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Le lexique alimentaire dans Le ventre de Paris D'Emile Zola: Réalisme et métaphore

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par Fethi Esdiri
Institut de langue de Gabes, Tunisie - Maîtrise 2006
  

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III. UN POEME DE LA

NOURRITURE

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III. Un poème de la nourriture

1. Musicalité

Par la recherche du rythme, le goût pour les sonorités, le foisonnement des images métaphoriques, le penchant perpétuel de Zola au symbole et à l'agrandissement des aliments, et par le souffle poétique qui traverse l'oeuvre, Le Ventre de Paris peut être lue comme un long poème de la nourriture.

Dans ce roman, le merveilleux se mêle au vrai, la légende à l'histoire pour célébrer « le carnaval des Halles ». Or que trouve-t-on, de plus remarquable dans un poème que sa musicalité et son style imagé ?

Le Ventre de Paris est marqué par une quête du rythme repérable d'abord au niveau de sa construction même. Pour commencer, une description cursive de la poéticité au niveau de l'oeuvre en général nous paraît utile.

Le roman est bâti sur des parallélismes qui expriment la symétrie ou l'opposition et qui donnent lieu à plusieurs couples : « Paris/ Nanterre », « Les quartiers des Halles/Cayenne », « Les gras/Les maigres », « La peinture/la poésie », « Les hommes/Les femmes », « L'or/la chair », « L'économie/La politique » etc. Toutes ces dualités illustrent une technique de contrepoint très récurrente chez Zola et qui n'est pas sans trahir une vision manichéenne du monde.

De plus, ce rythme binaire qui règle l'ensemble des thèmes dans le roman est secondé par une tendance à la répétition : le premier chapitre qui offre un premier tour dans les Halles est repris par le quatrième chapitre. La description de la charcuterie revient plusieurs fois. Le lever du soleil se répète chaque jour dans un mouvement cyclique. Les sentiments de nausée s'emparent de Florent et lui reviennent à chaque contact avec la nourriture débordante. Dans un mouvement circulaire, le roman s'ouvre sur l'avènement de Florent de « l'île de diable » et se termine par le retour de ce dernier en exil. Cet effet de répétition n'est pas sans créer un rythme et une redondance qui structurent l'ensemble de l'oeuvre.

Au niveau énonciatif, on remarque une alternance entre le dialogue et la narration.

Par ailleurs, si on examine la trame narrative, on remarque que le rythme d'évolution correspond à une cadence mineure. L'acmé de l'oeuvre, prise de Florent par les policiers, se situe au dernier chapitre. Les cinq premiers chapitres forment la protase de l'oeuvre et créent ainsi un effet de suspens par le retardement de

l'événement principal.

Zola cherche, peut-r tre, à prolonger l'intrigue de son roman. Il paraît que mrme la construction dramatique de l'oeuvre est repartie en « Gras » et « Maigres » : une grasse description s'oppose à une maigre intrigue. Ainsi, par sa construction mrme, basée sur les parallélismes et les répétitions, le roman annonce, de prime abord, une certaine poéticité.

En sus, le goût de Zola pour le rythme est remarquable dès les premières lignes de l'oeuvre :

Au milieu du grand silence, et dans le désert de l'avenue, les voitures des maraîchers montaient vers Paris, avec les cahots rythmés de leurs roues, dont les échos battaient les façades des maisons, endormies aux deux bords, derrière les lignes confuses des ormes. (385).

Une isotopie de la musique marque cet extrait : « Les cahots rythmés », « les échos », le verbe « battaient », le substantif « silence » et le participe passé « endormies » opèrent une antithèse qui met en relief cette isotopie et indique le début d'une symphonie. On remarque, qu'au théktre, avant de commencer une symphonie, on exige le silence. Zola paraît s'imposer donc comme un chef d'orchestre et annonce le commencement d'une longue symphonie qui chante la nourriture débordante des Halles. Le lexique qui renvoie à la musicalité jalonne toute l'oeuvre. D'ailleurs Maupassant décrivant les oeuvres de Zola affirme :

Ce sont des poèmes sans poésies voulues, sans les conventions adoptées par ces prédécesseurs, sans aucune des rengaines poétiques, sans parti pris, des poèmes où les choses quelles qu'elles soient, surgissent égales dans leur réalité, et se reflètent élargies, jamais déformées, répugnantes ou séduisantes, laides ou belles indifféremment dans ce miroir grossissant mais toujours fidèle et probe que l'écrivain porte en lui59.

Au niveau rhétorique, la musicalité est repérable à travers le recours à des procédés comme le parallélismes, les figures de répétition, les rythmes des phrases etc. On propose d'analyser ces procédés dans des extraits qu'on a choisi en fonction de leur sonorité :

Il était une fois un pauvre homme. On l'envoya très loin, très loin, de l'autre côté
de la mer... Sur le bateau qui l'emportait, il y avait quatre cents forçats avec
lesquels on le jeta. Il dut vivre cinq semaines au milieu de ces bandits, vêtu

59 Guy de Maupassant, Èmile Zola, 1883, `cité dans' Le Ventre de Paris, édition des Rougon-Maquart établie par La Bibliothèque de la pléiade, partie intitulée « Naturalisme et romantisme », notes introduites par Pierre Cogny.

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comme eux de toile à voile, mangeant à leur gamelle. De gros poux le dévoraient, des sueurs terribles le laissaient sans force. (428)

C'est la répétition qui marque ce passage. On note la reprise anaphorique du syntagme « très loin » qui n'est pas sans créer une redondance. De surcroît, une répétition des sons /e/ et /a/ nous semble digne d'rtre mentionnée : « l'emportait » rime avec « avait » et « forçat » fait écho à « jeta ». Il y a aussi place à l'homéotéleute ou rime à l'intérieur d'un récit : « toile », voile » et « gamelle » riment ensemble. On a une première rime /e/ : emportait, avait /AA, puis une deuxième rime /a/ : forçat, jeta /BB. Il y a lieu de parler d'une rime plate (AA, BB). Les sons /e/ et /a/ par les sons aigus qu'ils provoquent visent peut-être à provoquer le lecteur et à attirer son attention

Au niveau sémantique la présence de la nature renforce la poéticité de l'extrait. Le soir est un moment propice à la méditation. Il favorise le déversement des sentiments que la tendance à la parataxe rend plus fluides. La focalisation interne permet de transcender les sensations de Florent et de rendre compte de son humeur maussade. La nature est ainsi en diapason avec la psychologie de ce dernier. C'est une nature complice qui joue le rôle d'une échappatoire, un refuge, souvent présente dans la poésie romantique. Cela renforce l'aspect poétique du passage et justifie, entre autres, la recherche du rythme et des sonorités qui atteste les tendances romantiques de Zola.

En outre, le goût de ce dernier pour la musicalité est sensible dans le passage où il décrit les fromages :

C'était une cacophonie de souffles infects, depuis les lourdeurs molles des pâtes cuites, du gruyère et du hollande, jusqu'aux pointes alcalines de l'olivet. Il y avait des renflements sourds du cantal, du chester, des fromages de chèvre, pareils à un chant large de basse, sur lesquels se détachaient, en notes piquées, les petites fumées brusques des neufchâtel, des troyes et des mont-d'or. Puis les odeurs s'effaraient, roulaient les unes sur les autres, s'épaississaient des bouffées du port-salut, du limbourg, du géromé, du marolles, du livarot, du pont-l'évêque peu à peu confondues, épanouies en une seule explosion de puanteurs. Cela s'épandait, se soutenait, au milieu du vibrement général, n'ayant plus de parfums distincts, d'un vertige continu de nausée et d'une force terrible d'asphyxie. (502).

« Cette association de l'odorat à l'ouïe se retrouvera chez Huysmans, qui transpose goût et ouïe dans le célèbre orgue à bouche de des Esseintes, dans A rebours »60.

60 Le Ventre de Paris, note de bas de page n°:111, p. 501.

Par les termes qui renvoient au domaine de la musique ; « cacophonie », « renflements sourds », « un chant long de basse », « notes piquées », vibrement général », Zola semble faire un étalage de sa culture musicale. L'expression « explosion de puanteurs » nous paraît très expressive dans la mesure où elle illustre une fusion entre le son et l'odorat. Ce thème de fusion traverse d'ailleurs toute l'oeuvre. On l'étudiera de plus près dans notre dernière sous partie.

En associant le lexique de l'odorat et celui de l'ouïe au lexique alimentaire, Zola vise, peut-être, à créer un « effet de réel », et à présenter les aliments comme plus vraisemblables. Ou, peut-être, voulait-il par ce procédé rendre plus léger son style étouffé par la densité de la matière.

Aussi, Le Ventre de Paris, dans ses meilleures pages, se transforme en une épopée de la matière nutritive et verbale. On a essayé, à cet égard, de mettre en relief le goût de Zola pour tout ce qui relève du rythme et des sonorités, lisibles à travers la construction mrme de l'oeuvre.

On a étudié également la musicalité au niveau énonciatif, autrement dit, les figures de répétitions, les rimes, les assonances, bref tout ce qui relève de la sonorité et du rythme.

Le style de Zola transforme Le Ventre de Paris en un espace où se brouillent les frontières entre la réalité et le mythe, entre le réalisme et la métaphore. Ces aliments débordants des Halles oscillent entre l'authenticité de leurs couleurs, l'extravagance de leur dimensions et l'hypertrophie de leurs quantités plaçant ainsi le lecteur dans un univers de doute : ces flots de nourriture, relèvent-ils du réalisme ou de la métaphore ?

Le style de Zola renforce ce doute. Il s'agit d'un style imagé, hanté de mythes, de symboles et de fantaisies que nous proposons d'étudier dans notre deuxième sous- partie.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand