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Justice, équité et égalité entre philosophie utilitariste et Science économique: Bentham, Mill, et Rawls

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par Didier HAGBE
Université Lyon II - Master 2 Histoire des théories économiques et managériales 2005
  

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CONCLUSION

John Rawls à partir de 1980207(*), a clarifié208(*) sa position sur différents points de sa théorie de la justice comme équité.

Premièrement, Rawls insiste sur le fait que sa théorie de la justice comme équité ne représente pas l'application d'une conception morale générale à la structure de base de la société, comme si cette structure était simplement un cas parmi d'autres auxquels elle s'appliquerait. Rawls considère alors de ce point de vue, que sa théorie est différente des doctrines morales traditionnelles, car celles-ci sont en général considérées comme des conceptions générales qui valent pour toutes sortes d'objets, depuis les actions individuelles jusqu'au droit public international. L'utilitarisme en est un exemple bien connu puisqu'on dit habituellement que le principe d'utilité, quelle qu'en soit la formulation, vaut pour toutes sortes d'objets. Le point essentiel pour Rawls, est qu'en matière de pratique politique, aucune conception morale générale ne peut fournir un fondement publiquement reconnu pour une conception de la justice, dans le cadre d'un Etat démocratique moderne. D'après lui, les conditions historiques et sociales de ces Etats ont leurs origines dans les guerres de religion qui ont suivi la Réforme et dans le développement ultérieur du principe de tolérance ainsi que dans le progrès du gouvernement constitutionnel et des institutions propres aux économies de marché industrielles à grande échelle. Pour Rawls, puisque la théorie de la justice comme équité est conçue comme une conception politique de la justice valable pour une démocratie, elle doit essayer de ne reposer que sur les idées intuitives qui sont à la base des institutions politiques d'un régime démocratique constitutionnel et sur les traditions publiques qui en commandent l'interprétation.

Ainsi Rawls, précise que le but de la théorie de la justice comme équité n'est ni métaphysique ni épistémologique, mais pratique. En effet elle se présente comme une base pour un accord politique informé et de plein gré entre des citoyens qui sont considérés comme des personnes libres et égales. Quand cet accord est fondé solidement sur des attitudes sociales et politiques publiques, il garantit le bien de tous les individus et de tous les groupes qui font partie d'un régime démocratique juste.

Pour Rawls, l'idée intuitive fondamentale, celle qui permet de relier systématiquement les autres idées intuitives de base et qui les commande, est que la société est un système équitable de coopération sociale entre des personnes libres et égales. La théorie de la justice comme équité prend donc son départ dans une intuition dont nous pensons qu'elle est implicite dans la culture publique d'une société démocratique. Dans leur pensée politique et dans le contexte de la discussion publique des questions politiques, les citoyens ne traitent pas l'ordre social comme un ordre naturel et fixe ou comme une hiérarchie institutionnelle justifiée par des valeurs aristocratiques ou religieuses.

Deuxièmement Rawls précise l'idée de coopération sociale en indiquant trois de ses éléments.

La coopération est distincte d'une activité qui serait coordonnée purement socialement, comme par exemple par des ordres émis par une autorité centrale. La coopération est guidée par des règles publiquement reconnues et par des procédures que ceux qui coopèrent acceptent et considèrent comme régissant leur conduite à juste titre.

La coopération implique l'idée que les termes en sont équitables (fair), chaque participant peut raisonnablement les accepter, à condition que tous les autres les acceptent également. Les termes équitables de la coopération impliquent une idée de réciprocité ou de mutualité ; tous ceux qui sont engagés dans la coopération et qui y jouent leur rôle conformément aux règles et aux procédures doivent en tirer des avantages d'une manière appropriée, évaluée par un critère correct de comparaison. C'est la conception de la justice politique qui définit les termes équitables de la coopération. Etant donné que l'objet premier de la justice est la structure de base de la société, la théorie de la société comme équité les définit grâce à des principes qui précisent les droits et les devoirs de base dans le cadre des principales institutions de la société et en dirigeant les institutions de la justice à l'arrière-plan durablement de façon que les avantages produits par les efforts de chacun soient équitablement acquis et répartis d'une génération à l'autre.

L'idée de coopération sociale exige que l'on ait une idée de l'avantage rationnel de chaque participant, c'est-à-dire de son bien. Cette idée du bien précise ce que cherchent à atteindre tous ceux qui sont engagés dans la coopération, qu'il s'agisse d'individus, de familles ou de groupes, ou même d'Etats-nations, quand on considère le système de leur point de vue.

Il faudrait souligner qu'une conception de la personne, au sens où Rawls l'entend ici, est une conception normative, qu'elle soit légale, politique ou morale ou même philosophique ou religieuse, dépendant de la vue d'ensemble dont elle fait partie. Pour Rawls, dans le cas présent, la conception de la personne est morale, partant de notre conception quotidienne des personnes comme unités de pensée, de délibération et de responsabilité de base correspondant à une conception politique de la justice, et non à une doctrine morale générale. C'est effectivement une conception politique de la personne et donc, étant donné les objectifs de la théorie de la justice comme équité, une conception des citoyens.

Le sens de la justice est la capacité de comprendre, d'appliquer et de respecter dans ses actes la conception publique de la justice qui caractérise les termes d'une coopération équitable. Et être capable d'une conception du bien, c'est pouvoir former, réviser et poursuivre rationnellement une conception de notre avantage au bien. Dans le cadre de la coopération sociale, il ne faut pas prendre ce bien au sens étroit mais plutôt le concevoir comme ce qui a de la valeur dans la vie humaine. C'est pourquoi, en général, une conception du bien consiste en un système plus ou moins déterminé de fins ultimes209(*), ainsi que de liens avec d'autres personnes et d'engagements vis-à-vis de divers groupes et associations. Ces liens et ces engagements donnent naissance à l'affectation et au dévouement ; c'est pourquoi l'épanouissement des personnes et des groupes qui sont l'objet de ces sentiments fait aussi partie de notre conception du bien. En outre, nous devons y inclure aussi une réflexion sur notre relation au monde - religieuse, philosophique ou morale - qui permet de comprendre la valeur et l'importance de nos fins et de nos liens avec autrui.

Pour Rawls, outre le fait de posséder ces deux capacités morales, un sens de la justice et une conception du bien, les personnes ont aussi à tout moment une conception particulière du bien qu'elles essaient de réaliser. Etant donné que Rawls souhaite se placer dans la perspective d'une société qui soit un système équitable de coopération, il suppose donc que les personnes en tant que citoyens ont toutes les capacités qui leur permettent d'être des membres normaux et à part entière de la société.

Troisièmement, Rawls revient à présent sur l'idée de la position originelle. Pour lui, cette idée est introduite pour découvrir quelle est la conception traditionnelle de la justice, ou la variante de ces conceptions, qui précise le mieux les principes à la base de la réalisation de la liberté et de l'égalité - à condition de traiter la société comme un système de coopération entre des personnes libres et égales. Avec cet objectif, Rawls peut à présent introduire l'idée de la position originelle et comment elle sert cet objectif.

Etant donné que la théorie de la justice comme équité reprend la doctrine du contrat social, Rawls nous propose comme idée de coopération sociale, une conception dans laquelle les termes de la coopération sont établis par les personnes elles-mêmes à la lumière de ce qu'elles considèrent comme leur avantage mutuel. Les termes équitables de la coopération sociale sont donc conçus comme étant ceux sur lesquels se mettent d'accord les participants, c'est-à-dire des personnes libres et égales en tant que citoyens nés dans la société où se déroule leur vie. Mais leur accord, comme n'importe quel autre accord valide, doit être obtenu dans des conditions appropriées. En particulier, ces conditions doivent traiter équitablement ces personnes libres et égales et ne doivent pas permettre que certains aient plus d'atouts que d'autres dans la négociation. En outre doivent être exclues les menaces de la force et de la coercition, la tromperie et la fraude, et ainsi de suite.

Ces considérations sont bien connues, étant donné la réalité quotidienne. Mais les accords de la vie quotidienne se font dans une situation plus ou moins clairement définie qui est enracinée dans les institutions environnantes de la structure de base.

La première difficulté propre à toute conception politique de la justice qui utilise l'idée du contrat, qu'il soit social ou autre, est de trouver un point de vue à partir duquel puisse être atteint un accord équitable entre des personnes libres et égales.

C'est ce point de vue, avec le trait particulier que Rawls a appelé le voile d'ignorance, qui est la position originelle. Et la raison pour laquelle la position originelle ne doit pas tenir compte des contingences du monde social et ne doit pas être affectée par elles est que les conditions d'un accord équitable sur les principes de la justice politique entre des personnes libres et égales doivent éliminer les inégalités dans la répartition des atouts dans la négociation que ne manqueront pas de susciter, dans les institutions de toute société, les tendances cumulées naturelles, sociales et historiques. Ces avantages contingents et ces influences accidentelles venues du passé ne devraient pas influencer un accord sur les principes qui doivent diriger désormais les institutions de la structure de base elle - même depuis le présent jusque dans le futur.

La seconde difficulté à laquelle Rawls se trouve confronté est la suivante : il est clair que la position originelle doit être traitée comme un procédé de présentation et, que, donc, tout accord atteint par les partenaires doit être considéré comme à la fois hypothétique et non historique. Mais alors étant donné que les accords hypothétiques ne créent pas d'obligation, quelle est la signification de la position originelle ? La réponse de Rawls est donnée par le rôle que jouent les divers traits de la position originelle en tant que procédé de présentation. Ainsi il est nécessaire que les partenaires soient situés symétriquement si on les considère comme les représentants de citoyens libres et égaux qui doivent atteindre un accord dans des conditions équitables. Selon Rawls, le fait que nous occupions une certaine position sociale n'est pas une raison valable pour que nous acceptions, ou que nous attendions que d'autres acceptent, une conception de la justice qui favorise ceux qui occupent cette position sociale. C'est la raison pour laquelle dans la position originelle, les partenaires n'ont pas le droit de connaître leur position sociale et la même idée est étendue à d'autres cas. Elle est exprimée de manière figurée en disant que les partenaires se trouvent derrière un voile d'ignorance; elle décrit les partenaires - chacun d'eux étant responsable des intérêts essentiels d'une personne libre et égale. En somme Rawls surmonte ces deux difficultés en traitant la position originelle simplement comme un procédé de présentation. En tant que procédé de présentation, l'idée de la position originelle sert de moyen pour la réflexion publique et permet une autoclarification. Pour Rawls, le voile d'ignorance, n'a aucune implication métaphysique concernant la nature du moi, il n'implique pas que le moi soit ontologiquement antérieur aux faits concernant les individus que les partenaires n'ont pas le droit de connaître.

Quatrièmement, L'une des distinctions les plus profondes entre les conceptions politiques de la justice est entre celles qui tolèrent une pluralité de conceptions du bien qui s'opposent et même sont sans commune mesure, et celles qui soutiennent qu'il n'existe qu'une seule conception du bien qui doit être reconnue par les individus dans la mesure où ils sont pleinement rationnels. Les conceptions de la justice de chaque côté de cette séparation se distinguent de plusieurs manières fondamentales. Platon, Aristote et la tradition chrétienne représentée par saint Augustin et saint Thomas d'Aquin sont du côté du bien unique rationnel. De telles philosophies ont tendance à être téléologiques et à soutenir que des institutions sont justes dans la mesure où elles favorisent efficacement ce bien. En fait, depuis l'époque classique, il semble que la tradition dominante ait été qu'il n'existe qu'une conception rationnelle du bien et que le but de la philosophie morale, comme de la théologie et de la métaphysique, soit de déterminer sa nature.

L'idée de Rawls est que, l'utilitarisme classique appartient à cette tradition dominante, et par opposition, le libéralisme en tant que doctrine politique suppose qu'il existe de multiples conceptions du bien, en conflit et incommensurables entre elles. Chacune étant compatible, autant que nous puissions en juger, avec la pleine rationalité des êtres humains. Comme conséquence de cette hypothèse, le libéralisme considère comme un trait caractéristique d'une culture démocratique libre le fait que des conceptions du bien en conflit et incommensurables entre elles soient soutenues par ses citoyens.

Selon Rawls, le libéralisme en tant que doctrine politique pose que la question à laquelle la tradition dominante a essayé de répondre n'a pas de réponse valable pour une conception politique de la justice dans une démocratie. Dans une telle société, une conception politique téléologique est hors de question, on ne peut pas atteindre un accord public sur la conception requise du bien.

Rappelons que l'origine historique de cette hypothèse libérale est la réforme et ses conséquences. Jusqu'aux guerres de religion au XVIe et XVIIe siècle, les termes équitables de la coopération sociale étaient étroitement délimités ; la coopération sociale basée sur le respect mutuel était considérée comme impossible entre des personnes de confession différente ou avec des personnes soutenant une conception du bien fondamentalement différente. Ainsi l'une des racines historiques du libéralisme fut le développement de diverses doctrines demandant la tolérance religieuse.

Un des thèmes de la théorie de la justice comme équité est la reconnaissance des conditions sociales qui donnent naissance à ces doctrines dans le contexte subjectif de la justice et ensuite l'explication des implications du principe de tolérance210(*). Le libéralisme tel qu'il a été formulé au XIXe siècle par Benjamin Constant, Tocqueville et Stuart Mill accepte la pluralité de conceptions du bien incommensurables entre elles comme un fait de la culture démocratique moderne, à condition, bien entendu, que ces conceptions respectent les limites qu'indiquent les principes de la justice pertinents. Une des tâches du libéralisme en tant que doctrine politique est de répondre à la question de savoir comment comprendre l'unité de la société, étant donné qu'il ne peut y avoir d'accord public sur un bien rationnel unique et qu'il existe une pluralité de conceptions opposées et incommensurables. Et, en supposant que l'unité de la société soit concevable d'une manière quelque peu définie, dans quelles conditions serait-elle effectivement possible ? Rawls dans sa théorie de la justice comme équité, comprend l'unité de la société à partir de la conception de la société comme système de coopération entre les personnes libres et égales. L'unité de la société et l'allégeance des citoyens à leurs institutions communes ne sont pas fondées sur le fait qu'ils adhèrent tous à la même conception du bien, mais sur le fait qu'ils acceptent publiquement une conception politique de la justice pour régir la structure de base de la société. Le concept de justice est indépendant du concept du bien et antérieur à lui, au sens où ses principes limitent les conceptions du bien autorisées. Quant à la question de savoir si cette unité est stable, pour Rawls, toutes choses égales par ailleurs, une conception sera plus ou moins stable dans la mesure où les conditions vers lesquelles elle mène soutiennent des doctrines morales, philosophiques et religieuses complètes pouvant constituer ce qu'il appelle un overlapping consensus stable. Rawls conclut que, dans une société marquée par de profondes divisions entre des conceptions du bien opposées et incommensurables entre elles, la théorie de la justice comme équité nous permet au moins de concevoir comment l'unité de la société peut être à la fois possible et stable.

* 207 Voir l'Article paru dans philosophy and Public Affairs, 1985, vol. 14, n°3.

* 208 Ces modifications sont évidents dans les trois conférences intitulées « Kantian Constructivism in Moral Theory », Journal of Philosophy, 77, septembre 1980.

* 209 C'est-à-dire de fins que nous voulons réaliser pour elles-mêmes.

* 210 La distinction entre le contexte objectif et subjectif de la justice est faite dans la théorie de la justice, p.159

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