veulent participer à l'élaboration de sa ville, seulement, beaucoup d'habitants ne sont pas intéressés par les évolutions de leur ville. Par exemple, « lors d'une réunion entre la municipalité et les habitants de la rive gauche, lorsque le Maire en est venu à parler du Palais des Congrès, pas un mot. Personne dans le public n'a souhaité obtenir de précisions sur le projet d'espace Monet-Cathédrale. Visiblement, la polémique n'intéresse pas la rive-gauche car la place de la Cathédrale semble loin. Mais il est aussi possible que les habitants n'osent rien dire car ils pensent que ce n'est pas leur rôle ». (Édition du 09.06.2006, Paris Normandie)

    La sociologie de la domination a montré que l'inégal accès à certains espaces publics était indexé à la distribution différenciée des capitaux sociaux et culturels. L'autorité de la parole serait alors corrélée à l'autorité sociale du locuteur.

    L'espace public est donc « restreint » à une tranche de la population et fermé sur une élite informée, concernée et éclairée.

    Tous les membres du conseil sont au courant de tout ce qui se passe dans la ville et se sentent en effet très concernés par les évolutions urbaines.

    L'adhérence au conseil de quartier est la plupart du temps un moyen de se faire entendre, de se sentir utile comme le dit un membre interrogé :

    « Ici on parle de tout, ce qui nous dérange. Il y a toujours quelqu'un de la mairie pour écouter. Ce qu'on dit c'est rapporté plus haut. C'est un peu le seul moyen qu'on a de se faire entendre. Et puis quand on doit donner un avis sur un projet, on le donne et dans ces cas là, on sent qu'on met notre empreinte dans les futurs projets », (Nicolas, dentiste, entretien n°1).

    Cette participation satisfait une partie de la population seulement, car les conseils de quartiers sont créés pour qu'ils émettent des avis consultatifs, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucune décision à prendre. La municipalité peut prendre en compte ce qui ressort des réunions mais peut également passer outre. Les conseils de quartiers n'ayant aucun moyen pour s'opposer aux décisions prises.

    Le fait que ce soit les élus qui aient le pouvoir de tout décider met à mal la théorie d'Habermas selon laquelle les citoyens ont des recours pour émettre leur avis.

    Nous sommes dans ce que Weber appelle la domination légale-rationnelle, caractéristique des sociétés modernes. Des règles sont rationnellement établies pour accéder au pouvoir et celui qui l'exerce a un statut légal. L'Etat peut exercer le « monopole de la violence légitime » ; par conséquent, il exerce une domination sur la population, mais cette domination est rationnelle et fait le moins possible appel à la violence.

    La liberté de parole des individus pour participer à la production de la ville pourtant prônée par Pierre Albertini,, est en fait une « liberté négative »55(*) qui a remplacé la confiance qu'accordait l'Etat aux individus par une méfiance prudente, car la confiance en les habitants était vue comme dangereuse. La « liberté négative » a également eu comme conséquence de demander la participation des habitants pour la recherche de garanties pour la municipalité au lieu de rechercher ce qu'ils veulent vraiment.

    Selon les habitants, Ivon Robert faisait plus de choses en les annonçant aux habitants. « Albertini lui, fait des effets d'annonces, il met les gens devant le fait accompli, il décide de choses tout seul. (Exemple du projet du rond point place cauchoise). Avec Albertini on ne sait jamais où on va », (Nicolas, Négociateur immobilier, membre de l'association « p'tit pat Rouennais, entretien n°2).

    C'est pour cette raison de domination de l'Etat sur les dominés que sont les habitants, que des associations se sont crées, comme celle du « P'tit Pat Rouennais » car elles ont une reconnaissance juridique.

    « Avant quand j'étais dans le conseil Cathédrale, j'étais dans le groupe de travail « patrimoine », c'était pas mal, j'ai appris beaucoup et je pense avoir aussi beaucoup apporté. Mais au final, un conseil de quartier c'est plutôt pour parler de ses petits problèmes quotidiens (...) et même quand on veut réellement être puissant, on ne peut pas car la municipalité fonce bille en tête sans nous écouter, et franchement on n' a rien à dire à cela, alors j'ai créé mon association sur le patrimoine, et maintenant je me sens plus puissant », (Daniel, retraité, Président de l'association « P'tit Pat Rouennais », entretien n°11).

    Dans une ville, seules les associations peuvent aller en justice si elles sont en parfait désaccord avec les projets de la municipalité. Elles ont donc un pouvoir qui peut avoir un effet sur l'évolution de la ville. Dans une association on agit, alors que dans le conseil de quartier on donne un avis consultatif.

    Notre analyse sur la participation des habitants nous donne une réponse précise pour répondre à notre deuxième hypothèse. En effet, bien que les habitants soient parfois consultés par la municipalité sur différentes questions, il est indéniable que leur rôle s'arrête là. Le fait d'émettre son avis en conseil de quartier ne donne pas au citoyen un rôle fondamental vu que son avis est seulement consultatif. L'effort de démocratie participative, tel qu'il est qualifié, ne change pas le fonctionnement interne de la municipalité qui dirige toujours seule.

    4- Choix démocratique et concours d'architecte

    Cette idée d'un concours d'architectes est abordée par la majorité de personnes dans les entretiens.

    De plus en plus de ville y ont recours afin de donner le choix à la population de choisir parmi plusieurs projets pour la construction d'édifices publics. Un concours d'architecte avait eu lieu à Rouen pour le projet de l'Eglise Jeanne d'Arc : « L'Eglise Jeanne d'Arc est une réussite mais elle est le fruit d'un concours d'architecte. L'architecte avait pris en compte les avis d'associations comme les avis des « Monuments Rouennais », (Daniel, retraité, Président de l'association « p'tit pat Rouennais », entretien n°11).

    En effet, on retrouve des matériaux de l'Eglise qui rappellent la Place du Marché comme le souhaitait la plupart des personnes consultées. Un apport de matériaux nobles dans une construction moderne pour y donner l'âme du lieu et ainsi faire une transition douce entre le bâtiment moderne et ses alentours de constructions anciennes, notamment, des immeubles à pans de bois.

    Le concours d'architecte apparaît être un moyen démocratique de choisir un projet. La concertation de différents acteurs de la ville, dont les habitants, leur donne une légitimité dans leur rôle d'habitant.

    Par le choix que la population fait parmi les différentes maquettes qui leur sont proposées, on observe la représentation qu'ils se font de leur ville. Par conséquent, les édifices publics construits dans leur registre symbolique et architectural incarnent les valeurs que la communauté juge juste de défendre. C'est pour cela que le projet Monet Cathédrale est assez mal accueilli par les habitants car ils pensent qu'il dénature les monuments environnants. Le seul fait de rajouter des matériaux nobles comme le bois et la pierre dans la construction aurait apaisé les réactions des Rouennais et le projet Monet Cathédrale aurait peut-être pu devenir un symbole de la ville au même titre que la Cathédrale ou le Gros Horloge : «  L'Eglise Jeanne d'Arc est maintenant présente sur de nombreuses cartes postales, alors qu'à l'époque, elle n'était pas souhaitée par la plupart des Rouennais », (Daniel, retraité, Président de l'association « p'tit pat Rouennais », entretien n°11). Cette réputation de l'Eglise Jeanne d'Arc peut être expliqué selon Laurent C. par « le fait que la célébrité de l'édifice ne provient pas seulement de la valeur esthétique de son architecture et de son décor mais aussi des multiples polémiques qu'il a suscitées »56(*). Si on prend l'idée de l'auteur, on peut alors s'attendre à de grandes surprises car les polémiques autour de l'espace Monet Cathédrale ont été très nombreuses. Alors pourquoi ne deviendrait-il pas le nouveau symbole de Rouen ?

    La ville est un outil de travail.

    Les villes ne remplissent plus normalement cette fonction.

    Elles sont inefficaces : elles usent les corps, elles contrastent l'esprit.

    Le désordre qui s'y multiplie est offensant : leur déchéance

    blesse notre amour-propre et froisse notre dignité.

    Elles ne sont pas dignes de nous.

    Le Corbusier, 1925.

    Tout au long de ce mémoire, j'ai analysé les processus de requalification du centre-ville à travers deux paramètres qui sont la patrimonialisation et la participation citoyenne au niveau local afin de déterminer les enjeux politiques et spatiaux d'un changement spatial, ce qui m'a amené à me poser deux questions qui ont bâti mon analyse : L'introduction d'une architecture moderne au sein du patrimoine historique de Rouen nuit-elle à l'identité de la ville ? et Les processus de consultations concernant l'aménagement sont-elles démocratiques ou apparaissent-elles comme une mesure technocratique ?

    Ces questions ont été posées pour réfléchir sur la démolition du Palais des Congrès et la construction de l'espace Monet Cathédrale.

    Afin de répondre correctement et le plus précisément possible à ces questions, j'ai choisi différentes méthodes et techniques de terrain, à savoir, la recherche de documents, l'entretien et le questionnaire.

    Dans cette conclusion, je vais revenir sur certains aspects abordés dans les diverses parties.

    J'ai affirmé dans ma première hypothèse que la stratégie de reconquête du centre-ville par la construction de formes urbaines modernes nuisait à l'identité de la ville et par conséquent à la mémoire urbaine qui se transmet d'une génération à une autre. Je n'ai pu affirmer ou infirmer l'hypothèse car je me suis retrouvée face à deux types d'acteurs : tout d'abord ceux qui restent attachés au patrimoine ancien et qui ont une réticence face à la modernisation des formes urbaines. Pour eux, le patrimoine et sa sauvegarde constitue une valeur fondamentale et risque d'être mis en péril par les évolutions urbaines.

    Ensuite, il y a ceux qui pensent que la modernisation des formes urbaines est indispensable car elle va de pair avec l'évolution de la société. Ce n'est pas pour autant qu'ils souhaitent une modernisation totale du centre-ville car eux-mêmes sont très attachés au patrimoine ancien. L'importance du patrimoine Rouennais est immense pour une très grande majorité des Rouennais et il constitue une fierté. Mais une confrontation des différents styles architecturaux leur apparaît être une bonne manière de satisfaire tous les habitants et de laisser une place pour chaque époque.

    Dans ma deuxième hypothèse, j'ai affirmé que les habitants avaient une place grandissante dans les processus de décisions des politiques locales au niveau des décisions urbanistiques. Lors de mon enquête, j'ai pu en effet voir que les politiques prônent cette participation citoyenne car elle semble être la seule solution pour produire efficacement la ville. Or, même si la participation est plus encouragée qu'auparavant, j'ai pu remarqué les obstacles à celle-ci : divergences des avis, l'impossibilité de faire ce que proposent les habitants... Par conséquent, les avis des habitants ne sont pas pris en compte pour faire évoluer les projets. Entre la réalité et la théorie, un écart se creuse. Même si les conseils de quartiers existent dans le but de faire une place aux citoyens, leurs avis et commentaires ne sont que consultatifs. A Rouen, les politiques font ce qui leur semble être le plus simple, c'est-à-dire décider avec les maîtres d'oeuvre et les architectes ce qui est bon pour la ville, surtout aux prémices des projets. En effet, l'intégration des habitants au projet est différente selon le stade d'avancée de celui-ci. J'ai remarqué que les habitants se sont sentis concernés seulement après la conception de la maquette mais ce n'est pas ce qu'ils souhaitent. Selon eux, si leur avis était pris en compte, les projets seraient mieux acceptés. Un gros effort reste donc à faire pour que les habitants se considèrent comme les acteurs de leur ville.

    Ce mémoire a été pour moi une façon de me plonger dans la sociologie urbaine et je pense qu'il constituera une bonne base pour poursuivre en Master « Politique locale et développement ». Je voudrais durant mon stage de fin d'études reprendre certains aspects de mon enquête comme la patrimonialisation et la politique locale pour les développer.

    Ouvrage :

    Augé M., Non-lieux, Seuil, Paris, 1992.

    Bevort A., Pour une démocratie participative, Presses de Sciences Po, La bibliothèque du citoyen, 2002.

    Champy F., Sociologie de l'architecture, Paris, La Découverte, Repères, 2001.

    Cefaï D., Pasquier D. (dir.), Les sens du public, PUF, 2003.

    Choay F., L'allégorie du patrimoine, La couleur des idées, Le Seuil, 1992.

    Clavel M., Sociologie de l'urbain, Anthropos, 2002.

    De Singly F., L'enquête et ses méthodes : le questionnaire, Paris, Nathan, 1992.

    Desse R.P., Le nouveau commerce urbain, Presses Universitaires de Rennes, Espace et Territoires, 2001.

    Dris N., La ville mouvementée, Espace public, centralité, mémoire urbaine, Paris, l'Harmattan, 2001.

    Halbwachs M., La mémoire collective, Paris, Puf, 1950.

    Ledrut R., Sociologie urbaine, PUF, coll. SUP, 1968, 222 p.

    Ledrut R., Les images de la ville, Anthropos, Paris, 1973.

    Lynch, K., L'image de la cité, Paris, Dunod, 1969, 222 p.

    Malinowski B., Une théorie scientifique de la culture et autres essais, Maspero, Paris, 1968.

    Mollet A. (dir.), Quand les habitants prennent la parole, Paris, Ministère de l'Urbanisme et du Logement, 1981.

    Neveu C., (dir.), Espace public et engagement politique, L'harmattan, 1999

    Reynaud R., « Centre et périphérie » in : Bailly A., Ferras R., Pumain D. (dir.), Encyclopédie de géographie, Economica, Paris, 1992.

    Sue R., La société civile face au pouvoir, Presses de sciences po., La bibliothèque du citoyen, 2003.

    Coll., Une nouvelle civilisation ? Hommage à Georges Freidman, Paris, Gallimard, 1973.

    Les revues :

    Revue de l'Art, « Quand Auguste Perret définissait l'architecture moderne au XXe siècle », n°121, 1998.

    Revue Espace et société, « Les sens des formes urbaines », n°122, n°3/2005.

    Revue Espace et Société, « Ville, action « citoyenne » et débat public », n°123, n°4/2005.

    Revue Espace et Société, «  Ville et Démocratie », n°112, n°1/2003.

    Revue L'homme et la société, « Ville et mouvement », n°145, n°2002/3.

    Sciences Humaines, « Qu'est-ce que transmettre ? Savoir, mémoire, culture, valeurs », Hors série n°36, mars-avril-mai 2002.

    Revue Urbanisme, « Les valeurs d'une ville ». Hors série n°24, mars-avril 2005.

    Revue Urbanisme, « Imaginer, dire et faire la ville ». Hors série n°19, juillet-août 2003.

    Revue Etudes Normandes, n°1, 2001.

    Les quotidiens :

    Paris - Normandie, 13 janvier 2005.

    Libération, 13 septembre 1996.

    Paris - Normandie, le 10 mars 2006.

    Paris - Normandie, 02 octobre 2006.

    Paris - Normandie, le 09 juin 2006.

    Paris - Normandie, 11 juillet 2006.

    Les mensuels :

    Rouen Magazine, « Vue de Rouen, sondage : la ville jugée par ses habitants », n° 258, du mercredi 31 janvier au mercredi 14 février.

    Rouen Magazine, « Cap à l'ouest, réaménagement des docks », n° 267, du mercredi 6 au mercredi 20 juin 2007.

    Les lois :

    Atelier d'urbanisme, Rouen, secteur sauvegardé, Renseignements d'ordre général et législation en vigueur, 24 novembre 1981.

    Rapports :

    Actes du colloque « Des bâtiments au public » organisés par la Direction générale de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la construction, Ministère de l'Equipement, des Transports et du logement, 4ème semestre 1998.

    Mémoire :

    Morel J., Rouen, Mémoire 44, La mise en oeuvre d'un projet municipal d'animation du patrimoine, mémoire de DESS « politique locale et développement », sous la direction de N. Dris, Université de Rouen, 2004.

    Sites Internet :

    www.agicom.fr

    www.rouen.fr

    Annexe 1 : Rapport de stage

    Annonce du stage

    Mon stage a été réalisé à la direction de l'aménagement urbain et de l'habitat de la mairie de Rouen sous la direction de Jean-Christophe Blondel, chef de service du droit des sols. J'ai effectué ce stage à titre personnel car un stage n'est pas obligatoire en première année de Master mais seulement en deuxième année.

    L'urbanisme me passionne depuis que j'ai découvert cette discipline à l'université. J'ai alors voulu voir ce qu'était l'urbanisme « opérationnel », c'est-à-dire sur le terrain pour avoir une idée concrète des métiers qui existent dans ce domaine et pour voir si ça me plaisait. De plus, je souhaite passer le concours d'attaché territorial avec pour spécialité urbanisme, après avoir fait le master politique et développement local au sein de l'université de Sociologie de Rouen.

    Pour obtenir ce stage j'ai écrit une lettre au responsable du service du Droit des Sols de la mairie de Rouen expliquant mes projets futurs et ma volonté de travailler dans l'urbain à la suite de mes études.

    J'ai eu une réponse téléphonique très rapide. Un entretien m'a été proposé le lundi 5 février avec le chef du service du Droit des Sols qui m'a accordé un stage du 19 au 23 février 2007 au centre municipal Pélissier, annexe de la mairie de Rouen qui est la Direction de l'Aménagement urbain et de l'Habitat.

    Descriptif du service et du déroulement du stage   

     

    - Le service

    La Direction de l'Aménagement urbain et de l'Habitat, regroupe le Service Urbanisme, le Service Études et Travaux, le Service Application du Droit des Sols, le Service Affaires Foncières et Domaniales et le Service Logement et Habitat.

    J'ai effectué mon stage dans le service Application du Droit des Sols et j'ai découvert un univers passionnant qui m'était inconnu. Il contrôle les projets d'architectures et de travaux de bâtiment dans le respect des règles de l'urbanisme. Il cherche la qualité architecturale, la durabilité des matériaux et l'harmonie des couleurs dans le but d'embellir le cadre de vie des habitants, de sauvegarder leur patrimoine, de contribuer à une invitation à la visite et plus généralement au rayonnement de la ville.

    Le déroulement des semaines est toujours similaire, mais il y a de nombreux imprévus qui viennent se remettre sur l'agenda.

    - Le stage

    Ma première journée a été pleine de découvertes. Comme c'est le cas tous les lundis matins, avec le chef de service et les deux instructrices, nous avons passé en revue les demandes de permis de construire ou de démolir.

    Les instructrices sont celles qui font l'analyse juridique des demandes réglementaires déposées sur la commune sur la base du Code de l'urbanisme.

    Ce travail s'effectue, pour les dossiers les plus importants, avec les architectes et les promoteurs d'où la nécessaire connaissance des règles en vigueur, ainsi qu'une capacité à lire des documents juridiques et les plans de construction.

    Les instructrices ont en charge :


    · Les autorisations d'utilisation et d'occupation du sol (certificats d'urbanisme, déclarations de travaux, permis de construire ou de démolir, permis de lotir ...).


    · Les permanences avec l'Architecte des Bâtiments de France (ABF).


    · Les renseignements du public et des professionnels.


    · Les réunions avec les services extérieurs (DDE, Agence d'urbanisme ...).


    · Les préparations des commissions d'urbanisme.


    · Le suivi des Dossiers pré-contentieux.

    Le passage en revue des différents dossiers avec le chef de service prend généralement 4 heures car les dossiers sont nombreux et tout doit être examiné dans le moindre détail. On regarde les plans, les photos, les intentions de travaux. Tout est vérifié pour que les modifications voulues respectent le code de l'urbanisme. J'ai été surprise du temps pris pour chaque dossier. Souvent des documents supplémentaires sont demandés aux propriétaires pour s'assurer de la légalité des travaux à venir.

    Si les travaux sont effectués dans le secteur sauvegardé les précautions sont encore plus importantes. Dans un premier temps, le chef de service examine le dossier et s'il ne voit pas d'inconvénient, il passe ensuite par l'Architecte des Bâtiments de France qui va émettre un avis favorable ou défavorable. Mais le dossier peut également être refusé sans passer par l'Architecte des Bâtiments de France si le chef de service refuse dés le départ pour des raisons juridiques.

    L'après-midi il y a eu une réunion avec le Directeur du service, des architectes et les responsables d'un magasin de bricolage de Rouen. Ils venaient avec leur architecte pour faire une demande de changement de clôture. Les plans passent entre les mains du directeur, du chef de service et moi-même. Le directeur donne en premier son avis qui est plutôt favorable car les clôtures sont de verdures. Ensuite, le chef de service prend la parole et détruit le projet en refaisant un nouveau plan en cinq minutes. Il dit que le projet de l'architecte n'a pas de sens, n'est pas esthétique. Le directeur a montré son affection pour le nouveau projet dessiné.

    Tant bien que mal, les responsables du magasin tente de se défendre, mais la conclusion de la réunion est peu satisfaisante pour eux. Le directeur leur dit que la réponse leur sera donnée sous une quinzaine de jours.

    Après la réunion, le directeur et le chef de service parlent entre-eux et ce dernier dit au directeur « Si Menguy57(*) signe ça, c'est fini pour lui, on est trop proche des élections pour accepter des projets merdiques comme ça ». Le directeur acquiesce et lui dit d'appeler les responsables du magasin pour leur donner un avis défavorable.

    Le soir, il y avait une réunion avec l'adjoint au Maire, le chef de service et les artisans qui posent des enseignes de magasins suite à une demande forte de leurs parts. Cette réunion avait pour but de mettre à plat ce qui était interdit pour les enseignes dans Rouen. Notamment, dans le centre historique les mesures sont strictes (pas de PVC, pas de néons, pas de couleur trop vive). À la fin de la réunion, le chef de service m'a présenté à Monsieur Menguy, avec qui j'ai pu discuter des thématiques qui m'intéressaient sans lui dire mon projet de recherche.

    Ma deuxième journée a voulu que je sois productive. Un gros dossier traitant de la nouvelle loi sur « l'accessibilité des personnes handicapées dans les lieux privés et publics » vient d'arriver dans le service et ce dossier est très fourni et peu synthétisé mais cette loi est essentielle pour tous car elle modifie les normes pour les permis de construire. J'ai alors lu ce dossier et fait une synthèse, surtout à base de tableaux pour plus de clarté. Et j'ai fait des comparaisons avec l'ancienne loi pour voir ce qui avait évolué.

    J'ai aimé ce travail pour cette raison : la loi est sans cesse modifiée car les styles de vies changent et je trouve intéressant de se tenir au courant des évolutions de la loi. Ma synthèse a d'ailleurs été le support de la réunion le soir même, mais je n'ai pas pu y assister. Cette réunion était entre le chef de service et les instructrices qui doivent avoir une formation dès qu'une loi change.

    Le troisième jour, je suis allée sur le terrain toute la matinée avec le chef de service et l'Architecte des Batiments de France pour aller voir les lieux au sein du secteur sauvegardé qui sont dans les demandes de permis de construction ou de reconstruction.

    Contrairement à la consultation des dossiers, les visites sont très rapides. Quinze minutes en moyenne. Les propriétaires des lieux reformulent leur volonté devant l'Architecte des Bâtiments de France qui dit très vite sa décision. Il donne aussi quelques conseils. Par exemple, pour le ravalement d'un restaurant rue Eaux de Robec, elle conseille sur la couleur et sur l'écriture de l'enseigne, elle propose de mettre une enseigne verticale...

    J'ai vu la différence entre les décisions prises pour des travaux au sein du coeur historique ou au contraire qui sont en dehors de celui-ci. Les mesures sont strictes quand il s'agit du coeur historique car il s'agit d'un secteur sauvegardé.

    L'après-midi, toujours en présence du chef de service et de l'Architecte des Bâtiments de France, nous sommes allés au bureau de ce dernier pour regarder les différentes maquettes des futurs projets. Des discussions naissent de ces projets et des modifications sont suggérées et seront rapportées à l'architecte responsable du projet.

    Pour mon quatrième jour j'ai beaucoup lu de documents sur les modifications du code de l'urbanisme ainsi que sur différents sujets d'actualité sur l'urbain. J'ai discuté avec le chef de service du concours d'attaché territorial car il a déjà été jury de ce concours, il y a quelques années.

    L'après-midi, il n'y avait rien de prévu, mais quatre rendez-vous ont en fait eu lieu. Lorsque les personnes appellent pour prendre des rendez-vous et que le chef de service est disponible, il fait venir les gens directement pour les satisfaire au mieux. Il m'a toujours fait participer au rendez-vous pour que je voie toutes les facettes du métier. Les personnes viennent aussi bien pour demander quelle couleur serait préférable pour leur ravalement, pour persuader le chef de service de reprendre leur dossier de construction car il a déjà été refusé une fois ou pour apporter des documents manquants au dossier. Il y a également un représentant de briques qui est venu présenter son panel pour vendre ses briques pour la restauration d'un immeuble rive gauche.

    Pour mon dernier jour, j'ai voulu discuter de mon sujet de mémoire avec le chef de service. Il m'a alors montré le permis de construire du projet Monet Cathédrale (que l'on m'avait déjà montré quelques mois auparavant lorsque je m'étais rendue à la mairie pour avoir des documents sur ce sujet), il m'a montré les trois projets proposés par l'architecte pour cet espace Monet Cathédrale.

    Il m'a également fait consulter tous les documents qui pouvaient m'intéresser sur mes différents thèmes (patrimoine, démocratie participative...). J'ai trouvé un grand intérêt en discutant avec lui de ce projet. En effet, il est toujours très intéressant d'avoir l'avis d'un professionnel, d'autant plus qu'il est responsable des permis de construire, même si dans ce cas c'est l'Architecte des Bâtiments de France qui décide au finale vu que le projet s'inscrit dans le secteur sauvegardé.

    L'après-midi il y a eu une réunion avec le directeur du service, l'adjoint au Maire et le chef de service pour passer en revue les différents projets prévus hors du secteur sauvegardé. Les négociations peuvent être longues pour mettre tout le monde d'accord sur la même idée.

    Les apports du stage

    Ce stage m'a permis de voir les différents métiers qui existaient au sein de ces services. Des secrétaires au directeur, en passant par les instructrices, le chef de service, chacun a une tâche spécifique et j'ai pu faire le tour de tous pendant cette semaine.

    Au fil des réunions et des rendez-vous sur le terrain, j'ai pu voir l'importance du secteur sauvegardé pour les décisions à prendre.

    Il y a des règles spécifiques à ce secteur et comme je travaille sur ce secteur pour mon mémoire de Master 1, j'ai pu prendre note de tout ce qui pouvait m'être utile.

    Un apport majeur de mon entrée dans ce service a été la rencontre avec des personnes que je n'arrivais pas à contacter, comme l'adjoint au maire. Mais j'ai aussi pu avoir des documents propres à la mairie qui ont été essentiels pour mon analyse. Sans ce stage, mon mémoire aurait eu nettement moins de contenus.

    Comme ce stage était pour moi un moyen d'avancer dans ma recherche mais aussi une entrée dans un secteur qui, je l'espère sera le mien dans le futur, j'ai voulu me documenter sur les différentes épreuves du concours d'attaché territorial que je veux passer et j'ai pu apprendre ce qu'on attendait d'un candidat pour un concours comme celui-ci.

    Annexe 2 : Grille d'observation de la place de la cathédrale

    1/ Approche sensible

    Place ouverte - fermée ?

    Place lumineuse - sombre ?

    Place intime - solennelle ?

    Place sécurisante - angoissante ?

    Place étroite - spacieuse ?

    Place gaie - triste ?

    Place colorée - terne ?

    Place calme - bruyante ?

    2/ Analyse spatiale

    Aspect monumental

    Forme

    Volume d'ensemble

    Relief

    Style dominant

    Le bâti :

    - Organisation de la disposition

    - Le rythme

    - La couleur

    - Le style : un ou plusieurs ?

    - La cohérence architecturale

    - Types de bâtiments : publique, privé, religieux

    - Rapport de taille : place - bâti

    Articulation avec les autres places

    Le sol : Matériaux, couleurs

    Signes, expressions symboliques

    Environnement naturel, végétal

    3/ Les fonctions de la place

    Fonction de circulation (voiture, piéton...)

    Fonction commerciale

    Fonction de rencontre

    Fonction résidentielle

    Fonction administrative

    Rythme et activité au cours de la journée

    4/ Lecture sociale

    La rue a-t-elle une dominante sociale ? Semble-t-elle homogène ou hétérogène socialement ?

    5/ Contexte

    Historique :

    En quoi la place est-elle une création de l'histoire ? En quoi est-elle significative d'une époque ? Constitue-t-elle un patrimoine pour la ville ? En quoi contribue-t-elle à donner une image et une identité à la ville ? A-t-elle subie des remaniements?

    Spatiale :

    Comment la place s'articule-t-elle avec le tissu urbain ? Est-elle en rupture ou en continuité ?

    Annexe 3 : Grille d'entretien 

    IDENTITE :

    1/ Âge

    2/ Situation familiale

    3/ Profession

    4/ Lieu de résidence (avez-vous toujours habité Rouen ? Etes-vous né à Rouen ? Pourquoi êtes-vous parti de Rouen ou pourquoi êtes-vous venu à Rouen?)

    VILLE ET PATRIMOINE :

    5/ Comment percevez-vous la ville de Rouen ? (Agréable, calme, bruyante...)

    6/ Quel est votre intérêt pour le patrimoine ?

    7/ Quel(s) monument(s) affectionnez-vous le plus ? (Pourquoi celui-là et pas un autre ? Vous rappelle-t-il quelque chose ? Fait-il partie de vous ?)

    8/ Quelle est, selon vous, l'importance du patrimoine dans la ville de Rouen ? (Plus que dans d'autres villes ? Fait-il partie de l'identité de la ville ? Pensez-vous que la ville est très réputée pour son patrimoine ? Est-ce un atout touristique ?

    9/ Quel est votre sentiment lorsqu'on parle de la construction d'un bâtiment moderne à côté de la cathédrale ? (Peine, joie, regret.)

    10/ Pensez-vous que vous vous rappellerez de l'actuel Palais des Congrès ? Vous rappelez-vous par exemple de la rue du Général Leclerc avant les travaux du teor ?

    VILLE ET POLITIQUE :

    11/ Pensez-vous que le projet Monet Cathédrale est un projet politique ? Pensez-vous qu'il y a un clivage droite/gauche autour du projet ?

    12/ Participez-vous à des conseils de quartiers de Rouen ?

    13/ Avez-vous participé aux réunions de conseils de quartiers portant sur cette thématique ?

    14/ Avez-vous été tenu au courant de l'évolution du projet (par la presse, par la mairie, par le conseil de quartier ?

    15/ Vous a-t-on demandé de donner votre avis ?

    16/ En ce qui concerne les transformations urbaines, avez-vous le sentiment d'être mené par les politiques ?

    17/ Une ville pensée par ses habitants est-elle utopique ?

    Annexe 4 : Questionnaire

    IDENTITE

    Sexe : F M

    Age : _ _ ans

    Ville de résidence : Si Rouen, quel quartier :

    Si vous habitez en périphérie, avez-vous habitez Rouen ?

    Profession :

    PERCEPTION DU PATRIMOINE

    1- Quel est votre intérêt pour le patrimoine Rouennais ?

    2- Quels sont les monuments que vous affectionnez le plus ?

    3- Pourquoi celui-là (ou ceux- là) ?

    4- Quelle est l'importance du patrimoine dans la ville de Rouen ? Fait-il partie de l'identité de la ville ?

    5- Pensez-vous que le patrimoine Rouennais soit connu :

    - localement OUI NON

    - nationalement OUI NON

    - mondialement OUI NON

    6- Quel bâtiment préfèreriez-vous voir disparaître ?

    - L'Eglise Jeanne d'Arc

    - Le Palais des Congrès

    - L'Aître St Maclou

    - L'Espace du palais

    7- Etes-vous d'accord avec la destruction du Palais des Congrès ?

    8- Comment réagissez-vous face à la destruction d'un lieu qui vous est familier ?

    RECONQUETE ET MODERNITE DU CENTRE VILLE

    9- Quelle(s) action(s) peuvent être nécessaire(s) pour reconquérir le centre-ville ?

    10- Que pensez-vous de la volonté municipale de moderniser le centre-ville ?

    11- La construction d'un bâtiment moderne à côté d'un monument historique est-elle un gâchis?

    q Oui

    q Non

    12- Etes-vous pour ou contre la construction de l'espace Monet Cathédrale ?

    13- Pensez-vous pouvoir facilement vous identifier au nouveau lieu ?

    q Oui

    q Non

    14- Pensez-vous que vous vous rappellerez du Palais des Congrès dans quelques années ?

    Pourquoi ?

    q Oui

    q Non

    SENTIMENT DE PARTICIPATION POLITIQUE

    15- La politique urbaine menée à Rouen est-elle conforme à ce que vous attendez ?

    q Oui

    q Non

    q Je ne sais pas

    16- Les habitants sont-ils assez concertés pour prendre les décisions ?

    q Oui

    q Non

    q Je ne sais pas

    17- La ville gouvernée par ses habitants est-elle une utopie ?

    18- Que traduisent, selon vous les vifs débats concernant le projet Monet Cathédrale ?

    Annexe 5 : échantillon du questionnaire

    ________________________________________________________

    Prénom

    Profession

    Age

    Ville de résidence

    Participation à la vie locale ?

    Elodie

    Etudiante

    22

    Rouen

    Non

    François

    Ingénieur

    34

    Saint Etienne du Rouvray

    Oui

    Eric

    Etudiant

    25

    Rouen

    Non

    Karima

    Vendeuse

    42

    Mont Saint Aignan

    Non

    Guillaume

    Assureur

    28

    Rouen

    Non

    Charlotte

    Danseuse

    29

    Rouen

    Non

    Anne-sophie

    Etudiante

    22

    Rouen

    Non

    Cyril

    Etudiant

    22

    Déville les Rouen

    Non

    Aurore

    Educatrice spécialisée

    37

    Barentin

    Non

    Amalia

    Etudiante

    23

    Mont Saint Aignan

    Oui

    Renaud

    Manageur

    32

    Rouen

    Non

    Delphine

    Commerciale

    43

    Maromme

    Non

    Christophe

    Plombier

    43

    Mont Saint Aignan

    Non

    Denis

    Maître-nageur

    32

    Rouen

    Non

    Nicolas

    Banquier

    52

    Rouen

    Oui

    Laure

    Professeur des écoles

    26

    Rouen

    Non

    Léanne

    Etudiante

    23

    Saint Etienne du Rouvray

    Non

    Vincent

    Professeur de sport

    29

    Déville les Rouen

    Non

    Anne

    Coiffeuse

    42

    Rouen

    Non

    Pierre

    Etudiant

    22

    Rouen

    Non

    Denis

    Ambulancier

    54

    Evreux

    Non

    Ginette

    Retraitée

    63

    Rouen

    Oui

    Alphonse

    Retraité

    67

    Mont Saint Aignan

    Oui

    Oliver

    Chômage

    22

    Rouen

    Non

    Nicolas

    Dentiste

    47

    Barentin

    Oui

    Charles

    Etudiant

    23

    Saint Etienne du Rouvray

    Non

    Robert

    Retraité

    68

    Rouen

    Oui

    Julia

    Etudiante

    22

    Déville les Rouen

    Non

    Sophie

    Assureur

    51

    Rouen

    Non

    Franz

    Pompier

    26

    Rouen

    Non

    Patrice

    Colonel d'armée

    39

    Rouen

    Non

    Manon

    Etudiante

    26

    Rouen

    Non

    Chantal

    Chef d'équipe

    47

    Rouen

    Oui

    Rudy

    Chômage

    21

    Mont Saint Aignan

    Non

    Julien

    Etudiant

    23

    Rouen

    Non

    Elodie

    Assureur

    29

    Rouen

    Non

    Elise

    Educatrice spécialisée

    37

    Mont Saint Aignan

    Non

    Julien

    Correcteur

    26

    Rouen

    Oui

    Georges

    Retraité

    72

    Mont Saint Aignan

    Non

    Davy

    Avocat

    29

    Saint Etienne du Rouvray

    Non

    Caroline

    Technicienne de surface

    21

    Mont Saint Aignan

    Non

    Pauline

    Mère au foyer

    23

    Rouen

    Non

    Karl

    Chômage

    38

    Rouen

    Non

    Bélinda

    Typographe

    32

    Petit Quevilly

    Non

    Thierry

    Coach

    43

    Rouen

    Non

    Julie

    Assistante de direction

    27

    Barentin

    Oui

    Yannick

    Fleuriste

    35

    Rouen

    Non

    Serge

    Retraité

    76

    Grand Quevilly

    Oui

    Arnaud

    Chef de secteur

    31

    Rouen

    Non

    Lina

    Ouvrière

    45

    Rouen

    Non

    Annexe 6 : Tris à plat

    Q4 Le patrimoine fait-il partie de l'identité de la ville ?

    Non-Répondants

    1

    2%.

    Oui

    43

    88%

    Non

    3

    6%

    Je ne sais pas

    2

    4%

    Total répondants

    49

    100%

    Q5 Le patrimoine est-il connu:

    Non-Répondants

    0

    .

    localement

    11

    22%

    nationalement

    10

    20%

    Mondialement

    29

    58%

    Total répondants

    50

    100%

    Q6 Quel bâtiment préfèreriez-vous voir disparaître ?

    Non-Répondants

    0

    .

    Le Palais des Congrès

    32

    64%

    L'Espace du Palais

    5

    10%

    L'Eglise Jeanne d'Arc

    8

    16%

    L'Aître Saint Maclou

    4

    8%

    Total répondants

    50

    100%

    Q7 Etes-vous en accord avec la destruction du Palais des Congrès?

    Non-Répondants

    0

    .

    Oui

    23

    46%

    Non

    5

    10%

    Je ne sais pas

    22

    44%

    Total répondants

    50

    100%

    Q12 Etes-vous pour ou contre la construction de l'espace Monet Cathédrale ?

    Non-Répondants

    0

    .

    Pour

    14

    28%

    Contre

    34

    68%

    Je ne sais pas

    2

    4%

    Total répondants

    50

    100%

    Q17 Les habitants sont-ils assez concertés pour prendre les décisions ?

    Non-Répondants

    1

    2%.

    Oui

    12

    24,5%

    Non

    32

    65,3%

    Je ne sais pas

    5

    10,2%

    Total répondants

    49

    100%

    Q16 La politique urbaine menée à Rouen est-elle conforme à ce que vous attendez ?

    Non-Répondants

    2

    4%.

    Oui

    5

    10%

    Non

    5

    10%

    Je ne sais pas

    37

    76%

    Total répondants

    49

    100%

    Annexe 7 : Extrait d'entretien

    _______________________________________________________________

    NICOLAS 28 ANS NEGOCIATEUR IMMOBILIER. TRESORIER DE L'ASSOCIATION « P'TIT PAT ROUENNAIS ».

    A. : Habitez-vous Rouen ?

    N. : Non, j'habite à la campagne à une vingtaine de kilomètres d'ici. Mais j'ai toujours été très attaché à cette ville depuis tout petit pour le tourisme, les monuments. Je suis né à Rouen et je suis parti à l'âge de 10 ans car mes parents ont décidé d'aller vivre à la campagne.

    Rouen, C'est une ville sympa, il y a plein de choses à voir et par rapport au patrimoine, il y a plein de choses à protéger encore, plein de monuments qui, depuis la seconde guerre mondiale sont encore en ruine. (ex. Eglise St Paul).

    A. : Au lieu de détruire le Palais des Congrès pour faire du moderne, vous auriez préféré que soient restaurés les monuments qui en avaient besoin ?

    N. : Non pas forcément mais en fait je suis contre le projet Monet Cathédrale car il ne va pas assez loin. Si on veut faire du contemporain il faut faire plus que ça. Faire quelque chose de plus innovent, de plus marquant au lieu de construire un simple immeuble en verre. Faire quelque chose de vraiment futuriste soit il faut construire dans le style de Rouen. Vous savez le pastiche, pour que la ville ressemble à la Normandie !

    A.: Pourtant sur la maquette du projet, le bâtiment a l'air très moderne ?

    N. : Non parce qu'au début lorsqu'on a rencontré l'architecte Viguier il nous a montré ce qu'il avait déjà fait, c'était pas mal mais ce qui est beaucoup moins bien c'est ce qu'il a fait en face de la cathédrale de Reims (...). Il y a trois ans, quand il y a eu les premières propositions pour détruire le Palais des Congrès j'avais écrit sur le site Internet de Rouen que c'était inutile de remplacer un verrue en béton par une autre verrue en verre. Le seul avantage serait qu'il serait plus facile à mettre par terre dans 30 ans. Ce qui est beaucoup plus grave c'est qu'à l'intérieur va être fait des salles de réunions, des commerces, et des logements et au moment où le bâtiment devra être détruit, il faudra évacuer les habitants.

    (...)

    Ce qui ne m'a pas plus c'est que l'architecte nous a pris pour des gogols au départ parce qu'il nous a dit qu'il allait se servir de l'histoire de la ville pour en tirer quelque chose. Ce qu'il nous a montré la première fois, c'était complètement affreux. Ca ressemblait à des bâtiments de la rive gauche. C'était carré, et pour rappeler les colombages, il avait simplement mis des grandes croix en acier. (...) Les architectes d'aujourd'hui ne respectent pas ceux qui les ont précédés et ils détestent ce qui a été fait avant. On n'a pas à réemployé les matériaux anciens. Pour eux, le pastiche n'est pas imaginable. Ils veulent résolument de la modernité ! Cette modernité a d'ailleurs fait que le premier projet n'est pas passé, il en a présenté un deuxième avec du verre teinté, avec matériaux nobles, de la pierre. C'était pas mal. Pour le troisième projet, il a mis du verre transparent et il a enlevé les matériaux nobles. Au fur et à mesure du temps, on en a fait un bâtiment le plus rentable possible. Ca ne me déplait pas que ça traîne parce que les promoteurs vont se lasser.

    A. : Mais le fait que ça traîne ne va pas faire que le projet sera retiré ?

    Les projets urbains traînent tout le temps. Ca ne démarre jamais à la bonne date et ça ne finit jamais à la bonne date non plus.

    Ca traîne d'autant plus que l'ancien Maire de Rouen a porté plainte. Les travaux sont maintenant prévus au moment des élections. Donc personne n'osera commencer les travaux.

    Généralement, je suis à droite mais là je suis plutôt pour la gauche. De toute façon, au niveau local la gauche et la droite ça change pas grand-chose. Ce qui change c'est la personne. Personnellement je ne suis pas très attaché à Pierre Albertini.

    Ivon Robert faisait plus de choses, notamment la concertation avec les habitants. Albertini lui fait des effets d'annonces, il met les gens devant le fait accompli, il décide de choses tout seul. (ex. le projet du rond point place Cauchoise). Avec Albertini on ne sait jamais où on va.

    A. : Etes-vous d'accord avec les propositions des Rouennais pour remplacer le projet Monet Cathédrale ? (Jardin)

    N. : Non, je ne suis pas pour faire un jardin à la place, il faut savoir qu'un jardin c'est complètement illusoire. Sous le Palais des Congrès il y a un parking en béton bien solide, donc la seule chose qu'on pourrait faire c'est de casser le parking, remplir de terre, aménager un jardin. Mais là on pourrait passer à combien ça coûte pour « quelle est la ville qui gaspille le plus d'argent ? ». En plus il faut savoir, qu'à l'endroit du Palais des Congrès, il y a eu des destructions dues à la guerre et laisser la place vide remémorerait l'histoire. Au moyen Age en plus tout était serré alors pourquoi maintenant vouloir faire une place immense. Après la seconde guerre mondiale une avenue devait être construite de la Cathédrale à la Seine et les architectes avaient refusé pour ce souci de ne pas faire d'espaces dégagés. (...) La ville de Rouen s'est présentée deux fois au concours du patrimoine de l'UNESCO et elle a été refusée deux fois car elle n'est pas assez homogène. Si la ville était totalement en colombage il n'y aurait pas eu de problème. Alors allez faire du moderne juste à côté de l'ancien c'est courir à la catastrophe.

    Aujourd'hui on veut que du neuf. On nettoie les monuments pour qu'ils soient blancs. Ca ne correspond pas à notre époque mais il faut que ça fasse neuf ! Avant on voulait du vieux. Ici, à la halle aux toiles on mettait de l'huile sur les murs extérieurs pour que ça fasse vieux. Ca change à toutes les époques !

    Parfois je suis peut-être mauvaise langue quand je dis que le bâtiment en projet est totalement stupide.

    Quand t'as toujours vu le truc, c'est normal. L'Eglise de la place du marché, je l'ai toujours vu donc, elle a beau être moderne c'est pas choquant pour moi. Ca me dérange sans doute qu'on change à ce que je connais. Je suis habitué à voir le Palais des Congrès, même s'il n'est pas idéal sur cette place.

    Annexe 8 : Exemples d'articles de journaux se rapportant au sujet

    ______________________________________________________________

    (Édition du 09.06.2006, Paris-Normandie)

    L'exercice a duré deux heures, le temps pour le Maire de lister les projets, de défendre son bilan et de répondre aux questions. Extraits.

    Le Maire face aux habitants

    Il n'y avait pas vraiment foule. Cinquante Rouennais, pas plus, ont répondu à l'invitation du Maire, mercredi soir. Dans une salle de la MJC, rive gauche, Pierre Albertini a présenté les projets en passe d'aboutir et ceux qui émergent, avant de répondre aux questions des habitants. « Nous sommes presque entrés en période électorale », a-t-il fait remarquer.

    PALAIS DES CONGRES. Pas un mot. Personne dans le public n'a souhaité obtenir de précisions sur le projet d'espace Monet Cathédrale. Visiblement, la polémique n'intéresse pas la rive-gauche. La place de la Cathédrale semble loin. Mais il est aussi possible que les habitants n'osent rien dire car ils pensent que ce n'est pas leur rôle.

    Néanmoins, le Maire a dévoilé une maquette. En fait, des petits cubes blancs censés représenter les immeubles et le nouvel édifice. Pas de quoi se faire vraiment une idée. « C'était la maquette de travail », précise Pierre Albertini.

    (Édition du 10.03.2006, Paris-Normandie)

    Jusqu'à la fin mars, la Maison de l'architecture cherche à promouvoir les réalisations les plus contemporaines. Un pari pas gagné d'avance, surtout dans l'Agglo de Rouen.

    L'architecture contemporaine

    Rouen ville musée, ne rime pas avec modernité. Dans la capitale haut-normande, si fière de son patrimoine historique, on se souvient encore des tollés provoqués par l'édification du Palais des Congrès en 1976, puis de l'Eglise Sainte-Jeanne d'Arc trois ans plus tard. Plus sage, la fac de droit s'est intégrée dans le paysage; mais l'agrandissement du rectorat fait encore bondir certains.

    Dans l'agglomération, où l'on recense pourtant moins de vieilles pierres, on ne se montre parfois pas plus ouvert. La gare du métro de Sotteville ou le lycée Elisa-Lemonnier à Petit-Quevilly ne passe toujours pas. On mesure alors l'étendue du pari engagé par la Maison de l'architecture, qui vient de lancer la première édition du « Mois de l'architecture contemporaine ».

    « Elle déroute, parce qu'elle est méconnue et souvent ignorée de l'enseignement et des médias, explique Pascal Victor, Président de la Maison de l'architecture. Elle est d'autant plus incomprise que le patrimoine de la ville est fort ». D'un autre côté, on ne peut pas repousser les limites de la ville. Ni construire comme avant.

    Heureusement, « les choses changent depuis peu de temps, reconnaît Pascal Victor, dans des communes à l'avant-garde, comme Sotteville. L'architecture contemporaine devient aussi symbolique d'une manière de penser, d'une ouverture d'esprit. Elle donne une image forte. Les élus en prennent conscience petit à petit. Mais cela reste aussi dangereux pour eux, quand une architecture est mal perçue ».

    D'où l'intérêt « de montrer les choses, d'en parler tranquillement, de créer des rencontres qui font avancer le débat ». Le « Mois de l'architecture contemporaine », déclinaison régionale de l'opération nationale « Vivre les villes », s'articule autour de quatre opérations (voir ci-dessous) menées dans l'agglomération rouennaise et dans l'Eure (à Louviers et à Val-de-Reuil).

    G. L.

    Paris Normandie, le 02 octobre 2006.

    Paris-Normandie, le 02 octobre 2006.

    Paris-Normandie, le 11 juillet 2007

    Annexe 9 : Calendrier

    De début octobre à mi-novembre, j'ai consacré mon temps à l'exploration. Pendant cette période, j'ai récolté les documents qui m'étaient nécessaires (photos de la maquette, consultation du permis de construire, lois sur les secteurs sauvegardés...) ainsi que la théorie qui correspondait à mon sujet. Courant octobre, j'ai pris mes premiers contacts avec des professionnels qui ont donné un avis sur le projet tel que l'architecte en chef des monuments de France et l'inspecteur général des monuments historiques.

    J'ai profité des réponses rapides et favorables pour demander à l'architecte en chef de faire mon premier entretien avec lui. Il s'est déroulé le 18 octobre et m'a permis de m'ouvrir de nouvelles pistes de recherches.

    J'ai également eu mes premiers contacts avec des habitants pour programmer des entretiens.

    Début novembre j'ai effectué quelques heures d'observation avec une grille détaillée pour voir la manière dont les habitants perçoivent la place et ce qu'ils viennent y faire.

    Après ces premières démarches, j'ai rédigé un premier texte provisoire pour poser les bases de mon enquête.

    Fin novembre, j'ai commencé à faire des fiches par thèmes à savoir le centre-ville, le patrimoine et la participation des habitants sur lesquelles je mettais les données théoriques et les premières données d'enquêtes. Cela m'a aidé à poursuivre la rédaction de la première partie du mémoire, tout en continuant mes lectures.

    Début janvier, j'ai rendu ma « partie théorique », et en attendant le résultat, j'ai pris tous mes premiers rendez-vous pour mes entretiens. Au mois de février et mars, j'ai effectué neuf entretiens et deux supplémentaires au mois d'avril. Mis à part les deux derniers qui se sont greffé à mon agenda, j'ai pu me tenir à ce que j'avais prévu de faire.

    Au milieu du mois d'avril j'ai commencé la rédaction finale de mon mémoire pour le terminer fin mai. La rédaction a finalement été plus longue que prévue et je n'ai pu finir à temps pour soutenir en juin.

    * 1 Propos d'Edgar Menguy, Maire-Adjoint chargé de l'urbanisme de la ville de Rouen.

    * 2 Clavel M., Sociologie de l'urbain, Anthropos, 2002, p.52.

    * 3 Reynaud R., « Centre et périphérie » in : Bailly A., Ferras R., Pumain D. (dir.), Encyclopédie de géographie, Economica, Paris, 1992.

    * 4 Grafmeyer Y., Sociologie urbaine, Paris, Nathan, 1994.

    * 5 Clavel M., Sociologie de l'urbain, Anthropos, 2002, p. 59.

    * 6 Ledrut R., Sociologie urbaine, PUF, coll. SUP, 1968, p. 159.

    * 7 Cité par Clavel M., op.cit, 2002.

    * 8 Bulot Y.,Langue urbaine et identité, langue et urbanisation linguistique à Rouen, L'Harmattan, 1999.

    * 9 Ledrut R., Les formes et le sens dans la société, Paris, Librairie des Méridiens, 1984.

    * 10Ledrut R., Les images de la ville, Anthropos, Paris, 1973, p.113.

    * 11 Ledrut R, op. cit., 1984, p.22.

    * 12 Halbwachs M., La mémoire collective, Paris, Puf, 1950, p.209.

    * 13 Dictionnaire Larousse.

    * 14 Cité par Champy F., « Des valeurs et des pratiques de l'architecture contemporaine », L'homme et la société, n°145, n°2002/3, p.11.

    * 15 Cité par Busquet G., « Henri Lefebvre, les situationnistes et la dialectique monumentale. Du monument social au monument- spectacle », L'Homme et la Société, n°146, octobre-décembre 2002.

    * 16 Cité par Dris N., « L'irruption de Makkam Ech Chabid dans le paysage algérois : monuments et vulnérabilité des représentations », L'Homme et la société, n°146, octobre-décembre 2002.

    * 17 Malinowski B., Une théorie scientifique de la culture et autres essais, Maspero, Paris, 1968.

    * 18 Choay F., op.cit, 1992.

    * 19 Atelier d'urbanisme, Rouen, secteur sauvegardé, Renseignements d'ordre général et législation en vigueur, 24 novembre, 1981.

    * 20 Augé M., Non-lieux, Seuil, Paris, 1992.

    * 21 Lynch, K., L'image de la cité, Paris, Dunod, 1969.

    * 22 Lévy A., « La démocratie locale en France », Espace et Société, n°112, n°1/2003, p.162.

    * 23 Sue R., La société civile face au pouvoir, Presses de sciences po., La bibliothèque du citoyen, 2003, pp. 99-101.

    * 24 Cité par Champy F., « Des valeurs et des pratiques de l'architecture contemporaine », L'homme et la société, n°145, n°3/2002, pp.11-15.

    * 25 Champy F., Sociologie de l'architecture, Paris, La Découverte, Repères, 2001.

    * 26 Cité par Champy F., op.cit, 2002, pp.11-15.

    * 27 Cité par Duarte F., Frey C., « Démocratie participative et gouvernance interactive au Brésil, Santos, Porto Alegre et Curitiba », Espace et société, n° 123, n°4/2005.

    * 28 Mollet A. (dir.), Quand les habitants prennent la parole, Paris, Ministère de l'Urbanisme et du Logement, 1981.

    * 29 Champy F., op.cit, 2001.

    * 30 Dahlgren P., « A la recherche d'un public parlant » in Cefaï D., Pasquier D. (dir.), Les sens du public, PUF, 2003, p. 294.

    * 31 Le Texier E., « Minorités et espaces publics dans la ville. Le « «chicano park »  à san diego », Espace et Société, n° 123, n°4/2005.

    * 32 Libération, 13 septembre 1996.

    * 33 Neveu C., (dir.), Espace public et engagement politique, L'harmattan, 1999, p. 33.

    * 34 Bilan 2005 de l'observatoire de la démocratie locale de la ville de Rouen.

    * 35 De Singly F., L'enquête et ses méthodes : le questionnaire, Paris, Nathan, 1992.

    * 36 Recueillis sur le blog de la ville de Rouen.

    * 37 Choay F., L'allégorie du patrimoine, La couleur des idées, Le Seuil, 1992.

    * 38 Sciences Humaines, « Qu'est-ce que transmettre ? Savoir, mémoire, culture, valeurs », Hors série n°36, mars- avril- mai 2002.

    * 39 Site wikipédia.

    * 40 Rouen vue par Guy de Maupassant dans le journal Un Normand.

    * 41 Melissinos A., « La ville vaut d'être vécue », Urbanisme, hors- série n°24, mars- avril 2005.

    * 42 Choay F., op.cit.,1992.

    * 43 Actes du colloque « Des bâtiments au public » organisé par la Direction générale de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la construction, Ministère de l'Equipement, des Transports et du logement, 4ème semestre 1998, pp. 96-98.

    * 44 Bourdin A., Le patrimoine réinventé, PUF, Espace et Liberté, 1984, p.52.

    * 45 Desse R.P., Le nouveau commerce urbain, Presses Universitaires de Rennes, Espace et Territoires, 2001, p.129.

    * 46 Dresse R.P., op. cit., 2001.

    * 47 Bourdin A., op.cit, 1984.

    * 48 Sciences humaines, op.cit., 2002.

    * 49 Rouen Magazine, « Vue de Rouen, sondage : la ville jugée par ses habitants », n° 258, du mercredi 31 janvier au mercredi 14 février 2007.

    * 50 www.agicom.fr

    * 51 « Rouen Magazine », Cap à l'ouest, réaménagement des docks, n° 267, du mercredi 6 au mercredi 20 juin 2007.

    * 52 Dresse R.P., op. cit., 2001, p.70.

    * 53 Bevort A., Pour une démocratie participative, Presses de Sciences Po, La bibliothèque du citoyen, 2002, p.11.

    * 54 Observatoire de la démocratie locale, Bilan 2005.

    * 55 Tourraine A., Qu'est-ce que la démocratie ?, Fayard, Le Livre de Poche, 1994, p.36.

    * 56 Cité par Laurent C., « Quand Augute Perret définissait l'architecture moderne au XXe siècle », Revue de l'Art, n°121, 1998, p.61.

    * 57 Adjoint au maire à l'urbanisme.






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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore