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Administration coloniale, chefferie indigène et relations inter-ethniques dans la région de Franceville de 1880 à  1960

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par Serge Romuald ONGALA
Université Omar Bongo - Maà®trise 2005
  

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Université Omar Bongo

Mémoire de maitrise d'Histoire

Option : Histoire de l'Afrique

Thème :

Administration coloniale, chefferie indigène et relations inter-ethniques dans la région de Franceville de 1880 à 1960

Elaboré et soutenu par

Serge Romuald ONGALA

Sous la direction de :

Pr Nicolas METEGUE N'NAH

Libreville, le 26 juillet 2005

En Afrique subsaharienne, l'expansion coloniale s'était déjà effectuée bien avant la tenue de la conférence de Berlin1(*), notamment avec les voyages de reconnaissance entrepris par les chantres de la colonisation avec ou sans la subvention de leurs Etats respectifs.

Ainsi, après la signature des premiers traités entre le lieutenant de vaisseau Edouard Bouët-Willaumez et les chefs gabonais Antchuwè Kowè Rapontyombo le 9 février 1839 et Louis Ré-Dowè le 18 mars 1842, le petit poste français du Gabon2(*) fut fondé le 18 juin 1843 à la suite d'une expédition organisée par Edouard Bouët-Willaumez, alors gouverneur au Sénégal3(*),  et conduite par le capitaine de corvette Monléon.

Installés sur la côte gabonaise, les Français entreprirent d'étendre leur influence vers l'intérieur du pays. Ainsi, au fil de la pénétration, la petite possession française de l'estuaire du Como s'agrandit considérablement jusqu'aux territoires environnants. Mais l'hinterland restait méconnu des Européens qui traitaient avec les populations du littoral, laissant à ces dernières le quasi monopole des échanges commerciaux intérieurs.

Sous l'effet de la révolution industrielle qui a fait triompher la société capitaliste au cours du XIXème siècle, la France poursuivit une nouvelle politique d'expansion impériale en Algérie et en Sénégambie pour compenser les préjudices de la défaite que lui avait infligée l'Allemagne en 1871, ce qui intensifia encore la compétition coloniale entre les puissances européennes4(*). Cette politique provoqua ainsi la ruée des Européens vers certaines régions du Gabon, brisant, du même coup, les bases des économies tant de la côte que de l'intérieur.

Après 1871, lors d'une première mission d'exploration (août 1875-novembre 1878), Pierre Savorgnan de Brazza, à la recherche des voies de pénétration vers le centre de l'Afrique afin de joindre les sources du Nil, est arrêté par les rapides de Masuku et la chute de Poubara. Il entre ainsi en contact avec les peuples du cours supérieur du Lebani5(*). Il s'entend avec eux et installe son quartier général sur la rive droite de la Pasa.C'est lors d'un deuxième voyage (décembre 1879-juin 1881) que naîtra le poste d'administration colonial de Franceville, dirigé à sa création par le quartier-maître Gustave Noguez.

Parler de la « colonisation au Gabon » au XIXème siècle, particulièrement pour le laps de temps allant de 1880 à 1910, paraît inadmissible pour certains historiens qui pensent que ce siècle, en Afrique équatoriale, est celui des explorations. Il convient, ici, de préciser, comme l'indique Pierre Guillaume, que, « si l'on se réfère aux schémas métropolitains, les administrations coloniales apparaissent toujours [...] comme des régimes d'exception, ce qui s'explique par leurs origines mêmes [...]. L'entreprise coloniale n'a jamais été la mise en place immédiate d'un système administratif cohérent. Elle est soit acte de conquête, soit implantation économique et, en premier lieu, commerciale. Tous les territoires coloniaux sont donc passés par une phase transitoire au cours de laquelle le pouvoir appartenait soit à l'armée et à la marine, soit aux représentants des compagnies privilégiées »6(*). Dans le même sens, le gouverneur général Victor Augagneur écrivait que « ces entreprises de colonisation passent fatalement par une première phase, celle de l'occupation, qui ne va pas sans heurt avec les autochtones : c'est la période, pendant laquelle, l'action est dévolue aux militaires, aux explorateurs »7(*).

A la lumière de ce qui précède, parler donc d'administration coloniale dans la région de Franceville entre 1880 et 1910 ne doit nullement paraître étonnant, car le fait colonial c'est d'abord la présence d'une administration étrangère.

En effet, dans cette région, non seulement la direction du poste d'administration coloniale de Franceville est confiée au quartier-maître de la marine Gustave Noguez en 1880 puis à ses successeurs à savoir : le mécanicien de la marine Michaux (1882), le maréchal des logies de la Garde républicaine Roche (1884), l'Adjudant d'infanterie de la marine Pieron (1886), le Sous-officier Manas (1887) et le Sergent de la Garde régionale Sar Raynald (1895-1896)8(*), mais aussi l'histoire coloniale nous apprend que « Peu après la conférence de Berlin, l'ancienne possession Française du Gabon et les acquisitions faites par Pierre Savorgnan de Brazza dans le bassin du Congo sont réunies sous l'autorité d'un commissaire général et prennent le nom de « possessions du Congo français et dépendances", dont Pierre Savorgnan de Brazza fut le premier commissaire général de 1886 à 1898 »9(*).

Sans risque de nous tromper, le laps de temps allant de 1880 à 1910 est, pour nous, celui de la création des postes français de l'Association Internationale Africaine (A.I.A.) et celui des prémices de la colonisation que les pouvoirs publics français, confrontés aux problèmes des moyens financiers, entendaient réaliser par le biais des compagnies concessionnaires et des missions religieuses. La création de l'Afrique Equatoriale Française (A.E.F) n'est rien d'autre qu'une amélioration de l'administration du Congo français.

Cela étant, pour expliquer le choix de notre sujet, paraphrasons l'historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo qui écrit : « les meilleurs historiens connaissent aussi qu'être historien, c'est choisir son sujet, ses centres de documentation, ses sources, ses arguments, sa présentation, son style, son public. Tous ces facteurs d'élection sans compter la force massive et obscure des subconscients et la pensée subtile de l'environnement social et des préjugés montrent assez la part de subjectivité du travail historique, l'historien cherche non seulement la vérité, mais aussi "sa" vérité...»10(*).

Ainsi, tout choix étant subjectif, il est probable que le nôtre ne donnera pas forcément satisfaction à tous nos lecteurs. En tout cas, un seul souci nous a guidé : celui de faire oeuvre utile tant pour nos lecteurs que pour toute la communauté scientifique.

L'histoire est l'explication de l'actuel par le plus éloigné; elle s'efforce de dater les événements. Or, tout événement dépend d'un contexte. Ainsi, est-il justifiable de débuter une étude de l'histoire de la région de Franceville sur l'« Administration coloniale, chefferie indigène et relations inter-ethniques » en 1880 et de l'arrêter en 1960 ?

Le propre de l'histoire, disait Henri Brunschwig, est de se fonder sur la chronologie, un élément qui lui permet de s'affirmer objectivement et scientifiquement11(*). Le choix de ces deux jalons chronologiques, «1880» et «1960», n'est pas fortuit : le premier, "1880", est une date très importante pour l'Est-Gabon. En effet, cette année-là, Pierre Savorgnan de Brazza, chargé par le comité français de l'Association Internationale Africaine (A.I.A.) de choisir l'emplacement des « stations hospitalières et scientifiques d'où partiraient les missions d'explorateurs avides de préciser la configuration du "continent mystérieux", et où se réfugieraient les esclaves libérés par les Européens »12(*), remonta l'Ogooué jusqu'à la Pasa où il choisit le site du Quartier Général de N'ghémi13(*). Il y installa les esclaves qu'il avait libérés en décrétant que tous les hommes y trouveraient un lieu de refuge et de liberté, d'où le nom initial de "Francheville" donné au nouveau poste ainsi créé. Dans le cadre de notre étude, "1880", plus exactement le 13 juin 1880, est donc une date cruciale, car elle indique l'année au cours de laquelle l'explorateur débaptisa le lieu-dit « N'ghémi » et lui donna le nom de "Francheville", qui prit la graphie de "Franceville" en avril 1881 parce que, « le comité de l'A.I.A. manquant de ressource avait décidé de céder ses stations au gouvernement français »14(*). En outre, Franceville doit son nom à cause de la ressemblance de la région aux paysages d'Auvergne15(*). En somme, «1880» marque, par le biais de la création du poste d'administration coloniale de Franceville, les prémices de l'occupation coloniale française dans cette région du Haut-Ogooué dont Franceville deviendra le chef-lieu en 1910, à la création de l'Afrique Equatoriale Française (A.E.F.). La borne chronologique inférieure, "1960", correspond à l'année durant laquelle les populations rassemblées à l'intérieur des frontières définies par le colonisateur français comme limites du Gabon ont accédé à la souveraineté internationale. Autrement dit, "1960" marque l'année de l'émancipation, de la libération des peuples de la colonie du Gabon du joug colonial. A cette date, la domination coloniale semble s'effacer avec ce qu'elle comporte comme principe. C'est en 1960 que se ferme la "parenthèse coloniale". Les populations de la région de Franceville reprenaient en main leur propre destin. Elles héritent d'une région qui, au terme de quatre-vingts ans d'exploitation avait complètement changé16(*).

Notre étude relève du domaine de l'histoire coloniale de l'Afrique. Pour parfaire, voire approfondir nos connaissances sur le sujet relatif à nos investigations, nous avons eu recours à une documentation fort variée. Nous avons retenu plus d'une vingtaine d'ouvrages généraux sur l'Afrique et sur la colonisation, des ouvrages généraux et études sur le Gabon et sur les peuples de notre région d'étude, entre autres, des thèses de doctorat de 3ème cycle, des mémoires de maîtrise, des rapports de licence et des articles de revues.

En parcourant tous ces travaux consacrés à la colonisation française au Gabon, en Afrique Equatoriale française (A.E.F.) et ailleurs, nous constatons que, dans la question générale du fait colonial, il y a ceux qui ont étudié les colonisateurs, c'est-à-dire les explorateurs, les missionnaires, les commerçants et les administrateurs. C'est ce que fait Catherine Coquery-Vidrovitch17(*), lorsqu'elle parle de la mission de l'Ouest-Africain et de l'exploration de l'intérieur du continent noir par les Européens. C'est le cas aussi de Jean Lepebe18(*) qui, lui, retrace les grandes étapes de la colonisation du bassin supérieur de l'Ogooué et l'action des administrateurs français dans ladite région. D'autres auteurs ont traité des aspects politiques, économiques, culturels et financiers de la colonisation. Ainsi, Martin Alihanga19(*) a entrepris une analyse sur les influences structurelles et économiques du colonialisme dans la région du Haut-Ogooué. Gervais Raymond20(*), lui, s'est intéressé à l'Afrique centrale et a publié un article ayant trait à la fiscalité au Tchad. René Charnay21(*), enfin, décrit l'impact de la présence coloniale au sein de la population noire de Franceville dans les années mille neuf cent cinquante.

La présente étude, nous l'avons dit, s'inscrit, elle aussi, dans le cadre de l'étude du fait colonial mais elle aborde plus spécialement l'aspect des collaborateurs autochtones des colonisateurs. Dans ce sillage, il y a déjà eu quelques travaux, notamment ceux de Nicolas Metegue N'Nah22(*), qui a étudié la formation et l'évolution de la société gabonaise moderne, Henri Brunschwig23(*) qui montre que les Blancs (administrateurs, missionnaires, commerçants, etc.) étaient profondément divisés et que la colonisation dépendit largement de la collaboration des Noirs, tandis que Hubert Binga24(*), lui, a, à partir de l'organisation administrative, analysé certaines relations sociétales ainsi que les structures spatio-politiques africaines de base dans le Haut-Ogooué.

En ce qui concerne les collaborateurs autochtones de l'administration coloniale, notre sujet pose le problème central de la chefferie indigène. De fil en aiguille, d'après les bribes d'informations glanées ici et là, il semble qu'autour des années 1920, la plupart des chefs des groupes lignagers de Franceville et quelques groupes ethniques voisins élirent un chef de l'ethnie ndumu pour toute la subdivision de Franceville. Cette élection fut entérinée par l'administration coloniale. Par la suite, l'exercice de cette fonction fut pratiquement réservé aux éléments du peuple ndumu. En fait, la question de la chefferie ainsi posée entraîne deux autres problèmes, à savoir celui ayant trait aux relations inter-ethniques et celui de l'action de l'administration coloniale dans la région concernée. C'est pourquoi nous viennent à l'esprit les interrogations suivantes :

- Quelles étaient les relations entre, d'une part, les différentes ethnies de la région de Franceville et, d'autre part, ces dernières et l'administration coloniale entre 1880 et 1960 ?

- Dans la région de Franceville, les relations inter-ethniques ont-elles facilité l'action coloniale dans la résolution du problème de la chefferie indigène ? Autrement dit, l'administration coloniale s'est-elle appuyée sur les relations inter-ethniques dans cette région pour résoudre son problème de chefferie indigène, faisant ainsi de la chefferie indigène coloniale l'héritière de la chefferie autochtone traditionnelle ?

Qu'est-ce qui, ici, explique, dans le choix des chefs indigènes, la reconnaissance du leadership du peuple ndumu ?

A priori, le fait que, vers 1920, il y ait eu ce consensus entre les différents chefs lignagers ou claniques pour désigner le chef ndumu Lendoyi-Li-Bangwali25(*) suppose que tous les peuples de la région de Franceville entretenaient de bonnes relations et que la tâche de l'administration coloniale s'en est trouvée facilitée, ce qui donnait aux nouveaux chefs une apparente légitimité d'essence coutumière. Mais, en fait, le choix des éléments ndumu pour l'exercice des fonctions de chef durant toute la période coloniale dans la région de Franceville devait moins aux relations qu'entretenaient les différents peuples entre eux qu'aux exigences desdites fonctions qui n'avaient rien à voir avec les critères traditionnels de désignation des chefs dans les sociétés autochtones.

Pour réaliser ce travail, nous nous sommes appuyé sur les sources écrites et orales. En effet, après avoir choisi notre sujet, nous avons d'abord mené des investigations dans les différents centres de documentation et bibliothèques existant à Libreville. Plus précisément, nous avons compulsé des notes, archives et études diverses à la Bibliothèque Nationale, malgré leur état de conservation défectueux. La Fondation Raponda Walker, la bibliothèque privée du Corps de la Paix, la bibliothèque universitaire centrale, celles du département d'Anthropologie et du département d'Histoire et Archéologie de l'Université Omar Bongo ainsi que celle du Centre Culturel Français et du CI.CI.BA. nous ont aussi été d'un apport considérable, dans la mesure où les documents consultés dans leurs différents services (cas des Archives Nationales du Gabon et du "fonds Gabon" du Centre culturel Français Saint-Exupéry) nous ont permis de réunir des informations utiles pour l'élaboration de notre travail.

Par ailleurs, il convient de souligner que l'analyse de ces documents écrits nous a paru insuffisante pour décrypter ou, du moins, reconstituer la vérité historique escomptée. Pour saisir davantage notre sujet, nous avons complété les points d'ombre constatés après nos premières lectures par les données orales : notamment, par les sources rapportées sous forme de récits, de contes (légendes, mythes), de jurements, de proverbes, de généalogies, de toponymes, d'anthroponymes, d'hydronymes, etc.

Pour la collecte des informations se rapportant à cette étude, nous nous sommes rapproché, à l'occasion des enquêtes orales que nous avons entreprises en 2003 en année de licence et en 2004 en année de maîtrise, de quelques membres des différentes ethnies de notre terrain d'étude.

Pour recueillir ces données orales, nous avons eu recours aux exigences de l'oralistique26(*). En effet, nous avons appliqué une méthode de collecte en deux phases, à savoir la pré-enquête et l'enquête orale.

La pré-enquête consiste, dans le cadre du travail que nous avons amorcé en avril 2003, lors de nos deux semaines de terrain, à s'informer auprès des habitués de notre milieu d'enquête. A cette occasion, suivant les faits liés à notre problématique, elle nous permettait d'établir des contacts préliminaires pour d'éventuels rendez-vous avec nos informateurs. Cette pré-enquête visait aussi le choix de ces derniers qui s'est fondé sur quelques critères de sélection, entre autres : l'âge, la qualité, le statut du témoin et l'opinion courante sur ces informateurs dans leurs communautés respectives.

Quant à l'enquête orale, comme il est de règle, elle s'est déroulée sous forme d'entretiens enregistrés sur des bandes magnétiques avec les informateurs retenus.

Dans la conduite de ces entretiens, après s'être présenté et posé notre problème, nous avons jugé utile de laisser parler l'informateur dans la langue de son choix tout en évitant le plus possible de l'interrompre jusqu'au terme de son récit.

En ce qui concerne les moyens humains, étant dans un milieu dont nous comprenions certaines langues, notamment le lembaama, le lendumu, le liwandji, le yindzébi, le lekanii et un peu le latåãå, la nécessité d'user d'un interprète ne s'est pas toujours imposée. Seuls, le limbawå, le liwumvu, le lingom et le latåå de Leconi ont nécessité un recours à des interprètes.

La réalisation effective de ce travail ne s'est pas faite sans difficultés. Pour l'apprenti-chercheur que nous sommes, les difficultés rencontrées sur le terrain pour une telle entreprise ont été nombreuses.

D'abord, les difficultés d'information. Il y a, au Gabon, des institutions qui ne tiennent pas compte de l'archivage des données, ce qui a des conséquences néfastes sur la recherche scientifique et, partant, sur le travail de l'historien. En plus, au cours de nos lectures, le constat fait est que les nombreuses études que nous avons compulsées sur les populations gabonaises font rarement allusion aux relations inter-ethniques qui sont l'un des problèmes posés par notre sujet. Notre difficulté majeure a été liée aux archives de la période du rattachement de la région de Franceville au Moyen-Congo (1925-1946) qui n'existent plus à la mission Saint-Hilaire de Franceville et aux Archives Nationales du Gabon. De même, aux Archives Nationales du Gabon, nous n'avons pas pu accéder aux archives politiques de 1952 à 1960 parce que le décret n° 00791/ PR du 30 juin 1980 portant création , organisation et attribution de la Direction Générale des Archives, de la Bibliothèque et de la Documentation (D.G.A.B.D.) stipule que, « sont communicables, les archives publiques antérieures, à cinquante ans, à compter de la date de l'acte des documents qui contiennent des informations mettant en cause : la vie privée des particuliers; les documents confidentiels concernant la diplomatie, la défense nationale et la sûreté nationale ». Par ailleurs, l'état défectueux de certains cartons et microfilms que nous avons pu compulser a gravement gêné nos recherches.

Sur le terrain, nous avons éprouvé d'énormes difficultés à faire le tour des différentes populations de la région de Franceville, parce que le temps imparti pour nos recherches a été trop court. En fait, au lieu de deux mois de recherche, nous n'avons disposé que d'un mois (du 18 au 30 avril 2003 en année de licence et du 3 au 19 avril 2004 en année de maîtrise) pour un aussi vaste terrain d'étude regroupant près de dix groupes ethniques.

En outre, les problèmes posés par notre sujet l'ont rendu difficile d'approche . Cela s'est traduit par le mutisme de la majorité de nos informateurs qui ont poliment refusé, non sans ironie, de nous fournir les informations spécifiques à la chefferie traditionnelle et aux relations inter-ethniques.

Sur le terrain, nous avons eu notamment des difficultés à avoir des informations sur les notions de « fumu », « vefumu » et « vekani » (piliers de la chefferie traditionnelle) dans la mesure où ces deux notions ont un aspect ésotérique et constituent pour les initiés, un problème difficile à aborder avec un profane comme nous. Nos préoccupations à propos de la sacralisation et de l'investiture du « fumu » sont restées sans réponses. D'ailleurs, partout où nous sommes passé, certains de nos informateurs nous ont dit : « vefumu ? oh !oh ! yia ndjila m'oyaßi ?i »27(*), c'est-à-dire : « vefumu ? oh ! oh ! ce chemin-là, je ne connais pas » ou encore : « befumu, m'obunu w'olålå âå [...] »28(*) soit, littéralement : « befumu, je ne peux pas te dire ». Ces propos traduisent la difficulté d'avoir de sérieux renseignements sur les notions de fumu et nkani. Cela nous a aussi permis de constater que, dans notre région d'étude, le pouvoir politique était intimement lié aux sociétés d'initiation dont la caractéristique est le sceau du secret.

Enfin, des problèmes matériels, temporels et financiers ne nous ont pas permis de nous rapprocher d'un grand nombre d'informateurs des confins de notre région d'étude. Tout cela, ajouté aux problèmes sociaux, constitue les facteurs déterminant des manquements observés dans la préparation de ce travail.

Toutefois, pour la clarté de notre argumentation, cette étude adopte un plan binaire regroupant trois chapitres par partie qui s'articule de la manière suivante :

- une première partie consacrée à l'organisation socio-politique des peuples de la région de Franceville à la veille de l'implantation coloniale (fin XIXème siècle). Il s'agit, dans cette partie, de fournir des éléments qui nous permettent de cerner notre sujet. En effet, il nous a fallu d'abord présenter les peuples de la région de Franceville au moment où les explorateurs européens pénétraient en grand nombre dans le bassin supérieur de l'Ogooué, afin de bien mesurer ensuite les mutations engendrées par le contact de ces peuples bien assis sur leur tradition avec la civilisation occidentale.

une deuxième partie axée sur l'établissement de la domination coloniale et l'organisation de la chefferie indigène (1910-1960).Cette partie vient à point nommé éclairer le déracinement des populations locales dû à l'influence de la civilisation occidentale sur les moeurs et pratiques indigènes. Elle analyse et permet de comprendre comment le subordonné, « le colonisé est devenu colonisateur »29(*).

PREMIERE PARTIE :

L'ORGANISATION SOCIO-POLITIQUE DES PEUPLES DE LA REGION DE FRANCEVILLE A LA VEILLE DE L'IMPLANTATION COLONIALE (FIN XIXème SIECLE).

La région de Franceville a été, à la fin de la période des explorations, l'une des parties du territoire gabonais découvertes par Pierre Savorgnan de Brazza dans le bassin du cours supérieur du Lebani au cours du dernier quart du XIXème siècle. A son arrivée dans cette région, les peuples qui s'y trouvaient occupaient chacun une aire géographique précise. Malgré cela, l'organisation socio-politique de ces derniers était, pour ainsi dire, la même, car elle obéissait partout aux normes et aux prescriptions de la société traditionnelle. Toutefois, ne pouvant vivre en autarcie, ces peuples entretenaient des relations tous azimuts avec les « pays » voisins au point où, à la fin du XIXesiècle, ils s'interpénétraient culturellement.

Chapitre I :

LES DIFFERENTS PEUPLES DE LA REGION DE FRANCEVILLE ET LEUR ORGANISATION SOCIALE A LA FIN DU XIXème SIECLE.

Dans la perspective d'atteindre le centre de l'Afrique, Pierre Savorgnan de Brazza, arrivé dans le cours supérieur de Lébani, découvre des populations organisées et dotées d'une civilisation remarquable. Les conditions naturelles, les « impératifs historiques »30(*) et humains aidant, ont stimulé la volonté de l'explorateur de faire de ce lieu un quartier général31(*) pour la suite de sa mission. Mais, il faut surtout souligner qu'à l'arrivée de l'explorateur, dans la région de Franceville vivaient déjà une mosaïque ethnique.

1. Une mosaïque ethnique

La région de Franceville, qui constitue notre terrain d'étude, se situe dans l'actuelle province du Haut-Ogooué qui couvre une superficie de 27.200 km² environ. Elle s'étend sur 18300 km², soit 63,27 % de la superficie de la province et 6,83 % de celle de l'ensemble de l'ancienne colonie du Gabon. Il s'agit de l'espace limité au nord par le cours de la  Léconi  jusqu'à son confluent avec l'Ogooué et, de celui-ci jusqu'à son confluent avec la  Leyu, par le cours de la Loumou, depuis sa source jusqu'à son confluent avec la Leconi. Cette limite nord forme une frontière naturelle avec la région d'Okondja. Sa limite occidentale suit le cours de la Lekedi. Il convient de souligner que cette limite fut repoussée jusqu'à la Leyu (de son confluent avec l'Ogooué à sa source) en 191932(*). Au sud, la région de Franceville est circonscrite par la frontière du Moyen-Congo-Gabon, depuis les sources de la Leyu et de la Lekoko jusqu'à celle de la Pasa. Enfin, sa limite du sud-est se situe entre la hauteur des sources de la Loumou, celle de l'Alima-Lefini et de la Pasa et constitue une frontière entre la colonie du Gabon et celle du Moyen-Congo.

La région de Franceville ou « osi ãa Masuku », pour nous, correspond donc au pays compris entre la Leyu, la Letili, la Djoumou, la Loumou, et la Leconi33(*). Cette région présente trois aspects typiques : au centre, une zone de savane à hautes herbes, parsemée d'îlots forestiers plus ou moins étendus; à l'est, une pseudo-steppe sablonneuse se rattachant aux « Plateaux Batékés », au nord, au sud, au sud-est et à l'ouest la grande forêt équatoriale34(*). Elle est également traversée par le Lébani dont les affluents sont  la Leconi, la Lekeï, la Mvuna, la Pasa, la Lebombi, la Lekedi, la Leyu et la Letili.

La température de la région se situe entre 20° et 30°; son altitude varie de 300 mètres dans la vallée de l'Ogooué à plus de 1000 mètres à l'ouest dans les Monts du Chaillu et à 800 mètres à l'est vers les sources de la Leconi35(*). Comme bien d'autres milieux, la région de Franceville a une variété de ressources.

A la fin du XIXe siècle, la région de Franceville est peuplée d'une multitude d'ethnies dont la distribution est « en relation assez frappante avec les traits du milieu physique »36(*).

Les différentes études menées sur les peuples du sud-est du Gabon ainsi que les traditions orales recueillies auprès de nos informateurs nous présentent des populations qui se nomment elles-mêmes  Ambaama, Bandumu, Atåãå, Bakaniçi, Bandzèbi, Batsengi, Bawandji, Bewumvu, Bungom, Mbaçi et BabüÞü ou Akula. Cette mosaïque d'ethnies occupe des milieux spécifiques du paysage altogovéen depuis « les derniers mouvements migratoires de grande ampleur qui se situent entre le XVIe et le XVIIIe siècle »37(*).

Ainsi, certains chercheurs, notamment des linguistes et des historiens, ont, sur une base linguistique, établi des classifications des différents groupes ethnolinguistiques de la région du Haut-Ogooué. C'est le cas des classifications proposées par les pères de la Congrégation du Saint-Esprit (le Révérend père

Carte n°1 : La région de Franceville

Alexandre Biton38(*) et le Révérend père Jean-Jerôme Adam39(*)), par le docteur Milletto40(*), le médecin-colonel A.J. Lotte41(*), par l'historien Elikia M'bokolo42(*), les linguistes André Jacquot43(*) et Jerôme-Thomas Kwendzi-Mikala44(*). Mais, comme le rappelle François Gaulme, « le critère linguistique à lui seul est insuffisant pour donner une base que l'on pourrait utiliser dans tous les domaines »45(*).

Cela dit, dans le cadre de cette étude, nous avons jugé utile de prendre en compte la classification adoptée par Hubert Deschamps46(*), conseillé par l'ethnologue français Marcel Soret : celle de répartir les populations gabonaises en six zones de peuplement selon les divisions historico-géographiques. La carte n°2 47(*) illustre cette distribution géographique des différents groupes ethniques du Gabon qui se repartissent en groupe du sud-ouest, groupe central, groupe du sud-est,  groupe du nord-est, groupe du nord, groupe de l'ouest et groupes dispersés (groupe VII A et groupe VII B).

Nous apprécions cet effort de classification objective des populations gabonaises en fonction de la filiation, des langues, du milieu - disons de la géographie - et du passé commun, c'est-à-dire de l'histoire, fait par Hubert Deschamps qui considère que « les groupes appartenant à des langues différentes, mais vivant depuis longtemps ensemble dans le même milieu géographique, sont en fait beaucoup plus proches, du point de vue ethnologique, et même parfois des traditions historiques, qu'ils ne le sont de leurs parents linguistiques »48(*). Mais,lorsqu'il dit que « le clan mbètè aurait la priorité »49(*), nous pensons qu'il se trompe parce que le mbètè, mbédé ou mbéré, ce n'est qu'une variété dialectale du lembaama, un parler du peuple ambaama, qui n'est qu'une des composantes

de ce qu'Hubert Deschamps appelle le "goupe sud-est"50(*), dont font partie la quasi-totalité des populations de la région de Franceville.

1-1. Le groupe du sud-est

Ce groupe rassemble les Ambaama, Ndumu, Atåãå, Kani?i, Ndzèbi, Tsengi, Awandji, Wumvu qui, démographiquement, sont les «nationalités» les plus importantes de la région51(*). Si l'on s'en tient aux résultats du recensement effectué par le médecin-colonel A. J. Lotte52(*) en 1951, sur 23 745 habitants de la région de Franceville, le groupe du sud-est, à lui seul, comptait 21603 habitants, soit 7906 Atåãå, 4478 Ambaama, 2108 Kani?i, 1790 Ndumu, 1782 Wumvu, 1711 Tsengi, 974 Awandji et 854 Ndzèbi, ce qui constituait près de 90,90% de la population de la région. Dans la classification linguistique d'Hubert Deschamps53(*), Bandzèbi, Batsengi et Bawandji sont en A1, les Ambaama, Ndumu et Kani?i en A2, tandis que les Atåãå sont classés en A3 et les Wumvu en B.

Au moment de l'installation française dans la région de Franceville, les Ambaama, qui se répartissent en plusieurs dialectes, occupent une grande partie du Haut-Ogooué actuel, de l'embouchure de la Léconi à celle de la Pasa jusqu'aux rives de la Licona dans l'arrière-pays. Leurs clans implantés dans la région de Franceville sont  les Ampini, les Akwu, les Lolo et les Ngwadi54(*). Ils occupent précisément les forêts-galeries du nord-ouest et nord-est de Franceville où ils sont respectivement voisins des Bakanigi-ba-Okolo, des Ndumu et des Atåãå, à l'ouest de Franceville (terre ombaama de Massango où ils sont appelés "Aduma").

Les Ndumu, eux, se composent alors de quatre variétés dialectales ou sous-groupes, à savoir les Kuya (Asi-Kuya), les KaÞandzüãü (Asi-KaÞandzüãü), les Opiãi (Asi-Opiãi) et les Nya?i (Asi-Nya?i) qui habitent les zones boisées et les savanes de Franceville ainsi que ses environs, notamment le long de la rivière Pasa.

Quant aux Atåãå, ils occupent tout le territoire des savanes et des steppes sablonneuses de l'est de Franceville appelé «les plateaux batékés» ainsi qu'une partie de la zone forestière d'Akiéni. On distinguait ainsi les Atåãå dits de la savane ou « Atåãå-ba-tsåãå », c'est-à-dire ceux qui résident aux environs de Souba jusqu'aux confins des territoires du Gabon et du Congo, et ceux dits de la forêt ou « Atåãå-ba-swaãa », qui habitent Akiéni, Ngouoni, Léwaï et Lekey. Il convient, toutefois, de prendre en considération l'hypothèse avancée par Solange Oligui55(*), selon laquelle ces populations dites Atåãå-ba-swaa seraient peut-être des populations ambaama qui, tout au long des migrations, se sont « tégéifiées »56(*), ce qui paraît plausible, car ces deux peuples cohabitent dans cette zone depuis plus de deux siècles.

Les Kanii, eux, se divisent en trois variétés dialectales, selon les liens de parenté entretenus avec d'autres groupes linguistiques : les Kanii-ba-ókòlô, encore appelés Bakanii-ba-ul'a tsåãå, les kanii-ba-tsiè, les Kanii-ba-ngúnú ou Bakanii-ba-Lebani et les Kanii-ba-'Ikòlò, qui  peuplent la zone de savane à hautes herbes parsemées d'îlots forestiers du territoire d'Okolo57(*) au nord-ouest de l'Ogooué, les croupes herbeuses séparées par les forêts-galeries du centre ainsi que le sud de Franceville et l'est de l'Ogooué, où ils sont respectivement voisins des Ambaama, des Ndumu, des Wumvu et des Babo?o.

En outre, les Awandji et leurs frères de langue, les Ndzébi et les Tsengi, occupent le nord-ouest de Franceville, dans les zones de Moanda et Modinga, le sud-ouest de Franceville, entre la Lebombi et la Lekoko (Batsengi) ainsi qu'une bonne partie des terres à l'Est de la Leyu (Bandzébi).

Enfin, les Wumvu, eux, sont installés à l'ouest et au sud de Franceville, le long de l'Ogooué et de la Lebombi. Ils sont présents dans la vallée de la Lebani, plus précisément sur la route de Franceville-Zanaga-Dolisie au Congo58(*).

En dehors de ces nationalités, que l'on retrouve en majorité dans le Haut-Ogooué, on note aussi la présence d'autres groupes essaimés sur notre aire d'étude.

1-2 . Les groupes dispersés.

Il s'agit, ici, des groupes que l'on retrouve, à quelques exceptions près, dans toutes les zones de peuplement définies par Hubert Deschamps dans sa classification des peuples gabonais59(*). Dans la région de Franceville, ces peuples dispersés se répartissent en deux ensembles : le groupe VII A formé des Kélè et le groupe VII B uniquement composé des Pygmées, localement appelés "Baboo" par certains et "Akùla" par d'autres.

Les Kélè de la région de Franceville comprennent  les Bungom, qui vivent à l'ouest de Franceville, plus précisément vers l'embouchure de la Lebombi où ils sont en symbiose avec les Baboo (Pygmées), et les Mbai qui demeurent en petits groupes à l'ouest et au sud de Franceville. Aux environs de l'embouchure de la Lebombi, ils sont plus ou moins mêlés aux Wumvu sur les lisières de zones de forêts60(*). Quant aux Babongo ou Akula, ils sont présents un peu partout, par petits groupes, dans la région de Franceville ; ils utilisent les langues des peuples qui les environnent et constituent un groupe ethnique particulier.

Le terme « Babongo » serait donc la désignation locale des peuples considérés comme Pygmées dans le Haut-Ogooué. D'ailleurs, André Raponda-Walker, qui s'est intéressé à ce peuple, précise qu' « au Gabon, les Pygmées sont désignés par plusieurs noms. Selon les régions, ils sont Azongo, Akowa, Bakweya, Bekweyo, Béka, Bankwei, Barimba, Banbenga, Babinga, Akula et Babongo »61(*). Cela confirme l'idée selon laquelle « chaque peuple à son Pygmée ». A ce propos, dans la région de Franceville, les Ambaama et les Atåãå les appellent  Akula ; pour les Ndzébi, Awandji et Tsengi, ce sont les "Babongo", tandis que les Kani?i et les

les Ndumu les nomment « Baati-ba-swaãa », soit, littéralement, « les gens de la forêt » ou Babò?o. La même chose apparaît chez les Wumvu, Mba?ß et Bungom qui les identifient par le nom " Babo?wu ".

A la veille de l'implantation coloniale, les peuples de la région de Franceville avaient une organisation sociale remarquable.

2. Des sociétés hiérarchisées.

La structure des sociétés de la région de Franceville repose sur plusieurs critères de classification, parmi lesquels la parenté joue un rôle considérable . Selon Martin Alihanga, « la parenté se fonde sur la reconnaissance des liens qui unissent génétiquement (filiation, descendance) ou volontairement (alliance, pacte de sang) un ensemble d'individus. Ces liens engendrent un réseau complexe de rapports entre des personnes de différents âges, relations qui sont basées sur des droits, des devoirs et des obligations explicitement définis et régis par des normes et des prescriptions parfois très strictes »62(*).

Ainsi, selon les critères de filiation ou d'alliance, l'organisation sociale des peuples de la région de Franceville se comporte quatre catégories ou classes sociales. Au sommet de la hiérarchie se trouvent les hommes libres, suivis des semi-libres et des étrangers, et enfin, à la base, les esclaves.

Ndumu les nomment « baati-ba-swaaãa », soit littéralement, « les gens de la forêt » ou Baboo. La même chose apparaît chez les Wumvu, Mbai et Bungom, les identifient par le nom "Babowu".

A la veille de l'implantation coloniale et des mutations dues au contact avec la civilisation occidentale, les peuples de la région de Franceville avaient une organisation sociale remarquable.

2. Des sociétés hiérarchisées

Les structures des sociétés de la région de Franceville reposent sur plusieurs critères de classification, parmi lesquels la parenté joue un rôle considérable. Selon Martin Alihanga, « la parenté se fondent sur la reconnaissance des liens qui unissent génétiquement (filiation, descendance) ou volontairement (alliance, pacte de sang) un ensemble d'individus. Ces liens engendrent un réseau complexe de rapports entre des personnes de différents âges, relations qui sont basées sur des droits, des devoirs et des obligations explicitement définis par des normes et des prescriptions parfois très strictes »62(*).

Ainsi, selon les critères de filiation ou d'alliance, l'organisation sociale des peuples de la région de Franceville comprend quatre catégories ou classes sociales. Au sommet de la hiérarchie sociale, se trouvent les hommes libres, suivis des semi-libres et des étrangers, et enfin, à la base, les esclaves.

2.1. Les hommes libres

Les hommes libres jouissent de tous les droits civiques. Il s'agit de tous ceux qui, dans un territoire donné, sont nés de parents (père et mère) libres. Ils sont ainsi considérés, selon les vocables, comme les "fum'a bola", "a nga m'puyu", "ba nga puyu" ou "mebutu m'a puyu", autrement dit  " les chefs de village". A ce titre, tout homme libre, dit George Mazenot, « est complètement indépendant dans ses actes, il ne doit à son suzerain que son concours en cas de guerre. L'influence et le rang d'un homme libre sont en raison directe de sa fortune, c'est-à-dire du nombre de femmes et d'esclaves qu'il possède et sur lesquels il a droit de vie et de mort »63(*).

2-2. Les semi-libres et les étrangers

Les semi-libres et les étrangers occupent, dans la classification sociale fondée sur la filiation ou l'alliance, une condition ou une situation intermédiaire entre les hommes libres et les esclaves. Sont considérés comme «semi-libres», tous ceux dont l'un des parents est libre et l'autre esclave.

Par contre, les « étrangers » sont « ceux qui n'appartiennent pas au pays où ils vivent, ceux qui n'appartiennent pas à une famille, à un groupe dans un territoire précis »64(*). De la même manière, étaient considérés comme «étrangers», dans l'organisation sociale des peuples de la région de Franceville, ceux qui n'avaient pas de parents dans leur unité de résidence habituelle. En un mot, ceux qui n'avaient pas de liens avec les résidents permanents du village. Le membre d'un autre clan (dans le cas des villages monoclaniques), d'une autre « nationalité » qui, à cause des problèmes de sociabilité avec les siens ou pour des raisons matrimoniales, avait élu domicile sur une terre autre que celle de ses ancêtres ou de son lignage, intègrait aussi la catégorie des étrangers. Pour autant, les étrangers n'avaient pas de statut d'esclave et ne bénéficiaient pas des mêmes droits que les hommes libres.

2-3. Les esclaves.

D'entrée, il convient de se poser les questions de savoir : qu'est-ce qu'un esclave ? Qui est esclave ? Répondre à de telles questions dans la région de Franceville peut paraître prétentieux. C'est pourquoi, il nous faut d'abord savoir dans quelle condition un individu pouvait être réduit en esclavage.

Selon le dictionnaire encyclopédique Hachette, le terme «esclave» désigne « toute personne qui est sous la dépendance absolue d'un maître qui peut en disposer comme de tout autre bien »65(*).

L'esclavage est une blessure qui a fait couler beaucoup d'encre sur le continent africain. C'est une réalité pratiquée par nombre de populations dont ceux de la région de Franceville. Ici, avaient le statut juridique d'«esclave», les esclaves, les enfants des esclaves qui appartenaient aux maîtres de leurs parents, les personnes razziées en territoire étranger et celles échangées ou vendues pour acquérir un bien (qui pouvait être du sel, de l'huile ou tout autre chose). En d'autres termes, il s'agit, comme le note Martin Alihanga, « d'une part les esclaves capturés dans les guerres interethniques, et d'autre part ceux qui, à cause de dettes non acquittées contractées par eux ou par un membre de leur famille, sont devenus esclaves de leur créancier ; entrent aussi dans cette catégorie les recidivistes impénitents en matière de morale (vol ou adultère caractérisé) lorsque ces actes couvrent d'une honte exceptionnelle toute la famille du délinquant. Pour extirper le mal, on vend le coupable, en le troquant contre des marchandises d'importation »66(*). Dans le même ordre d'idées, Pierre Angango rapporte ce qui suit :

a . «oyiãa , aki mba m'vuru m'ayeni a. «L'esclave, c'est quelqu'un qu'on allait

b. na saãa . wå baãi abomo a wå, b. chercher. Tu as ta richesse,

c . ?a wå mi kaama o baarß, c. mais il te manque les gens,

d. må, ?a na baarß a må d. moi, j'ai mes gens.

e. mbßrß må na baarß a må, e. Je dis que j'ai mes gens,

f. ?a må saãa m'vuru f. mais je cherche que quelqu'un

g. oya na yaãa. G. vienne prendre.

h. bo a mi vula ?a må kuna, h. J'en ai assez,

i. wå ?'abomo a wå, i. tu as ta richesse,

j. n'engwa , na maari , j. le sel, l'huile,

k. m'pini kila `o wå a baãa, k. n'importe quelle chose que tu gagnes

l. na wå yii na yaãa oyiãa »67(*). l. alors tu viens pendre l'esclave ».

De tout ce qui précède, on comprend aisément que, dans les « sociétés forestières » du sud-est du Gabon, l'individu n'était pas responsable de sa vie et des actes répréhensibles qu'il posait. C'est son oncle maternel, son père, son maître, le notable du lignage ou de la famille qui assumait ses responsabilités68(*). Cette idée est particulièrement vérifiable à travers le proverbe awandji qui dit : « nga bola indja toeiâi »69(*). Soit, littéralement, « le chef du village doit manger les selles ». Les selles étant, bien sûr, les actes et les comportements déshonorants de tous ceux qui sont sous l'autorité du « nga bola ».

Il faut dire que, dans la région de Franceville, l'esclavage était une sorte de prison pour l'individu qui troublait l'ordre social communautaire - celui qui se comportait mal ou qui n'obéissait pas aux normes prescrites par la tradition -.Il perdait ses libertés fondamentales. En cas de différend entre deux lignages ou deux patriarches, l'indemnité était payable en esclaves.

L'esclave était, certes, facile à acquérir, mais sa provenance restait mal connue selon toute vraisemblance. En fait, les esclaves qui intégraient un nouveau lignage ou une nouvelle famille créaient un vide dans leurs anciens villages et comblaient les crises démographiques du segment de lignage qui les accueillait. Ces esclaves, dans leurs différents points de chute, étaient importants dans les rapports d'influence entre les nga ndzo (chefs de lignage) d'un même village ou des villages obéissant aux mêmes valeurs culturelles.

Par ailleurs, dans la région de Franceville précoloniale, il y avait une règle d'or : celle de ne jamais dévoiler les origines serviles d'un homme. Celui qui outrepassait cette règle était immédiatement puni ou pénalisé par la justice traditionnelle. Les origines serviles d'un individu étaient donc camouflées, de peur qu'il ne nourrisse un complexe d'infériorité. Seuls, les chefs de lignage savaient la provenance d'un esclave. De cette manière, donc, les Babongo ou Akula ont été inclus dans des familles comme des esclaves.

Ainsi, chaque culture, chaque peuple a sa manière d'aborder la réalité sociale. Cette réalité peut ne pas être la même d'une population à une autre. Dans la région de Franceville, il est vrai que les esclaves existaient mais, par respect du genre humain, leur condition n'était pas socialement révélée. Cela, pour la simple raison qu'il fallait tenir compte de leur dignité et surtout éviter de les humilier. Dès lors, un esclave pouvait, à certaines occasions, représenter politiquement son maître.

Il faut, au total, dire qu'au moment de l'installation française dans la région de Franceville, les diverses nationalités qui y habitent avaient une organisation sociale comportant quatre catégories d'individus selon les critères de filiation ou d'alliance. Ces classes sociales étaient « en conséquence inter-reliées par une série d'obligations diverses, de dettes, de responsabilités et de rapports affectifs qui assurent la solidarité de la société globale et empêchent son éclatement en groupes plus restreints »70(*).

Alors, qu'en était-il de l'organisation politique des peuples de la région de Franceville à la fin du XIXème siècle ?

Chapitre II :

L'ORGANISATION POLITIQUE DES PEUPLES DE LA REGION DE FRANCEVILLE A LA FIN DU XIXEME SIECLE.

Il est généralement admit que les sociétés forestières de l'Afrique sont acéphales, anarchiques et donc sans gouvernement. Contrairement à cette idée, à la fin du XIXème siècle, ayant une mentalité collective du pouvoir, les peuples de la région de Franceville étaient organisés en chefferies et administrés par un ensemble d'institutions politiques, des individus qui disposaient d'un pouvoir de décision autour duquel étaient rassemblées des personnes assez considérables.

1. Les différentes chefferies de la région de Franceville

Comme le dit Hubert Deschamps, « la chefferie est un groupement de lignages ou de familles étendues autour d'un chef qui est soit un membre de la famille la plus anciennement établie dans le pays soit un personnage religieux »71(*). Dans la région de Franceville, les formes d'organisations politiques des sociétés, disons des regroupements humains, vont des lignages aux confédérations en passant par les chefferies. Toutefois, pour les peuples de cette région, le village restait le cadre privilégié de l'organisation politique.

1-1. Une organisation en villages-Etats

L'Etat, nous apprend le dictionnaire encyclopédique Hachette, est « la personne morale de droit public qui personnifie la nation à l'intérieur et à l'extérieur du pays dont elle assure l'administration »72(*). En outre, selon le même dictionnaire, l'Etat est « chacun des territoires plus ou moins autonomes qui constituent une fédération »73(*). Par ailleurs, Guy Rossatanga-Rignault, citant Guillien et Vincent, écrit : « au point de vue sociologique, l'Etat est une espèce particulière de société politique résultant de la fixation sur un territoire déterminé d'une collectivité humaine relativement homogène régie par un pouvoir institutionnalisé comportant le monopole de la contrainte organisée (spécialement le monopole de la force armée) »74(*).

De ce qui précède, il faut donc entendre par la notion d'«Etat», l'entité politique assise sur un territoire administratif déterminé, pourvue des institutions nécessaires à son fonctionnement et dont l'autorité s'exerce sur les peuples qui ont la volonté de vivre ensemble.

L'observation des aspects généraux des villages des sociétés précoloniales, notamment leur organisation sociale, politique, juridique et économique voire culturelle, nous amène à déduire que le concept de " village-Etat" est applicable à cette forme d'organisation que l'on retrouve dans la région de Franceville à la fin du XIXème siècle. En effet, après leurs migrations, les peuples implantés dans cette région construisirent, dans leurs territoires respectifs, des unités de résidence indépendantes, constituées d'un agrégat de familles rassemblant plusieurs générations d'individus, dont les relations parentales s'exerçaient au sein d' un réseau complexe d'alliances. C'est donc en partant de ce constat et en tenant compte de la filiation que, sur le plan politique, nous parlons d'une organisation en villages-Etats.

Selon Nicolas Metegue N'Nah, qui a forgé ce concept, « il s'agissait presque toujours d'une fraction d'un clan dont on pouvait retrouver, en d'autres points du pays, des éléments organisés sur la même base d'indépendance totale des villages. C'était donc une forme d'organisation politique que l'on rencontrait surtout chez les peuples dont les éléments éparpillés se déplaçaient souvent »75(*). Cette forme d'organisation, à en croire cet auteur, rappelle celle des cités de la Grèce antique.

Ainsi organisées, les sociétés de la région de Franceville étaient sous l'autorité des chefs héréditaires initiés aux sociétés secrètes dites omfumu, befumu, vefumu, bukumu, ou onkani, ukaanu, bukanu, okuma, suivant les langues et les cultures76(*). C'est cette organisation en villages-Etats qui faisait en sorte que, lorsqu'un élément des villages environnants sortait de son cadre géographique, il était vite identifié. Toutefois, les chefs qui administraient chacune de ces unités de résidence étaient désignés selon les bases et les critères traditionnels distincts.

1.2. Les bases du pouvoir et les critères traditionnels de choix des chefs

Dans la région de Franceville, des termes symbolisent l'autorité supérieure du système politique traditionnel. Les Kani?ß, Ndumu, Tsengi et Awandji nomment leur chef par le terme "fumu" tandis que les Atåãå utilisent le vocable "mfùmu" et les Ndzèbi "kumu". Ces expressions dérivent de befùmu, vefùmu, bufùmu, omfùmu et bukumu, lesquels termes désignent non seulement des sociétés secrètes de cette région mais aussi l'équivalent du pouvoir exécutif des sociétés actuelles. La langue étant l'un des éléments culturels distinctifs des peuples, chez les Ambaama, Wumvu, Mba?i et Bungom, le même pouvoir est appelé onkani, ukaanu, ukaanu ou okuma. Ce n'est donc ici qu'une question de graphie : la réalité exprimée par les différents peuples est la même77(*). Ce que nous disons est confirmé par le témoignage de Théodore Lendira qui déclare :

a .  « onkani, tí onkumu ! a. « onkumu, c'est onkani !

b. ?a prononciation andaãa b. Mais c'est la prononciation des langues.

c. ndí ndå nkumu c. On dit qu'il est nkùmu,

d. ndí ndå nkani , d . on dit qu'il est nkani,

e. ndå chef, ålí dja ni lí montu »78(*). e. il est chef, c'est le même problème ».

Ce « problème » commun aux peuples de la région de Franceville est davantage expliqué dans le mythe d'origine du pouvoir de l'omfumu rapporté par Philippe Endelet79(*) à propos de l'abattage de l'antilope et de la panthère.

En effet, il nous fait observer que les techniques de prise de ces deux animaux n'étaient pas similaires. Pour abattre la panthère, dit-il, le chasseur doit faire preuve de courage, de ruse, de souplesse et de prudence, qui sont les attributs de cet animal (car la panthère incarne la force, l'autorité, la beauté, le courage). Croyant fermement aux forces totémiques de leurs clans, de leurs familles (au sens anthropologique), les hommes se sont inspirés de ces attributs pour diriger leurs sociétés. Dès lors, la panthère, dans certains cas, devient l'ancêtre de l'autorité cheffale, magnifié par le biais des sociétés initiatiques telles que le  ngo ou ngoyi, le mungala (ongala), etc.

Cette idée est renchérie par Anatole Lebama en ces termes :

a. « mon mami ma ngo. a.  « Ce sont les choses de la panthère.

b. via bo vekani, ngo b. Leur pouvoir, c'est la panthère.

c. via bisa bå vekani, vefumu  c. Notre pouvoir, c'est  vefùmu

d. ?a, vefumu via bisa bå d. Mais, notre pouvoir,

e. ka la fì nga Bamba?i ?a , e . on n'a pas donné les MbaÞi et ì f. Bawumbu ?i f. Bewumvu .

g. vefumu via bisa bå , g . Notre pouvoir ,

h .via bisa bå Bakani?í, h. pour nous les Kani?í ,

i .Batsayi ba (...) i . Les Tsayi, les (...) Atåãå,

j. vefumu ngulu Batåãå j. le pouvoir du côté des Batåãå,

k. ngulu Bakani?í k. du côté des Kani?í,

l .ngulu Andumu l. du côté des Ndùmu ,

m. vefùmu minß m. le pouvoir en question ,

n. mandjil'olaãa. n. beaucoup de conceptions,

o. mebini?í' olaãa . o. beaucoup de difficultés.

p. mekoto, mekoto, mekoto, mekoto, p. Beaucoup de tournures,

q. mami olaãa. Mendumu melí q. trop de choses. Les Mendumu ont

r. ?a mia bo' esiãí. r. leurs manières de faire.

s. bana så bali ?a mia bo' esiãi s.Les autres aussi ont les leurs.

t. kumu : vefùmu t . le nom est vefùmu

u. kumu : vefùmu »80(*). u. le nom est vefùmu ».

La lecture des lignes a, b, c puis de k à t nous laisse constater que, dans notre région d'étude, les différents peuples, malgré leurs différentes conceptions du pouvoir81(*), avaient une représentation commune de celui-ci82(*).

De tout ce qui précède, il ressort que l'omfùmu et l'onkani, autrement appelés vefùmu et vekani, sont à la fois des sociétés secrètes, initiatiques et des institutions du pouvoir dont on ne peut se passer pour établir la domination d'un chef sur le village, sur l'ensemble des administrés ou sur la famille. On est ainsi tenté de considérer, avec Hubert Binga, que c'est « une forme d'investiture qui donne le titre fumu à une personne  »83(*). C'est d'ailleurs ce que relève le témoignage de Jean Mokikali dit Ossaâßãß lorsqu'il rapporte que :

a . «  vefumu, vefumu  [...]  a. « Le pouvoir, le pouvoir [...]

b. m' olaãa wå au fond ãà vefumu, b.Si je te dis le fond du pouvoir,

c. vefumu mabutu. c. le pouvoir ce sont les reliques.

d. mabutu, mabutu ma d. Les reliques, les reliques que e. bakutu ba kala ba naãß. e. les ancêtres ont laissées.

f. wå, m'olaãi mon, ngana må, f. Toi, pour te les montrer comme moi,

g. lo yß lo , ba viasi wå. g. aujourd'hui, on va t'initier.

h. lo w'akitiãi fùmu, hein ? h. Aujourd'hui, tu deviendras fùmu, hein ?

i. lo ba viasi wå. i. Aujourd'hui, on va t'initier.

j. ngana bu ndili yi ba ki sa bisi j. Comme au temps qu'on nous faisait.

k. må k'amoni bu ?ß, k. Je n'ai pas vu comme ça,

l. må li vångåâå. l. j'étais encore petit.

m. ba ?ßsiãß må ndzo yina m. On me fit entrer dans cette maison-là

n. na vångåâå. n. quand j'étais petit.

o.w'omvå wå kaâß mutu »84(*). o. Il faudrait que tu sacrifies une personne ».

Ces propos démontrent à suffisance que l'initiation au befumu ou à l'omfùmu, à l'onkani ou à l'obagni?i est un moyen de faire reconnaître l'autorité de celui qui a été désigné «fumu», «nkani » et «åbagni?i» aux mânes de ses ancêtres.

Ainsi, les sociétés initiatiques sus-mentionnées sont un des piliers sur lesquels repose le pouvoir. C'étaitt dans des sociétés initiatiques comme le mungala (ongala), le vefùmu, l'onkani, le mawunda, le maâayí, le lisimbu, etc, que l'on apprenait le commandement. C'était à la fois des formes d'expression du pouvoir, des clefs du savoir et des écoles de la vie en société. Le pouvoir d'un chef devait donc se fonder sur les normes et les prescriptions traditionnelles. C'est ce qu'essaie de nous faire comprendre jean Mokikali dit Ossaâßãß, chef du quartier Mbaya, dans l'extrait de son témoignage cité ci-dessus85(*).

En dehors des bases religieuses constituées par les sociétés secrètes, l'occupation antérieure de la terre par un ancêtre mythique, par un lignage ou un segment de lignage constituait aussi l'un des éléments sur lesquels s'appuiyait le pouvoir d'un chef. En fait, cette occupation primaire de l'espace donnait, aux descendants du premier à s'être installé sur les lieux, des droits juridiques et politiques prééminents dans la gestion du territoire et de ses résidents. A ce propos, un proverbe ambaama, cité par Pierre Angango, dit :

a . « kuãa, kuãa, a. « Rassembler, rassembler ,

b. ßyål' okusuãß baarß ni. b. il ne manque pas un rassembleur de personnes.

c. m'puãu ` iyålå nkumu ni »86(*). c. Le village ne manque pas de chef  ».

De même, Monique Mavoungou Bouyou l'exprime en ces termes : « Dans le Gabon précolonial, la terre était une propriété clanique ; elle l'était du fait que l'un de ses membres fût arrivé le premier sur des terres non habitées et qu'il les ait occupées »87(*). Il convient de préciser ici que le territoire occupé par un peuple est d'abord celui du segment de lignage ou du lignage. L'appartenance d'un lignage à un clan spécifique fait en sorte que cet espace devienne, par voie de conséquence, celui de son clan88(*).

Par ailleurs, le pouvoir se fonde sur la famille, sur les liens de parenté. En effet, la famille constitue la cellule de base de l'organisation socio-politique. Cela s'observe lorsqu'on étudie la position occupée par un homme libre dans le réseau relationnel, à l'exemple des rapports frère ainé-frère cadet, oncle-neveu, grand-père-petit-fils et père-fils. Dans tous les cas, il faut prendre en compte le système de filiation adopté par le peuple en présence. C'est dans cette optique que Georges Mazenot écrit : « l'autorité coutumière tire sa légitimité de l'existence de ces groupements intermédiaires entre la tribu et la famille stricto sensu, et la chefferie clanique est assurément héréditaire puisque liée au système de parenté »89(*). La même idée est rapportée par Emmanuel Ndouomi qui l'exprime en ces termes :

a. « vefùmu mon mapuãu, abí (...) a. «Le pouvoir dans les villages, c'était (...)

b. ngana bu bata, b. comme on appelle,

c. ngana baroi, c. comme les rois.

d .abí famille mokíma'obun'owolo d. une autre famille ne pouvait prendre 

e. vefumu va puãu ?ì. e. le pouvoir du village.

f. om'vå toujours ndzo mon. f. Il faut toujours la même famille.

g. w'akali vefùmu vía puãu yía, g. Celui qui reste l'autorité du village là,

h. wua, babatwu puãu, h.celui-là, ceux qui l'ont construit,

i. baba pasí puãu  »90(*). i. ceux qui l'ont tracé ».

Comme fondement du pouvoir, nous pouvons enfin retenir la parole.

En effet, dans les sociétés de la région de Franceville comme partout en Afrique, la parole était au centre de l'existence. En tant que « vecteur des messages essentiels à la vie du groupe »91(*), la parole pouvait être préjudiciable à la vie d'un individu comme elle pouvait aussi faire de lui un dignitaire dans la société. A ce propos, Paul Ndjabimba rapporte ce qui suit :

1. « ...djami låmon lí laví ?a bo, 1. « ...Un problème survint entre eux,

2. lí ã'osi ãa tsami?ß bo . 2. et le pays fut abandonné,

3. lí ã'osi ãa tsami?ß Sayaka. 3. le pays fut abandonné à Sayaka92(*).

4. osi kia, kumu Sayaka. 4. Ce pays-là, le nom est Sayaka.

5. ãa tsami?ß ?a bo .Hem (...) 5. s'est détruit avec eux. Hem (...)

6. fùmu Okolo, kumu :Kaliãa*. 6 . Le chef d'Okolo93(*), son nom est : Kaliãa.

7. li ãa baãß ã'osi, li ãa baãß baati. 7. Il eût le pays, il eût les gens.

8. ?a ndå ã'osa silimbisa, 8. Mais, devenu héritier,

9. ngaãa ndå ye fa ã'okwa, 9. ses parents étant décédés,

10. ka ã'aki sa volonté ?ß. 10. il ne faisait pas la volonté générale.

11. ndå sí mbaâßri ngana gnamba 11. Il fît la violence comme le Blanc

12. ?a ba woro ba ki suku ?a bisi bu. 12. et les miliciens nous contraignaient.

13. bana ndi comment ? 13. Les autres se dirent comment ?

14. ndi ?a wå, ngaãa wå 14. Ils dirent, mais toi, tes parents

15. ya m'ofa m'okwa, bisi l'amosili 15. sont tous décédés, nous sommes restés,

16. ?a, wå , wå fùmu . 16. mais, toi, tu es chef.

17. li bawoli Tsaapi, balo masana. 17. Ils prirent le Tsãpi94(*), ils chargèrent.

18. ndi, ?a letswå lebumu ndå. 18. Ils dirent, mais tuons-le.

19. ndå mutu momon,.lebumu ndå, 19. Il est seul, tuons-le,

20. bisa bå lesili libre. 20. nous allons rester libre.

21. motí lí bu li lekoko bu ?a [...] 21.Un bois était comme l'est le cocotier-là [...]

22. kumu moti wua, moyaâß. 22. Le nom de cet arbre est : moyaâß 95(*).

23. bata ndå masana ?a tsa molåâå ?a, 23. On le fusilla dans le molåâå96(*)-là,

24. ?a tsa molåâå ?a, tuuuuuu!!! 24. dans le molåâå-là, tuuuuuu!!!97(*)

25. nd'osami (ãå! ãå! ãå! ãå! ãå! ãå! ãå!) 25. Il cria (pendant longtemps) 

26.   bå lebumu må?  26. « Vous me tuez ? »

27. lí ãa yeni wåãß ?a yulu 27. Il partit s'accrocher sur

28. mapaka ma moyaâß. 28. les fourches de moyaâß.

29. ndi, å! moluãu metí, bali/ 29. Il dit, « oui! Je croyais, que vous étiez /

30. ngaãa må ya kwi, bisa bå lesili 30. mes parents sont morts, nous sommes restés

31. otoo mo tsuãu la lo, 31.arrivé aujourd'hui,

32. bå li m'ota må masana ? 32. vous m'avez fusilé ?

33. ã'osi ãa må ndi kia, lesili ?a ko, 33. mon pays est là, restez-en avec,

34. må mo yiå! ». 34. je suis parti ».

35. owåãå bu woão lí ã'a kwi. 35. Il s'écroula-là et mouru.

36. Alors, otoo ão swaaãa, li ã'asuâu nguya. 36. Alors, il rassembla les sangliers

37. nguya, yí bagnama. 37. le sanglier, celui des animaux.

38. batsiâßri, mon mangunu ngångålå, 38. Les hérissons envahirent les champs,

39. bia, bia, bia, bia, bia, bia. 39. totalement.

40. bo balo bu mbaaa, 40. Ils étaient incapables de résister,

41. mangunu mafì, 41. les champs furent dévastés,

42. mako, mon mbisi madzo 42. les bananiers, de derrière les maisons

43. mafì. 43. furent dévastés

44. b'oya' odja mbutu meti. 44. Ils mangeaient déjà les fruits sauvages.

45. balo bu mbaaa, 45. Ils étaient incapables de résister,

46. bobwesi tout,li bamati kwa. 46. tous, Ils quittèrent là-bas.

47. li ba yi . 47. Ils vinrent.

48. bo bamatí kwa 48. Ils sont quittés là-bas,

49. ndjala y'atsutu bo. 49. la faim les avait chassés.

50. Mba? ye yí . 50. Les Mba?ß et Wumvu sont venus.

51. ye yeni ngoo Bambama » 51. Ils sont allé jusque chez les Ambaama »

52. Mba?ß yé yí ngoo puã'a wå, 52. Les Mba?ß sont venus jusqu' à ton village,

53. puã'a Lie?è*(Lienghet), 53. le village de Lie?è (Lienghet),

54. ngoo puã'a Salamba* »98(*). 54. jusqu'au village de Salamba » .

De la lecture de ce texte, il ressort que Kaliãa avait proféré une sorte de malédiction à l'égard de ses administrés99(*). Il convient de souligner que, pour les pleuples sans écriture, la parole était sacrée, comme le fait constater Jean Mokikali dit  Ossaâßãß : «  ndaãa bisa bå yiniyi, Ndzaami [...] ya, w'abuma baati ya ndaãa [...] », soit, «  notre parole-là, c'est Dieu [...] Là, celui qui tue les gens-là, c'est la parole [...]»100(*). Ainsi, à Sayaka, la malédiction du chef (Kaliãa) se manifesta par la disette qui contraignit les habitants dudit village à s'exfiltrer chez leurs voisins101(*).

En somme, nous pouvons dire que, dans les sociétés de la région de Franceville, le pouvoir reposait à la fois sur des bases religieuses, politiques et sociales.

En ce qui concerne les critères traditionnels de désignation des chefs, il faut dire que le choix de ces derniers donnait lieu à de multiples tractations. Malgré tout, la réalité peut se trouver dans le témoignage de Fernand Loungou :

1.«  bufumu ? 1.« Le pouvoir ?

2 . bia ya bola, bísí ìtå kani. 2. Celui du village, nous appelons  kani.

3 . bísì Bawandji ítå fùmu : kani . 3. Nous, les Awandji, appelons le chef "kàni".

4 . kani ` y a bola . 4. Kani du village.

5 . bekani ? 5. Le pouvoir ?

6 . mu âå wå , mu âå wå bukani , 6. Pour te donner, pour te le donner,

7 . tsomí íba monon / (toux), 7. premièrement, on voit / (toux),

8. tsomí íba monon , 8. premièrement, on voit,

9. bukani,mutåm'awå. 9. le pouvoir, c'est ton coeur.

10.babiti'wå, 10. Ils t'amènent,

11.bangwamutu baka gnugulu 11. les grandes personnes te jugent,

12.façon yi wålí , 12. ta façon d'être.

13.wå yìâß âå ,wå mala âå. 13.Tu ne voles pas, tu ne mens pas,

14.wå lßyamba la bakaarì ba batu âå, 14. tu ne désires pas les femmes d'autrui.

15. wå mindjß?gß pindapindí âå , 15 .Tu n'es pas un bagarreur,

16. ndaãa' wå likeki. 16. ta parole c'est le sourire.

17. wå beirå bangwabatu , 17. Tu obéis aux anciens,

18 .m'vå kå wå kå m'va mwana må 18. peut-être que tu es comme mon enfant

19 . wu lí ya l'andje la dix ans . 19. qui a l'âge de dix ans.

20 . ngwa` alamba wå bila , 20. Si ta mère te fait à manger,

21 .wå tå ngwamutu w'alutunu wå , 21. tu appelles un aîné,

22 . wå y'andja biela . 22. que viens manger.

23. ?a ngwamutu yo?a, 23. Et, cet aîné-là,

24. bo ba koto bwa, 24. s'ils te regardent comme ça,

25 .ba k'alålå taatà wå bo, 25. ils disent à ton père que

26. mwaní yu mbarì nga bola ! 26. l'enfant-là sera un chef !

27 .bo, mwaní yu mbarì nga bola ! 27. L'enfant-là sera un chef !

28 . å !å !âå ndå bola. 28. Oui ! donnes-lui le village.

29 . bo ya gnungulu wå yana, 29. S'ils t'apprécient là,

30 . w'oboãa, 30. si tu grandis,

31. bi fu bía `wå isandjì âå, 31. tes habitudes ne changent pas,

32. bo ka lígnungulu wå bo : 32. Ils te disent que :

33. taa bakaasi, taa babaala 33. voici les femmes, voici les hommes,

34. kieli bola . 34. garde le village.

35. ?a bo be âå ?á (...) 35. Et, ils te donnent aussi (...)

36. bikoko be bo bi baana be be, 36. Leurs biens et leurs totems,

37. bo íâå ka likumbu. 37. ils te donnent likumbu102(*).

38. o bola bí w'okålå ndå. 38. Ce village là, tu le gardes.

39. ndå ikålå bakaasi, 39. Garde les femmes,

40. ndå ikålå babaala. 40. garde les hommes.

41. ?a, bo ka âåwå na ndaãa. 41. Et, ils te donnent aussi la parole.

42. mana bo ba ka âåwå na mangirì. 42. Après, ils te donnent aussi les gages.

43. bo o bola íkålå bu ; 43. Ils disent : le village se garde ainsi ;

44. ngåbå na' ìtoãì wå, 44. même si un enfant t'insulte,

45. w'emono ngeãß âå. 45. ne te fâche pas.

46. mukaasi na ítoãß wå , 46. Même si une femme t'insulte,

47. nga bola indja tsíâß (...) 47. le chef du village mange les selles (...)

48. wå beire bangåbe, 48 .Si tu respectes les enfants,

49. bangåbe baka beire na wå. 49. les enfants te respecteront aussi..

50. too w'obå na woâa woâß, 50. Mais si tu ne contrôles pas tes mots,

51. m' otoãa bangåbe, 51. en insultant les enfants,

52. wå tsaka bangåbe, 52. tu méprises les enfants,

53. bangåbe ibeire wå âå. 53. les enfants ne te respecteront pas.

54. ?a wå bukani âå. 54. Et, tu n'as pas de pouvoir.

55. bo ní bukani. 55. C'est ça le pouvoir.

56. bangwabata ba nangala wå bola, 56. Si les anciens te lèguent le village,

57. ba ka âå mabutu ma bo. 57. ils te donnent leurs reliques.

58. bìa ni bukani. 58. C'est ça le pouvoir.

59. wå `idjaãala na mulåâå ». 59. Tu restes au mulåâå103(*).

60. baatu baka beíre wå. 60. Et, les gens te respecteront.

61. w'okålå ka bola »104(*) . 61. Tu gardes maintenant le village ».

Dans le même ordre d'idées, Paul Ndjabimba, chef du regroupement d'Okoloville, dit :

1. « bo ã'oswolí ndå, 1. « Ils le choisissent par ce qu'il,

2. ndå yaâß maami (...) 2. il connaît les choses (...),

3. yaâß la maami. 3. la connaissance des choses.

4. ka m'okumu` obuta, 4. Pas pour des raisons de naissance,

5. m'okumu vemueyi ?í. 5. pour des raisons de parenté,

6. w' oyaâß maami, 6. mais, quand tu connais les choses.

7. wå yaãß him... 7. Tu prends him...

8. surtout mo?wa, 8. Surtout la bouche,

9. surtout kwoão. 9. surtout la main.

10. w' omonì baatí bwesi tout 10. Tu vois tout le monde

11. ku motíma ` wå. 11. t'apprécier.

12. osa' ã'okala ?a wå 12. On veut avoir avec toi

13. motuma wu ? momon. 13. un même coeur.

14. yia, mbuãa yi banga wå puãu. 14. C'est là, qu'on te donne le village.

15. kili ãa wå ki ã'odja, 15. Ta chose à manger,

16. w'olieli' oti omvå må ngi 16. ne te dis pas qu'il faut que je donne

17. muta' ndzo `a må 17. quelqu'un de ma famille

18. oyålí bwa mbaãß wu baani 18. ou bien l'ami que j'ai désiré,

19. oyåli bwa mokarí wu mewolí ?í 19. ou bien la femme que j'ai épousée,

20. pati, si mondzia . 20. n'importe qui, même un étranger.

21. nd'oya, w'okali Þa kila, 21. S'il arrive, si tu as quelque chose,

22. wå ngi ndå. 22. tu lui donnes.

23. ndili yia, 23. A cette époque,

24. w'okáli ?á verr `amálí, 24. si tu as un verre de vin,

25. wå ngí ndå. 25. tu lui donnes.

26. ?a w' akaâí ?a, 26. Lorsque tu partages là,

27. bakutu bamonon wå 27. les anciens te regardent

28. ?a bo bakåsí two. 28. et ils observent tranquillement.

29. ndi, oh ! mwani wu ?a, 29. Ils disent, oh! cet enfant-là,

30. ndå bu, bu bisa bå leli, 30. il est comme ça quand nous vivons,

31. nd`osili ndå nd`otu , 31. s'il reste lui seul

32. ?a puãu yí, 32. avec ce village-là,

33. nd'abun'okiéli baatí. 33. il peut garder les gens.

34. ...m'alieli ?a mosiele. 34. ...Je dis là la vérité.

35. onga mutu puãu, 35. On donne quelqu'un le village,

36. ka mon vegnini ?í, 36. pas parce qu'on est gros,

37. ka mon vekutu ?í, 37. pas parce qu'on est grand,

38. kà mon mu(...) mosolo ?í. 38. pas à cause de (...) la fortune.

39. onga mutu puãu, 39. On donne quelqu'un le village

40. mon ndaãa bina l'intention. 40. à cause de la parole et l'intention.

41. onga mutu puãu 41. On donne quelqu'un le village

42. mon ndaãa bina kwoão. 42. à cause de la parole et la main.

43. ndaãa bina kwoão »105(*) . 43. la parole et la main ».

De ces deux témoignages, qui convergent beaucoup plus qu'ils ne divergent106(*), il ressort que, dans l'ordre de succession, la désignation du chef traditionnel par les «ba ngwa batu« ou «bakutu» (les notables ou dignitaires du village) réunis en conseil des «anciens» était conditionnée par certains critères.

Ainsi, pouvait parfaitement être légitimé chef, le descendant du patriarche, les descendants et collatéraux privilégiés qui, tout au long de leur existence, se distinguaient par leur vertu, leur courage, leur sens de l'équité, leur respect de l'entourage et des institutions communautaires. Etaient aussi pris en compte, l'esprit d'ouverture et le sens communautaire symbolisés dans nombre de témoignages par les termes « mo?wa, ndaãa et ãoão (kwoão) », c'est-à-dire « la bouche, la parole et la main ». En plus, il y avait l'initiation à des sociétés secrètes telles que l'omfùmu, l'onkani, le mungala (ongala), le maâaóß, le mwiri, le mawunda, etc., qui, très influentes dans le milieu de vie des intéressés, confèrent à l'impétrant la maîtrise de l'histoire du lignage et du clan ainsi que des traditions. C'est ce que traduisent les passages suivants : « óaâß la mamì » ou « Babiti'wå,[...] ?a bo ka âå wå na ndaãa »107(*), soit, littéralement : « la connaissance des choses » ou « Ils t'amènent, [...] et ils te donnent aussi la parole ».Tout cela, ajouté aux traits caractéristiques de la panthère précités, conditionne le choix du fùmu ou du nkani.

En général, l'ordre de succession des chefs était déterminé par le système de filiation qui prévalait dans la société concernée. En effet, dans les sociétés matrilinéaires comme celles des Ambaama, Atåãå, Kani?ß, Ndumu, Ndzébi, Tsengi et Awandji, le choix se faisait parmi les neveux, les nièces (dans des cas exceptionnels) et, dans une certaine mesure, les petits-fils du défunt  tandis que, pour les patrilinéaires (Bewumvu, MbaÞi, Bungom, Babongo), les frères cadets et les fils étaient les héritiers potentiels.

Toutefois, dans ces sociétés, avec l'évolution des moeurs due probablement aux contacts inter-ethniques, qui ont conduit à l'établissement des villages poly-ethniques, la désignation d'un chef ne tenait pas seulement compte de l'hérédité mais aussi des qualités intrinsèques d'un des ressortissants du village, notamment l'esprit d'ouverture (la largesse), d'organisation et d'équité, la sagesse, le sens communautaire (la solidarité), le talent oratoire. Autrement dit, le comportement social de l'individu joue un rôle dans le choix du futur chef, ce que Paul Ndjabimba traduit en ces termes : « surtout mo?wá, surtout kwòãò », c'est-à-dire : « surtout la bouche, surtout la main »108(*). En fait, le choix du chef devait se faire avec l'assentiment de tous les chefs des lignages qui composent le village, ce qui est une sorte de « démocratie » consensuelle. A ce propos, Nicolas Metegue N'Nah parle « d'une sorte de consensus qui s'établissait entre les citoyens pour reconnaître à l'un d'entre eux le droit de représenter l'ensemble du groupe social à certaines occasions »109(*).

Tout porte donc à croire que le plus important, pour les «ba ngwa batu« ou «bakutu» (les notables ou dignitaires du village), était de laisser le village sous l'autorité d'un rassembleur, de celui qu'ils jugeaient apte à gérer les hommes pour que le village, après eux, survive. C'est, du reste, ce que nous apprenons des lignes 27 à 33 de l'extrait du témoignage de Paul Ndjabimba110(*).

Au-delà des critères de choix sus-énumérés, existaient d'autres facteurs. D'après certains de nos informateurs111(*), il y a des personnes qui sont prédisposés à être fùmu (chef) ou kani (notable). C'est le cas des enfants prédestinés à exercer ces charges, surtout lorsque le chef s'apercevait de l'inaptitude des premiers nés à assumer la fonction de  chef de village (fùm'a mpuãu), chef de lignage ou de famille (fùm'a ndzo) au moment opportun. Ce qui fait que l'usurpation de ce titre pouvait engendrer de sérieux problèmes dans la chefferie. A ce propos, Michel Ngari, parlant de la succession du chef de tribu Lendoyi-Li-Bangwali, rapporte que « les problèmes d'instabilité politique survenus au sein de la chefferie ndumu-kani?ß entre 1931 et 1960 étaient dus au fait qu'à sa mort, il avait désigné sa fille Mbani comme héritière potentielle. Mais, Mbani n'a pas régné parce que Simba Philippe, neveu de Lendoyi-Li-Bangwali, avait pris le pouvoir de force et, malgré la désignation de Langhi, celle de Paul Kounda ou de François Kiki, rien ne pouvait marcher car seule Mbani était préparée pour garder les reliques sacrées et donc le pouvoir de son père »112(*).

Après sa désignation, le chef ne régnait pas en maître absolu. En effet, pour prendre une décision, il consultait le conseil des chefs de son village.

1-3. Le cadre de compétence de la chefferie

Dans la région de Franceville, l'autorité cheffale s'exerçait dans des cadres de compétence bien précis : ã'osi, puãu et ndzo ou mbaa.

Aloïse Mbumunu définit le ã'osi en ces termes :

a.« ã'osi ngana bu ba gnamba a . « ã'osi c'est comme les Blancs

b.ba laãi ndì « le pays ». b . disent « le pays ».

c.On est dans le pays . c . On est dans le pays.

d.bisa be motsiå leli, m'osi . d. On est sur la terre, le pays.

e. ã'osi c'est dire le pays »113(*). e. ã'osi c'est dire le pays ».

A partir de cette définition, on peut estimer que le terme « ã'osi » constitue non seulement le territoire mais aussi le foyer du pouvoir d'un peuple ou d'un clan. C'est aussi l'espace sur lequel on retrouve une population précise. Certains diront tantôt ki ã'osi ã' Ambaama (ceci est le territoire des Ambaama), ki' ã'osi ãi Bakaniã?ß ou ki ã'osi ã'Endumu. Pour exprimer la même réalité, d'autres diront yi ntsengå Bawandji ou yi ntsengå Bandzebi. Le ã'osi (ou ntsångå) peut être le village ou tout l'espace proche et lointain de celui-ci. Il comporte des espaces d'exploitation agricole, de chasse et de prélèvement des ressources naturelles.

En gros, le terme " ã'osi " désigne l'espace qui comprend plusieurs unités de résidence ou une grande agglomération rassemblant des peuples ayant en commun non seulement le milieu de vie mais aussi l'histoire. Le ã'osi étant compartimenté en villages indépendants, il reste, de ce fait, le domaine de compétence de tous les chefs de village relevant du clan ou du groupe ethnique qui s'y trouve. Malgré la dispersion des villages sur cette unité géographique, le nga puãu (le plus fort mystiquement et militairement) devenait le garant du patrimoine communautaire que constitue le pays des ancêtres ou ã'osi. Dans le cas où le ã'osi constitue le territoire villageois, le « fum'a puãu », « nga puãu » ou « nga bola » c'est-à-dire, « le chef ou propriétaire du village », était aussi le « fumu ã'osi » ou « nga ã'osi », disons « le chef ou propriétaire du pays ».

Quant au terme " puãu ou mpuãu ", son explication nous est donnée par Jérôme Ngayama qui dit :

a. mpuãu ebam ã'atswolo a. mpuãu les Blancs appellent

b. ma le village. b. par le village.

c. na onoíre ã'atswolo ma mpuãu. c. mais le Noir appelle par mpuãu.

d. leburi baana, d. On met au monde des enfants,

e. akari aburí baana. e. les femmes enfantent.

f. alors mpuãu yìa elaãß»114(*). f. Alors le village s'agrandit ».

Dans le même sens, Aloïse Mboumounou déclare :

1 «  puãu, le nom de puãu, 1. « puãu, le nom de puãu,

2. ngana ba bagnamba 2. c'est comme les Blancs

3. balaãß ndí le village. 3. disent le village.

4. ?a bisì ota ndi puãu . 4. Mais nous disons puãu.

5. puãu, puãu ,puãu,puãu : 5. puãu, puãu, puãu, puãu :

6. c'est le village, 6. c'est le village, 

7. c'est le village. 7. c'est le village.

8. ?a puãu ?a wa bani yo, 8. Mais le village a un fondateur,

9. oyåli mokasi baliãa. 9. si ce n'est une femme, un homme..

10. mapuãu makå kala abì 10. Certains villages d'avant c'était

11. ba commandå bakasì, 11. les femmes qui commandaient,

12. ndå balìãa vegna?a , 12. elle n'a pas d'homme,

13. bana ba ndå ba comandå »115(*). 13. ses enfants commandent ».

De ces deux définitions, il apparaît que le vocable "puãu (mpuãu, mbuka ou bola)" renvoie au village. Dans la région de Franceville comme partout dans l'Est-Gabon, les villages étaient toujours éponymes. Cela se traduisait par les expressions : puã'a Liån?å, puã'a Nguimi, mpuã'Enkoro, mpuã'å Legnongo, mbuka Nzigna, bola bìa Bokoko.

Traduit au sens de "village", c'est-à-dire de l'agglomération rurale de concentration humaine, puãu était, par excellence, le lieu habituel de résidence qui, dans le ã'osi, constituait une unité autonome dont l'autorité supérieure était le nga puãu ( le fùm'a mpuãu ou nga bola ), c'est-à-dire le chef ou propriétaire du village. Cette définition est davantage explicitée par Martine Ngwalandji qui, tout en épousant les propos de Fernand Loungou116(*), mentionne ce qui suit :

a. « puãu puãu, a. le village, le village,

b. kieli la baatí »117(*). b. c'est la manière de garder les gens ».

A en croire cette informatrice, le village est composé d'hommes, de femmes et d'enfants sur lesquels le nga puãu (le fùm'a mpuãu ou nga bola) exerce son autorité. C'est « un Argus auquel rien n'échappe »118(*). A cet effet, le fùmu, à qui chacun des pater familii avait choisi de s'allier, était jugé selon sa manière de traiter ses égaux.

Enfin, le terme " ndzo ", encore appelé "mbaa", littéralement, désigne la maison (la case familiale). Ce vocable exprime l'idée de sociabilité, le lien social qui explique les origines communes. "Ndzo" constitue le lignage ou la famille, le cadre social et politique de base des sociétés de la région de Franceville. C'était le cadre de compétence du nga ndzo, du fùm'a ndzo (chef de famille). En effet, dans ces sociétés, à la tombée de la nuit, alors que chaque membre de la famille s'était libéré de ses obligations journalières, le nga ndzo ou fùm'a ndzo s'entretenait avec les siens autour du feu (les enfants s'y retrouvaient non seulement pour se réchauffer mais pour recevoir l'éducation, laquelle se transmettait par le biais des contes et surtout des épopées qui élevaient les ancêtres au grade de personnes illustres). La désignation de la famille par le terme "ndzo" ou "mbaa" serait donc issue de ce geste quotidien du pater familias. Ainsi, de cette manière, fùm'a ndzo contribuait à maintenir l'unité de sa famille et le respect des gages de la famille et du village. Il faut surtout souligner que ces différents cadres de l'autorité cheffale dénotent la hiérarchie des chefs traditionnels.

2. La hiérarchie des chefs

Les peuples de la région de Franceville présentaient une organisation politique à forme pyramidale. Au sommet, se trouvait le fùmu ã'osi ( fùm'a tsyå, tsångå ou nga ã'osi); il était secondé par le fùm'a puãu, le kani et, à la base, par le fùm'a ndzo (nga ndzo, nga muyon?o ou nga baari). Chacune de ces autorités avait des attributions propres.

2-1. Le fumu ã'osi ou nga ã'osi

Le fùmu ã'osi (nga ã'osi, fùm'a tsyå, nga tsångå), pris au sens de « chef de terre », est un des membres du clan de l'ancêtre ayant occupé le premier les lieux dits « ã'osi ». Il est désigné par ses pairs comme kani ã'osi pour être le garant de l'unité du clan. Comme le rapporte un chef indigène cité par Jean Autin :  « il n'y a de grand roi nulle part. Nous sommes tous rois ; chucun de nous est maître chez lui. Aucun chef n'a autorité sur l'autre [...] »119(*). De ce fait, le fùmu ã'osi n'avait donc que des fonctions purement consultatives, car il faisait office de conseiller ou d'arbitre en cas de conflit ou d'affaires menaçant le patrimoine du groupe ethnique. Martin Alihanga, dans son étude, désigne la même autorité par l'expression « super-kani »120(*).

Malgré cette position du fùmu ã'osi au sommet de la hiérarchie politique, l'autorité morale tangible du clan reconnu des morts et des vivants dans chacun des villages-Etats restait le fùm'a puãu ou nga-puãu.

2-2. Le  fùmu'a puãu ou nga mpuãu et le kani

Le « fùm'a puãu », autrement appelé  « nkum'a mpuãu », « nga-puãu » ou  « nga bola », c'est-à-dire « le chef, le dignitaire principal du village ou propriétaire du village », est le descendant du fondateur du village. Désigné par ses pairs et porté au titre de mfùm'a mpuãu  lors de son investiture et à la suite de son initiation aux sociétés secrètes (omfùmu, onkani, mungala (ongala), maâayi, Ngoyi, mawunda, obagni?ß), il était l'incarnation des forces mystiques du village. Son autorité s'étendait le plus souvent sur les savanes, les forêts et les rivières de son terroir et non sur les familles qui habitent celui-ci. Il était donc l'autorité morale de son ressort territorial. Il y a lieu de souligner que, dans un village composite, le fùm'a puãu, issu de la catégorie sociale des hommes libres, est avant tout un fùm'a ndzo. A ce titre, son pouvoir était beaucoup plus religieux que civil. Il incarnait le pouvoir de l'omfùmu (ou des autres sociétés secrètes) dont le principal objectif était d'assurer la cohésion du village, la protection des terres ancêstrales et de tous ceux qui y habitent- les vivants comme les morts- contre tous les dangers éventuels.

Sur le plan religieux, le fùm' a puãu était le grand prêtre de «  l'ordre de puãu ». Il lui incombait donc de diriger les cérémonies d'initiation des ressortissants de son village aux diverses sociétés secrètes, de veiller et de préserver le patrimoine culturel de ses ancêtres. A ce propos, André Even rapportant le serment d'un chef, écrit : « Maintenant que mon père vient de trépasser, c'est moi qui le remplace, qui suis le chef. Je vous offre le sang de ces cabris pour que vous marchiez toujours près de moi, que vous me protégiez moi et mes hommes afin que nous ne soyons pas malades, que nous ne nous querellions pas, que nos chasses soient toujours heureuses, que nos plantations poussent bien et que nous ne soyons pas tués à la guerre »121(*). Cela implique donc que le fùm'a puãu est le prêtre du culte des ancêtres ; il fait office d'oracle. Comme le souligne Hubert Deschamps, « il est le prêtre des ancêtres mythiques, le prêtre de la terre, le détenteur des totems avec lesquels il s'identifie ; c'est ainsi qu'il a le monopole des peaux de panthères, des sièges figurant des panthères, des cornes de buffle, les défenses d'éléphants, autant de symboles de la puissance. Il est aussi le maître des éléments, le faiseur de pluie, l'intermédiaire entre les vivants et les morts, le chef des associations religieuses. Temporellement, il est le chef de guerre, le gérant de la communauté. On lui doit des prestations en nature et en espèce : on construit et on entretient ses cases ; les associations lui doivent un tribut ; enfin, tous ses sujets, y compris les femmes (sur qui repose l'agriculture), lui paient une dîme annuelle »122(*). En d'autres termes, le fum'a puãu, c'est «  la personnification de l'alliance entre les vivants et les ancêtres »123(*). Investi de ce pouvoir, il contribue à la prospérité économique du village en bénissant les entreprises de chasse, de pêche et d'agriculture. D'une part, en période de conflit fratricide, il lui revenait de contracter les alliances avec les chefs de la même lignée que lui car il avait la responsabilité des vies de ses administrés. De même, en sa qualité de chef de  guerre, son rôle « est non pas de diriger les combats, mais d'assurer aux siens la victoire par les prières qu'il adresse à ses ancêtres. Pendant la bataille, il se tient à l'écart avec les ossements de ses aïeux, il offre des sacrifices aux morts et les supplie de faire tuer beaucoup d'ennemis à ses hommes et de protéger ceux-ci des coups de leurs adversaires »124(*). D'autre part, c'est lui qui décidait de la poursuite ou de la cessation du conflit.

Par ailleurs, lorsque le village connaît ou traverse une période de crise (crise de subsistance ou démographique), le fùm'a puãu, après consultation du conseil des anciens et invocation des mânes des ancêtres procède à la prospection d'un autre site dans son ã'osi pour l'aménagement d'un nouveau village.

Sur le plan juridique, le fùm'a puãu « est le juge suprême pour les cas graves, les conflits entre notables, les litiges avec les étrangers ; il représente la chefferie dans les palabres avec les autres chefs (les procès mineurs sont jugés par les chefs de familles ou des sociétés) »125(*). Il avait le droit de convoquer le conseil des sages de son village : le kàni. Ensemble, ils statuaient sur les problèmes urgents de l'heure tels que les différends entre les villageois. Les sentences prononcées étaient rarement discutées car, en tant qu'autorité morale, il pouvait attirer sur les récidivistes les foudres des ancêtres.

Toutefois, le rôle du fùm'a puãu étant plus religieux que civil dans la gestion du village, il était assisté par le kani et les mfùm'a ndzo ou  nga ndzo, selon qu'il s'agissait d'un village mono-ethnique, mono-clanique ou composite.

Le kani, quant à lui, se veut une institution qui règle les problèmes pouvant porter atteinte à la sécurité collective. On dit de celui qui en est chargé qu'il est kani : celui qui résout les différends, celui qui, dans le groupe social, se distingue par son talent oratoire, qui « utilise l'arme secrète du proverbe et de la fable lorsqu'il règle les différends familiaux ou tribaux »126(*). En d'autres termes, c'est le « nga mbadi » ou « nga ndaãa », c'est-à-dire le « maître de la parole ». Le vocable " kàni " peut aussi signifier le notable ou celui qui, par une activité, un comportement social honorable, valorise son être. Le kàni, quel que soit son cadre de compétence (ã'osi, puãu, ndzo), est une sorte « d'aéropage de sages, de légistes traditionnels »127(*). Selon François Meye, repris par Juste-Roger Koumabila, « nga-mpuãu était entouré d'un conseil de village comprenant les meilleurs spécialistes des questions sociales et des femmes réputées pour leur sagesse »128(*). Il incarnait la voix des ancêtres (ndaãa bakutu) et, par le biais des différents chefs de lignage, de segments de lignage présents dans le village, il décidait et orientait consensuellement les pratiques et les activités de la communauté.

2-3. Le fùm'a ndzo ou nga ndzo

Le fùm'a ndzo ou nga ndzo encore appelé « nga muyon?o » ou «  nga baari », c'est-à-dire « le chef de lignage » ou le « pater familii », était le dernier maillon de l'organisation politique des peuples de la région de FrancevIlle. Il avait les mêmes attributions que le fùm'a puãu, à la seule différence que l'autorité du nga ndzo s'exerçait seulement à l'échelle familiale : il gère l'ensemble des composantes de la famille (la famille nucléaire et la famille élargie) ainsi que son patrimoine culturel (chaque famille avait son génie protecteur et ses reliques). Les « nga mandzo » ou chefs de lignage constituent le noyau du village ; c'est à eux qu'incombe l'éducation civique des villageois. Aussi, en leur qualité de membres du conseil des notables, ils assumaient les actes répréhensibles des membres de leurs familles devant cette institution. Il faut dire que les femmes répondant aux critères de désignation des chefs sus-évoqués pouvaient recevoir l'onction des anciens du village et être portées au titre de mfùm'a puãu ou fùm'a ndzo, si les descendants masculins du défunt chef avaient des comportements sociaux ignobles. Mais ce pouvoir circonstanciel, la femme, mfùm'a puãu ou fùm'a ndzo, devait le léguer à sa progéniture mâle129(*) André Even  souligne qu'« en 1931, dans la subdivision de Franceville, Lendoye, chef de la tribu des Mindoumbou, a donné l'Onkàni à sa fille Mbani, bien qu'il eût de nombreux fils »130(*).

En outre, ayant les mêmes attributions et les mêmes prérogatives juridiques et religieuses, le fùm'a puãu et le fùm'a ndzo avaient chacun des responsabilités devant leurs ancêtres respectifs. Ils avaient tous les deux, dans leurs familles, le devoir de véhiculer la parole des anciens (ndaãa bakutu) parmi les résidents soumis à leur autorité.

L'autorité du nga puãu sur le nga ndzo venait de l'antériorité d'occupation de l'espace par le fùmu. Ainsi, le fùm'a puãu règne sur l'espace villageois, tandis que l'autorité du fùm'a ndzo se limite à sa sphère familiale. Mais, dans la gestion du village, les décisions étaient prises de façon collégiale.

Cependant, ne pouvant être omniprésent (au risque d'être considéré comme un esclave), le fùm'a puãu était toujours en harmonie avec le fùm'a ndzo par le biais d'un réseau d'intermédiaires qu'il choisissait parmi les semi-libres, les étrangers et les esclaves (surtout les esclaves et les étrangers). Ils faisaient office de messagers tant auprès de ses pairs que de la population.

Véritables collaborateurs et porte-paroles des autorités et des institutions du ã'osi, du puãu ou ndzo, les émissaires des chefs étaient désignés selon les peuples et les cultures par le nom de misudi chez les Ndzébi et Awandji, batuma ou mesami mya ba fùmu chez les Ndumu et Kani?í, etc. Très discrets, ils étaient chargés d'informer les autorités des incursions étrangères sur l'espace villageois. En d'autres termes, ils étaient, à des niveaux différents, à la fois les yeux, la bouche et l'ouie des chefs. Ils étaient chargés de transmettre à qui de droit les ordres et les messages du fùm' a puãu, du kani ou du fùm'a ndzo. 

Au demeurant, l'organisation politique des peuples de la région de Franceville à la fin du XIXème siècle est restée attachée au réseau relationnel des individus dans la société. Comme l'explique Monique Mavoungou Bouyou, « Ces personnes devenaient des chefs de lignages propriétaires et responsables des espaces territoriaux. De même, ils devenaient des hommes chargés de l'organisation et de l'administration d'espaces territoriaux »131(*). C'est donc cette situation politique qui prévalut dans la région de Franceville avant l'implantation coloniale.

* 1 En 1884-1885, les plénipotentiaires de la plupart des pays européens se réunissent à Berlin afin de déterminer les possessions de leurs Etats respectifs sur le continent africain.

* 2 Gabon: ici, c'est le pays des Mpongwè et de leurs voisins. NB : Sur le littoral, d'autres traités ont été signés, notamment le traité du 27août 1843 avec Kaka Anguilè Rapono dit roi Quaben, celui du 28 mars 1844 entre le capitaine Darricau et Rendambo dit roi Glass.

* 3 GAULME ( F.), le Gabon et son ombre. Editions Karthala, Paris, 1988, p.87.

* 4 COLLECTIF, Histoire générale de l'Afrique, volume VI : L'Afrique au XIXe siècle jusque vers les années 1880. Sous la direction de J.F. Ade Ajayi, Présence africaine/ UNESCO, 1997, p.411.

* 5 C' est le nom donné par les populations au cours supérieur de l'Ogooué. Lebani est la direction vers laquelle toutes les populations du sud-est du Gabon convergent. Principale voie de communication sur laquelle débouche tout le réseau hydrographique de la région, Lebani ou l'Ogooué a été, pour les uns, la voie de passage, pour les autres, le but idéal, pour certains un obstacle et pour les autres une défense.

* 6 Guillaume ( P.), Le monde colonial XIXe-XXe siècle. Armand Colin, collection U, Paris, 1974, pp. 137-138.

* 7 J .O .A. .E .F. du 15 février 1921: Discours prononcé par le gouverneur général de l'A.E.F., Victor Augagneur à l' occasion de l'ouverture des travaux du chemin de fer Brazzaville à l'Océan. p.126.

* 8 Sonnet Azizet (R.G. ), Répertoire sous série 2Db(I) Franceville (1910-1965) , vol.1, Libreville, 2001, p.13.

* 9 MAQUET (E.), BABA KAKE (I.), SURET- CANALE (J.), Histoire de l'Afrique centrale des origines au milieu du X Xe siècle. Présence Africaine, Paris, 1971, p.183.

* 10 KI-ZERBO ( J.), l'Afrique noire d'hier à demain. Hatier, Paris, 1978, p. 27.

* 11 Brunschwig (H.), L'Afrique noire au temps de l'Empire français : l'aventure coloniale de la France. Destins-croisés. Ed. Denoël, Paris , 1988 , p.14.0

* 12 Idem, p.119.

* 13 N'ghémi est la déformation du nom de l'un des plus influents chefs ndumu de la région : Nguimi (Nguimi-A-Mburu). Ce dernier, au terme de l'accord avec Pierre Savorgnan de Brazza, lui offrit une portion de son territoire et mit à sa disposition des hommes et des femmes pour effectuer les premiers transports à dos d'hommes.

* 14 BRUNSCHWIG (H.), L'Afrique noire au temps de l'Empire français : l'aventure coloniale de la France, op.cit., p. 123.

* 15 Auvergne : région française comprenant les départements de l'Allier, du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. L'Auvergne recouvre le centre et une partie du nord du massif central ; le relief est varié.

* 16 METEGUE N'NAH (N.), L'implantation coloniale au Gabon : résistance d'un peuple. Tome1. Editions L'Harmattan, Paris, 1981, p. 7.

* 17 COQUERY-VIDROVITCH (C.), Brazza et la prise de possession au Congo : la mission de l'Ouest Africain1883-1885. Paris, la Haye, Mouton, 1969, 502 p.

* 18 LEPEBE (J.), Occupation coloniale française dans le Haut-Ogooué(Gabon) 1880-1946. Mémoire de maîtrise d'histoire, F.L.S.H., Université Omar Bongo, Libreville, septembre 1985, 215 p.

* 19 ALIHANGA (M), Structures communautaires traditionnelles et perspectives coopératives dans la société Altogovéenne(Gabon). Typographie de l'Université Pontificale Grégorienne-Rome, 1976, 625 p.

* 20RAYMOND (G.), « la plus riche des colonies pauvres , la politique monétaire et fiscale du Tchad 1900-1920 »,in revue Canadienne des Etudes Africaines, vol . XVI, n° 1, pp. 93-102.

* 21CHARNAY ( R.), La terre des adieux, Paris, Olivier Orban, 1983, 324 p.

* 22 METEGUE N'NAH (N.), Histoire de la formation du peuple gabonais et de sa lutte contre la domination coloniale 1839-1960. Thèse de doctorat d'Etat ès lettres et sciences humaines. Université de Paris I, Sorbonne, Paris, 1994, 852 p.

* 23BRUNSCHWIG (H.), Noirs et Blancs dans l'Afrique noire française ou comment le colonisé devient colonisateur (1870-1914). Flammarion, Paris, 1983, 243 p.

* 24 BINGA (H.), Chefferie et territoires dans le sud-est du Gabon (Haut-Ogooué). Thèse de doctorat de troisième cycle en géographie et aménagement du territoire. Université de Pau et des pays de l'Adour, 1998, 640 p.

* 25Lendoyi-li-Bangwali est le premier chef de tribu le plus influent de la région du Haut-Ogooué (subdivision de Franceville) nommé par l'administration coloniale en 1920. Il convient de souligner que la notion de  «  tribu » est utilisée par l'administration coloniale afin de classer les peuples dans une région précise. C'est ainsi que les Ambaama, Atåãå, Awandji, Bakani?ß ,Bandjabi, Bandumu, Bungom, Bewumvu, Mba?ß, Batsångi, etc.,vivant dans le Haut-Ogooué, constituaient la tribu du Haut-Ogooué dont le chef ( de 1920 à 1931) fut Lendoyi-li-Bangwali.

* 26 Le terme " oralistique" a été conçu depuis 1980 par le Professeur Nicolas Metegue N'Nah. Il l'a forgé à partir d'un mot latin qui en constitue la racine. C'est le mot « os», « oris » qui se traduit en français par la " bouche". Selon cet auteur, « l'oralistique peut, très succinctement, être définie comme étant la science des sources orales, c'est-à-dire comme une discipline dont l'objet principal est d'étudier, en vue d'une meilleure connaissance et, bien sûr, d'une meilleure utilisation, des actes oraux ».Voir Metegue N'nah (N.), Principes de l'oralistique. Méthodologie des sources orales. Editions Raponda-Walker / CERGEP Editions, Libreville, 2004. p.19.

* 27 Ndouomi (André), entretien du vendredi 25 avril 2003 au quartier Dialogue (Franceville).

* 28 Mokikali dit Ossabigui (Jean), entretien du 26 avril 2003 au quartier Mbaya (Franceville).

* 29 BRUNSCHWIG (H.), Noirs et Blancs dans l'Afrique noire française ou comment le colonisé devient colonisateur (1870-1914), op.cit., p.73.

* 30 Nous sommes dans un contexte de concurrence, de rivalité entre Stanley et Pierre Savorgnan de Brazza. C'est l'époque de la rivalité franco-anglaise dans la course au domaine colonial.

* 31 BRAZZA (P.S), Au coeur de l'Afrique : vers les sources des grands fleuves 1875-1877, Editions Phébus, Paris, 1992, p.197.

* 32 POURTIER (R.) , Le Gabon : Tome 2.Etat et développement. Editions l'Harmattan, Paris, 1987, p.43.

* 33 Voir carte n°1 : la région de Franceville, p. 17.

* 34 LOTTE (A.-J.), « Situation démographique du district de Franceville (Gagon) ». In Bulletin périodique de l'Institut d'Etudes Centrafricaines, n°1 , 1950, p.163.

* 35 Idem , p.164.

* 36 SAUTTER (G.), De l'Atlantique au Fleuve Congo. Une géographie du sous-peuplement .République du Congo , République gabonaise . E.P.H.E. , Paris-Mouton , la Haye, 2 vol, 1966, Tome 1, p. 242.

* 37 BINGA (H.), Chefferie et territoires dans le sud-est du Gabon (Haut-Ogooué), op .cit., p.123.

* 38 BITON (A.), Les tribu du Gabon (classification-dénomination diverse).Slnd, 4p.

* 39 ADAM (R.P.J.-J .), « Dialectes du Gabon, la famille des langues tékés ». In Bulletin d'Etudes Centrafricaines, nouvelle série, n°5 ,7 et 8 , 1954, pp. 33-108.

* 40 MILLETTO (Dr.), « Notes sur les ethnies de la région du Haut-Ogooué ». In Bulletin d'Etudes Centrafricaines, nouvelle série, n°6 , 1956 , ORSTOM , Paris, pp. 19-48.

* 41 LOTTE (A.-J.), « Situation démographique du district de Franceville (Gagon) », op.cit., pp. 68-69.

* 42 M'BOKOLO (E.), L'Epopée téké au Gabon. Coproduction Groupe de Recherche et d'Etudes sur les civilisations du Haut-Ogooué (GRECHO) et Radio France Internationale (coopération), Paris, 1989, p. 19

* 43 JACQUOT (A.), «  Le Gabon ». In inventaire des études linguistiques sur les pays d'Afrique noire d'expression française et sur Madagascar, sous la direction de D.Barreteau, Paris, C.I.L.F., 1978, pp.449-503.

* 44 KWENDZI-MIKALA ( J.-T.), Contribution à l'inventaire des parlers bantu du Gabon, Pholia, vol.2, 1987, p.103.

* 45 GAULME ( F.), le Gabon et son ombre, op.cit., p. 8.

* 46 DESCHAMPS ( H.), Traditions orales et archives au Gabon. Contribution à l'ethno-histiore, Editions Berger-Levrault, Paris, 1962, p.18.

* 47 Voir p.19.

* 48DESCHAMPS ( H.), Traditions orales et archives au Gabon.Contribution à l'ethno-histiore, op.cit., p.18.

* 49 Idem, pp. 60.

* 50 Idem, p18 et p. 50.

* 51 Voir carte n°3 : carte ethnique de la région de Franceville, p. 25.

* 52 LOTTE (A.-J.), « Situation démographique du district de Franceville (Gagon) », op.cit., op.cit., pp. 68-69.

* 53 DESCHAMPS ( H.), Traditions orales et archives au Gabon. Contribution à l'ethno-histiore, op.cit., p.18.

* 54 ALIHANGA ( M .), Structures communautaires traditionnelles et perspectives coopératives dans la société Altogovéenne (Gabon), op.cit., p.65.

* 55 OLIGUI (S.), L'histoire des Atègè des confins du Gabon et du Congo de la fin du XV ème siècle au début du XX ème siècle (14916-1910). Rapport de licence d'histoire, U.O.B., Libreville, septembre 1995, p.10.

* 56 Ibid.

* 57 Okolo, littéralement « la fatigue », est le nom donné au pays Bakani?í compris entre les rivières M'vuna (affluent de l'Ogooué près de Franceville) et Lekaâß, rivière qui se jette dans la Lekey (affluent de l'Ogooué sur la rive droite).

* 58MILLETTO (Dr.), « Notes sur les ethnies de la région du Haut-Ogooué », op.cit., p.32.

* 59 Cf carte n° 3, p.23.

* 60 MILLETTO (Dr.), « Notes sur les ethnies de la région du Haut-Ogooué », op.cit., p. 34.

* 61 RAPONDA WALKER (A.), Notes d'Histoire du Gabon. Suivi de toponymie de l'Estuaire, Libreville et topographie du Fernan-vaz , Port-Gentil. Editions Raponda-walker / Multipress Libreville (Gabon), 1996, p. 235.

* 62 ALIHANGA (M.), Structures communautaires traditionnelles et perspectives coopératives dans la société Altogovéenne (Gabon), op.cit, p.158.

* 63 MAZENOT (G.), Likouala- Mossaka: histoire de la pénétration du Haut-congo 1878-1920.Mouton et Compagnie, Paris, la Haye, 1970, p.110.

* 64 Le petit Larousse, Larousse / VUEF 2001, p. 335.

* 65 Dictionnaire Encyclopédique Hachette, tome1.Editons alpha, Paris, 1992, p.460.

* 66 ALIHANGA ( M.), Structures communautaires traditionnelles et perspectives coopératives dans la société Altogovéenne (Gabon), op.cit., p.248.

* 67 ANGANGO (P.), Entretien du 24 avril 2004 à Okouma (district d'Andjogo) à 64 kms de Franceville.

* 68 Idem, lignes d à h.

* 69 LOUNGOU (F.), Entretien du 14 avril 2004 au quartier Fumier, à Moanda.

* 70 ALIHANGA ( M.), Structures communautaires traditionnelles et perspectives coopératives dans la société Altogovéenne (Gabon), op.cit., p.159.

* 71 DESCHAMPS (H.), Les institutions politiques de l'Afrique noire. 3ème édition, « Que sais-je ?  » n°549, Presses Universitaires de France, Paris, 1962, p.24.

* 72 Dictionnaire Encyclopédique Hachette .Edition Alpha, Paris, 1992, p.468.

* 73 Ibid.

* 74 ROSSATANGA-RIGNAULT (G.), L' Etat au Gabon : histoire et institutions . Editions Raponda-Walker, Libreville, 2000, pp.10-11.

* 75 METEGUE N'NAH (N.), Economies et sociétés au Gabon dans la première moitié du XIXème siècle. L'Harmattan, Paris, 1979, p.17.

* 76 Témoignages concordants de Lebama Anatole (entretien du 9 février 2002 au quartier Maba à Franceville) , de Lendira Théodore (entretien du 23 avril 2003 au quartier Angoubou , Franceville ), de Ndjabimba Paul (entretien du 1er mai 2003 au village Mindili à Okoloville, à 2O kms de Franceville), de Loungou Fernand (entretien du 14 avril 2004 au quartier Fumier à Moanda ) et de Jérôme Ngayama (entretien du 11 avril 2004 au quartier Mbama à Leconi).

* 77Les termes "fumu", " mfumu", "kumu", "nkani", "kaanu" et "kumà" désigne celui qui règne, commande ou gouverne. En effet, l'initiation dans l' une des sociétés secrètes, "befumu", " omfumu", "onkani" et "mungala", est une forme d'intronisation qui donne à une personne le titre de "fùmu"ou de "nga". C'est le cas du «  fùm' osi » , « fùm' a puãu», « fùm'a ndzo», soit, littéralement : « chef de la terre », « chef du village », « chef de famille » ou « nga puãu », « nga bola », c'est-à-dire : « chef ou propriétaire du village ».

* 78 LENDIRA (T.), Entretien du 23 avril 2003 au quartier Angoubou (Franceville).

* 79 ENDELET (P.), Entretien du dimanche 11 avril 2004 à Leconi.

* 80LEBAMA (A.),Entretien réalisé par Yabighui Philippe le 9 janvier 2002 au quartier Maba (Franceville).

* 81Idem, ligne e à s.

* 82 Idem, ligne t et u.

* 83 BINGA (H.), Histoire de la chefferie ndumu de 1879 à 1858. Mémoire de maîtrise d'histoire , U.O.B., F.L.S.H., Libreville, septembre 1989, p.44.

* 84MOKIKALI dit ossaâßãß (J.), Entretien du 25avril 2003 au quartier Maya (Franceville).

* 85 Voir lignes a, b, c, d, e, f et g.

* 86 ANGANGO (P.), Entretien du 24 avril 2003 au village Okouma, district d'Andjogo (à 64 kms de Francelle).

* 87 MAVOUNGOU BOUYOU (M.), « La terre au coeur des conflits : cas du Gabon (XVIIème-XXème siècle) ». In les Cahiers d'Histoire et Archéologie, n°6, juin 2004, p.76.

* 88 Le clan constitue la pierre angulaire des sociétés de l'Afrique équatoriale précoloniale. Il se compose de tous les lignages se réclamant d'un ancêtre commun et dont le fùm'osi est le descendant le plus direct. En d'autres termes, le clan peut être considéré comme une réalité sociale, économique et religieuse. Il constituait et constitue encore, chez certains peuples, la parenté essentielle des individus. Il dominait et ordonnait toutes les relations sociales non seulement entre ses membres mais également entre ceux-ci et les étrangers. C'est pourquoi, dans la région de Franceville, chaque individu devait obligatoirement décliner son identité, car le clan c'est la nationalité.

* 89 MAZENOT (G.), Likouala-Mossaka : histoire de la pénétration du Haut-Congo 1878-1920, op.cit., p.172.

* 90 NDOUOMI (E.), Entretien du 14 avril 2003 au quartier Dialogue (Franceville).

* 91 COLLECTIF, Histoire générale de l'Afrique : I. Méthodologie et préhistoire africaine. Sous la direction de KI-ZERBO (J.), Présence Africaine / Edicef / Unesco, Paris ,1986 , p.89.

* 92 Sayaka (Saiak selon l'administration coloniale) était l'une des subdivisions de la circonscription du Haut-Ogooué. Elle se situait dans l'actuelle région sud de Franceville et était riche en vivres. Cette région était composée d'une population hétéroclite, notamment les Kani?ß-ba-Ikòlò dont le chef Kaliãa (ligne 6), les Mba?ß, les Wumvu et probablement des Babongo (la partie ouest de cette région était habitée par les Tsengi, Ndzèbi, Awandji et Bungom.) que la disette illustrée dans le présent texte contraignit les peuples du sud-Sayaka à la recherche des lieux plus hospitalières (lignes 40 à 54).

* 93 Nom du territoire Kani?ß (Kani?ß-ba-Ikòlò) du sud de Franceville et l' est de l'Ogooué, où ils sont respectivement voisins des Mba?ß, Wumvu et Babongo.

* 94 Tsaapi est un fusil de fabrication locale.

* 95 Le Moyaâß ou Moabi est l'appellation locale du Destemonatus benthamianus, qui est une essence appartenant à la famille des Euphorbiacées.

* 96 Appellation de la maison commune des hommes, siège de l'autorité cheffale que les colonisateurs ou voyageurs européens ont improprement appelé « corps de garde » ou « hangar ». Bâtit en plein milieu de la cour, dans un village, elle était représentative des différents segments de lignages ou de lignages. C'était aussi des lieux de repas après les travaux champêtres. C'était également le lieu de rencontre, le soir venu, pour causer de tout; le lieu où les hommes passaient la journée. En outre, elle servait de tribunal et parfois de pensionnat pour les badauds et les étrangers. Les femmes se gardaient d'y pénétrer surtout pendant leur période des menstrues car, est-on encore convaincu qu'elles souillent, parce que impures.

* 97 C'est la détonation d' un coup de feu.

* 98 NDJABIMBA (P.), Entretien du 1er mai 2003 au village Mindili à Okoloville.

* 99 Idem, lignes 26 et 29 à 34.

* 100 MOKIKALI dit Ossaâßãß (J.), Entretien du 26 avril 2003 au quartier Maya (Franceville).

* 101NDJABIMBA (P.), Entretien du 1er mai 2003 au village Mindili à Okoloville, lignes 51 à 54.

* 102 Assentiment des anciens du village . C'est un accord collectif, une justification qui va dans l'ordre du respect du chef.

* 103 Voir note n°98, p.36.

* 104 LOUNGOU (F.), Entretien du 14 avril 2004 au quartier Fumier (Moanda).

* 105 NDJABIMBA (P.), Entretien du 15 avril 2004 au village Mendili, regroupement d'Okoloville (à 20Kms au nord de Franceville).

* 106 Lignes 6 à 12, 18, 22 à 28 et 43, 44, 58, 59 (de l'extrait de celui de Fernand Loungou, pp. 37-38.) et lignes 3, 7 à 13, 25, 26 et 32 à 40 (de celui de Paul Ndjabimba, pp. 38-39).

* 107LOUNGOU (F.) & NJABIMBA (P.), témoignages sus-cités respectivement ligne ligne 10 et 41 (p.37) et .3 ( p.38.) NB. Ces propos rejoignent ceux de Pierre Angango lorsqu'il dit : «onkumu o maka na m'vuru ti leya le mami 'a m' osi ` aso tout », soit, littéralement, « le pouvoir (l'autorité, la chefférie), c'est la connaissance de toutes les choses du « pays » par une personne ».

* 108NDJABIMBA (P.), Entretien du 15 avril 2004 au village Mendili, regroupement d'Okoloville (à 20Kms au nord de Franceville). Voir l'extrait du témoignage sus-cité, lignes 8 et 9, p.38.

* 109 METEGUE N'NAH (N.), Economies et sociétés au Gabon dans la première moitié du XIX ème siècle, op.cit, p. 27.

* 110 NDJABIMBA (P.), Entretien du 15 avril 2004 au village Mendili, regroupement d'Okoloville (à 20Kms au nord de Franceville). Voir l'extrait du témoignage sus-cité, p.38-39.

* 111 Témoignages concordants de Ndjabimba Paul (entretien du 15 avril 2004 au village Mindili à Okoloville), Ndagui Clotilde(entretien du 16 avril 2004 au quartier Dialogue à Franceville), Angango Pierre (entretien du 23 avril 2003 au village Okouma , district d'Andjogo), Kouma Claude Thierry (entretien du 16 novembre 2004 à la biblithèque universitaire centrale de l'U.O.B. (Libreville)), Boukala Paul Marie (entretien du 6 novembre 2004 au campus universitaire de l'U.O.B. (Libreville)).

* 112 NGARI (M.), Entretien du 2 octobre 2004 à Awendje (Libreville).

* 113MBOUMOUNOU (A.), Entretien du 10 avril 2004 au village Mindili à Okoloville (20 Km de Franceville).

* 114 NGAYAMA (J.) , Entretien du 11avril 2004 au quartier Mbama à Leconi.

* 115 Mboumounou (A.) , Entretien du 10 avril 2004 au village Mindili à Okoloville.

* 116LOUNGOU (F.), Entretien du 14 avril 2004 au quartier Fumier ( Moanda), lignes 33 à 40, l'extrait du témoignage cité aux pages 37-38.

* 117Ngwalandji (M.), Entretien du 30 avril 2003 à Mindili, Okoloville (Franceville).

* 118 Pourtier (R.), Le Gabon : tome1, Espace-histoire-société, op.cit., p.161.

* 119 Autin ( J.), Pierre Savorgnan de Brazza : un prophète du Tiers Monde, Librairie académique Perrin, Paris, 1985, p.92.

* 120 ALIHANGA ( M.), Structures communautaires traditionnelles et perspectives coopératives dans la société Altogovéenne (Gabon), op.cit., p.243.

* 121 Even (A.), « Le caractère sacré des chefs chez les Babamba et les Mindassa d'Okondja (Moyen-Congo) ». In : Journal des africanistes, tome VI, fascicule II, 1936, p.188.

* 122 Deschamps (H.), Les institutions politiques de l'Afrique noire, op.cit., p.27.

* 123 Even (A.), « Le caractère sacré des chefs chez les Babamba et les Mindassa d'Okondja (Moyen-Congo) », op.cit., p. 191.

* 124 Idem., p.193.

* 125 Deschamps (H.), Les institutions politiques de l'Afrique noire, op.cit., p. 27.

* 126 Moubouyi (R.), La voix des Ancêtres. Tome1. Proverbes, légendes et totems gabonais. Multipress-Gabon, Libreville, 1986, p.89.

* 127 Binga (H.), Chefferie et territoire dans le Sud-Est du Gabon (Haut-Ogooué). Tome1, op.cit., p.184.

* 128 Koumabila (J-R.), L' Epopée Teke au Gabon : une histoire bancale. Libreville, le 1er juin 2002, p.11. Inédit.

* 129Ndjabimba (P.), Entretien du 29 avril 2003 à Okoloville (Franceville).

* 130 Even (A.),« Le caractère sacré des chefs chez les Babamba et les Mindassa d'Okondja (Moyen-Congo) », op.cit.,p.186.

* 131 MAVOUNGOU BOUYOU (M.), « La terre au coeur des conflits : cas du Gabon (XVIIème-XXème siècle) », op.cit, p.77.

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