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L'évolution du marchéde la téléphonie cellulaire en Haà¯ti de 1999 à  2006: une analyse de la concurrence dans ce secteur en 2006

( Télécharger le fichier original )
par Jems Stevenson POMPEE & Clifford Réginald NAU
Centre de Techniques de Planification et d'Economie Appliquée - Diplôme d'Etudes Supérieures (DES) en Economie Appliquée 2005
  

Disponible en mode multipage

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AVANT-PROPOS ET REMERCIEMENTS

Le mémoire de sortie est une obligation faite à tout étudiant finissant au CTPEA pour l'obtention du diplôme de fin d'études. Remplir cette tâche n'a pas été facile, la production insuffisante de statistiques et d'études relatives au secteur des télécommunications complique sérieusement la réalisation de notre travail, nous avons dû affronter bien des difficultés : manque de données disponibles et refus de collaboration des certaines personnes et instances concernées. Ces obstacles, qui généralement rendent la réalisation d'un tel travail difficile pour l'étudiant haïtien, nous ont pourtant été utiles car nous avons appris à mieux connaître l'environnement dans lequel nous sommes appelés à évoluer.

En dépit de tous les efforts déployés pour mener à terme ce mémoire de sortie, nous reconnaissons que cet objectif serait aujourd'hui encore impossible à atteindre n'était-ce le support et l'encadrement de certaines personnes, proches et amis, envers qui nous exprimons nos remerciements les plus sincères :

- Avant tout, nous sommes très reconnaissants envers le Dieu de l'Univers, lui qui nous a offert la vie, le don de l'intelligence, la santé pour travailler.

- Remerciements à nos parents qui ont intelligemment opté pour notre éducation, le plus grand héritage qu'ils pouvaient nous léguer.

- Nos remerciements vont chaleureusement à notre directrice de mémoire, le Professeur Marie Josée GARNIER qui nous a soutenue tout au long de cette étude.

- Un remerciement très spécial à notre professeur Mathias LAUREUS, professeur de

théorie des jeux qui nous a beaucoup aidé dans les simulations de théorie des jeux.

- Nous remercions également les professeurs Jean Baptiste ANTENORD et Nathalie

LAMAUTE pour la révision du document.

- Nous ne saurions oublier tous les professeurs du CTPEA qui nous ont tant donné au cours de ces quatre années d'études. Un remerciement spécial est dédié au professeur Hosval TRISTANT qui ne nous a jamais refusé son temps.

- Enfin, nous remercions tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ont apporté leur concours à la réalisation de ce travail : nos camarades de promotion, notamment Dario LEBELON, les dirigeants et responsables d'entreprises qui nous ont aidés.

Contexte et Justification du choix du thème

L'année 2006 qui marque la venue de la firme multinationale « Digicel », a été l'année la plus décisive dans l'histoire des télécommunications notamment de la téléphonie cellulaire en Haïti. La plus décisive, par le fait que pour la première fois, la population haïtienne a pu assister à une concurrence accentuée entre des entreprises pour le partage de marché qui se traduit par une guerre de publicité entre les opérateurs, par des politiques agressives de ventes, par divers stratégies concurrentielles pour attirer les consommateurs haïtiens etc. L'investissement direct étranger relatif à ce secteur pour cette année était estimé à 45 million $ USD selon le ministre des TPTC, Frantz Verella et suivant un rapport de la DGI publié dans le nouvelliste du 26 décembre 2006, les redevances fiscales en provenance du secteur de la téléphonie cellulaire étaient les plus importantes. Ce qui a rendu ce marché comme étant le plus dynamique dans l'économie nationale.

Cette situation nous révèle effectivement les bienfaits de la concurrence et suscite en même temps pas mal de questions concernant l'évolution de ce secteur de 1999 à 2006. La compréhension des changements en cours dans les télécommunications est nécessaire, d'autant plus qu'en ce début du 21e siècle le progrès économique passe nécessairement par la maîtrise des nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC). Dans cette optique, nous avons jugé opportun et impératif d'utiliser les notions acquises au CTPEA en microéconomie, en économie industrielle et en théorie des jeux, en vue de réaliser un travail de recherche qui se veut être une représentation académique et analytique de l'industrie de la téléphonie cellulaire en HAITI.

RESUME

L'entrée de la Digicel sur le marché de la téléphonie cellulaire au cours de l'année 2006 a engendré de profonds changements dans ce secteur en Haïti. Ce mémoire de sortie se propose d'analyser comment le comportement de cet opérateur a modifié l'environnement global de ce marché. Pour répondre à cette interrogation, nous dressons, grâce au paradigme SCP un portrait de ce secteur sur deux périodes : 1999-avril 2006 période au cours de laquelle Comcel et Haitel ont évolué en situation de duopole et mai-décembre 2006 correspondant au lancement des opérations de Digicel. Ensuite, nous procédons à une analyse comparative de l'évolution du secteur sur les deux moments considérés. La théorie des jeux nous permet alors de comprendre les transformations observées sur ce marché à partir des choix stratégiques des principaux opérateurs. Les résultats de nos différentes simulations montrent que les stratégies agressives mises en oeuvres par Digicel ont contribué à rendre ce marché plus compétitif et aboutissent à un niveau de dynamisme plus élevé qui bénéficie à la fois aux consommateurs et à l'économie

ABSTRACT

When Digicel enter the Haitian cellular market at the end of the year 2006, a lot of changes have been set in this sector. This work aims to analyze the way the behavior of this operator modifies global environment of this market. To answer this question we make a picture of the sector over two periods using the paradigm SCP: 1999-April 2006, over that period Comcel and Haitel have evolved in duopoly market, and May-December 2006 corresponding to the period when Digicel started its operations in Haiti. Next we proceed to a comparative analysis of progresses on the sector during these two periods. The «Game Theory» allow us to understand transformations into the market from strategic choices on main operators. The results of our various simulations show that the strategies using by Digicel to contribute and to return more competitive market and lead to a higher level of dynamism that profit both costumers and the economy.

LISTE DES SIGLES

AHTIC Association Haïtienne des Technologies de l'Information et des

Communications.

AMPS Advanced Mobile Phone System

BRH Banque de la République d'Haïti

CAPEX Capital Expenditure

CDMA Code Division Multiple Access

CMEP Conseil de modernisation des entreprises publiques.

COMCEL Communication cellulaire d'Haïti s.a

CONATEL Conseil National des Télécommunications

CRBT Coloured Ring Back Tone

CTPEA Centre de Techniques de Planification et d'Economie Appliquée

DGI Direction Générale des Impôts

DSRP-1 Document stratégique de réduction de la pauvreté

FMN Firme Multinationale

GSM Global System for Mobile Communication

HAITEL Haïti Télécommunications s.a

IMT-2000 International Mobile Telecommunications for the year 2000

LBS Location Based Services

MCI worldcom Media Control Interface

MEF Ministère de l'Economie et des Finances

MHz Mega Hertz

MMS Multi Media Service

MPCE Ministère de la Planification et de la Coopération Externe

MTPTC Ministère des Travaux Publiques Transport et Communications

MVS Mobile Video Streaming

NEIO New Empirical Industrial Organization

NTIC Nouvelles Technologies de l'Information et des Communications

OCDE Organisation pour la Coopération et le Développement Économique

OPEX Operational Expenditure

PDG Président Directeur Général

PMA Pays Moins Avancés

PTT Push to Talk

R&D Recherche et Développement

RDDH Réseau de Développement Durable en Haïti

RGPH Recensement Général de la Population et de l'Habitat

SCP Structure-Comportement-Performance

SMS Short Message Service

TACS Total Access Communication System

TCA Taxes sur Chiffres d'Affaires

TDMA Time Division Multiple Access

TELECO Télécommunications d'Haïti s.a

UGCF Unité de Gestion et de Contrôle Fiscale.

UIT Union Internationale des Communications

UNIQ Université Quiskeya

USD Dollar US

W.W.I Western Wireless International

LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES

Tableau I.- Tableau du paradigme Structure-Comportement-Performance (P-17)

Tableau II. - Tableau récapitulatif des principales théories utilisées (P-3 1)

Tableau III. - Tarifs de la Digicel pour les services Prépayés (Digicel Flex) P-49

Tableau IV.- Tarifs de la Digicel pour les services Post-payés (Digicel Select). P-49

Tableau V. - Grille de Tarification de la Comcel (par minute en HTG). P-49

Tableau VI.- Simulation des résultats des interactions stratégiques de Comcel et

Haitel en situation collusive (P-59)

Tableau VII.- Simulation des résultats des interactions stratégiques de Comcel et

Haitel en situation en absence de collusion (P-61)

Figure 1.- Détermination du prix en situation de monopole (P- 11)

Figure 2.1.- Configuration du marché téléphonique en Haïti en Avril 2006 (p-39)

Figure 2.2.- Le marché de la téléphonie mobile en Septembre 2006 (P-46)

Figure 2.3.- Redevances fiscales des compagnies cellulaires : 2000-2006 (P-51)

Figure 3.1.- Le modèle Structure-Comportement-Performance (P-58)

Figure 3.2.- Evolution du taux de pénétration du téléphone cellulaire : 1998-déc.2006 P-63

Figure 3.3.- Le marché de la téléphonie mobile en déc. 2006 (P-72)

Figure 3.4.- Le modèle Structure-Comportement-Performance (P-75)

Figure 3.5.- Simulation des résultats des interactions stratégiques de Comcel, Haitel

et Digicel (P-76).

Table des matières

Avant-propos et remerciements ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.. i Contexte et Justification du choix du thème ~~~~~~~~~~~~~~~~~ii Résumé ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.. iii Liste des Sigles ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.. iv Liste des tableaux et graphiques ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~. vi Liste des annexes ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~vii Table des matières ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~. 1

Introduction . 3

Problématique~~~~~~..~~~~~~~~~~~~~~~~~~~. 5

Méthodologie~~~~~~~..~~~~~~~~~~~~~~~~~~~. . 8

Chapitre 1. Cadre théorique du travail 10

A. La théorie des prix~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~. ~ 10

A.1. Le Monopole~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 11

A.2. La Concurrence monopolistique ...... ...... ............ ...... 13

A.3. L'oligopole......... ............ ...... ...... ......... ... ...... 14

B. Le paradigme : Structure-Comportement-Performance ~~~~~~~~~~. ~.. 15

B.1. Définition et Objectif~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 15

B.2. Différentes écoles depensée~~~~~~~~~~~~~~~~~~~. 15

B.3. l'environnement global du marché...... ............ ......... ... ... 18

B.4. Structure de marché ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.. 18

B.5. Comportement des firmes... ......... ... ............ ...... 19

B.6. Performance du marché............ ......... ............ ...... ... 25

B.7. Limites du Paradigme............... ...... ...... ......... ... 26

C. La théorie des jeux~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.. 27

C.1. Les différentes formes de jeux............................................................. 27

C.2. Utilisation de la théorie des jeux dans l'analyse des marchés des

télécommunications........................................................................... ..... 30

Chapitre 2. La présentation du marché du cellulaire en Haïti de 1999 à 2006 32

A. Progrès technologique dans la téléphonie cellulaire mobile 32

B. Le marché de la téléphonie cellulaire en Haïti : Septembre 1999-Avril 2006 ~~~~~34

B.1. Les conditions de base............... ...... ...... ......... ... 34

B.2. Les politiques gouvernementales...... ...... ............ ...... ... 37

B.3. Caractéristiques du marché sur la période 1999 à Avril 2006 38

B.3.1. La structure du marché... ......... ............ ......... 38

B.3.2. Le comportement des opérateurs ......... ............ .......... 40

B.3.3. La performance du secteur............ ...... ............ ......... 42

C. Le marché de la téléphonie cellulaire haïtien avec Digicel : Mai-Décembre 2006........... 42

C.1. Les premiers moments de Digicel en Haïti ......... ......... .............. 42

C.2. La structure du marché...... ......... ............ ......... .............. 43

C.3. Le comportement des firmes... ......... ......... ......... .............. 46

C.4. La performance de ce secteur de Mai à Décembre 2006......... ...... .... 50

Chapitre 3. Analyse comparative des performances de ce marché sur les deux périodes étudiées ...52

A. L'analyse économique du secteur de la téléphonie cellulaire sur la période 1999-avril 2006..52 A.1 Peut-on parler de dynamisme dans ce secteur considéré sur la période

1999-avril 2006 ? 53

A.2. Quelles stratégies les opérateurs en place ont-ils adoptées ? 53

A.3. L'impact de la stratégie de différenciation sur le marché ......... ............. 54

A.4. Relation de causalité entre structure, comportement et performance.................. 58

A.5. Une analyse par la théorie des jeux du secteur............ ...... ......... ... 58

B. L'analyse économique du secteur sur la période mai-décembre 2006.......................... 62

B.1. Regain de dynamisme observé sur le marché de la téléphonie cellulaire

enmai 2006............ ......... ... ............ ...... ...........62

B.2. Quelle stratégie la Digicel a-t-elle utilisé pour accaparer ce marché ? 65

B.3. Impact de la stratégie de domination au niveau des coûts de la Digicel sur le marché de la téléphonie cellulaire haïtien en 2006... ......... ......... 67

B.4. Relation de causalité entre la structure, le comportement et la performance

dusecteur 74

B.5 Simulation par la théorie des jeux des interactions stratégiques des opérateurs 75

CONCLUSION ET PERSPECTIVES 77

BIBLIOGRAPHIE 81

ANNEXES

Introduction

L'histoire économique du monde est marquée par de grands changements au cours desquels on a vu des transformations qui pour toujours ont modifié le cours de l'humanité. Si l'on admet que la grande révolution agricole au milieu du 18e siècle reste le point de départ de toutes ces transformations, les deux grandes révolutions industrielles, celle de 1860 et de 1970, constituent un tournant important dans l'orientation de l'économie mondiale.

L'avènement des nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC) survenu avec la deuxième phase de la révolution industrielle (1970) va offrir de nouvelles pistes de développement au marché des télécommunications, notamment la téléphonie mobile.

En effet, la mise au point de systèmes numériques à la place des systèmes analogiques, l'utilisation de satellites de télécommunication et des ondes hertziennes sont autant de facteurs permettant la conception, le développement et l'extension des réseaux de télécommunication à travers le monde. Si le développement et l'utilisation de la téléphonie mobile ne visent pas principalement à remplacer les réseaux de téléphone filaire, elle sera néanmoins utilisée pour combler dans certaines régions du globe le vide laissé en terme de couverture mais surtout pour offrir à son utilisateur de nouvelles options, notamment une très grande mobilité.

L'essor des communications cellulaires mobiles a été spectaculaire, le nombre d'abonnés est passé de 11 millions seulement en 1990 à plus d'un milliard à la fin de l'année1 2005. Un article publié dans Le Monde Diplomatique2 révèle qu'en 2002 le nombre d'abonnés au service de téléphonie mobile dépasse le nombre de téléphones fixes globalement. Ce même article affirme qu'une personne sur six dans le monde possède un téléphone mobile en 2006 alors qu'il était seulement une sur 339 en 1991 et on estime que le nombre d'abonnés double tous les 20 mois environ. La téléphonie mobile est aujourd'hui un secteur des plus dynamiques de l'activité économique, elle est certes un secteur économique à part entière car elle est source d'emplois et d'investissements mais surtout elle est très présente, utile, parfois même indispensable au fonctionnement des autres branches de l'économie.

L'Eldorado que représente le marché de la téléphonie mobile ne laisse pas indifférents les
investisseurs, les opérateurs de téléphonie mobile et les équipementiers qui se livrent une

1 Evolution de téléphonie mobile sous les effets des régulations et les réformes dans la télécommunication.

2 Dan Schiller, le marché du téléphone portable, le monde diplomatique, pages 1-22-23, février 2005

concurrence sans merci pour l'acquisition et la consolidation de parts de marché. Aussi de grands opérateurs (Vodafone, Orange, America movil, T-Mobile, China Mobile) et des équipementiers tels que Nokia, Motorola, Samsung, LG, Siemens, Sony Ericsson, et bien d'autres commercialisent-ils, à l'échelle de la planète, des terminaux dotés de fonctions multiples (calculatrice, jeux, appareil photo, camera vidéo, radio, télévision, Internet, etc.) et des services sans fil. L'affluence des investisseurs sur le marché du mobile s'explique par la possibilité de réaliser des profits énormes. En effet, bien qu'on estime que ce marché soit encore à son début, les marges de profits générées dans ce secteur sont pharaoniques (plus de 700 milliards de dollars US en 2005) 3et selon les estimations des experts, Ces profits augmenteront considérablement à l'avenir vu que plus de 250,000 personnes à travers le monde s'abonnent chaque jour au réseau mobile.

Cette rude concurrence entre opérateurs s'intensifie d'autant plus que, depuis quelques années, le développement de réseaux téléphoniques mobiles s'est révélé un moyen très efficace pour permettre à des zones géographiquement très peu accessibles et surtout aux régions très pauvres en infrastructures où le réseau filaire est défaillant de garder le contact avec le reste du monde. Cet état de fait crée de nouveaux marchés et par conséquent de nouvelles sources de profit.

Plusieurs autres facteurs peuvent être avancés pour expliquer la progression fulgurante de la téléphonie mobile. On pourrait citer en autres, la mode. En effet, l'élargissement du marché de la téléphonie mobile se fait en partie grâce aux jeunes qui utilisent ce moyen bien plus comme une nouvelle mode d'expression, plutôt qu'un moyen de communication tout simplement. Cependant, l'explication la plus pratique est que ces nouvelles technologies offrent des avantages que le réseau filaire ne pourrait pas offrir, on pense en particulier à la personnalisation et à la grande mobilité de l'utilisateur « désormais on n'appelle plus une maison, on appelle une personne ».

L'élargissement de ce marché et les forts profits qu'il génère attirent encore et toujours plus d'investisseurs, d'ailleurs, l'entrée de nouveaux concurrents dans le secteur ne laisse pas indifférents les opérateurs qui y sont déjà établis. Cela leur porte généralement à modifier leurs comportements et leurs stratégies en faisant de l'innovation une arme de toute première importance afin de conforter, d'améliorer leur position ou de décourager d'autres entrants potentiels.

En Haïti, tout comme dans la plupart des pays en développement où il y a des problèmes
d'infrastructure de toute sorte, le développement des réseaux de téléphonie sans fil, dans un souci
de répondre à un besoin croissant de services téléphoniques, est devenu une réalité depuis la fin des

3 Dan Schiller, le marché du téléphone portable, le monde diplomatique, pages 1-22-23, février 2005

années 90. Cependant, dans le contexte de la mondialisation économique, la production d'un bien ou d'un service à l'intérieur d'une économie subit nécessairement l'influence du marché international. Le secteur de la téléphonie mobile en Haïti n'échappe pas à cette loi. En effet, si à son début celui-ci a été contrôlé par des entreprises nationales, avec le temps cette situation a nettement évolué et une nouvelle configuration de ce marché où évolue désormais une firme multinationale doit être prise en compte.

L'entrée sur le marché de la téléphonie mobile cellulaire en Haïti de l'opérateur multinational « Digicel », n'est pas sans conséquences sur la structure du marché, les comportements et surtout les performances des firmes évoluant dans la branche. Cette situation à provoqué des changements considérables dans la manière dont ce secteur a évolué jusque là. Dans cette perspective, ce mémoire de sortie se propose d'analyser la concurrence dans ce secteur en vue d'expliquer les modifications survenues avec l'entrée de la Digicel en 2006.

Problématique.

Depuis le milieu du 20esiècle, dans les années 1950, Haïti fut l'un des premiers pays des Caraïbes à s'être doté d'un réseau de télécommunication. Depuis lors, la situation du marché des télécommunications a évolué considérablement. En effet, dans sa genèse ce marché fut exploité par une seule firme : les Télécommunications d'Haïti S.A. (Teleco) qui a obtenu dès 1968 le monopole des services de téléphonie sur tout le territoire national et une instance de régulation des télécommunications, le CONATEL, fut instaurée dès 1 9694.

Toutefois, malgré les progrès considérables réalisés dans les technologies de l'information et de la télécommunication, le taux de pénétration de ce service en 1998 était seulement de 0,72%, soit un total de 55,000 lignes installées pour une population de près de 7.650 millions d'habitants, et ce service était concentré dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince à hauteur de 85% .

Face à une telle inefficacité des services de télécommunication, plusieurs scenarii ont été envisagés pour remédier à la situation, notamment la privatisation de l'opérateur publique et l'ouverture du secteur à la concurrence qui semblent être, depuis le début des années 90, les chemins les mieux convoités pour déboucher sur une amélioration des conditions de fonctionnement du secteur. Ainsi, dès 1996, un projet de loi sur la privatisation de la Teleco a été soumis au parlement haïtien. D'un autre côté, l'arrivée de nouvelles compagnies offrant principalement les services de téléphonie mobile contribue à donner une nouvelle configuration au marché des télécommunications dont le

4 Décret accordant à l `Etat Haïtien le monopole des services de télécommunications, 1977.

taux de pénétration jusqu'en 2002 était près de 3%, d'autant plus que la Téléco (jusqu'alors oeuvrant dans le secteur de la téléphonie filaire) s'est elle-même lancée dans la téléphonie cellulaire avec la Rectel et ensuite dans la téléphonie à mobilité réduite avec Ti-telefon 2004. Depuis 1998, l'année où la Rectel, la première compagnie de téléphonie cellulaire mobile haïtienne est lancée, le marché des téléphones sans fil n'a cessé de se transformer. En effet, elle a été tout de suite rejointe par la Haïtel qui utilise la technologie CDMA (1999), puis par la Comcel utilisant la technologie TDMA. Jusqu'en avril 2006, les consommateurs haïtiens ont été desservis principalement par ces deux compagnies de téléphonie mobile cellulaire quoiqu'une autre compagnie, Ti-telefon 2004 desserve ce secteur depuis 2004.

Le marché de la téléphonie cellulaire a enregistré durant les six premières années des performances peu satisfaisantes. Plusieurs indicateurs révèlent les résultats de ce secteur : Coûts d'acquisition d'un terminal très elevé, un taux de pénétration et de couverture assez faible, coûts d'utilisation du service très élevé, mauvaise qualité de service et très peu de diversification de produits.

En effet, suite à toutes ces lacunes enregistrées dans ce secteur, les analystes concluent à une demande potentielle largement supérieure à l'offre effective. Il parait alors nécessaire de se questionner sur la capacité de ce marché à offrir un service qui puisse satisfaire, en terme de qualité et de quantité, une demande sans cesse grandissante. La structure du marché n'était peut être pas étrangère à cette inefficacité, c'est la raison pour laquelle on devra analyser à chaque période le type de marché auquel on était confronté.

Par ailleurs, certains économistes stipulent que le comportement des firmes à partir des politiques de prix, des politiques concurrentielles est le facteur déterminant de ce résultat. Ils mettent en relief l'implication des stratégies des opérateurs dans la performance du secteur. Pour cela, on aura à étudier aussi les relations de causalités qui existent entre la structure du marché, les comportements de ces opérateurs et la performance du secteur .

Cependant, la fin de l'année 2005, année où la Comcel a adopté une licence GSM sous le nom de Voila, constitue un tournant dans l'utilisation de technologies plus modernes qui sont mises au service des consommateurs haïtiens. L'utilisation du systéme GSM et ses multiples avantages offrent de grande capacité de couverture du territoire national, toutefois, les performances ont peu évolué. Au cours de l'année 2006, les habitudes allaient être totalement modifiées quand un opérateur multinational, en l'occurence Digicel, entrait dans le secteur en utilisant lui aussi la technologie GSM. Depuis lors, une véritable guerre s'est engagée entre les principaux concurrents du secteur : guerre de prix des terminaux et de tarification, guerre de publicité, etc. Cette

concurrence implique d'importantes innovations en terme de technologie, de stratégie de marketing, de stratégie de prix, de facilité d'accès aux téléphones portables pour une clientèle de bas revenus, et d'une plus grande couverture des réseaux sur le plan national etc.

Cette situation a fait l'objet de plusieurs débats. Pour plus d'un la loi de la concurrence explique tout naturellement cette transformation, à savoir que la venue d'un nouveau concurrent dans le secteur redynamise celui-ci et devient automatiquement profitable aux consommateurs. D'autres ne sont pas totalement d'accord pourvu que ti téléphone 2004 était un nouveau concurrent et pourtant n'a pas fait long feu. Cependant, il faut souligner que depuis la venue de Digicel, les comportements des opérateurs de la place ont beaucoup changé en guise de réactions aux actions menées par cette compagnie multinationale, ce qui nous a valu en retour d'énormes avantages. Il est alors nécessaire d'analyser ce qui est à la base de cette transformation radicale répertoriée dans ce secteur en seulement huit mois. Serait-ce l'entrée d'un nouvel opérateur (loi de la concurrence) qui est à la base de ces changements ? Ou encore, serait-ce le comportement de la Digicel, différent de ses prédécesseurs, qui explique cette nouvelle configuration ?

Hypothèse de travail.

H1 : La stratégie concurrentielle de la Digicel est le facteur déterminant du dynamisme du secteur de la téléphonie cellulaire en Haïti en 2006.

Hypothèses secondaires.

H2 : Comcel et Haitel ont utilisé la stratégie de différenciation des produits, celle ci a eu des résultats peu satisfaisants sur le dynamisme du marché de la téléphonie cellulaire en Haïti entre septembre 1999 et avril 2006.

H3 : Digicel a adopté la stratégie de domination par les coûts qui aura un impact positif sur le dynamisme du secteur de la téléphonie cellulaire en Haïti entre mai et décembre 2006.

Objectifs du travail de recherche :

L'obj ectif principal de ce mémoire de sortie est d'analyser les modifications survenues dans le
marché de la téléphonie cellulaire en Haïti en 2006 suite à l'entrée de la Digicel. De manière
spécifique nous voulons faire ressortir la configuration de ce marché durant la période allant de

septembre 1999 à décembre 2006 et analyser l'impact du comportement de la Digicel sur la concurrence dans le secteur.

Méthodologie.

La consultation de nombreux documents disponibles dans les bibliothèques des institutions telles que le CONATEL, la BRH, le RDDH, le MTPTC, le MEF, le CMEP, la DIGICEL, la COMCEL, la HAITEL, la TELECO, nous permettra de construire une riche documentation sur le marché des télécommunications en Haïti. Notre bibliographie s'est enrichie aussi grâce à la consultation d'articles tirés de journaux tels que le Nouvelliste, Problèmes Economiques et le journal le Matin ainsi que des entrevues réalisées avec des personnalités importantes oeuvrant dans le secteur. Les informations ainsi recueillies, sous réserves qu'elles sont exactes, seront très utiles pour l'élaboration de notre étude.

Pour vérifier nos hypothèses, nous utilisons un corpus théorique tournant autour de la théorie des prix. Cette dernière met en relation la structure d'un marché et sa performance de telle sorte que la structure du marché détermine la performance considérée en termes de prix. Cependant, les théoriciens sont unanimes à reconnaître que la théorie des prix trouve son essence dans le cadre d'un marché parfait, or ces types de marché n'existent pas dans la réalité. Partant de ce constat, la théorie des prix ne peut pas être retenue comme cadre d'analyse pour cerner l'évolution du secteur de la téléphonie cellulaire haïtien. Nous retenons alors le paradigme Structure-Comportement-Performance qui a été développé dans un souci de combler les lacunes de la théorie des prix. Le principal apport du paradigme SCP à la théorie des prix vient de la prise en compte de la variable comportement qui, avec la structure, expliquent la performance du marché. Le paradigme SCP intègre également dans son cadre d'analyse, d'autres éléments influençant l'évolution d'un marché, ce sont notamment les conditions de base et les politiques gouvernementales qui agissement sur tous les paramètres du marché.

Cependant, le paradigme SCP se contente de faire ressortir la configuration du marché au cours d'une période donnée, il se révèle insuffisant quand il faut expliquer les multiples interactions stratégiques qui se font entre agents intervenant sur le marché et qui caractérisent la concurrence moderne. La théorie des jeux sera alors utilisée comme complément au paradigme SCP dans cette étude, elle prend en compte ces interactions, et également l'analyse du dynamisme observé dans le secteur.

Toutefois, pour bien faire ressortir les changements qui se sont opérés dans le secteur étudié en 2006, nous procédons à une subdivision de ce travail en trois grands chapitres :

Le premier chapitre est consacré à une revue de la littérature théorique, c'est le corpus théorique expliqué antérieurement. L'idée directrice du premier chapitre est d'utiliser des théories qui s'adaptent à l'hypothèse sus-mentionnée. La conclusion de ce chapitre nous dira quelles théories seront prises en compte pour vérifier l'hypothèse de départ.

Le second chapitre est la présentation du marché. Tout d'abord nous présentons les progrès technologiques encourus dans la téléphonie cellulaire. Ensuite pour cerner le nouveau dynamisme observé dans le secteur nous faisons porter notre étude sur deux sous périodes : septembre 1999-avril 2006 et mai-décembre 2006. Sur chacune de ces sous périodes nous présentons la situation du marché du cellulaire à partir du paradigme SCP.

Le troisième chapitre est la vérification de l'hypothèse de départ. Pour expliquer la meilleure performance observée dans le secteur de la téléphonie cellulaire sur la période mai-décembre 2006, nous partons de l'hypothèse suivante : La stratégie concurrentielle de la Digicel est le facteur déterminant du dynamisme du secteur de la téléphonie cellulaire en Haïti en 2006'. Pour soutenir cette proposition, nous considérons deux autres hypothèses secondaires mettant en relief les stratégies des firmes sur chacune des deux sous périodes étudiées. Pour vérifier la validité de ces hypothèses, nous procédons à une analyse comparative de ces deux sous périodes.

Tout d'abord, nous présentons la notion de dynamisme de marché. Pour rendre opérationnel ce concept, nous considérons deux grandes dimensions qui sont le degré d'accessibilité et la nature des choix des produits et services. Ainsi, dans ce chapitre nous étudions sur chacune des sous périodes considérées le niveau de dynamisme atteint dans le secteur en fonction des dimensions retenues.

Ensuite, nous vérifions les hypothèses du travail de recherche en analysant les causes des performances obtenues à travers les périodes étudiées.

Enfin, nous présentons sur chaque sous période les relations de causalité existant entre la structure, le comportement et la performance du secteur et nous procédons à une analyse par la théorie des jeux pour modéliser les interactions stratégiques des opérateurs.

Conclusion et perspectives.

A ce niveau nous répondrons aux questions soulevées dans l'étude, ensuite nous ferons ressortir des propositions qui pourront être prises en compte par les agents qui sont impliqués dans la régulation de ce marché. Enfin nous esquisserons certaines limites de ce travail et pour finir nous présenterons de nouvelles voies de recherche.

Chapitre 1. Cadre théorique du travail

A. La théorie des prix.

La théorie des prix cherche à expliquer les phénomènes de marché par les incitations économiques auxquelles les individus sont confrontés. Le postulat de base de cette théorie stipule que le marché est l'instrument idéal pour la circulation des informations sur les choix, il annonce les prix des offres et des demandes de chacun, elle suppose donc que la structure de marché influence directement la performance des firmes et du secteur. Le prix du marché est le seul prix réalisable, ce prix permet l'ajustement du marché qui est le mécanisme d'équilibre des quantités offertes et demandées. C'est le phénomène de la main invisible d'Adam Smith qui fait référence à la loi de l'offre et de la demande envisagée dans le cadre d'un marché parfaitement concurrentiel. Or les conditions d'existence de la concurrence pure et parfaite en tant que structure de marché sont particulièrement contraignantes. A titre d'exemple, considérons le marché des télécommunications :

La concurrence pure et parfaite fait référence à une structure de marché où les vendeurs et les acheteurs sont suffisamment nombreux pour qu'aucun ne puisse exercer une influence sur le prix, seuls les mécanismes du marché déterminent le prix d'équilibre qui s'impose donc à tous. Une concurrence est pure et parfaite si elle répond à certaines hypothèses telles :

o atomicité : acheteurs et vendeurs sont nombreux sur le marché au point que nul ne peut à lui seul influencer les prix.

o Homogénéité : les produits échangés sont identiques et substituables les uns aux autres. o Libre entrée sur le marché : il n'existe aucune barrière à l'entrée.

o Transparence : l'information des agents économiques est totale.

Le secteur de la téléphonie est généralement caractérisé par un petit nombre d'opérateurs qui se partagent le marché et qui de ce fait peuvent chacun influencer les prix, ce qui viole la loi d'atomicité. De même, les produits vendus par les différents opérateurs ne sont pas forcément homogènes vu que chacun d'eux peut utiliser des technologies différentes pour satisfaire sa clientèle. La condition de libre entrée comme caractéristique principale de la concurrence n'est pas évidente dans le cas du marché des télécommunications. En effet, les montants nécessaires pour les investissements initiaux sont importants et ne sont pas accessibles à tous. D'un autre coté, les opérateurs en place s'efforcent à différencier leur produit de façon à fidéliser leur clientèle, ce qui renforce d'avantage les barrières à l'entrée. Ainsi, parce que ces opérateurs sont constamment en situation d'interaction stratégique, et luttent activement pour acquérir de nouvelles parts de marché, ils considèrent l'information comme une arme stratégique devant leur permettre d'anticiper les actions ou réactions de leurs concurrents. De ce

fait, l'information comme ressource est précieuse et très confidentielle. L'hypothèse de transparence des informations n'est donc pas vérifiée dans le cas du marché de la téléphonie. Toutes ces considérations montrent bien que la notion de concurrence pure et parfaite ne s'applique pas au marché des télécommunications. Il faut donc intégrer les notions de monopole et de concurrence imparfaite (concurrence monopolistique et oligopole) pour expliquer les profondes mutations observées au sein du système industriel.

A.1. Le Monopole.

On parle de monopole quand sur un marché donné un seul producteur dessert l'ensemble de la demande des consommateurs. En situation de monopole, contrairement à ce qui se passe sur un marché concurrentiel où le marché fixe les prix, le monopoleur fixe lui-même le prix que les consommateurs doivent payer pour acheter son produit en fonction de la quantité de bien qu'il veut produire. La fonction de prix s'écrit alors : P = f(Q).

P

Fig. 1 Détermination du prix en
situation de monopole

Rm

Cm

D

Q

Le profit du monopole étant la différence entre les recettes et les coûts totaux, si on désigne par Ð le profit, on peut alors écrire Ð = RT - CT avec RT = P.Q ou bien RT = Q.f(Q).

On a donc la recette marginale telle que : Rm = dRT/dQ = f(Q) + Q.df(Q)/dQ.

Le profit est maximisé pour Rm = Cm, c'est-à-dire lorsque Cm = f(Q) + Q.df(Q)/dQ # Cm < P car df(Q)/dQ < 0. Donc, le prix payé par les consommateurs est supérieur au coût marginal.

Ainsi, le monopoleur continue à produire jusqu'à la dernière unité d'une quantité Q* donnée pour laquelle les recettes supplémentaires sont supérieures aux coûts supplémentaires induits par cette unité. Donc le monopoleur va augmenter son niveau de production jusqu'à ce que le coût marginal égalise la recette marginale.

En situation de monopole, la société obtient une quantité de biens inférieure à celle qu'elle souhaite obtenir pour un prix supérieur au prix d'un marché concurrentiel, c'est là l'une des principales raisons pour lesquelles les monopoles sont réprimés.

Cependant, malgré leurs performances jugées non satisfaisantes du point de vue économique, les monopoles ont surgi dans certains secteurs pour des raisons d'efficacité économique, on parle alors de monopole naturel. C'est le cas des services publics : électricité, eau, transport en commun, téléphone...

Le monopole naturel.

Le marché des télécommunications a été exploité dans un cadre très réglementé. Différents motifs étaient avancés pour justifier l'intervention de l'État dans ce domaine. Ils étaient d'ordre militaire : le téléphone, comme tous les grands réseaux est d'une importance vitale pour la sécurité intérieure et extérieure du pays (sécurité du territoire) ; politique : le téléphone était un service public, au même titre que la fourniture de l'eau ou de l'électricité, chacun devait pouvoir disposer d'un accès au téléphone au même prix dans tout le pays5. Le monopole tient principalement à une raison économique : le coût d'installation d'un réseau terrestre classique est énorme. Le premier qui assure cet investissement sur un territoire donné empêche donc l'entrée de tout nouveau concurrent dans la mesure où le coût marginal du nouvel abonné est très faible, une fois l'investissement de base réalisé.

Un monopole naturel s'installe dans une industrie si les économies d'échelles sont si fortes, qu'il est plus efficace de confier la totalité de la production de l'industrie à une seule entreprise que de la partager entre plusieurs firmes qui, d'ailleurs, risqueraient de ne pas pouvoir survivre6. Cela arrive par exemple quand pour le secteur en question, la courbe de coût total moyen est toujours décroissante.

Quelle que soit sa forme, le monopole reste une situation de marché qui ne permet pas d'obtenir une condition de production optimale pour la société. C'est pourquoi, certains secteurs qui à l'origine ont évolué dans une structure de monopole se sont transformés en une structure de marché plus concurrentielle (concurrence monopolistique ou oligopole) procurant un meilleur bien-être à la collectivité.

La remise en cause du monopole naturel dans les télécommunications.

Pendant les années 1970/1980, le retour de la doctrine libérale aux États-Unis et en Grande Bretagne encourage la déréglementation dans plusieurs domaines comme les transports aériens ou la finance. C'est également le cas pour les télécommunications. Un facteur qui amplifie beaucoup ce mouvement de libéralisation est sans doute le progrès technique. Les arguments en faveur du monopole naturel, qui étaient tout à fait valables dans un environnement technique dominé par l'analogique, disparaissent avec l'arrivée du numérique. La technologie numérique provoque une baisse des coûts des infrastructures grâce à l'augmentation des capacités des réseaux et de leurs fonctionnalités. De cette manière, la compatibilité des réseaux et la gestion des interconnexions sont de mieux en mieux assurées. La numérisation a réduit très fortement les coûts d'investissement et de fonctionnement des réseaux, il devient possible de concurrencer les grands opérateurs historiques sur certains segments de marché sans avoir à procéder à des investissements colossaux.

5 Source : Pierre Sohlberg, Alternatives Economiques n°149, Juin 1997.

6 Économie des télécoms, J.P. Goulvestre, 1997, p.47-48.

La révolution numérique n'est pas la seule raison qui a poussé à remettre en cause le monopole naturel. Les télécommunications sont devenues un facteur stratégique pour les grandes entreprises. Elles sont de plus en plus attentives à la gestion de leurs factures et contestent la lourdeur de la réglementation administrative qui pèse sur le prix des télécommunications. Un autre aspect est la diversification. Les télécommunications, ce n'est plus seulement l'acheminement de communications vocales, mais aussi de multiples services spécialisés : transfert de données, messagerie, réseaux d'entreprise reliant leurs différents sites, téléphonie mobile, etc. Il devient plus difficile de défendre le maintien d'un monopole sur des activités qui entrent dans un champ normal d'activités d'autres entreprises, en l'occurrence les constructeurs informatiques et les sociétés de service. De plus, la pression de certaines entreprises, attirées par les bénéfices réalisés par les opérateurs sur ce marché ainsi que la mondialisation des échanges accroissant la concurrence pour les transmissions de données, sont autant de facteurs qui ont accéléré le processus de libéralisation des télécommunications. Dans cette perspective de remise en cause du monopole, la concurrence monopolistique et l'oligopole semblent être les structures de marché concurrentielles les mieux appropriées pour étudier ce secteur. Ces deux structures de marché seront analysées en profondeur dans les lignes qui suivent.

A.2. La Concurrence monopolistique.

La théorie de la concurrence monopolistique stipule que la concurrence monopolistique est un régime de concurrence hybride, entre le monopole et la concurrence pure et parfaite.

Le marché de concurrence monopolistique est semblable à la concurrence pure et parfaite en ce sens qu'il peut avoir beaucoup de vendeurs, mais il s'en distingue parce que les produits sont différenciés. La structure de marché appelée concurrence monopolistique correspond à une situation dans laquelle il y a différenciation du produit, de sorte que chaque entreprise a un certain pouvoir de monopole, mais il y a également entrée libre, de sorte que les profits à long terme tendent vers zéro. Plus une entreprise réussit à différencier son produit par rapport aux produits similaires vendus par les autres firmes, plus elle dispose d'un pouvoir de monopole, c'est-à-dire plus la courbe de demande pour son produit est inélastique. Chaque firme vend sa marque de produits, sa version du produit qui est différente dans la qualité, l'apparence, la réputation, etc.

Le secteur est monopolistique dans la mesure où chaque entreprise est confrontée à une courbe de demande décroissante pour son produit. Elle a par conséquent certain pouvoir de marché puisqu'elle peut fixer son propre prix au lieu d'accepter passivement le prix du marché comme une entreprise concurrentielle. D'un autre coté il y a concurrence entre les entreprises pour attirer les consommateurs à la fois en terme de prix et de type de bien vendu. Quand on procède à une analyse détaillée d'un marché

de concurrence monopolistique, les caractéristiques spécifiques des produits et de la technologie et la nature des choix stratégiques à la disposition des entreprises sont extrêmement importantes.

Un marché de compétition monopolistique a deux critères fondamentaux : le premier et le plus important est que les firmes en concurrence vendent des produits différenciés qui sont plus ou moins substituables les uns aux autres dépendamment du degré de différenciation. Le second est qu'il y a libre entrée et sortie des firmes.

En fait, chaque vendeur travaille sur un marché distinct de celui des autres vendeurs et s'adresse à un ensemble de clients dont la fidélité varie. Si l'entreprise hausse son prix, elle perdra une partie de sa clientèle, mais pas la totalité, au profit des concurrents. Mais, comme son produit n'est pas un substitut parfait aux produits des concurrents, même en réduisant son prix, elle ne peut espérer attirer la totalité de leurs clients, comme ce serait le cas en situation de concurrence pure et parfaite. Par conséquent, la courbe de demande d'une entreprise en situation de concurrence monopolistique révèle une pente négative, comme celle d'un monopoleur, et non pas horizontale, comme celle d'une entreprise de concurrence pure et parfaite7.

Il existe plusieurs cas de marché de concurrence monopolistique comme : le marché des pâtes dentifrices, des déodorants, du savon de bain, les services médicaux, les restaurants, ~

A.3. L'oligopole.

L'existence des oligopoles comme structure de marché découle de la mise en place dans un secteur donné, de barrières à l'entrée imposées aux entrants potentiels du secteur. Les principales caractéristiques d'une telle structure de marché sont l'existence d'un petit nombre de vendeurs, la diversité des comportements stratégiques des concurrents évoluant dans le secteur et l'interdépendance des choix de chaque concurrent sur le comportement de ses rivaux. Le marché de la téléphonie mobile semble très bien répondre aux caractéristiques de l'oligopole. En effet, on y dénombre un petit nombre d'opérateurs desservant l'ensemble d'un marché très dense où chaque concurrent prend ses décisions en tenant compte du comportement et des décisions des firmes rivales.

En situation d'oligopole on parle de concurrence potentielle qui explique comment la menace d'entrée de nouveaux concurrents dans le secteur amène les firmes déjà présentes sur le marché à adopter un comportement concurrentiel en fixant leurs tarifs suffisamment proches de leurs coûts marginaux, de sorte que l'entrée d'une nouvelle firme risque d'occasionner des pertes dans l'industrie. Ainsi, on dit que la configuration de l'industrie est soutenable, si tout nouvel entrant sur le marché se trouve dans l'impossibilité de réaliser un profit quand le prix des firmes déjà présentes sur ce marché reste inchangé.

7 Équilibre de court et de long terme d'une entreprise de concurrence monopolistique en annexe.

Dans ce cas, l'oligopole en question produit au minimum du coût moyen satisfaisant la demande, on parle alors de rendements croissants. Dans le cas où l'industrie produit dans la partie croissante de la courbe de coût moyen (rendements décroissants), elle est dite non soutenable. Dans ce cas, une partie de la demande peut-être satisfaite par un nouvel entrant qui pratique un prix plus faible, l'autre partie étant soit évincée, ou bien satisfaite à des prix très élevés. Il en découle alors une distorsion du marché et une absence d'équité.

Cependant, nous ne pouvons pas expliquer les performances de ce marché par la seule connaissance de sa structure comme le veut la théorie des prix. En effet, la réalité industrielle est à l'origine des limites de la théorie des prix où la structure de marché n'explique pas toujours les résultats ou performances enregistrés dans un secteur. C'est ainsi que, pour décrire correctement le fonctionnement de plus en plus complexe des marchés, la concurrence contemporaine doit également prendre en compte les éléments déterminants de la conduite des firmes. Dans cette perspective, les théoriciens ont développé le paradigme Structure-Comportement-Performance comme cadre de référence visant à combler les imperfections de la théorie des prix.

B. Le paradigme : Structure-Comportement-Performance

B.1. Définition et Objectif.

Le paradigme Structure-Comportement-Performance (SCP) est originaire du champ de l'économie industrielle. D'abord développé par Mason (1939) puis affiné par Bain (1968), il a été largement utilisé pour analyser des industries et des stratégies concurrentielles. Ce paradigme, dans sa forme la plus simple soutient qu'il y a un rapport causal unidirectionnel reliant la structure du marché au comportement des firmes en présence et ensuite à la performance (S C P). En d'autres termes, la structure du marché affecte le comportement des firmes dans une industrie et ce dernier affecte à son tour la performance. Cependant la formulation originelle du paradigme SCP n'a pas toujours fait l'unanimité parmi les chercheurs.

B.2. Différentes écoles de pensée.

La relation entre les indicateurs (structure, comportement et performance) est approchée différemment selon les écoles. Pour l'école de Harvard (Bain et Mason), la performance d'une branche d'activité qui est sa capacité à satisfaire les consommateurs y est considérée comme dépendante du comportement moyen des entreprises en place, comportement lui-même déterminé par les caractéristiques structurelles du marché, qui elles-mêmes sont dépendantes des conditions de base de l'offre et de la demande. Sur un plan méthodologique, l'économie industrielle est de type structuraliste puisque la structure demeure

le facteur explicatif déterminant des performances du marché. Pourtant, pour l'école de Chicago (avec Stigler), le Comportement des firmes est le facteur explicatif déterminant de la performance du marché et cette dernière influence la structure (C P S). Cette nouvelle approche de type behavioriste part du principe que les stratégies des acteurs, analysées dans une logique de domination, visent essentiellement pour les entreprises à s'affranchir des structures des marchés qui les abritent. La Nouvelle Economie Industrielle avec Jean Tirole, veut que le comportement détermine la structure et la performance du marché, mais établit également une relation inverse telle que P influence C et S.

De façon plus générale, le paradigme conditionne l'état du marché par son environnement global qui inclut les conditions de base de l'offre et de la demande et la politique gouvernementale (Tab.1).

Conditions de base

Demande Offre

Elasticité demande Technologie

Substituts Matières premières

Taux de croissance Durée de vie du produit

Position géographique Position géographique

Méthode d'achat Economie d'échelle

Structure
Nombre d'acheteurs et de vendeurs
Barrières à l'entrée
Différentiation des produits
Intégration verticale
Diversification

Comportement
Publicité
Recherche & Développement
Fixation des prix
Investissements
Choix du produit
Entente

Performance
Prix
Emploi
Qualité du produit
Progrès technique
Profits

Réglementation
Politique antitrust
Barrière à l'entrée
Taxes et subventions
Incitations à l'investissement
Incitations à l'emploi
Politiques macroéconomiques

Politique Gouvernementale

Tableau du paradigme Structure-Comportement-Performance Tab.1

B.3. L'Environnement global du marché.

B.3.1 Les conditions de base.

Les conditions de base font référence du coté de la demande à l'élasticité, le taux de croissance, la position géographique de la demande, etc. Du coté de l'offre ce sont la technologie utilisée, les matières premières, les économies d'échelle, des substituts, la position géographique, etc. Celles-ci ont un impact réel sur la structure du marché. La position géographique de l'offre par exemple peut déterminer le nombre de vendeurs intervenant sur le marché, alors que le type de technologie utilisée peut être un facteur de différenciation ou encore peut constituer une barrière à l'entrée. De même un fort taux de croissance de la demande d'un bien peut inciter l'entrée dans le secteur d'un plus grand nombre de d'offreurs, tandis que le choix d'une technologie peut entraîner une limitation de l'offre.

En retour, la structure de marché influence les conditions de base en ce sens que l'existence d'un nombre important d'acheteurs permet au producteur de réaliser des économies d'échelle. De plus, la mise en place de barrières à l'entrée peut éliminer ou du moins limiter le nombre de produits substituts. Les conditions de base sur un marché subissent également l'influence des politiques publiques. En effet, une politique d'incitation à l'emploi aura une incidence positive sur le pouvoir d'achat des consommateurs, ce qui favorise d'avantage une économie d'échelle pour les firmes en place. De même une politique d'incitation à l'investissement peut entraîner l'apparition de substituts dans le secteur.

B.3.2 La politique gouvernementale.

La politique gouvernementale influence les conditions de base, la structure du marché, mais aussi le comportement des agents et la performance du marché. Les pouvoirs publics disposent de divers moyens pour influencer le marché, ils peuvent agir à travers les taxes et subventions, les politiques antitrust, les politiques macroéconomiques, les organes de régulation, etc.

Elle détermine le comportement des agents à travers les politiques d'incitations à l'investissement, alors que les taxes et subventions ont un impact sur le niveau des prix fixés par les entreprises ; les politiques antitrust limitent les éventuelles ententes entre firmes. D'un autre coté, la politique gouvernementale peut jouer un rôle décisif dans la performance du marché notamment à travers les incitations à l'emploi. De même, elle influence la structure du marché en ce sens que les barrières à l'entrée et la réglementation d'un marché déterminent le nombre de vendeurs intervenant sur ce marché

B.4. Structure de marché.

La structure se réfère aux facteurs physiques, environnementaux et institutionnels qui influencent les
interactions parmi les firmes participantes. Traditionnellement, elle a été mesurée en terme de

concentration du marché (Offre et Demande), d'existence de barrières à l'entrée, de degré de différentiation de l'offre (produits, services), etc. Cependant, pour chacune des structures de marché présentées ci-dessus, on ne retrouve pas une situation d'allocation optimale des ressources puisque, dans chaque cas, la structure en question donne lieu à des déficiences toujours néfastes pour le bien-être de la collectivité.

En situation de monopole, l'opérateur peut ne pas offrir le service en quantité suffisante en vue de maximiser ses rentes (demande non satisfaite). Avec l'oligopole, la société court le risque de voir les prix s'élever considérablement dans le cas où il y aurait des ententes (tacites ou explicites) entre les firmes ; et aussi d'enregistrer des distorsions au niveau des prix (cas de l'oligopole non soutenable). Cependant, la structure du marché peut influencer le choix d'un comportement. L'existence d'un grand nombre d'offreurs pour un même produit par exemple peut inciter un producteur à favoriser une politique de R&D en vue d'arriver à une certaine différenciation de son produit. Alors qu'un producteur a tendance à réduire le niveau des prix fixés pour son produit à mesure que le nombre de vendeurs augmente.

B.5. Comportement des firmes.

Le comportement signifie ce que font les firmes et la manière dont elles le font. Cela inclut les stratégies de positionnement, de R&D, de production, de prix, de distribution, etc. Cela inclut également des variables de stratégie générale comme les pratiques collusives ou encore les activités de fusions et d'acquisitions. Le choix d'un comportement peut avoir un impact réel sur la structure du marché. Par exemple, la décision de faire de la recherche et développement une priorité permet à la firme d'arriver à une certaine différenciation de son produit, ou encore la pratique d'entente peut amener à un plus petit nombre d'offreurs, etc. De même, la volonté de protéger les intérêts de groupe ou individuels engendre la création de groupes de pression qui influence dans un sens ou l'autre les politiques gouvernementales. Toutefois, un agent rationnel doit prendre en compte, en choisissant sa stratégie l'environnement dans lequel évolue son entreprise.

Les stratégies des firmes.

D'une façon générale, face aux structures de marché, les firmes ne restent pas statiques, elles cherchent constamment à se développer, à être en même temps efficientes et à demeurer sur le marché. Pour ce faire, elles appliquent des stratégies qui dépendent des structures de marché existantes et qui à leur tour ont des effets sur ces structures de marché. Le plus souvent, les firmes adoptent deux catégories de stratégies :

B.5.1. Les stratégies de coopération inter firme.

Ces stratégies consistent à définir vis-à-vis des concurrents et des principaux acteurs intéressés à la vie de la firme, des équilibres subtils lutte/concurrence. Parmi ces stratégies nous avons les stratégies d'alliance et les stratégies d'internationalisation.

· Les stratégies d'alliance.

Les stratégies d'alliance sont conçues dans le but d'atteindre la compétitivité nécessaire pour faire face à la concurrence. On distingue :

a) Les stratégies relationnelles qui comprennent d'abord ; les stratégies d'entente où les firmes passent entre elles des accords, ayant pour objet de restreindre ou de supprimer la concurrence susceptible de les opposer dans certains domaines de leurs activités tout en leur laissant une certaine autonomie économique et financière dans d'autres domaines, par exemple les cartels. Ensuite, les stratégies d'impartition qui se font dans le cas où une entreprise confie ou délèguent à une autre la réalisation d'un objet, d'un rôle ou d'une fonction plutôt que de l'assurer elle-même, par exemple la sous- traitance.

b) Les stratégies de croissance externe pour leur part supposent l'association entre deux ou plusieurs sociétés par un mécanisme financier se traduisant en un transfert de droit de propriété à une société nouvelle où à l'une des sociétés anciennes qui voit alors son pouvoir économique augmenté par exemple la concentration.

· Les stratégies d'internationalisation.

Ces stratégies visent principalement l'élargissement du marché, il en existe trois types :

a) Les stratégies d'exportation qui comprennent : l'exportation directe qui se fait à travers une structure commerciale propre à l'entreprise, par exemple (Coca cola, Shell, Texaco). L'exportation sous traitée qui consiste à vendre sur le marché extérieur grâce à l'intermédiation d'opérateurs spécialisés dans le commerce international, par exemple Berhman Motors. L'exportation concertée qui peut prendre des formes variées de groupement tels les accords, les contrats, les clubs entre entreprises de même pays ou de pays différents.

b) L'investissement industriel direct, on passe d'une exportation de produits à une exportation de capitaux. Il y a une implantation de filial, on parle généralement de filial atelier pour la production et de filial relais pour la commercialisation.

c) Les accords ou système contractuel, dans ce cas l'internationalisation peut prendre deux formes : soit par le recours à des modes de présence sans investissement à travers la concession de

licence et la franchise. Soit par l'alliance avec des partenaires pour l'investissement et la création de filiale commune.

L'élargissement des marchés des firmes à travers ces politiques d'internationalisation aboutit au concept de firme multinationale (FMN).

Les firmes multinationales

Une firme multinationale (FMN) pourrait se définir, de manière large, comme une firme possédant ou contrôlant des entreprises implantées dans plusieurs pays et en mesure d'élaborer une stratégie qui s'appuie sur les différences socio-économiques de ces pays. La théorie moderne des FMN met l'accent sur deux éléments expliquant son existence : la théorie de la localisation, celle-ci est souvent déterminée soit par les ressources, soit par la baisse des coûts de transport ou d'autre barrières aux échanges pouvant déterminer la localisation. La théorie de l'internalisation, il y a toujours des liaisons étroites entre les opérations d'une FMN dans les différents pays. La production d'une filiale sert souvent d'intrant dans la production d'une autre filiale, la technologie mise au point dans un pays peut être utilisée dans d'autres, un service de gestion peut coordonner les activités des usines de plusieurs pays. La conception, le développement, le financement et les fonctions essentielles de l'entreprise sont repartis entre les sociétés affiliées. Ce sont ces transactions qui font l'unité de la FMN et on peut présumer que la firme existe précisément pour faciliter ces transactions.

La multinationalisation d'une entreprise vise principalement à rechercher un avantage de coût et l'accroissement de l'échelle de production

Avantage de coûts :

Il existe des écarts de coûts entre les pays, et l'entreprise cherchera à en bénéficier. Elle adopte alors des stratégies de minimisation des coûts qui se traduisent par la recherche de coûts avantageux en matière :

· Salariale (main d'oeuvre souvent moins onéreuse)

· Sociale (dispense des régimes de production sociale)

· Fiscale (existence de paradis fiscaux)

· Possibilité de contourner les obstacles douaniers

· Possibilités de contrôle des réseaux de distribution

Accroissement de l'échelle de production

Pour atteindre cet objectif la firme multinationale utilise généralement une stratégie de volume pour acquérir une plus grande part sur chacun de ses marchés. Elle aspire également à réaliser des économies d'échelle et de plus grand profit à moyen et à long terme. L'accroissement de l'échelle de production permet à la firme d'obtenir :

· Frais de transport allégés. · Droits de douane allégés

· Aucune rémunération d'intermédiaires · Accroissement de la compétitivité

· Barrières protectionnistes contournées · Meilleure veille technologique mondiale

· Meilleure veille commerciale mondiale · Image de marque internationale des produits

· Adaptation aux spécificités des marchés internationaux.

· Elimination des coûts des transactions internationales

B.5.2. Les stratégies face à la concurrence de Michael Porter

Une stratégie face à la concurrence, suppose l'adoption d'actions offensives et défensives pour mettre la firme dans une situation tenable au sein du secteur, pour lui permettre de faire face avec succès aux forces de la concurrence, et, par là, lui assurer un meilleur rendement de son investissement. L'état de la concurrence qui prévaut dans un secteur dépend de cinq forces fondamentales qui sont : la menace de nouveaux entrants potentiels, le pouvoir de négociation des clients, la menace de produits ou services substituables, le pouvoir de négociation des fournisseurs et la rivalité entre les firmes existantes. Le jeu combiné de ces forces détermine conjointement l'intensité de la concurrence et la rentabilité du secteur.

Trois grandes catégories de démarche stratégique, adaptées aux cinq forces de la concurrence, peuvent permettre à une firme de surclasser avec bonheur les autres firmes d'un secteur :

V' Une domination globale au niveau des coûts

V' Une différenciation

V' Une concentration de l'activité

B.5.2.1. La stratégie de domination au niveau des coûts.

La domination globale au niveau des coûts consiste à exploiter toutes les sources possibles d'avantage de coûts, elle nécessite la mise en place offensive d'installations d'échelle efficace, la recherche vigoureuse de réduction de coûts que permet l'expérience, le contrôle serré des coûts et des frais généraux, l'application de technologie exclusive, etc. les dirigeants doivent consacrer une bonne part de leur attention au contrôle des coûts, s'ils veulent atteindre ces objectifs. Elle entraîne des investissements massifs dans des équipements modernes et supposent la mise en oeuvre d'une politique commerciale très agressive. L'obtention d'un coût faible par rapport à celui des concurrents devient le thème directeur de toute la stratégie.

Lorsqu'elle parvient à une situation où son coût est faible, la firme obtient des profits supérieurs à la
moyenne du secteur, malgré la vivacité des forces de la concurrence. Sa situation, dans le domaine des
coûts, défend la firme contre les agressions de ses concurrents, parce que la faiblesse relative de ses

coûts signifie qu'elle peut continuer à faire des profits après que ses concurrents aient épuisés les leurs dans le conflit. Une situation favorable au niveau des coûts défend la firme contre des clients puissants, parce que les clients ne peuvent exercer leur pouvoir que pour baisser les prix jusqu'au niveau de ceux du concurrent de la firme la plus efficace. Un coût faible est une défense contre les fournisseurs puissants, parce qu'il accroît la flexibilité lorsqu'il faut faire face à des hausses des coûts des facteurs de production. De plus, les facteurs qui conduisent à une situation où les coûts sont faibles aboutissent généralement à d'importants obstacles à l'entrée, en terme d'économies d'échelle ou d'avantages de coût. Enfin, une situation de faible coût assure en général à la firme une position plus favorable par rapport aux produits de remplacement que celle de ses concurrents au sein du secteur.

L'obtention d'une position de domination globale au niveau des coûts exige souvent une forte part de marché relative ou d'autres avantages, tels qu'un accès favorable aux matières premières. Elle peut également nécessiter le maintien d'une large gamme de produits connexes afin de répartir les coûts et exiger que tous les grands groupes de clients soient desservis pour que le volume de production atteigne le niveau voulu. La mise en oeuvre d'une stratégie de faible coût peut nécessiter une politique de prix agressive et engendrer des pertes de démarrage, le temps de consolider la part de marché. Une part de marché élevé peut à son tour permettre des économies au niveau des achats qui réduisent encore les coûts. Une fois atteinte, la situation de faibles coûts procure des marges élevées qui peuvent être réinvesties en équipements neufs et en installations modernes qui à leur tour viendront renforcer la domination obtenue au niveau des coûts. Ces réinvestissements peuvent très bien être une condition préalable pour assurer le maintien d'une situation de faible coût. Cette stratégie peut être obtenue : soit par le choix d'une stratégie de volume, en augmentant sa production l'entreprise peut bénéficier d'économie d'échelle et d'effet d'expérience, soit par le choix d'une stratégie d'efficience, celle-ci passe par la rationalisation de tous les coûts entrant dans l'activité.

Une stratégie de domination au niveau des coûts a parfois révolutionné un secteur, où les bases anciennes de la concurrence étaient différentes et où les concurrents étaient mal préparés, par myopie ou pour des raisons d'ordre économique à prendre les mesures nécessaires pour une minimisation des coûts.

B.5.2.2. La stratégie de différenciation des produits.

La seconde stratégie de base consiste en une différenciation du produit ou du service offerte par la firme, qui vise à créer quelque chose qui soit ressenti comme unique au niveau de l'ensemble du secteur. Les démarches de différenciation peuvent prendre bien des formes : une conception originale ou une image de marque (mercedes pour les automobiles), une forme technologique (coleman pour le

camping), l'apparence extérieur, etc. une différenciation réussie est une stratégie viable pour obtenir des profits supérieurs à la moyenne du secteur. Il existe plusieurs types de différenciation, deux critères permettent d'établir cette typologie :

· Le degré de cette différenciation, quand on le considère on distingue deux types.

La différenciation maximale, lorsque deux produits sont perçus tout à fait différemment par le consommateurs que cette différenciation a été provoquée ou non. La différenciation minimale, lorsque les produits sont considérés comme identiques par les consommateurs.

· La nature de la différenciation, on distingue :

La différenciation verticale qui tient soit aux caractéristiques du produit (sa marque, la qualité), soit aux conditions de sa vente. La différenciation horizontale, selon laquelle la préférence de l'acheteur pour le produit est dans beaucoup de cas psychologique et tient à des facteurs personnels. La différenciation informationnelle selon laquelle la préférence pour un produit peut venir de la quantité d'information que détient l'acheteur.

La différenciation met la firme à l'abri des agressions des concurrents, en raison de la fidélité des clients envers la marque et de la plus faible sensibilité à l'égard du prix qui en résulte. Elle augmente les marges, ce qui évite la recherche d'une situation de faible coût. La fidélité de la clientèle qui en résulte et le fait que les concurrents doivent surmonter la difficulté qui constitue le caractère unique du produit font apparaître des obstacles à l'entrée. La différenciation assure des marges plus élevées, qui permettent de faire face au pouvoir des fournisseurs, et elle estompe sans aucun doute le pouvoir des clients, puisque les clients ne disposent pas d'articles comparables et sont en conséquence moins sensible au prix. Enfin, la firme qui s'est différenciée pour acquérir la fidélité des clients devrait se trouver dans une position meilleure que ses concurrents face aux produits de remplacement. La différenciation peut parfois interdire la conquête d'une part de marché élevée. Elle exige souvent un sentiment d'exclusivité, qui est incompatible avec une part de marché importante.

B.5.2.3. La stratégie de concentration.

La dernière stratégie de base consiste à se concentrer sur un groupe de clients particulier, sur un segment de la gamme des produits, sur un marché géographique. Comme la différenciation, la concentration peut prendre différentes formes. Toute la stratégie de concentration s'organise autour d'une cible particulière à laquelle on s'efforce de procurer un très bon service. Cette stratégie repose sur l'idée que la firme est capable de desservir sa cible stratégique restreinte plus efficacement, ou en consommant moins de ressources, que les concurrents qui luttent dans un domaine plus large. Même si

la stratégie de concentration n'assure pas des coûts faibles ou une différenciation dans le cadre d'une perspective qui embrasserait l'ensemble du marché, elle permet d'atteindre l'une des deux situations ou les deux à la fois face à la cible restreint qui est visée sur le marché.

Les comportements des firmes constituent donc un variable important qu'il faut bien saisir quand on cherche à comprendre l'évolution d'un marché, ils sont déterminants dans l'explication de leur performance. Par exemple, une entreprise qui choisit d'investir dans une politique de R&D se donne les moyens de développer un produit de meilleure qualité. Par ailleurs, lorsque dans un secteur plusieurs firmes concluent une entente unissant leurs activités, elles deviennent plus fortes et sont en mesure de pratiqués des prix plus élevés sur le marché.

B. 6. La performance du marché

La performance fait référence autant aux résultats pour l'industrie dans son ensemble que pour les firmes individuelles. Elle est généralement mesurée en terme de rentabilité, d'efficacité de production, de progrès technique, de croissance, etc. Le niveau de performance atteint influence les comportements des entreprises évoluant sur le marché. L'obtention de profits élevés porte généralement les firmes à se lancer dans de nouveaux investissements ou encore à mener des politiques de R&D, etc.

La formulation originelle de l'hypothèse SCP était simplement qu'une plus forte concentration du marché (un nombre plus réduit de firmes) conduirait généralement à une concurrence moins vive (exprimée par des prix plus élevés et des volumes plus faibles). A partir des années 1970, une base théorique plus rigoureuse pour l'hypothèse SCP a été progressivement construite tandis que beaucoup d'études empiriques ont également été conduites dans divers contextes. L'approche SCP devint alors rapidement très populaire parmi les chercheurs en économie industrielle. Le paradigme a été également considéré comme un dispositif important pour saisir les rapports essentiels entre la structure des marchés, le comportement stratégique des firmes et la performance. Le succès initial du paradigme SCP s'explique sans doute par l'extrême simplicité de sa structure de base : les catégories principales à mobiliser sont clairement identifiées et, puisque l'approche n'est pas spécifique à une industrie, elle a pu être appliquée à une large variété de secteurs, rendant ainsi possible plusieurs comparaisons intersectorielles.

B. 7 Les Limites.

La nouvelle économie industrielle (New Empirical Industrial Organization) adresse quelques critiques majeures au courant SCP :

a- La marge (prix - coût) ne peut être directement observée via les données comptables sur les firmes et les secteurs.

b- Les analyses interindustrielles sont peu pertinentes dans la mesure où SCP néglige trop les spécificités institutionnelles de chaque secteur.

Au niveau théorique, l'accent est placé sur la description des structures du marché et sur leurs liens directs avec les performances réalisées. Le rôle des comportements est minimisé dans la mesure où les entreprises sont supposées poursuivre le même objectif et de s'adapter plus ou moins passivement aux conditions de leur environnement industriel.

Une autre critique majeure adressée au paradigme SCP est son aspect unidirectionnel : S. C. P

Selon la Nouvelle Economie Industrielle (Tirole, 1993), S n'est plus une donnée, ce sont les stratégies (C) de firmes rationnelles qui "construisent" les structures de marché.

Soit S, C et P des vecteurs représentant des ensembles de structures de marché, de comportements et de performances. En économie industrielle traditionnelle : C= C(S), P= P(C, S)= Ö(S)

Dans cette optique, le changement est considéré comme étant exogène au système, et comportements et performances sont envisagés comme structurellement déterminés. Le caractère évolutif et historique du processus de concurrence (possibilités de rétroaction allant des performances vers les comportements et des comportements vers certaines structures qui deviennent ainsi endogènes) n'est pas pris en compte : on parle de système statique.

En dépit des critiques adressées au paradigme SCP8, sa validité n'est de toute évidence pas trop ébranlée et reste encore le cadre de référence des études en organisation industrielle. En effet, les études empiriques tendent à démontrer et même continuent à prouver que le cadre théorique de l'analyse reste valable quoique des ajustements du raisonnement initial semble toujours nécessaires et que les conclusions des analyses plus récentes sont plus nuancées. Ainsi, la NEIO apporte des aspects méthodologiques novateurs qui, avec le paradigme SCP, sont utilisés pour améliorer le cadre d'analyse des marchés en économie industrielle. Ce sont : L'utilisation croissante des outils de la microéconomie, des modèles de la concurrence imparfaite et surtout la théorie des jeux qui permet de modéliser les interactions stratégiques des firmes dans un secteur.

8 CNAM - Dynamiques Industrielles et Stratégies Concurrentielles

C. Théorie des jeux.

La théorie des jeux est avant tout un cadre d'analyse complémentaire du paradigme SCP, elle prend en compte dans l'analyse de la performance du marché, l'importance des interactions stratégiques qui se jouent entre les agents intervenant sur le marché.

Généralement, les décisions prises par un agent affectent directement la satisfaction d'autres agents. Par exemple, l'entrepreneur qui lance un nouveau produit espère généralement prendre des parts de marché à ses concurrents. Il choisit le prix, la quantité produite, la qualité, les distributeurs et les formes de publicité afin d'obtenir les profits les plus élevés possibles. L'ensemble de ces choix affecte évidemment le profit des concurrents. Or, il n'y a aucune raison pour que les concurrents restent passifs et ne répondent pas aux décisions de l'entrepreneur par des choix qui auront aussi une influence sur ses profits. Cet exemple suggère que les interactions individuelles sont souvent source de conflits potentiels. La théorie des jeux analyse la manière dont les individus (considérés comme des joueurs rationnels) agissent dans de telles situations. Confrontés à des situations conflictuelles, ceux-ci peuvent décider de coopérer, en choisissant leurs décisions d'un commun accord, ou bien de se comporter de manière individualiste.

Un jeu est une modélisation d'une situation d'interaction décisionnelle. Un jeu stratégique est un ensemble de règles qui encadre ou contraint le comportement des joueurs et qui déterminent les gains des joueurs sur la base des actions entreprises. Les ingrédients minimaux nécessaires pour décrire un jeu sont : les joueurs, les actions possibles pour chaque joueur, les règles du jeu et le résultat du jeu pour chaque fin possible.

C.1. Les différentes formes de jeux.

On distingue la théorie des jeux coopératifs qui analyse la cohérence des décisions d'un groupe et la théorie des jeux non coopératifs qui étudie la cohérence des choix individuels. Fortement marquée par l'individualisme méthodologique, la microéconomie utilise essentiellement la théorie des jeux non coopératifs. Cela ne signifie pas que les concepts d'engagement et d'accord sont absents de la nouvelle microéconomie, mais ils sont abordés dans une perspective non coopérative9.

La théorie des jeux se propose donc d'étudier toute situation dans laquelle les agents rationnels interagissent, elle est une manière formelle d'analyser l'interaction dans un groupe d'agents rationnels qui ont un comportement stratégique ; son champ d'application est extrêmement vaste, il englobe en particulier toute la micro-économie traditionnelle.

9 La nouvelle microéconomie : Pierre Cahuc

Les jeux sous forme extensive constituent un des modèles les plus simples où tous ces aspects sont présents. Il s'agit d'un modèle où les joueurs choisissent séquentiellement leurs actions (suivant certaines règles), jusqu'à un moment où le jeu est déclaré fini.

Les jeux sous forme extensive ont naturellement une structure arborescente, et peuvent donc être décrits par l'utilisation d'un arbre orienté, appelé arbre de décision ou encore arbre du jeu. On appellera un arbre de jeu tout triplet ordonné (X, x0, f) vérifiant :

· X ensemble des noeuds (au plus dénombrable) ;

· x0 X étant la racine de l'arbre;

· f est une application de X\{x0} vers X telle que : quel que soit x X\ {x0}, il existe un unique entier n 1 tel que f(n)=fof ...of, n fois.

X désigne l'ensemble des noeuds, x0 est la racine de l'arbre et f(x) est l'unique prédécesseur
immédiat du noeud x. L'ensemble T des noeuds terminaux est l'ensemble des noeuds qui ne sont les

prédécesseurs d'aucun noeud : T={x X f(y)x, yX}.

Le jeu est donc une compétition dans laquelle le comportement stratégique joue un rôle important. Chaque entrepreneur (joueur) conçoit une stratégie, c'est-à-dire le plan des actions à engager. Le gain de chaque entreprise, ce qu'elle reçoit à la fin du jeu, son profit , dépend de l'action de toutes les entreprises concurrentes.10 En théorie des jeux, la notion de Stratégie constitue un concept central. Pour les jeux sous forme extensive, elle indique un plan d'action complet pour chaque joueur spécifiant ce que fera ce dernier à chaque noeud de l'arbre et face à chaque situation pouvant survenir au cours du jeu. De façon générale, on définit une Stratégie pour un joueur dans un jeu sous forme extensive comme une fonction qui associe à chaque ensemble d'information, une action dans l'ensemble des actions possibles à cet ensemble d'information.

Plus précisément : si {Ui1.Ui2....} est la partition d'information du joueur i, si A(Uij) est l'ensemble des actions possibles à Uij et si Ai = Uj=1,2,..[A(Uij)] alors une stratégie Si du joueur i est une fonction :

Si : {Ui1.Ui2....} ? Ai telle que j : Si(Uij) A(Uij).

On notera Si l'ensemble de toutes les stratégies possibles du joueur i.

En théorie des jeux on distingue :

Stratégie gagnante : une stratégie qui permet de gagner quel que soit ce que font les autres joueurs. Stratégie dominante : on dit que si' Si est une stratégie dominante pour le joueur i s'il existe si Si

avec si si' / Ui(si', s-i) Ui(si, s-i). Avec s-i Si

10 Réf : Cours d'Economie Industrielle, prof. M. J. Garnier, CTPEA.

Stratégie strictement dominée : si' Si est strictement dominée pour le joueur i, s'il existe une autre stratégie si Si / Ui(si, s-i)Ui(si', s-i). Avec s-i S-i

Equilibre de Nash : L'équilibre de NASH décrit une issue dans laquelle aucun joueur ne souhaite modifier son comportement étant donné la stratégie de ses rivaux. Un profil de stratégie s*=(s*i)i N S est un équilibre de Nash du jeu si et seulement si, i N, siSi : ri(s*i, s*-i) ri(si, s*-i)

En théorie des jeux on définit en fonction de la durée, des jeux statiques dans lesquels les rivaux ne sont qu'une seule fois en compétition, les comportements antérieurs n'entrent pas en ligne de compte. Dans ce cas, chaque entreprise va appliquer la stratégie qu'elle a choisie et ne va pas la modifier. On retrouve ici le concept d'équilibre de Nash, c'est-à-dire un ensemble de stratégies qui procurent à une entreprise le profit ( ) le plus élevé, les stratégies des autres étant connues.

On parle également des jeux dynamiques ou Jeux à plusieurs périodes. Dans ces jeux, les entreprises appliquent des stratégies complexes ; leurs comportements peuvent changer en fonction des résultats des périodes antérieures. Et lorsque dans les jeux répétés les joueurs connaissent les actions antérieures de leurs rivaux et conditionnent les actions de la période courante par celles des périodes antérieures, on parle de Super Jeux. Comme dans certains pays les lois anti-trust interdisent la communication directe ; les entreprises le font indirectement par le choix d'une stratégie. Elles peuvent par exemple choisir une stratégie multi-période de faible production pour signaler à leur rivale leur désir de coopérer en acceptant bien sur des pertes pendant plusieurs périodes, de même une entreprise peut menacer de sanctionner sa rivale (qui refuse de coopérer) en différenciant ses comportements.

Il convient de souligner que les jeux répétés ne débouchent pas nécessairement sur la coopération. Le type d'équilibre qui émerge du jeu à plusieurs périodes dépend des moyens mis à la disposition des joueurs ; ceux-ci dépendent du taux d'intérêt, de la durée du jeu et de la crédibilité de la menace. Les recherches récentes sur les jeux à plusieurs périodes se sont concentrées sur les équilibres qui résultent des stratégies crédibles, c'est-à-dire du sous-ensemble des actions mises en oeuvre par l'entreprise et bien comprises par les rivales.

Sur les divers marchés il existe plusieurs catégories de jeux :

Les jeux à informations parfaites : l'entreprise connaît les actions qui ont été choisies auparavant. Les jeux à informations imparfaites : les joueurs ne connaissent pas ce que les autres joueurs ont fait auparavant. Les jeux à informations incomplètes : le joueur ne connaît pas les caractéristiques précises de ses adversaires.

C.2. Utilisation de la théorie des jeux dans l'analyse des marchés des télécommunications.

La théorie des jeux est un corpus théorique basé sur les principes suivants : un ou plusieurs décideurs sont amenés à effectuer des choix stratégiques en fonction de possibilités de gain et de réactions supposées des autres joueurs. La théorie des jeux consiste alors à formaliser les scénarios possibles en fonction des choix de chacun puis à déterminer la meilleure stratégie pour un joueur. L'existence d'un petit nombre d'acteurs industriels en concurrence et la présence de règles du jeu parfois élaborées par les régulateurs font des télécommunications un champ d'application privilégié pour la théorie des jeux. Les directions générales ou de la stratégie des grands opérateurs des télécoms, ainsi que les autorités de régulation, utilisent la théorie des jeux pour simuler les comportements stratégiques dans les cas d'ouverture de marché ou de rapprochements d'acteurs.

Pour étudier ce marché, très souvent les spécialistes utilisent le Modèle de Bertrand.

Le modèle de Bertrand est un cas particulier des situations d'oligopole. Il analyse une situation d'oligopole où la variable stratégique est le prix et où les fonctions de coût des entreprises rivales sont identiques. Dans ces conditions, l'équilibre sur ce marché est tel que le prix fixé par chaque firme est identique et égal au coût marginal de production. Toutefois, puisque la demande du marché est parfaitement mobile entre les firmes, la pratique de prix identique à ceux des concurrents ne suffit pas à assurer un équilibre stable tant que le prix est supérieur au coût marginal. Car sous l'hypothèse que le prix est supérieur au coût marginal, chacun des concurrents pour renforcer sa position peut-être tentée de réduire son prix dès lors qu'il pense que les autres firmes maintiendront leur prix inchangé. Ainsi, le seul équilibre stable envisageable est celle où chaque concurrent pratique un prix identique et égal au coût marginal de production. Dans ce cas, selon le modèle de Bertrand la concurrence par les prix entre un petit nombre de firmes donne un résultat similaire à la concurrence parfaite.

Didier et Jean-Hervé Lorenzi11 ont avancé plusieurs raisons justifiant l'efficacité du Modèle de Bertrand comme outil permettant d'étudier le marché des télécommunications :

1) les coûts d'exploitation de ce secteur sont essentiellement fixes et le coût marginal d'une communication se résume à la faible quantité d'électricité consommée pour transmettre le signal. Or le modèle de Bertrand donne une meilleure approximation des industries à coûts marginaux assez faibles.

2) l'élasticité de la demande pour les produits des télécommunications semble supérieure à l'unité, comme en témoigne l'existence des différentes formules de forfaits pour garder sa clientèle. Cela incite les firmes à pratiquer des prix assez bas jusqu'à atteindre leurs coûts marginaux.

11 Le secteur des télécommunications entre monopole et oligopole', problèmes économiques no 2.158

La théorie des jeux connaît de grands succès notamment au niveau des marchés oligopolistiques, tels que les duopoles et les marchés en cours de dérégulation comme les télécommunications. Sur ces marchés le nombre d'intervenants est faible et l'on peut simuler les effets du passage de 1 à 2 acteurs puis de 2 à 3 acteurs, etc.

Trois cas de figure majeurs peuvent être simulés :

1. Pour un premier entrant12, une approche par les jeux sert à arbitrer entre les stratégies de coopération ou d'éviction face aux autres acteurs et à déterminer les stratégies de barrières à mettre en place. En particulier cette approche permet de déterminer la pertinence ou non des stratégies statiques (marque, base client, brevet,..) ou dynamiques (la standardisation ou à l'innovation).

2. Pour les nouveaux entrants, elle permet de comprendre les règles du jeu du marché pour mieux les détourner.

3. Pour tous les acteurs d'un marché oligopolistique, la théorie des jeux sert à prendre position sur les stratégies de coopération essentiellement liées au prix où ce variable est un facteur de différenciation fort, et donc où l'un des choix stratégiques clés est de s'engager ou non dans une guerre des prix.

Il faut noter que pour le marché des télécommunications, les simulations doivent prendre en compte les contraintes réglementaires adoptées par l'organe de régulation, par exemple elles peuvent déterminer les situations d'équilibres pour les entreprises ou peuvent prévenir les risques de cartel (pur équilibre coopératif) pour les autorités de régulations.

Tableau récapitulatif des principales théories utilisées. Tab.2

Théories utilisées

Théorie 1 La théorie des prix

Théorie 2 Le paradigme Structure-Comportement-Performance

Théorie 3 La théorie des jeux

Vérification de l'hypothèse

Pour vérifier notre hypothèse principale «La stratégie concurrentielle de la Digicel est le facteur déterminant du dynamisme du secteur de la téléphonie cellulaire en Haïti en 2006» nous utilisons le paradigme SCP comme principal cadre de référence permettant d'établir le profil d'un marché pour une période donnée. En outre, pour pallier les limites de ce paradigme nous utilisons la théorie des jeux qui permettra d'expliquer l'intéraction stratégique des opérateurs évoluant sur ce marché.

12 Monopole historique.

Chapitre 2. La présentation du marché du cellulaire haïtien de 1999 à 2006.

Ce chapitre est la présentation du marché de la téléphonie cellulaire. Tout d'abord nous présentons les progrès technologiques enregistrés dans la téléphonie cellulaire. Ensuite pour cerner le nouveau dynamisme observé dans le secteur nous faisons porter notre étude sur deux sous périodes : septembre 1999-avril 2006 et mai-décembre 2006. Sur chacune de ces sous périodes nous présentons la situation du marché du cellulaire à partir du paradigme SCP.

A. Progrès technologique dans la téléphonie cellulaire mobile.

L'essor des communications cellulaires mobiles a été spectaculaire, les 2 nouveaux marchés du secteur des télécommunications qui n'existaient pas encore il y a 20 ans, la Téléphonie mobile et l'Internet, ont été instrumentaux dans la refonte et la croissance de l'industrie. Les premiers systèmes cellulaires analogiques sont nés à la fin des années 60 et au début des années 70. Le terme « cellulaire » désigne la division de la zone de couverture en de nombreuses petites zones appelées cellules, chacune étant desservie par un émetteur et un récepteur de faible puissance. La division de la zone de service en cellules a constitué un changement fondamental parce qu'elle a permis d'exploiter le spectre radioélectrique d'une manière plus efficace.

Norme du cellulaire.

Les normes du cellulaire ont évolué tant au niveau de la fonctionnalité qu'au niveau de l'utilité, passant des réseaux analogiques dits de première génération aux systèmes numériques actuels de deuxième génération. Deux facteurs doivent être gardés à l'esprit. Premièrement, les réseaux cellulaires ont évolué à ce jour au titre d'un certain nombre de spécifications exclusives, régionales et mêmes nationales. Il n'existe pas actuellement de norme mondiale unique. Deuxièmement, le paysage cellulaire actuel comprend une combinaison de systèmes.

Les premières générations de téléphone cellulaire : 1G

Les systèmes mobiles de première génération, qui font appel à la transmission analogique des communications vocales, ont été lancés au début des années 80. Il s'agissait principalement des standards suivants :

· AMPS (advanced mobile phone system), apparu en 1976 aux USA, constitue le premier standard du réseau cellulaire.

· TACS (total access communication system) est la version européenne du modèle AMPS.

Les téléphones cellulaires de deuxième génération : 2G

La seconde génération de réseaux mobiles (notée 2G) a marqué une rupture avec la première génération de téléphones cellulaires grâce au passage de l'analogique au numérique. Les techniques cellulaires numériques présentent de nombreux avantages par rapport aux techniques analogiques, le principal atout étant une capacité accrue grâce à une utilisation plus efficace du spectre radioélectrique. Autre facteur positif, la transmission numérique permet d'acheminer non seulement la voix mais aussi des données à travers le spectre des fréquences radioélectriques, prenant en charge des applications telles que le service de mini messagerie (SMS, Short Message Service), le courrier électronique, etc. La téléphonie numérique améliore également la sécurité des transmissions de la voix et des données.

Les principaux standards de téléphonie mobile 2G sont les suivants :

CDMA (code division multiple access), utilisant une technique d'étalement de spectre permettant de diffuser un signal radio sur une grande gamme de fréquences.

TDMA (time division multiple access), utilisant une technique de découpage temporel des canaux de communication, afin d'augmenter le volume de données transmis simultanément.

GSM (global system for mobile communication), a été le premier système cellulaire numérique commercialement exploité. Le GSM a été mis au point dans les années 80 dans le but de promouvoir l'harmonisation régionale des réseaux cellulaires, il a été le système le plus utilisé en Europe à la fin du 20e siècle.

Les téléphones cellulaires de troisième génération : 3G

L'UIT (Union Internationale des Communications), dont l'un des rôles est d'établir des normes mondiales dans le domaine des télécommunications a commencé à élaborer des systèmes de troisième génération (3G) en portant son attention sur la nécessité d'harmoniser, au plan mondial, les normes relatives au spectre des fréquences et aux interfaces radioélectriques. L'UIT a pour objectif d'établir une norme mondiale relative aux systèmes 3G dans le cadre d'une initiative appelée IMT-2000 (International Mobile Telecommunications for the year 2000). Les IMT-2000 présentent trois caractéristiques distinctives :

o Compatibilité mondiale, en d'autres termes une itinérance mondiale avec transfert imperceptible, permettant aux utilisateurs de continuer à lancer et à recevoir des appels avec le même numéro et le même combiné lorsqu'ils passent d'un pays à l'autre.

o Débits de transmission plus élevés.

o Fourniture de services standard, par exemple via des réseaux fixes, mobiles ou à satellite, l'accès Internet devient plus rapide.

En Haïti les premiers réseaux de téléphonie mobile cellulaire apparus à la fin des années 90 étaient de type AMPS. Par la suite, des systèmes plus modernes de deuxième et troisième génération ont progressivement remplacés ces réseaux.

B. Le marché de la téléphonie cellulaire en Haïti : Septembre 1999-Avril 2006.

L'analyse du marché de la téléphonie cellulaire dans le cas d'Haïti nécessite la prise en compte de certaines caractéristiques propres au contexte d'évolution de ce secteur. Car avant même de parler d'investissement, l'agent rationnel se préoccupe en tout premier lieu de l'environnement dans lequel son entreprise devrait évoluer. La connaissance de l'environnement prend en considération les facteurs internes au marché ainsi que les facteurs externes qui permettront d'orienter les choix d'investissements les plus efficaces et qui devront influencer le fonctionnement de l'entreprise.

Toute entreprise qui désire s'installer en Haïti doit faire face à une série de contraintes qui ne sont pas sans importance quand il s'agira d'évaluer et d'analyser sa performance. Ces contraintes sont de divers ordres : sociopolitique, économique, culturel, démographique, infrastructurel, institutionnel, juridique etc. Ainsi, pour bien analyser le processus d'évolution du secteur de la téléphonie cellulaire en Haïti, il importe de prendre en considération ces différents facteurs que nous appelons dans le cadre de notre approche par le paradigme SCP, les conditions de base.

B. 1. Les conditions de base.

Les conditions de base regroupent d'une part des facteurs externes au marché qui sont principalement la situation sociopolitique du pays, son niveau de développement économique, le niveau d'infrastructure existant. D'autre part, des facteurs internes au marché de la téléphonie cellulaire : l'offre où sont prises en compte la situation technologique du pays, la possibilité de réaliser des économies d'échelle, l'existence de matière première, et la demande du marché dont les variables pertinentes sont l'élasticité prix de la demande, le nombre de substituts, etc.

B.1.1. Les facteurs externes.

Situation socio politique : Un entrepreneur qui décide de se lancer dans une quelconque entreprise espère en retour une certaine rentabilité de son investissement. Toutefois, la possibilité de réaliser d'énorme profits ne suffit pas à attirer les investisseurs si ces derniers considèrent que les risques liés à l'environnement sont trop élevés et que la sécurité de leurs capitaux n'est pas assurée à un niveau acceptable. Aux yeux de ceux-ci, le niveau de stabilité sociopolitique d'un pays constitue l'un des critères déterminants dès qu'il s'agit d'investir ou non.

Dans le cas d'Haïti, cette situation n'a pas toujours été favorable à l'investissement en raison de l'instabilité politique qui sévit depuis plus de vingt ans : coups d'état militaire, ingérence des acteurs internationaux dans la politique du pays, insécurité, etc. En outre, il faut souligner la décadence de nos institutions étatiques suite à ces problèmes politiques mais aussi causée par la fuite massive des cadres de ces institutions vers l'étranger. Cette défaillance institutionnelle et cette réalité politique sont révélatrices d'un environnement non propice aux affaires.

Niveau de développement économique d'Haïti : Haïti est connue pour son faible niveau de développement économique. L'économie haïtienne dépend très largement de l'aide étrangère, près de 60% du budget national 2006-2007 est couvert par les bailleurs de fonds internationaux ; la production agricole qui représente moins de 30% du PIB ne répond pas en terme de quantité et de qualité aux besoins de consommation de la population. La nation consomme principalement des produits importés et une grande partie de cette population vit à partir des transferts de devises sans contrepartie en provenance de la diaspora haïtienne lesquels en 2006 ont atteint un montant record de 1.650 milliard de dollars. Haïti est aussi connue comme le pays le plus pauvre des caraïbes, il accuse en moyenne un taux de croissance économique de 1.15% l'an13 et l'un des taux de croissance démographique les plus élevés de la région soit une moyenne de 2.2%. Le taux de chômage au sein de la population en âge de travailler est estimé à 70% et le taux d'analphabétisme, estimé à 50%, est encore très élevé comparé aux autres pays de la région qui accusent un taux moyen de 5%. A partir des enquêtes réalisées au sein des ménages14, 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté avec 2$ par jour et 60% de la population vit une situation d'extrême pauvreté avec moins d'un dollar par jour, ce qui classe ce pays comme le seul PMA du continent. Par ailleurs, l'ouverture des marchés nationaux à la concurrence internationale n'a fait que fragiliser pour ensuite détruire une production nationale très peu protégée par l'État. Cette politique économique a intensifé la paupérisation de la population dans les zones rurales, on voit alors se développer autour des villes, des bidonvilles, où ces nouveaux arrivants vivent dans des conditions de misères infrahumaines. Le faible niveau de développement économique d'Haïti est donc très certainement un obstacle à l'expansion des marchés notamment celui des télécommunications.

Situation des infrastructures dans le pays : L'existence des infrastructures de base joue un rôle assez important quand on veut attirer l'investissement nécessaire au bon développement économique d'une nation. En Haïti, l'absence des infrastructures est un problème réel qui paralyse l'activité économique et

13 DSRP-1, 27 septembre 2006, MPCE

14 World Development Bank report 2006

décourage bien de nombreux investisseurs. C'est un problème généralisé qui touche même les structures de base les plus élémentaires comme l'électricité ou encore les infrastructures de télécommunication. L'utilisation de la fibre optique devant permettre la transmission de données à haut débit reste un des objectifs à atteindre pour la modernisation des infrastructures de télécommunication. C'est donc dans ces conditions de carence généralisée des infrastructures que les compagnies de téléphonie cellulaire se sont installées et continuent à évoluer en Haïti.

Par ailleurs, la mise en place de réseaux mobiles se révèle plus difficile dans un pays aux reliefs plutôt hostiles. En effet, Haïti est un pays montagneux ce qui rend plus coûteuse la construction des réseaux mobiles qui exigent plus d'antennes dont la plupart doivent être placées dans des endroits élevés.

B.1.2. Les facteurs internes.

Les conditions d'offre : Haïti au niveau technologique est très peu avancée, nos jeunes sont de formation plutôt modestes et il y a une carence de cadres dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il n'existe presque aucune institution ou université qui a la possibilité de se lancer réellement dans la recherche et le développement, dans la production et la diffusion des dernières avancées en matière de technologie, d'où notre faible capacité d'absorption en ce qui a trait au transfert de technologie des pays développés vers Haïti.

D'autre part, dans le marché de la téléphonie cellulaire les principales matières premières utilisées pour la production du service de téléphonie mobile comme les terminaux, les puces électroniques, antennes, switch... ne sont pas produites sur place. Cette situation a des effets directs divers sur la performance du secteur, elle engendre des coûts plus élevés dans le processus de production de service des entreprises, ceci influence de façon directe les prix supportés par les consommateurs qui en retour ont un impact sur la croissance des firmes.

En effet, la possibilité de réaliser des économies d'échelle dépend de la valeur du marché qu'on peut estimer à partir du nombre de consommateurs potentiels et du pouvoir d'achat de ces derniers. La population haïtienne est estimée à plus de 8 millions d'habitants, 36,5% de cette population est âgée moins de 15 ans15 et 50% de cette population agée de moins de 21 ans. Une étude de l'UIT révèle que la téléphonie mobile est beaucoup plus demandée au sein des populations jeunes, toutefois en Haïti, la faiblesse du pouvoir d'achat des consommateurs en particulier des jeunes constitue une limite non négligeable qui pourrait porter à questionner la possibilité ou non de réaliser des économies d'échelle.

15 IHSI, Recensement Général de la Population et de l'Habitat (RGPH) 2003

La demande du marché : Entre 1999 et 2005, la demande sur le marché de la téléphonie cellulaire haïtien était peu élastique, ceci pour trois raisons : Premièrement il n'y avait pas beaucoup de substituts sur ce marché. Trois opérateurs desservaient ce secteur, mais seulement deux d'entre eux dans les faits étaient réellement opérationnels. Deuxièmement, il y a un aspect psychologique qu'il faut prendre en compte, le fait que peu de gens avait accès au service, la plupart des utilisateurs en faisaient un bien de luxe, un moyen de s'affirmer dans la société. Dans ce cas, la variation du coût d'utilisation de ce service n'influençait nullement la demande. De plus, comparativement aux autres secteurs considérés comme des alternatives à ce service notamment la téléphonie filaire (Teleco) et la téléphonie à mobilité réduite (Ti-telefon2004) dont la qualité des services et les capacités à absorber une forte demande laissaient à désirer, l'utilisation du réseau cellulaire réstait encore le meilleur choix pour un utilisateur. La demande était alors inélastique.

Toutefois, concernant les appels internationaux offerts par les opérateurs de téléphonie cellulaire, la moindre variation de prix implique automatiquement une variation de la demande. Dans ce segment si sensible, la Teleco avec ses services 103-102-104 est un concurrent très sérieux, il faut noter aussi que Ti-telefon 2004 qui est la version mobile de cet opérateur fournit un très bon service concernant les appels internationaux avec des prix concurrentiels. Enfin de compte, les cyber cafés dans ce domaine font beaucoup de profits avec par exemple 5 minutes d'appel pour seulement 25 gourdes. Pour cela on peut dire que les opérateurs cellulaires ont perdu des parts de marché assez considérables concernant les appels internationaux, et ceci rend la demande très élastique.

En termes de croissance, la demande sur le marché de la téléphonie cellulaire varie proportionnellement
avec la croissance de la population. A noter que la demande sur ce marché s'accentue généralement
chez ceux qui n'ont pas de téléphone filaire mais aussi chez les professionnels et surtout chez les jeunes.

B.2. Les politiques gouvernementales.

Les politiques gouvernementales constituent, avec les conditions de base, l'une des variables prises en compte par le paradigme SCP pour expliquer l'environnement global du marché. En Haïti, les institutions publiques en charge du marché des télécommunications sont le MTPTC16 et le Conatel. En 1977 un décret présidentiel accorde à l'Etat le monopole sur l'ensemble des services de télécommunication. Le Conatel, organe régulateur mis en place depuis 1969 est chargé d'assurer pour le compte de l'Etat la réglementation et la supervision des services. Avec l'adoption de la loi de 1987

16 Le Ministère de Travaux Publics, Transports et Communication

qui réorganisait le secteur des télécommunications, le Conatel élabore un ensemble de politiques lui permettant de mieux gérer le secteur.

Politique antitrust

Le Conatel de par sa vocation stipule qu'il a pour obligation de favoriser le développement du

marché des télécommunications sur tout le territoire Haïtien en prenant des dispositions au bénéfice du consommateur, de la concurrence effective et du marché dans son ensemble.

Barrières à l'entrée.

Les autorisations pour la fourniture d'un service de téléphonie (fixe ou mobile) seront

accordées seulement sur la base d'un appel public de soumission assorti d'un cahier des charges (appel d'offres) pour obtenir un contrat de concession avec l'état Haïtien.

Taxes et subventions.

Lors de l'implantation d'une compagnie téléphonique sur le marché celle-ci est soumise à

divers redevances et frais applicables au Conatel tels que : les frais d'homologation, les frais de procédure, les frais d'inspection et de contrôle, etc17.

B.3. Caractéristiques du marché sur la période 1999 à Avril 2006.

B.3.1. La structure du marché.

A la fin de l'année 1998, le marché haïtien de la téléphonie passe d'une structure de monopole à une structure plus concurrentielle avec en particulier l'entrée de compagnies de téléphonie mobile telles que la Rectel, la Haitel, la Comcel et un peu plus tard Ti-telefon2004.

La Rectel, compagnie haïtienne mixte a pu entrer en service en septembre 1998. L'investissement initial a été de $1.8 millions USD, la Teleco possédait 55% des actions et les fondateurs 45%. Une nouvelle association s'est produite par la suite avec IRIS s.a pour l'international et le fixe. Cette société possédait alors 27% des actions, les autres actionnaires 18% et la Teleco toujours 55%. Fonctionnant sur un horaire de 8 h am à 2 h pm du lundi au vendredi, elle comptait un personnel fixe de 5 employés. La Rectel, première compagnie de téléphonie mobile cellulaire utilisant la technologie AMPS comptait en 2002 près de 4200 abonnés18, malheureusement elle n'a pas fait long feu, car elle a cessé brusquement de fonctionner en 2003 pour des raisons dites « politiques » que personne ne veut évoquer. Pour cette raison et par manque d'information, nous avons jugé bon malgré nous de ne pas prendre en compte cet opérateur dans les analyses que nous ferons dans ce secteur.

17 Les frais applicables au Conatel sont développés sur le www.conatel.gouv.ht

18 S. Herisse, stratégie de marketing des entreprises de télécommunication privé en Haiti, UNIQ 2001

La Haitel SA, compagnie haïtienne composée d'actionnaires locaux, et d'un partenaire étranger ; la MCI worldcom, est entrée en service en mars 1999 et propose un téléphone sans fil grâce à la technologie numérique CDMA. Elle nous offre plusieurs produits tels : le téléphone fixe wireless, le téléphone portable, la cabine publique, l'Internet, le fax, etc. La Haitel est une entreprise qui fournit exclusivement des services de téléphonie cellulaire, elle travaille avec ses fournisseurs de portables comme Samsung, Qualcomm, Kyocera, puis avec des magasins de la place qui assurent la distribution des cartes prépayées. Dès son arrivé sur le marché, elle allait tout de suite rattraper la Rectel, car en 2000 elle disposait déjà de 4000 abonnés, en 2003 il y avait près de 100.000 abonnés pour arriver en avril 2006 à près de 250.000 abonnés.

La Comcel, avec comme partenaire étranger la (W.W.I) western wireless international et d'autres partenaires haïtiens, débuta officiellement le 1er septembre 1999 en offrant un service de téléphonie cellulaire à partir du téléphone portable avec la technologie numérique TDMA. Tout comme la Haitel, elle travaille avec ses fournisseurs de terminaux et avec près d'une centaine de magasins de la place qui assure la distribution des cartes prépayées. En 2001 elle comptait déjà près de 58,000 abonnés, en 2003 elle occupait la première place avec plus de 160.000 abonnés. A partir du mois de novembre 2005 elle consolidait largement cette première place avec ses 388.000 abonnés.

Ti Telefon 2004, compagnie de téléphonie mobile, est une filiale de la Teleco qui a vu le jour en décembre 2001. Cette compagnie est financée à 90% par la compagnie internationale UT Startcom et 10% par la Teleco. En avril 2006 elle avait près de 40.000 abonnés principalement à Port-au-Prince. Contrairement aux autres opérateurs, il n'utilise pas la technologie cellulaire mais plutôt la téléphonie à

Cfigati d m

mobilité réduite qui est une technologie consistant à installer des réseaux câblés et des boites qui émettent des signaux. Le problème est qu'on peut communiquer uniquement dans le périmètre que peuvent couvrir ces signaux, ce qui réduit justement la mobilité. Ti Telefon 2004 n'étant pas une compagnie de téléphonie cellulaire ne fera pas partie non plus des analyses qui seront élaborées dans le

4%

secteur de la téléphonie mobile cellulaire.

fig2.1

Source : Enquête réalisée auprès du Conatel.

D'autre part, il faut noter que pour entrer dans ce secteur les besoins en capitaux sont assez considérables, on parle de dizaine de millions de dollars pour l'octroi d'une licence de fonctionnement et de centaines de millions de dollars pour l'investissement et le fonctionnement de la compagnie. Pour entrer sur ce marché, un nouvel opérateur doit être en mesure de prendre des parts de marché au détriment de ses concurrents, cela en séduisant la clientèle existante et/ou en attirant une partie de la demande non satisfaite. Toutefois, les opérateurs déjà établis ont une image de marque et une clientèle fidèle, ce qui crée d'autres obstacles à l'entrée, contraignant le nouveau venu à de lourdes dépenses de publicité pour contrer la fidélité de la clientèle existante et de ce fait influencer son comportement.

B.3.2. Le comportement des opérateurs.

Entre 1999 et Novembre 2005, le marché du cellulaire haïtien a évolué dans un environnement plutôt paisible. La concurrence entre la Haitel et la Comcel se caractérisait par une similitude dans le comportement des deux opérateurs que certains observateurs qualifient d'entente tacite comme cela arrive assez souvent en situation de duopole. Cette situation se traduisait concrètement par des choix de politiques concurrentielles qui à la base se ressemblent, qu'il s'agisse des stratégies de marketing, d'investissement, ou encore la tarification des services, etc.

Politique d'investissement des opérateurs.

Les deux compagnies investissent des sommes importantes dans l'achat de capital : génératrices, bâtiments, terrains, appareils pour l'amélioration des services, construction de sites pour les antennes, etc. Cependant, il est nécessaire de faire ressortir une différence majeure dans le choix d'investissement des deux opérateurs : alors que la Comcel utilise la station terrienne19 de la Teleco pour établir des liaisons avec l'international, Haitel de son coté a investi près de 80 millions de dollars US pour monter sa propre station terrienne et acquérir de ce fait son autonomie par rapport à la Teleco.

Dès novembre 2005, certains facteurs vont porter la Comcel à reconsidérer ses stratégies et engendrer du coup une certaine rupture dans la manière de faire la concurrence qui semblait être acceptée par les deux rivales. En effet, vu la désuétude de la technologie TDMA, la Comcel s'est vue dans l'obligation d'adopter une technologie moderne pour survivre sur le marché. Elle a du alors consentir à des investissements supplémentaires pour être la première à adopter la technologie GSM qu'elle a commercialisé sous le nom de VOILA. Certaines raisons l'ont poussée à faire ce choix :


· Le système GSM est une technologie évoluant sans cesse et qui est supportée à travers le monde

tandis que le TDMA n'est plus utilisé.

19 Site de gestion des communications avec l'extérieur


· La qualité du service du GSM est meilleure que celle du TDMA.

· Remplacer les téléphones défectueux du TDMA devient presque impossible.

· La variété d'appareils GSM continue à augmenter tandis que les téléphones TDMA deviennent plus difficiles à trouver20.

· Le GSM 850 de Voila permet d'obtenir des cellules de taille importante, idéales pour couvrir à moindre coût des zones de moyenne et faible densité de population.

Stratégie de marketing des opérateurs.

Comme toute entreprise moderne, Haitel et Comcel pour sensibiliser et attirer la clientèle misent sur une politique de marketing, elles font du mécénat et sponsorisent des activités socioculturelles. En réalité, pour les deux opérateurs les dépenses consenties en marketing sont relativement faibles, ces dépenses concernent particulièrement les frais de publicité (spots radio et télédiffusés, affiches, etc.), la publication de magazines qui informent sur les activités de la compagnie, les annonces et publicités dans les journaux, la sponsorisation de groupes musicaux lors des festivités carnavalesques, etc. Par exemple, en 2001 Comcel a dépensé près d'un million de dollars US en marketing, environ 1,5 millions de dollars US en 2003. En 2005 pour lancer son nouveau système GSM (Voila), Comcel a mis en oeuvre une très spectaculaire campagne publicitaire qui porta le volume global des dépenses de marketing à près de 2.5 millions de dollars US. Face à la nécessité de rentabiliser cet investissement, elle lance une politique de marketing très active pour acquérir de nouvelles parts de marché. Elle a entrepris une politique publicitaire agressive et parvient du coup à se forger une nouvelle image de marque : le « V » de Voila qui a eu un impact sans équivoque sur le public. La Haitel pour sa part adopte sur ce point une stratégie plutôt différente, elle dépense beaucoup moins d'argent en marketing que la Comcel et concentre ses dépenses principalement en investissant dans les biens d'équipement pour l'expansion de son réseau21.

Politique de tarification.

Les tarifs pratiqués sur les services vendus sont quasiment les mêmes pour les deux opérateurs. Par exemple pour les services postpayés, les clients de la Haitel payent un frais d'abonnement mensuel de 1000 gourdes ce qui leur donne droit à des appels entrants gratuits pour le mois. Alors que les clients de la Comcel achètent une carte prépayée (Carte No-Limite) au prix de 1250 gourdes plus 1 0% de TCA, ils ont droit alors à un mois d'appels entrants gratuits et 60 minutes d'appels sortants. La tarification à la minute pour les deux opérateurs a toujours été la même : de 1999 à Décembre 2001 les appels entrants

20 Voila, document de presse 14-02-07

21 Selon les affirmations de monsieur Craan, responsable des relations publiques de la Haitel.

et sortants se payaient à 3 gourdes la minute ; à partir de Janvier 2002 les appels entrants et sortants étaient fixés à 5 gourdes la minute par les deux opérateurs. De même, le service de messagerie vocale était taxé à trois gourdes pour les clients de la Comcel et la Haitel. De plus, pour acheter un nouveau terminal le client doit être prêt à payer entre $50 USD (2150 Gourdes) et plus de $300 USD (12900 Gourdes). Ensuite, il doit payer des frais d'activation qui varient selon la marque du portable et ces frais peuvent varier entre $20 USD (860 Gourdes) et environ $50 USD (2150 Gourdes)22. Cependant avec Voila, le coût supporté par un nouvel abonné tournait autour de 1320 gourdes soit $33 US alors qu'auparavant il fallait au moins 3000 gourdes soit près $70 USD.

B.3.3. La performance du secteur.

Au niveau des prix, les coûts d'utilisation des téléphones cellulaire étaient exorbitants. De plus, ce service accessible seulement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et certaines villes de province couvrait près de 50% du territoire national. Ceci explique pourquoi seulement 8% de la population y avait accès. D'autre part, les abonnées se plaignaient assez souvent de la qualité du service, notamment de la qualité de transmission du son où des fois on enregistrait des coupures au niveau du signal. Toutefois, jusqu'en décembre 2005, Comcel et Haitel ont créé respectivement 600 et 500 emplois directs et plus de 5000 emplois indirects. Ces deux opérateurs ont toujours été présents au classement des plus grands contribuables de l'Etat haïtien dans lequel la Comcel occupait à la fin de l'année 2005 la place de leader avec près 1,141 milliards de gourdes alors que la Haitel a contribué à hauteur de 234 millions de gourdes. Ce qui confirme l'importance de ce secteur qui représente près de 8.47% des recettes totales de l'Etat23.

A partir de mai 2006 un troisième opérateur « Digicel » lance ses opérations en Haïti.

C. Le marché de la téléphonie cellulaire haïtien avec Digicel : Mai-Décembre 2006.

C. 1. Les premiers moments de Digicel en Haïti.

Avant l'arrivée de Digicel, le marché de la téléphonie cellulaire était accessible à quelques professionnels ou autres personnes ayant un certain pouvoir d'achat et se caractérisait par des tarifs prohibitifs. Le duopole Comcel-Haitel avait pour conséquence néfaste une diffusion modérée du téléphone cellulaire en Haïti.

22 Taux de change $1 USD pour 43 gourdes.

23 Pour l'exercice fiscal 2004-2005 les recettes totales de l'Etat étaient de 16,255 milliards de gourdes. Source :

M EF, Direction des Etudes Economiques.

En date du 3 juin 2005, l'État haïtien suite à un appel d'offre, a octroyé à Unigestion Holding S.A. (DIGICEL) un contrat de concession pour la construction et l'exploitation d'un réseau de téléphonie cellulaire selon la norme GSM. C'est dans le souci de renforcer la compétition et de stimuler le développement de ce segment de marché en Haïti, que l'État haïtien a introduit ce troisième opérateur. Unigestion Holding S.A. est le fruit d'un partenariat entre Digicel Limited, société de droit des Bermudes et GB Group société de droit haïtien qui se sont entendus pour participer à l'appel d'offres qui allait conduire au choix de DIGICEL Haïti.

Digicel, opérateur de téléphonie mobile, a été fondé par l'entrepreneur Irlandais Denis O'Brien. Présente dans 22 marchés de la zone Caraïbes (Jamaïque, Trinidad & Tobago, Barbade, Antigua, Martinique, Ste Lucie...), il est opérationnel seulement depuis 2001 avec l'acquisition d'une licence GSM en Jamaïque et se donne pour mission d'offrir à ses clients des produits et services mobiles innovants et faciles d'accès. Digicel est l'opérateur mobile ayant la croissance la plus rapide dans les Caraïbes avec des offres basées essentiellement sur le prépaye qui propulsent sa part de marché moyenne à travers la zone de 60%24. Dopée de ce succès rapide qui en fait en moins d'une décennie le plus grand opérateur mobile GSM de la région, cette firme multinationale vise l'élargissement de ses activités à d'autres pays environnants. C'est dans cette optique qu'elle entre en Haïti.

Avec la présence de Digicel en Haïti, les politiques gouvernementales ainsi que les conditions de base caractérisant ce secteur n'ont pas évolué, nous envisageons la description de ce secteur sur la période mai-décembre 2006 en fonction de la structure, du comportement et des performances du marché.

C.2. La structure du marché.

La Digicel va faire sa grande apparition en Mai 2006 en Haïti, considéré comme l'un des plus grands marchés de la zone (le troisième après Cuba et la République Dominicaine). Pour entrer sur le marché haïtien la Digicel a eu à faire face à certains obstacles tant sur le plan technique parce qu'elle opère à partir d'une licence GSM 1800 que sur le plan juridico légal.

Sur le plan technique, Digicel, obtient une licence GSM 1800. La bande de fréquences 1800 MHz est plus contraignante, elle est de portée plus courte que les fréquences 850 ou 900 MHz, le GSM 1800 ne peut fonctionner qu'avec des cellules de tailles plus petites, permettant de bien couvrir les zones denses. De ce fait le déploiement de son réseau, plus dense par nature, nécessite des investissements plus élevés que ses prédécesseurs.

24 www.digicelhaiti.com

Sur le plan juridico légal, la Digicel contrairement aux premiers opérateurs, n'a pas eu accès aux réseaux de la Comcel et de la Haitel, bien que l'interconnexion soit un droit que les lois existantes reconnaissent à tout nouvel opérateur.

L'interconnexion est un tuyau reliant deux opérateurs par lequel passent les communications d'un réseau à un autre. Pour cela, il faut d'abord avoir le tuyau, ensuite la capacité disponible pour s'interconnecter et enfin la régularisation des accords commerciaux. Dans les faits, le problème d'interconnexion résulte d'un désaccord entre les principaux opérateurs et le Conatel.

Selon Mme Gebara, PDG de Digicel Haïti, la Comcel a la capacité technique de faire25l'interconnexion. Ils s'étaient mis d'accord sur les modalités commerciales et pourtant rien n'a été fait.

La Haitel et la Comcel ont eu d'autres avis concernant ce problème. Mr. Coustaury, PDG de la Comcel stipule que le problème d'interconnexion est un problème purement commercial. De son coté, le PDG de la Haitel, Mr Franck Ciné fustige le comportement de l'Etat haïtien qui offre selon lui des avantages à la Digicel en termes d'exemption de droits de douane pendant que les demandes de la Haitel et de la Comcel, en ce sens, sont restées vaines26.

Le ministre des TPTC d'alors, l'ingénieur Fritz Adrien, dénonçait les manoeuvres de la Comcel qui, selon ses affirmations, prétextait pour fuir l'interconnexion. S'expliquant sur le cas de la Haitel, il affirme que cette dernière ne peut exiger de l'Etat haïtien un droit de franchise dans les mêmes termes que les autres opérateurs vu que la Haitel exploite son réseau à partir d'un accord conclu avec la Teleco sans l'autorisation du Conatel, ce qui est contraire aux normes27.

L'interconnexion a eu lieu enfin entre la Digicel et la Comcel dans la nuit du 17 au 18 septembre 2006 et celle de Digicel et Haitel a été concrétisée le 21 septembre. Ce problème d'interconnexion révèle la faiblesse de nos institutions étatiques, où le MTPTC et le Conatel ont du résoudre cet incident après quatre mois, ce qui a causé un manque à gagner dans ce secteur.

La Haitel pour rester dans la compétition se tourne vers une technologie de troisième génération (CDMA2000). Grâce à cette technologie, Haitel dispose d'un réseau qui offre une plus grande gamme de produits, on peut citer entre autres : la téléphonie mobile et fixe Wireless, l'accès à l'Internet sans fil, le service fax sans fil, etc. Cette technologie offre également une gamme variée de services comme : Le PTT (push to talk), le CRBT (coloured ring back tone), le LBS (location based services), le MMS (multi media service), le MVS (mobile video streaming)28.

25 Le Nouvelliste No 37380, « Cellulaire : bataille sans pitié ».

26 Le Nouvelliste No 37387, Digicel : « beaucoup de surprises dans les mois qui arrivent ».

27 Le Nouvelliste, « les signaux émis dans le secteur des télécoms doivent être corrigés », Lundi 29 Mai 2006.

28 www.haitelonline.com

Grâce à l'exploitation du GSM, la Comcel pour sa part a pu augmenter sa gamme de produits et services pour mieux se positionner sur le marché. La compagnie met à la disposition de ses clients des services comme le SMS, le roaming international, etc. et annonce d'autres produits et services tels le service post payé voila club, voila toupatou...

La Digicel quant à elle, est une entreprise qui fournit des services de téléphonie cellulaire, elle travaille avec ses équipementiers comme Konka, Nokia, Alcatel, Erikson... puis avec des partenaires Haïtiens comme Alo Haïti, plus de 300 concessionnaires et plus de 10.000 points de ventes qui assurent pour certains la vente de leurs terminaux et pour d'autres la distribution des cartes prépayées. Les produits et services offerts par la Digicel sont regroupés principalement dans les quatre plans suivants que la compagnie met au service de sa clientèle :

Digicel flex 29 est le service prépayé offert par la Digicel. Ce service vous permet de mieux gérer l'utilisation de vos minutes. De plus, pas de frais d'activation, pas de vérification de votre situation de crédit, pas de factures mensuelles.

Le service Digicel Select, vous offre un choix de trois plans, facturés mensuellement : Digicel Premier, Digicel Or et Digicel Platinum. Ces plans incluent le temps de communication et l'accès aux Services de Valeur Ajoutée de Digicel.

Le service Digicel Business, vous offre un choix de trois plans, facturés mensuellement : Digicel Business Premier, Digicel Business Or et Digicel Business Platinum. Ces plans incluent le temps de communication et l'accès aux Services de Valeur Ajoutée de Digicel.

Le service Caribflex est un service de recharge qui permet aux abonnés de Digicel en Haïti de recevoir sur leur mobile des crédits d'utilisation achetés par leurs proches et amis se trouvant en dehors d'Haïti. Ce service est disponible dans toutes les agences Unitransfer ou Via One, aux États-unis et au Canada.

Déjà en Septembre 2006, on commençait à ressentir les premiers bouleversements dans le secteur, le marché de la téléphonie mobile en général compte alors près de 1 ,1 millions d'abonnés. (Fig2.2)

29 Les détails sur ces plans sont diffusés sur le site www.digicelhaiti.com.

fig.2.2

Source : enquête réalisée auprès du Conatel.

C.3. Le comportement des firmes.

Avec Digicel comme troisième opérateur, la concurrence sur le marché de la téléphonie cellulaire haïtien va se faire autrement. Les opérateurs en place vont adopter des stratégies beaucoup plus agressives que tout ce qu'on a pu constater jusque-là. Cela se traduit concrètement à travers la politique d'investissement des opérateurs, la politique de marketing spectaculaire initiée d'abord par la Digicel et tout de suite reprise par les opérateurs déjà présentes sur le marché et à travers les tarifs pratiqués sur les différents segments du marché

Politique d'investissement des opérateurs.

Pour maintenir leur part de marché, Comcel, Haitel et Digicel ont consenti de très lourds investissements que ce soit pour l'acquisition des équipements nécessaires à leur fonctionnement, l'adoption de nouvelles technologies ou pour conforter leur marque.

Pour opérer sur le marché haïtien, la Digicel, titulaire d'une licence GSM 1800, a investi globalement près de 260 millions de dollars U.S30 où les infrastructures prennent la plupart des investissements, notamment la construction des sites qui contiennent les switchs. Avant même qu'elle ne lance ses services, elle a affiché sa détermination à couvrir tout le territoire national haïtien dès le début des ses opérations. Tout d'abord concernant le CAPEX qui représente les coûts d'investissement, ce sont des dépenses réalisées par la compagnie pour augmenter son capital physique. Des sentiers de construction de sites pour l'implantation des antennes qui doivent servir de station de relais des appels sont ainsi entrepris à travers tout le pays. La Digicel a dû construire des routes pour accéder à certaines régions afin de construire ces sites. Près d'une centaine de sites-relais sont construits et sont fonctionnels sur l'ensemble du territoire. Le coût total pour la construction d'un site est estimé à $500,000 dollars US, ce montant couvre entre autres l'achat du terrain et la construction de l'emplacement, de l'antenne et d'une génératrice. Pour gérer plus efficacement le problème de congestionnement du réseau auquel la

30 MmeGebara, directrice de Digicel Haiti à l'émission Magasine économique de Radio métropole le 6 Mai 2007

compagnie a eu à faire face dans les premiers mois de ses activités suite à l'afflux d'une clientèle plus dense que prévue, Digicel dispose de quatre nouveaux switchs31 de service avec une capacité de 200.000 abonnées chacun. Mis à part le CAPEX, elle a dû tout comme ses concurrents faire face à des dépenses de fonctionnement appelées OPEX qui comprennent l'entretien de matériels, la sécurité des sites, le carburant et autres imprévus. Un autre aspect très important dans la nature des investissements de la Digicel est que cet opérateur a aussi investi énormément dans la formation des ressources humaines en quête d'avantage compétitif sur les autres opérateurs.

D'un autre coté, la Comcel qui exploite depuis 1999 la technologie TDMA a consenti de lourds investissements32 pour moderniser son réseau en adoptant le GSM (GSM 850) sous sa marque Voila. Cependant, en dépit de l'exploitation de la dite technologie depuis novembre 2005, cet opérateur continue encore à desservir sa clientèle sur le réseau TDMA. En vue de satisfaire sa clientèle, Voila a engagé durant l'année 2006 de gros investissements pour quasiment doubler la capacité de son réseau et optimiser la capacité de son centre de recharge. En novembre 2006 pour répondre à la concurrence qui battait son plein entre les trois compagnies d'alors, la Comcel avec l'assistance de son partenaire étranger Trilogy international, créa le premier réseau de l'île toute entière en rachetant le réseau cellulaire dominicain Centennial pour un montant de 87millions33 USD. Voila et Centennial totalisaient déjà plus d'un million d'utilisateurs sur toute l'île.

Le passage de Haitel du CDMA au CDMA2000 fut le plus grand investissement de cet opérateur depuis ses débuts en 1999 dans le secteur. En septembre 2006 la Haitel lança le 1er réseau de troisième génération de cellulaire dans les caraïbes, le CDMA EVDO. Appelée encore CDMA2000, cette technologie certifiée de téléphonie mobile de troisième génération par l'union international des télécommunications (UIT) représenta un investissement de l'ordre de 70 millions de dollars US pour cette dite compagnie. Ainsi l'opérateur se donne les moyens techniques nécessaires pour affronter une concurrence qui exige encore et toujours plus de flexibilité de la part d'un opérateur.

Stratégie de marketing des opérateurs.

L'entrée de Digicel a provoqué un profond changement dans la manière dont les fournisseurs de services mobiles ont toujours mené leur politique de marketing. Les compagnies consacrent désormais des budgets très lourds pour faire de la publicité34 qui devient alors une arme capitale pour acquérir de nouvelles parts de marché. Digicel innove dans ce domaine, pour lancer ses services, la compagnie s'est

31 Canal permettant le transit des communications

32 Pour des raisons stratégiques le montant de cet investissement ne nous a pas été dévoilé.

33 REZO 850 janvier 2007 no1

34 Les montants alloués n'ont pas été soumis à notre disposition pour des raisons stratégiques.

assurée que sa couleur rouge soit vue et connue partout à travers le pays. Elle s'y prend de diverses manières : partout on remarque des maisons dont les façades sont recouvertes par des tapis portant la couleur et le logo de la compagnie ; les affiches publicitaires sont placées dans tous les coins de rue. De plus, les médias sont très largement sollicités pour faire connaître l'image de la compagnie, presque chaque mois un nouveau spot à la radio ou à la télévision annonce de nouveaux avantages offerts aux clients actuels et potentiels ; Digicel place régulièrement des annonces publicitaires dans les principaux quotidiens du pays et un partenariat conclu avec le journal Le Nouvelliste et Ticket Magazine lui garantit l'exclusivité des publicités sur la page de couverture. Des agents de marketing sont envoyés dans des institutions (écoles, institutions publiques et privées) pour sensibiliser les gens aux produits et avantages offerts par cet opérateur ; la distribution de dépliants visant à faire connaître l'ensemble des services et avantages offerts par la compagnie et la promotion de la marque Digicel sur les équipements des clubs de football dans le championnat national haïtien comptent parmi ces innovations.

En réaction aux diverses offensives entreprises par la Digicel, Comcel et Haitel se montrent plus présentes notamment grâce à l'intensification de leur politique de marketing. Elles lancent régulièrement de nouvelles offres promotionnelles et utilisent ainsi plus fréquemment les médias (radio, télévisions, journaux, etc.) pour toucher le public. Parallèlement, Comcel a aussi conclu un partenariat avec les journaux Le Matin et Spot light pour l'exclusivité des publicités sur leurs pages de couverture. Si le sport est l'étendard qui porte les couleurs de la Digicel, la Comcel de son coté a fait de la musique son porte drapeau car elle sponsorisent beaucoup de groupes musicaux.

Politique de tarification.

Digicel a lancé ses hostilités en commençant d'abord par sa politique de tarification. Pour marquer la rupture avec le passé et changer de manière irréversible le paysage des tarifications dans le secteur, la Digicel élimine les charges sur les appels entrants, divisant ainsi par deux les tarifs à la minute. Seulement quelques mois après sont lancement, la Digicel révolutionne déjà le marché de la téléphonie mobile haïtien en offrant à la clientèle des avantages non encore effectifs dans ce secteur et va même plus loin que ses concurrents en révisant à la baisse les prix des services que ces derniers offrent déjà. Ainsi dès mai 2006 le marché du cellulaire haïtien a connu d'énormes mutations dont les plus intéressantes sont :

o le lancement du forfait qui est la subvention des terminaux.

o l'envoi de SMS (3 gourdes le texte).

o baisse des tarifs de communication pendant les week-ends.

o Facturation à la seconde.

Avec Digicel, le prix d'acquisition d'un téléphone a considérablement diminué par rapport aux années précédentes. Sur le réseau Digicel, l'achat d'un terminal activé varie entre 700 gourdes (Motorola C115) et 35,100 gourdes (Nokia 8800) ; la compagnie met à la disposition de sa clientèle plus de 25 modèles de téléphones portables de 8 marques différentes.

Tab.3 Tarifs de la Digicel pour les services Prépayés en gourde (Digicel Flex).

Appels vers

Tarif de jour

Tarif de nuit

Week-ends

Digicel

HTG 4.75

HTG 3

HTG 3

Téléphones fixes

HTG 5

HTG 4

HTG 4

Autres portables

HTG 5

HTG 4

HTG 4

Source : guide d'utilisation Digicel Flex (prépayé)

Tab.4 Tarifs de la Digicel pour les services Post-payés (Digicel Select).

Plan Digicel Select

Dépôt requis

Abonnement
mensuel

Minute incluse

Message texte
GRATUIT

Tarif effectif
par minute

Digicel premier

HTG 2,500

HTG 1,025

280

100

HTG 3.66

Digicel or

HTG 3,500

HTG 1,725

550

150

HTG 3.14

Digicel platinum

HTG 5,000

HTG 2,700

1,000

250

HTG 2.70

Source : guide d'utilisation Digicel Select (Post-payés)

Comcel et Haitel vont attendre quelques semaines avant de réagir. A la fin du mois de mai 2006, ces deux opérateurs éliminent les tarifs sur les appels entrants, et à partir du mois de Juin ils actualisent leur système de tarification existant pour lancer à leur tour leurs forfaits se rapprochant ainsi des prix de Digicel, une décision qui va intensifier d'avantage la concurrence.

Tab.5 Grille de Tarification de la Comcel (par minute en Gourdes).

Type d'appel

Flex card

Flex
mobile

Opti flex

Opti flex
int'l

Prix des Services

moins de
900.00

900.00

1,500.00

2,400.00

Appel sortant GSM/TDMA vers l'extérieur

5.00

5.00

5.00

5.00

Appel entrant

Gratuit

Gratuit

Gratuit

Gratuit

Appel sortant de GSM/TDMA vers GSM/TDMA

4.00

4.00

4.00

4.00

Appel sortant de GSM/TDMA vers GSM/TDMA de 12hres AM - 6hres AM

Gratuit

Gratuit

Gratuit

Gratuit

Messagerie Vocale

2.00

2.00

2.00

2.00

SMS

3.00

3.00

3.00

3.00

SMS entrant

Gratuit

Gratuit

Gratuit

Gratuit

Source : www.voila.ht

La Haitel pour sa part a présenté une nouvelle grille de tarification et de nouveaux plans de service de la compagnie. Désormais, les utilisateurs des services de cet opérateur bénéficieront35 :

D'une réduction du coût des appels placés allant jusqu'à 3 gourdes la minute ;

D'une nouvelle option appelée Famille/Ami permettant 3 à 5 personnes utilisant des téléphones Haitel de communiquer entre elles à un tarif réduit de 50% ;

De l'introduction d'un nouveau plan dénommé Plan Haitel Basic qui élimine l'option abonnement. Ce plan offre les avantages suivants : le prix de la minute est de 4,50 gourdes ; tous les appels vers les autres opérateurs se paient à 5 gourdes dans le courant de la journée et 2,50 gourdes la nuit.

V' Pour la Hi-tel 5, l'abonné doit payer 500 gourdes par mois. Il a droit à 125 minutes à raison de 4 gourdes la minute par appels placés. De 10h p.m à 6 a.m, l'abonné sera facturé 2,50 gourdes la minute.

V' Pour l'option Hi-tel 10, le client paiera 1000 gourdes par mois et aura droit à 333 minutes de communication à raison de 3 gourdes la minute (appels sortants Haitel-Haitel). Tous les appels Haitel vers une autre compagnie seront facturés 5 gourdes la minute le jour et 2,50 gourdes la nuit.

C.4. La performance de ce secteur de Mai à Décembre 2006.

La concurrence entre opérateurs porte en premier lieu sur le prix des services proposés aux abonnés. Jusqu'en Avril 2006, le marché se caractérise par un duopole stable et des prix élevés. De Mai 2006 à Octobre 2006, avec l'arrivée de la Digicel, le marché entre dans une phase de tâtonnement, à la recherche d'un nouvel équilibre : les opérateurs en place procèdent à une série de baisses de prix. Enfin, à partir de Décembre 2006, les prix se stabilisent à des niveaux assez bas. D'abord, une minute de communication entre deux utilisateurs coûte à peu près 5 gourdes contre 10 gourdes auparavant ; sur le même réseau, un abonné paie la minute de communication à 4 gourdes contre 5 gourdes avant Digicel ; le coût d'acquisition d'un terminal varie à la baisse et les frais d'activation annulés.

Certaines de ces innovations, dans lesquelles Digicel a investi une large part de son revenu, ont même été reprises par ses concurrents. Cet opérateur a, en outre, généré la création de 700 emplois directs dont 400 dans le service à la clientèle et 200 employés dans le service technique, et 3000 emplois indirects qui sont repartis dans le service de support, de construction et de ventes dans 300 magasins autorisés.

De son coté, Comcel a déjà crée près de 1000 emplois directs et recensé plus de 10000 revendeurs de cartes, elle possède plus de 400 sites à travers tout le pays alors que la Haitel compte environ 600 personnes directement employés dans l'activité de l'entreprise contre plus de 950 travailleurs indirects.

35 Le Nouvelliste, no 37395, « nouvelles tarifications : la Haitel se met au pas », Jeudi 25 Mai 2006.

D'un point de vue globale, le marché des télécommunications est en 2006 le plus performant de l'économie haïtienne. Dans un article du Nouvelliste36 la DGI a publié la liste de 150 plus grands contribuables de l'exercice fiscal 2005-2006 dans laquelle les trois compagnies de téléphonie cellulaire figurent parmi les six entreprises les mieux classées. La Comcel arrive en première position en apportant au trésor public durant cet exercice fiscal un montant de 926, 399,651.81 gourdes ; la Haitel et la Digicel arrivent respectivement en 5e et 6e position en apportant à la caisse de l'Etat 252,146,451.58

R d fi

gourdes et 138,618,621.43 gourdes.

00

La présentation du marché cellulaire haïtien sur les deux sous périodes considérées révèle deux
situations biens différentes que ce soit en termes de performances microéconomiques (prix) ou encore

1,2niesnies

macroéconomique (emplois, redevances fiscales, etc.), mais surtout une meilleure performance du

1niesniesnies

secteur sur la période mai-décembre 2006. A ce stade il parait nécessaire de rechercher les causes de ces

8niesnies

modifications. Cette quête se fera à partir d'une analyse comparative des deux sous périodes étudiées.

6niesnies

comniesnies

Ex

fig.2.3

Source : UGCF

36 Le Nouvelliste, la liste des plus grands contribuables, 26 décembre 2006.

Chapitre 3. Analyse comparative des performances de ce marché sur les deux périodes étudiées.

Pour expliquer cette meilleure performance observée dans le secteur de la téléphonie cellulaire pour la période mai-décembre 2006, nous partons de l'hypothèse suivante : « La stratégie concurrentielle de la Digicel est le facteur déterminant du dynamisme du secteur de la téléphonie cellulaire en Haïti en 2006 ». Et pour soutenir cette proposition, nous considérons deux autres hypothèses secondaires mettant en relief les stratégies des firmes sur chacune des deux sous périodes étudiées. Pour vérifier la validité de ces hypothèses, nous procédons à une analyse comparative de ces deux sous périodes.

Tout d'abord, nous présentons la notion de dynamisme de marché. Pour rendre opérationnel ce concept, nous considérons deux grandes dimensions qui sont le degré d'accessibilité et la nature des choix des produits et services. Ainsi, dans ce chapitre nous étudions sur chacune des sous périodes considérées le niveau de dynamisme atteint dans le secteur en fonction des dimensions retenues.

Ensuite, nous vérifions les hypothèses du travail de recherche en analysant les causes des performances obtenues à travers les périodes étudiées.

Enfin, nous présentons sur chaque sous période les relations de causalité existant entre la structure, le comportement et la performance du secteur et nous procédons à une analyse par la théorie des jeux pour modéliser les interactions stratégiques des opérateurs.

A. L'analyse économique du secteur de la téléphonie cellulaire sur la période 1999 à avril 2006.

A.1 Peut-on parler de dynamisme dans ce secteur considéré sur la période 1999-avril 2006 ?

Dans un marché concurrentiel, le concept de dynamisme fait référence à une situation dans laquelle les consommateurs bénéficient, en termes de quantité et de qualité des produits et/ou services, des avantages résultant de la concurrence accrue entre les firmes.

Considérant le marché de la téléphonie cellulaire en Haïti, il y a lieu de poser le problème du dynamisme de ce secteur quand on considère son évolution sur la période 1999 à avril 2006. Plusieurs experts reconnaissent que le dynamisme du marché de la téléphonie mobile ne se résume pas seulement à la quantité d'opérateurs qui interagissent sur ce marché. Pour cerner le concept de dynamisme, il faut prendre en compte deux grandes dimensions qui sont le degré d'accessibilité au secteur et la nature des choix des produits et services mis à la disposition des consommateurs. Le degré d'accessibilité permet d'évaluer la capacité du secteur à offrir le service à une population donnée, mais aussi le rythme auquel cette population utilise ce service. Trois principaux indicateurs rendent opérationnel le degré d'accessibilité, ce sont : les prix, les canaux de distribution et le taux d'utilisation des services, les taux

de pénétration et de couverture de ce service. La nature des choix des produits et services met en évidence les caractéristiques des produits et services offerts, elle peut être expliquée par : la qualité des services et la diversification des produits et services.

Dans le cas haïtien, l'analyse des données disponibles met en évidence un service à diffusion plutôt limitée offert au consommateur qui certes ne dispose pas forcément d'un pouvoir d'achat lui permettant toujours de se payer un terminal et les coûts de recharge. Ainsi, après plus de 6 ans d'introduction du cellulaire en Haïti, le taux de pénétration du téléphone de façon générale a certainement évolué, car il est passé de 0.72% en 1998 à plus de 9% en avril 200637. Toutefois, ce taux restait encore très faible par rapport à nos voisins des caraïbes (60% en moyenne). Ce service jusqu'en avril 2006 était disponible seulement dans les grandes villes du pays tandisque la plupart des zones rurales n'y avaient pas accès. C'est là l'une des causes expliquant le faible taux de couverture de ce service qui dépassait à peine 50% du territoire national. Bien d'autres arguments pourraient encore être évoqués pour étayer le caractère stagnant de ce secteur, on pourrait alors faire référence à la gamme de services offerte par les principaux opérateurs qui comprenait tout simplement le service de téléphonie à proprement parler (transfert de la voix) et la messagerie vocale.

Il est certain que le marché de la téléphonie cellulaire a apporté une amélioration dans le paysage des télécommunications en Haïti. Toutefois, s'il est vrai que ce marché qui au début paraissait dynamique a fait nitre de grandes attentes relatives à l'explosion d'un service qui serait étendue à toute la population, l'analyse de l'évolution du secteur montre pourtant un faible degré d'accessibilité qui s'explique par des prix élevés, de faibles canaux de distribution, des taux de pénétration et de couverture très faibles. Cette analyse met aussi en évidence une gamme de produits assez restreinte et un service de qualité plutôt modeste. A la lumière de ces constats nous concluons que le secteur de la téléphonie cellulaire sur cette période était peu dynamique.

Trois variables sont à l'origine de ce faible dynamisme constaté dans le secteur au cours de cette période. Ce sont : Le comportement des opérateurs, la technologie utilisée et l'absence d'une politique publique efficace.

A.2. Quelles stratégies les opérateurs en place ont-ils adopté ?

L'analyse des comportements des différents opérateurs évoluant sur le marché de la téléphonie mobile cellulaire haïtien révèle que les deux principaux opérateurs Comcel et Haitel ont opté pour des choix très différents en ce qui a trait aux services offerts à la clientèle, au type de technologie utilisée, à la qualité des investissements, etc.

37 Tableau en Annexes

Le point fort qui différencie ces deux concurrents sur la période 1999-avril 2006 porte sur le type de technologie utilisée et l'impact de ces choix sur la manière de desservir la clientèle et la relation qui se développe entre l'opérateur et ses clients. Depuis 1999, la Haitel a introduit en Haïti la technologie CDMA alors que la Comcel quelques mois plus tard a commencé à fournir le service de téléphonie mobile utilisant la technologie TDMA. Ces deux technologies étant incompatibles, le coût supporté par un client pour passer du réseau d'un opérateur à un autre est très élevé, ce transfert impliquerait l'acquisition d'un nouveau terminal, un nouveau contrat incluant des frais d'activation, un nouveau numéro, etc. De plus, l'utilisation de deux technologies différentes a eu une conséquence directe sur la capacité des opérateurs à activer certains terminaux selon leur marque. Par exemple certaines marques de téléphone comme Nokia, Motorola étaient utilisées exclusivement par les clients de la Comcel alors que d'autres marques comme Qualcomm ne pouvaient être activées que par la Haitel.

Cependant, à partir de novembre 2005 la Comcel adopte la technologie GSM, plus moderne que le TDMA, et du coup va accentuer sa différenciation par rapport à la Haitel. Entre novembre 2005 et avril 2006, la compagnie enregistre une croissance de 7% du nombre d'abonnés sur son réseau et parvient à conserver ses anciens clients du réseau TDMA en leur offrant la possibilité de migrer vers le GSM.

Dans leur phase de duopole, Comcel et Haitel se sont donc efforcés à fidéliser leur clientèle respective en utilisant chacune une technologie perçue comme unique au niveau du secteur. Cette approche fait référence à la stratégie de différenciation évoquée par Michael Porter.

A.3. L'impact de la stratégie de différenciation sur le marché.

La stratégie de différenciation pratiquée par la Haitel et la Comcel octroie un certain pouvoir de monopole à ces deux opérateurs sur la technologie adoptée et sur les terminaux utilisant ces technologies. L'utilisation de deux technologies cellulaires différentes se traduit par un partage du marché entre ces deux concurrents, chacun desservant une clientèle qui lui est fidèle, mais aussi par un faible degré de substituabilité des services parce que le coût de transfert d'un opérateur à un autre devient alors très élevé pour le consommateur. Cette situation de monopole que chacun de ces opérateurs possède sur sa technologie comme toute situation de monopole est à l'origine d'un surprix sur le marché. Dans le cas haïtien, cette situation a perduré dans le temps principalement pour deux raisons : un coût de transfert trop élevé et la parité des tarifs chez les opérateurs. Car même si le client de la Haitel mécontent des tarifs pratiqués par son fournisseur accepte de supporter les frais de transfert nécessaires pour s'abonner chez Comcel, il verra en fin de compte que les tarifs exercés par ce dernier sont aussi chers que ceux de la Haitel, parce que la Comcel lui aussi a un pouvoir de monopole sur son segment de marché.

La différenciation des services, du fait que Haitel et Comcel possèdent chacune une clientèle attachée à son propre réseau n'entraîne aucun risque de guerre des prix. Les tarifs des services sont pratiquement les mêmes pour l'abonnement et pour les services prépayés. Cette stratégie telle que pratiquée par ces opérateurs n'a entraîné aucun risque pour l'une ou l'autre de ces compagnies de perdre sa clientèle ou d'essuyer le mécontentement de son concurrent et ceci essentiellement parce qu'elles n'ont mené aucune politique active de vente.

Aussi l'étude du comportement des deux principaux opérateurs de téléphonie cellulaire révèle-t-elle une certaine complicité dans le choix des stratégies respectives des entreprises car on ne retrouve pas chez l'un ou l'autre des deux opérateurs cette agressivité caractéristique d'une vraie concurrence. Comment peut on expliquer cette complicité ?

Pour limiter les retombées négatives qui pourraient résulter de l'utilisation de technologies différentes, dans certaines régions comme par exemple en Europe, les régulateurs nationaux exigent que les opérateurs utilisent la même technologie (GSM). Cette mesure garantit une plus grande concurrence entre les opérateurs et aboutit à un marché plus compétitif et très dynamique. Toutefois, en Amérique du Nord et dans certains pays asiatiques, les régulateurs acceptent l'exploitation de technologies différentes sur leur marché qui pourtant reste dynamique. Par rapport à ce constat, il parait alors nécessaire de trouver les particularités du marché haïtien qui expliquent les résultats obtenus à partir de la stratégie de différenciation. En premier lieu, il n'y avait que deux opérateurs, cette situation stimulait une réelle tentation à coopérer en vue de partager le marché, ensuite le fait que ces derniers n'utilisent pas une technologie identique limite la mobilité des utilisateurs sur les deux réseaux, un verrouillage systématique qui rend les abonnés moins sensible aux tarifs. Dans un pareil contexte, les opérateurs ont plus intérêt à coopérer en pratiquant une politique de segmentation du marché à travers des politiques concurrentielles similaires qui garantissent de meilleurs profits, alors qu'une concurrence pourrait conduire l'une ou l'autre en dehors du marché, d'autant plus que le Conatel, contrairement au régulateur du marché américain, n'a pas instauré de balises pour empêcher de telles pratiques.

La stratégie de différenciation employée par Comcel et Haitel sur la période 1999-Avril 2006 est de toute évidence un des principaux facteurs ayant contribué au faible dynamisme de ce secteur. Tout d'abord la différenciation, parce qu'elle donne lieu à un pouvoir de monopole de chaque opérateur et par conséquent la capacité pour chacun d'eux de pratiquer des tarifs élevés, restreint l'accès au marché. De plus, le pouvoir de monopole dont bénéficiaient ces opérateurs ne les incitait pas à innover, il en résulte une faible disponibilité des produits et services standards accessibles à tout utilisateur d'un téléphone portable à travers le monde (SMS, MMS, Internet, roaming, etc.).

Mise à part l'analyse purement microéconomique considérée antérieurement, d'autres facteurs doivent être pris en compte pour expliquer le manque de dynamisme observé dans le secteur. Pour la crédibilité de l'étude il faut aller encore plus loin pour exploiter d'autres points de vue si on veut cerner tous les aspects de cette problématique, d'autres paramètres inhérents au domaine des télécommunications et à l'état haïtien sont mis en cause dans l'explication de ce phénomène :

i. La technologie utilisée : A ce niveau on pointe du doigt les limites des technologies CDMA et TDMA utilisées par ces deux concurrents qui étaient dans l'incapacité de satisfaire une très grande partie de la population. Ces deux technologies étant dépassées, par conséquent leur réseau ne pouvait pas accueillir un grand nombre d'abonnées. De plus, ces opérateurs ne pouvant plus trouver des équipements qui étaient déjà en voie de disparition, pour ne pas saturer leurs cellules, pour maîtriser la qualité du service et pour financer de nouveaux investissements, ils pouvaient avoir intérêt à fixer des tarifs élevés et à cibler une clientèle d'affaire. Par ailleurs, Comcel avec son nouveau système, le GSM 850, pouvait parfaitement se contenter de cibler une clientèle d'affaires à travers une politique de prix élevés. Une stratégie convenant bien au GSM 850 puisqu'elle permet d'offrir une couverture complète du territoire, sans pour autant densifier son réseau. Pour cela Comcel pouvait commencer par déployer un réseau de densité moyenne afin de couvrir le plus rapidement l'ensemble du territoire avec des cellules de tailles importantes. Ensuite on questionne les moyens financiers de ces firmes à savoir s'ils étaient insuffisants pour de nouveaux investissements ou les utilisait-on a d'autres fins. Toutefois, face aux réticences des responsables des principaux opérateurs de téléphonie à faciliter l'accès aux informations relatives aux données financières des entreprises, nous avons été dans l'impossibilité de répondre adroitement à cette interrogation qui pourrait faire plus tard l'objet d'une étude beaucoup plus approfondie.

ii. Politique publique : Une politique publique visant à promouvoir la diffusion des NTIC comme facteur de développement devrait pouvoir établir un calendrier de diffusion de ces technologies et élaborer un cadre légal adapté aux spécificités du secteur.

On a exposé antérieurement l'importance des NTIC comme outils de progrès par lesquels doivent passer nécessairement les nouveaux pays en quête de développement socioéconomique. Or, le développement social et économique étant principalement l'affaire des Etats, il est nécessaire d'identifier les secteurs clés devant permettre d'atteindre ce but. Dans cette optique, l'enjeu des télécommunications étant si importants, il nous faut des politiques publiques adéquates.

Les premières impressions laissent croire que la diffusion du service téléphonique au niveau national n'a jamais été une priorité des pouvoirs publics. L'évolution pour le moins insatisfaisante des télécommunications d'Haïti S.A. (Teleco) comme entreprise publique ne plaide pas en faveur de

l'existence d'une politique publique visant à promouvoir l'accès des moyens de télécommunications à tous. Mais qu'en est-il en réalité ? Doit-on parler de désengagement réel de l'Etat dans ce domaine ? C'est plutôt un problème qui s'inscrit dans un cadre plus général d'absence ou plutôt d'incohérence des politiques publiques de l'Etat haïtien. En effet, l'apparition des premières compagnies de téléphonie cellulaire s'est faite dans ce contexte d'inadéquation des efforts des pouvoirs publics en vue de promouvoir la diffusion du service téléphonique à travers le pays. Il faut ajouter à cela l'existence d'un cadre légale38 régissant ce secteur totalement dépassé qui ne prend pas en compte les particularités propres de la téléphonie cellulaire. Le Conatel qui est l'organe de régulation étatique utilise pour sa mission de contrôle du secteur des lois qui ont été mises en place depuis 1977 pour contrôler l'évolution de la Teleco jouissant alors d'un monopole naturel dans l'exploitation de la téléphonie par câble. Le régulateur ne dispose donc d'aucune force légale adaptée à la nouvelle configuration de ce secteur où évoluent des opérateurs de téléphonie mobile. Il faut noter aussi que les autorisations pour la fourniture d'un service de téléphonie (fixe ou mobile) seront accordées seulement sur la base d'un appel public de soumission assorti d'un cahier des charges (appel d'offres) pour obtenir un contrat de concession avec l'état Haïtien. Cette disposition nous révèle encore une fois des barrières à l'entrée que pose le Conatel qui jusqu'à présent ne souhaite pas libéraliser totalement le secteur comme cela se fait ailleurs. De plus, avec l'exploitation de deux technologies différentes dans ce secteur, le Conatel a, en fait, cautionné une segmentation du marché qui va influencer énormément le comportement des opérateurs et qui, par la suite, va donner lieu à une situation de monopole pour la Haitel sur la technologie CDMA, et pour la Comcel sur la technologie TDMA.

Donc le manque de dynamisme observé dans le secteur de la téléphonie cellulaire au cours de cette période résulte principalement de la stratégie de différenciation pratiquée par les opérateurs. Les technologies utilisées et l'absence d'une politique publique efficace en matière de télécommunication expliquent aussi le faible taux de pénétration et le piètre résultat enregistrés dans le secteur sur la période 1999-avril 2006.

Une analyse des relations de causalité entre la structure du marché, le comportement des firmes et la performance du secteur résume parfaitement la situation du marché. Et pour mieux saisir l'évolution du secteur sur cette période, il faut aussi comprendre les enjeux auxquels faisaient face les firmes concurrentes, la théorie des jeux nous aidera à mieux élucider ces enjeux.

38 Mémoire de sortie de Thadal et Amelin, CTPEA, 2005.

A.4. Relation de causalité entre structure, comportement et performance.

On peut affirmer que la relation de causalité existant entre la structure de ce marché, le comportement des opérateurs et la performance du secteur n'est pas une relation unidirectionnelle, au contraire elle va dans les deux sens conformément à la logique de Jean Tirole. Tout d'abord, le fait par le Conatel de laisser les deux opérateurs utiliser deux technologies différentes influence grandement le comportement de ces derniers. Cette situation leur donne la possibilité de se comporter en monopoleur sur la technologie exploitée et ce comportement aura des répercussions sur la performance du secteur notamment, la pratique de tarifs élevés, le faible taux de pénétration du téléphone cellulaire et la mauvaise qualité du service. La structure du marché dans un sens influence le comportement des opérateurs dans le secteur qui affiche alors une performance peu satisfaisante. En retour, le fait que ces deux opérateurs se comportent en monopoleur grâce à leurs technologies, traduit une situation de concurrence monopolistique et étant seuls sur le marché de la téléphonie cellulaire, Comcel et Haitel évoluaient en situation d'oligopole. Ces deux situations reflètent un marché hybride d'oligopole et de concurrence monopolistique qui traduit l'influence du comportement des opérateurs cette fois-ci sur la structure du marché. Cette pratique de tarifs élevés adoptée par les compagnies leur a été bénéfique car elles ont réalisé des surprofits durant toute la période. Cette performance obtenue leur a incité à garder et à renforcer les mêmes stratégies : politique de tarification élevée, segmentation du marché, comportement de monopoleur. Ceci traduit directement la répercussion des performances réalisées par ces opérateurs sur leurs comportements, et de façon indirecte va consolider cette structure de marché (hybride ou segmentée). Fig.3.1

Fig 3.1 Le modèle Structure-Comportement-Performance

Structure

Comportement

Performance

.

A.5. Une analyse par la théorie des jeux du secteur.

Les différentes analyses relatives au secteur de la téléphonie cellulaire montrent que le comportement
des opérateurs joue un rôle prédominant dans son évolution. La stratégie de différenciation employée
par les principales firmes accouche une structure de marché hybride d'oligopole et de concurrence

monopolistique et aboutit à un secteur peu dynamique39. Donc une amélioration de la situation dans ce marché devrait passer par un changement dans le comportement des opérateurs.

Toutefois, considérant les conditions dans lesquelles évolue le marché de la téléphonie cellulaire entre 1999 et avril 2006, Comcel et Haitel se sont livrés à un jeu où elles ont pu trouver un équilibre satisfaisant pour chacune d'elle. En effet, Comcel aussi bien que la Haitel en adoptant un comportement assez conciliant vis-à-vis de sa rivale s'est assurée que cette dernière ne tentera aucune action de représailles, néfaste pour son évolution. Donc, aussi longtemps que l'une ou l'autre ne change sa ligne d'action il est certain qu'elle ne risque d'engendrer aucune guerre de publicité, ni vol de marché, ni de politique concurrentielle agressive. Ces opérateurs semblent alors employer une stratégie « coopérer- coopérer », et plus d'un pense à l'éventualité d'un accord tacite40 entre eux notamment quand on analyse l'évolution des prix respectifs qu'ils pratiquent. Ces opérateurs depuis 1999 ont fixé leur tarif à la minute au même niveau, ce tarif était fixé à 3 gourdes jusqu'à Décembre 2001 ce qui représentait l'équilibre obtenu en situation collusive. A partir de Janvier 2002, se basant sur la dépréciation de la gourde qui passe de $1USD pour 17 gourdes à $1 USD pour 35 gourdes, les opérateurs fixent le prix de la minute à 5 gourdes sur les deux réseaux, ce qui alors donne lieu à un nouvel équilibre collusif.

Comcel et Haitel certes avancent la dépréciation du taux de change pour justifier l'augmentation des tarifs pratiqués sur le marché. Cependant, grâce au raisonnement de la théorie des jeux nous pouvons expliquer comment la pratique de tarifs élevés résulte surtout d'un comportement collusif. Nous avons montré qu'en dépit du fait que Comcel et Haitel exploitent deux technologies différentes, elles vendent un service de qualité presque identique si bien que le consommateur prend en compte seulement la variable prix de la minute'' lorsqu'il veut s'abonner à l'un ou l'autre des deux réseaux. Chaque firme a deux stratégies possibles pour la tarification des minutes : fixer un prix élevé (PE) ou un prix bas (PB). Dans le tableau 3 nous présentons les conséquences monétaires de ces différentes stratégies tel que le premier nombre de chaque case de la matrice est le profit de Comcel et le second celui de Haitel.

Tab. 6 Haitel

Comcel

 

PB

PE

PB

40 u, 40 u

90 u, 10 u

PE

10 u, 90 u

70 u, 70 u *

39 Les critères de dynamisme sont définis à la page 53.

40 La faiblesse du cadre légal est mise en cause ici. Réf. mémoire de sortie de Thadal et Amelin «Pour une régulation efficace du secteur de la téléphonie en Haïti», CTPEA, 2005

Si ces firmes fixent toutes les deux un prix élevé, nous sommes dans une situation collusive qui nuit au consommateur mais chaque firme obtient un profit de 70 u 41. Cependant si une firme fixe un prix élevé alors que l'autre, déviant la stratégie de prix élevé, peut obtenir un profit encore plus grand en baissant son prix. Cette dernière enlève de fait la quasi-totalité du marché et obtient un profit de 90 u ne laissant à sa rivale qu'un profit de 10 u. Si les deux fixent un prix bas, elles partagent à parts égales un marché plus étendu mais comme le prix est plus faible, elles ne gagnent que 40 u.

Supposons que le régulateur joue pleinement son rôle et arrive à empêcher qu'il y ait entente entre les firmes, elles se retrouvent alors dans le dilemme du prisonnier, dans ce cas la seule combinaison de stratégies conduisant à un équilibre de Nash est celle dans laquelle Comcel et Haitel fixent un prix bas et obtiennent un profit de 40 u. Sous la même hypothèse, considérant le cas où les deux firmes fixent un prix élevé, cette combinaison de stratégie incite chacune des firmes à tricher en fixant un prix bas, ainsi son concurrent n'aurait d'autre choix que de revenir à un prix bas. Donc, si Comcel s'attend à ce que Haitel fixe un prix élevé sa meilleure réponse est de fixer un prix bas car il gagne 90 u au lieu de 70 u. Par contre, si Comcel s'attend à ce que Haitel fixe un prix bas sa meilleure réponse est encore de fixer un prix bas. En ne choisissant pas un prix élevé il évite ainsi de perdre de l'argent : son gain est de 40u au lieu de 10 u. Comcel est toujours mieux en fixant un prix bas quelle que soit la stratégie attendue de Haitel. Ce raisonnement étant symétrique, nous voyons donc que fixer un prix bas est une stratégie dominante pour les deux firmes.

Dans le cas haïtien, l'équilibre a toujours été maintenu à un niveau de prix élevé. Si les opérateurs mettent en relief le taux de change pour justifier ces choix, il n'est pourtant pas certain que cet argument suffise à faire taire les critiques qui voient dans le choix de faire augmenter leurs tarifs dans les mêmes proportions et au même moment un comportement collusif. Dans les faits on a constaté que Comcel à partir de janvier 2002 fait augmenter le tarif sur les minutes de 65% au risque de perdre des parts de marché ; au cours de la même semaine, la Haitel fait augmenter ses tarifs au même niveau. Pourtant, en fonction du choix fait par la Comcel d'augmenter ses tarifs, la Haitel pouvait choisir entre garder le même tarif (3gdes/mn), ou bien l'augmenter à un niveau plus faible que celui de Comcel et du coup capter une plus grande part de marché (par exemple : 4gdes/mn), ce qui est tout à fait conforme à la logique concurrentielle. Mais le choix de pratiquer un tarif aussi élevé que son concurrent traduit une certaine entente visant à assurer de surprofit pour les deux firmes. Ainsi, l'action de la Comcel peut donc s'interpréter comme un signal envoyé à Haitel, auquel ce dernier répond favorablement. La

41 A défaut d'informations relatives aux profits des firmes, ces nombres qui sont des valeurs théoriques choisies arbitrairement représentent leur niveau d'utilité. Avec U(utilité) U 0

théorie des jeux nous permet de dire dans ce cas que seule une entente, formelle ou tacite, en l'absence de politique de régulation rigoureuse et efficace garantit le maintien d'un tel équilibre.

Cette situation dans laquelle a évolué ce secteur est à l'origine de surprofit pour les deux opérateurs. Tout ceci s'est fait au détriment des consommateurs qui se retrouvent alors dans une situation d'équilibre sous optimal traduite par les mauvaises performances du marché et par une perte sociale42. Cependant, en dépit des surprofits qu'elle permet de réaliser, nous pouvons montrer que la stratégie (PE, PE) qui traduit un équilibre optimal pour les opérateurs peut être améliorée. En effet, admettons que les profits en situation collusive (70 u, 70 u) ont été obtenus au temps t ; supposons qu'à t+1 les firmes modernisent leur réseau, faisant ainsi augmenter leur nombre d'abonnés. Cette croissance de la demande effective engendrait une situation dans laquelle les gains obtenus seraient supérieurs aux résultats observés au temps t. Tout d'abord, si l'équilibre du marché reste un équilibre collusif les gains seraient tels que (PE, PE)t+1 > (PE, PE)t. Si par contre les opérateurs se livrent à une concurrence sans aucune possibilité de faire des ententes, nous nous retrouvons dans une situation d'oligopole pure qui correspond au dilemme du prisonnier. Les prix du marché tendent alors vers le coût marginal des firmes et sont donc inférieurs aux prix de collusion. Dans ce cas, le niveau de profit correspondant à l'équilibre de Nash serait supérieur à celui de l'équilibre collusif au temps t : (PB, PB)t+1 > (PE, PE)t.. Ceci s'explique par la croissance du nombre des abonnés sur les deux réseaux impliquant un plus grand trafic, les opérateurs grâce à cet effet de volume réaliseraient des ventes plus importantes. Une situation semblable à t+1 éviterait une perte du surplus des producteurs, elle réduirait aussi la perte du surplus des consommateurs qui eux-mêmes accéderaient à ce service à moindre coût.

Tab. 7 Haitel

Comcel

 

PB

PE

PB

75 u, 75 u

120 u, 40 u

PE

40 u, 120 u

90 u, 90 u

Donc, le nouveau dynamisme recherché passe soit par une situation dans laquelle les firmes en place investissent dans la modernisation de leur réseau pour élargir le marché ; soit par une nouvelle configuration du secteur où au moins un troisième opérateur évoluerait en adoptant un comportement plus agressif qui aboutirait à un système de tarification plus concurrentiel et une plus grande gamme de services rendant le marché plus accessible et plus dynamique.

42 Ensemble des préjudices subis par la collectivité lorsque le marché s'écarte de l'idéal concurrentiel.

B. L'analyse économique du secteur sur la période mai-décembre 2006.

B. 1. Regain de dynamisme observé sur le marché de la téléphonie cellulaire en mai 2006.

Pour bien cerner les changements qui se sont opérés dans le secteur de la téléphonie cellulaire haïtien, il est nécessaire d'effectuer une analyse comparative des deux sous périodes étudiées, cette analyse sera orientée en fonction du paradigme SCP.

En terme de structure, le marché du cellulaire haïtien entre 1999 et avril 2006 fut desservi principalement par la Comcel et la Haitel. Cependant, à partir de mai 2006 Digicel entre comme un troisième opérateur. Avec ces trois opérateurs, beaucoup de personnes ont eu accès à ce marché car l'offre de service a augmenté, le secteur accuse alors un taux de croissance du nombre d'abonnés de plus de 240% (cet effectif passe de 675,000 en avril à près de 2,320,000 en décembre); de plus la Digicel dans un souci d'acquérir une très grande part de marché offre des produits et services nouveaux dans le secteur. Parallèlement Haitel et Comcel pour consolider et augmenter leurs parts de marché modernisent leur réseau et peuvent désormais offrir une gamme très diversifiée de produits et services.

D'un autre coté, l'arivée de la Digicel a marqué un tournant dans la manière de faire la concurrence. Si dans les années précédentes on pouvait se douter de l'existence probable d'une certaine entente quand on considère le comportement des autres opérateurs, à la fin de l'année 2006 la configuration du secteur a nettement évolué. Tout d'abord, au niveau du marketing on observe chez eux une plus grande intensité dans la manière d'attirer le consommateur : plus de spots radio télédiffusés, ils s'impliquent d'avantage dans des activités socioculturelles à travers des politiques de sponsorisation. On retrouve alors un plus grand intérêt de ces derniers à faire la promotion de ses services et une concurrence plus agressive dans ce domaine visant à fidéliser la clientèle. Pour rendre ce service plus accessible à cette clientèle, les opérateurs mettent en place des réseaux plus étendus qui couvrent à peu près tout le territoire national, ce qui fait passer le taux de couverture du service de 50% en avril 2006 à plus de 80% en décembre 2006; plus de 500 centres régionaux et concessionnaires autorisés s'occupent de la distribution du service à travers le pays alors qu'auparavant on en recensait seulement 85.

Les transformations opérées dans le secteur à la fin de l'année 2006 sont ressenties également à travers les tarifs pratiqués. De façon globale les tarifs sont revus à la baisse : le prix d'une minute de communication diminue de 50%, le coût d'acquisition d'un terminal diminue de près de 80%. Ce sont là deux facteurs qui expliquent l'augmentation du volume de minutes consommées par les abonnés et la croissance du nombre d'abonnés dans ce secteur où on enregistre une nette progression du taux de pénétration qui passe de 7.55% en avril 2006 à 25.40% en décembre de la même année (fig3.2). Ces indicateurs révèlent une nette augmentation du rythme d'utilisation du service à partir de mai 2006.

NB : le volume de minutes consommées est une variable qui permet d'appréhender le rythme d'utilisation du service comme indicateur du degré d'accessibilité. Toutefois, en dépit de nombreuses démarches opérées aupr~s des acteurs concernés, nous n'avions malheureusement pas pu accéder aux données qui nous permettraient d'effectuer des analyses plus approfondies.

 

(fig3.2).

Source : enquête réalisée auprès des opérateurs.

A la fin de l'année 2006, le marché du téléphone cellulaire haïtien devient beaucoup plus dynamique par rapport aux sept premières années de son évolution. On est alors face à un secteur en pleine ébullition où pour la première fois, les opérateurs se livrent une concurrence de très forte intensité qui profite au consommateur haïtien. En effet, entre mai et décembre 2006 le consommateur bénéficie d'une baisse importante des tarifs pratiqués par les opérateurs ; la multiplication des canaux de distribution des services et l'expansion des réseaux des opérateurs à travers tout le pays facilite l'accès au service de téléphonie cellulaire notamment grâce à une plus grande pénétration de ce service au sein de la population et une meilleure couverture. En outre, la diversité de la gamme des produits et services disponibles marque sans aucun doute un changement quant à la manière de traiter le consommateur. Fort de toutes ces considérations, nous disons donc que le marché de la téléphonie cellulaire est devenu très dynamique à partir de la période mai-décembre 2006. Il nous faut trouver à présent la ou les causes expliquant ce dynamisme nouveau observé dans le secteur. Dans les lignes qui suivent nous prendrons en compte trois principaux facteurs pouvant expliquer le dynamisme constaté sur le marché de la téléphonie cellulaire haïtien à partir de mai 2006.


·:. Le rôle joué par le Conatel. L'OCDE43 a démontré dans son étude « Cellular Mobile Pricing
structures and trends44 » qu'il existe une «forte corrélation entre la croissance du marché et son
ouverture
», et que « les marchés avec 3 ou plus opérateurs ont significativement surpassé les marchés

43 OCDE, Organisation pour la Coopération et le Développement Économique 44 http://www.oecd.org

en monopole ou duopole ». Considérant cette assertion, le rôle joué par le Conatel peut être apprécié à deux niveaux. Premièrement, en octroyant une licence à une nouvelle compagnie le régulateur favorise une augmentation de l'offre de ce service. De plus, le fait d'attribuer au nouvel opérateur une licence qui conditionne son entrée sur le marché à l'utilisation du GSM, une technologie exploitée parallèlement par la COMCEL, garantie éventuellement entre eux une concurrence plus intense qui se fera surtout au niveau des prix et de la qualité du service. Toutefois, le Conatel ne peut à lui seul garantir ce dynamisme si le nouvel opérateur ne dispose pas de moyen financier adéquat pour faire face à la concurrence dans le secteur. Le cas de Ti-telefon 2004 illustre parfaitement cette limitation.

· L'entrée de Digicel et son Moyen financier. En mai 2006 Digicel entre sur un marché cloisonné que se partagent la Comcel et la Haitel. Grâce à son important moyen financier et l'expérience acquise dans les télécommunications en tant que firme multinationale, la Digicel implante en Haïti un important réseau capable d'offrir un service de qualité sur tout le territoire. Cependant, cet important moyen financier ne peut non plus expliquer à lui seul le dynamisme constaté dans le secteur avec l'entrée de la Digicel. En effet, si ce nouvel opérateur décidait de partager le marché avec ses prédécesseurs, la configuration de ce secteur n'aurait pas évolué, on aurait cette fois ci un marché cloisonné avec trois opérateurs. Le fait est que la Digicel dès le début veut être le leader du secteur et pour atteindre cet objectif, elle adopte des stratégies concurrentielles très agressives qui auront un impact sur le dynamisme du secteur. Son comportement apparaît donc comme un facteur pertinent à considérer, la question maintenant est de savoir si ce comportement est le facteur déterminant de ce dynamisme.

· La stratégie concurrentielle de Digicel. Digicel arrive comme un troisième concurrent sur un marché jusque-là partagé entre deux opérateurs qui ont toujours opéré à partir de technologies différentes. Cette segmentation du marché fut à l'origine d'un duopole stable qui se traduit par le verrouillage du consommateur, des politiques de tarifications similaires, etc. Cette situation qualifiée d'entente tacite rend de toute évidence très difficile l'accès au secteur.

Dans ces conditions, Digicel comme nouvel entrant doit afficher une forte détermination tout d'abord pour pénétrer le secteur mais surtout pour prendre des parts de marché qui lui garantissent des profits futurs. D'autant plus que l'exploitation d'une technologie GSM sur la bande de fréquence 1800 MHZ avec ses contraintes techniques et financières oblige la Digicel à chercher une clientèle très dense pour rentabiliser son investissement. Donc, dès le départ, elle s'est retrouvée face à un ensemble de défis économiques et structurels qui ne lui laissent pas d'autres choix que l'adoption de stratégies concurrentielles très agressives qui demandent une grande capacité de financement.

B.2. Quelle stratégie la Digicel a-t-elle utilisé pour accaparer ce marché ?

Suite à l'obtention de sa licence GSM en Février 2006 et avant même qu'elle soit effectivement opérationnelle sur le marché, la filiale haïtienne de la Unigestion Holding S.A. (Digicel) se lance dans des investissements massifs dans des équipements modernes, elle met en oeuvre une politique commerciale très agressive et adopte une stratégie de proximité vis-à-vis de ses consommateurs.

· Investissements massifs dans des équipements modernes.

Digicel est contraint techniquement d'utiliser plus d'antennes que ses concurrents pour atteindre son objectif de couverture nationale, elle se voit imposer un maillage du réseau plus serré. De ce fait, le déploiement de son réseau nécessite des investissements plus élevés que ses prédécesseurs. Cette stratégie d'investissement lui confère en retour un avantage comparatif sur la couverture du territoire car elle est la seule à placer des antennes, de l'île de la tortue à l'île à vache, ce qui lui garantit une distribution absolue de ses services dans tout le pays. Il faut remarquer aussi que bon nombre d'antennes placées surtout sur les toits de certains immeubles de la capitale et dans les grandes villes de province sont des antennes mobiles qui couvrent la zone et qui sont de loin moins coûteuses que celles de Comcel et de Haitel. Par ailleurs, mise à part l'avantage comparatif recherché par la Digicel grâce aux investissements dans le capital physique, elle a beaucoup investi dans la formation de ses employés pour acquérir aussi l'avantage compétitif en vue d'avoir de meilleurs résultats en un temps record, à moindre coût et obtenir une efficience de la production.

· Politique commerciale agressive entreprise par la Digicel.

Avec Digicel, la concurrence sur le marché du cellulaire a pris une tournure très différente par rapport à ce qui se faisait avec Comcel et Haitel en situation de duopole. La compagnie Digicel se montre très agressive et donne à la concurrence un air de polémique. Dans les faits, cette agressivité se retrouve dans les déclarations des responsables de Digicel et se traduit par une campagne publicitaire spectaculaire et un imposant réseau de distribution.

Dans ses premières déclarations, Mme Gebara de la Digicel soutient que les deux premiers opérateurs ont toujours exploité l'utilisateur haïtien à partir de leur politique de tarification notamment par les charges retenues sur les appels entrants. Elle avance et assure que contrairement à ses concurrents, la Digicel veut respecter le client haïtien en offrant des services de qualité et à moindre coût.

Digicel a attaqué de façon directe la Comcel à travers une campagne de troc qui consiste à fournir gratuitement un cellulaire de marque Motorola C110 ou Nokia C9 activé sur le réseau Digicel à tout client de Comcel possédant un téléphone cellulaire en état de fonctionnement qui décide de passer sur le nouveau réseau de Digicel ; ainsi plus de 3000 clients de Comcel ont rejoint le réseau de Digicel en

quelques semaines. Elle a réitéré cette stratégie en attaquant la Haitel. En effet, elle offrait un Konka R716, d'une valeur de 3000 gourdes contre tout téléphone CDMA. Cette pratique fut interdite un peu plus tard par l'organe régulateur45, elle traduit néanmoins le niveau d'agressivité de la Digicel qui veut à tout prix rafler des parts de marché à ses concurrents.

Par ailleurs, elle a signé des contrats de partenariat avec plus de 300 concessionnaires autorisés repartis sur tout le territoire qui activent, vendent et réparent eux-mêmes des cellulaires sur le réseau Digicel. A noter que, grâce à ce partenariat elle bénéficie gratuitement des divers locaux qui sont les propriétés de ces concessionnaires, ce qui lui permet de vendre ses services sur le territoire national à moindre coût. De plus, près de 10.000 points de vente des cartes de recharges Digicel appelées encore cartes Flex sont recensés à travers tout le pays. Ces partenariats mettent en évidence une très grande présence de cet opérateur à l'échelle nationale.


· Stratégie de proximité vis-à-vis des consommateurs.

La Digicel impose tout aussi bien une vision révolutionnaire dans la manière de servir le client, avec son slogan « Exigez plus, Obtenez plus » elle se veut être aux services de ses abonnés. Pour jouer pleinement son rôle, elle introduit deux grandes innovations : tout d'abord elle institue sur son réseau le service à la clientèle répondant 24/24h aux soucis de ses abonnés ; ensuite elle apporte le service vers le consommateur là où il se trouve. Pour cela, elle assure une couverture nationale du service en ouvrant de nombreux centres régionaux qui gèrent les activités de l'entreprise sous l'égide de la maison mère, parallèlement elle emploie des centaines de jeunes pour démarcher leur produit chez le client. Cette stratégie de proximité vis-à-vis du consommateur employée par la Digicel soumet l'entreprise aux desiderata de celui qui commande, le client.

L'agressivité dont cette firme fait montre dans le secteur vise, selon les affirmations de Mne Gebara46, à capter une forte part de marché et faire de cette compagnie le leader du secteur en peu de temps comme cela s'est produit partout dans les caraïbes notamment en Jamaïque où Digicel détient plus de 60% des parts de marché. Il faut souligner que la compagnie achète les principaux intrants utilisés dans ses champs d'activités (terminaux, équipements, etc.) pour un marché qui regroupe 23 pays des Caraïbes et de l'Amérique central. Cela lui confère une force de négociation vis-à-vis des fournisseurs, de ce fait elle bénéficie d'un avantage de coût par rapport à ses concurrents en ce qui a trait à l'accès aux matières premières utilisées pour fournir son service. Parallèlement elle bénéficie d'économies d'échelle qui allègent les coûts supportés pour ses opérations et lui permettent d'échelonner sur une longue période

45 Le nouvelliste # 37380 « cellulaire: bataille sans pitié»

46 Invité au Magazine économique de radio Métropole, Edition du 6 Mai 2007, présentateur Kesner Pharel

ses charges et la capacité de récupération des investissements nécessaires pour s'imposer sur le marché haïtien. Elle évolue donc selon une configuration bien différente par rapport à la Comcel ou la Haitel qui opèrent exclusivement en Haïti. De plus, sur l'ensemble des marchés où elle est opérationnelle, la Digicel dispose d'une très large gamme de produits et services connexes pour repartir ses coûts.

Donc, parce qu'elle évolue sur le grand marché Caribéen, Digicel bénéficie d'économies d'échelle et supporte de ce fait un coût marginal plus faible que ses concurrents, ce qui lui permettra de faire encore des profits alors que ces derniers se seront épuisés dans le conflit. Et grâce à cette situation de coût faible, la compagnie bien plus que ses concurrents est plus flexible face à des hausses des coûts des facteurs de production ; elle se défend plus efficacement face aux produits de remplacement et accepte avec moins de peine les réductions des tarifs exigés par le marché. Pour se positionner dans le secteur Digicel adopte alors la stratégie de domination par les coûts axée sur une stratégie de volume.

Pour prouver que la stratégie de domination par les coûts adoptée par la Digicel est le facteur déterminant du nouveau dynamisme enregistré sur le marché du cellulaire en 2006, il importe d'analyser l'impact de cette stratégie sur l'évolution du dynamisme de ce marché.

B.3. Impact de la stratégie de domination au niveau des coûts de la Digicel sur le marché de la téléphonie cellulaire haïtien en 2006.

Notre analyse portera en premier lieu sur l'impact de la stratégie concurrentielle de Digicel sur les dimensions retenues pour cerner le concept de « dynamisme ». Ensuite, nous montrerons dans quelle mesure cette stratégie redynamise le secteur ainsi que son impact économique. Pour finir, nous résumerons la situation du secteur pendant cette période à partir d'une analyse des relations de causalité entre la structure du marché, le comportement des firmes et la performance observée. Et pour mieux saisir l'évolution du secteur sur cette période, la théorie des jeux nous permettra encore une fois de mieux comprendre les enjeux auxquels faisaient face les firmes concurrentes.


·:. Impact de la stratégie de la Digicel sur le degré d'accessibilité du secteur.

Nous allons dans un premier temps analyser la concurrence en prix que se sont livrés les opérateurs haïtiens, nous nous intéresserons particulièrement aux subventions d'accès qui se sont généralisées à partir de 2006 et les surenchères qui en découlent. Ensuite nous aurons à démontrer comment l'entrée de Digicel influence les canaux de distribution et le taux d'utilisation du téléphone cellulaire et son impact sur les taux de pénétration et de couverture de ce service.

Digicel, qui obtient une licence GSM 1800, n'a pas d'autre choix que de viser le grand public. Pour rentabiliser son réseau, la compagnie va adopter une stratégie de domination par les coûts qui est en fait une stratégie de volume où il lui faut beaucoup d'abonnés, qu'il doit aller chercher dans les zones urbaines et rurales. La réussite de cette stratégie de volume doit passer par la pratique de tarifs plus faibles que ses concurrents. Ainsi, dès son lancement et tout au cours des premiers mois de son fonctionnement, Digicel propose des forfaits à des prix inférieurs aux offres de ses deux principaux concurrents : les coûts supportés par un nouveau client de Digicel sont de loin inférieurs aux coûts d'acquisition d'un contrat chez un autre opérateur.

Les subventions d'accès.

A partir de mai 2006, la Digicel pour rendre effective sa stratégie de volume, lance une nouvelle formule pour attirer les clients : Les subventions d'accès, mais elle est immédiatement suivie par les deux autres opérateurs qui vont développer cette nouvelle politique. Ils vont choisir de subventionner l'accès, en commercialisant le terminal à un prix inférieur à son coût véritable, la différence étant supportée par l'opérateur. Concrètement, le client se voit proposer par les opérateurs des coffrets (packs) qui comprennent le terminal (Ericsson, Nokia ou Alcatel, ...) et l'accès à une gamme de forfaits. Pour le client, les coffrets représentent une baisse substantielle du prix d'accès à la téléphonie mobile. Avant l'entrée de la Digicel sur ce marché, les premiers prix pour un terminal activé tournaient autour de $100 US minimum (soit environ 4000 gourdes). En juin 2006, on voit apparaître des offres en dessous de 1500 gourdes. La baisse se poursuit dans les mois suivants, avec des coffrets à moins de 1000 gourdes, puis à moins de 900 gourdes. Les opérateurs vont d'ailleurs multiplier les promotions et primes de bienvenue, en offrant au nouvel abonné les frais de mise en service (activation gratuite) et parfois une carte de 50 gourdes, etc. On assiste à une surenchère entre opérateurs, en complète déconnexion avec les coûts. De fait, les opérateurs estiment à cette époque que l'acquisition d'un nouvel abonné représente approximativement un coût de 3500 gourdes. Pour 30%, il s'agirait de coûts de distribution (rémunération des distributeurs sur les coffrets vendus), le terminal lui-même représente à peu près 50 % de ce coût, le reste correspondant aux coûts d'ouverture du compte de l'abonné, ainsi que les frais divers (marketing, promotion). Dès lors que les opérateurs réclament aux nouveaux abonnés moins de 1000 gourdes pour le terminal et l'ouverture de la ligne, le déficit d'accès dépasserait 4000 gourdes par abonné47.

47 Wadnerson Boileau, la configuration du marché de la téléphonie mobile en Haïti, journal le matin du 22 décembre 2006.

Surenchères et équilibres.

Les surenchères sur l'accès fragilisent indéniablement les comptes des opérateurs. Il est certain que ces subventions affectent les profits des entreprises qui mettent alors plus de temps à rentabiliser leurs investissements. Dans ces conditions, comment peut-on alors expliquer l'acharnement des opérateurs à maintenir ces subventions d'accès ?

On peut montrer assez facilement que cette politique de subvention est parfaitement rationnelle dans le contexte du GSM. En effet, il faut se rappeler que les subventions d'accès se sont intensifiées dès lors que les services des opérateurs sont devenus de moins en moins différenciés. Or en présence de services assez homogènes, les clients deviennent de plus en plus sensibles aux prix et les opérateurs se retrouvent dans la situation de concurrence à la Bertrand. Si Voila propose l'accès à un prix supérieur à Digicel, il aura des difficultés à attirer de nouveaux abonnés et verra ses parts de marché se réduire. Cette stratégie n'est donc jamais profitable : il vaut mieux s'aligner sur les prix d'accès de son concurrent, que d'apparaître comme le plus cher. Un opérateur peut même avoir intérêt à annoncer des prix d'accès inférieurs à ceux de ses concurrents (surenchère) si les revenus des abonnés subtilisés à ses concurrents, compensent la perte de revenus sur chaque nouvel abonné. Mais si une politique de prix agressive peut être profitable pour un opérateur et accroître ses parts de marché, elle conduit nécessairement les concurrents à réagir, en annonçant à leur tour des baisses de prix. La surenchère sur les prix d'accès, observée à partir de 2006 s'inscrit donc dans cette logique.

Finalement, à partir du dernier trimestre de cette même année, les prix d'accès vont se stabiliser à un niveau très bas. Comment expliquer cette stabilisation des prix ? La théorie des jeux fournit une réponse assez simple. La situation sur le marché de l'accès correspond à un équilibre de Nash, au sens où aucun opérateur n'a intérêt à modifier ses prix d'accès unilatéralement. Chacun sait qu'en relevant ses prix, il risque de voir les nouveaux abonnés se tourner vers ses concurrents. Il sait aussi qu'il n'a pas intérêt non plus à baisser ses prix, car il va accroître son déficit d'accès et qui plus est, ses concurrents risquent de s'aligner, l'empêchant d'en tirer un quelconque avantage.

Le seul moyen de sortir de cet équilibre « bas » consisterait pour les opérateurs à s'entendre sur une hausse de prix conjointe. Pratique strictement interdite dans le droit de la concurrence. Ces subventions d'accès fragilisent d'autant plus les comptes des opérateurs qu'elles interviennent dans un contexte de concurrence et d'information asymétrique. D'une part, les clients, bénéficiant de ces subventions, ont la possibilité, dans un cadre concurrentiel, de résilier leur abonnement pour se tourner vers un autre opérateur. D'autre part, les opérateurs s'exposent à un risque moral de surconsommation de terminal.

En subventionnant l'acquisition du téléphone, Digicel apporte une innovation majeure dans le secteur. Par cette stratégie, Digicel favorise très largement l'accès à ce service car elle permet non seulement d'accéder à son réseau à moindre coût mais aussi cette politique pousse les autres opérateurs à en faire de même de façon à ne pas perdre leurs abonnés et à attirer de nouveaux clients. Ainsi, en trois mois d'opérationnalité sur le marché, Digicel comptait déjà plus de 450,000 abonnés sur son réseau ; la Comcel accuse entre temps un taux de croissance du nombre d'abonnés de près de 22% contre 13% pour la Haitel, en passant respectivement de 425,000 à 520,000 et de 250,000 à 282,500 clients48.

En instaurant un réseau qui couvre tout le territoire, la Digicel facilite également l'accès au service qu'elle apporte vers le consommateur. Cette stratégie de proximité fait de la Digicel, dans les premiers moments, le seul opérateur présent dans beaucoup de régions et par conséquent fait augmenter son pouvoir de marché. Face à cette situation, Comcel et Haitel réagissent d'abord en agrandissant leur réseau et en multipliant leurs canaux de distribution. Ainsi, vers la fin de l'année 2006 près de 80% du territoire nationale ont accès au cellulaire.

Le taux de couverture du territoire national en décembre 2006 et la baisse du coût d'acquisition d'un téléphone reflètent l'apport de la stratégie concurrentielle de Digicel dans ce secteur. Ces deux indicateurs révèlent une forte potentialité du secteur à faciliter l'utilisation du service, toutefois un autre indicateur important à prendre en compte pour étudier le rythme d'utilisation du téléphone cellulaire est le coût d'utilisation. Celui-ci est vérifié à partir des stratégies de tarification des firmes en place. La Digicel en mai a instauré une politique de tarification qui va influencer considérablement le comportement des autres firmes et des abonnés. Tout d'abord, en éliminant les tarifs sur les appels entrants Digicel porte ses concurrents à faire de même. Ceci constitue pour la clientèle une incitation majeure à communiquer d'avantage. Digicel propose une facturation à la seconde, la réduction des tarifs de communication en week-end sur son réseau, la baisse des prix des cartes de recharge prépayés jusqu'à 50 gourdes, etc. Comcel et Haitel réagissent et annoncent à leur tour des tarifs réduits qui varient selon le plan de tarification choisi. Un client de la Haitel peut payer jusqu'à 2,50 gdes la minute, alors que Comcel annule les tarifs sur les appels entrants/sortants sur son réseau de minuit à 6 heures du matin. Si ces stratégies visaient à attirer de nouveaux clients, elles ont surtout facilité la communication entre les abonnés, ce qui augmente inévitablement le rythme d'utilisation du service.

Avec Digicel, la concurrence dans le secteur de la téléphonie cellulaire s'est intensifiée. En appliquant
sa stratégie de volume, Digicel occasionne une baisse généralisée de tarifs, une meilleure couverture du
territoire, une extension des canaux de distribution et une hausse du taux d'utilisation du service. La

48 Rencontre rélisée avec les responsables de la Haitel et de la Comcel.

stratégie de domination au niveau des coûts adoptée par la Digicel a donc rendu plus accessible le marché de la téléphonie cellulaire aux consommateurs.

· :. Impact de la stratégie concurrentielle de la Digicel sur la nature des choix disponibles. La nature des choix disponibles met en évidence les caractéristiques des produits et services offerts, elle peut être expliquée par la qualité et la diversification des produits et services. La stratégie de domination au niveau des coûts adoptée par la Digicel est une stratégie de volume qui vise à faire de cet opérateur le leader en nombre d'abonnés. En dépit des contraintes technologiques auxquelles il faisait face, cet opérateur a pu développer un réseau très dense qui couvre 90% du territoire moyennant de lourds investissements auxquels il a consenti. Par ailleurs, Comcel et Haitel faute de moyens financiers ne sont pas en mesure de mener une stratégie de volume de même ampleur que la Digicel. Parallèlement aux efforts consentis pour augmenter leur nombre d'abonnés, elles ont accentué leurs stratégies sur l'amélioration de la qualité du service. Ainsi, à la fin de l'année 2006 on observe bien des différences entre le réseau de ces deux firmes et celui de la Digicel au niveau de la densité et de la qualité des communications dans certaines zones. En effet, l'engouement des gens pour les portables de Digicel a eu pour conséquence immédiate la saturation du réseau de la compagnie, elle offre alors un service de bien moindre qualité par rapport aux services de la Haitel et de la Comcel. De son côté, Haitel, jusqu'en octobre 2006, offre une qualité inférieure en Province, en termes de couverture, mais compte tenu de la densité de son réseau, son service est d'une très bonne qualité en région métropolitaine, en comparaison avec les deux autres opérateurs.

Digicel arrive sur le marché avec de nouveaux produits et services qui attirent énormément de clients et même ceux déjà abonnés aux réseaux de la Haitel et de la Comcel. Toutefois, ces dernières mettront quelques mois à moderniser leur réseau et à la fin de l'année il n'existe pratiquement pas de différenciation dans les services proposés par les opérateurs. Ces derniers offrent les mêmes services (SMS, facture détaillée, roaming international).

· Digicel a modifié le marché de la téléphonie cellulaire Haïtien en 2006.

Ces modifications affectent la structure, le comportement et la performance du marché :

o Digicel a modifié la structure du marché tant au niveau de l'offre que de la demande.

Jusqu'en avril 2006, le marché de la téléphonie cellulaire a absorbé un peu plus d'un demi million d'abonnés. En décembre 2006, 8 mois après son entrée dans le secteur, Digicel à elle seule offrait ce service à plus d'un million d'abonnés. La riposte de ses concurrents a été immédiate, ces derniers élargissent la capacité de leur réseau, et à la fin de cette année le secteur a plus que triplé sa capacité à offrir ce service en passant de 675,000 abonnées à 2,320.000 abonnées.

La stratégie de domination au niveau des coûts mise en oeuvre par la Digicel donne un nouvel élan à un marché accessible jusque-là à une faible partie de la population. La stratégie d'ouverture pratiquée par cet opérateur révèle l'existence d'une forte demande non satisfaite. En effet, en établissant son réseau sur tout le territoire et en offrant son service à bas prix, Digicel a créé une nouvelle catégorie de demande. Celle-ci se situe dans les zones les plus reculées et est constituée en particulier de gens à faible revenu, de jeunes résidant en ville ou en campagne. Cette stratégie a porté ses fruits car en moins de trois mois l'opérateur annonce un surplus de demande de terminal qui excède très largement les prévisions faites pour le marché haïtien. En ce laps de temps, près de 300.000 téléphones sont retirés

M arché de la té lé p

chez les nombreux concessionnaires. En décembre 2006, l'opérateur occupe déjà la place de leader du secteur avec près de 59% des parts de marché (avec 1,410,000 clients pour 2, 320,000 abonnés sur le marché). Fig.3.3. Une telle performance individuelle va inciter les autres opérateurs à revoir leur comportement

13% 2%

vis-à-vis du consommateur.

fig3.3

Source : RDDH, fevrier 2007

o Digicel a modifié le comportement des opérateurs.

Avec Digicel, la nouvelle forme que prit la concurrence oblige les autres opérateurs à s'ouvrir à la

population des zones urbaines mais aussi à celle des zones rurales qui représentent les 60% de la population haïtienne; la stratégie de segmentation du marché basée sur le pouvoir d'achat des consommateurs pratiquée au cours de la période du duopole Comcel-Haitel n'a plus lieu d'être, D igicel démocratise l'accès au téléphone qui devient tout simplement un accessoire de communication. Cette transformation au niveau du comportement des opérateurs se traduit concrètement par une meilleure performance globale du secteur.

o Digicel a modifié la performance du secteur.

Cette nouvelle dynamique que vit ce secteur se traduit plus concrètement à travers une meilleure
couverture du service au niveau national, une meilleure qualité et un accès plus facile à ce service et la
mise à la disposition de la clientèle d'une gamme plus diversifiée de produits et d'options

d'abonnement que nous avons présenté antérieurement. En effet, en Décembre 2006 les trois principaux opérateurs affirment déjà parvenir à une couverture presque complète du territoire. La démocratisation de l'accès à ce service entraîne une forte croissance de la demande et du même coup une tendance à la saturation des réseaux des opérateurs qui doivent alors investir d'avantage.


· Impact économique de la stratégie concurrentielle de la Digicel.

Le regain de vitalité que connaît ce secteur se reflète aussi par ses apports à l'économie. Ceux-ci peuvent être considérées non seulement sous un angle microéconomique mais aussi macroéconomique. La concurrence poussée par l'offensive de la Digicel porte ses concurrents à réviser leurs stratégies qui prennent alors beaucoup plus en compte l'intérêt du consommateur. La pratique des appels entrants gratuits instaurée par la Digicel et qui est tout de suite reprise par Comcel et Haitel a permis aux abonnés d'économiser après quatre mois près de $70 millions US49. Cependant, malgré la baisse généralisée des tarifs sur le marché du cellulaire nous ne sommes pas en mesure d'apprécier l'évolution du poids des télécommunications dans le panier de consommation des ménages. De même, au niveau du système productif, nous ne pouvons non plus estimer le poids des télécommunications dans la consommation intermédiaire des entreprises.

NB- Cette contrainte résulte de la non disponibilité des grandeurs statistiques appropriées tels que : le montant

mensuel moyen des dépenses d'un ménage en services télécoms, le poids des télécommunications dans la consommation intermédiaire des entreprises, etc.

Sur le plan macroéconomique, les transformations sur le marché de la téléphonie cellulaire, comme secteur transversal de l'activité économique, ont eu un impact positif sur la productivité du travail et donc sur la croissance globale. En effet, la nouvelle concurrence, en entraînant une meilleure diffusion du cellulaire en tant qu'outil de travail améliore de fait la fluidité des échanges entre les agents. Cette concurrence permet notamment de réduire les coûts de transaction (les agents coordonnent mieux leurs activités, le recours à des « médiateurs » n'est plus requis), d'améliorer la qualité de l'information transmise et donc de réduire l'incertitude et/ou les éventuelles asymétries d'information. D'un autre coté, la modernisation des réseaux des opérateurs entraîne la création de nouveaux emplois directs et indirects dans l'économie. D'autre part, pour l'année 2006 ce secteur a contribué à hauteur de 6.55% aux recettes totales de l'Etat50.

49 M. Marcelin, directeur du Conatel dans la rubrique Code 38 à canal bleu

50 Les recettes totales de l'Etat en 2006 étaient estimées à 20,110 milliards de gourdes. Source MEF

Le nouveau dynamisme observé dans le secteur résulte donc du changement de comportement opéré par les principaux opérateurs de téléphonie cellulaire sur le marché Haïtien. La stratégie concurrentielle du nouvel opérateur est de toute évidence le fil conducteur qui aura conduit à cette transformation du secteur en 2006. En effet, le réel désir de conquête et d'hégémonie dont fait montre la Digicel ne pouvait pas laisser indifférent Comcel et Haitel qui jouissaient déjà d'une situation bien plus confortable. Avec cette concurrence en 2006 on paierait dix fois moins chère un téléphone par rapport au minimum nécessaire pour ce même bien en 1999, soit au minimun 4000 gourdes en 1999 contre 400 à 500 gourdes en 2006 . Pour mieux comprendre cette nouvelle performance du secteur nous devons regarder la relation de causalité qui existe désormais entre les variables structure, comportement et performance mis en évidence dans le paradigme SCP.

B.4. Relation de causalité entre la structure, le comportement et la performance du secteur. (Fig.3.4) Avec l'entrée de la Digicel, la relation de causalité du paradigme SCP n'est plus la même. Digicel a une vision : Chaque haïtien doit posséder un téléphone portable « Digicel »; et arrive en Haïti pour accomplir sa mission : Etre le leader du marché. Pour atteindre ces objectifs, Digicel va adopter un comportement plus agressif que ses prédécesseurs et élaborer des stratégies concurrentielles correspondant au but qu'elle s'est fixée en s'appuyant sur l'expérience acquise sur le marché caribéen et grâce surtout à ses moyens financiers. Cette agressivité oblige les deux principaux concurrents à réagir en révisant leurs stratégies pour rester dans le secteur. La dynamique d'actions et réactions qui en résulte apporte une baisse généralisée des tarifs, une meilleure couverture de ce service à travers le pays, un choix plus diversifié de services et de produits,également un fort taux de pénétration du service en un temps record. Digicel sort grand bénéficiaire de ce nouveau dynamisme en devenant en quelques mois seulement le leader du secteur au détriment des autres opérateurs et particulièrement de la Comcel. Étant donné que ces deux firmes exploitent la même technologie, il en découle donc une concurrence plus intense entre elles. Dans ces conditions, Comcel ne peut plus continuer à afficher le même type de comportement vis-à-vis de la Haitel, elles adoptent alors des stratégies concurrentielles différentes. Donc, à partir de mai 2006 le marché du cellulaire haïtien évolue dans une structure purement oligopolistique.

La structure du marché influence également le comportement des firmes, en effet, en autorisant la Digicel à exploiter une technologie GSM parallèlement à la Comcel, le Conatel provoque une concurrence plus intense dans le secteur. De plus, l'exploitation de la technologie GSM1800 qui nécessite de plus lourds investissements et l'obtention d'un grand nombre d'abonnés, obligent la Digicel à engager une bataille pour la conquête de grandes parts de marché. Cette configuration du

marché est à la base de la performance spectaculaire observée dans le secteur à la fin de l'année 2006.

Fig3.4 Le modèle Structure-Comportement-Performance.

 

Comportement

 

Performance

 

Structure

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

.

 
 
 
 
 
 
 
 

B.5 Simulation par la théorie des jeux des intéractions stratégiques des opérateurs.

Lorsqu'elle entre sur le marché, la Digicel est confrontée à deux choix : soit elle coopère avec ses prédécesseurs (C), soit qu'elle adopte un comportement agressif, non coopératif (NC) et fixe unilatéralement des tarifs inférieurs aux tarifs qui y sont pratiqués jusque-là. Comcel et Haitel pourraient ainsi réagir en fonction des choix stratégiques de Digicel par la coopération (C) ou non (NC). Cependant, vu que Digicel et Comcel exploitent toutes les deux une technologie GSM, nous admettons qu'elles sont les premières à dévoiler leurs stratégies. Etant donné que Haitel exploite une technologie autre que le GSM, nous disons qu'elle dévoile sa stratégie la dernière. Nous admettons aussi que les opérateurs peuvent deux à deux choisir la coopération à travers un jeu stratégique tel que Digicel choisisse sa stratégie, Comcel joue en seconde position suivie de la Haitel. Dans la figure (F2) nous présentons en fonction des choix stratégiques des joueurs les gains retirés, le premier nombre du triplet étant les gains de Digicel, le second ceux de Comcel et le troisième ceux de Haitel. (Fig3.5).

Si Digicel dès le départ veut coopérer, Comcel et Haitel peuvent accepter la coopération mais avec son statut de dernier entrant, Digicel devrait se contenter de marges de profits inférieurs. Comcel et Haitel, dans un autre cas de figure, peuvent ne pas accepter et s'arranger pour que Digicel ne puisse pas obtenir de profit si elle persiste à vouloir entrer dans le secteur. Ce sont là deux situations non satisfaisantes pour Digicel. Mais pourquoi vouloir coopérer et obtenir de maigres profits quand on a les moyens de rafler une part de marché bien plus importante ? Un joueur rationnel choisit toujours ses stratégies de façon à ce que ses gains soient maxima, pour Digicel le meilleur choix est ici la non coopération. Elle ne peut pas adopter un comportement coopératif et ceci principalement pour trois raisons que nous résumons comme suit :

1- Elle entre en troisième position sur un marché partagé entre Comcel et Haitel, elle doit donc lutter pour accaparer des parts de marché satisfaisantes.

2- La technologie utilisée ne lui permet pas non plus d'adopter un tel comportement.

3- L'histoire du joueur : c'est un opérateur qui a la réputation de casser les monopoles partout où il passe, il utilise toujours des stratégies de guerre.

De plus nous faisons l'hypothèse que si Digicel adopte la stratégie (NC) elle aura toujours des gains supérieurs ou égaux à ceux de ses concurrents parce qu'elle dispose de moyens financiers plus significatifs et surtout grâce à l'expérience acquise sur le marché international. Admettons que tous les joueurs sont rationnels, nous pouvons alors déterminer l'équilibre sur ce marché en utilisant la méthode d'induction à rebours (Backward Induction) qui consiste à parcourir l'arbre de jeu en partant des matrices de gains pour remonter au noeud initial (Fig3.5).

Ainsi, en comparant les gains obtenus pour sa stratégie (C) et ceux obtenus pour (NC) lorsque Comcel jouent (C) et Digicel joue (C), Haitel préfère jouer (C). De même, lorsque Comcel choisit (NC) et Digicel (C), Haitel opte pour (NC). Lorsque Comcel joue (C) et Digicel choisit (NC), Haitel gagne plus en jouant (NC). Elle préfère encore la stratégie (NC) quand Comcel et Digicel jouent (NC). Les choix de Haitel étant arrêtés pour chaque situation du jeu, Comcel opte pour la stratégie (C) si Digicel joue (C) et (NC) si Digicel choisit (NC). Et Digicel est bien plus confortable en jouant la non coopération (NC) si elle suppose que tous ses concurrents sont rationnels. (Fig3.5)

Digicel

Fig3.5

(C) (NC)

(60 u, C, H) (130 u, C, H)

Comcel Comcel

(C) (NC) (C) (NC)

(60u, 110 u, H) (75 u, 95 u, H) (100 u, 80 u, H) (130 u, 120 u, H)

Haitel Haitel Haitel Haitel

(NC) (C) (NC) (C) (NC) (C)

(C)

(NC)

(60 u, 110 u, 110 u) (60 u, 75 u, 95 u) (60 u, 95 u, 75 u) (60 u, 95 u, 95 u) (100 u, 80 u, 80 u) (100 u, 80 u, 100 u) (100 u, 100 u, 80 u) (130 u, 120 u, 120 u)

Donc avec Digicel le marché atteint un équilibre stable qui correspond à la définition de l'équilibre de Nash. Le triplet (130u, 120u, 120u)51 traduisant cet équilibre représente les gains des trois opérateurs lorsqu'ils jouent la stratégie non coopérée.

51 A défaut d'informations relatives aux profits des firmes, ces nombres qui sont des valeurs théoriques choisies arbitrairement représentent leur niveau d'utilité. Avec U (utilité) U 0

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Pour comprendre les modifications survenues dans le marché de la téléphonie cellulaire en 2006, nous avons présenté tout d'abord ce secteur de 1999 à 2006 et ensuite analysé la concurrence observée en 2006. Pour atteindre cet objectif nous avons subdivisé ce mémoire en trois parties :

+ Le premier chapitre, consacré à une revue de littérature, présente la théorie des prix, le paradigme SCP et la théorie des jeux pour vérifier nos hypothèses. Toutefois, les limites de la théorie des prix nous permettent de retenir le paradigme SCP et la théorie des jeux pour analyser la concurrence dans le secteur et vérifier les hypothèses.

+ Le second chapitre est la présentation du marché, nous avons porté notre étude sur deux périodes : septembre 1999-avril 2006 et mai-décembre 2006 où nous analysons la situation de ce marché à chaque période à partir du paradigme SCP. La présentation de ce marché sur ces sous périodes affirme une meilleure performance du secteur à partir de mai 2006.

+ Le dernier chapitre est la vérification de l'hypothèse de départ, pour cela nous avons procédé à une analyse comparative des deux périodes précitées pour déterminer les facteurs explicatifs des performances enregistrées.

En effet, s'il parait indéniable que l'adoption du cellulaire à partir de 1999 a permis d'améliorer la configuration du marché des télécommunications en Haïti de façon générale, il n'en reste pas moins certain que l'évolution de ce secteur ait affiché jusqu'en avril 2006 un dynamisme pour le moins insatisfaisant. Nous avons mis en évidence des lacunes observées sur ce marché en ce qui a trait à l'offre, notamment au cours de la période 1999-avril 2006 qui coïncide avec le duopole Comcel-Haitel. La structure de marché qui caractérisait ce secteur au cours de cette sous-période facilitait l'adoption d'une stratégie de différenciation qui a incité Comcel et Haitel à adopter des comportements collusifs. En mai 2006, Digicel entre sur le marché en employant une stratégie de volume qui est en fait la stratégie de domination au niveau des coûts qui vise à asseoir son leadership dans le secteur. Cette stratégie influence grandement le comportement des autres opérateurs qui, pour faire face à la menace que représente D igicel, vont recourir à des stratégies plus agressives, abandonnant leur comportement collusif. Ainsi, on entre dans une structure de marché purement oligopolistique dans laquelle les interactions stratégiques des opérateurs ont entraîné des changements spectaculaires. L'entrée de ce nouvel opérateur a influencé la compétitivité dans ce marché, qui a été déterminant dans l'atteinte de ce dynamisme. La stratégie concurrentielle mise en oeuvre par la Digicel a eu des retombées positives sur les comportements des firmes concurrentes. En effet, la nécessité de réagir face à l'agressivité de

Digicel porte Comcel et Haitel dans un premier moment à moderniser leur réseau et ensuite à adopter des stratégies concurrentielles aussi agressives pour capter de nouvelles parts de marché. Ce jeu d'interactions stratégiques entre ces opérateurs explique la forte concurrence observée dans le secteur. Cette nouvelle concurrence dans le marché de la téléphonie cellulaire aboutit à une nette amélioration du bien-être du consommateur. Par ailleurs, la modernisation des réseaux des opérateurs, nécessaire pour affronter la concurrence, a entraîné la création d'un grand nombre d'emplois dans le secteur qui parallèlement, fut classé comme le plus grand contribuable de l'assiette fiscale en 2006. Ces considérations expliquent pourquoi les économistes ont qualifié le marché de la téléphonie cellulaire comme le plus dynamique de l'économie haïtienne en 2006.

L'entrée de Digicel sur le marché de la téléphonie cellulaire a certainement influencé le nouveau dynamisme retrouvé dans ce secteur, mais c'est surtout le comportement de cet opérateur à travers sa stratégie concurrentielle qui a rendu ce marché très dynamique.

Toutefois, la nouvelle concurrence qui prévaut dans ce marché a aussi révélé les faiblesses du Conatel qui dispose d'un cadre légal non adapté à la réalité du secteur. Les problèmes d'interconnexion et la concurrence déloyale observés dans les premiers moments d'opérationnalité de la Digicel traduisent l'inefficacité de nos institutions étatiques. Pour remédier à cette situation, cette étude propose certaines recommandations qui pourront être prises en compte par les différents acteurs impliqués dans la régulation de ce marché.

Les recommandations.

Si l'on droit admettre que le secteur de la téléphonie de façon générale a bénéficié de l'entrée de Digicel et qu'elle a apporté un dynamisme nouveau sur le marché du cellulaire, il faut cependant être méfiant quant à la capacité de ce secteur à conserver ce dynamisme sur le long terme. En effet, nous pouvons dire que c'est un dynamisme fragile en ce sens qu'il ne repose sur aucune politique publique, sinon que la volonté des opérateurs. Or le rôle de l'autorité de régulation est de favoriser un développement du marché permettant aux consommateurs d'atteindre un bien être maximum. Cela dit, il est nécessaire de poursuivre une régulation dans un contexte où les mutations techniques sont rapides et profondes. Pour cela, quels doivent être les choix économiques et politiques pour un développement à court, moyen et long terme, du secteur de la téléphonie cellulaire ?

Il est en effet essentiel d'élaborer un cadre légal permettant à l'ensemble de l'économie de bénéficier
des innovations du secteur et des multiples externalités qu'il génère. Cet enjeu est d'autant plus crucial
que ces externalités influent positivement sur la croissance, la productivité et la compétitivité. Les

télécommunications représentent une ressource primaire pour la croissance économique et la diffusion des innovations demeure donc un enjeu non seulement sectoriel mais aussi macroéconomique.

Il serait donc mieux que les responsables étatiques mettent à la disposition du régulateur des lois permettant d'encadrer ce dynamisme. Notre proposition porte sur l'actualisation du cadre légal où l'élaboration de nouvelles lois se fera en concertation avec l'État, les opérateurs de téléphonie, les Universités et les différents acteurs concernés par l'évolution du secteur (RDDH, AHTIC52).

Le gouvernement Haïtien devra planifier des politiques publiques en la matière qui visent à doter le pays d'infrastructures modernes. Comme politique publique nous prévoyons la construction, la maintenance et le fonctionnement d'un réseau de fibre optique offrant une large variété de service fournis par des opérateurs indépendants.

Le MTPTC et le Conatel dans le souci de maintenir ou de stimuler la concurrence dans le secteur peuvent octroyer des licences supplémentaires dans le mobile, libéraliser le fixe et encourager la portabilité des numéros53. Toutefois cette stratégie de court terme devrait être accompagnée d'une politique d'incitation à l'investissement et à l'innovation, indispensable à long terme.

La Teleco devrait développer une stratégie de croissance pour devenir très compétitive dans ce marché. En étant un opérateur de téléphonie fixe, elle doit agrandir son réseau pour offrir un service de qualité standard à une très forte demande. De plus, grâce à sa licence GSM, elle devra l'exploiter efficacement en devenant un concurrent sérieux pour les autres opérateurs, ce qui certainement va favoriser la compétitivité dans le secteur. Par ailleurs, elle devrait adopter une politique de convergence des réseaux et des services de télécommunication. Cette convergence se traduit par le lancement d'offres intégrées regroupant à la fois voix, données et images, permettant l'utilisation conjointe de plusieurs équipements (téléphone, ordinateur) sur les différentes infrastructures (fixe, mobile, Internet). Une stratégie originale pour la Teleco qui à elle seule offrirait plusieurs services simultanément.

Vu l'enjeu stratégique que représentent les télécommunications pour le développement économique, il serait bénéfique à ce stade de statuer d'avantage sur la manière de procéder pour encadrer l'évolution du secteur. Mis à part le paradigme SCP comme cadre d'analyse des secteurs, nous suggérions que les futurs diplômés du CTPEA travaillent parallèlement sur l'interaction entre les types d'environnements sectoriel et les stratégies des opérateurs de télécommunication. D'autre part, le paradigme SCP et la théorie des jeux peuvent être utilisés pour effectuer des études similaires dans

52 RDDH : Réseau de Développement Durable en Haïti

AHTIC : Association Haïtienne des Technologies de l'Information et des Communications

53 Possibilité offerte à un abonné de changer d'opérateur en gardant le même numéro.

d'autres secteurs tels le secteur bancaire, le secteur des compagnies d'assurance, les fournisseurs de services Internet, les maisons de transfert de devises, etc.

Les limites.

Nous avons tenu aussi à exprimer les limites de cette étude qui ne donne certainement pas toutes les réponses relatives à la démarche à suivre pour l'élaboration d'un nouveau cadre réglementaire pour le secteur. Il est certain que ce travail aurait pu être approfondi en ce sens, mais face aux nombreuses contraintes auxquelles nous étions confrontés, ces objectifs n'ont pas été à notre portée.

Les limites de ce travail s'expliquent par le manque de données mises à la disposition des chercheurs. En effet :

a) nous n'avons pas eu accès à une documentation spécifique des entreprises.

b) De plus, il n'existe presque pas de modèles d'études économiques réalisées dans ce secteur.

c) Les informations fournies relèvent strictement des enquêtes menées auprès des cadres des institutions concernées.

En dépit de ses limites, cette étude apporte de nouvelles connaissances relatives au marché des télécommunications, en particulier le secteur de la téléphonie cellulaire :

a) Ce que ce travail nous apprend de plus par rapport à ce qui a déjà été dit.

Ce mémoire de sortie révèle la nécessité de réaliser des études économiques dans le secteur des NTIC qui puissent expliquer non seulement son évolution mais également son importance dans les stratégies de développement économique.

b) Ce qu'on apprend de nouveau : révélations nouvelles sur le secteur.

Par ailleurs, on apprend de nouvelles méthodes d'analyse de la concurrence dans le marché haïtien comme le paradigme SCP ou encore la théorie des jeux.

Les perspectives.

L'avenir du marché des télécommunications en Haïti parait très prometteur. L'Etat haïtien annonce déjà la couverture numérique du territoire qui passera par la mise en place de dorsales en fibre optique et l'implantation de la technologie Wimax. Par ailleurs, la Teleco détentrice d'une licence GSM non exploitée et la seule à se lancer dans des investissements en fibre optique sera un concurrent très redoutable sur le marché de la téléphonie cellulaire. Ces perspectives dessinent pour les prochaines années un marché plus compétitif et beaucoup plus dynamique.

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www.rddh.org.ht

www.telecom.gouv.fr www.voila.ht






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