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L'image de la femme japonaise dans le cinéma de Miyazaki

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par Joanna PHILIPOT
Université de Nice Sophia Antipolis - Master 1 Information et Communication 2011
  

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PHILIPOT Joanna

Université de Nice Sophia-Antipolis

UFR Lettres, Arts et Sciences Humaines

Département des Sciences de l'Information et de la Communication

Master 1 des Sciences de l'Information et de la Communication

Sous la direction de Mme Christel TAILLIBERT

L'IMAGE DE LA FEMME JAPONAISE DANS LE CINEMA D'HAYAO MIYAZAKI

Année universitaire 2010/2011

INTRODUCTION

L'engouement pour le Japon aujourd'hui relève du phénomène : où que l'on aille, il semble que le Japon y laisse sa trace. Autrefois société discrète et lointaine, il est impossible aujourd'hui d'échapper au Japon sous toutes ses formes : sa gastronomie, sa mode extravagante, ses mangas, sa technologie et bien sûr ses films d'animation. Régnant sur les télévisions enfantines depuis les années 80, on en viendrait à oublier son cinéma d'animation dont la lecture peut, au-delà du divertissement pour enfants, nous révéler des caractéristiques bien particulières de la société japonaise, celle qui fascine tant l'Occidental par sa différence en bien des points.

C'est cette thématique qui fera l'objet de mes recherches pour ce mémoire. L'animation japonaise et ce qu'elle peut révéler de son pays, le Japon, pays qui s'oppose à nous, dont la société fonctionne si différemment : dans ses aspects professionnels, familiaux, religieux mais également sexuels. Effectivement la question des genres est abordée de façon très différente dans la société occidentale et la société japonaise, tant dans les représentations des hommes que celle, particulièrement, des femmes. Il me semblait donc intéressant de me demander en quoi nos visions diffèrent, ce que je pourrais analyser à travers les différentes images de femme qui nous parviennent du Japon.

En effet, l'étude de la représentation des femmes est intéressante au vu de l'imagerie foisonnante que nous avons des japonaises, fascinantes dans leurs contradictions : geishas, femmes au foyer, adolescentes extravagantes dans les rues de Tokyo. Les représentations que nous donne le Japon pour décrypter sa société ne manquent pas et le cinéma d'animation nous offre de nombreux exemples pour étudier l'image de la femme dans la société japonaise. Tantôt hyper-sexualisée dans les mangas ou anime populaires pour adultes et adolescents, tantôt romancée, idéalisée, la femme est représentée de mille façons, toujours contradictoire, tiraillée entre modernité et tradition.

Le Japon, pays où la tradition se mêle à l'hyper urbanisme et les hautes technologies de pointe, nous paraît, à nous Occidentaux, énigmatique et complexe. Les femmes sont l'illustration de notre incompréhension vis-à-vis de la société japonaise. Soumises ? Indépendantes ? Egales de l'homme ? Mères au foyer, épouses ? Nous les apercevons aujourd'hui dans un cinéma représentant la crise que traverse le Japon, ce tiraillement entre tradition et modernité : nature et urbanisme, cérémonies, rituels, et fêtes occidentales, art de vivre japonais et art de vivre européen, américain.

Nous pouvons dans un premier temps, admettre que le bouleversement des modèles féminins est l'expression la plus manifeste des changements qui s'opèrent dans le Japon contemporain. En effet, la façon dont une société représente ses femmes témoigne de son système social et même politique, car touchant à son fonctionnement profond : l'éducation, l'école, les opportunités de travail, l'égalité des chances, des sexes.

Le Japon traverse en effet aujourd'hui une « crise » de ses modèles : avec un alignement sur le modèle occidental, le Japon tente aujourd'hui de se trouver une identité, entre ses traditions et la modernité, ce qui se reflète dans l'évolution du statut des femmes ces dernières années. Effectivement, depuis les années 60, la femme trouve une place qui oscille entre la « ryosai kembo », c'est-à-dire la tradition de « la bonne épouse et la mère avisée » et la « working girl ». Il est intéressant de noter que cette longue évolution s'opère toujours aujourd'hui, tant les images traditionnelles sont ancrées, et la séparation des mondes féminins et masculins marquée. On assiste aujourd'hui à un bouleversement qui se fait de façon lente mais qui engendre un brouillage des identités : les groupes de musique, les stars de cinéma par exemple, montrent de nouveaux modèles à la jeune génération, où se joue une ambigüité des sexes inédite. Les hommes jouent sur leur féminité et les femmes embrassent des rôles et aspirations autrefois réservées aux hommes.

La situation du marché du travail il y a encore peu de temps, est révélatrice du travail que doivent accomplir les femmes japonaises pour se débarrasser de leur rôle traditionnel : aujourd'hui encore, le monde du travail est un monde dominé par les hommes. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les médias, par exemple, ou la scène politique. Difficile pour une femme d'être acceptée à un poste à responsabilités, d'être prise au sérieux par les hommes, tant une longue tradition de femmes effacées derrière leurs maris et dont le seul but et métier était la famille et l'éducation des enfants, pèse, encore aujourd'hui, très lourdement dans les mentalités.

Il est donc intéressant de chercher à savoir comment ces bouleversements sont vécus par les Japonais, et comment la nouvelle génération se situe par rapport à cette longue tradition de différenciation des sexes. Pour chercher à comprendre à quel point la société japonaise change, et dans quelle mesure le statut des femmes a changé et évolue encore, il est nécessaire de comprendre comment le Japon a fonctionné auparavant. En effet, la société japonaise a, durant des siècles, fonctionné sur un modèle ancien issu de la tradition confucianiste, lequel a influencé l'éducation, la hiérarchie familiale et même professionnelle. La séparation entre les sphères masculines et féminines en est l'expression la plus forte. De telles habitudes sont dures à faire disparaître. Ainsi, cette hiérarchisation à travers les coutumes sociales, et même le langage, qui établit une différenciation entre hommes et femmes, semble se ressentir toujours en filigrane de la société aujourd'hui, malgré l'influence occidentale qui, depuis la Seconde Guerre Mondiale, bouleverse les rôles traditionnels.

Ainsi, il est intéressant d'étudier le cinéma japonais car celui-ci nous apporte un éclairage sur ces bouleversements de modèles, ainsi que sur la place de la femme au sein d'une société en plein essor international. Cela nous permettra donc d'accéder à une meilleure compréhension de la société japonaise dans son ensemble.

Pour illustrer ce propos et m'interroger sur la place de la femme dans la société japonaise aujourd'hui, j'étudierais le cas du réalisateur Miyazaki, dont les films d'animation ont la particularité de présenter non pas des héros, mais des héroïnes, tout en offrant un panel intéressant : femmes jeunes, âgées, enfants, etc.

Ainsi les perspectives qui sont impliquées pour étudier ce sujet sont sociologiques mais également esthétiques. J'utiliserais donc l'analyse filmique pour étudier les films de Miyazaki, en retenir une certaine lecture qui me sera ensuite utile pour effectuer un comparatif avec la réalité de la société japonaise, ce qui m'aura également demandé d'effectuer auparavant des recherches dans les domaines de la Sociologie et de l'Histoire. Ces disciplines me permettront ainsi de mettre en corrélation la place de la femme dans la société japonaise et le regard particulier d'un cinéaste sur sa société.

Ma problématique sera donc la suivante : Quelle image de la femme Miyazaki offre-t-il dans son cinéma ?

Pour répondre à cette question, il va m'être utile de développer plusieurs phases de recherches nécessitant différentes méthodes. Tout d'abord, je rassemblerais un corpus d'écrits sociologiques et historiques sur le Japon et en particulier sur l'évolution de la femme, mais aussi de son image dans les médias japonais. Je me servirais donc de magazines, d'articles, d'essais, de documentaires ayant pour sujet la société japonaise. Les livres écrits par des femmes japonaises ou directement sur les femmes japonaises me permettront de saisir au mieux l'évolution de leur place dans la société.

Les écrits sur la culture, sur l'art et les traditions japonaises me seront aussi indispensables pour comprendre le fonctionnement de cette société. Je rechercherais au maximum des traductions directes d'articles issus des médias japonais, dans la mesure du possible ; mais les analyses offertes par les spécialistes occidentaux du Japon, de la femme japonaise et des médias japonais seront ma principale ressource. Tous ces documents seront ainsi utiles pour mes recherches sociologiques, historiques, me permettant d'analyser la réalité de la place de la femme dans la société japonaise contemporaine, ainsi que la représentation de ce rôle féminin, que l'on trouve dans les différents médias.

J'étudierais ensuite de façon générale, l'image de la femme dans le cinéma d'animation japonais. J'utiliserais un axe purement historique et objectif pour cette partie, dans lequel j'établirais une simple présentation des principales images féminines que l'on retrouve dans le cinéma d'animation. J'utiliserais donc des livres retraçant l'histoire du cinéma d'animation, son évolution, les thèmes qui y sont abordés et le type de personnages féminins que l'on y trouve de façon générale, avant d'aborder la présentation du réalisateur que j'étudierais plus particulièrement.

Je me servirais ensuite d'écrits ainsi que de documentaires audiovisuels sur le réalisateur Miyazaki, sur ses films : des critiques de films dans des revues spécialisées, des biographies, mais également directement à la source : en effet, j'utiliserais les dossiers de presse dont j'aurais au préalable fait la demande au Studio Ghibli, studio de production de Miyazaki à Tokyo.

Le but de ma recherche étant de voir quelle image de la femme nous offre Miyazaki, en partant de l'hypothèse que ses films nous permettent d'établir un parallèle avec la réalité de la société japonaise aujourd'hui, je ferais une analyse de certains films de Miyazaki pour illustrer ce propos. Ainsi, pour mon étude filmique, j'ai restreint mes analyses à une certaine partie de la filmographie de Miyazaki. En effet, j'analyserais les films réalisés entre 1984 et aujourd'hui, afin de garder une homogénéité entre les différents films et les représentations féminines qui s'y trouvent. J'ai choisi ces dates car 1984 est la date de sortie du premier grand succès de Miyazaki, avec pour personnage principal, une héroïne, dans Nausicaä de la vallée du vent, qui permit la création des studios Ghibli. C'est en effet à partir de la création des Studios Ghibli que Miyazaki put être réellement indépendant dans ses choix et seul à la réalisation ; cela m'assurera un regard vraiment personnel du réalisateur dans les films dont je ferais l'étude.

Ainsi, la dernière partie de mémoire consistera en l'analyse des personnages féminins des films de Miyazaki, ce qui permettra de voir quelle image de la femme s'y trouve. J'analyserais ces films d'un point de vue esthétique et thématique. Miyazaki explore différents thèmes dans ses films mais je ne m'intéresserais qu'aux personnages féminins: il faudra donc analyser leurs types de rôles, l'importance de leur place dans l'histoire. Je regarderais aussi leur aspect purement esthétique : se ressemblent-elles ? Quelles sont leurs différences ? Quels âges de la femme sont représentés ? Quels symboles sont employés ? Il s'agira d'analyser les images qui ressortent des films selon l'âge du personnage, son rôle, mais également sa relation avec les autres figures dans les films, c'est-à-dire les hommes. Il sera donc également nécessaire d'effectuer une analyse des personnages masculins, mais dans leurs rapports aux femmes, leurs rôles et l'image qu'ils projettent des femmes, à travers leurs différences. J'espère ainsi pouvoir établir un parallèle entre les modèles « miyazakiens » et les modèles dans la société japonaise contemporaine.

Je vais donc étudier cette question en trois parties, puisque ma problématique nécessite trois axes de recherche : le cinéma d'animation, la femme japonaise, et le cinéma de Miyazaki plus particulièrement.

J'ai choisi dans une première partie, d'étudier l'aspect sociologique et culturel. Dans une première sous-partie, j'étudierais l'évolution de la société japonaise, son fonctionnement aujourd'hui, les ruptures avec le passé. Je présenterais donc ce que nous percevons de la société japonaise contemporaine dans son ensemble, son évolution ces dernières années, d'un point de vue social et historique. Il s'agira donc tout d'abord d'une présentation des conséquences de l'influence occidentale après la Seconde guerre mondiale, sur le système scolaire, l'organisation de la cellule familiale, sur le marché du travail. Dans un second temps, les modes sociaux seront étudiés plus précisément, de la hiérarchisation sociale traditionnelle du Confucianisme, à aujourd'hui.

Cela me permettra ensuite d'étudier la question de la femme au sein de cette société, dans une seconde sous-partie ; il s'agira de faire un constat de l'évolution de la place de la femme dans les domaines autrefois exclusivement masculins : de l'éducation des petites filles, au rôle de mère, d'épouse, opposé à la place de la geisha. Il sera aussi question de l'évolution de la place de la femme dans la société japonaise à travers la « révolution douce»* des années 80. J'étudierais également dans cette sous-partie les différentes représentations de la femme que l'on trouve à travers les médias, vecteurs de communication essentiels pour analyser l'évolution d'une société contemporaine.

La seconde partie sera consacrée au cinéma d'animation et plus particulièrement au réalisateur qui fait l'objet de ce mémoire, Miyazaki. Il est effectivement nécessaire de donner au lecteur des bases de ce qu'est le cinéma d'animation au Japon et du travail de Miyazaki afin de comprendre l'étude de personnages féminins qui suit. Dans une première sous-partie, je ferai donc un bref historique du cinéma d'animation japonais, avec ses débuts et son évolution, des séries « anime » aux longs-métrages. Les personnages féminins de l'animation japonaise y seront également présentés, en mettant en avant le type de rôles généralement attribués aux femmes, ce qui permettra d'étudier les stéréotypes féminins que l'on retrouve dans le cinéma d'animation d'une façon générale.

Dans une seconde sous-partie, je présenterais la carrière de Miyazaki, de ses débuts à aujourd'hui, en établissant une chronologie de ses plus grands succès, lesquels seront étudiés de manière plus approfondie par la suite ; je présenterais également les thèmes principaux que le réalisateur exploite dans ses films, des thèmes d'actualité, thèmes de société, ainsi que la famille et, bien sûr, la femme.

Enfin, la troisième partie se divisera en trois temps : dans un premier temps, l'analyse des films permettra de mettre en évidence l'image qu'Hayao Miyazaki donne de la femme dans ses films, les modèles féminins qui en ressortent. Une analyse faite en tenant compte des âges représentés permettra d'établir des différences et des liens entre chaque rôle, en leur attribuant également différents degrés d' « importance » dans les scénarios. Seront également pris en compte, la valeur négative ou positive des rôles, selon leur place : mère, héroïne, sorcières, etc.

Dans une seconde sous-partie, il s'agira de présenter le type de personnages masculins qui se trouvent dans ces films, afin de mettre en avant la place que tiennent les femmes dans l'histoire, en établissant un comparatif entre leurs rôles respectifs et l'importance qu'ils tiennent dans le scénario. L'étude sur les personnages masculins se fera donc uniquement en rapport avec les personnages féminins, visant à mettre en avant les différences ou similitudes existant entre les sexes. On étudiera donc leur valeur négative ou positive, leur place par rapport aux héroïnes féminines, ainsi que les rapports entre les personnages de sexe opposé : les relations « mère-fils », « frère-soeur », etc.

Cela permettra donc dans une troisième sous-partie, d'établir un parallèle, ou non, avec la société japonaise ; à la lumière du regard de Miyazaki sur la femme, nous pourrons interpréter ces messages face à la réalité des rapports entre les genres, la réalité de la place de la femme et des modèles féminins du Japon d'aujourd'hui. Dans un premier temps, il s'agira de faire une présentation des réalités de la société japonaise en comparant les nouveaux modèles japonais aux personnages de Miyazaki ; on cherchera ainsi à savoir si la séparation des mondes masculins et féminins, ou leur lien, que l'on observe chez Miyazaki, s'opère de la même manière dans la société japonaise contemporaine.

*Anne Garrigue, Japonaises, la révolution douce, Picquier poche, 2000, 342 p.

I/

Le Japon aujourd'hui : évolution sociale, économique, éducative

1) Influence occidentale après la Seconde Guerre mondiale

1)a. De la famille traditionnelle du « ie » à la famille nucléaire

La famille et sa structure sont les premiers éléments à observer pour comprendre le fonctionnement d'une société. Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale furent particulièrement importantes au Japon, modifiant profondément les systèmes traditionnels touchant notamment à la famille et l'éducation, éléments révélateurs de la marche sociale d'un pays.

La famille traditionnelle est traditionnellement fondée sur le principe du « ie », la maisonnée, principe inspiré de la pensée Confucianiste qui influence le fonctionnement politique, social et familial au Japon dès le VIème siècle.1(*) Les mariages arrangés, seul moyen de se marier dans la tradition, s'apparentent en réalité davantage à l'entrée d'une nouvelle femme dans le « ie », qu'à l'union de deux êtres fondant une nouvelle famille. Le « ie » comprend les membres vivants d'une famille mais aussi les morts ; le « ie » est en fait une personne morale, plus importante que l'individu : comme l'explique Nilsy Desaint dans son ouvrage Mort du père et place de la femme au Japon, « La pérennité de la descendance, le sacrifice des intérêts personnels des membres au profit de la communauté familiale caractérisaient ce système ».2(*)

Ainsi, le groupe prévaut sur l'individu, suivant la pensée de Confucius. La famille du « ie » centre la femme sur son rôle d'épouse et de mère, organisant la famille selon une hiérarchie bien définie : le chef de famille, le père, a la position la plus élevée ; puis c'est le successeur, c'est-à-dire le fils aîné. Les autres membres se rangent derrière eux suivant leur âge, puis leur sexe : les frères cadets après le frère aîné, et enfin les femmes, la belle-fille ayant le statut le plus bas ; chacun obéit à la personne au statut supérieur au sien.3(*)

Comme le dit Jean-Marie Bouissou dans Le Japon contemporain, « la culture sociale japonaise est une idéologie du lien familial et social centrée non sur l'individu mais sur ses liens avec les autres et la communauté ».4(*)

L'aspect religieux du Japon est également à observer. Durant l'époque Edo (1603-1867) la religion dominante était le Bouddhisme. L'ère Meiji (1867-1945) connut un affaiblissement du Bouddhisme, avec la création d'un Shintô officiel. Après la Seconde Guerre mondiale, les religions se diversifièrent, laissant place à l'émergence de nouvelles religions, les « néo-nouvelles religions », preuve du recul progressif des anciennes religions de tradition, faisant également écho aux bouleversements que connut la famille traditionnelle après-guerre.5(*)

En effet, la famille du « ie » fait place à la famille nucléaire sans père, suite à la Seconde Guerre mondiale, dans un Japon dévasté. Le Japon moderne devient progressivement une société sans père, le père quittant peu à peu sa fonction éducatrice conséquemment à la guerre, les mères et l'école le remplaçant.6(*)

Ce sont les forces Alliées qui précipitent les changements au sein de la cellule familiale, y voyant des signes d'un caractère non démocratique de la société japonaise. Des réformes sont instaurées à l'initiative occidentale, visant à modifier les aspects suivants : la règle fondée sur l'autorité et l'obéissance, le manque d'action individuelle et du sens de responsabilité, les sanctions sociales liées à l'individualisme ou les opinions personnelles, et enfin le contraste entre les liens de groupe et l'attitude hostile envers l'extérieur.7(*)

En effet, le changement de position vis-à-vis de l'individualisme et le respect de chaque individu à la différence du respect du groupe, n'apparait que dans la Constitution d'après-guerre : l'article 13 de la Constitution de 1946(d'inspiration américaine) stipule : « Le peuple tout entier doit être respecté en tant qu'individu », idée nouvelle au Japon, opposée aux lois de l'époque Taisho (1912-1925), où l'individualisme était condamné.8(*)

Surviennent ainsi après-guerre deux grandes phases dans le processus de démocratisation et d'alignement sur le modèle occidental : la standardisation de la famille (le lien affectif primant sur le rapport obéissance/domination confucianiste, la réduction de la cellule familiale au noyau essentiel des parents et enfants). La deuxième phase est la baisse du taux de natalité, la contraception, et l'augmentation des divorces, menant à une pluralisation de modèles familiaux, loin du principe « ie » traditionnel.9(*)

Le père abandonne peu à peu son image patriarcale autoritaire, représentant l'autorité et l'ordre, pour celle du père absent, dévoué à un poste au sein des grandes entreprises qui voient le jour après-guerre. Malgré ces changements au sein de la cellule familiale, le rôle des femmes reste longtemps défini selon le modèle traditionnel ; selon un sondage effectué en 1991, la majorité des Japonais pense toujours que « dans les relations maritales, l'homme doit avoir une position plus forte que la femme ».10(*)

Cependant, nous verrons que la hiérarchisation sociale et familiale de l'époque confucianiste reste profondément ancrée dans la société japonaise, même après-guerre. Cette hiérarchie persiste notamment dans le système éducatif. L'école, en-dehors de la famille, est le lieu de socialisation des enfants, où se forment leurs futurs comportements et les futurs rapports entre les sexes. Ainsi, il est intéressant de nous pencher sur la question du système scolaire au Japon à partir de la Seconde Guerre mondiale.

1)b. Réformes du système scolaire

Durant la guerre, l'éducation au Japon est sous surveillance militaire : les manuels sont corrigés par les militaires. En 1941, les phrases courantes trouvées dans les manuels pour l'apprentissage de la lecture servent de propagande pour la guerre : « il est bon d'aller à la guerre », « honorable », « en avant soldat ». En période de guerre, l'école est donc très nationaliste, dirigée par l'Armée. Les instituteurs doivent faire un stage de cinq mois à l'Armée avant de prendre leur poste.11(*)

Les écoles qui forment les instituteurs sont sous contrôle gouvernemental direct. Le gouvernement fixe aussi les « caractères idéaux » des élèves. L'éducation des filles est séparée, dans une école spécialisée, dès le secondaire. 12(*)

L'école primaire prend alors le nom d' « école du peuple » ; on y enseigne les matières suivantes : la morale, la langue japonaise, l'histoire, la géographie. Les enfants apprennent les mythes et dictons nationalistes dans leurs manuels : « le mythe de la mère du marin », racontant le contenu de la lettre d'une mère à son fils parti à la guerre ; celle-ci s'étonne que son fils n'ait pas encore tué, accompli de hauts faits de guerre. Celui-ci pleure et a honte. 13(*)

Les enfants apprennent des phrases chauvinistes, comme le montre l'exemple des cerisiers en fleurs : « ils sont en fleurs, ils sont en fleurs les cerisiers ». Les cerisiers sont le symbole de la caste guerrière des Bushi. 14(*)

En 1948, la démocratie et l'éducation américaines font leur apparition au Japon. Les manuels scolaires sont alors tous effacés et refaits pour embrasser la culture américaine.

De nouvelles matières sont intégrées, telles que les « études de la société ». Les cours de morale sont abolis, ainsi que les cours d'histoire nationale et de géographie, tous empreints de nationalisme. Les nationalistes et ultra-militaristes sont expulsés de l'Education, qui est dès lors décentralisée.15(*)

Le Japon est ainsi passé d'un système scolaire national, centralisé, égalitaire, contrôlé par l'Etat, à un système scolaire occidentalisé, « qui tend de nouveau à devenir libre, devenu moins uniformisé, plus communautaire »16(*).

2) Evolution des modes sociaux

2)a .Le monde du travail, un monde d'hommes

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde de l'entreprise au Japon a pris une importance économique et sociale telle, qu'elle permet au pays de vivre un véritable miracle économique au sortir de la guerre : première puissance commerciale dans les années 1970, puis première puissance financière mondiale dans les années 1980, avant la crise financière et l'éclatement de la bulle spéculative dans les années 1990.17(*)

Le monde de l'entreprise au Japon relève d'une véritable sacralité, auquel on attend de l'employé qu'il se dévoue corps et âme. Nilsy Desaint écrit en effet dans son ouvrage Mort du père et place de la femme au Japon, « de même que le culte des ancêtres sacralise le modèle familial, l'ensemble des règles exige l'adhésion de chacun à une entité fermée que constitue le clan ou la compagnie. »18(*)

Chaque employé travaille de façon à assurer la bonne marche de l'entreprise, autrement dit, l'harmonie de travail. Notion séculaire au Japon, la notion de groupe ne disparait pas après 1945; le Japonais cherche toujours à s'adapter au groupe, à se fondre dans la masse salariale sans se démarquer, dans une attitude privilégiant la communauté et non l'individualisme, typiquement japonaise.

Le Japonais « prend tous les visages, sans révéler le sien propre »19(*), il s'adapte constamment aux rôles qu'on attend de lui : père, employé, époux. L'importance de l'entreprise pour laquelle le Japonais travaille prend toute son ampleur quand on constate la façon dont ces derniers se présentent : citant d'abord le nom de l'entreprise pour laquelle ils travaillent, puis le nom de famille et le prénom. L'entreprise vient en premier, l'individu vient en dernier: d'où l'importance de travailler pour l'une des grandes entreprises japonaises, afin de montrer sa réussite professionnelle et sociale.

On comprendra ainsi la course effrénée qui se livre dès l'enfance, pour atteindre cette réussite, accessible si l'on a réussi à intégrer brillamment les universités les plus prestigieuses du pays. Ainsi, les nombreux cours du soir dans les écoles privées spécialisées, nommées les « juku », rencontrent un succès phénoménal, étant donné qu'elles donneront une meilleure chance à l'élève d'atteindre le niveau requis pour ces grandes universités, souvent seules voies d'accès au monde du travail et plus particulièrement au recrutement dans une multinationale, telle que Mitsubishi, Hitachi, Sony, etc. Ces grosses firmes attirent les jeunes diplômés car elles offrent de nombreux avantages sociaux, difficiles à obtenir ailleurs.20(*)

Nous pouvons cependant observer qu'il existe une discrimination qui a persisté même après la Seconde Guerre mondiale : les grandes entreprises favorisent toujours des hommes plutôt que des femmes, encore plus fortement s'il s'agit d'un poste à responsabilités. En effet, au Japon, la séparation entre les études dites « féminines » et celles dites « masculines » est forte : « sur l'ensemble de la population féminine accédant au cycle universitaire, une fille sur quatre est inscrite dans une institution réservée exclusivement au sexe féminin »21(*). En effet, la discrimination des femmes sur le marché du travail remonte à la division sexuée que l'on constate dans le monde estudiantin.

En effet, un traitement différencié persiste durant les études, menant les jeunes filles à choisir des filières « féminines », et non celles « pour les hommes » : ainsi les femmes se retrouvent souvent dans des filières littéraires, et les hommes dans les filières scientifiques, où l'on trouve encore très peu de femmes. Cette différenciation persiste et influe sur les postes que l'on attribue aux femmes ou aux hommes dans le monde du travail : en effet, « plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes se font rares »22(*), et les fonctions où l'on retrouve des femmes tendent à être similaires à leur rôle « traditionnel » : s'occuper des enfants, servir le thé, etc.

Le monde de l'entreprise est un monde d'hommes, où les femmes ont du mal à trouver une place : les offres de postes sont inégales pour les hommes et les femmes, et souvent cachées derrière le prétexte de l'éducation, ou de la forte concurrence. En réalité, les grands patrons ont, de façon générale, la vision traditionnelle du rôle de la femme, qui veut que celles-ci n'aient pas accès aux postes à responsabilités car elles doivent s'occuper de la famille, tandis que l'homme est tenu de ramener de l'argent au foyer. Dans Japon, le consensus, ouvrage du CESEJ, comité de spécialistes du Japon, datant de 1984, il est écrit : « dans la mentalité japonaise, une femme mariée qui travaille est une mauvaise mère et une mauvaise épouse ».23(*)

Les grandes entreprises ont ainsi vu le jour dès la fin de la guerre, mais ont longtemps discriminé les femmes. C'est un monde d'hommes, car ce sont les hommes qui s'éloignent du foyer familial pour se consacrer à l'entreprise, y passant au moins 40 heures par semaine24(*). Ce sont également les hommes qui participent aux réunions très fréquentes, aux sessions de golf avec les patrons ou clients, ou qui peuvent être mutés, si besoin est, loin de la famille. L'important pour maintenir une bonne image en entreprise, être bien perçu par son patron et assurer sa place, est la disponibilité, ce que les femmes, dans la tradition, ne sont pas disposées à offrir. Ainsi, les employés restent de longues heures au travail, participent également aux « omikai », soirées arrosées entre patrons et employés, où les femmes sont assez rares.25(*)

L'homme est aussi perçu de façon générale par les Japonais et les Japonaises, comme étant plus fort que la femme, et donc plus à même de supporter de longues heures de travail comme le demandent les entreprises. Le discours des femmes témoigne de ce consensus, comme le montre l'exemple de l'entretien d'une jeune Japonaise, Fumiko, en 2005 : « Les hommes sont bons pour travailler beaucoup. Les hommes ont plus de force que les femmes et c'est bien (...) la plupart des hommes travaillent plus que les femmes. ». Cela ressort également lorsqu'on parle des femmes à postes à responsabilités : « la femme qui ordonne de travailler à un homme, ce n'est pas sympathique ».26(*)

A travers cette mise à l'écart de la femme dans l'entreprise, cet éloignement de l'homme de la sphère familiale depuis la Seconde Guerre mondiale, nous pouvons aborder la question de la séparation des sphères masculines et féminines, ancienne tradition qui se ressent encore en filigrane de la société aujourd'hui.

2)b. Séparation des sphères masculines et féminines

L'ancienne tradition japonaise qui sépare le rôle de la femme de celui de l'homme est ancestrale. L'ère Muromachi (XIIe siècle) connut le pouvoir des femmes et une société matriarcale, où les femmes jouissaient de nombreuses libertés, notamment dans le domaine de l'amour et du mariage ; elles travaillaient également au même statut que les hommes. Le recul de la place de la femme semble avoir débuté durant l'ère Edo (dès le XVe siècle), avec la perte de pouvoir de la maison impériale, qui avait commencé au XIIIe siècle27(*). La montée de la pensée Confucianiste, alors en plein essor au Japon, contribua largement à reléguer la femme à une place inférieure à celle de l'homme, identifiant la relation homme/femme à celle de souverain/sujet.28(*)

La place de la femme est donc d'être soumise et obéissante, sans besoin d'être instruite, puisque sa seule véritable vocation est d'être une mère et une épouse, qui reste au foyer uniquement. Elle doit également transmettre ces valeurs d'humilité, d'obéissance et de soumission à ses filles.29(*)

Cette définition des différents rôles sociaux de l'homme et de la femme persiste jusque dans la première partie du XXe siècle, l'ère Meiji (1868-1912) étant l'époque où cette hiérarchie sociale est la plus forte, avec une société patriarcale et paternaliste, bouleversée après 1945.30(*)

La femme est donc traditionnellement tenue de montrer soumission et obéissance ; cela se ressent même dans son langage : les hommes considèrent en effet qu'une femme n'a pas besoin d'apprendre les kanji, mais seulement les kana, écriture simplifiée du Japonais. La femme doit aussi s'exprimer d'une façon différente, montrant respect et surtout, humilité : cela signifie donc l'emploi de mots polis, sans exprimer d'émotions fortes, et l'absence du « je » dans les phrases, la Japonaise faisant partie de la communauté, sans individualité. « Elle est l'exemple premier d'une disposition à l'effacement de soi-même ».31(*)

Les mondes masculins et féminins sont clairement séparés : la sphère privée, domestique est le domaine féminin. La sphère publique, sociale, est masculine. Ainsi, la femme est maîtresse du foyer ; gérant le budget familial, c'est elle qui dispose des pleins pouvoirs, mais uniquement à l'intérieur de la maison. Elle a un rôle défini : celui de la mère et épouse, entièrement dévouée à son « vrai métier ». D'ailleurs son apprentissage se fait, jusqu'en 1945, avec sa belle-mère, dont elle est le souffre-douleur.32(*)

Il est également révélateur du rôle séculaire de la femme au sein de la maison, que son nom soit toujours « okusan ». Dans la tradition, ce mot signifie « celle qui habite au fond », pour désigner l'une des concubines des seigneurs. Un autre terme désignant la mère et épouse, par son époux uniquement, est « kanai », autrement dit « l'intérieur de la maison ». 33(*) La femme quant à elle, appelle son époux « danna », mot signifiant « le seigneur » ou « maître » ; c'est également le nom par lequel la geisha appelle l'homme qui l'entretiendra durant plusieurs années34(*).

La séparation des mondes masculins et féminins marque les occupations du quotidien : on attend donc de la femme qu'elle s'occupe de son intérieur, du foyer, des enfants ; aujourd'hui, l'épouse japonaise sort, voit ses amies, participe à des associations de consommatrices, apprend l'arrangement floral (ikebana). Ces activités restent ainsi liées au rôle traditionnel qui la relie à la maison, aux occupations ayant trait au foyer et aux enfants. L'homme est donc maître de la sphère sociale : ses activités sont situées à l'extérieur, en contact avec autrui. Il part tôt le matin, rentre tard le soir après sa journée de travail, après laquelle il ira en général boire un verre avec ses collègues du bureau, restant le plus longtemps possible hors du foyer, qui appartient à sa femme. Les tâches ménagères sont du ressort de la femme, ainsi l'homme ne participe que très rarement à la vie du foyer, son rôle l'astreignant aux activités extérieures, en retrait de sa famille.35(*)

Ainsi de nombreux hommes, encore aujourd'hui, ressentent une grande frustration, leur rôle n'appartenant pas à la sphère familiale ; la famille nucléaire sans père d'après-guerre a également participé à l'accroissement de ce phénomène, éloignant encore plus le père de son rôle autoritaire sur la famille. C'est pourquoi nombre d'entre eux se sentent exclus de la famille. Cela explique également pourquoi cette frustration se reporte dans les fantasmes masculins sur l'image de la femme-enfant d'autrefois ; fantasme que l'on retrouve dans les mangas et animés pornographiques. 36(*)

2)c. Vers un partage des sphères

Cette séparation des sphères masculines et féminines est toujours perceptible dans la société aujourd'hui, étant précédée par une très longue tradition de hiérarchie confucianiste sur tous les plans sociaux, économiques et familiaux, régissant ainsi un ordre particulier des rapports hommes/femmes dans toutes les activités du quotidien. Cependant, depuis la Seconde Guerre et la dernière Constitution « occidentalisée » de 1949, nous pouvons observer que des changements se sont opérés, bouleversant les modèles traditionnels et amenuisant la différenciation entre les mondes masculins et féminins.

De plus en plus de femmes travaillent, avec l'apparition de la « working girl » des années 1980 ; elles sont également plus nombreuses à aller à l'université et poursuivre de longues études. Même si encore 70% des parents japonais souhaitent voir leur fils aller à l'université, contre 30% pour leur fille, d'autres paramètres laissent penser que les mentalités évoluent.37(*) En effet, avec l'augmentation des femmes à l'université, et l'ouverture progressive sur le marché du travail aux femmes, on peut penser que l'image du rôle différencié des sexes ira en s'affaiblissant.

Le monde du travail représente l'évolution des mentalités et l'acceptation progressive de la femme dans ce monde autrefois exclusivement masculin. Les femmes, auparavant cantonnées à la place d' « office lady », demandant peu d'heures et peu d'investissement, sont désormais de plus en plus nombreuses à occuper des postes plus élevés. Comme nous le verrons plus loin, les nouvelles lois régissant l'égalité hommes-femmes ont participé à cette évolution. En effet, selon un sondage du ministère du Travail effectué en 1995, quatre japonais sur cinq pensent que les femmes ont les mêmes chances ; 60% des femmes veulent être promues, contre 30% en 1990. Ainsi, les femmes ne se contentent plus du « métier » de mère et d'épouse que la tradition leur réservait ; elles sont de plus en plus nombreuses à souhaiter avoir une carrière, comme les hommes, et sortir du rôle familial et de la sphère intérieure qu'ont connu leurs mères et grands-mères. 38(*)

Dans les années 1980, on observait déjà une nette différence d'opinion concernant la traditionnelle séparation des sphères : en 1972, 83% des femmes et 84% des hommes étaient favorables à cette distinction des sexes dans les activités quotidiennes et le statut social. En 1980, ils n'étaient plus que 17% chez les femmes et 55% chez les hommes à y être favorables.39(*)

Cependant, en dépit de cette évolution des mentalités, les femmes restent toujours souvent cantonnées aux rôles subalternes, notamment dans les médias, encore majoritairement dirigés par les hommes. La valeur de leur travail et de leur éducation est encore difficilement reconnue, selon le milieu. En effet, « dans le milieu journalistique, bien que les femmes représentent une part de plus en plus importante des employés des grands quotidiens, elles sont encore majoritairement présentes dans des postes subalternes ». Comme le dit Ueno Chizuko, directrice de la revue Nouveaux Féminismes : « dans un pays où la critique littéraire est profondément liée au monde universitaire, elles sont sous-représentées dans le monde académique. Plus le niveau s'élève, plus la proportion de femmes diminue ».40(*)

B- La Femme au Japon

1) Place de la femme dans le Japon traditionnel

1)a. L'éducation

Dès l'école primaire, la différenciation entre la sphère masculine et la sphère féminine confirme la longue tradition visant à enseigner aux petites filles la place qu'elles auront à tenir en tant que futures mères et épouses. Jusque dans les années 1980, il n'existe pas de ségrégation à proprement parler, mais de légères différences dans le type d'éducation. Les garçons se voient enseigner avec des méthodes plus « viriles », tandis que les filles se voient au contraire reprendre lorsqu'elles sont trop turbulentes, caractéristique considérée comme virile.41(*)

A la fin de la dernière année d'école primaire, la tradition veut que les petites filles réalisent leur propre kimono d'été en coton ; preuve que l'on pense déjà au trousseau de mariage. Le mariage est en effet l'aboutissement de toute l'éducation.42(*)L'accent est mis sur les arts ménagers à partir de l'école secondaire pour les filles ; on prépare la petite fille à « son vrai métier ».43(*)Dans la sphère familiale, la différence d'éducation se ressent également : Les adjectifs qu'on attribue aux enfants sont aussi révélateurs. Lorsque la petite fille, l'o jôchan, est qualifiée d'otonashii, c'est un compliment sur son caractère calme. Tandis que ce même adjectif constituera un reproche pour le petit garçon, l'o bochan, car on lui reprochera son manque d'énergie. Cet exemple démontre bien à quel point les attentes selon le sexe sont différentes. Dès le début de leur vie sociale, on privilégie donc les qualités de vivacité, d'audace chez les garçons, tandis que l'on attend de la petite fille le silence, l'obéissance, la passivité, la tendresse.44(*)

Les valeurs de groupe et l'enseignement des valeurs de chaque sexe est ainsi enseigné au sein de la famille, mais aussi à l'école. La lecture de contes traditionnels renforce les stéréotypes : le héros, généralement un homme doté des qualités viriles que l'on attend des petits garçons (courage, force, sagesse, bonté) attise l'amour des princesses, qui ont toutes les qualités féminines : gentillesse, beauté, obéissance, piété filiale, grâce, dévotion, etc. Dans les manuels scolaires, on note également un favoritisme pour le sexe masculin, le plus souvent pris comme exemple dans les exercices de lecture ; de plus, les textes et illustrations dans les manuels tendent à représenter les stéréotypes : l'homme au travail, la mère à la maison.45(*)

Durant toute leur scolarité, jusqu'à l'université, les filles vont se soumettre à ce que l'on pourrait voir comme des rôles prédéfinis : dans l'inconscient collectif, les filles s'intéressent plus aux études littéraires, aux arts ; tandis que les garçons sont meilleurs en sciences, en mathématiques. D'ailleurs, ce sont les femmes elles-mêmes qui admettent ces différences. L'exemple d'une jeune Japonaise interrogée dans l'ouvrage de Nilsy Desaint en est un exemple parlant : « les filles n'aiment pas les cours scientifiques, de biologie, de technologie » ; quand on lui demande pourquoi il y a plus de garçons que de filles dans les filières scientifiques, notamment en médecine, celle-ci répond : « Il y a plus d'hommes parce que travailler comme docteur, c'est très dur. Il faut porter les patients. Pour une femme, c'est trop difficile » ainsi que « parfois il faut rester la nuit pour surveiller l'évolution de l'expérience en cours, pour faire ça, la force est nécessaire »46(*).

On retrouve très souvent cette idée de force comme atout exclusivement masculin, et source d'incapacité de la femme dans les domaines dits « masculins ». La femme n'est pas assez forte pour certains métiers, ou pour effectuer de longues heures de travail, comme nous l'avons vu précédemment : « Les hommes sont bons pour travailler beaucoup. Les hommes ont plus de force que les femmes et c'est bien. »47(*)

Cette éducation stéréotypée mène à l'acceptation par les femmes de leurs propres soi-disant « faiblesses » ; les femmes sont ainsi conscientes de leurs lacunes vis-à-vis de l'homme, de la place féminine par rapport à l'homme. On constate qu'aujourd'hui encore, ces stéréotypes persistent, ce que l'on observe dans les médias par exemple : en effet, « les jeunes filles entre 18 et 24 ans s'identifient aux héroïnes des chansons créées pour elles(...) qu'elles puissent s'émouvoir lorsqu'on les chante comme des filles mignonnes, aux cheveux longs, qui pleurent, qui sont aimées, qui font des câlins, qui ne disent rien quand on les trompe, qui souhaitent servir l'homme (...) mais lorsqu'elles-mêmes se mettent en scène en se décrivant comme stupides, faibles, inconscientes, on ne comprend plus et l'on reste sidéré à l'écoute des formules les plus employées : « je ne suis rien du tout », « une femme est une femme » et surtout : « après tout, je ne suis qu'une femme » ».48(*)

Avant la Constitution de 1946, la femme reçoit une éducation élémentaire, mais l'on ne juge pas nécessaire qu'elle se spécialise ; les femmes ne sont également pas admises dans la prestigieuse Université de Tokyo, d'où la création d'universités réservées exclusivement aux femmes, les tandai, ou tanki, qui connaissent leur heure de gloire dans les années 1950. 49(*)

Ces écoles et universités privées réservées aux femmes, qui constituent pour elles la seule possibilité d'accéder au cycle supérieur avant la Seconde Guerre, offrent une formation en deux ans seulement; leur but étant d'apprendre les qualités nécessaires pour être une épouse accomplie.50(*)

La Convention de 1946 cherche à lever toute discrimination à l'encontre des femmes. Mais nous pouvons constater que dans le Japon d'aujourd'hui, les stéréotypes persistent, divisant toujours les études féminines et les études masculines. Malgré leur baisse de popularité, les tandai existent toujours, permettant ainsi aux jeunes filles de faire deux ans d'études seulement, avant de se marier. En effet, les femmes représentent seulement 37,5% des étudiants en cycles longs, sur quatre ans. En 1980, les femmes constituaient un faible pourcentage des étudiants en universités mixtes les plus réputées, celles de Tokyo ou Kyoto par exemple. Or, au Japon, pour intégrer le milieu professionnel et obtenir un travail en entreprise, le nom de l'université d'origine est essentiel. Il faut être issu de l'une des meilleures universités mixtes et publiques pour espérer obtenir un emploi ; ce qui n'est donc pas le cas pour les femmes issues des cycles courts.51(*)

Cependant on constate une évolution : auparavant, les filles privilégiaient des études en tandai afin d'obtenir un emploi sur une courte période avant de se marier, en tant qu'office lady, mais ces offres sont de moins en moins nombreuses depuis une vingtaine d'années52(*). De plus, les filles cherchent aussi à rester plus longtemps dans le cycle supérieur ; en effet, en 1986, elles sont 14% en master et 12% en doctorat, contrairement à 9% et 5% en 1960. Mais on constate une différenciation sexuée selon les filières : les femmes restent le plus souvent dans des filières littéraires et sociales, et les hommes en droit, en sciences ; les femmes dans ces dernières filières sont encore de nos jours extrêmement rares (20 femmes dans la fac de physique de Kyoto).

Cette répartition stéréotypée des sexes dans leurs filières respectives est entrée dans les moeurs ; il parait normal pour tout Japonais et Japonaise d'admettre que les professions telles qu'enseignante des petites écoles, pharmacienne, aide de maison de retraite, secrétaire, par exemple, sont des professions féminines ; et que le travail de médecin, d'avocat, de politicien, haut fonctionnaire, sont des professions masculines. En effet, les professions qu'exercent la majorité des femmes sont cantonnées aux domaines « considérés comme compatibles avec leur féminité ».53(*) Ainsi, les filières littéraires, artistiques, de l'éducation et du travail social sont majoritairement féminines.

De plus, pour les femmes étudiant en milieu scientifique, il est dur de faire ses preuves. Une femme médecin citée dans l'ouvrage Rising Suns, Rising Daughters de Joanna Liddle et Sachiko Nakajima, explique ainsi : « Les professeurs masculins ne font preuve d'aucun enthousiasme pour enseigner aux filles (...) ils pensent que les filles ne peuvent de toute façon pas comprendre. »54(*)

Ainsi le système universitaire s'est ouvert aux femmes après la Seconde Guerre Mondiale, mais les stéréotypes de genre ont encore une forte emprise sur les différenciations dans l'éducation à l'école et à la maison, mais aussi jusque dans le milieu universitaire, où le choix des filières est toujours répartis de façon sexuée dans l'inconscient collectif.

Ces stéréotypes sont issus de l'image traditionnelle de la femme, de son appartenance à des domaines spécifiques de la sphère féminine privée et de l'image de la femme confinée « à l'intérieur ». Le rôle de la mère et épouse traditionnel est ainsi intéressant à étudier pour mieux comprendre comment se répartissent les rôles masculins et féminins dans le Japon contemporain.

1)b. La ryosai kembo : « la bonne épouse et la mère avisée »

La division des sphères, telle que nous avons pu l'étudier précédemment, fait l'objet d'une propagande d'Etat après la Seconde Guerre mondiale. Cette propagande voit apparaître le phénomène des kyoiku mama, héritières du principe politique d'application sociale qui, depuis l'ère Meiji, confère aux femmes le rôle de ryosai kembo. Le terme signifie : « la bonne épouse et la mère avisée ». Le terme de « ryosai kembo » associe les femmes uniquement à la maison et la famille.

Nous allons à présent analyser la place de la ryosai kembo, qui fit naître la kyoiku mama, rôles importants à comprendre car ces phénomènes existèrent jusque dans les années 1960. Leur héritage sur la société japonaise aujourd'hui est donc omniprésent.

L'expression ryosai kembo est encore présente aujourd'hui, influant sur la façon dont les jeunes femmes considèrent leur destinée, leur rôle, et l'importance conférée au mariage : l'idée selon laquelle la femme ne devient adulte que par le mariage, encore présente, découle des principes appliqués lors du principe de la ryosai kembo.55(*) En effet, on comprend l'importance pour une femme d'être mariée lorsqu'on sait à quel point il est honteux pour une femme d'être « vieille fille », plus encore que d'être hôtesse de bar par exemple. Comme il est écrit par Dominique Buisson dans Regards sur la femme japonaise : « la vieille fille est toujours considérée comme inférieure par les femmes mariées et par les hommes. Seules les hôtesses de bar ne subissent pas cet anathème. On peut les mépriser pour leur profession mais en aucun cas pour leur célibat. On considère qu'elles ont choisi cet état volontairement ».56(*)

La ryosai kembo a un rôle domestique uniquement. Sa vie est clairement séparée de celle de son mari. Lorsque celui-ci rentre du travail, sa femme doit l'accueillir ; mais celui-ci, s'il sort après le travail, ira boire un verre avec des collègues, jamais avec sa femme. A la différence de la femme au foyer occidentale des années 1950-1960, l'épouse japonaise n'est pas une hôtesse. Les évènements sociaux se font uniquement à l'extérieur, sans la femme.57(*) Le rôle d'hôtesse appartient en effet à la geisha ou aux hôtesses dans les bars, ces dernières étant clairement séparées de la respectable épouse.58(*) Lorsque la femme sort de chez elle, ses activités sont celles qui sont liées au foyer : réunions entre mères d'élèves, courses, associations de consommatrices, etc.

Le foyer est donc le royaume de la femme, elle dispose d'une grande autonomie budgétaire ; elle attribue régulièrement une somme d'argent hebdomadaire à son mari, elle gère les frais de l'éducation des enfants, etc. Mais celle-ci reste néanmoins dépendante du mari financièrement, car c'est lui qui rapporte un salaire pour la famille. Inversement, le mari est dépendant de sa femme, qui le materne. Au Japon, le mariage n'étant pas une affaire romantique, la relation entre les deux époux est très différente de celle qu'ont les époux occidentaux. En effet, les femmes japonaises plaignent les Occidentales, ces dernières étant dépendantes émotionnellement vis-à-vis de leur mari. Elles cherchent toujours à leur plaire, à en être aimée : tandis que la Japonaise accepte dès le début son rôle et ne s'attendra pas forcément à un mariage passionné, mais plutôt à un accord mutuel pour le bien de la famille. De même, les critères que la femme aura étudiés au préalable avant de choisir son époux sont les suivants : sécurité sociale, famille respectable, santé, position professionnelle d'avenir.59(*)

La femme, malgré son apparence soumise, dirige en réalité la famille. Elle contrôle l'avenir, l'éducation de ses enfants. La relation de la mère avec les enfants développe souvent des complexes chez ces derniers, surtout les fils, lesquels auront de la gratitude et de la culpabilité -la mère s'étant sacrifiée pour ses enfants, et ne manquant jamais de le faire savoir. C'est pourquoi les fils attendront chez leur femme un comportement similaire à celui de leur mère : ce cercle vicieux explique pourquoi au Japon les révolutions féministes ont été aussi longues à se développer et s'implanter au quotidien, la tradition étant très profondément enracinée dans les moeurs.60(*)

Le but de la vie de la ryosai kembo est de marier sa fille et que son fils ait un bon emploi. Cette course à la réussite explique pourquoi le phénomène de la kyoiku mama fait son apparition dans les années 1950. Les bons emplois dans les grandes entreprises étant difficiles à obtenir, et objectif ultime de la mère pour son fils, l'école devient vite un haut lieu de compétition. La mère prend alors un rôle éducatif à part entière, déjà présent dans son rôle de ryosai kembo, mais encore plus important et excessif lorsque celle-ci devient une kyoiku mama, signifiant « la mère éducative ». En effet, cette dernière cherche à tout prix la réussite de ses enfants, en particulier de ses fils.

Cette lourde responsabilité de la réussite de son fils pesant sur les épaules de la mère, on comprend bien pourquoi au Japon une femme qui travaille a longtemps été considérée comme une femme abandonnant son rôle de mère éducative, abandonnant ses enfants à leur sort, et donc une mauvaise mère. Cela explique ainsi que le marché du travail ait été pendant de longues années fermé aux femmes.

La « mère avisée » sait que les bonnes écoles sont la clé du succès de son enfant.61(*) C'est dans cette course effrénée aux cours du soir, cours supplémentaires de haut niveau pour les enfants, en plus de leur scolarité régulière, que la mère devient une vraie kyoiku mama, qui s'épanouit par procuration, à travers la réussite professionnelle de ses enfants, surtout du fils : celle-ci est alors à l'affut des cours dans les meilleures juku, les écoles spécialisées qui permettent un apprentissage accéléré, et donc d'être le meilleur élève possible, promettant un avenir universitaire à l'enfant.62(*)

Comme l'explique Nilsy Desaint dans Mort du père et place de la femme au Japon : « la kyoiku mama, c'est la mère qui, sans jamais rien demander à ses enfants, s'occupe de tout pour libérer ces derniers de ce qui pourrait entraver leurs études et donc leur réussite »63(*).

Aujourd'hui, le modèle de la ryosai kembo s'amenuise. Les femmes ne sont plus seulement au foyer, elles sortent, travaillent ; leur quotidien aujourd'hui ressemble plus au quotidien de l'homme ; la séparation des sphères féminines et masculines est moins prononcée.

Témoins de cette époque où le mariage est une affaire importante pour l'avenir de la femme, et à choisir avec raison, sans passion, de nos jours les mariages ne sont pas toujours une affaire sentimentale comme dans les pays occidentaux. Lorsque le couple rencontre des problèmes, il ne se sépare pas, pour le bien de la famille. Les femmes mariées s'éloignent de plus en plus du modèle idéal, de la « bonne épouse ». Comme le constate le psychiatre japonais Takahashi Tôru citée dans Homo Japonicus : « Vues de l'extérieur, elles ont effectivement un mari qui gagne pas mal d'argent qu'elles sont libres de dépenser comme bon leur semble (...) mais toutes ces femmes de salariés sont très seules » et « celles dont le mari fait carrière le trompent par dépit. Elles font tout ce qu'elles peuvent pour faire entrer leur fils à l'université de Tokyo, mais elles cherchent un palliatif dans les affaires extra conjugales. C'est la fin d'un siècle, d'une ère, la dégénérescence des moeurs »64(*)

En effet, celui-ci explique que lorsque le mariage n'est pas heureux, encore aujourd'hui, « le couple ne se sépare pas pour autant. Il reste ensemble par convenances, en ne nourrissant aucune illusion »65(*).

Mais la ryosai kembo est encore un idéal pour beaucoup d'hommes, difficile à effacer des mémoires.

1)c. Evolution des droits des femmes et conséquences

Les années 1980 ont vu l'avènement des career women, femmes qui concilient travail et vie de famille. En effet, comme le constate Vera Angeloni dans le Consensus au féminin écrit en 1984, depuis les années 1970, ce ne sont plus uniquement les femmes célibataires qui ont un travail (lequel, dans les années 1950 et 1960, n'est censé durer que durant les brèves années de leur célibat, avant leur vrai travail, mère au foyer). Un pourcentage de 55,6% des femmes qui travaillent dans les compagnies sont mariées en 1979 ; cependant le montant des salaires représente la moitié de ce que gagnent les hommes. En 1981, le pourcentage de femmes mariées parmi les femmes qui travaillent est de 58%, 38% à temps plein, 26% à temps partiel66(*). L'auteur explique également que de profonds changements commencent, dans les années 1980, à entamer le bastion des valeurs traditionnelles. Les jeunes filles des nouvelles générations refusent l'existence qui a été le lot des générations précédentes. On observe une augmentation du taux de divorce, une baisse de la natalité, et un désintérêt croissant pour le mariage. En effet, 25% des célibataires de sexe féminin déclarent ne pas vouloir se marier en 1979. De nombreux phénomènes accompagnent ces constats, preuves de bouleversements du statut des femmes : augmentation de l'adultère chez les femmes mariées, banalisation de la prostitution des jeunes filles, nommé le « enjo kosai », que nous verrons plus loin67(*).

La contraception et la légalisation de l'avortement, symbole de liberté pour les femmes, en 1949 avec la Convention de Genève, sous l'impulsion américaine, participent à une forte baisse de la natalité : 50% de naissances en moins à partir des années 197068(*). En 1925, on notait environ 5 enfants par femme, puis 3,65 en 1950, et 1,57 en 1989. Aujourd'hui, la moyenne est de 1,23 par femme. Parallèlement, on note l'apparition du phénomène DINK : « Double Income-No Kids ». De plus en plus de jeunes couples décident de ne pas avoir d'enfants. Une récente publication du ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales a montré le lien entre la baisse de la natalité et les nouveaux choix de vie des femmes, dues à une difficulté à effectuer des compromis : « Une cause importante de la chute du taux de natalité est l'augmentation du nombre de célibataires en réponse à un fardeau de plus en plus lourd porté par les femmes du fait de leur double rôle de mère et de travailleuse. »69(*)

Selon un sondage effectué en 1995, 50% des femmes âgées entre 25 et 30 ans sont encore célibataires. En 1985, elles ne sont encore que 30%. De plus, selon un sondage effectué par Dr Ogawa Naohino en 1995, 75% des jeunes femmes japonaises sont en faveur du phénomène des « nouveaux célibataires », ou DINK, et souhaitent profiter de leur vie de célibataires sans se soucier du mariage. Ce dernier a aussi remarqué que, si 75% de ces femmes ne souhaitent pas se marier, leurs compagnons ne sont que 50% à ne pas vouloir se marier également, signifiant que les femmes sont de moins en moins nombreuses à être intéressées par le mariage, et moins attachées aux traditions que les hommes.70(*)

Deux mesures politiques ont permis aux femmes d'accéder plus facilement au travail, et donc à une plus grande indépendance, marquant ainsi le début de la « dégénérescence des moeurs 71(*)» dont parle le psychologue Takahashi Tôru dans Homo Japonicus, ou plus simplement, l'avènement des career women et le recul de la séparation des sphères traditionnelles : la Convention pour l'Elimination de toutes les formes de Discrimination Envers les Femmes, adoptée en 1977 par les Nations Unies ; et le Livre Blanc de 1981 sur la Vie des Citoyens Japonais72(*).

D'autres lois sont apparues après la Seconde Guerre mondiale. En 1947, puis en 1986, deux lois importantes relatives à l'égalité des chances entre hommes et femmes au travail sont adoptées. La loi sur la protection au travail de 1947 vise à protéger les femmes. Elle restreint les heures supplémentaires et interdit les heures de nuit, travail jugé trop « dangereux » pour la fragilité des femmes. Comme le remarque Nilsy Desaint dans Mort du père et place de la femme au Japon,  ce que vise cette loi est surtout « la protection de la femme en tant que mère potentielle qui risque, du fait de conditions de travail difficiles, de mettre en péril (...) sa fonction première de mère de famille »73(*).

A partir des années 1980, des travailleuses et des féministes ressentent cette « protection » comme un frein à l'égalité au travail, qui bloque l'émergence de la femme moderne, « la femme qui souhaite faire carrière sur un même pied d'égalité que les hommes ». La loi sur l'égalité des chances de 1986 est une réponse aux signes de discrimination les plus visibles envers les femmes.

Mais ce texte de loi comporte aussi des lacunes. Comme nous l'avons vu précédemment, du fait du type d'éducation qui continue à être relativement différencié entre hommes et femmes, et le plus grand nombre d'étudiants de sexe masculin dans les grandes universités, nous comprenons que malgré des textes sur l'égalité des chances, l'égalité entre une femme issue d'une éducation « féminine » et un homme issu d'une belle éducation « masculine » n'existe pas aux yeux de l'employeur d'une grande entreprise. Le pourcentage d'hommes embauchés est toujours plus élevé que le pourcentage de femmes.

De nombreux obstacles barrent la route des femmes à la « voie royale », qui permet de faire carrière dans une entreprise, et accéder à une promotion à un poste important : leur profil académique, inférieur aux hommes, comme nous l'avons constaté, et la durée de leurs services, causé par le besoin imminent de fonder une famille, ou tout du moins, crainte des employeurs74(*). Cependant, on note tout de même une amélioration : il n'y a plus que 3% de postes réservés aux hommes en 1987, contre 23% avant la loi de 1986, et les opportunités d'emploi sans distinction de sexe sont passées de 32% à 72%. En 1995, selon un sondage effectué par le ministère du Travail, un Japonais sur cinq pense que les hommes et les femmes devraient avoir les mêmes chances.75(*)

Depuis les années 1980, où le statut des femmes a réellement changé, le monde de la femme paraît très différent de ce qu'elle vivait auparavant. La mère de famille travaille à mi-temps ; elle s'instruit, fréquente des centres culturels, voyage, étudie plus longtemps. Les hommes sont considérés comme « des feuilles mortes mouillées »76(*), expression japonaise choc (signifiant que les hommes, comme les feuilles mortes mouillées, collent à la femme, tels des fardeaux) utilisée pour la première fois par la féministe Higuchi Keiko.

Un autre des phénomènes apparus avec l'avènement de la femme moderne, l'un des plus manifestes et les plus inquiétants, est la prostitution des lycéennes, devenue très répandue, nommée « enjo kosai »: des jeunes filles vendent leur corps aux salarymen pour pouvoir s'acheter des vêtements de marque - un atout mode très important dans les rues japonaises, les grandes marques européennes étant très en vogue. Le psychologue Takahashi Tôru cité dans Homo Japonicus y voit la preuve d'une évolution des dernières générations montrant un mauvais exemple aux plus jeunes, victimes du relâchement du rôle paternel et de la baisse de transmission des valeurs morales. Celui-ci dit également : « Si les lycéennes se prostituent c'est parce qu'elles voient leur mère tromper leur père »77(*).

Le Dr Sekiya Tohru, président de la clinique neuropsychiatrique Sekiya, auteur de Ces hommes qui ont peur de rentrer chez eux (Planet Shuppan, 1989), interrogé en 1995 et cité dans Homo Japonicus, analyse la mort du système patriarcal et ses conséquences, dues à l'avènement de femmes désormais plus fortes, plus autonomes. Il décrit les souffrances des hommes qui ne se sentent plus aussi autoritaires qu'avant, et encore moins appréciés ; l'homme est même parfois totalement ignoré par sa famille ; il se sent dévalorisé. « Autrefois, le chef de famille avait l'habitude de remettre sa paie à sa femme (...) sa famille lui était reconnaissante », aujourd'hui, explique le Dr Sekiya, « sa famille ne se gène pas pour lui faire sentir qu'il n'a plus sa place et qu'il est de trop »78(*).

Les hommes japonais souffrent de ces bouleversements au sein de la famille, mais les femmes ont également matière à se plaindre. Au Japon, une épouse japonaise supporte bien plus de la part de son mari que ne le ferait une femme française. Comme dans une relation mère-enfant, très répandue comme schème de vie de couple au Japon, elle supporte en silence, tandis que son mari se « défoule » sur elle, après avoir ôté ce masque qu'il porte toute la journée devant ses collègues de travail. Comme l'explique Muriel Jolivet, ce sont surtout les femmes qui ont connu le monde du travail et l'autonomie qui souffrent de ce genre de situation : « les femmes qui ont fait des études ou qui avaient un bon métier avant leur mariage sont plus vulnérables que les autres, car elles ont l'impression d'être rabaissées au rang d'esclaves. C'est ainsi qu'elles viennent à se détacher de leur mari, à l'exclure de leur vie »79(*). Cela explique le phénomène de plus en plus répandu ces dernières années d'adultère chez les femmes, qui trompent leur mari pour combler le vide de leurs vies. Ce genre de comportements, inconcevables pour les femmes âgées de soixante dix ans aujourd'hui, concerne les femmes de quarante à cinquante ans : celles qui ont connu l'évolution de leurs droits dans les années 1980, et qui ont pu connaître plus de liberté, un monde différent de celui de la ryosai kenbo.80(*)

Les hommes, passéistes, regrettent le temps où leurs femmes les accueillaient « dans les formes »81(*), c'est-à-dire à l'aide des formules consacrées. Elles ne les accompagnent plus sur le pas de la porte pour leur souhaiter, à l'aide d'exquises formules de politesse traditionnelles, une bonne journée. Moins le mari est là, plus la femme est heureuse, comme le dit Dr Sekiya : « je me souviens d'un groupe de femmes qui ne tarissaient pas sur les voyages qu'elles s'offriraient... à la mort de leurs maris ! »82(*)

Mais il convient d'analyser ces remarques avec du recul. En effet, Dr Sekiya idéalise le système patriarcal : la cohabitation est vue, par les hommes, comme étant plus harmonieuse. Mais ce système n'arrange que le père, qui est chef de famille aux pleins pouvoirs. Comme le dit Muriel Jolivet dans Homo Japonicus, « il est difficile d'imaginer que les femmes acceptent de faire le retour en arrière préconisé (...) il me semble que les hommes subissent les dures répercussions de leur non-investissement dans la famille »83(*).

2) L'image de la femme japonaise dans les médias

2)a. L'image traditionnelle de la femme dans les médias

Dans la tradition, comme nous avons pu le voir, l'idéal féminin est que celle-ci reste dépendante de son mari, de la maison et fidèle à son intérieur, à sa famille, lieu de son « véritable travail ».

Le monde des médias, qui a vu fleurir une presse spécialisée pour les femmes et des feuilletons télévisés pour la femme d'intérieur, en particulier dans les années 1980, est un monde régi essentiellement par des hommes. Comme beaucoup d'industries, l'industrie médiatique appartient au monde du travail et donc est un monde masculin où il est difficile pour une femme de s'imposer à un poste important. Les messages ainsi divulgués dans les médias s'adressent donc à des femmes, mais à travers un regard principalement masculin.

Dans les années 1970 et 1980, on trouve énormément de magazines pour femmes dont le contenu traite toujours des mêmes sujets : l'homme, la mode, la famille, l'intérieur. Ces magazines manquent généralement d'informations sérieuses, comme si la femme n'était pas en mesure de comprendre d'autres sujets ; on y trouve donc très peu d'informations sur le monde extérieur, sur les actualités, ni de politique. La femme doit rester dans des sujets qu'elle peut comprendre, vus comme étant de son domaine: la cuisine, le foyer, les enfants, sa beauté. On remarque aussi que plus le magazine s'adresse à un lectorat féminin jeune, plus son contenu sera éloigné de la réalité, coupé des faits du monde extérieur, tourné vers des mondes irréels, idéaux, rêvés. Ce qui n'affecte pas son monde immédiat, est donc tu.84(*)

Il en va de même pour les feuilletons télévisés, ainsi que les manga (les shojo manga, adressés au lectorat féminin). En effet, on y présente les bienfaits de l'amour, du mariage, de la famille.... La petite fille, adolescente puis jeune femme est ainsi submergée d'images médiatiques lui vantant les domaines qui la concernent, la ramenant ainsi toujours à son véritable rôle et son but dans la vie, selon la tradition de la ryosai kembo : se marier, avoir une famille et s'occuper de son mari et ses enfants comme son but ultime. On maintient les jeunes filles dans un monde « sirupeux », un monde de rêves, leur présentant un idéal voulu par des hommes passéistes, nostalgiques de l'époque des ryosai kembo85(*).

Dans les années 1980, le téléfilm sentimental trouve énormément de succès auprès des femmes au foyer. Les femmes japonaises passant beaucoup de leur temps à la maison, elles font le bonheur des chaînes ayant décidé de s'adresser au public féminin avec de nombreux home drama et émissions de variété. D'ailleurs ce ne sont pas que les mères au foyer qui sont concernées par ce type de programmes : les adolescentes et les jeunes femmes de moins de 25 ans sont également visées. C'est le cas par exemple de la chaîne Fuji Tv, qui dès les années 1980, s'est assuré un succès fort grâce à ses téléfilms à l'eau de rose qui ciblent les adolescentes et jeunes femmes. Aujourd'hui au Japon, ce style de téléfilms est désormais appelé « trendy drama », car ils mettent en scène des histoires d'amour contemporaines86(*).

Les programmes télévisés s'adressant aux femmes, les « okusan no bangumi », (signifiant « programmes de femmes au foyer) sont très nombreux et s'étalent sur toute la journée. Des programmes de cuisine, des home drama, en passant par les jeux télévisés, de 6h du matin jusque tard dans la soirée, sont diffusés sur les sept chaînes des télévisions japonaises.87(*) L'image des femmes que l'on retrouve dans ces programmes télévisés met en valeur les qualités féminines de douceur, de dévouement, de modestie, alors qu'on accentue la virilité des hommes : pour les deux sexes, on frôle la caricature, tant dans les attitudes et caractères, que dans les voix, excessivement aigues chez les femmes et graves pour les hommes.88(*)

Il est convenu que les médias exercent une très grande influence sur les femmes, en particulier les femmes au foyer au Japon qui passent beaucoup d'heures en intérieur, et donc devant le téléviseur. Il est donc intéressant de se pencher sur les sujets et types d'images que renvoient ces médias aux femmes japonaises, pour comprendre comment leur mentalité en a été affectée, et comment cette image a évolué.

Dans les années 1970-1980, les médias s'adressent à la femme au foyer, la maîtresse de maison. Comme nous l'avons vu, les hommes, dominant le monde des médias, cherchent à maintenir cette image de ryosai kembo qui commence à disparaître, grâce à l'entrée des femmes dans le monde du travail à des postes désormais plus importants et l'évolution des mentalités des nouvelles générations : mais comme l'explique Vera Angeloni dans Le consensus au féminin, en 1984, les femmes, dans le monde des médias, sont encore en nombre très inférieur et dévouées aux domaines féminins seulement: « la moitié des 1% de journalistes femmes est employée à la rédaction d'articles touchant la cuisine, l'éducation, les soins destinés aux enfants... très peu écrivent sur des sujets come la politique, l'économie »89(*). Comme l'écrit Yoko Nuita dans Influence des médias sur les comportements socioculturels des femmes au Japon : « La radio-télévision, qui est actuellement dominée par les hommes, ne devrait pas servir à perpétuer l'image traditionnelle de la femme, avantageuse pour l'homme, ni à consolider un mode de vie féminin conçu au bénéfice de l'homme »90(*). Cette phrase reflète l'évolution des mentalités féminines, qui souhaitent alors être pleinement intégrées au monde du travail et des médias, et s'affranchir de l'image traditionnelle.

Les médias d'aujourd'hui montrent une nouvelle facette des femmes japonaises. L'évolution de leur statut ces dernières années, grâce à la montée de l'égalité des chances au travail qui leur assure désormais un plus grand pouvoir décisionnel dans la famille, se reflète dans la presse et la télévision contemporaine. Comme l'explique Nilsy Desaint, « les médias se sont adaptés en s'adressant aux femmes, non plus comme à des maîtresses de maison, mais comme à des individus. 91(*) » et « en trente ans, les femmes sont passées des marges de la société à un rôle central en tant que consommatrices »92(*).

Ainsi, l'image des femmes que l'on trouve dans les médias aujourd'hui correspond dorénavant à une image que celles-ci veulent voir d'elles-mêmes : en effet, de plus en plus de femmes sont embauchées au sein des entreprises publicitaires et médiatiques, dans une stratégie marketing visant à pourvoir aux besoins des femmes grâce aux femmes. Depuis les années 1980, les femmes sont la principale cible du marketing, dans les médias ou dans le commerce : cela coïncide avec l'augmentation des revenus féminins, parallèlement à l'augmentation des postes à responsabilités qui leur sont pourvus.93(*)

L'évolution des slogans publicitaires des années 1970 tels que « Comme je suis une okusan94(*), je suis rarement invitée », ou « êtes-vous aimée, okusan ? »95(*), devenant « Je suis une femme et j'ai besoin d'une épouse » dans les années 1980, signale l'évolution sociale des femmes, l'avènement des career women.

A la fin des années 1970, la femme japonaise devient une femme à multiples responsabilités : mère, épouse, career woman. La nouvelle génération des femmes actives, âgées dans les années 2000 de quarante ans, est la cible favorite des journaux et émissions télévisées contemporaines. Ces émissions et ces magazines permettent d'étudier le type de comportements socioculturels que reflètent les médias aujourd'hui au Japon. La femme active aujourd'hui n'est plus contrainte, à la différence de la génération précédente, de choisir entre travail et vie de famille, elle a une plus grande liberté de choix96(*). La presse féminine reflète les multiples contradictions de la vie de la femme aujourd'hui. Il en résulte une pléthore de magazines spécialisés, destinés à un type de lectorat différent, divisé selon l'âge et la catégorie sociale.

Les messages diffèrent selon le lectorat visé, mais pour chaque magazine il s'agit de trouver un équilibre entre les contradictions auxquelles sont soumises les lectrices : réussite individuelle, élitisme, esprit d'entreprise sont mis en avant, face aux impératifs de la vie quotidienne, soit les règles de groupe et l'esprit de village, le poids du regard des autres. Ainsi on trouve des magazines aux esprits différents, tels que Esse pour les mères de famille de 25-35 ans, Crea, pour les célibataires, Vingtaine, pour les BCBG ou Croissant pour les femmes de 40-50 ans. On ne peut trouver de magazines généralistes, étant donné la diversité de modes de vie des femmes entre 30 et 40 ans : certaines sont des femmes actives travaillant en entreprise, d'autres sont mères au foyer. 97(*)

2)b. L'image contemporaine des femmes et le cas de la femme hyper-sexualisée

Après nous être interrogés sur l'image de la femme que renvoient les médias à partir des années 1980 particulièrement, nous pouvons nous interroger sur le type de représentations que nous percevons de la société aujourd'hui, à la fois dans les médias japonais, mais aussi dans les médias occidentaux.

Nous pouvons également effectuer une comparaison significative entre les images qui nous parviennent au travers du cinéma et des animés représentant les femmes de façon très sexuelle, avec la réalité des rapports homme/femme au Japon. Cette comparaison nous permettra de constater la différence entre les images médiatiques et la société.

En effet, nous sommes abreuvés de nombreuses images nous venant du Japon : manga, animés, photographies des rues tokyoïtes... les femmes y montrent alors quelquefois un visage traditionnel : ce que l'on voit dans des films tels que Geisha réalisé par Rob Marshall, par exemple, film américain adapté du roman du même nom du romancier Arthur Golden. Présentant le monde des geishas avant la Seconde Guerre mondiale, ce film adopte une vision « romancée » des femmes japonaises, grâce à des images élégantes, à la beauté des kimonos, vêtements traditionnels, coiffures et rituels inchangés depuis des siècles.

Cette image traditionnelle qui fascine le public occidental s'oppose à une image que nous croyons alors plus en accord avec la société d'aujourd'hui : en effet, on trouve fréquemment des images de femmes « hyper-sexualisée », dans les manga, les séries et films d'animation. Ce terme d'« hyper-sexualisation » correspond bien à l'abondance des images numériques, des différents médias véhiculant cette image sexuelle de la femme japonaise, en telle contradiction avec son image traditionnelle : on les retrouve sur Internet, sur les écrans de cinéma, à la télévision. De nombreux blogs, sites de vidéos en streaming, offrent au monde entier cette image de la Japonaise 3.0, femme médiatisée à l'extrême, en images réelles ou en animation, qui paraît alors sous une forme sexuée à l'extrême. Les dessins et films érotiques et pornographiques japonais abondent et nous laissent croire que le Japon est une société sans tabous sexuels, sans pudeur. Le Japon est en effet plein de contradictions, et les images médiatiques qu'il nous renvoie des femmes japonaises contribuent à maintenir une réelle distance entre ses représentations et la réalité de la société japonaise.

Ainsi, l'écrivain et spécialiste du Japon Ian Buruma a constaté qu'en dépit d'une culture confucianiste qui consiste à se cacher, pour maintenir les formes, il n'y avait pas de culture plus ouverte que la culture japonaise du point de vue sexuel.98(*) On sent d'ailleurs très bien ce manque d'inhibitions dans les dessins animés et manga japonais. Les hentai, manga porno, ont d'ailleurs un nom signifiant « perversion » : les Japonais excellent dans l'art de mettre en scène les fantasmes sexuels les plus fous, sans tabous.

Cependant, face à ces moeurs en apparence relâchées, les chiffres montrent un Japon beaucoup plus conservateur : très peu d'unions se font en dehors du mariage, et le désintérêt croissant pour le mariage explique la baisse de la natalité. De plus, on assiste au phénomène des « sexless » couples qui ne vivent pas leur sexualité ou ne s'adonnent au sexe qu'à des fins procréatrices.99(*)

Les Japonais ont peu d'appétit sexuel : une a deux fois par semaine pour les gens âgés de trente ans, une fois par mois vers les trente cinq ans ; puis la fréquence va en décroissant100(*).

Autre preuve de ce que nous pourrions voir comme un tabou vis-à-vis de la sexualité, la pilule peu dosée n'est pas encore autorisée comme moyen de contraception. Seule la pilule à un dosage important (donc ayant des conséquences hormonales importantes) est autorisée dans le cadre d'un traitement. Ceci explique également le fait qu'il y ait de moins en moins de rapports, les jeunes femmes redoutant une grossesse non désirée, le préservatif n'étant pas fiable à 100%. Les jeunes femmes des nouvelles générations souhaitant avoir des enfants plus tard et se marier plus tard qu'autrefois, on comprend aisément que les rapports sexuels ne soient pas aussi fréquents que dans d'autres pays. Selon le gouvernement, l'interdiction de la pilule aiderait à lutter contre le sida et la « promiscuité » (symbolisant par ailleurs le caractère sacré du mariage). En réalité, selon certains spécialistes, il s'agit d'une façon de contrôler et d'avoir un pouvoir de pression101(*).

Parallèlement à ce manque d'appétit sexuel, à la baisse de la natalité et au désintérêt croissant pour le mariage, l'image actuelle que projette le Japon est en accord avec les phénomènes complexes et contradictoires de la société japonaise : d'un extrême à l'autre, entre pudeur et mise en scène, politesse extrême et vulgarité, dissimulation et exhibitionnisme.

Comme nous l'avons constaté plus tôt, nous nous accordons sur le fait que les images qui nous parviennent des femmes japonaises sont contradictoires : les femmes traditionnelles se retrouvent parmi leur opposé total : hôtesses dans les bars, jeunes filles délurées dans les rues, adolescentes prostituées, ce que nous avons vu plus tôt comme étant le phénomène tristement courant du « enjo kosai ».

Les médias véhiculent l'image d'une femme moderne ; seulement celle-ci est vue à travers le regard des hommes. L'idéal n'est plus une femme comme la ryosai kembo, mais désormais, soit une femme forte, sexuellement puissante ; soit son opposé, qui sera alors plus proche de l'idéal traditionnel, une jeune femme soumise, objet du désir sexuel masculin.

Les magazines féminins empressent la femme d'affirmer, voir d'afficher sa sexualité. Les jeunes adolescentes se prostituent pour correspondre à l'idéal chic parisien, l'image sexy et indépendante des jeunes filles des magazines occidentaux.

Le Japon se débat entre ses traditions et sa modernité et les médias montrent ce combat à travers les diverses images de femmes qu'on y trouve : nulle généralisation est possible au Japon, tant les femmes vivent des vies différentes selon leur milieu, leur profession, leur âge. Il n'y a pas une seule image possible.

Les geishas existent toujours, « reliques » d'un lointain passé, effacé depuis par la nouvelle génération de filles modernes. Le Japon maintient ses traditions mais la femme est bien loin de l'image d'autrefois : la geisha est certes toujours en kimono, mais aujourd'hui elle mène sa vie comme une femme moderne ; elle utilise un Ipod, un Iphone, un ordinateur portable. La lycéenne s'exhibe dans des vêtements manga, une mode dite « kawaii » ; elle crée une mode incongrue, nouvelle, totalement déjantée et loin des modes occidentales, même si afficher un sac de marque Vuitton ou Chanel ajoute un chic incomparable à son aura.

Aujourd'hui la nouvelle génération s'exhibe avec une mode inspirée à la fois de la culture pop manga, ou de la culture occidentale ; mais si les médias véhiculent une image « sexuelle » avec les publicités, les mannequins et les photographies de rues, il est important de noter que la notion de ce qui est sexuellement attirant au Japon est bien différente de la nôtre. Ce qui nous paraîtra osé ne l'est pas du tout pour les Japonais. Par exemple, la nuque est un endroit du corps particulièrement attirant pour un Japonais. En revanche, les jambes et les fesses ne l'intéressent pas du tout, contrairement aux Occidentaux. Ainsi, les jeunes femmes qui montrent leurs jambes dans les rues ne sont pas du tout perçues comme étant provocantes.

Nous pouvons conclure cette première partie en effectuant le constat suivant : depuis la Seconde Guerre mondiale, la femme japonaise a su évoluer, trouver une place plus proche de celle de l'homme, place qui autrefois était si éloignée et séparée, maintenue dans une sphère complètement opposée. La distinction entre les sphères masculines et les sphères féminines s'est affaiblie ; depuis qu'elle a réussi à s'intégrer de façon plus « légitime » dans le monde du travail, la femme des nouvelles générations aujourd'hui ne choisit plus entre carrière ou famille, elle fait en sorte de combiner les deux. Le mariage n'est plus son seul but dans la vie ; la jeune Japonaise n'imagine plus sa vie sans une carrière, un métier.

Cependant on constate que les traditions ne sont jamais très loin ; leur poids se fait encore sentir sur les épaules des jeunes japonaises. Celles-ci se retrouvent alors confrontées à des choix difficiles : une carrière, oui, mais elles doivent aussi penser au mariage et à avoir des enfants ; même si leur âge lors de leur mariage recule, il est inconcevable que ce jour n'arrive pas. Même si elle veut une carrière, elle sait que certains secteurs ne sont pas vraiment faits pour elle, « et c'est bien comme ça »102(*), car elle n'a pas la force pour certains métiers, comme médecin. En effet, les femmes japonaises pensent qu'être médecin nécessite une force physique que les femmes n'ont pas. Fumiko, jeune Japonaise interrogée par Nilsy Desaint dans Mort du père et place de la femme au Japon, le dit très clairement : « c'est très dur, il faut porter les patients 103(*)». Elle n'est pas non plus faite pour un métier à lourdes responsabilités. Elle peut évoluer dans sa carrière, mais elle choisit le plus souvent une carrière proche du rôle traditionnel de la femme : avec les enfants, avec les personnes âgées, dans les domaines artistiques... car ce sont des domaines plus « appropriés » aux femmes. Les médias lui donnent envie de se façonner une nouvelle image, mais celle-ci reste dominée par le regard masculin, puisque les hommes dominent majoritairement le monde des médias. Elle est alors montrée sous deux aspects : la femme forte et la femme soumise. Et en Occident, elle est alors souvent perçue sous un angle sexuel.

La femme de la nouvelle génération cependant, ne peut se compartimenter, se ranger dans des catégories aussi facilement : les magazines féminins écrits par des femmes, montrent bien que les Japonaises vivent des vies bien variées et différentes selon leur âge, leur catégorie sociale, leur profession... les messages des médias varient alors sensiblement.

D'une façon générale, nous pouvons conclure sur le fait que la Japonaise moderne est encore dirigée dans ses choix, elle garde un statut différent de celui de l'homme dans la société : mais les évolutions de ces dernières années lui permettent aujourd'hui d'avoir un métier, une carrière, de l'indépendance, et d'ensuite concilier cela avec une vie familiale. La Japonaise moderne n'a plus une seule vie : elle en a plusieurs : mère, épouse, icône sexuelle, étudiante, career woman.

Nous pouvons à présent nous intéresser au cinéma d'animation japonais, l'un des médias les plus importants au Japon, où les rôles féminins abondent et offrent de multiples perspectives d'analyse.

II/

A-Evolution du cinéma d'animation japonais

1) Historique

1)a. Débuts de l'animation japonaise

L'histoire de l'animation au Japon débute en 1910, avec la diffusion des premiers dessins animés américains de John Randolph Bray à Tokyo. Les cinéastes japonais, fascinés par ce nouveau procédé, se mettent eux aussi à l'animation, avec des premières expériences fructueuses104(*). Le premier artiste à s'y essayer est Seitaro Kitayamo, en 1913. Son film Le Garçon des pêches, une expérimentation entièrement réalisée à l'encre de Chine, est diffusé en France en 1918 et marque la fondation du premier studio d'animation japonaise, « Kitayama Eiga Seisakujo ».105(*)

Suivent alors d'autres réalisateurs : Junichi Kouchi, qui introduit des nuances de gris, Noburo Ofuji, qui réalise ses films avec des découpages de papier (le « chigoyami ») apposés sur des plaques de verre, puis réalise les premiers films sonores et en couleur. Mais c'est Yasuji Murata qui introduit la technique de l'animation totale sur cellulo, à la manière des Etats-Unis, en 1927 ; il crée également les premiers personnages zoomorphes, comme dans sa principale oeuvre, Le sabre flambant neuf de Hanawa Henokai, réalisé en 1917. Les personnages zoomorphes vont par la suite fortement marquer le style visuel japonais, comme on le constate dans les dessins animés pour enfants. 106(*)

Durant la Seconde Guerre mondiale, l'animation connait une baisse de production ; ne sont alors diffusés que des films de propagande, dont le tout premier long-métrage animé, Momotaro le divin soldat de la mer, réalisé par Mitsuyo Seo en 1945.107(*)

Dans le Japon de la reconstruction, l'animation tente de passer du niveau individuel et artisanal au niveau industriel. La « Nihon Doga » est crée en 1947, pour plus tard devenir la « Toei Doga », à ne pas confondre avec la «Toei », autre studio qui devient plus tard, dès 1956, le plus grand studio du Japon. D'autres studios suivent le mouvement : la « Otogi » est crée en 1955 par Ryuichi Yokohama, considéré comme le père de l'animation japonaise après la guerre.108(*)

La notion de spectacle se développe : l'animation en couleur se popularise ; la reconnaissance internationale commence, notamment grâce au film La Baleine réalisé par Noburo Ofuji en 1952, qui remporte un succès d'estime au festival de Cannes en 1953.

Le studio de production de la Toei crée en 1956 son secteur d'animation et signe son premier grand succès en 1958, avec Le Serpent Blanc de Taiji Yabushita. Cet engouement provoque le début d'une nouvelle ère : celle de l'industrialisation du dessin animé, qui va marquer les trente années suivantes.

Les studios se multiplièrent : le studio Kyodo, la Nihon Eiga, le studio Toho. En 1960, les productions de dessins animés pour la télévision se mettent en marche, marquées par l'arrivée d'Astro Boy en 1963, création d'Osamu Tezuka, le « dieu du manga ». La Toei devient alors le plus grand studio d'animation, produisant des milliers de dessins animés, dont les premiers en couleur pour la télévision, durant les années 1979 et 1980. En 1985, l'animation est devenue une telle industrie que l'on trouve plus de mille artistes à la Toei de Tokyo, et plus de dix mille professionnels de l'animation uniquement dans la ville de Tokyo.109(*)

En parallèle, des studios indépendants s'ouvrent, avec des oeuvres auto-financées, telles que le Temple Dojoji de Kawamoto, en 1976, au style plus artistique et artisanal, et aux thèmes plus traditionnels. La particularité de Kawamoto est d'utiliser des marionnettes dans ses animations. Parmi les studios s'éloignant du modèle industriel de masse, nous pouvons noter la présence du studio Tezuka Prod, et la Mushi, fondés par Tezuka en 1961 et en 1973, qui organisent des festivals présentant des films internationaux.110(*) En 1960, la Kuri Sikken Manga Kobo produit des courts-métrages uniquement, avec une forte notion d'un « anti-cinéma », anti-conformiste et anti-industriel. Il faut également noter la présence de l'une des rares réalisatrices d'animation, Matsue Jinbo, qui réalise le film La petite marchande d'allumettes, produit par le studio Gakken et récompensé en 1967 au Prix de Copenhague.111(*)

1)b. Les séries télévisées

Les années 1970 et 1980 ont été l'époque du règne de la série d'animation japonaise, diffusée en Europe également, mais pas aux Etats-Unis, qui ferme à l'époque son marché à l'exportation de dessins animés japonais112(*). La promotion commerciale est indispensable : les chaînes de télévision vendent une plage horaire aux agences publicitaires ; celles-ci cherchent alors des sponsors parmi les fabricants de jouets, de friandises, et autres. Les épisodes à réaliser sont alors confiés à un studio sur la base des éléments nécessaires à sa promotion commerciale.

Le marché de la cassette vidéo contribue à la prolifération de séries animées et longs-métrages ; une grosse partie esst alors sous-traitée par des studios souvent situés en Corée. Les revues de presse spécialisées voient le jour : Animage, Animac, Animedia, etc.

Cette ère de l'industrialisation de masse du dessin animé a commencé avec Osamu Tezuka et Astro Boy dans les années 1960. Tezuka a en réalité appliqué les principes de production des grosses sociétés américaines, telles que Hanna Barbera : le principe est d'améliorer la vitesse de production en réduisant le nombre d'images par secondes à 5 au lieu de 15. Le résultat est alors d'améliorer la rentabilité, mais cela se fait au détriment de la qualité des productions. Comme l'écrit Giannalberto Bendazzi sur ce sujet, dans son ouvrage Cartoons, le cinéma d'animation de 1892 à 1992 : « Tous les studios vont adopter ces principes et la compétition à la plus grande productivité (au détriment de la qualité) devient la norme »113(*).

La haute rentabilité, les grosses productions deviennent donc la norme, et le succès est au rendez-vous. Le plus gros producteur de séries télévisées de l'époque est la Toei. 114(*)Suivant l'exemple d'Osamu Tezuka et son studio Mushi, le studio d'animation de la Toei commence la production de dessins animés inspirés des mangas à succès de l'époque dès les années 1960.115(*)

Parmi les plus grosses productions de la Toei, connues à l'échelle internationale, citons quelques exemples de séries diffusées sur les chaînes de télévision japonaises116(*) :

-Calimero, réalisé par Yugo Serikawa, 47 épisodes diffusés sur les chaînes japonaises du 15 octobre 1974 au 30 septembre 1975.

-Candy-Candy, de la scénariste Kyoko Mizuki et la dessinatrice Yumiko Igarashi, série diffusée sur les chaînes télévisées japonaises entre le 1er octobre 1976 et le 2 février 1979, en 115 épisodes.

- Capitaine Flam, série réalisée par Tomoharu Katsumata, 52 épisodes diffusés sur les chaînes télévisées japonaises de 1977 à 1978.

-Albator, réalisé par Rintarô, série diffusée sur les chaînes télévisées japonaises entre le 14 mars 1978 et le 13 février 1979.

D'autres studios, tels que la Moshi ou la TMS, sont également auteurs de séries à succès. La TMS diffuse, entre autres, la série Lupin III, créée en 1971, diffusée jusqu'en 1972, puis sont diffusés de nouveaux épisodes entre 1977 et 1980. La série raconte les aventures de l'arrière petit-fils d'Arsène Lupin ; à la mise en scène, travaillent Isao Takahata et Hayao Miyazaki.117(*)

Citons encore les séries Goldorak, Princesse Sissi, L'île au trésor, Rémi sans famille, Sherlock Holmes, Conan le fils du futur ou encore Tom Sawyer, emblématiques de cette ère de production massive du dessin animé, et de la domination des chaînes internationales par les studios japonais.

A la fin des années 1970, le regain d'intérêt pour le long-métrage cinématographique permet d'adapter de nombreuses séries pour le cinéma, propulsant certains réalisateurs issus du gros studio de la Toei dans cette voie: c'est le cas, entre autres, d'Hayao Miyazaki. Mais la véritable reconnaissance de l'animation japonaise en tant qu'oeuvre cinématographique doit se faire à la fin des années 1980.118(*)

1)c. Un souffle nouveau sur le cinéma d'animation des années 1990

C'est durant les années 1990 que l'animation cinématographique venant du Japon se fait connaître internationalement, et suscite l'intérêt non plus des seuls amateurs, mais de plus larges publics.

L'évolution progressive vers une plus grande production cinématographique se fait dès les années 80, avec la réalisation de films tels que Le Château de Cagliostro, Nausicaä de la vallée du vent, réalisés respectivement en 1979 et 1984, par Hayao Miyazaki, mais encore Le Tombeau des lucioles, réalisé en 1988 par Isao Takahata.

Le succès étant au rendez-vous, d'autres réalisateurs suivent le mouvement, et l'animation cinématographique retrouve un second souffle, après la parenthèse télévisée des années 1979-1980.

Akira, film réalisé en 1987 par Katsuhiro Otomo, est inspiré d'un manga à succès du même nom, publié en 1982. Akira, film futuriste au scénario de science-fiction complexe et au graphisme soigné, redonne définitivement ses lettres de noblesse à l' « anime », oeuvre d'animation japonaise.119(*)

Les années 1990 marquent l'apogée de la reconnaissance internationale des productions cinématographiques. L'ouverture de nombreux festivals destinés au cinéma d'animation japonais en sont une preuve, tels que le Festival international du film d'animation d'Annecy, ou le festival Cinémanga à l'UGC Cité des Halles à Paris.120(*)

En 1995, le film Ghost in the shell de Mamoru Oshii sort dans les salles de cinéma japonaises. Le film participe à créer une nouvelle image de l'animation japonaise, loin des séries animées du petit-déjeuner des enfants : adapté d'un manga de Masamune Shirow, l'histoire met en scène un monde de science-fiction violent, destiné à un public adulte, dans un monde menacé par l'informatique et les technologies.

Enfin, nous pouvons également citer l'exemple du film Perfect Blue, réalisé en 1997 par Satoshi Kon, qui rencontre également un franc succès au Japon et en Occident. Ce film continue l'ascension des films d'animation japonais vers des scénarios plus complexes, plus adultes, un graphisme travaillé et de haute qualité technique ; Perfect Blue met en scène une jeune chanteuse face à la gloire, sombrant peu à peu dans la schizophrénie ; le scénario exploite ainsi des thèmes plus psychologiques, profonds, adressés à un public plus mature.

1)d. Les racines traditionnelles du manga et du film d'animation

Le manga et l'animé sont étroitement liés ; leurs origines sont communes. En effet, souvent, les films d'animation sont réalisés à partir des mangas : c'est également le cas pour de nombreuses séries télévisées des années 1970-1980, adaptations des scénaristes de leurs propres mangas. Il convient cependant d'apporter quelques précisions sur le mot « manga », utilisé différemment en Occident et au Japon. Le mot « manga » est crée par le célèbre artiste japonais Hokusai au XIXe siècle. « Manga » est le titre de ses recueils destinés à ses disciples, composé de deux idéogrammes : man signifiant « exécuté de manière rapide et légère » et ga, « dessin ». Ce n'est qu'au XXe siècle que le mot « manga », retenu par d'autres artistes, prend le sens de dessin animé. Aujourd'hui, le sens du mot a évolué. Pour les gens nés avant la guerre, « manga » désigne toujours une bande dessinée aux traits simples. Pour les jeunes générations cependant, « manga » désigne désormais les estampes de l'époque Edo. L'Occident utilise donc le terme « manga », qui ne s'utilise plus au Japon.121(*)

Entre les mangas et animés contemporains et rouleaux enluminés de l'ère Edo, nous pouvons retrouver diverses similitudes et retracer les origines de certaines caractéristiques de l'animation japonaise.

Le réalisateur Isao Takahata explique dans son ouvrage Les Dessins animés du XIIe siècle, les éléments évocateurs du cinéma et des films d'animation dans les rouleaux de peinture du XIIe siècle classés trésors Nationaux, que les estampes des rouleaux traditionnels(les « emaki ») sont l'origine directe du dessin animé : « les emaki que l'on déroule peu à peu pour découvrir chaque scène, rendent l'impression d'écoulement du temps et de progression de l'action (...) comme les dessins animés. »122(*)

On retrouve la longue tradition de l'estampe dans les dessins animés et mangas aujourd'hui : les Japonais ont toujours excellé dans la personnification d'animaux, et ce depuis des siècles ; c'est en effet un procédé largement exploité par les maîtres de l'ukiyo-e (« images du monde flottant »).123(*)

Les phylactères existent déjà à l'ère Edo, et la composition des estampes en cases est déjà pratiquée par le peintre Hiroshije durant l'ère Meiji, dans les années 1880.124(*)

Mais on peut retracer l'apparition des mangas, proches de ceux que l'on connait aujourd'hui, à l'époque où apparaissent les petites maisons d'édition non spécialisées, au XVIIe siècle. Les ouvrages qu'elles publient sont destinés au peuple, contrairement aux rouleaux enluminés destinés à l'élite ; ces ouvrages font une dizaine de pages, racontent des récits allant du conte pour enfants aux drames du théâtre Kabuki, aux histoires humoristiques. Les histoires se présentent alors souvent sous forme de feuilletons, au texte simple et aux multiples illustrations. On retrouve là les caractéristiques qui marquent l'apparition des bandes-dessinées du XXe siècle.125(*)

Il est cependant intéressant de noter que les mangas que nous connaissons aujourd'hui, ainsi que les films d'animation japonais, séries télévisées et cinéma confondus, offrent deux styles de scénario. En effet, nous retrouvons une division entre les scénarios adressés à un public adulte et essentiellement masculin, et ceux adressés à un public plus féminin, ou plus jeune. Nous pouvons étudier, dans une seconde sous-partie, cette séparation à travers l'analyse des divers thèmes qu'exploitent les films, ainsi que les stéréotypes féminins qu'ils mettent en scène, symbolisant des messages différents selon le public auxquels ils sont destinés.

2) Les images de la femme dans les films d'animation japonais

2)a. La femme et la sexualité censurées

Pour comprendre comment a évolué la place de la femme dans le cinéma d'animation japonais, pour comprendre quelle est sa place aujourd'hui et quels rôles lui sont dévolus, il est nécessaire de savoir comment a évolué le cinéma au Japon depuis ses débuts. Nous pouvons regarder de façon brève les débuts du cinéma japonais, puis voir comment a débuté l'animation japonaise, pour ensuite nous pencher de manière plus spécifique sur les images féminines dans le cinéma d'animation japonais.

Il est intéressant de noter que les débuts du cinéma japonais sont marqués par la censure, essentiellement tournée vers la présence de la femme dans le cinéma. La femme n'y a pas sa place : à l'époque du muet, les femmes sont bannies de l'écran. Les rôles féminins sont interprétés par des acteurs travestis, nommés oyama, ou onnagata. Ce diktat est imposé par les acteurs de kabuki, tradition théâtrale au Japon, qui persiste longtemps dans le cinéma. C'est l'influence du cinéma américain après la Seconde Guerre mondiale qui réintroduit la femme au cinéma. 126(*)

Le baiser est autrefois censuré comme « atteinte à la culture japonaise ». Dans toutes les cultures, la femme est le symbole de la sexualité, de la tentation, du péché, et chez les Japonais, d'un manque de respect de la place que doit tenir la femme : mère, femme au foyer, ce que nous avons vu avec le modèle de la ryosai kembo.

Les Américains, suite à la Seconde Guerre mondiale, aident à l'émancipation des femmes, à la réforme de l'éducation, au suffrage universel, participant à cette libération des moeurs. Le cinéma se défait ainsi du carcan traditionnel, permettant enfin aux femmes d'apparaître sur les écrans. Cependant les films étrangers restent longtemps censurés : la pilosité, la sexualité reste taboue au Japon durant de longues années.

C'est avec la popularité grandissante des mangas et dessins animés au Japon et à l'étranger, que la femme prend une place centrale dans le monde du cinéma et des médias.

2)b. Des thèmes différents pour des publics différents

Les mangas, comme les animés, se divisent en deux catégories bien distinctes : les mangas et animés pour garçons et jeunes hommes, nommés les « shônen », et ceux destinés à des publics féminins, nommés les « shojo ». De façon générale, ces mangas et animés ont des thèmes bien distincts : « les bandes dessinées pour garçons font preuve d'un minutieux dosage de suspense et d'humour, avec des histoires de sport, d'aventures, de fantômes, de science-fiction(...) les shôjô recherchent aussi cet équilibre mais se distinguent par leurs récits d'amour idéalisés. »127(*)

L'animation japonaise, malgré une séparation évidente entre les animés pour hommes et ceux pour femmes, s'adresse à des publics d'âges variés. En cela, l'animation japonaise diffère des dessins animés occidentaux, généralement destinés aux enfants. Les animés pour filles et garçons au Japon peuvent en effet s'adresser aux jeunes enfants, mais d'autres vont plutôt intéresser des publics plus âgés, adolescents, et adultes128(*). Nous pouvons en effet retrouver des dessins animés pour jeunes garçons, tels que Dragon Ball Z par exemple, et des animés aux thèmes plus sérieux, plus matures, comme on en trouve dans Ghost in the Shell, ou Akira. Les thèmes des dessins animés japonais sont très larges, allant de l'histoire à l'eau de rose pour jeunes filles, aux récits de science-fiction complexes, jusqu'aux dessins animés érotiques, nommés « hentai ».

Les caractéristiques du shojo manga et du shojo animé sont de mettre en scène des héroïnes, avec une prédominance de personnages secondaires féminins, dans une histoire centrée autour de l'Amour, recherché, vécu, rêvé. L'expression des émotions y est plus importante : les personnages sont alors dotés d'immenses yeux brillants.

Les thèmes varient : les histoires peuvent être situées autour de faits historiques, comme Princesse Sissi, Marie Antoinette, Le Glorieux Napoléon...129(*) Souvent les animés se situent dans le passé, en Occident généralement, comme dans Candy Candy, Lady Oscar, Les quatre filles du Docteur March, etc. On trouve aussi des animés centrés autour du sport, de l'école (Clamp, School detectives) ou de l'apprentissage de la vie, le passage à l'âge adulte (Kodomo no omocha). Les émotions, les relations entre les membres d'une famille, ou des amis, priment sur le caractère aventurier des histoires.

Les shonen manga et shonen animés, adressés aux garçons et jeunes hommes, exploitent des thèmes bien différents. Les histoires se situent souvent dans des univers futuristes, de science-fiction. Sean Boden, journaliste pour de nombreux magazines d'animation et auteur de l'article Women and anime prend l'exemple de Dragon Ball Z pour présenter le type de scénarios que l'on donne aux jeunes garçons et adolescents : « la série est centrée autour des hommes, mettant l'accent sur la force, la discipline, le labeur, les présentant comme les clés du succès. »130(*)

2)c. Stéréotypes féminins : la femme fatale, la princesse, la sorcière...

Dans les oeuvres du cinéma d'animation auxquelles nous, Occidentaux, sommes le plus habitués, c'est-à-dire les productions Disney, le géant du dessin animé, la femme revêt plusieurs déguisements. Nous employons le terme « déguisement » car il s'agit souvent d'images idéalisées, des personnages que nous pouvons appeler conventionnels, car issus pour la plupart de la littérature classique. La princesse s'oppose ainsi à la sorcière. En réalité, nous constatons qu'une longue tradition Disney décline ces deux stéréotypes sous toutes leurs formes : la princesse prend tour à tour l'aspect de l'adolescente naïve, de la petite fille en danger, la jeune femme cherchant son prince Charmant, l'âme pure trouvant l'Amour. Nous pensons aux personnages de Blanche-Neige, de La Belle, d'Ariel, Pocahontas, etc. Le même genre d'histoire se décline dans divers décors, représentant des jeunes filles à l'âme pure, romantique, auxquelles les petites filles spectatrices s'identifieront. Le personnage de l'innocente Blanche-Neige victime de la sorcière n'a en fait pas beaucoup évolué.

Cette opposition entre « gentilles » et « méchantes » n'est en réalité pas si différente dans le film d'animation nippon. Certes, les personnages revêtent des costumes différents, mais l'opposition entre la jeune fille innocente et la « sorcière » se retrouve jusque dans les mangas. S'il est vrai que la plupart des animés ont des caractéristiques très différentes du dessin animé Disney, on peut retrouver des stéréotypes similaires.

On peut séparer, de façon générale, comme nous l'avons vu précédemment, les dessins animés nippons en deux catégories : comme on trouve des mangas adressés à des publics féminins, on retrouve des animés destinés essentiellement à ce même type de public ; de l'autre côté, nous trouvons donc des animés destinés à un public masculin. Les genres, et même les graphismes, sont alors complètement différents.

Ainsi, nous constatons que les animés pour filles ont toutes les caractéristiques des dessins animés de princesse : jeunes filles innocentes à la recherche de l'amour, histoires à l'eau de rose ; même le graphisme prend des caractéristiques « douces », aux couleurs pastel, rose, blanc, bleu, donnant alors un ensemble très mièvre. L'animé Candy Candy en est un bel exemple : la jeune héroïne aux grands yeux larmoyants, toute de rose vêtue, attend l'Amour. Caractéristique non moins significative, l'histoire se déroule à la fin du dix-neuvième siècle. Comme nous l'avons vu, les animés pour filles se situent souvent dans le passé. Candy représente particulièrement ces héroïnes romantiques, à la recherche du Prince Charmant : en effet, il n'est pas anodin qu'elle surnomme l'homme de ses rêves « le prince des collines ».

Face à ces animés romantiques, se trouvent donc les animés pour garçons et jeunes hommes : beaucoup plus violents, voire hyper-violents, situés dans des mondes futuristes, les personnages féminins qu'on y trouve sont sensiblement différents.

On y trouve souvent des femmes effacées, faire-valoir des hommes, proches de l'image véhiculée dans les shojo manga pour jeunes filles. Celles-ci tombent alors dans le stéréotype de la « demoiselle en détresse » sauvée par les hommes, seuls maîtres de la série animée131(*).

Mais face à ces stéréotypes féminins effacés, soumis à l'homme, se dressent aussi des femmes véhiculant une image totalement opposée, que l'on retrouve dans les shonen manga, pour le lecteur et spectateur masculin. En effet, ces femmes y sont « hyper-sexy », sûres d'elles, indépendantes : une image radicalement opposée à celui de Candy et autres Princesse Sissi. Ce sont des « bad girls », dont les fans japonais sont si friands. Les « bad girls » sont sexy, violentes, ne recherchent pas l'amour, mais le pouvoir. Elles ont ainsi des caractéristiques considérées comme purement masculines au Japon. Nous pouvons penser que ces « bad girls », loin du modèle positif de la jeune fille du shojo manga, reprennent en réalité le rôle des « sorcières » de Disney; seulement, elles sont les héroïnes de leur propre film. On peut les voir dans les séries Le recueil des faits improbables de Ryoko Yakushiji, l'histoire d'une policière de New-York, forte, indépendante, sexuellement libérée ; ou encore Michiko et Hatchin, où l'héroïne est également un personnage fort, violent, loin du rôle traditionnel de la femme.132(*)

Nous retrouvons donc deux types de stéréotypes : la jeune fille, typique du shojo manga, rêvant d'amour, la demoiselle en détresse, que l'on trouve aussi dans les shonen manga ; puis, la femme sexy, la bad girl de certains shonen manga. Notons aussi que ces deux types de personnages sont sexualisés, et beaucoup représentés dans les animé érotiques, les hentai, très populaires au Japon.

Malgré ces diverses représentations, dans les shonen manga ou shojo manga, où la femme semble toujours enfermée dans le stéréotype de la princesse, la demoiselle en détresse, ou la femme sexy, il est intéressant de constater que leurs rôles tendent, ces dernières années, à se rejoindre. En effet, les deux genres d'animés pour hommes et pour femmes, tendent à se réunir et montrer une image de la femme plus indépendante, plus forte, bien que des différences subsistent. 133(*)

Nous allons à présent nous intéresser au cas du réalisateur Miyazaki, qui dans ses films d'animation, nous donne une image bien particulière de la femme. Nous pouvons ainsi analyser le parcours de ce réalisateur.

B- Le réalisateur Miyazaki : présentation

1) Biographie

1)a. Les débuts

Hayao Miyazaki naît le 5 janvier 1941 à Tokyo. Pendant la Seconde guerre mondiale, son père dirigeait l'entreprise familiale « Miyazaki Airplane ». L'entreprise fabrique des gouvernails pour les avions de chasse "Zero", lesquels sévissent pendant la guerre.134(*) Fasciné par ces avions, Hayao développe, dès l'enfance, une passion dévorante pour les engins volants qui ne le quitte jamais. On ressent bien cette passion dans ses films, avec une présence considérable d'objets volants, fantastiques ou pas : avions dans Porco Rosso, deltaplanes dans Nausicaä de la vallée du vent, oiseaux fantastiques et dragons volants dans Le Voyage de Chihiro, pour n'en citer que quelques uns. La guerre le marque profondément, ce qui aura par la suite une influence importante sur son travail et dirigera nombre de ses choix de sujets de film, prônant la non-violence et la paix.

Le jeune Hayao Miyazaki grandit avec une mère absente, celle-ci devant passer de nombreuses années confinée à l'hôpital. Elle peut revenir au foyer en 1947 mais demeure alitée. Miyazaki garde durant toute sa carrière le souvenir de la maladie, que l'on retrouve dans son oeuvre (voir Mon Voisin Totoro). Le caractère de sa mère va également influencer son travail et sa vision des femmes : en effet, celle-ci était déterminée, courageuse, « dotée d'un fort caractère et de grandes capacités intellectuelles »135(*). Les héroïnes de Miyazaki semblent être le reflet de cette femme, tout du moins dans l'intelligence et la détermination.

Adolescent, Miyazaki décide, comme beaucoup de jeunes en cette période d'après-guerre où les mangas sont en vogue, de se lancer en tant que dessinateur à la sortie du lycée. Il est influencé par les grands mangakas de son temps : Tezuka, Tetsuji Fukushima et Sanpei Shirato. Mais au lieu, comme tant d'autres, d'aduler leur travail, il veut suivre sa propre voie, en essayant de ne pas être trop influencé par le travail de ces « dieux du manga ».

Après la Seconde Guerre mondiale, l'influence occidentale se fait plus ressentir que jamais et l'animation, qui a été apportée par les Occidentaux, reprend de plus belle une fois la guerre terminée. L'animation japonaise recommence à produire du divertissement pur, et non plus un cinéma de propagande. C'est à la sortie du film Le Serpent blanc, réalisé par Taiji Yabushita en 1958, que Miyazaki décide de se diriger vers l'animation. Il déclare plus tard : « J'ai une confession embarrassante à faire : j'étais tombé amoureux d'une héroïne de dessin animé (...) Le serpent blanc avait laissé une forte impression sur mon immature personne »136(*).

De 1959 à 1963, Miyazaki étudie à la prestigieuse université de Gakushuin, en ressortant avec une thèse sur l'économie et l'industrie. Durant cette période, il découvre les grands auteurs occidentaux, dont Antoine de Saint-Exupéry, qui influence énormément son art de narrateur et sa manière de concevoir des personnages. 137(*)

A la sortie de l'université, il rejoint l'équipe du studio d'animation de la Toei, à Tokyo, où il débute en tant qu'intervalliste.

En 1964 il est nommé secrétaire en chef du syndicat de la Toei Doga, les studios d'animation de la Toei. Il y fait la rencontre d'Isao Takahato, son futur collaborateur aux Studios Ghibli.

En 1965, il saisit l'occasion de travailler sur le long-métrage Horus, prince du soleil : voyant la progression incroyable et le succès considérable des séries télévisées pour enfants, qui sont alors en plein essor au Japon, il craint que les occasions ne se représentent plus. Il travaille aussi sur des épisodes de séries télévisées en tant qu'animateur. Le travail de son mentor Yasuji Mori aura une grande influence sur lui d'un point de vue stylistique, influence qui se reflètera dans les oeuvres des studios Ghibli.

En 1971, il quitte les studios de la Toei avec son ami Isao Takahata et rejoint les studios A-Pro, et en 1973 Zuiyo Pictures. Durant cette période, afin de s'inspirer des paysages étrangers pour les séries télévisées sur lesquelles il travaille en tant que concepteur scénique, telles Heidi ou 3000 miles en quête de mère, il voyage beaucoup : Suisse, Suède, Italie, Argentine.

En 1979, Miyazaki réalise son premier long-métrage, mais n'en écrit pas le scénario : Le Château de Cagliostro. L'année suivante, Miyazaki et Takahata rejoignent le studio Telecom Animation Film et travaillent sur l'animation et la réalisation de trois épisodes de la série Lupin III, personnage du long métrage. A la même période, Miyazaki entame la création d'un manga, Kaze no tani no Nausicaä, qui remporte un franc succès dès sa première publication. Il réalise et écrit alors son premier film d'après ce manga, Nausicaä de la vallée du vent, produit par les studios Topcraft.138(*) Film de science-fiction, comme beaucoup de films animés au Japon durant les années 1980, Nausicaä se déroule dans un Japon revenu à un état quasi-féodal, après qu'une guerre apocalyptique a réduit la Terre à une planète polluée. Dans ce film, Miyazaki a exprimé ses préoccupations pour l'état de la Nature, cherchant à mettre en garde contre les « progrès » de l'Homme qui risquent de précipiter la Terre dans un chaos. Ce scénario de science-fiction est en réalité inspiré des intérêts qui commençent à s'éveiller à l'époque pour l'environnement et les méfaits de la pollution.

1)b. Le studio Ghibli

Le film rencontre un tel succès qu'il permet à Miyazaki et son ami Takahata de fonder leur propre société, Nibariki, à Tokyo, afin de gérer les droits de Nausicäa. Ils décident ensuite de trouver un studio de production, afin de ne plus se retrouver forcés à changer de producteurs à chaque nouvelle réalisation, mais surtout d'être libres dans leurs choix d'animation, de distribution, et de s'assurer de la qualité de leurs films sans dépendre des choix d'une autre société.

Pour trouver un studio, Takahata prend contact avec plusieurs sociétés. Il se met finalement en accord avec un ancien ami de la Tôei Animation, Toru Hara, qui avait fondé sa petite société, Topcraft. Bien que le Ghibli n'existe pas encore, beaucoup considèrent aujourd'hui que l'équipe de Topcraft a été le point de départ du studio. Pourtant lorsqu'après Nausicaä, le travail sur Laputa commence, Topcraft a de nombreux problèmes d'effectif si bien qu'il n'est plus possible de travailler avec eux. Takahata cherche alors un autre studio, et c'est à ce moment que Tokuma Shoten, qui a financé la production de Nausicaä, manifeste sa volonté de continuer à produire des films d'animation sur un plus long terme et de façon régulière.

Nausicaä vient en effet d'obtenir un succès mérité (915 000 spectateurs et des critiques très favorables), établissant qu'il est possible de réaliser et de produire des animations de qualité pour le cinéma. C'est donc grâce à cette réussite que Tokuma accepte de financer la création du studio. Yasuyoshi Tokuma, PDG de la branche éditions du groupe, en devient le président.

Ainsi, en 1985, le studio Ghibli (prononcer ji-bou-ri), nommé d'après un vent saharien mais aussi d'après un avion de chasse italien139(*), ouvre à Kichijoji à l'ouest de Tokyo, pour produire le prochain film de Miyazaki : Laputa, le château dans le ciel, Takahata ayant la charge d'être producteur.140(*) Le film, sorti en 1986, s'inspire des îles flottant dans le ciel du roman Les voyages de Gulliver de Jonathan Swift, mais aussi du roman L'île au trésor de Stevenson, ce qui témoigne de la passion de Miyazaki pour la littérature occidentale qu'il a découvert durant ses études. Une fois de plus, Miyazaki met en scène un monde alternatif, mettant en garde contre les technologies et les « progrès » de la science, à travers une chasse au trésor revue et corrigée, dans un monde fantastique.

Grâce à la bonne réception du public et le succès d'estime de Laputa, le château dans le ciel, avec 775 000 entrées au Japon, la maison de production est bel et bien lancée. Dans les années qui suivent, le studio Ghibli permet la production de nombreux films d'animation, dont des grands succès internationaux, outre les réalisations de Miyazaki, tels que Pomporo ou Le Tombeau des lucioles d'Isao Takahata.

L'équipe s'agrandit : en plus d'Hayao Miyazaki et Isao Takahata, se joint au groupe Toshio Suzuki, ancien rédacteur en chef du magazine de manga Animage.

Mon Voisin Totoro, le film suivant de Miyazaki, sorti en 1988, en même temps que Le tombeau des lucioles d'Isao Takahata, est un projet risqué. En effet, le projet a été proposé une première fois par Miyazaki en 1980, à l'époque du studio Telecom, et rejeté. Cependant, Miyazaki confie dans une interview pour le magazine Animerica que le personnage de Totoro le hantait depuis bien plus longtemps : il s'agit d'une création de son imagination d'enfant, lorsqu'il se promenait dans les forêts japonaises et craignait l'apparition de créatures géantes141(*).

Les distributeurs et producteurs du studio craignent que le public ne comprenne pas l'histoire de deux petites filles et d'un «monstre», dans le Japon d'après-guerre. A sa sortie, le film ne remporte qu'un succès d'estime, mais c'est avec la vente de produits dérivés que Totoro se fait reconnaître et obtient un succès considérable, atteignant même les amateurs Occidentaux.

Situé dans un Japon encore très rural, à la fin des années cinquante, Mon voisin Totoro est le premier film de Miyazaki fondé sur les émotions, l'atmosphère et le rêve, contrairement à l'action et le monde de science-fiction des précédents. Véritable hommage à l'enfance, la famille et l'imagination, d'une grande poésie et beauté esthétique, ce film est aujourd'hui vu comme l'un des plus beaux films d'animation jamais faits, et l'un des films favoris du grand Akira Kurosawa, réalisateur des films Les Sept samouraïs, Barberousse, Yojimbo, etc.142(*)

En 1989, seulement un an après Mon voisin Totoro, Kiki la petite sorcière est le premier vrai succès national du studio Ghibli, avec 2,6 millions d'entrées au Japon. Il assure ainsi l'indépendance financière du studio. Pour la préparation de ce film, Miyazaki se rend en Suède et s'inspire des paysages et des villes de Visby et Stockholm pour planter le décor de Kiki.

Kiki la petite sorcière est un film initiatique, décrivant l'apprentissage d'une jeune adolescente devenant indépendante, tiré d'un roman de Eiko Kadono. Situé encore une fois dans un monde imaginaire, fantastique, Kiki la petite sorcière n'est cependant pas un film de science-fiction, ou épique, à l'instar de Mon voisin Totoro. Le monde fantastique est empreint de réalité. Le réel se mêle au rêve ; Kiki ne possède pas un don extraordinaire dans ce monde-là, mais un talent que n'importe quelle petite fille dans notre monde réel pourrait posséder. Cette « comédie initiatique » s'adresse ainsi à un public de jeunes filles de l'âge de l'héroïne.

Kiki la petite sorcière a fait l'objet d'un livre écrit par Miyazaki, ce dernier considérant le roman de Kadono comme étant « un très beau travail de littérature pour enfants décrivant le fossé qui existe entre l'indépendance et la dépendance face aux espoirs et l'esprit des jeunes filles japonaises aujourd'hui ».143(*)

Miyazaki prépare ensuite un nouveau film, qui sort en 1992 : Porco Rosso. Ce film s'inscrit dans une démarche différente des précédents. Miyazaki avoue en effet l'avoir réalisé pour son propre plaisir. Mais sous une apparence amusante, peu sérieuse (l'histoire extravagante d'un homme transformé en cochon) Miyazaki s'adresse en réalité à un public plus mature, donnant un ton plus sérieux que ses précédentes oeuvres. Il ne s'agit pas d'un message écologiste, mais plutôt d'une représentation des hommes désabusés, loin de la morale. Dans une interview pour le magazine Animerica, Miyazaki déclare : « J'ai choisi de dessiner un cochon (...) parce que les cochons sont synonymes d'obésité, de cupidité, de débauche. Le mot « cochon » est une insulte(...) et je n'aime pas les sociétés qui se proclament vertueuses. »144(*)

Le succès devient international et la consécration totale lorsque les studios Disney passent un accord avec Ghibli, obtenant les droits de distribution, en 1997, avec la sortie de Princesse Mononoké. Le succès mondial est signé avec cette collaboration.

Princesse Mononoké, ou la « princesse des esprits vengeurs » est une création que Miyazaki a en tête depuis longtemps -depuis les années soixante-dix plus précisément ; se sentant vieillir, il voit ce film comme sa dernière chance de faire un film d'action. La première version de l'histoire de Miyazaki est en réalité largement inspirée de La Belle et la Bête. Cela témoigne une fois de plus de la grande part d'inspiration des contes occidentaux et de l'intérêt de Miyazaki pour la culture étrangère, l'intégrant à la culture nippone. L'histoire se situe dans un Japon historique, bien que peuplé de créatures fantastiques. Ces créatures sont par ailleurs issues de la mythologie traditionnelle, le folklore étant une « source vitale » d'inspiration pour Miyazaki.145(*)

Avec cette oeuvre, le réalisateur parvient à conquérir les initiés, ainsi que les publics non avertis, à l'échelle internationale.

Fin 1999, tout juste un an après la sortie de Princesse Mononoké, et objet de toutes les attentes, le nouveau film de Miyazaki sort dans les salles japonaises en juillet 2001. Le Voyage de Chihiro remporte un triomphe sans précédent, battant tous les records d'entrées (plus de 23 millions de spectateurs) et de recettes au box-office nippon (250 millions de $). Lors des Japan Academy Awards, il est reconnu comme étant le meilleur film de l'année 2001. Le Voyage de Chihiro réunit également près de 1.5 millions de spectateurs en France, et remporte l'Ours d'or au Festival International du Film de Berlin et l'Oscar du meilleur film d'animation en 2003.146(*) Si Princesse Mononoké a marqué la reconnaissance mondiale pour Miyazaki, Le Voyage de Chihiro hisse définitivement Miyazaki parmi les réalisateurs d'animation japonaise les plus célèbres.

Le Voyage de Chihiro est un vrai film d'aventures fantastiques, très proche d'Alice au pays des merveilles. Plongée dans un monde extraordinaire, absurde, la jeune héroïne doit apprendre à se plier aux règles d'un autre monde afin de réintégrer le sien, au bout d'un tunnel, de l'autre côté d'un temple. Mêlant des scènes détaillées aux couleurs vives, avec des images plus traditionnelles et plus sombres, Le Voyage de Chihiro marque une nouvelle étape dans l'évolution de la mise en scène et du graphisme du réalisateur.

Après le succès phénoménal de Chihiro, Le Château Ambulant, sorti en 2004, reçoit un accueil plus mitigé. Le Château ambulant, adapté d'un roman américain de Diana Wynne Jones, est similaire à Kiki la petite sorcière : comédie également, il s'agit surtout, une nouvelle fois, d'un apprentissage. L'héroïne part en voyage, apprend à faire face à l'adversité (transformée en vieille dame, elle doit accepter la dureté de ce sort) puis apprendre à avoir confiance en elle, à retrouver l'indépendance. En effet, retrouvant peu à peu son physique de jeune fille, Sophie reprend l'apparence d'une vieille dame lorsqu'elle perd confiance en elle -le sort agit alors comme un masque, une protection contre la vie réelle.

Ce film a eu moins de succès que les précédents : sans doute est-ce dû aux messages mixtes qui sont véhiculés par l'histoire. Entre l'histoire d'un parcours initiatique, des guerres de sorcellerie dénonçant la violence et la soif de pouvoir des puissants, et une histoire d'amour entre l'héroïne et le sorcier, Miyazaki a sans doute brouillé trop de pistes. Le film en ressort moins clair que ses autres oeuvres, moins puissant.

Enfin, le dixième film réalisé par Miyazaki, Ponyo sur la falaise, sort en 2008. Le film rejoint la simplicité enfantine de Mon voisin Totoro. Une fois de plus, Miyazaki adapte, à sa façon, des histoires occidentales. Dans ce cas précis, il s'agit d'une adaptation libre de La Petite Sirène d'Handersen.

D'une très grande simplicité, il s'agit d'un film de pur divertissement, mettant en scène une histoire d'amour pour enfants. Très coloré, avec un dessin simple, moins foisonnant de détails que les paysages complexes de films tels que Princesse Mononoké, Ponyo sur la falaise n'en reste pas moins d'une très grande beauté visuelle, avec des scènes semblant réconcilier les traditionnelles estampes japonaises et le dessin manga d'aujourd'hui.

Le Studio Ghibli a vraiment rencontré un succès phénoménal si l'on considère l'environnement compétitif du domaine de l'animation au Japon : au sein des grandes industries prolifiques du dessin animé, le studio est parvenu à se forger une identité artistique propre. Miyazaki et Takahata réussirent en effet à créer un style clairement différent de celui des anciennes légendes du manga et de l'anime. "Cette attitude esthétique fondée sur une attention particulière portée au mouvement et aux gestes du quotidien est radicalement opposée à l'autre grand courant de l'animation japonaise initiée par Osamu Tezuka, qui procède davantage d'une esthétique de l'immobilité sans véritable souci de représenter le mouvement de façon convaincante."147(*) C'est ce style nouveau qui fait l'originalité du studio, le démarquant d'un paysage qui aurait pu s'avérer redoutable.

2) L'Univers visuel de Miyazaki

Le style d'Hayao Miyazaki a beaucoup évolué depuis Nausicaä : le réalisateur aborde des thèmes différents et utilise un graphisme différent. Nous allons à présent analyser le style visuel de Miyazaki, les caractéristiques de son graphisme ; nous verrons dans un second temps les thématiques particulières qu'exploite le réalisateur dans ses oeuvres.

2)a. Graphisme

Bien que le style de dessin de Miyazaki soit clairement influencé par l'esthétique manga, il est différent d'autres « anime »148(*) par sa fluidité d'animation et la qualité du dessin : clair, simple, sans exagérations des traits. Le style est plus réaliste que la plupart des dessins animés japonais que l'on peut voir sur les écrans de TV, reconnaissable entre tous : grands yeux brillants, petits visages, exagération des expressions faciales. Ces caractéristiques communes aux autres dessins animés ne se retrouvent pas dans le dessin de Miyazaki, bien qu'un style japonais s'y retrouve, clairement différent du dessin occidental typique des Disney. La qualité cinématographique y est pour beaucoup : le dessin est donc de haute qualité artistique, et la touche « miyazakienne » réside dans quelques éléments que nous allons analyser.

Il faut tout d'abord signaler que le style de Miyazaki a énormément évolué depuis Nausicaä, jusqu'à Ponyo sur la falaise. Si l'on compare les graphismes de ces deux films, que vingt-quatre ans séparent, l'évolution apparaît très nettement.

Nous pouvons en effet séparer, d'un point de vue stylistique tout d'abord, la période Nausicaä jusqu'à Princesse Mononoké.

Cependant, même au sein de ce cycle, le style a varié : les premiers films adoptent un style très « manga » : grands yeux, traits simplifiés, voire caricaturaux. On retrouve tout de même une qualité de dessin supérieure, avec de véritables jeux de regards, une mise en scène recherchée : des gros plans, des plans d'ensemble montrant des paysages détaillés. Ainsi la densité des paysages et la fluidité de l'animation laissent présager la magnificence de Princesse Mononoké : paysages détaillés, denses, aux couleurs douces, aux lumières contrastées. Les traits des visages des personnages s'affinent également, s'éloignant du style manga.

Les couleurs que choisit Miyazaki sont toujours assez sombres : les tonalités de Nausicaä, le Château dans le ciel et Mon Voisin Totoro en particulier, restent dans les tons de gris, marrons, vert foncé, bleu foncé. Les effets de lumière sont ainsi mieux mis en valeur lorsque le réalisateur cherche à créer un effet de surprise, de contraste, sur l'arrivée d'un élément important : Laputa, l'île flottante du Château dans le ciel par exemple, paraît ainsi à son apparition, radieuse, avec des tons de verts clairs et des couleurs vives. Les paysages verts dans Mon Voisin Totoro laissent alors transparaître la paix et la joie que ressentent les personnages. Ce choix d'une majorité de couleurs pastel, voire sombres, est particulièrement vrai lorsque l'on regarde cette première partie de la filmographie de Miyazaki.

Cette première unité stylistique trouve son apogée dans Princesse Mononoké : dès Nausicaä, on voit en effet dans les films une très grande attention du réalisateur aux détails : détails de couleurs, de contrastes ; détails dans les paysages ; détails dans les costumes portés par les personnages, toujours très recherchés ; détails dans les animaux fantastiques représentés, leur donnant presque un aspect réel.

Les paysages de Princesse Mononoké témoignent de l'évolution du graphisme : les forêts sont représentées de façon magnifique, contrastée. Les couleurs sont sombres, mais lorsque Miyazaki cherche à mettre en valeur des rayons de soleil passant dans les feuillages, l'image entière est baignée de lumière. Miyazaki joue énormément sur les contrastes : de Nausicaä à Princesse Mononoké, on retrouve la même alternance entre images sombres et images claires, lumières contrastées, scènes d'action rapides et scènes de calme serein (voir images 1 et 2).

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Miyazaki travaille dans le détail : dans Princesse Mononoké particulièrement, les paysages sont recherchés, recrées dans un détail minutieux (rizières, villages) les vêtements historiques sont élaborés, chaque élément a été travaillé pour donner un aspect réaliste, historique. Les armes de l'époque sont également fidèlement redessinées.

Le style de Miyazaki, dans cette première partie de sa filmographie, réside principalement dans le foisonnement de détails dans les paysages : les contrastes d'ombres et de lumières sont minutieusement recréés, les couleurs de différents feuillages et troncs d'arbres choisis avec attention, les couleurs sont extrêmement réalistes.

A partir du Voyage de Chihiro, le graphisme des films rejoint celui de Princesse Mononoké, mais le style va encore évoluer. On constate surtout une rupture avec le cycle narratif précédent : on ne retrouve plus les scènes d'action, les combats et les mondes proches de la science-fiction ou futuristes que l'on avait dans Nausicaä ou le Château dans le ciel. La seconde partie de la filmographie est ainsi moins unifiée, plus libre : le graphisme de Princesse Mononoké annonce le style des suivants, bien que celui-ci continue à changer comme nous le verrons avec Ponyo. Quant aux scénarios, les thèmes exploités seront différents, ce que nous analyserons dans un second temps.

Dans Le Voyage de Chihiro, nous retrouvons un style très détaillé, un graphisme de personnages proche de Princesse Mononoké ; les couleurs restent dans des tons pastels, mais le monde dépeint dans Le Voyage de Chihiro est tout de même très coloré, la lumière y est vive : on y retrouve des maisons traditionnelles rouges, des ponts rouges, de la nourriture alléchante aux couleurs très vives ; l'univers est fantastique, proche du pays des Merveilles et donc totalement décalé, fou. Cette impression est bien redonnée par les couleurs et surtout le style de personnages, de créatures fantastiques.

Le Château ambulant marque une continuité dans ce graphisme détaillé et foisonnant, mais devient beaucoup plus vif et coloré, comme l'annonçait Le Voyage de Chihiro. Mais c'est Ponyo sur la falaise qui crée un grand contraste avec le style des premiers films : couleurs vives, paysages chamarrés, abondance de textures et traits fins mais simplistes, enfantins, avec un dessin réalisé avec des crayonnés et de l'aquarelle.

Sôsuke dans Ponyo sur la falaise : paysage de crayonnés et aquarelle, technique très différente des précédents styles

Elément important à noter, le graphisme de Ponyo assure un lien entre le graphisme des estampes traditionnelles japonaises et le manga, notamment grâce aux images de mers déchaînées, qui ne sont pas sans rappeler « La Grande vague » d'Hokusai.

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2)b. Images traditionnelles

Ce retour à des images et un style graphique plus traditionnel et surtout très spirituel a été annoncé par petites touches dans les oeuvres précédentes. Miyazaki a en effet toujours intégré des images spirituelles et légendaires à ses films, lesquelles sont devenues de plus en plus présentes.

Dans Mon Voisin Totoro, nous avons une image de Mei, perdue dans la vallée, assise devant une rangée de statues bouddhistes, déités protectrices des enfants. Dans Princesse Mononoké, le Japon représenté est ancien, traditionnel, et met en scène les légendes japonaises : les esprits des forêts, la déesse montant à dos de loup, en réalité une déité du fer au Japon, datant de cette même époque (vers le 6e siècle) ; dans le Voyage de Chihiro, la famille voit des autels et des offrandes aux Dieux au début du film ; Chihiro passe dans un autre univers en traversant un tunnel menant à un temple shintoïste.

Ainsi la spiritualité et les légendes du Japon ancien sont des éléments présents dans toute la filmographie de Miyazaki, devenant de plus en plus importants, jusqu'à influencer le graphisme de Miyazaki, qui devient alors plus proche des traditionnelles estampes, comme le prouve le graphisme de Ponyo sur la falaise.

2)c. Mise en scène

La mise en scène de Miyazaki comporte certaines caractéristiques. Tout d'abord, notons que l'on retrouve dans chaque film des éléments du réel, témoins du souhait d'exactitude du réalisateur, et de son attention aux détails : ainsi par exemple les avions dans Porco Rosso sont tous des reproductions d'originaux, de vrais avions de guerre : même le personnage de l'acteur américain Donald Curtis est inspiré du vrai Donald Curtis, acteur de cinéma des années 50 et 60.

Mais ce sont les scènes d'action qui font preuve de l'art du réalisateur : rapides, fluides, prenantes. Cela réside tout d'abord dans la fluidité de l'animation. En effet, pour rendre les mouvements rapides et recréer une réelle impression de combat, le réalisateur supprime le dessin des mouvements intermédiaires : ainsi lorsqu'un personnage donne un coup d'épée, on aperçoit surtout le scintillement de l'arme et le mouvement est presque imperceptible, mais bien recréé.

D'autres éléments sont communs à chaque film : Miyazaki a en effet intégré certains éléments de la nature dans chacune de ses oeuvres, bien que chacune soit différente dans ses thématiques et son style visuel. Ainsi nous retrouvons à chaque fois l'eau, témoin une fois de plus de l'importance de la spiritualité dans les films de Miyazaki. En effet, selon les légendes japonaises, l'eau représente un passage entre le monde des vivants et des morts ; nous pouvons penser que cette thématique devient plus importante dans les derniers films de Miyazaki, peut-être à cause des préoccupations plus accentuées du réalisateur aujourd'hui, âgé de 70 ans. En effet, Ponyo est une histoire qui se déroule presque exclusivement dans la mer.

L'eau est présente sous toutes ses formes : dans Nausicaä, il s'agit d'un lac acide ; dans Mon Voisin Totoro, ce sont des lacs ; dans Kiki, la ville est située en bord de mer ; Porco Rosso se déroule près de la mer Méditerranée ; dans Princesse Mononoké nous retrouvons des rivières et cours d'eau dans la forêt ; enfin Le Voyage de Chihiro et Ponyo se déroulent près de cours d'eau et dans les océans. Le vent est aussi un élément omniprésent, que l'on retrouve dans chacune des oeuvres : vent dans les cheveux des protagonistes, vent sur les feuillages, vent sur les hautes herbes, etc.

Nous pouvons également constater qu'un point commun entre chacune des oeuvres est que les histoires se situent dans des lieux rêvés : futuristes, comme dans Nausicaä, dans des mondes alternatifs, comme dans le Château dans le ciel ou Kiki la petite sorcière, dans un passé nostalgique, comme dans Mon voisin Totoro, ou alors dans une Europe telle que Miyazaki la rêve, l'idéalise, comme dans Porco Rosso, ou encore Le Château ambulant.

Miyazaki utilise énormément de plans d'ensemble, permettant d'avoir une vue globale de l'environnement de ses histoires : plans d'ensemble sur les villes, ou plus souvent, plans d'ensemble sur des forêts, des paysages naturels. Miyazaki n'hésite pas à utiliser des effets de zooms avant et zoom arrière, insistant sur la présence d'un élément particulier au sein de cet ensemble. Les zoom avant sont souvent employés dans ses films lors de scènes d'action, où il prendra aussi le point de vue d'un des combattants avec l'emploi de gros plans sur la personne opposée, créant ainsi des effets de surprise pour l'audience et une véritable mise en situation du spectateur. C'est par exemple le cas dans Princesse Mononoké, où les scènes d'action fluides, dynamiques, et mises en scène avec efficacité, permettent au spectateur de suivre chaque instant du combat avec intérêt : la caméra n'est jamais fixe lors de ces scènes. Lors du premier combat entre San et Dame Eboshi en particulier, Miyazaki a su utiliser divers éléments de mise en scène afin de ne jamais essouffler l'action : lorsque San apparaît, c'est avec les yeux d'e l'un des gardes que nous l'apercevons ; la caméra la suit lors de sa course ; puis elle réapparaît avec des gros plans et des très gros plans, alternant San et Dame Eboshi lors du duel.

Miyazaki utilise aussi beaucoup d'inserts, focalisant sur certains éléments particuliers, et les très gros plans, pour mettre en valeur des échanges de regard.

Enfin, pour terminer cet aperçu du style de Miyazaki, nous pouvons évoquer l'importance de la musique utilisée dans les films, qui tient un rôle important quant à la mise en place d'une ambiance particulière aux films.

2)d. La musique

La musique est très importante dans l'oeuvre de Miyazaki : mêlant musique d'action de style occidental, très « années 80 », typique des anime de l'époque- ce que nous trouvons dans Nausicaä- et musiques inspirées des musiques traditionnelles japonaises, la bande son des films apporte beaucoup à l'atmosphère générale. La musique est composée par Joe Hisaichi, compositeur au Studio Ghibli depuis les débuts.

Souvent le thème principal des films est une musique d'orchestre à cordes, pour recréer l'intensité des émotions ; c'est un style de musique que l'on trouve surtout à partir de Princesse Mononoké, dans lequel le réalisateur et le compositeur ont cherché à provoquer beaucoup d'émotions dans le public. Dans les premiers films, datant des années 1980, la musique est assez « enfantine », excepté dans le Château dans le ciel, pour lequel le compositeur s'est inspiré des compositeurs Hermann et Korngold, afin d'obtenir un résultat plus dramatique.

Les musiques traditionnelles ont aussi une part importante : dans Mon Voisin Totoro, Joe Hisaichi s'est inspiré de comptines pour enfants et de chorales, recréant des chansons enfantines, correspondant parfaitement au style de l'histoire.

Dans Princesse Mononoké, la musique traditionnelle est également présente, à travers certains styles de musiques typiquement japonaises, issues du théâtre Kabuki ; ou encore, dans Le Voyage de Chihiro, des scènes où l'on trouve des chansons chantées par les protagonistes dans un style traditionnel.

Il est également intéressant de noter que l'usage du silence est aussi important, lors des scènes où la simple observation suffit, sans nul besoin de rajouter de l'émotion musicale.

Nous allons à présent analyser les différentes thématiques qu'Hayao Miyazaki exploite dans ses films relatant divers sujets : son regard sur les avancées technologiques et les questions de l'environnement, sujet de préoccupations dans la société contemporaine ; les rapports sociaux ; la famille ; la violence ; la quête identitaire, concernant tous les âges et tous les sexes.

3) Les thèmes

3)a. Importance de la Nature et avancées technologiques

Nous allons aborder la question des différents thèmes que Miyazaki représente dans ses films. L'un des thèmes les plus développés dans chacune de ses productions est celui de la Nature, du respect de l'environnement. A travers des conflits entre l'Homme et la Nature, Miyazaki met en scène les dangers que peuvent représenter certaines avancées technologiques, jusqu'où la notion de « progrès » peut s'appliquer. Cependant, ses films ne dénoncent pas, et ne dressent pas non plus un portrait manichéen dans lequel l'Homme détruit la Nature ; il semble plutôt s'agir d'un constat, d'une représentation des préoccupations actuelles sur l'environnement, et des multiples possibilités de notre futur. Comme il le déclara lui-même dans le magazine Animerica : « Une oeuvre d'art a toujours reflété d'une façon ou d'une autre son temps... Nausicaä est issue des nouvelles vues du monde concernant la Nature, qui datent des années 70. »149(*)

Ainsi Miyazaki semble mettre en scène le conflit séculaire entre la soif de pouvoir et d'argent de l'humain, au détriment de la Nature, allant jusqu'à détruire les forêts au nom du profit et de la croissance économique. Miyazaki a été marqué par un évènement dans les années 1970, qui lui a donné l'envie de mettre en avant les dangers de la pollution, et le pousse à réaliser Nausicaä de la vallée du vent : il s'agissait de l'empoisonnement au mercure de la baie de Minamata au Japon.150(*)

Le conflit entre la Nature et les Humains est souvent représenté mais l'issue est nuancée. Si l'on prend l'exemple de Princesse Mononoké, on constate que le conflit entre le village des humains et celui des dieux de la forêt ne privilégie ni l'un ni l'autre des opposants. La Nature semble remporter la victoire, mais finalement le village va se reconstruire et être encore plus fort qu'auparavant. L'atmosphère de fin est celle de paix. La nature est ainsi au centre des préoccupations de Miyazaki : elle est mère de toute chose, et toujours vulnérable au pouvoir destructeur des hommes.

Les préoccupations de notre société depuis les années 1970 environ, se tournent de plus en plus vers la peur d'un avenir incertain. De nombreux films dépeignent un avenir apocalyptique, dû aux progrès de l'Homme, causant, à travers l'avancée fulgurante des technologies, de plus en plus de pollution et de déchets dans notre environnement. Miyazaki fut l'un de ces réalisateurs qui voulurent montrer que progrès technologique ne présageait pas nécessairement un avenir radieux pour l'humanité, mais pouvaient au contraire, être précurseurs de catastrophes naturelles. En effet, nous retrouvons ce sujet dans le Château dans le ciel, dans lequel nous pouvons lire une mise en garde contre l'aspect attractif de ces technologies : aujourd'hui, avec l'abondance des offres (smartphones, ordinateurs, télévisions...) il est difficile de ne pas succomber à la société de consommation : et nous ne mesurons pas forcément l'ampleur des conséquences que ces avancées technologiques pourront avoir sur notre futur. Que ce soit dans Princesse Mononoké, le Château dans le ciel ou encore Nausicaä de la vallée du vent, Miyazaki semble montrer ces possibles conséquences auxquelles nous ne réfléchissons pas.

3)b. Rapports sociaux : la représentation des exclus de la société

Miyazaki met en valeur les rapports entre les humains, en mettant en scène le sentiment d'exclusion que peuvent ressentir certains humains. On retrouve ainsi les exclus de la société dans ses oeuvres.

En effet, Dame Eboshi forme une communauté accueillant les exclus de la société. Ici, l'intolérance sociale est dénoncée, ainsi que ses injustices envers certains de ses membres ; Dame Eboshi accueille les anciennes prostituées, rejetées par la société, mais aussi les lépreux : elle leur redonne du travail, un but, une utilité et surtout une place à part entière dans un village, dans un peuple : elle leur rend une place sociale.

Le personnage d'Ashitaka est également un exemple du sentiment d'exclusion : le sort dont il est affligé symbolise sa différence, ce qui le pousse à fuir son village, s'éloigner des siens. Il trouve une amie en la personne de San, elle aussi exclue de la société, adoptée par des loups et vivant parmi les Dieux de la Forêt.

D'autres films exploitent cette thématique de la différence, de l'exclusion : Kiki dans Kiki la petite sorcière est la seule sorcière de la ville où elle doit effectuer son apprentissage : elle est ainsi différente, hors des groupes conventionnels.

Porco Rosso met également en scène un homme affligé d'un sort, celui d'être transformé en cochon : il s'est lui-même exclu de la société, mis en exil.

3)c. La violence, la guerre

La violence et les dégâts que celle-ci peut avoir, non seulement sur les populations, mais aussi sur la Nature, sont un sujet que Miyazaki exploite. Nous pouvons penser que le réalisateur a ce sujet à coeur en raison d'une enfance passée dans le Japon d'après-guerre, après les catastrophes nucléaires. Ce dernier n'oubliera jamais les horreurs que l'Homme est capable d'engendrer et à quel point il ne craint pas la destruction totale. Le film Nausicaä de la vallée du vent montre bien ces idées. Mettant en scène un monde apocalyptique, où l'Homme a détruit sa planète et pollué chacune de ses ressources vitales, Miyazaki met son public en garde contre les méfaits de la pollution, des progrès qui provoquent cette pollution mais aussi contre la facilité de la violence. En effet, l'héroïne, Nausicaä, refuse de répondre à la violence des peuples voisins qui cherchent à détruire la forêt, jugée responsable de la destruction de la planète. Sachant que ce sont les Hommes eux-mêmes qui ont détruit leurs terres, Nausicaä préfère convaincre qu'entrer dans un conflit violent.

L'histoire met ainsi en scène la difficulté de rester pacifique dans un monde violent, mais en montre les conséquences positives. Connaissant les traumatismes qu'a laissés la Seconde guerre mondiale au Japon, il est aisé de voir le lien à faire entre les films de Miyazaki et les thèmes qui préoccupent la société japonaise depuis ces évènements. Une scène de Nausicaä de la vallée du vent montre clairement une allusion aux dégâts nucléaires. La scène montre une explosion en forme de « champignon », rappelant l'explosion de la bombe atomique. L'un des personnages dit aussi : « Incroyable, alors voici l'arme qui a détruit la planète ». Miyazaki fait une allusion directe aux dangereuses conséquences de l'arme nucléaire. Les paroles d'O-baba, vieille sage du village, maintiennent cette allusion et étoffent le message anti-guerre du réalisateur : « L'homme ne peut vivre en harmonie sur cette planète s'il est esclave d'une arme aussi puissante ».

Scène extraite de Nausicaä de la vallée du vent, rappelant les explosions atomiques de 1945 (01 : 43 : 04)

Mais sa vision des personnages violents, des différents partis lors de conflits, est nuancée. Ainsi, par exemple, les personnages perçus comme négatifs par rapport à la question de la Nature dans Princesse Mononoké ne sont pas forcément des êtres mauvais, d'un point de vue social : Dame Eboshi par exemple, meneuse du village des forgerons souhaitant détruire les dieux de la forêt, croit réellement aider son peuple et agir au mieux. Mais derrière ce souhait, se cache aussi le besoin de pouvoir, à travers son marché de fer et d'armes, lui rapportant argent et prospérité, au détriment de la forêt.

La façon qu'a Miyazaki de décrire ses personnages violents nous permet de comprendre sa vision non-violente de ce qu'est un acte juste. Ces derniers sont en effet souvent ridicules, belliqueux, sûrs de leurs idées. Miyazaki nous dresse un portrait des défauts de l'Humain, qui a trop souvent recours à la violence pour résoudre chaque problème ; et Miyazaki cherche à montrer que la violence n'est pas une solution. Dans Nausicaä de la vallée du vent, l'héroïne refuse le combat ; dans Princesse Mononoké, les combats laissent chaque parti avec des dommages irréparables (dame Eboshi a le bras arraché, de nombreux hommes meurent, le Dieu de la Forêt est tué).

3)d. Le lien social : représentation de la famille

Outre cette volonté de montrer les rapports entre les hommes dans un contexte de guerre, dans lequel la violence trouve toujours un chemin, Miyazaki cherche aussi à montrer d'autres formes de lien social, où priment l'amour, l'amitié, le lien familial, la solidarité.

Le lien social est un sujet qui semble fasciner Miyazaki. Les rapports entre les hommes sont développés de multiples manières : en temps de guerre, mais aussi entre les hommes et les femmes, et dans la famille.

En effet, aucun des personnages de Miyazaki n'agit totalement seul : souvent une « équipe de héros» est composée d'un homme et d'une femme ; les personnages « mauvais » ont une autre facette selon leur rôle social. Par exemple, dans Nausicaä, princesse Kushana est une femme désobéissant à son père pour confronter le village de la Vallée du vent ; elle cherche à mener une guerre ; mais c'est également un personnage important et rassurant pour son propre peuple, car elle en est la meneuse. Il en va de même pour le personnage de dame Eboshi : perçue comme une femme cherchant le conflit, elle est aussi vue comme symbole d'unité et de paix pour son village.

Les héros sont souvent en équipe homme/femme : dans Nausicaä de la vallée du vent, Nausicaä est aidée par le jeune Asbel et la princesse Kushana a un homme de main, Kurotawa; dans le Château dans le ciel, Sheeta est accompagnée de Pazu ; dans Kiki la petite sorcière, Kiki est courtisée par Tombo ; dans Porco Rosso, Porco est aidé par la jeune Fio ; dans Princesse Mononoké, San combat avec Ashitaka ; dans Le Voyage de Chihiro, Sen/Chihiro est accueillie par Haku ; dans le Château ambulant, Sophie aime Hauru ; enfin, dans Ponyo sur la falaise, le but de Ponyo est de rejoindre Sôsuke.

En outre, nous retrouvons dans les films de Miyazaki une description du lien familial. Dans la plupart des films, les héros font partie d'une famille plus ou moins traditionnelle ; souvent, ils reconstruisent des liens de substitution. Par exemple, Kiki se recrée une famille de substitution loin de ses parents ; dans Mon voisin Totoro, Grand-mère aide les deux petites filles durant l'absence de leur mère ; dans Le Voyage de Chihiro, Chihiro fait tout pour délivrer ses parents ; dans Princesse Mononoké San est adoptée par des loups. Chaque film met en avant l'importance de la famille, du sentiment d'union.

3)e. La quête identitaire

Un autre thème important dans la filmographie de Miyazaki est celui de l'apprentissage et de la quête d'identité. Miyazaki met en scène des personnages qui se construisent, ou qui se retrouvent. Dans Le Voyage de Chihiro, Haku retrouve, à la fin du film, son vrai nom et sa véritable identité, ce qui le libère ; Chihiro elle-même grandit grâce à son aventure ; la princesse Mononoké se découvre une nouvelle facette, son humanité ; Kiki doit apprendre à vivre seule et découvrir son talent, sa voie ; dans Le château ambulant, Sophie doit apprendre à avoir confiance en elle.

Dans The Art of Kiki's delivery service Miyazaki explique qu'en effet, ce thème de la recherche d'identité est une préoccupation centrale chez les jeunes adolescentes, et une étape essentielle pour l'épanouissement. Ainsi ce dernier explique que le pouvoir de Kiki ne la différencie pas d'une jeune fille ordinaire : ce qu'elle vit s'apparente à l'apprentissage d'une japonaise contemporaine : « A travers la vie de Kiki se reflètent les vies de nombreuses jeunes filles japonaises aujourd'hui (...) la faiblesse de sa détermination et de sa compréhension du monde reflètent aussi le monde des jeunes d'aujourd'hui. »151(*) Il compare également cette quête identitaire et la recherche de son talent et sa voie au parcours d'un jeune dessinateur de manga arrivant à Tokyo, comme lui-même l'avait vécu : « C'est comme une personne qui veut être dessinateur et qui arrive à Tokyo (...) l'une des caractéristiques de la vie moderne est qu'une fois les besoins matériels du quotidien comblés, la question de l'épanouissement personnel se pose vraiment. ».

Miyazaki dépeint les relations humaines dans leurs défauts mais aussi dans ce qu'elles ont de bon, avec pour toile de fond les problèmes de société et d'actualité qui préoccupent le monde contemporain. Ces histoires mettant en scène guerres, bêtise humaine, violence, pollution, soif de pouvoir et mise en danger de l'environnement, ne masquent pas pour autant l'importance des liens entre les personnages. Au contraire, sont mis en valeur l'importance de la famille, du lien entre les humains, l'importance de la fraternité face à l'adversité.

Nous pouvons ainsi voir que les héros de Miyazaki lui permettent de mettre en images ses préoccupations concernant des sujets d'actualité, importants pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Il est alors intéressant de constater que le réalisateur choisit très souvent d'avoir pour personnages principaux de ses histoires, non pas des héros, mais des héroïnes.

C'est ce choix particulier d'héroïnes, fortes, indépendantes, représentant les idées du réalisateur et sa vision de la société et du monde, qui nous permet de penser que le regard de Miyazaki peut être révélateur d'aspects particuliers de la société japonaise : en effet, la famille, le rapport fraternel, le lien social, sont divers thèmes abordés par Miyazaki, qui ont pour objet central, la femme.

Il est donc intéressant, et il peut être jugé révélateur, qu'un réalisateur japonais souhaite avoir comme porte-parole des problèmes d'actualité et de société, des femmes. Nous pouvons donc penser que Miyazaki porte un regard favorable sur le rôle social des femmes. Ainsi, le cinéma de Miyazaki peut être perçu comme révélateur du rôle de la femme au sein de la société japonaise ; ou bien peut-être n'est-il qu'une représentation entièrement formée par ce réalisateur, et non fondée sur des réalités quant au rôle social de la femme au Japon ? C'est ce que nous chercherons à analyser dans notre troisième partie, en observant de plus près l'image que Miyazaki donne des femmes dans ses films.

Après avoir vu le style visuel et les thèmes qu'exploite Hayao Miyazaki dans ses films, nous nous intéresserons aux personnages féminins qu'il met en scène. Nous étudierons ces personnages et leurs rôles à travers une analyse cinématographique de leurs différentes caractéristiques ainsi que leurs rapports avec les personnages masculins.

III/

A/ Analyse des personnages féminins dans les oeuvres de Miyazaki

Les femmes Miyazakiennes, comme nous pourrions les appeler, sont des personnages complexes, montrant un panel étendu de différentes caractéristiques et rôles. Leurs rapports avec les hommes sont également très intéressants à analyser, révélant ainsi des rôles dominants, traditionnels ou encore rebelles. Nous pouvons analyser ces personnages à travers différentes parties, dans lesquelles nous approfondirons un trait de caractère particulier.

1) La femme de pouvoir

Dans un premier temps, nous allons observer les femmes de pouvoir. Celles-ci sont nombreuses dans les films de Miyazaki et offrent des perspectives d'analyses intéressantes.

1)a. Le rapport de domination femme/homme

Plusieurs femmes dans les films sont puissantes, des femmes de pouvoir, dans des positions où elles dirigent les hommes. Elles ont des qualités traditionnellement vues au Japon comme « viriles » : courage, force, capacité à se battre. Celles-ci sont représentées par des personnages tels que Nausicaä et Princesse Kushana dans Nausicaä de la vallée du vent, San, Dame Eboshi et les femmes du village des forgerons dans Princesse Mononoké, Dora dans Le Château dans le ciel, Gran Mamare dans Ponyo sur la falaise ou encore Yûbaba, dans le Voyage de Chihiro.

Plusieurs scènes permettent de voir un véritable renversement des rôles traditionnels : les femmes au lieu d'être dominées, sont en position de commandement, ou tout simplement, dans une position de supériorité dans leur couple, ou avec leurs enfants par exemple.

Nausicaä, héroïne de Nausicaä de la vallée du vent, fait partie de ces femmes de pouvoir. De nombreuses scènes la montrent dans ce rapport de domination sur les hommes.

Le personnage de Nausicaä, première héroïne féminine de la filmographie de Miyazaki, est un personnage fascinant car on pourrait la voir comme le porte-parole des femmes de l'époque de la sortie du film, les années 1980. Alors que la career woman fait son entrée dans le monde du travail, un personnage féminin porte sur ses épaules un film dont elle est la véritable héroïne, au milieu d'un monde d'hommes. Nausicaä est à elle seule le pilier d'une histoire située dans un monde apocalyptique, violent ; elle est la voix du réalisateur protestant contre la violence, contre les technologies.

Nausicaä est un personnage intelligent. Elle découvre seule comment sauver son peuple de la destruction, en étudiant les plantes de la forêt toxique. Lors d'une scène avec son mentor, maître Yupa, elle explique qu'elle a trouvé comment rendre aux plantes leur pureté, et qu'il est inutile de détruire la forêt. Seule à connaître cette vérité, elle doit affronter les désirs de destruction de son peuple et des peuples voisins. Tout son travail durant le film sera d'arriver à convaincre les autres. Maître Yupa est alors étonné qu'une jeune fille ait pu penser à prélever des échantillons de plantes, les analyser, et découvrir un antidote. Preuve qu'il est étonnant qu'une fille soit capable d'en savoir plus que ses aînés, et surtout, que les hommes du village, il s'exclame, admiratif : « Tu as découvert ça toute seule ? »

La première scène où nous découvrons Nausicaä est celle d'une de ses excursions dans la forêt toxique. Masquée, habillée comme un homme, nous voyons une jeune fille athlétique, prélevant des échantillons de plantes pour ses expériences botaniques. Elle parcourt la forêt avec agilité, manie l'épée.

Nausicaä prélève des échantillons de plantes pour en révéler la pureté aux habitants dans Nausicaä de la vallée du vent (00 : 04 : 40)

Seule dans la forêt, habillée pour l'aviation et armée lors de ces excursions, dans Nausicaä de la vallée du vent (00 : 05 : 48)

Nausicaä étant princesse d'une vallée, elle a les responsabilités qui incombent à sa position, son père étant malade. Supposée être sous la tutelle de Mito, son oncle, c'est plutôt elle qui lui donne des ordres. En effet, Nausicaä, tout au long du film, se révèle capable de diriger ses hommes comme le ferait le chef d'une armée ; la mise en scène de Miyazaki permet également de la voir comme supérieure aux hommes, censés être plus expérimentés qu'elle. Elle est toujours représentée en mouvement, active, maniant les armes, sur les lieux d'action. Dans certaines scènes, elle donne des ordres, faiblement contestés, et se fait respecter par ses hommes. Elle est également souvent placée en hauteur dans les plans, ce qui lui donne ainsi une image de supériorité, de pouvoir. Ce type de mise en scène se vérifie par exemple lors de la scène de l'arrivée du vaisseau de Pejite au-dessus du village. Nausicaä est la première prévenue, avant Maître Yupa- pourtant figure importante du village- et se lance à la poursuite du vaisseau, seule. Nous la voyons placée en hauteur sur ce plan, observant le vaisseau et lançant l'ordre de préparer son planeur.

Nausicaä en première position, crie ses ordres aux hommes du village, dans Nausicaä de la vallée du vent

(00 : 21 : 51)

L'une des dernières scènes du film montre également son courage, sa capacité à se servir des armes et intimider les hommes. Dans cette scène, Nausicaä tient en joue deux hommes qui l'ont auparavant attaquée, sans succès, elle les menace de les tuer s'ils interviennent dans sa mission.

Dans la première séquence, les hommes apparaissent comme totalement soumis et vulnérables devant l'arme de Nausicaä. Le plan 1, plan moyen, montre, au premier plan, l'arme tenue par la jeune fille vue de dos, puis au second plan, les deux hommes agenouillés devant elle.

Le plan 2 montre ensuite la scène sous un autre angle : les hommes vus de dos au premier plan, et en arrière-plan, Nausicaä en hauteur. Nous découvrons que cette arme est tenue par Nausicaä. Cette mise en scène permet de montrer le pouvoir de Nausicaä à cet instant précis, les deux hommes se trouvant en bas du champ.

Nausicaä peut avoir ce rôle de chef car elle est révérée par ses sujets. Lors d'une scène où l'une des villageoises présente son bébé à Maître Yupa, celle-ci dit : « Puisse-t-elle avoir autant de force et de courage que notre princesse ».

(01 : 41 : 01) Nausicaä menace deux ennemis ; sa position, en haut du cadre, montre sa position de supériorité et son pouvoir sur les deux hommes forcés de se rendre, dans Nausicaä de la vallée du vent

Un autre personnage de pouvoir, avec une capacité de domination sur les hommes, est Princesse Kushana, une rivale de taille pour Nausicaä. Elle est rousse, comme l'est Nausicaä ; athlétique également et à la tête d'une armée ; donc habile avec les armes et douée pour le commandement.

Il s'agit d'un personnage très puissant et d'une grande ténacité. Mutilée par les insectes de la forêt, elle leur voue une grande haine et assouvit son désir de vengeance en prétextant sauver la planète, avec la destruction de la forêt et des insectes. Sans pitié, ce n'est pas un personnage difficile à cerner puisqu'elle dévoile très vite son tempérament meurtrier, ses idées destructrices, et son manque de gratitude. En effet, après avoir été sauvée par Nausicaä, pourtant son ennemie, alors que son vaisseau partait en flammes, elle profite d'un instant de distraction de cette dernière pour la menacer de son arme.

Contrairement au personnage de Dame Eboshi, version plus complexe de ce type de personnage, Princesse Kushana n'a pas vraiment de facette plus positive ou complexe.

A l'instar de Nausicaä, la mise en scène montre Kushana comme un personnage puissant, puisque souvent placée en hauteur dans les cadres. Le plan en contre-plongée, la montrant en position de toute puissance, tout en haut du cadre, la positionne bien au-dessus de son général, Kurotawa. Le canon au-dessus duquel elle se tient symbolise également sa soif de destruction, sa volonté d'entrer en conflit. Elle est également montrée sous des angles donnant une impression encore plus négative sur son personnage : par exemple, l'une des scènes la montre en position à demi allongée, comme sur un trône, dans une pièce de couleur rouge. La couleur rouge met en valeur sa soif de sang, sa violence, sa négativité. L'allusion au trône, avec sa position et la place des « sujets », lui faisant face, dos à nous, montrant à la caméra uniquement le visage de Kushana, suggère un personnage avide, sans pitié, avec une grande soif de puissance.

Vue en contre-plongée de Princesse Kushana, montrant sa puissance, Nausicaä de la vallée du vent

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Dans cette scène, Princesse Kushana semble assise sur un trône, face à ses sujets, dans Nausicaä de la vallée du vent (00 : 38 : 04)

Princesse Kushana est montrée comme une femme dure. Lors d'une scène où elle interroge de vieux villageois de la Vallée du vent, la mise en scène suggère une grande vulnérabilité chez eux ; Kushana au contraire, est placée au-dessus d'eux, dos à la caméra, maîtresse de cette vue plongeante sur les hommes.

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Kushana regarde de haut les vieux villageois, captifs soumis à sa puissance dans Nausicaä de la vallée du vent

Le rôle de femme de pouvoir « ennemie » de l'héros/héroïne semble avoir été repris dans Princesse Mononoké. Les films Nausicaä de la vallée du vent et Princesse Mononoké suivent en effet tous deux un scénario similaire : une héroïne forte face à une femme puissante, son ennemie. Dame Eboshi, que nous savons être notre anti-héroïne désignée dans Princesse Mononoké, est cependant difficile à détester totalement et à ranger dans la catégorie des « méchantes ». C'est un personnage plus complexe que celui de Kushana dans Nausicaä de la vallée du vent. Elle force l'admiration par sa beauté, son élégance, sa force, son pouvoir, sa témérité ; mais aussi par son côté humain, social. En effet, s'occupant des lépreux, ou en réintégrant des anciennes prostituées dans la société, elle rend à ceux-ci une utilité, une place dans la société. En leur rendant une raison de vivre et une identité, Dame Eboshi inspire le respect de valeurs positives et humaines. Mais il s'agit également d'une femme très puissante, dégageant d'ailleurs cette impression par son physique, mais aussi son comportement. Ses habits paraissent précieux, élégants, nobles. Elle inspire l'idée de richesse, de pouvoir. Mais son pouvoir se voit également par la position qu'elle occupe au sein du village des forgerons, village qu'elle a crée. De nombreuses scènes rendent compte de sa puissance, et surtout de sa domination sur les hommes du village.

La première vision que nous avons de Dame Eboshi est celle d'une femme froide, voire cruelle. On voit dès sa première apparition dans le film qu'il s'agit d'une femme de pouvoir. La première scène où nous la voyons est celle des coups de feu entre les hommes du village des forgerons et les Dieux loups de la forêt. Celle-ci mène sa troupe à travers un sentier à pic avec Gonzo, son second. Dans le premier plan de cette scène, nous avons une vue générale sur le sentier et les hommes accompagnés de boeufs, portant du riz. La pluie tombe fortement, rendant la scène sombre. Un homme et une femme se tiennent debout, sans bouger, du côté droit du sentier. Ils surveillent manifestement la troupe.

Dans le second plan, le plan américain sur ces deux personnages nous montre au premier plan, un homme à l'aspect bourru. Il semble être là en tant que bras droit, portant les lourdes armes sous la pluie, plutôt qu'en chef. En effet, il ne dit pas un mot, c'est la femme se trouvant au second plan qui donne un ordre : « Plus tôt nous ramenons ce riz, plus tôt nous aurons mangé, bougez ! ». Cette femme qui est, nous l'apprenons par la suite, Dame Eboshi, est le chef de ce convoi. Elle est très calme, donne les ordres d'un air détaché.

Dans le troisième plan, une alerte s'est fait entendre, annonçant l'arrivée des Dieux loups. Dame Eboshi et Gonzo, son bras droit, se tournent en direction de la menace. Sur ce plan, il est intéressant de noter que la position de Dame Eboshi indique clairement son statut de supériorité par rapport à l'homme qui l'accompagne. Cette position en hauteur dans le plan n'est pas sans rappeler les plans montrant Princesse Kushana et Kurotawa.

Dame Eboshi, tout au long de cette scène, est clairement en contrôle de la situation, d'un grand sang-froid. Alors que ses hommes paniquent lorsque les loups approchent, celle-ci dit, d'un air calme : « ne laissez pas les boeufs paniquer. Restez calmes. Gardez vos positions. ». Elle donne ensuite l'ordre de tirer. Il devient alors très clair qu'il s'agit d'une guerre entre les humains et les esprits de la forêt, et que Dame Eboshi souhaite tuer : en effet, c'est elle qui tire la première- avant ses hommes- sur Moro, la déesse louve.

A la fin de la scène, ayant réussi à faire fuir les loups et Moro, Dame Eboshi donne l'ordre de repartir. Des hommes ayant été précipités du haut de la falaise par Moro, Gonzo demande : « Mais que faisons-nous des hommes qu'elle a poussés dans le précipice ? » Dame Eboshi répond alors : « Ils sont morts. Ramenons ceux qui vivent à la maison. » Cette réponse montre le pragmatisme, le détachement de Dame Eboshi et sa capacité à rester en contrôle de la situation. Tout au long du film, Dame Eboshi montre un caractère très serein, très distant et froid.

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00 : 20 : 17 images extraites de Princesse Mononoké

Des personnages importants pour étudier le rapport de domination sur les hommes sont les femmes du village des forgerons. Ce sont des femmes mariées, mais nous n'apercevons pas d'enfants dans le film, nous déduisons ainsi que ces femmes ne sont pas encore mères. Bien qu'elles soient mariées, au sein de ce village, elles disposent d'un certain pouvoir face aux hommes. Chacun tient un rôle bien défini, mais les femmes sont plus proches de la maîtresse du village, Dame Eboshi. Les femmes, toutes des anciennes prostituées que Dame Eboshi a racheté pour leur donner une vie meilleure et une utilité dans une société différente, ont un rôle clé dans le fonctionnement du commerce du village. Elles fabriquent le fer, qui est ensuite vendu par les hommes qui ramènent du riz.

Dans le village, les hommes mangent séparément des femmes : en effet, nous remarquons cela lors d'une scène où Ashitaka, après avoir ramené au village les survivants jetés du haut de la falaise par la Déesse Louve Moro, est invité à manger et passer la nuit. Les hommes mangent ensemble, les femmes viennent à la porte, en groupe. Nous réalisons alors qu'en dépit de cette séparation, les femmes sont loin d'être soumises à leurs maris : elles les moquent, appellent Ashitaka pour qu'il vienne les voir travailler, « flirtent » librement et ouvertement avec lui. Quand les hommes tentent de les renvoyer, elles leur répondent en leur faisant remarquer qu'ils mangent grâce à elles, grâce au fer qu'elles produisent. En groupe, ces femmes sont bruyantes, rieuses, moqueuses, forment un clan fort face aux hommes.

Lorsque Gonzo, le général et bras droit de Dame Eboshi tente de rassurer les femmes inquiètes de laisser leur maîtresse partir se battre seule contre les Dieux de la Forêt, en leur disant : « Ne vous inquiétez pas, je protégerai Dame Eboshi », l'une d'entre elles lui répond : « C'est bien ce qui nous inquiète ! Même si tu étais une femme, tu serais toujours un idiot ! ». Cette remarque montre bien que les femmes moquent leurs hommes, disposent d'une grande liberté à leur égard ; c'est un village résolument féministe, où la domination sur les hommes est assez flagrante.

L'une des scènes montre bien ce rapport de domination sur les hommes, et l'égalité qui existe cependant entre les femmes, même avec Dame Eboshi, maîtresse du village : il s'agit de la scène du retour des hommes abandonnés lors de la confrontation avec les Dieux-loups au bord de la falaise. Ces derniers ont été ramenés sains et saufs au village par Ashitaka. L'un d'entre eux, Kokuru, est accueilli par sa femme, Toki. Les plans de cette scène démontrent, entre autres choses, un rapport très clair de dominant/dominé en faveur de sa femme.

Dans le premier plan de cette scène, Koruku a été ramené vivant de la rencontre entre Dame Eboshi et ses hommes et Moro. Toki, sa femme, accourt pour le voir. Mais en arrivant devant lui, elle s'arrête et comme nous le voyons sur cette image, lui crie après : « A quoi vas-tu servir maintenant que tu es blessé ! ».

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Dans le second plan, un plan rapproché de Toki la montre de face. Elle dit à son mari : « J'étais morte de peur ! J'aurais préféré que les loups te mangent ! Alors j'aurais pu me trouver un vrai mari ! » Les hommes autour hésitent entre la peur et le rire.

Dans le troisième plan, nous voyons Koruku en prise de vue en plongée, face à sa femme, « écrasé » par celle-ci et ses reproches. Totalement impuissant devant ses reproches, il est ridiculisé devant ses pairs, qui rient autour de lui.

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Toki ne se contente pas de crier après son mari. Elle s'en prend également à Gonzo, le bras droit de Dame Eboshi, qui aurait dû ramener son mari sain et sauf, dans ce quatrième plan. Elle lui reproche d'être un paresseux, de n'avoir rien fait. Ces reproches sont relativement osés, étant donné que Gonzo est l'un des chefs du village ; mais la femme ne semble pas impressionnée par lui. Au contraire, Gonzo semble plus interloqué par ces critiques. En effet, il réagit comme un petit garçon face à sa mère : « C'est pas juste... et c'est faux ! » Il ne réagit pas comme une personne de pouvoir face à un inférieur, il semblerait qu'il réagisse plus comme un enfant.

Le village semble fonctionner comme une société matriarcale, où les femmes ont le pouvoir et traitent les hommes comme des enfants, s'occupent d'eux. Elles prennent les véritables responsabilités. De plus, Toki ne le laisse pas finir sa phrase et se détourne vite de lui pour remercier Ashitaka.

L'intervention de Dame Eboshi dans le cinquième plan est symbolique et très révélatrice de la position de pouvoir de cette dernière. Dans ce plan général montrant les villageois, l'escalier et Dame Eboshi située à leur sommet, l'angle de prise de vue est très symbolique : en contre-plongée, Dame Eboshi semble très puissante, grandie par cet angle. Elle s'adresse tout d'abord à Gonzo : « Gonzo, amènes-moi l'étranger plus tard ». Puis elle s'adresse à Koruku : « Je suis contente de ton retour, et je suis désolée. »

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Dans le plan suivant, nous avons un angle de prise vue en plongée très marqué. Koruku est impressionné par Dame Eboshi ; les hommes autour de lui le sont également, ils ne rient plus. Tous se taisent lorsque celle-ci parle. Koruku est même hésitant et bégaie lorsque Dame Eboshi lui présente ses excuses. Les hommes semblent très intimidés par cette femme.

Dans le plan précédent, nous avons vu que les hommes sont vus en plongée et donc montrés comme faibles par rapport à Dame Eboshi, impressionnés et silencieux. Ce dernier plan montre qu'au contraire, les femmes sont à un pied égal avec Dame Eboshi. Ici, Toki s'adresse avec familiarité à Dame Eboshi, en lui conseillant de ne pas s'excuser auprès de Koruku. Elle plaisante avec elle. Nous voyons que cette aisance et cette familiarité sont justifiées car Dame Eboshi les voit comme des égales, contrairement aux hommes, qui lui sont plus soumis. En effet, cet angle montre Dame Eboshi en plan américain, sans effet de contre-plongée comme il était le cas pour sa discussion avec les hommes.

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Cette scène et sa mise en scène révèlent le fonctionnement du village et les rapports entre les hommes et les femmes y habitant : les femmes dans une position de liberté et de contrôle sur les hommes ; les hommes réduits à l'état de garçonnets face à elles. Les femmes sont égales entre elles mais aussi avec leur supérieure, Dame Eboshi ; elles n'ont pas de rapport de domination entre femmes.

Nous rencontrons également d'autres femmes exerçant le rapport de domination sur leurs conjoints comme celui de Toki sur Koruku : l'une d'elles est Gran Mamare. Gran Mamare, dans Ponyo sur la falaise, mère de Ponyo et ses petites soeurs, est une déesse de la mer de grande puissance. Gran Mamare est très grande, aux cheveux roux flamboyants ondulant comme des vagues, indiquant son appartenance au royaume de la mer. Son pouvoir lui permettra d'exaucer le rêve de sa fille Ponyo, en la rendant humaine. Gran Mamare est souvent représentée sous sa forme la plus grande, de plusieurs mètres de haut. Ainsi les angles de vue qui la montrent sous souvent en contre-plongée, représentant sa puissance, sa grandeur. Les couleurs mauves, blanches et rouges qui la caractérisent, par la couleur de ses cheveux, bijoux et vêtements, sont des symboles de chaleur et de pureté. Le message transmis est donc que Gran Mamare utilise sa puissance à des fins justes, dans le but de protéger les marins par exemple (il s'agit du pouvoir que les humains lui attribuent). Elle sert également de médiateur entre Ponyo et son père, Fujimoto, qui refuse de laisser sa fille partir. Finalement, la décision appartiendra à Ponyo et à Gran Mamare seulement, laquelle aura réussi à convaincre Fujimoto d'accorder sa liberté à leur fille.

Lorsque nous la voyons s'adresser à son mari, Fujimoto, les angles de prises de vues la montrent dans le rôle dominant : dans l'une des scènes où elle parle avec lui de l'avenir de leur fille, elle plus grande que son bateau, elle l'enveloppe, comme si elle l'envoûtait.

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1 : 08 : 30 images extraites de Ponyo sur la falaise

Dans ces plans, nous voyons Fujimoto tout d'abord accroupi devant sa femme, penché vers elle. Sa position ressemble à une position de supplication, ou une prière : ses mains sont jointes, montrant qu'il révère sa femme. Il est incliné devant elle.

Sur le second plan, nous voyons Gran Mamare dans un plan général, mettant en valeur sa grandeur par rapport à Fujimoto. Le troisième plan procède de la même façon, mais montre cette fois Fujimoto de face, de la façon dont sa femme le voit, c'est-à-dire très petit. Il paraît presque insignifiant devant elle.

Le quatrième plan suggère la même chose : nous voyons Fujimoto en plan rapproché, s'adressant à sa femme. Son expression montre qu'il est honteux ; la position de sa tête, enfouie dans ses épaules, traduit un sentiment de vulnérabilité, de soumission.

Enfin, le cinquième plan utilise une symbolique assez forte : sa femme le prend entièrement dans le creux de sa main. Gran Mamare use de ce geste afin de calmer son mari, ce qui l'aidera finalement à le persuader qu'elle a raison, et empêchera ce dernier de paniquer. Elle le tient au sens propre, comme au figuré, sous son emprise. Diverses expressions utilisent une métaphore similaire, pour exprimer cette même idée : « manger dans la main de quelqu'un » en français, ou encore, l'expression anglaise, très proche de cette image, «  to have one wrapped around one's finger » (tenir quelqu'un enroulé autour de son doigt). Cependant, notons tout de même qu'ici, le geste est également affectueux, sans méchanceté, mais révèle un certain pouvoir de manipulation de la part de Gran Mamare.

Les femmes magiciennes et les sorcières sont des personnages importants dans la filmographie de Miyazaki. Les hommes qui ont des pouvoirs sont plus rares : Fujimoto, dans Ponyo sur la falaise, ou Hauru dans le Château ambulant, en sont les rares exemples.

Nous trouvons encore d'autres femmes de pouvoir et surtout, ayant des pouvoirs magiques leur permettant de régner en maîtres dans leur monde : Suliman et la sorcière des Landes dans Le château ambulant, ainsi que Yûbaba et sa soeur Zeniba, dans Le Voyage de Chihiro.

Suliman et Yûbaba sont toutes deux des femmes très puissantes, avec de grands pouvoirs. Ces pouvoirs leur donnent la capacité de régner en reines sur des royaumes : Suliman est sorcière pour le prince du royaume imaginaire dans Le Château ambulant, et dispose des pleins pouvoirs. Recrutant les magiciens du royaume pour l'état de guerre, elle décide de leur sort. C'est aussi une personne très sage et clairvoyante, qui souhaite que justice soit faite. Les sorts qu'elle retire ou crée sont toujours régis par son sens de la justice. C'est elle qui retire à la sorcière des landes, sorcière pourtant très puissante, tous ses pouvoirs et lui redonne son véritable âge : cette dernière sera transformée en vieille femme inoffensive. Mais elle est capable de se montrer cruelle, poursuivant Hauru sans relâche pour qu'il lui rende service en temps de guerre, ou bien en plongeant son pays dans un état de siège à durée indéterminée. Elle semble avoir perdu son humanité, et sa pleine puissance lui fait perdre contact avec les gens plus vulnérables.

Yûbaba est également une femme qui semble loin des réalités et qui manque de compassion. Yûbaba est une sorcière cruelle : si on lui manque de respect -les limites étant très vite franchies- elle utilise ses pouvoirs pour transformer les malheureux. C'est ainsi que de nombreuses personnes se retrouvent changées en boules de suie, ou en porcs, comme les parents de Chihiro au début du film. Les premières images que nous voyons d'elle dépeignent un personnage cruel, puissant.

En effet, le premier plan montrant Yûbaba est un gros plan sur sa bouche, par laquelle elle ordonne d'une voix effrayante à Chihiro de rentrer dans l'immense hall au bout duquel son bureau est dissimulé. Sa bouche énorme montre des lèvres ridées, un nez immense et pointu plissé également. La voix est rauque, forte.

image extraite du Voyage de Chihiro (00 : 35 : 14)

Le second gros plan montre la main de Yûbaba. Cette dernière nous informe bien sur le type de personnage qu'est cette sorcière. Les ongles vernis, les gros bijoux précieux et brillants, montrent une personne attachée aux apparences, mais qui souhaite surtout que sa puissance et sa richesse soient vues de tous. Il s'agit probablement d'une façon d'assurer que personne n'oublie qu'elle décide du sort de chacun, qu'elle a tous les droits.

Le Voyage de Chihiro (00 : 35 : 20)

Nous voyons ensuite le visage entier de Yûbaba, écrivant à son bureau. Elle paraît très calme, très froide. Lorsque Chihiro lui réclame un travail, elle l'empêche de parler, avec l'un de ses tours, toujours très calmement, avec malice.

Le Voyage de Chihiro (00 : 35 : 49)

L'angle de prise de vue du plan suivant permet de voir la différence de taille entre Yûbaba et Chihiro. La tête de la sorcière paraît énorme par rapport à la petite fille. Loin d'elle, au fond de la pièce, Chihiro, en arrière-plan, est rendue minuscule. Sa taille dans le cadre symbolise son impuissance face à la sorcière.

Le Voyage de Chihiro (00 : 36 : 04)

Les plans suivants de cette même scène, montrent que Yûbaba est un personnage laid, effrayant. Ses mains ressemblent à des pattes d'araignée, ses yeux et sa tête sont disproportionnés. L'effet voulu est de dégoûter le public, de la montrer sous un jour monstrueux, inhumain.

Images extraites du Voyage de Chihiro, de gauche à droite :

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Nous pouvons ensuite analyser le personnage de Dora, une autre femme de pouvoir et surtout, qui exerce une réelle domination sur les hommes. Dora est un personnage du Château dans le ciel, femme pirate dirigeant son propre clan, le clan Dora. Il est révélateur de sa position de supériorité et de chef, que son clan soit nommé après elle. Dora est un personnage important dans l'histoire car elle se lance, avec ses fils, à la recherche de Sheeta, la jeune héroïne. C'est aussi le premier personnage que nous voyons : en gros plan, en contre-plongée, elle paraît effrayante. Cette mise en scène et le fait qu'elle soit le premier personnage qui apparaît à l'écran montre qu'il s'agit d'un personnage de pouvoir. Cela se vérifiera par la suite, car nous verrons qu'effectivement, ses fils lui obéissent en tout et agissent comme des enfants face à elle. En effet, Dora dirige leurs actions ; ses fils étant vraiment idiots, elle ne manque pas de le leur rappeler à la moindre occasion : « espèce de crétin dégénéré », « imbécile », « la ferme, crétin », etc. Elle marque son autorité en les insultant, ou en leur donnant des ordres pour effectuer des tâches, auxquelles elle ne participe pas. Par exemple, lorsqu'elle leur demande de jeter des wagons dans la vallée (scène de fuite de Sheeta et Pazu poursuivis par les pirates), elle donne le rythme, mais n'aide pas, les regardant travailler. Son personnage évolue : elle devient peu à peu attachante, une tante pour Sheeta et Pazu qui finiront par l'appeler « tantine ». Dora est une vraie féministe : lors de scènes d'action, où elle tire sur les agents du gouvernement, nous l'entendons dire : « vous allez voir ce que c'est qu'une femme ! », ou encore « C'est à pleurer ce qu'on est capable de faire pour sauver son homme », signifiant que les rôles de sauveur/sauvée sont ici inversés. Dora est loin du cliché de la ryosai kembo. Insoumise aux hommes, elle n'est pas l'esclave de ses fils, il s'agit plutôt du contraire. Mais en un sens, quand nous observons son comportement avec ses fils (dirigiste, autoritaire), Dora correspond à un certain aspect des mères japonaises, se mêlant des vies personnelles de leurs fils, étouffantes. Mais Dora en est une version beaucoup plus féministe, autoritaire, active, loin des sphères traditionnellement féminines.

(00 : 00 : 33) Dora dans Le Château dans le ciel

Nous allons en effet aborder cette question de l'éloignement de ces femmes de pouvoir des sphères féminines traditionnelles, en nous intéressant à présent aux guerrières, qui sont nombreuses dans la filmographie de Miyazaki.

1)b. Femmes dans la sphère masculine : les guerrières

Plusieurs femmes sont hors de la sphère féminine, hormis Dora : dans Porco Rosso, Fio Piccolo travaille dans un garage d'avions, travail manuel souvent réservé aux hommes. Mais celles qui sont le plus éloignées de cette sphère traditionnelle des femmes en intérieur, ou travaillant dans des milieux réservés aux femmes, sont les guerrières. Ces dernières sont à l'extrême opposé des ryosai kembo. Comme Dora, qui dirige un clan de pirates et donc utilise les armes, les guerrières les plus impressionnantes sont Nausicaä, Kushana, Dame Eboshi et San.

Nausicaä et Kushana sont deux princesses défendant leurs idées respectives et opposées. Toutes deux portent les armes, savent s'en servir et n'hésitent pas à les utiliser. Lorsque Nausicaä découvre que son père a été tué, elle tue à son tour les hommes responsables. La haine s'empare d'elle. Kushana, quant à elle, utilise la violence sans les mêmes motivations que Nausicaä : elle porte une haine profondément ancrée en elle, et n'a pas d'état d'âme, tandis que Nausicaä avait agi sous l'impulsivité.

Nausicaä tue les assassins de son père, seule contre plusieurs hommes, dans Nausicaä de la vallée du vent

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Kushana porte constamment une armure, c'est une véritable guerrière qui ne vit que pour se venger.

Kushana menace Nausicaä, dans Nausicaä de la vallée du vent (00 : 51 : 23)

Cependant, les guerrières qui offrent la démonstration la plus spectaculaire de leurs capacités sont San et Dame Eboshi. Ces dernières se livrent en un véritable duel au sein du village, devant la foule des habitants admiratifs. La rapidité du combat, sa violence et la maîtrise des armes dont font preuve les deux femmes montrent que Miyazaki a souhaité prouver que les femmes étaient capables de se battre comme des hommes, peut-être même mieux. Cette impression est donnée notamment lorsque San marche sur le visage de Gonzo, le surpassant lors de son attaque, souhaitant se diriger au plus vite vers sa vraie ennemie, Dame Eboshi.

Ces plans montrent un duel acharné entre les deux femmes. Le premier plan montre San en costume de guerre, avec sa fourrure et son masque, afin de ne pas avoir le visage découvert. Les couleurs du masque rappellent les peintures de guerre (rouge, ocre).

Dans le second plan, elle s'apprête à sauter ; nous la voyons accourir vers la caméra, en contre-plongée, ce qui montre qu'elle sera une combattante redoutable et rapide. L'action de déroule ensuite très rapidement, en l'espace de quelques secondes.

Dans le troisième et quatrième plan, nous voyons Dame Eboshi accompagnée de deux femmes, tirer sur San. Remarquons que les tireuses sont à nouveau des femmes.

Tombée à terre, San se relève, attaquant Ashitaka dans le cinquième plan, puis sautant jusqu'à Dame Eboshi en utilisant le nez de Gonzo comme tremplin dans le sixième plan.

Plans 7 à 10 : Eboshi et San s'affrontent.

Dans le onzième plan, nous voyons que la foule s'est amassée en cercle autour des deux combattantes, les acclamant. Les hommes regardent ce spectacle et encouragent leur maîtresse, Dame Eboshi.

Dans le douzième plan, Ashitaka s'est interposé entre les deux femmes. Il croise ici le fer avec Dame Eboshi, qui n'a visiblement pas peur de lui, et persiste à vouloir se battre.

Cela prouve que ces guerrières ne redoutent pas les hommes comme adversaires.

Une dernière image de Dame Eboshi montre sa qualité de guerrière : au milieu de ses guerriers anonymes car masqués, elle se détache comme étant la meneuse : plus grande, par sa taille, elle surplombe la troupe. Point important à noter : ses habits se détachent également du reste des guerriers, étant de couleurs bleue et rouge, tranchant avec le blanc et orange des guerriers. Cela montre qu'il s'agit d'un personnage unique parmi une foule d'anonymes.

Dame Eboshi mène ses guerriers dans Princesse Mononoké, (00 : 35 : 42)

2) Les femmes comme porte-parole de messages : capacité des femmes à communiquer avec un autre monde

Miyazaki, comme nous l'avons vu dans notre deuxième partie présentant les thématiques de ses films, cherche à véhiculer des messages particuliers. Le plus présent dans ses oeuvres est celui d'une harmonie avec la Nature. Il est intéressant de constater que dans ses oeuvres, ce sont les femmes qui sont les porte-paroles les plus puissants pour ces messages. Les personnages féminins de Miyazaki sont proches de la Nature, mais surtout, ouvertes à la spiritualité, faisant d'elles des liens entre les croyances divines et la réalité des hommes. Les femmes de Miyazaki sont des guides, des messagères. En effet, Nausicaä devient par exemple, un guide spirituel pour son peuple, proche de la divinité ; elle devient « l'Etre vêtu de bleu », sauveur de son peuple.

Comme nous l'avons vu précédemment, rares sont les hommes ayant des pouvoirs surnaturels. Les femmes, quand à elles, sont bien plus nombreuses à avoir des pouvoirs ou tout du moins une certaines proximité avec le Spirituel. Les magiciennes et sorcières sont nombreuses, telles que Yûbaba et Zeniba dans Le Voyage de Chihiro, Gran Mamare et Ponyo, qui a également des pouvoirs magiques, dans Ponyo sur la falaise, Suliman et la sorcière des Landes dans Le Château ambulant. Mais des personnages tels qu'O-Baba et Nausicaä dans Nausicaä de la vallée du vent, Hii-Sama dans Princesse Mononoké, mais aussi Chihiro dans le Voyage de Chihiro, si elles ne sont pas magiciennes, sont étroitement liées à l'idée de Spiritualité, de Divinité.

Les femmes que dépeint Miyazaki sont des femmes fortes et insoumises. Princesse Mononoké est un parfait exemple de la présence et l'importance de la spiritualité, les légendes japonaises y étant les plus vivantes. Par ailleurs, son héroïne, San, est la Princesse Mononoké, celle qui communique avec les esprits. Elle est la déesse des esprits de la forêt. Nous ne rencontrons le personnage de San que' après .... Min de film, mais il n'est pas anodin qu'en dépit d'un rôle moins important -du point de vue quantitatif- que le héros masculin, Ashitaka, elle ait donné son nom au film, Princesse Mononoké.

San est entre l'humanité et la divinité. La première scène où nous la voyons permet de voir qu'il s'agit d'un personnage empreint de mystère, semblant appartenir à un autre monde.

La première scène où nous rencontrons San se déroule dans la forêt. Nous la rencontrons avec les yeux d'Ashitaka, qui observe la scène caché derrière des feuillages. Cette scène est importante pour comprendre ce personnage car San y apparait comme une personne mystérieuse. Nous y découvrons sa spiritualité, son caractère plus proche des animaux et des esprits que des humains. Elle a peu d'humanité en elle, se révèle belle, sauvage, inapprochable. Elle prend alors pour Ashitaka la place d'un idéal, d'un personnage mystérieux qu'il va tenter d'approcher et de comprendre.

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Dans le premier plan, nous voyons Moro allongée au centre de l'image, l'arrivée des loups et de la princesse Mononoké par la droite. Nous observons ce plan d'ensemble à travers les yeux d'Ashitaka.

Dans le second plan, nous voyons San/ Princesse Mononoké en plan moyen et distinguons enfin ses traits tandis qu'elle s'approche de Moro pour la soigner en suçant son sang et le recrachant.

Dans le troisième plan, celle-ci se retourne brusquement. Cette impression de vitesse est amplifiée par le plan moyen devenant soudain un gros plan sur son visage, tourné vers nous/ Ashitaka. Son visage est couvert du sang de Moro, son regard farouche, méfiant.

Le quatrième plan montre un gros plan sur Ashitaka : celui-ci se rend compte qu'il a été vu. La caméra le suit avec une vue panoramique, sautant sur le rocher au-dessus de sa cachette. Dans le cinquième plan, la caméra est placée derrière Ashitaka, que nous voyons alors de dos, s'adressant à San. Ce sont les premières paroles que nous entendons dans cette scène. Il se présente et lui demande s'il se trouve dans la forêt des Dieux, et s'il se trouve en leur présence. Il n'obtient pas de réponse.

Le sixième plan accentue ce silence, avec un gros plan sur San le fixant en silence. Cela accentue son mystère. Le plan suivant monter à nouveau Ashitaka en gros plan. Cette mise en scène, alternant leurs visages respectifs, montre l'échange de regards silencieux et le mystère qui s'installe entre les deux personnages.

L'avant dernier plan montre à nouveau une vue d'ensemble, comme au premier plan ; les loups partent un à un et San monte sur l'un d'eux. Dans le dernier plan rapproché sur San, celle-ci sort du champ en répondant enfin à Ashitaka : « Vas-t-en ».

San est un personnage complexe : abandonnée par ses parents, élevée dans la forêt par une Déesse louve, elle considère les loups comme ses frères, et les animaux comme sa véritable espèce. Elle ne se voit pas comme une humaine. Comme Nausicaä, c'est un personnage au message en faveur de la nature et d'un monde où vivent les esprits et les Dieux. Elle représente l'Ancien Japon, avec ses anciennes croyances animistes : ses habits en font aussi la démonstration. Habillée avec des peaux, des pierres (pour faire son masque de guerrière), elle représente les croyances déchues des humains, ainsi que l'arrivée d'un monde moderne dont elle est tenue à l'écart.

Son personnage se complexifie et évolue lorsqu'elle tombe amoureuse d'Ashitaka et réalise qu'elle est humaine. Sa haine envers les humains doit alors être modérée : elle atteint ainsi une plus grande maturité et une vision plus tempérée du monde et des humains.

Une autre femme a ce pouvoir mystérieux de communiquer avec les esprits. Son rôle ressemble à celui d'une chamane ; elle est un personnage important dans son village. Il s'agit de Hii-Sama, femme la plus âgée du village d'Ashitaka, que nous rencontrons au début du film. Dans la première scène où nous découvrons le personnage d'Hii-Sama, un Dieu de la forêt, Nago, a attaqué le village d'Ashitaka. La vieille femme, chamane, sorte de magicienne, lien entre les Dieux et les humains, arrive à dos d'homme. Cela témoigne de l'importance de sa présence lors d'évènements complexes et magiques pour les villageois, mais monter aussi qu'elle est très respectée. Dans le second photogramme, nous la voyons au premier plan, s'inclinant. Les hommes sont en arrière-plan, inclinés également. Ils suivent visiblement son exemple, imitent ses gestes, ce qui montre qu'elle est respectée et écoutée. Dans le troisième plan, nous la voyons de dos, dans un plan moyen la montrant face au Dieu écroulé au sol. Elle paraît alors toute petite face à lui. (Sa prière au Dieu révèle alors qu'une fois encore, la femme a pour rôle de demander pardon pour les erreurs des hommes. En effet, dans cette prière, Hii-Sama demande pardon au Dieu pour les offenses des villageois ; elle prie alors pour qu'il parte en paix.

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Hii-Sama est une femme très spirituelle, qui éclaire les hommes de ses connaissances sur les esprits et est capable de communiquer avec eux.

Nous pouvons noter que de multiples figures religieuses, bouddhiques ou shinto, apparaissent dans les films de Miyazaki : des Bouddhas dans Mon voisin Totoro, lorsque Mei disparait, mais aussi par exemple des statuettes shinto dans Le Voyage de Chihiro. Cette idée de la spiritualité est omniprésente : les statuettes sont de forme féminine, montrant une fois de plus que les femmes sont seules capables d'entrer en contact avec le spirituel, le surnaturel, selon Miyazaki. Placées à l'entrée du tunnel qui mène Chihiro, telle Alice au pays des merveilles, vers un autre monde, elles annoncent ce voyage vers l'ailleurs. De plus, le tunnel débouche sur un temple shinto désert, annonciateur, une fois encore, du caractère spirituel de cette histoire. Il n'est alors pas anodin que Chihiro soit une petite fille, héroïne errant dans un monde de l'au-delà, cerné de figures spirituelles. Les scènes du début du film montrent Chihiro intriguée par un autel shinto ; puis, effrayée par une statuette de déesse. Chihiro, au début du film, est effrayée par ces éléments surnaturels, spirituels. Mais elle a la capacité de s'en rapprocher, d'arriver dans un monde d'esprits et de Dieux. Elle sera mise à rude épreuve, car ce qui l'effraie deviendra son quotidien, étant forcée de survivre dans un monde surnaturel et étrange. La scène où elle traverse le tunnel avec ses parents, pour arriver dans le temple shinto à l'abandon, avant de se retrouver de « l'autre côté du tunnel », telle Alice au pays des merveilles, est une métaphore pour le passage vers un autre monde. Ce monde lui permettra de grandir et de sauver ses parents. Elle y deviendra autonome, forte, plus téméraire et sûre d'elle. Chihiro est capable d'arriver et de survivre dans ce monde de Dieux grâce à sa capacité à comprendre la Spiritualité, caractéristique propre aux personnages féminins des films de Miyazaki.

Chihiro en présence d'une statuette féminine à l'entrée d'un temple shinto, dans Le Voyage de Chihiro (00 : 04 : 14)

Nausicaä est également un personnage capable de communiquer avec les animaux. Personnage similaire à celui de San, tant par le style du scénario que dans le caractère du personnage, elle est un être doué de spiritualité. Elle comprend les animaux de la forêt, leur parle, tout comme fait San avec les esprits de la forêt. C'est ce qui lui permet de devenir un Etre supérieur, un guide pour son peuple. Miyazaki se sert de la voix des femmes pour faire entendre ses messages personnels, ceux qui lui tiennent à coeur : en faveur de la protection de l'environnement, des animaux, de l'harmonie entre les hommes, contre la violence, les technologies destructrices, etc. Nous avons vu précédemment que ces thèmes étaient chers à Miyazaki, et omniprésents dans chacune de ses oeuvres. Nausicaä est l'une des messagères les plus emblématiques.

Miyazaki utilise les femmes douées de capacités spirituelles supérieures, en les mettant en opposition avec des hommes beaucoup plus terre à terre, plus attirés par la guerre, ou tout simplement dénué du talent visionnaire de certaines des héroïnes. Par exemple, Nausicaä devient amie avec un jeune garçon de son âge, Asbel ; celui-ci est par contre, beaucoup plus animé qu'elle par un esprit de vengeance pour la mort de sa soeur. Il cherche à l'aider, mais n'a pas les capacités pour comprendre le monde dans lequel il vit et ne sait pas comment le changer ; c'est Nausicaä qui aura le courage de se sacrifier et atteindra ainsi une véritable spiritualité.

Sa relation avec Maître Yupa révèle également ce fossé entre les capacités des hommes à comprendre la Spiritualité, ou à véhiculer les messages de Miyazaki. Celui-ci est en effet, comme les autres hommes, stupéfait pas la compréhension qu'a Nausicaä de la Nature. Lorsque celle-ci lui montre les résultats de ses expériences botaniques, il s'exclame : « Tu as fait ça toute seule Nausicaä ? », étonné peut-être, de ne pas y avoir pensé lui-même.

La première scène où nous découvrons les pouvoirs de communication avec les animaux de Nausicaä est celle où elle sauve Maître Yupa de la mort. Lors de la scène de cette poursuite, nous voyons en plans larges Yupa poursuivi par la bête ; puis, encore en plan large, le plan suivant montre Nausicaä s'approchant dangereusement. Yupa se met à l'abri. Une série de gros plans alternent alors entre les yeux de l'insecte et le visage de Nausicaä, lui parlant. Cette alternance de gros plans montre qu'il s'établit un dialogue entre la jeune fille et l'insecte. Cette scène est importante, puisque Nausicaä sauve l'homme, et nous dévoile un pouvoir de communication avec les habitants de la forêt.

Yupa, à la fin de la scène, suppose qu'une personne capable de le sauver ainsi ne peut être qu'un homme. Il dit en effet : « Il a réussi à le calmer ». Cela prouve que de façon générale, il n'est pas de suite évident qu'une fille en soit capable. Miyazaki montre ainsi qu'en dépit des opinions masculines, les femmes peuvent avoir des rôles décisifs et importants. Il choisit de faire des femmes les personnages les plus puissants dans ses oeuvres, comme nous l'avons vu précédemment ; mais cette puissance est également conférée par leurs capacités spirituelles et leur lien avec la Nature.

Ces femmes capables de communiquer avec le surnaturel, d'entrer en contact avec les esprits et les Dieux de la nature, sont un moyen pour Miyazaki de faire passer ses messages. Ses héroïnes luttent en faveur de l'environnement, utilisant leurs dons pour parler avec les animaux ou les Dieux, et ainsi faire valoir leur message. Nausicaä défend la forêt car elle comprend les animaux et peut les aider, San a été élevée par une Déesse louve, comprend les esprits, et peut donc lutter contre les humains qui cherchent à détruire ces esprits de la forêt, métaphore pour défendre la préservation de l'environnement.

3) La femme indépendante, sans homme

Nous trouvons d'autres jeunes héroïnes indépendantes et fortes, dans des contextes plus proches du monde contemporain. Gina et Fio dans Porco Rosso sont des héroïnes de la vie quotidienne, porte-paroles de la liberté des femmes car leurs rôles s'éloignent également des rôles traditionnels de la femme japonaise. Gina est propriétaire d'un hôtel ; d'une grande beauté, elle attire l'admiration de tous les hommes. Indépendante, elle refuse de se marier. Certaines scènes du film la montrent se révoltant contre la façon dont le héros, Marco Pagot, traite les femmes. Elle défend la cause des femmes ; lorsque Marco/Porco Rosso lui demande de transmettre un message de défi à un autre pilote, cette dernière refuse de lui rendre service. Elle lui reproche de la croire à sa disposition et lui crie : « Vous les pilotes, vous êtes tous les mêmes : vous considérez les femmes comme des objets insignifiants ». Cette phrase montre que Gina refuse de se laisser traiter comme un simple objet de convoitise et d'être utilisée.

Fio Piccolo est également une jeune fille qui pourrait plaider en faveur de la cause féminine. Plus jeune que Gina, âgée de 17 ans seulement, elle est néanmoins déjà très indépendante et a des qualités qui pourraient être considérées comme « viriles » : travaillant dans un garage d'avions avec son grand-père, elle pratique un travail d' « homme ». C'est elle qui s'occupe des réparations sur l'avion de Porco Rosso ; lorsqu'elle demande à s'occuper seule des réparations sur l'avion, elle dit : « Je ne peux pas arrêter d'être une femme, mais laissez-moi faire ce boulot ! ». Elle a bien cerné le personnage de Porco, un homme machiste, séducteur, qui pense qu'une femme n'est pas capable de s'occuper de mécanique. Mais Fio va le surprendre en dessinant des plans d'avions et en faisant de son avion un véritable avion de chasse performant, qui lui permettra de gagner la course finale. De plus, Fio n'est pas la seule femme à savoir faire un travail traditionnellement masculin : le garage Piccolo ne fonctionne qu'avec des femmes. En effet le film se déroulant en Italie durant la Seconde Guerre Mondiale, les hommes sont au front et les femmes prennent le relais. Cette période de l'Histoire est donc propice à mettre l'indépendance et le travail des femmes en avant.

Lisa, dans Ponyo sur la falaise, est également une femme indépendante. Elle s'occupe seule de son enfant de quatre ans, le père travaillant en mer et étant souvent absent. Nous ne la voyons jamais accompagnée de son mari. C'est un personnage assez drôle, car totalement impulsif. Elle est également très jeune, donc vive et complice avec son enfant. Ce dernier l'appelle d'ailleurs par son prénom, Lisa, et non « maman ». Cela peut paraître assez étrange, comme si Miyazaki cherchait à souligner sa jeunesse. Mais cela montre aussi un nouveau type de mère, jeune, indépendante.

Lisa travaille, semble toujours très occupée, pressée. Lisa est une mère très jeune, très fine. Elle ne paraît pas avoir plus de vingt-cinq ans. Elle porte les cheveux courts, s'habille exclusivement en pantalon. Energique, elle est aussi très expressive : elle crie facilement. Cela se voit par exemple, lorsque Fujimoto se tenant au milieu de la route, gêne sa voiture. Lisa n'hésite pas à lui assener de nombreux reproches, puis part en manquant de l'écraser avec sa voiture. Lorsque le père de Sôsuke les appelle pour informer Lisa de son absence prolongée, une fois de plus, celle-ci fait une véritable scène, partant « bouder » dans sa chambre, après avoir jeté la vaisselle. Miyazaki semble avoir mis l'accent sur sa jeunesse, notamment avec sa façon de faire des caprices, assez puériles. Lorsque Lisa se réfugie dans sa chambre, contrariée par son mari, son fils vient la consoler comme si elle était l'enfant, il lui caresse les cheveux ; les rôles sont inversés. Mais en dépit de ce caractère presque enfantin, Lisa est une femme forte, qui se passe sans problème de la présence d'un homme.

La façon dont Lisa conduit sa voiture est également un aspect « coloré » du personnage. En effet, celle-ci conduit très brusquement, excessivement vite, et semble n'avoir peur de rien. Lorsque le tsunami se déclenche, au lieu de rester à l'abri dans la maison de retraite où elle travaille, Lisa ramène Sôsuke en voiture, passe le barrage malgré les interdictions des hommes y travaillant, et mène une véritable course contre les vagues pour arriver chez elle. Lisa semble ainsi avoir un comportement de jeune fille, ne réfléchissant pas aux conséquences ; elle est d'une grande impulsivité.

Conduite folle de Lisa contre le tsunami dans Ponyo sur la falaise (00 : 47 : 33)

Lisa est une jeune femme très loin de l'image de la mère japonaise, soumise et discrète. En rentrant chez elle, elle boit une bière, comme le ferait un homme. Elle a une attitude et un caractère « virils » : impulsivité, vivacité et audace étant l'inverse des qualités traditionnellement féminines (timidité, discrétion, douceur).

Lisa, en colère, s'ouvre une bière dans Ponyo sur la falaise (00 : 27 : 40)

Plusieurs autres personnages féminins sont indépendants, vivent sans la présence d'un homme ou tout du moins, sans son influence. Kiki, par exemple, dans Kiki la petite sorcière, est un personnage intéressant car contrairement à la tradition japonaise qui veut qu'une jeune fille ne quitte pas le foyer de ses parents avant le mariage, cette héroïne quitte ses parents, mais qui plus est à un très jeune âge, à l'aube de son adolescence. A treize ans, Kiki part vivre loin de ses parents, sans les contacter, sans leur aide, pendant une année entière. La sorcellerie, histoire de fond du film, est en réalité un prétexte pour montrer l'évolution d'une jeune adolescente, sa quête d'identité, thème important chez Miyazaki. Kiki devient ainsi une jeune fille indépendante : elle travaille pour survivre, monte son entreprise. Les personnages qu'elle rencontre au fur et à mesure de son histoire sont surtout des femmes, aux maris absents ou effacés (par exemple, le mari d'Osono ne dit pas un mot durant le film ; Madame est veuve ; Ursula est célibataire), qui deviennent des exemples pour elle.

Ursula, jeune femme de dix-huit ans, est un modèle pour Kiki. Artiste, elle vit seule dans les bois et semble autonome, libre d'esprit. Il s'agit d'une jeune femme vivant pour ses rêves et ses passions, loin des idéaux de mariage et de la recherche de l'amour. Elle est une véritable amie pour Kiki, la conseillant lorsque cette dernière est en proie au doute concernant ses capacités. Forcée de devenir autonome, Kiki apprend ainsi à vivre seule, à se détacher de ses parents. Il s'agit d'un apprentissage de l'indépendance. La perte de ses pouvoirs de sorcière, au milieu du film, est symbolique : comme toute jeune fille durant l'adolescence, Kiki apprend à retrouver le don qu'elle possède, sa voie, et à devenir pleinement autonome.

Autre femme indépendante dans Kiki la petite sorcière, Osono, qui recueille Kiki et l'héberge, la boulangère. Elle dirige son propre commerce. Nous avons même l'impression qu'elle le dirige seule car son mari, bien qu'aux fourneaux, n'est presque jamais en contact avec la clientèle. En effet, nous n'entendons pas le son de sa voix, c'est sa femme qui est contact avec les clients et surtout, qui décide seule, sans le concerter, d'héberger Kiki et de l'embaucher comme livreuse. C'est donc une femme indépendante, qui n'a pas besoin de son mari pour prendre des décisions, ni même le consulte en ce qui concerne les affaires. On pourrait penser que son mari s'occuperait des embauches, mais en réalité, Osono prend ce type de décisions.

Sophie, héroïne du Château ambulant, est un personnage qui vit également un apprentissage : celui de la confiance en soi. Cet apprentissage de la confiance lui permettra d'atteindre une vraie indépendance. Sophie est une jeune femme créative, autonome : elle fabrique des chapeaux et tient la boutique de sa mère, souvent absente. Le sortilège qui la transforme en vieille femme fait ressortir son défaut : le manque de confiance en elle. Lorsque Sophie reprend confiance en elle, son visage reprend ses traits de jeune fille ; mais dès qu'elle doute de ses capacités, elle reprend son aspect de vieille femme. Ici la magie est à nouveau une métaphore pour l'apprentissage d'une jeune fille. Son indépendance s'acquiert grâce à son instinct de survie : devenue une vieille femme, elle ne peut compter sur personne d'autre qu'elle-même. Elle devient donc femme de ménage pour Hauru et trouve ainsi refuge chez lui, en se créant une nouvelle famille.

Une autre figure de femme indépendante émerge, dans Le Voyage de Chihiro. Le personnage de Lin est une femme indépendante, qui ne dépend d'aucun homme, mais elle montre plusieurs facettes. De façon générale, nous voyons qu'elle est âgée d'environ vingt ans, est célibataire et a un travail. Elle travaille aux Bains -épicentre du monde surnaturel dans lequel Chihiro a pénétré- et s'occupe de servir les plats aux autres employés, ou de faire le ménage des bains.

Bien qu'ayant un travail de servante, Lin semble avoir un fort caractère et l'esprit indépendant. Dans la première scène où nous la voyons, Lin apporte à Kamaji, l'un des employés des Bains, son repas. Mais elle n'est pas un personnage effacé, bien au contraire, elle parle à Kamaji en lui donnant toute une série d'ordres : « arrêtez ça ! », parlant du vacarme que Kamaji fait avec ses boules de suie, qui alimentent la chaudière des bains. Puis elle lui lance : « Où est ton bol ? Je t'ai déjà dit de le préparer ! ». Lin fait des reproches, donne des ordres, soupire, se fait entendre. Lorsqu'elle aperçoit Chihiro, sa première réaction est de la pointer du doigt, stupéfaite et paniquée. En effet, les humains sont interdits dans les Bains. Kamaji lui demaned d'amener Chihiro voir la sorcière dirigeant les lieux, Yûbaba, prétextant qu'elle est sa petite-fille. Lin accepte, clairement à contre-coeur. Sa façon de parler à Chihiro est brusque. Elle la traite d'idiote, la pousse. Lin paraît alors être un personnage négatif, une femme forte et indépendante, qui semble savoir se faire respecter, mais dénuée de gentillesse ou d'instinct protecteur.

images extraites du Voyage de Chihiro (00 : 29 : 07)

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Son dégoût pour la petite fille semble s'accroître : lorsque Chihiro, enfin embauchée par Yûbaba, lui est attribuée en tant qu'apprentie, Lin fait savoir que ce devoir ne l'enchante pas. Lin est assez vulgaire, parle avec un langage familier de fille simple. L'image ci-dessus montre que la réaction de Lin est de dire : « On va encore me la fourguer ? » en parlant de Chihiro.

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Mais Lin montre alors une nouvelle facette. Une fois seules, elle la félicite, souriante ; elle se montre aimable et charmante. Elle deviendra bientôt pour Chihiro une grande soeur protectrice. En réalité, Lin est obligée de montrer un visage dur sur son lieu de travail, pour être respectée. Mais lorsqu'elle sait que Chihiro va faire partie de son quotidien, elle est fière et montre son vrai jour. Lin joue un rôle de femme forte et râleuse, dure, devant les autres employés, masque qu'elle fait tomber une fois que sa confiance a été gagnée.

4) Femmes de sagesse 

De nombreuses héroïnes des films de Miyazaki sont des femmes de sagesse. Elles sont plus sages que les hommes, et certaines ont ainsi une grande importance.

4)a. L'importance des paroles de la femme de sagesse

Dans Nausicaä de la vallée du vent, O-Baba, sage du village de la Vallée du vent, personne la plus âgée des habitants, tient le rôle de conteuse de légendes. Vieille aveugle, elle est pourtant clairvoyante, éclairant les héros et ennemis de l'histoire de ses paroles sages. Elle prend même le rôle de prédicatrice à la fin du film : en effet, c'est elle qui nomme Nausicaä comme étant l'être vêtu de bleu, le sauveur. Lorsque O-Baba parle de cette légende pour la première fois dans le film, scène située dans la chambre du roi Jhil, nous comprenons l'importance de ce type de personnage. En effet, la mise en scène et la construction du dialogue mettent en valeur les paroles de cette femme de sagesse.

Dans cette scène, les plans que nous avons d'O-baba mettent en valeur cette image spirituelle, mystérieuse, de savoir, avec des jeux de clair-obscur, des ombres sur son visage. Le plan durant lequel elle raconte la légende de l'Etre vêtu de bleu révèle l'importance de ses paroles : commençant avec un plan rapproché sur Nausicaä, dès qu'O-Baba commence à parler et que le regard de Nausicaä se tourne vers cette dernière, la caméra effectue un panoramique de la droite vers la gauche. La caméra suit en réalité la direction du regard de Nausicaä, dirigé vers O-Baba. Cette mise en scène met en valeur le fait que les paroles de cette dernière sont importantes. La caméra montre qu'à ce point précis, quand O-Baba parle, chaque personne dans la pièce l'écoute.

(00 : 18 : 53) Nausicaä en plan rapproché

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(00 : 18 : 55) Gros plan sur O-Baba parlant de la prophétie, scène extraites de Nausicaä de la vallée du vent

Nous pouvons ainsi souligner l'importance qu'ont les avis de certaines femmes dans les films. Par exemple, Hii-Sama, chamane du village dans Princesse Mononoké, n'est pas seulement une femme spirituelle, lien entre les esprits et les hommes ; elle est également vue comme quelqu'un d'extrêmement sage, et dont la parole est très importante. Elle prend ainsi des décisions capitales pour son village, celles qu'un chef de village prendrait normalement, comme celle de bannir un villageois, par exemple.

La seconde scène où nous voyons ce personnage est celle se situant juste après la lutte d'Ashitaka avec le Dieu devenu Démon, Nago. Les hommes importants du village sont réunis avec Hii-Sama autour d'Ashitaka, pour tenter de comprendre ce qui est arrivé lors de cette attaque. Nous remarquons qu'Hii-Sama est la seule femme présente, car son rôle est le plus important : donner les réponses, car elle est proche du Spirituel.

Dans les deux premiers plans, nous découvrons le lieu de la réunion : une grande pièce d'une cabane posée contre les rochers. La vue générale situe les personnages dans l'espace, les hommes en rang à gauche, Hii-Sama face à Ashitaka.

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Dans le troisième plan de cette scène, nous avons un plan moyen montrant Hii-Sama lisant les pierres. Les regards sont tous sur elle et chacun écoute ses paroles pendant qu'elle explique qui était ce Dieu/Démon.

Le quatrième plan montre Ashitaka, en point de vue objectif, de profil. Ces deux derniers plans sont vus en légère plongée, comme si la caméra était située au-dessus des hommes à leur droite. Ashitaka écoute attentivement les paroles de la vieille femme, le discours s'adresse à lui. Elle lui demande de montrer son bras, là où le Démon l'a touché.

Lorsqu'Ashitaka s'éxécute, nous avons alors un insert sur son bras, montrant clairement les dégâts causés par le Démon.

Le sixième plan montre alors un plan moyen des hommes, paniqués par cette vision. L'un d'eux se tourne directement vers Hii-Sama. Ces hommes savent que cette dernière est la seule à pouvoir leur apporter des réponses.

Un gros plan d'Hii-Sama permet de mettre en valeur son discours. Ce gros plan révèle l'importance de ses paroles. Miyazaki alterne alors ce passage avec des gros plans et des plans plus éloignés, montrant à la fois la personne que nous écoutons avec attention, ainsi que les autres protagonistes de la scène, tous tournés vers elle : la caméra est en effet placée au-dessus des hommes, que nous voyons de dos, montrant Hii-Sama en plongée, afin de mettre en avant les gestes qu'elle effectue avec les pierres. Nous voyons également ainsi que les hommes ne bougent pas, sont subjugués par ses paroles.

Le neuvième plan est un insert sur la main d'Hii-Sama, montrant aux autres personnages un objet d'importance, la balle de fer qui a rendu le Dieu fou, et qui provoque le sort d'Ashitaka, hanté par le mal du Démon. Dans le dixième plan, nous voyons Ashitaka en gros plan, écoutant les paroles d'Hii-Sama, tandis que celle-ci lui énonce son destin.

Le onzième plan montre Hii-Sama en plan rapproché, filmée du point de vue d'Ashitaka, celui-ci étant assis en face d'elle. Nous remarquons qu'elle est située exactement au centre du cadre : sa coiffure, ses épaules, sa posture, s'alignent parfaitement avec le décor autour d'elle. Cette mise en scène montre bien l'importance du personnage et de ce qu'elle dit. Cet ordre donne également la sensation de sagesse, de calme qui émane de ce personnage.

Enfin, le douzième plan montre un plan général situé derrière Hii-Sama, de façon à montrer chaque personnage de la scène, tout en mettant en valeur le départ d'Ashitaka. Nous sommes situés derrière Hii-Sama afin de voir l'exil, comme étant surveillé par cette dernière, tandis qu'elle lui ordonne calmement de partir.

4)b. La femme plus sage que l'homme

Les femmes de sagesse ont un rôle de médiateur, soit entre le spirituel et les hommes, comme nous l'avons vu précédemment, soit pour excuser le comportement de ces derniers, tout en se rebellant contre leurs décisions.

Elles apparaissent ainsi comme étant plus sages que les hommes, car elles assument la responsabilité des actes, rectifient les erreurs sans que les hommes le sachent ; ces derniers refusant toujours de voir leurs torts. C'est le cas par exemple, lorsque les femmes de Pejite font le bon choix sans l'accord de leurs hommes, ce que nous verrons dans une autre partie.

Elles savent comment obtenir le pardon ; elles en prennent la responsabilité à la place des hommes, et réparent les erreurs de ces derniers. Hii-Sama, dans la scène où elle prie le Dieu Sanglier, demande le pardon à ce dernier et lui demande d'excuser les erreurs commises. Elle lui demande de pardonner les offenses des hommes qui l'ont provoqué et l'ont rendu malade.

Les femmes ont souvent ce rôle, celui d'être responsables des hommes, en demandant le pardon pour eux. Cela montre qu'elles sont montrées comme étant plus sages, plus avisées que les hommes. Elles agissent pour rectifier les erreurs commises par les hommes.

Leur sagesse se perçoit également dans leur capacité à se sacrifier pour une cause plus grande. C'est le cas par exemple de Sheeta, qui se sacrifie pour sauver Pazu, en se laissant utiliser par Muska, l'agent du gouvernement à sa recherche depuis le début du film ; sa noblesse d'esprit lui permettra finalement de le vaincre et de sauver sa vie, celle de Pazu, ainsi que l'île dans le ciel. Nausicaä est également une femme capable de se sacrifier ; cet acte lui permettra d'ailleurs de se révéler comme un être de grande sagesse, plus encore qu'O-Baba, la vieille femme du village. Son sacrifice, en barrant la route des animaux pour sauver son peuple, fait d'elle « l'Etre vêtu de bleu ». Elle devient ainsi un être de sagesse.

4)c. Altruisme, pragmatisme et capacité à apprendre des erreurs passées

Outre leur importance aux yeux des hommes, la capacité à se sacrifier, la responsabilité pour les erreurs des hommes, nous découvrons encore une nouvelle facette de la sagesse des femmes. Le personnage de Dame Eboshi a une sagesse particulière. Elle est respectée par ses hommes car elle est d'un très grand sang-froid, pragmatique. Comme nous l'avions vu dans l'une des scènes du film, elle est capable de laisser ses hommes morts sans été d'âme ; mais cela témoigne d'une capacité à ne pas être vulnérable, contrôlée par ses émotions. Très calme, mais aussi une guerrière, c'est un personnage qui a de multiples facettes.

Nous découvrons dans d'autres scènes une femme altruiste, bien différente de cette première image que nous avons eue d'elle. En effet, Dame Eboshi est la fondatrice d'un village, que nous découvrons lorsque le personnage d'Ashitaka y ramène des survivants. Dame Eboshi est la maîtresse de ce village de forgerons, et en a fait une ville idéale, selon ses critères. Des prostituées qu'elle a racheté aux bordels des grandes villes y vivent et y sont mariées, leurs maris s'occupent du commerce du fer qu'elles produisent. Ces femmes ont un rôle à part entière dans le fonctionnement commercial du village, un travail important ; elles n'ont pas d'enfants. Leur rôle n'est pas celui d'être mère.

Dame Eboshi a également accueilli des lépreux, dont elle s'occupe en les soignant, les nourrissant ; elle leur donne une valeur sociale en leur faisant fabriquer des armes. Bien que son message ne soit pas celui de la paix, Dame Eboshi a des valeurs humaines qui font d'elle un personnage complexe, ni bon ni mauvais.

A la fin de Princesse Mononoké, Dame Eboshi est punie pour les mauvais choix qu'elle a fait : en propageant un message de haine, en cherchant à détruire les Dieux, elle croyait protéger son village et ses habitants. Ainsi, nous ne pouvons dire si ce rôle est négatif ou positif. Dame Eboshi peut être haïe car elle se trompe d'ennemi, mais aussi admirée car elle se bat pour les démunis, les faibles, les exclus de la société, et se dévoue corps et âme à la cause qu'elle croit juste.

Sa punition pour avoir choisi les mauvaises batailles et causé le chaos est la mutilation, son bras étant arraché par les crocs de Moro lors d'une des scènes finales du film. Comme princesse Kushana dans Nausicaä de la vallée du vent, elle se retrouve amputée, blessée. Princesse Kushana est un personnage très semblable à Dame Eboshi, mais sans la sagesse qui fait de dame Eboshi quelqu'un de complexe et qui peut devenir un modèle. En effet, son issue est plus positive. Au lieu d'en ressentir une haine encore plus violente, elle comprend ses erreurs. Le message de fin du film est ainsi heureux : le village renaît de ses cendres, Dame Eboshi décide de « construire un meilleur village cette fois-ci ». Au lieu de se laisser abattre par la défaite, elle décide de reconstruire en ayant appris de ses erreurs.

5) Femmes s'affranchissant de la domination masculine

L'une des caractéristiques principales des héroïnes miyazakiennes est la capacité de s'affranchir de la domination masculine. Les femmes dans les oeuvres de Miyzaki se rebellent, rectifient les erreurs des hommes. Elles se rebellent aussi simplement afin de se sauver elles-mêmes.

Dans Nausicaä de la vallée du vent, les femmes adultes, les mères de famille, ont un rôle important. Lorsque Nausicaä est emprisonnée, ce sont les femmes du royaume de Pejite qui la libèrent. L'entrée de Nausicaä dans une pièce remplie de femmes âgées et de jeunes mères, montre la puissance de la volonté féminine : celles-ci se rebellent contre la volonté de leurs hommes. Mais si elles choisissent de libérer Nausicaä contre le gré des hommes, en organisant sa fuite, elles cherchent tout de même à les excuser. Les femmes se sentent responsables des hommes, qui sont les pères de leurs enfants, leurs fils. Une vieille femme dit : « Pardonnez les Pejitiens pour les mauvais traitements ». La mère de Lastelle et Asbel, aidant Nausicaä à s'enfuir de sa cellule, dit à celle-ci : « Pardonnez-nous mon enfant, notre peuple a commis de graves erreurs ». Cette phrase montre également à quel point les femmes se sentent responsables, répondent des actes de leurs maris. Les femmes réparent les erreurs des hommes, tout en leur pardonnant.

Les femmes, comme nous l'avons vu précédemment, sont plus sages que les hommes dans les oeuvres de Miyazaki. Elles sont écoutées, leur sagesse est mise en avant ; elles endossent les responsabilités pour els comportements des hommes et demandent leur pardon. Mais nous voyons ici qu'elles font leurs propres choix. Elles choisissent de suivre leur propre conscience, et se rebellent ocntre la volonté des hommes. C'est le cas des femmes de Pejite dans Nausicaä de la vallée du vent, mais c'est aussi le cas des femmes du village des forgerons dans Princesse Mononoké. Ces dernières sont totalement affranchies des hommes, et préfèrent avoir les responsabilités les plus importantes dans la vie du village plutôt que de la laisser aux hommes qu'elles jugent incompétents. D'ailleurs, comme nous l'avons vu dans la scène où Toki crie après son mari blessé, et se tourne vers Gonzo, elles n'ont pas peur de dire ce qu'elles pensent et de traiter leurs hommes d'idiots.

Dans le Château dans le ciel, l'une des premières scènes montre Sheeta emprisonnée par ses ravisseurs. Elle va réussir à se révolter contre cette situation. Lorsque la forteresse est attaquée par les pirates, lors de la première scène d'ouverture du film, Sheeta n'attend pas de voir si elle sera sauvée ou pas.

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Sheeta attaque son ravisseur, scène extraite du Château dans le ciel

Muska, l'homme en charge de son enlèvement, entre dans la pièce où elle se trouve, les bombardements résonnant au loin. Il lui ordonne : « ne reste pas là, à terre». Dans un premier plan séquence, nous voyons Muska au premier plan, se diriger vers la radio. En arrière-plan, Sheeta est obéissante, effrayée, dos au mur, la main sur la poitrine. Puis un gros plan sur le visage de Sheeta, montre son expression en train de changer. Elle surmonte alors sa peur, saisit une bouteille, et assomme le ravisseur, devenant ainsi une véritable « héroïne miyazakienne » : forte, courageuse.

Le personnage de Ponyo dans Ponyo sur la falaise est encore différent des précédents. A l'instar des autres héroïnes dépeintes par Miyazaki, Ponyo est courageuse : elle quitte le monde de la mer et la protection familiale pour explorer le monde au-dessus. C'est la rencontre avec le petit garçon Sôsuke qui lui donne la force de réclamer son indépendance. Comme le conte de la petite Sirène, lequel a une fin plus dure pour l'héroïne, Ponyo est une véritable métaphore pour l'indépendance vis-à-vis du père. Ponyo, bien qu'étant seulement une petite fille, représente la femme qui souhaite s'affranchir de la protection masculine. Ponyo veut être comme Sôsuke, être humaine ; elle souhaite en réalité être l'égale d'un garçon. Son père souhaite que Ponyo « reste pure et innocente à tout jamais ». Il représente le père, le mari, l'homme qui idéalise la femme, mais l'empêche d'être libre. Ainsi Ponyo, en souhaitant devenir humaine, s'éloigne de son père, de l'oppression et de la protection masculine, devient plus indépendante, plus libre, comme Sôsuke, comme un garçon. Il s'agit d'une métaphore pour le combat des femmes qui veulent être égales de l'homme, libres, et non des images idéalisées de pureté, d'obéissance et de douceur.

Le père de Ponyo ne veut pas son mal, il croit la protéger, mais la maintient prisonnière. Dans l'une des scènes, où il vient de récupérer Ponyo après sa première fuite, il l'emprisonne dans une bulle afin d'être sûr qu'elle ne s'échappe pas. Cette métaphore n'est d'aillerus pas anodine : il la garde « dans sa bulle », protégée du monde extérieur qui peut faire mal, mais que Ponyo souhaite découvrir. Son combat est celui de toute jeune fille, jeune femme, qui souhaite s'affranchir de son père pour vivre sa vie ; lequel a du mal à s'en séparer.

Fujimoto garde Ponyo dans sa bulle, dans Ponyo sur la falaise (00 : 32 : 22)

Mais les pouvoirs de Ponyo se sont développés et elle parvient à lui échapper. Elle réussira finalement à rejoindre Sôsuke, et sa mère convaincra Fujimoto de laisser leur fille devenir humaine. A la fin, Ponyo réussit à vivre sa vie comme elle l'entend, après s'être rebellée contre les souhaits de son père.

6) Femmes dans la sphère féminine

Dans cette partie, nous pouvons noter que la femme dans la sphère féminine chez Miyazaki est reliée à la famille. Il est par ailleurs intéressant de noter que le concept de la famille traditionnelle japonaise n'existe pas dans les oeuvres de Miyazaki. Miyazaki ne représente pas la famille comme la famille traditionnelle japonaise. Souvent dans ses scénarios, les enfants sont plus ou moins livrés à eux-mêmes. Nous pénétrons leur univers, la présence des parents y est secondaire. C'est pourquoi souvent les parents sont même parfois totalement absents, ou remplacés par des figures de substitution qui ne sont là que pour soutenir les enfants dans des moments difficiles : ils ont ainsi un rôle plutôt secondaire. Au contraire, les enfants sont les vrais héros des histoires.

Dans la plupart des films de Miyazaki, les familles sont donc divisées, loin du modèle traditionnel du « ie » japonais, qui regroupe père, mère, enfants, voire grands-parents vivant sous le même toit, chacun avec une place et un rôle défini. Nous trouvons alors des schémas différents : dans Nausicaä de la vallée du vent, la mère de Nausicaä est morte, son père est tué au milieu de l'histoire. Dans Le Château dans le ciel, les parents de Sheeta sont morts, ceux de Pazu également. Dans Mon voisin Totoro, la mère est absente, à l'hôpital, laissant le père avec deux petites filles. Kiki, dans Kiki la petite sorcière, quitte ses parents et vit seule. Fio Piccolo est élevée par son grand-père dans Porco Rosso. Dans Princesse Mononoké, San est orpheline, ainsi qu'Ashitaka. Chihiro, dans le Voyage de Chihiro, est séparée de ses parents au début du film, pour ne les retrouver qu'à la fin. Dans le Château ambulant, Sophie n'a pas de père, nous ne voyons que sa mère, qui est souvent absente. Enfin, dans Ponyo sur la falaise, Lisa élève seule son fils Sôsuke, le père étant souvent absent en mer. Chaque famille, dont les enfants sont héros de l'histoire, ou bien adolescents et jeunes adultes, est éloignée du modèle traditionnel.

Les enfants se retrouvent donc souvent dans des rôles plus responsables, plus indépendants que le voudrait leur âge.

Par exemple, dans Mon voisin Totoro, Satsuki, en l'absence de sa mère malade, veille sur sa petite soeur Mei. Elle n'a que neuf ans, et déjà est très mature et autonome. Elle s'occupe même plus de son père que celui-ci ne s'occupe de ses filles. Bien que Mei suive sa grande soeur partout, et répète tout ce qu'elle dit, comme dans n'importe quelle relation entre deux soeurs de ces âges (quatre et neuf ans), Satsuki est pour elle une figure maternelle qu'elle ne trouve pas ailleurs.

Satsuki coiffe sa petite soeur, reprenant le rôle de sa mère ; elle fait également à manger. Une scène montre bien que la petite fille occupe le rôle de maman depuis que sa mère est à l'hôpital : un matin où son père doit partir travailler, elle le réveille, prépare à manger pour tout le monde, lui rappelle de déjeuner.

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Satsuki, neuf ans, éveillée bien avant son père, prépare le petit-déjeuner et le déjeuner pour son père et sa soeur dans Mon voisin Totoro

La scène où Grand-Mère amène Mei à l'école de Satsuki révèle également combien la grande soeur a repris le rôle maternel, sa petite soeur ne pouvant se passer d'elle et ne trouvant aucun réconfort ailleurs. Lors de la disparition de Mei, Satsuki part à sa recherche. Elle n'est pas une enfant dans ces instants où elle pense à sa soeur, en étant responsable. Les seuls instants où nous retrouvons une petite fille sont ceux où elle cherche du réconfort auprès de Grand-Mère, leur voisine, craignant la mort de sa mère à l'hôpital.

La « vraie » grand-mère pourrait être Grand-mère dans Mon voisin Totoro : une vieille dame habillée de façon traditionnelle, vivant dans la campagne, une femme simple et attachante. Grand-mère se prend très vite d'affection pour Mei et Satsuki, qu'elle console tour à tour, ces dernières étant peinées par la maladie de leur mère. Femme paysanne, elle vit simplement et leur fait découvrir les plaisirs de la campagne. Son rôle est celui d'une grand-mère de substitution, apportant aux petites filles un élément de famille manquant.

Les larmes qu'elle verse lorsque Mei est retrouvée saine et sauve après sa disparition témoignent de son attachement pour les petites filles, et de son véritable rôle comme substitut parental. Elle a un rôle traditionnel, en accord avec le rôle de la femme dans la sphère qui lui correspond : s'occuper des enfants. Grand-Mère n'a jamais eu de travail, c'est une femme de la campagne ; elle s'est donc toujours occupée de sa maison, de ses enfants. Elle s'occupe à présent des enfants de son voisin, et de son propre petit-fils.

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Grand-mère enlaçant Mei après sa disparition, dans Mon voisin Totoro

Il est intéressant de noter que dans Mon voisin Totoro, nous retrouvons un schéma correspondant aux modèles féminins des années cinquante, l'histoire étant située à cette époque : les sphères masculines et féminines sont séparées -Satsuki s'occupe de sa soeur et de la nourriture, cela étant probablement le travail de sa mère avant son départ- mais la famille est bouleversée par l'absence de la mère. Le père se retrouve donc dans un rôle inhabituel à l'époque : s'occuper de ses enfants sans sa femme.

D'autres femmes sont représentées dans des rôles les montrant dans la sphère féminine : ainsi Lisa, qui est pourtant représentée comme une femme moderne, indépendante, travaillant, évolue tout de même dans un monde qui « convient » aux sphères traditionnellement féminines. Elle travaille dans une maison de retraite, ce qui est un travail en rapport direct avec les sphères réservées aux femmes : s'occuper des personnes âgées, des enfants. Elle est très jeune, comme nous l'avons vu, mais est déjà mère : ceci pourrait montrer un attachement au rôle maternel que doivent jouer les femmes dans le Japon encore ancré dans ses traditions, et cela le plus tôt possible, pour ne pas être vues comme des « vieilles filles ».

Les femmes que nous rencontrons qui évoluent dans les sphères féminines semblent être des personnages attachés aux traditions. Elles demandent aux héros masculins de protéger les héroïnes, notamment. En effet, dans Le Château dans le ciel, la femme du patron de Pazu demande à ce dernier de protéger Sheeta.

Sheeta semble être sur un pied d'égalité avec le héros qui l'accompagne, Pazu. Mais celui-ci est tout de même celui qui la protège. Les personnages du film, tels que la femme du patron de Pazu, pensent qu'elle doit être protégée par un homme, qu'elle ne peut pas se défendre sans un homme. Celle-ci explique à Pazu : « elle est tellement mignonne ; il faut que tu la protèges. » Cela signifie qu'une petite fille comme Sheeta n'est pas assez forte pour être seule. Elle a besoin d'un garçon, même si celui-ci a le même âge qu'elle.

Une autre caractéristique du rôle féminin appartenant toujours à celui de la sphère domestique réservée aux femmes est celle-ci : la bande des pirates accueillant Sheeta et Pazu, sachant que Sheeta restera avec eux un moment, se réjouissent de ne plus avoir à faire le ménage, la vaisselle... il leur paraît tout à fait naturel que la fille s'occupe des tâches ménagères, de la cuisine. Comme dans Mon voisin Totoro, les petites filles ont un rôle de « petite femme », mais sont aussi courageuses et intrépides. Nous pensons ainsi à Sheeta, ou Chihiro, qui évoluent dans un monde féminin : Sheeta s'occupe de la vaisselle, de la cuisine chez les pirates, Chihiro nettoie les bains, mais font en même temps preuve de courage.

7) Les rapports hommes/femmes

Nous pouvons à présent nous intéresser aux personnages masculins dans les oeuvres de Miyazaki, les rapports des hommes avec les femmes dans les films permettant d'approfondir notre étude.

7)a. Hommes dans la sphère féminine

Notons tout d'abord que l'un des personnages masculins dans les oeuvres est immergé dans un monde féminin et endosse un rôle traditionnellement réservé aux femmes. Il s'agit de Mr. Kutanabe, dans le très traditionnel Mon voisin Totoro, situé dans les années cinquante. La mère étant absente, le père s'occupe seul de ses filles. Comme nous l'avons vu précédemment, c'est plutôt sa fille aînée qui reprend le rôle de la mère, et qui s'occupe même de son père. Mais ce dernier est tout de même dans une position atypique, qui est intéressante à souligner.

7)b. Hommes fascinés par la femme : rapport d'amour/amitié

Les films de Miyazaki regroupent souvent un duo homme/ femme qui tiennent un rôle important et servent les messages véhiculés dans les oeuvres.

Nausicaä et Asbel dans Nausicaä de la vallée du vent

Sheeta et Pazu dans le Château dans le ciel

San et Ashitaka dans Princesse Mononoké

Chihiro et Haku dans le Voyage de Chihiro

Ponyo et Sôsuke dans Ponyo sur la falaise

Nous retrouvons également un même schéma dans Nausicaä de la vallée du vent et Princesse Mononoké : Princesse Kushana est accompagnée par Kurotawa, son général, et Dame Eboshi a un second, Gonzo, qui est cependant beaucoup plus fidèle que ne l'est Kurotawa. Il est intéressant de constater que ces types de personnages sont très similaires, les femmes comme les hommes.

Le premier aspect important du rapport homme/femme que nous retrouvons dans ces duos, est celui de l'homme fasciné par la femme.

En effet, si Princesse Kushana et Dame Eboshi sont des personnages semblables, comme nous l'avons vu précédemment, de par leur statut social, leur caractère, leur pouvoir, leurs seconds le sont également. Notons que Miyazaki a choisi de placer des femmes dans la position de pouvoir dans ces deux films et de placer les hommes en position inférieure. Par une analyse plus approfondie de leurs caractères, nous pourrons également voir que ces hommes sont montrés comme soumis à l'autorité féminine mais aussi montrés comme étant plus faibles.

La mise en scène permet de constater que ces hommes sont effectivement en position d'infériorité par rapport à ces femmes. On trouve de nombreuses prises de vue montrant Princesse Kushana placée en hauteur par rapport à Kurotawa, comme sur l'image suivante :

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Images extraites de Nausicaä de la vallée du vent

Les deux plans ci-dessus sont extraits d'une même scène, durant laquelle le Général Kurotawa se laisse aller à la rêverie. Dans un premier plan, nous voyons Kurotawa plongé dans ses pensées, le regard se dirigeant hors-champ ; nous ne voyons pas encore ce qui le plonge dans cet état. Le second plan montre qu'il regarde Kushana au loin. Celle-ci est placée au centre du cadre, vue avec le regard de Kurotawa, placée à la distance exacte où il la voit. Cette mise en scène montre Kushana comme une icône : nous ne distinguons que sa silhouette ; sa posture élégante la montre également comme une figure presque irréelle, ressemblant à une statue. Kurotawa l'idéalise, l'admire.

Les autres hommes sont également tous animés par le besoin de protéger les femmes, ou tout simplement de les suivre, de les connaître, en raison de cette fascination qu'ils ont pour elles. Ainsi, Tombo, dans Kiki la petite sorcière, est fasciné par Kiki, avec qui il veut absolument devenir ami. Pazu, dans le Château dans le ciel, veut protéger Sheeta car sa première vision d'elle, flottant dans le ciel, baignée par une lumière bleue, l'a intrigué profondément. Cette impression est d'ailleurs confirmée par une mise en scène montrant explicitement Pazu sous l'emprise de cette fascination pour Sheeta : le plan le montre en plongée, les yeux vers le ciel (vers Sheeta), soumis à cette vision. Pazu fasciné par Sheeta dans le Château dans le ciel (00 : 09 : 02)

Dans Princesse Mononoké, Ashitaka souhaite sauver San de sa haine envers les humains ; il est fasciné par ce personnage sauvage, et cherche plusieurs fois à la sauver, la protéger, au nom de cet amour. L'amour qu'il lui porte permettra à San d'être en paix avec elle-même, d'accepter ses faiblesses.

Dans Le Voyage de Chihiro, les deux héros tombent amoureux (d'un amour enfantin, plus proche d'un rapport frère/soeur) ; Haku aide Chihiro à survivre dans le monde surnaturel. En retour, celle-ci lui permet de retrouver son identité. De la même façon, Sôsuke aime Ponyo, dans Ponyo sur la falaise, ce qui lui permettra de devenir humaine.

Les femmes de pouvoir suscitent l'admiration des hommes. Lors de la scène durant laquelle Ashitaka dîne avec les hommes du village des forgerons, ces derniers font l'apologie de Dame Eboshi. Ils lui décrivent les batailles qu'elle a gagné et comment elle a crée le village. Leurs voix sont empreintes d'une forte admiration. Ils complimentent sa beauté, sa force, son courage. Le portrait qu'ils font d'elle, la façon dont ils vantent ses louanges, montrent qu'ils sont conquis par cette femme puissante, qu'ils sont prêts à tout pour elle et lui accordent toute leur confiance.

Dame Eboshi glorifiée par ses hommes dans Princesse Mononoké (00 : 35 : 55)

L'image ci-dessus illustre la victoire racontée par les hommes du village, vantant les mérites de leur maîtresse. Ici, Dame Eboshi est glorifiée par ses hommes. Le plan la montre de dos, admirant sa victoire, seule debout ; l'image, très guerrière, baigne dans une lumière de feu symbolisant sa conquête et sa violence.

7)c. Hommes tournés en dérision

Miyazaki semble s'amuser à montrer les faiblesses des hommes par rapport aux femmes, qui les fascinent. Les personnages masculins semblent apprécier, d'une certaine façon, la puissance des femmes. Elles les effraient mais leur paraissent alors idéales, inaccessibles. Miyazaki accentue cette impression en tournant les hommes au ridicule face aux femmes, insistant ainsi sur les défauts des hommes quand ils se retrouvent face aux femmes. Miyazaki semble montrer que les femmes sont peut-être plus à même d'être dans des positions d'autorité que les hommes. Cette impression est confirmée lorsque l'on analyse certaines scènes opposant les attitudes des hommes et celles des femmes.

Un exemple est une scène extraite de Princesse Mononoké, montrant Gonzo et Dame Eboshi, lors de la première discussion avec Ashitaka. Cette scène met en évidence la différence entre l'attitude de Dame Eboshi et celle de son second, qui est l'homme caricaturé ici. Le comportement de Gonzo paraît ridicule face au comportement de Dame Eboshi. Dans cette scène, Ashitaka est venu à la demande de Dame Eboshi. Celle-ci est en train de faire les comptes et de décider des quantités de fer qui seront expédiées pour être vendues le lendemain. Gonzo se trouve près d'elle, aidant les femmes qui réceptionnent le fer à porter les paquets. Ashitaka accuse Dame Eboshi d'utiliser le fer pour créer des armes destructrices. Lorsque celle-ci lui demande d'où il vient, Ashitaka refuse de répondre. Gonzo grogne, fait un geste vers son épée et lui crie : « Réponds à la question de Madame !»

Princesse Mononoké (00 : 37 : 10)

Comme nous pouvons le voir sur cette image, l'attitude de Gonzo est totalement opposée à celle de Dame Eboshi. Celle-ci est assise très calmement. Pendant qu'Ashitaka lui disait qu'il ne lui répondrait pas, elle continuait d'écrire, impassible. Gonzo semble penser qu'Ashitaka manque de respect à sa supérieure. Mais son attitude est bien exagérée, comparée au calme de Dame Eboshi.

Gonzo est à plusieurs reprises tourné en ridicule par les femmes du village, comme nous avons pu le constater précédemment : lorsque Toki, l'une des femmes du village, le traite de paresseux et l'accuse de n'avoir rien fait pour sauver ses hommes. Dans une autre scène, les femmes du village, regroupées autour de Dame Eboshi avant son départ pour un combat, se moquent à nouveau ouvertement de lui, le traitant d'idiot, lui disant qu'il est incapable de protéger Dame Eboshi.

Le personnage de Gonzo est similaire à celui de Kurotawa dans Nausicaä de la vallée du vent : dans l'ombre d'une femme de pouvoir, sa supérieure, belliqueux, souvent tourné en ridicule par un comportement agressif et démesuré. Kurotawa est cependant beaucoup plus antipathique, admirant ouvertement sa supérieure de façon inappropriée, paresseux, mesquin. Gonzo quand à lui, est montré seulement comme un homme à l'apparence puissante, mais en réalité soumis à l'autorité et aux ordres qui lui sont donnés, sans réelle ambition ou prétention au pouvoir.

Miyazaki caricature cette admiration qu'ont les hommes pour les femmes puissantes, mais aussi pour n'importe quelle femme : leur présence semble faire ressortir leurs défauts et les rendre risibles. Nous découvrons donc souvent des hommes aux caractéristiques viriles caricaturées, à travers des scènes de démonstration de force, ou montrant leur timidité, servilité, soumission....

scènes extraites du Château dans le ciel (00 : 21 : 56)

Sur l'image ci-dessus, extraite d'une scène du Château dans le ciel, nous voyons Pazu et son patron face aux pirates, protégeant Sheeta. Leur posture est typique du mâle protecteur : le dos droit, le torse bombé, les poings serrés. Ils cherchent à intimider leurs adversaires. Pazu imite son patron au geste près, de façon comique.

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Nous voyons ici l'un des pirates, montrant ses muscles, jusqu'à en faire sauter les boutons de sa chemise (image de gauche) : l'image est caricaturale, montrant le ridicule des hommes cherchant à savoir qui est le plus fort. La scène ne montre en réalité aucun réel affrontement physique ; en effet les hommes vont simplement faire des démonstrations de force, ce qui accentue le caractère amusant de cette scène. La seconde image à droite montre le patron de Pazu suivant ce jeu de démonstration de force physique.

Ces mêmes pirates « effrayants » sont ensuite dépeints comme des enfants face à l'autorité maternelle : leur mère, Dora, les poussant sans arrêt à lui obéir et surtout, les affublant de sobriquets loin d'être flatteurs, tels que « crétin dégénéré», « imbécile », etc.

Lorsque Sheeta monte à bord de leur vaisseau et leur prépare à manger, les pirates tombent tous « amoureux » d'elle. Bien qu'elle ne soit qu'une jeune adolescente, ces hommes sont tellement intimidés et intrigués par les femmes, étant sans doute très ignorants, qu'ils deviennent timides devant une jeune fille. Cette situation permet de les montrer sous un jour particulièrement moqueur : ils se cachent pour aller la voir, rient bêtement, font tous la cuisine à sa place, croyant au départ simplement l'aider. Mais celle-ci, rusée, profite un peu de leur bonne volonté et leur naïveté et tous finissent par travailler pour elle.

7)d. Le rapport mère/fils

Le comportement des pirates face à leur mère nous permet de constater les divers rapports entre les mères et leurs enfants dans les oeuvres. Comme nous l'avons vu, Dora est une mère relativement dure avec ses fils, les insultant, les dirigeant sans cesse. Elle correspond ainsi à un modèle de mère possessive, autoritaire, qui n'est pas sans rappeler la mère japonaise qui a le besoin de contrôler la vie de son fils, notamment sa vie amoureuse. Les pirates redeviennent des enfants face à elle, sont complètement soumis à ses souhaits. Leur mère les « démasculinise », les empêche de grandir vraiment ; même si elle prétexte être obligée de tout contrôler parce-que ses fils sont idiots.

Yûbaba, la sorcière dans Le Voyage de Chihiro, est à l'opposé de Dora en ce qui concerne le rapport avec l'enfant. Extrêmement puissante, comme nous l'avons découverte dans l'une des scènes analysées précédemment, elle révèle une nouvelle facette, celle de la mère, dans la seconde partie de cette même scène.

Yûbaba terrorisée par son bébé dans Le Voyage de Chihiro (00 : 38 : 37)

En effet, le personnage change brusquement à un moment précis de la scène. La sorcière passe d'un personnage terrorisant à un personnage à son tour terrorisé. En effet, le bébé de la sorcière se réveille tout à coup. Nous ne le voyons pas encore dans cette scène, mais entendons ses pleurs. Le visage de Yûbaba change soudain d'expression, passant de la méchanceté envers Chihiro à une vraie peur. Elle se dirige vers le rideau donnant sur la chambre de l'enfant, qui se met alors à casser meubles, et murs, à faire voler livres et feuilles. Yûbaba se cache derrière le rideau mais il devient apparent que face à son enfant, la sorcière n'a plus aucun pouvoir. Sa voix et ses expressions changent également : celle-ci se fait mielleuse, douce. Yûbaba est en fait une mère -malgré son âge- terrorisée par les caprices de son enfant et qui en est l'esclave. Elle n'est plus puissante face à son enfant, mais une vraie mère poule, aux petits soins pour son fils et répondant à ses moindres désirs. Ce changement de situation permet de voir le personnage de Yûbaba comme un personnage plus complexe qu'au premier abord, puisque parallèlement à sa toute puissance dans le petit monde surnaturel dans lequel a été propulsée Chihiro, elle se retrouve esclave d'un bébé. Mais cette faiblesse permet de lui redonner un peu d'humanité, lui apporte un côté sympathique, sans lequel son personnage aurait été entièrement négatif.

Yûbaba est donc une mère esclave de son enfant, contrairement à Dora, qui rend plutôt ses fils esclaves d'elle-même.

Entre ces deux opposés, nous retrouvons des mères plus distantes : par exemple, la mère de Chihiro, qui semble assez effacée et peu proche de sa fille, ou la mère de Sophie, dans le Château ambulant, qui se désintéresse de sa fille et préfère s'acheter de beaux vêtements ou voyager.

Lisa est un autre modèle de mère, son rapport avec son fils est encore différent. Elle semble très proche de lui, a plus un rôle de grande soeur que celui d'une mère.

Elle a en effet un rapport atypique avec son fils : il l'appelle « Lisa » ; elle l'amène à l'école, mais ne l'accompagne pas, partant travailler de suite. Elle laisse une grande part d'indépendance à son fils, qui est pourtant très jeune. Lorsqu'elle est triste, en colère contre son mari, elle réagit de façon impulsive, irréfléchie, ne veut plus faire à manger, s'ouvre une bière ; puis elle part s'allonger sur son lit pour pleurer, comme une enfant. C'est son petit garçon qui vient la consoler.

Lisa est tout de même une vraie mère pour Sôsuke, qui voit en elle une figure d'autorité. Quand il parle d'elle à Ponyo, il dit : « Ma mère est grande et belle, mais elle peut être terrifiante. » Ponyo lui répond : « La mienne aussi ». Ici, les mères sont les figures d'autorité, et non les pères.

Malgré son côté puérile, impulsif, têtu, elle est tout de même très maternelle et affectueuse, recueillant Ponyo et la nourrissant comme sa fille ; elle accepte également à la fin du film de l'adopter, afin que Ponyo puisse rester auprès de Sôsuke.

8) Des femmes aux qualités viriles

Nous pouvons conclure cette partie en analysant une dernière caractéristique des héroïnes miyazakiennes. Comme nous l'avons constaté, ces dernières sont fortes, puissantes ; guerrières ; proches de la spiritualité ; indépendantes ; rebelles ; mais certaines d'entre elles évoluent également dans la sphère féminine traditionnelle.

Cependant, nous pouvons analyser ces diverses caractéristiques en y trouvant les preuves de certains traits de caractère. En effet, les héroïnes ont des personnalités proches de celles qu'ont les hommes, traditionnellement.

Les qualités viriles, dans le Japon traditionnel, sont : le courage ; l'audace ; l'impulsivité ; la violence, si celle-ci est nécessaire ; l'assurance.

Nous constatons, au vu des nos précédentes analyses, que ces traits de caractère sont présents chez chacune des héroïnes de Miyazaki. Les qualités « féminines » sont, au contraire : la douceur ; la timidité ; la beauté ; le calme ; la discrétion.

Chacune des héroïnes a ce caractère traditionnellement « viril » au détriment, dans la plupart des cas, des qualités « féminines ». Nous pouvons voir, rapidement, que tous les personnages féminins des films ont au moins l'une de ces qualités :

En effet, Nausicaä est une guerrière, et donc peut être violente, armée ; elle est courageuse. En effet, lorsque le vaisseau de Pejite s'écrase dans le village, elle est la première sur les lieux ; elle est également prête à se sacrifier, écrasée par les animaux. Princesse Kushana est également une guerrière, violente, belliqueuse, courageuse.

Sheeta parvient à s'échapper et fuir ses ravisseurs, en ayant prouvé son courage en assommant l'un d'entre eux. Dora est aussi une femme qui n'accepte pas sa condition de femme sans se faire entendre, elle est intrépide, guerrière.

Satsuki est aussi un personnage courageux, car elle part seule à la recherche de sa petite soeur, n'attendant pas que des adultes s'en chargent pour elle. Kiki fait preuve d'audace et de courage en quittant le cocon familial.

Fio Piccolo et Gina sont toutes deux audacieuses, n'ont pas peur de dire ce qu'elles pensent des hommes et de la place des femmes.

San et Dame Eboshi sont toutes deux capables de se battre, en vraies guerrières, et toutes deux sont belliqueuses ; elles sont également en position de pouvoir, et n'ont pas peur de se battre pour leurs idées, sans besoin d'un homme à leurs côtés.

Chihiro fait preuve de courage pour survivre dans le monde magique où elle se retrouve. Sophie apprend à avoir de l'assurance, du courage, pour se refaire une place et se débarrasser de son sort.

Enfin, Lisa est l'opposée de la femme discrète : impulsive, courageuse -elle n'hésite pas à conduire alors qu'un tsunami se déchaîne-, excessive dans son comportement.

Ainsi, les héroïnes de Miyazaki, même celles se retrouvant dans des sphères traditionnellement féminines, n'ont pas pour autant les qualités traditionnelles. Leurs caractères sont ceux des hommes, intrépides, courageuses. La majorité des héroïnes, sont, de plus, libérée des sphères domestiques, intérieures, et se retrouvent dans des mondes masculins.

Cependant, nous pouvons nous demander si cette image correspond à l'image de la femme Japonaise d'aujourd'hui ?

Nous pouvons à présent interpréter les images de femme que nous avons trouvées dans la filmographie de Miyazaki, et les analyser face à la réalité du Japon contemporain.

B/ Interprétation face aux réalités du Japon contemporain

1) Femmes indépendantes, hors de la sphère féminine

1)a. Guerrières et career women

Les femmes des oeuvres de Miyazaki, comme nous l'avons vu, ont toutes des caractéristiques similaires, quelque soit leurs types de rôles : toutes sont courageuses, aux caractères forts. Elles ont des qualités « viriles ».

Une grande majorité des femmes, outre leurs autres caractéristiques, sont dans des positions de pouvoir. Nausicaä et Kushana sont des princesses et dirigent des peuples, des armées. Dora est chef d'une bande de pirates. Dame Eboshi est la maîtresse d'un village entier, d'un peuple de sa création, et une grande guerrière affrontant les seigneurs alentours. Enfin, Yûbaba est une sorcière à la tête d'une entreprise, les Bains, épicentre d'un monde surnaturel. Ces femmes sont dans des positions de supériorité, dirigeant des villages, des peuples, des armées.

Ces peuples, ces armées, peuvent être apparentés à des entreprises. Ces femmes peuvent donc être vues comme des chefs d'entreprise à part entière, aux lourdes responsabilités et ayant beaucoup de pouvoir. Or, nous avons vu qu'au Japon, il est très difficile pour une femme d'accéder à une position élevée dans la hiérarchie du monde de l'entreprise, un monde d'hommes.

Les femmes dans le cinéma de Miyazaki représentent donc une sorte d'idéal, de modèles de femmes fortes et puissantes, égales de l'homme. Leurs comportements avec les hommes, tantôt manipulatrices comme Yûbaba ou encore Gran Mamare, tantôt dominatrices et dirigistes comme Kushana, Eboshi ou Dora, laissent paraître un désir de renverser les rôles traditionnels : là où les femmes en entreprise sont reléguées au statut d'office lady, ou de secrétaire, apportant le café, ou peinant à faire entendre leurs voix lors des réunions, les femmes de Miyazaki contrôlent leur univers. Dans l'univers de Miyazaki, ce sont les hommes qui tiennent le rôle de l'assistant. C'est le cas pour chacune des femmes de pouvoir dans ses oeuvres : Princesse Kushana a un bras droit, Kurotawa, qui suit ses ordres à la lettre, l'admire. Nausicaä est aidée par Asbel, mais elle a aussi l'ascendant sur son oncle Mito, pourtant chargé de s'occuper d'elle. Dora a pour « assistants » ses fils, qu'elle contrôle totalement. Dame Eboshi a pour second Gonzo, rappelant le personnage de Kurotawa : totalement dévoué, obéissant, sous ses ordres, et probablement un peu amoureux de sa maîtresse. Yûbaba a pour assistant le jeune Haku, qu'elle possède.

Comme nous l'avons vu, les relations des femmes de pouvoir avec leurs « assistants » comme nous pouvons les appeler, sont pour la plupart caractérisées par une admiration de la part de l'homme, fasciné par la femme de pouvoir, sensible à son courage, soumis à ses ordres car il le veut bien.

Nous pouvons trouver un lien entre les femmes puissantes que l'on trouve dans le cinéma de Miyazaki et des faits réels au Japon. En effet, ces femmes en position élevée dans un monde d'hommes, nous font penser aux career women des années 1980, dont l'avènement changea la place de la femme dans le monde du travail.

En effet, les femmes jusque là cantonnées au rôle de mère au foyer ou d'office lady avant le mariage, commencent à faire de leur carrière une priorité. Cependant, comme nous avons pu le voir, il est difficile, encore aujourd'hui, de se faire une place dans le monde très masculin du travail. Les femmes, si elles sont aujourd'hui plus nombreuses à conjuguer travail et vie de famille, ont cependant du mal à accéder à des positions élevées et sont souvent cantonnées à des rôles les maintenant dans un environnement proche de la sphère féminine traditionnelle.

Il est ainsi intéressant d'établir ce parallèle entre les femmes dans un monde d'hommes, et les héroïnes miyazakiennes. Ces dernières sont non seulement des femmes de pouvoir dominantes dans un monde traditionnellement réservé aux hommes, mais elles portent en plus le poids du scénario sur les épaules. En effet, en plus de leur rapport de domination sur les hommes et dans l'histoire, en tant que personnages clés, les femmes ont aussi la capacité à communiquer avec un autre monde, avec les esprits : capacités que n'ont pas les hommes dans les films. Cela révèle un rôle primordial dans les scénarios, les héroïnes véhiculant les idées du réalisateur et étant ainsi les véritables messagères, ses représentantes.

1)b. Image d'une femme cultivée et puissante chez Miyazaki : limites des films et réalité du système éducatif au Japon

Les personnages que nous avons cités précédemment, les femmes puissantes et hors de la sphère féminine, de par leur statut social élevé ou leur position de domination, sont également des femmes cultivées, vives et intelligentes.

L'une d'entre elles, Nausicaä, est une jeune femme intelligente, qui étonne son entourage masculin : son mentor, Maître Yupa, s'étonne lorsqu'elle lui révèle ses découvertes concernant la forêt. Il lui dit : « Tu as fait ça toute seule ? », comme s'il lui paraissait étonnant qu'une jeune femme ait pu faire de telles expériences ; mais cette phrase révèle aussi un sentiment de fierté de la part du mentor. Miyazaki montre par cette exclamation de la part de Maître Yupa, ou par son étonnement lorsque c'est Nausicaä qui lui sauve la vie -il supposait qu'il avait été sauvé par un homme- que la société japonaise n'admet pas au premier abord, qu'une femme ait un tel rôle. En effet, le fait que son intelligence, ses qualités de guerrière, son habileté en tant que pilote soient accueillies avec autant d'étonnement de la part des hommes, montre bien qu'il ne s'agit pas de quelque chose considéré comme étant habituel au Japon.

Cependant, nous pouvons constater que dans d'autres films, tels que Princesse Mononoké, les femmes ont une place supérieure à celle des hommes, sans ambigüité en ce qui concerne leur légitimité à s'y trouver ou de doute sur leurs capacités intellectuelles ou physiques. En effet, Dame Eboshi, à aucun moment, n'admet une faiblesse due à son sexe, et son entourage masculin n'évoque jamais le caractère étonnant de son statut élevé dans le village. En outre, le village est résolument féministe, les femmes y étant dominantes et menant leurs hommes « à la baguette ».

La société japonaise sépare les qualités des femmes de celles des hommes : les hommes sont guerriers, cultivés (ils accèdent ainsi aux postes de médecin, de militaire, de professeur d'université...) tandis que les qualités des femmes les complètent : douceur, tendresse, bonté, etc.

Or nous remarquons que les héroïnes de Miyazaki ont des qualités « d'hommes » et qu'elles étonnent les personnages masculins, lesquels ne s'attendent pas à ce qu'elles soient « capables ». Nous avons vu, en effet, que les femmes elles-mêmes ne se voient pas capables d'effectuer les mêmes tâches qu'un homme. Elles se désignent ainsi, d'elles-mêmes, à des carrières dans des sphères « appropriées à leurs qualités féminines » : professeur des écoles, assistante sociale, pédiatre, métiers de l'art, etc.

Ainsi nous remarquons ces limites perçues à travers le regard des personnages masculins dans les oeuvres de Miyazaki. Les personnages de Porco Rosso nous en fournissent un bon exemple. En effet, le personnage de Fio est un exemple de jeune femme indépendante, intelligente, et qui, de plus, travaille dans un milieu très masculin : dans un garage d'avions de chasse. Ainsi les réactions du héros, Marco Pagot, nous confirment la difficulté des personnages masculins à admettre les capacités des femmes dans des domaines masculins.

Lorsque Fio souhaite réparer l'avion de Porco, ce dernier est réticent, n'étant pas sûr qu'une jeune fille en soit capable. Celle-ci se justifie en disant : « je ne peux pas arrêter d'être une femme, mais laissez-moi réparer votre avion ». Cette phrase montre bien à quel point le fait d'être une femme est « normalement » incompatible avec ce type de travail.

Une autre scène montre que la femme a une place à tenir par rapport à l'homme : Fio conduit une camionnette pour aller chercher Porco ; mais lorsque celui-ci arrive, elle lui laisse la place du conducteur. Ce geste, anodin, pourrait tout de même montrer qu'en dépit de ses qualités et ses capacités à faire un travail « d'homme », elle doit laisser l'homme tenir son « rôle d'homme ».

Le caractère « extraordinaire » de ces femmes est ainsi involontairement souligné. L'impression qui en ressort est que ces femmes sont perçues par les Japonais comme des femmes qui sont, effectivement, hors de leur sphère féminine, et que là n'est pas traditionnellement leur place.

Ayant observé que l'intelligence supérieure des héroïnes miyazakiennes est fortement mise en valeur dans les films, nous pouvons établir un parallèle avec la réalité de la place des femmes dans le système éducatif, et leur place dans les films.

Or, si les personnages féminins de Miyazaki sont glorifiés, admirés par les hommes, lorsque nous regardons l'éducation au Japon, nous remarquons qu'il existe toujours une division sexuée selon les domaines d'études, et cela jusque dans le travail.

Les femmes sont nombreuses dans les études de lettres, de langues ou d'art ; comme nous l'avons dit précédemment, elles se destinent majoritairement à un travail qui correspond à la sphère féminine. Les hommes quant à eux, étudient la médecine, les mathématiques, les sciences, etc. De plus, les universités pour femmes, les tandai, existent toujours, accentuant cette division sexuée.

Il est toujours difficile pour une femme d'accéder à un poste élevé, que ce soit en entreprise, dans les médias ou dans le monde de l'enseignement. De plus, les femmes ont l'obligation de penser à leur devoir de mère, et la pression du mariage persiste sur les jeunes femmes passées vingt-cinq ans.

2) Femmes dans la sphère féminine dans le cinéma de Miyazaki

2)a. La ryosai kembo et les héroïnes miyazakiennes

Nous l'avons vu dans notre première partie, les femmes japonaises jouissent dans leurs jeunes années de la liberté de travailler ou de faire des études. Mais à partir de vingt-cinq ans environ, la pression familiale exige de la femme qu'elle se marie dès que possible, sous peine de finir « vieille fille ». Si on assiste aujourd'hui à une baisse du nombre de mariages et une augmentation de divorces, la société demande toujours à ce que la femme sache concilier ses nouvelles aspirations et son devoir traditionnel : celui d'être une épouse et une mère.

Les femmes représentées dans les films de Miyazaki ont souvent un rôle d'épouse et mère pour les hommes. Les hommes japonais sont en effet soumis au complexe oedipien d'une épouse au comportement maternel, celui qu'avait leur mère avec eux. Les hommes dans les oeuvres de Miyazaki sont ainsi réduits à l'état de petit garçon face aux femmes. Nous l'avons vu avec Gonzo, dans Princesse Mononoké, ou les pirates dans le Château dans le ciel, mais c'est également le cas dans Kiki la petite sorcière, où le boulanger ne parle pas du tout durant tout le film. Miyazaki montre une image de la femme plus forte que l'homme, plus sage que lui, capable de le guider : les femmes sont les guides des hommes. Les mères chez Miyazaki sont les plus fortes de toutes : les femmes puissantes réduisent les hommes à l'état de petit garçon, rappelant ainsi leur relation avec la mère. Notons qu'au Japon, la relation entre la mère et le fils est formatrice et explique beaucoup de leurs complexes et futurs comportements vis-à-vis des femmes. Ainsi les hommes de Miyazaki sont soumis aux femmes, qu'ils apparentent à leurs mères : les femmes, les mères, sont les figures d'autorité, et non les pères.

La ryosai kembo est le modèle parfait de l'épouse et mère traditionnelle ; en observant les personnages de Miyazaki, nous voyons que celles qui se trouvent dans des sphères féminines ne sont pas pour autant à ranger dans la catégorie des ryosai kembo. En effet, ses héroïnes correspondent à l'évolution qu'ont voulue les femmes dès les années 1980. La mère de famille travaille, mais peut aussi être une bonne mère. Les héroïnes de Miyazaki répondent à ce critère : à la fois mères et épouses, elles sont néanmoins indépendantes.

Nous pouvons prendre comme exemples pour comparer les Japonaises modernes et les personnages de Miyazaki, Yûbaba et Lisa, respectivement héroïnes du Voyage de Chihiro et Ponyo sur la falaise. Ces dernières nous permettent d'établir un parallèle avec le statut des mères japonaises de la nouvelle génération.

Yûbaba n'est certes pas une femme jeune, mais elle est une mère et plus intéressant encore, n'a pas de mari. Nous l'avons déjà remarqué, Miyazaki ne représente jamais de famille traditionnelle : l'une des figures familiales est toujours absente. Or il est intéressant de voir que dans le cas de Yûbaba, son bébé semble avoir été conçu par sa volonté seule, sans le besoin d'un père. De plus, Yûbaba est une femme de pouvoir, directrice toute puissante d'une véritable entreprise. Nous voyons ici un parallèle avec les réclamations des femmes dès les années 1980 : plus de pouvoir dans leur travail, une vraie carrière, moins de pression pour se marier, mais le choix d'avoir des enfants ou pas. La femme japonaise veut plus d'indépendance dans ses choix, se libérer des pressions qui lui dictent de se marier le plus tôt possible et d'avoir des enfants, pour ne s'occuper que de sa famille, sans autre besoin. Nous avons vu qu'avec le phénomène DINKS (Double Income, No Kids) désormais les couples ne choisissent pas forcément de suivre la tradition et de se marier, en dépit des très fortes pressions qu'ils subissent via leur famille ou encore les médias.

Lisa est quand à elle un personnage très intéressant car elle représente très bien la femme japonaise d'aujourd'hui, dans ses contradictions et ses nouveaux comportements. En effet, Lisa est une très jeune femme, mariée. Nous ne voyons jamais son mari avec elle : ainsi le foyer n'est réellement composé que de Lisa et son fils Sôsuke. Lisa peut donc être considérée comme une mère seule ; même si son mari travaille, elle travaille également, bien que son enfant soit encore très jeune. Elle laisse beaucoup d'indépendance à son fils, et, en femme moderne, laisse ce dernier l'appeler non pas « maman » mais « Lisa-san ». Son caractère est également représentatif des nouveaux comportements des Japonaises : plus revendicatrices, plus sûres d'elles, moins soumises à leur mari. En effet, nous l'avons vu, Lisa est un personnage très impulsif, aux caractéristiques considérées comme masculines. Elle conduit très vite, brave des dangers inconsidérés grâce à une très grande confiance en elle -ce qui est une attitude traditionnellement fortement déconseillée aux femmes. Lorsque son mari la contrarie, elle se fait entendre et n'adopte pas une attitude soumise. Elle boit de la bière. Lisa correspond donc à l'image des career women, qui concilient leur vie de famille et leur travail, sans abandonner leur profession dès la naissance de leur enfant. Elle est ainsi très loin de la ryosai kembo : celle-ci ne se serait jamais offusquée de l'absence prolongée de son mari- au contraire elle aurait été heureuse de rester au calme dans son intérieur- et elle ne l'aurait certainement pas disputé au téléphone. La ryosai kembo ne conduirait pas non plus ainsi, et ne travaillerait pas à plein temps, surtout si son fils unique était encore aussi jeune.

Cependant nous constatons que Lisa a un travail très proche de la sphère féminine traditionnelle : elle travaille dans une maison de retraite. Cela correspond en effet à la réalité au Japon : les femmes peuvent certes travailler et être des mères et épouses respectées, mais la grande majorité d'entre elles travaillent dans des milieux tels que la petite enfance, les maisons de retraite, l'enseignement, l'aide sociale, et la plupart du temps à mi-temps. Lisa ressemble donc à la mère japonaise telle que nous la trouvons aujourd'hui, entre ses aspirations professionnelles, et les limitations de son choix de travail, dues aux distinctions de sphères féminines et masculines encore présentes dans le monde du travail.

2)b. Le partage des sphères

Mon Voisin Totoro est le seul film de Miyazaki où le rôle des femmes est clairement opposé à celui des hommes, mais aussi, dans lequel un homme prend la place d'une femme pour les tâches féminines.

Miyazaki décrit donc un monde traditionnel, celui des années cinquante, dans lequel les femmes ont un rôle précis : celui de s'occuper des enfants, de faire la cuisine. La grand-mère, voisine, garde les petites quand elles sont seules ; on la voit s'occuper des récoltes de légumes, préparer à manger. Satsuki, l'aînée des deux enfants, a le rôle de « petite maman », comme nous l'avons vu précédemment. Elle s'occupe de sa petite soeur comme le faisait sa mère : la coiffant, l'habillant. Elle prépare également les repas pour sa soeur mais aussi pour son père.

Ce dernier est par ailleurs le seul personnage masculin, comme nous l'avons dit, à avoir un rôle non pas subalterne comme les autres personnages, mais dans la sphère féminine. Il s'occupe du ménage, de la lessive. Ce genre de tâches est habituellement le travail des femmes au sein de la famille : s'occuper des enfants, leur faire prendre le bain, s'occuper des tâches ménagères, de l'intérieur, pendant que le père travaille. Travaillant comme professeur d'université, il passe beaucoup de temps chez lui, ce qui lui permet de surveiller ses enfants -en principe, car il oublie de surveiller sa fille cadette dans l'une des scènes du film. Contrairement aux hommes japonais dans les années cinquante, Mr Kutanabe passe beaucoup de temps avec ses enfants. Alors que la majorité des hommes à l'époque étaient exclus du cercle familial, passant le plus clair de leur temps à travailler, ce personnage se différencie par sa présence et son affection pour ses filles.

Dès les années cinquante au Japon, la famille nucléaire sans père fait son apparition, et les hommes passent moins de temps avec leur famille, et bien plus au bureau. Nous l'avons vu, les employés japonais passent énormément de temps au bureau, en voyage d'affaires, ou en réunions avec les collègues, bien plus que dans les pays occidentaux. La relation avec les femmes n'arrange pas cette séparation : tandis que l'homme peine à se trouver une place dans le cocon familial, la femme cherche à tout prix à en sortir, en partant, elle aussi, au travail. Mon Voisin Totoro représente un monde idyllique. Basé sur la propre enfance du réalisateur, nous pouvons penser que ce monde est pour lui une forme d'idéal simple. Ce film nous permet donc de voir une famille où les rôles sont inversés, dans un monde traditionnel ; cette image est ainsi bien loin de la réalité, générale bien sûr, du Japon à l'époque. Miyazaki inverse donc les rôles que tenaient les hommes à cette époque, et préconise une relation plus proche entre les pères et leurs enfants, se rapprochant ainsi du rôle traditionnel de la mère.

Nous pouvons conclure cette troisième et dernière partie sur ce point : Miyazaki représente un monde ressemblant à son idéal dans ses films. Les rapports entre hommes et femmes y sont caricaturés, mais c'est afin de montrer que la société pourrait fonctionner différemment qu'elle ne le fait. Nous trouvons dans ses films des sociétés matriarcales, des femmes puissantes, des hommes dans la sphère féminine. Miyazaki semble ainsi, en inversant les rôles traditionnels, prendre parti pour un véritable partage des sphères entre les hommes et les femmes. Mais il nous montre également un monde dans lequel les femmes ont le premier rôle. Ces dernières sont les messagères, les guides, les mères des hommes, qui face à elles, n'en sont que les subalternes, les assistants, les disciples fascinés. A travers cette analyse, nous avons constaté que le réalisateur cherchait à montrer que le monde ne peut fonctionner sans la participation active des femmes, et cela dans toutes les sphères de la société.

CONCLUSION

Aujourd'hui le Japon est un pays moderne, ultra-technologique, toujours à la pointe en matière de robotique et de nouvelles technologies. Difficile d'imaginer que les relations entre les hommes et les femmes sont encore ancrées dans une tradition passéiste, qui persiste à influencer le monde du travail et s'insinue dans les lois d'égalité des chances. Et pourtant, force est de constater que la séparation entre les mondes masculins et les mondes féminins est toujours importante et se ressent dans de nombreux éléments de la vie des Japonais.

L'étude de la place et le rôle de la femme au sein de sa société est capitale pour étudier le fonctionnement sociétal d'un pays, son évolution. Ainsi, il est d'autant plus révélateur d'aborder cette question par le biais de l'étude des médias, miroirs de la société contemporaine. C'est pourquoi nous nous sommes intéressés à un style de cinéma bien particulier, très représentatif, aux yeux des Occidentaux, du Japon : le cinéma d'animation.

Nous avons choisi de nous pencher sur le cas du réalisateur Miyazaki, cinéaste à succès dans son pays, mais également à renommée internationale. Il est intéressant, pour l'étude de l'impact sociétal que peut avoir un tel média, de savoir que ces films s'adressent non seulement à des enfants, mais attirent également des publics plus adultes.

Hayao Miyazaki aime représenter des femmes. Ce sont les femmes qui sont ses véritables héroïnes. L'analyse de ses personnages féminins nous a permis non seulement de voir quelle image de la femme le réalisateur souhaitait montrer, mais aussi quel rôle l'homme tenait par rapport à elle.

Ainsi, nous avons tenté, avec ce mémoire, de répondre à la question suivante : quelle image de la femme Hayao Miyazaki offre-t-il dans son cinéma ?

Les femmes dans le cinéma de Miyazaki sont des femmes indépendantes, courageuses, aux qualités viriles. Or, nous avons vu que dans le Japon traditionnel, les femmes appartenaient à la sphère intérieure : la famille, la maison, les enfants. Toutes leurs activités touchent à ces domaines. Ainsi, les médias leur offrent des magazines interpellant leurs seules préoccupations : la décoration, la cuisine, la mode, l'éducation. Les femmes sont traditionnellement tenues de se marier jeunes, entre vingt et vingt-cinq ans. Avant de se marier, elles ont quelques années de liberté, pour voyager, pour travailler. Mais ensuite vient l'appel du devoir, de leur « vrai » métier : mère et épouse.

Or, les femmes, dès les années 1980, commencent à souhaiter travailler plus longtemps, concilier leur vie de famille avec une vie plus complète, par le biais du travail. La révolution douce s'est immiscée au Japon à l'insu des hommes, qui ont encore aujourd'hui peine à prendre la mesure des évolutions de sa société. Les femmes japonaises sont plus que jamais, actrices des temps modernes et de l'évolution de la société. Bien que le poids des traditions pèse encore bien lourd sur leurs épaules, les femmes japonaises ont été ces dernières années, en avance sur leurs compatriotes masculins. En avance, car elles sont désormais plus extraverties que les hommes ; elles ont également, et plus que les hommes, la possibilité de voyager, d'apprendre des langues étrangères. Elles se sont plus ouvertes au monde extérieur et leurs opportunités et choix de vie ont beaucoup augmenté ces dernières années. Certaines d'entre elles font aujourd'hui le choix de ne pas se marier, de ne pas avoir d'enfants, ou de continuer à travailler après le mariage, malgré une société qui fait toujours pression sur leurs primes obligations.

C'est cette liberté qu'ont les femmes de voyager, de s'intéresser aux autres cultures, et surtout leurs nouveaux choix, sans l'obligation, comme pour les hommes, d'assurer directement un revenu au foyer avec un bon travail en entreprise, qui nous permet de voir les femmes d'aujourd'hui comme des précurseurs des évolutions sociales.

Dans le Japon contemporain, nous pouvons donc considérer les femmes japonaises comme de véritables guides, face aux hommes ayant encore du mal à comprendre cette évolution surprenante, ce détachement des traditions précipité par les nouvelles exigences féminines. D'ailleurs les hommes sont souvent victimes dans ce nouveau fonctionnement de la société. Comme le dit Nilsy Desaint dans son ouvrage Mort du père et place de la femme au Japon, l'homme aujourd'hui semble répondre à trois impératifs : « obéissance à la mère quand il est jeune, à l'entreprise quand il est adulte, et à sa femme quand il est à la retraite »152(*). Les hommes subissent de plus en plus de pressions, et le changement du statut des femmes et de leurs aspirations ne font que le déstabiliser. Ce dernier se réfugie alors dans les mondes virtuels, fuyant le travail où il passe le plus clair de son temps, et s'éloignant d'une femme qui ne se contente plus d'un rôle d'épouse traditionnel. Il en résulte une véritable perturbation psychologique chez les hommes, une crise des modèles menant à une remise en question identitaire.

Nous pouvons ici établir un parallèle intéressant entre l'image que Miyazaki donne des femmes et de leurs rapports aux hommes dans ses oeuvres. Tout comme les femmes se sont manifestées comme des précurseurs des évolutions sociales ces dernières années, les héroïnes de Miyazaki sont des guides, des messagères. Leurs capacités à communiquer avec l'au-delà, leur relation au spirituel, sont des métaphores pour leur faculté à comprendre, avant les hommes, ce qui les entoure. Nous retrouvons cette capacité à comprendre leur monde dans la crise des modèles que vit le Japon aujourd'hui.

Il est intéressant de noter que la réalité semble petit à petit rejoindre la fiction. Aujourd'hui, en effet, les femmes souhaitent de plus en plus s'affranchir de ce monde traditionnel qui les maintient si loin des rôles qu'elles ont dans le cinéma de Miyazaki : chez lui, les femmes sont guerrières, chefs, magiciennes toutes puissantes. Dans le Japon contemporain, elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir être chefs d'entreprises, avoir une position sociale élevée par le travail, plus de responsabilités, une vraie indépendance. Elles souhaitent également avoir le choix que leurs mères et grand-mères n'ont pas eu : celui de se marier ou non, d'avoir des enfants ou non. Le phénomène du « Double Kids-No Income » est révélateur des évolutions de la société japonaise : les femmes se rebellent contre les traditions qui leur ont été imposées pendant très longtemps, avec des conséquences qui peuvent parfois être désastreuses, tel le phénomène des enjo kosai (adolescentes prostituées).

Mais les caractéristiques des héroïnes de Miyazaki nous permettent également de voir que le réalisateur cherche avant tout à montrer que les femmes n'appartiennent pas à une sphère privée, intérieure ; il ne les réduit pas au rôle traditionnel que les hommes leur ont imposé pendant des années. Malgré la présence d'éléments nous rappelant qu'aujourd'hui encore, la tradition est encore bien présente et maintient la femme dans certains rôles bien définis (nous pensons à certaines scènes de déférence envers l'homme comme nous les avons vues dans Porco Rosso) les films de Miyazaki montrent surtout des femmes libérées de l'enfermement dans un rôle traditionnellement« féminin ».

Miyazaki nous montre également les hommes sous un jour différent : ce ne sont pas eux les héros. Ils sont loin de l'image de valeureux chevaliers, de sauveurs de damoiselles en détresse montrés dans les livres pour enfants. Les hommes y sont montrés comme des assistants des femmes, des subalternes.

Ainsi, les traditionnels arguments prônant que les femmes ne peuvent pas accomplir certaines tâches, ou ne sont pas capables de faire certains métiers, en raison de leur faiblesse physique, sont rejetés. Miyazaki montre des femmes aussi fortes, sinon plus fortes, que les hommes, tant moralement que physiquement.

Miyazaki semble ainsi soutenir la quête des femmes pour plus de liberté, en représentant des hommes ridicules face aux femmes, des femmes sages et guidant les hommes vers la vérité, ou encore en montrant que les hommes peuvent eux aussi, intégrer la sphère féminine, comme il l'a montré dans Mon Voisin Totoro.

Mais qu'en est-il réellement de l'évolution des opinions japonaises ? Les traditions sont encore très importantes pour un grand nombre de Japonais, et la révolution des femmes s'est faite très doucement. Ce sondage d'opinion nous montre qu'il est encore difficile pour les Japonais, hommes et femmes confondus, de se libérer des rôles traditionnels. Miyazaki semble alors être précurseur, puisque, comme nous l'avons vu dans certaines interviews, même les jeunes Japonaises aujourd'hui réfléchissent toujours avec ce schéma de pensée : les femmes, plus faibles, ne peuvent pas faire certains métiers. Les femmes s'intéressent uniquement aux arts, à la littérature ; les hommes aiment les sciences, le droit, la médecine...

En effet, dans l'opinion des Japonais, le poids des traditions persiste : une grande majorité pense qu'il est souhaitable que les femmes donnent la priorité à la vie de famille avant le travail (45%). Ils pensent également que « les femmes doivent être responsables des travaux ménagers et de l'éducation des enfants bien qu'il soit positif qu'elles aient une activité professionnelle » à 86,4%. Mais la majorité soutient qu'il est préférable que l'homme donne la priorité au travail, devant sa vie de famille (62,4%)153(*).

Sans doute, le chemin est encore long à parcourir pour que les femmes accèdent à une égalité totale avec les hommes. Mais il faut aussi noter que les hommes japonais souffrent énormément de ces évolutions. Ces derniers souhaitent accepter les nouvelles exigences de leurs compagnes ; seulement tout le défi réside dans leur capacité à comprendre que le monde traditionnel et le monde moderne ne semblent pas compatibles dans le monde du travail et familial, et qu'il conviendrait peut-être aujourd'hui de les séparer pour de bon.

Nous avons ainsi observé que les personnages féminins de Miyazaki accompagnaient les aspirations de la nouvelle génération de Japonaises. Cependant, nous devons nous interroger sur la capacité de films d'animation à retranscrire la réelle évolution sociétale d'un pays. Le public qui est adressé avec ces oeuvres est essentiellement jeune, adolescent, bien qu'il ne soit pas rare que des adultes apprécient ce cinéma. Ainsi, nous pouvons penser que la portée des messages est limitée, et n'influence qu'une partie de la population. De plus, il ne faut pas oublier que ces films retranscrivent la vision d'un auteur, qui n'est ainsi pas forcément représentatif d'une large partie de la population. Mais le succès phénoménal des oeuvres montre toutefois, que les personnages et l'image des héroïnes correspond aux attentes de son public.

Ce sujet et ses conclusions nous amène naturellement à nous poser des questions quant aux thématiques y étant liés et la façon dont celles-ci pourraient être abordés. En travaillant sur l'angle sociétal de ce sujet, nous pourrions étudier le Japon à nouveau mais à travers d'autres médias, tels que la presse ou la télévision, en élargissant notre sujet d'études : pas uniquement les femmes, mais les hommes et les enfants également, afin de faire de nouvelles découvertes concernant les particularités de la société japonaise et les différences notables avec la société occidentale.

L'étude de l'image de la femme dans le cinéma d'animation japonais peut nous mener par la suite, à nous intéresser aux images de femmes que l'on retrouve dans le cinéma d'animation occidental. Cette étude nous permettrait ainsi d'établir un parallèle sur les représentations féminines que l'on y retrouve et la société occidentale et ses clichés. De princesses sauvées par des princes charmants à de nouveaux héros, nous pourrions étudier comment ces stéréotypes évoluent avec le temps avec les dernières sorties cinématographiques.

Ces pistes d'études nous permettront, ainsi, d'approfondir l'analyse des évolutions sociétales de différents pays, à travers divers médias représentatifs de ces sociétés.

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HOSHIGUSHI Takashi, traduit par Takayuki Karahashi, The whimsy and wonder of Hayao Miyazaki, in Animerica, vol.1, num.5, juillet 1993, p.7

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DOCUMENTAIRES AUDIOVISUELS :

BAUDER Thomas, Le Choc des cultures, France 3, diffusion 15 janvier 2003, 10 min.

URATANI ToshioPrincess Mononoke: making-of a masterpiece, Buena Vista Home entertainment, 2004, 58 min.

SITES Internet:

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FILMOGRAPHIE

§ 1984 : Nausicaä de la vallée du vent (Kaze no Tani no Naushika)

§ 1986 :  Laputa, le château dans le ciel (Tenku no shiro Rapyuta)

§ 1988 :  Mon voisin Totoro (Tonari no Totoro)

§ 1989 :  Kiki la petite sorcière (Majo no takkyûbin)

§ 1992 :  Porco Rosso (Kurenai no buta)

§ 1997 :  Princesse Mononoké (Mononoke hime)

§ 2001 :  Le Voyage de Chihiro ( Sen to Chihiro no kamikakushi)

§ 2004 :  Le Château ambulant (Hauru no ugoku shiro)

§ 2008 :  Ponyo sur la falaise (Gake no ue no Ponyo)

ANNEXES

Fiches techniques

Nausicaä de la vallée du vent

Titre :

Kaze no Tani ni Naushika
(Nausicaä de la Vallée du Vent)

Année de création

1984

Oeuvre originale, scénario, réalisation,
mise en scène, character design :

Hayao Miyazaki

Producteur du projet :

Toru Hara

Producteur exécutif :

Isao Takahata

Production :

Yasuyoshi Tokuma, Michitaka Kondo

Directeur de l'animation :

Kazuo Komatsubara

Direction artistique, décors :

Mitsuki Nakamura

Musique originale, composition :

Joe Hisaishi

Directeur du son

Shigemaru Shiba

Le Château dans le ciel

Titre :

Tenku no shiro Ryaputa a.k.a Laputa
(Castle in the sky / Le château dans le ciel)

Année de création

1986

Oeuvre originale, scénario, réalisation,
mise en scène, character design :

Hayao Miyazaki

Producteur du projet :

Yasuyoshi Tokuma

Producteur exécutif :

Isao Takahata

Production :

Tokuma Shoten

Planning :

Tatsumi Yamashita, Hideo Ogata

Directeur de l'animation :

Yoshinori Kanada

Direction artistique, décors :

Toshiro Nozaki, Nizo Yamamoto

Couleurs :

Michiyo Yasuda

Musique originale, composition et arrangements des génériques :

Joe Hisaishi

Chanson du générique "Kimi wo Nosete" (Carrying You):

Paroles de Hayao Miyazaki
Composé par Joe Hisaishi
Chanté par Azumi Inoue

Son :

Shigearu Shiba

Effets spéciaux :

Gou Abe, Shinji Teraoka

Mon Voisin Totoro

Titre :

Tonari no totoro
( Mon voisin Totoro )

Année de création

1987

Oeuvre originale, scénario, réalisation

Hayao Miyazaki

Producteur du projet :

Yasuyoshi Tokuma

Planification :

Tatsumi yamashita, Hideo Ogata

Directeur artistique, décors :

Kazuo Oga

Directeur de l'animation :

Yashiharu Sato

Animateurs clés :

Tsukasa Tannai, Shinji Otsuka, Masako Shinohara, Masaaki Endo, Toshio Kawaguchi, Makoto Tanaka, Yoshinori Kanada, Katsuya Kondo, Makiko Futaki, Hiroomi Yamakawa, Hideko Tagawa

Chef coloriste :

Michiyo Yasuda

Prises de vue :

Hisao Shirai

Musique originale, composition et arrangement des génériques :

Joe Hisaishi

Paroles originales :

Rieko Nakagawa

Responsable de production :

Eiko Tanaka

Chargé de production :

Hirokatsu Kihara, Toshiyuki Kawabata

Producteur exécutif :

Toru Hara

Kiki la petite sorcière

Titre :

Majo no Takkyubin
(Kiki's delivery service / Kiki, la petite sorcière)

Année de création :

1989

Oeuvre originale :

Eiko Kadono

Scénario, réalisation

Hayao Miyazaki

Directeur artistique :

Hiroshi Ono

Décors :

Kazuo Oga ,Satoshi Kuroda, Kazufiro Kinoshita, Kiyomi Ota, Kyoko Naganawa, Yoko Nagashima, Kazuo Ebisawa, Yutaka Ito, Kiyoko Kanno, Hidetoshi Kaneko, Midori Chiba, Ken Tokushige, Yuko Matsuura, Yuji Ikehata, Studio Fuga (Tushiharu Mizutani, Kenji Kahiyama, Miyuki Kudo, Kumiko Ono)

Directeurs de l'animation :

Shinji Otsuka, Katsuya Kondo, Yoshifumi Kondo

Animateurs clefs :

Yoshinori Kanada, Makiko Futaki, Masako Shinohara, Masaaki Endo, Toshio Kawaguchi, Atsuko Otani, Megumi Kagawa, Atsuko Fukushima, Toshiyuki Inoue, Noriko Moritomo, Koji Morimoto, Yoshiharu Sato, Natsuyo Yasuda, Sachiko Sugino, Hiroshi Watanabe, Hiroomi Yamakawa, Yoshiyuki Hane, Chie Uratani, Masahito Sekino, Toshiya Niidome, Akiko Hasegawa

Chef coloriste :

Michiyo Yasuda

Photographie :

Juro Sugimura

Directeur audio :

Naoko Asari

Directeur des effets sonores :

Kazutoshi Sato

Mise en scène musicale :

Isao Takahata

Musique :

Joe Hisaishi

Producteur exécutif :

Yasuyoshi Tokuma, Mikihiko Tsuzuki, Morihisa Takagi

Producteur :

Hayao Miyazaki

Responsable de production :

Eiko Tanaka

Porco Rosso

Titre

Kurenai no Buta (Porco Rosso)

Année de création :

1992

Oeuvre originale, scénario, réalisation :

Hayao Miyazaki

Producteur du projet :

Yasuyoshi Tokuma

Producteur exécutif :

Toshio Suzuki

Directeur artistique, décors :

Katsu Hisamura

Directeur de l'animation :

Masashi Andô

Montage :

Takeshi Seyama

Photographie :

Atsushi Okui

Effets spéciaux :

K.Tanifuji, T.Hasizume, T.amai

Musique originale, composition et arrangements des génériques :

Joe Hisaishi

Paroles originales (chanson du générique) :

Tokiko Kato

Son :

Naoko Asari

Porco Rosso :

Jean Reno

Fio Piccolo :

Adèle Carasso

Gina :

Sophie Deschaumes

Curtis :

Jean-Luc Reichman

Paolo Piccolo :

Gérard Hernandez

Feralin :

Eric Dufay

Mama Aiuto :

Jean-Pierre Carosso

Boss A et Boss F :

Julien Kramer

Princesse Mononoké

Titre

Mononoke Hime
(Princesse Mononoke/Princess Mononoke)

Année de création

1997

Oeuvre originale, scénario, réalisation

Hayao Miyazaki

Directeurs de l'animation

Masashi Ando, Kitaro Kosaka, Yoshifumi Kondo

Animateurs clés

Shinji Otsuka, Masako Shinohara, Noriko Moritomo, Megumi Kagawa, Kenichi Konishi, Masaaki Endo, Hiroshi Shimizu, Tsutomu Awada, HIroko Minowa, Michio Mihara, Atsuko Otani, Takeshi Inamura, Hideaki Yoshio, Makiko Futaki, Kenichi Yamada, Shinsaku Sasaki, Eiji Yamamori, Kenichi Yoshida, Masaru Matsuse, Ikuo Kuwana, Mariko Matsuo, Toshio Kawaguchi, Takehiro Noda, Sachiko Sugino, Katsuya Kondo, Yoshinori Kanada

Chef coloriste

Michiyo Yasuda

Montage

Takeshi Seyama

Photographie

Atsushi Okui

Directeur audio

Kazuhiro Wakabayashi

Directeur des effets sonores

Muchihiro Ito

Musique

Joe Hisaishi

Paroles originales des chansons

Hayao Miyazaki

Producteur exécutif

Yasuyoshi Tokuma

Producteur

Toshio Suzuki

Responsable de production

Toshiyuki Kawabata

Le Voyage de Chihiro

Titre

Sen to Chihiro no Kamikakushi
(Spirited Away, Le Voyage de Chihiro)

Littéralement, on peut traduire par "L'étrange disparition de Sen et Chihiro" ou en anglais "The Spiriting Away of Sen and Chihiro".

Année de création

2001

Oeuvre originale, scénario, script, planning et réalisation :

Hayao Miyazaki

Directeur artistique :

Yôji Takeshige

Directeurs de l'animation :

Masashi Ando, Kitaro Kosaka, Megumi Kagawa

Animateurs-clés (entres autres) :

Matsuo, Tamura, Hiromasa

Directeur technique :

Takeshi Inamura

Directeur d'animation en infographie :

Mitsunori Kataama

Photographie :

Atsushi Okui

Directeur audio :

Kazuhiro Hayashi

Musique :

Joe Hisaishi

Chanson de fin :

Yumi Kimura

Producteur exécutif :

Yasuyoshi Tokuma

Producteur :

Toshio Suzuki

Production :

Tokuma Shoten, Studio Ghibli, Réseau NTV, Dentsû, Tohoku Shinsha, Mitsubishi Shôji, Disne

Le Château ambulant

Titre :

Hauru no Ugoku Shiro
(Howl's Moving Castle)
(Le château ambulant)

Année de création :

2004

Scénario, mise en scène, réalisation :

Hayao Miyazaki

Histoire originale :

Howl's Moving Castle de Diana Wynne Jones

Directeurs de l'animation :

Akihiro Yamashita, Takeshi Inamura, Kitaro Kosaka

Directeur de l'animation numérique :

Yozi Takeshige, Noboru Yoshida

Chef coloriste :

Michiyo Yasuda

Effets sonores:

Toru Noguchi

Directeur audio :

Kazuhiro Hayashi

Camera :

Atsushi Okoui

Musique :

Joe Hisaishi

Thème chanté

Composé par Yumi Kimura et
Interprété par Chieko Baisho

Production :

Toho Company, Les Studios Ghibli, Tokuma Shoten, 
NTV, Dentsu

Producteur exécutif :

Toshio Suzuki

Ponyo sur la falaise

Titre

Gake no Ue no Ponyo 
(Ponyo on the Cliff by the Sea)
(Ponyo sur la falaise)

Année de création :

2008

Réalisation :

Hayao Miyazaki

Storyboards :

Hayao Miyazaki

Scénario :

Hayao Miyazaki

Directeur de l'animation :

Katsuya Kondô

Directeur artistique :

Noboru Yoshida

Chef coloriste :

Michiyo Yasuda

Imagerie numérique :

Atsushi Okui

Montage :

Takeshi Seyama

Musique :

Joe Hisaishi

Chanson "Mother Sea" :

Paroles : Wakako Kaku et Hayao Miyazaki, 
Musique, composition et arrangement : Joe Hisaishi,
Interprétation : Masako Hayashi

Chanson "Ponyo on the Cliff by the sea" :

Paroles : Katsuya Kondo et Hayao Miyazaki, 
Musique, composition et arrangement : Joe Hisaishi,
Interprétation : Fujioka Fujimaki et Nozomi Ohashi

Ingénieur du son :

Shuji Inoue

Effets sonores :

Koji Kasamatsu

Producteur exécutif :

Koji hoshino

Producteurs associés :

Seiji Okuda, Ryoichi Fukuyama, Naoya Fujimaku

Production :

Toshio Suzuki / Studio Ghibli

* 1 Eliseef Danielle, Confucius. Des mots en action, Découvertes Gallimard/Réunion des Musées nationaux, 2003, pp.106-107.

* 2 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, éd. L'Harmattan, Paris, 2007, p.20

* 3 Ibid, p.20

* 4 Bouissou Jean-Marie, Le Japon Contemporain, éd. Fayard Ceri, Paris, 2007, p.268

* 5 Ibid, p.393

* 6 Jolivet Muriel, Un pays en mal d'enfants : crise de la maternité au Japon, la Découverte/essais, Paris, 1993, p.92

* 7 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, éd. L'Harmattan, Paris, 2007, p.36

* 8 Ibid, p.60

* 9 Ibid, p.37

* 10 Ibid, p.39

* 11 Sabouret Jean-François, L'éducation : la société du diplôme, in Japon le consensus, mythes et réalités, du CESEJ, éd. Economica, Paris, pp. 106-107

* 12 Seiichi Iwao et Teizo Iyanaga, Dictionnaire historique du Japon, vol.1, Maison franco-japonaise de Tokyo, Paris, 2002, p.1709

* 13 Gravereau Jacques, Le Japon au XXe siècle, éd. du Seuil, Paris, 1993, p.209

* 14 Ibid, p.209

* 15 Seiichi Iwao et Teizo Iyanaga, Dictionnaire historique du Japon, vol.1, Maison franco-japonaise de Tokyo, Paris, 2002, p.1709

* 16 Galan Christian, Le concept de réforme dans l'histoire de l'éducation au Japon, in Japon Pluriel 6 du CEIJ, éd.Philippe Picquier, Arles, 2006, p.363

* 17 Bouissou Jean-Marie, Le Japon contemporain, éd.Fayard Ceri, paris, 2007, p.11

* 18 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.118

* 19 Garrigue Anne, Japonaises, la révolution douce, op.cit., pp.51-52

* 20 Desaint Nilsy,Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.49

* 21 Ibid, p. 104

* 22 Ibid, p.96

* 23 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, in Japon, le consensus, mythes et réalités, du CESEJ, Paris, Economica, 1984, p.302

* 24 Site officiel du ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales, page consultée le 4/03/11 <www.mhlw.go.jp/english/>

* 25 Lefrançois Mikaël, « S'intégrer dans une entreprise japonaise, un parcours initiatique », in Aujourd'hui le Japon, page consultée le 4/03/11 <www.japon.aujourdhuilemonde.com>

* 26 Desaint Nilsy, « Entretien avec Fumiko » in Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p. 198

* 27 Ibid, p.8

* 28 Elisseeff Danielle, Confucius, des mots en action, op.cit., p.106-107

* 29 Mineko Iwasaki, avec Rande Browne, Ma vie de geisha, Michel Lafon Publishing, 2003, p. 155

* 30 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.7

* 31 Regards sur la femme Japonaise, p.6

* 32 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, in Japon, le consensus. Mythes et réalités, Paris, Economica, pp. 305-306.

* 33 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme Japonaise, Hatier, Paris, p.63

* 34 Golden Arthur, Geisha, éd. Le Livre de Poche, Paris, p. 120

* 35 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.21-22

* 36 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, op.cit. p.63

* 37 Sorifu (office of the prime minister) «Comparative international survey on women's issues», 1982.

* 38 Site officiel du Ministère du travail, de la Santé et des Affaires sociales, page consultée le 4/03/11, <www.mlhw.go.jp/english>

* 39 Nuita Yoko, L'influence des médias audiovisuels sur le comportement socioculturel des femmes au Japon, in Influence des médias sur les comportements socioculturels des femmes, site de l'Unesco, 1980, page consultée le 31/03/11, <www.unesdoc.unesco.org>

* 40 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme, op.cit., p.169

* 41 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p.301

* 42 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, Hatier, Paris, p.11

* 43 Ibid, p.11

* 44 Ibid, p.10

* 45 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p. 67

* 46 Desaint Nilsy, « Entretien avec Fumiko », in Mort du père et place de la femme au japon, op.cit., p. 195

* 47 Ibid, p. 198

* 48 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, Hatier, Paris, p.32

* 49 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.78

* 50 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p. 300

* 51 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p. 90

* 52 Beauchamp, Edward, Windows on Japanese Education, Greenwood press, Westport, 1991, p. 239

* 53 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.97

* 54 Liddle Joanna et Sachiko Nakajima, Rising Suns, Rising Daughters : gender, class and power in Japan, Zed books, London, 2000, p.247

* 55 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.44

* 56 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, op.cit., p.62

* 57 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p.304

* 58 Ibid, p.304

* 59 Ibid, p. 305

* 60 Ibid, p. 309

* 61 Desaint Nilsy, Mort du père.., op.cit., p.49

* 62 Ibid, p.48

* 63 Ibid, p.48

* 64 Jolivet Muriel, Homo Japonicus, éd. Picquier Poche, Paris, 2002, pp.139-140

* 65 Ibid, p.141

* 66 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p.312

* 67 Angeloni Vera, Le consensus..., op.cit., p.315

* 68 Ogawa Naohino, Demographic trends and their implications for Japan's future, mars 1997, site du ministère des affaires étrangères au Japon, page visitée le 06/04/11, <www.mofa.go.jp>

* 69 Desaint Nilsy, Mort du père..., op.cit., p.153

* 70 Ogawa Naohino, Demographic trends and their implications for Japan's future, mars 1997, site du ministère des affaires étrangères au Japon, page visitée le 06/04/11, <www.mofa.go.jp>

* 71 Cité dans Homo Japonicus, p.140

* 72 Angeloni Vera, Le consensus...,op.cit. p. 316

* 73 Desaint Nilsy, Mort du père..., op.cit., p.123

* 74 Ibid, p.129

* 75 Ibid, p.124

* 76 Ibid, p.139

* 77 Jolivet Muriel, Homo Japonicus, éd. Picquier Poche, Paris, 2002, p. 140

* 78 Ibid, p.92

* 79 Ibid, p.125

* 80 Ibid, p.141

* 81 Ibid, p.92

* 82 Dr Sekiya Tohru, Ces pères qui n'arrivent plus à rentrer chez eux, Planet Shuppan, Tokyo, 1989, pp.4, 5, 8

* 83 Jolivet Muriel, Homo Japonicus, op.cit., p.104

* 84 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p.298

* 85 Ibid, p.299

* 86 Site de Fuji television, page consultée le 05/04/11, <www.fujitv.co.jp>

* 87 Ibid, p.299

* 88 Ibid, p.300

* 89 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p.298

* 90 Nuita Yoko, L'influence des médias audiovisuels sur le comportement socioculturel des femmes au Japon, in Influence des médias sur les comportements socioculturels des femmes, site de l'Unesco, 1980, page consultée le 31/03/11, <www.unesdoc.unesco.org>

* 91 Desaint Nilsy, Mort du père... op.cit., p.150

* 92 Ibid, p.151

* 93 Ibid, p.151

* 94 Femme au foyer

* 95 Ibid, p.152

* 96 Takahashi Nozomi « La femme de la génération « arafou » à la recherche du bonheur », in Panel 11 : le Japon des magazines, exotisme et construction identitaire, page consultée le 31/03/11, site du SFEJ, 2010, <www.sites.google.com>

* 97 Desaint Nilsy, Mort du père..., op.cit., p.152

* 98 Jolivet Muriel, Homo Japonicus, op.cit. p.143

* 99 Jolivet Muriel, Homo Japonicus, op.cit., p.201

* 100 Ibid, p.211

* 101 Desaint Nilsy, Mort du père..., op.cit., p.250

* 102 Desaint Nilsy, « Entretien avec Fumiko », in Mort du père et place de la femme au Japon..., op.cit., p.200

* 103 Ibid, « entretien avec Fumiko » in Mort du père..., op.cit., p.195

* 104 Bellefonds Francis, Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11 février 2011, revue Chronicart, <www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>

* 105 Bendazzi G. Cartoons, le cinéma d'animation de 1892 à 1992, Mayenne, éd. Liana Lévi, 1991, p.131

* 106 Ibid, p. 132

* 107 Bellefonds Francis, Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11 février 2011, <www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>

* 108 Bendazzi G. Cartoons, le cinéma d'animation de 1892 à 1992, Mayenne, éd. Liana Lévi, 1991, p.133

* 109 Ibid, p.580

* 110 Ibid, p.584

* 111 Ibid, p 581

* 112 Ibid, p.580

* 113 Bellefonds Francis, Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11 février 2011, <www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>

* 114 Bendazzi G. Cartoons, le cinéma d'animation de 1892 à 1992, Mayenne, éd. Liana Lévi, 1991, p.275

* 115 Jetblack, Historique : les séries télévisées Tôei Animation, paru en décembre 2008, page consultée le 14 février 2011, <www.mata-web.com/anime-manga/index.php>

* 116 ibid

* 117 Jetblack, Historique : TMS et Madhouse, la qualité avant tout, paru en février 2009, page consultée le 14 février 2011 <www.mata-web.com/anime-manga/index.php>

* 118 Bellefonds Francis Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11 février 2011, <www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>

* 119 Patten Fred, A capsule history of Anime, paru en 1996 in Animation World network, page consultée le 14 février 2011 <www.awn.com/mag/issue1.5/articles/patten1.5.html>

* 120 Bellefonds Francis Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11 février 2011, <www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>

* 121 Koyama-Richard Brigitte, Mille ans de manga, Paris, éd. Flammarion, 2007, p.6-7

* 122 Ibid, p.12

* 123 Ibid, p.45

* 124 Ibid, p.58 et p.65

* 125 Ibid, p.42

* 126 Douin Jean Luc, Dictionnaire de la censure au cinéma, Paris éditions Quadrige/PUF, 1998, p

* 127 Schodt Frederick, Manga ! Manga ! The world of Japanese comics, USA, Kodansha International, 1983, p.15

* 128 Boden Sean, Women and Anime : popular culture and its reflection of japanese society, nov. 2001, page consultée le 18/02/11 <www.nausicaa.net/miyazaki/essay/files/SeanBoden_WomenandAnime.pdf>

* 129 Koyama-Richard brigitte, Mille ans de manga, paris, éd. Flammarion, 2007, p.190

* 130 Boden Sean, Women and Anime : popular culture and its reflection on japanese society, nov 2001, page consultée le 18/02/11 <www.nausicaa.net/miyazaki/essay/files/SeanBoden_WomenandAnime.pdf>

* 131 Boden Sean, Women and Anime : popular culture and its reflection on japanese society, nov 2001, page consultée le 18/02/11 <www.nausicaa.net/miyazaki/essay/files/SeanBoden_WomenandAnime.pdf>

* 132 Friedman Erica, Anime with strong, adult female leads, oct 2008, page consultée le 22/02/11, <www.okazublogspot.com/2008/10/anime-with-strong-adult-female-leads.html>

* 133 ibid

* 134  Hayao Miyazaki: son parcours (page consultée le 11 février 2011)   <www.buta-connection.net/studio/miyazaki.php>

* 135 McCarthy Helen, Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone bridge press, Berkeley, California, 2002, p.26

* 136 Miyazaki, «The current situation of Japanese movies», in Course on Japanese movies 7, Iwanami Shoten, janvier 1988

* 137 Hayao Miyazaki: son parcours (page consultée le 11 février 2011) <www.buta-connection.net/studio/miyazaki.php>

* 138 McCarthy Helen, Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone Bridge press, Berkeley, California, p.39-40

* 139 Ibid, p.42

* 140 Origines et création du studio Ghibli (page consultée le 11 février 2011) <www.buta-connection.net/studio/historique.php>

* 141 Miyazaki Hayao, Shuppatsuten, editions Tokuma Shoten, Tokyo, 1997

* 142 Mc Carthy Helen, Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone bridge press, Berkeley California, 2002, p132.

* 143 Miyazaki Hayao, The Hopes and spirit of contemporary Japanese girls in The Art of Kiki's delivery service, Ghibli library, Tokyo, 2010 (1ère edition 1989), p.8

* 144 Hoshigushi Takashi, traduit par Takayuki Karahashi, The whimsy and wonder of Hayao Miyazaki, in Animerica, vol.1, num.5, juillet 1993, p.7

* 145 McCarthy Helen, Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone Bridge Press, Berkeley California, 2002, p 183

* 146 Introduction : le Voyage de Chihiro (page consultée le 11 février 2011) <www.buta-connection.net/chihiro.php>

* 147 Chauvin Jean-Sébastien et Higuinen Erwan Le Triangle d'or de la japanimation, in les Cahiers du cinéma, numéro 567, avril 2002, p.16

* 148 Terme désignant la catégorie spécifique des dessins animés japonais.

* 149 McCarthy Helen, Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone Bridge Press, Berkeley California, 2002, p 72

* 150 Idem, p 74

* 151 Miyazaki Hayao, The Hopes and spirit of contemporary Japanese girls in The Art of Kiki's delivery service, Ghibli library,Tokyo, 2010, (1ère edition 1989), p.8

* 152 Desaint Nilsy, Mort du père... op.cit., p. 178

* 153 Ibid, p.166






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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard