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Conflits identitaires et unité de l' Etat

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par Sarr Massamba
Université Cheikh Anta Diop de Dakar -  2008
  

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Paragraphe 2 : l'effritement de la loyauté et de l'obéissance envers l'Etat

L'identitarisme, particulièrement ethnique, est beaucoup plus souvent une création des élites, qui s'approvisionnent, déforment et parfois inventent des aspects de la culture du groupe q'ils représentent, afin de préserver leur existence et leur bien être ou pour gagner des avantages politiques et économiques pour le groupe autant que pour elles-mêmes .Par conséquent, les conflits identitaires résultent de crises d'identité et de discrimination. Lorsque celles -ci se manifestent, les normes de comportement sont sujettes à de profondes remises en cause (A).En outre, l'armée qui est considérée comme un symbole de souveraineté, un moyen d'assurer la défense et l'intégrité du territoire est divisée (B).

A- Des normes de comportement sujettes à de profondes remises en cause

Les zones identitaires sont des zones où les Etats sont passés au service d'une minorité, d'une couche sociale précise et se retrouvent incapables d'assurer le moindre bien -être économique ou démocratique à l'ensemble de leurs citoyens. L'identitaire se nourrit donc d'injustice, des frustrations que l'Etat partage pour le seul bénéfice d'un groupe. A ce stade, l'identitaire se développe parce qu'il assure non seulement la survie du groupe social face à une menace plus ou moins réelle, mais parce qu'il légitime toutes les reconquêtes possibles de l'Etat, que ces reconquêtes s'effectuent au nom de la nation, au nom d'un ensemble religieux et culturel, ou encore au nom d'une ethnie. Ainsi dans la plupart des conflits identitaires les valeurs communes dont l'Etat prétendait être l'expression sont rejetées ; les règles qu'il édicte ne sont plus respectées. En effet le consensus social sur lequel reposent les fondements de la culture politique est rompu. Le contrat social ne fait plus l'unanimité et provoque des divisions entre communautés. Les groupes, clans et ethnies se menacent, s'exploitent et se détruisent les uns les autres menant à un processus de désintégration rapide de sociétés jusque -là gérées de façon unitaire (ce qu'on appelle libanisation.) Toute répression étatique, ou tentative de renforcer l'Etat s'avère alors futile et provoque une résistance qui affaiblit encore un peu plus la légitimité de l'Etat, menant au dilemme des « Etats précaires » d'aujourd'hui, du Tchad au Rwanda, de l'ex-Yougoslavie à l'Afghanistan. Il y a donc un désaccord abyssal entre les différentes communautés identitaires, sur les valeurs fondamentales à l'existence d'une société de liberté, sur un pouvoir librement consenti et collectivement partagé, sur un droit senti comme naturel.

Or dans les sociétés où il n'existe pas un accord sur le vouloir vivre ensemble entre les groupes identitaires, la nature même des choses et des hommes est remise en cause.

Au Maghreb la crise économique a eu des conséquences politiques immédiates sur les entités étatiques qui ont construit, en partie, leur légitimité sur la capacité à intégrer les nouvelles générations issues des systèmes éducatifs et à leur assurer une promotion sociale.

Dans ce cadre la crise des dynamiques de croissance économiques réduit largement les capacités distributives des Etats et permet un développement du discours contestataire des mouvements intégristes depuis la fin des années 70. Cette contestation sera d'autant plus importante, que l'importation par certains pays des éléments d'une pratique et d'un symbole de l'Etat occidental était et continue à être récusée par des populations encore marquées par l'héritage identitaire islamique qui refuse toute séparation entre le politique et le religieux. La seule source de légitimation dans cette perspective réside dans une parfaite soumission du temporel au spirituel. Cette crise de l'Etat moderne s'est traduite par une montée de la contestation intégriste et son évolution vers un affrontement armé entre des groupes islamistes et les forces régulières de l'ordre. Ainsi l'Algérie s'est installée dans une situation de guerre civile larvée. La crise est analysée par le discours néo-orientaliste comme le résultat logique de l'échec de la voie « occidentale  » de modernité empruntée par les élites maghrébines après les indépendances. Cette voie a cherché à couper les pays maghrébins de leur héritage politique et culturel en imposant des catégories occidentales dans la gestion du politique .Ainsi, le principe de laïcité, produit de l'histoire politique occidentale, a été à la base des constructions étatiques post-coloniales au Maghreb. Dans cette perspective la crise de la construction étatique est analysée dans le discours néo-oriental comme la crise de la greffe des catégories politiques occidentales et l'échec de l'importation dans ces sociétés de la voie occidentale de modernité.

Ainsi, en analysant le développement de la contestation islamiste dans les pays arabes, F. Burgat précise que si l'impact de ce discours « dépasse largement l'audience de la frange radicale du courant islamiste ,si des pans entiers du paysage arabe demandent aujourd'hui à l'unisson cette même « application de la charia  » et que la poussée islamiste est devenu le principe réorganisateur de la scène politique sur plusieurs continents de notre monde, c'est que ,bien au-delà de la seule réconciliation avec le sacré, l'enjeu final de cette demande est la restauration de tout un ordre symbolique déchu>>6(*).La soumission du politique au religieux à travers la charia est au coeur des sociétés musulmanes.

L'hypothèse de la spécificité des sociétés arabo- musulmanes défendue par les néo-orientalistes dans l'analyse de la crise de l'Etat -nation se trouve également dans le discours néo-khaldounien7(*).Ce courant soutient l'idée que les constructions étatiques dans le monde arabe n'ont jamais pu se débarrasser des « asabiyât » (solidarités de corps segmentaires)qui se superposent et imposent même leur logique à ces constructions .Ainsi ,l'Etat moderne dans le monde arabe , en dépit d'un discours et d'une organisation moderne ,ne serait que l'expression d'une solidarité tribale ,régionale ou religieux .Pour les néo-khaldouniens,la domination de l'Etat par les solidarités provient du caractère pluriel et fortement fragmenté des sociétés arabes. Dans ce contexte, la solidarité et le lien social sont établis sur la base des liens de sang ou d'appartenance ethnique. Outre la remise en cause des normes de comportement, les conflits identitaires emportent également comme conséquence la division de l'armée.

B- La division de l'armée

Les conflits identitaires qui correspondent à des situations où le monopôle étatique des armes les plus puissantes est contesté ou détruit, comportent plusieurs niveaux d'intensité. Au niveau le plus bas de la violence, la répression ou le maintien de l'ordre relève exclusivement de la police, et l'armée peut rester en dehors du conflit. Cependant une telle attitude n'est pas toujours adoptée par l'armée qui perd souvent son unité au fur et à mesure du développement des hostilités .Ainsi la division de l'armée en plusieurs forces rivales contribue à l'aggravation du conflit. Le Liban a connu une telle situation lors du conflit de 1975. En effet comme partie aux affrontements, l'institution militaire ne sera pas impliquée dans le conflit interne par une décision des pouvoirs publics avant l'été 1983. Auparavant, en septembre 1975, elle avait été investie d'une mission « d'interposition ». Mais le développement des hostilités, et le clivage au sein de la société et de la classe politique libanaise entre les deux grandes composantes -chrétienne et musulmane -rejailliront sur une armée dont le rôle était lui-même l'objet d'une vive controverse. Aussi, l'armée libanaise subira -t-elle, à plus d'une reprise, des processus de désintégration dont le résultat sera de rallier à l'un ou l'autre camp certains de ses éléments ou unités .Deux phases particulières du conflit seront marqués par la dislocation de l'armée régulière.

C'est d'abord au cours de l'année 1976 que différentes fractions de l'armée se distingueront les unes des autres par leurs prises de position dans le conflit.

D'une manière générale, les forces loyales au commandant en chef seront amenées à participer ouvertement aux combats aux cotés des forces libanaises en octobre 1976 .Mais auparavant ou à la même époque, diverses tendances à l'intérieur de l'armée faisaient leur apparition.

A la fin de janvier 1976 ,dans la Békaa ,un jeune lieutenant sunnite 8(*) quitte l'armée libanaise en compagnie de quelques hommes et constitue une Armée du Liban Arabe -essentiellement musulmane - qui se voulait le noyau de la future armée libanaise et qui adoptait le programme du Mouvement National .Soutenu et encadré militairement par le Fath ,aidé financièrement par la Libye ,ce lieutenant allait chercher à se relier aux parties de gauche, mais se retrouvera ,en définitive,plus proche des groupes religieux musulmans que du mouvement national avec l'objectif de refaire l'unité de tous les musulmans du Liban . Au courant du mois de mars de cette année, une forteresse du Liban-Sud et une série de casernes du Liban-Sud, de la Békaa et du Liban-Nord proclament leur allégeance à l'armée du Liban Arabe, ce qui lui permet de récupérer la majeure partie du matériel de l'Armée libanaise.

A l'opposé, un autre groupe, l'Armée du Liban, constitué en juin 1976 par un major chrétien, rassemble des effectifs désireux de faire pièce à l'Armée du Liban Arabe. Ainsi l'émiettement de l'armée libanaise a été un tournant décisif de ce conflit qui sera plus longue et meurtrière que le précédent.

Par ailleurs en Afrique, on assiste comme l'a si bien écrit Babacar Sine : « à une armée tribalisée vivant en son sein les clivages et les contradictions ethniques qui minent et travaillent la société globale ...Ce microcosme reproduit en son sein le profond malaise identitaire qui risque de détruire le tissu social et national encore fragile de la plus part des pays africains » 9(*)A cet égard, on peut citer entre autres l'exemple de la Côte d'Ivoire

En effet la Côte d'Ivoire ne fait pas exception à ce que l'on appelle la clochardisation des armées, à l'image de beaucoup de pays africains .Cet état de fait n'est pas sans pouvoir remettre en cause non seulement la suivie du régime, mais également la paix et la stabilité de la société toute entière. L'origine de la mutinerie de décembre 1999qui a porté le général Robert Gueï au pouvoir, tout comme celle de septembre 2002 n'était pas d'ordre politique au départ mais plutôt d'ordre corporatiste. En effet, ces mutineries surviennent à la suite de réclamations de soldats pour l'amélioration de leurs conditions de vie.

En outre, l'armée ivoirienne souffre également de l'instrumentalisation de l'ethnicité. Le pays n'échappe pas à ce phénomène que l'on retrouve dans bon nombre de pays africains.

Cette « ethnicisation »de l'armée a pour conséquence majeure la perte du sens patriotique, la disparition de l'esprit de groupe au sein de l'armée ainsi que l'effritement de la loyauté envers l'Etat. En effet, le sentiment d'appartenance (ethnique, régionale, clanique etc.) domine au sein des forces armées qui sont nationales que de nom.

En fait, le recrutement et l'encadrement des soldats ne répondent souvent qu'aux critères du « clientélisme politico ethnique », et cela s'explique par la volonté des autorités, de mieux contrôler les soldats afin qu'ils soient faciles à manipuler. Ainsi certains observateurs ont pu soutenir que les quelques centaines de soldats à l'origine de la mutinerie et du putsch de décembre 1999avaient été recrutés par le général Gueï pour des raisons personnelles .En 2002, la mutinerie qu'elle ait été ou non à un prétexte au déclenchement des événements, s'est rapidement muée en une véritable rébellion. Elle a aussi pris un tour plus politique. Alors qu'au départ, le mouvement exprimait des intérêts catégoriels et des frustrations sociales de sous-officiers marginalisés, le message s'est politisé et radicalisé : début octobre, les rebelles exigeaient le départ du président Gbagbo et l'organisation de d'une table ronde pour évoquer les problèmes et surtout ceux des populations du nord, en partie la fin des exclusions ethniques, puis la mise en place d'une période de transition et l'organisation de nouvelles élections. De surcroît la rébellion a changé de nature en se structurant et en se dotant, au fil des jours, des attributs d'une organisation partisane dénommée le Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI). De ce fait l'armée ivoirienne sera fortement divisée. En effet ,une bonne partie des officiers et sous- officiers ainsi que des hommes de troupes des forces armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) est entré en rébellion à coté des forces nouvelles .On peut citer entre autres ,l'adjudant Tuo Fozié et le sergent Chérif Ousmane qui commandaient les troupes rebelles à Bouaké ,l'adjudant chef Massamba Koné ,chef des rebelles de korhogo,le sergent -chef Irénée Kablan ,le caporal Diarra Souba et le sergent- chef Souleymane Diomandé.

Pour la plupart, ces chefs rebelles ont un passé militaire et politique en commun. A l'instar de Fozié, ils ont été recrutés dans le fameux corps d'élite de la FIRPAC (force d'intervention rapide parachutiste commando) et ont été formés sous les ordres du général Gueï et ont été parmi les « jeunes gens  » les plus actifs du coup d'Etat de 1999. Sous un autre registre, au Nigeria, les clivages régionaux qui apparurent immédiatement après l'indépendance, en détruisant l'unité de l'armée, furent à l'origine du coup d'Etat de 1966 .Au cours de cette période des factions militaires se sont constituées sur base de l'appartenance ethnique et régionale .Sans doute les intérêts régionaux recouvrent -ils souvent des revendications liées à l'appartenance ethnique. Après avoir mis l'accent sur l'effritement de la loyauté et de l'obéissance envers l'Etat, il urge maintenant de mettre l'accent sur la déstructuration de l'Etat.

* 6 F. Burgat ,Islam ,chretienneté ,deux visions de la laïcité ,collectif ,Dieu ,fin de siècle ,religions et politique,éditions de l'Aube / Libération ,1994

* 7 Voir à ce propos :

M. J. Al-Ansari, Du concept de l'Etat dans le monde arabe contemporain, Revue d'études palestiniennes, n°53 ; 1994.

* 8 Du nom de Ahmad al-Khatib.

* 9 Sine (B). <<Le nouveau réveil militaire >> ; in : Démocratie africaines (Dakar) ; n°06 .mais- juin 1996 p.5.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon