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Engagement politique et associatif des femmes en Mauritanie. Le « négoféminisme maure »: entre stratégies féminines et pratiques informelles du pouvoir politique

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par Nejwa El Kettab
Université de Picardie Jules Verne - Master 2 recherche sociologie 2012
  

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B. Sphère publique et sphère domestique : Relation dialectique entre ces deux espaces

et rapport de genre :

a) L'espace mondain comme espace de pouvoir : Comportements féminins et hiérarchie

sociale :

L'urbanisation et la sédentarisation qu'a connue la population mauritanienne leur a imposée un nouveau modèle de vie et d'organisation sociale. Dans le cadre de notre problématique de mémoire, il serait indispensable pour évaluer les potentialités d'actions féminines en terme politique et économique, de mettre la lumière sur les rapports de force hommes/femmes ; des rapports qui, nous le verrons, sont intimement liés au mode de vie imposé par l'urbanisation.

A la fin des années 1970, le régime militaire de Mohamed Khouna ould Haidallah décide de se tourner vers une richesse jusqu'alors inexploitée : les ressources halieutiques des côtes mauritaniennes. De nombreux individus se pressent alors à Nouadhibou (ville située sur les côtes nord-ouest du pays, capitale économique du pays), port avec zone franche, et se lancent dans la

pêche et ses activités maritimes dérivées (consignations, usines de congélation, sociétés d'assurances, etc.), une riche classe d'affaires mauritanienne voit alors le jour. Leurs affaires aujourd'hui touchent une diversité de domaines : commerce, politique, banques, assurances, immobilier, bâtiments,... Cette effervescence donna naissance d'abord à une nouvelle forme de sociabilité nocturne dans l'intimité des maisons, ces réunions rassemblant des hommes et des femmes, appelées « salons », sont marquées par le luxe qui donne lieu à un véritable développement d'une classe prestigieuse et influentes dans les divers cercles socio-politiques. En effet, ces espaces élitistes que Celine Lesourd appelle le mesrah (voir la définition en note de bas de page n°67) se rapprochent des salons mondains du XVIIIe siècle en France dans la mesure où on y retrouve des réseaux sociaux étroitement liés au pouvoir politique, des rapports de séduction, de sociabilités mondaines, des interactions qui participent également à la construction des rapports de genre dans ces hautes sphères de la société. Ceci nous conduit à de multiples questionnements sur la relation dialectique qui s'instaure entre l'empreinte féminine du mesrah et le pouvoir en Mauritanie. C'est dès les années 1980 sous le régime de Maaouya ould Sid'ahmed Taya (1984-2005) que l'on a vu se développer notamment dans la capitale du pays une élite urbaine qui est en étroite collaboration officieuse avec l'Etat. Une élite majoritairement composée d'une classe d'affaire s'enrichissant des fonds publics , s'instaure alors une kleptocracie élargissant et consolidant l'influence et le pouvoir du mesrah : « plus d'argent, plus de courtisans, plus de fidèles, plus de paraître, plus de besoins financiers, plus de concurrences au sein de la cour et entre les cours, plus de rumeurs et de « rumorants » »73.

Les femmes qui sont les principales actrices et initiatrices du mesrah mauritanien, contribuent à fidéliser une cour politicienne en ayant recours à divers discours clientélistes (d'ordre tribal, régional ou ethnique) pour élargir et renforcer leur cercle, le plus souvent par des moyens douteux ou discutables. Elles dirigent leurs actions en fonction de l'orientation du régime politique en place débouchant sur un nouveau mode d'action politique.

Le mesrah étant composé d'hommes hauts placés dans les sphères politique du pays, ces femmes
connues pour leur beauté et leur assise dans la classe politico-commerciale construisent des
réseaux sociaux mais aussi internationaux pour accroitre leur autorité et leur influence. Depuis

les années 1990, ces « shabibate »74Badineuses, épouses ou divorcées de businessmen, de militaires ou de nominés »75) sont aussi devenues les businesswomen d'aujourd'hui.

Leur pouvoir est fondé sur ce que la sociologue spécialiste de la méditerranéen Véronique Manry appelle les « compétences relationnelles ». En effet, ces commerçantes s'appuient sur les liens de parenté : proches parentes de hauts fonctionnaires et/ou de femmes d'affaires.

Celine Lesourd a réalisé au cours de son enquête auprès des commerçantes mauritaniennes que les plus riches étaient les filles de cadres dans une administration publique, filles de grandes commerçantes ou de chefs d'entreprises, soeurs de conseiller à la présidence, nièces de haut responsable du PRDS76, fille de sénateurs, soeur d'un grand banquier de la place etc. Autant de relations de parenté qui en disent long sur les véritables voies de réussite pour les femmes et constituent des capitaux sociaux variés et cumulables leur donnant accès à la classe politicocommerciale, et par là même, à un véritable tremplin pour leur business personnel. Le capital social devient une garantie du capital financier. Le mesrah, cet espace semi-public devient le théâtre de stratégies individuelles de réussite pour ces femmes et un moyen de théâtraliser leur richesse ainsi que leur renommée. Une véritable sociabilité se crée autour et par ces femmes puissantes entretenant une cour et des courtisans pour demeurer dans l'élite et « relever des défis ostentatoires pour prouver ses marques de prestige »77. Ainsi les mauresques étant moins actives, moins scolarisées, certaines nous le verrons, se démarquent par des investissements particuliers et savent quand il le faut, jouer de leur rôle de femme et bénéficier d'un certain pouvoir au sein de la communauté.

74. Terme en hassaniya, dialectque arabe des maure, désignant une femme belle et jouissant d'un grand prestige social.

75. Ibid 2 C.Lesourd

76. Parti politique du président Maaouya ould Sid'ahmed Taya au pouvoir de 1984 à 2005

77. Ibid 2 C.Lesourd, l'auteure y développe longuement la compétition entres ces jet-seteuses pour se hisser sur le mesrah, soutenue par un mode de vie ostentatoire propre à elles.

Le mode de vie urbain moderne devient un théâtre social au sens goffmanien dans la mesure où s'y déploie toutes les ressources conceptuelles des métaphores de la théorie goffmanienne : « scène », « public », « personnage », « rôle », « coulisse » et « mise en scène ».78 En effet, ce phénomène s'est accompagné d'un développement sulfureux d'une architecture luxueuse de villas dans les quartiers chics de la capitale (Tevragh Zeina, E-Nord, Las Palmas,...) exposant ainsi la réussite sociale des propriétaires. Des voitures dernier cri, des villes, des voyages à Dubaï, en France, en Espagne,...l'achat des accessoires et équipements domestiques de pointe constituent des dépenses participant à consolider la position statutaire des hommes et des femmes en particulier appartenant à cette élite.

« Ces palais rivalisent de successions de salons : il y a le salon maure (composés de banquettes de bazin et de tapis importés d'Iran) dans lequel la famille se réunit, à même le sol, confortablement lovée dans une multitude de coussins. Des halls immenses à colonnes s'ouvrent sur d'autres salons à « l'européenne » : canapés fleuris aux très lourds accoudoirs et aux imposants dossiers, luxueux tapis, tables basses en verre soutenues par des armatures dorées. Des fleurs en plastique dans des vases en porcelaine surplombent des bibelots made in China. Aux murs, dans des cadres alambiqués, sont accrochés de grands posters figurant des forêts suisses, des torrents nord-américains, un château de la Loire et sa verte campagne. La télévision trône majestueuse sur un meuble de même facture que la collection de tables basses. De l'écran plat de grande taille à l'écran plasma géant, le poste (relié à une parabole bien en vue sur le toit) confère un certain prestige. Plus l'appareil, exposant social, est imposant, plus l'hôte semble puissant. Dans ces intérieurs, presque baroques, chaque détail compte : les moulures au plafond, l'épaisseur et le luxe des rideaux et tapis, les fioritures des colonnes, le clinquant des cascades de lustres. Les fauteuils, les canapés, et de plus en plus, les ensembles table à manger et vaisselier, confèrent au propriétaire ses marques de noblesse. Chaque mobilier est mis en valeur par divers artifices (cadres, rubans, figurines, vases, cendriers) [...] L'objet est ainsi dédoublé, comme ajoutant du prestige au prestige. Il y a alors surexposition de la position sociale de l'hôte. Les architectures extérieure et intérieure de ces véritables châteaux, tout comme le mobilier - jouant encore une fois « le rôle d'exposant du statut social » font l'objet d'âpres concurrences : la lutte ostentatoire s'organise, tout d'abord, autour de l'acquisition du meilleur terrain (le plus grand, le mieux placé, négocié de main de maître), puis à propos de la superficie de sa construction, de la hauteur de ses tours, du coût de ses

78. « La mise en scène de la vie quotidienne 1 : La présentation de soi » Erving Goffman- Les Editions de Minuit- 1975

carrelages, de la lourdeur de ses draperies et du nombre de véhicules rutilants abrités dans le garage . »79

L'exposition de ces biens et leur théâtralisation urbaine sont intimement liés aux rapports de genre et jouent un rôle central dans les rapports de séductions à travers lesquels les femmes parviennent à bénéficier de ces avantages en entretenant autour d'elles un réseau masculin assurant leur prestige. Se développe dès les années 1980 avec la naissance des « salons » mondains une catégorie de femmes : les « shabibate » usant de tout leur capital relationnel et de séduction pour la mise en scène de leur réussite sociale et financière sur le mesrah.

A Nouadhibou puis à Nouakchott, ces femmes issues d'un haut rang social organisent des fêtes, des soirées privées dans leur salon rassemblant une sélection d'hommes et de femmes du gotha nouakchottois dans une ambiance de musique, de poésie ponctuée souvent par des jeux de séduction, un amour courtois qui a longtemps caractérisé les rapports amoureux maures tel que nous les décrit Aline Tauzin dans son ouvrage (Figures du féminin dans la société maure). Pour être convié chez certaines « shabibate » fortunées, il faut être prêt à honorer une certaine somme : Des montants pouvant varier entre 100 000 et 200 000 ouguiyas (soit 300 à 600 €). Une dépense souvent complétée par la prise en charge du repas, des cadeaux caprices suggérés par la shabiba (argent, accessoires de luxe, voitures, voyages, etc.), ou par ses proches, au cours de la soirée. En échange, ces femmes se laissent courtiser et entretiennent une relation privilégiée avec avec ces hommes. « Elle a sa cour d'admirateurs [...], la femme exprime ses désirs directement ou par l'intermédiaire des femmes présentes, elle suggère les cadeaux qu'elle veut, les voyages [...]. Elle veut entendre des mots, des compliments [...]. Les hommes veulent briller et gagner ses faveurs »80. Etre convié à un « salon » est donc une marque de prestige et un privilège pour les hommes.

Ces « salons » deviennent les coulisses du théâtre de la réussite sociale, du mesrah. Le mesrah
prend tout son sens goffmanien dans la mesure où les rapports de genre sont fondés sur une
répartition des rôles entre les hommes et les femmes garantissant à chacun une reconnaissance

79. Description extraite de l'étude de Celine Lesourd « « Le mesrah. Regard sur la « culture matérielle du succès » à Nouakchott », L'Année du Maghreb.

80. Témoignage d'un connaisseur de ces salons recueilli par Celine Lesourd - cf Ibid 2

statutaire. Pour « garder la face » (concept de E.Goffman traduisant le maintien d'une crédibilité sociale aux yeux des individus) ces manipulations doivent cependant demeurer encadrées par des normes et des règles strictes car, oscillant entre privé et public, il y a ce qui doit être vu et ce qui peut être vu, ce que l'on peut dire et ce que l'on doit taire.

En conduisant leur vie amoureuse avec opportunisme et en menant une vie mondaine ostentatoire, ces femmes renversent le principe de la subordination féminine aux hommes, en effet cet espace de mixité ouvert aux classes aisées de Nouakchott met en évidence une réalité complexe des rapports de genre. En jouant sur les concurrences masculines et en exigeant des cadeaux et des égards, ces femmes font preuve d'une forme d'autorité sur les hommes débouchant sur une subordination de ces derniers et un assujettissement à leurs caprices. C'est en ce sens que l'on peut qualifier ces rapports de genre comme relevant d'une complexe complémentarité.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire